Séance du 11 février 1999
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Avenir de la politique étrangère et de sécurité commune.
- Discussion d'une question orale européenne avec débat (p.
1
).
MM. Michel Barnier, président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne, auteur de la question ; Xavier de Villepin, président de la
commission des affaires étrangères ; Hubert Védrine, ministre des affaires
étrangères.
M. le président.
M. Jean-Paul Emin.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
MM. Claude Estier, Maurice Blin, Aymeri de Montesquiou, Serge Vinçon, Mme
Danielle Bidard-Reydet.
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
3.
Candidature à un organisme extraparlementaire
(p.
3
).
4.
Service minimum en cas de grève dans les services publics.
- Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p.
4
).
Discussion générale : M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des
affaires sociales.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
MM. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat
et de la décentralisation ; Hubert Durand-Chastel, Mme Gisèle Printz, MM.
Pierre Hérisson, Nicolas About, Jean-Pierre Fourcade, Jean Chérioux, Philippe
Arnaud.
M. le rapporteur.
Clôture de la discussion générale.
Question préalable (p. 5 )
Motion n° 1 de Mme Borvo. - Mme Nicole Borvo, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Article 1er (p. 6 )
MM. le rapporteur, le ministre.
Adoption de l'article.
Article 2 (p. 7 )
M. le rapporteur.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 2 (p. 8 )
Amendement n° 2 de M. Chérioux. - MM. Jean Chérioux, le rapporteur, le ministre, Mme Gisèle Printz, MM. Guy Fischer, Dominique Braye. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 3 (p. 9 )
M. le rapporteur.
Adoption de l'article.
Intitulé. - Adoption (p.
10
)
Vote sur l'ensemble (p.
11
)
MM. Guy Fischer, Philippe Arnaud, le rapporteur, le ministre.
Adoption de la proposition de loi.
5.
Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire
(p.
12
).
6.
Dépôt de questions orales avec débat
(p.
13
).
7.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
14
).
8.
Dépôt d'un texte soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
15
).
9.
Dépôt d'un rapport
(p.
16
).
10.
Ordre du jour
(p.
17
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observations ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
AVENIR DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE
ET DE SÉCURITÉ COMMUNE
Discussion d'une question orale européenne avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec
débat suivante :
M. Michel Barnier attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères
sur la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne et ses
perspectives d'avenir à la veille de la ratification, par la France, du traité
d'Amsterdam. Ce texte comporte en effet plusieurs dispositions nouvelles et
réalistes qui sont susceptibles de renforcer la présence de l'Union sur la
scène internationale si les Etats membres en ont la volonté, notamment la
création d'un haut représentant pour la PESC, qui devrait être prochainement
nommé.
Il souhaite notamment connaître le sentiment du Gouvernement sur la nature des
liens qui pourraient unir demain l'Union européenne et l'Union de l'Europe
occidentale ainsi que sur les conditions dans lesquelles l'identité européenne
de sécurité et de défense pourraient s'affirmer au sein de l'Alliance
atlantique.
Je rappelle au Sénat que, dans un tel débat, chaque orateur dispose d'un temps
de parole de dix minutes.
Je recommande aux intervenants de bien vouloir respecter cette règle.
La parole est à M. Barnier, auteur de la question.
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je voudrais
tout d'abord, monsieur le président, m'adresser à vous pour vous remercier,
ainsi que les membres de la conférence des présidents, d'avoir bien voulu, par
l'inscription de cette question orale, tenir un engagement et continuer une
tradition qu'avait initiée mon prédécesseur à la tête de la délégation du Sénat
pour l'Union européenne, M. Genton. Je souhaite que, de temps en temps -
malheureusement, ce n'est pas assez souvent - nous puissions débattre
spécifiquement d'un sujet de politique européenne.
Monsieur le ministre, après le vrai succès remporté par l'Union en matière
économique et monétaire, il est un grand dessein qui s'ouvre désormais devant
nous pour la construction européenne : l'affirmation de sa dimension
politique.
Sans cesse recherchée, rarement atteinte, une politique étrangère et de
sécurité commune est aujourd'hui plus nécessaire que jamais à l'Europe, pour
lui permettre d'agir sur la scène internationale avec l'efficacité et la
crédibilité qu'attendent d'elle les citoyens.
Ce débat n'est pas nouveau. L'idée d'une union politique était déjà l'ambition
des pères fondateurs de l'Europe. Il y a eu quelques grandes tentatives : je
pense notamment à la Communauté européenne de défense, la CED, et au plan
Fouchet.
Nous avons eu aussi, dans cet hémicycle, en particulier sur l'initiative de M.
de Villepin, plusieurs occasions d'appeler de nos voeux ce renforcement de la
dimension politique de l'Union.
Il me semble cependant qu'aujourd'hui le moment est plus favorable qu'il ne
l'était auparavant. Il suffit d'observer la coïncidence d'éléments convergents
parmi lesquels la monnaie unique constitue, bien au-delà de sa dimension
économique et monétaire, un acte politique majeur et le signe d'une sorte de
maturité européenne.
Parmi les signes de ce nouveau climat, citons naturellement le contenu du
traité d'Amsterdam, que le Parlement s'apprête à ratifier. Je ne reviendrait
pas sur les lacunes et les oublis de ce texte, ni sur les insatisfactions et
les critiques qu'il a suscitées. Je les connais bien pour avoir été, presque
jusqu'au bout, l'un des négociateurs. Il reste que ce texte est utile, même
s'il est insuffisant.
Au-delà de la question de la sécurité des citoyens, il est au moins un point
sur lequel le traité d'Amsterdam est réellement novateur : celui de la
politique étrangère et de la sécurité commune.
Le traité propose en effet des solutions que je crois réalistes et
constructives afin de lever certains obstacles qui ont empêché jusqu'à présent
l'Europe d'exercer efficacement une influence sur la scène inernationale.
Il faut cependant préciser un point : lorsqu'on brocarde la PESC, la politique
étrangère et de sécurité commune, et ses manquements, c'est sur l'incapacité de
l'Europe à intervenir dans le règlement des conflits que l'on ironise ; c'est à
la Bosnie, au Rwanda, au Moyen-Orient que l'on fait référence.
Il est vrai que l'Europe a perdu une part de crédibilité en ne sachant pas
jouer son rôle de médiateur dans des conflits ouverts, dramatiques, meurtriers,
de ceux qui « interpellent » les consciences, qui cristallisent les sentiments
de l'opinion publique et qui, du coup, font subir aux gouvernements une
pression médiatique sans cesse croissante.
Je ne conteste pas cette lecture des faits, mais faut-il pour autant négliger
d'autres aspects de l'action internationale de l'Europe, qui sont peut-être
moins visibles, mais qui n'en sont pas moins tangibles, voire fondamentaux ?
L'Union européenne est, par exemple, le premier contributeur mondial en
matière d'aide au développement ou dans le domaine de l'assistance
humanitaire.
Engager l'élargissement de l'Union aux pays de l'ancien bloc soviétique, ce
n'est pas une affaire technique, c'est vraiment un acte stratégique majeur. Il
en va d'ailleurs de même s'agissant du partenariat ambitieux engagé entre les
deux rives de la Méditerranée.
Prévenir les conflits par l'adoption d'un pacte de stabilité en Europe
centrale ou par le vote d'un code de bonne conduite pour les exportations
d'armes conventionnelles, c'est aussi jouer un rôle essentiel comme gardien de
la paix mondiale.
Mes chers collègues, je ne suis pas de ceux qui considèrent, avec une sorte de
cynisme, que la prévention des conflits n'intéresse pas les gouvernements parce
que sa réussite est, par définition, impossible à mesurer, et que l'on ne peut
pas tirer gloire d'événements qui ne se sont pas produits. Je pense qu'il vaut
mieux compter les drames qui n'arriveront pas que les conflits que l'on arrête
après leur déclenchement, c'est-à-dire souvent trop tard.
L'échec de l'Europe face à certaines tragédies internationales est néanmoins
bien connu.
Dans le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter voilà quelques jours devant
la délégation du Sénat pour l'Union européenne, j'avais choisi d'étudier deux
conflits récents : les affrontements des Grands Lacs, en raison des liens
particuliers qui unissent la France au continent africain, et la guerre dans
l'ex-Yougoslavie, parce qu'elle s'est déroulée à nos frontières.
Dans les deux cas, l'incapacité de l'Europe à faire entendre sa voix a
sévèrement porté atteinte à notre crédibilité commune. Il suffit de se rendre à
Sarajevo et à Mostar, comme j'ai pu le faire voilà quelques semaines, pour
mesurer le terrain perdu sur le plan politique par l'Europe face à la puissance
américaine.
On ne peut que se souvenir de cette phrase : « L'Europe est un géant
économique, mais un nain politique. » Cette situation ne peut pas perdurer.
Les premières réactions européennes aux événements dramatiques qui se
déroulent au Kosovo depuis près d'un an avaient laissé craindre la reproduction
de ce triste exemple bosniaque. L'Union s'était bornée à émettre près de
quarante déclarations successives pour déplorer, critiquer, contester,
condamner, notamment l'attitude serbe, sans que cette agitation incantatoire
ait débouché sur le moindre résultat concret.
Mais, sous l'impulsion, en particulier du Président de la République et de
vous-même, monsieur le ministre, l'Union paraît avoir quand même retenu la
leçon de l'histoire récente et veut montrer aujourd'hui une capacité nouvelle à
réagir aux crises. C'est en tout cas ce à quoi vous vous employez en ce moment,
à Rambouillet notamment.
A travers le projet de forces de protection militaires destiné à protéger les
vérificateurs de l'OSCE - Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe - au sein du groupe de contact, vous avez joué un rôle actif et prouvé
ainsi une détermination qui a conduit à l'ouverture de la réunion de
Rambouillet sous présidence franco-britannique. L'esprit de Saint-Malo
commencerait-il à souffler ?...
En tout cas, monsieur le ministre, nous serons attentifs à ce que vous nous
direz de cette conférence, qui est en train de se dérouler, et de cette
nouvelle volonté politique des Européens. Il est grand temps que les Etats
surmontent enfin les divergences qui les opposent sur la conception même d'une
politique étrangère et de sécurité commune.
Le fait que la politique étrangère se soit trouvée au centre des discussions -
je peux en témoigner - lors de la conférence intergouvernementale à propos du
traité d'Amsterdam est en lui-même un signal fort et positif, qui montre que
nous progressons dans cette voie.
S'agissant du traité d'Amsterdam, je veux redire ici, quelque temps avant que
nous ne le ratifiions et au moment où le débat est ouvert dans le cadre des
élections européennes, quelles dispositions de nature à combler des lacunes et
à apporter des outils à la politique étrangère et de sécurité commune il
contient.
Le premier reproche formulé contre la PESC était son manque de
personnalisation. Aucune autorité n'était en effet habilitée à présenter d'une
seule voix la position des Quinze. Voilà comment se sont souvent multipliés les
signes témoignant de l'existence de diplomaties parallèles, quelquefois
concurrentes, et je ne parle même pas des voix parallèles de la présidence du
Conseil, du président de la Commission et des cinq autres commissaires qui sont
chargés, de plus ou moins près, des relations extérieures.
La cacophonie n'était pas toujours silencieuse. Elle devait cesser, et c'est
bien sur une initiative française, notamment, qu'a été décidée la création d'un
nouveau poste, celui de représentant placé sous l'autorité des ministres et
donc sous celle du Conseil européen : le Haut représentant pour la PESC,
secrétaire général du Conseil.
Il a été entendu à Vienne qu'il s'agirait d'une personnalité politique.
Ma première question, monsieur le ministre, porte sur ce point : pouvez-vous
nous confirmer qu'il s'agira bien d'une personnalité politique de premier plan
capable de dialoguer non pas d'égal à égal, mais en confiance avec les
ministres et sous l'autorité des chefs d'Etat ?
Doit-on d'ailleurs s'attendre - c'est ma deuxième question - à ce que la
France propose un candidat pour ce poste ?
Le deuxième outil façonné à Amsterdam est destiné à lever une critique
concernant l'absence d'analyse et de planification de la politique étrangère.
J'ai souvent observé avec étonnement que, dans les structures de l'Union,
n'existait aucun organe au sein duquel lesdiplomates pourraient travailler
ensemble, analyser, réfléchir pour définir des positions communes avant que les
crises ne se déclenchent.
Le traité instaure donc une unité de planification et d'alerte rapide. J'ai, à
ce sujet, une question à vous poser, monsieur le ministre. Ayant compris que,
un peu en contradiction avec ce que nous avions imaginé, c'est une structure de
nature intergouvernementale qui a été retenue, dont on pourrait craindre
qu'elle ne se transforme en une sorte de comité politique
bis,
je
voudrais vous interroger sur la manière dont vous concevez le fonctionnement de
cette cellule, pour qu'elle soit vraiment efficace.
Enfin, le troisième grand progrès du traité d'Amsterdam se trouve dans le mode
d'expression de la PESC.
Il existait déjà deux modes d'intervention collectifs : les positions communes
et les actions communes, qui exigeaient l'unanimité.
Le traité d'Amsterdam, là encore, apporte un progrès pour peu que les Etats
membres ou les ministres aient la volonté de s'en saisir.
Ainsi, il instaure le concept des stratégies communes, qui mobilisent les
trois piliers de l'Union, les Etats et la Commission.
Vous avez choisi d'utiliser cette méthode pour la première fois à propos de la
Russie, et on le comprend. Il faudra sans doute, dans la foulée, définir des
stratégies communes pour l'Ukraine, la zone méditerranéenne et la région des
Balkans.
En tout cas, il me semble qu'avec des outils tels que l'abstention
constructive, débouchant sur une sorte de super-coopération renforcée, le
traité donne désormais aux gouvernements les moyens d'avancer.
Je reste également persuadé que, comme le prévoit le traité, il faudra
recourir plus généralement à la majorité qualifiée pour l'adoption de mesures
d'application des stratégies, des actions et des positions communes.
Je suis, pour ma part, favorable à l'utilisation de cette majorité qualifiée,
qui permet d'agir efficacement, à la condition, naturellement, que soit
auparavant tranchée la question de la repondération des voix au Conseil.
On ne peut imaginer, en effet, que, dans les années qui viennent, une fois
l'Europe élargie, Chypre avec les trois Etats baltes « pèsent plus lourd » que
la France, ou bien que les dix plus petits entrants l'emportent, par leurs
voix, sur le bloc France-Allemagne-Grande-Bretagne.
Agir efficacement en utilisant plus souvent la majorité qualifiée sera
nécessaire à la condition que nous ayons réussi là où nous avons échoué à
Amsterdam, c'est-à-dire que nous soyons parvenus à reformer la mécanique de
décision au sein du Conseil.
Notre délégation compte mener une réflexion, en concertation avec la
commission des affaires étrangères, pour mettre au point les propositions que
nous pourrions vous soumettre en temps voulu sur cette réforme des institutions
européennes.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je voulais dire en introduisant ce
débat.
Nous allons vivre une année difficile sur le plan européen, subir des
secousses, peut-être une crise liée à la mise en ordre budgétaire, à l'Agenda
2000, à la politique agricole commune. Les choses sont sans doute moins simples
qu'il n'y parut au dernier Conseil européen. Mais, au-delà de cette mise en
ordre, au-delà des secousses liées au budget ou à la PAC, l'Union politique
semble aujourd'hui portée vers le haut par plusieurs poussées convergentes,
telles que l'avènement de la monnaie unique, les outils apportés par le traité
d'Amsterdam et la relance spectaculaire, que nous n'espérions plus vraiment, du
débat relatif à la défense européenne.
Les Etats membres ont souvent buté sur l'opportunité de se doter d'une
capacité de défense et sur la nature des liens qu'ils devaient entretenir avec
l'Alliance atlantique. J'ai déjà eu l'occasion de dire, notamment à la tribune
du Congrès, que les citoyens européens que nous sommes ne peuvent accepter que
la politique se fasse au sein de l'OTAN et qu'on ne fasse que du commerce au
sein de l'Union.
Après les premières initiatives - je pense à la force de réaction rapide créée
par le Président de la République française et le Gouvernement britannique au
moment de l'affaire bosniaque - la situation, notamment à l'occasion du sommet
de Saint-Malo, a évolué, grâce en particulier à la nouvelle position
britannique exprimée par M. Tony Blair. En effet, pour la première fois - il
faut en souligner l'aspect historique - il est question d'une capacité d'action
autonome des Européens et de la possibilité de recourir à des moyens militaires
européens aussi bien dans l'OTAN que hors de l'OTAN.
La présidence allemande a annoncé, par ailleurs, la présentation d'un rapport
sur l'identité de sécurité et de défense au Conseil européen de Cologne,
montrant ainsi qu'il existe une volonté convergente entre Paris, Londres et
Berlin.
J'en viens, monsieur le ministre, à ma quatrième question : pouvons-nous
connaître votre sentiment sur la nature des liens qui pourraient, demain,
associer l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale ? Que
pensez-vous de l'idée que j'avais émise voilà quelques temps qu'un jour le
secrétaire général de l'Union chargé de la PESC et le secrétaire général de
l'UEO soient une seule et même personne ? Nous sommes désireux de savoir dans
quelles conditions cette identité européenne de sécurité et de défense pourrait
s'affirmer, en accord avec nos partenaires de l'Alliance, et quel pourrait être
le volontarisme de la France en ce domaine.
En marge de cette question de défense - mais il s'agit aussi de l'action
extérieure de l'Europe - je me permets de vous répéter ce que je vous ai
suggéré un jour, au sein de la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées : s'agissant de la lisibilité de l'action de
l'Union européenne, j'estime qu'il serait opportun que la France prenne
l'initiative de suggérer à ses partenaires la création d'une force permanente
européenne d'action humanitaire. Ainsi, lorsque surgissent des drames liés à
des catastrophes naturelles comme ceux qui se sont produits en Colombie, en
Amérique centrale récemment, ailleurs encore, plus près de nous, parfois, il
serait opportun que les Européens ne partent pas en ordre dispersé et puissent
agir immédiatement ensemble, de manière opérationnelle, dans le cadre d'une
force d'intervention humanitaire européenne.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les avancées que nous
sommes heureux de constater objectivement.
M. Emmanuel Hamel.
Ces reculs de la France !
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
J'en retire
le sentiment que la réalisation d'une politique étrangère commune - je n'ai pas
dit, monsieur Hamel, une politique étrangère unique - est désormais à la portée
de l'Europe. Cela prendra sans doute du temps, peut-être autant qu'il en a
fallu pour arriver au marché unique et à la monnaie unique.
En tout cas, il me semble que, au-delà de l'aspect social, humaniste,
environnemental de la construction européenne, au-delà de son aspect technique
ou monétaire, c'est cela qu'attendent aujourd'hui les citoyens de notre pays et
les citoyens européens.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, je me félicite que le Sénat puisse débattre une nouvelle fois de la
politique étrangère et de sécurité commune au moment même où le rôle joué par
les diplomaties européennes, et d'abord par la diplomatie française pour tenter
d'apporter une solution à l'aggravation de la crise au Kosovo, peut constituer,
nous l'espérons tous, une étape vers la recherche d'un règlement de ce
conflit.
Mais les pourparlers engagés à Rambouillet, sur l'évolution desquels nous
souhaitons, monsieur le ministre, que vous nous donniez votre sentiment,
pourraient aussi illustrer, s'ils aboutissaient, les résultats que les
Européens peuvent obtenir sur la scène internationale s'ils font preuve de
solidarité et présentent un front uni.
Nous savons tous l'importance que revêt la PESC pour l'avenir de la
construction européenne. Il y va de la place de l'Europe dans le monde, mais
aussi - ne l'oublions pas - du rôle et de l'influence de la France elle-même
sur la scène internationale.
C'est pourquoi la commission des affaires étrangères s'est naturellement
penchée - et elle le fait depuis longtemps - sur ce dossier. J'avais moi-même
présenté, en 1996, au moment où était négocié le traité d'Amsterdam, un rapport
d'information consacré à la politique étrangère de l'Union européenne, qui
avait donné lieu à un débat au cours duquel notre ami M. Michel Barnier
représentait d'ailleurs le Gouvernement.
Je ne reviendrai pas sur les différents points que vient d'analyser M. Michel
Barnier dans son intervention, ainsi que dans le remarquable rapport qu'il a
préparé au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je me
limiterai à quelques brèves observations, en tentant de regarder vers l'avenir
et d'imaginer les moyens de surmonter les difficultés qui demeurent.
Débattre de la politique étrangère et de sécurité commune, c'est d'abord
évoquer un paradoxe : d'un côté, une puissance européenne économique, et
aujourd'hui financière, qui s'efforce de faire jeu égal avec les Etats-Unis et
le Japon ; de l'autre, une Union qui est restée, jusqu'ici, le plus souvent
impuissante à intervenir efficacement dans les conflits qui la touchent
pourtant de très près.
L'Union européenne est, je le rappelle, le premier bailleur de fonds pour la
reconstruction dans l'ex-Yougoslavie, mais aussi pour l'Europe orientale, le
Proche-Orient et la Méditerranée. Pourtant, dans la plupart des conflits et des
crises, c'est aux Etats-Unis qu'est revenu le principal rôle d'arbitre et de
médiateur. L'Union européenne consacre chaque année plusieurs milliards d'euros
à son action extérieure, sans avoir pourtant de politique extérieure clairement
définie.
En un mot, les Quinze ont été jusqu'à présent incapables d'utiliser leur
puissance économique et financière comme un véritable levier d'influence.
Devant cette difficulté récurrente de l'Union, faut-il en venir à douter,
comme certains le font, de l'opportunité de conduire une politique étrangère et
de sécurité commune ? Ma réponse est négative. Face aux grandes mutations
internationales, une approche commune se justifie plus que jamais : d'une part,
l'effondrement de l'empire soviétique a multiplié les foyers de tension au
coeur même de l'Europe ; d'autre part, le phénomène de mondialisation des
risques expose les Européens, plus que d'autres peuples peut-être, à des
menaces multiformes, la criminalité internationale ou la radicalisation
intégriste, par exemple. Confrontée à ces deux évolutions majeures, l'Europe
doit adopter enfin une stratégie internationale préventive à long terme.
Si nous échouons dans cette entreprise de construction de la PESC, l'Union
européenne restera durablement un grand ensemble sans direction politique.
C'est, encore une fois, la France elle-même et son influence dans le monde qui
en souffriraient. C'est pourquoi nous devons être à la tête du combat - comme
vous l'êtes aujourd'hui, monsieur le ministre, à Rambouillet - pour bâtir une
politique étrangère et de sécurité commune digne de ce nom.
Quels sont les blocages qui, aujourd'hui, pèsent sur la mise en oeuvre de la
PESC ? Faut-il d'abord mettre en cause les inadaptations du dispositif
institutionnel ?
Sans doute le choix fait à Maastricht d'un système organisé autour de «
piliers » fondés, le premier, sur une logique communautaire pour l'action
économique internationale et, le second, sur une logique intergouvernementale
pour la politique étrangère au sens strict, représente-t-il un facteur de
faiblesse. On observe, d'un côté, un ensemble de moyens financiers importants
mais laissés sans véritable direction politique et, de l'autre, une volonté
politique affichée mais privée de moyens et condamnée, dès lors, pour
l'essentiel, à une diplomatie déclaratoire.
En outre, l'application systématique de la règle de l'unanimité représente un
risque évident d'impuissance.
Enfin, l'éclatement de la fonction exécutive entre une multiplicité
d'intervenants - M. Barnier l'a rappelé - constitue un élément de complexité
supplémentaire.
Le traité d'Amsterdam a, sur plusieurs de ces points, apporté des aménagements
utiles mais trop timorés, Ainsi, l'exclusion de la PESC du champ des
coopérations renforcées demeure à mes yeux regrettable. Nous ne pouvons
accepter, dans une Europe à quinze, et bientôt à vingt ou vingt-cinq, que
l'Union tout entière avance au pas du pays le moins ambitieux. J'ajoute que les
coopérations renforcées sont à la fois nécessaires et inévitables ; la seule
question qui se pose est de savoir si nous voulons qu'elles aient lieu dans le
cadre de l'Union ou en dehors d'elle.
Cependant, quelles que soient les forces ou les faiblesses du dispositif
institutionnel, la politique étrangère et de sécurité commune ne se décrète
pas. Elle ne peut reposer que sur une volonté politique commune forte qui, nous
ne pouvons que le constater, a jusqu'ici trop souvent fait défaut.
Comment trouver les voies d'une véritable politique étrangère et de sécurité
commune ? Face à une question aussi complexe, et dont la réponse doit, bien
sûr, s'inscrire dans la durée, on ne peut qu'esquisser certaines pistes. J'en
évoquerai, pour ma part, trois.
La première consiste en un changement des méthodes d'action de l'Union. Les
Quinze doivent d'abord se concentrer, au moins dans une première phase, sur un
nombre limité de questions de politique étrangère et de sécurité. En effet, la
politique extérieure commune - qui ne vise en aucune manière à devenir une
politique étrangère unique - ne saurait procéder d'une transposition mécanique
au niveau de l'Union des diplomaties nationales.
A vouloir se prononcer sur tout, les Quinze ont trop souvent donné le
sentiment de l'éparpillement et de l'impuissance.
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Quelques thèmes
prioritaires - à commencer par ceux qui font l'objet d'une action commune -
doivent donc être retenus, parmi lesquels les relations avec la Russie et les
pays d'Europe centrale et orientale ou le partenariat euroméditerranéen.
En outre, au-delà de cette approche mieux circonscrite, il convient de
s'inscrire impérativement dans une stratégie de prévention. A cet égard, le «
Pacte de stabilité en Europe », largement inspiré d'une initiative française,
peut servir de référence. Il a notamment permis la signature de plusieurs
traités bilatéraux de relations de bon voisinage entre les pays d'Europe
centrale et orientale.
La création d'une « unité de planification », dont a parlé M. Barnier, décidée
à Amsterdam, de même que la responsabilité reconnue au Conseil européen de
fixer des « stratégies communes » peuvent être les éléments d'une telle
approche préventive. Encore faut-il que ces instruments soient pleinement
utilisés.
La deuxième orientation doit porter, à mes yeux, sur une réactivation de
l'Europe de la défense. L'Union de l'Europe occidentale, supposée être le «
bras armé » de l'Union européenne aux termes des traités de Maastricht et
d'Amsterdam, souffre, depuis sa création, de ce qu'il ne me paraît pas exagéré
de qualifier de quasi-paralysie.
La déclaration franco-britannique de Saint-Malo ouvre-t-elle la voie à une
véritable évolution ? Vous pourrez sans doute nous éclairer, monsieur le
ministre, sur la portée de ce texte et sur les perspectives ainsi tracées. Nous
espérons tous, là encore, que ces perspectives pourront recevoir une
concrétisation à l'occasion des négociations entreprises sur le Kosovo.
Quoi qu'il en soit, ce pas en avant marque un infléchissement très
remarquable, et très remarqué, de la position britannique, obstinément rétive
pendant des décennies à la mise en oeuvre d'une politique de défense à
l'échelle de l'Union. Cette brèche donne une occasion unique de sortir l'Europe
de la défense de la rhétorique et de l'immobilisme. Nous ne devons pas la
laisser échapper. Je suis sûr, monsieur le ministre, que vous nous confirmerez
que tel est bien votre état d'esprit.
Enfin, l'émergence d'un partenariat à long terme avec les Etats-Unis constitue
une troisième orientation que je crois souhaitable pour la PESC. La recherche
d'une relation euro-américaine plus équilibrée pourrait conduire à la
reconnaissance des responsabilités mondiales de l'Europe.
Là encore, je souhaite que l'entreprise amorcée à Rambouillet illustre, une
nouvelle fois, l'efficacité de l'Europe lorsqu'elle est unie, y compris pour
inciter Washington à rechercher un accord avec ses alliés plutôt qu'à leur
imposer ses vues. Une telle évolution ne répondrait pas seulement aux
préoccupations manifestées de ce côté-ci de l'Atlantique, elle permettrait
également aux Etats-Unis de surmonter la contradiction, dangereuse à terme,
entre une ambition hégémonique et des tentations isolationnistes
récurrentes.
Au moment où l'euro va conférer à l'Europe une puissance financière sans
précédent, l'Union doit-elle se résigner à sa faiblesse politique ? Personne,
ici, ne peut le croire. Personne, dans cette enceinte, ne peut le souhaiter dès
lors que l'influence de la France dans le monde en serait elle-même victime.
Le scepticisme de l'opinion publique à l'égard de la construction
européenne...
M. Emmanuel Hamel.
Est justifié !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
... s'est beaucoup
nourri, monsieur Hamel,...
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il a raison !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères
... de l'impuissance
de l'Union lors des crises qui ont ensanglanté notre continent.
C'est pourquoi le chantier de la PESC n'intéresse pas seulement les
diplomates. Il doit aujourd'hui être relancé avec détermination.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
M. le ministre des affaires étrangères m'a fait savoir que, craignant de
devoir se rendre à Rambouillet avant la fin de ce débat, il souhaitait vivement
répondre d'ores et déjà à M. le président de la délégation du Sénat pour
l'Union européenne et à M. le président de la commission des affaires
étrangères.
Pour exaucer votre voeu, monsieur le ministre, je vous invite à prendre
maintenant la parole.
M. Hubert Védrine,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le président, je vous remercie
d'avoir bien voulu modifier l'organisation de ce débat pour me permettre de
faire face à toutes mes obligations.
L'importance du thème abordé est évidente, et je tenais effectivement à
répondre d'ores et déjà aux interventions du président de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne et du président de la commission des affaires
étrangères, que j'ai écoutées avec beaucoup d'attention. J'espère, au
demeurant, pouvoir ensuite écouter d'autres orateurs, avant de me rendre à
Rambouillet et d'être remplacé au banc par l'un des deux ministres délégués.
Tout d'abord, je trouve très utile et très important qu'un débat soit organisé
au Sénat à propos de ce grand sujet qu'est la politique étrangère et de
sécurité commune.
Je pense qu'il faut être juste avec la PESC et, pour cela, dissiper un certain
malentendu, renoncer à une sorte de procès que l'on intente à ce concept,
auquel j'adhère puisque je suis de ceux qui, à un moment donné, ont estimé que
l'Europe devait se fixer ce grand objectif.
Cette volonté, lorsqu'elle a commencé à se manifester, voilà une petite
dizaine d'années, n'était pas prématurée. Pourtant, dès le début, ce concept de
PESC a donné lieu à une erreur d'interprétation, certains croyant que,
brusquement, du jour au lendemain, l'Europe allait être dotée d'un simple
mécanisme technocratique, dont la mise en oeuvre serait facile et
interviendrait tel jour, à telle heure.
Un débat se prolonge depuis des années qui est, à mon avis, infondé. Je ne dis
pas ça par goût du contre-pied, mais parce que je ne pense pas qu'on puisse
parlerd'impuissance européenne, y compris à propos des plus grands drames que
nous avons connus ces derniers temps, quand aucune puissance au monde n'a été
capable de les maîtriser.
Je ne vois pas pourquoi l'Europe devrait être jugée sur ses intentions,
uniquement parce qu'elle a eu, à un moment donné, l'audace et l'intelligence
d'afficher cet objectif incroyablement ambitieux d'élaborer, à partir de pays
extraordinairement différents, une politique étrangère commune utile au monde,
ce dont je suis convaincu. Pourquoi en irait-il ainsi alors que de très grandes
puissances comme les Etats-Unis, qui sont, unis, « comme leur nom l'indique »,
depuis deux siècles et qui sont actuellement prédominants - vous savez que
j'emploie même à leur égard le terme d'hyperpuissance - dans tous les domaines,
à la fois économique, militaire, technologique, diplomatique, culturel, presque
idéologique, ne sont pas, eux-mêmes, capables, malgré tous les moyens dont ils
disposent, de venir à bout de certaines crises ou de certains conflits ?
Je ne voudrais donc pas que, par une sorte de détour dialectique, certains
responsables politiques, ardemment et sincèrement engagés dans la constitution
d'une Europe puissante - que nous, Français, dans les familles politiques les
plus diverses, appelons tous de nos voeux - je ne voudrais donc pas, disais-je,
que, par un détour, par déception ou animés par une légitime impatience, on
concentre les critiques sur cette Europe en formation dont le seul tort
consiste à poursuivre d'immenses ambitions à un moment où, précisément, la
puissance américaine connaît une expansion jusqu'alors inconnue.
Je ne crois donc pas à une impuissance européenne spécifique.
Comment y aurait-il pu avoir un recul européen, alors même que l'Europe
n'avait pas de politique étrangère commune ? On ne peut parler de recul dans ce
domaine.
Je ne pense pas que l'Europe ait perdu des positions. Je ne pense pas
davantage qu'elle ait perdu la moindre crédibilité face à une situation où,
encore une fois, les pays européens pratiquaient des politiques étrangères
diverses, qui s'accordaient ou non et où les uns et les autres intervenaient
avec plus ou moins de bonheur.
A cet égard, s'agissant de la Yougoslavie, souvent présentée comme l'exemple
d'un « ratage » européen, certains Européens - pas tellement les Français, au
demeurant - ont peut-être fait preuve, en 1991, d'une certaine naïveté en
croyant, au début de la désintégration, que le tour de l'Europe était venu et
qu'elle allait pouvoir jouer son rôle.
Il n'en demeure pas moins qu'il aura fallu, en réalité, attendre 1994 pour que
les Etats-Unis adoptent une position un peu précise sur ce sujet et pour que la
communauté internationale, terme dont on abuse souvent, définisse enfin une
ligne politique cohérente et commune qui s'est exprimée avec force ensuite, en
1995-1996. Il aura donc fallu attendre 1994 pour que les Européens, les
Américains et les Russes aient une approche commune.
Je ne vois donc absolument pas pourquoi la déception et la critique devraient
se concentrer sur une impuissance européenne par rapport à la situation
d'origine. Je vous épargnerai l'illustration de ma démonstration par la
trentaine de conflits mondiaux actuels, dont une dizaine sont particulièrement
aigus.
Il est trop facile de parler d'impuissance européenne spécifique. Nous vivons
simplement dans un monde compliqué où se côtoient une hyperpuissance elle-même
incapable de tout régler comme par enchantement, et une Europe qui a raison de
s'assigner cet objectif ambitieux.
Aucun Européen convaincu - et j'en suis - n'a le droit de présenter cet
objectif comme aisé à mettre en oeuvre du jour au lendemain. Il faut répéter
inlassablement, par devoir de vérité et par devoir de pédagogie politique, que
c'est un long processus.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Hubert Védrine,
ministre des affaires étrangères.
J'y vois une raison supplémentaire pour
être très tenace, très volontaire, et très engagé dans ce processus qui doit
composer avec des éléments tels que la souveraineté nationale, les sensibilités
différentes, les mécanismes de toutes sortes.
En effet, face à une crise aussi aiguë et aussi compliquée que l'affaire
irakienne, un pays comme la France ne réagit pas de la même manière qu'un pays
comme la Grande-Bretagne.
Face à un problème comme celui du Proche-Orient, la plupart des pays membres
de l'Union - les Quinze actuels mais,
a fortiori
demain, les Vingt ou
Vingt-Cinq - n'adhèrent pas à l'approche française. Cette dernière résulte d'un
engagement très fort initié aux débuts de la Ve République et que tous les
présidents de la République et les gouvernement successifs ont poursuivi. Il
existe donc une approche française, une sensibilité particulière, une audace
sur ce sujet qui n'est partagée que par un tout petit nombre d'autres
partenaires, et encore, de façon épisodique.
Il en va de même pour les relations avec les Etats-Unis. Nous avons une façon
française de chercher à établir une relation qui soit nettement une relation
d'amitié réelle forgée par l'histoire, sans exclure la spontanéité. Cette
relation s'inscrit dans le cadre d'une alliance que personne ne récuse et qui
repose sur le traité de 1949. Elle est en même temps empreinte d'un caractère
fier et équilibré qui exclut tout alignement automatique et mécanique sur les
positions de ce grand partenaire. Cette façon française de considérer que cette
relation devrait s'exprimer dans une alliance équilibrée autrement, ou tout
simplement équilibrée, n'est pas spontanément partagée par la plupart de nos
partenaires.
Gardons-nous donc de parler de l'Europe comme d'un organe déjà constitué et
qui, par oubli, distraction ou paresse - que sais-je ? - n'aurait pas pris
position au moment opportun.
Chaque élaboration d'une position européenne suppose un travail de fourmi, de
diplomate - ou de bénédictin ! - pour faire se rapprocher les points de vue. Ce
travail est le fruit d'une coopération politique qui, au fil des ans, sur
chaque sujet, s'efforce de canaliser les réactions de gouvernements plus ou
moins activement européens : il leur arrive, pour éviter de progresser, de
prendre le prétexte de divergences d'opinions qu'ils parviennent pourtant
parfois à faire évoluer, quand ils ne la devancent pas franchement - en
exerçant leur responsabilité politique. Les gouvernements jouent donc des rôles
incontestables mais les psychologies nationales, les opinions publiques, les
médias, les parlements, ... font de ce travail de rapprochement qui n'a encore
jamais abouti à une véritable démarche commune, unique - les intervenants l'ont
dit à juste titre - un travail de patience.
Je remercie le Sénat de me donner l'occasion de rappeler ces éléments qui se
situent à l'arrière-plan de toutes les discussions sur la politique étrangère
commune, la question complexe de la sécurité - j'y reviendrai dans quelques
instants - se présentant un peu différemment.
Je dois tout de même reconnaître les nombreuses avancées concrètes - et pas
uniquement déclaratoires - qui ont été fort bien rappelées par M. Barnier dans
son rapport. Certes, les Quinze parviennent toujours aisément à se mettre
d'accord sur quelques grands principes généraux des relations internationales
ou sur les Droits de l'homme ; sur un certain nombre d'autres dossiers, leurs
positions se sont alignées. C'est notamment le cas pour le Proche-Orient : les
Quinze se rapprochent plus que naguère des positions françaises
traditionnelles. Le blocage du processus de paix, qui a permis, d'une certaine
façon, une prise de conscience, les y a encouragés.
Dans l'affaire du Kosovo, les quatre pays européens membres du groupe de
contact ont vraiment été en symbiose depuis que cette instance s'est saisie de
cette question, c'est-à-dire depuis mars 1998. Aujourd'hui encore, deux pays
européens jouent un rôle particulier, mais je ne pense pas opportun de m'y
référer à ce stade, pour mettre en oeuvre la PESC que nous avons à l'esprit. En
effet, il s'agit bien en l'occurrence de faire travailler ensemble sur la même
ligne les quatre pays européens, certes, mais aussi, avec l'accord des Quinze,
les Etats-Unis et la Russie. En cette affaire, nous disposons d'une capacité de
pression qui sera, je l'espère, efficace si le monde entier agit dans le même
sens.
Les Quinze ont également adopté une position forte à l'égard de la réforme des
Nations unies et des dimensions financières.
De même, une position européenne homogène s'est dégagée en Afrique du Sud pour
suivre la démocratisation et pour envoyer des observateurs à différentes
échéances politiques particulières.
Une politique européenne réelle est également menée sur les questions de
coopération et sur le dialogue politique qui les accompagne. En l'espèce, il
faut avoir à l'esprit, non pas uniquement les mécanismes institutionnels ou les
décisions découlant du traité d'Amsterdam riche de quelques apports à cet
égard, mais la politique étrangère commune concrète. En effet, chaque fois que
l'Union européenne, par l'un ou l'autre de ces mécanismes, quel que soit
l'article du traité auquel elle se réfère, prend une décision relative à
l'ouverture, à l'élargissement, chaque fois qu'elle adopte un accord
d'association, elle oeuvre dans le domaine de la politique étrangère. Il faut
élargir l'analyse du potentiel de réalisation dont dispose l'Union en la
matière.
Si les acquis sont inconstestables, il n'en demeure pas moins que, face aux
crises les plus aiguës, qui mettent en cause les conceptions nationales les
plus historiquement ancrées, ressurgissent les différences de mentalité et de
création, les alliances privilégiées.
Ce point de résistance subsistera jusqu'à ce que chaque pays d'Europe ait pris
conscience du fait qu'il était plus de son intérêt de jouer le jeu d'une Europe
puissante, utile au monde, que de préserver ses comportements nationaux.
Tel est le cas dans l'affaire du Kosovo. Depuis le début, un véritable accord
s'est dégagé en Europe afin de défendre l'idée, devenue celle du groupe de
contact, selon laquelle le
statu quo
est intolérable. Mais on ne pouvait
pas soutenir la revendication d'indépendance compte tenu des conséquences
qu'elle ne manquerait pas d'entraîner. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'avec
l'indépendance se poserait à nouveau la question, non pas de la grande Albanie,
mais du regroupement de tous les Albanais. C'est une notion qui a fait tout le
mal que l'on sait au moment de la désintégration de l'ex-Yougoslavie ; on l'a
vu avec les Serbes et, à un degré moindre, avec les Croates. Comment
pourrions-nous brusquement adopter à l'égard de l'Albanie une idée qui va à
l'encontre des principes que nous avons défendus vis-à-vis de la Croatie et de
la Bosnie ?
Aller dans ce sens aurait entraîné une déstabilisation potentielle. Le risque
aurait été très élevé au Monténégro, en Albanie et en Macédoine, voire en
Grèce. Sur cette ligne de refus de la communauté internationale, les Européens
ont révélé leur unanimité qui ne devait rien à des travaux compliqués ou à des
mécanismes de décision particuliers. L'unanimité s'est dégagée d'abord parce
que le groupe de contact est une structure
ad hoc,
ensuite parce que
l'expérience de l'ex-Yougoslavie en 1991 avait été instructive, alors que
revient maintenant l'idée selon laquelle ce mouvement aurait dû être mieux
encadré et mieux canalisé. Cela nous a donné une base extrêmement forte et par
rapport aux Russes et par rapport aux Etats-Unis pour élaborer un consensus
global.
Nous avons réussi, ces temps derniers, alors que cela semblait difficile, à
définir une conception politique claire de la séquence qu'il fallait suivre et
de la combinaison juste des rôles des différents organismes : Conseil de
sécurité, OTAN, OSCE, Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe, Union européenne, groupe de contact. Nous avons élaboré cette
chronologie alors que l'OTAN précisait ses menaces et que le groupe de contact
multipliait ses injonctions. Entre-temps, grâce à une déclaration du Conseil de
sécurité, nous avons réussi à faire venir les deux parties.
Mais je dois dire que, comme on pouvait s'y attendre, la négociation se révèle
extrêmement complexe. Nous ne nous sommes pas engagés dans cette négociation en
misant sur la facilité.
Les points de vue sont, comme on le sait, tout à fait incompatibles. Le moment
n'est pas encore venu où les deux délégations ont pris conscience qu'elles
n'obtiendraient un résultat décisif qu'en faisant preuve de courage et d'un
esprit de compromis.
D'où cette pression qui continue, cet accompagnement de la négociation, et le
fait que M. Cook ou moi-même restions en contact chaque jour avec les
partenaires de la négociation. Nous nous relayons pour assurer une présence sur
place et pour conduire deux délégations, de surcroît parfois parcourues par des
divergences internes, à comprendre que, en dehors d'un accord politique, aucune
issue, sauf vraiment tragique pour tout le monde, n'est possible.
Mais cet accord politique suppose des renoncements, un courage et une vision
de l'avenir. En ce sens, nous, Européens, nous avons en effet des choses à dire
tant il est vrai que c'est une partie de l'Europe qui est concernée. A l'égard
du Kosovo, de la Bosnie, de l'Albanie et de toute cette région, il est clair
que nous devons avoir une grande politique sur dix ou quinze ans, qui consiste
à européaniser les Balkans, dont nous avons besoin à tous points de vue, que ce
soit sur le plan de l'éthique, sur le plan de la politique, sur le plan de la
sécurité et sur le plan de la stabilité. Il est en effet nécessaire que les
Balkans deviennent un jour une partie de l'Europe, comme le reste, et ils en
ont tragiquement besoin. Mais on voit bien que ce sont des peuples qui sont
enfermés dans des cycles de vengeance et dans des rhétoriques historiques qui
sont celles dans lesquelles nous avons été enfermés pendant si longtemps. Tel
est le sens du travail qui est entrepris à l'heure actuelle. Nous en sommes à
l'effort, mais pas encore aux résultats.
Je voudrais souligner, après M. Michel Barnier, que le traité d'Amsterdam a
apporté des éléments utiles, compte tenu du tableau que j'ai brossé au début,
notamment la combinaison des instruments communautaires et intergouvernementaux
et l'idée des stratégies communes.
Nous mettons cela en pratique à propos de la Russie, en rassemblant tous les
instruments dont nous disposons. Là aussi, il faut avoir une politique
d'accompagnement à long terme. En effet, ce n'est pas sur les décombres de
l'Union soviétique que l'on va brusquement, en peu d'années, construire une
société politique moderne et une grande économie développée. Ce sont des
processus longs et il faut avoir de la ténacité.
Monsieur Barnier, je vous le confirme, le Haut Représentant, « M. ou Mme PESC
», devra avoir un profil politique, car il devra dialoguer d'une façon utile et
aider à la catalyse de la politique étrangère commune sur les points précis,
sur quelques actions principales. Là aussi, je rejoins ce qui vient d'être dit
: il faut se concentrer sur des actions privilégiées et prioritaires, et ne pas
tout traiter en même temps en mettant sur un pied d'égalité de très grands
sujets et des sujets annexes que l'on traite parfois parce qu'ils permettent
des déclarations faciles. Il faut véritablement une capacité politique, un
savoir-faire politique pour être en mesure de mener ce dialogue avec, d'une
part, aujourd'hui quinze ministres, mais demain vingt, vingt-cinq, peut-être
plus et, d'autre part, les interlocuteurs politiques de l'Europe.
Sur ce point, les discussions entre les partenaires au sein des Quinze sur la
personnalité qui pourra occuper cette fonction n'en sont qu'à leur début, étant
donné qu'elles ne peuvent se dérouler qu'en liaison avec d'autres réflexions
qui commencent à propos de toute une série de postes qui seront également à
pourvoir dans le courant de cette année.
Mais je cite également un processus de décision plus fluide, une plus grande
visibilité. Voilà des apports réels qui vont permettre de faciliter ce travail
dont je rappelais le caractère difficile certes, mais indispensable.
Ces apports restent insuffisants. Le mécanisme de la coopération renforcée
n'est pas tout à fait au point tel qu'il a été prévu. Nous allons vers une
Europe qui va s'élargir. Je ne reprendrai pas ici le débat sur l'élargissement,
c'est une nécessité historique à tous points de vue. Mais nous sommes
convaincus que l'Union européenne n'est pas en mesure de gérer un élargissement
très grand si elle garde les mêmes institutions : à ce moment-là, nous irons
tout droit à la paralysie. Des réformes sont donc nécessaires et on connaît les
positions de la France sur les trois réformes clés, qui ne suffiront sans doute
pas quand l'élargissement sera plus grand.
A un moment donné, il faudra réintroduire de la géométrie variable. Je ne
parle pas, évidemment, d'une Europe à deux vitesses. Il ne s'agit pas d'avoir
certains pays toujours dans une catégorie et d'autres pays toujours dans une
autre. Mais il est clair qu'à quinze, vingt ou vingt-cinq, nous n'aurons pas
les mêmes intérêts et les mêmes priorités qu'à partir d'un socle fort, que nous
essaierons d'élargir progressivement. Il faut que des groupes de pays qui
veulent aller plus loin puissent le faire, notamment dans le domaine de la
politique étrangère commune, en particulier si on raisonne par idée d'action
prioritaire. Il faut combiner les positions communes de tous et des avancées
particulières.
Or les dispositifs de coopération renforcée du traité d'Amsterdam sont, selon
moi, trop contraignants sur ce plan, car les pays qui veulent avancer restent
soumis à l'accord de ceux qui ne veulent pas. Donc existe le risque d'avoir à
s'aligner sur le moins-disant, si je puis dire. Par conséquent, je crois qu'il
faudra aller plus loin sur ce plan, parce que la politique étrangère commune
que nous voulons élaborer et renforcer chaque jour a besoin de souplesse et
d'initiative.
Pour renforcer les fondements de cette approche, nous avons décidé, ces
derniers mois, avec l'Allemagne et avec la Grande-Bretagne, d'engager un très
grand programme de travail entre les ministères des affaires étrangères, avec
une systématisation des rencontres à tous les niveaux, des échanges de points
de vue, en commençant par les sujets antagonistes. On a repéré des sujets sur
lesquels les pays réagissaient viscéralement et fondamentalement de façon
divergente. On travaille sur ces points pour voir si on peut élaborer quelque
chose de nouveau. Cela se traduira par des initiatives communes, des voyages
communs, des déclarations communes.
Mais on le fait également avec beaucoup d'autres pays : par exemple avec
l'Espagne, sur la question de l'Amérique latine et le partenariat
euroméditerranéen ; avec l'Italie - je viens de tenir voilà quelques jours, à
Paris, avec mon homologue italien, une conférence des ambassadeurs sur les
Balkans - et avec le Portugal où nous avons un dialogue sur l'Afrique - voilà
encore quelques jours, à Lisbonne, avec le Président de la République, nous
parlions aux responsables portugais des réactions des Africains francophones et
lusophones, pour dépasser ce qui est parfois antagoniste et en faire une
force.
Voilà le travail qui est conduit à l'heure actuelle. Il tient compte, par
anticipation, des apports utiles du traité d'Amsterdam, mais il en souligne
dans le même temps les insuffisances, ce qui est une façon de dire qu'il
faudra, sur ce plan, aller plus loin, même si on ne peut pas penser ingénument
qu'il suffit de mettre en place des mécanismes pour que les mentalités
s'adaptent et pour que les oeufs deviennent carrés. Il faut faire preuve d'une
volonté tenace et constante. Mais, bien évidemment, si nous ne disposons pas
des mécanismes qui nous y portent, ce sera encore plus difficile que cela ne
l'est déjà.
Avant de conclure, je dirai un mot sur les questions de la défense.
S'agissant de la PESC, politique étrangère et de sécurité commune, dès
l'origine, le mot « sécurité », a été préféré au mot « défense ». C'était une
façon de ménager ceux de nos partenaires qui sont la majorité et qui redoutent
l'affrontement avec les Etats-Unis sur ce plan : lorsque les projets français
en matière de défense européenne sont présentés comme étant une alternative
possible à l'Alliance atlantique, les choses se bloquent, les Etats-Unis n'en
veulent pas, nos partenaires ne suivent pas lesdits projets. L'intention était
de ne pas poser inutilement ce problème, d'où le choix du « S » - sécurité -
mais, même avec cette précaution tactique, je suis obligé d'ajouter que les
situations ne sont pas les mêmes.
En matière de politique étrangère commune, il faut donc rechercher ce
processus d'élaboration politique, pédagogique et institutionnel concentré sur
des sujets prioritaires, et il faut se saisir des occasions que malheureusement
le monde, parce qu'il est tragique, nous fournit pour essayer d'avancer. Mais
nous partons d'une situation où il n'existe pas de politique étrangère commune.
C'est pourquoi je disais au début qu'on ne recule pas. Il y a peut-être eu des
occasions perdues, mais il n'y a pas eu de recul.
En revanche, en matière de défense, nous sommes dans une situation qui aurait
été celle, en matière monétaire, où nous aurions déjà eu en Europe une monnaie
commune qui aurait été le dollar. Telle est la situation en matière de défense.
L'Alliance atlantique fonctionne d'ailleurs à la satisfaction de l'ensemble des
alliés. La France a toujours une position particulière depuis le général de
Gaulle et, tout en l'adaptant et en la modernisant, elle l'a maintenue, et, je
crois, à juste titre.
Mais la situation générale pour les autres Européens, c'est qu'il y a déjà une
défense commune, pour ne pas dire unique. Elle est là. Quand nous parlons,
nous, d'élaborer une défense européenne, c'est encore plus compliqué que pour
la politique étrangère commune, parce qu'il faut, en quelque sorte, apporter la
preuve que nous allons pouvoir loger cette initiative dans une alliance qui est
là, que tout le monde veut garder, que nous souhaitons voir réformée, même si
l'on n'y parvient pas encore. Cependant, nous avons des partenaires qui sont
circonspects sur ce point.
Donc, il faut une tactique, une approche différentes. Si nous partageons tous
cette grande volonté, il faut comprendre que nous devrons procéder d'une façon
qui n'est pas tout à fait la même.
L'initiative qui s'est exprimée à Saint-Malo - elle était déjà la traduction
d'un travail commencé auparavant, notamment depuis que nous avons constaté,
pendant l'été, que M. Tony Blair faisant une ouverture qui nous a semblé réelle
sur ce plan - consiste à voir si on peut dépasser cette contradiction
historique où nos partenaires sont hostiles à toutes initiatives de la France
parce qu'ils considèrent qu'elles sont contraires à l'Alliance qui reste pour
eux la clef de la sécurité.
Il s'agit de voir si, sans que nous ayons à renoncer à nos principes ni à
notre position, et sans que les Britanniques aient à renoncer à leur propre
politique, on peut travailler sur des hypothèses où les Européens auraient,
dans l'Alliance atlantique et en bon accord politique global avec les
Etats-Unis, à se saisir d'une situation prioritaire pour eux, mais qui ne
serait pas prioritaire pour les Etats-Unis et où les Européens estimeraient
normal d'exercer leur responsabilité.
Les Etats-Unis sont tout à fait favorables au partage du fardeau, le
burden
sharing.
Mais il s'agit là du partage de la décision, donc c'est évidemment
une autre affaire. A partir d'un dialogue avec les Britanniques, que nous
étendrons naturellement aux autres partenaires qui souhaiteront y participer
car notre démarche est ouverte et pragmatique, il s'agit de voir si on peut
faire admettre par tous nos partenaires l'idée d'une autonomie de décision des
Européens sur ce plan, ce qui suppose une capacité d'évaluation et,
éventuellement, des moyens propres dans certains cas, même si, dans d'autres
cas, les Européens se serviraient des moyens de l'Alliance, qui seraient en
quelque sorte en facteur commun.
Voilà le sens de cette démarche. Nous allons la poursuivre pas à pas, en
faisant tout pour que ne se réveille pas un nouveau malentendu avec les
Etats-Unis qui ont été prudemment positifs, en tout cas pas négatifs, même
s'ils ont mis en avant trois exigences : pas de découplage entre les deux rives
de l'Atlantique, pas de duplication des moyens - la réponse est facile, car
personne n'en a ni l'intention, ni les moyens - et pas de discrimination par
rapport aux membres de l'Alliance atlantique qui ne sont pas dans l'Union
européenne ; là, il ne faudrait pas que cette préoccupation apparemment
légitime soit utilisée contre une démarche nécessaire qui est la nôtre car nous
ne pourrons remettre sur le même plan, dans cette démarche européenne, au
départ tous les pays membres de l'Union européenne, de l'Alliance atlantique ou
de l'UEO.
Il faut avoir consolidé ce projet, lui avoir donné corps pour voir par quelles
autres étapes nous allons passer, ce qui suppose qu'on ne l'institutionnalise
pas prématurément. En quelque sorte, je vous annonce une période pouvant
s'étendre sur l'ensemble de l'année, une avancée prudente pour consolider les
étapes avant de voir comment ce mécanisme nouveau s'insérera dans l'ensemble
des situations.
Le cheminement est certes long mais la volonté est immense. Il faut utiliser
complètement les mécanismes existants. Il faut tirer profit de tous les apports
nouveaux du traité d'Amsterdam. Dans le même temps, il s'agit de se préparer à
aller plus loin. Il ne faut pas croire que les mécanismes devant être
perfectionnés pourront se substituer à un travail visant à ce que, un jour,
tous les pays d'Europe aient une approche que nous espérons très marquée par
une influence française, naturellement pour considérer qu'il faut une politique
active de l'Europe, par exemple au Proche-Orient, pour préparer le moment où
les Européens considéreront qu'il est important de garder une politique
africaine, même si elle doit être modernisée ; la France n'est pas prête à se
rallier à une absence de politique africaine, position qui est tout de même
celle de la plupart des autres pays européens.
Il faut donc à la fois convaincre ceux de nos partenaires qui n'ont pas de
politique africaine qu'il est important d'en élaborer une et convaincre ceux
qui en ont une, également héritée de l'histoire, tout comme la nôtre, qu'il
faut surmonter les affrontements du passé entre les influences française,
britannique, portugaise ou autre. Dans cet esprit, je me rendrai dans quelques
semaines avec M. Robin Cook dans un pays africain anglophone, puis dans un pays
francophone voisin.
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Hubert Védrine,
ministre des affaires étrangères.
Nous avons choisi une région dans
laquelle ces pays sont aujourd'hui obligés de travailler ensemble. Nous
organiserons une réunion conjointe d'ambassadeurs sur le terrain. J'ai procédé
de la même manière - mais c'était à Paris et c'était donc moins original, si je
puis dire - avec M. Dini, en faisant se rencontrer les ambassadeurs français et
italien en poste dans les Balkans. Nous poursuivrons de façon méthodique ce
type de concertation.
Voilà dans quel contexte s'inscrit la démarche des autorités françaises, qu'il
s'agisse du Président de la République ou du Gouvernement. Nous sommes
déterminés à employer tous les moyens, à faire jouer tous les mécanismes,
toutes les institutions. Mais je répète en conclusion que nous ne devons pas
croire que les mécanismes que nous allons tenter de perfectionner à chaque
étape se substitueront à un travail persévérant et patient qui relève,
fondamentalement, d'une volonté politique.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans nos tribunes
des élèves de l'Ecole des jeunes sapeurs-pompiers de Redon et des élèves des
lycées de Saint-Etienne.
(Applaudissements.)
Comme vous pouvez le remarquer, les jeunes s'intéressent aux travaux du
Sénat, ce dont nous nous félicitons.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Emin.
M. Jean-Paul Emin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
conférence de Rambouillet est porteuse de nouveaux espoirs pour le Kosovo. Son
existence est déjà un premier succès pour l'Europe. Elle montre que la
conviction et la solidarité européenne peuvent donner des résultats.
Mais le volontarisme ne doit pas nous conduire au triomphalisme. Prenons
garde, mes chers collègues, de ne pas décevoir nos concitoyens par des
déclarations que viendraient démentir les faits. L'opinion publique a
d'ailleurs déjà eu l'occasion de mesurer le gouffre qui sépare la parole des
actes dans l'ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Congo et, il y a peu encore - mais
peut-être cela va-t-il changer - au Kosovo.
Nous devons regarder la réalité en face : l'Union européenne s'est jusqu'à
présent montrée incapable de prévenir et de régler seule des conflits majeurs
en Afrique, dans les Balkans et au Moyen-Orient.
Le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Michel
Barnier, a dressé tout à l'heure dans son rapport un bilan sans concession dont
je tiens à saluer la lucidité et l'objectivité.
Les plus grands espoirs, s'ils ne sont pas suivis d'effets, suscitent les
pires déceptions.
L'Europe a trop tendance à afficher des objectifs ambitieux sans se donner les
moyens de les atteindre et sans en avoir la volonté politique.
Certains traités, comme celui de Maastricht, auraient pu donner un véritable
élan à la PESC, mais il n'en a pas été ainsi, malgré quelques progrès réels.
Le traité d'Amsterdam, quant à lui, suscite de nouveaux espoirs, mais nous
devons rester lucides.
Ce traité offre à l'Europe de nouveaux instruments qui peuvent lui permettre
d'accroître son influence politique internationale et de mieux prévenir les
crises.
Ainsi, l'instauration d'un haut représentant pour la politique étrangère et de
sécurité commune peut permettre à l'Europe de parler d'une seule voix et de
donner un visage à son action extérieure.
De même, la création d'une unité de planification et le remplacement de
l'ancienne troïka par une structure tripartite plus équilibrée apparaissent
comme des points positifs.
Enfin, les stratégies communes, l'abstention constructive et l'extension du
vote à la majorité qualifiée devraient favoriser la rapidité des décisions et
éviter certains blocages.
L'honnêteté et l'expérience nous obligent néanmoins à relativiser ces
avancées. Nous savons, en effet, que l'efficacité repose en grande partie sur
la volonté politique des Etats membres.
Ainsi, la crédibilité et l'influence du haut représentant pour la PESC
dépendra - M. Barnier l'a dit tout à l'heure - de la personnalité qui sera
désignée, de sa stature politique et de la manière dont les Etats tiendront
compte de ses recommandations.
De même, l'unité de planification peut très bien devenir l'embryon d'un futur
ministère européen des affaires étrangères. Mais elle peut aussi voir son
action paralysée, comme le laissent craindre les querelles au sujet de sa
composition.
La même inquiétude concerne l'introduction de la majorité qualifiée. Un Etat
conservera la possibilité de s'y opposer en se fondant sur « des raisons de
politique nationale importantes ». Tout dépendra donc de l'interprétation et de
l'utilisation que les partenaires européens feront de cette formule.
Ces incertitudes sont révélatrices des obstacles historiques et politiques qui
subsistent sur le chemin d'une véritable politique étrangère et de sécurité
commune.
Certains pays ont historiquement des responsabilités internationales et
redoutent toute entrave à leur action diplomatique. D'autres, plus petits,
n'ont pas la même ambition mais refusent de se laisser entraîner par les plus
grands.
De même, la PESC ne pourra être réellement efficace que lorsque l'Europe saura
vraiment ce qu'elle veut et disposera d'une véritable autorité politique
capable de l'exprimer et de la mettre en oeuvre.
L'Europe doit se construire politiquement pour mieux s'affirmer
diplomatiquement. C'est là une des insuffisances du traité d'Amsterdam qui
aurait dû doter la nouvelle Europe de véritables institutions politiques aux
pouvoirs plus clairement définis. C'est, en conséquence, l'un des enjeux de la
prochaine réforme des institutions de l'Union européenne.
Les difficultés de la diplomatie européenne ne doivent cependant pas nous
conduire à un bilan trop négatif.
La politique étrangère - M. le ministre l'a d'ailleurs dit tout à l'heure - ne
se résume pas à la prévention et à la résolution des conflits, même si ce sont
eux qui attirent le plus souvent l'attention. Il existe une « autre politique
étrangère européenne » qui prend des chemins institutionnels différents de
celui de la PESC mais touche des domaines aussi éminemment diplomatiques.
C'est le cas de la politique commerciale commune. Dans ce domaine, l'Europe
défend ses intérêts et bénéficie d'une influence réelle dans les négociations
bilatérales ou au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
C'est aussi le cas de l'aide au développement. A cet égard, le lancement, à
Dakar, des négociations pour le renouvellement de la convention de Lomé
illustre très bien les nouvelles exigences de l'Europe sur les plans politique
et commercial.
Cependant, c'est en matière d'élargissement que s'exprime le mieux une
politique étrangère européenne, qui, si elle n'en a pas toujours le nom, en a
souvent l'efficacité. Les pays d'Europe centrale et orientale souhaitant
adhérer un jour à l'Union européenne sont en effet tenus de remplir des
conditions non pas seulement économiques mais aussi politiques. L'Union
européenne parvient ainsi à favoriser certains progrès démocratiques et
contribue à la stabilité d'une partie de notre continent.
Dans ces conditions, et contrairement à une formule célèbre citée tout à
l'heure par M. Michel Barnier, l'Europe est un géant économique, mais plus tout
à fait un nain politique,... même si elle doit encore grandir.
Il reste aussi beaucoup à faire en matière de défense. Là encore, la PESC
souffre d'aspirations contradictoires : certains pays européens souhaitent
développer une identité propre en matière de sécurité tout en conservant la
relation particulière qui les lie aux Etats-Unis.
Dès lors, l'Union européenne, l'UEO, l'OSCE et l'OTAN ont encore du mal à
trouver leurs marques.
Néanmoins, tout le monde s'accorde aujourd'hui sur la nécessité de construire
une Europe de la défense disposant d'une véritable autonomie et de réels
moyensd'action.
Le sommet franco-britannique de Saint-Malo du 4 décembre 1998, puis le conseil
européen de Vienne, quelques jours plus tard, ont amorcé un rapprochement des
points de vue porteur de nouveaux espoirs.
Ces espoirs impliquent également la constitution d'une véritable industrie
européenne d'armement forte et autonome. En décembre 1997, les gouvernements
allemand, britannique et français ont adopté une déclaration commune qui va
dans ce sens. L'heure est à la constitution de grands groupes européens, en
particulier dans le domaine de l'électronique et de l'aéronautique. Cette
logique s'impose comme le seul moyen de faire face à la puissance de
l'industrie américaine.
Toutefois, aucune fusion européenne globale n'a abouti à ce jour, et le
comportement, peut-être tactique, de certains groupes industriels laisse
craindre le pire. Dans un secteur aussi sensible que celui de la défense, les
réflexes nationaux ont pour l'instant pris le pas sur les rapprochements
européens. Mais nous pouvons souhaiter, là encore, que le bon sens et la
logique communautaire finissent par l'emporter.
L'Europe de la défense constitue en effet l'un des aspects essentiels d'une
politique étrangère et de sécurité commune qui devient chaque jour plus
indispensable.
Le groupe des Républicains et Indépendants, au nom duquel je m'exprime, estime
qu'il en va des intérêts économiques et diplomatiques de l'Union européenne
mais aussi des valeurs universelles qui fondent son identité et doivent guider
son action, au Kosovo comme ailleurs.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le ministre, vous venez d'apporter une réponse aux critiques souvent
formulées à l'encontre de l'Union européenne quant à son impuissance face à
l'escalade de conflits dans son environnement proche : hier en Bosnie,
aujourd'hui au Kosovo ; s'agissant de ce dernier conflit, d'ailleurs, la
conférence de Rambouillet, dont vous nous avez parlé et dont l'issue est encore
bien incertaine, a au moins le mérite d'exister, et je tiens à rendre hommage
au rôle actif que vous y jouez, jour après jour.
Notre interrogation est double.
Tout d'abord, peut-il exister une politique étrangère et de sécurité commune à
quinze Etats membres - demain davantage - qui ont des intérêts parfois
divergents, des traditions et des conceptions de politique étrangère, de
sécurité et de défense différentes ?
Par ailleurs, l'Union européenne, au regard de la puissance économique qu'elle
a construite et de la nature politique du processus d'intégration qu'elle
poursuit, peut-elle faire l'impasse sur une politique étrangère qui lui soit
propre ?
En réalité, il existe une politique étrangère, ou plutôt une politique
extérieure européenne. Le caractère multidimensionnel des politiques
développées par l'Union européenne est son principal atout. Mais il lui faut
consolider ses acquis et son action dans trois directions.
Tout d'abord, il est un acquis patiemment construit, qui est aussi un atout
fondamental pour la définition d'une politique étrangère propre et originale :
les relations extérieures que la Communauté européenne a développées depuis son
origine, qu'il s'agisse de relations économiques, d'accords avec des pays
tiers, d'une coopération au développement, qui s'est concrétisée avec succès
par les accords de Lomé, et aussi d'une politique d'aide humanitaire, dont
l'Union européenne est la première pourvoyeuse dans le monde.
Cet ensemble de politiques contribue à faire de l'Union européenne une
puissance économique incontournable sur la scène internationale. Sans doute
n'en est-il pas de même quant à son influence politique.
L'objectif des prochaines années doit bien être de travailler à réduire la
distorsion entre la puissance économique de l'Union européenne et ce qui
devrait être son poids politique réel. La monnaie unique peut évidemment, à mon
avis, y contribuer.
Par ailleurs, l'Union européenne possède des potentialités à rechercher dans
sa nature même. La légitimité politique de l'Union européenne lui vaut un atout
de taille : du fait de la diversification de la nature des conflits
contemporains, dont les aspects militaires et civils sont de plus en plus
entremêlés, le niveau de décision relève non plus seulement du niveau
militaire, mais aussi largement, désormais, du niveau politique.
L'Union européenne peut ainsi, sur le plan international, légitimement
privilégier la recherche de solutions politiques à une situation de crise et
mener des négociations en son nom et au nom de la Communauté internationale,
comme elle l'a déjà fait par le passé.
Enfin, les atouts de l'Union européenne sont aussi à rechercher dans son
origine même : il s'agit en effet d'une construction destinée à assurer la paix
et à prévenir tout nouveau conflit.
L'Union européenne a les moyens de mettre en oeuvre une politique réelle de
prévention des conflits : par son caractère multidimensionnel, l'Europe a les
moyens d'avoir une conception globale de la sécurité et de mener une stratégie
à cette image, stratégie qui, seule, peut aujourd'hui être crédible et
cohérente. En effet, l'avenir politique d'une défense commune réside dans une
conception globale de la sécurité qui puisse présenter une réponse efficace aux
risques et menaces d'ordre tant politique, économique, social
qu'environnemental.
Il s'agit, pour l'Union européenne, de développer une capacité d'adaptation à
la fois technique et politique aux situations existant sur le terrain.
Trois éléments conditionnent cette capacité d'adaptation pour faire face à
l'émergence et au développement d'une crise.
Tout d'abord, une capacité collective d'information et d'analyse préalable
commune et autonome est nécessaire. Le développement d'une analyse commune est
fondamental pour compléter les analyses nationales et pour favoriser une
convergence des positions et d'une évaluation commune pouvant dépasser les
intérêts propres à chaque Etat membre. Tout un travail reste à faire
aujourd'hui afin de mieux identifier les domaines d'intérêt commun.
Par ailleurs, il importe de se donner les moyens d'établir une planification
des réponses à apporter et de faire le choix entre les différentes options
envisageables. Il s'agit de réduire la distorsion trop importante entre le
moment de l'identification d'un risque de crise et d'extension d'un conflit et
la décision de mettre en place un ensemble de mesures adaptées.
A ce titre, nous pouvons donc nous réjouir de la création par le traité
d'Amsterdam de la fonction de Haut représentant pour la PESC ainsi que de
l'Unité de planification de la politique et d'alerte rapide, qui devraient
permettre une prise en compte globale et un suivi des crises dès leur
apparition, facilitant l'émergence de stratégies, de positions et d'actions
communes. C'est certes là que pourra et devra se jouer le rôle du futur Haut
représentant pour la PESC, ce fameux « M. ou Mme PESC » dont nous parlons
chaque jour.
Enfin, la troisième condition est la capacité de l'Union à mettre en oeuvre
cette réponse à la crise, une réponse qui est double : il s'agit de la manière
de réagir et de la coordination entre l'Union européenne, l'UEO et l'OTAN.
La possibilité de recourir à une abstention dite « constructive » et
l'introduction de la majorité qualifiée - à condition, bien entendu, M. Barnier
le rappelait, que soit réglé le problème de la pondération des voix -
représenteraient à ce titre des avancées significatives.
Ces deux procédures pourraient contribuer à surmonter les divergences, à la
fois sur ce que peut et doit faire l'Union européenne en matière de sécurité et
de défense et sur l'opportunité d'intervenir, aussi bien dans le choix du
moment que des modalités, dans une situation de crise donnée.
Si une plus grande souplesse dans la procédure de décision permet à chaque
Etat d'agir ou non conformément à ses convictions ou à ses intérêts, une telle
procédure de type « coopération renforcée » doit-elle pour autant devenir la
règle ou être la seule solution pour que les Etats membres puissent enfin agir
au nom de l'Union européenne ? En d'autres termes, de telles initiatives
portent-elles une légitimité et une crédibilité suffisantes si la décision
n'émane pas de tous les Etats membres ?
Le problème peut d'ailleurs se poser dans les termes suivants : si les
décisions continuent à se prendre à l'unanimité, on peut craindre que les Etats
membres ne soient pas encouragés à chercher une solution à l'intérieur du cadre
de l'Union européenne. En effet, jusqu'à aujourd'hui, et comme le montrent
encore les tentatives actuelles de mettre un terme à la crise du Kosovo, les
initiatives concrètes ont été prises par quelques Etats membres de l'Union, et
souvent hors de l'enceinte de cette dernière.
Je voudrais insister sur un autre point : l'affirmation de l'Union européenne
sur la scène internationale passe par sa capacité à assurer sa propre
sécurité.
C'est la question essentielle du passage de la décision diplomatique à la
décision militaire. En effet, une stratégie politique doit pouvoir s'appuyer,
si elle veut être efficace, sur un dispositif militaire.
La France est attachée à la définition d'une Europe de la défense, en
particulier par l'insertion de l'Union de l'Europe occidentale dans l'Union
européenne. L'enjeu est de permettre à cette dernière d'assurer la direction
politique et stratégique d'opérations, y compris avec des moyens collectifs de
l'OTAN. Cela suppose qu'elle dispose d'instruments d'aide à la décision et de
capacités d'action. C'est un enjeu primordial pour assurer l'autonomie de la
décision européenne.
Il s'agit d'affirmer, d'une part, l'objectif d'une capacité autonome d'action
des Européens appuyée sur des forces crédibles et, d'autre part, de montrer aux
citoyens que l'Europe peut contribuer à leur sécurité.
Il existe déjà des acquis importants. Au premier rang d'entre eux,
précisément, nous avons l'UEO, et l'engagement contenu dans le traité de
Bruxelles de 1948 qui concerne un grand nombre des quinze pays de l'Union
européenne.
Souvent critiquée, l'UEO n'est que ce que les pays membres veulent bien faire
d'elle. Elle mérite une nouvelle ambition politique pour améliorer les outils
existant en son sein. Concrètement, cela signifie qu'il faut poursuivre le
développement des capacités opérationnelles de l'UEO. Il s'agit d'un élément
clé de la future configuration de sécurité et de défense au service de l'Union
européenne. Les ambitieux programmes concernant le renseignement spatial, qui
connaissent actuellement quelques difficultés de financement, sont au coeur de
cette démarche et leur réussite est une « ardente obligation » commune.
Deuxièmement, l'Union européenne doit pouvoir compter sur des instruments
d'aide à la décision et être autonome dans les domaines du renseignement, de la
planification et de la gestion des crises. A moyen terme, elle doit pouvoir
assurer la direction politique et stratégique d'opérations, y compris
d'opérations conduites avec des moyens collectifs de l'OTAN, conformément à
l'esprit des décisions de Berlin.
Troisièmement, un acquis important réside dans les liens existants entre l'UEO
et la PESC. L'article J 4-2 du traité de Maastricht prévoyait que l'Union
européenne demande à l'UEO de mettre en oeuvre ses décisions ayant des
implications dans le domaine de la défense. Le traité d'Amsterdam, en reprenant
les missions de Petersberg, pourra contribuer à renforcer ce lien et facilitera
le recours à l'UEO de la part de l'Union européenne.
De plus, le Conseil européen aura à définir les principes et orientations
générales de la PESC, y compris pour les matières ayant des implications dans
le domaine de la défense.
Le quatrième acquis est plus conflictuel : la place de l'UEO et d'une identité
de défense européenne au sein de l'Alliance atlantique. Vous avez d'ailleurs
évoqué cette question tout à l'heure, monsieur le ministre.
Depuis les sommets atlantiques de Bruxelles et, plus récemment, de Madrid,
l'existence européenne de cette identité est peut-être mieux comprise par nos
partenaires européens.
La France a, à plusieurs reprises, confirmé sa volonté de contribuer au
rééquilibrage des relations transatlantiques. A la veille du sommet de
Washington, pour le cinquantenaire de l'Alliance atlantique, cet objectif est,
plus que jamais, d'actualité. Une défense européenne renforcée signifie un
fardeau mieux partagé et un partenariat plus équilibré.
Cinquièmement, un acquis plus concret réside dans l'existence des forces
multinationales européennes - Eurocorps, Euromarfor, etc. - qui donnent une
capacité d'action, certes encore minimale, mais qui tracent un chemin de
coopération susceptible de constituer des réservoirs de forces pour des
engagements communs.
Sixièmement, un certain acquis existe aussi dans les actions sur le terrain,
menées, sous des formes et dans des conditions différentes, par des pays de
l'Union. Ces actions, dans des domaines variés - humanitaire, militaire,
maintien ou rétablissement de la paix - servent aussi à créer des liens, à
faire travailler ensemble diplomates et militaires des pays différents. Il y a,
là aussi, l'embryon d'une politique commune.
A partir de ces acquis, il me paraît possible de poursuivre la construction, à
long terme, d'une défense européenne avec un souci de pragmatisme et une
volonté d'aboutir à des actions concrètes.
En conclusion, je dirai que le traité d'Amsterdam, que nous allons bientôt
ratifier, constitue un pas - un petit pas, diront certains, mais un pas tout de
même - vers la constitution d'une politique étrangère et de sécurité commune
européenne.
Le principal apport du traité d'Amsterdam réside peut-être dans le fait
d'avoir brisé des obstacles, le plus difficilement surmontable étant celui de
la volonté politique.
Si l'objectif est bien une intégration politique plus grande, alors l'Union
européenne en tant que telle se doit de développer une politique de sécurité et
une capacité de défense.
Aujourd'hui plus encore avec la monnaie unique, l'Union européenne a un rôle
essentiel à jouer, non seulement sur le continent européen, mais également dans
le monde entier. Assumer des responsabilités sur la scène internationale, c'est
aussi avoir la capacité de peser efficacement dans la résolution des crises et
des conflits.
Telle doit être la véritable signification de la politique étrangère et de
sécurité commune que nous appelons de nos voeux.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Blin.
M. Maurice Blin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité
de l'Europe passait hier par sa capacité de résister à la menace que faisait
peser sur elle le surarmement de la Russie soviétique. Elle s'appuyait alors -
nous nous en souvenons tous - sur la puissance et la présence militaire
américaines.
Le défi que l'Union européenne doit relever aujourd'hui a changé de visage et
de nature et n'a pas, fort heureusement, la même acuité. C'est celui de sa
capacité à se doter d'une possibilité de défense qui lui soit propre. Or ce
défi se heurte à l'écrasante supériorité dont disposent les Etats-Unis
d'Amérique dans le cadre de l'OTAN.
Cette supériorité concerne aussi bien les moyens mis en oeuvre que la capacité
de décision.
Je rappellerai, à cet égard, quelques chiffres : leur budget militaire
représente le double de celui de tous les pays d'Europe réunis ; les crédits
qu'ils consacrent au seul secteur de la recherche et du développement des armes
se montent à 210 milliards de francs, soit plus que l'ensemble du budget de la
défense de la France et près de quatre fois plus que l'effort des Européens.
Ce n'est pas tout ! Alors que l'Amérique s'est dotée en quelques années de
trois groupes - pas un de plus - réunissant ensemble tous les systèmes d'armes,
que Boeing, le plus important d'entre eux, mène de concert fabrications civile
et militaire, l'industrie européenne reste dispersée, sinon même divisée. Pour
ne prendre qu'un exemple, elle ne présente pas moins de trois avions de combat,
dont deux sont au moins directement concurrents : le Rafale français, commandé
pour le moment à 48 exemplaires, l'Eurofighter anglo-allemand, avec 600
exemplaires, et le Gripen suédois, avec 170 exemplaires.
Ces trois avions d'origine européenne affronteront le JFS américain, qui
pourrait être produit, lui, à 3 000 exemplaires et qui bénéficierait de ce
fait, vous l'avez compris, d'une considérable économie d'échelle. Dans ce
nouveau combat des Horaces et des Curiaces, l'Europe, convenons-en, ne part pas
vainqueur.
Pour parer à ce danger, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne
annonçaient, en décembre 1997, voilà plus de deux ans, « une réorganisation des
industries aérospatiale et d'électronique de défense » qui devait déboucher sur
une grande société européenne de droit privé et cotée en bourse. Un projet
clair et un calendrier détaillé devaient être élaborés pour le 31 mars 1998. Il
n'en a malheuseusement rien été.
Certes, nous comprenons bien que l'entreprise consistant à surmonter les
intérêts divergents des firmes et des nations n'est pas aisée. Elle s'est
encore compliquée depuis, nous l'avons tous en mémoire, par la décision des
deux principales sociétés anglaises d'armement, BAe et Marconi Electronic, de
fusionner plutôt que de s'allier à un groupe européen qui aurait pu être tout
naturellement français.
La Grande-Bretagne dispose donc aujourd'hui d'un groupe qui est à la fois le
second mondial et de très loin le premier européen. Du coup, l'industrie
française est condamnée soit à l'isolement, soit à un regroupement éventuel
avec ses voisins continentaux. Mais, là encore, l'affaire n'est pas simple, car
la nouvelle société anglaise l'a devancée. Elle détient une part importante du
capital du suédois Saab, elle s'intéresse de près à l'espagnol CASA et,
surtout, elle a un lien privilégié avec les Etats-Unis, puisqu'elle participe
au programme du futur avion de combat américain.
Bref, l'industrie française, qui paraissait il y a quelques années sinon
incontournable du moins destinée à jouer le premier rôle, ou l'un des premiers
rôles, dans une grande société européenne intégrée, peut redouter aujourd'hui
une certaine forme de marginalisation, comme le rappelait à l'instant notre
collègue Jean-Paul Emin.
Comment en est-on venu là ? Loin de moi l'idée d'en imputer la responsabilité
à tel ou tel de nos gouvernements. Le précédent s'est heurté, l'actuel se
heurte à la lourdeur, à l'ambiguïté du statut de sociétés dont l'Etat est
actionnaire principal et premier client. Comment celles-ci pourraient-elles à
la fois défendre l'emploi, obéir à l'impératif de l'aménagement du territoire
et faire mieux que leurs concurrents ? Or je rappelle que, aujourd'hui,
arsenaux et sociétés nationales représentent ensemble encore plus de 50 % du
chiffre d'affaires de notre industrie d'armement.
L'Etat n'a pas su, n'a pas pu dégager Dassault de sa brillante solitude ni
empêcher que le britannique BAe devienne le leader européen de l'aéronautique
militaire. Thomson a bien été privatisée, mais trop tard pour lui donner une
chance de rejoindre le britannique GEC, qui lui a préféré un collègue anglais.
Ce serait, nous dit-on, le tour de l'Aérospatiale, dans laquelle on
retrouverait le groupe privé Lagardère, ce même groupe qui, hier encore, avait
été évincé.
Confusion, désordre, hésitations, changements de pied - si j'ose dire - ne
sont pas rassurants pour l'avenir et posent indiscutablement à l'industrie
française de redoutables problèmes de restructuration et d'adaptation.
Dans ce combat sans merci pour la survie d'une industrie européenne d'armement
qui mérite mieux que de se voir réduite, demain, au rôle de sous-traitant de
l'Amérique, notre pays, dont les talents et les performances sont reconnus de
tous, n'a pas, hélas ! toujours joué les meilleures cartes.
Tout, certes, n'est pas perdu. Mais le temps presse, et la France est
désormais en première ligne. Rien ne serait pire que de nous laisser enfermer
dans le vieux débat idéologique sur les mérites respectifs du public et du
privé. L'histoire a tranché. Il ne nous reste qu'une issue : nous adapter, ou
bien alors nous effacer.
Une voie, au moins, reste ouverte : prendre la tête de la coopération
européenne qui, elle aussi, connaît aujourd'hui d'assez sérieux mécomptes. Elle
a, certes, à son actif des résultats très positifs : dans le domaine civil,
c'est le succès d'Airbus et d'Arianespace ; dans le domaine militaire, celui
d'Eurocopter, devenue la première société fabricatrice d'hélicoptères au monde.
Par ailleurs, Matra s'est associé à l'anglais BAe dans l'industrie des missiles
et à un autre anglais, Marconi Space, dans celle des satellites.
Mais certains projets sont compromis : le satellite radar d'observation Horus,
qu'évoquait tout à l'heure M. Estier, clé de la couverture tout temps du vieux
continent, a vu la défection de l'Allemagne ; le satellite de communication
Trimil Satcom a vu celle de l'Angleterre. Celle-ci manifeste de fortes
hésitations dans le programme, pourtant très avancé, de la frégate
anti-aérienne Horizon.
Quant à la France, si elle poursuit, seule, et non sans mérite, la mise au
point du satellite d'observation Helios II depuis le retrait de l'Allemagne,
elle hésite, devant le programme du véhicule blindé de combat d'infanterie, le
VBCI, entre une fabrication nationale ou européenne. En outre, elle s'est
retirée de certains programmes : le missile porte-torpilles MILAS, un missile
antichar destiné à l'hélicoptère Tigre, et la mine antichar MACPED.
Enfin, le projet de l'avion de transport futur, qui, seul, épargnerait à
l'Europe une dépendance définitive à l'égard des Etats-Unis dans le transport
des troupes à distance, est toujours en gestation. Depuis son annonce, la
Grande-Bretagne a passé commande d'un avion américain pour couvrir une part de
ses besoins, ce qui risque, vous l'aurez compris, d'avoir pour effet de
renchérir le coût unitaire de l'appareil.
Certe, l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l'OCCAR,
pourrait être en mesure d'accompagner les regroupements industriels et les
projets communs entre Européens. Encore faudrait-il que la convention la créant
soit ratifiée par les quatre pays fondateurs : l'Allemagne, la Grande-Bretagne,
l'Italie et la France. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui.
Cette organisation permettrait d'éviter certains des obstacles sur lesquels
ont buté plusieurs programmes en coopération. Serait en particulier écarté le
postulat du « juste retour » au profit de contrats passés avec les industriels
ayant fourni la meilleure réponse à des appels d'offres lancés au sein de
l'UEO.
Mais cette tentative de coordination reste elle-même précaire. En témoigne le
programme des deux futurs porte-avions britanniques, pour lequel le ministère
anglais de la défense vient d'inviter officiellement dix groupes industriels,
européens mais aussi américains, à concourir, parmi lesquels le français
Thomson-CSF. Le choix du responsable final du projet s'opérera ainsi en
fonction de considérations non pas politiques ou stratégiques mais purement
économiques.
J'arrête là cette revue dont vous voudrez bien, monsieur le ministre, mes
chers collègues, me pardonner la relative aridité. J'ai cru, cependant, devoir
m'y attarder un instant. En effet, il est évident que, si la crédibilité d'une
politique de défense européenne repose, d'abord, sur une exacte définition de
ses fins, elle suppose aussi la volonté résolue de se doter des moyens qui y
correspondent. Eux seuls garantiront la marge d'initiative et la liberté de
décision où s'exprimera l'autonomie à laquelle l'Europe aspire légitimement.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on réalise
aujourd'hui le caractère visionnaire de ceux qui ont lancé le débat sur la
Communauté européenne de défense, il y a près de cinquante ans. Imaginez, ou
rappelez-vous, cette Europe aux cicatrices mal refermées dans laquelle six
protagonistes se retrouvaient pour envisager une défense commune !
Les hommes qui avaient lancé ce projet, en 1954, méritent notre respect si
l'on considère les difficultés de la mise en place de la PESC aujourd'hui.
En effet, près de cinquante ans après, le choix d'une politique étrangère et
de sécurité commune est encore une entreprise très difficile pour un grand et
vieux pays comme le nôtre.
La France a marqué l'histoire par sa politique extérieure, sa capacité à
négocier, sa présence militaire, culturelle, économique sur l'ensemble de la
planète. Elle dispose du deuxième réseau diplomatique du monde après les
Etats-Unis et fait régulièrement entendre sa voix dans le concert des nations.
Plus encore, notre pays tient à sa singularité et aime à faire entendre une
voix différente.
Les réticences des autres pays de l'Union sont comparables. Elles se fondent
sur des raisons objectives, car la mise en oeuvre d'une politique étrangère et
de sécurité commune touche au coeur des compétences régaliennes des Etats.
Elles ont aussi des raisons subjectives, car nos dissensions antérieures pèsent
sur notre mémoire collective. Nos intérêts ont été longtemps divergents et
souvent violemment opposés.
Pourtant, l'Europe doit se construire comme la France et les autres nations se
sont forgées. La France s'est faite avec des provinces aux langues et aux
intérêts différents, tout comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie. Le
nationalisme puis le patriotisme ont cimenté ces vieux pays. Bien sûr, il est
question de se trouver non pas un ennemi extérieur qui nous rassemble, mais des
intérêts communs.
Ce choix s'inscrit dans la poursuite de la construction européenne et dans la
logique des traités de Maastricht et d'Amsterdam. L'Europe économique et
financière, par la création du marché unique et de la monnaie unique, a créé
des solidarités de fait et démontré des intérêts communs.
Peut-on imaginer que cette convergence d'intérêts, forte au point de devenir
une communauté d'intérêts, puisse ne pas générer une position commune vis-à-vis
de l'extérieur, c'est-à-dire une politique extérieure commune ?
Il est donc grand temps de mettre en oeuvre l'Europe de la PESC, celle qui
rendra notre pays plus fort sur les marchés extérieurs grâce à une diplomatie
économique plus efficace. Nos citoyens accepteront la PESC s'ils en voient
l'intérêt pour notre pays, et donc pour eux-même ; c'est compréhensible, c'est
même heureux.
Mais si l'économie et les intérêts qui s'y rattachent constituent une base
solide pour la création d'une politique extérieure, il y manque un peu d'âme.
Il manque l'étincelle qui touchera l'affectif des citoyens européens. Il faut
faite naître un sentiment d'appartenance à une communauté de valeurs ; sinon,
qui ressentira un patriotisme européen ?
Il est indispensable, comme l'a rappelé M. le ministre des affaires
étrangères, que les décisions de politique extérieure soient formulées par un
responsable politique exprimant des émotions, des inquiétudes, des espoirs,
afin de les faires partager aux citoyens européens.
Ceux-ci sont aujourd'hui quasi indifférents aux décisions du Conseil européen,
aussi peu enthousiasmant que le conseil d'administration d'une société anonyme.
Ils ont besoin de se rallier ou de s'opposer à « Mme PESC » ou à « M. PESC »,
qui aura prochainement un visage.
Reste à définir les contours de cette politique partagée. Le traité de
Maastricht a créé un deuxième pilier intergouvernemental pour la création d'«
une » politique extérieure et de sécurité commune - « une », article
indéterminé, indéfini, repris par le traité d'Amsterdam. C'est bien la preuve
que cette politique est encore, malgré les avancées contenues dans ce traité,
un objet politique mal identifié !
Cette PESC pourrait être acceptée par nos concitoyens autour de trois axes :
des gestes forts de la part des Etats ; la reconnaissance de valeurs communes ;
enfin, des objectifs et des modalités opérationnelles définis avec nos
partenaires.
En premier lieu, si les gouvernants demandent aux citoyens d'appuyer une
politique extérieure européenne, ils doivent eux-mêmes donner l'exemple de
cette volonté au niveau de l'organisation de leur ministère des affaires
étrangères.
Cette adhésion n'est possible que si l'on sait créer un sentiment
d'appartenance au territoire de l'Union, pour donner corps à une identité
européenne.
Ainsi, aujourd'hui, les citoyens de l'Union vivant dans un autre Etat membre
se tournent vers le consulat de leur pays d'origine pour toutes les formalités
administratives. Pourquoi ne pas créer, dans l'équivalent de nos préfectures,
un guichet unique qui leur permettrait de régler les mêmes formalités ? Comment
justifier l'utilité, au sein de l'Union, des consulats des pays membres, sinon
par la force de l'habitude ou, plus noblement, par la tradition ? Est-ce
cohérent avec l'idée de citoyenneté européenne ?
Monsieur le ministre, lors de la discussion budgétaire, j'avais exposé cette
idée à M. Moscovici et demandé si le principe de la suppression des consulats
des Etats membres situés dans l'Union serait prochainement discuté au sein du
Gouvernement et avec nos partenaires européens. Je souhaiterais qu'à l'occasion
de ce débat on puisse nous donner une réponse.
En second lieu, la PESC ne pourra se définir que par l'adhésion des citoyens à
des valeurs communes qu'ils défendront ensemble. L'un des thèmes pourrait être
la défense des droits de l'homme. A l'heure de l'élargissement, le traité
d'Amsterdam réaffirme l'attachement de l'Union à ses valeurs communes et
souligne le triptyque « démocratie, droits de l'homme et Etats de droit ».
Avec nos partenaires extérieurs, comme les pays d'Europe centrale et
orientale, les PECO, ces critères conditionnent déjà la conclusion de contrats
commerciaux. La promotion de la démocratie et des droits de l'homme fait
l'objet d'aides de la part de l'Union dans le cadre de programmes de
coopération.
La promotion des droits de l'homme constitue peut-être l'étincelle que nous
recherchons. Elle peut mobiliser la jeunesse européenne, l'enthousiasmer,
surpasser les simples intérêts économiques, constituer un liant, un idéal ou,
plus encore, un objectif à diffuser, comme il le fut pour la France en
direction des peuples d'Europe au xixe siècle.
M. Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Aymeri de Montesquiou.
En troisième lieu, la politique de défense commune permettra de faire
respecter nos intérêts et nos valeurs.
Aujourd'hui, personne ne peut ou ne veut entreprendre une intervention
militaire isolée. L'intervention ne peut être que collective. Imagine-t-on une
opération de type Malouines ? Par ailleurs, quelle est la capacité
opérationnelle du nouveau porte-avions
Charles-de-Gaulle
sans
sister-ship
? La politique de défense commune doit conduire rapidement à
une véritable défense commune, et j'utilise à dessein des termes bien plus
volontaristes que le traité d'Amsterdam.
Une condition de la réussite réside dans des discussions claires avec notre
principal allié, les Etats-Unis.
Monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, vous vous
interrogez sur « les conditions dans lesquelles l'identité européenne et de
défense pourraient s'affirmer au sein de l'Alliance atlantique ». M. le
ministre des affaires étrangères avait utilisé l'expression imagée du piano
américain et du tabouret français, recommandant de rapprocher désormais le
tabouret plutôt que d'essayer de déplacer le piano.
Je serais tenté de dire que, réunis, les pays d'Europe parviendront à déplacer
le piano, car je ne souhaite pas, comme le dit la chanson, que nous jouions du
piano debout !
La comparaison entre les budgets de défense cumulés des quinze membres de
l'Union européenne et celui des Etats-Unis est édifiante : le budget des
Européens constitue près de 60 % du budget américain. C'est important, mais,
afin que ce budget commun potentiel soit utilisé efficacement, une première
démarche s'impose : la création de l'agence européenne de l'armement, préludant
à une industrie européenne de défense. Une recherche-développement commune
disposera de plus de moyens financiers, nos armées utiliseront les mêmes
matériels en s'équipant essentiellement chez des fournisseurs européens, ce qui
créera des économies d'échelle et, maintiendra l'emploi.
Ainsi, l'agence européenne de l'armement permettrait, dans un futur proche, à
la défense européenne de rester crédible, alors que tous les budgets nationaux
de la défense sont en diminution.
Dans un même but d'efficacité, et pour que tous les citoyens européens se
sentent impliqués, nous devons définir un périmètre prioritaire
d'intervention.
Nous devons affirmer un pré carré d'intervention sur le continent européen,
afin de prévenir efficacement les conflits internes au continent européen et,
le cas échéant, envisager rapidement une action communautaire.
L'Union doit aussi décider d'une politique méditerranéenne, africaine et de
l'Europe centrale en raison de l'instabilité de ces régions et de la politique
d'immigration commune annoncée par le traité d'Amsterdam.
Plus concrètement, convenons d'un renforcement du pilier européen de l'OTAN
afin qu'il soit considéré comme un véritable partenaire.
Nous regrettons tous, je suppose, les valses-hésitations de notre partenaire
britannique : la Grande-Bretagne refuse la fusion de l'UEO, puis fait une
déclaration commune avec la France depuis Saint-Malo, peu après, elle participe
au bombardement sur l'Irak aux côtés des Américains ! Mais les Britanniques ont
tout de même donné à Saint-Malo un signe fort et espérons, comme M. Védrine l'a
déclaré à la commission des affaires étrangères, qu'ils évolueront désormais
vers leurs alliés européens.
La conférence de Rambouillet, fruit d'une initiative franco-britannique, le
montre peut-être déjà.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous débattons au moment
où cette conférence vient illustrer la nécessité grandissante de renforcer
l'action extérieure de l'Union européenne. Ayant fixé une « obligation de
résultat » aux Serbes et aux Kosovars, elle marque une étape majeure dans
l'ébauche d'une diplomatie européenne et le début d'une véritable concertation
sur la mise en oeuvre d'un système de sécurité collective. Elle peut rompre
avec ce qui n'a été jusqu'à présent qu'un ensemble de déclarations, souvent
inefficaces et parfois incohérentes, bien que le traité de Maastricht ait doté
l'Union de ses premiers instruments opérationnels sur la PESC.
Cette crise est une occasion que les Etats européens doivent saisir, car, pour
la première fois, les quatre acteurs principaux qui pèsent sur la défense
européenne - l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis - se
retrouvent enfin sur un objectif commun.
Les convulsions de l'ex-Yougoslavie, en particulier les drames de la Bosnie,
avaient bouleversé les citoyens européens. Alors que ceux-ci éprouvaient un
sentiment commun, les Etats de l'Union défendaient des positions
hétérogènes.
L'Europe politique a porté les péchés de l'inefficacité de l'Union. Les
citoyens s'en sont détournés, ne réalisant pas que ce n'était pas « trop
d'Europe » qui nous condamnait à l'impuissance, mais « pas assez d'Europe ». Ne
les décevons pas à nouveau aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du
RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel.
Il y a encore trop d'Europe !
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
Pour les jeunes auditeurs qui sont dans les tribunes du public, je signale que
la PESC, cela veut dire : « politique étrangère et de sécurité commune ».
M. Emmanuel Hamel.
Et que M. Vinçon est un futur ministre !
(Sourires.)
Mme Danielle Bidard-Reydet.
C'est le
scoop
de la matinée !
M. le président.
Il ne ferait pas plus mal qu'un autre !
(Nouveaux sourires.)
M. Serge Vinçon.
Merci, monsieur le président !
M. Emmanuel Hamel.
Il ferait beaucoup mieux !
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux
saluer l'initiative prise par le président de la délégation du Sénat pour
l'Union européenne, notre collègue Michel Barnier, qui nous permet, par sa
question orale de débattre aujourd'hui de la politique européenne et de
sécurité commune, sujet dont on parle tant dans les colloques mais politique
qui avance si peu malgré les efforts de la France et plus précisément du
Président de la République, qui multiplie les initiatives et les
propositions.
L'enjeu est pourtant essentiel : l'Europe zone de libre échange, l'Europe
économique devenue l'Europe monétaire a-t-elle l'ambition de devenir une
puissancepolitique, une puissance militaire ? A-t-elle la volonté de régler
elle-même les conflits qui apparaissent sur son continent ou dans sa zone
d'influence ? L'Europe veut-elle participer de façon concertée et partagée à la
définition et à la réalisation d'une Europe de défense ? Peut-elle s'unir pour
bâtir une industrie de la défense ?
Toutes ces questions se posent au moment où les Etats-Unis, d'une part, par la
voix du président Clinton, annoncent un effort supplémentaire en faveur du
budget du Pentagone de l'ordre de 67,5 milliards de francs puis l'équivalent de
562 milliards de francs pour les six années suivantes, d'autre part,
considèrent que le continent africain ne saurait être réservé aux seuls
Européens, ou encore marquent leur réticence à toute réforme véritable de
l'OTAN. Ces trois éléments ajoutés à la stratégie des Etats-Unis de maintenir
une grande avance technologique dans le domaine des armements dissimule mal
leur volonté de suprématie à l'égard des alliés.
Le sommet euro-atlantique d'avril prochain destiné notamment à dessiner les
contours de la défense collective de la zone au siècle prochain permettra à cet
égard de vérifier la capacité de l'Europe à présenter une alternative crédible
au seul matériel de fabrication américaine. Et surtout, l'Europe doit montrer
qu'elle ne se résigne pas à ce que l'OTAN soit la seule institution apte à
prévenir ou régler les crises internationales sans que sa voix ne soit entendue
tant sur le plan politique qu'opérationnel.
Le général de Gaulle affirmait : « Du moment que je suis Français, je suis
Européen. Etant donné que nous sommes en Europe et que je dirai même que la
France a toujours été une partie essentielle sinon capitale de l'Europe, par
conséquent, bien sûr, je suis Européen. »
Cette phrase s'impose à nous avec une très grande acuité. La France a des
responsabilités mondiales pour maintenir la paix ; elle a la volonté de
participer au règlement des crises. Elle est, en un mot, une grande puissance,
ce qui doit lui permettre de jouer un rôle essentiel dans la construction
européenne de la défense.
C'est bien dans cet état d'esprit que le président Chirac a engagé la réforme
de notre outil de défense en février 1996. Il a inscrit cette réforme dans la
perspective d'une politique européenne de défense. D'ailleurs, trois ans plus
tard, nous pouvons mesurer la part prise par la France dans son édification. Il
n'est pas une avancée institionnelle dont nous ne soyons à l'origine : la
création du Groupement indépendant des programmes, le GEIP ; la revitalisation
du rôle de l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, qui aurait du devenir le
véritable bras armé de l'Europe ; ou encore le lancement de l'organisation
conjointe de coopération en matière d'armement,l'OCCAR.
Il lui revient maintenant d'insuffler une nouvelle dynamique pour que la
politique étrangère et de sécurité commune acquiert, enfin, la crédibilité qui
lui fait défaut. Son rôle doit également être déterminant dans la réalisation
des restructurations européennes des industries d'armement de façon que la
Compagnie européenne aérospatiale et de défense, l'EADC, voit enfin le jour.
Une politique étrangère et de sécurité commune est nécessaire : la crise
bosniaque et les conflits en Afrique subsaharienne ont mis en évidence
l'insuffisance de ses mécanismes. Cette insuffisance ne peut que renforcer les
réticences de l'OTAN à confier aux Européens une plus grande responsabilité
politique et opérationnelle.
A l'heure de la réunion des deux Europes, l'urgence de donner toute sa
crédibilité à la PESC réside non seulement dans le fait qu'elle peut devenir le
vecteur unique de dépassement des conflits sur le continent mais également le
seul moyen d'équilibrer les puissances affirmées et les puissances
émergentes.
Le traité d'Amsterdam met en place des outils permettant de faire naître cette
politique étrangère et de sécurité commune. Ce traité prévoit la possibilité de
définir pour les Quinze des « stratégies communes » par le biais du Conseil
européen. Par ailleurs, il crée une unité de planification et d'alerte rapide
capable de donner les analyses communes et les impulsions nécessaires à la
PESC. Enfin, en dotant l'Union européenne d'un Haut représentant pour la
politique étrangère, qui travaillera à la cohérence diplomatique et à la mise
en oeuvre des stratégies communes, il lui donne les moyens de pallier les
tragédies qui l'ont laissée impuissante ces années dernières. La dimension
politique que lui a conférée le Conseil européen, réuni à Vienne en décembre
dernier, nous laisse penser que ce haut représentant sera non pas une instance
supplémentaire, mais bien une personnalité incontournable dont l'autorité
serait incontestable.
Lors du sommet bilatéral, qui a eu lieu à Saint-Malo le 4 décembre dernier,
Français et Britanniques ont franchi une étape importante dans la construction
d'une défense commune européenne, en affirmant dans une déclaration conjointe
qu'il était nécessaire que l'Europe se dote d'une capacité militaire. Je ne
peux manquer de souligner que le président Jacques Chirac a toujours milité
dans ce sens et a reconnu lui-même que cette déclaration prenait toute sa force
dans la définition, à terme, d'une politique de défense commune. Atlantiste et
pro-américain jusqu'à maintenant, le gouvernement britannique « semble »
s'orienter vers la mise en place d'une PESC qui mériterait enfin son nom.
A seule fin que l'Europe puisse s'affirmer aux côtés des Etats-Unis, il lui
faut disposer d'une base industrielle et technologique de défense compétitive,
performante et adaptée. Les raisons plaidant en la faveur de la constitution de
grands pôles sont évidentes.
Dans leur principe, les restructurations et alliances relèvent d'une double
nécessité : nous adapter à la contraction des dépenses et affronter la très
vive concurrence mondiale, et notamment américaine. Dans leur finalité, elles
doivent permettre de défendre et de fortifier les acquis d'une industrie
française qui se situe au meilleur niveau.
Alors que la consolidation de l'industrie américaine de la défense est
achevée, en Europe, elle n'en est qu'à ses balbutiements.
La France a certes réorganisé son industrie de défense entre un pôle
électronique et un pôle aéronautique, mais elle peine à trouver ses marques
face aux groupes européens. Son principal handicap vient du statut de ses
entreprises et de la participation de l'Etat dans le capital.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Serge Vinçon.
Les Européens estiment que l'Etat français doit s'engager à réduire, voire
abandonner sa participation dans les entreprises d'armement. Or, à ce jour,
s'il est vrai que le Gouvernement multiplie les annonces, il ne semble pas
prendre pour autant les décisions qui pourraient convaincre nos partenaires
éventuels et potentiels. En effet, afin de faciliter l'alliance de Thomson-CSF
avec un partenaire européen, il se disait prêt à réduire sa participation dans
le capital de l'entreprise de 41 % à 10 %. Mais il a tellement tardé que
l'entreprise General electric company, GEC, après avoir longuement hésité à
choisir Thomson, a annoncé, le 19 janvier dernier, sa fusion avec une autre
entreprise anglaise, British Aerospace.
Outre que notre partenariat risque de se compliquer, cette fusion retarde
d'autant la consolidation européenne de l'industrie de défense que pourtant
tous les gouvernements européens appellent de leurs voeux. Toutes les
stratégies, conçues laborieusement depuis des mois, doivent être remises à plat
et nous nous trouvons face à l'existence de ce mastodonte britannique qui
possède déjà de solides avant-postes sur le continent. Nous le voyons, nous
sommes soumis là aux décisions britanniques.
Pourtant la politique européenne des armements est un élément essentiel du
développement progressif d'une politique de défense commune. Dans ce secteur,
une des initiatives européennes est à souligner. Il s'agit d'une convention,
signée le 9 septembre 1998, entre la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et
l'Italie, qui donne une existence juridique à l'organisation conjointe de
coopération en matière d'armement, fondée pour gérer plus efficacement les
programmes en coopération. La France doit veiller à ce que cet organisme reste
une structure légère d'équipes multinationales totalement intégrées mais
appuyées sur les agences nationales d'armement. L'Europe acquerra une identité
plus forte dans la politique étrangère et de sécurité grâce à la concentration
de son industrie aéronautique. La privatisation d'Aérospatiale devait marquer
le point de départ de la création de la Compagnie européenne aérospatiale et de
défense, l'EADC, qui aurait été le premier groupe spatial européen et le
troisième mondial.
Les problèmes lancinants, parmi lesquels les plus cruciaux restent la
répartition du capital de la nouvelle société entre les quatre alliés et le
partage du pouvoir, faute d'avoir été résolus, bousculent toute ambition
d'Europe de la défense. La fusion des deux entreprises britanniques met quant à
elle directement en péril la création de l'EADC, du moins telle qu'elle avait
été conçue.
Pour que l'aéronautique européenne se constitue, il est nécessaire que la
France ne reste pas en position de suiveur mais qu'elle reprenne une initiative
qui n'aurait jamais dû lui échapper. Par conséquent, les hésitations, les
mésententes, les atermoiements doivent céder la place à la volonté des
industriels qui ont besoin d'un cadre de référence que seul le Gouvernement
peut leur donner.
Nous l'avons compris, nous ne devons pas nous complaire dans l'examen des
lacunes passées ou dans un diagnostic aussi vain qu'inutile des insuffisances à
venir. Nous devons agir. La politique étrangère et de sécurité commune doit
émerger pour que l'Union européenne dispose en propre d'une double capacité à
décider et à agir, lui permettant de contribuer activement à l'équilibre
géopolitique de la planète.
Par conséquent, le Gouvernement doit cesser de faire preuve d'attentisme dans
ce domaine, et avoir la volonté politique de prendre rapidement les initiatives
qui s'imposent en matière de privatisation de nos entreprises de défense. Il
doit aussi amener les membres de l'Union européenne à s'organiser à quinze pour
être prêts à le faire ensuite avec les pays d'Europe centrale, orientale et
baltique. Pour cela, il doit travailler à la réforme des institutions
européennes afin qu'elles deviennent réellement démocratiques et efficaces. Le
chef de l'Etat a d'ailleurs défini les contours de cette Europe dynamique dans
laquelle les Etats, dont la France, joueraient un rôle actif, comme à
Rambouillet aujourd'hui. Ainsi, l'Europe prendrait toute sa place pour garantir
l'équilibre, la paix et la prospérité dans le monde. (
Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.
)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous pensons
que la politique étrangère et de sécurité commune est une dimension importante
de la construction européenne. Il est donc particulièrement opportun que les
différents groupes de notre assemblée puissent s'exprimer ce matin sur ce
sujet.
En effet, de nombreuses voix s'élèvent de par le monde pour souhaiter une
véritable autonomie européenne, tout particulièrement dans les domaines de la
politique étrangère, de la défense et de la sécurité.
Pour nous, il est important de savoir si les orientations proposées
correspondent aux préoccupations des différentes nations qui composent l'Union
européenne. Sur ce point, nous formulons plusieurs remarques.
La politique étrangère et de sécurité commune a été confortée par le traité
d'Amsterdam, et il n'est pas inutile de rappeler que nous contestons son
contenu.
Je relève que ce traité, dans sa volonté de communautarisation de la PESC,
soulève des obstacles et que la volonté fédéraliste qu'il sous-tend est loin de
faire l'unanimité.
Le rapport de M. Barnier sur « une politique étrangère pour l'Europe après
Amsterdam », qui reprend un certain nombre de discussions antérieures, est très
riche et très documenté.
(M. Hamel s'exclame.)
Il constitue une bonne base de départ pour la
discussion.
Il nous paraît pourtant gommer beaucoup de contradictions et présenter une
vision quelque peu angélique de la réalité et des enjeux dont nous voulons
discuter.
Tout d'abord, l'existence de M. ou de Mme PESC mérite un débat. Elle a déjà
donné lieu à de nombreux commentaires, voire à des propositions. Il y a
quelques années, on a ainsi évoqué le nom d'un ancien Président de la
République pour occuper ce poste.
Si nous ne sommes pas hostiles au fait que l'Europe puisse être clairement
identifiée dans le monde par un visage et par une voix, cette décision
peut-elle être de nature à régler les difficultés présentes pour la mise en
oeuvre d'une diplomatie européenne commune ? Cela peut être contesté.
Pour accroître la visibilité et la continuité de l'Europe, encore faudrait-il
que les Etats membres de l'Union européenne se soient mis d'accord sur une
volonté politique commune. C'est loin d'être le cas !
L'attitude de la Grande-Bretagne en Irak après la déclaration de Saint-Malo en
est un exemple. La situation au Moyen-Orient est, elle aussi, particulièrement
significative à cet égard.
Un M. Europe a été désigné, il s'agit de M. Moratinos. Malgré ses qualités
certaines et sa volonté de personnellement s'investir dans ce difficile
dossier, force est de constater qu'il n'a pas de poids réel pour débloquer le
processus de paix.
En effet, les pays de l'Union européenne sont loin d'avoir une véritable
politique commune. Certains, pour diverses raisons, se sentent proches de la
position israélienne. D'autres souhaitent au contraire soutenir les
Palestiniens dans leur désir de supprimer les injustices qui les frappent et
d'accéder à la reconnaissance de leur droit à disposer d'eux-mêmes et à avoir
un Etat.
Mais, si l'on peut aussi noter que l'Union européenne est le principal
fournisseur de l'aide financière et économique aux Palestiniens, on est en
droit de s'interroger sur son absence de vigilance quand il s'agit de vérifier
l'utilisation des aides attribuées.
Ainsi, alors qu'elle a financé la construction de l'aéroport de Gaza, qui
devait permettre le désenclavement de ce territoire, et alors que cet aéroport
ne peut pas fonctionner normalement du fait de l'opposition du Gouvernement
israélien, et cela malgré les engagements pris à Wye Plantation, l'Europe reste
bien silencieuse. Son intervention pourrait pourtant contribuer à débloquer
cette situation.
Quant à la réforme institutionnelle nécessaire avant l'élargissement, elle
mérite un débat. A cet égard, les réponses figurant dans le rapport de M.
Barnier ne nous semblent pas satisfaisantes.
Tout d'abord, l'abandon de la règle de l'unanimité au profit de celle de la
majorité qualifiée soulève, pour nous, un véritable problème.
M. Emmanuel Hamel.
Vous avez raison !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il est peut-être des secteurs où cette majorité qualifiée peut s'exercer, mais
nous ne pensons pas que ce soit le cas pour la politique extérieure de sécurité
commune.
Bien au contraire, il règne en effet dans ce domaine une volonté forte
d'exercer sa souveraineté nationale qui, de notre point de vue, ne peut se
transférer ou se partager sous peine de disparaître.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
On ne partage pas sa souveraineté ; en revanche, on peut partager des
responsabilités, la signature des traités, des accords ou des conventions,
qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux, par exemple.
Une nation, qu'elle soit grande ou petite, doit pouvoir négocier
souverainement et refuser une décision contraire à son intérêt fondamental.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
La souveraineté n'est-elle pas la capacité d'un peuple à décider lui-même des
grands choix qui déterminent son avenir ?
L'unanimité n'est certes pas facile à obtenir, mais c'est un concept que l'on
peut construire, avec constance et détermination, pour peu qu'il existe une
volonté politique. C'est d'ailleurs bien l'objectif que l'on veut atteindre en
ce moment, à Rambouillet, en obtenant que les différentes parties, dont les
positions initiales semblent pourtant inconciliables, acceptent de signer un
accord.
Nous savons que la négociation est particulièrement complexe. Nous savons
également qu'elle est incontournable pour éviter un affrontement tragique, pour
les uns et pour les autres.
Quant à la règle de la pondération, qui consisterait, quelle que soit la
méthode adoptée, à renforcer le poids des « grands » pays tels que la France,
la Grande-Bretagne et l'Allemagne, aux dépens de ceux qui sont qualifiés de «
petits », elle porte en germe des conséquences néfastes. Comment, en effet,
croire que l'on pourra éviter des réactions, voire des résistances, de la part
de ces « petits » pays ?
Il semble difficile qu'un Etat, même « petit », soit prêt à accepter sans
réagir une proposition où le poids de certains serait ressenti comme
prédominant, voire dominant.
Là encore se profile, sans que cela soit dit clairement, une Europe
fédéraliste dont beaucoup ne veulent pas. L'Europe sera peut-être unifiée dans
plusieurs dizaines de décennies, mais, aujourd'hui, elle est constituée d'Etats
nations associés qui doivent être reconnus comme tels. Si nous voulons
construire une Europe fiable, n'introduisons pas de pôles de domination en son
sein !
Le problème de la défense et de la sécurité européenne commune est également
d'une grande importance dans le traité d'Amsterdam. Ce n'est pas un thème
marginal, car il nous semble receler, d'une part, un réel besoin, mais aussi,
d'autre part, de réels dangers de militarisation d'une Union européenne trop
dépendante des orientations de l'Alliance atlantique.
Le Conseil européen, responsable de la PESC, y compris en matière de défense,
pourrait ainsi adopter des stratégies et des actions communes dans ce domaine
et recourir à l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, pour les mettre en
oeuvre.
De nombreuses questions se posent à propos de l'UEO. Cette organisation est
particulièrement liée à l'OTAN, puisqu'un Etat ne peut y être adhérent sans
être déjà membre de l'OTAN.
De ce point de vue, ne faudrait-il pas souligner une autre contradiction dans
le rapport de M. Barnier ? Il plaide certes en faveur d'une véritable autonomie
de l'Europe. Il écrit notamment : « Le fait que l'Europe soit tributaire des
Etats-Unis pour assurer sa propre sécurité fragilise considérablement sa
crédibilité internationale », ce qui est exact. Mais cette juste volonté de
distanciation à l'égard de nos alliés américains ne peut être adossée à l'UEO,
dont l'autonomie nous paraît complètement illusoire face à l'OTAN, et donc au
rôle prédominant des Etats-Unis.
Nous estimons également que les problèmes de défense ne peuvent se réduire aux
seuls moyens militaires, tout comme le continent européen ne peut être réduit à
sa seule partie occidentale. Les questions de défense doivent s'inscrire, là
aussi, dans le respect des intérêts nationaux de chacun et sous mandat
explicite des Nations unies, dont le rôle doit être réaffirmé, ou bien de
l'OSCE en tant qu'organisation régionale.
Nous regrettons donc que M. Barnier ne mentionne jamais dans son rapport
l'OSCE. Pour que la PESC, notamment son volet défense, acquière une véritable
crédibilité, il manque au texte présenté une véritable volonté politique de
s'émanciper par rapport aux Etats-Unis.
On ne peut vouloir une défense autonome et accepter le rôle prédominant de
l'OTAN. Nous savons tous en effet que les Etats-Unis, de par leur puissance
économique et militaire, leur capacité d'influencer les opinions publiques ne
sont prêts ni à partager leur pouvoir de décision ni à renoncer à leur tendance
à privilégier les interventions militaires pour le règlement des conflits.
Leur attitude, dernièrement, en Irak, leur volonté non dissimulée d'engager
des actions militaires au Kosovo nous le rappellent. Un véritable débat doit
être mené à ce propos.
De ce point de vue, les différentes discussions au sujet de l'OSCE sont
intéressantes. Cette organisation regroupe tous les pays européens, les Etats
de l'ex-URSS, les Etats-Unis et le Canada. Une réflexion s'est déjà engagée
pour l'élaboration d'une charte sur la sécurité européenne. Le document aurait
dû être adopté lors du sommet de cette organisation, à la fin de l'année 1998.
Il est regrettable, mais significatif, que ce sommet ait été repoussé après le
sommet de l'OTAN du mois d'avril 1999 !
Un renforcement de l'OSCE irait à l'encontre de l'objectif tendant à
développer et à élargir l'OTAN. Il placerait les objectifs de sécurité et de
défense sur d'autres plans que le militaire et la politique de domination.
Il serait donc légitime de pouvoir débattre collectivement de ce problème. La
France peut, puisqu'elle déclare attacher de l'importance à cette organisation,
être l'initiateur de sa revalorisation en proposant sa rénovation.
De ce point de vue, nous n'insisterons jamais assez sur notre volonté de
mettre en place une autre conception de la sécurité que celle qui se limite au
seul aspect militaire. Nous voulons nous investir pour promouvoir des solutions
politiques fondées sur le codéveloppement et sur la solidarité. De grands
espaces doivent être défrichés pour corriger les déséquilibres qui engendrent
la misère, le sous-développement, le non-respect du droit des peuples à
disposer de leur propre avenir.
L'apport de l'Union européenne est loin d'être mineur et notre pays peut être
écouté et entendu pour cette réorientation de la politique étrangère de
défense.
Le problème de la politique extérieure et de sécurité commune pour l'Europe
est une grande question de construction européenne. Il mérite un large débat.
De ce point de vue, la séance de ce matin, la discussion d'une question orale
avec débat, est une étape intéressante. Mais le sujet est loin d'être épuisé et
il faut continuer à échanger, à débattre, à élaborer des propositions.
Il me semble que, sous d'autres formes, le Sénat, l'Assemblée nationale, le
Parlement européen pourraient contribuer à enrichir ce débat. Je crois aussi
qu'il serait utile que ce débat ne se limite pas aux spécialistes et qu'il
devienne un sujet de réflexion pour l'ensemble de nos concitoyens.
Nous nous inscrivons dans une construction européenne fondée sur les principes
de codéveloppement, de règlement pacifique et de solidarité. C'est un travail
de longue haleine, acharné et continu des conflits mais nous voulons occuper
toute notre place.
M. Guy Fischer.
Très bien !
(M. Guy Allouche remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Josselin, ministre délégué à la coopération et à la
francophonie.
M. Emmanuel Hamel.
Pourquoi pas à M. Moscovici ?... Il est mis à l'écart ?...
M. le président.
Monsieur Hamel, c'est à M. Josselin que je viens de donner la parole !
M. Charles Josselin,
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. Hubert Védrine étant dans
l'obligation de quitter le Sénat, j'ai dû bousculer mon emploi du temps. Cela
m'a d'ailleurs permis de renouer avec un sujet que j'ai eu l'occasion
d'approfondir quelque peu en tant que président de la délégation de l'Assemblée
nationale pour l'Union européenne.
Si la discussion de cette question orale européenne me permet une certaine
remise à niveau sur ce dossier, je sollicite néanmoins votre indulgence. Mes
réponses seront, en effet, partielles, en dépit de la compétence et de la bonne
volonté des collaborateurs de M. Hubert Védrine, qui a pris l'engagement de
répondre plus complètement et par écrit aux intervenants.
Monsieur Barnier, oui, M. PESC aura un profil politique. Le Conseil européen
de Vienne en a ainsi décidé au mois de décembre dernier.
Y aura-t-il un candidat français ?
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
C'est une question
importante !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
La procédure qui sera utilisée sera sans doute celle du
« paquet ».
Plusieurs responsables devront être désignés, et c'est dans le cadre d'une
concertation avec nos partenaires sur ces différents postes de responsabilité
que nous déciderons de présenter ou non un candidat français. Il ne faut pas
partir trop tôt dans ce domaine, comme d'ailleurs dans quelques autres...
L'unité de planification et d'alerte rapide sera-t-elle une structure
intergouvernementale ? La réponse à cette question est négative. Il est vrai
qu'elle comportera des agents venant de l'ensemble des Etats membres, mais il y
en aura aussi de la Commission et de l'UEO. Les uns et les autres n'agiront pas
en tant que représentants des Etats membres ou de leur institution.
Nous avons obtenu que cette unité soit placée directement sous l'autorité de
M. PESC.
Le lien entre l'Union européenne et l'UEO, la relance des réflexions sur la
défense européenne, tout cela implique bien sûr une réflexion sur les modalités
d'intégration des instruments de l'UEO. Dans cette perspective, nous devons
d'abord identifier les moyens, les capacités, dont l'Union européenne doit se
doter pour décider et agir.
Monsieur de Villepin, oui, il faut identifier un nombre limité de questions si
l'on veut faire progresser la réflexion.
Pas de politique étrangère unique, bien sûr !
S'inscrire dans une stratégie de prévention : à ce propos, vous avez raison
d'évoquer le pacte de stabilité.
S'agissant de l'Europe de la défense, il faut sortir de la rhétorique,
avez-vous dit. M. Védrine s'inscrit dans la même optique.
Emergence d'un partenariat à long terme avec les Etats-Unis ? Oui. Je ne
reviendrai pas sur l'image du piano et du tabouret,...
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Ne tombez pas !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
... même si l'on peut savoir gré à M. de Montesquiou
d'avoir introduit une note de poésie en faisant référence à la chanson de
Michel Berger, chantée par sa femme, France Gall.
Monsieur Emin, sur le Kosovo, c'est vrai, le volontarisme ne doit pas conduire
au triomphalisme. Pour l'instant, M. Védrine se garde bien d'une telle
attitude. Il est beaucoup trop tôt. Lui-même a souligné la complexité du
dossier et la prudence avec laquelle il fallait en suivre l'évolution.
Il est vrai aussi que l'on ne peut afficher des objectifs trop ambitieux pour
la PESC sans lui donner les moyens de les atteindre. La lucidité commande, vous
avez raison. La PESC est un processus qui s'inscrit dans la durée et demandera
sûrement beaucoup de ténacité. J'ai déjà répondu à la question concernant la
personnalité de M. ou Mme PESC ; j'en ai évoqué le profil politique. Sa
nomination est attendue pour juin, comme vous le savez.
La présence et l'influence de l'Europe dépendent de tous les instruments, dont
la PESC fait partie. Il en est d'autres. Vous avez fait référence aux accords
de Lomé. D'autres orateurs ont évoqué le caractère multidimentionnel de la
politique extérieure européenne.
J'étais moi-même à Dakar, lundi et mardi, et je peux dire que le choix d'une
approche globale intégrant une réflexion sur l'organisation politique, le
développement et la sécurité est l'orientation le plus souvent adoptée. La
France fait partie des pays qui pensent que c'est bien la bonne direction.
S'agissant de l'Europe de la défense, vous avez souligné, monsieur Emin,
l'importance de la coopération en matière d'industrie de défense.
M. Vinçon, pour sa part, a beaucoup insisté sur cet aspect des choses. De son
côté, le Gouvernement travaille à cette coopération. Celle-ci est d'ailleurs
mentionnée dans le traité d'Amsterdam. Six pays, vous le savez, ont engagé des
discussions en vue de susciter un pôle européen des industries de défense. A ce
propos, je citerai l'OCCAR, qui a été créée à cet effet.
Monsieur Estier, je réaffirme l'importance du caractère multidimentionnel des
politiques développées par l'Union européenne ; je n'y insiste pas, mais vous
avez eu raison d'y faire allusion. Il s'agit, notamment, du lien entre le
dialogue politique, la coopération, les aspects commerciaux et les effets
structurants de ces discussions sur les pays ACP. A cet égard, le choix de
l'intégration régionale est à la fois facteur de développement et facteur de
sécurité.
Je suis d'accord avec vous, bien sûr, monsieur le sénateur, sur la nécessité
de recourir aux coopérations renforcées pour introduire, dans les termes qu'a
employés Hubert Védrine, une géométrie variable.
M. Blin s'est livré à une intéressante et complète analyse des problèmes
auxquels nous devons faire face s'agissant de la coopération en matière
d'armement. Il est vrai que, en ce qui concerne l'industrie européenne, et
l'industrie française en particulier, une donnée, hélas ! est incontestable,
monsieur Blin : la baisse des commandes dans le monde entier. C'est une réalité
! Elle nous incite, elle aussi, à procéder à une restructuration à l'échelle
européenne des industries de défense pour faire face aux regroupements auxquels
les Etats-Unis eux-mêmes ont déjà procédé et continuent de procéder.
Ainsi, la création de l'agence d'armement l'OCCAR, le choix fait par six pays
de susciter un pôle des industries de défense répondent, je crois, à votre
propre préoccupation.
Monsieur de Montesquiou, oui, la PESC est aussi liée à la création d'une
communauté de valeurs entre Européens. Il nous reste à faire partager, vous
l'avez dit vous-même, cette communauté de valeurs au reste du monde. Il est
vrai que le dialogue politique avec les ACP et, oserai-je ajouter, la
francophonie peuvent nous aider à cette diffusion à travers le monde des
valeurs que nous avons en commun, nous, Européens.
S'agissant de la suppression des consulats dans l'Union, une réflexion est
engagée entre les Etats membres sur leur fonction et le rôle qu'ils doivent
jouer. Des questions qu'ils ont à traiter en commun, comme celle de
l'immigration, nous y obligent.
Pour autant, il n'y a pas de lien entre la démarche engagée et une fermeture
nécessaire de tel ou tel consulat. La question posée est donc prématurée ; il
est néanmoins nécessaire de réfléchir au moyen de donner à chacun plus
d'efficacité.
Monsieur Vinçon, j'ai commencé à répondre aux questions que vous avez
soulevées en ce qui concerne les restructurations de l'armement. Le
Gouvernement y travaille : les relations entre Aérospatiale et Matra en
témoignent. A l'échelon européen, j'évoquerai à nouveau l'OCCAR et les
discussions qui se déroulent avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, mais aussi
toutes celles qui ont lieu entre ministères de la défense des pays concernés.
Considérez que nous partageons votre préoccupation et que nous nous employons à
y répondre.
Madame Bidard-Reydet, la PESC relève toujours, aux termes du traité
d'Amsterdam, de ce que l'on appelle la coopération intergouvernementale. Elle
ne ressortit pas au domaine communautaire, même si l'Europe doit être plus
présente. Le recours à la majorité qualifiée n'a lieu que dans le cadre de
stratégies communes, adoptées elles-mêmes par consensus, donc à l'unanimité par
le Conseil européen.
C'est donc dans un second temps seulement que le choix des moyens s'effectue à
la majorité qualifiée.
M. Emmanuel Hamel.
Que ce second temps ne vienne jamais !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
En conclusion, je dirai un mot sur le devenir de
l'Union de l'Europe occidentale.
La position du Gouvernement reste inchangée. Comme l'évoque le traité
d'Amsterdam, cette organisation a vocation à s'insérer dans l'Union européenne
et à mettre ses capacités opérationnelles au service de la politique étrangère
et de sécurité commune. Il est d'ailleurs précisé qu'avec l'entrée en vigueur
du traité d'Amsterdam la compétence d'orientation du Conseil européen vaut
également à l'égard de l'UEO.
La relance des réflexions sur la défense européenne conduit d'ailleurs à
s'interroger aujourd'hui sur les modalités d'intégration des instruments de
l'UEO, lesquels pourraient être regroupés au sein d'une agence.
Dans cette perspective, le Gouvernement entend d'abord, en concertation avec
ses partenaires, identifier les moyens et capacités dont l'Union européenne
doit se doter pour pouvoir décider en toute connaissance de cause et agir dans
tous les domaines de la politique étrangère.
Le projet que nous entendons promouvoir est donc de nature à renforcer les
capacités européennes en matière de défense et donc la crédibilité et
l'efficacité de la contribution des Européens à l'Alliance atlantique, qui
demeure un élément fondamental de la défense collective.
A ce titre, les ambitions européennes dans le domaine de la sécurité et de la
défense devraient être reflétées positivement dans le concept stratégique de
l'OTAN.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'affirmation d'une Europe forte et
responsable, dotée d'une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces
militaires crédibles est, à la fois, dans la logique de la construction
européenne, conforme aux intérêts de l'Alliance et de nature à favoriser un
renouveau du partenariat transatlantique.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Le débat est clos.
L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre
nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quinze
heures.)
M. le président. La séance est reprise.
3
CANDIDATURE
À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
M. le président.
Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien
vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du
conseil d'orientation du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou,
en remplacement de M. Michel Pelchat, démissionnaire.
La commission des affaires culturelles a fait connaître qu'elle propose la
candidature de M. Ambroise Dupont pour siéger au sein de cet organisme
extraparlementaire.
Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9
du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
4
SERVICE MINIMUM EN CAS DE GRÈVE
DANS LES SERVICES PUBLICS
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 194,
1998-1999) de M. Claude Huriet, fait au nom de la commission des affaires
sociales sur la proposition de loi de MM. Philippe Arnaud, Jean-Paul Amoudry,
Jean Arthuis,
Alphonse Arzel,
Denis Badré, René Ballayer, Bernard
Barraux, Jacques Baudot, Michel Bécot, Claude Belot,
François Blaizot,
Maurice Blin, Mme Annick Bocandé, MM. Didier Borotra, Marcel Deneux, Gérard
Deriot, André Diligent,
André Egu,
Pierre Fauchon, Jean Faure, Serge
Franchis, Yves Fréville, Francis Grignon, Marcel Henry, Pierre Hérisson, Rémi
Herment, Jean Huchon, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, Henri Le Breton,
Edouard Le Jeune,
Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Jacques Machet,
Jean Madelain,
Kléber Malécot, André Maman, René Marquès, Louis Mercier,
Daniel Millaud,
Louis Moinard, René Monory, Philippe Nogrix, Jean
Pourchet, Michel Souplet et Xavier de Villepin tendant à assurer un service
minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics (n° 491,
1997-1998).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, pour les usagers, les conséquences
des conflits sociaux dans le secteur public soulèvent un problème lancinant et
constituent une question récurrente.
Certes, l'alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946 dispose que « le
droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Pour
autant, le législateur s'est toujours montré réticent à prendre des
dispositions générales. Il n'en reste pas moins que la jurisprudence du Conseil
constitutionnel a clairement indiqué qu'un équilibre pouvait être institué
entre le droit de grève, d'une part, et d'autres principes de valeur égale,
c'est-à-dire reconnus comme principes de valeur constitutionnelle, d'autre part
: principe de la continuité du service public et principe de la protection de
la santé et de la sécurité des personnes et des biens.
Bien que soient prévus l'interdiction complète du droit de grève pour
certaines catégories de fonctionnaires, un service minimum dans quelques
secteurs et l'obligation de dépôt d'un préavis, le dispositif demeure
lacunaire, ce qui ne permet pas d'assurer le respect du principe de continuité.
Les chefs de service sont, au demeurant, autorisés par le juge administratif à
intervenir de manière supplétive pour prendre les mesures nécessaires.
Pourtant, le principe de continuité, lié à la notion de continuité de l'Etat,
mentionnée par la Constitution, est un élément fondateur de la définition du
service public en tant qu'activité d'intérêt général assumée ou assurée sous le
contrôle de la puissance publique.
A côté du principe d'adaptation aux changements et du principe d'égalité de
traitement des usagers, le principe de continuité apparaît comme essentiel
parce qu'il justifie que les salariés de droit privé des entreprises chargées
d'un service public industriel et commercial bénéficient d'éléments statutaires
tels que l'absence de licenciement.
Historiquement, certaines particularités des statuts découlent du principe de
continuité : les caisses de retraite des cheminots ont été créées au xixe
siècle parce que les sociétés de chemins de fer y voyaient un élément
attractif, de nature à retenir des salariés alors naturellement mobiles et à
favoriser la stabilité nécessaire à la formation d'une main-d'oeuvre
qualifiée.
La fonction publique, à elle seule, a représenté plus de la moitié des jours
de grève en 1995 et 1996, alors qu'on assiste à une baisse tendancielle de la
conflictualité sur dix ans.
Mais ce que ne font pas apparaître les statistiques, qui agrègent l'ensemble
des jours de grève des salariés de droit privé, qu'ils travaillent dans une
entreprise privée ou dans le secteur public, c'est que les services publics
sont bien à l'origine, chaque année, d'une part prépondérante des conflits du
travail dans notre pays.
Rapportés à la population active, les fonctionnaires et salariés qui sont
chargés d'assurer le principe de continuité et qui représentent un peu plus de
25 % de la population active sont bien ceux qui sont le plus souvent en
grève.
Ce qui est aujourd'hui paradoxal, c'est que les journées de grève sont, pour
la plupart, le fait de personnels opérant dans des secteurs où doit s'appliquer
le principe de continuité.
A la limite, dans le secteur des transports, en 1998, selon M. Louis Gallois,
la SNCF, qui rassemble 1 % de la population active, a enregistré 180 000 jours
de grève, c'est-à-dire environ 40 % des journées de grève en France.
Face à cette situation, nombreuses ont été les propositions de loi visant à
instituer le principe d'un service minimum en cas de cessation concertée du
travail dans les services publics. La proposition de loi de M. Philippe Arnaud
s'inscrit dans cette lignée. Elle a été déposée le 11 juin 1998, c'est-à-dire
avant qu'interviennent les mouvements de grève de la fin de l'année 1998 et le
discours de M. le Président de la République du 4 décembre dernier, qui ont
remis la question du service minimum au premier rang de l'actualité.
Parmi ces propositions, il convient de mentionner particulièrement celle de M.
Jean-Pierre Fourcade, examinée par notre commission, qui a été pour moi une
source de réflexion et d'inspiration parce qu'elle ouvre la voie à une approche
réaliste et pragmatique du problème.
En effet, la réflexion sur le service minimum n'a de sens que si elle
contribue à aider à la modernisation du service public à un moment où celui-ci
fait l'objet d'études et d'analyses propres à assurer une meilleure
transparence des rémunérations et du temps de travail.
De manière surprenante, un grand journal du soir concluait ainsi son éditorial
: « Comment faut-il réorganiser l'Etat pour que les services qu'il rend aux
citoyens soient de qualité telle qu'ils justifient le niveau de prélèvement
fiscal dans le pays ? De la réponse à cette question dépend le maintien du
service public à la française, auquel une majorité de Français sont
légitimement attachés. Faute de se réorganiser..., c'est l'Etat qui portera
lui-même le plus mauvais coup à la notion de service public. »
C'est cette démarche qui a inspiré les travaux de notre commission, laquelle
est partie d'un triple constat pour aboutir à trois propositions.
Premier constat : la grève dans le secteur public constitue un échec du
dialogue social dans ce même secteur.
Deuxième constat : le service minimum est un pis-aller dont on ne saurait se
satisfaire.
Troisième constat : sous la pression de plusieurs facteurs extérieurs, des
évolutions favorables se dessinent, que la loi doit encourager.
Pour ce qui est du premier constat, je dirai qu'il existe trop souvent, en
France, un refus de la recherche du consensus. Dans notre pays, l'idée
prédomine selon laquelle le conflit est au coeur de la relation sociale. Aussi
la grève est-elle considérée, non plus comme l'arme ultime à utiliser après
l'échec de toutes les procédures de négociation, mais plutôt comme un moyen de
gestion des conflits sociaux.
Plusieurs syndicats nous ont indiqué qu'ils avaient le sentiment que c'était
le degré de la réussite de la grève qui conditionnait la suite de la
négociation et le succès de leurs revendications auprès de leur direction.
Au cours de nos auditions, il est apparu que, trop souvent, le préavis
obligatoire de cinq jours créé par la loi du 31 juillet 1963, n'est entendu que
comme une courte période imposée par la loi, période pendant laquelle chacun
reste sur ses gardes dans l'attente de « l'épreuve de vérité » que constituera
la grève. Cette incompréhension du rôle du préavis persiste bien que le
législateur, lors du vote des lois « Auroux » du 19 octobre 1982, ait
solennellement inscrit que « pendant la durée du préavis les parties sont
tenues de négocier ».
Par ailleurs, certains syndicats adoptent parfois la tactique dite des préavis
« glissants », consistant à déposer quotidiennement des préavis successifs afin
de pouvoir déclencher des grèves inopinées. Dans des périodes de tension, le
préavis est déposé le soir en fin de semaine afin de rendre insignifiant le
temps qui doit être consacré à la négociation.
Le service minimum ne garantit pas, par lui-même, le retour à l'esprit de la
négociation en période de tension : son organisation même peut devenir un enjeu
de conflit. Une fois établi le tableau de consigne, les gestionnaires doivent
parfois se livrer à une sorte de « jeu de piste » pour parvenir à joindre
chacun des membres du personnel requis, comme ils sont tenus légalement de le
faire pour l'application du service minimum.
Pour expliquer de telles pratiques, on pourrait être tenté d'incriminer le
statut protecteur des salariés du secteur public ou encore le caractère peu
structuré du paysage syndical français. Mais les auditions des syndicats
conduisent aussi à souligner les insuffisances en matière de gestion des
ressources humaines, notamment le manque d'écoute de la hiérarchie et la
centralisation excessive des décisions.
Derrière cela se profile une constatation : l'Etat en tant qu'employeur et en
tant qu'autorité de tutelle est généralement dans l'incapacité d'empêcher les
conflits sociaux de dégénérer.
Il est paradoxal que les pouvoirs publics se soucient, au travers de la
réduction du temps de travail, par exemple, de donner des leçons d'organisation
aux entreprises privées, mais omettent de se pencher sur leurs propres carences
: rigidité des rapports sociaux, sclérose des structures, centralisation des
organigrammes et confusion des responsabilités.
Une déconcentration insuffisante des structures étatiques, l'emprise pesante
du ministère des finances et l'interventionnisme de la tutelle sur les
entreprises publiques accentuent certains travers. Certains responsables de
service ou d'entreprise peuvent avoir une sorte d'intérêt objectif à ce qu'une
grève soit « réussie » à la veille de décisions budgétaires.
L'Etat s'accommode parfois trop facilement de l'absence de réelles procédures
de prévention qui nécessiteraient de laisser une marge de manoeuvre plus
importante à des échelons déconcentrés de décision. Et les conséquences
financières et économiques des faiblesses du dialogue social dans le secteur
public sont supportées, en définitive, par les contribuables et les entreprises
du secteur marchand.
Le Sénat, au travers des travaux de sa commission des finances, avait déjà
constaté l'échec de l'« Etat actionnaire ». Il est temps désormais de porter
remède à l'échec de l'« Etat employeur ».
M. Jean Bizet.
Très bien !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
J'en viens au deuxième constat : le service minimum est un
pis-aller dont on ne saurait se satisfaire.
Il est urgent que soit dépassée l'opposition entre le respect du droit de
grève et celui du principe de continuité, qui débouche sur la querelle portant
sur la nature et l'ampleur d'un service minimum.
Le concept de service minimum peut faire l'objet de certaines dérives. Il
arrive ainsi que la notion de « service minimum » ait parfois un caractère
réducteur par rapport aux dispositifs mis en place dans certaines
entreprises.
Il en est ainsi pour EDF où, en cas de grève, l'établissement est en mesure,
avec un nombre réduit d'agents, d'assurer l'équilibre de la production par
rapport à la consommation, sans coupure de courant, mais en freinant les
exportations et en recourant à des achats auprès des partenaires extérieurs. Un
« service minimum » comportant une baisse de l'alimentation électrique
constituerait aujourd'hui une régression insupportable pour le consommateur.
La Poste a mis en place un réseau de régulation parallèle à partir de neuf
centres de traitement qui, en cas de surcharge ou de mouvement social, prennent
le relais et permettent ainsi d'éliminer les points de blocage dans les centres
névralgiques où la grève d'un faible nombre de salariés pouvait paralyser le
tri sur une région entière. Même s'il n'est pas toujours atteint, l'objectif
visé est ainsi plus ambitieux que celui d'un service minimum.
Une autre dérive possible du service minimum consisterait à banaliser les
carences du service public.
Le fonctionnement des services de la navigation aérienne en cas de conflit
social illustre le risque d'une interprétation erronée du service minimum.
S'agissant par exemple de l'aéroport de Roissy, une piste sur deux est ouverte
et une liste de vols autorisés à décoller ou atterrir est fixée par voie
d'arrêté ministériel. Même si un nombre significatif de non-grévistes est
présent en plus des personnels consignés, l'autorité responsable de l'aéroport
ne sera pas en mesure de faire décoller des vols supplémentaires. En effet, les
salariés consignés seraient alors juridiquement fondés à quitter leur poste en
considérant que, du fait des vols supplémentaires, le service minimum auquel
ils sont astreints n'est plus respecté.
Sauf à définir d'emblée une norme du service optimal que les usagers sont en
droit d'attendre - et qui n'est aujourd'hui d'ailleurs pas toujours atteinte,
notamment dans les transports publics - le risque n'est pas négligeable de voir
le service minimum devenir en quelque sorte la norme de référence « acceptable
».
Le législateur doit veiller à légiférer dans la durée. Dès lors, la fixation
d'une norme de service minimum dans la loi pourrait constituer un exercice
périlleux au regard de l'évolution des besoins des usagers du service public et
de la diversité des situations des entreprises.
Par ailleurs, l'instauration du service minimum risque de soulever parfois des
difficultés pratiques et d'être considérée comme mettant en cause l'exercice du
droit de grève.
S'agissant des transports en commun, la concentration de la population en
région parisienne est telle qu'il est impossible d'imaginer un service réduit à
un train sur cinq ou sur quatre dans la journée, y compris aux heures de
pointe, sans prendre des risques importants pour la sécurité des voyageurs.
L'autre solution propose de ne faire fonctionner les trains qu'aux heures des
déplacements professionnels. De fait, selon le président-directeur général de
la RATP, 66 % à 75 % des agents devraient alors être mobilisés aux heures de
pointe, matin et soir, sans pour autant que soit garanti un service « minimum »
alliant qualité et sécurité pour permettre d'assurer les trajets
domicile-travail. Dans ces conditions, la question se poserait alors de savoir
si le Conseil constitutionnel validerait de telles dispositions.
Au terme de ces éléments de réflexion, il nous a paru préférable de ne pas
donner en l'état au service minimum le caractère d'une disposition législative.
Le service minimum n'est certainement pas la panacée : il ne peut être envisagé
que comme une solution ultime appliquée, conformément à la loi, uniquement en
cas de volonté de blocage manifestée par des acteurs sociaux refusant de mettre
en oeuvre le principe de valeur constitutionnelle, de continuité du service
public.
Mieux vaut alors s'inscrire dans la démarche voulue par le Président de la
République dans son discours de Rennes : « La grève est un droit, mais il est
essentiel que les entreprises de service public s'accordent avec leur personnel
sur des procédures efficaces de prévention des grèves et sur l'organisation
concertée d'un service minimum.
« A défaut d'entente, des règles communes à tous les services publics
devraient pouvoir s'appliquer. »
Le Parlement joue son rôle en donnant un caractère solennel aux attentes et
aux exigences exprimées de plus en plus fermement par les usagers des services
publics. Si le législateur devait finalement se résoudre à inscrire le service
minimum dans la loi, il pourrait être le moment venu d'autant plus exigeant - y
compris au regard du Conseil constitutionnel - qu'il aurait pris le soin de
laisser à chacun des partenaires le temps de réflexion et de concertation
nécessaires à l'exercice de leurs responsabilités respectives.
Au vu du troisième constat, il apparaît que, sous la pression de l'opinion
publique, de l'émergence de la concurrence et de la construction européenne, il
se dessine des évolutions favorables que la loi doit encourager.
Il n'est guère de « muraille de Chine » qui puisse désormais protéger
durablement le service public des évolutions économiques et sociales.
Tout d'abord, l'opinion publique accepte de plus en plus difficilement que le
service public ne joue pas son rôle. Le sondage IFOP du 6 décembre 1998, qui
fait état de 82 % de Français favorables au « service minimum », est très
révélateur de cet état d'esprit.
Les usagers font preuve d'une sensibilité accrue dans une société complexe où
le secteur des services devient prédominant et l'usager des services publics
devient un « consommateur de services ». Il est rare de trouver aujourd'hui
dans le discours des entreprises publiques la référence à l'usager ou à la
continuité du service.
Au demeurant, certains services sont essentiels à la vie de la nation : à la
suite des dernières coupures de courant effectuées en 1988, les agents d'EDF
ont pris conscience que l'électricité était maintenant considérée comme un bien
« vital » et qu'il devenait impossible de l'interrompre sans générer des
réactions violentes de la part des usagers.
Jusqu'à une date récente, peut-être les transports en commun étaient-ils
considérés comme moins essentiels par l'opinion publique. Les sentiments
contradictoires que peuvent susciter les grèves dans les transports publics
tiennent au fait que, dans un premier temps, les usagers ont pensé qu'il
existait des moyens de circulation alternatifs. Or, les grèves de 1995 ont bien
montré qu'en région parisienne, par exemple, il n'en était rien du fait de la
saturation du réseau routier. La crise de confiance des usagers de banlieue à
l'égard des transports en commun est donc aujourd'hui durable.
Ensuite, l'émergence de la concurrence dans les services publics constitue
indéniablement un facteur de modération du nombre de grèves.
Ainsi, en matière de transport aérien, la disparition du monopole d'Air France
entraîne un changement d'état d'esprit des usagers qui deviennent des clients
prêts à changer de compagnie en cas d'interruption du trafic. En ce domaine, le
« service minimum » est constitué par l'offre de la concurrence.
L'ouverture des monopoles à la concurrence est un puissant facteur d'aide à la
prévention des conflits.
Enfin, la perspective de la construction d'une Europe sociale va poser dans
des termes nouveaux l'application du principe de continuité des services
publics.
Comme le montre l'étude du service des affaires européennes du Sénat, la
situation de la France apparaît relativement atypique par rapport à nos
principaux partenaires chez lesquels, sauf en Espagne ou au Portugal,
l'organisation du service minimum est négocié avec les partenaires sociaux.
Reçu par votre rapporteur, M. Jacques Delors met l'accent sur les différences
entre une culture latine, à laquelle se rattachent la France, l'Italie et
l'Espagne, qui fait de la grève un moyen d'expression des conflits sociaux, et
une culture nordique, plus pragmatique pour laquelle l'essentiel est que la
grève s'articule sur un véritable processus de négociation. C'est ainsi qu'en
Allemagne, la grève n'est possible que pour conclure et faire appliquer des
conventions collectives.
La négociation collective au niveau communautaire commence à acquérir une
certaine substance depuis l'intégration des accords signés par des partenaires
sociaux européens dans le processus d'élaboration des normes.
Dans la perspective de la mise en oeuvre de l'Europe sociale, la
reconnaissance des droits des salariés, en particulier dans les services
publics, doit aller de pair avec de plus grandes exigences en matière de
continuité du service public. C'est la démarche européenne qui permettra de
mettre fin aux insuffisances et aux « archaïsmes » du dialogue social dans les
services publics en France.
Dans ce contexte, le protocole d'accord qui a été mis en place à compter du 11
juin 1996 à la RATP montre la voie à suivre puisqu'il a permis de réduire le
nombre de préavis de grève de huit cents par an dans les années quatre-vingt à
un peu moins de deux cents par an actuellement.
En facilitant la réponse à des réclamations se rapportant à la vie quotidienne
des agents de conduite qui risquaient, auparavant, de déboucher sur une grève,
faute de négociations, l'alarme sociale semble atteindre son but.
La procédure mise en place à la RATP montre que, si la direction et les
partenaires syndicaux se donnent pour objectif de régler les difficultés sans
recourir d'emblée à la grève, le climat social dans l'entreprise s'améliore au
bénéfice des salariés de cette entreprise et des usagers.
Afin de mettre fin à la « culture de la grève », l'accent doit donc être mis
en priorité sur les procédures de prévention des conflits.
Adopté le 11 février 1998 par la section du travail du Conseil économique et
social, l'avis de M. Guy Naulin, qui a été utile à votre rapporteur, insiste
opportunément sur la nécessité de développer des procédures d'alerte et
d'alarme sociale.
Dans ces conditions, la commission a décidé de substituer au texte de M.
Arnaud un dispositif à trois étages.
Le premier étage consiste à favoriser l'institution de procédures de
prévention des conflits.
Le dispositif ferait appel à la négociation collective et ne serait donc pas
applicable aux fonctionnaires régis par un statut.
Le mécanisme serait celui d'un « appel à négocier », similaire au texte prévu
pour mettre en oeuvre la réduction du temps de travail.
Les partenaires sociaux et la direction des organismes privés chargés d'un
service public seraient « appelés à négocier », dans un délai d'un an, un
accord collectif relatif à la mise en oeuvre de procédures destinées à
améliorer le dialogue social et à prévenir, le cas échéant, le déclenchement de
grèves grâce à des procédures de conciliation.
La commission considère que tout service public doit se doter d'un accord en
bonne et due forme prévoyant les procédures d'alerte, de dialogue et de
transparence propres à prévenir le recours à la grève.
Le deuxième étage vise à améliorer la procédure du préavis obligatoire en
donnant plus de sens à « l'obligation de négocier » prévue par les lois Auroux
de 1982.
Cette mesure concerne l'ensemble des fonctionnaires et des personnels des
entreprises chargés de la gestion du service public.
La durée du préavis est portée à sept jours au lieu de cinq, afin de tenir
compte du week-end. La pratique des « préavis glissants » est proscrite par la
généralisation d'une disposition dont l'application était limitée en 1979 au
secteur audiovisuel.
Le contenu de l'obligation de négocier serait formalisé en s'inspirant des
dispositions mises en place par le protocole d'accord du 11 juin 1996 conclu à
la RATP.
L'autorité hiérarchique ou la direction de l'établissement devrait tenir une
réunion avec les auteurs du préavis dans les cinq jours à compter de la
réception de celui-ci.
En cas de désaccord à l'issue de la négociation, un document mentionnant les
revendications à l'origine du préavis et les dernières propositions soumises
par la direction au cours de la réunion devrait être établi en commun par la
direction et les organisations syndicales.
Ainsi, une impulsion nouvelle serait donnée dans l'ensemble du secteur public
à une démarche de responsabilisation des différentes parties prenantes en cas
d'annonce d'un conflit collectif.
Le troisième étage tend à permettre la connaissance et le suivi de la
conflictualité dans le secteur public.
Le Gouvernement serait appelé à présenter, dans un délai de deux ans, un
rapport qui dresserait l'état des grèves et interruptions du service public,
ainsi que le bilan des accords collectifs prévus par la loi et destinés à
améliorer le dialogue social et à prévenir le déclenchement des conflits.
Etabli en consultant les différentes catégories d'usagers, ce rapport devrait
permettre, en outre, d'établir les critères de représentativité des
associations.
Il pourrait également présenter le bilan des mesures prises par les
entreprises gestionnaires d'un service public pour rendre compatible le
principe de continuité des services publics avec le respect du droit de grève
et faire en sorte, à l'instar d'EDF, que les salariés puissent exprimer leur
mécontentement sans pour autant prendre le public en otage.
Si ce rapport faisait notamment apparaître un constat de carence, tant de la
tutelle que des dirigeants de ces entreprises et des responsables des
organisationssyndicales, le Parlement serait alors pleinement légitimé à
proposer la mise en place, par voie législative ou réglementaire, du principe
de continuité des services publics avec toutes ses conséquences.
Appel à la négociation, mesures concrètes ayant trait au préavis pour
favoriser le temps du dialogue, évaluation des résultats obtenus, telle a été
la démarche retenue par la commission. A l'issue de cette étape, il
appartiendrait alors au législateur de tirer, le cas échéant, les conséquences
de la carence du service public à se réformer.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Guy Allouche au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le président, monsieur le président de la
commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs,
légiférer sur le droit de grève des agents des services publics, voilà,
permettez-moi de vous le dire, un thème récurrent et quelque peu usé, me
semble-t-il : régulièrement des voix s'élèvent, toujours du même côté
d'ailleurs - pour parler de cet hémicycle, de la partie qui se situe à ma
droite - et de préférence quand elles sont dans l'opposition, à chaque fois que
des grèves touchent le secteur public.
Je vous épargne la liste des propositions intervenues en la matière et la
citation, toujours éclairante, des déclarations, beaucoup plus modérées, faites
sur ce thème par ces mêmes voix lorsqu'elles étaient aux responsabilités.
Il faut bien constater que la réponse aux difficultés que peut susciter
l'usage du droit de grève dans le service public ne réside pas dans une
solution législative univoque et contraignante. M. le rapporteur l'a d'ailleurs
constaté lors des auditions auxquelles il a été procédé. Il a tenté d'en tirer
les conséquences en modifiant substantiellement le texte initial, mais il n'est
pas parvenu, malgré ses efforts, à lever la confusion qui règne en la
matière.
En effet, de quoi s'agit-il ici ? S'agit-il d'encourager la mise en place de
mécanismes de prévention des conflits, reposant sur un dialogue social
constructif ? S'agit-il d'instituer un service minimum immédiatement, comme le
prévoyait la proposition de loi initiale ? Ou bien encore s'agit-il de faire
peser la menace d'une intervention ultérieure du législateur sur le service
minimum en cas de carence du dialogue social et d'échec des solutions négociées
?
Cette troisième hypothèse n'est pas inscrite de manière explicite dans le
texte, mais elle apparaît très clairement dans le rapport.
Mme Nicole Borvo.
Tout à fait !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
J'ajoute que ce texte, même s'il a été modifié,
s'inscrit dans la continuité d'une proposition de loi présentée par M. Arnaud
et par un certain nombre de sénateurs, qui, dans sarafraîchissante brièveté,
posait très clairement les intentions : il s'agissait d'instaurer un service
minimum partout. Ainsi, des voix s'élèvent, ici ou là, pour réclamer le service
minimum, et cette idée doit séduire certains puisque, à l'Assemblée nationale,
M. de Villiers a déposé un texte identique.
Que recherchent ceux qui prennent cette initiative ? Veulent-ils le
développement d'une politique contractuelle confiante ou préfèrent-ils des
effets d'annonce résultant de la perspective d'une intervention législative qui
provoquera inévitablement plus de conflits et bloquera les évolutions en cours
qui, vous avez bien voulu le souligner, existent et sont importantes et
positives ?
La réponse me semble évidente et c'est pourquoi je ne peux que m'opposer, au
nom du Gouvernement, à cette initiative qui repose sur une approche simpliste
et, selon moi, imprudente de la question de l'exercice du droit de grève dans
les services publics, mais je suis aujourd'hui dans cet hémicycle pour en
discuter avec votre assemblée.
Monsieur le rapporteur, quelle est l'idée qui sous-tend votre approche ? C'est
de présupposer que les services publics seraient incapables de tenir compte des
besoins de l'usager, contrairement au secteur privé, paré de toutes les vertus,
même s'il en a. C'est l'idée que les agents du service public et leur
représentants, attachés à la seule défense de leurs intérêts catégoriels,
feraient volontairement échec à la mise en place de mécanismes de prévention
des conflits.
Ces procès sont caricaturaux. Nous ne souscrivons absolument pas à ce genre de
démarche, dont nous avons encore, ces jours-ci, quelques illustrations avec le
dénigrement de la fonction publique,...
M. Guy Fischer.
C'est bien vrai !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
... que certains tentent d'ailleurs de réactiver à
l'occasion du débat sur le temps de travail dans la fonction publique.
Pour autant, il faut prendre au sérieux les reproches qui peuvent être
formulés à nos services publics lorsqu'ils sont fondés, y apporter des réponses
adaptées, ce que le Gouvernement s'attache à faire au quotidien à travers la
politique de modernisation, la déconcentration, le développement de
l'évaluation des politiques publiques et la promotion du dialogue social.
Permettez-moi de rappeler que nombre d'initiatives fortes en matière de
modernisation des services publics sont l'apanage des majorités de
gauche,...
M. Guy Fischer.
C'est un fait !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
... qu'il s'agisse de la décentralisation en 1982, à
laquelle le Sénat se montre désormais très attaché, de la déconcentration en
1992, que plus personne ne conteste,...
M. Guy Fischer.
C'est un autre fait !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
... ou de l'évaluation des politiques publiques en 1990,
enterrée par le gouvernement de M. Juppé, pourtant si préoccupé d'« efficacité
managériale », et que je viens de relancer et d'améliorer parce que cela
correspond à un besoin réel et profond de notre pays.
Le Gouvernement, pour sa part, se refuse à jeter l'anathème sur les agents des
services publics et sur les services publics eux-mêmes. Il s'attache à obtenir
l'adhésion et la participation des hommes et des femmes qui font le service
public à une réforme dont l'objectif premier - c'est un point d'accord entre
nous - est de placer l'usager au coeur de notre système administratif et
d'organiser les services publics en fonction de ses besoins. C'est pourquoi je
ne peux accepter une approche par trop idéologique, et peut-être parfois
démagogique, du droit de grève dans les services publics.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
C'est du niveau d'un
préau d'école !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
La proposition de M. le rapporteur, rendons-lui hommage,
opère une synthèse quelque peu acrobatique entre la prise en compte de la
réalité des progrès accomplis depuis quelques années en matière de prévention
des conflits - et vous vous y êtes longuement attardé, à juste titre d'ailleurs
- et l'objectif initial de la proposition de loi qui est de restreindre le
droit de grève des agents publics.
M. Philippe Nogrix.
Non !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Votre proposition de loi, monsieur le rapporteur,
d'apparence équilibrée, me semble pourtant superflue. En effet, si vous voulez
inciter au dialogue social et à la mise en oeuvre concertée de mécanismes de
prévention des conflits, il n'est pas nécessaire de légiférer et d'instaurer
une contrainte légale.
Cette proposition de loi sera contre-productive parce qu'elle repose sur une
méconnaissance assez forte des mécanismes du dialogue social et place la
négociation de mécanismes de prévention des conflits sous la menace d'une
intervention législative, qui serait en définitive la partie concrète, j'oserai
dire « utile », de ce texte, et qui ne pourra que compromettre l'évolution en
cours dans la plupart des entreprises publiques.
Il est évidemment hautement souhaitable d'encourager la mise en place de
systèmes de prévention des conflits. Je l'ai déjà indiqué devant le Parlement,
Mme Aubry et M. Gayssot l'ont également souligné. Des systèmes d'alerte ont été
institués à la RATP voilà deux ans, ou à Air France l'été dernier. Ils
permettent de traiter les litiges en amont par la concertation. La direction de
la SNCF et les organisations syndicales semblent prêtes à débattre sur ce
thème. Les dispositifs existants fonctionnent bien parce qu'ils ont été mis en
place dans le cadre d'une négociation contractuelle, libre, parce qu'ils
reposent sur le sens des responsabilités des partenaires sociaux pour préserver
les intérêts de l'usager ou du client. Ils fonctionnent bien parce qu'ils ne
restreignent pas unilatéralement les droits des agents et qu'ils ont été
consentis dans un climat de transparence et de confiance.
A ce titre, l'article 1er, qui institue une invitation à négocier, pourrait
paraître raisonnable. Il l'est moins, je le répète, dès lors qu'il fixe une
échéance impérative qui ne permettra pas de prendre en compte les spécificités
du dialogue social propres à chaque structure. L'article 2 illustre, pour sa
part, une certaine méconnaissance des mécanismes des relations sociales. Il est
bien évident que rallonger la durée du préavis et, surtout, imposer un constat
écrit des désaccords est de nature, contrairement à l'objectif affiché, à
attiser les conflits, à « braquer », à bloquer les partenaires sociaux sur des
positions écrites qui ne pourront être amendées qu'après le déclenchement de la
grève. Bref, c'est risquer de conduire plus à dessurenchères qu'à un apaisement
du conflit. A la RATP, exemple déjà largement cité, c'est en amont du préavis
que s'établit le dialogue, et non après son dépôt.
Dans le même sens, l'article 3 traduit clairement l'intention initiale des
auteurs de cette proposition de loi : il s'agit bel et bien de préparer le
terrain d'une intervention du législateur sur le service minimum.
Mme Nicole Borvo.
Bien sûr !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Le Gouvernement ne peut évidemment vous suivre. Il
considère, je le rappelle, que le droit de grève est un acquis qui ne peut être
remis en cause par la loi. Aussi la majorité actuelle, aujourd'hui comme hier,
s'est-elle toujours refusée à l'institution par la loi d'un service minimum, et
s'en tient à cette attitude responsable.
D'ailleurs, votre commission a parfaitement compris les difficultés que
soulève cette notion de service minimum. Ce n'est pas, vous le constatez
vous-même et vous l'avez développé, la solution miracle pour trouver un juste
milieu entre principe de continuité et droit de grève. C'est effectivement,
désormais, un pis-aller qui ne saurait constituer une réponse adaptée aux
besoins des usagers. D'ailleurs, très concrètement, et au-delà des secteurs où,
parce qu'il était possible et efficace, parce qu'il avait un sens et,
disons-le, parce qu'il était très largement consenti, il a d'ores et déjà été
mis en oeuvre soit par la loi, soit par des dispositions réglementaires, soit
par la concertation. Hormis ces cas, l'institution d'un service minimum
soulèverait des difficultés pratiques insurmontables, notamment dans les
services de transport en commun, sauf à remettre en cause, avec un risque
constitutionnel important, le droit de grève de la grande majorité des agents
de ces services publics.
Je note d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, que c'est bien ce que
pense l'opposition quand elle est aux affaires et qu'elle s'est toujours bien
gardée de légiférer en la matière.
Le Gouvernement est favorable, vous le savez, à laisser aux partenaires
sociaux, dans un cadre librement consenti, le soin de définir les régimes
pratiques de prévention des conflits. C'est pourquoi il ne peut être que
défavorable en tous points au texte qui est examiné aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France
est fière, à juste titre, de ses services publics. De nombreux pays étrangers
partagent cette opinion, consultent notre pays et demandent des missions pour
moderniser leurs propres organisations.
Mais le monde évolue rapidement et les services publics, comme les services
privés, doivent évoluer avec lui pour ne pas devenir obsolètes et pour rester
performants. De plus, certains services, comme l'électricité, qui jouissaient
jusqu'à présent d'un monopole de fait, sont amenés à devenir concurrentiels à
la suite de modifications de notre société et à se transformer radicalement
pour survivre.
Le caractère général et collectif des services publics oblige toujours ces
derniers à une certaine continuité, dont dépendent bien souvent la santé et la
sécurité des personnes et des biens. Cette nécessité est de plus en plus
reconnue avec le développement de l'interdépendance du monde moderne,
interdépendance à tous les niveaux : international, national, régional, urbain,
familial, etc. Il peut aussi en résulter qu'une interruption, si justifiée
puisse-t-elle être, d'un service même limité, entraîne des conséquences graves,
sans aucune mesure avec les causes ou les revendications initiales.
Cette continuité de fonctionnement se heurte bien évidemment au droit de
grève. Examinons comment nos partenaires, de l'Union européenne en particulier,
ont réagi face à cette difficulté.
Certains pays interdisent le droit de grève à leurs fonctionnaires, comme aux
militaires et aux forces de police. D'autres ont établi des règles
particulières de préavis ou des procédures de négociation destinées à
restreindre les grèves.
Mais la formule à laquelle on a de plus en plus recours consiste à garantir un
service minimum pour les activités considérées comme essentielles ; cet aspect
essentiel peut être défini par des textes législatifs, par la coutume ou par la
jurisprudence ; quant à l'organisation du service minimum, elle fait l'objet
d'accords entre les partenaires sociaux, qui peuvent l'intégrer dans les
conventions collectives.
Il semble bien que le moment soit venu pour notre pays de légiférer sur ce
sujet. En effet, seules la radio-télévision et la navigation aérienne font
l'objet, en France, d'une loi instaurant un service minimum, les établissements
hospitaliers, les installations nucléaires, la météorologie faisant pour leur
part l'objet d'une certaine jurisprudence. Or, bien d'autres domaines sont
concernés.
On assiste du reste actuellement à une recrudescence de mouvements de grève
dans les services publics français, mouvements intervenant de manière souvent
subite, sans respect des délais habituels ni des conditions prévues dans les
contrats. La banalisation de la grève comme moyen d'expression, la création
d'une culture de grève constituent bien évidemment des tendances auxquelles il
convient de remédier.
La première étape préventive pourrait consister à réagir en définissant de
façon précise le contenu de l'obligation des négociations préalables. La
deuxième étape, assurant la continuité, se référerait à un service minimum en
cas de carence des partenaires sociaux. Ces étapes sont précisément celles que
le Président de la République, M. Jacques Chirac, préconisait le 4 décembre
dernier, dans son discours de Rennes.
Aussi, je voterai la proposition de loi qui nous est présentée par la
commission des affaires sociales.
Je terminerai en rappelant que, le 9 décembre 1995, lors de la grève de la
SNCF et de la RATP, notre ancien collègue M. Jacques Habert avait précisément
présenté, à l'occasion de la discussion en deuxième lecture d'un projet de loi
relatif aux transports, un amendement analogue en faveur d'un service public
minimum, amendement que j'avais soutenu mais qui n'avait pas été retenu par la
Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente
proposition de loi a été déposée en juin 1998, c'est-à-dire hors de tout
contexte immédiat de grève d'envergure dans un service public. Elle fait
néanmoins suite à une longue série de propositions de loi déposées par des
parlementaires de la majorité sénatoriale en vue de limiter l'exercice du droit
de grève dans les services publics, particulièrement dans les services de
transports de voyageurs, en utilisant divers procédés.
En fait, la proposition de loi est très simple dans sa version initiale. Elle
vise à instaurer, en cas de grève dans la fonction publique d'Etat, dans la
fonction publique territoriale ou dans une entreprise publique chargée de la
gestion d'un service public, « un service minimum destiné à maintenir la
continuité du service public ».
En l'état, il s'agit donc, pour la majorité sénatoriale, d'obtenir un effet
d'affichage en utilisant, par exemple, le résultat d'un récent sondage selon
lequel 80 % des Français seraient favorables à l'instauration d'un service
minimum, sans autre précision.
Il est de fait que, depuis dix ans, le nombre de jours de grève a diminué de
plus d'un million. Il est exact que la plupart de ceux-ci sont comptabilisés
dans le secteur public dont les salariés n'ont pas à craindre le chômage et la
précarité, et que c'est à la SNCF qu'ont encore lieu le plus grand nombre de
jours de grève. Sans doute faut-il raisonnablement voir dans cet état de fait
regrettable le résultat d'une carence passée du dialogue social dans cette
entreprise, et ne pas en tirer de conséquences aussi hasardeuses qu'agressives
en direction de l'ensemble du service public. D'ailleurs, le président de la
SNCF lui-même a reconnu la nécessité de développer le dialogue au sein de
l'entreprise et n'a pas demandé, pas plus que son représentant, lors des
auditions de la commission des affaires sociales, le 20 janvier dernier,
d'intervention du législateur.
Les conclusions déposées par le rapporteur au nom de la commission des
affaires sociales du Sénat sont très différentes du texte initial et
s'efforcent à beaucoup plus d'habileté. Elles tiennent compte de l'évolution de
l'environnement économique et social, largement décrit lors des auditions de
syndicalistes et de dirigeants d'entreprises publiques. Pour autant, elles ne
sont pas acceptables par le groupe socialiste.
En effet, du côté tant patronal que syndical, nul ne s'est risqué à demander
au législateur de prévoir l'instauration d'un service minimum. Plusieurs
intervenants représentant les directions ont même dit clairement ne pas
souhaiter la moindre intervention législative en ce qui concerne l'exercice du
droit de grève. L'idéologie et les effets d'annonce sont donc rejetés par les
dirigeants d'entreprise eux-mêmes.
A l'inverse, il apparaît que les entreprises publiques ont réalisé des efforts
importants en matière de dialogue social, ce qui a permis aux représentants
auditionnés de décrire les modalités adoptées de façon négociée par chacune
d'entre elles pour assurer la continuité du service public tout en respectant
l'exercice du droit de grève.
La compagnie Air France, par exemple, constatant au demeurant la nouvelle
situation de concurrence à laquelle elle est confrontée, refuse la notion de
service minimum, qui ne correspond pas aux attentes de la clientèle et ne peut
être géré. La compagnie a négocié un accord global pluriannuel, qui
contractualise la prévention des conflits avec les pilotes. Pour le personnel
au sol, la concertation avec les syndicats est plus difficile, mais la
négociation relative à la réduction du temps de travail permettra de régler ce
problème.
Electricité de France, qui a des obligations en matière de sécurité nucléaire,
fait appel en cas de grève aux moyens de production en fonction de leur coût.
L'entreprise a mis au point, voilà dix ans, par notes internes, un système de
message pour enrayer les baisses de charge, voire remonter le niveau de la
production en cas de grève importante. Les grévistes sont présents dans les
salles de contrôle, où ils assurent les obligations en matière de sécurité et
répondent à ces messages.
La Poste, depuis l'arrêt de la Cour de cassation du mois de mai 1998, ne
recourt plus à des salariés intérimaires ou sous contrat à durée déterminée.
Seuls les receveurs et cadres peuvent constituer un personnel en cas de grève.
La Poste mène aujourd'hui une action préventive de dialogue social et a négocié
un accord sur le droit syndical. En cas de grève, la liberté du travail est
respectée, sous peine de sanction et de recours au référé et à l'astreinte. Les
syndicats ont aussi évolué, notamment en prenant en compte le nouveau contexte
de fin du monopole sur le courrier des entreprises. Le nombre de jours de grève
est en baisse constante, et les grèves surprises ont pratiquement disparu.
M. Nicolas About.
Heureusement !
Mme Gisèle Printz.
La RATP a élaboré un protocole, fondé sur l'idée de dialogue et de qualité du
service, qui permet une alarme sociale. Cinq jours avant le départ du préavis,
les parties ont obligation de se rencontrer et de dialoguer, et l'accord ou le
désaccord constaté doit être motivé. Cela a permis de mettre fin aux grèves
partielles aux heures de pointe, sauf, bien entendu, en cas d'agression, et
d'assurer les retours nocturnes. A la RATP, on ne peut faire fonctionner un
service minimum pour au moins deux raisons : d'une part, la sécurité des
voyageurs à l'évidence et, d'autre part, le fait qu'aux heures de pointe le
service est de toute façon maximum.
Au sein de la SNCF, depuis la grande grève de décembre 1995, un programme
réduit de circulation est prévu en cas de grève d'ampleur nationale. Les trains
Eurostar, Thalys et les TGV fonctionnent de manière presque normale. Les autres
lignes sont desservies par un tiers des trains prévus au moins. Les obstacles à
la liberté du travail font là aussi l'objet de sanctions et de retenues sur
salaires.
M. Nicolas About.
Et les banlieues ?
(Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Gisèle Printz.
Au total, la question de la continuité du service public se pose donc surtout
à la SNCF, particulièrement sur les réseaux Ile-de-France et Sud-Est. Cela
constitue un faible prétexte pour tenter de bouleverser à la fois la
législation et le délicat équilibre global obtenu par la négociation pour
préserver les droits des usagers !
Du côté syndical, on constate une opposition ferme et générale à
l'instauration d'un service minimum légal qui remettrait en cause le droit de
grève. La continuité du service public, que nul ne méconnaît dans une optique
de responsabilité, doit faire l'objet de négociations collectives dans
l'entreprise.
Aussi, conscient du fait que le service minimum risque d'être considéré comme
mettant en cause le droit de grève, ce qui signifierait des difficultés pour la
majorité sénatoriale, M. le rapporteur nous propose aujourd'hui ce texte
volontairement ambigu. En effet, ce dernier est à l'opposé de l'objectif
initial manifeste des auteurs de la proposition de loi d'agression contre le
service public et ses agents, implicitement accusés d'incompétence et de
mauvaise volonté, alors que la privatisation et la mise en concurrence seraient
la voie tout indiquée. En outre, il est privé de sens et parfaitement superflu
à la fois parce que les partenaires sociaux dans les entreprises préfèrent des
solutions pragmatiques et parce que l'obligation d'utiliser le temps de préavis
pour négocier est déjà prévue par la loi depuis 1982.
L'article 1er de la proposition de loi tend à appeler les entreprises et
organismes chargés de la gestion d'un service public à négocier, dans le délai
d'un an, un accord en vue d'améliorer le dialogue social et de prévenir le
déclenchement des grèves.
Tout ce qui nous est proposé aujourd'hui est la mise en oeuvre de ce qui est
déjà en vigueur dans les grandes entreprises publiques. Au demeurant, la
formule vague selon laquelle les partenaires sociaux « sont appelés » est
dépourvue de sens juridique, ce qui ne peut avoir échappé à la sagacité de M.
le rapporteur. Cet article est donc sans objet.
Il est infiniment préférable de faire confiance aux partenaires sociaux,
représentants tant des employeurs que des salariés, et à leur sens des
responsabilités pour préserver les intérêts de l'entreprise et les droits des
usagers et des clients.
L'article 2 nous apparaît comme une motion de défiance à l'encontre des
partenaires sociaux, à l'inverse de ce qu'avait voulu la loi Auroux de 1982. Il
n'est pas décisif que la durée du préavis soit augmentée de deux jours. Si
cette proposition est en elle-même relativement anodine, elle révèle cependant
la méconnaissance de ses auteurs du monde de l'entreprise. (
M. le rapporteur
rit.
) La négociation est d'abord un état d'esprit, un climat à établir,
fondé sur la transparence. C'est donc bien en amont d'un préavis de grève que
ce climat s'établit ; mais, à l'évidence, cela ne peut se faire de manière
contrainte, comme le prévoit l'article 1er.
Le deuxième alinéa de l'article 2 ne fait que tenter une généralisation
contrainte du dispositif actuellement en place à la RATP, dispositif qui n'est
pas nécessairement transposable, même s'il est particulièrement intéressant.
L'article 3, enfin, est totalement superflu, mais il permet à la majorité
sénatoriale de réaliser un geste démagogique en direction des associations
d'usagers, dont la représentativité demeure difficile à apprécier.
Au total, malgré les efforts et l'habileté déployés par le rapporteur de la
commission des affaires sociales pour lui donner un aspect plus « présentable
», ce texte purement démagogique dissimule encore mal la volonté de la partie
la plus réactionnaire de la droite...
M. Jean-Paul Bataille.
Demandez aux usagers !
Mme Gisèle Printz.
... de s'attaquer par tous les moyens au droit de grève des salariés.
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Nous pensons qu'il est préférable de favoriser le dialogue et la
négociation constructive dans l'entreprise.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Nous aussi !
Mme Gisèle Printz.
La grève demeure, ne vous en déplaise, un droit constitutionnel auquel nous
sommes profondément attachés.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Nous aussi !
Mme Gisèle Printz.
Elle doit être l'ultime moyen de résoudre un conflit, mais elle est - je le
dis pour l'avoir vécu en tant que syndicaliste - le tout dernier recours des
salariés pour faire aboutir leurs revendications et faire respecter leurs
droits et leur dignité. C'est pour cette raison que le groupe socialiste votera
contre ce texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès qu'une
grève paralyse un ou plusieurs services publics, l'idée d'un service minimum
resurgit immédiatement, tant l'exaspération monte parmi les usagers, qui
condamnent de plus en plus massivement la technique de prise en otage d'une
clientèle déjà captive en raison du caractère souvent monopolistique du
service.
(Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Nicole Borvo.
Nous y voilà !
M. Jean Chérioux.
C'est la vérité ! Il ne faut pas vous énerver comme cela !
M. Pierre Hérisson.
On a le sentiment, dans certains cas, que faire grève, c'est d'emblée
appliquer une chirurgie lourde...
M. Guy Fischer.
Allez voir en Angleterre !
M. Pierre Hérisson.
... à des maux de l'entreprise alors qu'une simple aspirine aurait suffit. En
effet, trop souvent, la grève est déclenchée sans qu'il y ait eu un véritable
dialogue dans l'entreprise sur les revendications avancées.
M. Pierre Lefebvre.
La faute à qui ?
M. Pierre Hérisson.
La médiatisation de la grève est recherchée et l'on veut frapper l'opinion.
A la décharge des salariés, il est vrai que, dans certaines entreprises ou
services publics, c'est le seul moyen d'ouvrir une discussion avec la
direction.
M. Jean Chérioux.
Il fallait attendre la fin : vous voyez !
M. Pierre Hérisson.
Au fil des années, de nombreuses propositions de loi ont été déposées,
prévoyant l'instauration d'un service minimum dans les services publics. En
fait, aucune d'entre elles n'a abouti jusqu'à présent de manière satisfaisante,
car on s'est aperçu que l'imposer aux entreprises publiques, notamment de
transport, relevait apparemment de la mission impossible, tant les obstacles
sont multiples.
Ceux-ci sont de nature juridico-politique, d'abord, puisqu'on toucherait à un
droit inscrit dans la Constitution ; ils sont techniques, ensuite, quand, par
exemple, pour les transports, sur certaines lignes saturées de la région
parisienne, le service minimum équivaut déjà à un minimum incompressible ; ils
sont aussi psychologiques, quand les grévistes ne veulent pas entendre qu'ils
pénalisent les autres travailleurs, qu'ils font fuir une clientèle...
Mme Nicole Borvo.
Oh !
M. Pierre Hérisson.
... qui, pendant les grèves des transports collectifs - et souvent après -
reprend son véhicule, avec les conséquences que l'on connaît sur
l'environnement notamment.
Mme Nicole Borvo.
Oh !
M. Pierre Hérisson.
Il s'agit, en réalité, d'un rapport de forces, car tant qu'un groupe peut
utiliser la grève sans discernement - mais aussi sans risque - en occupant
ainsi une position privilégiée, pourquoi s'en priverait-il ?
Il n'est évidemment pas acceptable que les services publics aient le triste
record des journées de grève qui paralysent en quelques heures toute l'activité
d'une agglomération, quand elles n'affectent pas la France tout entière, et
surtout lorsque ces grèves se répètent chaque année.
(Mme Borvo proteste.)
Le service minimum est extraordinairement difficile à assurer. C'est la
raison pour laquelle, jusqu'à aujourd'hui, en France, il n'existe que de façon
ponctuelle.
Cependant, il faut faire évoluer la situation et répondre au principe de
continuité du service public, comme l'ont fait la plupart de nos voisins
européens. C'est ce que réclament plus de 80 % des Français, monsieur le
ministre.
Seuls deux services publics ont fait l'objet, jusqu'à présent, de lois
instaurant un service minimum : la radio-télévision publique, ainsi que la
sécurité et la navigation aériennes.
Par ailleurs, un arrêté ministériel précise les services prioritaires pour
lesquels l'alimentation en électricité doit être maintenue.
Dans les autres services publics, les établissements hospitaliers, par
exemple, le service minimum résulte résulte de la jurisprudence.
Tous les pays qui reconnaissent le droit de grève sont confrontés au même
problème de conciliation de ce droit avec la nécessité d'assurer la continuité
de certains services considérés comme essentiels.
Cependant, la plupart des pays de l'Union européenne disposent d'accords
syndicaux ou de dispositions législatives permettant de réguler le droit de
grève, assurant ainsi la pérennité des entreprises et évitant de prendre en
otage l'ensemble des usagers. La France, pour sa part, semble arcboutée sur des
pratiques aujourd'hui dépassées.
L'instauration d'un service minimum pose donc un certain nombre de problèmes
et s'avère difficile à assurer puisque c'est pratiquement le programme complet
aux heures de pointe qu'il s'agit de mettre en place. Il faudrait alors parler
de service total entre certaines heures, par exemple de sept heures à neuf
heures et de dix-sept heures à dix-neuf heures, plutôt que de parler de service
minimum, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, ou bien tout simplement
pour assurer le transport des usagers aux heures de pointe, transport qui
réclame sans aucun doute un service optimal, pour ne citer que ce secteur
d'activité.
Il apparaît alors qu'il faut s'échapper de l'impasse du service minimum pour
négocier plus largement la façon d'utiliser l'arme de la grève.
Il convient déjà de rappeler l'obligation de négocier avant le déclenchement
de toute cessation du travail, de mettre en place des procédures efficaces de
prévention des grèves, en renforçant le dialogue social. Le service minimum
doit pouvoir se négocier par secteur d'activité entre l'ensemble des
partenaires sociaux, au besoin avec l'aide du Médiateur de la République,
garant de la bonne entente entre les services publics et les citoyens, ce qui
permettrait de privilégier la négociation.
Nous pouvons observer que l'ouverture de divers services publics à la
concurrence a été un facteur important de réduction du nombre de grèves. La
construction de l'Europe sociale donnera certainement une impulsion, afin de
mettre un terme à certains archaïsmes du dialogue social, malheureusement
propres à la France.
Viser le minimum de grèves par la prévention des conflits en instaurant un
véritable dialogue social dans l'entreprise devrait être notre objectif idéal,
plutôt que d'imposer un service minimum avec, dans les cas extrêmes, des
réquisitions de personnels.
La grève sert des intérêts particuliers qui ne peuvent primer l'intérêt
général en mettant à mal la liberté du plus grand nombre d'aller et venir, de
travailler, de bénéficier de services indispensables à la vie quotidienne. Le
service minimum négocié doit pouvoir concilier l'ensemble des intérêts.
Puisque nous approchons du renouvellement du Parlement européen, j'en profite
pour dire que le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui démontre, s'il en était
besoin, l'urgence - après la monnaie unique - de parvenir à une harmonisation
des règles sociales et fiscales...
Mme Nicole Borvo.
Vers le bas !
M. Pierre Hérisson.
... dans l'ensemble des pays de la Communauté. Même si la concurrence
économique demeure entre les pays européens, ce qui est sain, on ne peut
imaginer que s'immisce une concurrence malsaine du fait de l'absence de règles
communes sur le plan social et fiscal.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Madame Borvo, je vous indique que, à Marseille, on a fait grève hier pour
agression verbale. Mieux vaut ne pas venir voir dans les assemblées
parlementaires !
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1998, la
SCNF a connu 180 000 journées de grève, soit un jour de grève par agent. Avec
moins de 1 % de la population active, la SNCF a totalisé 40 % des jours de
grève en France l'année dernière !
Certains rétorqueront qu'il s'agit là d'une année exceptionnelle. On a
l'exception qu'on peut ! Malheureusement, ce n'est pas le cas, car, en 1997,
dans le secteur des transports, près des deux tiers des jours de grève étaient
le fait des agents de la RATP et de la SNCF !
En 1996 et en 1995, le secteur public, qui représente environ le quart de la
population active, a été à l'origine des deux tiers des conflits sociaux !
Pour George Orwell, la conclusion s'impose : « Si chacun dispose d'un droit
égal à faire grève, certains sont plus égaux que d'autres en la matière. »
Interpellé sur ce sujet, le Gouvernement s'est posé en défenseur
inconditionnel du droit de grève, oubliant ces inégalités flagrantes qui
caractérisent l'exercice de ce droit en pratique.
Certains peuvent ainsi impunément perturber la vie de centaines de milliers de
personnes et obtenir des avantages que d'autres, n'ayant pas ce pouvoir de
nuisance, n'obtiendront jamais. La continuité du service public, principe
fondamental de notre droit, est bafouée sansvergogne.
Cet abus de droit est inadmissible, comme l'a rappelé le Président de la
République à Rennes, le 4 décembre dernier : « Il est inacceptable que les
services publics aient le triste monopole de grèves qui paralysent en quelques
heures toute l'activité d'une agglomération, quand elles n'affectent pas la
France entière. C'est le symptôme des défaillances de notre dialogue social.
C'est aussi bien souvent l'aveu d'une démission de l'Etat. »
L'Etat a, en effet, une responsabilité majeure dans la poursuite de ces excès.
Si le préambule de notre Constitution dispose que « le droit de grève s'exerce
dans le cadre des lois qui le réglementent », lesdites lois, disons-le, sont
bien timides et fixent un cadre on ne peut plus lâche.
Si la grève est un droit, il est urgent qu'elle redevienne uniquement l'arme
ultime des salariés dans les négociations sociales et qu'elle cesse d'être un
instrument de chantage dont les clients et les usagers sont les otages.
L'opinion publique n'accepte plus que le service public ne joue pas son rôle :
selon un sondage IFOP du 6 décembre 1998, 82 % des Français sont favorables au
service minimum.
La situation de notre pays est d'ailleurs unique en Europe. Tous les pays de
l'Union européenne ont mis en place une réglementation idoine et aucun d'eux ne
s'est vu, que je sache, reprocher d'attenter au droit de grève.
Ainsi, en Allemagne, les cheminots n'ont pas le droit de grève et, dans les
autres entreprises chargées d'un service public, il existe un service minimal.
Les grévistes eux-mêmes ont l'obligation d'organiser des travaux de continuité
et d'urgence.
En Italie, la grève est interdite dans les transports lors des périodes de
fêtes et pendant les départs et rentrées de vacances estivales. Les transports
en commun sont tenus d'assurer un service minimum le matin et le soir, pour
permettre aux usagers de se rendre sur leur lieu de travail et d'en revenir.
En Espagne, l'obligation de service minimum a été instaurée en 1977.
Et je pourrais citer bien d'autres pays, sans oublier la Grande-Bretagne, dont
la législation dans ce domaine est effectivement un peu particulière.
Pour remédier aux carences actuelles de la responsabilité de l'Etat, la
proposition de loi que nous étudions aujourd'hui apporte des réponses
judicieuses, qui devraient être consensuelles.
Entendons-nous bien, tout d'abord, sur la notion de service minimum. Il ne
peut s'agir simplement d'assurer une partie seulement du service. En effet,
dans les transports publics, par exemple, l'affluence est telle aux heures de
pointe qu'un service réduit à 10 %, voire à 50 % du trafic normal, a les mêmes
conséquences, pour la très grande majorité des voyageurs, qu'une grève
complète. Aussi, par service minimum, entend-on, en fait, l'interdiction de la
grève aux heures de pointe, comme cela se pratique dans d'autres pays.
Mme Nicole Borvo.
Voilà, c'est clair !
M. Nicolas About.
Faut-il légiférer immédiatement en ce sens ? Le vide réglementaire est tel
dans notre pays que, avant de recourir à une telle solution, des remèdes visant
à prévenir les conflits méritent d'être expérimentés si on y croit encore.
C'est ce à quoi vise cette proposition de loi.
Ainsi, dans les services publics, les employeurs et les partenaires sociaux
sont appelés à négocier, dans un délai d'un an, les modalités de mise en oeuvre
de procédures destinées à améliorer le dialogue social et à prévenir le
déclenchement de grèves.
En outre, la période de préavis est mieux réglementée, le délai de préavis est
allongé, le recours au « préavis glissant » est interdit, afin d'éviter que la
grève puisse être lancée à n'importe quel moment. Avant tout déclenchement de
grève, employeurs et représentants syndicaux sont tenus de se réunir dans un
délai de cinq jours maximum à compter du dépôt du préavis.
Enfin, le Gouvernement doit présenter au Parlement, dans un délai de deux ans,
un rapport faisant le bilan des grèves dans les services publics, des
négociations prévues par cette proposition de loi et de l'application des
accords conclus en vue de concilier continuité du service public et droit de
grève. En cas d'échec des procédures de prévention des conflits, l'instauration
d'un service minimum obligatoire s'imposera.
Cette proposition de loi mesurée devrait, je le pense, recueillir
l'assentiment le plus large. Elle instaure des procédures de prévention des
conflits acceptables par tous. Elle offre aux partenaires sociaux la
possibilité de remédier aux dysfonctionnements actuels, tout en les mettant en
garde contre une passivité qui obligerait les pouvoirs publics à légiférer plus
sévèrement dans deux ans.
C'est pourquoi les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants se
félicitent de cette proposition de loi et voteront le texte qui résulte des
travaux de notre Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le ministre, entre l'excellent rapport de M. Huriet, qui a reflété
l'ensemble des auditions et l'évolution de la matière qui nous occupe, et le
discours quelque peu sommaire, vous en conviendrez, que vous nous avez
présenté, et dans lequel j'ai entendu quelques histoires anciennes, il nous
faudra choisir.
Mais avant de vous dire mon choix, et celui de la majorité de mon groupe, je
veux essayer, par-delà le rapport de M. Huriet, de cerner les quatre
spécificités françaises qui font que le problème se pose de manière beaucoup
plus aiguë chez nous que dans les autres pays de l'Union européenne.
La première spécificité, c'est que, en dépit de la législation sur le préavis,
la grève est devenue l'acte initial de la discussion sociale.
Monsieur le ministre, vous avez dit que nous discutions sans savoir. Pour
avoir siégé cinq ans au conseil de la RATP et autant à celui de la SNCF, je
puis affirmer que je sais de quoi je parle. J'ai longuement discuté de ces
problèmes, autour de la table du conseil, avec les représentants syndicaux.
Le préavis ne fonctionne pas parce que l'on commence à faire grève, en pensant
qu'après on pourra discuter. Autrement dit, contrairement à ce que déclarait
Maurice Thorez en 1946, pour qui la grève devait être l'arme ultime des
travailleurs, la grève est aujourd'hui devenue l'acte de déclenchement d'une
procédure.
M. Pierre Lefebvre.
C'est faux !
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est la réalité !
M. Nicolas About.
C'est vrai !
M. François Trucy.
C'est évident !
M. Jean Chérioux.
Il a raison !
M. Jean-Pierre Fourcade.
La deuxième spécificité française est la surenchère entre les syndicats.
Dans les entreprises de transport, comme Air France ou d'autres, il est clair
que la discussion avec les partenaires sociaux, dont on parle tout le temps,
est une discussion du type « échelle de perroquet », c'est-à-dire avec
plusieurs positions. Il est extrêmement difficile, dès lors, de dégager une
position commune, alors que chez nos voisins allemands, anglais et même
italiens, où ce phénomène est moins fort, on arrive plus facilement à dégager
des solutions d'intérêt général.
La troisième spécificité française - à mon avis, elle explique presque tout -
c'est que, contrairement à la thèse que vous avez défendue, la discussion,
lorsqu'une grève se déclenche dans une entreprise publique et qu'elle a des
répercussions, est très centralisée. C'est une cellule du cabinet du Premier
ministre qui surveille l'opération, qui détermine les conditions que l'on peut
accepter ou non. Tout se passe au niveau interministériel, et nous savons, au
vu d'exemples récents, que ce genre de confabulation interministérielle
débouche, en général, sur une aggravation et un prolongement de la crise.
C'est parce que les directions d'entreprise ou les états-majors des services
publics n'ont pas suffisamment d'autonomie que l'on aboutit à des
dysfonctionnements et à des crises graves.
Cette concentration au sommet, à Matignon, de l'ensemble des discussions est
certainement un facteur paralysant. Simon Nora l'avait bien dit, avant moi,
dans son fameux rapport présenté à Jacques Chaban-Delmas. Il n'en a été tenu
aucun compte, si bien que l'on persévère dans les mêmes errements.
Enfin, la quatrième spécificité qui explique nos difficultés, c'est que, en
droit français, le principe de la continuité du service public n'est inscrit ni
dans le préambule ni dans la Constitution, alors que le droit de grève, lui,
est reconnu par la Constitution ; par conséquent, nous considérons, tout
naturellement, que le second est supérieur au premier.
Or, que dit le septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ? Que «
le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Cela signifie, d'abord, que les constituants de 1946, qui n'étaient pas tous
de droite, vous l'avouerez - rappelez-vous l'époque ! - avaient prévu qu'il
était possible d'encadrer le droit de grève et, ensuite, que l'autorité chargé
de le faire est le Parlement.
Par conséquent, monsieur le ministre, vous commettez une erreur quand vous
dites, à l'instar d'un certain nombre de vos prédécesseurs, que le Parlement
n'a rien à voir dans cette affaire. La Constitution le dit : « Le droit de
grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. »
C'est cette application stricte du principe qui a été codifié dans notre
Constitution que nous voulons appliquer.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de
l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean Arthuis.
Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Telles sont les quatre spécificités qui font, mes chers collègues, que le
système ne fonctionne pas.
J'ai moi-même déposé, il y a une dizaine d'années, des propositions de loi sur
le service minimum. Mon expérience au sein des deux conseils de la RATP et de
la SNCF m'a toutefois conduit à penser que l'institution d'un service minimum
ne réglait pas tous les problèmes.
En effet, cela pose des problèmes de sécurité ; du plus, si l'on va très loin
dans la définition du service minimum - M. About l'a dit - on encadre de très
près le droit de grève ; enfin, selon qu'il y a ou non concurrence, le problème
du service minimum se pose en termes tout à fait différents.
Si la SNCF a un monopole, Air France ne l'a plus ; par conséquent, les
problèmes sont différents. La Poste, qui avait un monopole, ne l'a plus, non
plus si bien que chaque grève de La Poste se traduit par un déficit, une chute
du trafic postal.
En ce qui concerne l'audiovisuel, la multiplication des chaînes, des radios,
des satellites, etc., fait qu'une grève sur une chaîne publique n'a plus aucune
conséquence. Le système s'est guéri de lui-même : on écoute autre chose, on
regarde une chaîne câblée ou autre.
Comme vous, monsieur le ministre, j'estime donc que le service minimum n'est
pas une bonne chose. C'est pourquoi j'apprécie d'autant plus ce que propose la
commission des affaires sociales, et qui ne m'étonne d'ailleurs pas.
Que nous propose-t-elle ? D'abord, de développer le dialogue au sein de
l'entreprise.
J'ai assisté à la création du mécanisme interne à la RATP. Ce mécanisme, on ne
l'a pas suffisamment dit, fait appel à des personnalités extérieures à
l'entreprise - juristes, professeurs de droit, magistrats, etc. - qui apportent
une note d'objectivité et d'impartialité tout à fait naturelle.
A la SNCF, on n'en est pas encore là ! Faire admettre aux syndicats de la SNCF
qu'on peut faire juger une réclamation, une revendication par des éléments
extérieurs à l'entreprise demandera encore quelques années !
Puis, il y a eu cet accord à EDF, qui me paraît essentiel : après les troubles
causés par des coupures de courant électrique, direction et syndicats sont
convenus, dans un accord d'entreprise, que, quelles que soient la gravité et la
nature des revendications, il n'y aurait plus de coupures de courant.
C'est vers ce système qu'il faut se diriger, et c'est ce à quoi nous engage la
proposition de la commission des affaires sociales.
Un point essentiel, dans la proposition de la commission, concerne les préavis
glissants.
On le sait fort bien, à l'heure actuelle, un certain nombre d'organisations
syndicales déposent des préavis glissants, ce qui rend impossible toute
négociation et permet à n'importe laquelle d'entre elles de déclencher une
grève à n'importe quel moment.
S'imposent donc à la fois la remise en ordre du préavis, l'allongement du
délai, pour atteindre la semaine, et la publication des résultats, de manière
que l'opinion publique sache pourquoi on fait grève.
S'agit-il d'un problème catégoriel ? S'agit-il de la prise en compte d'une
revendication de l'ensemble du personnel ? S'agit-il de protester contre telle
ou telle agression ? Encore une fois, il est important que l'opinion publique
sache, et c'est la raison pour laquelle le constat proposé est une bonne
chose.
S'agissant du rapport du Gouvernement, j'avoue que ma position diverge quelque
peu de celle de la commission. Pour ma part, j'aurais préféré la création d'une
mission d'information parlementaire chargée d'aller voir dans les pays
étrangers comment les choses se passent effectivement, tant il est vrai que, de
France, notre vision de la réalité est toujours parcellaire.
Il faut donc aller sur place, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, en
Allemagne, aux Etats-Unis, pour voir comment fonctionnent effectivement les
différents systèmes, et c'est là, je crois, le travail d'une mission
parlementaire.
Des rapports nous en demandons déjà cent cinquante ou deux cents par an au
Gouvernement. Ce ne serait jamais que le deux cent et unième ! De plus, ce
rapport ne serait pas fait de manière parfaitement équilibrée.
Monsieur le ministre, l'initiative de M. Arnaud et de ses collègues est donc
une bonne initiative car, contrairement à ce que vous avez dit, le thème n'est
ni usé ni simpliste.
Quand on administre, comme je le fais à Boulogne-Billancourt, des populations
ouvrières qui sont confrontées quotidiennement à des arrêts de services, à des
blocages d'autobus, à des difficultés de tout ordre, quand on a sur sa commune
un certain nombre d'entreprises qui pâtissent lourdement de la non-distribution
du courrier par La Poste et qui sont obligées de trouver des solutions de
rechange, on voit que le problème est bien réel ; c'est d'ailleurs ce que pense
aussi l'opinion publique, qui estime que nous sommes depuis trop longtemps
incapables de le régler.
Il s'agit non pas du tout de s'attaquer au droit de grève,...
M. Pierre Lefebvre.
Ah !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... mais d'appliquer la Constitution, de réglementer, par une loi, l'exercice
du droit de grève dans les services publics.
M. Pierre Hérisson.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Dire que ce n'est pas d'actualité, que c'est passéiste, c'est - permettez-moi
de vous le dire, monsieur le ministre - pratiquer la politique de l'autruche.
C'est un vrai sujet !
M. Pierre Hérisson.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Si le Sénat, à une large majorité, approuve les propositions de la commission,
nous aurons progressé. Nous aurons, je l'espère, ouvert les yeux d'un certain
nombre de partenaires qui continuent à vouloir gérer nos entreprises, à l'aube
de l'an 2000, comme on le faisait en 1930 ; c'est tout à fait intéressant, mais
je crains, hélas ! que ce ne soit dépassé !
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le triste
monopole de grèves des services publics en France est le symptôme des
défaillances de notre dialogue social ». C'est ainsi que s'exprimait le
président Jacques Chirac dans son discours du 4 décembre dernier. Il ajoutait
que, si la grève était un droit, il était essentiel que les entreprises du
service public s'accordent avec leur personnel sur des procédures efficaces de
prévention des grèves et sur l'organisation concertée d'un service minimum.
Je souhaite également rappeler, après d'autres, que 82 % des Français
réclament un service minimum, selon un sondage IFOP publié en décembre
dernier.
Au niveau communautaire, il est frappant de constater que l'extension du cadre
concurrentiel crée une passerelle entre les droits de l'usager et la protection
du consommateur. Le droit communautaire se préoccupe de plus en plus de la
qualité des services. L'obligation de fournir un service de même qualité sur
l'ensemble du territoire pour assurer le respect de l'égalité de traitement a
d'ailleurs été consacrée par les institutions communautaires, et l'évaluation
du service fourni est le corollaire de ce principe. L'exigence de qualité
émergente dans tous les domaines ne peut donc manquer de s'appliquer également
aux services publics.
Quelle est donc la situation dans notre pays ?
Si le principe de continuité du service public n'est pas dans le texte même de
la Constitution, il est néanmoins un principe fondamental de notre droit. Par
conséquent, nous devons en tenir compte et trouver des solutions qui soient
compatibles à la fois avec ce droit fondamental et l'exercice du droit de
grève, qui, lui, est inscrit dans la Constitution, avec cependant la mention
qu'il doit s'exercer dans le cadre des lois qui le réglementent. C'était
d'ailleurs là - permettez-moi de vous le dire, mes chers collègues - mon sujet
lorsque j'ai passé mon doctorat de droit, voilà une cinquantaine d'années, à la
faculté de Paris. Vous le voyez, la question que l'on se posait il y a
cinquante ans, on se la pose encore aujourd'hui, ce qui prouve que nous
n'avançons pas vite !
L'excellent rapport de notre collègue Claude Huriet explicite parfaitement les
difficultés juridiques de cet exercice. Je n'y reviens donc pas.
Que constate-t-on dans les faits ?
La grève, qui devrait être la dernière issue en cas de conflit social - M.
Fourcade a cité, à cet égard, un grand orateur - c'est-à-dire après rupture du
dialogue social, est bien trop souvent, en réalité, le préalable à l'entrée en
négociation des deux parties. Elle devient le moyen de se positionner en
situation de force pour entamer le dialogue dans les meilleures conditions.
Détournée de sa raison d'être, la grève devient alors impopulaire, notamment
lorsqu'elle prend en otage une partie de la population, généralement la plus
faible, d'ailleurs. Il en résulte que le droit de grève qui est inscrit dans la
Constitution devient impopulaire. Avouez tout de même que c'est regrettable
!
Il me semble que, dans un tel contexte, il faut prendre le mal par la racine
et faire prévaloir la logique de la discussion avant tout.
Il faut nous interroger sur la médiocrité du dialogue social dans les
entreprises de service public, sur les insuffisances dans la gestion des
ressources humaines qui y prévalent et sur la culture de conflit qui y règne et
dont les effets sont néfastes.
La gestion des conflits sociaux est, hélas ! au sein de ces entreprises une
gestion dans l'urgence et trop peu souvent une gestion préventive. La gestion
des ressources humaines demande à y être développée, comme elle a pu l'être au
sein du secteur privé où elle a pris une place prépondérante. En effet, une
entreprise où les hommes se sentent bien parce qu'ils sont traités
équitablement, où on les écoute est une entreprise qui fonctionne plus
harmonieusement.
Je crois qu'il faudrait replacer nos entreprises publiques au sein d'un modèle
social rénové, moins centralisateur et qui responsabilise l'ensemble des
partenaires sociaux.
Cette forme de société a un nom : c'est la participation gaulliste. On ne peut
que regretter qu'elle n'ait pas été plus développée, en particulier dans le
secteur public.
Si cette prévention sociale sur le long terme échoue et qu'un conflit éclate,
il me semble que la solution négociée doit alors être privilégiée.
En outre, comme l'ont constaté avec moi mes collègues qui ont participé aux
auditions publiques, la mise en oeuvre d'un service minimum est extrêmement
difficile en raison de la diversité des entreprises concernées. J'approuve donc
totalement la démarche de notre commission des affaires sociales qui propose de
favoriser l'institutionnalisation de procédures de prévention de conflits.
Cette solution consiste à mettre l'accent sur « un appel à négocier » dans un
délai convenable pour les deux parties. Cette forte incitation à négocier, en
responsabilisant les deux parties en présence - direction et organisations
syndicales - ne peut qu'améliorer le dialogue social et dénouer la crise avant
l'avènement d'un conflit dur.
L'exemple de la RATP, que l'on a déjà cité et dont nos travaux se sont
inspirés, est exemplaire ; c'est en tout cas le sentiment de ceux qui ont
participé aux réunions de la commission.
Le protocole d'accord mis en place le 11 juin 1996 a permis de diviser par
quatre le nombre de préavis de grève depuis les années quatre-vingt.
Dès que la situation est susceptible de générer un conflit, une procédure de
négociation est mise en oeuvre qui fait apparaître clairement les données du
problème et lui donne une reconnaissance officielle permettant ainsi d'ouvrir
une négociation qui peut déboucher soit sur un accord, soit sur un constat de
désaccord motivé.
La mise en oeuvre de cette procédure a largement contribué à améliorer le
climat social de cette entreprise. Cela doit se faire au niveau le plus
décentralisé possible, comme l'a très justement indiqué M. Fourcade.
Le texte issu des conclusions de la commission va dans ce sens ; le groupe du
RPR le votera.
Je voudrais maintenant insister tout particulièrement sur un point qui me
tient à coeur.
Notre rapporteur s'est référé à la nécessité de respecter un certain nombre de
principes fondamentaux de notre droit public et auxquels doit répondre le
service public : le principe d'adaptation au changement imposé par la puissance
publique ; le principe d'égalité dans le traitement des usagers ; le principe
de continuité. Je me permets d'y ajouter le respect de la liberté du travail.
Certes, cette liberté est garantie par la loi sur le plan pénal. Cependant, non
seulement les procédures sont lourdes et complexes - il est toujours difficile
d'établir les faits et d'identifier les auteurs - mais surtout elles n'ont
aucun caractère préventif. On constate qu'il y a une grève ; on met en jeu des
responsabilités ; mais cela n'a pas empêché la grève !
Or, comme certains de nos collègues socialistes l'ont souligné à juste titre
en commission, le choix de faire grève est une décision lourde de conséquences,
notamment financières, pour le salarié. Il ne décide jamais de gaieté de coeur
d'arrêter le travail.
Le droit de faire grève doit s'exercer dans des conditions de transparence
compatibles avec la liberté du travail.
En effet, afin d'éclairer la prise de décision du salarié qui supportera les
conséquences de la grève à laquelle il se sera associé, il paraît nécessaire
qu'il puisse avoir une connaissance précise du degré d'adhésion des salariés de
son entreprise au principe de la grève.
C'est pourquoi je propose d'instituer le principe du vote au scrutin secret
sur toutes les décisions relatives au déclenchement ou à la poursuite de la
grève.
(M. Fischer proteste.)
Attendez la fin de mon propos, monsieur Fischer ; vous verrez, vous serez très
satisfait !
Mme Nicole Borvo.
Nous n'avons rien dit, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux.
Bien entendu, il s'agit non pas de porter atteinte au droit de grève, ni à la
liberté de décision des organisations syndicales puisque celles-ci peuvent
décider si il y a vote ou non, mais de prévoir que, si il y a vote, il doit se
dérouler dans des conditions de transparence minimales vis-à-vis des salariés,
ou des syndicats concernés, et enfin de l'entreprise. En effet, il faut mettre
le salarié à l'abri non seulement des excès de ses collègues, mais aussi de
ceux du patronat, qui pourrait éventuellement sanctionner celui qui a exercé le
droit de grève.
Il faut donc, par l'anonymat, protéger le salarié. C'est l'objet de
l'amendement que je présenterai lorsque nous examinerons les articles de la
proposition de loi.
M. Claude Estier.
Ce sont les patrons qui commettent des excès !
M. Jean Chérioux.
Les saints ne sont ni d'un côté ni de l'autre, monsieur Estier ! Tous les
hommes ont leur défauts et leurs qualités. Le salarié doit être défendu contre
les abus commis par les uns ou par les autres !
M. Henri de Richemont.
Très bien !
M. François Trucy.
Il a raison !
M. Jean Chérioux.
Je tiens à féliciter encore une fois notre rapporteur, Claude Huriet, pour le
travail qu'il a effectué et pour les dispositions qu'il nous a présentées, qui,
tout en respectant le droit de grève, devraient aider à mettre fin aux
dérapages bien trop fréquents des services publics en France. Aussi, je le
répète, le groupe du RPR lui apportera son soutien.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Arnaud.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
La voix de la Charente, c'est la voix de la sagesse !
M. Philippe Arnaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai eu
l'honneur de déposer, avec l'appui de plusieurs de mes collègues, le 11 juin
1998 - c'est-à-dire avant les derniers événements, avant les dernières
secousses - la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui. Elle traite
du service minimum dans les services publics en cas de grève et ne prévoyait à
l'origine qu'un article unique disposant qu'« en cas de cessation concertée du
travail ... est instauré un service minimum destiné à maintenir la continuité
du service public ».
Ce simple énoncé suffit à lever toute ambiguïté, tout doute, toute crainte
chez ceux qui, à tort, voudraient en conclure que le droit de grève pourrait
être remis en cause ou qui voudraient faire croire que l'on veut y porter
atteinte.
M. Guy Fischer.
Ah ça, c'est la vérité !
M. Philippe Arnaud.
« En cas de cessation du travail .... » : le postulat est clair, il réaffirme
le droit de grève comme imprescriptible et place le propos sur les conséquences
de l'exercice de ce droit dans les services publics.
M. Jean Arthuis.
Très bien !
M. Philippe Arnaud.
Ma proposition tente de concilier ce droit avec une autre exigence, tout aussi
fondamentale : la continuité du service public.
Derrière la continuité du service public, il faut considérer les usagers de
ces services : particuliers ou entreprises, citoyens qui ne sauraient être pris
constamment en otage par une petite minorité, sans motifs sérieux explicables
ou compréhensibles par le public puisqu'on ne peut faire valoir l'échec d'une
négociation qui n'a pas eu lieu.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RDSE.)
Banalisation de la grève avant même d'avoir commencé à discuter... alors
que la grève doit être l'ultime recours après l'échec du dialogue social.
Banalisation de la grève dans certains services publics alors même que les
agents salariés de ces services bénéficient de conditions statutaires
favorables, notamment la garantie de l'emploi.
Banalisation de la grève, toujours au préjudice de l'usager, salarié ou
entreprise qui, eux, vivent des situations à risque au préjudice du
contribuable qui viendra toujours équilibrer les comptes des services
publics.
M. Jean Arthuis.
Eh, oui !
M. Philippe Arnaud.
Non, monsieur le ministre, non, mes chers collègues, il s'agit non pas
d'opposer les usagers aux agents des services publics mais bien, d'urgence, de
trouver les modalités pour réconcilier les citoyens avec leur service public.
Il y a urgence, car, de mon point de vue, le risque est sérieux de conflit qui
pourrait dégénérer en conflit public-privé.
Selon un sondage, 82 % des Français ne sont-ils pas favorables à
l'instauration d'un service minimum ?
Monsieur le ministre, ma proposition n'est pas, comme vous l'avez dit tout à
l'heure, le fruit d'une quelconque démarche idéologique. Elle est seulement
l'expression d'un citoyen élu qui, apparemment, est approuvé par 82 % des
citoyens.
Certes, ma proposition, dans la sécheresse de sa formulation initiale, était
une façon de dire : assez ! attention ! cherchez, cherchons et trouvons des
réponses à ce problème posé de façon récurrente - vous avez vous-même employé
cet adjectif, monsieur le ministre - mais qui est toujours d'actualité.
Cherchons, trouvons des réponses, des solutions, peut-être d'ailleurs
simplement par l'application des lois existantes : celle de juillet 1963, et
plus récemment les lois Auroux qui disposent - et je ne fais qu'en citer des
extraits - que les grèves inopinées ou grèves surprise sont interdites ; que
toute grève doit être précédée d'un préavis de cinq jours francs ; que pendant
le préavis les parties intéressées sont tenues de négocier ; que sont interdits
les arrêts de travail affectant par échelonnements successifs ou par roulement
concerté les divers secteurs ou diverses catégories professionnels d'un même
établissement ou d'un même service.
Or, vous le savez bien, nous le savons tous, l'esprit de la loi est détourné,
par exemple par le dépôt quotidien de préavis successifs, ce qui donne à une
grève surprise un caractère régulier, en tout cas sur le plan formel.
Mais l'usager, lui, il subit une grève surprise.
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est exact !
M. Philippe Arnaud.
Et l'usager est de plus en plus un client. Il a des exigences de client et ses
exigences sont d'autant plus légitimes qu'il est aussi le contribuable qui
concourt au financement du service.
Sujet récurrent, monsieur le ministre, vous l'avez dit. Loin d'être usé, il
est tout au contraire d'actualité et il s'impose aujourd'hui dans l'intérêt
même du devenir du service public, surtout face au développement de la
concurrence.
Sujet d'actualité aussi, quand on constate que, dans la gestion des relations
sociales de toute entreprise moderne, la gestion et le management social sont
au coeur des préoccupations des dirigeants d'entreprise et des organisations
syndicales. Les services publics ne seraient-ils pas des entreprises modernes,
monsieur le ministre ?
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il le faudrait !
M. Philippe Arnaud.
C'est donc, de mon point de vue, monsieur le ministre, défendre nos services
publics que de vouloir les mettre à l'abri de querelles avec nos concitoyens en
les incitant à développer de nouvelles pratiques de dialogue social.
Je suis heureux, monsieur Delaneau, que notre collègue Claude Huriet ait été
désigné rapporteur de ce texte. Son goût pour la réflexion approfondie, son
sens de la mesure et sa sagesse, qualités entre autres qui lui sont reconnues
bien au-delà de cet hémicycle, sont pour moi un gage d'une issue favorable au
délicat et sensible sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président de la commission, et à saluer
encore une fois le rapporteur, M. Claude Huriet, dont j'ai apprécié le travail
et l'inflexion qu'il a su donner, avec la commission, à ma proposition de
loi.
Ainsi, le texte issu des travaux de la commission comprend trois articles, qui
organisent les relations sociales au sein des entreprises publiques autour de
trois axes majeurs : la prévention, la négociation et le suivi.
La prévention des conflits est une procédure d'alarme sociale qui consiste à
intervenir en amont, avant le déclenchement des conflits. Quant à la
négociation, elle est rendue obligatoire, au cours du préavis, comme le
prévoient aujourd'hui les textes, ce qui donne d'ailleurs plus de sens et de
poids aux lois Auroux. Enfin, le suivi sera permis par le dépôt d'un rapport
par le Gouvernement, mais on pourrait aussi envisager la création d'un
observatoire permettant de suivre l'évolution des relations sociales dans les
entreprises privées. Si un tel suivi était instauré, le Parlement pourrait
alors intervenir, le cas échéant, pour infléchir l'évolution des relations
sociales.
Tout cela est possible, nous le savons, et nous en avons des exemples
spontanés. De telles procédures fonctionnent de façon satisfaisante, par
exemple à la RATP ou à EDF. Et que l'on ne dise pas que les agents d'EDF sont
privés du droit de grève ! Une solution a été trouvée pour qu'ils puissent
exercer ce droit sans jamais pénaliser les usagers.
Une nouvelle forme de dialogue social est possible dans les entreprises
publiques, c'est ce que nous souhaitons.
Les dispositions que nous vous proposons aujourd'hui, monsieur le ministre,
mes chers collègues, vont dans le bon sens. Elles fixent un cadre au sein
duquel devra s'exercer le dialogue social. Dans chaque entreprise, elles
renvoient aux partenaires sociaux le soin d'établir le dialogue, elles
respectent donc leurs droits.
La proposition de loi modifiée par la commission que vient de nous présenter
M. Claude Huriet emporte ma totale adhésion. J'invite donc mes collègues qui
ont soutenu ma proposition initiale, ainsi que l'ensemble des sénateurs, à bien
vouloir la voter.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Richemont.
Bravo !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Tout d'abord, je vous remercie, monsieur le ministre, mes
chers collègues, de vous être exprimés sur cette proposition de loi, quelles
que soient vos critiques ou vos approbations, puisque, au fond, s'exprimer,
c'est enrichir le débat démocratique, chacun ne peut qu'en convenir.
Avant de relever vos remarques, mes chers collègues, je tiens à noter,
monsieur le ministre, l'importance et la difficulté des responsabilités que
vous exercez, non seulement en tant que ministre de la fonction publique, mais
aussi en tant que ministre en charge de la réforme de l'Etat.
J'aurais souhaité qu'à ce dernier titre vous marquiez davantage d'intérêt à
l'égard de la démarche sénatoriale, qui s'inscrit parfaitement, vous ne pouvez
qu'en convenir, dans le cadre de la modernisation de l'Etat et de
l'administration. Or, si j'en crois le rapport de la mission interministérielle
sur le temps de travail dans la fonction publique qui vous a été remis tout
récemment : « Dans un environnement en mouvement caractérisé par des besoins
évolutifs des usagers, la modernisation de l'administration est un impératif.
»
Soyons au moins d'accord sur l'objectif à atteindre même si, je le constate
avec regret, nous ne sommes pas, pour l'instant, d'accord sur les moyens d'y
parvenir.
Vous avez essentiellement retenu dans votre propos, comme certains de mes
collègues d'ailleurs, la mise en cause du droit de grève. Reconnaissez
pourtant, monsieur le ministre, que non seulement dans son titre mais aussi
dans son contenu, à aucun moment, il n'est envisagé, dans la proposition de
loi, de porter atteinte au droit de grève.
Ou alors, il faut considérer que les lois Auroux - mais M. Auroux ne peut être
suspecté d'avoir voulu attenter au droit de grève - constituaient aussi, en
leur temps, une menace contre le principe constitutionnel du droit de grève. Je
récuse donc le procès qui pourrait m'être fait à cet égard et auquel aucun
interlocuteur de bonne foi ne pourrait souscrire.
En revanche, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous avez souligné
- à tort ! - les intentions malveillantes de la majorité sénatoriale en ce qui
concerne le droit de grève, vous n'avez pas suffisamment insisté, à mon sens,
sur l'autre principe de valeur constitutionnelle qu'est la continuité du
service public.
Au fond, nous pourrions être d'accord sur l'impossibilité de mettre en cause
le droit de grève, ce n'est pas notre intention, et vous le savez. En revanche,
là où nous ne sommes pas d'accord, c'est sur le point de savoir si le droit de
grève doit l'emporter sur la continuité du service public.
Pour nous, les deux sont liés ; pour vous, malheureusement, ils ne le sont
pas.
Je voudrais venir maintenant aux grandes considérations qui ont été
développées soit pour soutenir le texte, soit pour le contester.
Pour ceux qui le contestent, pour vous-même, monsieur le ministre, la
proposition de loi est inutile parce qu'elle constitue une menace, entre
autres, pour le droit de grève.
La loi serait inutile. Pourtant, Mme Printz a largement dénoncé les carences
passées et moi-même, tant en commission que dans le rapport ou lors de mon
intervention, j'ai souligné, mieux qu'elle, d'ailleurs, les carences de la
gestion des ressources humaines dans certaines entreprises publiques. Grâce à
mes interlocuteurs, j'ai en effet pu dresser un diagnostic qui remonte très en
amont d'une évolution qui a abouti à une dégradation, à une insuffisance du
dialogue social dont, malheureusement, la conséquence est le recours à la
grève.
On ne peut donc pas m'accuser de centrer mon propos et mes propositions
uniquement sur le droit de grève et de faire l'impasse sur tout ce qui a pu
conduire à ce que chacun d'entre nous ne peut considérer que comme un échec.
La loi serait inutile aussi parce que certains facteurs extérieurs, que nous
ne contestons d'ailleurs pas, font que l'évolution est plutôt favorable.
Vous avez ainsi fait état de la privatisation, de la mise en concurrence. Que
je sache, elles ne sont pas seulement le fait des gouvernements de droite.
Ainsi, le monopole de La Poste n'a pas été remis en question par un
gouvernement de droite.
Monsieur le ministre, ou bien vous souscrivez à ces pratiques, ou bien vous
les déplorez, mais chacun ne peut que convenir qu'elles font partie de
l'évolution inexorable de l'administration qui, en passe de se moderniser,
devrait également quelque peu accélérer le rythme.
La loi serait inutile également parce que ces dispositions seraient déjà
appliquées dans les grandes entreprises publiques. Pourtant, à part la RATP, je
n'en connais pas tellement.
Vous avez aussi contesté, madame Printz, la rédaction de l'article 1er parce
qu'elle serait malvenue et inutile.
Permettez-moi, à titre de réponse, de vous lire l'article 2 de la loi du 13
juin 1998 : « Les organisations syndicales d'employeurs, groupements
d'employeurs ou employeurs ainsi que les organisations syndicales de salariés
reconnues représentatives sont appelées à négocier, d'ici aux échéances fixées
à l'article 1er, les modalités de réduction effectives de la durée du travail
adaptées aux situations des branches... ».
Chère collègue, l'appel à négocier, ce n'est pas une création pour les besoins
de la cause de la majorité sénatoriale. Faire figurer dans une loi un appel à
négocier ne doit pas être considéré comme une aberration législative, l'exemple
de la loi de 1998 en témoigne.
Par ailleurs, la proposition de loi serait une menace.
Pourtant, mes chers collègues, tous mes interlocuteurs, qu'il s'agisse des
organisations syndicales ou des responsables d'entreprises, ont cité le
protocole d'accord de la RATP de juin 1996. Mais force est de constater, pour
le regretter, que cet exemple n'a pas été suffisamment suivi jusqu'à ce
jour.
De ce fait, le législateur ne joue-t-il pas son rôle quand il favorise les
initiatives et leur aboutissement dans un délai compatible avec les exigences,
les attentes des usagers du service public ?
Enfin, je me référerai à la loi relative à la réduction du temps de travail :
elle prévoit en effet une disposition législative, une seconde loi, qui est, à
coup sûr, une menace.
Vous ne pouvez donc pas nous reprocher de prévoir un dispositif menaçant pour
obliger les partenaires sociaux réticents à négocier. A travers la loi sur la
réduction du temps de travail, l'Etat prévoit un tel dispositif à l'égard des
entreprises privées, et il refuserait de l'appliquer aux entreprises qui sont
sous sa responsabilité !
Peut-être ces arguments contribueront-ils non seulement à la sérénité du
débat, qui est une règle constante dans cette enceinte, vous le savez, monsieur
le ministre, mais aussi à éclairer votre vote, mes chers collègues, et,
pourquoi pas, à convaincre ceux qui hésiteraient encore à apporter leur soutien
au texte de la commission des affaires sociales du Sénat que j'ai eu l'honneur
de rapporter en son nom.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certains travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président.
Je suis saisi par Mme Borvo, M. Fischer et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen d'une motion n° 1, tendant à opposer la question
préalable :
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide
qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la
commission des affaires sociales sur la proposition de loi tendant à assurer un
service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics (n°
194). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative
ou son représentant, un orateur d'opinion contraire, le président ou le
rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée
n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Borvo, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, vous m'avez menacée de grève si j'apostrophais mes
collègues ; j'espère que vous leur adresserez la même mise en garde !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, le droit de grève, qui est
inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, a une valeur juridique
supérieure.
Formidable acquis populaire et démocratique de tout un siècle de luttes
ouvrières, le droit de grève figure au titre des principes politiques et
sociaux particulièrement nécessaires à notre temps.
Destiné à faire pression pour que les salariés expriment et voient satisfaites
leurs revendications, ce droit collectif exercé individuellement s'avère
indispensable pour assurer la défense des droits des salariés.
Non, la grève n'est pas banalisée, comme certains le soutiennent. La grève
reste une arme ultime, utilisée par des salariés en dernier recours lorsque,
par d'autres moyens, ils n'ont pu être entendus et écoutés. Ne réduisez pas le
problème au préavis.
Les jours de grève ne sont pas rémunérés. Il est nécessaire de le rappeler
ici.
M. Henri de Richemont.
Heureusement !
Mme Nicole Borvo.
Chaque salarié prend toutes ses responsabilités en faisant grève.
M. Pierre Lefebvre.
Tout à fait ! Mais M. de Richemont, lui, il n'a jamais fait grève !
Mme Nicole Borvo.
Chaque salarié sait ce qu'il lui en coûte pour lui-même, vis-à-vis de ses
collègues et des usagers.
(M. de Richemont proteste.)
Les statistiques nous le rappellent régulièrement, et vous les avez
abondamment citées : en dix ans, on a assisté à une diminution du nombre des
jours de grève, qui sont passés de 1,8 million à 800 000 jours en 1997.
La situation catastrophique de l'emploi et la répression patronale n'y sont
pas pour rien !
(Vives protestations sur les travées du RPR.)
Cette période correspond, hélas ! à une dégradation de la situation des
salariés tant du fait de la crise de l'emploi que du niveau des salaires et des
conditions de travail.
Les initiatives patronales pour négocier des réponses positives aux
revendications des salariés ne sont pas légion, mes chers collègues, et les
salariés de Peugeot se sont mis en grève pour obtenir des négociations sur les
35 heures.
Alors, selon vous, dans les services publics, parce qu'il y a la garantie de
l'emploi, les salariés se mettraient en grève pour un oui ou pour un non,...
M. Dominique Braye.
C'est vrai !
Mme Nicole Borvo.
... particulièrement dans les transports publics et singulièrement à la SNCF
?...
M. Henri de Richemont.
C'est un scandale !
Mme Nicole Borvo.
D'aucuns se chargent de caricaturer à dessein les grévistes comme des nantis
irresponsables qui, en usant et abusant de leurs droits, prennent régulièrement
en otage de pauvres usagers tributaires des services publics de transports
urbains, notamment pour se rendre sur leurs lieux de travail ou de loisirs.
M. Henri de Richemont.
C'est bien vrai !
M. Dominique Braye.
Absolument !
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, si ça continue, je vais faire grève !
(Exclamations
sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Dominique Braye.
Si seulement !
M. le président.
Chers collègues, laissez parler l'orateur.
Mme Nicole Borvo.
Vous le savez, très souvent les salariés sont aussi des usagers. Vous ne vous
en êtes peut-être pas aperçus, mes chers collègues !
M. Henri de Richemont.
Plus que vous !
Mme Nicole Borvo.
La grève correspond à un échec du dialogue social, à une crise du
fonctionnement de l'entreprise.
Or, entre 1988 et 1997, 78 000 emplois ont été supprimés à la SNCF ; vous
voyez ce que cela représente !
M. Dominique Braye.
A cause des grèves, il n'y a plus de clients.
Mme Nicole Borvo.
On sait ce qu'il en résulte en termes de difficultés, d'aggravation des
conditions de travail et d'insécurité.
Evidemment, la cessation concertée du travail perturbe l'activité, paralyse le
fonctionnement régulier des services publics, mais parfois, comme l'admet le
professeurLyon-Caen, la seule grève efficace n'est-elle pas la grève gênante
pour le public !
M. Dominique Braye.
C'est toujours comme cela ; on est pris en otage !
Mme Nicole Borvo.
Chaque moment de conflits importants est un prétexte pour relancer la
limitation du droit de grève. Ne serait-ce pas plutôt l'occasion, je ne l'ai
pas entendu dire ici, de relancer les efforts d'amélioration des services
publics ?
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je l'ai dit !
Mme Nicole Borvo.
La droite érigée en seule défenderesse des droits des usagers, comme si elle
en avait le monopole, tactiquement abritée derrière le principe de continuité
du service public, tente habilement d'opposer les agents des services publics
aux usagers citoyens, divise pour mieux imposer la solution récurrente du
service minimum.
M. Dominique Braye.
Ecoutez les usagers !
Mme Nicole Borvo.
Vous jouez des sondages, qui révèlent que les Français sont majoritairement
favorables à l'instauration d'un service minimum.
C'est la solution préconisée récemment par le Président de la République lors
de son discours de Rennes pour porter atteinte une fois encore au droit de
grève dans les services publics, et demain, peut-être, pour l'ensemble des
salariés.
Seul un certain opportunisme politique dicte votre démarche, messieurs de la
majorité sénatoriale.
Vous êtes beaucoup moins empressés lorsque 85 % de la population exprime
qu'elle est favorable à la parité entre les femmes et les hommes.
(Très bien
! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Mensonge ! Amalgame !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Nous aussi nous y sommes favorables !
M. Jean Arthuis.
Nous sommes favorables à la parité !
M. Pierre Hérisson.
Tout à fait !
Mme Nicole Borvo.
Je ne vous ai pas vus vous précipiter pour la défendre !
En prônant l'avènement du service minimum dans les services publics ou de tout
autre obstacle au déclenchement de la grève légitimé par les attentes des
usagers requalifiés de clients, vous parlez tout simplement de « moraliser » le
droit de grève au regard de contraintes économiques européennes, de rentabilité
et de concurrence, toutes choses étrangères à la notion même de service
public.
De fait, vous allez contre les intérêts des usagers, qui, au quotidien, sont
demandeurs, eux aussi, d'un service public de qualité renforcé, d'un service de
proximité, le plus étendu possible.
M. Dominique Braye.
Et les impôts, qui va les payer !
Mme Nicole Borvo.
Salariés et usagers de la RATP ou de la SNCF partagent des préoccupations
similaires, figurez-vous !
Les motifs de préavis de grève, qu'il s'agisse des effectifs, de la
réorganisation du service, des conditions de travail ou de sécurité, vont aussi
dans le sens des usagers. Lors des grandes grèves de décembre 1995, moi qui
prenais le métro, je peux vous dire que la position des grévistes était
largement comprise par la population.
(Vives exclamations sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
Oui, parfaitement ! Alors, arrêtons d'opposer ces deux catégories !
La droite n'en est pas à son premier coup d'essai, et je suppose pas le
dernier, pour restreindre, voire nier le droit de grève.
M. Henri de Richemont.
Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Borvo.
D'abord, ne faisons pas comme si le droit de grève ne s'exerçait pas
aujourd'hui dans le cadre des lois qui le réglementent.
La loi et le règlement sont intervenus dans ce domaine. Le droit de grève est
interdit aux agents relevant des domaines jugés essentiels pour l'Etat. Il est
organisé pour l'ensemble des salariés du secteur public par la loi du 31
juillet 1963, qui a instauré le préavis, et la loi du 19 octobre 1982, qui
renforce l'obligation de négocier pendant cette période de préavis.
Les grèves tournantes sont interdites. La loi a mis en place, comme vous vous
plaisez à le dire, un service minimum de façon exceptionnelle dans des services
publics particuliers.
Mais ce n'est jamais assez pour certains !
Déjà, en 1993, monsieur Fourcade, vous proposiez à notre Haute Assemblée de
sanctionner financièrement la grève tout en envisageant l'instauration du
service minimum pour satisfaire les besoins vitaux ou sociaux de la
population.
A l'époque, il avait été constaté, dit M. le rapporteur, qu'un mouvement
semblait se dessiner en faveur d'accords collectifs d'entreprises sur le
service minimum et qu'il était préférable de laisser les discussions se
poursuivre sans que le législateur intervienne. Sage décision !
Aujourd'hui, monsieur Arnaud, votre proposition de loi entend réglementer par
un service minimum le droit de grève pour l'ensemble du secteur public. Sont
principalement visés les services publics de transport.
L'objet du service minimum est de permettre que soit assurée, en cas de grève,
la continuité des missions du service public indispensables à la satisfaction
des besoins essentiels des usagers.
M. Dominique Braye.
Qui sont pris en otage !
Mme Nicole Borvo.
Conformément à la jurisprudence constitutionnelle, en aucun cas le service
minimum en question ne peut constituer un service normal.
Or, dans le secteur des transports - cela a été dit, mais je préfère le
répéter - pour des raisons techniques ou de sécurité, la mise en oeuvre de ce
service minimal aux heures de pointe revient à assurer un service normal,
vidant ainsi le droit de grève de toute sa substance.
Le président de la RATP - M. le rapporteur l'a cité - estime qu'il faut 66 % à
75 % des effectifs pour assurer un service minimum.
L'atteinte grave au droit de grève, liberté fondamentale, est patente !
Impossible à mettre en pratique, cette solution est, de surcroît, socialement
explosive.
A la suite des auditions auxquelles elle a procédé, la commission des affaires
sociales, j'en conviens, mesurant l'unanimité des réactions hostiles face à
cette atteinte frontale au droit de grève, nous propose la mise en place de
nouveaux outils ou le renforcement d'obstacles existants, tendant tous,
néanmoins, à encadrer l'exercice du droit de grève.
M. le rapporteur propose de légiférer pour obliger les partenaires sociaux à
négocier dans un délai d'un an des procédures de limitation de grève.
Ne me dites pas que mes craintes au sujet des propositions de la commission
sont sans objet, puisque vous proposez que, en cas d'échec des négociations, le
service minimum s'applique ultérieurement : la menace est donc simplement
différée.
Vous vous appuyez sur l'existence d'un dispositif d'alarme sociale existant à
la RATP pour prévenir les conflits.
Je vous fais observer - sans me prononcer sur ce dispositif - que, dans les
cas de crise grave, il ne fonctionne pas, et pour cause !
Plus généralement, je constate que les procédures concrètes d'amélioration du
dialogue social sont possibles quand le climat social est meilleur.
Une politique active déployant des moyens tant humains que financiers doit
être menée pour qu'effectivement la RATP, la SNCF assument pleinement leur
mission de service public en exploitant, entretenant et développant un réseau
performant de transport, alliant qualité, régularité, sécurité, réponse aux
besoins. Et cela, je ne l'ai pas entendu !
Le ministère des transports s'est engagé à s'attaquer au fond des problèmes en
humanisant et renforçant les effectifs pour un service public performant.
Depuis 1997, à la SNCF, l'emploi est enfin maintenu : 1 000 emplois sous
statut et 1 000 emplois-jeunes ont été créés. On assiste à un début d'inversion
de logique. Il faut continuer dans ce sens. Ce sont des conditions favorables
pour l'amélioration du climat social, pour la négociation, la consultation,
maître mot pour désamorcer les conflits.
Pourquoi tenez-vous absolument à légiférer ?
M. Dominique Braye.
Pour protéger les usagers !
M. Guy Fischer.
Par démagogie !
Mme Nicole Borvo.
Est-ce pour brider le droit d'expression des salariés, attiser les motifs de
conflits ? Est-ce par pure démagogie ? Est-ce pour manifester, comme s'il en
était besoin, que vous êtes opposés aux garanties statutaires des services
publics, que vous entendez imposer la concurrence dans des secteurs qui
relèvent aujourd'hui, en France, des services publics ?
Le dénigrement des fonctionnaires, des services publics est cyclique ; il
fleurit en temps de crise économique et sociale. Nous voyons converger ces
jours-ci des articles ignominieux dans
Le Figaro
sur l'école publique, des interprétations caricaturales du
rapport sur le temps de travail des fonctionnaires et, ici, une offensive
contre le service public.
M. Dominique Braye.
Ce rapport a été demandé par le Premier ministre !
Mme Nicole Borvo.
Attention, il est toujours dangereux de stigmatiser les millions de salariés
des services et entreprises publics, dont la compétence et le dévouement sont
sans équivalence en Europe.
Mais, vous le savez sans doute, les Français sont attachés à leurs services
publics et ils n'ignorent pas les effets catastrophiques, par exemple, de la
déréglementation des transports publics dans un pays comme la
Grande-Bretagne.
Comme ce fut le cas en avril 1993, mes chers collègues, il me paraît sage de
renoncer à légiférer.
Le groupe communiste républicain et citoyen refuse catégoriquement de rentrer
dans cette mécanique de réglementation, de discuter d'une proposition de loi
qui porte une atteinte grave, même si elle est différée, à un droit fondamental
des salariés.
Pour toutes ces raisons, il vous demande d'adopter cette motion.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Claude Huriet,
rapporteur.
La commission des affaires sociales, dans sa majorité, est
défavorable à la motion présentée par Mme Borvo.
D'ailleurs, ma chère collègue, il ne devrait même pas y avoir d'hésitation,
puisque la motion tendant à opposer la question préalable que vous avez déposée
porte sur la proposition de loi « tendant à assurer un service minimum en cas
de grève dans les services et entreprises publics », alors que, désormais, le
texte sur lequel nous allons débattre est intitulé : « Proposition de loi
visant à prévenir les conflits et à garantir la continuité dans les services
publics. » Vous reconnaîtrez, madame Borvo, que le fondement sur lequel
s'appuyait votre motion n'existe plus.
Certes, je comprends très bien vos réactions à propos du service minimum. Mais
je me suis expliqué sur ce point et, contrairement à ce que vous avez dit,
chère collègue, je n'ai pas attendu d'avoir procédé à des auditions publiques
pour faire savoir à mes interlocuteurs, qu'il s'agisse du président de la
commission, de l'auteur de la proposition de loi initiale ou des représentants
des syndicats que j'ai entendus, quelles étaient ma perception de ce problème
et les difficultés auxquelles nous étions confrontés.
Le champ de cette proposition de loi a été modifié très tôt, acte doit m'en
être donné, et je demande donc aux auteurs de la motion de bien vouloir la
retirer. Sinon, ils devront me convaincre, mais cela leur sera bien difficile,
que cette motion reste malgré tout valable. J'affirme, pour ma part, qu'elle
est dépassée.
M. Jean Chérioux.
Absolument !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le président, avec votre permission, j'ai voulu
faire gagner un peu de temps à la Haute Assemblée en me réservant d'apporter,
au cours de l'intervention que je vais faire sur la question préalable,
quelques réponses aux orateurs qui sont intervenus dans la discussion
générale.
Je voudrais tout d'abord dire à M. Fourcade que je n'ai à aucun moment voulu,
tout à l'heure, faire argument de compétence. Je connais suffisamment celle
dont il a fait preuve, comme ministre, comme élu local, comme maire de Boulogne
ou dans les grandes entreprises de service public ! Mon hochement de tête était
une marque de sympathie de la part d'un ancien maire qui connaît les problèmes
des élus locaux.
Lorsque j'ai parlé de méconnaissance des mécanismes, c'était plutôt à la
volonté de ne pas connaître la psychologie de la discussion que je faisais
référence.
Monsieur le rapporteur, j'ai écouté avec beaucoup d'attention ce que vous avez
dit. J'ai noté avec un grand intérêt les allusions que vous faisiez aux deux
lois essentielles à mes yeux que sont les lois Auroux et la première loi Aubry.
Je suis heureux que ces textes importants, auxquels j'ai adhéré totalement,
puissent être aujourd'hui des textes de référence.
Vous avez abordé une question très importante en évoquant la modernisation du
service public. Sur ce plan, je suis totalement d'accord avec vous et vous me
donnerez acte que la relance de la modernisation de l'Etat, dont j'ai la charge
et que j'ai déjà engagée depuis le mois de novembre 1997, touche à de nombreux
domaines : la gestion de la ressource humaine dans le secteur public est
effectivement un enjeu majeur, mais je pourrais en citer beaucoup d'autres.
Monsieur le rapporteur, le travail que vous avez accompli et auquel j'ai rendu
hommage est, en vérité, très ample et très subtil, car, loin de modifier ou de
retravailler la proposition de M. Arnaud, vous y avez substitué un texte
complètement différent. C'est si vrai qu'il serait vain de chercher dans les
conclusions qui sont soumises aujourd'hui au Sénat une seule proposition, au
sens grammatical du terme, qui figurât dans le texte initial.
Je note d'ailleurs que, s'il est toujours question de « service minimum » dans
les documents qui nous sont fournis par le service de la séance, cette notion
ne figure nulle part dans le texte effectivement discuté. Nous sommes donc
devant ce que je me permettrai de considérer comme une ambiguïté.
Le texte de la commission s'ouvre par un appel à négocier, dans les
établissements, entreprises et organismes chargés de la gestion d'un service
public, des mécanismes propres à prévenir le déclenchement de conflits.
Sur ce point, tout le monde est d'accord ! Personne n'estime que la grève est
une chose désirable en soi !
Mais, derrière l'appel, y a-t-il un élément de contrainte ? Et, dans
l'affirmative, s'agit-il du service minimum ?
Vous avez réussi l'exploit, et je vous en donne acte, monsieur le rapporteur,
de ne pas mentionner ces termes une seule fois dans le texte. C'est pourquoi je
me demande si ceux de vos collègues qui disent approuver votre texte en vertu
de la nécessité, à leurs yeux, d'instituer un service minimum - je pense, par
exemple, à M. About - ne s'engagent pas ainsi avec un bandeau sur les yeux.
Sont-ils bien sûrs de savoir où ce texte conduit ?
Existe-t-il d'autres moyens de contrainte ? Le texte est muet à ce sujet.
J'ai eu l'occasion de dire que, à mon sens, de tels moyens de contrainte ne
sont pas souhaitables. Si nous pouvons être unanimes à souhaiter que l'on
s'oriente, dans la concertation, vers la définition de mécanismes de prévention
des conflits, nous sommes sans doute nombreux - et certainement sur toutes les
travées de cette assemblée - à penser que ce n'est pas par la contrainte que
l'on facilite le dialogue social.
Un excellent auteur, M. Raymond Soubie, ancien conseiller social de M. Raymond
Barre, expliquait dans un article remarquable paru au mois de décembre dernier
que, dans ce domaine, moins le législateur intervient, plus les résultats ont
des chances de se révéler positifs.
M. Philippe Arnaud.
Comme pour les 35 heures !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Autrement dit, soit il y a des éléments de contrainte,
et je pense que ce n'est pas une bonne méthode, soit il n'y a qu'un appel à
négocier, et ce texte est alors inutile, étant entendu que ce n'est pas le
rapport prévu à l'article 3 - M. Fourcade m'en donnera bien volontiers acte -
qui, seul, suffirait à justifier un texte de loi.
Telles sont, monsieur le président, les réflexions que m'inspire la motion
tendant à opposer la question préalable présentée par le groupe communiste
républicain et citoyen.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
En vérité, je suis confortée dans l'idée du bien-fondé de cette motion par le
rapporteur lui-même.
En effet, selon celui-ci, « il est préférable, en l'état, de ne pas donner au
service minimum le caractère d'une disposition législative. Le service minimum
n'est certainement pas la panacée. Il ne pourrait être envisagé que comme une
solution ultime qui ne serait appliquée, conformément à la loi, qu'en cas de
volonté de blocage manifestée par les acteurs sociaux refusant de mettre en
oeuvre le principe de la loi constitutionnelle de continuité du service public
».
En fait, par rapport à la proposition de loi de M. Arnaud. M. Huriet propose
simplement de différer un peu les choses, mais en s'inscrivant néanmoins dans
la logique du service minimum.
Eh bien, nous, nous considérons qu'il n'y a pas lieu de légiférer sur cette
question, ici, aujourd'hui.
M. le président.
Je rappelle que nous examinons les conclusions de la commission.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la
proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - Dans les établissements, entreprises et organismes chargés de la
gestion d'un service public visés à l'article L. 521-2 du code du travail, les
employeurs ainsi que les organisations syndicales de salsariés reconnues
représentatives au sens de l'article L. 521-3 dudit code sont appelés à
négocier, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente
loi, les modalités de mise en oeuvre de procédures destinées à améliorer le
dialogue social et à prévenir le déclenchement de grèves, le cas échéant, par
des procédures de conciliation. »
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
L'article 1er a pour objet d'appeler à la négiociation
d'accords collectifs dans les organismes de droit privé chargés d'un service
public et dans les établissements publics industriels et commerciaux.
Cet article ne concerne que les salariés de droit privé travaillant dans un
organisme chargé d'un service public : il ne vise pas les personnels de l'Etat,
des régions, des départements et des communes ni les agents de la fonction
publique hospitalière ou des établissements publics administratifs, qui sont
également des agents sous statut et qui échappent donc au champ de la
négociation collective.
La négociation s'effectuera entre les directions des entreprises et les
syndicats reconnus représentatifs et habilités à ce titre à déposer un préavis
de grève.
La négociation devra être effectuée dans un délai d'un an. En effet, le
Gouvernement devant présenter un bilan de fonctionnement des accords dans un
délai de deux ans, il importe que la procédure ait pu donner ses premiers
résultats.
Il y a une différence fondamentale entre la position défendue à l'instant par
notre collègue Mme Borvo et celle de la commission : nous faisons, pour notre
part, confiance au sens des responsabilités des partenaires sociaux.
J'espère bien - et je réponds là à l'une de vos observations, monsieur le
ministre - que, grâce à notre initiative, il n'y aura pas lieu de légiférer
dans deux ans et que, à travers la démarche que nous voulons provoquer, les
partenaires sociaux auront engagé la négociation ou accéléré le rythme de
celle-ci pour autant qu'elle ait été engagée.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
A propos de cet article 1er, je tiens à citer exactement
l'article de M. Raymond Soubie auquel j'ai fait allusion tout à l'heure : « Une
seule solution s'impose : traiter ces sujets délicats par une politique
contractuelle, libre et sans contrainte. Tout le monde ou presque finirait
alors par être d'accord. »
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - I. - Dans le quatrième alinéa de l'article L. 521-3 du code du
travail, le chiffre : "cinq" est remplacé par le chiffre : "sept".
II. - Après le quatrième alinéa de l'article précité, il est inséré un alinéa
ainsi rédigé :
« Un nouveau préavis ne peut être déposé par la même organisation syndicale
qu'à l'issue du délai de préavis initial et, éventuellement, de la grève qui a
suivi cedernier. »
« III. - L'article précité est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« A cette fin, les représentants de l'autorité hiérarchique ou de la direction
de l'établissement, de l'entreprise ou de l'organisme se réunissent avec les
représentants de la ou des organisations syndicales ayant déposé le préavis
dans un délai maximum de cinq jours à compter du dépôt de celui-ci.
« En cas de désaccord à l'issue de la réunion et au moins deux jours avant
l'expiration du délai de préavis, les parties concernées établissent en commun
un constat dans lequel sont consignées leurs propositions en leur dernier état.
Ce constat est adressé par la direction ou l'autorité hiérarchique aux
syndicats reconnus représentatifs dans le service, l'établissement,
l'entreprise ou l'organisme puis est rendu public. »
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Cet article vise à allonger la durée du préavis pour que
celui-ci remplisse la fonction que le texte initial lui avait assignée. Il
proscrit l'usage des préavis glissants et formalise le contenu de l'obligation
de négocier.
Monsieur le ministre, vous avez exprimé votre réserve, voire votre
opposition, quant à l'établissement de conclusions sous forme écrite. A notre
sens, c'est au contraire un élément de transparence des négociations, car
chacun ne peut que gagner à en connaître précisément le contenu. Je ne vois pas
en quoi cela pourrait apparaître comme une contrainte inutile.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président.
Par amendement n° 2, M. Chérioux propose d'insérer, après l'article 2, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 521-3 du code du travail, il est inséré un article
additionnel ainsi rédigé :
«
Art...
- En cas de cessation concertée du travail après l'échec des
négociations prévues à l'article L. 521-3, les consultations intervenant, le
cas échéant, à l'initiative des auteurs du préavis sur le déclenchement ou la
poursuite de la grève sont effectuées par un vote au scrutin secret.
« Les résultats du vote sont portés à la connaissance de l'ensemble des
salariés du service ou de l'unité de production concernés par la grève. »
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Le droit de grève est un droit individuel : la grève peut donc régulièrement
être le fait d'une minorité. La Cour de cassation considère d'ailleurs qu'un
arrêt de travail ne perd par le caractère de grève du fait qu'il n'a pas été
observé par la majorité du personnel.
Pour autant, les membres de cette minorité peuvent chercher à influencer, par
des rumeurs ou des bruits peu fondés, leurs collègues de travail, voire exercer
des pressions sur certains d'entre eux.
Bien sûr, si de tels agissements devenaient abusifs, l'employeur pourrait
engager une action en justice pour réclamer l'application des sanctions prévues
en cas d'entrave à la liberté du travail ; mais la procédure pénale est lourde
et il est difficile d'établir les faits ; qui plus est, elle peut aboutir très
longtemps après les faits eux-mêmes.
Il est donc préférable de mettre en place des procédures qui, en garantissant
la libre expression des opinions, incitent à la disparition des pratiques les
plus critiquables. Il est important d'intervenir d'abord dans les services
publics où l'exercice du droit de grève remet en cause le principe de
continuité du service public. Au demeurant, les salariés des services publics
font déjà l'objet d'une mesure dérogatoire à travers l'obligation du dépôt du
préavis qui leur est spécifique.
Il paraît normal que ceux qui travaillent dans le service public, lorsqu'ils
sont informés qu'un préavis de grève a été déposé et que la grève va être
déclenchée, puissent savoir le plus exactement possible combien de personnes
sont à l'origine de cette grève.
Comme certains excellents collègues socialistes l'ont souligné au cours des
débats en commission, faire la grève est une décision lourde de conséquences,
et ce n'est jamais de gaieté de coeur qu'un salarié se décide à arrêter le
travail étant donné les conséquences financières qui en résultent pour lui.
Il est donc important que le salarié qui s'apprête à faire le sacrifice que
représente pour lui la grève dispose d'informations claires sur les enjeux de
la négociation, comme le propose notre rapporteur, mais aussi sur les
conditions dans lesquelles le mouvement de grève est déclenché.
Aujourd'hui, le salarié apprend qu'un mot d'ordre de grève est lancé et qu'une
assemblée générale a confirmé la grève sans savoir exactement quel est le degré
d'assentiment des revendications qui justifient la grève.
Je propose donc de généraliser le principe du vote à bulletin secret sur
toutes les décisions relatives au déclenchement ou à la poursuite d'une
grève.
Bien entendu, les résultats du scrutin n'ont aucune incidence juridique de
nature à empêcher l'exercice du droit de grève par chacun des salariés
travaillant dans les services publics. L'amendement ne porte pas atteinte au
droit de grève ni à la liberté de fonctionnement du syndicat puisque ce dernier
peut décider s'il y a vote ou non. Mais, s'il y a vote, celui-ci doit se passer
dans des conditions de transparence minimale vis-à-vis des salariés du syndicat
concerné ou même de l'entreprise en général.
Il ne s'agit pas, par ce dispositif, de s'inscrire dans une tradition qui
n'est pas la nôtre et d'interdire, comme au Royaume-Uni par exemple, le dépôt
d'un préavis de grève dès lors qu'une majorité, dûment constatée par un vote
régulier et secret, n'a pas été recueillie au sein de l'entreprise.
Cet amendement ne remet pas en cause le droit de grève. Il rappelle seulement
que celui-ci doit être exercé en respectant les principes mêmes de la
démocratie qui sont au coeur du fonctionnement de notre République.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
M. Chérioux évoque les principes de la démocratie qui
sont au coeur de notre République, et jusque-là je peux le suivre.
Au-delà de ce souci fort louable, cette disposition jetterait, je le crois, la
suspicion sur la légitimité des organisations syndicales représentatives du
personnel. Je rappelle que la loi définit les conditions dans lesquelles ces
organisations sont considérées comme représentatives et leur réserve alors le
droit de déposer un préavis de grève.
Une telle remise en cause des syndicats serait lourde de conséquences et
pourrait finalement être interprétée comme une tentative de remise en cause de
la place reconnue par notre droit aux organisations représentatives du
personnel. Dans ces conditions, le Gouvernement émet un avis défavorable sur
cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2
Mme Gisèle Printz.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Le groupe socialiste votera contre cet amendement, et d'abord pour une raison
de principe.
Les salariés, qu'ils travaillent dans une entreprise privée ou dans la
fonction publique, sont des citoyens adultes auxquels il appartient de se
déterminer comme ils l'entendent. C'est donc à eux seuls que revient le droit
de décider selon quelles modalités ils vont choisir de participer ou non à une
grève.
C'est aussi à eux seuls de décider comment ils entendent terminer une grève,
et je note que l'amendement est, à cet égard, déséquilibré puisqu'il ne prévoit
de vote à bulletin secret que pour le déclenchement éventuel d'une grève mais
non pour sa fin. Comme si, dans l'esprit de nos collègues de la majorité
sénatoriale, il convenait d'encadrer avec vigilance le comportement des
salariés lorsqu'ils menacent de se mettre en grève, mais pas lorsque la grève
tend à prendre fin. C'est là le reflet d'une vision selon laquelle les salariés
ne feraient qu'obéir à d'hypothétiques « meneurs » et seraient, en quelque
sorte, entraînés dans la grève persque malgré eux !
M. Jean Chérioux.
A vous entendre, ce n'est jamais arrivé !
Mme Gisèle Printz.
Quant aux bons salariés, ceux qui seraient réticents devant la perspective de
la grève, peut-être risqueraient-ils d'être victimes de menaces de la part de
leurs collègues...
Tout cela relève d'une profonde condescendance à l'égard du monde du travail,
jugé
a priori
incapable de s'organiser et de décider de façon
démocratique de faire grève ou non.
Cette analyse témoigne aussi d'une méconnaissance à peu près totale des
réalités et de la manière dont la grève se décide. Comme l'exposé des motifs le
dit, ce n'est pas de gaieté de coeur que l'on décide de faire grève.
M. Jean Chérioux.
Ah oui !
Mme Gisèle Printz.
Cela se fait à l'issue d'un long processus de discussion parmi les
travailleurs. Des personnes qui perçoivent un salaire modeste ne vont pas, dans
un moment d'aberration, décider de diminuer encore leur revenu en s'engageant
dans une grève dont on ignore au départ si elle va ou non durer.
Pour l'avoir vécu, je peux témoigner que la grève n'est jamais une
improvisation. Elle est toujours la marque d'un mécontentement et d'un malaise
profonds chez les salariés et elle ne se déclenche jamais, comme les mythiques
presse-boutons, par la volonté de deux ou trois personnes.
Quel que soit le mode de décision démocratique que les salariés choisissent,
c'est toujours une décision difficile et un engagement fort qu'il convient de
respecter.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, mes chers collègues, l'amendement de M. Chérioux ne
nous étonne pas en ce sens qu'il témoigne de sa profonde méconnaissance du
monde du travail et de son organisation. Pour nous, en effet, la
représentativité des organisations syndicales présente un caractère fondamental
quant au processus de déclenchement d'une grève. Au-delà d'un acquis, nous y
voyons un droit imprescriptible. Nous percevons finalement la proposition
formulée par M. Chérioux comme un stratagème qui ne saurait davantage nous
étonner.
En effet, en dépit des protestations, le chemin parcouru depuis le dépôt de la
proposition de loi de M. Arnaud jusqu'à la proposition formulée par M. le
rapporteur démontre bien que l'objectif visé - d'ailleurs, notre collègue, M.
About en convient -, consistait à remettre en cause le droit de grève dans le
secteur public, notamment dans le domaine des transports publics spécifiquement
visés. Comme Mme Borvo l'a fort bien démontré, une telle attitude nous paraît
condamnable.
Pour nous, cet amendement est l'expression d'un mépris à l'encontre des
travailleurs. Je crois qu'il faut miser sur l'intelligence des organisations
syndicales et considérer que le déclenchement d'une grève est toujours
l'expression d'une majorité des salariés. Est-il concevable que les
organisations syndicales optent pour une conduite suicidaire en lançant des
mouvements qui ne susciteraient pas l'adhésion de la majorité des salariés ?
Si votre amendement a toutefois quelques justifications, pourquoi avez-vous
cru bon d'affirmer, dans deux paragraphes, qu'il n'avait aucune incidence
juridique de nature à empêcher l'exercice du droit de grève ?
M. Jean Chérioux.
Absolument !
M. Guy Fischer.
Sachez, monsieur Chérioux, que le scrutin secret est employé très fréquemment,
et plus souvent que vous ne l'imaginez, lors des conflits. Bien souvent, et
depuis très longtemps, c'est à scrutin secret que se décide la reconduction
d'une grève. Je pense qu'il ne vous a pas échappé qu'il en va de même lorsqu'il
s'agit de conclure un mouvement.
L'objectif final de votre amendement est-il la création des emplois
nécessaires à la mise en oeuvre d'une telle procédure ? Je ne vous ferai pas
l'affront de répondre par l'affirmative, car vous aggraveriez ainsi les
lourdeurs administratives que vous décriez tant.
Nous ne pouvons qu'être opposés à un tel amendement qui s'inscrit dans la
droite ligne de tout un débat politique destiné à instaurer un service minimum
et à remettre en cause un droit imprescriptible.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes.)
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, je suis consterné par les réponses qui m'ont été faites
(M. Fischer s'exclame.)
C'est ainsi que toute l'argumentation de Mme
Printz s'articule autour de l'idée selon laquelle le vote à bulletin secret
concernerait exclusivement le déclenchement des grèves et non la décision d'y
mettre un terme. Je vous fais remarquer qu'en précisant que le vote à bulletin
secret concerne la décision de poursuivre la grève, il peut tout aussi bien
s'agir de son arrêt éventuel.
M. Dominique Braye.
Tout à fait !
M. Jean Chérioux.
Par conséquent, madame Printz, votre argumentation, qui reposait sur cette
subtile distinction, n'a plus d'objet. La décision de poursuivre pouvant ou non
emporter la fin de la grève, votre démonstration est nulle et non avenue.
M. Guy Fischer.
Vous vous référez pourtant bien au déclenchement ou à la poursuite de la grève
!
M. Jean Chérioux.
Epargnez-moi les exégèses de mes propres textes ! Je suis parfaitement capable
de les expliquer tout seul !
Par ailleurs, il me semblait au départ que mon collègue, M. Guy Fischer,
voyait dans cet amendement une offense à la représentativité syndicale, une
position de principe, donc, qui pouvait offrir matière à discussion.
M. Guy Fischer.
C'est vrai !
M. Jean Chérioux.
En tout état de cause, j'estime qu'il n'est jamais choquant en démocratie
d'opter pour le scrutin secret auquel notre collègue, par la suite, a reconnu
qu'il était reconnu constamment. Pourquoi donc employer ce ton dramatique à
l'égard de ma proposition ?
Mme Nicole Borvo.
Parce que ce n'est pas à vous d'en décider !
M. Jean Chérioux.
Elle se contente de recommander une pratique, de surcroît excellente et qui
est celle des syndicats, auxquels je tire mon chapeau et que je félicite. Je
les encourage à poursuivre dans cette voie, comme j'incite mes collègues à
voter ce texte qui consacrera une pratique effectivement en vigueur dans les
syndicats.
(Très bien ! sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE. -
Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Nicole Borvo.
Ce n'est pas à la loi de l'imposer !
M. Dominique Braye.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Je n'avais pas prévu de prendre la parole, mais comment pourrais-je me taire
après les attaques dirigées contre l'amendement de notre collègue, M. Jean
Chérioux, lequel a développé la plupart des arguments que je comptais évoquer,
me coupant ainsi l'herbe sous le pied ?
Les éléments qui ont été avancés par ses contradicteurs sont fallacieux.
M. Jean Chérioux.
Attristants !
M. Dominique Braye.
Comme l'a dit M. Chérioux, la procédure proposée par l'amendement n° 2
concerne à la fois le déclenchement et la poursuite, donc éventuellement, la
fin de la grève. Vous interprétez cet amendement pour justifier une
argumentation manifestement irrecevable.
Les propos de M. Fischer traduisent fidèlement la dialectique selon laquelle
les communistes seraient les seuls à connaître le monde du travail et à ne pas
mépriser lestravailleurs.
Etant moi-même fils de cheminot, je me souviendrai toujours de mon père qui,
revenant du travail, me disait que, parmi ses collègues, quelques activistes
imposaient leurs vues et leurs options à une majorité de personnes qui ne
voulaient pas faire la grève.
Or, ce propose veut M. Chérioux, c'est la généralisation du scrutin à bulletin
secret, dont vous avez convenu vous-même, monsieur Fischer, qu'il était souvent
utilisé et qu'il était de bon aloi.
Par conséquent, pourquoi ne pas le généraliser, afin qu'un certain nombre de
leaders - qui sont généralement à vos côtés - ne puissent pas imposer, contre
tout esprit de démocratie et de liberté, leur position aux autres travailleurs,
qui souvent ne veulent pas faire grève ?
Voilà encore huit jours, la majorité des salariés du réseau de transport
urbain du district urbain de Mantes-la-Jolie, que je préside, sont venus se
plaindre auprès de moi de ne pas pouvoir travailler parce qu'une minorité de
leurs collègues étaient en train de bloquer l'accès au dépôt.
Je trouve cette situation scandaleuse et il me paraîtrait donc excellent de
généraliser ce scrutin à bulletin secret dont M. Fischer reconnaît
effectivement la qualité. Tout le monde s'exprimerait ainsi en toute liberté et
sans aucune contrainte de quelque ordre que ce soit car il s'agit parfois de
menaces, voire de pressions physiques, monsieur Fischer.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 2.
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - Le Gouvernement présentera au Parlement, dans un délai de deux ans
à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport établissant le
bilan des grèves dans les services publics au sens de l'article L. 521-2 du
code du travail, des négociations collectives prévues à l'article premier et de
l'application des accords conclus ainsi que des mesures prises par les
établissements, entreprises et organismes concernés pour rendre compatible le
principe de continuité du service public avec l'exercice du droit de grève. Ce
rapport est établi après consultation des associations d'usagers du service
public. »
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
L'article 3 prévoit que le Gouvernement présentera devant le
Parlement, d'ici à deux ans, le bilan de la conflictualité dans le secteur
public. Il constitue en ce sens une forte incitation à la signature et à la
réussite des accords de prévention des conflits que les partenaires sociaux
sont invités à négocier en application de l'article 1er.
Je dois souligner, à l'intention de nos collègues, qu'il ressort de l'audition
à laquelle j'ai procédé du président du Haut Conseil du secteur public, qu'il
n'existe pas actuellement de données valables pour connaître la conflictualité
dans le secteur public au sens large et, à plus forte raison, pour en
déterminer les origines et les évolutions.
Si tel n'est évidemment pas le seul objet de cet article 3 - ce sur quoi je me
suis expliqué précédemment - il faut souligner l'intérêt de ce bilan qui nous
permettrait de disposer de points de repère qui nous font actuellement
défaut.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Intitulé
M. le président.
La commission des affaires sociales propose de rédiger comme suit l'intitulé
de la proposition de loi : « Proposition de loi visant à prévenir les conflits
collectifs du travail et à garantir le principe de continuité dans les services
publics. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix cette proposition.
M. Guy Fischer.
Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
Mme Gisèle Printz.
Le groupe socialiste également !
(La proposition est adoptée.)
M. le président.
En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer.
Initialement, nous devions discuter cet après-midi de la proposition de loi de
M. Arnaud, visant à instaurer dans l'ensemble du secteur public un service
minimum.
La commission des affaires sociales, notant que la solution préconisée, non
sans arrière-pensées, pour assurer la synthèse entre l'exercice d'une liberté
fondamentale, à savoir le droit de grève, et des exigences d'ordre public,
n'était qu'un pis-aller, a choisi une voie plus feutrée, mais néanmoins tout
aussi dangereuse, pour réglementer le droit de grève.
M. Huriet entend tout de même légiférer. Il espère ainsi inciter fortement les
partenaires sociaux à négocier rapidement des accords collectifs instituant une
procédure d'alarme sociale de type RATP. Au-delà de l'amélioration du dialogue
social, l'objectif poursuivi consiste à prévenir les grèves, tout en modifiant
les règles relatives au préavis obligatoire.
A priori,
privilégier le dialogue social est une démarche louable : la
seule optique, selon nous, capable de désamorcer les conflits. Toutefois,
l'intervention législative ne nous paraît ni opportune ni nécessaire.
Avant tout, le droit de grève, partie intégrante de l'action revendicative,
est un droit fondamental de chaque salarié.
Bien qu'il soit exercé collectivement, et dans certains cas individuellement,
ce droit n'appartient pas pour autant aux organisations syndicales.
Enfin, à terme, si ces négociations n'ont pas abouti, vous entendez,
messieurs, permettre au législateur de sanctionner en instaurant un service
minimum.
Si la méthode est différente, l'objectif, lui, est identique : vous entendez
restreindre le droit de grève, déjà passablement aménagé !
La limitation négociée par la recherche d'accords d'autolimitation du droit de
grève avec les organisations syndicales, les procédures préalables de
conciliation, l'allongement du préavis et l'instauration du service minimum
sont autant de solutions visant à rendre inoffensive l'utilisation de ce
droit.
Messieurs, vous invoquez le principe de continuité du service public et le
droit des usagers à utiliser ces services, droit se heurtant à celui des
salariés de suspendre leur travail pour faire aboutir des revendications
professionnelles.
Toutefois, quand vous étiez au pouvoir, avez-vous pensé aux besoins et aux
attentes fortes des usagers lorsque les conséquences de vos choix budgétaires
catastrophiques entraînaient, pour ces derniers, des fermetures de lignes SNCF
non rentables, de gares, et l'absence de desserte de banlieues ?
Acte social important, facteur de progrès social, rejoignant l'intérêt général
des usagers demandeurs d'un service public de qualité, cette liberté du salarié
de faire grève ne peut être réduite. C'est pourquoi, aujourd'hui, le groupe
communiste républicain et citoyen votera contre les propositions de la
commission, qui généreront une application étriquée de cette liberté
constitutionnelle.
Nous avions décidé de ne pas nous inscrire dans ce débat démagogique, car il
n'apporte aucune solution concrète aux problèmes de notre service public auquel
l'ensemble des Français est attaché.
Avant tout, il convient de réhumaniser le service public, d'en renforcer les
moyens, les effectifs, toutes mesures susceptibles de favoriser le climat
social.
Vous l'avez compris : nous voterons contre la proposition de loi telle qu'elle
a été présentée par la commission des affaires sociales.
(Applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
Avant de donner la parole à M. Arnaud, je rappellerai une nouvelle fois,
monsieur Fischer, que, conformément à l'article 42 du règlement du Sénat, nous
avons examiné cet après-midi les conclusions de la commission des affaires
sociales, et non la proposition de loi de M. Arnaud.
Vous me pardonnerez sans doute, monsieur Arnaud, cette nouvelle mise au point
et je vous donne donc la parole.
M. Philippe Arnaud.
Je vous pardonne bien volontiers, monsieur le président, d'autant que j'ai
obtenu cet après-midi les réponses que je souhaitais.
Tout à l'heure, lors de mon intervention à la tribune, j'ai indiqué que
j'avais appelé l'ensemble des partenaires et le Parlement à se saisir de cette
question, qui est récurrente, et à y apporter des réponses afin de ne pas
dévaloriser le service public auquel nos concitoyens sont très attachés et
d'éviter la cassure ou le risque de cassure entre la société civile et les
services publics. Les réponses apportées par la commission vont tout à fait
dans le sens que je souhaitais. Des solutions sont enfin apportées qui, M. le
rapporteur l'a bien précisé, fixent un cadre tout en laissant aux partenaires
sociaux le soin d'organiser eux-mêmes le dialogue dans chaque entreprise. Voilà
qui me satisfait pleinement. Aussi, je voterai ce texte.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Lorsque certains collègues se sont exprimés contre les
propositions de la commission, j'ai eu le sentiment qu'ils étaient quelque peu
gênés aux entournures.
M. Guy Fischer.
Oh !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Monsieur le ministre, les arguments que vous avez développés
manquaient de consistance. Vous vous êtes opposé à tout, sous prétexte que
cette initiative provenait de la majorité sénatoriale. Est-ce à dire que vous
considérez la situation actuelle et l'évolution qui s'amorce comme entièrement
satisfaisantes ?
En ce qui concerne le fonctionnement des services publics, je crois que peu de
Français seront en accord avec vous.
Certes, l'évolution que le texte a connue, à l'instant encore, par rapport à
la proposition initiale de notre collègue M. Arnaud a suscité des questions.
Cependant, mes chers collègues, vous êtes suffisamment habitués au travail
parlementaire pour savoir que lorsqu'une commission parlementaire désigne un
rapporteur qui procède à des auditions, celui-ci a toute latitude, en contact
étroit avec le président de la commission et avec un certain nombre de
commissaires qui le souhaitent, pour donner au texte initial les orientations
et le contenu qu'il juge bons afin d'atteindre l'objectif fixé au départ.
Aussi, je ne crois pas avoir contrevenu aux usages, ni être allé au-delà des
responsabilités que la commission des affaires sociales m'avait confiées.
Il est un point sur lequel je suis en accord avec M. Fischer, et il n'en sera
pas surpris. Réhumaniser le service public fait partie de nos objectifs
communs. Je voudrais qu'il m'en soit donné acte. Je souhaiterais aussi qu'il
soit donné acte à la majorité sénatoriale que, à aucun moment, elle n'a eu
l'intention de remettre en cause le droit de grève, qui est reconnu par la
Constitution.
Notre objectif, c'est de contribuer par tous les moyens possibles - à cet
égard, le législateur a des responsabilités éminentes - à améliorer le dialogue
social dans les entreprises publiques. Voilà quel est l'enjeu principal.
Vous nous avez dit, et chacun en convient, qu'une évolution est engagée depuis
des années. Elle tient, pour une part, à une meilleure prise de conscience de
la responsabilisation des acteurs sociaux, et nous devons nous en réjouir.
Cette évolution est liée aussi à certains facteurs extérieurs : la force de
l'opinion publique, la concurrence face au monopole et l'Europe.
Ces facteurs positifs et cette évolution satisfaisante devraient vous rendre
moins critique à l'égard de l'article 3, aux termes duquel le Gouvernement
présentera un rapport dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de
la loi, et de l'article 1er, qui prévoit que les organisations syndicales
disposent d'un délai de un an à compter de la promulgation de la loi pour
négocier. En effet, mes chers collègues, si vous croyez que cetteévolution se
poursuivra et que la responsabilisation des acteurs se développera, fixer à un
an le délai pour établir le bilan de la démarche que la majorité sénatoriale a
voulu initier ne me paraît pas être une mesure contraignante, ni constituer une
sorte de menace pour obliger les partenaires sociaux à négocier sous la
contrainte.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques
observations que je voulais formuler. Je remercie celles et ceux qui ont
contribué à ces discussions, tout en souhaitant ardemment, monsieur le
ministre, qu'elles ne constituent pas une démarche inutile.
Une fois de plus, le Sénat a joué son rôle. Nous souhaitons que, lorsque le
texte viendra devant l'Assemblée nationale - je n'ose pas croire qu'il sera
inscrit à l'ordre du jour par le Gouvernement, mais sait-on jamais !
(Sourires)
-, le débat enrichisse la réflexion de nos concitoyens,
montre que le service minimum n'est pas une panacée ni une menace et que,
finalement, chacun doit apporter sa part pour que, dans le cadre d'une
modernisation du service public, la responsabilisation des principaux acteurs
contribue à faire en sorte que le service public à la française soit un service
de qualité.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Il est un sentiment qui est très largement partagé, à
savoir la volonté de moderniser le service public et de mieux concilier le
souci de continuité du service public et le droit de grève, qui est un droit
imprescriptible.
Comme je me suis efforcé de le démontrer à la Haute Assemblée, ou bien ce
texte évoque, sans toutefois le dire très clairement - il y a là une forte
ambiguïté - des moyens de contraintes, et alors il va à l'encontre de
l'objectif que vous cherchez à atteindre, ou il invite simplement les parties à
négocier et dès lors il est inutile. En tout état de cause, le Gouvernement est
défavorable à l'adoption de ce texte par le Sénat.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions de la commission des affaires
sociales.
(La proposition de loi est adoptée.)
5
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
M. le président.
Je rappelle que la commission des affaires culturelles a proposé une
candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par
l'article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Ambroise
Dupont membre du conseil d'orientation du Centre national d'art et de culture
Georges-Pompidou.
6
DÉPÔT DE QUESTIONS ORALES AVEC DÉBAT
M. le président.
J'informe le Sénat que j'ai été saisi des questions orales avec débat
suivantes :
I. - M. Jean-Claude Carle attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et
de la solidarité sur l'apprentissage qui a longtemps été une voie de formation
dénigrée, voire méprisée. Cette relégation a une origine culturelle. Notre pays
a longtemps privilégié les disciplines abstraites. L'enseignement technique,
l'enseignement professionnel et l'apprentissage étaient considérés comme les
voies de l'échec, alors que, dans le même temps, d'autres pays nous montraient
qu'ils pouvaient être au contraire celles de la réussite. Ils apportent, en
effet, une réponse simultanée au besoin de l'économie et au souhait du jeune.
Ils intègrent, en outre, le savoir, c'est-à-dire la connaissance, le
savoir-faire, c'est-à-dire la compétence, et le savoir-être, c'est-à-dire le
comportement. La crise économique et la montée du chômage ont montré les
limites d'un système éducatif trop monolithique, souvent coupé des réalités du
monde du travail. Depuis une quinzaine d'années, des mesures incitatives ont
donc été prises pour relancer l'apprentissage. Les résultats ne se sont pas
fait attendre. On comptait ainsi 370 000 jeunes en apprentissage au mois de
septembre 1998, contre 220 000 en 1992, soit une croissance de près de 70 % en
six ans. Cette envolée s'est en outre accompagnée d'une revalorisation notable
de l'image de cette filière. Mais cette évolution remarquable est récente et
encore fragile. Les effectifs d'apprentis atteignent à peine le quart des
effectifs étudiants, alors qu'en Allemagne, on comptait 1,5 million d'apprentis
en 1990 : 45 % des 17-18 ans suivaient cette filière contre 38 % celle de
l'enseignement général. L'effort devrait donc être poursuivi et approfondi. Or,
le Gouvernement le remet en cause. Ainsi, l'article 131 de la loi de finances
pour 1999 réserve le paiement de la prime de 6 000 francs à l'embauche aux
apprentis détenant un faible niveau de qualification. Cette mesure est
doublement néfaste pour l'apprentissage : elle en réduit l'attrait pour les
entreprises et, en le concentrant sur les formations de faible niveau, elle
nuit à son image. Le Gouvernement le reconnaît d'ailleurs implicitement puisque
il a prévu de financer 230 000 nouveaux contrats en 1999, contre 240 000 en
1998, soit une baisse de 4,2 %. Cette mesure est source d'inquiétude pour
l'avenir. Quelle politique entend suivre le Gouvernement en matière
d'apprentissage ? Entend-il désormais s'en tenir au niveau de développement
actuel ? Souhaite-t-il orienter différemment l'apprentissage ? (N° 9).
II. - M. Adrien Gouteyron attire l'attention de Mme le ministre de la culture
et de la communication sur la fréquence des incidents qui mettent en cause le
contenu des reportages diffusés dans les magazines d'information des chaînes de
télévision.
A la question traditionnelle de l'honnêteté et du pluralisme de l'information
s'ajoutent ainsi des préoccupations relatives à l'authenticité de documents
audiovisuels présentés au public. En outre, l'origine très diverse des images
utilisées et le recours à des structures de production indépendantes des
diffuseurs compliquent l'imputation de la responsabilité des manquements
constatés, celle-ci étant diluée entre plusieurs intervenants.
Il souhaite avoir connaissance de l'analyse du ministre sur cette dimension
nouvelle de la déontologie de l'information. Il souhaite savoir en particulier
si le ministre considère opportun de prévoir, dans le cadre du projet de loi en
cours d'élaboration, des dispositions susceptibles de mieux assurer ce que le
Conseil constitutionnel appelait « le respect de l'impératif d'honnêteté de
l'information » dans sa décision du 18 septembre 1986. (N° 10).
Conformément aux articles 79 et 80 du règlement, ces questions orales avec
débat ont été communiquées au Gouvernement et la fixation de la date de la
discussion aura lieu ultérieurement.
7
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union centriste une
proposition de loi visant à instituer des plans d'épargne retraite.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 218, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle
d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
8
DÉPÔT D'UN TEXTE SOUMIS
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement (CE) du Conseil portant organisation commune des
marchés dans le secteur du sucre.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1211 et distribué.
9
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Pierre Laffitte un rapport fait au nom de la commission des
affaires culturelles sur le projet de loi sur l'innovation et la recherche (n°
152, 1998-1999).
Le rapport sera imprimé sous le n° 217 et distribué.
10
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 16 février 1999.
A neuf heures trente : 1. Questions orales sans débat suivantes :
I. - M. René-Pierre Signé appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie sur la situation du lycée
professionnel François-Mitterrand de Château-Chinon. Ce lycée recrute ses
élèves dans la Nièvre pour 90 % de ses effectifs. La situation démographique de
la Nièvre, et plus particulièrement du Morvan, est à la baisse régulière. Dans
les années 85-91, depuis l'aménagement dans les nouveaux locaux, les effectifs
étaient supérieurs à 400, pour 92-96 ils ont chuté autour de 330. 97-98 a vu
une reprise avec 433, reprise qui ne s'est pas confirmée cette année puisque
les inscrits ne sont que de 311.
Des propositions sont à faire pour freiner cette baisse d'effectifs,
propositions générales et à court terme. Pour les premières : offrir des
formations à fort pouvoir d'attraction dépassant la zone de recrutement local
et même régional, ne pas se mettre en concurrence avec les villes environnantes
(Nevers et Autun), bien étayer les deux pôles d'excellence : hôtellerie et
métiers de l'alimentation et arts du bois en assurant la formation de base au
niveau V brevet d'études professionnelles et certificat d'aptitude
professionnelle (BEP et CAP), consolider le pôle tertiaire extrêmement fragile
(3 élèves en BEP de comptabilité).
Des propositions peuvent enrayer le déclin. Elles peuvent être étudiées en
fonction des possibilités locales et si une volonté politique s'affirme pour la
survie de cet établissement. (N° 382.)
II. - M. Jacques Machet rappelle à M. le ministre de l'équipement, des
transports et du logement que depuis 1990 les élus du département de la Marne
attirent régulièrement l'attention des services de l'Etat sur le carrefour « La
Provence » (intersection de la RN 44 et de la RD 19). Cette intersection est
située en haut d'une côte et la visibilité y est très réduite. En effet, les
usagers de la RD 19 qui veulent traverser la RN 44 ne peuvent le faire sans
prendre de risques. Par ailleurs, le trafic est très dense sur cette nationale,
et la vitesse sans doute excessive.
Malgré les nombreuses démarches auprès du préfet et du ministre de
l'équipement, des transports et du logement de la part des élus, malgré les
études qui ont été réalisées, notamment par le CETE de l'Est, centre d'études
techniques de l'équipement de l'Est, rien n'a bougé, rien sinon le nombre des
accidents très graves, le nombre des blessés et des morts. Aujourd'hui, les
usagers de ce carrefour, les élus attendent une réponse. Ils souhaitent la
modification de l'infrastructure, et pas seulement quelques panneaux de
signalisation supplémentaires. (N° 401.)
III. - M. Gérard Cornu attire l'attention de M. le ministre de l'équipement,
des transports et du logement sur une modification apportée par décret au code
de la route. Celle-ci dispose qu'à compter du 1er janvier 2000 les agriculteurs
ne seront plus autorisés à apporter leur concours aux départements et aux
communes en assurant le déneigement des routes à l'aide d'une lame
départementale ou communale montée sur leur propre tracteur, à moins qu'ils
soient titulaires d'un permis poids lourds, qu'ils fassent réceptionner leur
tracteur en position déneigement par le service des mines et qu'ils utilisent
du carburant non détaxé lors des interventions de cette nature. En empêchant
pratiquement les collectivités locales de poursuivre ce type de collaboration
par l'introduction d'une nouvelle catégorie de véhicules baptisés « engins de
service hivernal », le Gouvernement crée une situation dont les conséquences
financières ne sont pas neutres, loin de là. Ainsi, les communes qui ont fait
l'acquisition d'une lame de déneigement - et donc engagé des frais - vont
devoir la reléguer dans les hangars municipaux, faute d'utilisateur, et
s'attacher les services de petites entreprises ou d'artisans de travaux publics
pour déneiger les routes. Cela posera également des problèmes certains
d'organisation. Les entreprises ne pouvant, en effet, intervenir simultanément
sur tout le territoire concerné, l'isolement du milieu rural s'en trouvera à
nouveau renforcé. Il lui demande donc de bien vouloir prendre les dispositions
qui s'imposent pour que soit assouplie cette réglementation préjudiciable à la
fois pour les collectivités et pour les agriculteurs que l'on incite par
ailleurs à la pluriactivité. (N° 407.)
IV. - M. Maurice Blin attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et
de la pêche sur la réforme du régime de fonds structurels tendant à exclure de
ses interventions les scieries agricoles.
Les scieries sont parmi les premiers employeurs en milieu rural, notamment
dans les zones forestières qui couvrent aujourd'hui 27 % du territoire
national. Elles mobilisent une ressource sylvicole abondante et renouvelable
mise à la disposition de l'industrie du bois.
Pour répondre aux perspectives ouvertes par le rapport Bianco qui pourraient
permettre un fort développement de l'emploi en zone rurale, les scieries ont
besoin de réaliser de forts investissements. Ceux-ci devraient être accompagnés
par les aides, notamment communautaires et nationales, prévues dans les zones
éligibles à ce type d'actions.
Dans ces conditions, il est essentiel que la réforme annoncée du régime des
fonds structurels européens n'écarte pas du bénéfice de ses interventions, dans
son volet sylvicole, les scieries implantées en milieu rural.
Comment le ministre compte-t-il intervenir auprès des instances communautaires
pour défendre et développer un facteur économique essentiel au développement
rural ? (N° 412.)
V. - M. Georges Mouly attire l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre
de la justice, sur la situation des tribunaux de commerce, dont la suppression
d'un certain nombre serait préconisée par la mission ministérielle chargée de
la réforme de la carte judiciaire. Il lui demande de bien vouloir lui préciser
la position du Gouvernement sur cette question qui, par certains aspects,
touche à l'aménagement du territoire. (N° 415.)
VI. - M. Jean-Marc Pastor attire l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie sur les difficultés que
rencontrent les GRETA, groupements d'établissements de l'éducation nationale,
chargés de la formation continue.
Cette mission de service public leur a été conférée par la loi n° 71-575 du 16
juillet 1971 instituant la formation professionnelle continue, et réaffirmée
par la loi d'orientation sur l'éducation n° 89-486 du 10 juillet 1989.
Ces lois font des GRETA un dispositif de formation continue original : ils
tirent l'essentiel de leurs ressources de fonds publics (Etat et région)
affectés à la fonction publique, ainsi que de fonds affectés par les
entreprises à la formation de leurs personnels dans le cadre de leurs
obligations. Exerçant une mission de service public, les GRETA fournissent
notamment des services de formation de proximité par l'action de leurs réseaux
d'établissements. Ils assurent de ce fait l'ensemble des contraintes du service
public et ne peuvent limiter leurs activités aux seules actions de formation «
rentables », entraînant ainsi une distorsion par rapport aux autres organismes
chargés de formation. L'équilibre budgétaire des GRETA s'en trouve donc
particulièrement affecté, une grande majorité d'entre eux connaissant des
situations de déficit.
Cela risque de compromettre leur avenir à moyen terme. C'est pourquoi il
souhaiterait savoir si des mesures réglementaires ne pourraient pas être prises
en vue de préserver l'avenir des GRETA, ce qui paraît indispensable au maintien
d'un rôle public fort dans le domaine de la formation continue. (N° 419.)
VII. - Mme Marie-Madeleine Dieulangard souhaite interroger M. le ministre de
l'équipement, des transports et du logement sur les situations inextricables
que connaissent des marins étrangers, embarqués sur des navires appartenant à
des armateurs en faillite, et qui sont actuellement bloqués dans des ports
français.
Si le mouvement associatif et les collectivités locales se mobilisent pour
assurer le quotidien de ces marins, ces incidents se multiplient depuis
plusieurs années sans qu'aucune solution durable ne semble envisagée, malgré la
multiplication de conventions internationales et les initiatives suggérées par
les syndicats internationaux de marins.
Elle souhaiterait connaître les suites données au groupe de travail qui s'est
réuni le 6 octobre dernier à l'initiative du ministre, ainsi que la position
des autorités françaises sur la création d'une assurance mondiale obligatoire,
proposition émise dans le cadre d'un groupe d'experts BIT-OMI, Bureau
international du travail - Office des migrations internationales. (N° 420.)
VIII. - M. Ambroise Dupont attire l'attention de M. le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie sur les conditions de vente directe par Internet
au sein de l'Union européenne. Dans le cadre du régime transitoire de taxe sur
la valeur ajoutée, les produits achetés sur Internet sont taxés dans le pays de
destination car ils sont assimilés à des exportations. Les acheteurs européens
de produits français doivent alors effectuer eux-mêmes les formalités
douanières et acquitter la taxe sur la valeur ajoutée et les diverses autres
taxes locales. Ces obligations sont compréhensibles lorsque le destinataire est
une entreprise mais deviennent dissuasives lorsqu'il s'agit d'un particulier.
En conséquence, elles pénalisent l'extension du commerce électronique européen
en général et les petites et moyennes entreprises en particulier, celles-ci ne
pouvant contourner la difficulté en implantant des filiales dans les différents
pays de l'Union européenne, au contraire des grands groupes internationaux.
La Commission européenne a proposé, le 22 juillet 1996, un nouveau système de
TVA dont l'un des principaux éléments était un lieu unique de taxation que les
entreprises pouvaient déterminer librement. Cette proposition n'a cependant pas
abouti en raison d'un risque de délocalisation des entreprises qui pouvaient
dès lors choisir le pays offrant les meilleures conditions en matière de TVA.
Néanmoins, au moment où se met en place la monnaie unique, il lui demande s'il
compte proposer des solutions pour simplifier les démarches douanières et
fiscales liées à la vente directe par Internet au sein de l'Union européenne.
En effet, cette simplification ouvrirait de nouveaux débouchés aux petites
entreprises françaises qui ne disposent pas de réseaux de distribution
internationaux et, ainsi, favoriserait leur développement et la création
d'emplois. (N° 424.)
IX. - M. Bertrand Auban attire l'attention de M. le ministre de l'équipement,
des transports et du logement sur la nécessité de l'inscription au prochain
contrat de plan centre l'Etat et la région Midi-Pyrénées de la réalisation des
déviations de Saint-Béat, Arlos et Fos sur la RN 125.
Il souligne que ces déviations constitueront le seul débouché de Midi-Pyrénées
vers deux importantes régions espagnoles, la Catalogne et le val d'Aran. Il
insiste particulièrement sur les nuisances et les dangers actuellement
supportés par les populations des communes traversées par la RN 125. Il
rappelle que le conseil général de Haute-Garonne a manifesté à de nombreuses
reprises que la réalisation de ces déviations constituait pour lui une priorité
du prochain contrat de plan. Il lui demande que l'Etat affirme sa volonté
d'inscrire ces déviations au contrat de plan Etat-région Midi-Pyrénées. (N°
425.)
X. - M. Yann Gaillard attire l'attention de Mme le ministre de la culture et
de la communication sur les fouilles archéologiques et les difficultés
financières qu'elles occasionnent aux petites communes, notamment dans le
secteur du logement.
Ainsi, le maire d'une commune, qui dépose une demande de lotir sur un terrain
communal, peut voir apparaître des contraintes et des frais imprévus à la suite
de la découverte de vestiges sur le chantier. En effet, le service régional de
l'archéologie est parfois amené à prescrire des opérations de fouilles sur ces
sites. Les travaux sont à la charge du maître d'ouvrage, c'est-à-dire, dans le
cas précis, de la commune. Ces opérations non seulement retardent l'avancement
des travaux, mais peuvent également grever de façon substantielle le budget des
petites communes. L'intervention d'archéologues pendant plusieurs jours, voire
plusieurs semaines, peut en effet rapidement faire monter la facture.
S'il n'est pas question de remettre en cause le bien-fondé de telles
recherches qui permettent de connaître chaque fois un peu mieux notre passé, il
souligne que la prise en charge financière de telles opérations par les
communes, et surtout par les plus petites d'entre elles, constitue un poids si
lourd qu'il risque dans certains cas de stopper des projets de développement. A
preuve, l'exemple d'un maire du département de l'Aube, ayant porté à sa
connaissance le devis d'une campagne de fouilles sur un terrain communal où il
envisageait de construire un lotissement ; ce devis se montait à plus de 130
000 francs TTC pour une commune de 380 habitants dont le budget, comme celui de
la plupart des communes rurales, est serré. Le maire ne peut apparemment
prétendre à aucune aide... Car, s'il existe bien des aides éventuelles en
matière de logement social, rien n'est prévu lorsqu'il s'agit de lotissements
communaux. Si le coût supplémentaire lié aux fouilles lui était imposé, il
abandonnerait tout bonnement son projet, ce qui est dommage pour le
développement rural. Il lui demande s'il n'est pas possible alors d'envisager
la prise en charge intégrale de tels coûts par l'Etat, et ce afin de laisser
une chance au monde rural de se développer ? (N° 426.)
XI. - M. Michel Teston attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la
santé et à l'action sociale sur les conséquences de la fermeture du centre de
prélèvement de moelle osseuse de l'hôpital de Valence.
En effet, la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 a institué que seuls les
établissements hospitaliers habilités à effectuer des greffes d'organes peuvent
bénéficier du statut de « centre préleveur de moelle osseuse ». Si les
motivations du législateur en la matière sont pertinentes, cela ne va pas sans
avoir des conséquences importantes en ce qui concerne les départements de la
Drôme et de l'Ardèche. La fermeture du centre de prélèvement de Valence impose
aux donneurs volontaires de moelle osseuse de se déplacer jusqu'à Lyon ou
Grenoble pour effectuer leur don. Les deux donneurs inscrits pour le début de
l'année 1999 ont indiqué qu'ils renonceraient à leur don s'ils devaient se
déplacer à plus de 150 kilomètres. Par ailleurs, le centre de Grenoble a déjà
fait connaître qu'il se trouvait dans l'incapacité d'accueillir des donneurs
supplémentaires, en raison de ses possibilités de prélèvements limitées.
Or, le centre de prélèvement de Valence bénéficie de toutes les garanties
sanitaires. Le médecin responsable des prélèvements est d'ailleurs un médecin
spécialiste exerçant à Lyon. Enfin, tous les acteurs du monde médical de la
région s'accordent pour reconnaître les qualités d'accueil très attractives du
centre de Valence.
La fermeture de ce centre apparaît donc comme un véritable frein au
recrutement de nouveaux volontaires et au développement du fichier national des
donneurs, qui reste bien souvent la seule chance de survie offerte aux malades
leucémiques n'ayant pas de donneurs compatibles dans leur fratrie.
Tout le travail effectué par les associations de bénévoles oeuvrant pour le
recrutement de nouveaux donneurs risque d'être ainsi rendu encore plus
difficile qu'il ne l'est déjà.
Aussi, il lui demande de bien vouloir prendre toutes les mesures dérogatoires
possibles pour permettre le maintien de l'agrément du centre hospitalier de
Valence comme centre préleveur de moelle osseuse. (N° 427.)
XII. - Mme Hélène Luc demande à M. le ministre de l'éducation nationale, de la
recherche et de la technologie de bien vouloir l'informer des évolutions qu'il
envisage d'impulser dans l'enseignement professionnel afin que celui-ci
constitue véritablement une voie de la réussite en termes d'orientation, de
contenu et de débouchés.
Ainsi que le souligne le rapport qu'elle a présenté au nom de la commission
des affaires culturelles du Sénat, le 27 novembre dernier, cet enseignement
doit avoir vocation à assurer une insertion professionnelle de qualité tout en
favorisant la poursuite éventuelle d'études ainsi que l'adaptabilité à l'emploi
et aux changements de technologies.
C'est pourquoi, elle souhaite connaître la suite qu'il réservera aux avis et
propositions contenus dans ce rapport et la politique qui en résultera en
termes de décisions et de moyens nouveaux pour l'enseignement professionnel.
(N° 429.)
XIII. - M. André Diligent appelle l'attention de M. le ministre délégué à la
ville sur la question délicate mais attendue de la réforme du contingent d'aide
sociale.
Les conseils généraux essaient de répartir, de la manière la plus équitable
possible, entre l'ensemble des communes, le montant de cette participation à la
politique sociale des départements qui atteint une somme globale de 12
milliards de francs. Cependant, toutes les études récentes ont montré que le
calcul de la contribution conduit à des disparités.
Un exemple : en 1996, le contingent pour Roubaix - ville de près de 100 000
habitants - atteignait 354 francs par habitant, soit 6,6 % de ses dépenses de
fonctionnement. Pour cette ville, l'effort d'équité est largement compromis par
le mécanisme de l'écrêtement, imposé par la loi. En 1995, à la suite des quatre
tours d'écrêtement, la majoration était de plus de 6 millions de francs,
représentant ainsi plus de 20 % de son contingent.
Au regard de cette réalité, il lui demande où en sont les études entamées par
le Gouvernement sur ce projet de réforme pour lequel l'Association des maires
des grandes villes a proposé un certain nombre d'améliorations, parmi
lesquelles l'application obligatoire des critères définis par le décret du 31
décembre 1987 dans la fixation du contingent versé par chaque commune, le
plafonnement de la contribution globale des communes à un taux proche de la
moyenne nationale (15 %), la suppression de l'écrêtement prévu à l'article 7 du
décret du 31 décembre 1987, enfin le classement des communes en fonction de
l'indice synthétique comparable à celui de la dotation de solidarité urbaine
(DSU) et reprenant une partie des critères définis par le décret de 1987 et la
répartition de la contribution globale en fonction de ce classement. (N°
432.)
XIV. - Mme Marie-Claude Beaudeau rappelle à Mme le ministre de l'emploi et de
la solidarité que M. le Premier ministre a confié le 26 décembre 1997 une
mission à une députée chargée de définir les mesures à prendre en faveur du
respect et de la défense des droits des sourds dans leur accès à la
citoyenneté. Un rapport définissant 115 propositions lui a été remis et a été
publié le 30 juin 1998. Elle lui demande de lui faire connaître les suites
données à ce rapport et les premières mesures qu'elle envisage de prendre sans
attendre. (N° 433.)
XV. - M. Alain Gérard appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur
la nécessité de reconnaître à titre exceptionnel le caractère de catastrophe
naturelle à la tempête d'une violence extrême qui s'est abattue sur le port de
Loctudy dans la nuit du 20 décembre 1998, détruisant toute la flottille des
bateaux de pêche et endommageant les navires de plaisance.
Le fait que la tempête soit depuis 1990 un événement naturel assurable ne
saurait dispenser l'Etat de toute intervention dès lors qu'on est en présence
d'un agent naturel d'intensité anormale.
Reconnaître à titre exceptionnel le caractère de catastrophe naturelle à la
tempête du 20 décembre 1998 - comme ce fut le cas pour celle d'octobre 1987
restée dans beaucoup de mémoires - permettrait d'indemniser les dommages
matériels et immatériels subis au-delà de la couverture des risques déjà prévue
contractuellement pour les véhicules maritimes. (N° 434.)
XVI. - M. Jean Chérioux attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et
de la solidarité sur la pertinence actuelle du programme médicalisé des
systèmes d'information (PMSI) dans l'allocation des ressources hospitalières à
l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP). Il se fonde sur une étude
réalisée par le centre de gestion scientifique de l'Ecole des mines de Paris à
la demande de l'AP-HP et de l'Agence régionale de l'hospitalisation
d'Ile-de-France, étude ayant mis en évidence d'importants éléments de surcoûts
qui résultent de charges spécifiques à l'AP-HP. Ces surcoûts, qui ont été
chiffrés précisément par l'étude, proviennent notamment : de charges
spécifiques de personnel ; de l'activité de recherche et d'enseignement ; du
fait que des services de pointe sont « surdimensionnés » pour réaliser des
activités de soins courants ; du recrutement en province et à l'étranger, pour
des pathologies graves et onéreuses ; de la difficulté rencontrée pour trouver
des places en moyen séjour après une hospitalisation ; de la sous-cotation,
dans le PMSI, de l'activité de consultation, particulièrement développée à
l'AP-HP.
Le surcoût mesuré par l'étude de l'Ecole des mines s'élève, pour les seules
charges de personnel et les consultations, à 550 millions de francs par rapport
aux autres hôpitaux d'Ile-de-France. Mais on peut aussi citer, par exemple, 600
millions de francs au titre des activités de pointe et 530 millions de francs
en raison de l'attente pour trouver un accueil en moyen séjour.
Il souhaiterait connaître la manière dont ces différents surcoûts, d'un
montant très élevé, seront pris en compte dans la répartition des ressources
entre les hôpitaux publics. (N° 435.)
XVII. - M. Jean-Pierre Demerliat attire l'attention de M. le ministre de
l'agriculture et de la pêche sur les retards de versements des compensations
pour les secteurs bovin et ovin.
En effet, des retards importants dans le versement des primes à la vache
allaitante pénalisent lourdement quelque 700 agriculteurs du département de la
Haute-Vienne, qui ont déjà manifesté leur colère et se sentent les oubliés
d'une agriculture dont pourtant ils assurent la promotion.
De même, la prime compensatrice ovine n'est pas versée aux éleveurs ovins dans
des délais normaux alors même que la baisse des cours fragilise leurs
exploitations.
Il serait donc souhaitable que le ministère prenne toutes les dispositions
utiles pour éviter ce genre de dysfonctionnement dont pâtissent les éleveurs,
notamment les éleveurs du bassin allaitant. (N° 438.)
XVIII. - Mme Janine Bardou attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi
et de la solidarité sur l'inquiétude croissante ressentie par les entreprises
de transports routiers publics de voyageurs, à la suite de l'application de la
loi sur l'aménagement et la réduction du temps de travail.
En effet, dans le cadre des ramassages scolaires, l'ensemble de ces
entreprises utilise des salariés à temps partiel qui effectuent un service le
matin et un deuxième en fin de journée. Or, la loi n'autorise plus, à compter
du 1er janvier 1999, qu'une coupure journalière d'une durée maximale de deux
heures pour le personnel à temps partiel. Il va sans dire que les conséquences
de cette décision sont immédiates pour ces entreprises.
Or, le recours à un second chauffeur est difficilement applicable pour deux
raisons : d'une part, cet argument ne plaide pas en faveur de la sécurité des
enfants transportés et du suivi des difficultés ponctuelles pouvant survenir ;
d'autre part, dans la situation actuelle de l'emploi, il est certain que les
entreprises auront des difficultés à trouver ce type de personnel.
Aussi, se faisant l'écho des préoccupations des entreprises de transports
routiers publics de voyageurs, elle lui demande ce qu'elle compte faire pour
pallier ces difficultés. (N° 443.)
A seize heures et le soir :
2. Discussion des conclusions du rapport (n° 202, 1998-1999) de la commission
mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion du projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte
paritaire.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du projet de loi
organique.
3. Discussion des conclusions du rapport (n° 201, 1998-1999) de la commission
mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion du projet de loi relatif à la Nouvelle-Calédonie.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte
paritaire.
4. Discussion du projet de loi (n° 8, 1998-1999) portant création de
l'autorité de contrôle technique de l'environnement sonore aéroportuaire.
Rapport (n° 204, 1998-1999) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 15 février 1999, à dix-sept
heures.
5. Discussion du projet de loi (n° 516, 1997-1998), adopté par l'Assemblée
nationale, relatif aux enquêtes techniques sur les accidents et les incidents
dans l'aviation civile.
Rapport (n° 205, 1998-1999) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 15 février 1999, à dix-sept
heures.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des
amendements.
Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième
lecture, relatif aux polices municipales (n° 183, 1998-1999) :
- Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mardi 16 février 1999, à dix-sept heures ;
- Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 février 1999, à
dix-sept heures.
Projet de loi sur l'innovation et la recherche (n° 152, 1998-1999) :
- Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mercredi 17 février 1999, à dix-sept heures ;
- Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 17 février 1999, à
dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE
CONSEIL D'ORIENTATION DU CENTRE NATIONAL D'ART
ET DE CULTURE GEORGES-POMPIDOU
Lors de sa séance du jeudi 11 février 1999, le Sénat a désigné M. Ambroise Dupont pour siéger au sein du conseil d'orientation du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, en remplacement de M. Michel Pelchat, démissionnaire.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES FINANCES
M. Denis Badré a été nommé rapporteur de la proposition de résolution n° 164
(1998-1999), présentée en application de l'article 73
bis
du règlement
par M. Denis Badré, sur la communication de la Commission au Conseil et au
Parlement européen sur l'établissement de nouvelles perspectives financières
pour la période 2000-2006 (n° E 1049) et sur le document de travail de la
Commission : accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire et
l'amélioration de la procédure budgétaire (n° E 1128).
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Fiscalité applicable au traitement des déchets
457.
- 11 février 1999. -
M. Jean-Paul Amoudry
appelle l'attention de
M. le secrétaire d'Etat au budget
sur les interrogations d'un certain nombre d'établissements publics de
coopération intercommunale sur le sens précis des dispositions de l'article 31
de la loi de finances pour 1999 n° 98-1266 du 30 décembre 1998 prévoyant que
les prestations de tri et de traitement des déchets ayant fait l'objet d'un
contrat entre une commune ou un EPCI et un organisme ou une entreprise agréée
seront désormais assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 5,5 %.
En effet, il semble que l'interprétation de ces dispositions fasse actuellement
l'objet d'analyses divergentes. C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir
lui indiquer s'il convient de considérer, dans le cas d'un EPCI ayant conclu un
contrat multimatériaux avec Eco-Emballages, et procédant à l'incinération des
déchets non recyclés, que le taux réduit de TVA s'applique, d'une part, à
l'ensemble des dépenses de ce syndicat relatives au transport et au traitement
de la totalité des déchets traités ; d'autre part, à la facturation de ce
service aux adhérents de cet EPCI.