Séance du 16 février 1999
ENQUÊTES TECHNIQUES SUR LES ACCIDENTS
DANS L'AVIATION CIVILE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 516, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux enquêtes techniques sur les
accidents et les incidents dans l'aviation civile. (Rapport n° 205
[1998-1999].)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, la sécurité est à la fois une
exigence de nos concitoyens et une nécessité de l'activité économique.
D'une part, le droit à la sécurité est un droit fondamental auquel aspire le
corps social. Tout doit être entrepris pour prévenir les accidents, avec leur
cortège de souffrances et de vies gâchées.
C'est une action prioritaire que je me suis assignée dans tous les domaines
des transports, comme j'ai souvent eu l'occasion de l'exprimer devant vous. En
matière de sécurité routière, un projet de loi vient d'être examiné en deuxième
lecture au Sénat - il a été adopté à l'unanimité - afin de diviser par deux le
nombre de tués en cinq ans. Dans le domaine maritime, les premières conclusions
du Bureau d'enquêtes-accidents mis en place en décembre dernier ont donné lieu
à des prescriptions aux armateurs et aux compagnies maritimes.
Grâce aux technologies de pointe et au professionnalisme, la sécurité en
aéronautique se situe à un haut niveau : on ne compte en moyenne que vingt-cinq
accidents mortels par an pour 1,5 million de départs. C'est encore trop. Il ne
faudrait pas, en outre, que la croissance du trafic aérien s'accompagne d'une
augmentation du nombre d'accidents ou de catastrophes. Ainsi, un accident très
grave a été évité de peu à Montpellier, où un Airbus a heurté un planeur.
D'autre part, la sécurité est un enjeu économique. La France est en effet un
carrefour de routes aéronautiques et une destination privilégiée pour le
tourisme et les affaires. L'an passé, nous avons encore battu un record dans ce
domaine puisque 70 millions de touristes sont venus chez nous, ce qui fait de
notre pays la première destination touristique mondiale. Ses compagnies
transportent chaque année des millions de passagers.
Par ailleurs, notre pays a aussi la responsabilité première de la sécurité des
principaux avions et hélicoptères civils européens - en particulier des Airbus
- et des moteurs qui peuvent être montés sur d'autres types d'avions, notamment
le CFM 56, qui est produit à parité par General Electric et la SNECMA, et qui
est l'un des plus utilisés. Naturellement, cette responsabilité nous crée des
devoirs vis-à-vis de nos partenaires européens, mais aussi de tous les pays qui
exploitent les aéronefs dont nous garantissons la sécurité. C'est, du reste, la
seule politique propre à assurer l'avenir et le développement durable de
l'industrie aéronautique civile européenne et à protéger les nombreux emplois
de haute qualification qui lui sont associés.
Dans le cadre de cette démarche de sécurité, tous les aspects de l'aviation
civile, de la conception des aéronefs au contrôle de la navigation aérienne,
sont normalisés, réglementés et contrôlés. Mais, on le sait, aucune
organisation humaine n'échappe au risque d'erreurs. Pour une efficacité
maximale, il faut donc analyser systématiquement les événements inhabituels et
faire part des enseignements que l'on peut en tirer à tous ceux qui sont
intéressés au premier chef, c'est-à-dire aux compagnies aériennes et aux
constructeurs, bref, mettre en oeuvre le retour d'expérience. Les enquêtes sont
ainsi devenues un outil indispensable de la sécurité de l'aviation.
Bien entendu, l'enquête ne peut être menée dans le seul cadre national. En
effet, nos avions se rendent à l'étranger, nos concitoyens empruntent des
lignes aériennes étrangères et ce sont les mêmes modèles d'avions qui assurent
l'essentiel des vols. La directive de novembre 1994 a précisé le cadre
juridique des enquêtes accidents, dans le droit-fil de ce que l'OAC,
l'Organisation de l'aviation civile internationale, prévoit.
Le présent projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, définit un
nouveau cadre juridique propre à satisfaire à toutes les exigences que je viens
de rappeler. Il tend à insérer dans le code de l'aviation civile un livre VII
ayant pour objet l'enquête relative aux accidents et incidents d'aviation
civile. Je dis bien « accidents et incidents », car l'analyse des incidents et
les leçons que nous pouvons en tirer servent précisément à éviter les
accidents.
Le titre Ier du projet de loi comporte, outre une définition de l'accident et
de l'incident, des précisions sur l'objet de l'enquête.
L'enquête technique n'a pas pour objet - j'insiste sur ce point parce que
c'est parfois mal perçu - de déterminer les fautes et les responsabilités. Il
s'agit d'analyser les circonstances de l'accident ou de l'incident, d'en
établir les causes certaines ou probables et de proposer, le cas échéant, dans
un but de prévention, des recommandations de sécurité.
Ce titre définit aussi la compétence territoriale des autorités françaises et
dispose que les accidents et incidents graves doivent faire obligatoirement
l'objet d'une enquête dès lors que l'aéronef en cause est muni d'un certificat
de navigabilité. Seuls les enquêteurs d'un organisme permanent spécialisé,
agissant en toute indépendance, peuvent effectuer des enquêtes.
Le titre II précise les compétences des enquêteurs, notamment en ce qui
concerne l'accès à l'aéronef ou à son épave, le contenu des enregisteurs de
bord, les documents relatifs à l'aéronef ou à l'équipage et les prélèvements
aux fins d'analyse de parties de l'épave.
Il organise aussi les relations entre les enquêteurs techniques et l'autorité
judiciaire, laquelle intervient notamment, en cas d'accident, pour déterminer
les fautes et les responsabilités.
Ce texte impose de préserver tous les éléments qui peuvent être utiles à
l'enquête. Il formalise les procédures en exigeant l'établissement de
procès-verbaux pour chaque élément de celle-ci.
Le titre III oblige l'organisme permanent, le Bureau enquêtes-accidents, le
BEA, à élaborer et à rendre public un rapport au terme de chaque enquête
technique.
Le titre IV énumère les sanctions pénales, auxquelles s'exposent les
contrevenants aux obligations qu'impose le présent projet de loi.
Enfin, ce texte donne un statut aux enquêteurs aériens français, qui sont des
professionnels internationalement reconnus, entièrement dévoués à la sécurité
de l'aviation. Ils sont parfois critiqués. J'ai eu l'occasion d'aller voir le
travail exceptionnel et extraordinaire qu'ils accomplissent et dont j'ai pu
noter la complexité et le sérieux. Ils peuvent même être calomniés par ceux que
leurs conclusions dérangent.
En adoptant ce projet de loi, vous ne leur donnerez pas seulement l'outil dont
ils ont besoin pour remplir leur mission, vous leur accorderez aussi la
reconnaissance qu'ils méritent.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. M. le
rapporteur et M. Hamel applaudissent aussi.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Vous
l'avez rappelé, monsieur le ministre, le projet de loi dont nous sommes saisis
vise à transposer en droit interne une directive tendant à harmoniser les
règles relatives aux enquêtes techniques sur les accidents de l'aviation civile
et à coordonner les procédures d'enquêtes techniques et judiciaires.
L'Assemblée nationale n'y a pas apporté de modifications fondamentales.
Ce texte peu paraître au premier abord très technique, voire purement
technique, mais il touche, en réalité, à un sujet auquel nos concitoyens sont
très sensibles. Si l'avion est un moyen de transport de plus en plus sûr, la
sécurité des transports aériens reste néanmoins, pour tous les voyageurs, un
motif de préoccupation constant. Les accidents aériens sont assez rares, mais
ils ont malheureusement souvent, si ce n'est toujours, des conséquences
tragiques.
Je me réjouis, monsieur le ministre, que les dispositions de ce projet de loi
soient enfin examinées par le Parlement. Le texte qui nous est soumis reprend,
en effet, des dispositions d'un projet de loi présenté par M. Bernard Pons et
Mme Anne-Marie Idrac, voilà deux ans, qui n'avait pu être discuté en raison de
la dissolution de l'Assemblée nationale.
De quoi s'agit-il ? Les enquêtes techniques ont pour objet d'analyser les
circonstances et les causes des accidents, et d'émettre, sur la base de cette
analyse, des recommandations de sécurité à l'adresse des compagnies aériennes
et des constructeurs. Autrement dit, pour que les mêmes causes ne produisent
pas les mêmes effets, les enquêtes techniques tirent des leçons de chaque
accident ou incident - vous avez eu raison, monsieur le ministre, d'insister
sur la différence entre ces deux termes - et font en sorte que ces leçons
soient connues de tous - et j'insiste bien sur ce point. Les enquêtes
techniques apportent ainsi un retour d'expérience indispensable à l'évolution
des aéronefs et à l'amélioration de la formation du personnel navigant.
L'enquête technique peut éventuellement se dérouler parallèlement à une
enquête judiciaire. Si ces deux procédures portent sur les mêmes faits, il
faut, pour comprendre la logique du projet de loi, garder à l'esprit qu'elles
ont cependant des objectifs différents.
L'enquête menée par les autorités judiciaires a pour objet d'apprécier la
responsabilité des parties impliquées dans un accident.
L'enquête technique n'a, quant à elle, pour seul objet, je le répète, que de
tirer des enseignements des accidents afin d'éviter leur répétition. Ce sont
donc deux fonctions ou deux vocations totalement différentes. C'est la raison
pour laquelle l'enquête technique ne débouche sur aucune sanction, sur aucune
mise en cause ; elle participe d'une politique de prévention des risques.
Ce préalable étant posé, le présent projet de loi tend à définir le statut des
enquêtes techniques.
Son premier objet, c'est de transposer en droit interne la directive n° 94/56
du Conseil de l'Union européenne du 21 novembre 1994.
La transposition de cette directive supposait de revoir le régime juridique de
l'enquête technique, qui repose actuellement sur une disposition réglementaire
très succincte et qui, sur un certain nombre de points, est en contradiction
avec la directive. Il convient donc d'ajuster notre dispositif réglementaire et
juridique afin que la directive soit effectivement transposée.
L'application en droit interne de ces dispositions conduit ainsi à accroître
de façon significative les garanties d'indépendance de l'organisme chargé des
enquêtes techniques, à renforcer les pouvoirs d'investigation des enquêteurs et
à favoriser la transparence de la procédure. Je m'en félicite. Avec ou sans
directive, cette réforme était nécessaire.
Le deuxième objectif du projet de loi est d'assurer une meilleure coordination
entre l'enquête technique et l'enquête judiciaire.
Lorsqu'une procédure technique et une procédure judiciaire se déroulent
parallèlement, ces deux enquêtes utilisent pour leurs investigations les mêmes
matériaux : il s'agit notamment des débris de l'avion à expertiser et des
enregistrements faits à bords, les fameuses boîtes noires. Or leur prélèvement
et leur exploitation sont une source fréquente de conflit entre les deux
catégories d'enquêteurs, et c'est à cet égard que les difficultés se faisaient
le plus souvent jour.
En effet, en l'absence d'une définition formelle des objectifs des enquêtes
techniques et d'un statut garantissant l'indépendance des enquêteurs, les
autorités judiciaires ont, dans certains cas, considéré avec méfiance ces
enquêtes techniques, jugées proches des intérêts des administrateurs et des
industries de l'aviation civile. Ainsi, parce qu'aucune disposition légale
n'autorisait explicitement les enquêteurs techniques à accéder au lieu de
l'accident, certains juges ont pu leur refuser l'accès à l'épave, empêchant ou
retardant toute investigation technique. Inversement, l'absence de règles de
procédure a parfois conduit les enquêteurs techniques à négliger les
prérogatives de l'autorité judiciaire.
Bien que la bonne volonté de la plupart des intervenants ait limité le nombre
de cas où les difficultés se sont transformées en blocage, les risques de
chevauchement ou d'interférence entre les enquêtes judiciaire et technique
existent en permanence.
Les enquêtes sur les accidents du mont Saint-Odile et de Habsheim ont montré
combien ces dysfonctionnements pouvaient nuire à la recherche de la vérité. Le
projet de loi qui vous est soumis tire les conséquences de ces précédents et
organise une coopération entre enquêtes technique et judiciaire.
Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, ouvrant ainsi une forme de
parenthèse, que la discussion d'un texte comme celui-ci est toujours technique
et froide. Cette froideur est souvent un peu ressentie comme une injure par les
familles ou les proches des victimes. Mais la froideur de la discussion - ce
sentiment, j'en suis sûr, sera partagé sur l'ensemble de ces travées et par
tous les responsables - ne doit pas interdire l'expression d'une solidarité
vis-à-vis des victimes de ces accidents. Et ne perdons pas de vue que de telles
discussions techniques visent à ce que les morts accidentelles, qui sont
toujours injustes, puissent ne pas être complètement inutiles en permettant
d'éviter un certain nombre d'autres accidents. C'est dans cet esprit, à mon
avis, qu'il nous faut examiner ce texte. Et même si nous discutons de
dispositions techniques ou si des oppositions peuvent survenir entre les uns ou
les autres sur certains aspects réglementaires ou sur diverses dispositions,
personne, j'en suis persuadé, n'oubliera ce type de solidarité à exprimer.
MM. Emmanuel Hamel et Jean-Pierre Plancade.
Très bien !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Tels sont donc les objectifs.
J'en viens au dispositif proposé.
Le projet de loi généralise la mise en oeuvre d'une enquête technique pour
tout accident ou incident grave. Il confie cette enquête à un organisme
permanent doté d'un statut garantissant son indépendance.
La directive dispose, en effet, que l'organisme d'enquête est
fonctionnellement indépendant des autorités nationales en charge de l'aviation
civile. Cette disposition tend à éviter de recourir à des enquêteurs qui
pourraient être impliqués dans les événements faisant l'objet de l'enquête et
qui seraient à la fois juge et partie. Pour que les enquêtes techniques
puissent être menées en toute objectivité, il importait donc qu'elles soient
conduites en toute indépendance.
L'indépendance fonctionnelle à laquelle fait référence la directive pouvait
cependant recevoir diverses interprétations. Le choix des moyens juridiques
pour assurer l'indépendance de l'organisme chargé des enquêtes a, de ce fait,
été laissé à l'appréciation des Etats membres.
Le projet de loi prévoit de confier les enquêtes techniques à un organisme
permanent assisté, le cas échéant, par des commissions d'enquête. Il précise
que cet organisme et les commissions d'enquête « agissent en toute indépendance
et ne reçoivent ni ne sollicitent d'instruction d'aucune autorité ».
La position de l'organisme d'enquête, à l'extérieur de la direction générale
de l'aviation civile, les dispositions du projet de loi selon lesquelles cet
organisme ne reçoit aucune instruction et gère directement la communication des
informations relatives aux enquêtes sont autant de facteurs qui devraient
contribuer à son indépendance, même s'il reste rattaché au ministère de
l'aviation civile. Ce dispositif est ainsi proche de celui qu'ont adopté
l'Irlande, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique.
Il convient d'observer, en outre, que l'existence même de l'enquête judiciaire
parallèle, le caractère international de la quasi-totalité des enquêtes et la
publication des rapport devraient également garantir la transparence du travail
de l'organisme d'enquête.
La commission a estimé que la solution adoptée, compromis entre l'absence
d'autonomie et une totale indépendance, était globalement satisfaisante. Elle
vous propose néanmoins de renforcer les garanties d'indépendance de l'organisme
permanent, des membres des commissions d'enquête et des enquêteurs techniques.
Il convient, en effet, de s'assurer que ces personnes soient indépendantes non
seulement des autorités en charge de l'aviation civile, comme le projet de loi
le prévoit, mais également de toute autre partie dont les intérêts pourraient
entrer en conflit avec la mission qui leur a été confiée, notamment les
constructeurs et les compagnies aériennes. Cela est évidemment destiné à
garantir leur impartialité, mais surtout à asseoir la légitimité des enquêtes
techniques.
Le texte du projet de loi attribue également des pouvoirs d'investigation
étendus aux enquêteurs techniques. Ces derniers ont accès au lieu de l'accident
ou de l'incident, au contenu des enregistreurs de bord ; ils peuvent procéder à
des prélèvements aux fins d'examen et d'analyse ou, le cas échéant, exploiter
les constatations faites dans le cadre d'expertises judiciaires.
Le projet de loi prévoit des procédures particulières lorsqu'une procédure
judiciaire est en cours, afin d'organiser - j'y insiste, parce que c'est un
élément important du dispositif - une coopération entre les enquêtes technique
et judiciaire.
La concurrence entre les deux catégories d'enquêteurs est donc terminée. Il
n'y a pas prédominance de l'une par rapport à l'autre. Cette finalité
différente des deux enquêtes est rappelée tout au long du texte, comme nous le
verrons au cours de la discussion des articles. Il est donc nécessaire qu'il y
ait non pas concurrence mais complémentarité des deux types d'enquête, surtout
dans la mesure où les sources d'information sont identiques.
Le projet de loi prévoit des procédures particulières afin d'organiser cette
coopération entre les enquêtes techniques et judiciaires. Ces dispositions,
fruit d'une concertation entre les services du ministère des transports et de
la Chancellerie, devraient mettre fin aux situations de blocage. On ne peut que
s'en féliciter.
Le projet de loi accroît enfin la publicité donnée aux rapports issus des
enquêtes techniques. Cet élément, qui manquait, a été demandé avec insistance.
Le projet de loi prévoit donc une obligation de publication de l'enquête
technique lorsque celle-ci a pris fin.
(M. le ministre acquiesce.)
Actuellement, seuls les accidents internationaux font systématiquement
l'objet d'un rapport. Ces rapports ne sont, en outre, remis qu'aux services,
entreprises ou personnes directement concernés, sauf lorsque le ministre décide
de leur publication.
Le projet de loi vise à imposer désormais à l'organisme permanent de procéder
systématiquement à une enquête en cas d'accident ou d'incident grave, d'établir
un rapport à l'issue de chaque enquête et de le rendre public à chaque fois.
Comme c'est le cas actuellement, les rapports d'enquête ne comporteront pas
les noms des personnes impliquées. Je sais que cette disposition est critiquée,
notamment par les associations de victimes d'accidents aériens. Comment ne pas
comprendre la souffrance de ceux qui, ayant perdu un proche dans des conditions
aussi brutales qu'un accident aérien, souhaiteraient pouvoir nommer les
responsables ? Mais il faut garder à l'esprit qu'il revient exclusivement à
l'enquête judiciaire de déterminer les éventuelles responsabilités
individuelles. Le procès joue à cet égard, pour les familles des victimes, un
rôle irremplaçable de réparation - le mot est bien faible et complètement vain
par rapport à l'intensité de la peine - et d'exutoire que l'enquête technique
ne peut et ne doit pas jouer.
Il faut, à ce propos, souligner que le projet de loi tend à introduire, dans
un souci de transparence, la possibilité pour le responsable de l'organisme
permanent de communiquer des informations relatives à l'enquête avant la
publication du rapport. Cette mesure offre la possibilité de faire, avant la
fin de l'enquête, des recommandations de sécurité. En effet, l'enquête a
toujours pour vocation de prévenir de nouveaux accidents ou incidents. Cette
mesure permettra également de communiquer aux familles des victimes des
informations sur les circonstances de l'accident et, en particulier, de
démentir certaines hypothèses que l'état d'avancement de l'enquête a pleinement
écartées.
En résumé, la commission a approuvé les grandes orientations de ce projet de
loi. Aussi, les amendements qu'elle vous propose d'adopter ont tous pour objet
de préciser la portée de certaines dispositions, afin d'assurer leur pleine
efficacité. Ces amendements ne tendent pas à modifier la philosophie du texte ;
ils concourent, au contraire, à améliorer l'efficacité du dispositif
proposé.
J'estime, cependant, que l'adoption de ce projet de loi doit s'inscrire dans
le cadre d'une politique globale de prévention des risques. La croissance du
trafic aérien comme la libéralisation de ce secteur d'activité posent en effet
de nouveaux défis à la politique de sécurité. Il convient de veiller à ce que
ces évolutions ne s'accompagnent pas d'un nivellement par le bas du niveau de
sécurité. Nous sommes confrontés à une forme de dumping, monsieur le ministre.
Il faut éviter que ce nivellement ne se fasse par le bas. C'est bien évidemment
au contraire par le haut qu'il doit s'effectuer et, à cet égard, la France
donne l'exemple.
M. le président.
La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi vise à transposer dans le droit français une directive européenne qui
précise les modalités d'enquêtes techniques relatives aux accidents de
l'aviation civile.
Comme M. le rapporteur l'a indiqué, il s'agit là d'un secteur auquel nos
concitoyens sont très sensibles. Dès qu'un accident grave se produit, ces
derniers cherchent à connaître les circonstances de l'accident, les
responsabilités, etc. Bien souvent, ils ont l'impression qu'on leur cache la
vérité ou que les sanctions éventuelles sont sans commune mesure avec les
faits.
Certes, parmi les modes de transport, le transport aérien demeure l'un des
plus sûrs. Cependant, ce haut niveau de sécurité ne peut être maintenu qu'au
prix d'un effort constant de l'ensemble des partenaires du transport aérien.
Il est bon de rappeler que les spécialistes prévoient une augmentation du
trafic de l'ordre de 5 à 8 % par an pour les années à venir, que le trafic des
aéroports est en constante augmentation, que les intervalles entre les
atterrissages et les décollages sont de plus en plus courts, que le ciel est
encombré, ce qui augmente le risque de collisions. Il est certain que, si rien
n'est entrepris, l'augmentation de ce trafic se traduira mécaniquement par une
augmentation des accidents.
Par ailleurs, il est bon de rappeler que, si nous voulons maintenir le
développement de nos industries aéronautiques, conforter notre position sur le
marché, et donc protéger les emplois et les savoir-faire, il nous faudra être
d'une rigueur, d'une exigence et d'un professionnalisme sans compromis possible
avec la sécurité.
Toutes ces raisons font qu'il est devenu impératif de pouvoir enquêter,
analyser, proposer et modifier afin de livrer les enseignements nécessaires
pour assurer une sécurité maximale.
Tel est le sens du projet de loi qui nous est soumis. Il devrait donner une
base légale aux interventions des enquêteurs techniques et clarifier les
rapports entre enquête judiciaire et enquête technique en donnant notamment un
véritable statut aux enquêteurs aériens français dont la réputation
internationale est largement reconnue.
Ainsi, ce projet de loi vise à rendre obligatoire l'enquête technique, sans
préjudice de l'enquête judiciaire. Les enquêteurs auront des pouvoirs
d'investigation élargis, ils pourront intervenir immédiatement sur les lieux de
l'accident ou de l'incident, utiliser les enregistrements de bord, prélever «
toute chose » propre à déterminer les causes de l'accident, exiger la
communication des documents de toute nature relatifs aux personnes, aux
entreprises et matériels en relation avec l'événement sans que puisse leur être
opposé le secret professionnel. Le texte prévoit même d'exonérer de toute
sanction disciplinaire les personnes qui signalent spontanément un incident.
Le projet favorise également la transparence, en rendant obligatoire la
publication des rapports d'enquête.
L'indépendance fonctionnelle de l'organisme chargé de l'enquête est assurée
par le fait qu'il est rattaché à l'inspection générale de l'aviation civile et
qu'il ne pourra recevoir d'instructions d'aucune autorité, ni même en
solliciter.
La commission des affaires économiques a fait des propositions intéressantes
en vue de conforter cette indépendance. Elle propose notamment que les
enquêteurs soient nommés par le ministre en charge de l'aviation civile, sur
proposition du responsable de l'organisme permanent d'enquête. J'aimerais,
monsieur le ministre, connaître votre avis sur cette suggestion.
En effet, le texte initial du projet de loi renvoie à un décret, certes pris
en Conseil d'Etat, des questions aussi importantes que les conditions de
recrutement, de nomination et d'habilitation des enquêteurs techniques.
Pouvez-vous nous donner quelques indications sur le contenu du décret
d'application ?
Pour conclure, l'obligation d'une enquête technique en cas d'accident ou
d'incident, le retour de cette enquête en direction des professionnels,
l'indépendance fonctionnelle de l'organisme chargé des enquêtes, la mise en
place d'un statut juridique des enquêteurs par la reconnaissance de leur
pouvoir d'investigation, la publicité obligatoire du rapport d'enquête sont
autant d'éléments qui favoriseront la prévention des accidents ou incidents
d'aviation. Ce projet de loi est donc un bon projet, et c'est pourquoi le
groupe socialiste en approuvera les orientations.
(Applaudissements sur les
travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi que nous examinons aujourd'hui vise à intégrer dans notre droit une
directive européenne traitant des procédures d'enquêtes techniques et
administratives sur les accidents et incidents dans l'aviation civile.
Ce texte ne peut que susciter l'approbation puisqu'il prévoit la mise en place
d'un organe indépendant - nous en avions bien besoin ! - chargé de rechercher
les causes de l'accident dans le dessein d'améliorer la sécurité, de prévenir
d'autres catastrophes ou incidents et, ajouterai-je, de garantir la
transparence des procédures et des résultats.
Je me permettrai toutefois de tenir sur ce texte des propos qui, dans leur
ensemble, ne seront pas aussi laudatifs que ceux que je viens d'entendre.
En effet, force est de constater que certaines dispositions du projet de loi
accentuent le caractère opaque des enquêtes qui seront menées par l'organisme.
Ainsi, les associations de défense des victimes, mais également l'opinion
publique en général, ne pourront plus obtenir d'informations concernant les
circonstances réelles des accidents avant la fin de l'enquête, avant que le
dossier soit définitivement bouclé.
Je pense aujourd'hui aux familles des victimes des accidents du mont
Sainte-Odile ou d'Habsheim, qui ont eu à souffrir de la discrétion dans
laquelle les enquêtes ont été menées. Regroupées au sein d'associations dont le
siège est en Alsace, j'ai eu l'occasion de les rencontrer, tout comme j'ai vu
certains responsables de l'association des victimes du vol 800 de la TWA.
Ces associations et leurs responsables se rencontrent régulièrement et,
au-delà de leur peine, des traumatismes qui les marquent à tout jamais, ils ont
été choqués par le manque d'information et de transparence qui caractérise les
procédures d'enquêtes en France, alors qu'aux Etats-Unis l'accès à
l'information est la règle, sans que l'on soit obligé d'attendre qu'un point
final ait été mis à l'enquête.
C'est pourquoi il apparaît aujourd'hui nécessaire d'assurer la transparence au
sein de l'organe d'enquête, comme cela se fait outre-Atlantique.
Or, certaines des dispositions prévues dans le projet de loi vont à l'encontre
de ce principe : le fait de soumettre désormais expressément au secret
professionnel non seulement les enquêteurs mais aussi tout expert entendu dans
le cadre de l'enquête, sous peine de sanction pénale, mettra les parents des
victimes, les journalistes, dans l'impossibilité d'obtenir autre chose qu'une
information pesée et filtrée.
De plus, toute personne entendue dans le cadre d'une telle enquête sera, elle
aussi, soumise au secret dans les mêmes conditions.
En outre, si l'enquête devait révéler un défaut qui n'est pas à l'origine de
l'accident ou de l'incident, il ne serait pas possible de le divulguer.
Pourtant, rien dans la directive que le projet de loi vise à transposer
n'impose un tel secret, contrairement à ce qui a pu parfois être avancé. Bien
au contraire, l'objet de cette directive est simplement de mettre en place une
autorité indépendante d'enquête censée agir dans la plus totale
transparence.
Ainsi, le texte communautaire s'inspire de la législation américaine. Un
organisme fédéral, le
National transportation safety board,
composé de
deux cents membres permanents, intervient dans les domaines de l'aviation
civile, du rail, de la marine, du ferroviaire et des pipelines, et mène des
enquêtes techniques dans une totale transparence. Il diffuse périodiquement des
informations sur l'état d'avancement des enquêtes par le biais de son site
Internet. Il organise des conférences d'étapes, comme celle de Baltimore à
propos du vol 800 de la TWA, au cours desquelles il expose l'ensemble de ses
travaux et fait entendre des témoins.
Par ailleurs, la loi l'a récemment chargé de gérer la détresse des victimes.
La manière dont cet organisme a traité l'accident du vol 800 illustre
parfaitement la méthode transparente utilisée. L'enquête a permis de mettre en
évidence un dysfonctionnement grave : l'explosivité excessive des réservoirs
des Airbus et des Boeing.
Ce système, qui possède vraisemblablement des défauts, a l'immense mérite de
permettre la communication continue des informations tout au long du
déroulement de l'enquête.
Pourquoi la France s'attache-t-elle, en matière d'aviation civile, à la loi du
silence, aux enquêtes discrètes sinon secrètes ?
Au nom de quoi, au nom de quel principe refuse-t-elle de répondre au souci des
victimes de connaître la vérité sur les causes d'un accident ?
Imaginons un instant qu'une telle opacité règne lors d'une enquête ouverte à
la suite d'un accident de métro ou de train ! Si les usagers ne peuvent obtenir
d'informations pendant des mois sur les causes supposées de l'accident, ils
choisiront un autre moyen de transport. Alors, pourquoi réserver au domaine de
l'aviation cette religion du secret ?
Le projet de loi, bien que n'étant pas très précis sur la composition du futur
organisme d'enquête, fonctionnellement indépendant de la direction générale de
l'aviation civile, la DGAC, le calque sur l'actuel bureau d'enquêtes accidents,
le BEA. Manifestement, cet organisme aura recours à des fonctionnaires de la
DGAC, mis à sa disposition. Jusqu'à présent, les fonctionnaires du BEA
n'étaient astreints qu'à une obligation de réserve et de discrétion ; ceux du
nouvel organisme seront astreints au secret professionnel. Pourquoi ce passage
de l'un à l'autre ?
Cette obligation de secret tarira, à l'évidence, les maigres sources
d'information auxquelles les associations de défense des victimes et les
usagers du transport aérien peuvent prétendre.
Déjà, le rapport Monnier, signé par les membres de la commission d'enquête de
l'accident du mont Saint-Odile, apparaissait comme un pur exercice de style
savant. La rédaction en était si compliquée que seule une poignée d'initiés en
saisissaient le sens exact.
Les associations de victimes et d'usagers ne sont considérées, aujourd'hui, ni
par le BEA ni par les commissions d'enquête comme des interlocuteurs valables.
Aucune communication n'est faite en leur direction.
Il est temps qu'en France, comme aux Etats-Unis, les choses changent, et
j'estime que le meilleur moyen de défendre l'industrie aéronautique est de
renforcer la confiance du public.
En Alsace, nous avons connu Tchernobyl. On a voulu l'ignorer : la loi du
silence, la loi du secret ! Dans beaucoup d'autres domaines, nous avons, en
France, l'habitude de considérer qu'il n'est pas bon de divulguer les
informations au fur et à mesure de leur collecte.
Le projet de loi qui nous est soumis perd de vue cet objectif majeur de
transparence. C'est pourquoi je proposerai dans un instant des amendements
visant à écarter les dispositions relatives au secret, qui apparaissent
contraires à l'utilité collective, et je serais très heureux si, sur ce point,
nous pouvions nous rejoindre.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste ainsi que sur certaines
travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l'examen
de ce projet de loi relatif aux enquêtes sur les accidents et incidents dans
l'aviation civile est rendu nécessaire depuis l'adoption d'une directive
européenne de 1994, il permet surtout de donner une assise juridique aux
procédures existantes. Autant dire que ce texte ne va pas fondamentalement
bouleverser les méthodes d'investigation et les missions du bureau
d'enquêtes-accidents, le BEA, chargé de fournir les éléments techniques
permettant de renforcer la sécurité du transport aérien.
Pour autant, l'examen d'un tel texte est indispensable pour clarifier les
compétences des enquêteurs, leurs prérogatives, mais aussi les obligations
auxquelles ils sont soumis, pour définir le champ d'intervention de l'enquête
technique de l'accès au lieu de l'accident jusqu'à la diffusion des
informations au public. En outre, le renforcement du dispositif législatif ne
peut que servir les associations de victimes d'accidents aériens dans la
recherche de la vérité.
Le flou juridique, voire l'absence de base juridique, serait le meilleur moyen
de favoriser l'opacité des recherches et la manipulation des données issues de
l'enquête.
De ce point de vue, ce projet de loi me paraît garantir tout à la fois
l'indépendance et la protection juridique des enquêteurs du BEA et la
nécessaire transparence de la procédure.
Le chapitre consacré à la diffusion des informations et des rapports
d'enquêtes suscite pourtant des inquiétudes ici ou là. Les amendements déposés
par notre collègue Philippe Richert et le discours qu'il vient de tenir nous
conduisent, nous aussi, à nous interroger.
J'avoue partager pleinement le souci de transparence et la volonté de savoir
exprimés par les représentants des victimes d'accidents aériens tels que celui
du mont Sainte-Odile.
Cependant, la volonté du Gouvernement, au travers de ce dispositif législatif,
de séparer clairement l'enquête technique proprement dite de l'enquête
judiciaire destinée à déterminer les responsabilités en cause est de nature,
nous semble-t-il, à nous rassurer sur ce point.
Il est à craindre que la remise en question du secret professionnel que
devront respecter les enquêteurs n'ait pour effet, si nous n'y prenons pas
garde, de détourner l'enquête technique de sa finalité première, qui est bien
de prévenir les accidents.
L'enquête technique, M. le ministre l'a rappelé tout à l'heure, a pour objet
non pas de pointer les responsables, mais de tirer les enseignements matériels
d'un accident aérien pour qu'il ne se reproduise plus.
C'est pourquoi je suis assez sceptique sur les propositions qui tendraient à
recréer un lien diffus entre le travail de l'organisme chargé des enquêtes,
d'une part, et celui de l'appareil judiciaire, d'autre part. Cela susciterait,
semble-t-il, la plus grande confusion dans les attributions des uns et des
autres.
C'est précisément ce que, nous semble-t-il, le texte veut éviter. C'est ainsi,
du moins, que nous le comprenons.
Par ailleurs, il ne me paraît pas souhaitable d'exposer par ce biais les
personnels chargés de l'enquête aux multiples pressions qui font suite à un
grave accident, qu'elles soient de nature médiatique ou même industrielle.
Car, ne nous le cachons pas, il y a, d'un côté, la quête de la vérité et de la
justice, qu'il faut soutenir, et, de l'autre, une exploitation des catastrophes
aériennes qu'il nous faut au contraire juguler.
En outre, deux types de dérogation au secret professionnel des enquêteurs sont
prévus : l'un autorise le responsable de l'organisme permanent à transmettre
des informations de nature à prévenir un accident ou un incident grave, l'autre
vise à empêcher que des rumeurs fallacieuses se répandent. Enfin, il faut se
féliciter du fait que, désormais, le rapport d'enquête soit rendu public et
rende compte des informations qui relèvent de la seule compétence de
l'organisme chargé de l'enquête technique.
Pour conclure, je dirai que le meilleur gage de sécurité du trafic aérien dans
les prochaines années repose en particulier sur l'assainissement des modalités
de concurrence entre compagnies aériennes. Or, de mon point de vue, nous sommes
loin du compte.
L'affrontement auquel se livrent les transporteurs aériens d'une part, et les
constructeurs d'avions européens et américains d'autre part, ne peut
qu'accroître les facteurs de risques si les Etats n'imposent pas de règles de
concurrence claires.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Pierre Lefebvre.
L'organisation du trafic aérien est aussi un moyen de prévention des accidents
et un facteur de sécurité des voyageurs. C'est moins le développement du
transport aérien qu'il nous faut redouter que la libéralisation et la
déréglementation dans ce secteur, comme dans d'autres d'ailleurs.
La stratégie de long terme qui oblige toutes les compagnies aériennes à
préserver une image de marque auprès du public, en renforçant la sécurité des
avions, s'oppose en effet à une stratégie de court terme qui soumet les
transporteurs à la conquête de parts de marché supplémentaires pour augmenter
leur marge bénéficiaire.
Cela passe aussi par l'amélioration des conditions de travail des personnels
qui concourent à l'entretien du matériel et par un contrôle plus fréquent des
avions à mesure de leur temps de vol.
Telles sont les observations que je tenais à formuler au nom du groupe
communiste républicain et citoyen. Pour l'heure, nous voterons ce texte qui a
pour mérite de compléter notre législation en matière de prévention des
accidents aériens et d'en améliorer de nombreuses dispositions.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je veux d'abord
me féliciter de la tenue et du niveau des interventions sur un texte de
caractère technique, comme vous l'avez souligné, monsieur Le Grand, mais dont
les conséquences sont très importantes. La qualité et le caractère constructif
des interventions sont, à mon avis, tout à fait significatifs de l'intérêt que
porte le Sénat à cette question.
Mes remerciements vont d'abord à M. Le Grand, dont le rapport de grande
qualité servira de référence.
Nous examinerons les modifications qu'il propose et qui répondent à l'objectif
recherché : être les plus pertinents et les plus efficaces possible.
Vous avez eu raison de mettre l'accent sur deux points fondamentaux.
D'abord, il est nécessaire d'améliorer le niveau de sécurité du transport
aérien, comme l'ont dit MM. Lefebvre et Plancade.
En effet, à niveau de sécurité constant, compte tenu du développement du
trafic aérien, le nombre d'accidents va augmenter. Nous sommes donc dans
l'obligation de travailler à l'amélioration de la sécurité et de mettre en
oeuvre tous les moyens pour éviter les accidents.
La froideur des statistiques le prouve, si nous n'améliorions pas le niveau de
sécurité du transport aérien, les accidents seront plus nombreux parce que les
transports aériens se développent de plus en plus.
Il appartient donc à la communauté aéronautique de tout faire pour éviter ce
scénario inacceptable. Cet objectif n'est pas si simple à atteindre puisque la
multiplication des vols ne peut qu'accroître l'encombrement de l'espace aérien
et que l'organisation actuelle des transports aériens, notamment la
déréglementation dont vous avez parlé, a tendance parfois à diluer les
responsabilités.
Dans ce travail difficile, une meilleure utilisation doit absolument être
faite de l'expérience qui incombe à l'organisme d'enquête ; en particulier
l'analyse systématique des incidents, qui sont très souvent porteurs de leçons
permettant d'éviter les accidents, doit être faite.
Tout à l'heure, vous avez adopté à l'unanimité le projet de loi portant
création de l'autorité de contrôle technique de l'environnement sonore
aéroportuaire. S'agissant de l'aéroport de Roissy, si j'ai insisté sur l'enjeu
économique et social des pistes de Roissy et les impératifs de l'environnement,
j'ai oublié de mentionner, parmi les éléments que nous avons été amenés à
prendre en compte concernant la réalisation des deux pistes supplémentaires,
l'enjeu de la sécurité, fondamental pour les contrôleurs aériens étant donné le
développement du trafic à Roissy.
Vous avez donc eu raison, monsieur le rapporteur, de mettre l'accent sur la
nécessité d'améliorer le niveau de sécurité de nos transports aériens et
d'assurer l'indépendance de l'organisme chargé des enquêtes techniques.
Il est essentiel que cet organisme, comme le prévoit la directive européenne
du 21 novembre 1994, soit fonctionnellement indépendant de toute autorité et,
comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, de tout organisme dont les
intérêts pourraient entrer en conflit avec la mission d'enquête.
Dans cette perspective, la structure proposée constituant un compromis est
conforme à celle qui a été adoptée. Nous ne nous singularisons pas de manière
outrancière. Cette structure de compromis est conforme à celle qui a été
adoptée par la plupart des pays européens.
L'organisme d'enquête sera rattaché à l'inspection générale de l'aviation
civile placée sous l'autorité du ministre.
Le décret d'application développera les garanties accordées, notamment par le
commissionnement des enquêtes techniques.
Cette organisation est de nature, tout en garantissant l'indépendance, à créer
des relations de travail optimales avec des structures chargées de mettre en
oeuvre les recommandations.
Je comprends tout à fait les préoccupations qui ont été exprimées par MM.
Richert et Lefebvre. M. Richert est l'élu d'une région qui a connu, au cours de
ces dix dernières années, deux catastrophes aériennes qui ont particulièrement
sensibilisé l'opinion, et personne - je le dis après M. le rapporteur - ne peut
être indifférent au sort des victimes et de leur famille. Le Gouvernement ne
peut que renouveler, comme l'ont fait les gouvernements précédents, toute sa
sympathie aux victimes et confirmer la nécessité de posséder le maximum de
données, afin que de tels accidents ne se reproduisent pas.
Pour autant, je le dis avec la même franchise, il faut éviter que ne
s'instaure un malentendu sur la nature même de l'enquête technique. M. Lefebvre
a fortement insisté sur cet aspect de la question. Ce type d'enquête n'a pas
pour objet, comme le croient parfois certains, et de bonne foi, de doubler
l'enquête judiciaire...
M. Philippe Richert.
Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
... et de
déterminer les fautes et les responsabilités.
M. Philippe Richert.
Absolument !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est d'ailleurs
ce qui donne à la mission du bureau d'enquête des accidents le maximum de
chance et d'atouts pour qu'on s'appuie malheureusement sur ce qui est arrivé -
incident ou accident - afin que cela ne se reproduise pas.
Je suis allé sur place, j'ai rencontré ces enquêteurs. Je vous assure qu'ils
accomplissent dans leur mission un véritable travail pour comprendre et
connaître les causes des accidents et éviter qu'ils ne se reproduisent. Voilà
comment je ressens la situation.
M. Philippe Richert.
Il faut informer !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
L'enquête
technique a pour vocation d'analyser les causes d'accidents ou d'incidents dans
un objectif de prévention et d'établir des réglementations de sécurité.
Cet objectif unique, j'insiste sur ce point, conditionne trois principes.
Le premier, vous l'avez évoqué, est le secret professionnel. Cette règle
existe notamment aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et en
Allemagne.
Vous avez également évoqué des enquêtes qui se sont déroulées aux Etats-Unis,
monsieur Richert.
M. Philippe Richert.
Oui !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je pourrais vous
rappeler, à propos de l'accident de l'ATR 72, qui a eu lieu en 1994 près de
Chicago, que certains des éléments qui avaient été avancés ont été contestés
grâce au travail du bureau français d'enquête des accidents. Le prestige de
notre bureau d'enquête était tel que des informations, fort discutables, furent
neutralisées. Mais je ne veux pas développer ce point.
Je pourrais également vous parler d'accidents plus récents qui se sont
produits aux Etats-Unis. Certaines informations qui ont été données n'étaient
pas toujours de nature à satisfaire le souhait des familles des victimes de
connaître la vérité.
Ces règles donc, qui existent dans plusieurs pays, ne sont au demeurant que la
traduction des règles d'enquêtes édictées par l'Organisation de l'aviation
civile internationale, l'OACI, à l'annexe 13 à la convention relative à
l'aviation civile internationale.
Je vous sens interrogatifs sur ce point, mais je vous précise qu'au chapitre 5
de cette annexe il est prévu que l'Etat qui mène l'enquête ne doit pas
divulger, sauf décision de l'autorité judiciaire, des éléments tels que les
déclarations obtenues des personnes par les services d'enquête dans le cours de
leurs investigations, les communications entre personnes qui ont participé à
l'exploitation de l'aéronef, l'enregistrement des conversations dans le poste
de pilotage et leur transcription, les opinions exprimées au cours de l'analyse
des enregistrements. Telles sont les dispositions explicitement prévues au
chapitre 5 de cette annexe.
La conduite d'une enquête nécessite en effet un large accès des enquêteurs à
toutes sortes d'informations et l'association de nombreux experts. Or elle doit
se concilier avec le respect d'un certain nombre de principes et de libertés
fondamentales : le respect de la vie privée, le secret médical, le secret de
l'instruction.
M. Philippe Richert.
Et l'information des familles !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
J'ai parlé du
secret professionnel, mais je veux aussi parler de l'information. C'est en ce
sens que j'affirme l'existence d'un équilibre et d'un compromis, car vous savez
aussi bien que moi que l'information constitue le pendant de la règle du secret
professionnel.
Allant au-delà des dispositions de la directive, nous prévoyons que le rapport
établi au terme de l'enquête sera systématiquement rendu public, même s'il
porte sur un incident. Cela n'est pas laissé au bon vouloir des personnes
chargées de l'enquête. Voilà le principe que nous posons.
Par ailleurs, le responsable de l'organisme d'enquête pourra communiquer toute
information qu'il estime de nature à accroître la sécurité de l'aviation.
M. Philippe Richert.
Cela doit être une obligation !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Il sera habilité
à rendre publiques les constatations et les conclusions provisoires de
l'enquête et à informer sur le déroulement de celle-ci. Tout doit donc être
public, mais dans le cadre strict de la mission d'enquête, c'est-à-dire
l'explication des circonstances de l'accident ou de l'incident, l'analyse des
causes et la compréhension des recommandations, puisque tel est l'objet même du
texe dont nous débattons.
L'enquête technique et l'enquête judiciaire, qui visent des objectifs
différents, sont bien évidemment menées à partir des mêmes éléments. Le projet
de loi établit là encore un équilibre, que je crois satisfaisant, entre les
pouvoirs respectifs des deux types d'enquêtes.
Il est difficile d'aller plus loin, et il est exclu que le dossier de
l'enquête technique soit livré entièrement au public, alors que l'enquête
judiciaire est soumise au secret de l'instruction et au principe de la
présomption d'innocence que le Gouvernement, avec, je pense, l'appui de la
représentation nationale, entend maintenir, et même renforcer.
Enfin, je tiens à préciser que l'accès à l'information en cours d'enquête est
possible à la demande, mais que ces informations ne peuvent être fournies que
pour des faits avérés et prouvés. C'est aussi un élément de garantie.
En réponse à M. Plancade, que je remercie d'ailleurs de son intervention, je
précise que les enquêteurs techniques devront être commissionnés pour exercer
leur travail et que seul le ministre aura ce pouvoir.
De façon générale, le décret s'attachera à organiser l'indépendance de
l'organisme d'enquête, notamment par l'intervention du chef de l'organisme
permanent ou du chef de l'inspection générale de l'aviation civile dans les
procédures d'affectation des personnels.
Je précise également que je suis tout à fait d'accord pour que les enquêteurs
soient nommés par le ministre chargé de l'aviation civile. Ce point sera abordé
à l'occasion de la discussion des amendements.
Je remercie M. Lefebvre de son intervention et du soutien qu'il apporte à ce
projet de loi.
Monsieur le sénateur, vous avez souligné le risque que ferait courir un
développement en quelque sorte anarchique de la concurrence. Il est vrai que
son développement nécessite de la part des services de contrôle une vigilance
accrue et un accroissement des vérifications concernant la construction des
aéronefs, leur entretien et les modalités d'exploitation des compagnies
aériennes. Cette tâche, à mes yeux, prioritaire, ne doit souffrir d'aucune
faiblesse, et je m'attache à dégager chaque année les moyens permettant de la
mener à bien.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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