Séance du 18 février 1999
INNOVATION ET RECHERCHE
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 152, 1998-1999) sur
l'innovation et la recherche. [Rapport n° 217 (1998-1999) et avis n° 210
(1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec quelque
émotion que je m'exprime aujourd'hui, puisque c'est la première fois que je
présente un projet de loi, ce qui constitue, naturellement, un moment très
important.
Je vais donc vous présenter le projet de loi relatif à l'innovation et à la
recherche.
Dans la compétition économique du xxie siècle, le maître mot sera l'innovation
: innover pour inventer de nouveaux produits, de nouveaux logiciels, innover
pour inventer de nouvelles disciplines scientifiques ou techniques et de
nouveaux modes d'organisation, innover pour inventer un nouveau monde.
Faire le choix d'une politique en faveur de l'innovation, c'est donc, pour le
Gouvernement, faire le choix de la croissance, de la croissance durable.
Toutes les analyses le montrent, les entreprises innovantes ont pris une place
capitale dans le processus de croissance des économies modernes. Aux
Etats-Unis, elles représentent le tiers de la croissance économique de ces
dernières années. En France, c'est dans ces entreprises que sont créés le plus
grand nombre d'emplois qualifiés aujourd'hui. Ainsi, dans le secteur des
télécommunications, le rythme d'augmentation des emplois est de 5 % par an et,
dans les sociétés de services informatiques, le rythme annuel d'augmentation
est de 10 %.
Le colloque sur l'innovation organisé par Dominique Strauss-Kahn et moi-même
et conclu par Lionel Jospin a scellé ce choix fondamental du Gouvernement.
Or, au coeur de l'innovation, il y a la recherche, l'ensemble de la recherche,
qu'elle soit « fondamentale » ou « appliquée ».
Ce sont les résultats de cette recherche qui tirent en effet le processus de
l'innovation dans l'ensemble de l'économie.
Sachez par exemple que 85 % des nouveaux médicaments sont découverts dans des
laboratoires de recherche fondamentale. Par ailleurs, l'essor de
l'agroalimentaire et de la chimie fine sont, en France, le reflet de
l'excellente santé de l'Institut national de la recherche agronomique ou de nos
laboratoires.
On le voit aujourd'hui, les secteurs des biotechnologies, avec les sociétés
Transgène, cotée au NASDAQ, et Gemset, et des technologies de l'information et
de la communication, avec les sociétés Gemplus, dans le domaine des cartes à
puce, et Illog, issue de l'INRIA, montrent le chemin.
Dans tous ces exemples, l'apport des travaux de la recherche publique, la
contribution des hommes et des femmes de la recherche, a été essentiel, qu'il
s'agisse de la recherche universitaire ou de la recherche des organismes.
Si je puis dire, le rôle de la recherche fondamentale est de plus en plus...
fondamental. En effet, le temps mis à exploiter une idée est devenu faible
parce que nous sommes dans l'ère de la technologie, dans une époque où l'on ne
cherche plus à découvrir les lois de la nature, mais à transformer la nature on
crée des artefacts. La création au laboratoire se diffuse immédiatement dans
les applications, que ce soit en informatique ou, maintenant, en biologie.
Or ces nouveaux savoirs se traduisent très vite en nouveaux métiers riches
d'emplois.
Je rappellerai un seul chiffre : les entreprises issues de la valorisation de
la recherche publique sont trois fois plus créatrices d'emplois que la moyenne
des entreprises nouvelles et comptent dix salariés quelques années après leur
création.
Cette diffusion des résultats de la recherche publique dans l'économie reste
cependant insuffisante en France, en dépit de la volonté affirmée depuis
plusieurs années par les pouvoirs publics.
Comme l'a montré le rapport Guillaume, la France souffre du décalage entre la
grande qualité de sa recherche scientifique et technique et la relative
faiblesse du transfert de connaissances du monde de la recherche vers l'emploi
et la création de richesses.
Deux chiffres illustrent ce propos : la part de la France dans les
publications scientifiques au niveau mondial a augmenté entre 1987 et 1997,
passant de 4,3 % à 5,1 %, tandis que la part de la France dans les brevets
européens a diminué légèrement, passant de 8,5 % à 7 %.
L'accroissement de la qualité scientifique de la recherche française, attesté
par de grands prix internationaux, ne s'est pas assez traduite sur le plan
économique.
Les créations d'entreprises innovantes à partir de la recherche publique
restent très faibles en France. On compte moins d'une création d'entreprise par
an pour 1 000 chercheurs ou enseignants-chercheurs, soit moins de 50 créations
par an d'entreprises issues de la recherche publique. Quelle différence avec le
MIT, ou même Cambridge.
Ce décalage entre la qualité de la recherche française et la faible diffusion
dans le secteur productif a plusieurs explications.
Il y a d'abord une explication d'ordre culturel, encore que, à mon sens, il
faille relativiser son importance car les mentalités ont évolué et les
personnels de la recherche souhaitent pouvoir développer des collaborations
avec les entreprises, dès lors que cela se fait dans un cadre clair et
transparent, dès lors que cela ne porte pas atteinte à l'esprit de la recherche
fondamentale ni aux moyens qui lui sont consacrés.
Une autre explication est liée à la concentration des aides publiques à la
recherche sur une dizaine de grands groupes, principalement ceux qui sont liés
à la défense, ce qui a été le mode de financement de la recherche dans notre
pays pendant de trop nombreuses années. Ce fut d'ailleurs également le cas en
Allemagne ; mais l'Allemagne a su, elle, se dégager depuis cinq ans de cette
contrainte.
Une autre explication encore est liée au manque de capitaux disponibles, et,
sur ce point, nous essayons de faire changer les choses. Vous le savez, mon
collègue Dominique Strauss-Kahn a beaucoup fait pour développer le
capital-risque dans les entreprises innovantes et, cette semaine, nous allons
consacrer ensemble 200 millions de francs à l'aide à la constitution des fonds
d'amorçage et d'incubateurs. Par ailleurs, dans quelques jours, je lancerai un
concours pour la création d'entreprises innovantes ; sa première phase se
déroulera dans les régions, sous la forme d'un concours d'idées.
Enfin, la dernière explication est d'ordre juridique, et le projet de loi que
je vous présente aujourd'hui s'y attaque.
Certes, la loi de 1982 sur la recherche et la loi de 1984 sur l'enseignement
supérieur assignaient à la recherche et à l'enseignement supérieur une mission
de valorisation, ce qui constituait une nouveauté à l'époque. Je tiens
d'ailleurs à saluer les efforts de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de
la recherche, qui, le premier, a lancé ce mouvement.
Toutefois, ces lois ne débloquaient pas suffisamment de « verrous » pour que
les résultats de la recherche publique se traduisent et par des créations
d'entreprises et par l'accroissement des transferts à l'économie. Un rapport de
la Cour des comptes sur la valorisation de la recherche rendu public en juin
1997 a d'ailleurs souligné ce point.
L'objet du projet de loi que je présente est ainsi de favoriser la diffusion
de l'innovation du monde de la recherche vers celui de l'entreprise et de
multiplier la création d'entreprises innovantes, tout en respectant des règles
de déontologie auxquelles je suis attaché.
Toutefois, j'insiste sur le fait que ce projet de loi ne constitue pas l'alpha
et l'omega de la politique pour la recherche que je mène depuis bientôt deux
ans.
Il complète la volonté qui est la mienne d'augmenter l'effort de l'Etat en
faveur de la recherche fondamentale, en particulier de la recherche
technologique. Je rappellerai simplement à ce sujet que les crédits de la
recherche ont augmenté de façon importante depuis deux ans, alors qu'ils
avaient stagné, puis diminué, sous la précédente législature.
Ainsi, il ne s'agit pas de trouver auprès des entreprises l'argent qui manque
aux laboratoires ; il ne s'agit pas de privilégier la recherche « appliquée »
par rapport à la recherche « fondamentale » ; il ne s'agit pas d'opposer - ô
combien artificiellement ! - l'une à l'autre, mais d'aider les uns et les
autres.
Il s'agit, d'une part, d'augmenter les moyens de la recherche, des organismes
de recherche et de la recherche fondamentale, et, d'autre part, de permettre la
diffusion de la recherche, notamment de la recherche fondamentale, vers
l'économie. Le second objectif n'est pas pensable sans le premier.
Vous le constaterez d'ailleurs, j'ai commencé par augmenter les moyens
financiers consacrés à la recherche, notamment par un effort sans précédent
pour les jeunes chercheurs et les enseignants-chercheurs, avant de déposer ce
projet de loi. Et, dans quelques jours, je dirai les résultats de l'action que
nous avons menée depuis deux ans pour favoriser l'accession des jeunes à la
responsabilité scientifique.
Je rappellerai au demeurant que, sur le plan scientifique, il n'y a pas
d'opposition entre recherche dite « fondamentale » et recherche dite «
appliquée », et que l'on passe souvent de l'une à l'autre parfois sans le
savoir.
Traditionnellement, il y avait une « séquence » des découvertes qui partait
des travaux de recherche fondamentale pour aboutir bien des années après. Mais
aujourd'hui, ce n'est plus le cas, et il y a souvent concomitance entre la
découverte fondamentale et l'application pratique.
Quand Pierre-Gilles de Gennes travaille sur la manière dont une goutte d'huile
se déplace sur un métal, il découvre un phénomène fondamental pour la physique
des polymères, mais, en même temps, il débloque une question difficile à propos
de la lubrification des moteurs.
Lorsque Matthias Fink met en oeuvre le principe de la réversibilité du temps,
il permet non seulement une avancée fondamentale importante dans la propagation
des ondes, mais aussi l'amélioration des scanners à ultrasons.
Je pourrais également citer Jean-Marie Lehn réalisant, à l'aide de sa chimie
supramoléculaire, des nanomoteurs qui permettront demain, sans doute, de
transformer complètement, par exemple, l'intervention chirurgicale.
Venons-en maintenant aux principales dispositions du projet de loi.
Un premier volet est consacré aux collaborations entre les personnels de la
recherche et les entreprises. Celles-ci restent en effet insuffisantes du fait
de contraintes statutaires nombreuses.
Aujourd'hui, et de façon paradoxale, les personnels de la recherche peuvent
être détachés, mis en disponibilité, voire mis à disposition dans une
entreprise pour effectuer des travaux de recherche. Mais ils ne peuvent ni
participer à la création d'une entreprise qui valorise leurs travaux ni
apporter leur expertise à celle-ci.
Ces contraintes sont posées à la fois par le statut de la fonction publique et
par le code pénal.
L'article 25 du code de la fonction publique dispose en effet que les
fonctionnaires ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée de
quelque nature que ce soit, ce qui empêche les personnels de la recherche de
faire de la consultance et d'être membre du conseil d'administration d'une
entreprise. Il a fallu six mois pour obtenir une dérogation afin que M. de
Gennes participe au conseil d'administration d'Air liquide.
Les articles 432-12 et 432-13 du code pénal sanctionnent la prise illégale
d'intérêts, c'est-à-dire le fait pour un fonctionnaire d'avoir des intérêts
dans une entreprise avec laquelle il est ou avec laquelle il a été en relation.
Cela condamne les chercheurs à être des philanthropes s'ils veulent voir leurs
découvertes se concrétiser.
Ces règles sont certes légitimes dans leurs objectifs, mais leurs modalités
les rendent inadaptées au problème spécifique de la valorisation des résultats
de la recherche et de la création d'entreprise par les personnels de la
recherche.
En effet, ces règles imposent aux personnels de recherche qui souhaitent
participer à un titre ou à un autre à la création d'une entreprise de rompre
définitivement les liens avec leur organisme d'origine. Au-delà de la prise de
risque personnelle que cette rupture implique, cela met en péril la survie de
l'entreprise qui a besoin du soutien du laboratoire pour se développer.
Comme le rappelle le rapport public particulier de la Cour des comptes publié
en juin 1997, les personnels de la recherche sont aujourd'hui placés devant la
difficile alternative soit de ne pas répondre aux missions de valorisation de
la recherche que la loi leur assigne, soit de se mettre en infraction avec le
droit existant. Il faut dire que ces cas sont nombreux !
C'est à cette carence que le projet de loi que je vous présente veut répondre,
à la suite d'autres travaux, notamment la proposition de M. Laffitte, qui a
largement défriché le sujet.
Il ne s'agit ni d'interdire en bloc ni d'autoriser en bloc. Il s'agit d'avoir
un régime d'autorisation spécifique pour les collaborations entre les
personnels de recherche et les entreprises, avec un encadrement adapté aux
besoins et aux missions de la valorisation de la recherche.
L'article 1er du projet de loi vise ainsi à supprimer ces obstacles afin de
favoriser la création d'entreprises valorisant les travaux des chercheurs et
des enseignants-chercheurs.
Tout d'abord, les personnels de recherche pourront être autorisés à participer
en tant qu'associé, administrateur ou dirigeant à la création d'une entreprise
qui valorise leurs travaux pendant une durée de six ans. Ils seront alors mis à
la disposition de cette entreprise ou détachés.
Ensuite, les personnels de recherche pourront être autorisés à apporter leur
concours scientifique - ce qu'on appelle la « consultance » - à une entreprise
qui valorise leurs travaux, tout en continuant à travailler dans le service
public. Ils pourront également participer au capital de cette entreprise dans
la limite de 15 %.
Enfin, les personnels de recherche pourront être autorisés à être membres du
conseil d'administration d'une entreprise, sous réserve de ne pas participer à
la négociation des contrats entre cette entreprise et leur organisme
d'origine.
Cette mesure répond à la demande tant des personnels de la recherche que des
entreprises de haute technologie, qui souhaitent pouvoir associer des
scientifiques de haut niveau à la définition de leur stratégie industrielle et
de leur politique de recherche.
Ces autorisations seront toutefois encadrées - je le dis très fermement - afin
de respecter les principes de la déontologie des fonctionnaires.
Tout d'abord, les collaborations seront autorisées après avis de la commission
de déontologie, qui veillera à ce que les intérêts des organismes de recherche
soient respectés. En effet, la recherche étant un travail d'équipe, la
collaboration d'un chercheur avec une entreprise doit se faire en respectant le
travail du laboratoire.
J'insiste sur ce point : lorsqu'une équipe exploite une découverte qu'elle a
faite et qui donne des résultats importants pour la société, il me paraît
normal de faire bénéficier de cette manne l'ensemble de l'équipe, y compris
naturellement les techniciens et les personnels administratifs de cette
équipe.
Ensuite, dans le cas de la consultance et de la participation au conseil
d'administration, la rémunération des personnels de la recherche ne pourra
excéder un certain seuil, défini par décret. En particulier, la consultance ne
pourra dépasser un jour par semaine. Cette règle, qui est sage, existe déjà
dans de nombreux pays aujourd'hui.
Ce régime d'autorisation prémunira par ailleurs les personnels de la recherche
contre le risque éventuel de prise illégale d'intérêts, sanctionné sur le plan
pénal.
Au total, il s'agit donc d'un dispositif ouvert et équilibré, grâce auquel
tout le monde gagne, le chercheur comme l'organisme de recherche : le
chercheur, car on l'autorise à valoriser ses travaux, à créer une entreprise, à
faire de la consultance ; l'organisme de recherche, car l'exploitation de ses
résultats et de ses travaux par les chercheurs donnera lieu à des versements de
redevances.
Un deuxième volet du projet de loi est consacré aux relations entre les
établissements d'enseignement supérieur et de recherche et les entreprises.
Les lois de 1982 et de 1984 ont créé des structures de coopération entre les
établissements d'enseignement supérieur et de recherche et les entreprises :
les groupements d'intérêt public notamment. Ces structures se heurtent
cependant à des critiques nombreuses du fait de la lourdeur de leur gestion ;
elles sont en outre inadaptées pour les collaborations plus ponctuelles avec
les petites et moyennes entreprises. Or, on le sait, ce sont ces entreprises-là
qui sont créatrices d'emplois.
Par ailleurs, ces lois ne dotent pas les établissements d'enseignement
supérieur et de recherche des structures adéquates pour valoriser les résultats
de la recherche et soutenir la création d'entreprises de haute technologie.
Le projet de loi entend répondre à cette carence par cinq types de mesures.
Le premier type de mesures consiste à faciliter la gestion des structures de
coopération et des contrats entre les établissements de recherche et les
entreprises.
Le paragraphe II de l'article 1er allège les formalités de création des
structures de collaboration entre les établissements de recherche et les
entreprises. A la place d'une approbation par arrêté interministériel - je sais
maintenant ce que cela veut dire ! - un régime d'autorisation tacite sera
instauré.
L'article 4 facilite la gestion des contrats avec les entreprises. Les
établissements d'enseignement supérieur et de recherche auront la possibilité
de cotiser aux ASSEDIC pour leur personnel contractuel de droit public. Ils
n'auront plus à payer eux-mêmes les indemnités de chômage. Cela facilitera la
passation de contrats avec les entreprises, dans la mesure où ceux-ci sont
toujours conclus pour des durées déterminées.
Je précise que cette mesure évitera aux établissements d'enseignement
supérieur et de recherche d'avoir recours à des associations qui emploient du
personnel de droit privé dans des conditions parfois précaires... pour ne pas
dire plus.
Je précise également que cette cotisation aux ASSEDIC ne changera en rien ni
le statut des personnels ni leur protection sociale. Il s'agit d'ailleurs d'un
régime de cotisation spécifique pour les établissements publics qu'utilisent
les hôpitaux.
Il s'agit d'une mesure donc non seulement efficace du point de vue de la
valorisation des résultats de la recherche, mais aussi pertinente du point de
vue social.
Le deuxième type de mesures tend à créer au sein des établissements
d'enseignement supérieur des structures professionnelles chargées de la
valorisation des activités de recherche.
De tels services existent actuellement mais ne disposent pas du cadre
juridique nécessaire pour fonctionner. Or les activités industrielles et
commerciales représentent aujourd'hui en moyenne 20 % des budgets des
établissements et 2,5 milliards de francs.
Aussi le projet de loi, dans son article 2, donne-t-il la possibilité aux
établissements d'enseignement supérieur de créer en leur sein des services
d'activités industrielles et commerciales, afin de gérer des contrats et
d'exploiter des brevets. Ces services individualisés seront dotés de règles
budgétaires plus souples et pourront recourir à côté des fonctionnaires à du
personnel contractuel de droit public, à durée déterminée ou indéterminée.
Le troisième type de mesures tend à créer des « incubateurs » destinés à
accueillir et à soutenir des créateurs d'entreprises de haute technologie. Ce
terme d'« incubateur » a fait sourire les députés, mais il est parfaitement
admis dans le milieu de la recherche.
La mise en place de tels incubateurs est nécessaire afin de multiplier la
création d'entreprises à partir des résultats de la recherche publique.
En effet, de tels incubateurs jouent un rôle très important dans le
développement de jeunes entreprises de haute technologie, que ce soit en Europe
- aux Pays-Bas, en Finlande ou en Ecosse - ou aux Etats-Unis.
Ces structures d'incubation offrent à des porteurs de projets ou à des
entreprises déjà créées, au-delà du partage d'infrastructures physiques, une
panoplie de services financiers, juridiques ou commerciaux ainsi qu'un
environnement. A ma demande, les grands organismes de recherche ont maintenant
mis en place une série d'incubateurs pour permettre des créations
d'entreprises.
Il faut insister sur le fait que ces services donnent lieu à une contrepartie
financière, même si celle-ci n'est pas toujours payée au démarrage immédiat de
l'entreprise.
C'est ce système qu'il s'agit d'adapter en France, parce que les lacunes de la
loi actuelle ont jusqu'ici empêché la création par les établissements
d'enseignement supérieur et de recherches de ces incubateurs. Les quelques
grands organismes ou universités qui ont essayé de mettre en place des
structures d'incubation se sont heurtés à des critiques de la Cour des comptes,
du fait de cette absence de cadre juridique.
Le projet de loi, dans ses articles 1er et 2, donne ainsi un cadre juridique à
ces structures d'incubation et en fixe les grands principes, qui seront
naturellement précisés par décret.
En particulier, il s'agit de cibler le dispositif sur les entreprises
nouvelles de haute technologie - et non d'aider de grandes entreprises
installées, ce qui serait d'ailleurs interdit par la réglementation
communautaire - de limiter dans le temps et dans les montants l'aide versée,
dans le respect de la réglementation communautaire - l'ordre de grandeur est de
600 000 francs sur trois ans maximum - et, surtout, de prévoir une rémunération
de l'organisme ou de l'université, qui sera naturellement fonction des
résultats de l'entreprise.
Là encore, l'objectif est d'arriver à un système où tout le monde gagne : la
jeune entreprise, que l'organisme soutient au démarrage, l'organisme, qui
bénéficie des redevances versées par l'entreprise en phase de croissance.
Je précise que cette disposition du projet de loi est complétée par d'autres
mesures juridiques et financières visant à développer les incubateurs.
S'agissant des mesures juridiques, le projet de loi sur les interventions
économiques des collectivités locales, qui sera présenté par M. Zuccarelli,
contiendra, à ma demande, une disposition donnant aux collectivités locales la
possibilité de financer des incubateurs.
S'agissant des mesures financières, l'appel à propositions doté de 200
millions de francs pour financer la constitution de fonds d'amorçage et
d'incubateurs est prêt. Les projets d'incubateurs pourront être soutenus par
les collectivités locales, du moment qu'universités ou établissements de
recherche y sont associés.
Dominique Strauss-Kahn et moi-même venons de désigner les membres du comité
d'engagement, où siégeront des personnalités qualifiées, des représentants du
ministère de l'éducation nationale et de la recherche et du ministère de
l'économie et des finances.
Le dispositif est donc parfaitement opérationnel et il se mettra en place dans
les prochains jours. Je vous invite à le faire largement connaître auprès de
toutes les collectivités locales que vous représentez.
Le quatrième type de mesures vise à faire de la valorisation une des missions
des lycées technologiques et professionnels. A cette fin, ces derniers pourront
effectuer des prestations de services aux entreprises par voie de
conventions.
Lorsque j'évoquerai la rénovation de l'enseignement professionnel, je
reparlerai de ce point, qui est une contrepartie de la pédagogie en entreprise
que nous devons développer. En effet, la présence des élèves en entreprise ne
suffit pas à leur formation ; encore faut-il qu'elle soit accompagnée d'une
véritable pédagogie.
Parallèlement, les lycées professionnels possèdent des équipements de pointe -
lesquels d'ailleurs ont été financés par les régions - qui ne sont utilisés la
plupart du temps que le tiers de l'année. Dans le cadre d'un partenariat
entreprise-école, ces plates-formes technologiques devront être largement
développées. Cela facilitera aussi la modernisation de l'enseignement
technologique et professionnel.
Par ailleurs, je n'oublie pas que les personnels enseignants peuvent, de façon
générale, être intéressés par une période de mobilité plus ou moins longue au
sein d'une entreprise. Cette mobilité est nécessaire pour maintenir la qualité
du personnel enseignant dans le secteur de l'enseignement professionnel ou
professionnalisé, que ce soit l'enseignement secondaire ou l'enseignement
supérieur.
Ces possibilités, aujourd'hui restreintes aux seuls enseignants des
disciplines professionnelles, me semblent devoir être étendues à l'ensemble du
corps enseignant. En effet, de nombreux exemples démontrent l'apport que les
enseignants peuvent fournir au développement d'un secteur comme le multimédia
éducatif et l'intérêt que les entreprises trouvent à l'expérience pédagogique
des enseignants.
Plus largement, il apparaît normal d'améliorer les possibilités de détachement
et de carrière des enseignants dans l'ensemble des organismes publics afin de
mettre en oeuvre une véritable politique de ressources humaines.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous voulons être présents dans cette
compétition mondiale du logiciel éducatif qui va être un des grands marchés, il
faut que nous permettions à nos enseignants de travailler avec les entreprises
pour développer ce secteur. Il faut donc que nous assouplissions les règles
administratives qui, actuellement, les en empêchent. Tel est le sens de
l'amendement que je présenterai tout à l'heure.
Enfin, le cinquième type de mesures tend à organiser l'ouverture de la
recherche publique.
L'article 1er, en son premier alinéa, prévoit que des contrats pluriannuels
seront instaurés entre l'Etat et les établissements de recherche, de manière à
donner une plus grande indépendance aux établissements de recherche.
J'ai entendu dire, ces derniers temps, que le Gouvernement voulait diriger de
près les organismes de recherche. Non, c'est exactement l'inverse ! Nous
voulons promouvoir une politique contractuelle. Un contrat est signé et,
pendant les quatre ans de sa durée, les organismes de recherche mènent leur
politique, dont leurs dirigeants sont, bien sûr, responsables.
M. Yves Fréville.
Très bien !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Dans le même objectif, l'article 2 prévoit que les chercheurs et universitaires
étrangers pourront participer, dans les organes compétents, au recrutement des
enseignants-chercheurs, comme c'est déjà le cas pour les chercheurs. Alors que
nous faisons l'Europe, recevoir des lettres de recommandation de chercheurs
étrangers est considéré comme illégal ! Pourtant, cela se fait dans le monde
entier.
Le dernier volet du projet de loi concerne une disposition fiscale, très
spécifique au cas des entreprises innovantes, concernant l'extension du
dispositif des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise.
Ce dispositif a été créé par le Gouvernement - par M. Strauss-Kahn et moi-même
- en 1998, afin de permettre à des entreprises de haute technologie
d'intéresser leurs salariés à la croissance de leurs résultats. Les salariés
acceptent en effet des rémunérations souvents inférieures aux rémunérations
offertes par des entreprises plus importantes. Il est, par conséquent, normal
de compenser leur prise de risque par un intéressement aux résultats et par un
salaire différé.
La part du capital de la société qui doit être détenue par les personnes
physiques pour que ladite société puisse émettre de tels bons reste toutefois
trop élevée pour que les entreprises créées, notamment, par des chercheurs
puissent en bénéficier.
De même, une entreprise qui réussit et dont le capital est progressivement
dilué ne peut plus émettre de tels bons alors qu'elle se trouve encore dans une
phase critique de son développement.
C'est pourquoi nous proposons que la part du capital détenue par les personnes
physiques soit réduite de 75 % à 25 %
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui, mesdames,
messieurs les sénateurs, constitue une étape importante, peut-être même
décisive, dans la recherche d'une amélioration des liens entre le monde de la
recherche et celui de l'entreprise. Il est attendu par les chercheurs, par les
enseignants-chercheurs, par les universités, par les organismes et par les
entreprises.
Depuis plus de quinze ans, les gouvernements successifs et les ministres en
charge de la recherche n'ont eu de cesse d'améliorer la diffusion des résultats
de la recherche vers le monde économique afin de faire profiter l'ensemble du
secteur productif de ce capital unique d'intelligence et de savoir.
La loi de 1982 de Jean-Pierre Chevènement a, pour la première fois, inscrit
dans notre législation cette mission de valorisation ; elle fut suivie
d'ailleurs et complétée par la loi Savary de 1984.
Le mouvement a été relancé bien des années après par le projet de loi de M.
d'Aubert, qui, malheureusement, n'est pas allé à son terme.
Plus récemment, M. Laffitte a déposé une proposition de loi, m'incitant à
redoubler mes efforts pour faire avancer le projet du Gouvernement.
Le projet de loi qui est discuté aujourd'hui représente donc l'aboutissement
d'une série d'efforts qui dépassent tous les clivages politiques. Sur un sujet
d'intérêt national, il est, je crois, éminemment consensuel.
Cette étape est capitale.
Ce qui fait la force de ce projet de loi, c'est qu'il délaisse les affichages
de grands principes pour s'attaquer aux problèmes concrets que rencontrent les
personnels de la recherche et les organismes ; c'est aussi qu'il vise à
débloquer les verrous, à rendre possibles les initiatives, à sortir de la
contrainte tatillonne imposée par une réglementation qui n'est pas adaptée aux
temps nouveaux. Il s'agit non pas d'imposer mais d'offrir des possibilités. Il
s'agit non pas de contraindre ou de décréter mais de répondre à la demande qui
s'est exprimée, notamment lors des assises de l'innovation que nous avons
organisées en mai dernier.
Bien sûr, cette ouverture au monde économique doit être encadrée, et elle
l'est. Bien sûr, ces collaborations doivent être régulées, et elles le sont
dans le projet.
N'ayons pas peur de donner des moyens nouveaux, avec des responsabilités
nouvelles, aux organismes de recherche, aux universités et à leurs personnels.
N'ayons pas peur de combiner la recherche de l'excellence avec l'excellence de
la recherche.
Je crois que, depuis le signal donné par le général de Gaulle de la rénovation
de notre recherche, les gouvernements successifs, qu'ils soient de droite ou de
gauche, ont soutenu l'effort de recherche.
Ce projet de loi nous donne l'occasion de montrer que la France, quels que
soient les changements politiques qui l'affectent, veut être présente au
premier rang dans la grande compétition de l'intelligence du xxie siècle.
C'est donc dans un esprit d'ouverture et de rassemblement que j'aborde avec
vous ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs.
(Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Continuez comme cela, monsieur le ministre, et vous finirez sénateur !
(Rires.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Laffitte,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est pour moi un plaisir
tout particulier de rapporter, au nom de la commission des affaires
culturelles, ce projet de loi sur l'innovation.
En effet, avec enthousiasme, conviction et ténacité, j'oeuvre depuis plus de
trente ans, en dehors de tout débat politique, pour que l'innovation puisse
être développée dans notre pays.
Ainsi, voilà plus de quinze ans, au retour de missions de par le monde, en
particulier aux Etats-Unis, je préconisai l'implantation d'incubateurs en
France.
J'ai vu naître aux Etats-Unis les incubateurs, eux-mêmes copiés sur les
incubateurs nés en Grande-Bretagne.
Dès 1983, nous avons donc commencé, notamment à partir des écoles
d'ingénieurs, où c'était plus facile, à créer des incubateurs ; je pense à
l'Ecole des mines de Douai ainsi qu'à l'Ecole des mines d'Alès, en liaison avec
des chambres de commerce, mais aussi avec des associations qui étaient parfois
considérées avec suspicion par la Cour des comptes.
Ce mouvement a pu s'amplifier par la suite, grâce notamment à une autre forme
de développement de l'innovation favorisé par la création des technopôles, des
parcs scientifiques, où l'on cherche à développer une fertilisation croisée
entre des cultures assez différentes, notamment la culture des scientifiques,
la culture des enseignants et la culture des innovateurs liés à l'économie et
au marché ; la présence de financiers est également souhaitée.
Je suis donc, pour ma part, extrêmement heureux de voir enfin aboutir une idée
que j'avais fortement suggérée lorsque j'avais été nommé, en 1979, président du
comité de la recherche du VIIIe Plan, du temps où M. Raymond Barre était
Premier ministre et M. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la République, ce
qui faisait suite, d'une certaine façon, aux initiatives lancées avec force par
le général de Gaulle en matière de développement de la recherche en France.
Cette valorisation de la recherche était l'une des conclusions provisoires
majeures du comité de la recherche du VIIIe Plan, dont les activités ont été
interrompues par les événements politiques de 1981.
Mais, toujours dans un esprit d'universalisme au service de cette priorité
nationale, j'avais demandé à M. Chevènement de mettre l'accent sur l'innovation
et lui avais suggéré de reprendre l'une des conclusions du comité de recherche,
à savoir l'organisation des assises, non pas de l'innovation mais de la
recherche.
Ces assises ont d'ailleurs provoqué dans notre pays cette mise en contact de
différentes cultures, dont M. le ministre vient de parler, mise en contact qui
a permis une évolution dans les relations entre le monde de l'industrie, qui
était diabolisé par les chercheurs, et le monde des chercheurs, que les
industriels auraient volontiers renvoyés à leurs chères études !
Une certaine cohésion a commencé à se développer, ce qui était indispensable
car, dans le monde moderne, si on n'innove pas on régresse, et on peut
régresser très vite. La mondialisation croissante fait de cette priorité
nationale une priorité, pour partie au moins, régalienne, à laquelle nous
devons accorder au moins autant d'attention qu'aux autres priorités régaliennes
que sont la justice, la défense ou la sécurité.
C'est là une notion capitale pour l'avenir de notre pays car, sans innovation,
il n'y aura pas de création de richesse et donc pas de redistribution en faveur
des plus démunis.
C'est donc une notion sur laquelle le consensus doit être absolu.
M. Serge Lagauche.
Très bien !
M. Pierre Laffitte,
rapporteur.
L'importance des liens entre, notamment, la recherche et le
monde économique, liens qui sont au coeur de notre sujet, appelle toute une
série d'opérations qui posent, ce qui a été maintes fois signalé, des problèmes
de transparence, de mobilité.
Je dois dire à ce propos que, depuis 1986, la commission des affaires
culturelles, sous la direction de notre ancien président, Maurice Schumann, qui
fut ministre de la recherche sous le général de Gaulle, et désormais celle
d'Adrien Gouteyron, a systématiquement approuvé les rapports que j'ai eu
l'honneur de présenter en son nom sur le budget de la recherche.
Au-delà des aspects budgétaires, ces rapports ont, chaque fois, évoqué les
freins qui expliquent le décalage qu'il faut bien constater entre, d'une part,
l'état de la science française et le financement public de la recherche en
France et, d'autre part, l'utilisation effective dans l'économie des progrès
qui sont susceptibles d'engendrer la création de richesses supplémentaires et
d'emplois.
Il existe en fait chez nous, et depuis longtemps, une espèce de coupure. Les
raisons en sont diverses, et notamment d'ordre culturel.
Il est vrai que la culture technique n'a pas vraiment, en général, droit de
cité en France, en particulier dans l'enseignement.
Cela tient sans doute pour une part à la séparation, qui s'amenuise mais qui
persiste, entre les grandes écoles ou les écoles d'ingénieurs et le système
universitaire.
Quoi qu'il en soit, la technique apparaît souvent comme le parent pauvre par
rapport à la voie royale qui conduit vers les carrières juridiques - le
prestige du droit, en France, est considérable ! - vers l'ENA ou un certain
nombre de carrières qui ne sont pas liées à la technologie proprement dite.
Ainsi, il n'existe pas encore, dans notre pays, d'Académie des sciences de
l'ingénieur. Certes, il y a le CADAS, le Conseil pour les applications de
l'académie des sciences, mais nous n'avons pas l'équivalent de l'académie des
sciences de l'ingénieur des Etats-Unis, de Grande-Bretagne ou même de Suède.
En outre, les quelques structures de diffusion de la pensée scientifique et
technique existantes sont, pour la plupart, parisiennes : elles ne sont pas
réparties sur l'ensemble du territoire comme elles devraient l'être afin de
contribuer à cet objectif essentiel qu'est la démocratisation de la culture
scientifique.
Par ailleurs, la société française n'aime pas, ou n'aime plus, le risque : on
assiste à une sorte de diabolisation du risque. Parfois, la prise de risque est
même considérée par les tribunaux comme passible de sanction ! Il faut gérer en
bon père de famille ! Mais gérer en bon père de famille dans le monde moderne,
n'est-ce pas, dans certains cas, courir à la catastrophe ? Il y a peut-être là,
pour le bien de notre société, une réflexion à mener.
Le risque est trop souvent assimilé au jeu. Fiscalement, les plus-values sont
même considérées comme de la spéculation, y compris lorsqu'elles correspondent
à une prise de risque considérable. N'est-il donc pas légitime que la prise de
risque soit rémunérée ?
J'ajoute que la hiérarchie pyramidale de la société française est tout à fait
contraire à l'évolution qu'induisent, notamment, les nouvelles technologies. Je
connais des entreprises où passer de douze à dix niveaux de hiérarchie a été
considéré comme un
casus belli
par les cadres supérieurs et les cadres
intermédiaires. Il est certain que, dans nombre de nos entreprises, on n'a pas
évolué aussi vite que les militaires ont su le faire : en fonction d'objectifs
particuliers, les structures de commando brisent les hiérarchies
traditionnelles, ce qui implique que chacun soit informé.
Une évolution, sur ce plan, est donc hautement nécessaire, et peut-être
d'abord dans la fonction publique, où certaines formules de mandarinat ont
indiscutablement vocation à disparaître.
De toute façon, l'accès de tous au savoir par le biais d'Internet ne peut que
contribuer à faire sauter des obstacles qui freinent cette évolution que
j'appelle de mes voeux. Le rapport de mon ami René Trégouët sur les structures
pyramidales et la transversalité d'Internet a parfaitement mis ce phénomène en
lumière.
La coupure entre le monde de la recherche et le monde économique est ancienne,
et il est impératif d'y mettre fin. Le Sénat peut d'ailleurs se targuer de ne
pas être en retard en la matière et de ne pas être archaïque, au contraire.
M. Alain Lambert.
Comme souvent !
M. Pierre Laffitte,
rapporteur.
Par le biais du groupe « Innovation et entreprises », nous
avons largement contribué à la création du nouveau marché. Dans le monde de la
finance européenne, nous avons été les premiers à lancer un marché inspiré du
NASDAQ américain, qui a permis de lever plusieurs milliards de francs pour
financer des investissements dans les entreprises à capacité de croissance
rapide.
Le Sénat a aussi beaucoup contribué au développement des fonds communs de
placement dans l'innovation en doublant le niveau des incitations fiscales qui
s'y attachent pour les ménages.
Je rappelle également que, voilà quelques mois, le Sénat a voté la proposition
de loi dont j'avais pris l'initiative, rapportée par le président Gouteyron et
qui tendait à autoriser les chercheurs à créer une entreprise. Ce vote a permis
à M. le ministre, comme il a bien voulu l'indiquer lui-même, de mettre au point
plus rapidement le texte qui nous est aujourd'hui soumis.
Nous éprouvons une grande satisfaction à constater que les problèmes évoqués
par certains de nos rapports présentés au fil des ans sont maintenant pris en
compte. Citons le rapport de novembre 1996, qui recommandait que l'incitation
au développement de la recherche industrielle et aux transferts de technologie
soit centrée sur les interventions du fonds de la recherche et de la
technologie, qui prônait le développement des fonds communs de placement dans
l'innovation, des sociétés de capital-risque et des banques d'investissement
sur les marchés boursiers spécialisés, ainsi que le renforcement de
l'investissement de semence des organismes.
Soit le présent projet de loi inclut ces propositions, soit il prévoit des
mesures qui s'inscrivent dans le même esprit. Cet esprit, le Sénat y a toujours
été favorable, et je pense qu'il continuera à l'être, du moins je le
souhaite.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté ne résout certes pas tous
les problèmes. Il n'a évidemment pas pour objet de changer la société : ce
n'est d'ailleurs pas la vocation des lois ! Mais il va dans le bon sens.
Ainsi, est levée l'incompatibilité entre le statut de chercheur et la création
d'entreprise, ce qui permet de tirer parti de l'atout scientifique dont la
France dispose.
Bien sûr, il arrive déjà que des chercheurs créent des entreprises, mais,
jusqu'à présent, ils l'ont fait dans la plus extrême discrétion. Je suis
convaincu que, à cet égard, les statistiques officielles ne traduisent pas la
réalité. Les créations d'entreprise par des chercheurs sont beaucoup plus
nombreuses que ce qui est recensé, tout simplement parce que les chercheurs
n'ont pas envie d'être traînés devant les tribunaux !
A partir du moment où la loi encadre de telles créations et en favorise le
développement, nous pourrons évidemment en enregistrer beaucoup plus.
Du même coup, ce texte contribuera à freiner la fuite des cerveaux. En effet,
il est clair que, si un chercheur désire créer une entreprise mais estime qu'il
en est empêché, il s'en va réaliser son projet là où cela lui est possible. A
partir du moment où les obstacles qui étaient dressés sont levés, ces
chercheurs seront plus enclins à rester en France.
Sur ce point, la communauté scientifique dans son ensemble s'est déclarée
ouverte, m'a-t-il semblé, au fil des auditions que nous avons eues, au système,
même si quelques réserves ont été émises. Certains ont estimé, par exemple, que
les chercheurs fonctionnaires étaient favorisés par rapport aux autres
fonctionnaires.
Il reste que les responsables d'organisme, les présidents d'université et un
certain nombre de chercheurs se sont déclarés favorables au dispositif. Je n'ai
d'ailleurs guère reçu d'avis défavorables lors de la consultation par Internet
à laquelle j'ai procédé. Par conséquent, monsieur le ministre, au-delà de
quelques critiques inévitables, vous ne rencontrerez pas beaucoup de
difficultés du côté de la communauté des chercheurs.
Le projet de loi reprend d'abord deux dispositions déjà adoptées par le Sénat,
et je ne doute pas qu'il les adopte à nouveau : outre la possibilité pour les
chercheurs de créer des entreprises, il s'agit du concours scientifique. C'est
une mesure intéressante, qui devrait être utilement complétée par des
dispositions complémentaires, par exemple en ce qui concerne la mise à
disposition à temps partiel.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit la participation de chercheurs et des
enseignants-chercheurs à des conseils d'administration et de surveillance.
Il est vrai que les PME sont souvent peu enclines à collaborer avec les
établissements de recherche ; c'est donc, pour elles, une excellente mesure.
Cependant, s'agissant des très grandes entreprises, on peut se demander si elle
sera aussi efficace, car les conseils d'administration et de surveillance ne
sont pas les lieux où sont principalement débattus les problèmes de politique
de recherche.
En conséquence, il serait bon que les mesures d'application tendent à
favoriser essentiellement la possibilité pour les scientifiques de siéger dans
les conseils d'administration des sociétés relativement petites, mais à
capacité de croissance rapide : c'est là qu'ils auront le plus de poids tant
sur le plan micro-économique que sur le plan macro-économique.
J'ai un regret, mais il est en partie dissipé par un amendement du
Gouvernement. Ce regret concerne les personnels des lycées technologiques et
professionnels. Ceux-ci, notamment lorsqu'il existe des sections de techniciens
supérieurs, sont très proches dans leur état d'esprit des PME qui les entourent
et où ils peuvent servir de vecteur - plus même, dans bien des cas, que les
ingénieurs ou des thésards - à des transferts de technologie, extrêmement
utiles à ces petites, voire très petites entreprises.
Renforcer l'interaction entre la recherche publique et les entreprises est à
l'évidence d'intérêt national, et je ne m'étendrai pas sur ce point.
J'en viens aux incubateurs. Le mot fait sourire, dit-on. Peut-être ! Mais pas
au Sénat.
M. Jean-Pierre Raffarin.
A l'Assemblée nationale, ils en sont restés aux pépinières !
(Sourires.)
M. Pierre Laffitte,
rapporteur.
La différence entre les pépinières et les incubateurs est
évidente. Les incubateurs correspondent à la phase initiale, avant que l'oeuf
ne soit éclos et juste après l'éclosion.
C'est ensuite qu'interviennent les pépinières, celles-ci pouvant d'ailleurs
être publiques ou privées.
Une pépinière dispense en fait un service qui s'assimile à de l'hôtellerie
pour entreprises : c'est quasiment de la location de bureaux, à quoi s'ajoutent
éventuellement quelques autres services.
L'incubateur offre, lui, des services qui vont bien au-delà : formation,
recherche de financement ou de partenaires.
L'incubateur a en particulier pour fonction de trouver des personnes à
associer aux créateurs techniques. Il faut des gens qui aient la « bosse du
commerce », qui maîtrisent les problèmes de gestion et de financement.
J'ai pu constater que, dans certains incubateurs de la Silicon Valley, il
arrive que l'on dise à un créateur : « Vous, vous êtes trop imaginatif pour
vous occuper des questions de gestion. Nous allons trouver ensemble un
gestionnaire mais, vous, vous devez continuer à imaginer des produits dérivés,
etc. »
Toute cette dynamique d'entourage très flexible a conduit la commission des
affaires culturelles à considérer que contraindre le gestionnaire d'incubateur
à demander un avis préalable à son autorité responsable - ce peut être un
conseil d'administration - pour chaque convention était un mécanisme beaucoup
trop lourd. Nous avons donc estimé que l'autorité devait pouvoir donner
délégation. Par exemple, un président d'université serait ainsi dispensé de
retourner devant son conseil d'administration pour faire avaliser telle ou
telle convention. Bien entendu, le conseil d'administration définit un cadre,
mais il n'est pas nécessaire qu'il soit systématiquement consulté.
Nous avons, en outre, déposé un certain nombre d'amendements concernant le
dispositif fiscal prévu à l'article 3, la démocratisation du dispositif prévu à
l'article 92 B
decies
du code général des impôts pour les
« business
angels »
et un dispositif d'assurance innovation.
Ce dispositif d'assurance innovation est très important car une grande
proportion des sociétés innovantes sont menacées de contrefaçon. En effet,
elles n'ont pas les moyens financiers pour lutter contre des contrefacteurs qui
pourraient être des prédateurs importants situés aux Etats-Unis ou au Japon.
Par conséquent, une formule d'assurance assez complexe à mettre en oeuvre doit
être élaborée.
Bien entendu, la question a déjà été soulevée et une assurance, qui s'appelait
« Brevet'assur », a été lancée mais n'a pas fonctionné. En effet, les sociétés
innovantes, comme les dépôts de brevets, étaient alors beaucoup moins nombreux.
De plus, les grandes sociétés, qui déposaient la plupart des brevets, avaient
leur propre système juridique et leurs propres capacités de développer. Aussi
les PME, qui en étaient pour leur part réduites à leurs propres moyens, se
faisaient-elles « piller » de toute façon, sans pouvoir réagir.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, je vous saurais gré de bien vouloir vous rapprocher de
votre conclusion, car nous devons entendre également M. le rapporteur pour
avis.
M. Pierre Laffitte,
rapporteur.
J'en termine, monsieur le président, en signalant que,
moyennant un certain nombre d'amendements, la commission des affaires
culturelles vous demandera, mes chers collègues, d'adopter ce texte.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Emmanuel Hamel.
La sagesse du Rhône va parler !
(Sourires.)
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la Nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur l'innovation et la
recherche aujourd'hui soumis à notre examen en première lecture est assurément
une initiative heureuse, qui est attendue autant par les chercheurs que par les
entreprises.
Il convient de se réjouir que le Gouvernement ait décidé de reprendre à son
compte un projet du précédent gouvernement puisque, comme vous l'avez fort bien
dit, monsieur le ministre, il avait été préparé par M. d'Aubert. Ce texte
reprend donc des mesures importantes portant diverses modifications d'ordre
économique et financier qui avaient été proposées par le gouvernement de M.
Juppé. Déposé le 2 avril 1997, ce projet de loi était devenu caduc du fait de
la dissolution de l'Assemblée nationale.
Votre projet de loi s'inspire en outre d'une proposition de loi de notre
collègue M. Laffitte, adoptée par le Sénat et tendant, en fixant des règles
déontologiques, à faciliter la création d'entreprises innovantes par des
chercheurs.
En revanche, compte tenu des dispositions que ce projet de loi ne contient
pas, la commission des finances a considéré que le gouvernement de M. Jospin
arrêtait un choix contestable.
Le Gouvernement avait en effet affirmé à plusieurs reprises, notamment lors de
l'examen au Sénat du projet de loi de finances pour 1999, sa volonté
d'introduire des dispositions fiscales en faveur de l'innovation dans le texte
qui est aujourd'hui soumis à notre examen.
De cet engagement il ne reste rien, à l'exception d'un article, l'article 3,
qui vise à étendre le champ d'application des bons de souscription de parts de
créateurs d'entreprise, les BSPCE, créés par la loi de finances de 1998.
Cette mesure, certes importante, nous paraît néanmoins tout à fait
insuffisante pour créer en France un environnement fiscal favorable à la
croissance et à la création d'entreprises innovantes.
Mais avant d'en venir à l'article 3, je voudrais, mes chers collègues, vous
présenter rapidement le contexte dans lequel s'inscrit ce projet de loi.
Il est désormais établi que la France souffre d'un décalage important entre la
qualité de son potentiel scientifique et les retombées industrielles de la
recherche. Notre pays dispose d'atouts scientifiques indéniables, comme
l'attestent les succès d'Ariane, d'Airbus, du TGV, ou le développement des
publications scientifiques françaises.
De même, notre pays consacre un effort budgétaire important à la recherche. La
dépense intérieure de recherche-développement s'élève à environ à 184 milliards
de francs, soit 2,3 % du PIB. Cette forme de recherche représente 21 % de
l'effort consenti en faveur de la recherche par l'ensemble de l'Union
européenne.
Il faut toutefois noter que le système français de recherche-développement se
caractérise par l'importance de la recherche conduite dans le cadre public.
Ce n'est que depuis 1995 que la contribution financière des entreprises
dépasse celle du budget de l'Etat. ll est vrai que la France a longtemps
cultivé le goût des grands programmes entièrement pilotés par l'Etat dans le
domaine militaire ou aéronautique, par exemple. Cela explique également la
forte concentration des financements publics sur un nombre restreint de grands
groupes industriels.
Pourtant, cet effort budgétaire important en faveur de la recherche n'a que
des répercussions très médiocres en termes industriels et technologiques.
Quelques exemples me permettront d'illustrer les handicaps qui pèsent sur notre
pays dans son positionnement vis-à-vis de l'innovation. Trop peu nombreuses
sont les grandes entreprises françaises présentes dans les secteurs à forte
croissance, tels que la pharmacie ou les produits financiers, alors qu'elles
sont beaucoup mieux implantées dans des secteurs à faible croissance, comme
l'aéronautique, voire à croissance négative, comme l'équipement industriel.
Le retard de la France est patent dans les technologies de l'information et
les biotechnologies. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, notre situation en
matière de brevets est défavorable, nos positions technologiques ayant chuté de
quelque 20 % depuis 1987. Notre balance technologique, qui reflète l'écart
entre les achats et les ventes de brevets, est déficitaire. Enfin, les
entreprises françaises sont nettement moins créatrices de valeur que les
entreprises anglo-saxonnes.
Ces performances médiocres se retrouvent en matière de créations
d'entreprises. Celles-ci ont beaucoup diminué au cours des années
quatre-vingt-dix et le taux de mortalité des entreprises nouvellement créées
apparaît relativement élevé.
La conjonction d'un niveau relativement faible de créations d'entreprises et
d'un positionnement défavorable sur les secteurs à forte croissance explique
que la France ne bénéficie que faiblement des bienfaits de l'innovation,
notamment en matière de création d'emplois.
De 1973 à 1997, le nombre d'emplois a augmenté d'à peine un million en France,
mais de quelque 44 millions aux Etats-Unis. Depuis 1980, l'économie américaine
a perdu 43 millions d'emplois, mais elle en a créé 73 millions, contre
seulement 43 millions en Europe, 80 % des 7,7 millions d'emplois créés aux
Etats-Unis entre 1991 et 1995 provenant des entreprises de croissance.
Les causes de ce découplage technologique sont nombreuses.
Elles sont tout d'abord d'ordre culturel et tiennent notamment aux
réglementations très rigides héritées du système des corporations, ainsi qu'à
la méfiance de la société française envers l'argent. Aux Etats-Unis, on célèbre
les
self made men
et les
success stories,
tandis que l'on raille
les parvenus en France et que l'on y est plus prompt à souligner les échecs que
les réussites. Notre pays jette l'opprobre sur l'échec, notamment par sa
législation sur les faillites, alors qu'outre-Atlantique l'échec est vécu non
seulement comme une expérience enrichissante mais même comme un signe de
maturité dans le développement d'un projet.
La création d'entreprises innovantes se heurte également à des obstacles
administratifs et statutaires.
En dépit des simplifications administratives intervenues ces dernières années,
il n'est toujours pas possible de créer une entreprise en quelques heures,
comme c'est le cas, par exemple, dans la
Silicon Valley.
Surtout, les règles posées par le statut général de la fonction publique sont
actuellement incompatibles avec la création d'entreprises par des chercheurs à
partir des résultats de leurs travaux, ce qui rend l'essaimage extrêmement
difficile.
En outre, les articles 432-12 et 432-13 du code pénal sanctionnent la prise
illégale d'intérêts. Or le succès des entreprises innovantes tient souvent à
l'imbrication du monde de la recherche et du monde de l'entreprise.
Ainsi, les chercheurs sont placés devant une alternative douloureuse : soit
ils ne remplissent pas la mission assignée par la loi au service public de la
recherche, c'est-à-dire la valorisation de la recherche, soit ils la
remplissent, au risque de se trouver en infraction avec la loi.
Enfin, le système de financement est inadapté dans notre pays en raison de
spécificités nationales qui freinent la croissance et pénalisent la création de
petites et moyennes entreprises innovantes : importance du déficit budgétaire,
niveau excessif des prélèvements obligatoires et des charges sociales, impôt
sur le revenu décourageant, impôt de solidarité sur la fortune confiscatoire,
absence de fonds de pension qui puissent drainer l'épargne longue...
Or la création d'entreprises innovantes requiert une structure de financement
particulière. Le manque de fonds propres et le partage du risque de financement
sont des problèmes fondamentaux lors de la création et du développement des
petites et moyennes entreprises innovantes. Le financement de l'innovation
apparaît difficile car, faute de disposer de garanties aisément évaluables, les
prêteurs ne peuvent procéder à une analyse du risque selon des critères
habituellement retenus. Le maillon faible de la chaîne du financement de
l'entreprise innovante se situe en particulier au niveau de la phase
d'amorçage, c'est-à-dire de la transformation d'une idée en une entreprise
viable et potentiellement créatrice d'emplois.
Une fois enclenché le processus, les outils financiers existants - que ce soit
au travers des sociétés de capital-risque, des financements bancaires ou des
fonds communs de placement dans l'innovation, les FCPI - fonctionnent
relativement bien, même si les 1 500 millions de francs investis par la France
en capital-risque en 1997 semblent bien dérisoires à côté des 60 milliards de
francs investis dans les seuls Etats-Unis d'Amérique.
Il convient dès lors d'encourager le capital d'amorçage - le
seed capital -
qui provient le plus souvent de l'entourage du créateur ou d'investisseurs
providentiels, expression qui pourrait être la traduction des
business
angels.
C'est l'objectif de la loi dite « loi Madelin », qui a institué une réduction
d'impôt pour souscription au capital de sociétés non cotées.
Toutefois, cette aide fiscale, qui aboutit à réduire le risque d'un quart, ne
draine que relativement peu de capitaux en raison des plafonds de souscription
trop restrictifs.
En outre, et compte tenu des entraves fiscales déjà évoquées, nos
investisseurs providentiels - nos
business angels -
ont plutôt tendance
à s'envoler vers des cieux plus cléments.
Le projet de loi sur l'innovation et la recherche comporte un ensemble de
dispositions d'ordre statutaire ou institutionnel qui vont dans le bon sens,
notamment parce qu'elles permettent un rapprochement entre la communauté des
chercheurs et le monde de l'entreprise.
Ainsi, il est proposé un cadre juridique permettant aux personnels de la
recherche de créer une entreprise valorisant leurs travaux ou de lui apporter
leur concours scientifique, ou encore d'être membres du conseil
d'administration d'une société anonyme.
De même, les établissements d'enseignement supérieur pourront créer un service
d'activités industrielles et commerciales et mettre en place, ainsi que vient
fort bien de le dire mon collègue M. Laffitte, des « incubateurs ». Les
établissements d'enseignement du second degré participeront au processus de
valorisation de la recherche.
En revanche, la commission des finances a estimé indispensable d'enrichir le
volet fiscal de ce projet de loi et d'aller bien au-delà de la disposition
relative à l'extension du champ d'application des seuls bons de souscription de
parts de créateur d'entreprise.
Il s'agit d'instituer un dispositif cohérent tendant à mettre en adéquation
les nombreux projets innovants et les sources de financement.
Je vous rappelle que le projet initial du Gouvernement comportait un ensemble
fiscal assez consistant.
La première partie de ce volet fiscal que nous vous proposons concerne les
plans d'options sur actions, que nous appelons plus communément les
stock
options.
Cet instrument utile d'intéressement souffre d'un discrédit
injustifié, en raison de l'opacité actuelle du système et des abus que cette
opacité a parfois favorisés.
La commission des finances peut se prévaloir d'une grande constance dans ses
positions sur le sujet. Dès 1995, un groupe de travail composé de MM. Arthuis,
Loridant et Marini présentait un rapport d'information dont les conclusions
étaient nettes. Aux termes de ce rapport, il n'y avait pas lieu d'aggraver le
régime fiscal et social de cet instrument de motivation du personnel, qui est
irremplaçable pour certaines entreprises, mais il était urgent d'introduire
plus de transparence afin de prévenir les abus, bien réels, qui risquaient de
discréditer les plans d'options sur actions.
Hélas ! on a fait exactement le contraire au cours des dernières années. Les
réformes de fond demandées par la commission des finances ont été reportées,
tandis que les plans d'options sur actions ont été imposés à 30 % dans la loi
de finances pour 1996, puis assujettis aux cotisations sociales dans la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1997. Le discrédit de ce mécanisme
d'intéressement est aujourd'hui profond dans l'opinion publique, ainsi que dans
l'aile gauche de la majorité actuelle.
Aujourd'hui, le Sénat doit prouver qu'il est pragmatique et attentif aux
besoins réels des entreprises, en contribuant à la réhabilitation des plans
d'options sur actions.
Paradoxalement, et je vous en donne acte, monsieur le ministre, c'est la
nouvelle majorité issue de la dissolution de 1997 qui a rétabli d'urgence une
forme suffisamment incitative de
stock options
pour les jeunes sociétés
en croissance. En effet, les bons de souscription de parts de créateur
d'entreprise, qui ont été créés à titre expérimental par la loi de finances
pour 1998, ne sont qu'une variante de
stock options.
Ils répondent à un
besoin vital des jeunes entreprises en croissance, qui n'ont pas les moyens de
rémunérer correctement les collaborateurs de valeur dont elles veulent
s'attacher les services.
J'observe d'ailleurs, monsieur le ministre, que ces bons sont plus avantageux
fiscalement et socialement que les plans d'options d'actions, alors qu'ils ne
sont pas assortis des mêmes contraintes de temps ni des mêmes obligations de
transparence. Mais nous aurons l'occasion de revenir sur ce point lors de la
discussion des articles.
Pour sa part, la commission des finances a oeuvré constamment à retrouver un
équilibre entre avantages et contraintes pour les plans d'options sur actions,
qui sont la forme de
stock options
de droit commun, valable pour toutes
les entreprises. Vous trouverez dans mon rapport écrit la liste détaillée des
tentatives faites en ce sens. Je ne rappellerai ici que celles qui ont abouti à
un vote positif du Sénat.
Au cours de la discussion du DDOEF de 1996, le Sénat a voté, sur l'initiative
de M. Marini et sur le rapport de M. Lambert, un amendement tendant à renforcer
la transparence des plans d'options sur actions. Ces dispositions sont
aujourd'hui inscrites dans le code des sociétés.
Lors de l'examen de la loi de finances pour 1998, le Sénat a adopté en
première lecture, sur le rapport de M. Lambert, un amendement tendant à
rétablir le taux d'imposition de 16 % pour les plans d'options sur actions. Cet
amendement a de nouveau été voté par le Sénat lors de la première lecture de la
loi de finances pour 1999, sur le rapport de M. Marini.
Mes chers collègues, je vous prie d'être attentifs à ce rappel
historique,...
M. Emmanuel Hamel.
Nous le sommes !
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
... qui n'est pas gratuit. En effet, il est
important de souligner la constance des positions de la commission des finances
et le fait que la majorité du Sénat les a déjà faites siennes à plusieurs
reprises.
Enfin, lors de l'examen du DDOEF du printemps 1998, le Sénat a adopté en
première lecture un amendement qui avait pour objet d'affiner les dispositions
de transparence introduites dans le code des sociétés en 1996. Je tiens à
préciser que le Gouvernement avait initialement émis un avis favorable sur cet
amendement, avant de se raviser devant l'Assemblée nationale, au motif qu'il
présenterait bientôt une réforme d'ensemble des
stock options.
Ce projet de réforme, auquel vous êtes personnellement favorable, monsieur le
ministre, nous l'attendons toujours. A l'occasion du dernier débat budgétaire,
le Gouvernement avait annoncé son intention de l'insérer dans le présent projet
de loi. Au dernier moment, il a dû renoncer à le faire, en raison de
l'hostilité de principe, pour ne pas dire idéologique, de certaines composantes
de sa propre majorité.
En effet, je ne vous le cacherai pas, monsieur le ministre, je ne suis guère
convaincu par l'argument juridique du Conseil d'Etat. En effet, l'article 3 du
présent projet de loi, qui assouplit les bons de souscription de parts de
créateur d'entreprise, est de nature fiscale.
J'estime que cette disposition fonde juridiquement, si besoin était, notre
droit à insérer dans le présent projet de loi des dispositions complémentaires
relatives à cette autre forme de
stock options
que sont les plans
d'options sur actions. Elle fonde également notre droit à insérer toutes
dispositions de nature fiscale relatives à l'innovation et à la recherche.
La commission des finances propose de réintroduire un volet complet relatif
aux
stock options,
afin de prendre date pour une réforme qui reste plus
que jamais d'actualité en dépit des atermoiements du Gouvernement. Je crois que
notre réflexion sur le sujet est suffisamment mûre pour que le Sénat n'attende
pas que le Gouvernement veuille bien lui présenter un texte. Nous n'avons
d'ailleurs aucune garantie sur l'échéance à laquelle ce projet d'initiative
gouvernementale pourrait être adopté en conseil des ministres.
Accessoirement, je crois qu'il n'est pas inutile de corriger la position du
Sénat dans un débat qui a été jusqu'à présent bien trop idéologique, et éloigné
de la réalité de la vie des entreprises.
La commission des finances propose donc de remettre à plat l'ensemble du
dispositif des
stock options
« à la française » grâce à un dispositif,
que j'ai la faiblesse de croire cohérent et équilibré, qui est axé sur les deux
instruments existant à l'heure actuelle.
D'une part, la commission propose de pérenniser et d'améliorer sur certains
points les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise.
D'autre part, pour les options de souscription ou d'achat d'actions, elle vous
suggère de revenir au régime fiscal et social antérieur à 1996. En
contrepartie, des règles de transparence nouvelles seraient introduites et un
delai de portage minimal rétabli.
La seconde partie du volet fiscal proposé par la commission des finances
concerne le financement des entreprises innovantes. En effet, comme je le
rappelais voilà quelques instants, il est urgent de drainer les capitaux là où
ils sont nécessaires, c'est-à-dire dans les entreprises en création, celles que
l'on appelle les
start up.
Or, les instruments existants - je pense
notamment à l'excellente loi Madelin qui permet aux épargnants souscrivant en
numéraire des parts de sociétés non cotées de réduire leur impôt sur le revenu
de 25 % du montant de leur investissement, dans une limite de 37 500 francs
pour les personnes seules et de 75 000 francs pour les personnes mariées - ne
sont pas assez puissants, et il convient de leur redonner du souffle.
Par ailleurs, pour encourager les « investisseurs providentiels », les
business angels,
à entrer dans le capital de sociétés innovantes et pour
leur procurer des fonds propres et, surtout, des conseils avisés, la commission
des finances proposera d'atténuer les aspects confiscatoires de l'impôt de
solidarité sur la fortune, en leur octroyant une réduction d'un montant de 20 %
de leur investissement, et ce sans plafond.
Enfin, pour fluidifier les circuits de financement au stade du développement
de l'entreprise, la commission proposera d'améliorer le dispositif des fonds
communs de placement dans l'innovation, afin d'élargir la cible des entreprises
éligibles à ces fonds.
Vous le voyez, la commission des finances a tâché d'améliorer l'ensemble de la
chaîne du financement des entreprises innovantes. Souhaitons que ces aspects
puissent être pris en compte pour que la France dispose des entreprises et de
la croissance qu'elle mérite.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
Espérons-le !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 31 minutes ;
Groupe socialiste : 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe :
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la
loi du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et
le développement technologique et la loi de 1984 sur l'enseignement supérieur,
la valorisation de la recherche n'a plus été une priorité réelle et effective
des différents ministres de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie, ni des directions générales des organismes de recherche, sauf
exception. Aussi nombre de dispositions prévues par ces deux textes sont-elles
restées lettre morte.
Entre-temps, le processus de valorisation s'est complexifié. Désormais, la
concession de brevets aux entreprises par les laboratoires ne constitue plus le
vecteur essentiel de valorisation de la recherche. Celle-ci passe, en effet,
par des formes multiples de partenariat : consultance, intégration par les
entreprises de jeunes chercheurs, création d'entreprises innovantes, création
de structures de coopération comme les groupements d'intérêt public ou les
laboratoires mixtes, et mise en place de centres de ressources
technologiques.
Dans ce contexte, toute politique d'innovation et de diffusion doit, pour être
efficace et créatrice d'emplois, être fondée sur la notion de réseau, de
partenariat entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise.
Dans les faits, cette collaboration entre monde économique et recherche
publique fonctionne déjà : on peut citer, tout récemment, la théorie élaborée
par des chercheurs d'un laboratoire commun au CNRS et à la firme Elf-Atochem et
permettant d'expliquer le phénomène d'adhérence.
L'Institut national de recherche en informatique et en automatique se
distingue, quant à lui, par sa réussite dans l'essaimage technologique. En
effet, vingt-cinq entreprises sont nées de ses travaux, dont vingt sont
toujours en activité et emploient huit cent cinquante personnes.
Prenant acte de ce contexte, le projet de loi que vous nous présentez,
monsieur le ministre, permet de clarifier et de renforcer les relations de
partenariat aujourd'hui insuffisamment développées.
S'il faut évidemment favoriser la constitution de partenariats, de réseaux et
de pôles de compétences, il convient de s'assurer parallèlement que ces modes
de relations restent égalitaires, et donc que chacun y trouve son compte.
L'entreprise ne doit pas disposer des moyens de la recherche publique sans
engagements garantis en retour. Le système doit être gagnant, et ce pour les
deux parties.
C'est pourquoi le groupe socialiste considère qu'il est essentiel d'apporter
des éléments de contrôle et d'évaluation indispensables aux dispositifs prévus
par le projet de loi.
La mise à disposition de fonctionnaires dans le secteur privé ne doit pas
avoir pour effet pervers de déposséder un laboratoire public de tout ou partie
d'une équipe de recherche performante et bien rodée.
De même, la mise à disposition de locaux ne doit pas aboutir à la mise à
disposition d'une unité entière ou de tout un laboratoire au service d'une
entreprise, permettant ainsi à celle-ci d'externaliser, à moindres frais et aux
dépens de fonds publics, sa recherche et son développement.
Face à ces deux risques, des moyens de contrôle par les autorités
scientifiques compétentes s'imposent. Dans cette perspective, mon collègue
Franck Sérusclat et moi-même défendrons, au nom du groupe socialiste, un
sous-amendement visant à requérir l'avis, ou, au minimum, l'information
détaillée, de l'autorité scientifique compétente pour toute création de
structure d'incubation.
Par ailleurs, si l'on veut favoriser une mobilité des chercheurs vers le monde
industriel, qui, en définitive, ne se retourne pas contre eux en termes de
carrière, il faut faire tomber les obstacles statutaires, ce à quoi le texte
répond tout à fait, mais il faut aussi que la mobilité soit ressentie comme un
plus, et non plus comme un handicap à la promotion.
L'évaluation des chercheurs, comme celle des laboratoires, reste fondée, pour
l'essentiel, sur leurs publications. Si l'entreprise ne prête pas attention à
ce que la valorisation des travaux du chercheur passe aussi par la publication,
celui-ci pâtit de sa mise en détachement provisoire.
C'est également le système d'évaluation de la recherche qu'il convient de
revoir pour donner une place plus grande aux relations avec les entreprises,
non seulement dans les carrières professionnelles des chercheurs, mais aussi
dans l'évaluation des laboratoires et des organismes de recherche.
En ce sens, les contrats pluriannuels, prévus à l'article 1er et conclus entre
les établissements publics de recherche et l'Etat, devront prendre en compte le
partenariat industriel dans la définition des objectifs de l'établissement et
dans l'attribution de ses moyens.
Parallèlement, il est nécessaire de modifier la procédure trop lourde de
création des groupements d'intérêt public et des filiales, car le contrat reste
encore aujourd'hui le moyen le plus utilisé de coopération entre les
laboratoires et les entreprises.
Les chiffres sont éloquents : depuis 1984, ce sont moins de dix groupements
d'intérêt public associant effectivement une entreprise qui ont été mis en
place. Une des grandes priorités de notre politique d'innovation doit être le
développement de centres de recherche coopératifs, en véritable partenariat
avec les entreprises, comme l'a montré le rapport Guillaume.
Or, les groupements d'intérêt public ou les filiales peuvent être un bon
instrument pour fédérer les organismes de recherche autour de pôles de
compétence identifiables pour le milieu industriel. On éviterait ainsi les
recherches redondantes par une meilleure coordination des équipes de
chercheurs.
Créer un environnement favorable à l'innovation et à la valorisation passe par
des dispositifs financiers incitatifs. Le Gouvernement s'inscrit très fortement
dans cette logique.
En avril 1998, il a créé un fonds public de 600 millions de francs géré par la
Caisse des dépôts et consignations pour stimuler le capital-risque en direction
des jeunes entreprises innovantes.
La loi de finances pour 1999 a amplifié cet effort du Gouvernement en faveur
de l'innovation avec, notamment, la reconduction pour cinq ans du crédit
d'impôt-recherche, l'augmentation des crédits pour la diffusion des
technologies du secteur spatial et le dégagement d'un crédit de 200 millions de
francs pour favoriser la création d'entreprises innovantes grâce à des fonds
d'amorçage.
Aujourd'hui, le projet de loi sur l'innovation et la recherche prévoit
d'étendre le champ d'application des bons de souscriptions de parts de
créateurs d'entreprises introduits par la loi de finances pour 1998. Il s'agit
d'abaisser la part de capital qui doit être détenue par des personnes
physiques, et ce afin de tenir compte des moyens financiers des chercheurs
créateurs d'entreprises.
L'introduction de dispositions sur les
stock options,
par le commission
des finances, ne me paraît pas opportune à ce stade de la discussion du texte.
Aussi, j'espère qu'un accord interviendra entre le ministère des finances et la
commission des finances. Il ne faudrait pas, en effet, enrayer l'excellent
travail de la commission des affaires culturelles.
Pour ma part, j'estime que les
stock options
trouveraient plus leur
place dans une loi de finances.
Enfin, il est impossible de parler de politique d'innovation et de diffusion
des résultats de la recherche sans aborder la question des brevets. Déposer un
brevet en Europe est cinq fois plus coûteux et cinq fois plus long qu'aux
Etats-Unis.
Les chercheurs français, par ailleurs, déposent moins de brevets que leurs
homologues étrangers : la France occupe le neuvième rang de l'Union européenne
du taux de dépôt de brevets et notre pays est actuellement en décroissance à
cet égard, au sein de l'Union européenne.
C'est pourquoi il nous faut absolument replacer notre politique d'innovation
dans son contexte européen, en créant notamment un brevet européen, et
développer une réflexion stratégique globale en prise avec notre
environnement.
Je pense que M. Pierre Laffitte, qui agit depuis longtemps dans le domaine de
l'innovation et à qui l'on doit la création de la technopole Sophia-Antipolis,
ne me démentira pas sur ce point. Je tiens aussi à souligner son excellent
travail, en tant que rapporteur de la commission des affaires culturelles, sur
ce texte relativement proche de sa proposition de loi.
En conclusion, j'insisterai sur la nécessité d'une réelle évaluation de notre
politique d'innovation, afin, notamment, d'analyser l'impact des dispositions
relatives aux structures d'incubation, plus globalement d'examiner les
réajustements périodiques nécessaires dans un environnement qui évolue très
rapidement, et d'enrichir les pratiques de partenariat entre la recherche
publique, d'une part, le monde économique et industriel, d'autre part.
Dans cette perspective, le groupe socialiste, bien entendu favorable à
l'excellent projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre,
demandera que, au terme de trois ans d'application de la loi, un rapport du
Gouvernement soit déposé devant le Parlement.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, du Rassemblement pour la République
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de
développer et de soutenir l'effort d'innovation, le Gouvernement entend
multiplier les échanges entre le monde de la recherche et les entreprises,
constituer des structures professionnelles de valorisation, faciliter la
création d'entreprises par les chercheurs et améliorer le dispositif fiscal
pour les entreprises innovantes.
Le projet de loi qui nous est présenté a ainsi vocation à couvrir l'ensemble
des volets liés à la diffusion dans l'économie des résultats de la
recherche.
C'est un objectif nécessairement ambitieux, car, en ce domaine, nous ne
réussirons pas sans ambition.
En effet, comme vous le rappeliez, monsieur le ministre, le fort potentiel
français en matière d'innovation reste aujourd'hui entravé par les règles trop
rigides qui encadrent la recherche.
Ce n'est certes pas une découverte. Mais le retard pris par notre pays en
matière de valorisation de la recherche publique devient inquiétant. Je ne
citerai pas l'exemple des Etats-Unis parce que l'on m'accuserait de béatitude
proaméricaine.
(Sourires.)
M. Ivan Renar.
Pas du tout !
M. Albert Vecten.
Mais vous avez évoqué cet exemple tout à l'heure, monsieur le ministre. Je
pense néanmoins qu'il est temps d'ouvrir les yeux sur les réussites des autres
et sur nos échecs.
L'exposé des motifs de ce projet de loi sur l'innovation et la recherche m'a
réellement séduit. C'est un constat lucide et intelligent du décalage qui
existe en France entre la qualité de la recherche scientifique publique et la
faiblesse du transfert d'innovation vers le monde de l'entreprise. Tout cela ne
serait pas bien inquiétant si notre pays ne souffrait pas d'un taux de chômage
structurel particulièrement élevé. Or, l'innovation technologique, la
coopération entre la recherche publique et le monde économique peuvent
permettre la création d'entreprises, la création de milliers d'emplois que nous
n'avons pas le droit de négliger.
J'utilise volontairement l'expression : « coopération entre la recherche
publique et le monde économique ». Je ne l'ai pas inventée puisqu'elle figure
dans le premier paragraphe de l'exposé des motifs du projet de loi. Cette
phrase est lourde de sens.
Il ne s'agit pas de montrer du doigt une certaine catégorie et de la rendre
responsable de tous les maux. Nous portons tous une certaine part de
responsabilité dans cet état de fait. Simplement, nous ne devons pas non plus
nous interdire de dire un certain nombre de vérités et, surtout, d'agir.
Si l'exposé des motifs de ce projet de loi a le mérite de dire ces vérités,
les mesures qui nous sont proposées me paraissent malheureusement parfois
insuffisantes au regard des enjeux dont je viens de parler.
Les améliorations incontestables que ce projet de loi apportera ne permettront
de régler qu'une partie des problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Aussi, monsieur le ministre, je me permettrai de faire quelques propositions,
en commençant par illustrer mon propos par des exemples concrets concernant la
question du statut des chercheurs.
Comme le rappelle le projet de loi, les chercheurs qui souhaitent créer une
entreprise pour valoriser les résultats de la recherche publique doivent
aujourd'hui être placés en position de disponibilité ou de délégation.
Si les mesures prévues par le projet de loi constituent, à l'évidence, un
progrès considérable par rapport à cette situation antérieure, elles me
semblent néanmoins incomplètes.
En effet, grâce au nouveau dispositif créé par l'article 1er du projet de loi,
les chercheurs pourront désormais être autorisés à participer, en tant
qu'associé, administrateur ou dirigeant, à une entreprise nouvelle assurant la
valorisation de leurs travaux, pendant une période à l'issue de laquelle ils
devront opter entre le service public et l'appartenance à l'entreprise. Durant
cette période, et pour une durée maximale de six ans, ils seront placés en
position de détachement ou mis à disposition. Corrélativement, ils cesseront
toute activité au titre du service public dont ils relèvent, à l'exception
toutefois d'activités accessoires d'enseignement.
Cette mesure va dans le bon sens ; mais sera-t-elle vraiment suffisante ? On
constate, en effet, que la carrière d'un chercheur français se joue aujourd'hui
essentiellement sur la qualité et le nombre de ses publications dans des revues
scientifiques de haut niveau. Il serait donc bon de prévoir aussi des mesures
statutaires visant à récompenser dans leur effort d'innovation les chercheurs
qui déposent des brevets et qui s'engagent dans le développement des
entreprises innovantes.
Sinon, qu'adviendra-t-il de la carrière des chercheurs qui, ayant quitté le
service public dont ils relèvent, choisiront d'y revenir après deux ans, quatre
ans ou six ans passés en entreprise ? Nul doute que ces chercheurs qui auront
pris un risque certain - un risque personnel certes, mais un risque susceptible
d'amener la création d'une forte valeur ajoutée pour notre société en termes de
richesse et d'emplois - n'auront plus les mêmes perspectives de carrière que
leurs collègues qui auront continué, pendant cette période, à publier dans le
confort de leurs laboratoires.
Je pense donc que cette mesure devrait s'accompagner d'une réforme profonde de
la gestion des carrières par les grands organismes de recherche, afin que les
chercheurs qui déposent des brevets et innovent soient au moins aussi bien
récompensés que ceux qui publient des articles dans des revues scientifiques.
(M. le ministre fait un signe d'assentiment.)
Les chercheurs du secteur
public qui ont contribué à un développement industriel devraient être tout
particulièrement distingués et promus dans le cadre de leur carrière
académique. Une telle reconnaissance permettrait peut-être aussi de développer
une certaine culture d'entreprise jusque dans nos laboratoires publics.
L'article 1er du projet de loi prévoit aussi que, sans participer
personnellement à la création de l'entreprise de valorisation, les personnels
de recherche doivent pouvoir apporter leur concours scientifique et participer
au capital des entreprises de ce type.
Ces fonctionnaires peuvent être autorisés à apporter leur concours
scientifique ou technique à une entreprise qui assure, en exécution d'un
contrat conclu avec une personne publique, la valorisation des recherches
qu'ils ont réalisées dans l'exercice de leurs fonctions.
Sur le principe, cette disposition me paraît également de nature à rapprocher
chercheurs et entreprises. En revanche, monsieur le ministre, je ne comprends
pas pourquoi vous avez introduit dans cet article une certaine rigidité en
prévoyant que cette autorisation ne peut être accordée que pour une période de
cinq ans renouvelable. Pourquoi cinq ans ? Je pense qu'une période de deux ans
renouvelable dans la limite de dix années offrirait une plus grande souplesse
de gestion tant pour les chercheurs que pour les entreprises.
Je crois également que cette possibilité pour les chercheurs d'apporter leur
concours scientifique ne doit pas être limitée aux seules entreprises, mais
qu'elle devrait être élargie à tout organisme public ou privé compétent en
matière de valorisation de la recherche. En effet, de nombreuses collectivités
locales ayant créé des organismes régionaux qui ont pour objet la valorisation
de la recherche souhaiteraient également pouvoir profiter de cette disposition
pour s'adjoindre les compétences de chercheurs chevronnés, à temps partiel ou
sous la forme de missions rémunérées, par exemple.
Une telle possibilité serait peut-être de nature à favoriser la mobilité des
chercheurs vers la province.
En effet, c'est là aussi, monsieur le ministre, que réside, à mon avis, l'un
des principaux problèmes de la recherche française : l'extrême concentration du
potentiel de recherche de notre pays en région parisienne.
Votre projet de loi est très positif dans le sens où il vise à lever des
verrous en matière statutaire, fiscale ou institutionnelle. Mais changera-t-il
vraiment le fond des choses s'il ne s'inscrit pas dans une réforme de plus
grande ampleur ?
En région Champagne-Ardenne, les collectivités territoriales se sont
mobilisées depuis près de dix ans pour créer une association, dénommée «
Europol'Agro », dont l'objet est précisément de favoriser la valorisation de la
recherche dans le domaine des agroressources.
Cette association assure le lien entre les acteurs publics, les professionnels
agricoles, les industriels et les chercheurs de l'université ou des grands
organismes tels que l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA.
L'objectif est de financer des programmes de recherche finalisés pouvant
permettre de trouver de nouvelles valorisations pour les agroressources
régionales.
Les résultats de la recherche conduite grâce à Euro-pol'Agro doivent permettre
de trouver de nouveaux débouchés pour notre agriculture, de créer des
entreprises nouvelles à fort potentiel et de l'emploi.
Depuis 1993, cette dynamique régionale a déjà permis un réel rapprochement
entre la profession agricole, les entreprises et les 250 personnes,
universitaires ou personnels de l'INRA et du CNRS, travaillant dans les centres
de recherche que nous avons financés.
L'Etat est depuis l'origine l'un des partenaires de cette opération. Un comité
interministériel d'aménagement du territoire a d'ailleurs permis, dès 1993, la
délocalisation à Reims de plusieurs équipes de recherche.
Aujourd'hui, nous pensons qu'il nous faut aller plus loin dans ce sens. En
effet, cet exemple, que je connais bien, est transposable dans bien d'autres
régions françaises ayant pris des initiatives similaires dans d'autres domaines
des sciences de l'innovation et du progrès.
La dichotomie traditionnelle entre recherche fondamentale et recherche
appliquée est aujourd'hui aussi aléatoire que stérilisante.
Ce dont nous avons besoin, c'est de programmes de recherche conçus et élaborés
de telle manière que les probabilités d'effet sur l'économie, à court, à moyen
et à long terme, soient aussi fortes que possible. Nous avons besoin également
d'une continuité de la politique de recherche française et de la définition
d'axes prioritaires à long terme.
La valorisation des produits végétaux constitue, aujourd'hui, un enjeu
stratégique majeur. Cette priorité a été affirmée lors d'un comité
interministériel du 3 octobre 1996. Elle a été réaffirmée encore récemment par
le rapport sur « les perspectives de développement des productions agricoles à
usage non alimentaire » remis au mois de décembre dernier par M. Philippe
Desmarescaux à M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.
Dans ce même rapport, Philippe Desmarescaux, par ailleurs directeur général de
l'un des fleurons de l'industrie technologique française, préconise de mettre
en oeuvre davantage de moyens, pour des projets moins nombreux mais
correspondant chacun à des enjeux plus élevés.
Nous avons déjà pris un retard certain sur d'autres pays comme les Etats-Unis
ou l'Allemagne, mais je puis vous affirmer sans crainte de me tromper que les
collectivités locales françaises sont toutes prêtes à soutenir votre action en
faveur des sciences de l'innovation et du progrès si elles peuvent s'inscrire
dans des priorités claires.
Si j'ai pris l'exemple de la recherche agro-industrielle et de la
Champagne-Ardenne, ce n'est pas pour mettre particulièrement en avant cette
région,...
M. Emmanuel Hamel.
Elle le mérite pourtant !
M. Albert Vecten.
... mais pour montrer, à partir d'un exemple concret, que nous sommes capables
de mobiliser des moyens importants pour favoriser l'émergence de pôles
d'excellence. Simplement, nous avons besoin d'être confortés par une politique
nationale ambitieuse et par des moyens humains supplémentaires.
Sur la base des forces et des faiblesses de chacune de nos régions, je vous
propose aussi, monsieur le ministre, de spécialiser, au moins pour une partie,
la recherche universitaire sur des créneaux à fort potentiel d'innovation.
Cette spécialisation serait définie en fonction des matières premières
régionales disponibles, du tissu industriel régional, du potentiel de recherche
préexistant et des marchés en croissance.
Outre l'avantage de créer une synergie entre nos universités et leur
environnement économique direct, cette symbiose doit permettre de fournir aux
industries innovantes un personnel d'encadrement adapté aux défis à venir.
Le développement de ces pôles d'excellence régionaux devrait, dès lors, être
conforté par une délocalisation renforcée des grands organismes de recherche
tels que le CNRS ou l'INRA, mais d'autres aussi.
Une telle politique volontaire devrait nous permettre également de limiter
considérablement un phénomène actuel inquiétant, dont les médias se sont fait
l'écho : je veux parler du départ vers l'étranger de nombreux jeunes chercheurs
de haut niveau.
L'une des dispositions de ce projet de loi vise à favoriser le recrutement de
personnel temporaire par les établissements d'enseignement supérieur pour
effectuer des recherches financées en partie ou totalement par les
entreprises.
Cette mesure, apparemment anodine, est excellente.
En Champagne-Ardenne, elle va nous permettre de favoriser, avec l'université,
le recrutement de jeunes post-doctorants de talent pour travailler pendant un à
trois ans sur des programmes de recherche très innovants.
Mais, au terme de cette période, comment inciter ces jeunes chercheurs à
demeurer dans nos structures, si ce n'est en leur offrant un environnement de
travail de très grande qualité ?
Les universités françaises ne seront à même de relever ce challenge qu'avec le
soutien du Gouvernement et la participation active des grands organismes de
recherche.
Il s'agit d'encourager et de favoriser l'émergence sur tout le territoire de
pôles d'excellences dans les secteurs de l'innovation. Cette déconcentration
des moyens de recherche favoriserait incontestablement le rapprochement avec
les entreprises de nos régions.
Je suis persuadé que les collectivités locales seraient prêtes à se mobiliser
encore aux côtés du Gouvernement dans le cadre d'une telle politique.
J'ajoute que cette proposition est tout à fait complémentaire de votre volonté
de développer le travail en réseaux. Ces derniers seront d'autant plus
efficaces que les compétences de chacun seront clairement définies.
Enfin, monsieur le ministre, je pense qu'il serait nécessaire de favoriser -
voire de privilégier - la participation des chercheurs à la formation
professionnelle continue pour diffuser les progrès technologiques tout en
faisant remonter les initiatives et les problèmes professionnels auprès des
équipes de recherche, et de développer de nouvelles formations innovantes
pointues en matière de recherche, complétées par des modules en matière de
management de l'innovation et de gestion.
Si tel n'était pas le cas, j'ai bien peur que les plus inventifs de nos jeunes
chercheurs ne continuent à hésiter demain, malgré tous les verrous levés par le
présent projet de loi, à se lancer dans un monde qui leur demeurera inconnu, le
monde de l'entreprise.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le
savez, le Centre d'études atomiques du plateau de Saclay, la grande université
scientifique d'Orsay, l'Ecole polytechnique, les centres de recherche de
Thomson, l'Institut des hautes études scientifiques sont implantés dans mon
département, l'Essonne, dont je suis l'élu depuis plus de vingt ans.
Moi-même ancien ingénieur au CEA de Saclay, je vis dans une petite commune,
Gif-sur-Yvette, qui abrite le CNRS ainsi que l'Ecole supérieure
d'électricité.
Sensible au monde scientifique, je ne peux donc que me réjouir, monsieur le
ministre, du projet de loi que vous nous présentez ce matin sur l'innovation et
la recherche.
Le Sénat a su affirmer la nécessité de favoriser les transferts entre la
recherche et l'économie et de soutenir la création d'entreprises innovantes.
C'est pourquoi il a voté, à l'automne dernier, la proposition de loi de notre
collègue Pierre Laffitte. Votre projet de loi, monsieur le ministre, la
complète heureusement.
Comme cela a été dit il y a quelques instants, les mesures que vous nous
proposez répondent à plusieurs objectifs : faciliter la mobilité des chercheurs
vers l'entreprise, favoriser les coopérations entre la recherche publique et
les entreprises privées, encourager les actions de valorisation des organismes
de recherche des universités et créer des conditions fiscales favorables pour
les entreprises innovantes.
Pour ma part, je me réjouis tout particulièrement de la future levée des
incompatibilités résultant des règles de la fonction publique et de celles du
code pénal entre le statut des chercheurs et leur participation à des
entreprises de valorisation. Une telle mesure était en effet indispensable si
nous voulions mettre fin à l'émigration massive vers les Etats-Unis de jeunes
chercheurs français dont le niveau de formation, de renommée mondiale, est
précisément attesté par la réussite de ceux qui se sont expatriés.
Les « incubateurs » évoqués tout à l'heure par M. le rapporteur pour avis, ces
pépinières d'entreprises créées par des établissements d'enseignement supérieur
ou de recherche, éventuellement en partenariat avec des fonds privés, afin de
fournir, moyennant rémunération, des prestations aussi bien matérielles
qu'immatérielles à des créateurs d'entreprise de haute technologie, me semblent
être des structures indispensables à la multiplication des entreprises
exploitant les résultats de la recherche publique française.
On sait combien de telles structures, qui existent en Grande-Bretagne et aux
Etats-Unis depuis plus de quinze ans, produisent des effets positifs sur la
création d'entreprises et sur le développement économique local et national.
Alors qu'aux Etats-Unis, un tiers de la croissance résulte de l'activité
d'entreprises innovantes, le système était peu répandu en France, à l'exception
de certains secteurs tels que les télécommunications et, récemment, les
biotechnologies.
La faible participation de la recherche publique à la création d'emplois et de
valeur ajoutée était - faut-il le rappeler ? - un réel handicap pour notre
pays.
Ce projet de loi était donc très attendu, tant par les chercheurs que par les
entreprises.
Il était temps, monsieur le ministre, de remédier au décalage dont souffrait
la France entre la qualité exceptionnelle de sa recherche scientifique et
technique, souvent la première du monde, et la faiblesse du transfert et de
l'exploitation des connaissances par le monde de l'entreprise.
Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de rendre hommage à
André Giraud, qui fut, lorsqu'il était ministre de l'industrie, l'un des
premiers à vouloir que les centres de recherche soient ouverts aux industriels.
Le texte que nous examinons aujourd'hui se positionne dans la lignée de
l'action qu'il a entreprise voilà vingt ans.
J'ajouterai que, à l'heure où, selon des statistiques récentes, la cote des
sections scientifiques est en forte baisse dans les lycées, il était
effectivement grand temps de valoriser et de revaloriser la recherche et de la
mettre au service de l'industrie. Ce sera sûrement susceptible de déclencher un
regain de vocations.
Convaincu de l'importance de la valorisation de la recherche en France, le
groupe des Républicains et Indépendants, auquel j'appartiens, votera ce projet
de loi, en suivant les observations de la commission des affaires culturelles
et en adoptant les amendements qu'elle nous proposera.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Votre groupe a raison !
M. le président.
La parole est à M. Bernard.
M. Jean Bernard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nation
qui veut préparer son avenir doit accorder le plus grand intérêt à sa politique
de recherche.
Si la recherche française est toujours performante, elle accuse néanmoins un
réel recul de son influence au niveau mondial. Ses atouts ne manquent pourtant
pas.
La recherche française fait souvent preuve d'une grande créativité. Les
lauréats du prix Nobel sont d'ailleurs là pour prouver que le capital
intellectuel et humain de notre pays est de grande valeur.
En outre, la France, depuis le général de Gaulle, a toujours accordé un
soutien public important à la recherche, vous l'avez rappelé tout à l'heure,
monsieur le ministre. Elle accueille aussi plusieurs grands organismes publics
mondialement reconnus.
Cependant, malgré ces atouts indéniables, la France est bel et bien en perte
de vitesse. C'est que, dans ce secteur comme dans beaucoup d'autres, la
concurrence mondiale est de plus en plus intense. Certains prétendent
d'ailleurs que la compétition pratiquée entre les pays développés est désormais
surtout de caractère technologique.
L'enjeu est donc majeur, puisqu'il est aujourd'hui acquis que la capacité de
créer, de diffuser les nouveaux savoirs est déterminante pour la croissance et
l'emploi d'une nation.
Les entreprises innovantes ont effectivement les meilleures chances de réussir
et de se développer, car elles sont adaptées aux nouveaux marchés
technologiques.
Monsieur le ministre, tout à l'heure, vous avez évoqué l'exemple américain,
qui est spectaculaire. Or le retour d'une certaine croissance aux
Etats-Unis...
M. Emmanuel Hamel.
Une croissance certaine !
(Sourires.)
M. Jean Bernard.
... a été fondé sur les secteurs technologiques. On estime que ces derniers
assurent un tiers de la croissance de l'économie américaine. Ainsi, pour un
emploi créé par Microsoft dans la région de Seattle, on relève la création de
six emplois induits. C'est dire l'importance de la recherche technologique !
De même, les statistiques montrent qu'il se crée chaque année aux Etats-Unis
au moins 400 à 500 entreprises exploitant cette recherche technologique et
mobilisant des capitaux très importants : environ 30 milliards de francs.
En France, nous pouvons constater - vous l'avez fait, monsieur le ministre, et
nous vous savons gré de ce constat très objectif - que nous arrivons
difficilement à faire émerger une trentaine de sociétés potentielles, drainant
environ un milliard de francs de ressources.
Dans notre pays, l'aide publique à la recherche s'est concentrée, à tort ou à
raison, sur le secteur des transports, de l'aéronautique notamment - vous
l'avez dit aussi - ce qui a conduit à une sorte d'abandon des secteurs plus
dynamiques que sont les sciences du vivant et les technologies de la
communication. Il semble donc que, aujourd'hui, nous devions effectivement
accorder une importance toute particulière à notre recherche dans ces
domaines.
Quelles solutions pouvons-nous donc proposer ? Je suis là une démarche
familière au praticien que j'ai été pendant trente ans : nous posons d'abord un
diagnostic, puis nous établissons un pronostic et, bien sûr, nous proposons un
traitement.
M. Henri Guillaume vous a remis, en mars 1998, monsieur le ministre, un
rapport très complet sur la technologie et l'innovation, qui situait la
principale faiblesse de la recherche française dans une valorisation
industrielle insuffisante, freinée surtout par des dispositions juridiques,
financières, et fiscales contraignantes.
C'est d'autant plus regrettable que, malgré les obstacles existants, notre
recherche demeure relativement dynamique.
Cette situation est illustrée, notamment, par le petit nombre d'entreprises
issues de l'essaimage de chercheurs français qui se créent en France : à peine
une trentaine par an, selon les statistiques.
M. le rapporteur l'a dit, le Sénat a souhaité, au travers de différents textes
qu'il a adoptés l'année dernière, s'attaquer aux obstacles existants :
obstacles juridiques, insuffisance des mécanismes de soutien financier à la
création d'entreprise, incompatibilité des règles de la fonction publique
sanctionnant la prise déclarée illégale d'intérêts.
Une proposition de loi, rapportée par le président de la commission des
affaires culturelles du Sénat, M. Gouteyron, a donc été adoptée en octobre
dernier par le Sénat. Elle nous semblait déterminante pour l'avenir et le
dynamisme de notre recherche et de notre industrie. Nous pensions qu'elle
pouvait aider notre pays à tirer parti du potentiel que représente notre
recherche fondamentale, dont, paradoxalement, l'excellence est unanimement
reconnue, comme l'avait d'ailleurs souligné M. Gouteyron en séance publique.
Le présent projet de loi, dont le champ d'application est plus large,
s'inscrit directement en aval de cette démarche. C'est donc avec une grande
satisfaction que nous l'examinons aujourd'hui.
Nous souhaitons que l'Assemblée nationale en soit saisie dans les meilleurs
délais, que la navette permette de parfaire certaines dispositions et que les
décrets soient publiés quasiment dans l'urgence, car, vous le savez, monsieur
le ministre - vous l'avez vous-même souligné - le temps presse !
Vous souhaitez supprimer l'un des handicaps qui sont à l'origine d'une
certaine inertie, à savoir le fossé qui sépare le monde de la recherche de
celui de l'entreprise. On estime en effet que, sur environ 25 000 chercheurs
travaillant dans les établissements publics, trente à quarante seulement les
quittent, chaque année, pour créer leur entreprise ou apporter leur
collaboration à une entreprise existante.
A cet égard, on peut citer l'exemple de la société Genset, spécialiste du
génome, créée par trois chercheurs de l'université de Jussieu, qui emploie
aujourd'hui 280 personnes et qui a été valorisée à Wall Street pour 4,8
milliards de francs. Il faudrait, bien sûr, que cet exemple trop rare devienne
la règle !
Ce projet de loi, en prévoyant les conditions dans lesquelles les
fonctionnaires vont pouvoir participer à la création d'entreprises de
valorisation ou apporter leur collaboration à des entreprises existantes, va
faire faire un pas en avant important à notre recherche et à ses
applications.
L'une des dispositions les plus efficaces est celle qui prévoit l'essaimage,
ou l'incubation, c'est-à-dire le cas où un chercheur décide de quitter son
laboratoire pour une entreprise de valorisation en création et cesse, dès lors,
toute activité au titre du service public dont il relève.
Les modalités d'application prévues par ce texte - vous les avez exposées
devant la commission des affaires culturelles - sont très souples et devraient
permettre une mise en oeuvre dynamique et efficace : fonctionnaires concernés,
cadre dont ils sont issus, procédure d'autorisation préalable, détachement
possible pendant six ans, réintégration dans leurs fonctions, dans leur
ancienne administration, à leur demande...
Le concours scientifique, qui peut également être apporté à une entreprise
innovante par le fonctionnaire détaché, est une mesure de bons sens.
Quant à l'exercice de mandats sociaux qui pourront être désormais confiés à un
fonctionnaire, le régime prévu paraît envisager toutes les solutions permettant
d'éviter un conflit d'intérêts, toujours possible dans le système productif.
Les amendements proposés par M. le rapporteur et visant à harmoniser les
différentes dispositions entre elles améliorent sensiblement le texte proposé ;
je les soutiendrai donc.
Une autre source de blocage est l'absence de passerelle entre le monde de la
recherche et l'enseignement supérieur, qui souffre cruellement de l'absence de
structures de valorisation spécifiques. Ces établissements pourront désormais
conclure avec des entreprises des conventions destinées à leur fournir
temporairement des moyens de recherche et de production, notamment en
développant des « incubateurs ».
La troisième disposition prévue par le projet qui nous est soumis tend à
remédier à la véritable paralysie engendrée par la modicité des fonds propres
dont disposent les entreprises innovantes.
Ces capitaux, dont nous manquons cruellement en France, ont une origine bien
définie aux Etats-Unis, pour prendre un exemple de ce qui fonctionne. Ils
proviennent des systèmes de retraite complémentaire, gérés par les fonds de
pension, qui misent sur les placements les plus rentables gérés par les
sociétés dites
start up.
Le développement des fonds de pension suppose que l'on exonère les versements
des employeurs aux plans d'épargne retraite des cotisations sociales. Cela ne
peut en aucun cas porter atteinte à l'équilibre financier des régimes de
retraite complémentaire, menacés bien davantage - nous le déplorons - par
l'évolution démographique. Les partenaires sociaux y sont, pour le moment,
franchement opposés, mais je ne doute pas qu'une évolution de leur approche du
problème permettra de trouver rapidement des solutions.
Les déclarations de M. le Premier ministre, en décembre dernier, laissent
penser que, peut-être - nous l'espérons - on n'interdira pas indéfiniment aux
Français de disposer d'un régime surcomplémentaire par capitalisation. Cela
permettrait à nos entreprises de bénéficier de nouvelles sources de
capitaux.
Une autre évolution qu'il faudra promouvoir est celle des banques et du marché
boursier français, qui ne sont pas du tout adaptés aux besoins de ces nouvelles
sociétés, dans l'incapacité où ils se trouvent d'estimer la qualité d'un projet
de création d'entreprise, surtout lorsqu'il concerne la technologie de
pointe.
Les sociétés de capital-risque, qui ont notamment vocation à détecter les bons
projets, les projets viables, ceux qui peuvent assurer un rendement du capital
investi, sont, dans notre pays, à l'état embryonnaire.
Enfin, l'extension du champ d'application des bons de souscription de parts de
créateur d'entreprise va dans le bon sens. Ce mécanisme, assoupli par la loi,
tend à fidéliser les cadres d'une petite et moyenne entreprise innovante et à
les faire participer à son développement en leur donnant la possibilité, dans
des conditions, bien sûr, à définir, d'être intéressés à ses résultats.
M. le rapporteur propose d'en étendre encore le champ d'application, notamment
aux nouvelles sociétés de moins de quinze ans cotées au nouveau marché, et
d'abaisser le seuil d'éligibilité au dispositif. Cela paraît cohérent.
L'idée que vous avez évoquée, monsieur le ministre, de même que les orateurs
précédents, de créer une incitation forte au développement du marché de
l'assurance protection juridique pour faire face aux possibilités de
contrefaçons, aux contentieux, aux litiges, est judicieuse, car de nature à
protéger les petites et moyennes entreprises innovantes, qui, faute des moyens
financiers et des services juridiques nécessaires, sont aujourd'hui
imparfaitement protégées.
En conclusion, je veux saluer la qualité du travail qui a été accompli par les
commissions des affaires culturelles et des finances, ainsi que la qualité des
exposés de nos deux rapporteurs, qui proposeront - nous le verrons lors de
l'examen des articles - des amendements permettant d'améliorer sensiblement le
texte du Gouvernement.
Sous réserve de l'adoption de certains de ces amendements, monsieur le
ministre, mes chers collègues, le groupe du RPR votera ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le ministre, le projet de loi sur l'innovation et la recherche que
vous nous soumettez aujourd'hui est une étape important pour notre pays ; il
marquera, je l'espère, son entrée dans l'ère de l'information et des hautes
technologies.
Bien sûr, il n'est pas parfait et, parfois à juste titre, d'aucuns diront
qu'il ne va pas assez loin, d'autres que ses précautions ne sont pas
suffisantes pour empêcher que ne se produisent, éventuellement, des distorsions
de concurrence.
Bien sûr, le fait d'améliorer les conditions de l'essaimage et le
rapprochement entre recherche et entreprises pour un meilleur transfert de
technologie ne transforme pas tous les chercheurs en créateurs potentiels !
Votre texte a toutefois le mérite d'exister, monsieur le ministre, et de
commencer à faire bouger un secteur prometteur mais à qui son environnement
rendait difficile de tenir ses promesses. Il nous appartient d'apporter,
positivement, notre pierre à l'édifice ; c'est l'esprit de nos rapporteurs, et
je les soutiens dans leur position.
Pour ma part, monsieur le ministre, je veux attirer votre attention sur deux
points qui, bien que ne figurant pas expressément dans votre texte, ne
sauraient être ignorés et dont une mauvaise appréciation serait susceptible de
créer des difficultés là où il ne devrait pas y en avoir.
Je veux parler du montant nécessaire à la création d'un fonds d'amorçage
régional et de la rigidité des règles qui encadreront le fonctionnement des
futurs incubateurs.
La création d'entreprises innovantes, l'effet de réseaux, la fertilisation
croisée des connaissances et des idées sont des ferments indispensables à la
renaissance et au développement non seulement de nos entreprises mais aussi de
notre territoire. Bien utilisé, le développement des nouvelles technologies et
de l'innovation peut, en effet, être un puissant levier d'aménagement et de
dynamisation, sous réserve que l'on intègre certains paramètres tels que la
souplesse, la réactivité et la proximité.
La difficulté, dans le domaine qui nous préoccupe, est de détecter les projets
et les porteurs de projet, d'être suffisamment réactif et à leur écoute pour
savoir encourager les créateurs à « sauter le pas » et, enfin, de pouvoir
prendre rapidement des décisions à partir des analyses et du suivi émanant de
réseaux qui connaissent bien leur environnement.
Pour garantir l'efficacité, la proximité est donc un élément essentiel. Elle
est le gage de la confiance et de l'implication des acteurs, et donc de la
dynamisation endogène des territoires.
En conséquence, je vous demande, monsieur le ministre, que le seuil financier
minimum pour créer des fonds d'amorçage soit proportionné à l'importance
démographique et économique des régions concernées. Un seul seuil
privilégierait, en effet, les régions qui sont déjà les plus importantes et les
plus riches.
Pour ce qui concerne les incubateurs et la participation de l'Etat, je vous
demande également, monsieur le ministre, que les mesures d'application
concrètes soient examinées avec la plus grande souplesse, en tenant compte des
réalités locales, et, surtout, que ces structures ne soient pas contraintes de
rassembler trop de monde autour de la table, sous peine de réduire à néant leur
réactivité.
Dans mon département, où nous avons commencé à mettre en place les
incubateurs, nous sommes confrontés à ce type de problèmes et de difficultés.
Je me tiens à votre disposition pour, éventuellement, approfondir la réflexion
sur ces questions.
Il nous reste également, monsieur le ministre, comme je l'évoquais au début de
mon propos, à travailler ensemble pour faire évoluer les mentalités.
La culture d'entreprise, la culture de l'innovation, le goût du risque, ne
sont pas encore assez développés en France. Je pense que cela doit commencer
dès l'enseignement primaire.
De la même façon, nous devons être conscients du retard pris et de l'effort
énorme que notre pays devra faire pour le rattraper.
On n'arrête pas de répéter que notre environnement est le meilleur, que notre
recherche est bonne. J'ai rencontré un chef d'entreprise - je vous livre cet
exemple concret - qui va délocaliser son centre de recherche européen et
mondial dans le domaine végétal à Cambridge, en Angleterre, parce que le réseau
y est plus favorable et les Anglais plus en avance que nous en ce domaine !
Nous devons donc être extrêmement attentifs.
M. Emmanuel Hamel.
On va donc parler de champagne anglais !
M. Philippe Adnot.
L'innovation, la création, monsieur le ministre, ne peuvent s'épanouir qu'à
partir d'un terreau favorable. Je ne suis pas pessimiste. Votre projet de loi
est un bon premier pas. Si vous savez accepter notre apport comme le fruit
d'une volonté d'aller collectivement plus loin, nous ferons du bon travail pour
notre pays.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)