Séance du 3 mars 1999
CONSEIL NATIONAL DES COMMUNES
« COMPAGNON DE LA LIBÉRATION »
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 142, 1998-1999),
adopté par l'Assemblée nationale, créant le Conseil national des communes «
Compagnon de la Libération ». [Rapport n° 154 (1998-1999)].
Je suis heureux de saluer, au nom du Sénat, la présence, au côté de M. le
secrétaire d'Etat, du général Simon, chancelier de l'ordre de la Libération.
(Applaudissements.)
Dans la discussion générale, et à la demande de M. le secrétaire d'Etat,
la parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
« Soldats tombés dans
les déserts, les montagnes ou les plaines ; marins noyés que bercent pour
toujours les vagues de l'océan ; aviateurs précipités du ciel pour y être
brisés sur la terre ; combattants de la Résistance tués aux maquis et aux
poteaux d'exécution ; vous tous qui, à votre dernier souffle, avez mêlé le nom
de la France, c'est vous qui avez exalté les courages, sanctifié l'effort,
cimenté les résolutions. » C'est par ces mots que le général de Gaulle
s'exprimait devant le mémorial des Compagnons de la Libération.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter, loin d'avoir une portée
exclusivement symbolique, est un texte important. Il associe le législateur au
devoir de mémoire sur l'une des heures les plus tragiques, mais aussi,
paradoxalement, l'une des plus exaltantes peut-être de l'histoire de notre
pays.
Ce texte vise, en effet, à assurer la pérennité de l'ordre de la Libération au
moment où la disparition progressive et inéluctable des Compagnons de la
Libération menace son existence même.
Or, l'extinction de l'ordre apparaît inconcevable, tant celui-ci incarne la
mémoire de la Libération et l'esprit de la Résistance. Le général de Gaulle
voyait ainsi dans l'ordre « une chevalerie exceptionnelle créée au moment le
plus grave de l'histoire de France, fidèle à elle-même, solidaire dans le
sacrifice et dans la lutte ». C'est cette image qui ne doit pas s'éteindre au
moment où le dernier compagnon ira rejoindre la place qui l'attend dans la
crypte du mont Valérien, sous la fameuse inscription : « Nous sommes ici pour
témoigner devant l'Histoire que de 1939 à 1945 ses fils ont lutté pour que la
France vive libre. » Et pourtant, mes chers collègues, ce moment approche. Des
1 036 compagnons, il n'en reste désormais que 167.
Il appartenait donc à la loi de garantir la continuité de l'ordre.
Bien évidemment, notre mémoire nationale ne doit pas être l'objet d'un
quelconque clivage politique. Aussi, c'est dans un esprit très consensuel qu'a
été préparé ce projet de loi, comme en témoignent les principales étapes de son
élaboration.
Ce texte est l'aboutissement d'une démarche engagée depuis plusieurs années
déjà par l'ordre de la Libération. En effet, en avril 1996, la chancellerie de
l'ordre a présenté un avant-projet au ministre délégué aux anciens combattants
de l'époque, M. Pasquini. A la demande du Président de la République, celui-ci
a accepté de présenter un projet de loi devant le Parlement. Un projet de loi,
très proche des propositions de la chancellerie de l'ordre, a donc été rédigé
en novembre 1996 et transmis au conseil de l'ordre pour consultation. Après
avis du Conseil d'Etat, le projet a été déposé sur le bureau de l'Assemblée
nationale le 16 avril 1997 par le ministre délégué aux anciens combattants et
victimes de guerre et par le garde des sceaux. Après la dissolution de
l'Assemblée nationale, le nouveau Gouvernement a redéposé un projet de loi
identique le 19 juin 1997. Celui-ci a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée
nationale le 17 décembre 1998. La commission des affaires sociales du Sénat
l'a, à son tour, adopté à l'unanimité le 19 janvier dernier, sous réserve de
l'adoption de plusieurs amendements, la plupart de cohérence ou
rédactionnels.
Avant de détailler le contenu du projet de loi, il nous faut garder en mémoire
ce qu'a représenté l'ordre de la Libération et ce qu'il est aujourd'hui.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, c'est le 16 novembre 1940 à
Brazzaville, et non à Londres, qu'a été créé l'ordre de la Libération.
Destinée, selon les termes de l'ordonnance qui l'a instituée, à « récompenser
les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront
signalées de manière exceptionnelle dans l'oeuvre de libération de la France et
de son empire » - en effet, mes chers collègues, la génération à laquelle nous
appartenons a appris de ses instituteurs et de ses professeurs que la France
repésentait un empire de 100 millions d'âmes, sur lequel le soleil ne se
couchait jamais -...
M. Emmanuel Hamel.
Grande vérité !
M. Jean Chérioux.
Ne la renions pas !
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
... la croix de la Libération a été décernée, entre 1941 et
1946, à 1 036 personnes physiques, à 18 unités militaires et à 5 communes
françaises, à savoir : Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et
Ile-de-Sein. Toutes portent le titre de « Compagnon de la Libération ».
Sur les 1 036 compagnons, 238 ne reçurent leur insigne qu'à titre posthume.
Ils étaient morts au combat ou, pour nombre d'entre eux, en déportation. Le
général de Gaulle a souvent rendu hommage à leur mémoire.
Dès l'origine, le chef de la France libre avait jugé nécessaire la création
d'une récompense particulière pour tous ceux qui, au prix d'immenses
sacrifices, avaient tout abandonné et risqué leur vie pour la libération de la
France. Leur détermination exemplaire exigeait, pour ceux qui se sont tout
particulièrement distingués dans ce combat, une marque de reconnaissance elle
aussi exemplaire.
A l'époque, il affirmait ainsi : « Notre entreprise est hérissée de
difficultés. Les Français seront lents à nous rallier... Je suis décidé à créer
un insigne nouveau face à l'imprévisible conjoncture. Il récompensera ceux des
nôtres qui se seront distingués dans cette haute et âpre campagne... »
La Libération n'a, pas signifié une quelconque mise en sommeil de l'ordre,
même si le décret du 23 janvier 1946 a mis fin à l'attribution de la croix de
la Libération. Bien au contraire : par deux ordonnances, du 26 août 1944 et du
10 août 1945, le général de Gaulle a assuré la pérennité de l'ordre et confirmé
ses missions.
Cette architecture est très largement celle qui existe encore aujourd'hui.
Deuxième ordre national après celui de la Légion d'honneur, l'ordre de la
Libération est doté, en application de l'ordonnance du 10 août 1945, de la
personnalité morale et de l'autonomie financière. Il est ainsi financé par un
budget annexe à celui du ministère de la justice, et ses crédits s'élèvent à un
peu plus de 5 millions de francs en loi de finances initiale pour 1999.
L'organisation actuelle de l'ordre repose sur deux piliers complémentaires.
Le conseil de l'ordre en est l'organe délibérant. Chargé de veiller à la
discipline de l'ordre et d'élaborer les grandes orientations de son action, il
est actuellement composé de seize membres, tous Compagnons de la Libération. Il
se réunit au moins quatre fois par an sur convocation du chancelier.
L'administration et la direction de l'ordre sont assurées par le chancelier,
assisté d'un secrétaire général. Le chancelier en exercice est, depuis 1978, le
général d'armée Jean Simon, que j'ai grand plaisir à saluer. Le rôle du
chancelier est déterminant. Dépositaire du sceau de l'ordre, il est seul
qualifié pour le représenter. Ordonnateur du budget, il consulte le conseil et
prend les décisions. Nommé par décret du Président de la République pour un
mandat de quatre ans renouvelable, il est membre du conseil de l'ordre, qui
propose un candidat au Président de la République.
Les missions actuelles de l'ordre de la Libération répondent à sa vocation
initiale : la reconnaissance et la mémoire.
La première de ces missions est bien évidemment la politique de la mémoire.
L'ordre organise de nombreuses cérémonies commémoratives, dont celle du 18
juin au mont Valérien. Il assure également, par l'intermédiaire du chancelier,
l'administration du musée de l'ordre de la Libération, qui a été créé en 1970,
et veille sur les archives de l'ordre. En outre, afin de maintenir la tradition
et l'idéal voulus dans la Résistance, l'ordre assure la discipline de ses
membres.
Mais l'ordre est également chargé, en vertu de l'ordonnance du 10 août 1945,
d'assurer le service de la médaille de la Résistance. Cette médaille, créée le
9 février 1943 par le général de Gaulle, a vocation à « reconnaître les actes
remarquables de foi et de courage qui, en France, dans l'empire et à
l'étranger, auront contribué à la Résistance du peuple français contre l'ennemi
et ses complices depuis le 18 juin 1940 », selon les termes de l'ordonnance qui
l'a instituée. Cette médaille, qui n'est plus attribuée depuis 1947 sauf à
titre posthume, a permis d'honorer près de 43 000 résistants, mais aussi
dix-sept communes et le territoire de Nouvelle-Calédonie.
L'ordre a enfin, depuis l'ordonnance du 26 août 1944, pour mission d'apporter
un secours exceptionnel aux Compagnons de la Libération, aux médaillés de la
Résistance et à leurs familles. Ainsi, en 1997, vingt-cinq Compagnons et dix
médaillés ont bénéficié de ce soutien.
C'est donc parce que l'ordre de la Libération correspond à une mémoire
glorieuse et exemplaire, mais aussi à une réalité concrète, qu'il importe
d'assurer sa pérennité pour l'avenir. C'est le sens de ce projet de loi.
Ce texte, mes chers collègues, propose la création d'un nouvel établissement
public national à caractère administratif - le conseil national des communes «
Compagnon de la Libération » - qui sera chargé de succéder à l'actuel conseil
de l'ordre. La logique du dispositif proposé est à la fois claire et cohérente
: il s'agit de fonder l'avenir de l'ordre sur les seuls Compagnons de la
Libération dont la permanence sera assurée, c'est-à-dire les cinq communes.
L'ordre est, en effet, inséparable de ses membres. C'est évident sur le plan
historique, mais cela se vérifie également sur le plan juridique. La structure
de l'ordre de la Libération repose sur deux organes : le conseil de l'ordre et
le chancelier. Or, les membres du conseil de l'ordre et le chancelier sont
tous, en vertu des statuts de l'ordre, des compagnons de la Libération. Il en
découle nécessairement qu'à la disparition du dernier compagnon de la
Libération, que la structure de l'ordre serait dissoute et l'ordre ne serait
plus qu'une « coquille vide ».
C'est pourquoi ce projet de loi propose une nouvelle architecture
institutionnelle pour l'ordre, accordant une place centrale aux communes
titulaires de la croix de la Libération.
Il apparaissait difficile d'intégrer les unités combattantes « Compagnon de la
Libération » dans le futur conseil national. En effet, certaines sont d'ores et
déjà dissoutes et le mouvement actuel de restructuration des armées ne permet
pas de garantir la pérennité des autres. Les unités combattantes seront
toutefois associées à la mission de mémoire du conseil national.
En revanche, la place accordée aux cinq communes sera centrale. Elle
correspond d'ailleurs au rôle actuellement joué par ces communes dans l'oeuvre
de Résistance et de Libération, comme en témoigne l'exposé des motifs des
décrets les élevant au rang de Compagnon de la Libération, que vous trouverez
dans mon rapport écrit.
En plaçant les cinq communes au coeur de la nouvelle structure de l'ordre, le
projet de loi permet de garantir une continuité dans la mémoire et
l'architecture institutionnelle de l'ordre.
D'une part, son organisation reposera toujours sur des titulaires de la croix
de la Libération. La mémoire, que l'ordre doit tout à la fois incarner et
transmettre, sera bien celle de ses membres.
D'autre part, l'équilibre institutionnel de l'ordre ne sera que peu modifié :
le futur conseil national succédera au conseil de l'ordre dans toutes ses
attributions. Ses missions resteront donc inchangées et ses modalités
d'organisation et de fonctionnement seront très proches de celles qui existent
actuellement.
L'équilibre du texte proposé témoigne de cette continuité.
L'article 1er crée le futur conseil national, qu'il place sous la tutelle du
garde des sceaux, ministre de la justice.
Les articles 2 à 9 précisent les missions, l'organisation et le fonctionnement
de ce nouvel établissement public. Ils ne font donc que reprendre, et parfois
adapter, dans la loi, les dispositions déjà existantes en ces trois
domaines.
Les missions du futur conseil national, énumérées à l'article 2 du projet de
loi, correspondent aux missions actuellement assurées par le conseil de
l'ordre.
Ces missions sont au nombre de cinq : assurer la pérennité des traditions de
l'ordre et porter témoignage devant les générations futures ; mettre en oeuvre
des initiatives pédagogiques, muséographiques ou culturelles, afin de conserver
la mémoire de l'ordre ; veiller sur le musée et sur les archives de l'ordre ;
organiser les cérémonies commémoratives de l'appel du 18-Juin et de la mort du
général de Gaulle ; participer à l'aide morale et matérielle aux Compagnons et
à leurs femmes et leurs enfants.
Par ailleurs - j'attire votre attention sur ce point - l'article 7 du projet
de loi précise que le conseil national assure le service de la médaille de la
Résistance.
Sur proposition de son rapporteur - qui était d'ailleurs une dame
(Sourires)
- l'Assemblée nationale a adopté un amendement précisant que
les médaillés de la Résistance pourront également bénéficier de l'aide morale
et matérielle du conseil national. La commission estime elle aussi que le
projet de loi doit légitimement prévoir une telle disposition, dans la mesure
où cette aide est actuellement l'une des missions de l'ordre de la
Libération.
Dans le même esprit, et à des fins d'équilibre et d'équité, la commission vous
proposera un amendement étendant aux médaillés de la Résistance française la
mission de mémoire du futur conseil de l'ordre. Nous considérons en effet que
les médaillés de la Résistance ne peuvent pas être seulement concernés par la
seule mission sociale du futur conseil national. Dans la mesure où ils
symbolisent eux aussi la mémoire exemplaire de la Libération et de la
Résistance, le futur conseil national devra également s'attacher à conserver et
à entretenir leur mémoire.
Ainsi que le rappelait, dans son style inimitable, André Malraux lors d'une
émission de télévision, le 17 juin 1971 : « Le dernier cercueil du mont
Valérien ne sera pas non plus un cercueil solitaire. On ne le fermera pas
seulement sur le dernier compagnon : on le fermera aussi sur le dernier
combattant de la première division française libre ou de la 2e division
blindée, sur le dernier pêcheur breton qui amena des Français clandestins en
Angleterre, sur le dernier cheminot qui paralysa provisoirement les V 2, sur
les derniers maquisards grâce à qui les panzers d'Aquitaine n'arrivèrent pas à
temps en Normandie, sur la dernière couturière morte dans un camp
d'extermination pour avoir pris chez elle un de nos postes émetteurs. »
Et André Malraux concluait : « Alors, la croix de Lorraine de Colombey,
l'avion écrasé de Leclerc, la grand-mère corse qui cachait tranquillement le
revolver de Maillot dans la poche de son tablier, le dernier cheminot fusillé
comme otage, la dernière dactylo morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à
l'un des nôtres, confondront leur ombre avec celle de notre dernier compagnon.
» Telle est, mes chers colègues, l'inspiration de notre amendement.
S'agissant de l'organisation et du fonctionnement du futur conseil national,
le texte prévoit que le conseil d'administration du conseil national se compose
des personnes physiques titulaires de la croix de la Libération, des maires en
exercice des cinq communes « Compagnon de la Libération » et d'un délégué
national. A terme, le conseil ne devrait donc réunir que six membres : les cinq
maires et le délégué national. Le délégué national, qui succédera à l'actuel
chancelier, sera nommé par décret du Président de la République, après avis des
membres du conseil.
La présidence du conseil national sera assurée conjointement par l'un des
maires, ceux-ci se succédant chaque année, et par le délégué national. A ce
propos, votre commission vous propose d'adopter un amendement de cohérence
précisant que la présidence ici visée est celle du conseil d'administration.
Les fonctions du conseil d'administration et du délégué national sont
précisées aux articles 5 et 6.
Le conseil d'administration, organe délibérant, fixe les grandes orientations,
vote le budget et approuve les comptes.
Le délégué national, organe exécutif, dispose du pouvoir administratif et
financier.
L'article 8 détermine les ressources du conseil national et l'article 9 soumet
le conseil national au contrôle administratif et financier, comme pour tout
établissement public à caractère administratif.
Le schéma institutionnel prévu paraît donc très cohérent.
Votre commission observe, en outre, qu'il est loin d'être une création
ex
nihilo.
Il s'appuie, au contraire, sur une expérience qui a su faire la
preuve de son dynamisme. Ce schéma fait reposer très largement l'avenir de
l'ordre sur les cinq communes « Compagnon de la Libération ». Or celles-ci,
regroupées au sein d'une association, sont déjà très actives et prennent de
nombreuses initiatives dans le cadre de la politique de mémoire de la
Libération et de la Résistance. En ce sens, le projet de loi ne fait finalement
qu'institutionnaliser le rôle moteur déjà joué par les communes dans la vie de
l'ordre. Le projet de loi fixe les modalités d'entrée en application du futur
schéma institutionnel. L'entrée en vigueur du texte est en effet différée
jusqu'au moment où l'organisation actuelle de l'ordre ne sera plus en mesure
d'assurer son fonctionnement régulier. Là encore, il s'agit d'assurer une
continuité entre le système existant et le dispositif futur.
Enfin, l'article 10 du projet prévoit que la loi entrera en application au
moment où l'actuel conseil de l'ordre ne pourra plus, matériellement, réunir
quinze Compagnons de la Libération. La chancellerie de l'ordre estime qu'un tel
fait constitutif pourrait survenir dans une dizaine d'années.
En première lecture, l'Assemblée nationale a, sur proposition de son
rapporteur, adopté un amendement à l'article 10. Sans modifier le sens de
l'article, cet amendement a supprimé l'exigence initiale d'un décret du
Président de la République pour fixer la date d'entrée en vigueur de la
présente loi. En revanche, cet amendement prévoit qu'un décret du Président de
la République nommera le chancelier de l'ordre en exercice délégué national,
afin d'officialiser par un acte le changement de statut institutionnel de
l'ordre, tout en assurant la continuité de son fonctionnement ; nous sommes
entièrement d'accord avec l'Assemblée nationale.
Evoquant les Compagnons de la Libération morts pour la France, le général de
Gaulle écrivait : « Votre pensée fut, naguère, la douceur de nos deuils. Votre
exemple est, aujourd'hui, la raison de notre fierté. Votre gloire sera, pour
jamais, la compagne de notre espérance. » C'est de ce passé, de ce présent et
de cet avenir que sera dépositaire le futur conseil national des communes «
Compagnon de la Libération ».
C'est pourquoi la commission des affaires sociales vous propose d'adopter ce
projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le chancelier
de l'ordre de la Libération, mes chers collègues, le projet de loi que nous
examinons aujourd'hui est un élément important d'une politique consacrée au
devoir de mémoire. Il résulte de la réflexion engagée depuis plusieurs années
par les Compagnons de la Libération, inquiets pour la pérennité de l'ordre.
En effet, les Compagnons survivants aujourd'hui sont peu nombreux et il ne
peut être envisagé que les actes qu'ils ont accomplis pour la libération de la
France disparaissent avec leur personne physique.
Mais, avant d'examiner les dispositions de ce projet, j'aimerais rappeler
brièvement ce qu'est cet ordre très particulier : l'ordre de la Libération.
Le général de Gaulle, dès juin 1940, a souhaité récompenser d'une manière
exceptionnelle ceux qui, très peu nombreux au départ, ont tout risqué pour
participer avec le chef de la France libre à une aventure dont personne ne
connaissait le devenir.
Cela s'est fait très rapidement, puisque le 16 novembre 1940, à Brazzaville,
capitale de l'Afrique équatoriale française ralliée à la France libre, le
général de Gaulle signa l'ordonnance n° 7 créant l'ordre de la Libération.
Il définit ainsi le cadre de son attribution : « Récompenser les personnes ou
les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l'oeuvre
de la libération de la France et de son empire. »
La rapidité de création de cet ordre montre bien l'importance qui lui est
accordée par le général de Gaulle. Sa représentation, une croix où figure au
revers la devise
Patriam servando victoriam tulit
- en servant la
patrie, il a remporté la victoire - marque aussi sa vision de la France.
Cette croix est attachée par un ruban dont les couleurs sont hautement
symboliques, puisque ce ruban est noir et vert, le noir pour le deuil et le
vert pour l'espérance.
Ainsi, 1036 croix seront décernées à des civils et à des militaires, et ce
jusqu'au 23 janvier 1946, date de la cessation de l'attribution de cette très
haute distinction.
La croix de l'ordre de la Libération a aussi été décernée à cinq villes -
Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors, Ile-de-Sein - ainsi qu'à dix-huit
unités combattantes appartenant aux trois armées.
Cet ordre, le deuxième ordre national après celui de la Légion d'honneur,
s'éteindra avec la disparition du dernier Compagnon. Une place vide attend
celui-ci dans la crypte du mont Valérien, haut lieu de la Résistance.
Il n'est pas permis que cette page de notre histoire soit ainsi oubliée. Le
texte que vous allez voter est un élément important de notre politique
consacrée au devoir de mémoire.
Il faut informer les jeunes générations de notre histoire, des épreuves qu'ont
dû surmonter les hommes et les femmes de notre pays au cours du xxe siècle, en
particulier lors de la Seconde Guerre mondiale.
Nous devons le faire non pas passivement, dans le simple dessein de rappeler
l'histoire, mais d'une manière active, pour permettre à ceux qui feront la
France de demain de trouver le sens d'un tel engagement et de le prendre pour
exemple.
Pour les jeunes qui, au xxie siècle, vont avoir en main les destinées de la
France et de l'Europe et vont assumer des responsabilités, l'exemple de ceux
qui ont accepté, à un moment de leur vie, que leur destin personnel s'efface
devant le destin collectif de notre pays doit leur permettre de construire leur
identité de citoyen et les aider dans leurs responsabilités futures à avoir
toujours en mémoire les valeurs de la République française.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Gisèle Printz.
Pour ces différentes raisons, il était nécessaire d'assurer la pérennité de
l'ordre avant que le dernier survivant nous quitte. Pour cela, il fallait
trouver une nouvelle formule.
C'est dans ce dessein qu'a été proposée la création d'un établissement public
national appelé conseil national des communes « Compagnon de la Libération »,
regroupant les cinq villes Compagnon précédemment citées, établissement appelé
à prendre la succession de l'ordre.
Ce conseil national comprendra, outre les personnes physiques titulaires de la
croix de la Libération, les maires des communes Compagnon, qui présideront à
tour de rôle cet organisme, conjointement avec un délégué national nommé par le
chef de l'Etat.
Ce conseil sera placé sous la tutelle du ministère de la justice et devra
mettre en oeuvre toutes les initiatives qu'il jugera utiles pour conserver la
mémoire de l'ordre ainsi que celle de ses membres.
Il devra aussi organiser des cérémonies commémoratives, s'agissant notamment
de l'appel du 18-Juin, veiller sur le musée de l'ordre de la Libération,
apporter une aide morale et matérielle aux veuves et aux enfants des compagnons
décédés.
En ce qui concerne la période transitoire entre le conseil de l'ordre de la
Libération et le nouveau conseil national des communes « Compagnon de la
Libération », le texte prévoit un certain nombre de règles. Il est, entre
autres choses, précisé que le délégué national doit présider la commission de
la médaille de la Résistance, fixer les orientations de l'établissement public,
arrêter les programmes, voter le budget et approuver les comptes.
Tout semble donc prévu dans ce texte, dont l'esprit est celui de la résistance
qui a animé ceux qui se sont battus et ont donné leur vie pour que vive la
France.
Comme l'a dit André Malraux, « l'ordre de la Libération n'est pas formé
d'hommes qui se sont séparés des autres par leur courage, mais bien d'hommes à
qui leur courage a donné la chance de représenter tous ceux qui, le cas
échéant, n'avaient pas été moins courageux qu'eux. »
Ce projet de loi est un très bon texte et c'est pourquoi le groupe socialiste
le votera.
(Très bien ! et applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le chancelier
de l'ordre de la Libération, mes chers collègues, ce projet de loi, adopté avec
une belle unanimité par l'Assemblée nationale le 17 décembre 1998, a pour objet
de prolonger l'oeuvre et la mission historique de l'ordre de la Libération,
créé à Brazzaville par le général de Gaulle le 16 novembre 1940, au-delà de
l'existence physique de ses membres éminents.
En effet, si cent soixante et onze Compagnons de la Libération sont encore en
vie à l'heure où nous parlons, il est apparu néanmoins nécessaire de prévoir la
reconstitution de l'ordre autour d'une structure nouvelle, le conseil national
des communes « Compagnon de la Libération ».
Chacun l'aura bien compris, l'enjeu de ce texte est la pérennité et la
transmission, au fil des générations, de la mémoire d'une période noire et
honteuse de notre histoire, durant laquelle quelques hommes, mais aussi des
femmes se sont dressés courageusement contre l'occupant nazi, refusant
l'impasse de la collaboration et de l'allégeance aveugle au maréchal Pétain.
C'est dans le souvenir de ces combats héroïques de la Résistance que la
plupart d'entre nous trouvent l'origine et le ferment de leur engagement
politique, au-delà de nos diversités de pensées et de traditions.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Les cinq communes titulaires de la croix de la Libération assureront
désormais la gestion de l'ordre de la Libération. Il s'agit de Nantes, première
ville distinguée, dès novembre 1941, pour ses actes de résistance, de Grenoble,
qui répondit aux représailles et à l'exécution des chefs de la résistance
locale, de Paris, qui a chassé l'ennemi à la suite de combats acharnés, de
Vassieux-en-Vercors, qui, grâce à son centre de parachutage, a permis le
recours de l'aviation alliée, et d'Ile-de-Sein, enfin, dont les enfants sont
morts au combat.
A l'énumération de ces cinq communes, on se rend compte qu'au-delà du
caractère élitaire de l'ordre de la Libération c'est davantage la diversité
d'origines des Compagnons qui perdurera avec la mise en place du conseil
national.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Mais s'il est essentiel que l'ordre survive à ses Compagnons historiques,
c'est avant tout pour continuer le travail inlassable de mémoire auprès des
nouvelles générations d'aujourd'hui et du siècle prochain.
Alors que disparaissent les témoins, les acteurs directs de la Résistance, les
victimes de la déportation, il ne faut pas permettre que les opérations de
réhabilitation du régime de Vichy et de négation du génocide juif prennent de
l'ampleur et sèment le doute dans les esprits désorientés de nos enfants.
Qui peut nier que les thèses xénophobes et antisémites s'expriment aujourd'hui
de plus en plus à visage découvert, sans vergogne et, pire, bien souvent en
toute impunité malgré l'adoption, sur l'initiative des parlementaires
communistes, d'une loi, dite « loi Gayssot », tendant à réprimer tout acte
raciste, antisémite ou xénophobe ?
Face à des dérives révisionnistes, il est de la responsabilité de nous tous,
des pouvoirs publics, de soutenir toute action qui va dans le sens de la
promotion des valeurs portées en leur temps par les premiers combattants de la
Résistance, d'André Malraux à Jean Moulin, jusqu'aux milliers de maquisards «
anonymes » ayant sacrifié leur famille, leur jeunesse et finalement leur vie à
la survie de la France libre.
C'est pourquoi l'ordre de la Libération doit trouver auprès du Gouvernement de
la nation - et je suis persuadé qu'il le trouvera - le soutien nécessaire à la
mise en oeuvre de ses missions, énumérées à l'article 2 de ce projet de loi.
Au nom du groupe communiste républicain et citoyen, je suis heureux de
m'associer, à mon tour, à l'hommage rendu aux patriotes combattants de la
Résistance à travers l'adoption d'un texte qui permettra la transmission de
cette flamme jaillie des ténèbres de l'année 1940.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Laurin.
M. René-Georges Laurin.
Je tiens tout d'abord à saluer respectueusement le général Simon, chancelier
de l'ordre de la Libération, qui fut un héros de la guerre - nous connaissons
tous le subterfuge qu'il employa, avec Pierre Messmer, pour quitter le
territoire français et rejoindre la France libre - ainsi que M. de Bresson,
président de l'Association nationale des médaillés de la Résistance
française.
Mon intervention sera un peu particulière, mes chers collègues.
J'ai été chargé par le groupe gaulliste d'apporter son accord à ce projet de
loi, dont je parlerai d'ailleurs très peu car Lucien Neuwirth, qui est un
camarade de la Résistance, a, dans son excellent rapport, fort brillamment
évoqué les souvenirs, les textes et l'histoire des Compagnons de la
Libération.
Avant de dire un mot du problème que nous traitons aujourd'hui, je voudrais
vous faire, ce soir, une confidence, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues : les bancs sur lesquels vous êtes assis sont ceux sur lesquels le
général de Gaulle nous a réunis au retour d'Alger. Ils ont été occupés par des
résistants, des combattants, qui formaient l'Assemblée consultative.
Je suis heureux de le dire ce soir, parce que je suis le seul membre de
l'Assemblée consultative qui soit aujourd'hui sénateur et le seul à pouvoir
témoigner de ce petit moment d'histoire.
L'Assemblée consultative - la plupart d'entre vous le savent, mais je le dis
pour les plus jeunes - a été créée par le gouvernement d'Alger pour donner une
représentation de l'aspect républicain de l'appel du général de Gaulle.
Elle était composée de délégués de la Résistance, de délégués de la France
libre, de résistants intérieurs, de délégués des mouvements de résistance, des
partis politiques - M. Fernand Grenier occupait à l'époque un siège peu éloigné
du vôtre, monsieur Fischer.
Elle était composée aussi de délégués de la jeunesse. Au nombre de quatre,
nommés par le général de Gaulle, ils représentaient respectivement le Mouvement
uni de la Résistance, pour la zone Sud, l'Organisation civile et militaire, le
Front national, pour la zone Nord, votre serviteur représentant les Jeunes
Chrétiens combattants.
Je voudrais vous décrire l'atmosphère qui était celle de cette assemblée et
évoquer pour vous ce que ces murs ont entendu de ce petit « morceau d'histoire
», pour ceux qui en faisaient partie, et de ce « grand » morceau d'histoire,
pour la France !
Nous étions les quatre plus jeunes, les « députés de la jeunesse », comme on
disait. Nous avions été nommés officiers supérieurs des Forces françaises de
l'intérieur. Le général de Gaulle nous avait décorés - nous avions alors
vingt-trois et vingt-quatre ans - de la Légion d'honneur, de la croix de guerre
et, bien entendu, de la médaille de la Résistance.
Parmi ceux qui étaient moins jeunes, il y avait tous les membres du Conseil
national de la Résistance, le CNR, dont beaucoup étaient Compagnons, les
représentants des mouvements de la Résistance de la zone Nord et de la zone
Sud, ainsi que le parti communiste, le parti socialiste et les différentes
organisations politiques qui avaient rallié le général de Gaulle.
Je voulais rappeler ces éléments aujourd'hui parce qu'ils constituent quand
même un souvenir important et qu'il est difficile d'en parler dans un débat
autre que celui auquel nous participons. Je voudrais que les sénateurs soient
fiers d'être les successeurs de ces équipes de résistants qui siégeaient dans
notre assemblée et qui ont écrit une page d'histoire.
Permettez-moi de vous livrer une anecdote.
Nous siégions dans cet hémicycle quand on nous annonça que le général de
Gaulle venait nous rendre visite. Il entra, vêtu de son uniforme. Il demanda au
président de l'assemblée la permission d'accéder à la tribune et il nous
déclara que le général Leclerc venait de libérer Strasbourg. Nous avons éclaté
en sanglots, une
Marseillaise
a fusé et nous avons tous chanté avec un
coeur infini notre hymne national.
C'est vous dire que cette salle est pleine d'histoire et qu'elle mérite, ô
combien, de recevoir aujourd'hui, si j'ose dire, le testament des
Compagnons.
Il y avait évidemment de nombreux Compagnons de la Libération et médaillés de
la Résistance. Beaucoup sont morts, et ceux qui restent ne sont pas en très
bonne santé. Sur les dix Compagnons que j'avais dans ma ville de Saint-Raphaël,
il y a dix ans, trois seulement sont encore vivants, mais maintenant très
fatigués.
Voilà, mesdames, messieurs, ce que je voulais vous dire, indépendamment du
problème qui nous occupe aujourd'hui.
Je n'ai pas besoin de répéter ce qui a été dit par Lucien Neuwirth : la
création de l'ordre... le Grand-Maître, le général de Gaulle... les
déclarations de ce dernier, en particulier le célèbre : « Quoi qu'il arrive, la
flamme de la Résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.
» Par ce texte, quoi qu'il arrive, l'oubli ne recouvrira pas l'histoire des
hommes, de cette chevalerie exceptionnelle, selon les mots du général de
Gaulle.
A l'origine, le général de Gaulle avait décidé que ses compagnons - qu'il
n'avait pas encore appelé ses « Compagnons », mais qu'il appelait ses «
camarades de combat » - seraient des croisés. Ce n'est que plus tard qu'il a
retenu le terme de « Compagnon ». Nous, médaillés de la Résistance, nous
l'avons étendu. Ainsi, sur le plan proprement politique, ceux qui ont continué
à suivre le général de Gaulle après la guerre ont gardé cette appellation.
Nous considérons toujours, nous, que le général de Gaulle était notre chef :
nous avons été et nous resterons ses compagnons jusqu'à notre mort. En fait,
les Compagnons, ceux qu'il avait désignés comme tels et qu'il avait choisis -
dont le général Simon est l'un des plus éminents exemples - sont ceux qu'il
avait appelés ses compagnons.
Aussi suis-je fier aujourd'hui de représenter le groupe du RPR, qui adoptera à
l'unanimité le projet de loi tel qu'il sera amendé par la Haute Assemblée,
témoignage de l'époque tragique et glorieuse de l'histoire de notre pays.
Les peuples qui se sont combattus hier ont aujourd'hui choisi une autre voie ;
nous espérons qu'elle durera. Mais, pour nous, qui avons combattu, qui avons
été arrêtés par la Gestapo, emprisonnés, à Fresnes, à Compiègne, dans les camps
de la mort... les nazis resteront les nazis.
J'ai toujours dans l'oreille le bruit - et il arrive rarement que je le fasse
taire - que faisaient mes camarades - dont certains étaient de jeunes
communistes - en tapant sur les tuyaux de la prison, à Fresnes, pour nous faire
connaître le matin, en morse, le nom de ceux qui allaient être fusillés.
Je me souviendrai toujours de tous ces jeunes que nous avons laissés sur la
route et qui ne faisaient pas de politique - à l'époque, les jeunes communistes
criaient : « Vive de Gaulle » et « Vive la France » - parce qu'il s'agissait de
la patrie, et que, grâce aux Compagnons de la Libération, la patrie a été
sauvée.
(Vifs applaudissements.)
M. le président.
Avant de donner la parole à M. le secrétaire d'Etat, je tiens à dire combien
nous avons été émus par le témoignage de notre éminent collègue René-Georges
Laurin et par son évocation de l'Histoire.
Vous avez la parole, monsieur le sécrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Monsieur le président,
monsieur le chancelier, mesdames, messieurs les sénateurs, il est évidemment un
peu difficile pour moi d'intervenir après M. René-Georges Laurin, sénateur du
Var, ancien maire de Saint-Raphaël, qui a évoqué ce qu'il a vécu, comme M.
Lucien Neuwirth et d'autres.
J'appartiens à une génération qui n'a pas connu la guerre, qui n'a même
participé à aucun conflit, puisque je suis entré à l'université à la fin de la
guerre d'Algérie. Mais si ma génération, celles qui suivent et les jeunes
générations actuelles peuvent tranquillement exprimer leurs revendications dans
les rues, si la France est aujourd'hui un pays de liberté, une démocratie, si
la France peut encore porter son témoignagne universel, centré autour des
valeurs de la République - liberté, égalité, fraternité - c'est parce qu'il y a
eu des femmes et des hommes tels que ceux dont vous venez d'évoquer la mémoire,
monsieur Laurin, en « un moment difficile et glorieux », selon l'expression
employée tout à l'heure par M. le rapporteur, dont la vie est une illustration
de cette période.
En effet, Lucien Neuwirth était encore un adolescent quand il a été parachuté
aux Pays-Bas, a été pris, a été fusillé et laissé pour mort. Et c'est lui qui,
aujourd'hui, 3 mars 1999, rapporte le projet de loi qui vous est soumis.
La France a connu une période difficile : l'année 1940 fut celle de la
défaite, de l'occupation, des pleins pouvoirs donnés à Pétain et Laval, de
l'engagement du processus de collaboration, de la multiplication des drames
humains, de la mise en cause de la dignité de la personne humaine. Mais ce fut
aussi une période glorieuse, qui est née avec l'appel du général de Gaulle,
avec le refus héroïque qu'opposa Jean Moulin aux Allemands. N'oublions pas ces
hommes et ces femmes qui, en zone occupée, en zone libre, dans tout l'empire,
se sont relevés, ont refusé la défaite et se sont engagés dans la
Résistance.
C'est cette période que nous évoquons, et c'est pour moi un honneur de
défendre en cet instant ce projet de loi. J'ai la chance, ce qui est assez rare
dans une assemblée où s'affrontent diverses tendances politiques, de présenter
un texte qui, je le sais, recueillera l'assentiment unanime.
En effet, ce soir, nous allons traiter ensemble de la mémoire d'une période
particulière de notre pays, celle de la Résistance, période au cours de
laquelle des hommes et des femmes ont été capables, comme l'a rappelé Mme
Printz, de subordonner leur propre vie, leur destin individuel, au destin
collectif et supérieur de la France.
C'est de cela qu'il s'agit ce soir.
Le général de Gaulle ne s'y était pas trompé. Dès juin 1940, il manifestait la
volonté de distinguer ceux, hommes, femmes, collectivités militaires et
civiles, qui allaient s'engager derrière lui pour que vive la France, mais une
France libre. Ce point de notre histoire a déjà été évoqué ce soir, je n'y
reviendrai pas.
C'est donc, mesdames, messieurs les sénateurs, en novembre 1940, à
Brazzaville, qu'est créé l'ordre de la Libération, que le projet de loi que je
vous soumets ce soir vise à pérenniser, au-delà de la disparition du dernier
Compagnon, par la mise en place d'une nouvelle structure institutionnelle.
Ainsi, cet ordre prestigieux, très strict, totalement égalitaire puisque
aucune distinction n'est faite entre ses différents membres va subsister.
Je rappelle que 1 036 croix ont été attribuées et qu'actuellement 167
Compagnons sont encore en vie. Je tiens à ce propos à remercier Lucien Neuwirth
d'avoir fait figurer la liste de tous les Compagnons de la Libération dans son
rapport. On peut y lire des noms qui évoquent notre histoire, mais aussi des
noms inconnus, et, dans cet anonymat même, c'est la France tout entière qui se
retrouve, la France libre, la Résistance de l'intérieur. Sont également cités
Churchill et Eisenhower et, bien entendu, le regretté Maurice Schumann, qui
siégait encore, il n'y a pas si longtemps sur les bancs de la Haute
Assemblée.
La croix de l'ordre de la Libération a aussi été décernée à cinq collectivités
- Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors, l'Ile-de-Sein - auxquelles il
appartiendra dans l'avenir de perpétuer la mémoire des Compagnons de la
Libération et de toute la Résistance.
Cet ordre exceptionnel était jusqu'à maintenant géré par les Compagnons de la
Libération eux-mêmes. Mais vous avez rappelé, madame, messieurs les sénateurs,
que notre destin était mortel et qu'un cercueil attendait, au mont Valérien, le
dernier Compagnon de la Libération. Or l'ordre dépasse les personnes qui le
composent. Ce qui est en cause, c'est donc la survie de ce symbole, de cette
expression de la Résistance et de la Libération.
Par conséquent, il fallait permettre à l'ordre de survivre, par delà la mort
du dernier Compagnon. Le rapport de M. Lucien Neuwirth et les propos de Mme
Printz et de M. Fischer illustrent bien la démarche qui a été adoptée à cette
fin. Mais, j'y insiste pour qu'il n'y ait pas de malentendu, l'ordre ne
disparaît pas, ce sont ses structures qui changent, avec la création d'un
établissement public à caractère administratif qui prendra le nom de conseil
national des communes « Compagnon de la Libération » et sera placé sous la
tutelle du garde des sceaux. Il bénéficiera par conséquent des moyens
financiers du ministère de la justice. Ne nous posons donc pas de questions à
propos des moyens dont disposera cet établissement pour exister et agir demain
: la France n'abandonnera pas ce monument de son histoire, quelles que soient
les majorités qui présideront à son destin. L'enjeu dépasse en effet l'esprit
partisan, puisque c'est de notre histoire qu'il s'agit et des difficultés que
notre pays eut à affronter victorieusement.
Cet établissement devra assumer un devoir de mémoire, gérer le musée de
l'ordre de la Libération, assurer la commémoration de l'appel du 18 Juin, date
importante de notre histoire s'il en est, conserver le souvenir des actions du
général de Gaulle, bien évidemment, mais aussi participer à l'aide morale et
matérielle accordée aux Compagnons, à leurs femmes et à leurs enfants, comme
les différents intervenants l'ont précisé.
Ce projet de loi est naturellement un texte de nature juridique en ce qu'il
règle la composition et le fonctionnement de l'établissement public à caractère
administratif, notamment de son conseil national.
Il est ainsi prévu que les personnes physiques qui y siégeront seront, bien
sûr, toutes titulaires de la croix de la Libération et que les maires le
présideront à tour de rôle aux côtés du délégué national, nommé par le chef de
l'Etat. Le texte prévoit également les règles relatives à la période
transitoire.
Avant de conclure, permettez-moi de vous annoncer d'emblée que les amendements
proposés par la Haute Assemblée seront acceptés par le Gouvernement, fort du
conseil technique que lui apporte le chancelier de l'ordre, ici présent, le
général Simon.
Ainsi donc, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez améliorer le texte
en le rendant plus précis, plus rigoureux, donc plus efficace.
Il suffit maintenant de travailler sur ce devoir de mémoire, et ce en
direction des jeunes générations, comme les différents intervenants l'ont dit,
notamment Mme Printz.
Ce devoir de mémoire, ce n'est pas pour nous, plus anciens, qu'il est
important ; il constitue aujourd'hui un élément de l'apprentissage de la
citoyenneté pour les jeunes générations, qui auront à organiser la vie de notre
pays, à en assumer la responsabilité dans le xxie siècle qui s'annonce. Elles
devront le faire, je le dis toujours, avec, certes, les moyens technologiques,
scientifiques et techniques du xxie siècle, en prenant en compte les évolutions
culturelles, mais aussi en se rattachant au socle de valeurs que nous leur
léguons, aux valeurs de la République, ce pour quoi vous vous êtes engagés,
Lucien Neuwirth, René-Georges Laurin, Roger Husson, sénateur de la Moselle...
comme bien d'autres membres de cette assemblée.
La liberté, l'égalité, la fraternité, ce ne sont pas simplement trois mots
gravés au fronton de nos mairies, de nos écoles. Cette devise nous engage tous
dans nos responsabilités quotidiennes quel que soit le niveau où nous les
exerçons. C'est le patrimoine de notre pays, c'est le message universel
qu'adresse la France et que nous devons faire passer aux jeunes générations.
Mais, au-delà de notre pays, c'est au sein de la construction européenne que ce
message doit se transmettre car, s'il est une spécificité propre à la France,
que tout le monde lui reconnaît d'ailleurs, c'est bien son rôle de porteur de
valeurs universelles.
Les jeunes générations qui vont faire la France de demain ne peuvent ignorer
la France du xxe siècle. Elles ne peuvent ignorer le 18 juin 1940. Elles ne
peuvent ignorer la période 1940-1945, ni l'ensemble des sacrifices qui furent
consentis par des hommes et des femmes courageux pour que vive la France.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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