Séance du 3 mars 1999
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Hamel pour explication de vote.
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes né le 23 août 1944, deux jours avant l'achèvement des combats pour le libération de Paris.
Vous n'étiez pas né, vous n'étiez pas encore enfant de notre France lorsque Lucien Neuwirth accomplissait les actes d'héroïsme qui lui ont valu d'être promu officier de la Légion d'honneur, après avoir été décoré de la médaille militaire, de la Croix de guerre 1939-1945, de la médaille de la Résistance, de la médaille des évadés.
Vous n'étiez pas né lorsque René-Georges Laurin connaissait dans les prisons ce qu'il a évoqué tout à l'heure avec tant d'émotion, y compris le risque d'être conduit sur le chemin de la fusillade.
Je vous supplie d'intensifier l'action de l'Etat pour que vive la mémoire de ce que fut la France dans le passé, de ce qu'a été le patriotisme de notre génération.
Nous avons vécu dans une idée de la France qu'il faut continuer à transmettre. Ceux qui sont morts à nos côtés étaient convaincu qu'ils se devaient d'accomplir des actes pouvant les conduire au suprême sacrifice parce qu'ils servaient ainsi la France et que la France, c'est ce qu'il y a de plus grand, de plus beau, de plus noble au monde. Cela doit être transmis.
Vous avez évoqué tout à l'heure avec la sérénité qui sied à un membre du Gouvernement la définition de votre devoir et vous avez parlé de la mémoire. Mais je vous supplie de faire en sorte d'augmenter votre influence, d'amplifier l'action que vous menez au sein du Gouvernement de la République, notamment dans vos relations avec M. le ministre de l'éducation nationale et avec Mme le ministre de la culture.
En effet, le patriotisme ne pourra véritablement perdurer au cours du troisième millénaire que si les générations actuelles apprennent ce que nous fûmes, savent que ce que nous avons fait nous a été dicté tout naturellement par l'idée de la France et de la République dans laquelle nous avions été formés.
Monsieur le secrétaire d'Etat, conservez bien dans votre mémoire les propos si émouvants de nos collègues Lucien Neuwirth et René-Georges Laurin. Permettez-moi d'espérer que vous garderez aussi le souvenir de cette supplication que je vous adresse au nom de mes camarades du IIe bataillon de choc tombés à mes côtés pour que désormais vous intensifiiez votre action visant à renforcer la mémoire patriotique du peuple français et que l'ensemble des Français, quelles que soient leurs origines, soient fiers d'appartenir à cette nation unique, exceptionnelle qui est la nôtre.
Développez l'esprit de patrie, développez la fierté de la France, surtout en cette veille du troisième millénaire où la construction de l'Europe nous fait courir le risque d'une dilution progressive du patriotisme.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez une mission historique : je vous en conjure, assumez-la ! (Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Je n'ai sûrement pas le talent de M. Hamel mais il me semblait avoir dit, depuis la tribune de la Haute Assemblée, ce que je ressentais par rapport à cette histoire.
Je suis le produit de cette histoire et, dans la mission gouvernementale qui m'est confiée, à savoir la gestion des intérêts moraux et matériels du monde ancien combattant, je développe et continuerai de développer tout ce travail de mémoire comme apprentissage de la citoyenneté, comme élément constitutif de la citoyenneté française, de l'appartenance à cette nation dont les valeurs permettent de dépasser les différences.
Monsieur Hamel, je vous ai entendu. Soyez persuadé que, avec les moyens, sans doute insuffisants, dont je dispose aujourd'hui, ce travail de mémoire est la priorité du secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Vous le savez, j'ai engagé une réforme conduisant à l'insertion du département ministériel des anciens combattants dans le ministère de la défense. La concrétisation juridique de cette réforme doit intervenir dans quelques jours, dans deux semaines trois au plus tard. Lorsqu'elle sera entrée dans les faits, je serai effectivement chargé de l'ensemble du travail de mémoire.
A l'intérieur du département ministériel de la défense, croyez-le bien, nous allons tout mettre en oeuvre à la fois pour développer le lien entre la nation et l'armée, mais aussi, en relation avec le monde scolaire et universitaire, l'enseignement de notre histoire. Il s'agit, au sein même de nos structures éducatives, de développer l'esprit de défense et, en s'appuyant sur l'exemplarité du monde combattant, de donner aux jeunes générations des éléments qui leur permettent de construire leur citoyenneté au sein de cette nation, au sein de la République française.
Il ne faudrait pas que le passage au xxie siècle conduise ce pays à oublier la page du xxe siècle.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Vous m'avez entendu m'exprimer le soir du 11 novembre à l'Institution nationale des Invalides : vous connaissez donc ma pensée et mes objectifs politiques. Il est hors de question, pour moi, de laisser oublier le xxe siècle. C'est pourquoi nous devons tout mettre en oeuvre pour que ce passé reste vivant, et pour cela tous doivent se mobiliser : non seulement le ministère de l'éducation nationale, le ministère de la défense, le secrétariat aux anciens combattants - qui évoluera probablement, comme je l'ai dit - mais encore l'ensemble des élus.
Une politique de la mémoire ne peut pas se bâtir si elle n'est pas soutenue concrètement par l'ensemble de la nation. A cet égard, la définition des contrats de plan Etat région - pardonnez-moi de devenir terre-à-terre - est un rendez-vous important. Il faut que, dans chaque région française, puisse se mettre en place une politique de la mémoire associant les principales collectivités territoriales et l'Etat.
Il est en effet fondamental que nous nous adressions aux jeunes générations pour qu'elles aient une claire idée de ce qu'a été ce pays, des épreuves qu'il a subies mais aussi des victoires qu'il a su remporter sur la barbarie, sur ces horreurs qu'ont évoquées MM. Neuwirth et Laurin.
C'est ainsi que nous construirons une citoyenneté du xxie siècle, enracinée à la fois sur la connaissance du xxe siècle et sur les valeurs de la République française.
Comme vous, monsieur Hamel, je crois que ce pays est fabuleux et qu'il est porteur d'un message universel. Il est de notre devoir de tout mettre en oeuvre pour que ce message soit d'abord compris, intégré, puis transmis par les jeunes Françaises et Français. C'est la condition de son rayonnement.
En tout cas, monsieur Hamel, je vous remercie de m'avoir en quelque sorte rappelé à cette obligation, mais croyez bien que je n'avais pas oublié le devoir de mémoire. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel. Entretenez la flamme de la mémoire !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le chancelier de l'ordre de la Libération, monsieur le président de l'Association nationale des médaillés de la Résistance française, mes chers collègues, après toutes ces paroles très émouvantes, je crains que ne puissent avoir quelque chose de dérisoire les propos que le président de la commission tient à tenir avant que notre assemblée se prononce, j'en suis certain, à l'unanimité en faveur de ce projet de loi.
Je voudrais d'abord souligner que la commission des affaires sociales a pris toute la mesure de la charge qui lui incombait, et qu'elle a accueillie avec respect, d'avoir à présenter ce projet de loi à la Haute Assemblée. La désignation de notre collègue Lucien Neuwirth comme rapporteur est un signe du respect que nous inspire cette période, durant lasquelle il fut l'un de ceux qui incarnèrent l'honneur.
Cette période, je n'ai pu la vivre que comme spectateur : j'avais onze ans en 1944. Cela ne m'a évidemment pas empêché de partager, avec mes camarades de lycée, la joie de la libération de la France.
J'ai vite compris ce que cette libération devait à tous ces hommes que nous avions rencontrés par hasard dans la campagne ou que nous voyions arriver un soir à la maison, sans être toujours conscients - on ne disait rien aux enfants - des dangers qu'ils couraient.
J'ai également vite compris tout ce que notre patrie devait à des hommes comme Churchill et Eisenhower, et aux peuples qu'ils représentaient, alors qu'elle avait failli périr en tant que telle.
Ce soir, je ne peux que dire aux Compagnons de la Libération notre souhait de voir ce texte que nous allons voter mis en oeuvre le plus tard possible et de les voir eux-mêmes continuer à mener le plus longtemps possible la mission qui est actuellement la leur.
Je voudrais dire aussi, au nom de la Haute Assemblée, combien, ce soir, une voix nous manque : celle de Maurice Schumann. Il est certain que s'il était encore parmi nous, nous l'aurions, les uns et les autres, écouté avec beaucoup d'attention et aussi d'affection, car c'est bien le sentiment que nous nourrissions pour lui.
Enfin, je veux témoigner de notre reconnaissance à tous ceux qui, par raison, par conviction, mais aussi parfois parce qu'ils avaient simplement le sentiment que c'était de ce côté-là qu'il fallait aller, ont choisi d'emblée la seule voie qui était susceptible d'incarner l'honneur de la France. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que le projet de loi a été adopté à l'unanimité.
Au terme de cette discussion, je tiens à exprimer à nouveau au général Jean Simon, chancelier de l'ordre de la Libération, et à M. Jean-Jacques de Bresson, président de l'Association nationale des médaillés de la Résistance française, toute la considération qu'éprouve le Sénat à leur égard. C'est avec un grand plaisir que nous avons vu ces personnalités assister cet après-midi à l'intégralité de ce débat très important, parfaitement consensuel et un peu particulier car marqué par l'Histoire.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.