Séance du 18 mars 1999
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Madame la ministre de la justice, la Cour de justice de la République a rendu son arrêt dans l'affaire du sang contaminé, un arrêt qui ressemble à une décision de droit, mais qui n'en est qu'une forme dégénérée.
M. René-Pierre Signé. Politique !
M. Guy Allouche. Comme la souffrance des uns et des autres laisse rarement place à la compréhension, ce procès mal engagé ne pouvait que mal se conclure.
Le verdict de la Cour de justice de la République est à l'image de sa composition, de son instruction et du déroulement du procès : il est politique.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Guy Allouche. On reprochait à la politique d'être à l'abri de la justice. En la circonstance, c'est la justice qui, pour se mettre à l'abri des citoyens, a fait de la politique.
Comment tenir un procès dont l'accusation ne veut pas ? Oui, mes chers collègues, à deux reprises, le procureur général, puis l'avocat général, dans leur réquisitoire, ont considéré qu'il n'y avait matière ni à poursuites, ni à condamnation, car rien, dans le dossier, tel qu'il est apparu, ne permettait d'établir une responsabilité pénale.
La Cour de justice de la République est apparue pour ce qu'elle était dès sa création : une juridiction politique, une juridiction d'exception, une juridiction conjoncturelle.
Lors de nos débats, en 1993, tant ici, au Sénat, qu'au Congrès de Versailles, notre ami Michel Dreyfus-Schmidt n'a eu de cesse de mettre en garde le Gouvernement et la Haute Assemblée contre l'amalgame entre la responsabilité pénale et la responsabilité politique. En juriste éminent et avec prémonition, Michel Dreyfus-Schmidt dénonçait déjà cette monstruosité juridique dont nous avons tous constaté, pour les déplorer, les nombreux dysfonctionnements qui ont émaillé ce procès singulier.
Madame la ministre, est-il besoin de souligner que cette expérience malheureuse de la Cour de justice de la République annonce une profonde évolution ?
Comme il est probable que le Gouvernement se soit livré à une analyse du déroulement de ce procès, nous est-il possible de connaître les premiers enseignements qu'il en a tirés ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, nous devons en effet avoir tous à coeur de tirer les leçons du procès qui vient d'avoir lieu devant la Cour de justice de la République. Nous devons toutefois le faire sans précipitation, dans la sérénité, en évitant toute forme de pression sous l'émotion du moment. C'est peut-être aussi ce qui a manqué en 1993 !
Pour tirer correctement les leçons de ce procès, il convient, me semble-t-il, avant de poser les questions relatives à la Cour de justice de la République elle-même, de se poser d'abord la question de savoir comment l'on peut clarifier le champ de la responsabilité politique par rapport à la responsabilité pénale, la responsabilité administrative et la responsabilité civile.
M. Jean Chérioux. Tout à fait d'accord !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le problème que nous affrontons, beaucoup plus large que celui qui vise, en l'occurrence, les ministres, puisqu'il concerne de plus en plus souvent les maires, les médecins, les enseignants, les chefs d'entreprise, c'est celui de la pénalisation croissante de notre vie publique.
Plusieurs sénateurs du RPR. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Face à ce problème plus général, j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer à deux reprises devant le Sénat quelles étaient les pistes suivies par le Gouvernement.
Je signale que j'ai présenté, hier, en conseil des ministres, un projet de loi visant à améliorer les procédures d'urgence devant la justice administrative. Cela ne répond qu'à une partie du problème, mais nous voyons bien que tout est lié. En effet, si la justice administrative statuait plus vite, peut-être réussirions-nous à limiter le recours à la responsabilité pénale.
Au-delà, puisque, vous le savez, le Gouvernement ne veut en aucun cas préjuger, nous ne devons pas nous interdire de voir, d'abord, à partir de quels principes la commission Vedel, qui avait abouti à la réforme de 1993, a travaillé. Ces principes étaient au nombre de quatre : ne pas soumettre l'ouverture des poursuites à une décision préalable des assemblées ; interdire qu'à la faveur des plaintes avec constitution de partie civile les ministres soient constamment exposés à devoir se justifier devant les juges ; confier l'instruction à la chambre d'instruction composée de magistrats à la Cour de cassation ; ne pas composer la juridiction de jugement seulement de magistrats ou seulement de parlementaires.
Aujourd'hui, peut-être faut-il, en effet, oser d'autres questions, ouvrir d'autres perspectives. Faut-il, par exemple, maintenir l'existence d'une juridiction d'exception et, dans l'affirmative, dans quelle composition ?
Mais, vous le voyez, pour répondre à cette question, il faut d'abord clarifier le champ de la responsabilité politique et celui de la responsabilité pénale, car, bien évidemment, plus nous arriverons à clarifier ces champs, moins nous aurons besoin d'une juridiction d'exception.
M. le président. Veuillez conclure, madame le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'en termine, monsieur le président.
Toutes sortes de questions se posent que je ne veux pas détailler ici : à qui faut-il confier l'instruction ? Faut-il avoir une procédure criminelle ou une procédure correctionnelle ? Quelle place donner aux victimes ? - Autre question extrêmement importante.
Le temps des conclusions viendra à son heure. Je crois qu'il nous faut laisser le temps au débat. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen. - MM. Jean-Jacques Hyest et Lucien Neuwirth applaudissent également.)
ÉTAT DES NÉGOCIATIONS SUR LA RÉFORME DE LA PAC