Séance du 1er avril 1999
M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et porte sur les perspectives de règlement politique de la crise au Kosovo.
Je fais partie de ceux - et ils sont nombreux dans cet hémicycle - qui estiment que, lorsqu'une action militaire est engagée, notre premier souci doit être de soutenir nos soldats dans la délicate mission qui leur a été confiée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes.)
Je leur ai rendu visite hier, au côté du ministre de la défense, que je tiens à remercier. Nous nous sommes rendus sur la base d'Istrana et sur le porte-avions Foch. Je veux donc, plus fortement encore, saluer aujourd'hui leur courage et leur compétence. Ils méritent notre soutien !
Mais nous devons aussi tout mettre en oeuvre, parallèlement aux opérations militaires en cours, pour préparer le règlement politique qui apportera seul, tôt ou tard, une solution durable à la crise actuelle.
Comme on pouvait le craindre, le Premier ministre russe, M. Primakov, n'a pu obtenir mardi, à Belgrade, une base acceptable pour une telle solution politique. Je ne crois pas que le rôle constructif que peut jouer la Russie pour faire pression sur M. Milosevic soit pour autant terminé. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner votre sentiment sur ce point ?
D'autres initiatives diplomatiques peuvent-elles, à vos yeux, être entreprises - et avec quelques chances de succès - dans les circonstances présentes ? Les Nations unies vous paraissent-elles en mesure de reprendre l'initiative ? Une réunion du groupe de contact peut-elle être envisagée ?
Restent deux éléments d'appréciation complémentaires de ces perspectives politiques, sur lesquels je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous vous exprimiez devant le Sénat.
En termes d'opportunité, d'abord, estimez-vous que de telles initiatives sont envisageables en l'état, ou supposent-elles nécessairement au préalable l'arrêt des exactions et un cessez-le-feu immédiat sur le terrain ?
Sur le fond des choses, ensuite, et compte tenu de la répression qui s'est abattue sur le Kosovo - y compris sur ses dirigeants modérés - estimez-vous que les conclusions de Rambouillet peuvent encore constituer une base de règlement crédible pour parvenir à la solution politique que nous espérons tous ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, on ne répétera jamais assez que, si nous avons dû en venir aux actions militaires qui sont en cours en ce moment, c'est parce que, pendant des mois et des mois, pour ne pas dire pendant des années, tout ce qui était politiquement ou diplomatiquement possible a été tenté pour asseoir la coexistence des Serbes, des Kosovars et des autres minorités du Kosovo sur une base qui permette de sortir du cycle sans fin des tragédies.
Naturellement, tout a été tenté, on l'a vu et on s'en souvient ici, par de nombreux pays européens - dont la France et la Grande-Bretagne, mais aussi par beaucoup d'autres, y compris la Russie - dont on a oublié jusqu'au travail et qui avaient pourtant tout tenté.
C'est vraiment parce qu'à un moment donné il fallait conjurer une escalade plus importante et tenter d'éviter les drames qui se produisent aujourd'hui - et qui se seraient produits de toute façon, comme ils s'étaient produits il y a un an, comme ils s'étaient produits l'été dernier et à l'automne, voilà peu de mois encore - que nous avons dû nous résoudre à employer, à un moment donné, des moyens différents pour essayer de briser cette machine de répression qui, depuis des années et des années, a provoqué ce que l'on sait dans l'ex-Yougoslavie. Il faut le rappeler sans arrêt, parce que c'est le cadre de toute cette action.
Au moment où nous en sommes, le travail destiné à essayer de porter un coup décisif à ce système, à cette machine de répression, est en cours. Mais ce n'est pas sur ce point que vous m'interrogez.
Je peux vous dire que les contacts sont maintenus et qu'ils sont quotidiens entre tous les membres du groupe de contact, y compris la Russie, même si elle n'est pas dans la même posture que les autres par rapport aux actions militaires. Cela signifie, en pratique, que, presque tous les deux jours, le Président de la République a M. Eltsine ou M. Primakov au téléphone, que j'ai mon collègue russe au téléphone tous les jours, que nous réfléchissons et que nous travaillons ensemble. Les membres du groupe de contact se parlent tous les jours, ainsi que les autres Européens, et nous avons par ailleurs des contacts réguliers avec les pays voisins.
Cela étant, pour préparer l'étape suivante, qui viendra forcément à un moment ou à un autre, il y a un certain nombre d'éléments sur lesquels on ne peut pas transiger : il faut un arrêt immédiat de toutes les formes de répression et d'exactions, il faut que tout ce qui est entrepris pour terroriser les populations du Kosovo s'arrête, il faudrait au minimum que les forces serbes et yougoslaves soient ramenées au niveau qui avait été fixé en octobre dernier, et que cet engagement soit pris sans condition. Ce n'est pas un élément de négociation, c'est une exigence immédiate, impérative, non négociable.
Si nous étions dans cette situation, nous pourrions, en effet, reprendre la recherche d'une solution politique.
Enfin, monsieur le sénateur, je ne veux pas répondre définitivement aujourd'hui - c'est encore trop tôt - à votre dernière question, qui est peut-être la plus importante. Je rappelle que les accords de Rambouillet, qui avaient tenté de bâtir une autonomie substantielle pour les Kosovars et les autres minorités du Kosovo dans le cadre d'une souveraineté yougoslave maintenue, supposaient tout de même un minimum sinon de confiance, du moins de capacité à faire fonctionner ensemble ce qui restait une structure fédérale. Or chaque jour qui passe, même s'il ne faut pas ajouter foi à toutes les informations qui circulent, rend ce contexte plus précaire. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
VOLET HUMANITAIRE DE LA CRISE AU KOSOVO