Séance du 5 mai 1999
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui comprend une série de dispositions attendues et indispensables pour assurer l'adaptation de notre paysage bancaire et financier aux mutations profondes de son environnement international et pour tirer les leçons des erreurs du passé.
M. le rapporteur et M. le président de la commission des finances ont évoqué l'adaptation nécessaire du statut des caisses d'épargne. Néanmoins, les dispositions proposées appellent de la part de mes collègues du groupe du RPR et de la mienne, une série de remarques que j'aborderai en suivant les deux parties du projet de loi.
En ce qui concerne les caisses d'épargne, tout d'abord, chacun d'entre nous, je crois, s'accorde sur la nécessité d'une réforme.
Les caisses d'épargne ont pris beaucoup de retard par rapport aux autres établissements bancaires. Elles cumulent, en outre, des handicaps en matière de rentabilité, d'organisation et de fonctionnement internes ainsi qu'en matière de statut, handicaps qui sont autant d'obstacles à leur insertion dans le nouvel environnement financier. Compte tenu de la place centrale qu'elles tiennent dans le paysage bancaire français, de leur action déterminante et historique dans le développement de l'épargne en France et de la responsabilité qu'il porte à leur égard, l'Etat se doit d'intervenir pour impulser et accompagner les nécessaires transformations auxquelles elles doivent procéder.
Ainsi, dans le texte soumis à notre examen, nous constatons que la réorganisation du réseau qui est proposée ainsi que le glissement vers le statut coopératif constituent des avancées significatives.
Toutefois, bien que le Gouvernement ait disposé d'une très longue période de réflexion et de préparation, nous conduisant même en janvier dernier à proroger les mandats, force est de constater que le présent projet de loi ne peut nullement être assimilé à la grande réforme attendue.
Il est ainsi très étonnant que cette longue période de préparation ait abouti à une évaluation irréaliste, voire à mon sens un peu fantaisiste du capital des caisses d'épargne. La réalité s'inscrit plûtot autour de 14 milliards de francs.
Ce texte est malheureusement révélateur des contradictions idéologiques qui agitent la majorité plurielle.
En effet, monsieur le ministre, vous semblez hésiter entre, d'une part, permettre aux caisses d'épargne de trouver leur place dans le secteur concurrentiel et, d'autre part, maintenir la mainmise de l'Etat sur le réseau, aboutissant ainsi à une réforme quelque peu bancale, ou plutôt à une réforme par le plus petit dénominateur commun, ce qui constitue toujours une mauvaise formule et ne saurait constituer un aboutissement en soi. Le premier handicap dont souffrent les caisses d'épargne réside dans la faiblesse de leur rentabilité. Or la réforme proposée, si elle était adoptée en l'état, conduirait à leur imposer des contraintes telles qu'elle les empêcherait d'être véritablement rentables.
Prenons ainsi pour exemple l'obligation qui leur est faite d'affecter au moins un tiers de leurs résultats à des actions d'intérêt général. Ce seuil rigide revient, comme le souligne notre collègue Philippe Marini dans son excellent rapport, à inverser les priorités, la rémunération des sociétaires passant au second plan. Mais cela constitue surtout une contrainte beaucoup trop forte qui risque de nuire à une gestion équilibrée.
Quant aux missions d'intérêt général elles-mêmes, si personne ne songe à en contester la légitimité, il n'en demeure pas moins que, là encore, la définition qui en est proposée apparaît à la fois beaucoup trop rigide et restrictive.
Le rapport Douyère, auquel vous vous référez souvent, monsieur le ministre, ne préconise-t-il pas deux formes d'actions d'intérêt général, la subvention, d'une part, et les prêts à la micro-économie, d'autre part ? Cette seconde formule est d'ailleurs plus souple en matière de gestion. Or force est de constater que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne prévoit, à dessein, que la première solution. C'est regrettable.
En incluant dans les mission d'intérêt général la protection de l'environnement, le texte me semble en revanche cette fois beaucoup trop précis et contraignant, ce n'est pas le rôle des caisses d'épargne.
L'originalité et la richesse des caisses d'épargne résident dans leur implantation locale au plus près de leurs clients. Laissons à chacune d'entre elles, par conséquent, la liberté de choisir et de définir elle-même le type d'action qu'elles souhaitent financer.
Elles ont, depuis leur création, acquis la compétence suffisante pour accomplir leurs missions d'intérêt général sans que le législateur ait besoin d'intervenir une fois de plus, au risque d'ailleurs de se tromper ou d'imposer des contraintes inadaptées.
Pour assurer leur objectif de rentabilité, elles ont besoin de souplesse et de lisibilité. C'est en leur permettant d'être pleinement rentables qu'elles pourront assumer correctement leurs missions d'intérêt général et non le contraire.
Il convient, par conséquent, que l'Etat allège les contraintes qui pèsent sur elles.
Par ailleurs, monsieur le ministre, tout en visant ouvertement à les rendre concurrentielles, votre texte propose de maintenir de graves entorses aux règles de la libre concurrence.
Ainsi, en n'abordant nullement l'inévitable question de la banalisation du livret A, il semble ignorer l'avis du Conseil de la concurrence, qui estime que le monopole de distribution du livret A constitue une restriction de concurrence que ne justifie aucune considération d'intérêt général ; ce monopole risque ainsi de se voir opposer le veto de la Commission européenne.
D'un autre côté, l'élu alsacien que je suis ne peut qu'être fortement interpellé, voire choqué, de voir que le Gouvernement argue précisément du risque d'atteinte à la libre concurrence et du risque de veto de la Commission pour justifier la suppression du régime du libre emploi dont bénéficient les caisses d'Alsace-Moselle, régime que le prestigieux Conseil de la concurrence n'a d'ailleurs pas jugé utile d'évoquer dans son rapport.
Ce régime est issu du droit local, que le législateur a, jusqu'à présent, scrupuleusement préservé et respecté, et auquel les Alsaciens sont très attachés. Il me semble, par conséquent, tout à fait surprenant de vouloir le remettre en cause.
M. Jean-Louis Carrère. Alors il faut effacer la première partie !
M. Joseph Ostermann. C'est pourquoi, soutenu par mes collègues alsaciens, je présenterai un amendement de rétablissement de ce dispositif.
Par ailleurs, pour en revenir au livret A, sa banalisation inciterait les caisses d'épargne à remédier à leur inquiétante dépendance à l'égard du livret et à rattraper leur retard dans la commercialisation des comptes de chèques et des produits de diversification en général. Sur ce point, les chiffres sont révélateurs : environ 40 % de leurs clients adultes détiennent un compte-chèques, contre presque 100 %, par définition, dans les autres établissements bancaires ; seulement 20 % y détiennent un compte principal. A l'inverse, 85 % de leurs clients sont aussi clients d'un ou plusieurs autres établissements financiers.
Je souhaiterais ensuite illustrer cette contradiction frappante entre le passage au secteur privé et le maintien de la tutelle de l'Etat en évoquant un deuxième exemple, celui du maintien totalement inacceptable, du fait du changement de statut, de l'agrément ministériel à la nomination du président du directoire de la Caisse nationale.
Je prendrai un autre exemple, celui du fonds de réserve pour les retraites. En laissant de côté la question de l'opportunité d'un tel fonds, sur laquelle il y aurait aussi beaucoup à dire, ne vous paraît-il pas contradictoire de refuser, d'une part, d'assimiler la réforme des caisses d'épargne à une privatisation et, d'autre part, d'en utiliser la méthode en affectant le montant de la cession des parts à ce fonds ?
Enfin, en matière de droit du travail, en restant à mi-chemin entre droit dérogatoire et droit commun, le texte ne permettra nullement de lever les obstacles à la prise de décision, comme c'est actuellement le cas en matière de réforme du régime spécial de retraite des caisses. Ce problème grève déjà le résultat des caisses et il est, par conséquent, urgent de le régler. N'oublions pas qu'une des principales causes de leur faible rentabilité réside dans la lourdeur de leurs charges d'exploitation.
C'est donc une réforme en demi-teinte que vous nous proposez, empreinte de contradictions, qui devront une nouvelle fois être réglées à court ou moyen terme, sous peine d'empêcher les caisses d'épargne d'avoir la stabilité nécessaire pour mener à bien les transformations urgentes auxquelles elles doivent faire face.
Depuis 1983, c'est la troisième réforme qu'elles doivent subir, dans un intervalle de huit ans à chaque fois. C'est beaucoup !
Prenons soin, par conséquent, d'éviter de leur faire subir une quatrième réforme dans huit ans. Je tiens, sur ce point, à saluer le travail accompli dans ce sens par notre rapporteur, travail qui permet, si les amendements sont adoptés, de parvenir à une réforme équilibrée et aboutie.
Je souhaite maintenant aborder la deuxième partie du projet de loi, à avoir les dispositifs de contrôle et de garantie relatifs aux banques, aux entreprises d'investissement et d'assurances, qui appellent plusieurs commentaires.
Nous ne pouvons, tout d'abord, que nous féliciter que M. le rapporteur général propose une série d'amendements transposant la directive relative à la surveillance prudentielle des entreprises du secteur financier ou directive « post-BCCI », que la France devait normalement transposer avant 1996.
C'est la garantie des intérêts des épargnants qui doit, en effet, être au coeur de nos préoccupations. La survie des entreprises ne doit, quant à elle, venir qu'en deuxième lieu, sur la base de critères de rentabilité.
Il convient de cesser de maintenir à grands frais pour la collectivité et l'économie nationale, des établissements à l'évidence non viables. Mes collègues du groupe du RPR et moi-même apporterons donc notre soutien aux propositions de la commission allant dans ce sens.
Par ailleurs, le texte qui résulte des travaux de l'Assemblée nationale institue quatre fonds de garantie : pour les déposants, les assurés, les investisseurs et les cautions.
Pour les déposants, tout d'abord, la mise en place d'un fonds sur le modèle de ce qui existe dans les autres Etats européens est une bonne chose, puisqu'il assurera non seulement une mission de garantie des dépôts de la clientèle, mais aussi et surtout une mission curative et préventive auprès des établissements.
De récents sinistres, tels qu'Europavie pour l'assurance ou Mutua-équipement pour les cautions, nécessitaient une intervention urgente du législateur.
Une remarque d'ordre général sur ces fonds de garantie doit être faite : on peut, en effet, émettre des doutes sur la capacité réelle d'un tel système à réagir efficacement face à des sinistres d'une ampleur de plusieurs dizaines de milliards de francs, et ce d'autant plus que la tendance actuelle est au rapprochement des établissements dont la taille est de plus en plus importante.
Cette évolution justifie la proposition de notre commission de réduire de moitié le niveau des cotisations effectivement appelées au fonds de garantie des déposants. Bloquer des sommes trop importantes est contre-productif et peu rationnel, sachant que la moitié des cotisations non maintenue au sein du fonds reste facilement identifiable dans les écritures des établissements concernés.
Il est étonnant que nos collègues députés n'aient pas tiré l'ensemble des conséquences de la création de ces fonds de garantie. En cas d'intervention préventive, il semble, en effet, logique de leur laisser toute latitude pour décider des mesures à prendre pour l'avenir de l'établissement en cause. De même, dans le cadre d'une mission à caractère curatif, il est impératif que l'agrément permettant à un établissement de fonctionner lui soit retiré, lorsque celui-ci rencontre de graves difficultés.
En outre, depuis son institution à titre exceptionnel en 1982, le Sénat a toujours émis des réserves sur la contribution des institutions financières. Le projet de loi, dans son article 52, institue un crédit d'impôt imputable sur cette contribution, d'un montant égal à 25 % des charges consacrées par les établissements concernés.
Grâce à cette mesure, le Gouvernement souhaite atténuer les effets de la contribution. Il convient, à mon sens, d'aller plus loin. L'amendement de la commission visant au relèvement progressif du crédit d'impôt permettra à ces établissements d'être dans une position moins handicapante par rapport à leurs concurrents européens, qui ne supportent pas de telles taxes.
La position du Gouvernement, qui reconnaît l'existence d'un problème de concurrence, mais ne voit pas de raison particulière pour supprimer cette contribution, est paradoxale.
Si certaines de nos entreprises sont placées dans une position de faiblesse par rapport à leurs concurrentes européennes du fait de taxes spécifiquement françaises, il convient d'harmoniser sans attendre et d'abolir celles-ci.
Les quelque 3 milliards de francs que rapportent cette contribution à l'Etat ne peuvent pas faire oublier, outre les problèmes d'efficacité qu'elle pose à nos établissements dans la compétition internationale, son caractère particulièrement pénalisant pour l'emploi, puisqu'elle est assise sur les frais de personnel.
Chacun a été alerté dans son département par les représentants des banques mutualistes et coopératives sur la nature des dispositions de l'article 37 du projet relatif à la mise en réserve des résultats de ces établissements. La prise en compte de leurs intérêts dans l'amendement de la commission des finances, tendant à permettre de déroger au principe du plafonnement, permet de donner une réponse satisfaisante aux préoccupations exprimées.
Enfin, la création d'un fonds de garantie des assurés, chargé de sécuriser le paiement des prestations dues à ceux-ci en cas de défaillance d'une compagnie d'assurance de personnes était nécessaire, comme l'a prouvé une récente actualité.
Néanmoins, il est permis de s'interroger, en premier lieu, sur l'absence d'application de ces dispositions aux institutions de prévoyance et aux mutuelles.
Par ailleurs, il conviendrait que le Gouvernement éclaire le Sénat, de façon plus satisfaisante qu'à l'Assemblée nationale, sur la nature précise du statut juridique et fiscal de ce fonds. La définition qui en a été donnée, à savoir que le fonds de garantie des assurés revêt la forme d'une personne morale de droit privé n'appartenant à aucune catégorie juridique connue, n'est absolument pas rigoureuse et risque, par conséquent, d'être à l'origine d'une certaine insécurité juridique.
Nombreux ici regrettent que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne précise pas les modalités de financement de ce fonds de garantie. Même si les conditions dans lesquelles ces ressources feront l'objet d'un décret en Conseil d'Etat, elles devront, à mon sens, être similaires à celles qui sont prévues pour le fonds de garantie des dépôts.
Par ailleurs, il convient de prendre conscience des limites d'intervention du fonds. Celui-ci ne saurait, en effet, être suffisamment solide pour intervenir lors de l'éventuelle faillite d'une grande société d'assurances, par exemple, sans risquer d'entraîner celle, en chaîne, des autres entreprises appelées à intervenir.
Voilà les remarques que je souhaitais formuler à l'égard d'un texte qui, s'il va dans le bon sens, nécessite un certain nombre d'améliorations, sans lesquelles mes collègues du groupe RPR et moi-même ne pourrons le voter. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Guy Allouche.)