Séance du 18 mai 1999







M. le président. La parole est à M. Robert, auteur de la question n° 513, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le ministre, je suis très sensible au fait que vous ayez accepté de venir me répondre personnellement. Votre réponse est en effet attendue par tous ceux que l'important problème que je veux soulever préoccupe.
Vous savez très bien vous-même tout ce que je veux vous dire sur ceux que l'on appelle les « gens du voyage ».
Vous me répondrez sans doute qu'un projet de loi est en instance, qu'il a été adopté en conseil des ministres. Je crains toutefois que les aires de stationnement programmées ne relèvent quelque peu de l'utopie et qu'elles n'aient pas trop d'avenir.
Pour ma part, je veux vous dire tout haut ce que les maires n'hésitent pas à dire en entretien privé et ce que nos concitoyens, qui en ont « ras-le-bol », nous chargent d'exprimer.
Les gens du voyage sont des citoyens à part entière : leur mode de vie, qu'ils ont choisi, ne doit les dispenser ni des droits ni des devoirs. Ils doivent s'assumer.
Or, tel n'est, hélas ! pour un grand nombre d'entre eux, pas le cas. Qui est amené à payer les branchements pirates pratiqués communément pour l'eau et l'électricité, les enlèvements de détritus, le maintien de l'hygiène, la réparation des dégradations, les frais de procédures obligatoires hélas ! de référé, de l'ordre de 12 000 à 15 000 francs, à quoi s'ajoute le refus de partir lorsque le jugement l'a décidé ?
Il faut voir comment cela marche ! Dans mon département, l'Essonne, mais aussi dans la région dont je suis originaire, la Côte d'Azur, ils sont organisés en tribus, avec un chef de tribu - j'allais dire un caïd. Ils ne respectent rien, se croient en pays conquis !
La police et la gendarmerie n'osent plus faire respecter la loi et aller dans leurs campements sauvages.
Dans l'Essonne, c'est à tout va : ils s'installent dans les centres commerciaux, les zones industrielles, les parkings publics et privés ! Faudrait-il clore tous ces parkings pour les rendre inaccessibles ?
Sur la Côte d'Azur, il est impressionnant de voir, jour et nuit, dans les communes, des camions barrer les accès aux aires touristiques de stationnement, avec une veille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pendant que, sur les routes attenantes, on voit de longues files de caravanes avec tous les moyens de communication prévus, les responsables étant prêts à la moindre occasion à faire le coup de force pour occuper le terrain.
Cette recrudescence de stationnements, que je qualifierai d'irresponsables, doit cesser avec la même diligence dont font preuve les forces de police pour verbaliser et faire « décamper » les malheureux citoyens adeptes du caravaning, du camping et du camping-car lorsqu'ils occupent ces mêmes aires. D'ailleurs, les associations de jeunes campeurs qui décident de s'installer en nombre doivent, quant à eux, solliciter une autorisation.
Le nombre de gens du voyage dans notre pays, sans cesse croissant, n'est pas comparable à celui que comptent nos voisins européens, chez qui ils sont quasi inexistants.
Plus encore, le matériel utilisé, neuf, ultramoderne, qu'il s'agisse de caravanes, de voitures, de camions de l'année, Mercedes ou BMW, ou d'antennes paraboliques atteste que nous ne sommes pas là dans des quartiers en difficulté !
Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable, monsieur le ministre, d'effectuer des contrôles fiscaux - ils me semblent urgents et nécessaires - pour cerner les moyens d'existence de ces tribus ?
Ne pensez-vous pas, face à l'analphabétisme croissant, que la scolarité des enfants du voyage devrait être étroitement surveillée et rendue obligatoire comme pour tous les autres Français ?
Je me demande avec objectivité et beaucoup d'inquiétude pourquoi une telle mansuétude et pourquoi de telles difficultés pour faire appliquer le droit alors que, la plupart du temps, il s'agit de flagrants délits.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, la question du stationnement des gens du voyage revêt une acuité croissante avec le développement de l'urbanisation qui a supprimé nombre d'emplacements traditionnellement utilisés.
Vous avez évoqué beaucoup de questions.
S'agissant de l'obligation scolaire, dont le respect ne peut être contrôlé que par les établissements de l'éducation nationale, la question ne relève pas du ministère de l'intérieur.
Vous avez laissé entendre que les services de police et de gendarmerie feraient preuve de laxisme. J'aimerais vous rappeler que la loi s'applique à tous également et qu'un certain nombre d'opérations menées avec succès ont permis récemment le démantèlement tout à fait spectaculaire d'un certain nombre de réseaux, de trafics, de recels. Je ne peux donc pas accepter le procès d'intention, latent dans votre question, fait aux services de police et de gendarmerie, qui font leur travail à l'égard de tous les citoyens.
Mais, puisque vous établissiez un rapprochement avec un certain nombre de problèmes posés par les gens du voyage, je voudrais vous rappeler que l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, dite « loi Besson » - je parle sous le contrôle de M. le secrétaire d'Etat au logement - prévoyait l'élaboration de schémas départementaux et l'obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants de réaliser une aire de stationnement.
Or seul un tiers des départements dispose d'un schéma approuvé et un quart environ des communes concernées a réalisé des aires d'accueil. Il faut donc que chacun balaie aussi devant sa porte.
Cette situation n'est satisfaisante ni pour les gens du voyage, qui ne trouvent pas suffisamment d'aires adaptées à leurs besoins, ni pour les communes, qui restent confrontées au stationnement irrégulier.
Aussi le Gouvernement a-t-il voulu aller plus loin et soumettre au Parlement un nouveau projet de loi. Ce texte a été présenté au conseil des ministres du 12 mai dernier par M. le secrétaire d'Etat au logement. Je vais lui laisser le soin de vous répondre : il pourra en effet le faire mieux que moi, puisque ce texte relève de sa compétence.
Je tiens à vous assurer que, pour ma part, j'ai la volonté d'exercer la plus grande vigilance par rapport à toutes les entorses qui seraient faites à la loi, d'où qu'elles viennent, sans aucune discrimination : il y a des citoyens à part entière - vous avez commencé par le souligner au début de votre intervention - et, si ces citoyens ont les mêmes droits, ils ont aussi les mêmes devoirs. Les directives que je donne s'appliquent donc aux gens du voyage comme à n'importe quels autres citoyens sur le territoire de la République.
Un dispositif spécial va être mis en oeuvre. Il sera plus efficace - je l'espère - que celui de la loi de 1990. En tout cas, le Gouvernement va y veiller, le ministre de l'intérieur dans son domaine, comme le ministre de l'éducation nationale s'agissant de l'obligation scolaire que vous avez évoquée.
Je laisse maintenant la parole à M. le secrétaire d'Etat au logement, pour qu'il vous réponde plus précisément sur le chapitre des dispositions du projet de loi devant venir très bientôt devant le Parlement.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Je demande la parole.
M. le président. L'information du Sénat est importante sur un sujet qui est très sensible pour les collectivités locales.
La parole est donc à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Avec votre autorisation, monsieur le président, je vais apporter quelques compléments aux propos, auxquels je ne peux que souscrire, de M. le ministre de l'intérieur.
En fait, si j'ai rapporté ce projet de loi devant le conseil des ministres, c'est à la suite d'un arbitrage du Premier ministre, qui a estimé qu'il me revenait d'en coordonner la préparation. Ce texte, qui a impliqué le ministère de l'intérieur, celui de la justice et celui de l'emploi et de la solidarité, est donc le fruit d'un travail interministériel.
On compte aujourd'hui environ 300 000 gens du voyage dans notre pays. Un gros tiers d'entre eux est réellement itinérant ; un petit tiers s'est déjà sédentarisé ; d'autres se trouvent en situation de transition entre le nomadisme et la sédentarisation.
La diminution du nombre des espaces destinés à accueillir les gens du voyage n'a pas été sans conséquence dans les comportements. Les gens du voyage qui ont vu se raréfier les aires d'accueil ont pris l'habitude de se déplacer en groupe de plus en plus important, considérant que, dans ces conditions, ils créaient un rapport de force qui pouvait être à l'origine de situations comme celles que vous avez décrites.
La réponse ne peut que résider dans la multiplication des aires d'accueil pour répondre aux besoins, d'où l'importance d'une législation nouvelle qui, bien sûr, permettra les réalisations nécessaires dans un délai relativement bref.
La loi du 31 mai 1990 à laquelle a fait référence M. le ministre de l'intérieur comportait un article issu d'une initiative parlementaire lors de la navette. A l'époque, au nom du Gouvernement, je m'étais opposé à l'adoption de cet amendement, lequel a néanmoins été retenu par le Parlement. En effet, il présentait l'inconvénient de ne pas avoir fait l'objet d'une préparation concertée : il ne fixait ni obligation réelle ni calendrier. C'est donc cette étape qu'il nous faut aujourd'hui franchir avec des moyens nouveaux.
Bientôt, les collectivités territoriales ne seront plus seules pour faire face à leurs obligations, puisque l'Etat a décidé, dans le cadre de ce projet de loi, de doubler sa participation au coût de l'investissement en la portant de 35 % à 70 %. En outre, sera instituée, pour la première fois, une aide au fonctionnement des aires d'accueil des gens du voyage par une sorte d'allocation de logement temporaire, qui coûtera quelque 300 millions de francs par an à l'Etat, lequel se fixe comme objectif de couvrir la moitié des coûts. Il s'agit de mettre en place des aires gardiennées afin que l'ordre, que vous appelez de vos voeux, règne.
Je résume : l'Etat consentira un effort de 1,7 milliard de francs sur quatre ans pour les investissements et apportera 300 millions de francs par an pour le fonctionnement. En outre, nous proposerons de modifier les règles de calcul de la dotation globale de fonctionnement afin de tenir compte des gens du voyage, et ce en proportion des aires et des emplacements effectivement réalisés.
Si le Gouvermenent propose au Parlement de traiter le problème sous cet angle, c'est bien sûr parce qu'il a le souci d'aboutir à une vraie solution en quelques années, en mobilisant tout le monde. Il faut que cette action menée en commun se fasse bien, comme vous l'avez indiqué, avec, en perspective, comme le rappelait M. le ministre de l'intérieur, l'égalité des citoyens et des responsables des collectivités territoriales, en termes aussi bien de devoirs que de droits, qui devront donc, dans cette affaire, être respectés.
Telles sont les dispositions principales de ce texte, qui sera inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dès les premiers jours de juin, ce qui permettra ensuite au Sénat d'en être saisi afin de mener à son terme le plus rapidement possible ce travail, dont chacun est bien conscient qu'il est urgent.
M. Jean-Jacques Robert. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le secrétaire d'Etat, comme tous mes collègues, je suis sensible à votre intervention complétant celle de M. le ministre de l'intérieur.
Je n'ai pas oublié l'amendement en question, que j'ai d'ailleurs voté, considérant que nous nous engagions dans la bonne voie. Or, à ce jour, la France ne compte que 10 000 aires de stationnement, dont 5 000 sont condamnées à disparaître par défaut de surveillance.
Faire retomber inlassablement la responsabilité sur les malheureux maires ou sur les malheureux centres commerciaux dont les aires de stationnement sont squattées n'est certainement pas la bonne solution.
Effectivement, la participation de l'Etat que vous projetez est une heureuse initiative. Malheureusement, je crains que le crédit de 300 millions de francs alloué au fonctionnement ne soit trop modeste pour s'assurer que les terrains soient bien clôturés et bien entretenus. Je sais par expérience que, même en exerçant une surveillance, la tâche n'est pas aisée. Ainsi, je connais certains terrains qui ont été clôturés et pourtant abandonnés.
Il ne faudrait pas que cette future loi soit considérée par les responsables des gens du voyage, qui vivent en groupe, comme un aveu de faiblesse de notre part et un dû.
J'ai la conviction que le Gouvernement comme nous-mêmes devons faire preuve de fermeté afin que la loi soit respectée, ce qui, hélas ! n'est pas le cas aujourd'hui.
Je me permets d'insister sur ma proposition tendant à contrôler les revenus des gens du voyage tant la disproportion est grande entre les moyens de ces populations que je côtoie quotidiennement et l'aide que le Gouvernement propose maintenant d'apporter, en complément de celle que les communes octroient déjà.
Telles sont mes remarques, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat. Je vous remercie de vos réponses. Je sais que ceux qui, comme moi, vivent quotidiennement ce problème forment l'espoir que nous parviendrons à trouver une solution.

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