Séance du 18 mai 1999
LOI D'ORIENTATION AGRICOLE
Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi
d'orientation agricole (n° 311, 1998-1999), adopté avec modifications par
l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture.
Rapport n° 334, (1998-1999).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Souplet,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voté en première
lecture par l'Assemblée nationale en octobre 1998, le projet de loi
d'orientation agricole avait été substantiellement modifié par le Sénat au mois
de février dernier.
A l'issue de son adoption par la Haute Assemblée, et compte tenu de la
déclaration d'urgence du Gouvernement sur ce texte, procédure que votre
rapporteur consisère comme particulièrement mal venue s'agissant d'un débat de
cette importance, une commission mixte paritaire s'est réunie le 4 mars
1999.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont constaté leur désaccord dès l'examen de
l'article 1er
bis
du projet de loi. Lors de la nouvelle lecture de ce
texte, les 7 et 8 avril dernier, l'Assemblée nationale a souhaité, sur
plusieurs articles, en revenir à son texte de première lecture : il s'agit des
dispositions relatives aux contrats territoriaux d'exploitation, au contrôle
des structures et à l'enseignement agricole. Sur d'autres points importants,
comme la représentation des organisations agricoles dans diverses instances ou
les indications géographiques protégées, l'Assemblée nationale a élaboré un
nouveau dispositif.
Alors que le Sénat avait adopté conformes trente-deux articles en première
lecture, l'Assemblée nationale, lors de sa nouvelle lecture, a adopté conformes
cinquante articles. Restent ainsi en discussion un peu moins de la moitié des
articles du projet de loi, qui en compte désormais quelque cent cinquante.
Je vous proposerai, mes chers collègues, de revenir à la rédaction adoptée par
le Sénat en première lecture pour environ la moitié des articles qui restent en
discussion, l'autre moitié pouvant être adoptée sans modification. Les
dispositions que je vous suggérerai d'amender sont, en effet, fondamentales
pour répondre aux exigences économiques de notre agriculture.
J'évoquerai les dispositions principales.
Il s'agit des dispositions relatives au CTE, le contrat territorial
d'exploitation. Selon moi, la rédaction adoptée par le Sénat n'était en aucune
façon dogmatique et procédait uniquement à une clarification de cet
instrument.
Il s'agit des modalités de cumul et de plafonnement des aides. Compte tenu du
fait que, actuellement, toute aide nationale est plafonnée, je ne comprends pas
la logique qui conduit à vouloir opposer en permanence petits et gros
agriculteurs, productions animales et végétales : une telle démarche est par
trop réductrice et ne prend pas en compte la réalité de notre agriculture.
Il s'agit du contrôle des structures. J'estime que cet outil doit être au
service des agriculteurs, et non devenir un droit byzantin aboutissant à une
mécanique infernale que déjà bien peu de spécialistes sont en mesure de
comprendre. M. le ministre considère que le renforcement draconien de cet
instrument doit permettre de développer l'installation des jeunes : les
prochains mois nous apporteront la réponse. Point n'est besoin d'être devin, il
suffit d'être praticien pour mesurer l'inefficacité d'un système dénué de
mesures d'encouragement.
Il s'agit des mesures fiscales, qui n'existent pas et sans lesquelles on ne
peut pas véritablement parler de loi d'orientation agricole.
Il s'agit également de la plupart des mesures proposées en première lecture
par la commission des affaires sociales lorsqu'elles n'ont pas été retenues par
l'Assemblée nationale. Je pense notamment à la déduction des cotisations
sociales pour les jeunes agriculteurs.
Il s'agit encore du remplacement du commissaire du gouvernement par un conseil
de surveillance auprès de la mutualité sociale agricole, la MSA, et du maintien
du dispositif adopté par la Haute Assemblée en matière de biovigilance, qui est
une garantie de qualité, en particulier pour les consommateurs, lesquels sont
toujours plus exigeants.
Il s'agit, enfin, de la volonté de parvenir à un réel équilibre entre
l'enseignement agricole public et privé, dans le respect de la loi de 1984.
Les dernières négociations sur la politique agricole commune et l'évolution
récente des relations entre l'Europe et les Etats-Unis sur les principaux
dossiers agricoles ont montré de nouveau toute l'importance que nous devons
accorder à notre agriculture, qui ne doit pas être sacrifiée sur l'autel des
prochaines négociations internationales. Il faut que, une fois pour toutes,
l'Europe n'ait pas de complexe à défendre ses intérêts.
Le projet de loi d'orientation agricole se doit, dans un tel contexte,
d'offrir aux agriculteurs français les moyens de faire face à ce nouveau
défi.
Telle est l'ambition des amendements que je vais vous présenter et qui
reprennent sur certains points importants le texte qui a été adopté
précédemment par le Sénat.
En conclusion, permettez-moi, monsieur le ministre, de regretter de nouveau
que la majorité de la commission des affaires économiques et le Sénat n'aient
pas su vous convaincre que notre objectif principal était très proche du vôtre.
Nous regrettons aussi que les moyens que nous vous proposions n'aient pas été
retenus.
Nous sommes d'accord avec vous pour reconnaître la pluriactivité de
l'agriculteur et sa nécessaire adaptation au rôle qui doit être le sien
s'agissant de l'occupation du territoire, de son aménagement et d'une plus
grande valorisation de la production, en particulier par un meilleur partage de
la valeur ajoutée.
Nous sommes d'accord pour que l'agriculture française devienne compétitive
dans les grands secteurs de production, animale et végétale, et puisse ainsi
s'attaquer à armes égales aux grands marchés mondiaux.
Nous sommes tous d'accord pour garantir la sécurité alimentaire de tous les
Européens en produits de grande qualité et pour souhaiter que les normes
exigées par Bruxelles ou Paris soient appliquées avec la même rigueur aux
produits alimentaires importés qu'aux produits internes à la Communauté.
Nous sommes tous d'accord pour encourager les jeunes à s'installer sur des
entreprises agricoles viables.
Mais que nous propose-t-on dans ce projet de loi adopté par l'Assemblée
nationale ?
On nous propose des contraintes administratives accrues au travers des CDOA
dont on ne sait plus si les représentants des organisations agricoles y
siégeront à parité ; il semble en effet que ce ne soit plus le cas dans la
nouvelle composition.
On nous propose une politique des structures plus rigoureuses portant parfois
atteinte aux libertés en occultant les droits légitimes de ceux qui libèrent
des terres après plus de quarante ans de labeur en limitant, pour eux, le choix
de l'attribution de ces terres.
Par ailleurs, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
rejette toute mesure fiscale qui pourrait résoudre cette quadrature du cercle :
installation, cession, retraite.
Notre dernier espoir aujourd'hui, monsieur le ministre, vient de ce que les
accords de Berlin, acceptés par le gouvernement français, conduisent celui-ci à
corriger sa copie en acceptant bon nombre des sages et efficaces propositions
du Sénat. Vouloir une politique en se privant des moyens de la réaliser, c'est
leurrer ceux qui espèrent en leur métier et veulent en faire le fer de lance de
notre économie en même temps qu'un instrument de meilleure qualité de vie pour
tous les citoyens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants. - M. Pastor applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi d'orientation agricole revient de l'Assemblée nationale, pour examen en
nouvelle lecture, amputé des principaux apports faits par le Sénat en première
lecture. Ainsi en va-t-il de la navette entre les deux chambres du Parlement
lorsqu'elles sont de majorités opposées.
Après l'échec de la commission mixte paritaire, les textes de l'Assemblée
nationale et du Sénat demeurent en fait inconciliables sur les mesures
essentielles de ce projet de loi.
Au-delà de nos différences politiques, nous cherchons tous, sur ces travées,
sans avoir les mêmes analyses ni les mêmes solutions, à construire un bon
avenir pour notre agriculture et nos agriculteurs. Pour cette nouvelle lecture,
le dialogue démocratique continuera, j'espère, de se tenir dans une atmosphère
franche, mais respectueuse et ouverte.
L'Assemblée nationale a adopté l'article 40
bis
A que notre groupe
avait fait voter, sur proposition de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, afin
de faciliter l'accès à la certification des produits des petites entreprises,
en élargissant la simplification des procédures de contrôle auxquelles elles
doivent faire face et en en allégeant le coût.
Je me réjouis également que la proposition de notre collègue Serge Mathieu
visant à permettre aux viticulteurs de mieux se protéger contre les aléas
climatiques en souscrivant des assurances collectives ait été retenue à
l'article 34.
Je regrette cependant que nous n'ayons pas pu nous entendre sur la
préretraite-installation et sur l'urgence de l'assurance-récolte. Je maintiens
que ce sont là des thèmes majeurs pour notre agriculture sur lesquels il
conviendra d'avancer.
De même, les modifications apportées grâce à la détermination et à la
conviction de notre collègue Janine Bardou, au nom des élus de la montagne
n'ont pas reçu de la part de nos collègues députés l'onction qu'elles auraient
méritée.
S'agissant de la qualité, nous regrettons que l'Assemblée nationale n'ait pas
suivi le Sénat sur l'article 40
quater
concernant les AOC viticoles,
article qui avait été clarifié grâce à la proposition de notre collègue
Jean-François Humbert.
Certains articles ont cependant pu être adoptés dans les mêmes termes et
traduisent, à l'issue des navettes effectuées, des avancées notables en faveur
des agriculteurs et des agricultrices de notre pays. Sur le plan social, c'est
incontestable, et nous nous en réjouissons tous. Nous devrons cependant
continuer à formuler des propositions sur la revalorisation des retraites
agricoles.
Sur les autres titres, nos conceptions du rôle et de la place de l'agriculture
sont demeurées divergentes. C'est pourquoi le groupe des Républicains et
Indépendants s'apprête à adopter les amendements déposés par M. le rapporteur,
au nom de la commission des affaires économiques, concernant les mesures phares
du projet de loi.
Il en ira ainsi pour le contrat territorial d'exploitation qui doit, pour
nous, conserver un axe économique. Nous serons d'ailleurs particulièrement
attentifs au devenir du fonds de financement dans le prochain budget.
Le groupe des Républicains et Indépendants adoptera également les amendements
relatifs au contrôle des structures, au rétablissement de la
préretraite-installation et à la fiscalité des entreprises. Nous comptons bien
sur la détermination de la commission des affaires économiques pour formuler
dans les prochains mois d'autres propositions dans ce dernier domaine, en
concertation avec les organisations professionnelles. Nous espérons que le
Gouvernement y fera le meilleur accueil.
Enfin, le groupe des Républicains et Indépendants adoptera les amendements de
la commission relatifs à la biovigilance.
Le niveau de formation des jeunes agriculteurs permet de conforter nos
entreprises agricoles. Nous redisons notre attachement à garantir les réussites
obtenues par la loi de 1984 sur l'enseignement agricole, tout en défendant une
égalité de moyens entre les deux secteurs public et privé. Nous déplorons que
le Sénat ne puisse être entendu sur ce point.
Les modifications apportées par la Haute Assemblée à ce projet de loi peuvent
aider l'agriculture française à relever les grands défis du siècle prochain.
Dans la compétition mondiale à laquelle notre pays doit faire face et à
laquelle l'agriculture européenne doit s'adapter, nous ne renonçons ni aux
objectifs essentiels d'occupation et de valorisation du territoire ni à nos
préoccupations concernant la situation sociale des agriculteurs et des
agricultrices. Nous plaidons aussi en faveur de mesures fiscales d'incitation,
devenues plus indispensables depuis l'adoption de la réforme de la politique
agricole commune par le Conseil européen de Berlin.
En effet, même si elle est heureusement en deçà des projets initiaux, la
réforme de la politique agricole commune marque une nouvelle ère pour l'Europe
verte : des masses budgétaires moindres, des prix moins garantis, des aides
conditionnées, une part potentiellement accrue des financements nationaux. Je
suis pour ma part convaincu que l'avenir de nos agricultures passera par une
plus grande maîtrise des productions.
Je ne terminerai pas mon propos sans saluer l'excellent travail, la compétence
et les qualités d'écoute de M. le rapporteur Michel Souplet.
Mes chers collègues, puissions-nous donner l'espoir aux paysans d'une
agriculture remplissant sa fonction primaire : produire et donner l'envie à nos
enfants de perpétuer un métier passionnant qui concilie les valeurs de l'ancien
temps et les défis de la modernité.
Le groupe des Républicains et Indépendants adoptera, bien entendu, le projet
de loi tel qu'il résultera des travaux de la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que
viennent de le souligner tant notre excellent rapporteur, M. Souplet, que M.
Emorine, ce projet de loi d'orientation agricole, qui aurait dû faire date dans
l'histoire de notre agriculture, nous revient de l'Assemblée nationale avec nos
principales dispositions rayées d'un trait de plume... Je le regrette. Nous
avions pourtant apporté de sérieuses améliorations et avancées reconnues comme
positives par les organisations professionnelles, notamment en ce qui concerne
les CTE, le contrôle des structures ou la qualité des produits. Et nous avons
ouvert certains dossiers qui nous paraissaient indispensables, comme le statut
de l'entreprise agricole, la fiscalité ou la sécurité sanitaire des produits
alimentaires.
Je regrette aussi que l'on ait renvoyé à un rapport des problèmes aussi
importants que la fiscalité agricole ou la pluriactivité : il est en effet
crucial de trouver un équilibre entre la nécessité d'ouvrir de nouveaux espaces
à l'agriculture et le respect des équilibres avec le monde artisanal, qui est
l'un des acteurs fondamentaux du monde rural. Nous aurions dû, dans ce domaine,
avoir des propositions concrètes. Il est dommage de ne pas régler dès
maintenant ce problème de distorsions de concurrence entre ces deux secteurs
importants de notre économie.
Nous nous sommes tous inquiétés des modalités de mise en place des CTE.
Nous avions déjà évoqué le flou de cette disposition et de son financement en
première lecture. Notre assemblée vous avait proposé des améliorations
importantes pour le rendre plus précis et plus opérationnel, notamment en lui
donnant une certaine cohérence économique et en privilégiant la responsabilité
de l'agriculteur pour élaborer son projet d'exploitation. Vous n'en avez pas
vraiment tenu compte. Quels effets pervers découvrirons-nous dans l'avenir ?
En effet, si cette conception de l'agriculture que vous nous imposez, une
agriculture administrée et centralisée, devait échouer, ce serait désastreux
pour ce secteur économique dans lequel notre pays a une place prépondérante en
Europe et dans le monde. A l'aube du xxie siècle, les défis sont nombreux :
pour le deuxième exportateur de produits agricoles que nous sommes, une bonne
adaptation à une mondialisation accrue est particulièrement nécessaire.
Un aspect de ces CTE m'inquiète particulièrement : le financement des mesures
ne me paraît pas équitablement réparti entre les volets économique et
socio-environnemental de chaque contrat. En effet, il semble, à ce que l'on dit
dans le Calvados, que l'aide financière se répartirait à hauteur de 25 000
francs sur toute la durée du contrat pour les mesures économiques et à 22 500
francs par an pour les mesures socio-environnementales. Que se passera-t-il
pour ceux qui auront bénéficié d'un contrat ? Cette priorité donnée à l'aspect
environnemental ne va pas, à mon sens, concourir au succès du dispositif. Je
pense que l'équilibre devrait être respecté entre les différentes orientations
du CTE. Comment ces contrats seront-ils choisis et quelles seront les aides aux
exploitations qui respectent déjà ces prescriptions au prix d'un effort très
personnel mais conséquent ?
Le renforcement du contrôle des structures par l'Assemblée nationale me paraît
difficilement conciliable avec les conséquences de la réforme de la PAC. Alors
qu'à l'avenir les aides communautaires ne compenseraient que partiellement la
baisse des prix, on imagine aisément les conséquences probables de cette
réforme : une course à l'agrandissement des exploitations pour préserver leur
situation économique. Or, le contrôle des structures renforcé va rendre plus
difficile l'augmentation de la surface des entreprises. Et si la taille des
exploitations se fige, de nombreux agriculteurs seront en difficulté dans les
années à venir. Les orientations que vous nous proposez me semblent donc
difficilememt compatibles avec la réforme de la PAC.
Quant aux dispositions que nous avions prises au Sénat sur la transmission des
exploitations familiales - prise en compte des liens de parenté entre associés,
transmissions d'exploitation par voie successorale exclues du contrôle - vous
les avez rejetées. Je souhaite vivement que le Sénat les rétablisse et suive en
ce sens les propositions de M. le rapporteur, car la transmission des
entreprises dans le cadre familial me paraît très importante et doit, à mes
yeux, être facilitée.
J'évoquerai aussi un amendement adopté par les députés soumettant à
autorisation préalable toute création ou extension d'atelier porcin hors sol
sur caillebotis, quelle que soit sa capacité. Cette disposition bien sévère me
paraît aller à l'encontre des principes de ce texte en faveur de la
diversification des activités et de l'installation des jeunes.
J'en viens au volet « qualité », sujet qui m'est cher. Le Sénat a fait un très
bon travail en première lecture. Il n'a pas souhaité un mélange des genres
entre les différents signes de qualité afin que les consommateurs s'y
reconnaissent.
A ce titre, je me félicite que l'Assemblée nationale ait renoncé à faire de
l'indication géographique protégée, l'IGP, un cinquième signe de qualité, comme
l'avait souhaité M. le rapporteur dès la première lecture. Je souhaite en outre
que le dispositif voté par le Sénat soit maintenu : il permet à l'INAO de
proposer une reconnaissance des produits susceptibles de bénéficier d'une IGP,
proposition faite sur la base du cahier des charges du label ou de la
certification de conformité dont bénéficie le produit, et après avis de la
Commission nationale des labels et des certifications des produits agricoles et
alimentaires. Renforcer le rôle de l'INAO sur l'ensemble des certifications
d'origine me paraît répondre aux attentes des consommateurs pour lesquels une
attestation d'origine est nécessairement la marque d'un produit de qualité.
Je n'insisterai pas plus sur l'importance de la qualité pour nos concitoyens,
plus que jamais sensibles, en cette fin de siècle où nous connaissons une
alimentation de plus en plus standardisée, aux produits naturels et de terroir.
C'est évidemment une garantie importante de débouchés pour nos agriculteurs.
Les mots ont un sens dans ces domaines. Le nom des appellations contrôlées
doit être défendu ; les homonymies ou les à-peu-près engendrent la confusion,
pas toujours involontairement peut-on craindre ; ces mots ont aussi un sens
dans l'information qui est faite à leur propos.
L'ampleur démesurée qui a été donnée récemment par les médias aux problèmes de
listeria ne peut que jeter le trouble dans l'esprit du consommateur. Depuis
cette affaire, les ventes des autres camemberts au lait cru ont chuté, elles
aussi. Il est dangereux de jeter la suspicion sur toute une filière, car vous
savez comme moi, monsieur le ministre, que le risque bactériologique zéro
n'existe pas. Et les fromageries, notamment en Normandie, obéissent à des
règles de contrôle et d'hygiène très strictes : les contaminations,
lorsqu'elles se produisent, sont sporadiques et, de toute façon, très
faibles.
Je pense qu'il serait nécessaire d'assouplir les règles actuelles et
d'admettre que la présence de germes pathogènes est inéluctable ; sinon, nous
allons vers une condamnation à plus ou moins court terme des AOC au lait cru.
De plus, il serait préférable, dans une situation de crise, que la réaction des
pouvoirs publics ne se traduise pas par des mesures radicales à l'égard des
entreprises. J'aurai l'occasion de vous proposer à ce sujet un amendement
visant à une démarche plus concertée.
J'ajouterai que les AOC sont un concept français très suivi par nos
partenaires européens. La défense de la spécificité des terroirs, de la saveur
des produits et la culture gastronomique rencontrent de nombreux échos chez nos
partenaires, tels l'Italie, le Portugal, l'Espagne, la Grèce ou la
Grande-Bretagne.
Notre pays sert ainsi de référence dans ce domaine de la qualité. Il faut le
garder à l'esprit et maintenir nos exigences à cet égard. Lors d'une table
ronde, à Cambremer, sur les AOC de Normandie, nous avons pu mesurer
l'engagement de nos partenaires européens sur cette idée française qui sert si
bien l'aménagement du territoire.
Pour conclure, je dirai deux mots de l'article 65, en soulignant le regret que
j'ai eu de voir l'Assemblée nationale supprimer la disposition votée par le
Sénat et relative à la situation fiscale et sociale des entraîneurs publics de
chevaux de course.
J'apprécie tout particulièrement que notre collègue rapporteur ait réintroduit
cette mesure dans le rapport sur l'adaptation de la fiscalité agricole et jose
vous rappeler, monsieur le ministre, que les entraîneurs attendent
véritablement un signe dans leur direction. Ils sont actuellement, vous le
savez, dans une situation très difficile.
Notre agriculture doit impérativement s'adapter pour faire face aux défis du
siècle prochain ; les propositions de la commission et tout le travail qui a
été fait ici l'y préparent. Je souhaite vivement que ces propositions soient
retenues afin que nous ayons la grande loi d'orientation que notre agriculture
mérite.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle
réforme de la politique agricole commune, décidée à Berlin le 26 mars dernier,
a rendu caduque la politique agricole du Gouvernement et de sa majorité
plurielle.
L'alerte lancée par l'ensemble de la majorité sénatoriale lors de l'examen de
ce projet de loi en première lecture n'a malheureusement pas trouvé d'écho
auprès de vous, monsieur le ministre.
Les décisions prises à Berlin doivent maintenant s'appliquer, et la
responsabilité du Gouvernement est grande pour accompagner et provoquer la
nécessaire adaptation du monde agricole français.
Alors que, hier, la réforme de 1992 avait stabilisé le revenu, mais accéléré
la diminution du nombre des exploitations agricoles, aujourd'hui, les
adaptations à la réforme de 1999 seront moins faciles et plus aléatoires, dans
un environnement international et communautaire grevé d'incertitudes. Je pense,
en particulier, aux discussions futures sur l'Organisation mondiale du
commerce.
Il sera beaucoup plus difficile, en effet, de doter notre agriculture, en
perpétuelle mutation, des instruments nécessaires pour lui permettre de
répondre pleinement aux attentes de notre société.
Les incertitudes, monsieur le ministre, sont liées, tout d'abord, au contexte
de la mondialisation, qui résulte d'un accroissement considérable des échanges,
de l'internationalisation des investissements, de la multiplication des réseaux
de communication et de la rapidité de l'innovation technologique.
Elles tiennent, ensuite, alors que la politique agricole commune a hissé, en
près de quatre ans, l'Union européenne au premier rang mondial des marchés
alimentaires, aux évolutions qui sont apparues dans les années quatre-vingt.
Pour nos agriculteurs, la mondialisation, caractérisée par la libéralisation
et la régionalisation des échanges commerciaux, ne doit pas aller à l'encontre
d'une politique d'exportation dynamique, construite sur des bases définitives
et solides.
Notre agriculture doit, au contraire, tirer parti de cet environnement
international incertain en revalorisant ses atouts, tels que la diversité et la
qualité de ses produits, ses compétences techniques, l'avancée de sa recherche,
sa position de premier exportateur alimentaire mondial.
Surtout, n'oublions pas que ce sont des hommes et des femmes qui travaillent
toute leur vie pour assurer la pérennité et le développement de cette
agriculture.
L'agriculture du troisième millénaire sera donc bien la résultante de grands
choix stratégiques qui doivent être définis dès maintenant.
A cet égard, la nouvelle réforme de la politique agricole commune aurait dû,
notamment, adapter le système des aides, ces dernières devant néanmoins
conserver leur nature économique en raison des variations du marché mondial et
du dollar, de l'existence d'aides outre-Atlantique à travers le
Fair Act
américain, ainsi que de niveaux de vie et de coûts de production très
différents dans le monde.
Les aides auraient dû prendre en compte les fluctuations des prix du marché,
devenant alors variables, du potentiel agronomique local des exploitations, du
nombre d'actifs sur l'exploitation et, enfin, des zones sensibles du
territoire, et ce sans que cette adaptation aille à l'encontre du dynamisme de
nos exploitations et se traduise par une perte de compétitivité de notre outil
de production agricole.
Or, l'accord de Berlin, loin de répondre à ces adaptations, esquisse déjà une
gestion des aides désobéissant aux règles communes, en risquant d'aboutir très
rapidement à de nouvelles distorsions de concurrence entre les producteurs des
différents Etats membres.
N'est-il pas paradoxal, monsieur le ministre, qu'au moment où la réalisation
de l'euro établit enfin, sur le plan monétaire, la loyauté de la concurrence
entre les Etats membres, la concurrence se trouve de nouveau faussée par la
fiscalité, les charges différentes et une gestion différenciée des aides ?
Devant cet enjeu, votre réponse, monsieur le ministre, aurait dû être ferme et
cohérente. Or, votre loi d'orientation a eu l'effet contraire. En s'engageant
dans un système de modulation des aides et en brouillant la frontière entre le
financement communautaire et le financement national, votre texte ouvre la
porte aux évolutions qu'il aurait dû, au contraire, contrecarrer.
Alors qu'à Berlin, conformément à la volonté du Président de la République et
à celle de la majorité sénatoriale, vous vous êtes opposé, monsieur le
ministre, aux tendances à la renationalisation de la politique agricole
commune, vous vous êtes lancé, à l'échelon national, dans une démarche
contraire.
Votre contrat territorial d'exploitation a en effet affaibli votre position,
lors de ces négociations européennes vitales. Vous vous êtes affaibli
vous-même, dans cette négociation capitale.
En outre, Berlin a fait tomber le couperet de son financement : il n'y aura
pas de financement européen pour le contrat territorial d'exploitation
français. Ce constat est d'autant plus grave qu'un contrat territorial
d'exploitation coûtera, on le sait, entre 30 000 et 40 000 francs par an.
J'ai bien noté que, pour le quatrième trimestre de cette année, vous avez fait
voter, monsieur le ministre, 300 millions de francs de crédits dans le projet
de loi de finances pour 1999. J'en conclus qu'on pourra signer une dizaine de
milliers de contrats. Pour l'ensemble de l'année 1999, entre 400 millions et
500 millions de francs seront nécessaires.
Si l'on continue à ce rythme, l'année prochaine, en ajoutant les contrats de
cette année à ceux de la deuxième année, il faudra 2 milliards de francs, puis
encore tant ou tant l'année suivante, et ainsi de suite.
Le plus grave, c'est qu'avec ces deux milliards de francs vous ne pouvez
conclure que 50 000 contrats territoriaux d'exploitation, sur la base, je le
répète, de 40 000 francs par exploitation.
Pis encore, nous constatons que ces contrats seront financés par le principe
des vases communicants. Vous prendrez d'un côté pour donner de l'autre et
in
fine
il n'y aura rien de plus pour l'agriculteur. Le Gouvernement a déjà
procédé, dans la dernière loi de finances, à des redéploiements de crédits
nationaux, c'est-à-dire qu'il a prélevé de l'argent sur certaines politiques
pour l'affecter à ces contrats.
A ce titre, le Gouvernement ne nous a toujours pas indiqué clairement les
actions qui seront amputées au bénéfice des contrats territoriaux
d'exploitation et il n'a pas mesuré toutes les conséquences de cette
politique.
Ainsi, si l'on réduit le budget des offices, les agriculteurs savent-ils qu'on
affaiblit les capacités de soutien à l'organisation des filières et la
compétitivité des entreprises, ou encore les capacités d'intervention en cas de
crise ?
De plus, ces mêmes agriculteurs savent-ils qu'en prenant des crédits sur la
politique d'installation des jeunes agriculteurs on porte atteinte à celle-ci
au moment où elle donne des premiers résultats encourageants ?
En réalité, le Gouvernement compte sur les futurs contrats de plan Etat-région
pour financer ces contrats. Non seulement cette ponction s'effectuera au
détriment des actions mises en oeuvre par les collectivités territoriales et
locales en faveur de nos agriculteurs, mais elle creusera également, ce qui est
très grave, l'écart entre les régions régions riches et les régions pauvres, et
ce au détriment de notre agriculture. Ce sera donc une agriculture à deux
vitesses : riche et prospère, d'un côté, pauvre et délaissée, de l'autre.
Toujours pis, la majorité plurielle, lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée
nationale, a mis en cause, conformément d'ailleurs à sa position lors de la
réunion de la commission mixte paritaire, l'essentiel des avancées obtenues
lors de l'examen de ce projet de loi devant la Haute Assemblée, et sur
lesquelles la quasi-unanimité des organisations professionnelles agricoles
avaient émis un avis très favorable.
Je pense notamment ici aux dispositifs favorisant la baisse des charges
sociales et fiscales des exploitations. La possibilité donnée à l'ancien
propriétaire ayant décidé de maintenir son capital au sein de la société de
déduire de son revenu imposable les intérêts versés par le jeune agriculteur
auquel il a transmis son exploitation, l'instauration, à compter du 1er janvier
2000, d'une aide fiscale destinée à favoriser la performance économique de
l'agriculture, l'incitation à la transformation d'exploitations agricoles
individuelles en entreprises sous forme sociétaire, qui facilitent leur
financement, leur transmission et l'organisation du travail, l'instauration
d'une taxe progressive des plus-values réalisées lors de la vente
d'exploitations agricoles afin d'encourager leur transmission à des jeunes
agriculteurs sont autant de dispositifs devenus impératifs au regard de cette
nouvelle réforme de la politique agricole commune.
Votre texte, loin d'être une loi d'orientation, gomme d'un trait tout le
dynamisme et l'innovation qui ont toujours caractérisé le modèle agricole.
De plus, je note le plus grand mépris pour le Parlement, monsieur le ministre,
car j'apprends que, sans attendre le vote de la loi d'orientation par le
Parlement, le conseil supérieur d'orientation agricole doit se saisir le 20
mai, c'est-à-dire dans quarante-huit heures, du projet de texte sur le CTE.
La moindre des courtoisies aurait été de nous permettre de voter la loi avant
que le conseil d'orientation agricole ne se saisisse de ce problème, d'autant
que nous sommes à la veille des élections européennes et dans la perspective du
lancement des négociations sur l'Organisation mondiale du commerce aux
Etats-Unis, à la fin de 1999, et des négociations d'élargissement aux pays
d'Europe centrale et orientale.
Pour conclure, monsieur le ministre, j'attire de nouveau votre attention sur
la nécessité de tenir compte des décisions prises à Berlin sur la réforme de la
PAC, qui aligne progressivement le marché intérieur sur le marché mondial par
la baisse des prix et le démantèlement programmé des mécanismes de gestion du
marché.
Je veux donc, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, prendre
date avec vous, monsieur le ministre, en espérant qu'il sera toujours temps de
proposer au monde agricole une véritable loi d'orientation digne de ce nom.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi d'orientation agricole comportait à l'origine un volet social modeste,
constitué de douze articles. Le texte qui nous revient aujourd'hui de
l'Assemblée nationale en nouvelle lecture comprend dix articles « sociaux ». Il
ne s'agit pas tout à fait des mêmes dispositions, car, malgré une navette
parlementaire réduite par l'urgence, l'Assemblée nationale et le Sénat ont
d'ores et déjà adopté dans les mêmes termes, sur ce volet spécifique,
vingt-quatre articles conformes.
En première lecture, je m'étais étonné, au nom de la commission des affaires
sociales, de la modestie dont avait fait preuve le Gouvernement. Une loi
d'orientation agricole aurait dû comprendre un volet social nourri et utile.
Les mutations sociales sont en effet loin d'être les moins importantes des
révolutions qu'a connues l'agriculture : l'agriculteur est devenu un
entrepreneur ; le régime de sécurité sociale agricole a préservé son autonomie,
mais l'agriculteur, on le sait, est fragilisé ; l'emploi agricole a
considérablement diminué et changé de nature.
L'enrichissement du texte par la discussion parlementaire est visible aux
travers de dispositions certes techniques mais très utiles. Je me contenterai
de citer l'extension de l'exonération de charges sociales pour les associations
d'aide à domicile intervenant en milieu rural ou des articles permettant aux
caisses de mutualité sociale agricole de mieux fonctionner.
Nous avons su contourner l'absence d'inscription à l'ordre du jour
parlementaire d'un projet de loi portant diverses mesures d'ordre social,
absence imputable au Gouvernement, et qui pénalise depuis trois ans les autres
régimes de sécurité sociale.
En ce qui concerne le développement de l'emploi salarié en agriculture, le
désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat est désormais beaucoup moins
marqué. Ainsi, l'Assemblée nationale a retenu, en nouvelle lecture, la
proposition du Sénat d'étendre la portée du titre emploi simplifié agricole, le
TESA.
Les autres mesures relatives à l'emploi salarié - je pense notamment aux
mesures visant à encadrer les déplacements des salariés agricoles des
groupements d'employeurs ou à créer des observatoires de l'emploi salarié en
agriculture - restent empreintes d'une logique quelque peu bureaucratique,
susceptible de devenir un frein à l'emploi.
Mais l'Assemblée nationale a pris en compte les critiques formulées par le
Sénat pour adopter une nouvelle rédaction de ces articles.
Cependant, deux désaccords de fond demeurent.
Le premier désaccord, monsieur le ministre, est lié à la conception même d'une
loi d'orientation agricole. Cette loi n'est pas seulement, n'aurait pas dû être
seulement, une loi portant diverses mesures d'ordre social dans le domaine
agricole. Une loi d'orientation se doit d'approuver de grands principes.
En ce qui concerne les retraites agricoles, le Sénat souhaitait qu'un objectif
soit clairement fixé. Je ne sous-estime ni ne mésestime les efforts réalisés
pour revaloriser les retraites agricoles par tous les gouvernements qui se sont
succédé depuis 1994. Mais répéter le procédé utilisé en 1997 et en 1998,
consistant à proposer une revalorisation
via
un amendement de dernière
minute au projet de loi de finances, ne m'apparaîtrait pas souhaitable :
d'abord, ce procédé n'est pas respectueux du Parlement ; ensuite, il ne
m'apparaît pas du tout digne du respect que nous devons aux retraités de
l'agriculture. S'il existe un plan pluriannel de revalorisation s'étendant sur
la législature, pourquoi ne pas le faire approuver solennellement par le
Parlement ?
J'avais proposé, au nom de la commission des affaires sociales, un amendement
en ce sens : « La nation se fixe comme objectif de porter, d'ici à quatre ans,
les pensions de retraite versées par le régime agricole à un montant au moins
égal au minimum vieillesse, sous réserve d'une carrière complète en
agriculture. » Cet amendement était réaliste. Certains membres de la Haute
Assemblée ont pu même me reprocher son caractère timide. Il m'apparaissait en
tout cas important que la représentation nationale adopte clairement cet
objectif pluriannuel, plutôt que de l'approuver, de manière implicite mais
fragmentaire, à l'occasion de chaque loi de finances.
En opposant à cet amendement l'article 40, je crois, monsieur le ministre, que
le Gouvernement n'a pas contribué à la transparence et à la clarté de l'action
publique. Je le regrette profondément ; cette loi d'orientation agricole était
le support législatif adéquat.
Le second désaccord de fond concerne le fonctionnement des caisses de
mutualité sociale agricole. J'ai l'impression, sur ce sujet, que beaucoup, à
l'image bien connue des généraux de l'armée française, sont « en retard d'une
guerre ». Certes, l'inertie administrative plaidait, à la suite des dérapages
constatés en 1997 par la Cour des comptes, pour la mise en place d'un
commissaire du Gouvernement auprès de l'assemblée générale et du conseil
d'administration de la caisse centrale de mutualité sociale agricole. Je crois
cependant avoir consacré du temps, en première lecture, pour vous expliquer que
ce système ne m'apparaissait ni juridiquement ni techniquement nécessaire. Un
grand nombre de procédures ont été définies pour éviter que se reproduisent les
égarements du passé. Une convention d'objectifs et de gestion a été signée
entre l'Etat et la MSA. Un commissaire du Gouvernement auprès de la caisse
centrale est, ainsi, au mieux inutile.
En première lecture, je vous avais mis en garde contre les effets
psychologiques désastreux de cette mesure. Les responsables actuels du deuxième
régime de protection sociale de France ont, en effet, engagé un effort de
redressement qui méritait mieux, pour tout remerciement, qu'une disposition
bureaucratique. Nous avons ainsi appris, le 24 mars dernier, la mise en examen
de la présidente de la caisse centrale, Mme Jeannette Gros, en tant que
présidente de la caisse de mutualité sociale agricole du Doubs. C'est un fait
objectif : la contestation du régime de protection sociale agricole joue
habilement des mêmes arguments que ceux qui sont utilisés pour imposer un
commissaire du Gouvernement.
Le Sénat avait eu une position tout à fait équilibrée, en supprimant la
présence d'un commissaire du Gouvernement, mais en instituant un conseil de
surveillance, à la suite d'une initiative de notre collègue Xavier Darcos. Ces
conseils de surveillance fonctionnent, en effet, dans les branches du régime
général, et contribuent à une plus grande transparence de ces organismes, qu'il
s'agisse de la Caisse nationale d'assurance maladie, de la Caisse nationale
d'assurance vieillesse, de la Caisse nationale des allocations familiales ou de
l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
Deux visions de l'Etat sont en cause : d'un côté, un Etat qui contrôle,
via
les commissaires du Gouvernement, les régimes de sécurité sociale ; de
l'autre, un Etat qui, par le biais des conventions d'objectifs et de gestion,
essaie de bâtir une tutelle non pas tatillonne, mais « stratégique ».
Je regrette que le système, pourtant mesuré, adopté par le Sénat en première
lecture n'ait pas été retenu par l'Assemblée nationale.
Pour conclure, je ferai remarquer que la discussion par le Parlement, sur une
période de neuf mois, d'un texte - par ailleurs frappé d'urgence ! - a pour
avantage, ou pour inconvénient, l'apparition de nouvelles problématiques.
Ainsi, le projet de loi portant création de la couverture maladie universelle,
tel qu'il est actuellement défini, risque de fragiliser l'existence même du
régime de protection sociale agricole.
A défaut de vous convaincre sur nos points de désaccord, j'aimerais connaître
votre sentiment, monsieur le ministre, sur cette dernière question.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE)
M. le président.
La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten.
Monsieur le ministre, le 28 avril dernier, vous célébriez, au palais de
l'Unesco, le cent cinquantième anniversaire de l'enseignement agricole, par
référence au décret du 3 octobre 1848 sur l'enseignement professionnel
agricole. Je partage avec vous la fierté que nous inspire cette
commémoration.
A cette occasion, je vous ai écouté très attentivement et avec beaucoup
d'intérêt ébaucher les grandes lignes d'un projet pour l'enseignement agricole
de demain. C'est avec plaisir que je vous ai entendu affirmer que « ce
projet... repose nécessairement sur le socle législatif de 1984 », dont vous
souhaitiez que « les équilibres qui en découlent soient maintenus ». Sur ce
point, je ne pouvais que rejoindre votre appréciation, et je me suis pris à
rêver à ce que pourrait être la célébration du centenaire des lois des 9
juillet et 31 décembre 1984...
Ces lois de 1984, adoptées de manière consensuelle, ont doté l'enseignement
agricole de structures qui en ont permis la modernisation et ont largement
contribué au succès qui est désormais le sien. La pérennité de ce dispositif
législatif en a souligné l'excellence.
L'un des principaux acquis de ce « socle », dont vous faisiez l'éloge voilà
quelques jours encore, est la parité entre l'enseignement public et
l'enseignement privé sous contrat.
L'adoption d'une nouvelle loi d'orientation agricole, dont les dispositions
concernant l'enseignement agricole sont au demeurant modestes, ne doit pas être
l'occasion de revenir sur cet équilibre essentiel qui a permis le développement
harmonieux de ses différentes composantes. Permettez-moi de m'attarder quelques
instants sur cette question, qui constitue l'un des points de divergence
subsistant entre les deux assemblées à propos du titre V du projet de loi.
Lors de l'examen en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale de l'article 59
du projet de loi, il a été, je crois, fait une mauvaise interprétation de la
volonté du Sénat. Je rappelle que cet article a pour seul objet de tirer les
conséquences pour l'enseignement technique privé des modifications apportées
par le projet de loi aux articles précisant les missions de l'enseignement
public.
En étendant le champ des formations dispensées dans l'enseignement agricole
privé sous contrat jusqu'au premier cycle de l'enseignement supérieur inclus,
nous n'avions pas l'intention de remettre en cause l'esprit des lois de 1984,
bien au contraire : nous en avons modifié la lettre pour en conserver
l'inspiration.
La loi du 31 décembre 1984 a assigné aux établissements d'enseignement
agricole privés contractant avec l'Etat les mêmes missions que celles qui sont
reconnues par la loi du 9 juillet 1984 aux établissements publics.
La rédaction des articles concernant les premiers a donc été étroitement
calquée sur ceux qui régissent les seconds.
La rédaction que proposait l'article 52 du projet de loi initial pour
l'article L. 811-2 du code rural relatif aux établissements publics précisait
que l'enseignement public usuellement qualifié de « technique » s'étendait « de
la classe de quatrième du collège au premier cycle de l'enseignement supérieur
inclus ».
Je n'ai donc fait que tirer les conséquences de cette nouvelle définition du
champ de l'enseignement technique pour les établissements privés sous contrat.
Je rappelle, en effet, que l'article L. 813-2 du code rural, que l'article 59
vise à modifier, concerne exclusivement l'enseignement technique. En effet, les
établissements privés sous contrat dispensant des formations supérieures, à
savoir les écoles d'ingénieurs, sont régis par un dispositif spécifique défini
à l'article L. 813-10 du code rural.
Au demeurant, le Gouvernement l'avait bien compris à l'Assemblée nationale,
lors de la première lecture, le 12 octobre 1998. Se prononçant sur une
proposition identique à la nôtre, M. le ministre indiquait qu'il s'agissait d'«
aligner strictement les formations dispensées par l'enseignement technique
agricole privé sur celles de l'enseignement agricole public », et il se disait
prêt à examiner cette question.
Vous conviendrez avec moi que nous sommes très loin d'une quelconque volonté
de ranimer la guerre scolaire ! Vous le savez bien, monsieur le ministre, et je
me permets de penser que vos arguments reposent sur une interprétation erronée
des lois de 1984. Ma proposition se contentait de tirer les conséquences, dans
le respect des équilibres définis en 1984, de l'évolution des formations
dispensées dans l'enseignement agricole, évolution qui en atteste le succès.
Au risque de lasser, je répéterai en effet que le champ des formations de
l'enseignement privé sous contrat a été défini par la loi du 31 décembre 1984
au regard du champ des formations dispensées dans l'enseignement public. Il me
semble nécessaire que l'égalité voulue alors soit, au fil des ans,
préservée.
A l'exception de ce point très important, les autres dispositions du projet de
loi ne posent guère de problèmes.
Un bon nombre des améliorations apportées au texte du Gouvernement, adoptées
par le Sénat sur proposition de la commission des affaires culturelles, ont été
retenues par l'Assemblée nationale. Je m'en réjouis. Pour les dispositions où
des divergences très minimes, je tiens à le souligner, demeurent, le rapporteur
de la commission des affaires économiques, notre excellent collègue M. Michel
Souplet, vous présentera des amendements visant à reprendre la rédaction du
Sénat.
J'espère donc, monsieur le ministre, que la nouvelle explication que je viens
de donner en précisant l'objet d'un amendement accepté, je le répète, à
l'unanimité par la commission des affaires culturelles du Sénat sur l'article
59 du projet de loi, vous aura convaincu. Alors, je vous demanderai de
l'accepter et de le défendre ensuite à l'Assemblée nationale. Je vous fais donc
confiance et, par avance, je vous en remercie.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Monsieur le ministre, si je ne craignais un rappel au règlement et à l'article
41 de la Constitution, je voudrais, avant d'intervenir sur le projet de loi
d'orientation agricole, vous poser deux questions.
Qu'en est-il de la crise porcine et de ses perspectives ? Beaucoup de gens
attendent des réponses et sont inquiets. Qu'en est-il de la position de la
France au sein de l'OMC, s'agissant de cette histoire que nous appelons
familièrement le « boeuf aux hormones » ?
Si vous pouviez me répondre, cela m'éviterait de vous poser des questions
d'actualité et nous gagnerions une semaine sur les réponses.
(Sourires.)
Cela étant dit, monsieur le ministre, revenant sur le débat qui nous
intéresse, je voudrais d'abord vous remercier du climat qui a présidé à nos
débats en première lecture. Vous n'y étiez pas étranger, mais nous non plus,
bien sûr !
Je voudrais également me féliciter de la manière dont nous avons pu débattre.
Nous avons tous pu, à cette occasion, exprimer, chacun selon nos convictions,
comment nous concevions l'avenir de l'agriculture française, compétitive dans
l'Europe, respectueuse de l'environnement et apportant une contribution
essentielle à l'aménagement des territoires, aujourd'hui et demain.
Le texte que nous avons discuté pendant plusieurs dizaines d'heures était bon,
au sens où nous l'entendons, par rapport aux objectifs que je viens d'évoquer.
Il a été examiné par le Sénat, je n'y reviens pas. La commission mixte
paritaire a eu lieu, je n'y reviens pas non plus. Je regrette personnellement
le résultat qui a été acquis puisque, finalement, quand on y regarde de plus
près, entre gens de bonne volonté, on s'aperçoit que peu de choses séparaient
les positions divergentes.
Tout le monde vise les mêmes objectifs, et nos divergences de conceptions sur
l'agriculture portent sur des nuances.
En fait, nous divergeons surtout sur les moyens pour atteindre nos objectifs.
Les uns mettent davantage l'accent sur l'entreprise, l'efficacité économique et
la production. Les autres placent en priorité les missions nouvelles que l'on
veut confier à l'agriculture, sans que la préoccupation concurrentielle soit
toujours dominante.
Pourtant, la commission mixte paritaire a échoué.
Nous examinons donc aujourd'hui un texte qui nous revient de l'Assemblée
nationale. Celle-ci a adopté conformes une grande partie des articles votés par
le Sénat. Il n'empêche que le texte souffre encore des carences que j'évoquais
au début de notre discussion en première lecture quant à ce que nous croyons
être nécessaire pour l'agriculture. Il ne tient en effet pas assez compte des
orientations économiques, de l'esprit d'entreprise et de la fiscalité, qu'il
faut adapter.
Ce texte va exister malgré ces carences. Puisqu'il ne correspond pas
totalement aux besoins que nous aurons demain, il nous faudra reprendre ce
travail.
Je veux maintenant insister sur un autre point et attirer votre attention,
monsieur le ministre, sur le fait que, lors de la discussion des articles, nous
avons, les uns et les autres, argumenté sur la nécessité urgente de mettre à
plat les conditions de vie et de travail dans le milieu rural, et donc les
règles fiscales, économiques et sociales. Il serait, à cette fin, important que
nous disposions du rapport que vous avez évoqué, et que préconise l'article 65,
avant l'automne.
Un ministre a des pouvoirs ! Faites-en usage, et que les conclusions de ce
rapport soient rendues dès le mois de septembre ! Vous savez en effet comme moi
que, quand les « bleus » du ministère de l'économie et des finances sont
tombés, on ne peut plus changer grand-chose. Si nous ne disposons pas des
conclusions de ce rapport assez tôt, nous aurons donc perdu un an.
Monsieur le ministre, il faudra également reprendre ce texte parce que, depuis
la discussion en première lecture au Sénat, un élément nouveau fondamental
s'est produit : l'accord de Berlin.
Même si ce n'est ni le lieu ni le moment de le faire, je souhaite vous
féliciter, monsieur le ministre, vous et l'ensemble des négociateurs français.
En effet, sans méconnaître la très forte sensibilité politique du Président de
la République par rapport à l'agriculture, je tiens à souligner que vous avez
joué votre rôle. Grâce à vous, la France a été bien défendue.
Sans aller jusqu'à dire à cette tribune que la France a gagné, je crois que,
dans cette négociation de Berlin, le principal vainqueur, si vainqueur il y a,
c'est la Commission, qui a fait triompher ses orientations. Mais, grâce à vous,
la France n'a pas perdu autant qu'on pouvait le craindre.
Cet accord de Berlin, il est ce qu'il est, et nous voyons désormais se
dessiner le profil de l'agriculture française avec cette période programmée et
ces disparités qu'il faudra corriger.
Le texte que nous allons voter aujourd'hui sera-t-il mieux adapté pour
corriger ces disparités ?
De quels instruments allez-vous disposer ?
L'instrument principal, ce sera le CTE. Vous l'aviez dit, et cela se dessine
comme prévu.
Si votre marge de manoeuvre est faible, elle existe. Comment allez-vous vous
servir de ce nouvel instrument ?
Pour l'année en cours, pour 1999, les coûts sont connus : ils sont de l'ordre
de 400 millions à 500 millions de francs.
Je voudrais maintenant, monsieur le ministre, poser une question que notre ami
M. César a évoquée tout à l'heure.
Malgré les réticences qui se sont exprimées sur ce CTE, je souhaiterais que
vous n'en fassiez pas, demain, un instrument d'intervention au rabais.
M. Gérard César.
Eh oui !
M. Marcel Deneux.
Il vous faudra avoir des ambitions fortes quant au nombre de CTE. Avec 100 CTE
par département, cela fera 10 000 par an, soit 30 000 en trois ans, soit des
financements de l'ordre de 1 milliard, voire 2 milliards ou 3 milliards de
francs Or, je le dis comme je le pense, ce n'est pas avec 30 000 CTE que l'on
pourra orienter l'agriculture française. Compte tenu du nombre des secteurs,
des régions et des types d'exploitations qu'il faut orienter à partir de CTE
ciblés et bien adaptés, 30 000, c'est insuffisant.
Soyez ambitieux, monsieur le ministre ; cela ne pourra qu'augmenter les
financements !
Je voudrais maintenant rappeler qu'il y a un an mon ami M. Emorine et
moi-même, sous la présidence de M. François, avons commis un rapport sur
l'évolution de la politique agricole commune. Nous avions à cette occasion
souligné que nous étions opposés au plafonnement des aides mais que, sous
certaines conditions, nous pouvions accepter une modulation.
En fait, nous sommes aujourd'hui au pied du mur. Il va bien falloir mettre en
oeuvre cette modulation ! Mais selon quels critères ? C'est à vous qu'il
revient de choisir.
J'évoquerai trois hypothèses. Vous devrez choisir entre elles, voire opérer
des combinaisons.
Vous pourrez moduler en fonction du montant des aides, en plaçant la barre
au-delà de 500 000 ou au-delà de 300 000. Il s'agit là d'une sorte de
plafonnement. Or, comme nous vous l'avons dit, nous n'y tenons pas.
Vous pourrez moduler en fonction du revenu. Mais attention à l'« usine à gaz »
! Lorsqu'on touche aux revenus en France, il se pose des problèmes d'égalité
républicaine, d'égalité devant l'impôt, et la marge de manoeuvre est
étroite.
Enfin, vous pourrez moduler en fonction du nombre d'emplois dans les
entreprises. C'est le débat que nous avions eu lorsque vous nous aviez dit que,
aujourd'hui, 80 % des aides sont attribuées à 20 % des exploitations.
Cependant, si l'on met en parallèle le nombre des personnes concernées, les
choses sont un peu différentes.
Au fond, c'est en se fondant sur ces trois hypothèses que je souhaite que soit
mise en place la modulation, puisqu'il y en aura une.
Mais, pour mixer ces trois types d'hypothèses, j'aimerais que vous vous
souveniez qu'il s'agit non pas d'aides à la personne, mais d'aides au
développement économique, donc à des entreprises, et, par ailleurs, que justice
ne signifie pas toujours égalité.
Il faut que vous soyez conscient aussi que, malgré vos bonnes intentions, vous
pouvez créer, à partir de cette modulation, des distorsions de concurrence. Or,
dans l'Europe qui se construit, l'agriculture française ne peut accepter des
limites déraisonnables.
Si vous vouliez bien nous dire, monsieur le ministre, la manière dont vous
envisagez la modulation, si vous vouliez bien éclairer un peu les débats
naissants que nous allons être obligés d'avoir sur ce sujet, nous verrions
peut-être se dessiner avec plus de précision le profil de l'agriculture des
années à venir. Si vous le faisiez dès aujourd'hui, nous serions bien dans le
débat, puisque c'est d'une loi d'orientation que nous discutons.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
commission mixte paritaire ayant échoué - ce que nous avons tous regretté, en
tout cas beaucoup d'entre nous - nous sommes conduits à réexaminer ce projet de
loi d'orientation agricole.
Lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, les députés sont revenus
pour partie au texte qu'ils avaient adopté en première lecture en intégrant, il
est vrai, des correctifs souhaités par le Sénat à la suite de votre travail,
monsieur le rapporteur.
Je m'en félicite, puisque certains de ces amendements et de ces correctifs
avaient été impulsés par notre commission, mais également par notre groupe.
Quelques-uns me tenaient particulièrement à coeur : c'est le cas, notamment,
des dispositions prévues par l'article 65 ou de la question des groupements
d'employeurs en milieu rural.
Il est vrai qu'il s'agissait là d'un dispositif que chacun appelait de ses
voeux, d'un texte indispensable pour l'avenir de notre agriculture et de notre
ruralité. Il est impératif, en effet, de donner aux agriculteurs les moyens de
concilier toutes les missions dont ils sont peu à peu investis au regard de la
société.
Cette loi d'orientation est, par définition, l'un des textes majeurs de la
législature. Elle a donné à chacun l'occasion de défendre sa vision de
l'agriculture. Il était donc logique que les passions se déchaînent quelque
peu, comme nous avons pu le constater dans cette assemblée. C'est, me
semble-t-il, le jeu normal de la démocratie, témoin de bonnes choses, mais
aussi, parfois, de moins bonnes choses.
Il fut donc question, à un moment donné, d'un contre-projet, car le projet
proposé par le Gouvernement était réputé vide de sens, de moyens et
d'avenir.
Voilà quelques mois, donc, un de nos collègues a jugé bon de prendre à témoin
tous les maires de France et de leur dire : « Vous allez voir, nous avons un
contre-projet, car le projet présenté par le Gouvernement ne correspond à rien
du tout.
Je dois avouer qu'il s'agissait là d'une forme de provocation. Mais, quelques
mois plus tard, alors que personne dans le monde rural n'a fait jusqu'à présent
la moindre allusion à ce courrier, je crois que l'on peut enfin en parler dans
cet hémicycle.
Tout d'abord, s'agissant de la provocation, je constate que celle-ci n'a fait
aucune vague sur notre territoire dans la profession agricole.
Par ailleurs, je veux souligner, pour avoir vécu avec vous, mes chers
collègues, l'ensemble du débat et toute sa préparation en commission, que je
n'ai jamais entendu parler d'un contre-projet.
Des améliorations, des amendements ont été proposés, et nous y avons les unes
et les autres pris notre part à juste titre, mais il n'y pas eu de
contre-projets fondamentaux. Il me semblait donc que je pouvais faire ce rappel
gentiment et de façon aimable, comme c'est la tradition dans notre
assemblée.
Qui du père ou de la mère de ce qui aurait pu être un contre-projet de loi
d'orientation était avant stérile ? Je n'en sais rien ! Je n'irai pas en tout
cas jusque à chercher plus pour tenter d'analyser la situation.
Mon seul regret, c'est que l'auteur de ce courrier ne nous ait pas fait
profiter les uns et les autres de ses connaissances dans ce domaine. En effet,
je dois constater que nous ne l'avons jamais vu dans l'hémicycle au cours de ce
débat.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mais le bon côté des choses, c'est que le Sénat, dans sa grande sagesse,
a choisi, lors de la première lecture, de se rallier aux grandes orientations
proposées par le Gouvernement. Certes, des divergences sont apparus et c'est
assez compréhensible !
Certaines demeurent, concernant, par exemple, les notions d'entreprise
agricole, et d'exploitation agricole. Il semble, sur ce terrain, qu'il ne
puisse y avoir de consensus puisque ce sont bien deux visions politiques de
l'agriculture qui s'opposent. L'une vise la rentabilité, l'agrandissement des
structures et la production renforcée. L'autre privilégie une agriculture
raisonnée mise en oeuvre par des hommes et pour des hommes, sur des territoires
préservés dans des structures à taille humaine, et répond mieux, monsieur le
ministre, à votre choix de maintenir un maximum d'agriculteurs sur notre
territoire.
Tout en reconnaissant le véritable travail accompli au sein de notre
assemblée, au sein de notre commission, l'ensemble des sénateurs socialistes
ont été amenés, à la fin de la première lecture de ce texte de loi, à
s'abstenir au moment du vote.
Vous le savez aussi bien que moi, l'abstention est un acte politique
significatif. Par l'abstention, nous reconnaissions que ce texte a été bonifié
lors de son passage dans notre assemblée, même si, sur certains points, nous
n'étions pas d'accord et si nous avons voulu, politiquement, marquer le pas par
rapport à cette approche, afin que l'on puisse en retrouver le prolongement à
l'occasion de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Des points sont restés en l'état : notre collègue M. Vecten, tout à l'heure, a
notamment évoqué tous ceux qui concernent l'enseignement agricole.
A un moment donné, il est vrai que nous avons craint de revenir sur des
équilibres acquis, voilà une dizaine d'années, dans le domaine de
l'enseignement agricole. Mais ces craintes ont été dissipées : je sais
maintenant que vous intervenez avec la rondeur et la sagesse qui conviennent,
et je suis persuadé que vos propos avaient pour objet non pas de recréer un
trouble alors que des équilibres ont été trouvés, mais au contraire de faire
avancer les choses.
Pour ma part, je veux aussi vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir
abordé des points qui suscitaient de fortes interrogations. Je fais allusion
aux critères de qualité.
Dans mon propos liminaire, lors de la première lecture de ce texte, j'avais
également manifesté une certaine inquiétude quant à l'indication géographique
protégée et à certains autres éléments.
Mon groupe, avec, d'ailleurs, l'ensemble de nos collègues dans cette
assemblée, craignait de diminuer la lisibilité pour le consommateur. Je me
félicite que vous ayez accepté une certaine évolution de ce texte de façon à
éviter les superpositions de critères.
Comme je l'ai dit précédemment, il est logique, voire souhaitable, que le
débat s'instaure sur de tels enjeux. On parvient à des accords, on échoue sur
certains points quand la divergence de vues est trop grande, mais l'axe fort de
cette loi d'orientation étant constitué par les contrats territoriaux
d'exploitation, c'était sur cet axe qu'il convenait de converger.
La volonté de la profession de voir aboutir ces contrats était trop forte et,
dans nombre de départements, élus, administratifs, socioprofessionnels et
responsables syndicaux se sont mis à l'oeuvre. Il y a eu beaucoup de réunions
de travail. Les échanges se sont intensifiés. Aujourd'hui, la vision du CTE est
clarifiée, mieux cadrée autour des deux volets qui doivent le composer : le
volet économique et le volet socio-environnemental.
Faire des producteurs agricoles des partenaires de la société, ouvrir la voie
d'une agriculture aussi soucieuse de cohésion sociale que de développement
économique, telles sont, s'agissant des CTE, les ambitions qui ressortent, en
tout cas, de la première lecture faite par le Parlement.
Les producteurs ont également, avec les CTE, le moyen d'imprimer la marque de
la multifonctionnalité et de mieux la cadrer. Mais, considérant le défi qu'ils
représentaient, des inquiétudes s'étaient levées - plus particulièrement dans
cette assemblée, et à juste titre certainement - quant aux moyens d'en assurer
le financement, qui devait se faire en partenariat avec l'Union européenne.
Depuis les accords de Berlin, une grande partie des interrogations sont
caduques - je dis bien une grande partie ; tout n'est pas bouclé, bien entendu
- puisque le Gouvernement a obtenu le cofinancement. Aussi le pari relatif aux
CTE ne peut-il que réussir.
Au départ, ce projet de loi me paraissait figé dans des éléments bien cadrés.
Au fil du débat, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, et des rencontres en
commission, j'ai le sentiment que ce texte initial a énormément évolué : d'un
schéma figé, nous avons fait un schéma dynamique, un projet de loi évolutif,
capable d'être adapté, précisément parce que rien n'est fermé.
A la suite de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, nous savons qu'une
série d'amendements permettront l'adaptation ultérieure de ce texte législatif
- auquel nous avons participé - sur un certain nombre de situations pour
lesquelles nous ne pouvons pas, en quelques jours et dans une assemblée fermée,
verrouiller l'ensemble des dispositifs. Cela me paraît très important.
Nous avons longuement débattu de l'article 65. Sur les grandes lignes de cet
article, un consensus s'est instauré, même si, en termes rédactionnels, nous
proposerons les uns ou les autres des formulations différentes.
Cet article 65 nous projette dans l'avenir. Au-delà des CTE, il s'agit d'un
autre élément fort d'une loi d'orientation. Une loi rigide au départ peut ainsi
évoluer pour être bien perçue sur le terrain et dans le monde agricole.
L'évolution sur la fiscalité, sur la transmission des droits à produire, sur
la relation avec les grandes et moyennes surfaces, sont autant de
préoccupations qui doivent effectivement trouver un prolongement dans ce projet
de loi par un travail supplémentaire.
En fait, ce projet de loi affine un certain nombre d'indicateurs, ce qui est
un des points importants quand on veut fixer une loi d'orientation. Il annonce
des rendez-vous futurs entre le Gouvernement et le Parlement. Il est important
de pouvoirs, à un moment donné, interroger de nouveau le Gouvernement sur des
pistes. Ce projet est crédible parce qu'il est réaliste.
La voie que nous avons tracée est la bonne, me semble-t-il. Nous l'avons
tracée ensemble dans ses grandes lignes, même si des divergences subsistent
encore. La démarche contractuelle est importante. Toute expression d'une
volonté préfigure un chemin. Il fallait avoir la volonté de proposer un nouveau
projet de loi d'orientation agricole. Il fallait surtout avoir la volonté de
prendre le risque d'être innovant.
A l'occasion de cette nouvelle lecture, même si ce débat sera beaucoup plus
court que le précédent, nous trouverons ensemble, j'en suis sûr, les chemins de
sa réussite.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après
l'échec de la commission mixte paritaire, regretté par les acteurs et les
représentants du monde agricole, mais somme toute assez logique compte tenu des
différences d'appréciation qui nous caractérisent les uns et les autres, le
projet de loi d'orientation agricole revient en nouvelle lecture devant la
Haute Assemblée.
Cette discussion nous permet néanmoins de mesurer la distance qui sépare les
objectifs inscrits dans ce texte de loi et les conclusions des accords de
Berlin approuvées par les Quinze le 26 mars dernier.
Au cours de la première lecture, j'avais eu l'occasion de répéter qu'une loi
française, aussi innovante et progressiste soit-elle, était certes nécessaire,
mais insuffisante pour contrecarrer les effets de la réforme de la politique
agricole communes telle que l'envisageait la Commission de Bruxelles.
Il est vrai que l'accord obtenu à Berlin marque des avancées sur le paquet
Santer, grâce en particulier à la pression exercée par le gouvernement
français.
Pour autant, la tendance, même infléchie, reste la même ; c'est celle de
l'alignement des prix d'intervention sur les cours mondiaux ; c'est celle de
l'abandon progressif de la préférence communautaire. Le dernier épisode de ce
qu'il est convenu d'appeler la « guerre de la banane » en est une illustration
criante.
Comme M. Deneux, je suis impatient de savoir comment va se terminer le conflit
du boeuf aux hormones américain.
La tendance reste encore celle du productivisme et de la mondialisation ;
c'est, enfin, la tendance à la disparition de milliers de petites exploitations
et à une compression des revenus agricoles pour le plus grand nombre.
On pourra toujours épiloguer, les uns et les autres, sur l'influence française
à Berlin, sur le « moins pire » des accords possibles, sur le verre à moitié
plein ou le verre à moitié vide.
Toujours est-il que le contenu de ce verre a le goût amer de la rigueur
budgétaire - il est en effet prévu un financement constant malgré
l'élargissement de l'Union européenne aux pays de l'Est - , et ce verre a
également le parfum âcre du libéralisme, puisque cet accord s'inscrit
ouvertement dans les sillons tracés par l'OMC.
C´est dire si les craintes exprimées par le monde agricole sont légitimes et
si les inquiétudes dont notre groupe faisait part voilà quelques mois sont plus
que jamais valables.
A l'évidence, monsieur le ministre, si la réforme de la PAC ne rend pas
caduques les dispositions de votre projet de loi, loin s'en faut, toujours
est-il qu'elle va sérieusement en compliquer la mise en oeuvre et l'efficacité
sur le terrain.
C'est pourquoi les espoirs que nous mettons dans ce texte - comme la majorité
des exploitants agricoles - ont redoublé après le 26 mars. Nous demandons au
Gouvernement d'en accélérer l'application. Il est souhaitable que les décrets,
notamment ceux qui concernent le CTE, sortent dès cet été pour que les
agriculteurs puissent s'engager au plus vite dans le choix de la
multifonctionnalité.
Il y a urgence, car les conséquences de la PAC se feront rapidement sentir et
seront, si nous n'y prenons pas garde, aggravées par les négociations de l'OMC,
qui doivent débuter, me semble-t-il, en novembre prochain.
Je ne veux pas être catastrophiste à l'excès, mais tout indique, en effet, que
la baisse des prix garantis - moins 20 % sur la viande bovine, moins 15 % sur
les céréales - contribuera à détériorer le type d'agriculture que nous
souhaiterions promouvoir à travers ce projet de loi.
Il est clair que nos exportations ne connaîtront pas nécessairement et
mécaniquement la croissance escomptée, dans la mesure où l'essentiel de nos
échanges sont orientés vers la Communauté européenne et où l'écart entre prix
européens et américains reste tel, malgré cette baisse, que l'accès aux marchés
extérieurs sera limité.
J'oserai dire que la réforme de la PAC sera contre-productive, puisqu'elle
incitera nos agriculteurs, pour s'assurer un revenu stable, à privilégier la
quantité produite au détriment de la qualité, à préférer la production de
matières premières aux dépens de produits élaborés à forte valeur ajoutée,
marché sur lequel nous aurions tout intérêt, nous, Européens, à être davantage
présents.
En résumé, les agriculteurs verront les prix garantis décroître sans pour
autant que la quantité exportée progresse suffisamment. Pis, ils risquent
d'être détournés de préoccupations qu'ils partagent par ailleurs s'agissant de
la qualité de l'environnement ou de l'aménagement équilibré du territoire.
Monsieur le ministre, vous me répondrez certainement que la baisse des prix
aura globalement un effet limité sur les recettes. Globalement, je veux bien en
convenir avec vous, mais vous n'êtes pas sans savoir que, précisément, le
nivellement des prix vers le bas ne favorise que les gros producteurs, qui vont
continuer de prospérer, mais constitue une menace de disparition pour les
petites et moyennes exploitations.
J'ai pu lire que vos calculs supposent des gains de productivité de l'ordre de
2 % à 3 % par an dans le secteur des grandes cultures ou des élevages
intensifs. Mais faut-il l'espérer dès lors que vous et nous souhaitons défendre
un modèle agricole débarrassé des schémas productivistes ?
Si l'idée d'un cofinancement national des aides communautaires défendue par
les Allemands a été finalement évacuée par la grande porte - et il faut s'en
réjouir - ne risque-t-elle pas de revenir par la fenêtre, les agriculteurs qui
verront leur baisse de revenus partiellement compensée par le Fonds européen
s'adresse, par la force des choses, à l'Etat pour soutenir leur activité ?
En revanche, les idées de dégressivité et de plafonnement des aides publiques,
malgré l'opiniâtreté du Gouvernement français en direction de nos partenaires
européens, ont été écartées pour le plus grand bénéfice, hélas ! de la famille
Dassault.
Vous avez vous-même, monsieur le ministre, déclaré devant l'Assemblée
nationale que quatorze gouvernements seraient d'accord sur le principe de
dégressivité et/ou de plafonnement des soutiens.
C'est une raison supplémentaire, mes chers collègues, pour les mettre en
oeuvre au plus vite dans notre pays pour montrer l'exemple à suivre à nos
partenaires européens et pour convaincre les derniers sceptiques de se rallier
à la nécessité de réorienter les aides.
Sur ce point, monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de nous assurer que le
fonds de financement du CTE sera abondé par des fonds communautaires dans des
proportions suffisantes ? De quelle marge de manoeuvre disposerez-vous, dans le
cadre national, pour procéder à la modulation et au plafonnement des aides sur
la base de critères économiques, mais aussi sociaux, environnementaux et
territoriaux, en vertu de l'article 4 de ce projet de loi ?
A l'évidence, je le répète, la pleine mesure de cette loi d'orientation sera
quelque peu altérée par l'accord adopté à Berlin.
C'est pourquoi notre groupe sera vigilant quant à l'application qui en sera
faite dans nos départements, d'autant plus que le monde agricole y poursuit à
grands pas sa restructuration. La chute durable des cours du porc accélère le
phénomène de concentration, notamment dans l'ouest de la France. C'est fort
regrettable, dans la mesure où ce ne sont pas les responsables de la
surproduction qui disparaissent : ce sont les jeunes producteurs et les
élevages de taille modeste !
Il faut, mes chers collègues, que l'esprit de la loi telle qu'elle a été
approuvée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture soit conservé.
Or j'observe que les amendements proposés par la commission des affaires
économiques et du Plan reflètent l'obstination dans ses orientations de la
première lecture : refus du pluralisme syndical, marginalisation du contrat
territorial d'exploitation, exonérations fiscales sans considérations sociales
et environnementales, discriminations à l'égard des jeunes non issus du milieu
rural, remise en cause du contrôle des structures, réduction du contrôle sur la
MSA, priorité donnée à l'enseignement privé agricole, etc.
A l'issue de nos travaux, ce nouveau texte remanié par le Sénat, réorienté
vers une logique que nous ne partageons pas, ne pourra, en conséquence,
recueillir les suffrages de notre groupe.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite répondre succinctement, mais le
plus complètement possible, aux différentes interventions.
Dans un premier temps, je me contenterai de revenir sur un certain nombre de
remarques d'ordre général ou de questions d'actualité, selon l'expression de M.
Deneux, me réservant de répondre plus précisément, au cours de la discussion
des articles, à certaines des questions qui m'ont été posées.
Tout d'abord, je remercie M. le rapporteur de l'excellent travail qu'il a une
nouvelle fois accompli, me réjouissant qu'il soit parmi nous en si bonne
santé.
Je vais maintenant, en préalable, évoquer les événements qui se sont déroulés
depuis la première lecture de ce projet de loi au Sénat.
En effet, depuis cette première lecture, sont intervenus l'échec de la
commission mixte paritaire et les accords de Berlin.
En ce qui concerne la commission mixte paritaire, il me semble nécessaire de
dédramatiser un échec qui, au fond, n'est que le fruit de débats démocratiques
naturels. Il eût mieux valu, certes, que la commisison mixte paritaire
aboutisse, mais son échec nous donne l'occasion de nous retrouver agréablement
quelques heures supplémentaires pour continuer à débattre de l'agriculture. Je
fais d'un mal un bien en me disant que c'est l'occasion de continuer à
améliorer le texte, ce que nous n'allons pas manquer de faire.
Les débats ne sont pas inutiles. Ils ne l'ont pas été en première lecture ;
ils ne le seront pas non plus en nouvelle lecture. Comme l'a dit M. le
rapporteur tout à l'heure, cinquante articles ont déjà été adoptés conformes
par les deux assemblées, ce qui montre que le débat permet de progresser.
Certes, le dernier mot reviendra à l'Assemblée nationale, mais ce n'est pas
moi qui l'ai voulu, monsieur César, c'est la Constitution de 1958, sur
l'initiative du général de Gaulle et de Michel Debré. Ce n'est pas vous, je
pense, qui allez revenir sur cette disposition,...
M. Gérard César.
Ni vous, monsieur le ministre !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
... ni moi non plus d'ailleurs
! En tout cas, nous n'avons qu'à respecter scrupuleusement cette volonté
constitutionnelle.
Au demeurant, je tiens à dire que les délais ne seront pas rallongés pour
autant. En effet, si la commission mixte paritaire avait été couronnée de
succès, les textes d'application n'auraient pas été applicables du jour au
lendemain. Il faut du temps pour les préparer.
Ayant, lorsque j'étais parlementaire comme vous, pesté tant de fois devant ces
textes votés par le Parlement et rendus inapplicables par la lenteur de la
parution des textes d'application,...
M. Hilaire Flandre.
Par l'inertie !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
... qui mettait parfois des
années - l'administration et les ministères avaient alors un pouvoir de blocage
par rapport à la volonté de la représentation nationale, ce qui est
démocratiquement inacceptable -...
MM. Gérard Braun et Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
... j'ai déclenché une sorte de
branle-bas de combat au sein du ministère de l'agriculture et de la pêche pour
que les textes d'application paraissent aussi vite que possible. J'ai ainsi
pris l'engagement que ces textes seraient tous publiés pour l'essentiel au
cours de l'été, de façon que le CTE soit applicable à l'automne.
C'est pourquoi, monsieur César, vous êtes mal fondé à me dire qu'aller vite,
c'est mépriser le Parlement : c'est aller lentement qui serait mépriser le
Parlement ! Vous ne pouvez pas me reprocher de lancer, parallèlement à la
discussion devant les assemblées, la préparation des textes d'application !
M. Gérard César.
Et le Conseil supérieur d'orientation ?
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Oui, monsieur César, j'ai saisi
pour avis le CSO, mais il travaille sur les projets que je lui ai soumis depuis
plusieurs mois. Il en est à sa deuxième, troisième ou quatrième version du
texte relatif au CTE. Il est bon, en effet, d'associer les organisations
professionnelles à la rédaction des textes d'application. Le texte que vous
adopterez aujourd'hui ou demain et qui ne manquera pas d'être adopté par
l'Assemblée nationale la semaine prochaine pourra être très vite prêt grâce à
ce travail parallèle auquel je veille et qui, loin de manifester d'un
quelconque mépris à l'égard du Parlement, témoigne au contraire d'une volonté
de respecter aussi scrupuleusement et rapidement que possible sa volonté.
Le deuxième événement intervenu depuis la première lecture, c'est évidemment
l'accord de Berlin. Est-ce un bon ou un mauvais accord ? Est-il bon, comme le
disait M. Deneux, ou plutôt - si je me permets d'interpréter votre expression,
monsieur le sénateur - moins grave que si cela avait été pire ?
(Sourires.)
M. Gérard César.
Moins pire !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Est-il mauvais, comme le disait
M. César, « pire qu'en 1992 », selon son expression ?
Je me permettrais de me référer à l'appréciation du Président de la
République, selon qui il s'agit d'un bon accord. Faut-il le croire ? En tout
cas, il est difficile au ministre de la République que je suis d'aller contre
l'avis du Président de la République !
M. Gérard César.
C'est un compromis !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
En effet, disons que c'est un
compromis. Et, comme un compromis, il a le mérite d'exister. Du moins, nous
devrions nous rejoindre sur ce point, monsieur César : il valait mieux un
compromis en avril plutôt que laisser se dérouler une négociation qui aurait
duré des mois et des mois, ce qui, d'une part, aurait aggravé l'incertitude des
agriculteurs, notamment des jeunes qui hésitent à s'installer, et qui, d'autre
part - c'est une remarque qui a été faite par plusieurs d'entre vous - nous
aurait fait arriver en ordre dispersé dans d'autres négociations, notamment
celles de l'OMC ou celles de l'élargissement, alors qu'un certain nombre de
pays candidats demandent, à juste titre, des précisions.
Pour ma part, je le dis ici en toute honnêteté, cet accord me laisse trois
regrets.
Le premier concerne cette sorte de religion de la baisse des prix qui anime
toujours la Commission et que je ne considère pas comme le B.A.-BA du
raisonnement agricole en Europe.
Tout d'abord, cette conception coûte cher. Monsieur Le Cam, c'est quand on
baisse les prix, puis que l'on compense, que cela coûte cher au budget !
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Moins on baisse les prix,
moins il y a de compensations à mettre en oeuvre. Par conséquent, la
stabilisation budgétaire est souvent une bonne nouvelle pour les agriculteurs.
Ainsi, l'accord de Berlin accepté par le Président de la République coûtera 5
milliards d'euros de moins que celui que j'avais refusé à Bruxelles, et il n'en
est pas moins meilleur. Par conséquent, paradoxalement, la dépense peut être de
mauvais aloi pour les agriculteurs.
Quand 80 %, 85 %, voire 90 % de nos échanges, suivant les productions, sont
intracommunautaires, on conçoit bien que le prix mondial a peu d'influence sur
nos échanges. Par ailleurs, quand les prix mondiaux - je pense à la viande
bovine et aux prix argentins - sont à 70 % inférieurs aux prix européens, ce
n'est pas une baisse de 20 %, voire de 30 % qui nous amènera à un niveau
équivalent. Tout juste s'en approchera-t-on un peu !
Mon deuxième regret concerne les oléo-protéagineux. En effet, je ne comprends
pas l'obstination de la Commission en la matière.
Si je comprends son obéissance sacro-sainte aux accords de Blair House en
termes de parts de marché pour se présenter prétendument dans une position plus
confortable aux négociations de l'OMC, je n'accepte pas l'idée selon laquelle
il faudrait « s'automutiler », réduire la production par la baisse des primes
aux oléoprotéagineux alors que l'Europe connaît un déficit de production et que
nous devrons importer encore plus.
En revanche, faciliter des transferts de production sur les céréales alors que
nous avons déjà des excédents, c'est, je pense, un mauvais calcul global.
Ce regret sur les oléo-protéagineux m'a amené, dans les derniers jours de la
négociation, à exprimer la volonté d'imposer à la Commission une clause de
rendez-vous dans deux ans. C'est un chapitre qui n'a pas été modifié par
l'accord. Aussi, j'ai bien l'intention de faire valoir cette clause, qui est
très directive, pour que la Commission revoie sa copie, si, comme cela est
probable, une baisse de production devait intervenir en Europe.
Certaines mesures peuvent être prises au niveau national. J'en ai annoncé
devant la fédération des oléo-protéagineux la semaine dernière à Dijon pour
essayer de rectifier le tir, notamment sur le reste environnemental.
Quoi qu'il en soit le sujet reste préoccupant.
Mon troisième regret a trait au développement rural.
L'Europe, à mon sens, aurait dû aller plus loin que la création du deuxième
pilier de la PAC, qui est une bonne nouvelle en soi. Elle aurait dû aller plus
loin, notamment en termes de réorientation des aides. C'est en effet un message
qui est absent dans l'accord de Berlin. Or les agriculteurs européens
attendaient qu'on mette en place un système permettant un transfert progressif,
partiel et limité des aides directes vers les aides au développement rural, qui
manquent à l'appel. L'absence de ce message obscurcit d'une certaine manière
l'accord de Berlin.
J'en profite pour préciser à M. Le Cam que, si nous avons souhaité stabiliser
les dépenses à 5 milliards d'euros, cela n'intègre pas les dépenses
d'élargissement. Dans le cas contraire, on pourrait en effet s'inquiéter de
cette stabilisation budgétaire !
Quelles conclusions peut-on tirer de l'accord de Berlin dans l'optique du
projet de loi d'orientation agricole, puisque nous sommes là pour en discuter,
et notamment par rapport au financement du CTE ?
Malgré tout, cet accord de Berlin nous offre la possibilité de financer le CTE
grâce à la modulation des aides.
Je vais m'efforcer d'éclaircir le sujet.
L'article 4 de l'accord nous permet de prélever un maximum de 20 % des aides
européennes pour financer les actions de développement rural dans des
conditions relativement contraignantes, qui limitent notamment les risques de
distorsion de concurrence.
S'agit-il d'un cofinancement, c'est-à-dire de l'éventualité de voir revenir
par la fenêtre une technique que nous avons refusé de laisser entrer par la
porte ? Je le répète ici solennellement : non ! Le Président de la République,
le Premier ministre et moi-même avons refusé avec véhémence le cofinancement
des aides directes. Nous avons gagné cette bataille. Nous considérons
qu'accepter le cofinancement des aides directes reviendrait à mettre le doigt
dans l'engrenage d'un démantèlement à terme de la PAC, en créant des
distorsions de concurrence.
Si, en revanche, nous avons accepté le cofinancement du CTE et du
développement rural, c'est parce que ce n'est pas une nouveauté : vous l'avez,
nous l'avons accepté depuis des années ; le développement rural est déjà
cofinancé dans notre pays par toutes les mesures concrètes qui sont en
vigueur.
Quand nous menons dans nos campagnes avec les chambres d'agriculture des
opérations du type Irri-Mieux ou Ferti-Mieux, elles sont cofinancées par
l'Europe, l'Etat et les collectivités locales. Quand nous organisons des gîtes
ruraux dans les fermes qui veulent se diversifier, ces gîtes sont cofinancés
par l'Europe, par l'Etat et par les collectivités locales.
Comment la modulation sera-t-elle mise en oeuvre ?
A ce propos, je tiens à dire que, si les collectivités locales veulent
participer, elles pourront le faire, mais que, si elles ne le veulent pas,
elles n'y seront pas forcées. Il n'y aura donc pas de transfert de charges,
monsieur César, je vous rassure.
Profitant du temps qui nous était donné par l'échec de la commission mixte
paritaire, j'ai pu, au cours de la deuxième partie du mois d'avril et au début
du mois de mai, organiser dans les vingt-deux régions de France vingt-deux
réunions régionales avec les fonctionnaires des directions départementales et
régionales de l'agriculture et de la forêt, avec les responsables des
organisations professionnelles agricoles, avec de nombreux élus, conseillers
régionaux et parlementaires, pour parler de la mise en place des CTE et pour
engager la préparation des contrats de plan Etat-région. Nous leur avons dit
que, s'ils souhaitaient s'intéresser à la mise en oeuvre des CTE, nous n'y
verrions que des avantages. Il me semble que ces réunions, qui ont rencontré un
réel succès - et non pas seulement un succès d'estime - en termes de
participation et de qualité des échanges, ont permis d'augurer assez
positivement de l'implication des collectivités locales dans les CTE. Mais nous
verrons bien !
Quels critères adopter ? Vous avez cité, monsieur Deneux, les trois critères
évoqués par l'article 4 de l'accord de Berlin, et notamment le montant total
des aides.
Après tout, on pourrait décider qu'une exploitation sera concernée à partir
d'un certain montant d'aides, par exemple 500 000 francs. Mais l'application de
ce seul critère ne suffirait pas : sur deux exploitations percevant chacune 500
000 francs d'aides, l'une peut ne produire que des céréales alors que l'autre
aura en outre quelques hectares de pieds de vigne classés ; ce sont là des
situations économiques complètement différentes !
Dès lors, il faut peut-être prendre en compte, comme le prévoit l'accord, la
marge brute standard.
Peut-on s'arrêter là ? Non, car, comme vous le disiez très justement, monsieur
Deneux, sur deux exploitations recevant un million de francs d'aides chacune,
on comptera dans l'une une seule unité de travail alors que l'autre emploiera
dix salariés ; ce sont encore deux exploitations aux caractéristiques
différentes Il convient donc de prendre également en compte le critère de
l'emploi.
Nous pouvons utiliser un, deux ou trois des critères définis par l'accord de
Berlin. Mais lesquels ? Nous allons en discuter avec les organisations
professionnelles, parce que je ne veux pas prendre une décision d'une manière
trop administrative ou trop contraignante.
La principale conclusion que je tire de tout cela, c'est que mettre en oeuvre,
la même année, la nouvelle PAC avec les modifications enregistrées à Berlin, la
nouvelle loi d'orientation agricole, le CTE et la modulation des aides, cela
fait beaucoup pour les agriculteurs de France : c'est un gros virage à
effectuer !
J'ai donc souhaité, pour répondre aux organisations professionnelles qui
réclamaient une conférence nationale, que se mette rapidement en place une
concertation très étroite sur les conséquences de l'accord de Berlin.
J'ai proposé un calendrier pour cinq groupes de travail chargés d'étudier ces
conséquences concernant les grandes cultures, les problèmes fiscaux et sociaux,
les problèmes de développement rural, dont nous parlions à l'instant, et
quelques autres grands sujets.
J'ai demandé que cette concertation intéresse non seulement les organisations
professionnelles et le ministère de l'agriculture, mais aussi d'autres
ministères également concernés, et que ce travail prenne fin en septembre, afin
qu'il soit éventuellement possible d'en tirer des conclusions concrètes dans la
loi de finances pour 2000.
Sur les modalités de mise en oeuvre de la modulation, j'ai besoin d'écouter
les organisations professionnelles, même si j'ai ma petite idée sur le sujet,
et je souhaite que, dans la définition des critères à retenir, le souci
d'équité soit toujours présent.
Il va de soi que certaines notions méritent d'être peaufinées. Je pense en
particulier à celle de marge brute standard, qui est singulièrement complexe
puisqu'elle implique une soixantaine de critères. J'aimerais pouvoir les
utiliser tous, mais je ne peux pas le faire du jour au lendemain sans courir le
risque de compliquer encore, et sans doute inutilement, la vie des
agriculteurs.
Tous ces points doivent donc être discutés avec les organisations
professionnelles.
M. Le Cam a indiqué, concernant la modulation, que quatorze pays s'étaient
prononcés soit pour la dégressivité, soit pour le plafonnement. C'est bien
pourquoi je souhaite que cette idée de modulation des aides dépasse les
frontières de la France, et je saisis toutes les occasions qui me sont offertes
pour la diffuser. Hier encore, à Bruxelles, je l'ai fait lors du conseil des
ministres de l'agriculture. Je le ferai de nouveau la semaine prochaine à
Dresde, où se réunira pendant deux jours un conseil informel proposé par le
ministre allemand, et qui aura pour unique thème le développement rural.
Je souhaite convaincre le plus grand nombre possible de nos partenaires de
nous rejoindre sur la modulation. Le Portugal y est déjà décidé ; l'Autriche et
l'Italie y réfléchissent. Même le Royaume-Uni, surprise des surprises, qui
était résolument hostile à l'idée de plafonnement, commence à infléchir sa
position : le ministre britannique de l'agriculture me disait hier qu'une
grande majorité d'agriculteurs lui demandaient maintenant de mettre en place le
plafonnement et la modulation, et que lui-même se mettait donc à y
réfléchir.
Je crois qu'il faut impulser ce mouvement pour que, effectivement, le plus
grand nombre possible de pays européens donnent ce signal politique.
Oui, nous voulons répartir les aides publiques dans un souci de plus grande
justice et de plus grande équité, mais aussi dans un souci de plus grande
efficacité puisque cette redistribution des aides limitée à 20 % nous permettra
de financer le CTE, c'est-à-dire le développement rural, et de conforter les
petites exploitations qui ont du mal à vivre.
Afin de ne pas prolonger excessivement cette intervention, je répondrai
précisément dans le cours de la discussion des articles à un certain nombre des
questions qui ont été posées, notamment sur l'enseignement agricole et sur la
MSA.
Je veux croire que, sur plusieurs de ces dossiers, nous parviendrons à
rapprocher encore nos points de vue.
Avant de conclure, je souhaite seulement évoquer trois questions d'actualité
qui m'ont été posées : la listériose, le boeuf aux hormones et le porc.
S'agissant de la listériose, monsieur Ambroise Dupont, je vous livrerai le
fond de ma pensée. Nous avons l'impérieux devoir à la fois d'informer le
consommateur et de le protéger d'un point de vue sanitaire contre des risques
qui sont réels. Pour cela, il suffit de poursuivre, éventuellement en en
améliorant la mise en oeuvre, l'action qui est d'ores et déjà menée. En effet,
appuyés par les pouvoirs publics, les professionnels se sont engagés voilà des
années dans une lutte visant à améliorer la qualité de leurs produits, à
garantir la transparence, si bien que les risques liés à la
listeria
sont maintenant en chute libre dans notre pays.
Il faut donc poursuivre en ce sens, même si nous avons encore un effort à
accomplir, notamment en termes d'information des personnes à risque.
Des
listeriae
, nous en mangeons tous, et tous les jours : en consommant
du lait cru, du poisson fumé, de la charcuterie, j'en passe et des meilleures,
de bien meilleures même !
(Sourires.)
Mais il y a des individus
particulièrement exposés au risque : les femmes enceintes, les immunodéprimés,
les personnes très âgées. Or, bien souvent, les intéressés l'ignorent, et 70 %
des médecins qui les soignent ne savent même pas qu'il s'agit de personnes à
risque. Un travail reste donc à faire pour améliorer la connaissance des
consommateurs.
Dun autre côté, il faut aussi se prémunir contre le risque de psychose. Comme
vous, monsieur Dupont, j'ai été frappé par un certain nombre d'événements
récents, qui montrent que, parfois, on prend des marteaux-piqueurs pour écraser
des mouches. Ainsi, il faut un communiqué du ministère de l'agriculture, du
secrétariat d'Etat à la santé, du ministère en charge de la consommation pour
indiquer que tel lot de fromages a été retiré de la vente. Bien entendu, les
autres fromages ne posaient aucun problème ! Il n'empêche que la diffusion d'un
tel communiqué peut provoquer des chutes considérables dans les ventes !
Permettez-moi de vous relater une anecdote. Voilà quelque minutes, on me
demandait de publier un communiqué pour indiquer qu'une chauve-souris exposée
dans une animalerie de Bordeaux - pardonnez-moi, monsieur César, mais c'est la
réalité des faits !
(Sourires)
- était morte de la rage. Et il faudrait un communiqué du
ministère de l'agriculture pour le signaler à l'ensemble de la population
française ?
Il y a tout de même là quelque chose d'un peu excessif. Il n'est pas
concevable de faire passer par le ministère de l'agriculture l'ensemble des
informations sur l'ensemble des cas révélant des problèmes de santé animale.
Par ailleurs, il est aussi nécessaire de veiller à défendre notre modèle
culturel de consommation et d'alimentation. On voit bien ce qu'il y a derrière
cette pression qu'exercent, notamment, les Américains : ils jettent l'opprobre
sur un certain nombre de nos produits afin d'imposer les leurs. Or il serait
très intéressant que les Américains rendent publiques les statistiques de morts
par listériose aux Etats-Unis l'année dernière : 900, d'après mes informations.
Evidemment, ils s'en gardent bien !
MM. Deneux et Le Cam ont, eux, soulevé le problème du boeuf aux hormones.
Là encore, nous avons subi la pression des Américains, qui veulent livrer leur
boeuf aux hormones, sans prendre de précautions, sur l'ensemble du marché
européen. Mais nous avons également subi la pression des organisations de
consommateurs des Etats-Unis, qui nous demandent de résister pour les aider à
combattre ces lobbies puissants qui voudraient déverser sur l'Europe des
produits semblables à ceux qu'ils ont déjà déversés sur le marché américain.
Sur ce sujet, que nous avons évoqué hier au Conseil des ministres de
l'agriculture, l'Union européenne est à la fois très soudée et déterminée pour
résister, avec la Commission, à cette pression.
La Commission avait commandé dix-sept études scientifiques. Le seul problème,
c'est qu'elle a un peu tardé à les commander, si bien que nous n'avons pu
disposer des résultats globaux avant le 13 mai, date à laquelle nous devions
remettre notre « copie » à l'OMC.
M. Gérard César.
Pourquoi dix-sept ? C'est beaucoup trop !
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Cela tient sans doute au nombre
d'hormones concernées.
Quoi qu'il en soit, selon les résultats provisoires de ces études, il existe
de véritables risques à consommer du boeuf aux hormones. Ainsi, certaines de
ces hormones peuvent être cancérigènes, des études faisant apparaître des
proliférations de tumeurs chez des animaux sur lesquels l'utilisation de ces
hormones a été testée.
Nous avons présenté ces résultats provisoires aux Américains dans le cadre de
l'OMC. Nous devons maintenant leur faire admettre que, s'il y a un risque, il
n'y a pas d'arrangement possible.
L'Union a donc décidé unanimement de mandater la Commission pour demander le
maintien de l'embargo sur le boeuf aux hormones. Le problème devra être réglé
dans le cadre de l'OMC.
Hier, à Bruxelles, nous avons aussi parlé du porc. A ce sujet, je tiens à
faire une mise au point, car certains articles de presse ne reflètent pas du
tout ce qui s'est passé au Conseil des ministres de l'agriculture.
Hier, c'est une majorité de pays - huit sur quinze -, et non pas une minorité
qui a demandé des mesures de maîtrise de la production, souhaitant que la
Commission formule de nouvelles propositions pour qu'elles soient soumises au
comité de gestion porcine qui doit se réunir demain, mercredi 19 mai 1999. La
proposition émanant de ces huit pays a donc été présentée par le président du
Conseil de l'agriculture, le ministre allemand, qui a donné mandat à la
Commission pour faire de nouvelles propositions au comité de gestion.
Ma surprise a été grande d'entendre la Commission indiquer, lors d'une
conférence de presse, que cela n'avait été demandé que par une minorité de pays
et que, dès lors, il n'y avait rien d'autre à faire que d'attendre.
J'ai émis, ce matin, une protestation auprès de la présidence de la
Commission, exigeant une rectification de ce communiqué.
Le combat doit être poursuivi car, comme l'a dit M. Le Cam, la crise perdure.
Des éléments nouveaux sont intervenus, je l'ai dit hier au Conseil de
l'agriculture, qui viennent renforcer nos craintes : les services de la
statistique de la Commission européenne, Eurostat, nous ont informé que la
production porcine européenne continuait à s'accroître. Elle s'est accrue au
premier trimestre de 1999, elle croît encore actuellement, et il faudra sans
doute attendre la fin de l'année pour la voir décroître ou même seulement
stagner.
Cela signifie que la crise que nous vivons va encore durer des mois, peut-être
même encore un an, si nous n'intervenons pas par des mesures
supplémentaires.
Bien sûr, nous essayons d'activer les choses.
J'ai noté, comme vous, les mesures prises par les professionnels, telles que
l'abattage de porcelets. Je ne pouvais qu'encourager une telle initiative, qui
témoigne d'une bonne volonté, et peut-être aussi d'une bonne communication à
l'égard de l'opinion. Mais chacun sait, et les professionnels au premier chef,
que ce n'est pas avec ce type de mesures très limitées que l'on pourra
maîtriser la production, surtout si on ne les met en oeuvre qu'à l'échelon
national : il n'y aura de bonne maîtrise de la production qu'à l'échelon
européen.
Nous continuons donc à mener cette bataille. Je l'ai menée hier et elle sera
menée, demain, au comité de gestion porcine, avec le rappel de cette
protestation de la France après les conclusions hasardeuses de la Commission
européenne. Je compte bien m'efforcer d'obtenir les mesures de maîtrise qui
sont indispensables pour sortir de cette crise.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai sans doute été beaucoup trop long, et
encore n'ai-je abordé que certaines questions d'ordre général. Sur les points
plus précis que vous avez abordés, je m'attacherai à répondre aussi
scrupuleusement que possible dans la phase de la discussion qui va maintenant
s'ouvrir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles
est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas
encore adopté un texte identique.
Article 1er