Séance du 27 mai 1999
ACCÈS AUX SOINS PALLIATIFS
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 348,
1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à garantir le droit à
l'accès aux soins palliatifs. [Rapport n° 363 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, en accord avec M. le secrétaire d'Etat, la parole
est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, enfin, nous y voilà !
Prise en charge de la douleur, reconnaissance des droits de la personne
malade, dont celui de bénéficier des soins palliatifs et d'un accompagnement,
vous le comprenez bien, mes chers collègues, il s'agit non seulement d'une
avancée législative, mais avant tout d'un nouveau regard porté sur l'homme, sur
le comportement désormais différent de la société par rapport à ce moment le
plus important de la vie : - le dernier -, un nouveau comportement pour une
nouvelle société, celle du troisième millénaire. J'espère que ce n'est qu'un
début.
Chacun a bien conscience que, dans le monde tel qu'il est et tel que nous
voulons qu'il devienne, nous aurons pour charge de définir de nouvelles
attitudes, de nouveaux devoirs, une nouvelle espérance.
Ce vote que nous allons émettre va au-delà d'une simple directive de santé
publique, c'est toute une façon de concevoir les rapports humains.
Nous aurons à imaginer et à voter de nouveaux textes dans ce domaine comme
dans d'autres.
Aujourd'hui, ce n'est pas la fin d'une longue marche, ce n'est seulement
qu'une étape dont je suis heureux que le Sénat ait été l'initiateur, quelles
qu'aient été les tentatives d'atermoiements venues d'ailleurs. L'essentiel
n'est il pas d'avancer pour donner toute sa place à l'homme ?
Ainsi que je l'indique précisément dans mon rapport écrit, la question des
soins palliatifs revient au Sénat à l'issue d'une procédure à bien des égards
atypique.
Le 7 avril 1999, notre Haute Assemblée adoptait, en effet, une proposition de
loi tendant à favoriser le développement des soins palliatifs et de
l'accompagnement. Cette proposition de loi s'inscrivait dans le droit-fil des
travaux entrepris dès 1994 par la commission des affaires sociales sur la prise
en charge de la douleur. Elle estimait en effet que la maîtrise de la douleur
était le préalable incontournable avant la mise en place d'une législation
tendant à inscrire dans la loi, de façon explicite, le droit pour tout malade
de bénéficier de soins palliatifs et d'un accompagnement.
Le texte fut approuvé à l'unanimité par les deux assemblées en novembre 1994,
et soutenu par les différents secrétaires d'Etat à la santé qui se succédèrent,
dont vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, qui avez lancé un plan très
complet de lutte contre la douleur.
C'est à l'unanimité donc que les différentes étapes de ce processus ont été
franchies : unanimité des membres de la commission des affaires sociales tant
pour adopter le rapport d'information que pour déposer la proposition de loi et
arrêter les conclusions de la commission ; unanimité des membres de la Haute
Assemblée pour voter les conclusions amendées en séance publique.
Il se trouve que, parallèlement, trois propositions de loi n°s 1503 rectifié,
1514 et 1515 - comment ne pas se référer à Marignan ? Mais on a la bataille que
l'on peut ! - ayant un objet similaire, ont été mises en distribution le 7
avril dernier, à l'Assemblée nationale ; elles devaient être examinées par la
commission des affaires culturelles, familiales et sociales le 29 avril et, en
séance publique, les 6 et 11 mai derniers.
Ainsi, chaque assemblée allait voter de son côté sa propre proposition de loi
relative aux soins palliatifs, des pressions extérieures écartant de la navette
le texte du Sénat, qui, était transmis le 7 avril dernier à l'Assemblée
nationale, au profit de trois propositions de loi opportunément mises en
distribution ce même jour.
Nous devons constater, néanmoins, que le bon sens a prévalu,
in fine
,
grâce aux efforts de chacun et, d'abord, des présidents des deux assemblées,
qui ont, l'un et l'autre, souligné l'importance de l'initiative parlementaire
et les vertus de la navette, mais également du président de la commission des
affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, qui a
accepté de joindre à l'examen des propositions de loi précitées celle de M.
Bernard Perrut et celle qu'avaient bien voulu déposer M. Jean-Louis Debré et
plusieurs de ses collègues, reprenant le texte adopté par le Sénat.
Cette conjonction d'efforts a permis de remettre le train sur les rails, et à
la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée
nationale d'adopter un texte en tout point semblable à celui qui avait été voté
à l'unanimité par le Sénat.
Je ne peux que regretter que ces excellentes dispositions aient été amputées
en séance publique par deux amendements du secrétariat d'Etat. Ceux-ci amputent
très sensiblement la portée des modifications de la législation hospitalière
souhaitées par la commission, par exemple, en réduisant pratiquement à néant
les espoirs d'améliorer l'hospitalisation à domicile pour les soins palliatifs,
quand on sait que plus de 70 % des malades souhaitent mourir chez eux et que
moins de 26 % y parviennent.
L'essentiel demeure toutefois. C'est la raison pour laquelle la commission
avait demandé que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale soit
inscrite à la prochaine séance réservée, par priorité, à l'ordre du jour fixé
par le Sénat. Nous y sommes.
En revanche, le texte modifié consacre le fait que désormais notre code de la
santé publique reconnaît dans son article 1er, ainsi que je le souhaitais,
comme la commission des affaires sociales, « les droits de la personne malade
et des usagers du système de santé » et que le premier de ces droits est celui
de bénéficier de soins palliatifs et d'un accompagnement.
Bien entendu, après de nouvelles concertations, nous aurons à déposer un texte
qui rétablira en les améliorant les articles écartés par les amendements de M.
le secrétaire d'Etat, de telle sorte qu'au-delà des péripéties qui ont pu
troubler une navette entre les deux assemblées, que j'aurais souhaitée plus
traditionnelle et plus harmonieuse, et qu'à défaut d'un projet de loi, cet
important texte d'initiative parlementaire soit définitivement voté avant l'été
et entre en vigueur sans délai.
C'est pourquoi, mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations,
votre commission vous demande de voter conforme cette proposition de loi.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'importance d'un texte ne se
mesure pas - ou se mesure peut-être ? - aux tribulations qu'il a connues.
J'ai là un beau discours, monsieur le rapporteur : je vous en ferai grâce. Je
retiens de ce texte, mais, surtout, de nos débats, plusieurs choses.
La première, c'est votre dévouement et votre acharnement personnels pour que
ces propositions viennent heureusement transformer notre pratique des soins.
Je rends hommage à votre persévérance et à la façon dont vous nous avez imposé
des démarches, parfois en nous brusquant ; vous avez eu raison de le faire.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit, vous l'avez dit, de l'essentiel, c'est-à-dire
de modifier, d'infléchir non seulement les pratiques mais aussi l'esprit d'un
système de soins trop technique, trop souvent à la remorque d'un progrès
indéniable, nécessaire, indispensable mais très insuffisant.
Il s'agit également de modifier et d'infléchir cette manière de se détourner
de l'inéluctable, cette façon qu'ont les médecins - et je sais de quoi je parle
- de ne pas prendre en compte ce qui les fâche, ce qui évidemment vient non
seulement marquer la « finitude » de notre vie, de la leur, mais aussi de leur
science.
Après tout, peut-on leur en faire grief ? Non ! On peut leur reprocher - et
vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur - d'avoir pendant très longtemps
consacré si peu d'efforts au traitement de la douleur par rapport au reste du
monde, à des pays voisins et à la jeune génération médicale qui critiquait de
telles attitudes.
Dès lors, vous avez eu raison, je vous remercie de l'avoir relevé - de dire
que le plan triennal était une pierre supplémentaire de l'édifice déjà quelque
peu esquissé de la nécessaire prise en charge des souffrances de chacun, des
patients pris un par un. D'ailleurs, nous ne voulons plus de ce vocable,
patient, qui signifie personne qui souffre. Ce sont des personnes malades,
souvent nos parents.
Les soins palliatifs devaient suivre. Ils ont provoqué quelques débats.
Monsieur Neuwirth, ne vous plaignez pas trop de l'abondance de textes ; ils ont
été harmonisés, et je vous remercie de l'avoir constaté, de façon positive.
Même si c'est longtemps après vous, vous avez fait des disciples.
Plusieurs textes ont été déposés ; nous en avons retenu cinq à l'Assemblée
nationale puis le vôtre, qui était un modèle. Nous avons essayé de les
adapter.
Dans la pratique, nous avons voulu que chaque projet médical de chaque
établissement prenne en compte l'organisation des équipes de soins palliatifs,
qu'elles soient fixes ou mobiles - dans un premier temps, nous les préférons
mobiles - et la prise en charge de l'hospitalisation à domicile. C'est une
avancée car vous savez qu'il faut absolument gager un lit d'hospitalisation à
domicile par deux lits hospitaliers ; vous connaissez les conflits que cela
entraîne, au niveau des personnels en particulier. Nous avons préféré indiquer
que nous ne suivrons pas forcément cette règle. Tout dépendra de la réalité des
soins palliatifs et des nécessités dans chaque région.
Les schémas sanitaires sont saturés. Nous n'aurions pas pu mettre en place les
équipes nécessaires, indispensables même. Nous avons préféré qu'elles puissent
figurer dans chaque projet hospitalier et qu'elles soient validées par l'agence
régionale de l'hospitalisation.
La démarche du Gouvernement vise également à conforter les bénévoles qui, dans
ces équipes, ont joué et jouent un rôle indispensbale. Je tiens à saluer ici le
travail de ces volontaires que nous n'avons pas assez remerciés pour l'aide
qu'ils ont apportée à un moment qui était plus difficile, où il était, si je
puis dire, moins dans le vent de s'intéresser à la mort de son prochain.
Voilà l'essentiel des transformations que nous avons cru devoir proposer pour
que ce texte puisse devenir opérationnel au plus vite.
Dans un premier temps, nous avions trouvé un peu d'argent. Mais, maintenant,
il faudra que les financements habituels prennent en compte cette nécessité non
seulement dans chaque hôpital, mais dans chaque établissement recevant des
personnes âgées.
Ces établissements prennent très rarement en compte la fin des personnes
âgées. Pourtant, dans notre pays, beaucoup plus de personnes vivent en bonne
santé plus vieilles, bien plus vieilles.
Nous avons voulu que cette nouvelle situation soit prise en compte, tant dans
ces établissements que dans les hôpitaux, par l'ANAES, Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé. Nous verrons les résultats. Je les
attends au plus vite.
Surtout, j'ai été sensible à la manière dont ces mesures ont été présentées,
j'ai été sensible à la volonté d'en revenir à plus d'humanisme. Il ne s'agit
plus seulement de technique, mais aussi de laisser la tendresse, l'attention
des plus proches, de la famille, des amis se faire jour plus facilement dans
ces équipes.
L'échange autour de l'inéluctable, autour de la fin, de la mort sera peut-être
facilité.
Comme vous le savez, les nôtres avaient des difficultés à aborder ce problème.
Rien n'était codifié, rien n'était prévisible, rien n'était semblable, tout
dépendait - et c'est cela que je trouvais personnellement, pour l'avoir
beaucoup pratiqué, difficile à supporter - de l'endroit où les derniers moments
étaient vécus, dans un établissement pour personnes âgées, dans la famille, à
domicile, comme, très souvent, nos concitoyens le souhaitent. Mais, très
souvent, ils ne peuvent pas y accéder parce que, chez eux, rien n'est prêt,
parce que les équipes en ville, que nous confortons par ce texte, n'étaient pas
suffisamment nombreuses. Tout dépendait alors de l'endroit où l'accident, la
fin de vie les trouvaient.
J'espère que, sans uniformité aucune, parce qu'il y aura un traitement
individuel nécessaire, une attention et un amour individuels, nous pourrons
compter sur un accompagnement différent.
Encore une fois, ce sera quand même une épreuve et rien ne sera réglé pour
autant. Cette épreuve non seulement nous attend tous, mais elle attend chacun
d'entre nous envers chacun des siens. C'est une épreuve pour soi-même, avec
soi-même, dès lors qu'elle est vécue avec les autres.
Je remercie chacun d'entre vous de l'attention portée au texte de M. Neuwirth,
aux améliorations qu'il apporte, en tout cas de mon point de vue. Nous aurons
l'occasion d'en reparler lors de la discussion de chaque projet de loi de
financement de la sécurité sociale. Nous pourrons chaque année relever les
progrès qu'il permet de réaliser.
Ce texte est essentiel, disais-je, parce qu'il change un peu les cultures,
beaucoup les états d'esprit et infiniment le regard que chacun d'entre nous
portera sur une fin plus heureuse.
Il restera, c'est vrai, mais je suis indécis sur ce point, une part de liberté
qui n'est pas évoquée dans ce texte, et qui fut le sujet d'un beau débat au
ministère de la santé - souffrez que je le rappelle, monsieur Neuwirth - entre
députés, sénateurs et membres du Conseil économique et social. L'échange, qui
portait sur l'ensemble des soins palliatifs, s'est étendu à l'euthanasie et a
mené certains à proposer un texte sur l'euthanasie.
De cet échange, il s'est dégagé au moins une certitude : 90 % à 95 % des
personnes en fin de vie, malades ou non, pourraient, devraient avoir accès aux
soins palliatifs.
Il reste donc un pourcentage indéfini mais très lourd, une fenêtre de liberté
sur laquelle il nous faudra tout de même nous interroger. Mais ce n'est ni
l'endroit ni le moment.
A l'occasion de la discussion de ce texte sur les soins palliatifs peut-être
certains ont-ils été approchés par des amis, par des associations, qui sont
venus leur demander, comme ils m'ont demandé, de laisser cette liberté de
choisir à un moment donné.
Quelle est la signification de cette requête dont nous reparlerons ? Il s'agit
non pas de réclamer le droit au suicide ou à l'euthanasie, mais de solliciter
la poursuite de la réflexion face à des situations que les soins palliatifs ne
prennent pas en compte. Je suis sûr que nous nous y emploierons ensemble.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Effectivement, monsieur le secrétaire d'Etat, notre approche
comporte des similitudes. Vous partagez mon point de vue quant à la nécessité
d'un nouveau regard porté sur l'homme, à ce moment le plus important de la
vie.
En revanche, nous divergeons sur deux points.
Je regrette ainsi que vous ayez supprimé pour les bénévoles la prise en charge
par les caisses d'assurance maladie des dépenses de formation.
Je regrette aussi que votre texte prévoie le recours au fonds social. En
effet, celui-ci sera tellement sollicité notamment avec la CMU, la couverture
maladie universelle, qu'il ne disposera certainement pas de beaucoup
d'argent.
Sur ces plans, nous ne sommes donc pas d'accord.
Par ailleurs, nous avions supprimé le troc pour l'hospitalisation à domicile.
Nous avions estimé, puisque la volonté des Français était claire - 70 % d'entre
eux veulent mourir chez eux alors que moins de 26 % le font - qu'il fallait
faciliter l'hospitalisation à domicile, uniquement en ce qui concerne, bien
entendu, les soins palliatifs et l'accompagnement.
Vous l'avez bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, nous cherchons à
aller à l'essentiel. L'essentiel, c'est ce véritable acte fondateur qu'est
l'article 1er. Désormais, le code de la santé publique reconnaîtra, en effet,
les droits de la personne malade et des usagers du système de santé, le premier
de ces droits étant de bénéficier de soins palliatifs et d'un
accompagnement.
Voilà l'essentiel. Pour la suite, d'autres textes y pourvoiront.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé.
La mise en place effective mais encore trop lente - c'est l'article 1er,
l'article fondateur, a dit M. Neuwirth - des unités de soins palliatifs, les
USP, en France est une réponse à l'urgence, pour notre société, de démythifier
la mort, de réapprendre à vivre avec les mourants afin de leur restituer toute
leur place parmi nous, jusqu'au dernier instant de leur existence.
Les USP sont une alternative humaniste et humaine à l'acharnement
thérapeutique et à ce qu'il faut bien appeler, avec le thanatologue
Louis-Vincent Thomas, l'acharnement euthanasique, dont le développement sans
contrôle ne laisse pas d'être inquiétant. Mais quel pourrait d'ailleurs être ce
contrôle pour ne pas être inquiétant à son tour ?
La France est à la traîne en la matière, et je remercie M. Neuwirth d'être
l'instigateur de cette proposition de loi. Vous en êtes conscient, monsieur le
secrétaire d'Etat : vos efforts significatifs et cohérents en témoignent à
votre crédit, mais je crois qu'il n'est pas inutile de rappeler ici quelques
données de base.
Notre pays offre 500 lits en USP contre plus de 3 000 au Royaume-Uni, où les
USP sont six fois plus nombreuses ; 41 départements français ne disposent pas
encore de structure appropriée, alors que 70 % de nos concitoyens meurent
désormais à l'hôpital, d'une mort de plus en plus médicalisée et de moins en
moins humaine.
Les soignants ne sont pas forcément indifférents après l'épuisement des
traitements curatifs, mais ils manquent de temps, ils manquent de savoir aussi.
De plus, autant le dire, ils ne se sentent pas là pour « cela », le long et
terrible mourir, la plus effrayante épreuve que tout humain ait à subir. « Cela
» mérite bien que des soignants, que des bénévoles y consacrent tout leur temps
et tout leur savoir, afin que l'humain soit traité en humain jusque dans
l'expérience la plus extrême qui soit, pour que la mort soit bien, comme le
prétendait Mallarmé, « un ruisseau peu profond calomnié ».
Chateaubriand disait déjà que « la vieillesse qui était précédemment une
dignité était devenue une charge ». Vérité d'hier, vérité d'aujourd'hui !
La poursuite, à un rythme accéléré dans notre siècle, de la désocialisation de
la vieillesse caractérise notre démission et, osons le dire, notre absence de
solidarité collective devant les mourants et ceux qui leur survivent.
C'est précisément contre cette évolution que s'est inscrit le développement de
la médecine palliative. Dans les trop rares USP, l'agonisant n'est ni un intrus
ni une charge. Il n'a pas besoin - et ses proches non plus - de mimer « la mort
de celui qui fait semblant qu'il ne va pas mourir », selon l'expression de
l'historien Philippe Ariès.
Le malade des USP, qui vient là pour mourir, n'y est pourtant pas réifié,
réduit à une somme organique de symptômes, déjà défunt au sens éthymologique du
mot, privé de fonction.
La modernité nous a apporté, avec une mort reculée, le fait de mourir souvent
à l'hôpital. A nous de saisir le fait de mourir à l'hôpital « presque » comme
chez soi.
Aujourd'hui, on soigne quelques personnes très bien, presque trop bien et trop
longtemps, et quelques-uns moins bien.
Autant il est indispensable que le médecin ne baisse pas trop vite les bras,
autant il est absurde d'infliger des « soins » inutiles à celui qui, faute
d'être mort à la vie, est déjà mort à l'humain. Je pense aux sujets en coma
dépassé, qui sont privés de réflexes vitaux et qui ont perdu les fonctions
végétatives clés. Ceux-là conservent le droit au respect et à l'amour.
L'euthanasie, à cet instant et à cet instant seulement, peut être légitimée
comme l'ultime acte d'aide au mourant, à condition qu'elle ne soit pas décidée
par les soignants seuls.
Mais il faut se défier de toute simplification en ce domaine. Les demandes de
mort sont-elles recevables, sont-elles irrévocables ? Ne sont-elles pas liées,
le plus souvent, à l'absence de soins palliatifs ?
On a pu remarquer, en effet, que là où il est possible de juguler la
souffrance et de prendre en charge le mourant, les demandes d'euthanasie se
font plus rares.
Ces demandes sont moins fréquentes également de la part des soignants dès lors
que ceux-ci peuvent exprimer leurs difficultés et leur angoisse devant leur
impuissance à guérir le patient.
Face à la mort, il est des moyens qui permettent d'éviter de céder trop vite
au désespoir et à la pulsion de mort. Les soins palliatifs sont ces moyens,
dont le moindre mérite n'est pas de faire cesser le dilemme angoissant qui se
pose au médecin : pour abréger les souffrances, doit-on abréger la vie ?
Je laisse chacun aborder cette question avec sa conscience, mais on aura
compris qu'il ne s'agit pas simplement, en la matière, du confort moral des
soignants.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Très bien !
M. René-Pierre Signé.
Les soins palliatifs, donc, sont le choix de la vie et de la compassion
préférées à la pulsion de mort.
Dans cet ensemble de démarches, la première chose à prendre en compte, c'est
l'angoisse qui assaille ceux qui vont mourir. Elle peut être atténuée si le
malade est accompagné par ceux qu'il aime et qui l'entourent de leur tendresse.
Ils devraient pouvoir bénéficier d'une possibilité de congé d'accompagnement
spécifique d'au moins 3 mois, et ce congé devrait être rémunéré. Mais comment
et par qui ? C'est l'objet d'un amendement dont nous reparlerons sûrement tout
à l'heure.
Se pose aussi la question de savoir si l'on doit dire la vérité au malade.
Mon expérience de médecin m'a enseigné qu'il fallait être extrêmement prudent,
ne pas susciter les questions, mais seulement y répondre. Beaucoup de gens ne
veulent pas savoir et l'on doit respecter cette volonté.
On dit souvent que la vérité est une libération. C'est aller beaucoup trop
loin : toutes les vérités ne sont pas forcément bonnes à dire. L'angoisse
entraînée par leur révélation peut, au contraire, déstabiliser le malade ; et
pour quel profit ?
En revanche, je pense qu'il est bon de laisser le malade parler de mort, de sa
mort, sans lui révéler qu'elle est proche. Pour moi, la révélation brutale est
un acte barbare. Elle enlève au malade le droit d'espérer, ce qui est le pire
des supplices.
Le second point, en réalité aussi important que le premier, est celui de la
prise en charge de la douleur - M. Neuwirth s'intéresse à cette question depuis
longtemps - quand elle existe, ce qui est souvent le cas, en particulier dans
les phases terminales des tumeurs - hypercalcémies, encombrement
pharyngo-trachéal, etc.
La douleur est une perception subjective. Force est donc de se fonder sur
l'affirmation des malades, puisque l'on sait que la douleur est ressentie
différemment suivant le caractère, l'environnement, la solitude ou la présence
et la sollicitude de l'entourage. Si la douleur est un signe clinique d'appel,
le diagnostic établi, elle devient inutile et cette inutilité est toujours
perçue par les malades.
J'insiste sur cette question de la douleur physique parce que la France, en
dépit d'efforts récents, demeure parmi les pays où elle est insuffisamment
prise en charge.
Celui qui parvient à se représenter la souffrance des autres a parcouru la
première étape sur le difficile chemin de son devoir, phrase bien connue qui
est toujours à méditer.
Cela m'amène à la question, essentielle vous le savez, de la formation des
équipes soignantes. Il est bien normal que celles-ci soient préoccupées par la
maladie à vaincre. Mais c'est souvent au détriment de la prise en compte du cas
de figure dans lequel la maladie est victorieuse.
Il est temps que notre médecine se souvienne qu'elle n'a longtemps été que
palliative ; il est temps de redonner au traitement palliatif toute sa
noblesse. L'impuissance nécessairement ressentie par le soignant devant un
diagnostic fatal ne doit, en aucun cas, lui faire oublier que la guérison du
malade n'est que l'un des deux aspects de sa mission, l'autre étant d'assurer
le bien-être de celui ou de celle qu'on lui a confié, y compris face à la
mort.
Sur un plan législatif et réglementaire, la formation des médecins doit être
intégrée absolument, formation initiale et formation continue. Il faut aussi
qu'émerge une véritable reconnaissance universitaire de la médecine palliative,
en parallèle à la mise en place de moyens financiers et humains. Il faut une
loi spécifique, de sorte que les USP intègrent le plus souvent les structures
hospitalières, en particulier les CHU, qui doivent devenir des pôles de
référence pour la recherche et la formation.
Mais il faudra aussi ne pas faire de ces unités le passage plus ou moins
obligé des mourants.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Bien sûr !
M. René-Pierre Signé.
D'abord, parce que, me semble-t-il, le volontariat des soignés comme des
soignants est l'une des clefs de la réussite de ces structures, j'y reviendrai
dans un instant. Ensuite, parce qu'il serait préférable que le plus de gens
possible puissent mourir chez eux, entourés de leurs proches tout en
bénéficiant d'une hospitalisation à domicile. C'était d'ailleurs le projet des
pionniers des soins palliatifs, notamment de la grande spécialiste Elizabeth
Kübler-Ross.
C'est l'objet de la proposition de loi que de développer les soins palliatifs
en termes de nombre de lits et de qualité, y compris au domicile des malades,
puisque, comme le disait tout à l'heure M. Neuwirth, 30 % des personnes y
meurent, avec l'adhésion des médecins libéraux rémunérés pour cette mission.
Je parlais de volontariat. C'est, au-delà du médecin, toute l'équipe des
soignants et des bénévoles formés à l'accompagnement de la fin de vie, comme il
est dit dans le texte, qui doit, dans une unité de soins palliatifs,
s'impliquer humainement et dépasser l'indispensable geste technique afin de
recueillir les dernières confidences, mais aussi d'accueillir la famillle et
parfois de la suppléer dans les derniers moment d'intimité, au moment, dit-on,
des ultimes caresses.
La mission d'une USP ne se limite pas au traitement. Sa mission, c'est le
malade tout entier et l'aide qu'on peut lui apporter au moment le plus décisif
de sa vie.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
C'est l'accompagnement.
M. René-Pierre Signé.
En effet, le droit à mourir sans être « chosifié », le droit à être entouré de
sollicitude et de compréhension face à la souffrance physique et à la terreur
d'une perspective à la fois naturelle et impensable, c'est le droit de chacun à
conserver sa qualité d'être humain jusqu'au bout. Cela sera reconnu un jour, je
l'espère, comme l'un des droits universels de l'homme. C'est un objectif vers
lequel il nous faut tendre. Un pays comme le nôtre a les moyens d'organiser
cette chance pour ses citoyens. Cela serait, monsieur le secrétaire d'Etat, la
traduction la plus éclatante et la plus noble de cet humanisme.
(Applaudissements.)
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
tiens, en avant-propos, à me féliciter de l'intelligence dont ont fait preuve
l'ensemble des parlementaires et des membres du gouvernement qui, dépassant
tout clivage politique et jeu politicien, ont su se rassembler pour développer
et humaniser l'accompagnement des malades en fin de vie.
Cela a notamment été le cas de M. le rapporteur, qui a joué un rôle fédérateur
important lors de débats en commission des affaires sociales, lors du dépôt de
la proposition de loi par l'ensemble des sénateurs de la commission et, bien
évidemment, lors des débats en séance qui ont conduit à l'adoption unanime du
texte.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, s'inscrivant
entièrement dans la démarche, ont, dès l'examen du texte en commission,
contribué à son amélioration en faisant adopter deux amendements.
L'un prévoit que les conditions d'agrément des associations de bénévoles
seraient fixées par décret en Conseil d'Etat.
L'autre élargit aux professionnels de santé, salariés des centres de santé, le
champ d'application des dispositions prévues pour les professions libérales.
De par son souhait de voir le texte d'aujourd'hui adopté le plus rapidement
possible, M. Neuwirth nous demande de voter sans modification la proposition de
loi adoptée à l'Assemblée nationale, où les députés ont, sans polémique,
cherché un équilibre entre les différentes propositions, les députés
communistes ayant, dans les débats en commission, proposé d'introduire les
dispositions mises en place par le Sénat le 7 avril dernier.
Je tiens, en outre, à saluer ici les mesures prises par M. le secrétaire
d'Etat à la santé, le 8 avril dernier, visant à mettre en place un plan
triennal de développement des soins palliatifs.
Cette proposition de loi apparaît comme l'amorce d'une réelle prise de
conscience, mais, surtout, comme la première décision prise par les élus pour
répondre aux difficultés de la fin de la vie.
La situation actuelle ne pouvait décemment perdurer.
On ne peut ignorer aujourd'hui la nécessité de développer les soins palliatifs
et de lutter contre la douleur. Les personnes malades, en fin de vie, doivent
pouvoir vivre leurs derniers moments dans la dignité, le respect et le
partage.
Il ne doit pas uniquement s'agir d'une médicalisation accrue, visant à
repousser toujours plus les limites en même temps que l'issue fatale.
La médecine se doit d'être plus humaine. Elle doit prendre en considération
l'ensemble des souffrances ressenties par les patients, surtout, mais aussi par
leurs familles, que ces souffrances soient d'ordre physique ou
psychologique.
Notre pays est très en retard en la matière. Quarante et un départements ne
disposent ni d'unité avec lits, ni d'unité mobile de soins palliatifs. La
capacité d'accueil à domicile est inférieure à 4 000 lits, alors que l'on
estime à 150 000 le nombre de personnes nécessitant des soins palliatifs.
Cette situation est générée par plusieurs causes, et d'abord par les
difficultés de notre société occidentale à assumer la mort. Celle-ci nous
renvoie une image contraire de ce que la société exige des hommes, à savoir
être toujours plus combatif, invincible, meilleur, productif, compétitif.
Autant de notions qui ont empêché les êtres humains de comprendre et d'accepter
la mort.
La mort est vécue comme un échec, alors qu'elle n'est que l'aboutissement de
la vie.
Si, depuis plusieurs années, les formations des professionnels de santé
prennent en compte les aspects psychologiques et physiques des douloureux
moments de la fin de la vie, celles-ci restent succinctes, d'autant plus qu'une
fois en exercice les équipes de soins palliatifs ne bénéficient pas de statut
administratif clair.
Ces aspects sociologiques sont également amplifiés par deux phénomènes : le
vieillissement de la population ne peut certes pas être considéré comme une
pathologie mais, de par les difficultés qu'il représente au quotidien pour les
personnes âgées, il peut relever de soins à caractère palliatif et, par
conséquent, contribuer à l'augmentation des besoins.
La crise économique, la précarité, le chômage, l'évolution de la société ont
également contribué indirectement à l'augmentation des besoins en soins
palliatifs en institution, en provoquant le mal-être d'une partie de la
population, l'éclatement de la cellule familiale et,
a fortiori,
l'incapacité grandissante des proches des malades à assumer l'accompagnement en
fin de vie. En témoigne l'inversement spectaculaire du taux des personnes
mourant à domicile ou en institution.
Voilà autant de raisons qui rendent nécessaire et urgente l'adoption de ce
texte dont je tiens maintenant à saluer quelques-unes des dispositions les plus
significatives.
L'article 1er a encore été amélioré, puisque l'accès aux Soins palliatifs a
été élargi. Ainsi, ils pourront concerner tous ceux dont l'état le requiert.
La définition retenue tient compte de tous les paramètres : « Soins actifs et
continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à
domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique,
à sauvegarder la dignité à la personne malade et à soutenir son entourage. »
Le développement des soins palliatifs est intégré au schéma régional
d'organisation sanitaire, ce qui est gage d'une répartition équilibrée sur
l'ensemble du territoire.
L'ensemble des établissements de santé, qu'ils soient privés ou publics, est
chargé de la mise en place.
Des dispositions particulières, notamment en termes d'honoraires, sont prévues
pour ceux qui interviennent dans ces soins à titre libéral.
Les bénévoles des associations agréées, dont je tiens à saluer le rôle
essentiel et qui, depuis toujours, accompagnent de nombreuses personnes vers la
mort, voient leur action reconnue par conventionnement des associations avec
l'Etat. Cependant, il nous semble dommage que le dispositif qui prévoit la
prise en charge forfaitaire pour l'assurance maladie des frais de formation
d'encadrement et de coordination de l'action des bénévoles ait été abandonné
lors de la lecture à l'Assemblée nationale.
M. Lucien Neuwirth,
rapporteur.
Oui, c'est dommage !
M. Guy Fischer,
L'article 10 instaure un congé d'accompagnement d'une durée de trois mois. Il
s'adresse aux ascendants, descendants et conjoint des personnes en fin de vie.
La création d'un tel congé, qui permettra aux familles de disposer d'un temps
dégagé de leur activité professionnelle pour participer à l'accompagnement du
malade, s'impose. Mais ne soyons pas dupes !
Si ce congé n'est pas assorti d'une allocation, peu nombreuses seront les
personnes qui pourront en bénéficier. C'est pourquoi nous vous proposerons, par
amendement, que ce congé d'accompagnement ouvre droit à une allocation.
Je terminerai sur un point qui, en général, fâche : la question des moyens, à
laquelle nous ne pourrons pas échapper.
Mettre en oeuvre la loi que nous allons voter ne peut se faire en proposant
des réductions de crédits budgétaires, comme vous le faites régulièrement.
En ce qui nous concerne, nous inscrivons ces dispositions dans une perspective
de développement des moyens de santé, en particulier hospitaliers. Loin d'être
un gâchis, non seulement ils sont évidemment nécessaires pour assurer un réel
droit à la santé pour tous, mais ils sont aussi sources d'économie d'autres
coûts sociaux.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er