Séance du 8 juin 1999
SITUATION AU KOSOVO
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur la situation au Kosovo.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé
à dix minutes le temps de parole dont disposeront, dans ce débat, les orateurs
de chaque groupe ainsi que le président de la commission des affaires
étrangères, et à cinq minutes le temps dont disposera la Réunion administrative
des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je vous donne lecture de l'allocution de M. Lionel Jospin, Premier
ministre :
« Le 26 mars dernier, je vous avais exposé les raisons qui déterminaient
l'engagement de la France aux côtés des alliés dans des opérations militaires
aériennes contre les forces de répression serbes.
« Je vous avais décrit la logique de la décision prise par les autorités
françaises. Il nous fallait rompre le refus obstiné de M. Milosevic de remplir
les obligations fixées par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations
unies. Il nous fallait tirer les conséquences du rejet par Belgrade de l'issue
politique proposée à Rambouillet - laquelle dessinait pourtant, après quinze
mois de négociations, un avenir pour le Kosovo. Il nous fallait signifier au
régime serbe que nous n'accepterions pas qu'il poursuive, impunément, au Kosovo
- comme hier en Croatie et en Bosnie - un cycle de violence barbare. Il nous
fallait enfin le contraindre à accepter, pour le Kosovo, une solution conforme
au droit international et respectueuse des droits fondamentaux de la personne
humaine.
« A chacune de mes interventions devant l'Assemblée nationale et le Sénat,
comme lors des rencontres que j'ai eues à l'hôtel Matignon avec les présidents
des groupes politiques et des commissions concernées, ou encore des nombreuses
auditions des ministres des affaires étrangères et de la défense auxquelles ces
commissions ont procédé, le Gouvernement a rappelé les objectifs et les
modalités de l'intervention de nos forces armées. Chaque fois, ont été exposées
les conditions dans lesquelles ce conflit devait prendre fin. J'ai toujours
insisté sur le fait que cette crise devait se terminer selon les termes fixés
par la communauté internationale, et non ceux voulus par M. Milosevic.
« C'est donc avec satisfaction, mais aussi avec prudence, que nous avons
accueilli, la semaine dernière, l'annonce par les autorités de Belgrade
qu'elles renonçaient à l'usage de la force au Kosovo et acceptaient les
principes et les conditions que le G 8 et le secrétaire général de l'ONU, au
nom de la communauté des nations, avaient posés pour trouver une issue à la
crise. Il restait à s'assurer que les engagements serbes se concrétiseraient.
C'est là l'enjeu des discussions en cours au plan diplomatique comme au plan
militaire. Les ministres des affaires étrangères du G 8 viennent de se mettre
d'accord, il y a une heure, sur un projet de résolution qui sera soumis au
Conseil de sécurité des Nations unies. Les discussions militaires vont
reprendre. Je me réjouis avec vous de ce pas décisif accompli sur le chemin de
la paix. Je suis heureux que notre diplomatie et en particulier le ministre des
affaires étrangères, Hubert Védrine, aient contribué activement à cette
dernière avancée.
« La stratégie poursuivie avec constance depuis dix semaines permet donc
aujourd'hui d'envisager une sortie de crise.
« Je voudrais vous rappeler les fondements de cette stratégie.
« Parce que M. Milosevic ne laissait pas d'autre issue, nous avons été
conduits à exercer une logique de coercition.
« Parce que le régime de Belgrade avait systématiquement opposé une fin de
non-recevoir aux efforts des négociateurs de Rambouillet comme à toutes les
autres formes d'intervention diplomatiques, notre stratégie devait employer des
moyens militaires. Le décalage existant entre les forces de répression serbes
et les populations kosovares sans défense exigeait le recours aux capacités
militaires de l'OTAN.
« Parce que Belgrade a ensuite persisté dans son refus de composer, nous avons
décidé la montée en puissance des bombardements aériens pour imposer à
l'adversaire notre résolution. Il a fallu poursuivre pendant plusieurs semaines
la même stratégie sur un mode élargi : aux objectifs de la phase 1, touchant
des centres de commandement et de défense aérienne, sont venus s'ajouter des
objectifs militaires au Kosovo - sur les instruments mêmes de la répression -
puis des objectifs de nature politique et économique - c'est-à-dire les
instruments de la propagande et du soutien des forces.
« Mais, parce que la perspective politique de cette stratégie était l'arrêt de
la répression au Kosovo, il ne s'agissait pas de faire la guerre aux Serbes. La
pression sur le pouvoir de Belgrade fut croissante, mais toujours maîtrisée.
Nous avons refusé l'emballement et l'escalade.
« Cette stratégie est validée par les faits.
« Elle vient à bout de l'obstination de Milosevic, qui doit aujourd'hui
accepter ce qu'il avait toujours refusé, notamment à Rambouillet : le
déploiement d'une force alliée au Kosovo, pour assurer le retour des réfugiés
et pour garantir l'existence, dans la République fédérale de Yougoslavie, d'un
Kosovo autonome et démocratique.
« Frappe après frappe, notre stratégie a déstabilisé le potentiel serbe. Les
dégâts infligés aux forces de répression, la désorganisation de leurs
approvisionnements et de leurs soutiens logistiques, la coupure des axes de
communication ont permis d'atteindre le point de rupture attendu.
L'affaiblissement du moral des troupes serbes, les premiers signes de désertion
et les premières manifestations de contestation ont montré au régime de M.
Milosevic qu'il était dans une impasse.
« Certes, la stratégie suivie a mis du temps à produire tous ses effets. Mais
vous savez bien qu'afin de réduire les risques encourus par nos soldats et de
minimiser les dommages aux populations civiles, l'action militaire ne pouvait
être totale, mais devait être contrôlée et progressive. Malgré toutes les
précautions, plusieurs erreurs - graves - sont intervenues. Même si elles sont
probablement inévitables dans un conflit de cette nature, nous devons regretter
ces victimes civiles.
« Les résultats déjà obtenus montrent combien il convenait d'être constant
dans notre stratégie. Je tiens à rendre hommage au courage, à la compétence et
au professionnalisme de nos forces armées et je me réjouis, bien sûr, qu'il n'y
ait eu aucune victime dans nos rangs.
« Nous avons aujourd'hui l'espoir d'atteindre nos objectifs. Mais nous
mesurons les conséquences dramatiques qu'a eues, pour les Balkans,
l'obstination de M. Milosevic. Nous savons les souffrances endurées par le
peuple kosovar et nous tiendrons nos engagements de voir les réfugiés rentrer
dans leur pays. Nous ne voulons pas humilier le peuple serbe, entraîné par ses
dirigeants dans une dérive nationaliste et meutrière. Nous souhaitons, au
contraire, que cette épreuve libère ce pays d'une politique barbare qui l'a mis
au ban de la communauté internationale.
« Le retour de la paix est désormais possible.
« Jeudi dernier, les autorités fédérales yougoslaves ont accepté les bases
d'un règlement du conflit dégagées par le président finlandais, M. Ahtisaari,
s'exprimant au nom de l'Union européenne, l'émissaire russe, M. Tchernomyrdine,
et l'envoyé américain, M. Talbott.
« M. Milosevic s'est ainsi engagé à mettre fin à la violmence au Kosovo, à
retirer rapidement l'ensemble de ses forces militaires et de répression, à
accepter - sous les auspices des Nations unies - le déploiement de forces de
sécurité permettant le retour, chez eux, des réfugiés et des personnes
déplacées et, enfin, à accepter qu'une administration provisoire s'assure que
le Kosovo bénéficiera d'un statut d'autonomie substantielle au sein de la
République fédérale yougoslave.
« Ce matin, en Allemagne, les ministres des affaires étrangères du G 8 ont mis
au point un projet de résolution organisant la mise en oeuvre de ces
orientations. En attendant l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU de
cette résolution, l'Alliance s'attache à obtenir un début de retrait effectif
et véritable des forces serbes, conduisant au déploiement au Kosovo de la force
internationale de sécurisation. Les dernières discussions, provoquées par les
autorités serbes, n'ont en rien entamé notre détermination d'aboutir au plus
vite à une résolution au Conseil de sécurité.
« Nous travaillerons jusqu'au bout pour que la paix revienne au Kosovo et pour
que les réfugiés puissent y rentrer. Nous savons que de nombreuses difficultés
entraveront leur retour, notamment du fait des terribles destructions
auxquelles se sont livrées les forces serbes et des milliers de mines
antipersonnel qu'elles ont posées. Il est néanmoins essentiel de s'engager dans
cette voie, qui traduira concrètement la victoire du droit sur la force. Tant
que l'ensemble des réfugiés ne seront pas rentrés chez eux, nous resterons à
leurs côtés, où qu'ils se trouvent.
« Sur le plan humanitaire, vous le savez, la France s'est portée au premier
rang des efforts de la communauté internationale pour secourir et protéger les
réfugiés dans les camps de Macédoine et d'Albanie. Elle a, par ailleurs,
accueilli plus de 10 000 Kosovars sur son sol depuis sept semaines. Elle
maintiendra son effort humanitaire, tout en accélérant avec ses partenaires
européens la mobilisation de ses ressources en faveur de la reconstruction
économique du Kosovo.
« Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la crise au Kosovo, la France a joué
et continuera de jouer un rôle de premier plan.
« Notre pays a pris toute sa part des actions militaires.
« Au cours des trois derniers mois, la position de la France a été, à tout
moment, en cohérence avec la ligne définie au sein de l'OTAN. La France a
pleinement participé, au sein de l'Alliance, à toutes les phases des opérations
militaires. Elle a été loyale et solidaire. Mais, dans le schéma décisionnel,
avant la prise de décision et au moment de son contrôle, la France s'est
appliquée à faire valoir, avec une grande fermeté, ses points de vue. Autant
notre détermination a été sans faille pour expliquer les décisions prises en
commun au sein de l'Alliance, autant il m'apparaît normal que notre pays, étant
donné son statut, ses responsabilités internationales et ses capacités
militaires, ait toujours voulu peser aux moments décisifs. Les autorités
françaises y ont constamment veillé. Je veux ici rendre hommage au ministre de
la défense, Alain Richard, et au chef d'état-major des armées, pour la mise en
oeuvre de ces orientations.
« Notre souci d'assurer, dans ce qu'il est convenu d'appeler « la phase 2
élargie », des mécanismes de contrôle adaptés, notre vigilance à éviter les
risques de déstabilisation du Monténégro, notre exigence de voir les frappes,
après les trois premières semaines, se concentrer en priorité sur les forces
déployées au Kosovo, notre souci de conserver une logique de maîtrise et de
retenue pour ménager les populations civiles : toutes ces orientations ont été
prises en compte.
« La France prépare désormais sa participation aux opérations de paix.
« Le Parlement a été informé et associé par le Gouvernement à chaque étape du
processus diplomatique en cours.
« Alors que s'ébauche une nouvelle phase de l'engagement français dans les
Balkans, je veux informer la représentation nationale des conditions de la
participation française aux efforts de paix.
« Ceux-ci reposent, notamment, sur la mise en place d'une force de
sécurisation au Kosovo, appelée KFOR. Son état-major central aura une
responsabilité de coordination importante. Sa structure est en cours de
négociation entre Alliés et Russes. Cette force de près de 52 000 hommes
comportera, pour l'essentiel, des contingents de l'OTAN, mais aussi un
important détachement russe - dont le volume reste à préciser - et d'autres
contributions de pays amis. La France participera à hauteur de 7 000 hommes
pour cette seule force. Notre effort devrait reposer sur une brigade, dont en
particulier un bataillon blindé mécanisé comprenant des chars Leclerc, deux
bataillons de génie pour le déminage et la reconstruction. Das bataillons
étrangers pourraient se joindre à cette brigade française.
« Dans l'état actuel des discussions avec nos alliés, nous devrions nous
déployer, au sein d'un ensemble découpé en plusieurs zones multinationales,
dans la partie septentrionale du Kosovo, autour de Kosovska-Mitrovica. Nos
forces devront sécuriser cet espace, aider le retour des personnes réfugiées et
déplacées et favoriser le rétablissement d'une vie normale.
« Il faut savoir que cette mission sera difficile. Nos forces interviendront
dans un environnement dangereux, surtout au début, en raison des mines
antipersonnel, des provocations possibles et de la tentation, pour certains, de
recourir à la violence. Nous savons que le retour à la normale prendra du
temps. Notre objectif est de garantir une solution politique stable au Kosovo.
Cette force sera déployée pour une longue durée. Le Gouvernement y est prêt.
« Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l'Europe politique, pour l'Europe de
la défense, la crise kosovare a constitué un tournant.
« Il nous faudra tirer toutes les leçons de ce conflit. Si l'Europe, dans son
action politique, a fait preuve d'une volonté cohérente, en particulier en
défendant sa conception des négociations diplomatiques, chacun a pu prendre la
mesure du chemin qu'il nous reste à parcourir pour construire l'Europe de la
défense.
« L'Europe a fait montre de sa résolution.
« Du conseil européen de Berlin, le 24 mars dernier, à celui de Cologne, les 3
et 4 juin, en passant par le conseil extraordinaire de Bruxelles, le 14 avril
dernier, l'Union européenne a toujours pris ses responsabilités dans la gestion
de la crise.
« Elle l'a fait au nom des valeurs communes qui fondent précisément la
construction de l'Union : le respect des droits de l'homme, la démocratie, la
liberté, le droit international. L'Europe ne pouvait accepter sans réagir que
ces valeurs soient violées au Kosovo.
« L'inculpation de M. Milosevic, ainsi que celles de quatre autres
responsables politiques et militaires serbes, pour crimes contre l'humanité,
par Mme le procureur général du tribunal pénal international, a souligné, si
besoin était, combien notre réaction à cette barbarie était justifiée. Les
termes de l'acte d'inculpation donnent raison aux pays qui se sont coalisés
pour arrêter la force par la force, au nom du droit.
« La décision du tribunal nous montre également la voie pour l'avenir de cette
région. Il n'y aura pas de paix sans justice. Il n'y aura pas de développement
économique et de stabilité politique sans l'établissement préalable d'un Etat
de droit qui protège toutes les populations et grâce auquel celles-ci pourront,
quelle que soit leur origine ou leur religion, participer à l'épanouissement de
la démocratie.
« La solidarité des Quinze s'est traduite par leur engagement commun dans les
opérations de l'Alliance, pour ceux qui en sont membres, et par la
participation active de tous aux efforts de la diplomatie internationale. La
France, par la voix du Président de la République et du Gouvernement, a joué,
au sein des pays de l'Union, un rôle moteur.
« Contrairement à ce que certains ont voulu dire, les Européens n'ont pas
suivi les Etats-Unis. Ils ont participé pleinement à la prise des décisions
militaires et à leur mise en oeuvre. Et ils l'ont fait parce qu'ils étaient
convaincus que le recours à la force était devenu inévitable face à
l'intransigeance de M. Milosevic.
« S'il est vrai que les Etats-Unis ont fourni la plus grande part des moyens
aériens, la participation européenne a été importante. A partir des éléments de
la force d'extraction mise en place en Macédoine lors du déploiement des
observateurs de l'OSCE, ce sont les Européens qui assurent l'essentiel de la
présence de l'Alliance en Macédoine et en Albanie. Ce sont les Européens qui
ont organisé la majeure partie de l'effort humanitaire dans ces pays,
construisant des camps, protégeant la vie des centaines de milliers de réfugiés
qui s'y trouvent. Ce sont les Européens qui fourniront plus de la moitié des
forces de paix qui entreront bientôt au Kosovo, pour assurer la mise en oeuvre
des décisions du Conseil de sécurité.
« Forte d'une diplomatie active, l'Europe a défendu sa conception de la
négociation.
« Après avoir contribué pendant des mois à la recherche d'un accord entre les
parties, c'est sous l'impulsion de l'Europe - et plus particulièrement de la
France et du Royaume-Uni - que les négociations deRambouillet et de l'avenue
Kléber se sont tenues. Les Européens n'ont pas cessé d'agir ensuite pour que,
au-delà des opérations militaires, soient dessinées des perspectives de
règlement pacifique du conflit. Je veux à cet égard rendre hommage au travail
de nos diplomates et, en particulier, à celui du ministre des affaires
étrangères, Hubert Védrine.
« C'est l'Europe - et singulièrement la France - qui a promu le retour de la
Russie dans le jeu diplomatique, parce qu'elle était convaincue que ce
partenaire majeur pour la paix et la sécurité sur le continent pouvait et
devait prendre une part active au processus diplomatique. Nous ne pouvons que
nous réjouir du dialogue confiant qui s'est établi entre l'émissaire russe, M.
Tchernomyrdine, et M. Ahtisaari, et qui a permis de donner une dynamique
nouvelle à la recherche d'une issue politique pour le Kosovo.
« C'est également l'Europe - et je m'en suis fait l'écho ici même il y a
plusieurs semaines - qui a la première réclamé que les Nations unies retrouvent
leur place dans la recherche d'un règlement du conflit. C'est pourquoi nous
avons appuyé sans hésiter la déclaration faite le 9 avril par le secrétaire
général de l'ONU pour proposer les conditions d'une solution politique.
« Nous sommes très satisfaits que le Conseil de sécurité soit amené à jouer
tout son rôle dans la séquence qui s'est ouverte il y a quelques jours. Cette
évolution est en effet conforme à notre conviction que le Conseil de sécurité
doit jouer un rôle primordial en matière de maintien de la paix et de la
sécurité internationale.
« Dès le 14 avril, à Bruxelles, l'Europe a proposé un ensemble de mesures
susceptibles d'aider les pays de la région à surmonter les conséquences de la
crise, afin qu'ils puissent progresser ensemble - et dans le dialogue avec
l'Union européenne - sur la voie du développement et de la démocratie. En
incluant la Yougoslavie dans le projet de "Pacte de stabilité pour l'Europe du
Sud-Est" proposé par la présidence allemande, l'Union atteste sa volonté de
contribuer activement et positivement à un règlement à long terme des tensions
dans les Balkans.
« De la même façon, et sur l'initiative du Président de la République, l'Union
européenne a proposé de prendre en charge, dès qu'un accord de paix aura été
obtenu, l'administration provisoire du Kosovo. Il y a là, me semble-t-il, le
signe de la détermination européenne à agir ensemble, alors que l'Union
européenne entre dans une nouvelle phase de sa construction politique.
« Cette construction politique doit désormais faire sa place à la perspective
d'une véritable Europe de la défense.
« L'épreuve des Balkans a permis de cristalliser une conscience européenne en
matière de défense.
« Nous devons en tirer toutes les conclusions en termes de commandement, de
conduite des opérations militaires, de performance comme de compatibilité des
matériels et des équipements, de procédures de recueil et d'échange de
renseignements, de planification et de suivi des actions militaires.
« Il faut donc se réjouir des résultats positifs du Sommet de Cologne,
préparés par la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et le communiqué
franco-allemand de Toulouse. C'est un accord politique majeur qui a été obtenu
à quinze. Il conforme la légitimité de l'Union européenne à traiter les
questions de défense et de sécurité.
« Trois points essentiels ont, en effet, été acquis. L'Europe doit se doter de
moyens propres pour la préparation et le suivi des décisions, qu'il s'agisse du
renseignement, de la planification stratégique ou de l'analyse des situations
de crise.
« Elle doit pouvoir librement disposer de capacités militaires, que ce soit au
travers du pilier européen de l'OTAN ou grâce à la mobilisation de moyens
européens autonomes. Sur ce point, il faut saluer le projet de transformation
du corps européen en corps européen de réaction rapide.
« Enfin, l'Europe doit procéder à une réforme institutionnelle qui passe par
la création d'instances décisionnelles - le comité politique et de sécurité, le
comité militaire, l'état-major européen - et l'intégration prévue, à terme, de
l'UEO dans l'Union européenne.
« Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'heure où je m'exprime, le processus
de paix est en cours. La voie vers la paix est ouverte. Pour les Kosovars, pour
tous les peuples des Balkans, pour l'Europe et pour la communauté
internationale, nous nous devons de réussir. »
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame et monsieur les ministres,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'acceptation du plan de
règlement de la crise au Kosovo par les autorités de Belgrade constitue, malgré
les premières difficultés rencontrées, un véritable espoir pour la paix. Il
faudra, nous le savons, beaucoup de vigilance et de détermination pour que les
engagements pris soient bien confirmés par les faits. Mais il s'agira alors
d'un succès majeur dans le combat pour nos valeurs et pour la démocratie sur
notre continent.
Nous n'oublions pas que ce résultat, pourtant très proche des propositions qui
ont été faites voilà plus de trois mois à Rambouillet puis à Paris, n'aura pu
être obtenu qu'après bientôt onze semaines de frappes aériennes ininterrompues.
Nous n'oublions pas non plus le coût élevé de ce conflit, y compris en vies
humaines. Nous n'oublions pas davantage, surtout, que rien n'est acquis, que M.
Milosevic est déjà trop souvent revenu sur ses promesses et que relever les
défis du processus de paix qui s'ouvre sera sans doute aussi difficile que
mettre un terme au conflit lui-même.
Depuis le début de ce conflit, la France a été au premier rang de ce combat.
Je tiens à rendre une nouvelle fois hommage, du haut de cette tribune, aux
soldats français, et singulièrement à nos pilotes, qui ont, de manière
exemplaire, pris toute leur part dans les opérations militaires conduites par
les alliés.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR,
des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes.)
Ils assurent encore aujourd'hui et assureront demain une
mission difficile. Une délégation de la commission des affaires étrangères, de
la défense et des forces armées a pu constater, sur place, leur dévouement et
leur compétence.
Mais, à ce jour, les incertitudes demeurent nombreuses et les questions encore
sans réponse importantes.
Les premières de ces interrogations concernent l'avenir immédiat. Nous nous
félicitons de la détermination, de la cohérence et de la coordination
remarquables qui ont caractérisé l'attitude des alliés, et singulièrement des
Européens, depuis le début de cette crise. Nous apprécions aussi la part prise
par les Européens dans les efforts diplomatiques incessants qui ont été
conduits. Nous estimons, enfin, légitime le rôle majeur que doivent être
appelés à jouer les Européens au sein de la force qui devra être déployée au
Kosovo. Nous avons trop en mémoire notre impuissance collective lors de la
crise bosniaque pour ne pas nous réjouir de cette détermination retrouvée. Mais
bien des questions demeurent en suspens, et la paix ne sera que le fruit d'un
processus long et difficile, qui exigera, là encore, de la communauté
internationale qu'elle reste constamment unie, exigeante et résolue.
La première de nos préoccupations concerne naturellement, monsieur le
ministre, la « séquence » des événements en cours qui devraient conduire au
déploiement de la force internationale attendue au Kosovo. Où en est-on, à
cette heure, quant aux conditions du retrait des forces serbes du Kosovo ?
Pouvez-vous aussi préciser le rôle qui reviendrait à la Russie dans ce
processus de paix, et notamment au sein de la force de sécurisation : à quelle
structure de commandement et à quel mécanisme de coordination répondra le
contingent russe ?
Une deuxième série d'interrogations concerne naturellement M. Milosevic
lui-même. Je ne reviendrai pas sur le scepticisme qu'engendrent depuis
longtemps ses engagements. Je me bornerai, monsieur le ministre, à vous
interroger sur la possibilité, pour la communauté internationale, d'avoir pour
interlocuteur un homme stigmatisé par la plus terrible des accusations : être
un criminel contre l'humanité. Compte tenu de l'inculpation de M. Milosevic par
le tribunal pénal international, estimez-vous que cette décision devrait avoir
des conséquences concrètes rapides ? En particulier, pouvez-vous nous confirmer
que la KFOR aura parmi ses missions d'arrêter les personnes inculpées ? A-t-on
clairement écarté l'idée selon laquelle, dans l'intérêt même de la paix, on
puisse faire référence, en l'espèce, à la disposition du statut de la future
Cour pénale internationale qui permettrait au Conseil de sécurité, dans de
telles circonstances, de demander une suspension des poursuites engagées ?
Une troisième question - et non la moindre - concerne naturellement le retour
des réfugiés kosovars dans leur province, car nous savons bien qu'il n'y aura
pas de véritable succès des alliés, sauf à entériner l'épuration ethnique, tant
que nous n'aurons pas créé les conditions de ce retour. Dans quels délais et
dans quelles conditions matérielles peut-on aujourd'hui raisonnablement
envisager ce rapatriement qui concerne au total près d'un million de personnes
qui ont fui le Kosovo depuis mars 1998 ?
Par-delà ces préoccupations immédiates, relever les défis de la paix au Kosovo
supposera, de toute façon, de créer les conditions d'une solution durable. Là
encore, trois questions me paraissent devoir être posées.
La première a trait, bien entendu, au statut du Kosovo lui-même. Le plan de
règlement écarte, une nouvelle fois, toute indépendance de cette province. Et
le déploiement attendu de la force internationale ne doit pas non plus
favoriser une partition du Kosovo. Mais n'y a-t-il pas là un nouveau risque de
désaccord, en particulier entre les Occidentaux et les Russes ? Comment peser
sur l'attitude de l'UCK qui s'est vu largement imposer un accord qui prévoit sa
démilitarisation pour favoriser sa transformation en une simple force politique
? Comment l'Union européenne, à laquelle pourrait incomber, vraisemblablement
pour longtemps, l'administration du Kosovo, pourra-t-elle créer à nouveau, pour
les populations serbes et kosovares, la possibilité d'un destin commun après de
tels drames ?
La deuxième question majeure concerne la reconstruction économique,
indispensable, mais à coup sûr très coûteuse. Il va de soi que nous devrons,
dans cette affaire, assumer nos responsabilités. Je me félicite en particulier
de l'importance croissante que nos forces attachent désormais aux affaires
civilo-militaires. Nous devons, là aussi, tirer toutes les leçons du conflit
bosniaque. Nous devons veiller à ce que les Européens, qui ont l'habitude
d'être, en de telles circonstances, les principaux bailleurs de fonds,
participent plus équitablement à toutes les opérations de reconstruction.
Ma dernière question portera, monsieur le ministre, sur le projet de pacte de
stabilité dans les Balkans, qui doit constituer, me semble-t-il, un objectif
majeur dans une zone qui aura valu à l'Europe une grande partie de ses malheurs
tout au long du XXe siècle. Pouvez-vous nous préciser, à cet égard, les
résultats que vous attendez de la conférence ministérielle qui doit se dérouler
à Cologne après-demain ? Et faudra-t-il écarter toute représentation de la
Yougoslavie dans de telles réunions aussi longtemps que M. Milosevic conservera
les rênes du pouvoir à Belgrade ?
Je conclurai en évoquant les enseignements, assurément très importants, que
nous devrons tirer, le moment venu, de cette grave crise du Kosovo. L'heure
n'est pas, bien entendu, aux conclusions définitives. Il n'est cependant pas
trop tôt pour tenter d'apprécier les premières leçons de ce nouveau conflit en
Europe, tant sur le plan stratégique que sur le plan militaire. Tel sera
l'objet, monsieur le président, mes chers collègues, des auditions auxquelles
procédera, dès demain et au cours des prochaines semaines, la commission des
affaires étrangères et de la défense.
Elles nous permettront d'abord, je l'espère, d'analyser plus précisément le
nouveau concept stratégique de l'OTAN, ainsi que les relations entre l'OTAN et
les Nations unies, à la lumière de cette dernière crise.
Nous nous efforcerons de mieux apprécier dans quelle mesure cette nouvelle
épreuve aura réellement favorisé une prise de conscience de son partenaire sur
la nécessité de bâtir concrètement une véritable défense européenne. La
déclaration adoptée par les Quinze à Cologne, venant après les décisions
franco-britanniques de Saint-Malo et franco-allemandes de Toulouse, me semble
prometteuse. Mais nous avons connu, depuis longtemps, trop de discours et de
mesures symboliques en la matière pour nous en satisfaire. Pouvez-vous nous
préciser, monsieur le ministre, la portée pratique et le calendrier concret des
mesures annoncées, notamment en ce qui concerne la transformation de
l'Eurocorps et l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne ? Le moment
n'est-il pas également venu de dresser un nouveau bilan de notre position, qui
demeure tout de même singulière, au sein de l'OTAN ? Nos militaires devront-ils
assumer une part toujours plus importante sur le terrain et toujours aussi
réduite à Bruxelles au siège de l'Organisation ?
La grave crise que l'Europe vient de traverser l'a une nouvelle fois démontré
: la France a un rôle majeur à jouer au service de la paix sur notre continent.
Je suis convaincu, monsieur le ministre, que cette action déterminée et
persévérante de la France, conduite sous l'autorité du Président de la
République, recueillera la plus large approbation du Sénat.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Estier, au nom du groupe socialiste.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, « Kosovo : la paix se fait attendre », titrait hier un
journal du soir. Les dernières informations, que confirme la déclaration du
Premier ministre que vous venez de nous lire, monsieur le ministre, permettent
heureusement de penser qu'il ne faudra plus attendre très longtemps.
Un grand espoir était né, à la fin de la semaine dernière, avec l'acceptation,
par Milosevic puis par le parlement de Belgrade convoqué tout spécialement, du
plan de paix qui avait été présenté par l'émissaire russeTchernomyrdine et le
président finlandais Ahtisaari.
Ce projet d'accord précisant les principes d'un règlement de la crise du
Kosovo représente en lui-même un grand pas en avant, même s'il était sage de ne
pas immédiatement crier victoire. Milosevic, que l'on disait à la fin de la
semaine dernière déprimé, aux abois, donc prêt à tout accepter, a sans doute
cherché encore à gagner un peu de temps en faisant soulever par ses généraux
des obstacles à une mise en oeuvre rapide du plan de paix et à l'entrée d'une
force internationale au Kosovo.
Le Premier ministre avait d'ailleurs, dès le premier instant, manifesté une
certaine prudence en déclarant, vendredi dernier, sur une radio périphérique :
« on entrevoit la paix mais elle va être un long processus et n'existera
vraiment que si les conditions fixées par la communauté internationale sont
mises en oeuvre ».
Beaucoup de problèmes sont encore à résoudre, et d'abord, comme le propose la
France, la synchronisation entre le vote d'une résolution au Conseil de
sécurité, l'arrêt des frappes et l'entrée au Kosovo de la force internationale
prévue dans le plan du G8.
Quelles que soient les difficultés qui, n'en doutons pas, restent à surmonter,
il est clair pour nous tous que Milosevic a été mis en échec. Il s'est trompé
sur toute la ligne, notamment en escomptant une division parmi les alliés de
l'OTAN, division qui ne s'est pas produite, ce qui lui a ôté toute marge de
manoeuvre.
Tout au long des semaines qui se sont écoulées depuis le début des frappes
aériennes, le 24 mars, on a beaucoup critiqué cette stratégie qui n'était
évidemment pas sans défaut, qu'il s'agisse d'une sous-estimation de la capacité
de résistance de Milosevic, de sa volonté de pousser le plus loin possible la
politique d'épuration ethnique au Kosovo ou encore de bavures qui ont causé la
mort d'un nombre important de civils, confirmant ainsi - c'est une leçon que
nous devons retenir une fois de plus - qu'il n'y a pas de guerre propre.
M. Jean-Claude Gaudin.
Bien sûr !
M. Claude Estier.
Cette stratégie, nous l'avons pourtant soutenue dès le premier jour et sans
défaillance, comme la majorité de l'opinion française, car c'était la seule
possible après le refus des autorités serbes de la solution politique élaborée
à la conférence de Rambouillet, puis à la réunion de Paris. Il ne s'agissait
aucunement d'une guerre d'intérêts ou de conquête, mais bien d'une guerre au
service du droit.
Ici même, le 26 mars, apportant le soutien du groupe socialiste au
Gouvernement, j'avais souligné que ne pas intervenir aurait constitué un aveu
d'impuissance de la communauté internationale, impuissance qui aurait
d'ailleurs été dénoncée par ceux-là mêmes qui critiquaient l'intervention.
Les frappes aériennes n'étaient pas, à nos yeux, une fin en soi. Mais qui peut
imaginer que, sans elles et sans, hélas ! les destructions subies par son pays,
Milosevic aurait fini par accepter ce qu'il refusait obstinément trois mois
plus tôt ?
Il importe maintenant que ces frappes soient arrêtées le plus vite possible,
en tout cas dès que le retrait des forces serbes du Kosovo aura pu être
vérifié.
J'en viens maintenant au plan de paix qui est sur la table et qui fera l'objet
d'une résolution au Conseil de sécurité.
Je veux d'abord souligner le rôle essentiel que les Européens ont joué dans
son élaboration. Notre diplomatie en particulier, qui a déjà joué, par
l'intermédiaire de notre ami Hubert Védrine, un rôle primordial lors de la
conférence de Rambouillet, a multiplié les efforts pour rassembler nos
partenaires de l'Union européenne sur les principes de base d'une solution
politique et pour réintroduire les Russes dans le jeu diplomatique, ce qui
était essentiel.
Aujourd'hui même, à Cologne, le ministre des affaires étrangères poursuit ses
inlassables efforts pour surmonter les derniers obstacles.
Pour les Européens, il n'était pas indifférent que le président finlandais,
qui, dans quelques jours, assurera la présidence de l'Union européenne, ait pu
jouer un rôle décisif pour convaincre Belgrade de jeter l'éponge.
On a beaucoup dit que, dans cette affaire, l'Europe était à la remorque des
Américains.
M. Jean-Claude Gaudin.
Hélas !
M. Claude Estier.
Certes, sur le plan militaire, les Etats-Unis ont pesé sensiblement plus
lourd. L'Union européenne doit en tirer les leçons nécessaires ; sans doute
a-t-on commencé à le faire au sommet de Cologne.
Il reste que, sur le plan tant politique que diplomatique, l'Europe aura joué
un rôle décisif, et c'est sur elle encore que reposera pour une large part la
mise en oeuvre du plan de paix.
Ce plan de paix, simple dans son énoncé mais forcément complexe dans sa mise
en oeuvre effective, a le grand mérite à nos yeux de remettre au premier rang
l'Organisation des Nations unies dont la mise à l'écart - certes tout à fait
compréhensible en raison des vetos prévisibles - nous avait quand même
inquiétés au début des frappes. C'est sous les auspices de l'ONU que doivent se
déployer au Kosovo les forces internationales de sécurité, conformément au
chapitre VII de la Charte. C'est sur décision du Conseil de sécurité que sera
mise en place une administration intérimaire pour le Kosovo devant conduire à
une autonomie substantielle de cette province au sein de la République fédérale
yougoslave.
Il est essentiel - nous n'avons cessé de le réclamer - que l'ONU retrouve
ainsi sa vocation fondamentale et que le fait que les circonstances aient
conduit à se passer de son autorisation expresse avant l'engagement des frappes
sur la Serbie ne puisse faire jurisprudence pour l'avenir.
L'avenir, précisément, c'est ce qui doit maintenant nous préoccuper, et cela
sur plusieurs plans à la fois.
La priorité - c'était, ne l'oublions pas, l'un des principaux buts de guerre -
c'est que les centaines de milliers de réfugiés kosovars qui se trouvent
aujourd'hui en Albanie, en Macédoine, au Montenegro ou ailleurs puissent
rentrer chez eux le plus rapidement possible.
Pour ceux qui sont dans les camps, les risques, sanitaires notamment, d'une
trop longue prolongation de cette situation sont considérables, ainsi que nous
avons pu nous en convaincre lors de la visite que la délégation de la
commission des affaires étrangères du Sénat, sous la conduite de M. Xavier de
Villepin, a effectuée il y a trois semaines en Macédoine et en Albanie.
Quant à ceux qui ont été accueillis dans des familles dans l'un ou l'autre de
ces deux pays, ils vivent, comme d'ailleurs ces familles elles-mêmes, dans un
état de grande précarité qui ne saurait non plus se prolonger.
Il faut pourtant être conscient que les uns et les autres ne pourront
retrouver du jour au lendemain leurs villes ou leurs villages, leurs maisons
très souvent détruites, sans que leur sécurité soit totalement assurée. La
tâche est évidemment immense. Nous savons que la France qui, par ailleurs,
accueille sur son sol les Kosovars désirant y venir est prête à prendre sa part
aussi bien par la présence de plusieurs milliers de militaires - 7 000,
avez-vous dit, monsieur le ministre - que par les contributions financières
nécessaires à la reconstruction.
L'avenir, c'est aussi celui des deux petits pays que sont la Macédoine et
l'Albanie qui auront, bon gré mal gré, payé à ce conflit un tribut démesuré par
rapport à leurs faibles ressources.
L'aide internationale ne devra pas les oublier, pas plus qu'il ne faut oublier
le Montenegro dont les dirigeants ont été particulièrement courageux face aux
pressions de Belgrade.
L'avenir, c'est enfin celui de la Serbie elle-même, durement touchée par le
délire de ses dirigeants, un pays à reconstruire mais dont la reconstruction
elle-même suppose la substitution d'un Etat démocratique au régime totalitaire
de Milosevic. Ce dernier point est, bien entendu, d'abord l'affaire des Serbes
eux-mêmes ; mais sans doute convient-il d'aider ces derniers à prendre
conscience qu'ils sont les victimes d'une dictature sanguinaire dont ils ont
tout intérêt à se débarrasser pour prendre la place qui revient à leur pays
dans une Europe en paix et dans un ensemble balkanique ayant retrouvé la
stabilité.
A l'heure où nous parlons, et même si les dernières informations nous rendent
plus optimistes, rien n'est encore définitivement réglé. Il semble cependant
que l'essentiel soit acquis depuis que Milosevic a été contraint d'accepter les
conditions posées par la communauté internationale. De cette guerre sur le sol
même de l'Europe, il conviendra, bien sûr, de tirer toutes les leçons.
L'important à nos yeux est que, cette fois-ci, les démocraties, en dépit de
leurs faiblesses, ont été capables de donner un coup d'arrêt au nationalisme
exacerbé qui a déjà fait tant de ravages. Bien sûr, cela a un coût élevé, mais
au moins peut-on espérer que l'ensemble des peuples de notre continent, et
d'abord ceux des Balkans, retrouvent bientôt la paix et la sécurité.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines
travées du groupe communiste républicain et citoyen, du RDSE et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Arthuis, au nom du groupe de l'Union centriste.
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est
d'abord une impression de soulagement qui envahit nos esprits : nous sommes
heureux d'apprendre la signature toute récente de ce double accord au sein du G
8 à Cologne. Ainsi, les espoirs de paix prennent enfin corps.
La semaine dernière s'est achevée sur une note d'optimiste et d'espérance,
mais la semaine actuelle s'est ouverte sur le doute. Les atermoiements de la
partie yougoslave, qui ne faisait pas la même lecture que les Occidentaux des
accords entérinés par le président Milosevic et le parlement yougoslave, ont
donné en effet l'impression d'un enrayement du processus et nécessité la
continuité des frappes aériennes.
Enfin, cet accord est signé. Je tiens à exprimer toute la reconnaissance des
membres du groupe de l'Union centriste aux militaires français engagés au sein
de l'Alliance pour mettre la force au service du droit, ainsi qu'à nos
diplomates.
Sans doute les Serbes n'étaient-ils plus en mesure d'inverser le processus qui
doit amener à la cessation totale des hostilités et des violations quotidiennes
des droits de l'homme au Kosovo. Le Conseil de sécurité de l'ONU va enfin
pouvoir mettre en oeuvre le plan de paix tant attendu.
Ce plan de paix, qui reprend les dispositions du projet d'accords de
Rambouillet, a pu être mené à bien en partie grâce à la constance et à la
mesure dont la diplomatie française, l'action du Président de la République et
du Gouvernement ont témoigné. Lorsque les historiens, dans des décennies,
feront le point sur cette crise du Kosovo, ils ne manqueront certainement pas
de souligner le rôle majeur joué par Paris dans un règlement général de la
question balkanique en cette fin de printemps 1999.
Depuis le début de la crise, la position de la France a été claire, et nous
l'avons soutenue sans réserve : oui, à l'action militaire, oui, bien sûr, à
l'action diplomatique, cette dernière ne prenant sa pleine signification
qu'avec l'aide et l'introduction de la Russie dans les négociations concernant
l'avenir des Balkans.
Nous avons tenu le cap fixé. Une fois encore, la France a réussi à être le
trait d'union entre le monde de l'Ouest, l'Europe issue de la fin du communisme
et la Russie post-communisme. Le lien ancien d'amitié franco-russe a sans doute
facilité la présence de la Russie dans la recherche de solutions négociées et
pacifiques, lui évitant ainsi le repli sur elle-même dans une attitude de
méfiance et peut-être d'hostilité générale à l'encontre des capitales
occidentales.
Il s'agissait d'empêcher que les forces spéciales serbes, l'armée yougoslave
et les milices de l'UCK profitent d'éventuelles divergences dans les positions
des principaux acteurs pour continuer à s'affronter. Cette première et
impérieuse nécessité est maintenant acquise ; nous ne pouvons que nous en
réjouir.
Nous savons qu'il ne sera pas possible de régler en quelques jours les
questions du Kosovo qui, depuis vingt-cinq ans, agitent et déchirent la
Yougoslavie, et dont les prémices historiques se retrouvent voilà plus de cent
cinquante ans. Le groupe de l'Union centriste n'a cessé de réaffirmer son
soutien à la politique jusqu'ici menée. Il s'interroge cependant sur le devenir
de ces milliers de réfugiés, chassés de leurs foyers.
Comment l'Europe entend-elle garantir le retour de ces populations ? Quelles
sont les mesures envisagées afin de permettre un effort de reconstruction
rapide, avant l'arrivée de l'hiver, particulièrement précoce dans cette région
? Quelles sont les dispositions prises pour réinstaller les Kosovars ?
Peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions sur ces différents points,
monsieur le ministre.
Nos remarques dans ce débat n'ont ainsi d'autre objet que de réaffirmer notre
soutien à la politique menée par la France dans la voie suivie depuis plusieurs
mois, voie de la fermeté qui a permis le retour au dialogue diplomatique.
A défaut d'avoir su anticiper et gérer la situation dans les Balkans au
lendemain de la chute du mur de Berlin et de la dislocation de l'empire
soviétique, l'Europe semble avoir enfin pris conscience, au prix du drame
kosovar, de son rôle et de ses responsabilités. Il lui reste à démontrer son
unité et son efficacité dans l'oeuvre de reconstruction économique et politique
du Kosovo, et plus globalement des Balkans.
La crise dramatique que nous venons de vivre ouvre, nous l'espérons, une ère
nouvelle dans la construction européenne au plan diplomatique, au plan
militaire, au plan humanitaire, mais aussi, pour la démocratie, au plan
institutionnel.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste,
ainsi que sur plusieurs travées des Républicains et Indépendants, du RPR et du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
détermination des démocraties occidentales est en train de payer. La diplomatie
européenne est en train de réussir à imposer sa vision du droit. Le groupe des
Républicains et Indépendants s'en réjouit, même si rien, aujourd'hui, n'est
définitivement réglé. La prudence impose encore silence à tout
triomphalisme.
Oui, la détermination des démocraties occidentales, qui s'incarne notamment
dans le courage et le dévouement de nos soldats, est en train de payer. Il
faut, à cet égard, rappeler fortement la légitimité de notre engagement dans
cette guerre du droit.
Si, aujourd'hui, on peut entrevoir la fin du conflit, il faut se féliciter
qu'il s'achève sur la victoire du droit des gens sur le droit du plus fort
incarné par le dictateur Milosevic.
C'est l'honneur de la démocratie moderne, de la démocratie libérale, que de
reconnaître toute leur place aux minorités, de leur faire droit, jusques et y
compris à la plus petite d'entre elles, la personne humaine, valeur essentielle
qui fonde l'humanisme européen.
Le deuxième motif de satisfaction tient évidemment à l'action du G 8,
organisme qui consacre l'éminence du rôle de la diplomatie européenne et
française dans la recherche d'une solution politique.
Le groupe des Républicains et Indépendants, je veux le rappeler, a toujours
souligné les limites politiques et juridiques de l'OTAN seule, toujours affirmé
l'importance capitale du rôle de la Russie dans la recherche de la paix,
toujours rappelé que l'ONU,
in fine,
devrait apporter la consécration
légitime du droit international à un accord entre les parties au conflit, qui
résulterait de l'action militaire et diplomatique entreprise.
Nous avons maintenant, monsieur le ministre, à vous poser des questions
importantes, car les réponses que vous apporterez diront si la paix qui est en
vue peut être durable. Elles diront aussi si les 6 000 soldats français engagés
dans la future KFOR ont une vraie chance de remplir leur mission efficacement
et dignement.
La première interrogation porte sur la chronologie et la rapidité du retour à
la paix.
Les ministres des affaires étrangères du G 8 sont parvenus aujourd'hui sur ce
point à un accord, que vous venez, monsieur le ministre, de nous confirmer.
Nous ne pouvons que nous réjouir que l'idée française de synchronisation ait
été retenue. L'enjeu est maintenant de s'assurer de sa bonne application sur le
terrain. Je pense, en particulier, au retrait des forces yougoslaves, qui doit
être significatif et vérifiable.
Le mécanisme qui vient d'être adopté est, en effet, complexe et risque de se
gripper si l'une des parties ne respecte pas ses engagements. Nous
souhaiterions savoir quelles sont les garanties que la France a pu obtenir sur
ce point essentiel.
Reste maintenant à soulever deux questions délicates, qui sont, dit-on,
l'objet d'intenses discussions.
Sur l'articulation de la KFOR, il est question que le territoire du Kosovo
soit subdivisé en plusieurs zones, placées chacune sous la responsabilité d'un
officier général d'une nationalité différente. Pouvez-vous nous confirmer que
chaque zone rassemblera des soldats de plusieurs nationalités ?
(M. le
ministre acquiesce.)
C'est, à notre sens, la condition essentielle pour garantir la transparence de
l'action de la KFOR, et donc pour établir la confiance des réfugiés et assurer
la sécurité de leur retour.
Sur la structure de commandement de la KFOR, pouvez-vous nous dire que le
Gouvernement français refusera tout retour au système onusien qui a prévalu en
Bosnie pendant plusieurs années, avec pour conséquence l'impuissance meurtrière
que nos soldats - et la population bosniaque - ont douloureusement subie ?
J'insiste sur ce point : le Président de la République avait alors inversé la
politique de la France quant à l'engagement de ses forces en Bosnie. Le groupe
des Républicains et Indépendants veut croire que cette attitude sera tout aussi
fermement appliquée au sein de la KFOR.
Nous voudrions, enfin, en savoir plus sur la position de la France quant à la
suite des événements.
Une fois la KFOR déployée, il faudra tout à la fois reconstruire le Kosovo et
réinstaller les réfugiés chez eux. Comment comptez-vous vous y prendre ? Quelle
place tiendra la France dans ce processus essentiel ? On a parlé d'un plan
Marshall pour les Balkans tout entiers, et nous pensons qu'il est essentiel
pour la paix de conforter l'Albanie - notamment - et plus encore la Macédoine,
mais aussi le Monténégro, pour enrayer définitivement toute dérive à la
bosniaque ou à la kosovare. En effet, en Bosnie, il est certes évident que la
SFOR a rétabli la sécurité, mais il est tout aussi évident que les réfugiés ne
sont pas revenus, sauf dans les secteurs de leurs ethnies respectives. L'Europe
que nous voulons n'est pas celle d'un apartheid, même pacifique.
Enfin, nous ne voulons pas oublier le peuple serbe. Ce plan Marshall des
Balkans s'appliquera-t-il à la Serbie ? La France fait-elle de l'établissement
d'une véritable démocratie à Belgrade un préalable à la réintégration de ce
pays dans le concert des nations ?
Ces questions, monsieur le ministre, ne sont pas neutres. Nous voulons nous
assurer que l'Europe sortira grandie du Kosovo. Nous voulons nous assurer que
les droits de l'homme triompheront complètement. Nous voulons, en un mot, nous
assurer que l'Europe a retrouvé son âme au Kosovo.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Cabanel, au nom du groupe du Rassemblement démocratique et
social européen.
M. Guy Cabanel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 mars
dernier, le Président de la République, en plein accord avec le Gouvernement,
annonçait l'engagement des forces françaises aux côtés de nos alliés de l'OTAN
dans un combat pour la défense du droit et de la dignité humaine au Kosovo.
C'était un véritable pari et, avec l'annonce de cette ouverture vers la paix
aujourd'hui même, c'est un pari gagné grâce au dévouement et à la compétence de
nos soldats, mais aussi à la solidarité nationale constamment affirmée à la
tête de l'Etat, au Gouvernement et au Parlement, grâce encore, il faut le dire,
à la cohésion de l'Alliance, et grâce enfin, alors même qu'elle est souvent
critiquée, à la cohésion de l'Union européenne.
Pourtant, il a fallu plus de dix semaines de frappes aériennes pour qu'enfin
se matérialisât l'espoir d'un règlement politique du conflit. Il a fallu des
centaines de milliers de familles meurtries, déportées, des destructions
massives de villages avant que les autorités de Belgrade ne laissent entrevoir
une fragile volonté de paix.
La guerre semble décidément plus facile à faire que la paix : cette dernière
se fait attendre. L'échec des pourparlers techniques engagés ces derniers jours
entre les représentants de l'état-major yougoslave et la délégation miliaire
occidentale conduite par le général Michael Jackson confirme malheureusement
cette interrogation de Georges Clemenceau : « La guerre serait-elle plus facile
à faire que la paix ? »
La compassion naturelle et la solidarité en faveur des réfugiés du Kosovo a
pris le pas, dans l'opinion publique, sur la réflexion politique. Aujourd'hui,
le spectacle tragique de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants jetés sur
les routes de l'exode ne suffit plus à justifier cette guerre. Comme l'a dit
récemment Umberto Eco, « dans la nouvelle guerre, celle du monde moderne, celui
qui perd devant l'opinion publique est celui qui a trop tué ». Il fallait donc
mettre un terme aux opérations militaires.
Pour imposer définitivement à Milosevic un dénouement que tout le monde
attend, il s'agit, tout d'abord, de faire preuve de fermeté.
La France a fait un choix difficile, et la détermination qui a été la sienne
tout au long de ce conflit, comme celle de ses alliés et de ses quinze
partenaires européens, a été exemplaire.
Lors de notre dernier débat sur la situation au Kosovo, le 15 avril dernier,
le doute était encore permis. Nombreux sont ceux qui pensaient que les frappes
aériennes ne suffiraient pas. Nombreux sont ceux qui évoquaient déjà la
possibilité d'une action terrestre.
L'OTAN a décidé de poursuivre l'action militaire avec les mêmes moyens, mais
en les renforçant. Cette stratégie a été la bonne, car elle s'est révélée la
seule apte à entamer la volonté de Slobodan Milosevic.
Dès lors, l'Alliance doit se montrer intransigeante sur les conditions mêmes
de l'application d'un accord avec les autorités serbes. Elle doit s'attacher à
vérifier que Belgrade respectera les engagements pris, sur la base des valeurs
et des principes qui sont les nôtres et ceux de la communauté
internationale.
La fermeté n'est pas tout, il faut aussi faire preuve de responsabilité.
La France et l'Europe ont d'abord essayé d'éviter la guerre par le processus
de Rambouillet, auquel le Gouvernement a largement contribué. Ensuite, elles se
sont engagées militairement tout en continuant néanmoins à rechercher l'issue
diplomatique. C'était une voie sage. Enfin, demain, il ne fait aucun doute que
la France et l'Europe seront prêtes à prendre part à la reconstruction du
Kosovo, et même de la République fédérale de Yougoslavie, pour un avenir
pacifié et démocratique dans les Balkans.
Faisons preuve de fermeté, de responsabilité, mais aussi de prudence.
Lorsque l'on est sur le point d'aboutir à une solution raisonnable, il est
dangereux d'humilier. Nous avons combattu non pas le peuple serbe, mais le
nationalisme exacerbé, aveugle et coupable de certains de ses dirigeants, en
particulier de Slobodan Milosevic. Sur leurs responsabilités, la justice devra
se prononcer.
Il s'agit maintenant de ne pas nier le patriotisme serbe et la réalité de la
République fédérale de Yougoslavie à laquelle il s'identifie.
Malgré les terribles affrontements de l'histoire, la coexistence entre les
peuples dans les Balkans n'est pas impossible. Elle a fait la force de la
Yougoslavie du maréchal Tito. Il faut donc respecter les frontières des Etats
et ne pas démembrer la République fédérale de Yougoslavie.
Il importe, en revanche, d'y garantir les libertés individuelles et
culturelles des minorités ethniques et le respect absolu de la personne
humaine.
Ces conditions indispensables doivent s'accompagner d'un effort de
reconstruction et de développement économique, ainsi que de l'instauration
d'une démocratie effective.
Cela suppose la présence d'une force internationale au Kosovo chargée par
l'ONU, en liaison avec l'OSCE, de mettre en oeuvre le plan de paix.
Dans cette phase nouvelle, la Russie doit jouer pleinement son rôle. En raison
de la solidarité slave et de l'influence de la religion orthodoxe, il n'y aura
pas, dans cette partie de l'Europe, de paix durable sans la Russie. Celle-ci a
su apporter une impulsion déterminante au processus de règlement politique et
diplomatique.
Le climat de concertation au G 8 doit se prolonger et permettre le succès des
ultimes discussions en vue de l'application des principes retenus à Rambouillet
et confirmés par une résolution que le Conseil de sécurité de l'ONU va adopter
prochainement.
Une tâche difficile mais exaltante nous attend pour redonner vie au Kosovo
sous une tutelle internationale temporaire et impulser un processus de gestion
locale démocratique. C'est au prix de tels efforts que la cohabitation des
entités ethniques antagonistes pourra être établie.
Le principe, retenu à Rambouillet d'une autonomie substantielle de la province
du Kosovo au sein de la République fédérale de Yougoslavie suffira-t-il à
effacer le souvenir des violences et de l'exode ? Sans doute faudra-t-il
élargir la réflexion en vue de faire de nouvelles propositions. Je souhaite que
vous puissiez nous dire aujourd'hui, monsieur le ministre, quelle est la
position du Gouvernement français sur ce point, s'il a déjà examiné ces
éventualités.
Dans l'attente d'une définition du statut futur de cette province, la
délimitation des différentes zones de stationnement de la force internationale
d'interposition peut contribuer sinon à la réconciliation générale, du moins au
retour des réfugiés kosovars et à leur coexistence pacifique avec la population
serbe. Cette dernière, qui sera gravement exposée - ne nous y trompons pas -
renoncerait plus facilement à la tentation de fuir pour échapper à la vindicte
populaire si elle se trouvait dans une zone de stationnement des forces
russes.
Sans préjuger le nombre des secteurs d'implantation de la KFOR et leur partage
entre les différentes nationalités, il m'a paru digne d'intérêt de faire cette
remarque pour rassurer toutes les populations du Kovoso, car notre devoir est
bien de rassurer toutes les populations du Kosovo.
Un sénateur du RPR.
Très bien !
M. Guy Cabanel.
Il faut savoir terminer une guerre. En dépit des incertitudes actuelles, la
paix est à portée de main. Les Européens, à condition qu'ils se montrent
fermes, responsables, prudents et respectueux de l'histoire locale, peuvent y
contribuer efficacement aux côtés des Américains et des Russes. N'est-ce pas
faire exister l'Europe que de la placer dans de telles conditions ?
Il importe donc de saisir cette chance pour qu'enfin les armes se taisent. Il
y va de l'intérêt du Kosovo, de la Serbie, de la République fédérale de
Yougoslavie, mais aussi de l'Europe tout entière, qui a déjà payé un lourd
tribut du fait des désordres nés de la poudrière balkanique.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon, au nom du groupe du Rassemblement pour la
République.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à trois
reprises déjà nous nous sommes réunis spécialement pour parler de la crise du
Kosovo, la comprendre, expliquer les raisons de notre engagement et envisager
l'issue la plus favorable possible, c'est-à-dire un plan de paix accepté par M.
Milosevic et qui inclurait des conditions bien spécifiques.
Quelques jours après l'acceptation par le président Milosevic et le Parlement
serbe du plan du G 8, quels constats pouvons-nous faire et quelles perspectives
pouvons-nous entrevoir pour les jours et les semaines à venir ?
Le premier constat qui nous vient à l'esprit, c'est que les dix semaines
d'intervention de l'OTAN n'auront pas été inutiles puisqu'elles auront
contribué, à leur façon, à déboucher sur des négociations, certes difficiles,
avec les autorités serbes et, finalement, à un accord.
Nous n'avons pas fait la guerre au peuple serbe, nous ne sommes pas les
ennemis de la nation serbe, nous avons combattu un appareil militaire répressif
; un régime récusant avec obstination et détermination les règles de la
communauté internationale.
La France, en participant au dispositif militaire allié mis en oeuvre par
l'OTAN, s'est engagée à faire partie d'un dispositif aérien, tout d'abord,
destiné à exercer à l'encontre de la Serbie une action coercitive sur des
objectifs militaires et à réduire sa capacité de nuire. Cette action avait
aussi pour objet de prévenir le risque d'une extension et d'une exaspération
des combats et des troubles qu'ils pouvaient susciter dans la région. Elle
visait, enfin, à renouer le dialogue avec le président Milosevic et à conduire
à la paix.
Cet engagement recourait également à une force terrestre en Macédoine,
déployée pour protéger, dans un premier temps, les vérificateurs de l'OSCE et,
depuis, les réfugiés, force dont la présence s'est avérée un élément
stabilisateur dans la région.
Cette intervention « militaire » était rendue nécessaire et elle a joué, à
côté de la voie diplomatique, un rôle entier et efficace.
Rappelons, monsieur le ministre, que l'opposition nationale et, ici, la
majorité sénatoriale vous ont soutenu, depuis le déclenchement du conflit, dans
votre démarche aux côtés du Président de la République.
L'Europe ne pouvait pas et ne peut toujours pas accepter d'avoir sur son
continent un homme et un régime qui, depuis dix ans, ont déjà engagé en
Croatie, en Bosnie et maintenant au Kosovo des opérations d'épuration ethnique,
d'assassinats et de massacres, de déstabilisation de l'ensemble de la région,
avec pour conséquence des milliers de morts et presque un million de personnes
déplacées.
En nous engageant au Kosovo, nous avons voulu montrer quelles valeurs nous
défendions : la liberté, la démocratie, le respect de la personne humaine et de
sa dignité, le refus de la barbarie et de l'avilissement d'un peuple.
Notre combat était légitime, car il avait pour but la défense des droits de
l'homme.
Ces derniers jours, Belgrade semblait accepter toutes les conditions fixées
par la communauté internationale, ce qui ouvrait de véritables opportunités
pour une réelle dynamique de paix. Aujourd'hui, vous nous annoncez l'accord
attendu.
Notre stratégie doit toutefois se confirmer et progresser. Tout d'abord, sur
le plan militaire, les forces serbes doivent évacuer la totalité du Kosovo et
nous devons pouvoir vérifier ce retrait.
Sur le plan diplomatique, nous devons continuer nos efforts et favoriser le
dialogue, notamment avec les émissaires russes, comme l'avait suggéré, dès le
départ, le Président de la République.
En effet, la Russie a son rôle à jouer. Depuis plusieurs semaines maintenant,
elle affiche une véritable volonté d'aboutir avec nous à un règlement politique
de la crise, qui, nous l'avons constaté au G 8, ne peut être élaboré sans
elle.
Depuis l'acceptation par le président serbe du plan initial du G 8, un
véritable espoir de paix était apparu, espoir qui semble aujourd'hui confirmé.
Alors, monsieur le ministre, les frappes aériennes vont-elles cesser, et quand
?
Le sort des réfugiés est loin d'être réglé. Quelles solutions pourraient être
envisagées pour toutes les personnes qui sont actuellement dans des camps ?
L'été ne dure, là-bas, que quelques semaines ! Les organisations non
gouvernementales s'inquiètent de la durée de la crise. Lorsque l'hiver sera là,
la gestion des camps deviendra critique. N'est-ce pas là une arme
supplémentaire pour M. Milosevic ?
Autant de questions, monsieur le ministre, qui méritent des réponses !
Par ailleurs, on parle beaucoup, actuellement, du coût de la reconstruction de
la République fédérale de Yougoslavie. Romano Prodi, le nouveau président de la
Commission européenne, a avancé des chiffres compris entre 5 milliards et 6
milliards d'euros par an pendant au moins cinq ans, soit 2 % du budget
européen.
Un autre chiffre, à savoir 18 milliards d'euros, a été avancé par M. Yves
Thibault de Silguy, le commissaire européen aux affaires monétaires.
Comment va s'organiser cette reconstruction ? On parle déjà d'une agence pour
la reconstruction du Kosovo qui serait chargée de mettre en oeuvre les
programmes de reconstruction de l'Union européenne.
En outre, s'agissant des Etats-Unis, a-t-on prévu une structure qui
coordonnerait l'aide de l'Union européenne à la leur ? Il ne faudrait pas, en
effet, que se reproduisent des événements semblables, par exemple, à ceux de
l'aéroport de Sarajevo, dont les Américains se sont approprié la réouverture,
alors qu'il avait été financé par l'Union européenne.
(« Très bien ! » sur
les travées du RPR.)
L'une de nos dernières questions, monsieur le ministre, a trait au président
Milosevic, condamné, le 27 mai dernier, par le procureur du tribunal pénal
international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Quelle serait
notre attitude si nous devions envisager de nouvelles négociations ? M.
Milosevic peut-il demeurer notre interlocuteur ?
Quelle place sera réservée à la démocratie au coeur des Balkans ?
Grâce ou, plutôt, à cause de cette crise, l'Europe a pris conscience de son
importance. Son existence politique à part entière est une nécessité évidente.
C'est unis les uns aux autres que nous pouvons agir efficacement. Nous devons
nous donner la chance de construire une Europe solide, et, comme chacun a pu
s'en rendre compte, cela passe par une Europe de la défense.
L'intervention au Kosovo oblige les Européens à accélérer leurs initiatives. A
Toulouse, la semaine dernière, Français et Allemands ont annoncé la création
d'un « corps de réaction rapide européen » adapté au nouvel environnement
stratégique. Ainsi, l'Union européenne serait dotée des « moyens autonomes
nécessaires pour décider et agir face aux crises ». Il a été, en outre, décidé
que l'Eurocorps, oublié durant ces événements, servirait de socle au
développement de la politique étrangère et de sécurité commune.
Le sommet de Cologne a, quant à lui, abouti à la nomination d'un « Monsieur
PESC », Javier Solana, le 3 juin dernier, ce qui doit permettre à l'Europe
d'acquérir une voix sur la scène diplomatique.
D'ici à quelques mois l'« identité européenne de sécurité et de défense » peut
devenir une réalité. C'est une idée ambitieuse mais indispensable puisque
l'objectif est que l'Union européenne puisse prévenir, gérer et résoudre des
crises comme celle du Kosovo.
Il est urgent que les pays d'Europe puissent définir leurs objectifs en
matière de système de défense commun mais également la manière dont cette
capacité pourrait collaborer avec l'OTAN.
On ne peut traiter ce sujet sans évoquer d'ores et déjà les enseignements que
la France doit tirer de ce conflit. Il conviendrait de se poser la question des
évolutions souhaitables de nos équipements militaires, et, plus précisément,
celles qui ont trait aux moyens de transport, aux satellites et celles qui
concernent la mise en oeuvre du groupe aéronaval
Charles-de-Gaulle
et la
construction d'un second porte-avions, indispensable durant la maintenance du
Charles-de-Gaulle.
Comment ne pas être préoccupé également, s'agissant de l'avenir de la défense
commune, du retrait de l'Allemagne du programme Hélios II et du retrait de la
Grande-Bretagne du programme de frégate Horizon, au moment même où les
Américains accroissent leurs crédits militaires ?
Force est de considérer que l'Europe de la défense impliquera un effort
soutenu en matière d'équipements. Cela risque de poser un problème puisque les
budgets de défense sont un peu partout en baisse, y compris en France.
Que sera-t-il envisagé, monsieur le ministre, quant à nos budgets des affaires
étrangères et de la défense ? Le Gouvernement va-t-il changer de politique
budgétaire ?
On parle d'un plan d'action que la France doit soumettre à ses partenaires
pour que l'élan donné à Cologne ne retombe pas. Pouvez-vous nous donner des
indications sur ce plan puisqu'il semblerait qu'il englobe une partie de la
politique étrangère et de sécurité commune ?
Dans les jours, dans les semaines qui viennent, nous devrons vérifier la mise
en oeuvre rapide de l'accord de paix. Nous devrons rester extrêmement vigilants
tant que le processus de retrait des troupes serbes « n'aura pas pris une
allure irréversible », comme l'a dit le Président de la République, vendredi
dernier, à l'issue du sommet européen de Cologne. « Nos démocraties, que l'on
décrit parfois comme des régimes faibles et velléitaires, doivent faire preuve
de fermeté quand leurs valeurs sont en jeu » nous a-t-il rappelé.
La France a pris toute sa place dans la détermination des nations à faire
triompher ces valeurs. Nous nous en félicitons et nous voulons, pour conclure,
rendre hommage à tous nos soldats, marins, aviateurs et personnels militaires,
participant à l'intervention militaire et humanitaire.
Qu'ils soient remerciés de leur engagement, de leur professionnalisme, de leur
fidélité, de leur loyauté envers la République et pour leur mission de défense
des droits de l'homme au nom de la France.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel, au nom de la réunion administrative des
sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
l'intervention militaire de l'OTAN devait durer quelques jours. Nous en sommes
au soixante-seizième jour ! Les pourparlers de paix devaient permettre aux
forces de la KFOR de rentrer au Kosovo demain ou après-demain. Or, la paix se
fait attendre. Quelles leçons de modestie !
Doit-on avoir des regrets de l'action entreprise ? Absolument pas ; elle était
devenue inévitable et ne pouvait être différée davantage.
Y avait-il et y a-t-il encore aujourd'hui une alternative aux bombardements
militaires ? Il n'y en a pas, car la quasi-totalité des dix-neuf pays de l'OTAN
n'étaient pas disposés à une invasion terrestre au Kosovo qui n'était pas
préparée et aurait pu être terriblement coûteuse en vies humaines. Peut-être,
seulement, n'était-il pas nécessaire d'en informer publiquement Milosevic, car,
comme disait Montluc : « Si l'ost savait ce que pense l'ost, l'ost tuerait
l'ost » !
Les Etats-Unis d'Amérique, dont l'Union européenne a sollicité l'intervention,
constituent la force prédominante des opérations militaires, aidée par les
forces anglaises et françaises. L'hyper-puissance des Etats-Unis domine
entièrement l'OTAN.
Cependant, l'action entreprise lors du cinquantième anniversaire de la
création de l'OTAN, à New York, a permis au président Chirac de rendre à l'ONU
la priorité qui lui revient.
Par ailleurs, l'appui russe est indispensable si l'on veut éviter le risque
d'une généralisation du conflit ou d'une nouvelle guerre froide. La situation
politique qui prévaut à Moscou ne facilite pas les choses.
Le premier essai de paix n'a pas encore abouti. On demande maintenant une
résolution de l'ONU et l'arrêt des frappes aériennes ! Si le président
Milosevic n'avait pas prouvé son absolue mauvaise foi en organisant et en
commençant, avant l'intervention alliée, le nettoyage ethnique du Kosovo, on
pourrait penser que ces prétentions présentent une légitimité certaine. Mais il
s'agit d'arguments dilatoires. L'arrêt prématuré des opérations militaires en
Irak durant la guerre du Koweït n'a-t-il pas permis à Saddam Hussein de
conserver son pouvoir ?
Même si l'annonce de la mise en accusation de Slobodan Milosevic au motif de
crimes contre l'humanité aurait pu être retardée jusqu'au cessez-le-feu, la
poursuite des bombardements est la seule réalité que le président serbe
comprenne et qui lui fera accepter les conditions de paix fixées par l'OTAN.
En outre, les circonstances qui vont prévaloir avec le retour des réfugiés au
Kosovo vont être particulièrement difficiles. Les exécutions et crimes
abominables commis par les troupes serbes ont créé des ressentiments et des
haines durables, et des vengeances ne manqueront pas de se produire. Les Serbes
vivant au Kosovo ne vont-ils pas être relégués dans la zone russe de contrôle
et de maintien de la paix et n'assisterons-nous pas à un exode serbe des autres
zones après le retour des Kosovars dans leur pays ? Les Serbes vont-ils retirer
les mines qu'ils ont posées ? Les pillages et destructions serbes ne vont-ils
pas rendre les Kosovars de retour tributaires de secours et d'aides pendant
très longtemps ? Arrivera-t-on à désarmer l'UCK ? Les troupes de la KFOR
prévues avec un effectif d'environ 50 000 hommes seront-elles en nombre
suffisant pour assurer la police et éviter des affrontements graves ?
Il convient donc que, dès le début, la situation soit claire et que des
objections secondaires ne remettent pas en cause les principes des conditions
imposées.
Je ne parlerai pas du financement de la présence russe éventuelle ni de la
reconstruction de la Yougoslavie, estimée à près de 200 milliards de
dollars.
Je terminerai en souhaitant que l'unité d'action des pays de l'OTAN durant la
guerre se poursuive durant la paix et l'application des accords adaptés de
Rambouillet et que l'Union européenne sache se doter des moyens militaires
nécessaires pour pouvoir jouer sur le continent européen le rôle qui lui
incombe.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès jeudi
dernier, à l'annonce de l'acceptation du plan de paix par la République
fédérale de Yougoslavie, nous avons affirmé notre soulagement.
Enfin, les populations de réfugiés du Kosovo, notamment les femmes et les
enfants, qui sont victimes d'une politique criminelle d'épuration ethnique et
qui souffrent tant, retrouvent l'espoir d'un retour chez eux.
Enfin, la perspective de l'arrêt des bombardements existe.
Enfin, en effet, la négociation politique prend, ce jour, le pas sur la
guerre.
Une solution politique apparaît possible. Je vous exhorte, monsieur le
ministre, à tout mettre en oeuvre avec les autorités françaises pour
l'établissement de la paix. L'accord qui vient d'être trouvé par le G 8 nous
rapproche à nouveau de l'issue pacifique.
La cessation des combats s'impose maintenant.
Les images de ces centaines de milliers de réfugiés chassés de chez eux, les
récits d'exactions terribles, l'ampleur des destructions, les ravages
écologiques, la violence des bombardements cette nuit encore ne sont plus
acceptables, ne sont plus supportables.
Avec beaucoup d'autres, nous avons critiqué le recours à la force le 24 mars
dernier. J'ai affirmé à cette tribune que rajouter la guerre à la guerre ne
pouvait servir la cause de la paix.
L'intervention de l'OTAN a, de toute évidence, aggravé la situation.
L'exode massif, le déchaînement des troupes serbes, la destruction d'un pays
sont à mettre au bilan de cette intervention.
Les déséquilibres dans la région sont accentués. Les pays limitrophes sont
durement touchés par la destruction minutieuse des voies de communication dans
ce pays carrefour qu'est la Serbie.
Comment oublier que, lors des discussions de Rambouillet, marquées du sceau de
la diplomatie européenne, notamment française, la pression diplomatique,
l'intervention intéressante et efficace de l'OSCE sur le terrain même
commençaient à payer ?
C'est la prédominance de l'OTAN qui est contestée. Où en sommes-nous
aujourd'hui ?
Tout ce déchaînement de violence était-il nécessaire pour revenir à une
situation de négociation qui aurait pu ne jamais être abandonnée, sans renier
notre détermination face au régime serbe ?
Le président Milosevic avait commencé à céder à la forte pression
internationale. Nous regrettons que tous les efforts diplomatiques n'aient pas
été poursuivis jusqu'au bout. Nombreux sont les observateurs qui ont fait avec
nous ce constat.
L'ONU a été rabaissée, l'OTAN se veut la puissance globale qui n'a plus besoin
de l'aval de la société internationale pour agir. Pour Washington, l'objectif
demeure d'assurer la pérennité du contrôle américain sur les Balkans.
Ce qui se passe depuis quarante-huit heures confirme ce constat. L'OTAN n'a
pas voulu attendre la mise en place du commandement de l'ONU sur la force
internationale d'intervention au Kosovo, la KFOR, le commandement décidé jeudi
dernier à Belgrade. L'OTAN veut garder la main, au risque de gâcher les chances
de paix. Aujourd'hui, le G8 a adopté un projet de résolution qui doit mener à
la paix.
Tout doit être fait aujourd'hui pour conduire jusqu'à son terme le règlement
politique. Nous insistons sur le rôle premier qui doit être rendu à l'ONU dans
le règlement des conflits et sur la nécessité de veiller à la pleine
intégration de la Russie dans le processus en cours.
Pour permettre cette victoire de la diplomatie, les bombardements doivent
cesser immédiatement...
M. Alain Gournac.
Non !
Mme Hélène Luc.
... pourquoi pas ce soir ? - et les forces militaires serbes doivent quitter
immédiatement le Kosovo.
Je vous demande, monsieur le ministre, que la France agisse de tout son poids
pour obtenir cette sage décision.
La paix est à portée de main. Il reste à chacun de la saisir fermement pour
que cette paix soit juste et durable dans cette région meurtrie si durement
pendant ce siècle qui s'achève.
Malgré les blocages, malgré ce sentiment d'hésitation terrible entre la guerre
et la paix, il faut organiser l'avenir, permettre de bannir de notre contingent
l'horreur des armes.
L'économie jouera un rôle primordial.
C'est en effet sur le terreau de la misère que se nourrissent les haines, le
nationalisme, la xénophobie qui déchirent les Balkans.
L'établissement d'un partenariat économique constitue donc un élément
déterminant pour la consolidation de la paix. Il s'agit d'un engagement de
grande envergure car la guerre coûte très cher. Ce sont des dizaines et des
dizaines de milliards de dollars de destructions qui sont aujourd'hui
comptabilisés. La reconstruction sera donc longue et nécessitera beaucoup de
persévérance de la part de l'Union européenne et de l'ensemble des pays
riches.
La reconstruction de la région sera le prix à payer pour garantir sa sécurité
et sa stabilité.
Cet élan économique doit être, selon nous, accompagné d'un objectif politique,
celui de l'ouverture d'une perspective européenne aux Etats de la région des
Balkans.
Nous proposons la tenue d'une conférence internationale des Balkans.
Il est évident que la Russie a un rôle de premier plan à jouer dans
l'établissement de l'équilibre politique de la région.
M. Alain Gournac.
Ah !
Mme Hélène Luc.
La mise à l'écart de la Russie, au moment de la décision des frappes et dans
les jours qui ont suivi, a constitué une grave erreur, et beaucoup l'ont
reconnue.
Nous constatons bien à quel point la Russie constitue un partenaire
incontournable pour toute solution politique dans la région.
L'après-guerre que nous appelons si fortement de nos voeux posera
inévitablement la question de l'indépendance de l'Union européenne par rapport
aux Etats-Unis : indépendance politique, diplomatique, bien entendu, mais aussi
indépendance militaire.
Qui peut contester le fait que les Etats-Unis dictent leur loi au sein de
l'OTAN ?
Nous estimons nécessaire de mettre en place, au sein de l'Europe, une
structure de sécurité préventive, organisme de coopération entre les défenses,
examinant en amont les crises potentielles.
La naissance d'une telle coopération exige sans nul doute une rupture claire
avec la logique des Etats-Unis, avec la logique de l'OTAN.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de ne pas noter comme un signe positif,
dans cet esprit, la nomination du secrétaire général de l'OTAN comme « M.
politique extérieure » de l'Europe.
De grands chantiers attendent l'Europe dans les Balkans. La première étape,
décisive, est la fin de cette guerre. Les armes doivent se taire sur ce
continent qui fut le terrain de tant de violences.
Nous comptons, monsieur le ministre, sur la détermination des autorités
françaises pour participer à l'édification, dans les heures qui viennent, de
cet état si fragile, mais source de progrès et de bonheur : la paix pour
l'Europe et la paix pour le monde.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, compte tenu de l'intensité et de la richesse du débat, j'espère que
vous voudrez bien m'excuser de ne répondre qu'allusivement ou partiellement aux
très nombreuses observations et recommandations de grande valeur qui ont été
présentées.
Je note d'abord, pour m'en réjouir, la convergence des orateurs pour exprimer
leur soutien moral aux militaires français qui se sont engagés, et qui vont
continuer à le faire, dans la gestion de cette crise difficile et aussi, comme
a bien voulu le souligner M. Arthuis, pour souligner le rôle important de la
diplomatie française dans toute cette crise.
J'ai également noté chez nombre d'orateurs, avec une insistance particulière
de la part de M. Claude Estier, le rappel de la justesse de la stratégie qui a
été choisie par notre pays, qui a prévalu sur d'autres options, et les
attitudes de fermeté et de constance manifestées pendant cette période. Un
débat s'est ouvert, un peu hâtivement résumé, me semble-t-il, par M.
Durand-Chastel, quant à la durée possible du conflit. Le débat est normal en
démocratie mais les autorités de ce pays n'ont pas cédé à l'impatience.
En outre, la solidité de notre opinion publique, sa résolution, le refus de la
faiblesse qu'ont exprimé de façon fréquente nos concitoyens - et les
parlementaires ici présents le savent bien - ont fortement aidé à l'émergence
de la situation que nous avons su créer aujourd'hui.
Je continue à penser qu'il n'y avait pas d'option plus rapide et plus économe
en vies humaines que la démarche maîtrisée qui a été employée pour mettre hors
de combat le maximun de forces serbes en train de terroriser la population du
Kosovo.
Plusieurs questions ou observations ont porté sur le rôle des Européens dans
cette crise.
Sur le plan politique, je rejoins pleinement les observations de M. de
Villepin, en particulier quand il a fait la comparaison avec la crise bosniaque
survenue voilà cinq ans ; l'un des grands changements, c'est la convergence
entre Européens qu'ils se sont employés à organiser et à maintenir. Face à
chaque événement, face à chaque évolution de la situation, la liberté de
réflexion et d'appréciation retrouvée laissait à chacun la latitude de
diverger. La volonté politique a donc été en permanence au rendez-vous européen
pour maintenir notre action commune.
Il est vrai aussi que l'Europe politique a eu un rôle dans la conduite
politique de cette crise. La situation de l'Europe et des forces militaires
dont elle dispose en 1999 conduit à constater qu'il n'existe pas aujourd'hui
d'outils de coopération militaire, lorsqu'il faut employer la force en
coalition, autre que l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord.
Si, depuis cinquante ans que nous poursuivons la construction européenne, nous
avions eu ensemble - la France et ses autres partenaires européens - la
volonté, au cours des étapes politiques antérieures, de construire un autre
outil, la question ne se poserait plus.
Dans cette analyse du poids relatif des uns et des autres, il faut se rappeler
que la nature a horreur du vide et que si l'on décide le recours à la force -
et je crois que nous reconnaissons aujourd'hui qu'il était opportun de le faire
- on prend l'outil qui existe.
Dans le texte que j'ai lu tout à l'heure, M. le Premier ministre insistait sur
le fait que cela n'empêche pas que notre pays, en raison à la fois de
l'importance des moyens qu'il a consacrés à l'action dans cette crise - plus du
tiers de l'ensemble des moyens européens - et de la détermination et de la
bonne préparation de ses forces, sur laquelle je reviendrai, a pu exercer une
influence réelle et sur la planification de l'opération et sur sa conduite au
jour le jour, ce qui a sans doute contribué à éviter quelques erreurs ou
quelques dérapages que nous avions craints. Mais cela s'est fait par dialogue
et par persuasion mutuels au sein de l'Alliance.
Je n'oublie pas non plus de mentionner que nous pouvons regretter et que nous
regrettons le poids important des Etats-Unis lorsqu'il a fallu employer la
force.
J'y insiste : ce n'est pas le fait de la France si ce poids a été aussi élevé.
Notre pays a en effet apporté sa part, et même un peu plus.
Si nous nous transportons dans l'avenir en postulant que nous aurons progressé
dans la capacité commune de défense des Européens, il faut bien envisager que
nous aurons des décisions difficiles à prendre. Quand on est la puissance ou le
groupe de puissances qui prend les décisions, qui fait face aux situations, il
n'y a jamais de solution qui présente tous les avantages.
M. Jacques Peyrat.
C'est évident !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Quand nous voudrons jouer à la grande puissance,
comme nous en avons l'intention et comme nous espérons entraîner nos amis
européens à le faire, il faut savoir - cela se débattra devant chacun de nos
parlements - qu'il y aura à ce moment-là, collectivement, des décisions
difficiles à prendre.
En tout cas, depuis le début de cette crise, nous avons fait tout notre
possible pour que l'Organisation des Nations unies joue son rôle, tout son
rôle. La présentation, aujourd'hui même, du projet de résolution qui vient
d'être agréé par les pays du G 8 devant le Conseil de sécurité, et qui a
naturellement les plus grandes chances d'être adopté tel quel, est un succès de
l'insistance rationnelle qui a été la nôtre.
Il s'agit non pas d'une manie, mais simplement du constat que la loi
internationale, facteur de reconnaissance mutuelle d'une règle, de stabilité et
de plus de justice dans l'ordre international, est fondée sur la charte des
Nations unies, texte internationalement supérieur aux autres. La seule instance
légitime de régulation des conflits, c'est le Conseil de sécurité, qui aura
donc le dernier mot.
Il est vrai que cela aura été le résultat de l'insistance de nombre
d'Européens, parmi lesquels nous avons joué un rôle, et d'un rapprochement des
positions russes par rapport à celles des alliés européens.
Nous avons travaillé à ce rapprochement, mais il faut aussi rendre hommage à
l'esprit de responsabilité des gouvernants russes, dont chacun peut se rappeler
qu'ils ont été soumis, dans la jeune et encore peu stable démocratie russe, à
bien d'autres pressions pour prendre des options différentes.
Quant à la séquence, depuis des semaines, avec nos amis diplomates des
principaux pays engagés, nous en parlons. Il s'agit de l'organisation du
déroulement des différentes actions concrétisant le passage à la paix.
Le moment clé - bien entendu après la fixation du cadre politique, ce qui
vient d'être fait - c'est l'organisation, par accord technique entre les
militaires représentatifs, d'une part, de l'armée serbe, de l'armée yougoslave
et, d'autre part, de l'Alliance, d'un retrait étalé dans le temps. Nous allons
conclure sur un calendrier de retrait en quelques jours des forces serbes, qui
sont tout de même fortes de 40 000 hommes sur un territoire étendu et qui
disposent souvent de possibilités de camouflage et de dispositifs de stockage
d'armements.
Il faut que les premières phases de ce retrait soient véritables.
M. Alain Gournac.
Le délai sera-t-il long ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Non, de quelques jours !
La suspension des frappes interviendra dès la première étape vérifiable de ce
retrait, c'est-à-dire, nous l'espérons, dans un délai extrêmement bref.
C'est compliqué à décider politiquement, mais ensuite, à partir du moment où
un contact, un accord technique intervient entre militaires, la vérification
n'est pas très difficile. Ce qui est très compliqué, c'est la succession du
déploiement de la KFOR sur un terrain qui est nouveau pour elle et qui ne sera
pas entièrement pacifié et du retrait des forces serbes, avec les risques
d'exactions ou d'explosions locales de violence dans les espaces libérés du
fait de cette sorte de vide de sécurité.
Cela me conduit à parler de la structure de la KFOR et, à ce sujet, je
voudrais répondre aux questions précises de M. de Villepin, mais aussi de M.
Plasait. Il ne peut y avoir qu'une structure de commandement unifiée. C'est un
point sur lequel nous ne pouvons pas transiger. Ce n'est pas une question de
manie de tel ou tel partenaire de l'Alliance ou de la coalition.
Nous avons fait l'expérience - vous êtes nombreux ici à vous en souvenir -
d'une chaîne de commandement incohérente confrontée à des montées de violence
imprévues en Bosnie. Cela s'est traduit à la fois par une perte de crédibilité
de cette force de sécurité et par des drames pour les victimes de ces
violences. Nous ne reprendrons pas ce risque.
Il faut donc associer la Russie qui, je crois, évolue rationnellement vers
cette idée, à la fois à l'échelon politique de contrôle de cette force, qui
sera placée sous l'autorité des Nations unies, bien entendu, et à l'état-major
de la KFOR.
Les militaires russes en ont la capacité. Ils ont d'ailleurs déjà coopéré avec
les forces de l'Alliance dans d'autres circonstances. Mais il est impératif que
la division en zones qui a été prévue lors de la préparation du sommet de
Rambouillet, et que nous pensons reprendre sur les mêmes bases, ne corresponde
pas à des zones nationales. Cette question a été évoquée par plusieurs
orateurs. Chacune des zones doit être surveillée par un contingent
multinational.
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Ce sera le cas de la nôtre. Par ailleurs, les
commandants responsables de ces zones devront répondre à un commandant
d'opérations responsable de l'ensemble du territoire du Kosovo.
Le retour des réfugiés, nous le savons, prendra beaucoup de temps, et ce pour
trois raisons.
La première, qu'il ne faut pas oublier, est qu'il s'agit de réfugiés européens
en Europe. Ils sont certes dans le dénuement et dans la détresse, mais ils sont
moins privés de libertés que d'autres cohortes de réfugiés dont nous avons le
souvenir.
Nombre de ces réfugiés bénéficient, heureusement, d'un soutien humanitaire
convenable et ont souvent des appuis familiaux ou des relations dans d'autres
pays d'Europe. S'ils ont le sentiment que les conditions de sécurité qui leur
seront faites à leur retour ne sont pas suffisantes, ils préféreront attendre.
Ils ne repartiront pas vers leur pays sous la contrainte. Ils feront une
appréciation lucide, assortie d'un choix sur les conditions acceptables ou non
de leur retour. Nous le savons. Cela fait partie de l'exercice de la solidarité
européenne.
Nous devons donc veiller à ce que la situation de sécurité qui sera faite au
Kosovo soit pleinement crédible, et ce sur tout le territoire du Kosovo.
Par ailleurs, les questions d'accompagnement matériel sont tout à fait
primordiales. Plusieurs orateurs ont mentionné les 900 000 réfugiés à
l'extérieur du Kosovo, mais il y a aussi les 300 000 à 400 000 personnes - nous
ne savons pas - déplacées à l'intérieur du Kosovo et dont les villages sont
tout aussi déstructurés, les maisons tout autant détruites.
Par conséquent, le grand défi qu'il faut relever est maintenant celui du
temps. En effet, plusieurs orateurs ont rappelé que, parmi d'autres facteurs de
« malchance », ce conflit se déroule dans une région où le climat n'est pas
particulièrement avenant. Il va donc nous falloir prévoir des conditions de
soutien matériel. J'ai indiqué à plusieurs reprises ces derniers jours que
c'était l'une de nos urgences.
Il faut que le soutien matériel aux réfugiés, là où ils sont aujourd'hui et
dans l'endroit le plus proche possible de leur ancien domicile où il leur sera
proposé de se réinstaller, soit adapté aux conditions climatiques. Il faut que
ce soutien soit accompagné de premiers moyens de reconstruction faisant que les
plus entreprenants, les plus industrieux des Kosovars - et nous avons vu qu'ils
étaient nombreux - puissent faire reprendre la vie, notamment la vie économique
et la production dans leur territoire dès qu'ils s'y seront réinstallés.
Il convient donc que, nous, Européens, avec nos autres partenaires, nous nous
attendions à devoir supporter un effort matériel particulièrement important
cette année, parce que nous aurons, au cours des trois, quatre ou cinq
prochains mois - je prends un pari pour une fois quelque peu imprudemment sur
des délais - au cours de cette seconde moitié de l'année 1999, à la fois à
continuer à soutenir des personnes déplacées dans les pays où elles se sont
réfugiées et à aider certaines d'entre elles à se réinstaller sur le territoire
du Kosovo.
Il faudra, et plusieurs orateurs ont évoqué cette question en termes souvent
très justes, vivre ensemble, et je rejoins tout à fait M. Cabanel à cet égard :
des communautés différentes peuvent coexister dans les Balkans. D'ailleurs,
l'une des raisons majeures qui justifient l'action que nous avons entreprise
est d'apporter un encouragement à tous les leaders politiques qui, depuis dix
ans, en différents points de l'Europe centrale et orientale, ont contribué à
résoudre des problèmes, ont cherché des solutions pacifiques et négociées à
d'autres conflits intercommuantaires qui existaient dans les Balkans et qui ont
été surmontés.
Je crois que cela pourra se réaliser au Kosovo, avec du temps, naturellement,
et des efforts adaptés. Nous sommes par ailleurs pleinement conscients du fait
qu'il faudra veiller au respect des droits de la minorité serbe.
De nombreux orateurs ont également souligné la nécessité de maintenir la
stabilité de la Macédoine et de l'Albanie. Il est encore trop tôt pour dresser
un bilan, mais la situation actuelle montre que la façon dont les partenaires
de l'Alliance, notamment les Européens, ont organisé la coopération avec les
autorités albanaises et macédoniennes a au moins permis le début de cette
stabilisation. Nous avons empêché que ces pays, qui étaient pourtant fragiles,
soient déstabilisés, et il est tout à fait exact que nous avons maintenant une
dette morale à leur égard, car ils ont été des alliés et des partenaires
particulièrement exposés dans cette crise, et ils ont su faire face. Ils seront
en effet, dans le travail de reconstruction régionale, des partenaires auxquels
on doit accorder une attention particulière.
Nous l'avons dit, et tous les Européens ainsi que nos partenaires américains
avec nous : la Serbie démocratique a sa place dans l'Europe réorganisée,
notamment dans le contexte balkanique que nous voulons pacifier et
stabiliser.
Ensuite, nous sommes face à ce dilemme : soutenir la démocratie sans nous
substituer au peuple serbe. Donc, ce sera forcément par des démarches
indirectes, diplomatiques et économiques, que tous nos pays devront essayer de
contribuer à soutenir le processus démocratique en Serbie. Nous ne pourrons pas
l'imposer par la force, ce n'est pas légitime.
La résolution des Nations unies qui va être examinée dans les prochaines
heures fera mention du rôle de la KFOR pour aider le Tribunal pénal
international dans ses différentes missions. Son procureur, Mme Arbour, que
nous avons rencontrée, M. Hubert Védrine et moi-même, il y a quelques semaines,
avait sollicité en particulier la possibilité pour des représentants du TPI de
se porter le plus vite possible dans les zones libérées afin de recueillir des
informations et des preuves et y faire des constats.
Quant au droit d'interpeller ou d'intercepter les personnes recherchées, le
projet de résolution fait état de la conclusion d'un accord, sous l'égide des
Nations unies, entre la KFOR et le Tribunal pénal international. Cependant,
naturellement, dans l'étape immédiate dont nous parlons, c'est-à-dire la mise
en route de la KFOR, ce rôle au service du TPI ne pourra s'exercer que sur le
territoire du Kosovo.
S'agissant de la relation de la communauté internationale, en particulier de
nos pays européens, avec M. Milosevic, le meilleur exemple que je pourrais
prendre est celui de l'action du président Ahtisaari, la semaine dernière. Il
est allé à Belgrade une fois et, sur la base d'un mandat clairement fixé par
les Européens, il arrivait vraiment en représentant de l'Union. Il a présenté à
l'autorité yougoslave les impératifs auxquels elle devait satisfaire. Des
discussions d'explication ont eu lieu, mais il n'y a pas eu de négociations, et
il nous semble que, si l'autorité serbe devait rester détenue par les mêmes
dirigeants dans les semaines ou les mois qui viennent, c'est cette même
attitude qu'il faudrait conserver.
Plusieurs orateurs ont également mentionné parmi les impératifs les tâches de
reconstruction et la place importante que les Européens vont jouer à cet
égard.
Je veux leur signaler que c'est dès après-demain que sera convoquée par la
présidence allemande en première réunion organisée à la suite du sommet de
Cologne, pour préparer la conférence ministérielle sur les Balkans avec
l'ensemble des pays intéressés. Nous sommes tous convaincus que c'est là un
rôle majeur d'une Union européenne consciente de ses responsabilités mais pas
totalement oublieuse pour autant de ses intérêts, qui, étant donné le potentiel
de développement de cette zone, ne doivent pas être négligés.
C'est donc en effet à l'Union européenne d'exercer le
leadership
en
matière de soutien à la reconstruction.
Plusieurs orateurs se sont exprimés enfin sur les perspectives de l'Europe de
la défense. Je ne souhaite pas prolonger le débat en ouvrant toute une série de
nouvelles perspectives, mais je veux confirmer que M. le ministre des affaires
étrangères et moi-même sommes au travail pour présenter, d'ici à quelques
jours, un schéma de plan d'action français afin d'établir de façon graduelle
les moyens concrets de capacité de défense dont les Européens pourraient
librement se doter, en faisant d'abord appel à la collaboration volontaire des
pays les plus déterminés, car il faut admettre que nos quinze pays ne seront
pas forcément décidés à aller au même rythme.
Enfin, pour répondre à une série de questions de M. Vinçon, quand on examine
les moyens engagés dans ce conflit, on constate que ceux qui ont été développés
par la France sont, je crois, substantiels. Ce faisant, elle a pu vérifier que
sa réforme de la défense s'accomplit en bon ordre et dans la cohérence
budgétaire.
Les quelques brèves réponses que je viens d'énoncer montrent, comme M. le
président de Villepin l'indiquait dans sa première intervention, les multiples
tâches qui nous attendent et les problèmes encore nombreux qui restent à
régler. Mais, inutile de vous le dire, mesdames, messieurs les sénateurs, le
Gouvernement préfère avoir à résoudre ces problèmes-là - avec, bien sûr, les
incertitudes que cela comporte, avec, bien sûr, des difficultés - pour
compléter la réalisation des objectifs politiques que nous avions choisis et
que le Parlement avait approuvés plutôt que d'avoir le pénible devoir de
s'adapter en désordre à la destruction de nos engagements communs !
Si une leçon est à tirer des progrès encore imparfaits que nous faisons, c'est
que nos démocraties, quelque peu vieillissantes certes, mais prospères et bien
éloignées de l'esprit belliqueux, ont malgré tout - et il faut en rendre
hommage d'abord à nos concitoyens, mais aussi à ceux qui les représentent - la
force de caractère de lutter contre la violence politique en sachant employer
la force, cela pour finalement dégager des solutions politiques équitables et
durables.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée sous le
numéro 406, distribuée et, par ailleurs, mise en ligne sur le site Internet du
Sénat.
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