Séance du 16 juin 1999
M. le président. Par amendement n° 83, M. Hyest propose d'insérer, après l'article 2 E, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le deuxième alinéa de l'article 63-1 du même code est remplacé par six alinéas ainsi rédigés :
« Le procès verbal doit comporter la mention suivante écrite et signée de la main de l'intéressé : "je reconnais avoir été averti :
"- des raisons de ma garde à vue et des accusations portées contre moi,
"- des dispositions de la loi relatives à la durée de la garde à vue,
"- et de mes droits concernant les personnes que je peux avertir, mon examen par un médecin et l'entretien que je peux avoir avec un avocat".
« En cas de refus d'écrire cette mention, il en est fait état au procès-verbal, ainsi que des raisons avancées pour ce refus ; le procureur de la République en est immédiatement averti.
« Si la personne ne sait pas écrire, il est fait mention au procès-verbal de l'information donnée par l'officier de police judiciaire. »
« II. - L'article 64 du même code est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Le procès verbal contient également la mention manuscrite apposée par les personnes intéressées prévue par l'article 63-1. »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. L'article 63-1 du code de procédure pénale a déjà été modifié par deux fois en 1993. Pour éviter un certain nombre de nullités et garantir la notification des droits au gardé à vue, mieux vaudrait prévoir que la personne gardée à vue devra mentionner elle-même de façon manuscrite sur le procès-verbal qu'elle a pris connaissance de ses droits.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ce projet de loi comporte déjà certaines lourdeurs procédurales, que nous avons dû accepter. L'obligation de procéder de la façon préconisée par M. Hyest en serait une de plus, et la commission des lois a donc émis un avis défavorable sur l'amendement n° 83.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le Gouvernement n'est pas non plus favorable à cet amendement, et ce pour des raisons essentiellement pratiques.
Tout d'abord, je ferai observer à M. Hyest que la question de la notification de ses droits au gardé à vue n'est pas assimilable à celle du consentement requis pour une perquisition au cours d'une enquête préliminaire.
M. Jean-Jacques Hyest. D'accord !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Dans ce cas précis, la personne s'engage, puisqu'elle accepte une perquisition alors qu'elle a juridiquement le droit de la refuser. Là, on a bien besoin d'un écrit rédigé de la main de la personne.
La notification des droits au cours d'une garde à vue se situe dans une procédure coercitive. La personne qui reçoit cette notification ne prend ni décision ni engagement. Dans ces conditions, ce qui importe, c'est que les droits aient été notifiés. On pourra s'en assurer, en pratique, parce que la personne exercera ses droits.
De plus, sur le plan des modalités courantes, la notification verbale par l'enquêteur qui est mentionnée dans le procès-verbal, document qui est lui-même ensuite signé par l'intéressé, est complétée par la remise à la personne gardée à vue d'un document écrit dont le modèle a été réalisé par la Chancellerie et qui est même établi en plusieurs langues.
Il semble donc au Gouvernement que les garanties permettant d'assurer la réalité de la notification des droits sont suffisantes et qu'il ne faut pas renforcer la procédure de garde à vue par des obligations de forme supplémentaires, obligations qui sont par ailleurs, vous le savez, autant de sources d'irrégularités potentielles de procédure.
M. le président. Monsieur Hyest, l'amendement n° 83 est-il maintenu ?
M. Jean-Jacques Hyest. J'ai bien entendu les observations de la commission des lois et du Gouvernement. Je pense pour ma part que l'absence de précision est plus source de nullité que la précision. Néanmoins, je retire l'amendement n° 83 puisque toutes les garanties sont prises, paraît-il, pour assurer la notification des droits en cours de garde à vue. Le fonctionnement de la garde à vue est parfois mystérieux, et j'espère que toutes les conditions seront respectées.
M. le président. L'amendement n° 83 est retiré.
Par amendement n° 7, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose d'insérer, après l'article 2 E, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 63-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si celle-ci est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ce texte fait partie d'une série d'amendements que nous appellerons, pour pouvoir les nommer plus facilement par la suite, les « amendements surdité » : si la personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. Il peut...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pardon ? (Sourires.)
M. Charles Jolibois, rapporteur. ... également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité, monsieur Dreyfus-Schmidt ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le Gouvernement est favorable à cet ensemble d'amendements inspirés par un souci de soutien d'une catégorie de personnes gravement handicapées puisqu'il s'agit de surdité totale.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2 E.
Par amendement n° 160, MM. Bret, Duffour et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 2 E, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article 63-1 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Les informations mentionnées au premier alinéa doivent être communiquées à la personne gardée à vue, au moyen d'un document écrit, avec traduction dans la langue que comprend l'intéressé et après lecture dans cette langue. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Il s'agit, avec cet amendement, de garantir les droits des personnes gardées à vue.
Nous estimons nécessaire de préciser que les droits énoncés à la personne gardée à vue lui sont communiqués par écrit, traduits et lus dans une langue qu'elle parle.
Il s'agit, en l'occurrence, de s'assurer pleinement qu'elle a compris la partie des informations qui sont portées à sa connaissance.
A notre sens, cette information ne doit pas être un simple énoncé de garanties qui sont trop souvent formelles, et en pratique imparfaitement mises en place.
Nous souhaitons donc accroître les garanties des justiciables en proposant une rédaction plus précise de l'actuel article 63-1 du code de procédure pénale, pour éviter toutes sortes de problèmes.
Nous le savons, la garde à vue est une période suffisamment difficile à vivre pour qu'elle ne soit pas entourée d'un maximum de précisions et de garanties, notamment pour les personnes d'origine étrangère.
Telle est, en tout cas, notre conception de la justice.
Je précise qu'une telle modification entraîne, du point de vue financier, peu de conséquences ; en revanche, pour les justiciables, il s'agit d'une assurance quant au respect de leurs droits lors de la garde à vue.
C'est tout le sens de l'amendement que nous vous proposons d'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'examen de cet amendement nous donne l'occasion d'interroger M. le ministre de la défense, représentant Mme la garde des sceaux - et, dans un tel débat, c'est tout un symbole ! - sur le fonctionnement du service des interprètes.
En effet, il existe déjà obligatoirement un interprète de la langue considérée. Aussi, stipuler que les informations doivent être communiquées au moyen d'un document écrit avec traduction dans la langue concernée ne semble pas nécessaire si le service des interprètes fonctionne bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement et saisit cette occasion, comme le lui suggère M. le rapporteur, pour préciser les conséquences pratiques de la traduction quand elle est nécessaire.
Dans ses dispositions actuelles, le code de procédure pénale prescrit que la notification est faite dans une langue comprise par la personne concernée, et ce à peine de nullité. La disposition protectrice proposée figure donc déjà dans le code.
La pratique s'appuie sur deux éléments : d'une part - et, en raison de la nullité encourue, les services ne peuvent pas biaiser avec cette obligation - la présence automatique d'un interprète dans une langue maîtrisée par la personne concernée, à chaque notification ; d'autre part, la remise d'un écrit, obligation résultant de circulaires de la Chancellerie qui, allant plus loin que le code de procédure pénale, recommandent que les informations sur leurs droits soient remises par écrit dans une langue qu'elles maîtrisent aux personnes concernées par la procédure. A cet effet, des imprimés dans les langues étrangères les plus usitées sont disponibles dans les services de police judiciaire.
La raison pour laquelle le Gouvernement n'est pas favorable à l'adjonction de cette seconde obligation de procédure tient à ce que l'imposition de cette nouvelle obligation donnerait l'impression que, à son tour, l'obligation d'information écrite dans une langue comprise par le gardé à vue constituerait une nouvelle base de nullité de procédure.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 160.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je vais suivre M. le ministre sur ce point. Il est en effet parfois extrêmement difficile de trouver sur place un interprète de certaines langues tout à fait exotiques ou tout à fait rares. J'ai eu ainsi récemment l'occasion d'avoir à m'occuper d'une affaire de ce genre : nous sommes parvenus à trouver un interprète d'albanais en Normandie, mais ce n'était pas évident.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait accueillir des Kosovars !
M. Patrice Gélard. Il est certains cas où l'on est obligé d'attendre quarante-huit heures, voire plus, pour faire venir un interprète, de Paris ou d'ailleurs, pour pouvoir faire fonctionner le système.
N'oublions pas que l'on recense dans le monde plus de deux cent quarante langues. Comment, dans ces conditions, trouver un interprète pour chacune de ces langues, par exemple en Ouilou-Ouilou ou en Queshua ?
En revanche, je comprends très bien la préoccupation de M. Bret, qui est logique : il faut pouvoir s'entretenir avec l'intéressé et lui expliquer ses droits, mais pas forcément dans sa langue ! Cela peut se faire dans une langue qu'il comprend.
Dans ces conditions, le point de vue de M. le ministre est plein de bon sens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Gélard a raison : une langue que l'intéressé comprend est suffisante. Or c'est très exactement ce qui est écrit dans l'amendement n° 160 de nos collègues MM. Bret et Duffour ! Peut-être cela a-t-il échappé à notre collègue ?
J'ai donc l'impression, après avoir entendu M. Gélard, qu'il est favorable à cet amendement n° 160, et il a raison, car l'argumentation selon laquelle, parce que cette disposition figure dans une circulaire de la Chancellerie, il serait inutile de l'inscrire dans la loi ne me convainc pas. En effet, monsieur le ministre - j'en profite pour vous saluer ! - un règlement peut être annulé demain, alors qu'une loi ne peut pas être modifiée sans que le Parlement soit saisi.
Quoi qu'il en soit, il est évident que l'on ne va pas garder à vue quelqu'un qui ne comprend pas ce qu'on lui dit et dont on ne comprend pas ce qu'il dit ! Et, puisque cela figure déjà dans les circulaires, autant le faire figurer dans la loi !
En ce qui nous concerne, nous voterons donc l'amendement n° 160.
M. le président. Quel est, en définitive, l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Nous avons interrogé le Gouvernement et nous avons obtenu une réponse : même si sa mise en place peut se révéler délicate, le service d'interprètes fonctionne et le procès-verbal de garde à vue mentionne bien que l'intéressé a disposé d'un interprète et que la procédure a été suivie, à peine de nullité.
La commission des lois m'avait chargé de poser la question, et je suis obligé de dire que la réponse qui m'a été donnée me satisfait. J'estime donc qu'il n'est pas nécessaire de demander la communication d'un document écrit.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Après avoir entendu les différents orateurs, je tiens à souligner que la garantie la plus solide pour une personne mise en garde à vue et qui ne maîtrise pas la langue française réside dans le dernier alinéa de l'article 63-1 du code de procédure pénale, qui édicte une obligation sans limite de communication verbale à l'intéressé dans une langue qu'il comprend, ce qui élimine, au passage, le cas des personnes qui ne maîtrisent qu'une langue sans maîtriser l'écrit.
L'adjonction envisagée ne serait pas plus protectrice pour la personne gardée à vue, mais serait source de confusion dans le déroulement de la procédure.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 160, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2 F