Séance du 17 juin 1999
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Rappel au règlement
(p.
1
).
MM. Alain Vasselle, le président.
3.
Demandes d'autorisation de missions d'information
(p.
2
).
4.
Présomption d'innocence et droits des victimes.
- Suite de la discussion d'un projet de loi (p.
3
).
Articles additionnels après l'article 5
ou après l'article 19 (p.
4
)
Amendement n° 197 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Charles
Jolibois, rapporteur de la commission des lois ; Mme Elisabeth Guigou, garde
des sceaux, ministre de la justice ; M. Michel Charasse. - Rejet.
Amendement n° 13 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux.
- Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 181 de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux, MM. Pierre Fauchon, Jean Chérioux, Jacques Larché, président
de la commission des lois ; Patrice Gélard, Michel Dreyfus-Schmidt. -
Réserve.
Amendements n°s 179 rectifié
(priorité),
180 rectifié
(priorité)
de M. Vasselle, 124 à 127, 182 de M. Charasse et 199 de M. Dreyfus-Schmidt.
- MM. Alain Vasselle, Michel Charasse, Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur,
Mme le garde des sceaux, MM. Pierre Fauchon, Louis de Broissia. - Retrait des
amendements n°s 124 à 126 ; adoption, après une demande de priorité, des
amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié insérant deux articles
additionnels, les amendements n°s 182 et 199 devenant sans objet ; adoption de
l'amendement n° 127 insérant un article additionnel.
Division additionnelle après l'article 5 (p. 5 )
Amendement n° 275 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des
sceaux. - Adoption de l'amendement insérant une division additionnelle et son
intitulé.
Mme le garde des sceaux, MM. le président de la commission, le président.
Suspension et reprise de la séance
(p.
6
)
Articles additionnels après l'article 5
(suite)
(p.
7
)
Amendement n° 181 rectifié (précédemment réservé) de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Patrice Gélard, Robert Badinter, le président de la commission, Hubert Haenel. - Rejet.
Articles additionnels avant l'article 6 (p. 8 )
Amendements n°s 167 à 169 de M. Bret. - MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait des amendements n°s 167 et 169 ; rejet de l'amendement n° 168.
Article 6 (p. 9 )
Amendements n°s 14 à 16 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des
sceaux. - Adoption des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 6 (p. 10 )
Amendement n° 200 rectifié de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 7 (p.
11
)
Article 113-1 du code de procédure pénale. - Adoption
(p.
12
)
Article 113-2 du code précité
(p.
13
)
Amendement n° 17 de la commission et sous-amendement n° 267 du Gouvernement. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Robert Badinter. - Rejet du sous-amendement ; adoption de l'amendement rédigeant l'article du code.
Article 113-3 du code précité (p. 14 )
Amendement n° 201 de M. Badinter. - MM. Robert Badinter, le président de la commission, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Hubert Haenel. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article du code.
Articles 113-4 et 113-5 du code précité. - Adoption
(p.
15
)
Article 113-6 du code précité
(p.
16
)
Amendement n° 202 de M. Badinter. - MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, Hubert Haenel. - Adoption de l'amendement supprimant l'article du code.
Article 113-7 du code précité. - Adoption
(p.
17
)
Article 113-8 du code précité
(p.
18
)
Amendement n° 92 de M. Hyest. - Retrait.
Adoption de l'article du code.
Adoption de l'article 7 modifié.
Article 8. - Adoption (p.
19
)
Article 9 A (p.
20
)
Amendement n° 18 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 9 B (p. 21 )
Amendement n° 19 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 9 C (p. 22 )
Amendement n° 20 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 9. - Adoption (p.
23
)
Articles additionnels après l'article 9 (p.
24
)
Amendement n° 114 rectifié de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice
Gélard, Jean-Jacques Hyest, Hubert Haenel, Robert Badinter, Pierre Fauchon. -
Rejet.
Amendement n° 115 de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Rejet.
Amendement n° 21 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux,
MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le président de la commission, le président, Robert
Badinter. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 203 rectifié de M. Dreyfus-Schmidt et sous amendements n°s 273 et
276 de M. Charasse. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Charasse, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Robert Badinter, Paul Girod. - Retrait
du sous-amendement n° 273, rejet, du sous-amendement n° 276 et de l'amendement
n° 203 rectifié.
Amendement n° 117 de M. Charasse. - Retrait. Amendements n°s 118 et 119 de M.
Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M.
Michel Dreyfus-Schmidt. - Rejet des deux amendements.
Amendement n° 207 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Hubert Haenel. - Rejet.
Amendement n° 143 de M. Fauchon. - MM. Pierre Fauchon, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Adoption de l'amendement insérant un article
additionnel.
Amendement n° 204 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Amendement n° 205 rectifié de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt,
le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Robert Badinter. - Adoption de
l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 116 de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux, MM. Pierre Fauchon, Michel Dreyfus-Schmidt. - Adoption de
l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 206 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Michel Caldaguès, le président, le
président de la commission, Hubert Haenel. - Adoption de l'amendement insérant
un article additionnel.
Amendement n° 137 rectifié de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Pierre Fauchon, Michel
Dreyfus-Schmidt. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Chapitre II
Intitulé de la section 1 A
(réservé)
(p.
25
)
Amendement n° 22 de la commission. - Réserve.
Articles additionnels avant l'article 10 A (p. 26 )
Amendement n° 93 de M. Hyest. - M. Jean-Jacques Hyest. - Retrait.
Amendement n° 208 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.
Article 10 A (p. 27 )
Amendements n°s 23 de la commission et 94 de M. Hyest. - MM. le rapporteur, Jean-Jacques Hyest, Mme le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement n° 23 supprimant l'article, l'amendement n° 94 devenant sans objet.
Article additionnel après l'article 10 A (p. 28 )
Amendement n° 95 de M. Hyest. - MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, le président de la commission, Mme le garde des sceaux, MM. Pierre Fauchon, Robert Badinter, Michel Caldaguès. - Rejet.
Article 10 B (p. 29 )
Amendements identiques n°s 24 de la commission et 209 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. le rapporteur, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme le garde des sceaux. - Adoption des amendements supprimant l'article.
Article 10 C (p. 30 )
Amendements n°s 25 de la commission et 152 rectifié de M. Haenel. - MM. le rapporteur, Hubert Haenel, Mme le garde des sceaux, MM. Michel Charasse, Pierre Fauchon. - Retrait de l'amendement n° 152 rectifié ; adoption de l'amendement n° 25 supprimant l'article.
Intitulé de la section 1 A (suite) (p. 31 )
Amendement n° 22 (précédemment réservé) de la commission. - M. le rapporteur. - Adoption de l'amendement supprimant la division et son intitulé.
Suspension et reprise de la séance (p. 32 )
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
Intitulé de la section 1 (p.
33
)
Amendement n° 26 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Charasse. - Adoption de l'amendement modifiant l'intitulé.
Article 10 (p. 34 )
M. Robert Bret.
Amendement n° 96 de M. Hyest. - M. Jean-Jacques Hyest. - Retrait.
Amendements n°s 170 de M. Bret, 27 de la commission et sous-amendements n°s 268
du Gouvernement et 212 rectifié de M. Dreyfus-Schmidt ; amendement n° 153
rectifié de M. Haenel. - MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des
sceaux, MM. Hubert Haenel, Michel Dreyfus-Schmidt, le président de la
commission, Michel Charasse, Jean-Jacques Hyest, Robert Badinter. - Retrait des
amendements n°s 153 rectifié et 170 ; rejet des sous-amendements n°s 212
rectifié et 268 ; adoption de l'amendement n° 27.
Amendements n°s 259 de M. Dreyfus-Schmidt, 154 rectifié de M. Haenel et 28
rectifié
bis
de la commission. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait des amendements n°s 259 et 154
rectifié ; adoption de l'amendement n° 28 rectifié
bis.
Amendement n° 29 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux,
MM. Robert Badinter, Charles Ceccaldi-Raynaud, Michel Charasse, Michel
Dreyfus-Schmidt, Hubert Haenel. - Adoption.
Amendements n°s 211 et 260 de M. Dreyfus-Schmidt. - Retrait des deux
amendements.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 10 (p. 35 )
Amendement n° 155 rectifié de M. Haenel. - MM. Hubert Haenel, le rapporteur,
Mme le garde des sceaux. - Retrait.
Amendement n° 213 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement insérant un
article additionnel.
Article 10 bis (p. 36 )
Amendements n°s 30 de la commission, 120 et 121 rectifié de M. Charasse. - MM. le rapporteur, Michel Charasse, Mme le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement n° 30 supprimant l'article, les amendements n°s 120 et 121 rectifié devenant sans objet.
Articles additionnels après l'article 10 bis (p. 37 )
Amendement n° 122 de M. Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Retrait.
Amendement n° 156 rectifié de M. Haenel. - MM. Hubert Haenel, le rapporteur. -
Retrait.
Article 11 (p. 38 )
Amendement n° 97 de M. Hyest. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article 12 (p. 39 )
Amendement n° 98 de M. Hyest. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article 13 (p. 40 )
Amendement n° 99 de M. Hyest. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article 14 (p. 41 )
Amendement n° 100 de M. Hyest. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article 15 (p. 42 )
M. Robert Bret.
Amendements n°s 101 de M. Hyest, 214 à 216, 261, 262 de M. Dreyfus-Schmidt, 31,
32 de la commission et 171 de M. Bret. - MM. Jean-Jacques Hyest, Michel
Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Robert Bret, Mme le garde des sceaux, M. Robert
Badinter. - Retrait des amendements n°s 214 et 262 ; rejet de l'amendement n°
101 et des amendements identiques n°s 171 et 216 ; adoption des amendements n°s
31 et 32, les amendements n°s 215 et 261 devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 15 (p. 43 )
Amendement n° 110 de M. Hyest. - MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait.
Article 16 (p. 44 )
Amendements n°s 102 de M. Hyest, 217, 218 de M. Dreyfus-Schmidt et 33 de la
commission. - MM. Jean-Jacques Hyest, Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur,
Mme le garde des sceaux. - Retrait des amendements n°s 102 et 217 ; adoption de
l'amendement n° 33, l'amendement n° 218 devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 16 (p. 45 )
Amendement n° 219 de M. Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le
rapporteur. - Réserve.
MM. le président, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.
Suspension et reprise de la séance (p. 46 )
M. le président.
Renvoi de la suite de la discussion.
5.
Transmission d'un projet de loi
(p.
47
).
6.
Ordre du jour
(p.
48
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures quarante.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le règlement.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, vous avez
devant vous un parlementaire particulièrement agacé, irrité, révolté, voire
excédé par les conditions dans lesquelles le Parlement travaille, la Haute
Assemblée en particulier.
Il est aujourd'hui impossible à un sénateur, en cette fin de session,
d'organiser son temps de travail et de maîtriser son emploi du temps. Vous
savez comment travaille le Parlement, mes chers collègues. Les commissions se
réunissent en même temps que nous examinons des textes en séance.
Certes, ce n'est pas nouveau, et cela ne date d'ailleurs pas de la réforme
constitutionnelle ayant institué la session unique, mais le fait que le
Gouvernement surcharge l'ordre du jour du Parlement et nous fasse légiférer sur
des textes qui, à mon sens, ne présentent pas un caractère de priorité absolue,
nous amène à travailler dans des délais très brefs et dans des conditions
détestables et déplorables, à la fois pour les parlementaires et pour le
personnel de cette maison. Cela me conduit à faire part ici, monsieur le
président, de mon irritation.
Mais, pour terminer, j'interroge Mme le garde des sceaux et vous-même,
monsieur le président : appliquerons-nous un jour la loi sur les trente-cinq
heures dans cette maison ?
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Le Gouvernement
s'appliquera-t-il à lui-même les trente-cinq heures ? Le législateur
s'appliquera-t-il à lui-même les trente-cinq heures ? Appliquera-t-il également
les trente-cinq heures au personnel de cette maison...
(M. Charasse s'exclame)
... auquel cas il faudra supprimer les séances de
nuit et travailler autrement ?
Non, soyons un peu sérieux ! On voit bien que l'on travaille dans ce pays dans
des conditions qui ne sont pas satisfaisantes. Je suis d'ailleurs persuadé que
les résultats des élections européennes sont l'expression, de la part de
l'opinion publique, d'un agacement devant les conditions dans lesquelles ce
pays est conduit. En effet, dans ceux qui ont fait les meilleurs scores
dimanche dernier, ce sont, non pas les partis traditionnels, mais les
abstentionnistes et les listes diverses.
Cela démontre l'existence d'un malaise réel, et je souhaiterais que tant le
Gouvernement que nous-mêmes, parlementaires, en tirions les enseignements.
M. Jean Chérioux.
Sans oublier les bulletins blancs ou nuls !
M. le président.
Monsieur le sénateur, je vous donne acte de votre déclaration.
En ce qui concerne les travaux du Sénat, la conférence des présidents a
délibéré. Je l'ai rappelé hier soir, en fin de séance, nous respectons
scrupuleusement ce qu'elle a arrêté.
Après concertation avec M. le président de la commission des lois, nous avons
décidé de faire le point, dans le cours de la journée. Nous verrons alors où
nous en sommes, de façon à pouvoir envisager la poursuite de nos travaux.
3
DEMANDES D'AUTORISATION
DE MISSIONS D'INFORMATION
M. le président.
M. le président du Sénat a été saisi :
- par M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires
culturelles, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de
désigner une mission d'information au Liban, en Syrie et en Jordanie sur les
relations culturelles et techniques entre la France et ces trois pays ;
- par M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires
économiques, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de
désigner une mission d'information au Brésil et en Argentine afin d'y étudier
la situation économique et la présence française dans ces deux pays ;
- par M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales,
d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission
d'information en Guyane afin d'y étudier la situation sanitaire et sociale et
une mission d'information en Espagne afin d'examiner l'organisation des
systèmes de soins et l'évolution des dépenses de santé dans ce pays ;
- par M. Jacques Larché, président de la commission des lois, d'une demande
tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information
en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane pour préparer l'examen du futur
projet de loi d'orientation.
Le Sénat sera appelé à statuer sur ces demandes dans les formes fixées par
l'article 21 du règlement.
4
PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
ET DROITS DES VICTIMES
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 291, 1998-1999),
adopté par l'Assemblée nationale, renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes. [Rapport n° 419 (1998-1999) et avis n°
412 (1998-1999).]
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'amendement n°
197, tendant à insérer un article additionnel après l'article 5.
Articles additionnels après l'article 5
ou après l'article 19
M. le président.
Par amendement n° 197, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent d'insérer, après l'article 5, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Après les mots : "la personne", la fin de l'article 122-3 du code pénal est
ainsi rédigée : "dont le tribunal estime qu'elle était en droit d'ignorer la
loi ou le règlement qu'il lui serait reproché de ne pas avoir respecté". »
Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Dreyfus-Schmidt, je
voudrais vous inciter à réduire autant que faire se peut vos interventions,
naturellement sans trahir l'esprit des amendements ni vos commentaires. Notre
objectif à tous, c'est de travailler dans les meilleures conditions possible
tout en respectant les accords que nous avons pris avec le Gouvernement
d'achever l'examen de ce texte cette semaine.
Je ne fais porter la responsabilité sur personne ; je dis simplement que, si
chacun y met du sien, nous gagnerons un peu de temps.
Vous avez la parole, monsieur Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n°
197.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, je me rappelle d'une période, très longue d'ailleurs,
où nous avions droit à dix minutes pour exposer un amendement. Mais le bureau a
réduit ce temps de parole à cinq minutes.
Je ne crois pas, en ce qui me concerne, avoir à aucun moment dépassé le temps
de parole qui nous est imparti pour exposer un amendement. J'ajoute que les
travaux préparatoires présentent un intérêt pour tout le monde, en particulier
pour l'Assemblée nationale qui sera à nouveau saisie de ce texte, après son
examen par le Sénat.
M. Michel Charasse.
Faites-lui cadeau de quelques minutes, monsieur le président, c'est son
anniversaire !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet amendement, très court, pose un problème qui me paraît très important et
qui est en relation directe avec la protection de la présomption
d'innocence.
Nombre de personnes sont mises en examen, poursuivies et condamnées parce
qu'il leur est reproché de ne pas avoir respecté un décret ou un arrêté dont
elles ignoraient totalement l'existence et que tout le monde ignorait
d'ailleurs ! Tant de lois, de décrets, d'arrêtés et de circulaires sont publiés
au
Journal officiel
qu'il n'est plus possible de continuer à dire, comme
on le faisait à Rome, que nul n'est censé ignorer la loi.
Cet amendement n° 197 tend à inverser ce principe, en précisant non pas que
l'on a le droit d'ignorer la loi, mais que le tribunal peut estimer que
l'intéressé était en droit de ne pas connaître un texte.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
L'amendement de M. Dreyfus-Schmidt est philosophiquement peut-être intéressant,
mais juridiquement inacceptable. En effet, on ne voit pas comment un tribunal
pourrait avoir le droit d'écarter une loi votée par le Parlement parce qu'on
expliquerait qu'on ne la connaissait pas.
A cet égard, les dispositions sont claires : quand une loi est publiée au
Journal officiel,
dans le délai prévu par nos textes, elle devient
applicable à tout le monde. Par conséquent, la commission est défavorable à
l'amendement n° 197.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Avis défavorable, monsieur le
président.
J'ajoute que nous examinons un projet de loi qui concerne la procédure pénale
et non pas le code pénal.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 197.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je comprends à la fois la démarche du président Dreyfus-Schmidt et celle du
rapporteur, mais je voudrais dire au garde des sceaux qu'il existe quelquefois,
en matière de sécurité civile - les règles de sécurité que nous appliquons -
des instructions internes aux services qui ne sont ni diffusées ni publiées.
Lorsqu'on les revendique dans des procès pénaux devant le tribunal, comment
voulez-vous qu'un responsable, fonctionnaire ou élu, puisse appliquer des
disposions ou des directives qui n'ont été ni diffusées ni rendues publiques
?
Certes, le principe selon lequel nul n'est censé ignorer la loi est sacré ;
mais encore faut-il, et c'est un principe de la République, que les textes
soient publiés ! C'est une décision qui a été prise, je crois, en matière de
jurisprudence, dès les premiers jours de la IIIe République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne sais pas si des articles du projet modifient les articles du code pénal,
je n'ai pas eu le temps de le vérifier, mais, en tout état de cause, nous
n'examinons pas un texte modifiant le code de procédure pénale. Le projet vise
à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes ; c'est en tout cas son titre. L'argument de forme ne me convainc donc
pas.
Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi cette disposition serait inapplicable.
Il suffit que le tribunal le dise, avec possibilité d'appel évidemment !
Encore une fois, cela est vrai pour tout le monde, mais plus encore pour les
élus qui se voient reprocher de ne pas avoir vérifié la situation régulière ou
non du personnel de l'entreprise ou le fait qu'un jour l'eau soit devenue
impropre à la consommation, quand bien même le service est affermé !
Vous savez tout cela aussi bien que moi ! Le seul moyen de mettre un terme à
de telles situations et de protéger l'innocence de ceux qui sont poursuivis et
trop souvent condamnés est de voter cet amendement. Il faudra peut-être du
temps pour que cette idée fasse son chemin, mais je suis convaincu qu'elle le
fera.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 197, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 13, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Il est inséré, après l'article 173 du même code, un article 173-1 ainsi
rédigé :
«
Art. 173-1.
- Sous peine d'irrecevabilité, la personne mise en examen
doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son
interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans
un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen, sauf
dans les cas où elle n'aurait pu les connaître.
« Il en est de même pour la partie civile à compter de sa première
audition.
« II. - Le premier alinéa de l'article 89-1 et le quatrième alinéa de
l'article 116 du code de procédure pénale sont complétés par les mots : ", sous
réserve des dispositions de l'article 173-1".
« III. - Il est inséré, au cinquième alinéa de l'article 173 du code de
procédure pénale, après les mots : "du présent article, troisième ou quatrième
alinéas", les mots : ", de l'article 173-1 ;". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement a pour objet d'éviter l'annulation de
l'ensemble de certaines procédures à la fin de l'instruction pour des nullités
intervenues tout au début de la procédure. L'annulation globale, à la fin d'une
instruction, impose de recommencer toute la procédure.
Vous savez notre souci que les procédures soient un peu activées. Ce souhait
d'une évolution sur ce point a été manifesté par beaucoup d'auxiliaires de la
justice.
Cet amendement figurait, d'ailleurs, dans le projet de loi réformant la
procédure criminelle, dont la discussion n'a pu être conduite à son terme, et
pourra, éventuellement, être perfectionné au cours de la navette.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Très favorable, monsieur le président.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 5.
Par amendement n° 181, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 5, un
article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 223-1 du code pénal est abrogé. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Le nouveau code pénal a innové dans de nombreux domaines. Il a, en
particulier, trouvé le moyen, sans doute dans une ambiance de nuit du 4 août ou
de « Embrassons-nous Folleville ! », de retenir des dispositions qui permettent
de présumer une personne coupable d'un événement grave non encore arrivé et
dont on ne sait même pas s'il se produira un jour. Il s'agit de l'article 223-1
du code pénal. Nous sommes ici dans le domaine de la présomption de
culpabilité, succédané de la présomption d'innocence, donc bien dans le sujet
de ce débat.
Par l'amendement n° 181, je propose de supprimer l'article 223-1 du code
pénal, en vertu duquel de très nombreux responsables, élus ou non, peuvent se
retrouver, ou se retrouvent, sur les bancs du tribunal pour n'importe quel
événement.
Je propose cette suppression non par mépris pour la sécurité publique, mais
parce qu'il s'agit d'une disposition qui tourne le dos au principe du droit
selon lequel on ne condamne jamais personne qui n'a rien fait - or elle prévoit
une condamnation parce que cela pourrait arriver - et sous le coup de laquelle
tombent aujourd'hui des centaines de citoyens français investis d'une
responsabilité d'élu ou de fonctionnaire.
Il faut savoir aussi qu'elle s'applique en fait en vertu des fantaisies
réglementaires de la direction de la sécurité civile. Le changement constant
des règles des normes de sécurité par de simples arrêtés ou circulaires font
qu'aujourd'hui des personnes se retrouvent en situation d'être traînées devant
le tribunal.
M. Jean Chérioux.
Exact !
M. Michel Charasse.
Je dois dire - et je parle sous le contrôle de nos collègues qui sont élus
responsables régionaux, départementaux ou municipaux, que la plupart d'entre
eux relèvent aujourd'hui d'une telle disposition.
A la suite de l'accident de Furiani, les dispositions relatives au
fonctionnement des commissions de sécurité ont été modifiées. Désormais, elles
donnent non plus des délais, mais seulement un avis, favorable ou défavorable.
A partir du moment où vous vous voyez opposer un avis défavorable, vous êtes
obligés de fermer.
Il faut savoir que le tiers, le quart ou le cinquième des établissements
scolaires, lycées, collèges, et parfois des écoles publiques sont en situation
de devoir être fermés ! Il en est de même pour un certain nombre de monuments
historiques. Ainsi, je vous signale à titre anecdotique que la commission de
sécurité a émis un avis défavorable sur le fonctionnement de la cathédrale de
Clermond-Ferrand, qui date du Moyen Age, au motif qu'à l'époque les portes
ouvraient dans le sens contraire à celui qui est prescrit par les hurluberlus
de la direction de la sécurité civile au ministère de l'intérieur !
(Applaudissements.)
Le maire de Clermont-Ferrand a pris la sage décision
de ne rien faire, mais il pourrait se voir opposer l'article L. 223-1 du code
pénal.
J'ajoute que, depuis le Moyen Age, il n'y a jamais eu un seul incident ou
accident à la cathédrale de Clermont-Ferrand, sauf peut-être quelqu'un qui
s'est coincé le doigt dans la porte. Mais, qu'elle ouvre dans un sens ou dans
l'autre, il est des endroits, tout le monde le sait, où il vaut mieux ne pas
mettre le droit, le doigt, voulais-je dire. Cela ne m'est pas arrivé, mais peut
arriver à de meilleurs chrétiens que moi.
(Rires.)
Voilà pourquoi je pense qu'il faut en finir avec les dispositions qui pèsent
en permanence sur la tête des responsables et qui font que, dans ce pays, nous
allons un jour être confrontés à une situation de blocage, car si les gens font
leur métier normalement, on ne pourra plus assurer la rentrée scolaire ! Je
propose donc purement et simplement la suppression de cet article scélérat.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
M. Charasse ne va pas me bénir, mais le nouveau code pénal a
nécessité presque quatre ans de discussion au terme desquels il a fait - ce qui
est assez rare pour un monument de cet ordre - l'objet d'un consensus général
des deux assemblées, tout particulièrement du Sénat.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas pour ça qu'elles ont raison !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Monsieur Charasse, l'article 223-1 que vous fustigez
aujourd'hui avec un grand bonheur, et beaucoup d'humour selon votre habitude,
était considéré comme l'une des innovations les plus importantes de la réforme
du code pénal.
M. Michel Charasse.
Par des gens qui ne sont responsables de rien !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Mais si vous souhaitez retirer cette disposition, il ne faut
pas seulement évoquer le cas de la cathédrale de Clermont-Ferrand, que nous
aimons tous beaucoup ; il faut aussi songer aux nombreux cas dans lesquels on
ne pouvait pas poursuivre ni engager une information judiciaire lorsque des
personnes mettaient autrui en danger sans qu'aucune conséquence ne s'ensuive.
C'est un aspect qu'il ne faut pas négliger.
Dans notre siècle où surviennent tellement de catastrophes, l'on ne peut
attendre la survenue de la catastrophe pour engager une poursuite. Il n'est pas
un praticien, pas un professeur de droit, pas un magistrat qui n'ait admis
l'existence d'une sorte de vide juridique et la nécessité d'introduire dans
notre code pénal l'article 223-1.
Je l'ai défendu, au nom de la commission des lois. Je crois même me souvenir,
sans y mettre un orgueil particulier, que je l'avais réécrit pour qu'il soit
bien précis et n'entraîne pas d'application excessive telle que celle à
laquelle vous avez fait allusion, monsieur Charasse. En tout cas, malgré le
grand plaisir que j'ai eu à entendre votre démonstration, mon cher collègue, je
suis sûr qu'aucun magistrat ne prononcerait une condamnation sur la base de
l'article 223-1 pour un cas comme celui que vous venez de citer.
M. Michel Charasse.
Vous vous en remettez à leur bon vouloir.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
En conséquence, personnellement, et la commission m'a suivi,
je ne pense pas que l'on puisse supprimer de la sorte un des articles qui a été
salué partout, dans toute la presse...
M. Michel Charasse.
Et alors !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... comme une disposition fondamentale dans la société
moderne, société de risques. Au demeurant, faute d'une étude suffisamment
approfondie, la commission n'est pas en mesure d'évaluer les conséquences qui
résulteraient de cette suppression.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Depuis hier, nous voyons surgir, à l'occasion de
différentes dispositions de ce projet de loi, l'importante question de la
responsabilité pénale des élus et des décideurs publics. J'ai déjà eu
l'occasion de dire que nous en avions discuté et qu'à la suite du débat suscité
par M. Haenel j'ai décidé la création d'une commission pour examiner ce délicat
problème.
Monsieur Charasse, je suis défavorable à l'amendement n° 181 parce qu'il vise
à abroger un élément fondamental de la réforme du code pénal initiée par Robert
Badinter ; vous m'objecterez qu'on peut tout modifier, mais je pense que cet
élément ne mérite pas d'être transformé aujourd'hui.
Dans le souci de gagner du temps et pour ne pas avoir à répéter mon analyse
sur chaque amendement, j'indiquerai d'emblée mon point de vue sur la série
d'amendements dont M. Charasse est l'auteur et qui ont leur cohérence.
Vos amendements obéissent, en effet, à une cohérence et à une logique qui se
défendent parfaitement au nom d'une philosophie qui n'est pas la mienne, vous
le savez, monsieur le sénateur. Dans ces amendements, vous visez trois
objectifs de nature différente.
Le premier concerne les magistrats, avec la méfiance que nous vous connaissons
et que vous éprouvez à leur égard.
M. Michel Charasse.
Le mot est faible !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Oui, mais, justement, je n'ai pas voulu trop accentuer
le propos. J'aurais pu parler de méfiance profonde, voire employer un mot plus
vif.
M. Hubert Haenel.
Non, il ne le faut pas !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je tiens à rester modérée dans mes appréciations.
M. Michel Charasse.
Vous savez que c'est réciproque !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le deuxième objectif vise la presse. Là encore, vos
amendements sont marqués par la méfiance que vous inspirent les
journalistes.
Enfin, une troisième série d'amendements vise les élus, plus généralement ceux
que l'on appelle les décideurs publics. Là, vos amendements sont marqués par la
volonté de les protéger.
Certes, il nous faut trouver les voies et moyens pour faire en sorte que la
responsabilité des élus et des décideurs soit mise en jeu de façon plus
pertinente. J'ai cette volonté. Mais nous ne pouvons pas réaliser ce travail au
détour de ce projet de loi, même si nous y avons beaucoup réfléchi. J'estime
d'ailleurs que toute une série de dispositions doivent entrer en jeu et pas
seulement des dispositions législatives que, bien entendu, je n'exclus pas.
Nous devons, avant de nous déterminer, explorer toutes sortes d'actions à
mener en termes de formation, d'informations réciproques, de liens entre les
personnes, de présence plus importante des tribunaux administratifs et de mise
en jeu de la responsabilité civile. Il s'agit d'un problème de société très
général.
Votre volonté de protéger les élus et décideurs publics vous conduit donc à
vouloir réintroduire dans notre code des procédures dérogatoires au droit
commun qui ont été abrogées depuis longtemps. Je ne vois pas, pour ma part,
comment il serait aujourd'hui possible à un Etat de droit de rétablir des
immunités, des privilèges que toute notre histoire républicaine, depuis 1870,
s'est employée à abolir.
Je rappelle que, depuis la suppression de l'article 75 de la constitution de
l'an VIII, on a assisté à l'avènement régulier du principe de
l'assujettissement des agents de l'administration et des élus aux règles
communes du droit et de la procédure pénale, et je fais confiance aux
procédures de droit commun, comme d'ailleurs la plupart des pays européens.
Il ne peut être question de rétablir l'irresponsabilité pénale pour une
catégorie de personnes à raison de certains délits.
Il n'est pas question non plus de rétablir l'autorisation préalable aux
poursuites pénales engagées contre les agents publics, similaires à celles qui
existaient au siècle dernier.
Le fait que les responsables publics doivent répondre de leurs actes selon les
procédures de droit commun pose des problèmes dans certains cas, c'est évident,
je l'ai dit. Il faut les traiter, et j'ai cette volonté. C'est l'objet de la
mission qui a été confiée à M. Jean Massot...
M. Hubert Haenel.
C'est toujours plus tard !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... mission qui sera installée, dès lundi prochain, au
ministère de la justice.
Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le sénateur, sur les amendements
que vous avez présentés s'agissant des élus. J'aurai l'occasion de revenir sur
ceux que vous présentez au sujet des magistrats et de la presse.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 181.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je ne crois pas que l'on puisse entrer dans la voie que nous suggère notre
collègue et procéder ainsi, à la sauvette, à la suppression d'une disposition
qui est d'une grande portée et qui a toute sa valeur.
Notre collègue nous a dit tout à l'heure que l'ennui de ce texte c'est qu'il
réprimait par avance des délits dont on ne connaissait ni les auteurs, ni les
circonstances. Mais tous les textes du code pénal répriment par avance des
délits, des crimes ou des contraventions dont on ne connaît ni les
circonstances ni les auteurs, et Dieu merci ! Si on faisait la loi avec effet
rétroactif pour des faits passés dont on connaîtrait les circonstances et les
auteurs, ce serait effrayant. Les lois sont faites pour les délits susceptibles
d'être commis dans l'avenir. Il n'y a donc là rien d'anormal.
Vous dites que tel ou tel article du code pénal peut faire l'objet d'une
mauvaise application ! Mais tous les articles du code pénal peuvent faire et
font, hélas ! assez fréquemment, l'objet d'interprétations abusives et
contestables.
Si en un tournemain nous supprimons un article du code pénal qui a pu
apparaître comme comportant des déviations d'application - je ne connais
d'ailleurs pas un si grand nombre de cas - je suggère que l'on supprime tout le
code pénal ! Ainsi, la situation sera plus claire !
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je n'ai pas l'honneur d'appartenir à la commission des lois et je ne suis pas
un grand juriste.
(Protestations.)
Mais il me semble que l'amendement
qui a été déposé par M. Charasse a sa justification. En effet, la mise en cause
répétée et incessante des décideurs publics devient excessive. Madame la
ministre, vous avez vous-même reconnu qu'il y avait un problème puisque vous
allez installer une mission d'information.
Je crois, pour ma part, qu'il faut faire un petit pas de plus. Ce projet de
loi n'est pas déclaré d'urgence. Il y aura donc une navette. Il ne serait pas
mauvais que le Sénat marque son souhait de voir étudier la question rapidement.
La meilleure solution serait que nous adoptions l'amendement de notre collègue
Michel Charasse. Ainsi, la mission d'information stimulée par le vote du Sénat
pourrait rendre à temps son verdict pour que le Parlement dans son ensemble,
bien éclairé, vote un texte définitif répondant au besoin.
(Applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous avons écouté avec beaucoup
d'attention les propos de Mme le garde des sceaux.
Nous sommes confrontés à une question de principe.
D'abord, il faut bien admettre que certaines des dispositions que nous avons
votées, qui ont pu sembler bonnes au moment où nous les avons adoptées peuvent
avoir des effets pervers. Toute bonne décision peut avoir des effets pervers.
La sécurité sociale en est un exemple, mais il en est beaucoup d'autres. Ce que
Michel Charasse souligne en cet instant est peut-être un effet pervers. Il
appartiendra au Sénat de décider.
J'en viens au problème de la responsabilité pénale des élus et des décideurs
publics. Cela fait des mois, pour ne pas dire des années, que nous posons le
problème et que l'on nous répond, selon le mot de Clemenceau : « Créons une
commission d'études ». Dans combien de temps cette commission va-t-elle statuer
? Nous n'en savons rien.
Nous ignorons ce qu'elle proposera, et je ne sais d'ailleurs pas si des
membres du Parlement y seront associés.
(Mme le ministre fait un signe
d'assentiment.)
J'en prends acte, madame le ministre, mais ils n'y seront
sûrement pas majoritaires, et donc l'avis de la commission vaudra à nos yeux ce
qu'il vaudra.
J'en viens maintenant à l'argument que vous avez évoqué, madame le garde des
sceaux, à l'appui du rejet de certaines dispositions, à savoir que nous
toucherions au code pénal.
Pourquoi ne toucherions-nous pas au code pénal dans un certain nombre de
domaines, dans la mesure où les modifications que nous apporterons le cas
échéant seraient de nature à permettre d'atteindre les objectifs visés par le
présent texte, à savoir le renforcement de la présomption d'innocence ?
J'ajoute que, dans le cadre général de notre réflexion, il est clair qu'un
très grave problème est posé : faut-il ou ne faut-il pas aligner le statut de
l'élu sur le droit commun en matière pénale. Il est peut-être tentant d'aller
dans le sens de l'alignement, ce que l'on a d'ailleurs fait très largement,
mais ne faut-il pas se demander aussi si, compte tenu de ce qu'est l'élu ou le
décideur public, certaines précautions d'ordre juridique ne doivent pas être
prises ? En effet, la responsabilité pénale encourue par celui-ci est
véritablement de nature tout à fait particulière. Les élus sont confrontés à
des délits matériels ; or, à partir du moment où le délit est matériel, il n'y
a pas à apporter la preuve de l'intention coupable. Nous allons véritablement
très loin.
J'ai enregistré l'avis de M. le rapporteur que, pour ma part, je suivrai.
Mais, sur ce point particulier, je pense que nous devons bien avoir conscience
du contexte dans lequel s'inscrit notre discussion.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Sur cette affaire, la commission a été très divisée, il convient de le
souligner.
En fait, il ne faut pas avoir, à l'égard du code pénal, cette déférence que
l'on doit avoir à l'égard des Tables de la Loi.
Bien sûr, nous avons mis près de deux siècles à refaire un code pénal qui soit
adapté aux conditions de la vie actuelle. Ce texte, nous l'avons adapté à la
quasi-unanimité, mais je me méfie comme de la peste de ces textes que l'on
adopte à l'unanimité car, en général, on s'aperçoit à l'usage que l'on a oublié
un certain nombre de choses.
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous avons tout de même eu un débat, il ne faut pas exagérer !
M. Patrice Gélard.
Je crois qu'il est temps de remettre sur le métier un certain nombre de
dispositions du code pénal que, avec les meilleures intentions du monde, la
commission présidée par Mme Delmas-Marty avait voulu moderniser et adapter. On
aboutit en effet à l'inverse de ce que l'on recherchait : on a pénalisé toute
une série de comportements qui relèvent, en réalité, de la responsabilité
civile, non de la responsabilité pénale.
Par conséquent, il est temps de dépénaliser un certain nombre d'infractions
actuelles, notamment tout ce qui concerne l'imprudence et la négligence, en
dehors, bien sûr, du code de la route.
M. Pierre Fauchon.
Pourquoi « en dehors du code de la route » ?
M. Patrice Gélard.
Parce qu'y sont visées des infractions très particulières : lorsqu'on met la
vie des gens en danger en prenant le volant après avoir bu de l'alcool, on a un
comportement qui, par nature, relève du crime ou du délit.
M. Michel Charasse.
Et lorsque quelqu'un est tabassé par des flics « bourrés », de quoi s'agit-il
?
M. Patrice Gélard.
Ce que je veux essentiellement dire, c'est qu'on a placé dans le code pénal
des dispositions qui ne devraient pas s'y trouver. Il est temps de poser le
problème : on ne va pas, une fois de plus, renvoyer la révision du code pénal à
plus tard, en attendant le rapport de commission Y ou X. Il est temps de
s'attaquer à l'analyse lucide de ce qui ne « colle » pas dans notre code
pénal.
C'est pourquoi, nous pouvons, me semble-t-il, remercier notre collègue M.
Charasse d'avoir mis le doigt là où ça fait mal.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'introduire des cavaliers dans la loi sur la
présomption d'innocence ; il ne s'agit pas de profiter de cette circonstance
pour bouleverser notre droit pénal. Mais nous sommes en première lecture au
Sénat, et il est parfaitement normal de mettre, comme M. Charasse l'a fait, le
doigt là où ça fait mal, quitte à harmoniser ultérieurement nos positions, en
liaison avec l'Assemblée nationale.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Vous avez justement indiqué, monsieur Gélard, que les membres
de la commission des lois étaient divisés sur cette question. Mais ils se sont
finalement ralliés à la méthode suivante : admettre toute une série
d'amendements pour lancer un signal concernant la protection des élus, tout en
considérant qu'il serait quand même plus sage de ne pas modifier un des
articles fondamentaux du code pénal sans avoir procédé à un examen approfondi
de toutes les conséquences qu'une telle modification entraînerait.
Je signale que la dérive que vous constatez, c'est-à-dire la pénalisation
outrancière, ne date pas du nouveau code pénal ; elle est bien antérieure.
Cette pénalisation vient essentiellement de ce que, à l'heure actuelle, les
gens qui poursuivent préfèrent très souvent agir par la voie pénale pour
récolter les preuves.
M. Hubert Haenel.
C'est la voie royale !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Exactement ! Quand on n'a pas de preuves alors qu'on sait
qu'il en existe, il est évidemment beaucoup plus commode de porter son dossier
sur un plan pénal.
M. Hubert Haenel.
Ça coûte moins cher !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Bien sûr, puisque le travail est fait par le juge
d'instruction !
Cela dit, il faut reconnaître que notre société voit apparaître toute une
série de drames qu'elle ne connaissait pas auparavant. Je pense à l'affaire du
sang contaminé, à propos de laquelle j'ai eu à présenter un rapport, à
l'actuelle affaire de la dioxine. Il y a, aujourd'hui, dans notre société, des
phénomènes de masse tels que, tous les jours, des personnes commettent des
imprudences susceptibles d'avoir de très graves conséquences.
Ayant bien réfléchi au problème, je crois que cet article du code pénal peut
tout de même permettre d'enrayer d'effroyables malheurs ou même d'empêcher
qu'ils ne se produisent, et nous devons bien mesurer les répercussions
qu'aurait sa suppression.
Bien sûr, nous voulons, nous aussi, éviter que les élus soient sans cesse sous
la menace de poursuites. C'est pourquoi nous vous proposerons tout à l'heure
d'adresser un signal, un signal très fort. Mais nous le ferons en nous en
tenant au plan de la procédure.
Nous comprenons bien cette volonté de protection des élus et d'autres
décideurs publics, mais nous pensons qu'il ne serait pas judicieux de traduire
cette volonté par la suppression d'un article du code pénal qui est très
important et qui ne vise pas seulement les élus, car cela reviendrait en fait à
remettre en cause tout un chapitre du code pénal.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je souhaite rappeler les termes de l'article 223-1 du
code pénal :
« Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de
blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par
la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an
d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende. »
Nous sommes dans le champ des infractions volontaires,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Absolument !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... manifestement délibérées, pouvant entraîner la mort
ou l'infirmité d'autrui.
A la veille des vacances, il faut avoir présent à l'esprit que c'est sur la
base de cet article que sont condamnés chaque année ces chauffards dont la
conduite inadmissible sur la route aboutit à la mort de familles entières.
Par conséquent, je considérerais comme extrêmement grave que le Sénat vote la
suppression de cet article du code pénal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je note que, jusqu'à présent, nul ne s'est encore exprimé de ce côté-ci de
l'hémicycle. Ce n'est donc pas notre faute si la discussion a cette profondeur,
que, d'ailleurs, elle mérite. Il n'est évidemment pas question de légiférer à
la sauvette : nous devons prendre le temps nécessaire précisément.
M. le président.
Personne ne vous le reproche ! Chacun intervient au moment où il le souhaite
pour expliquer son vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Moi, je ne reproche rien à personne, monsieur le président ! Je fais
simplement une constatation.
J'avais entendu dire qu'il ne fallait pas légiférer à la sauvette. J'en suis
évidemment d'accord, et je me demande, monsieur le président, pourquoi vous
m'interrompez.
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous avez assumé la fonction qui est la mienne
aujourd'hui pendant un nombre significatif d'années. Chaque président joue le
rôle qu'il estime devoir jouer.
Cela dit, je vous rappelle que vous avez la parole pour expliquer votre vote
sur l'amendement n° 181.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
Madame le garde des sceaux, je me permets d'abord de vous rappeler que, dans
votre projet de loi, les articles 26 et 27 tendent à modifier le code pénal.
Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec vous pour estimer qu'il est
choquant de parler d'une protection des élus, des militaires, des
fonctionnaires et que la loi doit être la même pour tous. J'ai passé beaucoup
de temps à le dire lors de la discussion qui a précédé l'adoption de la loi du
13 mai 1996, qui fait précisément un sort particulier aux élus, aux
fonctionnaires et aux militaires, lesquels avaient d'ailleurs été initialement
oubliés.
Vous nous dites que cette question ne doit pas être abordée maintenant. Il est
évident que les sénateurs sont les témoins privilégiés de mises en examen
d'élus, et c'est par commodité que nous parlons de la protection des élus ;
mais nous ne demandons pas pour eux une protection particulière : nous la
demandons pour tous les citoyens, les amendements que nous avons déposés et qui
seront examinés tout à l'heure le démontrent.
Vous nous dites avoir mis en place une commission. Mais c'est très exactement
ce qu'avait déjà fait votre prédécesseur, M. Toubon, lorsque nous avons débattu
du texte qui devait devenir la loi du 13 mai 1996. Un amendement du
Gouvernement, déposé le dernier jour de la discussion, faisait mention du
compte rendu d'une mission du Conseil d'Etat - et nous avions demandé,
d'ailleurs vainement, qu'il soit versé au débat - présidée par M. Jacques
Fournier.
Vous disposez donc déjà, dans vos archives, d'une étude sur ce sujet. Dès
lors, il n'est pas nécessaire de recommencer ! Nous sommes suffissamment
éclairés ; nous savons tous de quoi il s'agit.
Je regrette quelque peu que cet amendement n° 181 n'ait pas été appelé en
discussion commune avec ceux qui seront examinés tout à l'heure. En effet,
madame le garde des sceaux, vous nous dites que c'est sur la base de l'article
223-1 que sont condamnés ceux qui tuent sur les routes, mais je me permets de
vous rappeler qu'il existe également un article 221-6, qui dispose :
« Le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou
manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou
les règlements, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de
trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende.
« En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou les règlements, les peines encourues sont portées à cinq
ans d'emprisonnement et à 500 000 F d'amende. »
Voilà le texte qui est appliqué pour condamner les chauffards qui donnent la
mort.
Un article identique s'applique également au cas de blessures entraînant des
incapacités de travail.
Nous proposerons tout à l'heure de supprimer complètement, et pour tous, les
délits involontaires. Vous avez, à juste titre, fait la différence : la
violation délibérée, et même manifestement délibérée, est, elle, volontaire. Ce
qui est involontaire, ce sont les conséquences qu'elle entraîne.
Dans un de nos amendements, que nous examinerons ultérieurement, la violation
délibérée entraînant la mort ou des blessures reste un délit. En revanche, nous
proposons la suppression pure et simple de tout ce qui est involontaire.
La raison d'être de l'amendement de suppression de l'article 223-1 du code
pénal, présenté par notre collègue, est la suivante : en punissant ceux qui
exposent directement autrui à un risque immédiat, cet article porte sur des
événements qui ne se sont pas encore produits ; il vous en a fourni des
exemples.
Vous rétorquez que celui qui conduit sous l'empire d'un état alcoolique et qui
cause un accident est puni en application de l'article 223-1 du code pénal.
Mais des textes spécifiques existent qui permettent de condamner la conduite en
état d'ivresse. Pardonnez-moi, mais vous ne m'avez pas convaincu, et
l'amendement de notre collègue ne nous choque pas.
J'ajoute que l'article 121-3 du code pénal dispose qu'« il n'y a point de
crime ou de délit sans intention de le commettre ».
Vous ajoutez « violation délibérée »...
M. Pierre Fauchon.
Manifestement délibérée !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne suis pas sûr que la jurisprudence ait jamais fait une différence entre «
manifestement délibérée » et « délibérée ».
Cela étant, je pense en effet que l'article dont notre collègue demande la
suppression peut parfaitement être abrogé sans diminuer en rien la nécessaire
répression des violations délibérées de la loi causant à autrui la mort ou des
blessures. D'autres articles le prévoient.
M. Jean-Jacques Hyest.
Faut-il donc tuer pour être poursuivi ?
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas le problème !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Monsieur le président, je souhaite que soient appelés
immédiatement en discussion tous les amendements tendant à insérer des articles
additionnels après l'article 5 ou après l'article 19, le vote sur l'amendement
n° 181 étant réservé.
Au sein de cette discussion commune, je demande l'examen, par priorité, des
amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les demandes de réserve et de priorité
formulées par la commission ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
La priorité et la réserve sont ordonnées.
J'appelle donc, par priorité, les amendements n°s 179 rectifié et 180
rectifié, présentés par M. Vasselle et les membres du groupe du Rassemblement
pour la République.
L'amendement n° 179 rectifié tend à insérer, après l'article 19, un article
additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le quatrième alinéa de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet
1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi rédigé :
« Les dispositions prévues aux articles L. 2123-34, L. 3123-28 et L. 4135-28
du code général des collectivités territoriales sont applicables au
fonctionnaire, à l'agent non titulaire de droit public ou à l'ancien
fonctionnaire lorsqu'il risque d'être mis en cause pénalement. »
« II. - L'article 11
bis
A de la même loi est abrogé. »
L'amendement n° 180 rectifié a pour objet d'insérer, après l'article 19, un
article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales
est ainsi rédigé :
«
Art. L. 2123-34. -
Dès qu'un maire ou un élu municipal le suppléant
ou ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause pénalement, le
Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la République afin de
désigner dans les soixante-douze heures un tribunal administratif chargé de
déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses
fonctions.
« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.
« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le maire ou l'élu
municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation peut être mis en cause
pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au
tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément
aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel. »
« II. - L'article L. 3123-28 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. L. 3123-28. -
Dès qu'un président de conseil général ou un
vice-président ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause
pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la
République afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal
administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute
détachable de l'exercice de ses fonctions.
« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.
« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le président du conseil
général ou le vice-président ayant reçu une délégation peut être mis en cause
pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au
tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément
aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel. »
« III. - L'article L. 4135-28 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. L. 4135-28. -
Dès qu'un président de conseil régional ou un
vice-président ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause
pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la
République afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal
administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute
détachable de l'exercice de ses fonctions.
« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.
« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le président du conseil
régional ou le vice-président ayant reçu une délégation peut être mis en cause
pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au
tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément
aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel. »
« IV. - Les dispositions de cet article sont applicables aux territoires
d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.
« V. - Les modalités d'application de cet article sont déterminées par décret.
»
La parole est à M. Vasselle, pour défendre ces deux amendements.
M. Alain Vasselle.
L'amendement le plus important est l'amendement n° 180 rectifié, l'amendement
n° 179 rectifié lui étant, bien entendu, étroitement lié.
L'amendement n° 180 rectifié a pour objet d'attirer l'attention de la
représentation nationale sur la question essentielle, pour la sauvegarde de la
démocratie locale, de la responsabilité pénale des élus. En effet, ces derniers
ont connu la multiplication de la mise en cause de la responsabilité pénale des
élus locaux, en particulier des maires.
Cette situation, avec la stigmatisation des personnes concernées qu'elle
entraîne dans l'opinion, alors qu'il n'y a pas, dans la plupart des cas,
soupçon d'enrichissement personnel, impose de prendre conscience de
l'insuffisance des dispositions législatives actuelles dans ce domaine et,
d'une manière plus générale, de l'absence d'un véritable statut de l'élu,
malgré la qualité des réflexions sur le sujet et le vote de textes qui les ont
suivies.
On peut faire mention, en particulier, de la loi du 13 mai 1996, à laquelle il
a été fait référence à plusieurs reprises ce matin, relative à la
responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, qui résulte
d'une proposition de loi sénatoriale dont le premier signataire fut notre
éminent collègue Jacques Larché, président de la commission des lois.
Les raisons de l'accroissement de la mise en cause de la responsabilité pénale
des élus sont parfaitement identifiées : la multiplication des textes
législatifs et réglementaires auxquels s'ajoutent directives et règlements
européens qu'il est extrêmement difficile de connaître, donc de maîtriser,
surtout pour des maires ruraux qui n'ont pas les moyens matériels de s'entourer
d'une assistance juridique suffisante, alors même que les lois de
décentralisation ont accru les compétences des collectivités terrritoriales.
J'ai été heureux d'entendre mes collègues MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt
argumenter à plusieurs reprises sur différents amendements en faisant valoir
cette situation.
Ainsi, on demande de plus en plus de compétences à un élu local qui n'en peut
mais, sans lui offrir ni les moyens pour les exercer dans de bonnes conditions
ni les garanties pour pouvoir les assumer.
Or la conjonction de l'ensemble de ces facteurs fait courir un risque au
principe même de démocratie locale. Devant le risque pénal encouru, l'élu peut
céder soit au découragement et ne plus se représenter, soit à la tentation de
l'immobilisme pour minimiser ledit risque. Cela pourrait alors conduire à la
professionnalisation de cette fonction, les personnes possédant une véritable
compétence technique osant seules présenter leur candidature. Qu'en serait-il
alors, mes chers collègues, du libre accès aux fonctions électives que nous
défendons tous ?
Pour éviter cet écueil, sans pour autant s'exposer à la critique - elle
viendra de toute façon - de la création d'un justice particulière pour les élus
locaux et ceux qui les assistent, la voie est plus qu'étroite.
Je veux rappeler, à cet égard, que, pour certains juristes, reprenant en cela
l'opinion commune, la loi du 13 mai 1966 instaure déjà une rupture d'égalité
entre les citoyens devant la loi au profit des élus locaux. Ainsi, quoi que le
législateur entreprenne dans ce domaine, sa démarche sera perçue comme
l'expression d'une volonté d'instaurer un privilège injustifié en faveur des
élus, ses pairs, par rapport au reste de la population.
C'est pourquoi le présent amendement a pour objet de prévoir, pour tous les
exécutifs locaux - même si ce sont les maires des petites communes qui sont le
plus concernés par ce problème, car ils disposent de peu de moyens, il ne
semble pas pertinent de réserver à une catégorie d'élus seulement le bénéfice
de ces dispositions - la saisine immédiate du Conseil d'Etat, lorsqu'un élu est
susceptible d'être mis en cause pénalement, afin qu'il désigne, dans un délai
très bref, un tribunal administratif chargé de déterminer si ledit élu a commis
ou non une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
Pourquoi choisir de demander au Conseil d'Etat de désigner un tribunal
administratif, au risque de perdre du temps au dire de certains ? Parce qu'il
me semble important, dans ces sortes d'affaires où les langues pas toujours
bienveillantes se délient et où la presse locale n'est généralement pas en
reste, de dépassionner l'affaire et de permettre à la justice de s'exercer
sereinement, loin des pressions locales de tous ordres.
Certains estimeront, bien sûr, que c'est revenir avant l'intervention de
l'arrêt Thépaz du tribunal des conflits en date du 14 janvier 1935 ; M. Fauchon
le rappellera certainement. Peut-être, mais permettre à la situation actuelle
de perdurer sans trouver de moyen d'y remédier, c'est mettre en danger la
démocratie locale et, par là même, risquer de revenir plus d'un siècle en
arrière.
A cet égard, la solution que nous vous proposons me semble à la fois la plus
sage, la plus efficace et la plus rapide. Elle sera la plus rapide, car la
procédure sera enserrée dans des délais extrêmement brefs. Elle sera la plus
efficace et la plus sage, car l'ordre administratif est plus à même d'évaluer
de manière équilibrée - en tout état de cause, mieux que le juge pénal - les
contraintes qui pèsent sur les élus locaux.
Le tribunal administratif aura un mois pour se prononcer. A l'issue de ce
délai, s'il conclut à l'existence d'une faute détachable, l'élu pourra être mis
en cause pénalement comme n'importe quel citoyen ; j'insiste sur ce point. Il
ne bénéficiera alors d'aucun privilège spécifique. S'il n'y a pas faute
détachable, il appartiendra au tribunal administratif territorialement
compétent d'en connaître.
Ainsi, cet amendement a pour objet non pas d'exonérer les élus locaux de toute
responsabilité, mais, au contraire, de mieux identifier celle-ci, pour qu'il
n'y ait plus d'amalgame entre les élus, peu nombreux, qui ont abusé de leurs
fonctions pour commettre des actes délictueux et qui doivent être jugés selon
le droit commun - nous en sommes d'accord - et ceux qui, par manque de moyens
et méconnaissances des textes et des procédures - notre collègue Michel
Charasse l'a dit tout à l'heure - ont pu enfreindre ceux-ci et celles-là.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, mes chers
collègues, d'adopter le présent amendement.
M. le président.
Je suis maintenant saisi de cinq amendements, qui font également l'objet de
cette discussion commune.
Par amendement n° 124, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 19, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article L. 2123-34 du code général des collectivités
territoriales, un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. ...
- Lorsqu'une personne qui se prétend lésée par un crime ou
un délit dépose plainte contre un élu municipal agissant en qualité de maire ou
par délégation de ce dernier, le procureur de la République saisit le tribunal
des conflits afin qu'il apprécie le caractère sérieux et fondé de la plainte
et, dans l'affirmative, qu'il détermine si les faits incriminés sont
détachables ou non de la fonction d'élu municipal. Dans le cas où le tribunal
des conflits déclare que les faits ne sont pas détachables de la fonction, il
examine si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu,
le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses
compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il dispose et dans
l'affirmative ordonne le renvoi devant les juridictions administratives
compétentes. Dans le cas contraire ou si les faits sont détachables de la
fonction, il ordonne le renvoi devant la juridiction judiciaire compétente.
»
Par amendement n° 125, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 19, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article L. 3123-28 du code général des collectivités
territoriales, un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. ...
- Lorsqu'une personne qui se prétend lésée par un crime ou
un délit dépose plainte contre un membre d'un conseil général agissant en
qualité de président ou par délégation de celui-ci, le procureur de la
République saisit le tribunal des conflits afin qu'il apprécie le caractère
sérieux et fondé de la plainte et, dans l'affirmative, qu'il détermine si les
faits incriminés sont détachables ou non de leurs fonctions. Dans le cas où le
tribunal des conflits déclare que les faits ne sont pas détachables de la
fonction, il examine si l'auteur des faits a accompli les diligences normales
compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions,
de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il dispose et dans
l'affirmative ordonne le renvoi devant les juridictions administratives
compétentes. Dans le cas contraire ou si les faits sont détachables de la
fonction, il ordonne le renvoi devant la juridiction judiciaire compétente.
»
Par amendement n° 126, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 19, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article L. 4135-28 du code général des collectivités
territoriales, un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. ...
- Lorsqu'une personne qui se prétend lésée par un crime ou
un délit dépose plainte contre un membre d'un conseil régional agissant en
qualité de président ou par délégation de celui-ci, le procureur de la
République saisit le tribunal des conflits afin qu'il apprécie le caractère
sérieux et fondé de la plainte et, dans l'affirmative, qu'il détermine si les
faits incriminés sont détachables ou non de leurs fonctions. Dans le cas où le
tribunal des conflits déclare que les faits ne sont pas détachables de la
fonction, il examine si l'auteur des faits a accompli les diligences normales
compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions,
de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il dispose et dans
l'affirmative ordonne le renvoi devant les juridictions administratives
compétentes. Dans le cas contraire ou si les faits sont détachables de la
fonction, il ordonne le renvoi devant la juridiction judiciaire compétente.
»
Par amendement n° 127, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer,
après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après le premier alinéa de l'article 11 de la loi n° 83-634
du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, un alinéa
ainsi rédigé :
« Les maires ou les élus municipaux les suppléant bénéficient de la même
protection lorsqu'ils agissent en qualité d'agent de l'Etat. »
Par amendement n° 182, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 5, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Dans l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales
les mots : "ne peut être condamné" sont remplacés par les mots : "ne peut être
mis en examen, ni poursuivi". »
La parole est à M. Charasse, pour défendre ces cinq amendements.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, je serai bref, car les amendements n°s 124, 125 et 126
ont exactement le même objet : ils s'appliquent respectivement aux élus
municipaux, aux élus départementaux et aux élus régionaux. Seuls les
amendements n°s 127 et 182 sont différents.
Globalement, le système que je vous propose est un peu analogue à celui qu'a
présenté M. Vasselle, mais, au lieu de laisser au Conseil d'Etat le soin
d'effectuer le tri des plaintes qui sont déposées, je confie cette mission au
tribunal des conflits.
L'option de M. Vasselle - je parle sous le contrôle du professeur Gélard -
n'est pas sans rappeler l'article 75 de la constitution de l'an VIII, aux
termes duquel c'est le Conseil d'Etat lui-même qui donnait ou non
l'autorisation d'engager des poursuites.
Par conséquent, ma démarche est la même que celle de M. Vasselle, mais le
dispositif que je vous propose est un peu différent.
L'amendement n° 127 ne devrait pas poser de problème, ni au Sénat ni à
l'Assemblée nationale.
Comme on le sait, le maire et ceux qui le remplacent - adjoints ou conseillers
municipaux - sont conduits à agir dans l'exercice de leurs fonctions en tant
qu'agents de l'Etat. C'est écrit noir sur blanc dans le code général des
collectivités territoriales ! Or, mes chers collègues, les maires et les élus
municipaux agissant en qualité d'agents de l'Etat sont les seuls agents de
l'Etat à ne pas être protégés par l'Etat.
Cet amendement n° 127 a donc tout simplement pour objet de compléter le statut
général de la fonction publique, c'est-à-dire la loi du 13 juillet 1983, afin
de préciser que le maire et les élus municipaux qui le remplacent, agissant en
qualité d'agents de l'Etat, ont droit à la même protection de l'Etat lorsqu'ils
sont l'objet de contentieux.
L'amendement n° 182 concerne les dispositions de la loi du 13 mai 1996 - M.
Dreyfus-Schmidt y a fait allusion voilà un instant - que l'on a appelée « loi
Delevoye » parce qu'elle avait été suggérée, à l'origine, par le président de
l'Association des maires de France. Cette loi concerne - je le précise au
passage - tous les agents publics, c'est-à-dire les fonctionnaires publics et
autres, et pas seulement les élus.
L'article 2 de cette loi dispose : « Le maire ou un élu municipal le suppléant
ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné... que s'il est établi qu'il
n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du
pouvoir et des moyens dont il disposait, ... ». J'ai toujours dit à M. le
président Delevoye - et nous en avons parlé au bureau de l'Association des
maires de France il y a peu de temps - qu'en réalité cette loi était
insuffisamment protectrice face à la manie de nos concitoyens, dès qu'il y a
quelque chose qui ne va pas - on tombe d'un trottoir, on bute contre une
poubelle parce qu'on baye aux corneilles, on regarde ailleurs... - de déposer
immédiatement une plainte.
M. Jean Chérioux.
Responsable !
M. Michel Charasse.
Le juge ne peut rien faire d'autre, dans ce cas, que de mettre en examen.
M. Hubert Haenel.
Eh oui !
M. Michel Charasse.
Et ce qui est extrêmement fâcheux pour les agents publics - les fonctionnaires
comme les élus ! - c'est que, la mise en examen, c'est déjà l'opprobre.
M. Hubert Haenel.
Bien sûr !
M. Michel Charasse.
C'est exactement comme une appréciation défavorable d'une chambre régionale
des comptes sur la comptabilité. Les gens considèrent, dans les petites
communes en particulier, et même dans les communes moyennes, qu'il y a
forcément malhonnêteté, alors qu'il n 'y a qu'une irrégularité comptable qui
n'a pas nécessairement entraîné de vol.
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Michel Charasse.
A partir du moment où le législateur lui-même a pris la précaution de dire que
l'on ne peut pas condamner quelqu'un qui a fait son travail, avant d'aboutir à
la mise en examen, il faut préalablement, dans l'enquête préliminaire,
s'assurer s'il a fait son travail ou pas. C'est la raison pour laquelle je vous
propose de remplacer les mots : « ne peut être condamné » par les mots : « ne
peut être mis en examen, ni poursuivi ». Si, au cours de l'enquête
préliminaire, on constate qu'au fond la personne mise en cause avait pris
toutes les dispositions nécessaires, eh bien ! dans ce cas, l'affaire est
classée sans suite.
La « loi Delevoye » a forcément changé quelque chose, dans la mesure où l'on
ne peut pas être condamné s'il n'est pas établi que l'on n'a pas accompli les
diligences normales. Mais, aujourd'hui, vous le savez bien, la condamnation se
fait par voie de presse, par la clameur publique !
(Marque d'approbation sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
C'est le pilori !
M. Michel Charasse.
A partir du moment où c'est écrit dans le journal, vous trouverez toujours,
dans vingt ans, un vieux pépère au fond d'une salle qui dira : « Mais vous,
vous avez eu un ennui, je m'en souviens très bien », et qui sortira la coupure
de journal. En effet, aujourd'hui, la clameur publique rend la justice à la
place de l'institution judiciaire.
Si, ensuite, le non-lieu est prononcé - c'est forcément le cas dans une telle
situation - ou si on ne donne pas suite à l'affaire, eh bien ! c'est terminé :
l'intéressé est condamné par l'opinion publique !
M. Alain Vasselle.
Très juste !
M. Michel Charasse.
Par conséquent, ce que je souhaite, c'est que les agents publics ne puissent
pas être mis en examen sans que l'on se soit assuré auparavant qu'ils sont bien
fautifs et qu'ils n'ont pas obéi aux prescriptions de l'article en cause.
Tel est l'objet de l'amendement n° 182.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. le président.
Je vous rappelle, monsieur Charasse, que, si les amendements n°s 179 rectifié
et 180 rectifié de M. Vasselle sont adoptés, vos amendements n°s 124, 125 et
126 n'auront plus d'objet.
M. Michel Charasse.
Bien entendu !
M. le président.
Par amendement n° 199,MM. Dreyfus-Schmidt et Charasse proposent d'insérer,
après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A. - Le premier alinéa de l'article 221-6 du code pénal est
supprimé.
« B. - En conséquence, le deuxième alinéa du même article est ainsi modifié
:
« Les mots : "En cas de" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer la
mort d'autrui par un" et les mots : "les peines encourues sont portées à" sont
remplacés par les mots : "est passible de".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 221-7 du même code est ainsi rédigé :
"3° La peine mentionnée au 4° de l'article 131-39."
« III. - A. - Le premier alinéa de l'article 222-19 du code pénal est
supprimé.
« B. - En conséquence, le deuxième alinéa du même article est ainsi modifié
:
« Les mots : "En cas de" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à
autrui une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois par un" et
les mots : "les peines encourues sont portées à" sont remplacés par les mots :
"est passible de".
« IV. - Au début du dernier alinéa de l'article 222-21 du même code, les mots
: "Dans les cas visés au deuxième alinéa de" sont remplacés par les mots :
"Dans le cas visé par".
« V. - Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, les articles L.
2123-34, L. 3123-28, L. 4135-28, L. 4422-10-1 et L. 5211-8 du code général des
collectivités territoriales, l'article 11
bis
A de la loi du 13 juillet
1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et l'article 14-1 de la
loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires sont abrogés. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je dois dire que je tiens beaucoup à cet amendement, qui me paraît préférable
à ceux qui viennent d'être exposés, y compris, et je vais vous indiquer
pourquoi, ceux de notre collègue Alain Vasselle que j'aimerais convaincre, même
si la commission des lois, ayant demandé que ses deux amendements soient
examinés par priorité leur a, j'imagine, réservé le meilleur sort. Je voudrais
donc convaincre également nos collègues de la commission des lois.
En effet, dans leurs amendements M. Vasselle, aussi bien d'ailleurs que M.
Charasse, font une différence entre les élus, les fonctionnaires et les autres
justiciables.
Je suis très attaché à la protection des maires, mais c'est également vrai
pour tous les citoyens. Nous, sénateurs, voyons surtout des exemples, qui se
multiplient, concernant les maires, et nous en sommes très choqués, mais le
principe vaut pour tous les citoyens. Or les lois actuelles font une
différence, qu'il s'agisse de la loi du 13 mai 1996, de celle du 21 février
1996 relative à la partie législative du code général des collectivités
territoriales, ou encore de la loi du 13 juillet 1983 modifiée par la loi du 16
décembre 1996 sur les fonctionnaires. On s'est même empressé de modifier la loi
pour les militaires, oubliés dans un premier temps.
M. Michel Charasse.
Mais les militaires sont fonctionnaires !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mon cher ami, il y a une loi spéciale qui porte statut général des militaires
: la loi du 13 juillet 1972.
M. Michel Charasse.
Mais la Constitution parle de fonctionnaires civils et militaires !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Une différence est même faite quant à la charge de la preuve. Pour le
vulgum pecus,
aux termes de l'article 121-3 du code pénal, « Il y a
également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence
ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi
ou les règlements sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences
normales. » C'est donc à lui qu'il appartient de se disculper, tandis que les
élus, les militaires, les autres fonctionnaires ne peuvent être condamnés que
s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les diligences normales ; à ce
moment-là, c'est au parquet de rapporter la preuve.
Cette différence de traitement est tout à fait choquante et je suis sûr,
madame la garde des sceaux, que vous êtes de mon avis. Pour ma part, je l'avais
déjà dit à l'époque.
Quelle solution retenir ? Selon moi, il n'en existe qu'une : celle que nous
proposons. Je rappelle que l'article 121-3 du code pénal, avant qu'il soit
modifié par la loi du 13 mai 1996, stipulait simplement : « Il n'y a point de
crime ou de délit sans intention de le commettre. » A la suite de l'adoption de
cette loi a été ajouté un deuxième alinéa qui précise : « Toutefois, lorsque la
loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne
d'autrui. » Mme la garde des sceaux a effectivement raison, il faut tout de
même punir les conduites qui ont des conséquences graves, non pas, nous
a-t-elle dit tout à l'heure, quand elles sont involontaires, mais lorsque les
infractions sont délibérément commises en violation de la loi ou des
règlements.
Ce que prévoit notre amendement est, je le répète, la seule solution. Je sais
bien que nous allons à l'encontre d'une regrettable tendance, qui vient
d'outre-Atlantique, à tout pénaliser. Il n'en demeure pas moins que lorsque des
médecins sont poursuivis parce que leur intervention a eu des conséquences qui
n'étaient pas attendues, ils risquent d'être condamnés pénalement pour homicide
ou blessures involontaires, ce qui fait d'ailleurs que leurs collègues experts
ont tendance à les couvrir, même s'il n'y a pas de violation délibérée de la
loi. Dans une autre profession, si on commet un manquement, il existe des
assurances. Pour les médecins, il n'y en a pas.
Il faut savoir ce que l'on veut, puisque l'article 123 stipule que pour
commettre un délit ou un crime il faut en avoir l'intention, et déterminer que
sont punis, en particulier lorsqu'ils sont suivis de mort ou de blessures, les
manquements délibérés à la loi où à des règlements. Je l'ai dit tout à l'heure,
cela figure déjà dans les articles du code, mais pas dans celui que propose de
supprimer M. Charasse et qui concerne seulement le risque ; c'est un autre
problème. En ce moment, je ne défends non pas l'amendement de M. Charasse, mais
celui que M. Charasse et moi-même avons cosigné.
Réfléchissez-y. Point n'est besoin de réunir une commission ou une nouvelle
mission. Le seul moyen d'éviter que soit porté atteinte à la présomption
d'innocence de quelqu'un qui n'a pas commis un acte volontairement et qui n'a
pas de manière délibérée violé la loi ou les règlements est de supprimer les
délits involontaires.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 179 rectifié et 180
rectifié, appelés en priorité, et sur les amendements n°s 124, 125, 126, 127,
182 et 199 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je commencerai par l'amendement visant à supprimer l'article
221-6 du code pénal.
MM. Michel Charasse et Michel Dreyfus-Schmidt.
Le premier alinéa de cet article !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je rappelle que cet article ne concerne pas la seule mise en
danger. Les auteurs de cet amendement souhaitent supprimer l'alinéa suivant : «
Le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou
manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou
les règlements, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire... »
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Involontaire !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Personnellement, je ne proposerais pas de supprimer une telle
disposition. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement n°
199.
Toutefois, je comprends le désir de répondre à une critique que l'on voit
sourdre si une disposition particulière était introduite pour les élus et les
fonctionnaires et qui consisterait à dire que l'on fait un droit particulier.
Vous voulez, si je puis m'exprimer ainsi, « labourer » le code pénal en amont.
En supprimant le délit vous protégez tout le monde, avez-vous dit. Mais, qui
protégez-vous ? Ceux qui commettent les infractions !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais non !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Or, par cette suppression - je voudrais attirer
solennellement votre attention sur ce point qui est fondamental et qui n'est
pas discuté ici - vous réduiriez beaucoup les chances d'éviter un accident.
Certes, vous pouvez considérer cet amendement comme un signal, afin que cette
question soit examinée au cours de la navette.
Mais vous avez peut-être déposé cet amendement au motif que la situation des
élus est désormais insupportable, compte tenu du risque qui pèse sur eux, étant
donné leur responsabilité propre d'élus. Aussi, la commission des lois a émis,
à cet égard, un avis favorable sur les amendements présentés par M. Vasselle,
mais au terme d'une longue discussion. En effet, la procédure envisagée est
assez compliquée. Il s'agit de saisir le Conseil d'Etat afin qu'il désigne un
tribunal administratif. Cependant, tout cela pourra être mis au point durant la
navette. Si le Sénat a envie d'envoyer un signal fort pour que les élus
puissent faire leur métier dans les limites de leurs compétences sans se sentir
menacés en permanence, il est possible d'adopter les amendements n°s 179
rectifié et 180 rectifié.
D'ailleurs, le système que vous proposez, monsieur Vasselle, comporte un
filtre, et vous l'étendez aux fonctionnaires ayant une responsabilité
décisionnelle.
Mais les chefs d'entreprise et l'ensemble des personnes visées ne sont-elles
pas dans la même situation ? Nous devons nous poser la question. La mission est
différente. En outre, les sociétés ont appris à faire, dans leur organigramme,
ce que l'on appelle les « délégations de sécurité ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On tombe sur le lampiste !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Ainsi, l'infraction au règlement s'applique en général à ceux
qui occupent des postes de responsabilité et de surveillance et épargne les
dirigeants de haut niveau.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Autrement dit, les préfets sont, dans bien des cas, plus
exposés que les présidents-directeurs généraux des grandes sociétés ou des
grands groupes. C'est ainsi dans la pratique.
Cela dit, la commission des lois était d'accord pour envoyer un signal fort,
mais, après la discussion, elle s'est dit qu'il était impossible, sans un
examen préalable - et je voudrais attirer votre attention sur la lourdeur de
celui-ci - de modifier un code pénal qui comprend de très nombreux renvois,
alors que tel n'est pas l'objet du projet de loi.
Si nous suivions MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, un très grand nombre
d'articles du code pénal n'auraient plus d'objet. On ne peut pas prendre une
telle responsabilité. Cela n'a pas d'importance, dites-vous, car la navette
permettra de revenir sur ce point. Or vous aurez dit que vous voulez supprimer
l'ensemble de la responsabilité pour négligence et pour mise en danger.
Telle est la position de la commission des lois, qu'elle m'a chargé de vous
exposer.
Si nous adoptons les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié, les autres
amendements n'auront plus d'objet, à l'exception de l'amendement n° 127. Ce
dernier est très important sur le plan technique. En effet, le maire agit
souvent pour le compte de l'Etat. Aussi, il est normal qu'il soit alors
considéré comme le sont les fonctionnaires de l'Etat.
M. Hubert Haenel.
Favorable ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission émet en effet un avis favorable sur cet
amendement.
M. Pierre Fauchon.
Et l'amendement n° 182 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Monsieur Fauchon, vous avez raison d'attirer mon attention
sur l'amendement n° 182, car, tout à l'heure, je n'ai pas eu le temps d'aller
jusqu'au bout de mon raisonnement.
Cet amendement est contenu dans celui de M. Vasselle, qui a pris le soin
d'employer l'expression suivante : « est susceptible d'être mis en cause
pénalement ». Par conséquent, si l'élu concerné fait, par exemple, l'objet d'un
réquisitoire introductif, il sera mis en cause pénalement. L'expression
employée par M. Vasselle reflète son intention de prendre les choses en compte
dès la mise en examen.
Monsieur Fauchon, avec la mention « à la mise en examen », dans le système que
vous avez élaboré, on pourrait avoir un maire témoin assisté.
(M. Fauchon fait un signe d'assentiment.)
Le système de M. Vasselle va
beaucoup plus loin puisqu'il permet d'éviter toute la mise en cause pénale,
c'est-à-dire l'ensemble des actes d'instruction avant le déclenchement de la
procédure.
En résumé, la position de la commission des lois est la suivante : avis
favorable sur les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié ainsi que sur
l'amendement n° 27, et, pour l'instant, ne pas toucher au code pénal.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Compte tenu de la présentation qui vient d'avoir lieu des divers amendements,
et pour simplifier les choses, je voudrais régler le sort de trois des
amendements que j'ai présentés.
Avant tout, je tiens à dire à Mme le garde des sceaux, car je n'ai pas eu le
temps de le faire tout à l'heure, que, moi, j'aime la République, l'Etat et son
autorité indispensable à son service et à son intégrité. Or il n'y a pas
d'autres pouvoirs en France que ceux qui résultent du peuple, et donc du
suffrage universel. Je n'ai donc pas, quelle que soit l'amitié que je lui
porte, la même révérence que Mme le garde des sceaux à l'égard de certaines
sections du peuple qui cherchent à s'approprier l'exercice de la souveraineté
nationale.
Quant au sort particulier des élus et des fonctionnaires, je commence à être
lassé d'entendre certains propos.
Non, mes chers collègues, les élus, les fonctionnaires d'autorité ne sont pas
dans la même situation que les citoyens ordinaires !
(Applaudissements sur
les travées du RPR.)
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Il y a en effet une différence fondamentale : c'est l'intérêt public,
l'intérêt général, dont ils ont la charge
(Très bien ! sur les travées du
RPR)
, c'est leur obligation de continuité du service public et de la vie
républicaine et de l'Etat,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Michel Charasse.
... et le droit de conduire la politique approuvée par le pays, notamment en
matière de niveau et de répartition des charges fiscales.
Si un gouvernement et une majorité choisissaient de mettre la priorité, par
exemple, sur l'enseignement ou sur la recherche et qu'ils ne pouvaient pas
dégager les moyens pour éliminer les points noirs sur la route, le ministre des
transports pourrait se retrouver un jour condamné à cause des points noirs !
C'est bien le juge qui se substituerait alors à la souveraineté nationale.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Alain Vasselle.
Tout à fait !
M. Michel Charasse.
Et cela, c'est inacceptable ! Donc, il faut bien réserver un cas
particulier.
Quant au reste, monsieur le président, je préfère naturellement l'amendement
n° 199 de M. Dreyfus-Schmidt, dont je suis cosignataire ; mais, par souci de
simplification et d'accélération de nos débats, je retire mes amendements n°s
124, 125 et 126 au profit des amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié de
M. Vasselle, étant entendu que, dans l'hypothèse où ces derniers ne seraient
pas adoptés, l'amendement n° 199 de M. Dreyfus-Schmidt aurait ma préférence.
M. le président.
Les amendements n°s 124, 125 et 126 sont retirés.
Monsieur Charasse, maintenez-vous l'amendement n° 182 ?
M. Michel Charasse.
Je le maintiens pour l'instant, monsieur le président, puisqu'il dépend du
sort qui sera réservé aux amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié de M.
Vasselle.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 179 rectifié, 180
rectifié, 182 et 199 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je dirai d'emblée que ces amendements, à l'exception de
l'amendement n° 127, me paraissent inacceptables, aussi bien sur le plan des
principes que du point de vue juridique.
Je suis défavorable aux amendement qui tendent à instituer un filtre, que ce
dernier soit d'ailleurs confié au tribunal administratif - c'est la proposition
de M. Vasselle - ou au tribunal des conflits - c'était la proposition de M.
Charasse, dans les amendements qu'il vient de retirer - avant l'engagement des
poursuites pénales contre un élu d'une collectivité territoriale ou contre un
fonctionnaire.
Adopter une telle disposition reviendrait en réalité à rétablir au profit de
ces personnes le privilège des fonctionnaires abrogé en 1870. Ces propositions
seront perçues comme la volonté de soustraire les élus ou des fonctionnaires à
leur responsabilité pénale.
Au regard du principe d'égalité devant la loi, je m'interroge très
sérieusement, par ailleurs, sur la constitutionnalité de telles
dispositions.
Je suis donc fermement opposée aux amendements n°s 179 rectifié et 180
rectifié, comme je l'aurais été aux amendements n°s 124, 125 et 126, si ces
derniers n'avaient pas été retirés.
Par ailleurs, s'agissant de l'amendement n° 182, il ne me paraît pas possible
de vouloir limiter les poursuites ou les mises en examen dans les conditions
prévues par cet amendement. Je souligne d'ailleurs, à l'intention de M.
Charasse, que ma volonté est aussi de limiter les mises en examen aux cas où
elles sont vraiment nécessaires. Nous en avons débattu hier, et c'est la raison
pour laquelle nous avons prévu la procédure du témoin assisté ; je vous ai
d'ailleurs indiqué dans mon intervention que j'accepterai certains des
amendements de la commission des lois visant à élargir et à renforcer la
procédure du témoin assisté. Il est vrai que la mise en examen se traduit
aujourd'hui souvent, en particulier pour les personnes ayant une notoriété, par
un opprobre qui n'est levé - quand il est levé, car le mal est fait, je le
reconnais - ....
M. Henri de Raincourt.
Il n'est pas levé !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... que par le jugement.
Cette procédure du témoin assisté me paraît pouvoir atteindre l'objectif
proposé.
Par ailleurs, je ne peux pas accepter que l'on modifie le code pénal, comme le
prévoit l'amendement n° 199, pour supprimer les délits d'homicide ou de
blessures involontaires qui existent, je le rappelle, dans leur rédaction
actuelle depuis plus de deux siècles.
Enfin, en ce qui concerne l'amendement n° 127 de M. Charasse, qui vise à
étendre aux maires agissant en tant qu'agents de l'Etat la protection que ce
dernier doit accorder à ses fonctionnaires, j'ai invité la commission dont je
vous ai parlé précédemment à examiner cette question.
Je précise que cette commission n'est pas analogue à celles qui ont été
instituées précédemment. Bien entendu, elle est présidée par un éminent
conseiller d'Etat, mais elle comprend aussi des élus et, pour la première fois,
des magistrats des différents ordres de juridiction. Elle est également
constituée de personnalités qualifiées, en particulier de personnes connaissant
bien la vie des collectivités locales.
Je pense donc que cette commission aboutira à un ensemble de propositions
globales qui n'excluront pas, encore une fois,
a priori
en tout cas, des
propositions législatives.
Voilà pourquoi, sur l'amendement n° 12, bien que je préfère que l'ensemble de
ces questions soient traitées à la suite des propositions de la commission
Massot, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat.
Je reviendrai un instant sur l'amendement visant à supprimer l'article 223-1
du code pénal, sur lequel vous avez réservé votre vote, pour vous donner
quelques exemples.
Je voudrais dire d'abord que tout l'intérêt de cet article du code pénal - M.
le rapporteur l'a très bien rappelé tout à l'heure - est précisément de pouvoir
permettre des condamnations, en l'absence de dommages réels, pour mise en
danger délibérée de la vie d'autrui. Je vous énumérerai à cet égard quelques
exemples tirés de la jurisprudence.
Les tribunaux ont condamné sur le fondement de cet article une personne qui, à
la suite d'un pari, a emprunté volontairement une autoroute à contresens sur
plusieurs kilomètres.
M. Jean-Jacques Hyest.
Voilà !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
c'est un jeu qui est pratiqué par certaines
personnes.
Faudrait-il ne pas poursuivre ou simplement attendre que l'accident se
produise pour pouvoir poursuivre, sur le fondement d'autres articles ?
Les tribunaux ont aussi condamné des personnes qui doublent au sommet d'une
côte ou dans un virage sans visibilité, et qui jouent donc à quitte ou double
avec leur vie et la vie d'autrui.
Ils ont condamné le capitaine d'un navire qui a surchargé son bateau de plus
de cent personnes. Faudrait-il attendre, comme en Espagne, que le bateau coule
et que les passagers se noient pour pouvoir poursuivre ce capitaine ?
Ils ont condamné une personne qui a fait une queue de poisson à grande vitesse
avec sa voiture, et qui a manqué de peu d'écraser une femme poussant un
landau.
Dans tous ces cas, par bonheur, il n'y a pas eu d'accident ; mais les
tribunaux, heureusement, ont pu condamner les auteurs de ces faits dont le
comportement volontaire et irresponsable devait être à l'évidence
sanctionné.
En supprimant l'article 223-1 du code pénal, vous légitimeriez ce type de
comportement. J'imagine alors les articles de presse qui pourraient, demain,
commenter un tel vote du Sénat !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 179 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'aimerais vous remettre en mémoire l'objet de l'amendement n° 199 que j'ai eu
l'honneur de défendre tout à l'heure pour vous demander de lui donner la
préférence sur les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié présentés par
M. Vasselle.
M. Vasselle fait une différence, reconnue, entre les uns et les autres. Or,
les particuliers peuvent, également de très bonne foi souvent, être poursuivis
pour une imprudence ou un acte purement involontaire.
Il faut donc trouver - je suis d'accord avec Mme le garde des sceaux - une
solution s'appliquant à tout le monde. Le sort particulier réservé aux
fonctionnaires, institué par la constitution de l'an VIII, comme Michel
Charasse nous l'a rappelé, a été supprimé en 1870, nous a-t-on dit. Entre l'an
VIII et 1870, je n'hésite pas : je préfère 1870 !
Cela dit, notre collègue Alain Vasselle propose que, lorsqu'un maire, un
fonctionnaire, etc., est en cause - il y a des cas fort nombreux tous les
jours, dans nos départements - on saisisse le Conseil d'Etat. Que va faire ce
dernier ? Il ne tranchera pas lui-même, mais désignera un tribunal
administratif qui devra trancher. Pourquoi pas une cour administrative d'appel
avec recours possible devant le Conseil d'Etat ? Pourquoi un tribunal
administratif avec appel possible devant une cour administrative d'appel ? On
ne nous le dit pas. En tout les cas, ce système est discriminatoire et
lourd.
J'en viens à notre amendement n° 199. M. le rapporteur a accompli un travail
tellement considérable...
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... auquel je tiens à rendre hommage que je ne lui en veux pas de ne pas avoir
lu suffisamment notre amendement n° 199 !
Il a, en effet, affirmé à deux reprises que nous proposions la suppression des
articles 221-6 et 222-19 du code pénal. Nous ne proposons la suppression du
premier alinéa que pour modifier le second, et ce n'est pas du tout la même
chose !
Nous proposons que soit supprimé le fait causé par maladresse, imprudence,
inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi qui constitue un homicide involontaire. Or, après
nous avoir vanté 1870 par rapport à l'an VIII, et après avoir indiqué que le
manquement délibéré n'était pas involontaire et qu'il fallait donc le
maintenir, vous nous avez donné pour seule explication, madame le garde des
sceaux, que cela est inscrit dans le code depuis deux siècles. Franchement, ce
point de vue ne paraît pas très progressiste !
Mais, surtout, nous proposons que le deuxième alinéa de l'article 221-6 du
code pénal soit ainsi rédigé : « Le fait de causer la mort d'autrui par un
manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la
loi ou les règlements est passible de cinq ans d'emprisonnement et 5 000 francs
d'amende. »
Il est donc faux, monsieur le rapporteur, de prétendre que nous proposons de
supprimer la répression de la mort ou de blessures résultant d'un manquement
délibéré à l'obligation susdite. Nous la maintenons au contraire expressément ;
nous ne supprimons que ce qui est purement involontaire.
Je me permets donc d'insister auprès du Sénat pour qu'il adopte l'amendement
n° 199, et donc pour qu'il repousse les amendements n°s 179 rectifié et 180
rectifié de M. Vasselle - que notre collègue veuille bien m'en excuser - qui
distinguent entre les élus, les fonctionnaires et les simples justiciables et
qui prévoient un système extrêmement lourd faisant intervenir le Conseil d'Etat
et le tribunal administratif, et donc un crible particulier. Notre amendement
n° 199 me semble en effet satisfaire l'objectif de M. Vasselle.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je souhaite expliquer mon vote sur l'amendement n° 179 rectifié, mais aussi
sur l'amendement n° 180 rectifié et, surtout, sur l'ensemble du problème qui
vient d'être évoqué. Nous avons en effet brassé, à l'occasion de l'examen de
ces deux amendements, un certain nombre de questions sur lesquelles je
souhaite, à mon tour, m'expliquer d'une manière aussi complète que possible.
Je le souhaite d'autant plus que je me souviens avoir été le rapporteur des
travaux de la commission présidée par M. Delevoye, et qu'une proposition de loi
de M. Jacques Larché avait abouti à cette loi de 1996 dont on a beaucoup parlé,
mais peut-être un peu sommairement.
Tout d'abord, sur la forme, on a fait état d'un accord de la commission sur
les amendements de M. Vasselle. Mais il faut tout de même savoir comment cela
s'est passé ! En réalité - je crois pouvoir le dire, puisque nos travaux sont
publics - M. le rapporteur a pris position contre et, quand on a mis aux voix
cet avis négatif, il s'est trouvé douze voix pour et douze voix contre, d'où il
est résulté que l'avis de M. le rapporteur n'a pas été adopté et que, par voie
de conséquence, l'amendement, lui, était adopté. En réalité, il y avait
toujours douze voix pour et douze voix contre sur cet amendement ! Cela
n'empêche pas qu'il a peut-être beaucoup de valeur, bien entendu, mais parler,
en l'occurrence, d'une position favorable de la commission des lois, c'est se
contenter d'une position quelque peu formelle.
Mais abordons maintenant le fond de la question.
La loi de 1996, je tiens à le rappeler à notre collègue Michel Charasse, était
précisément fondée sur la responsabilité des élus telle que nous l'avions
prévue à l'origine avec M. Delevoye et sur la distinction fondamentale qu'il
faut faire, j'en suis convaincu - et, là, je suis en contradiction avec M.
Michel Dreyfus-Schmidt - entre la responsabilité des élus...
M. Michel Charasse.
Des agents publics en général !
M. Pierre Fauchon.
... et celle des citoyens.
M. Charasse nous en a très bien donné l'explication politique, qui est
peut-être la plus importante, mais je voudrais y ajouter l'explication
technique.
Il existe trois façons d'affronter un problème de responsabilité : en premier
lieu, on peut être pris pour des actes que l'on a commis dans sa vie privée,
dans la gestion de ses propres affaires ; en deuxième lieu, on peut être pris
en temps que responsable d'une entreprise ; en troisième lieu, on peut être
pris en tant qu'exerçant des responsabilités publiques. Or c'est tout à fait
différent !
Il est évident que la société est en droit d'attendre un maximum de prudence
de l'individu qui, gérant ses propres affaires, décide de ce qu'il fait et de
ce qu'il ne fait pas, des risques qu'il fait courir à ses propres affaires ; on
peut donc lui demander, s'il n'est pas capable de faire ceci ou cela, de
conduire une voiture, par exemple, de ne pas la conduire.
Dans le deuxième cas, le chef d'entreprise a une responsabilité de
professionnel. S'il assume la direction de l'entreprise, il a reçu la formation
professionnelle requise, il en tire un profit et un revenu - du moins, c'est ce
que je lui souhaite de tout coeur - et, s'il n'est pas capable de diriger
l'entreprise, il ne faut pas qu'il la dirige car il a des obligations très
particulières.
Au contraire, un élu ne décide pas - je reste sur le terrain technique - de sa
mission, il ne choisit pas ses moyens et il se trouve pris dans des
responsabilités de mission d'intérêt général qui sont confrontées à des
possibilités qui ne correspondent pas toujours à cette mission.
(Alors que l'orateur s'exprime, les sénateurs du groupe du RPR s'entretiennent
à voix haute, ainsi que les sénateurs du groupe socialiste.)
Monsieur le président, le groupe du RPR semble être en train de délibérer
; peut-être serait-il possible de suspendre la séance ?
M. le président.
Non, mon cher collègue, nous ne suspendrons pas la séance, d'autant qu'il y a
également un conclave sur la gauche de l'hémicycle !
M. Pierre Fauchon.
Certes, monsieur le président, mais
Vox clamens in deserto
! C'est
décourageant ! Sans doute devrais-je être plus éloquent, mais mes moyens sont
limités...
M. le président.
Tout le monde vous écoute, mon cher collègue !
M. Pierre Fauchon.
Quoi qu'il en soit, nous avions tout à fait souscrit à la dissociation dont je
viens de faire état.
La loi que nous avons votée, et qui exige l'appréciation des moyens dont
disposent les maires, est-elle suffisante ou non ? La vérité est que personne
n'en sait rien, car elle date de 1996 et elle n'est entrée en application qu'en
1997. Or il suffit de connaître un tant soit peu le fonctionnement de la
justice pour comprendre que nous devrons attendre quelques années pour savoir
ce qu'il en est. L'un des intérêts de cette loi, d'ailleurs, est de permettre
les recours en appel et en cassation, ce qui n'était guère possible avant.
Il est donc tout à fait prématuré de dire que cette loi n'a pas apporté tous
les avantages souhaités. Et, chiffres à l'appui, Mme le garde des sceaux a
montré que, d'ores et déjà, les effets de cette loi commençaient à être perçus.
En réalité, elle a déjà limité et les poursuites et, encore plus, les
condamnations.
Cela étant, je reconnais comme chacun d'entre nous que les événements vont
peut-être plus vite que l'application de la loi et je comprends que l'on
éprouve des inquiétudes à cet égard.
C'est dans cet esprit que je trouve excellente - et je me reproche de ne pas y
avoir pensé moi-même - l'idée de M. Charasse consistant à prendre en compte les
conditions dans lesquelles agissent les élus avant la mise en examen ou avant
la mise en cause, comme dit M. Vasselle, et non avant toute condamnation. J'y
souscris tout à fait !
Mais pouvons-nous aller plus loin aujourd'hui et entrer dans la voie qui nous
est proposée, qui consiste à se fonder sur la distinction de faute détachable,
et faire apprécier cette faute détachable qui va commander la décision pénale
par une juridiction qui n'est pas la juridiction pénale ?
Là, je dis « casse-cou », pour deux raisons.
D'abord, on se trompe - je vous demande d'excuser ces développements
juridiques, mais nous faisons la loi ! - sur la notion de faute détachable et
sur les raisons de ce qui s'est passé voilà maintenant soixante-quinze ans, au
moment où a été rendu l'arrêt Thépaz. Je vais raconter l'histoire, si
nécessaire...
M. le président.
Non, mon cher collègue,...
M. Pierre Fauchon.
Mais je m'exprime sur plusieurs amendements, monsieur le président !
M. le président.
Vous expliquez votre vote sur l'amendement n° 179 rectifié ; or voilà six
minutes que vous intervenez.
Je vous prie de m'excuser de vous le rappeler, mais le règlement s'applique à
tout le monde !
M. Pierre Fauchon.
Je conclus donc, mais je reprendrai la parole sur les autres amendements...
M. le président.
Bien entendu ! Je vous le proposerai !
M. Pierre Fauchon.
... de manière à expliquer ce qu'est l'arrêt Thépaz et la faute détachable.
(Sourires.)
Je dis simplement - en un mot - que l'on ne peut entrer dans un système qui
ferait apprécier une responsabilité pénale par une autre juridiction que la
juridiction pénale, car un tel système ne serait pas constitutionnel.
Je souhaite que nous choisissions une bonne voie, soit en supprimant la
responsabilité pour imprudence, soit, comme je l'ai suggéré précédemment, en
considérant que cette responsabilité ne serait mise en cause qu'en cas de faute
lourde, qui serait alors clairement définie, et j'hésite entre ces deux voies ;
mais nous ne devons pas nous engager dans une solution qui ne serait sans doute
pas retenue par l'Assemblée nationale et qui, de toute façon, serait rejetée
par le Conseil constitutionnel, ce qui serait regrettable s'agissant d'une
cause à laquelle nous croyons tous avec la même ferveur : la défense des élus
locaux.
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Je veux expliquer notre vote sur l'amendement n° 179 rectifié et sur
l'amendement n° 180 rectifié, mais cette explication vaudra pour les
amendements de notre collègue M. Charasse, n°s 181, 124, 125, 126 et 182...
M. le président.
Permettez-moi de vous rappeler que les amendements n°s 124, 125 et 126 ont été
retirés !
M. Robert Bret.
Certes ! mais, sur le fond, je peux tout de même porter une appréciation...
Ainsi que l'a souligné Mme le garde des sceaux, ces amendements n'ont pas leur
place dans un texte réformant le code de procédure pénale et relatif à la
présomption d'innocence et aux droits des victimes. Attendons que le groupe de
travail qui sera prochainement mis en place par la Chancellerie sur ce sujet
nous fasse des propositions plutôt que de légiférer ainsi, au coup par coup,
chaque fois qu'un problème nous est posé !
Sur le fond, j'ai donné mon opinion dans la discussion générale. S'agissant
des élus locaux et des fonctionnaires, nous ne sommes pas favorables à un
régime spécifique, nous ne pouvons l'accepter. Ne donnons pas le sentiment de
vouloir nous soustraire à notre responsabilité pénale !
Oui, les élus ont une responsabilité et un statut spécifiques par rapport aux
autres citoyens, la loi de 1996 le montre bien. Cependant, je suis d'accord
avec notre collègue M. Vasselle, un véritable statut des élus est nécessaire,
et il est urgent. M. le rapporteur parlait d'un « signal fort ». Cela en serait
un ! Je préfère en tout cas cette démarche à celle que l'on nous propose et qui
risquerait de porter atteinte à la crédibilité des hommes politiques, à la
justice elle-même et au rétablissement de la confiance de nos concitoyens à
notre égard et à l'égard de la justice.
Je reviendrai plus tard sur l'amendement n° 199. En attendant, nous voterons
contre ces amendements.
M. Louis de Broissia.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Je me réjouis que les amendements n°s 179 rectifié, 180 rectifié et 127 aient
été - si j'ai bien compris - adoptés par la commission des lois.
(M. Fauchon
tousse avec ostentation.)
Cette toux serait-elle un signe de désapprobation
?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas du tout !
(Sourires.)
M. Louis de Broissia.
Je continue donc.
Certes, depuis qu'à une époque fâcheuse un ministre - c'était une ministre,
d'ailleurs - a déclaré en toute honnêteté : « Responsable, mais pas coupable »,
on a constaté une rupture dans l'opinion. La pensée unique française classique
considère désormais, que, puisque nous sommes responsables, et surtout
responsables publics, nous sommes coupables publiquement. Autrement dit, toute
présomption de responsabilité entraîne une présomption de culpabilité.
Puisque nous sommes dans le cadre d'un débat sur la présomption d'innocence,
il me paraît nécessaire d'aborder le statut moral, et non juridique, de celui
qui partage la vie de la République.
Je suis tout à fait d'accord avec notre collègue Michel Charasse lorsqu'il dit
que la République n'est pas simplement incarnée par le chef d'Etat, le Premier
ministre et les assemblées. Elle l'est aussi par l'immense armée de ceux qui
exercent une responsabilité publique. Ainsi, dans mon village, qui compte 122
habitants, le maire se lève chaque matin avec la conscience de participer à la
République. En tant que président de conseil général, chef de l'exécutif, ou en
tant que sénateur, j'ai aussi le sentiment d'incarner une petite partie de la
République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Comme chaque citoyen !
M. Louis de Broissia.
Non ! le maire n'est pas un citoyen ordinaire,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'y a pas de citoyen ordinaire !
M. Louis de Broissia.
... il incarne une parcelle de la République. A ce titre, il doit être protégé
et lavé de ce soupçon de présomption de culpabilité permanente.
Tel est l'objet des amendements n°s 179 rectifié, 180 rectifié et 127. Il me
paraîtrait sage, madame le garde des sceaux, d'adresser, au-delà de cette
enceinte, le message suivant à ceux qui veulent exercer partir de 2001 des
responsabilités locales : « Ne vous découragez pas, nous ne laisserons pas
peser sur vous la présomption permanente de culpabilité qui, en ce moment, est
trop répandue dans l'opinion publique. »
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, vous proposez que nous nous prononcions en même temps
sur les amendements n°s 179 rectifié et 180 rectifié. Je voulais intervenir
essentiellement sur le second, mais je le fais dès maintenant : je n'aurai pas
à reprendre la parole ensuite.
Je voudrais rappeler à M. Fauchon, mais aussi à ceux qui vont peut-être
intervenir après moi, qu'il faut se placer dans le contexte actuel.
Dans quel état d'esprit la commission des lois a-t-elle accepté d'émettre un
avis favorable sur les amendements n°s 179 et 180 rectifié ? Il s'agissait, je
le rappelle, d'amendements d'appel qui n'avaient d'autre objet que de mettre en
relief le problème auquel se trouvent confrontés les élus et les fonctionnaires
qui exercent des responsabilités. Comme l'a indiqué très justement M. le
rapporteur, nous souhaitons profiter de la deuxième lecture, et donc de la
navette, pour essayer d'avancer sur ce sujet, même si Mme le garde des sceaux
nous a dit, comme elle l'avait déjà dit dans la discussion générale et comme
elle l'a dit à nouveau hier et encore ce matin, qu'elle avait créé une
commission sur ce sujet pour que le Gouvernement prenne en compte la situation
à laquelle se trouvent confrontés nombre d'élus et de fonctionnaires.
Deux principaux arguments ont été opposés à ces amendements par le
Gouvernement et par quelques-uns de nos collègues qui sont défavorables au
dispositif proposé.
Selon eux, avec ce dispositif, on tendrait à soustraire les maires de leur
responsabilité pénale et on reviendrait sur des dispositions qui datent du
siècle dernier alors qu'elles ont été abrogées depuis. Par ailleurs - c'est le
second argument - cette disposition serait inconstitutionnelle.
Permettez-moi de vous dire tout d'abord que, s'agissant du risque
d'inconstitutionalité, ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure en défendant
ces amendements, la loi de 1996 ne s'appliquant qu'aux élus, voire aux
fonctionnaires - mais pas aux particuliers - elle encourait déjà le même
risque.
M. Pierre Fauchon.
Son dispositif a été étendu !
M. Alain Vasselle.
Ensuite !
Par ailleurs, je pense qu'il ne faut pas omettre de prendre en considération
ce qui nous a conduits à prendre une initiative de cette nature.
Lorsqu'un particulier ou une entreprise dépose une plainte contre un élu, que
le faux pas éventuel et involontaire de l'élu est d'ordre purement
administratif mais que la plainte a été déposée par la voie pénale, le juge
pénal est alors conduit à apprécier le caractère de la faute administrative.
L'élu est ainsi engagé dans une voie dont il aurait pu être soustrait si la
nature de la faute avait été bien analysée. Il peut en effet arriver que la
faute ne soit pas du ressort du juge pénal, mais bien de la juridiction
administrative !
Ainsi, on engage les élus dans une procédure où ils n'auraient jamais dû être.
D'où le dispositif que nous proposons, qui n'a nullement pour objet de
soustraire l'élu au juge pénal, car, si l'analyse de la faute démontre
qu'effectivement l'affaire est du ressort de ce dernier, très rapidement le
juge administratif considérera qu'il est incompétent, et l'instruction
repartira sur le plan pénal.
Il n'y a donc pas d'inégalité de traitement entre fonctionnaires, élus et
simples citoyens. Nous ne mettons pas en place un système qui réserve aux élus
et aux fonctionnaires une juridiction destinée à les protéger. Il n'y a aucune
discrimination.
L'avantage de notre système, c'est que, lorsque l'affaire sera d'ordre
purement administratif, c'est bien le juge administratif qui jugera et non pas
le juge pénal, ce qui fera gagner du temps et permettra à l'élu de se trouver
engagé dans la bonne procédure.
Comme l'a dit très justement, entre autres, notre collègue Louis de Broissia,
à partir du moment où la procédure est engagée et où les médias en font état,
le maire, au lieu de bénéficier encore d'une présomption d'innocence, est sous
le coup d'une présemption de culpabilité : et, ensuite, il n'y a jamais
réparation, ni au travers d'articles de presse ni par un autre biais.
L'opprobre a été jeté sur les élus.
D'où nos préoccupations majeures face à cette atteinte grave à la démocratie
dont nous risquons, si nous ne prenons pas immédiatement une initiative, de
subir les effets dès la prochaine échéance, qui sera celle des élections
municipales.
Pas plus tard qu'hier, j'étais avec mon collègue Philippe Marini devant une
quarantaine de maires de mon département. J'aurais voulu, mes chers collègues,
que vous voyez présents à nos côtés pour entendre les réactions de l'ensemble
de ces maires. C'est une véritable fronde ! Ils n'en peuvent plus ! Il suffit
!
Si bien que je me demande si ceux qui s'opposent à cet amendement ont
quelquefois des contacts avec les élus !
(Exclamations sur de nombreuses travées.)
M. le président.
Autant que vous, mon cher collègue !
M. Alain Vasselle.
Les propositions que nous faisons me paraissent donc raisonnables. Il faut les
replacer dans le contexte qu'a rappelé M. le rapporteur.
Je ne doute pas que nous trouverons la rédaction qui répondra aux souhaits des
uns et des autres : respecter le droit dans sa lettre et dans son esprit, et
répondre à l'attente de l'ensemble des élus et des fonctionnaires.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 179 rectifié, accepté par la commission et
repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 19.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 180 rectifié, accepté par la commission et
repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 19, et les amendements n°s 182 et 199 n'ont plus
d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 127, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 19.
Division additionnelle après l'article 5
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Compte tenu de l'adoption des amendements n°s 179 rectifié et
180 rectifié, il est nécessaire, après l'article 5, d'insérer une division
additionnelle dont je vous fais parvenir le libellé, monsieur le président.
M. le président.
Je suis saisi d'un amendement n° 275, présenté par M. Jolibois, au nom de la
commission des lois, et tendant à insérer, après l'article 5, une division
additionnelle ainsi rédigée :
« Section 3
bis. -
Dispositions relatives à la responsabilité pénale
des élus locaux. »
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 275, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée dans le
projet de loi, après l'article 5.
Mes chers collègues, comme je m'y étais engagé auprès de M. le président de la
commission des lois, je vais maintenant suspendre nos travaux afin de lui
permettre de réunir la commission.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, depuis l'ouverture de la séance
de ce matin, nous avons examiné onze amendements tendant tous à insérer des
articles additionnels.
J'ai dit, hier, que je croyais en la bonne volonté du Sénat pour achever
l'examen de ce projet de loi dans les délais fixés par la conférence des
présidents. J'avoue que j'éprouve maintenant un certain doute. Deux heures pour
examiner onze amendements sans s'être encore prononcé sur une seule des
dispositions du projet, cela commence à poser certains problèmes !
La question de la responsabilité des élus est, certes, importante, mais,
franchement, nous pourrions raccrocher à ce projet de loi relatif à la
présomption d'innocence toutes sortes de questions qui ont leur importance,
mais qui, à mes yeux, peuvent être traitées ailleurs !
Je souhaite donc vraiment que nous puissions faire en sorte, cet après-midi,
que l'engagement pris hier soit tenu.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Madame le garde des sceaux, vous
avez fait allusion à ce qui a été décidé en conférence des présidents, et votre
propos était tout à fait exact.
Je me dois toutefois de rappeler, une fois de plus, ce que j'ai moi-même dit
au cours de cette conférence des présidents, à savoir que ses propositions, non
seulement pour ce texte mais également pour la suite de nos travaux d'ici à la
fin de la session, étaient totalement irréalistes, et notamment, s'agissant du
présent texte, qu'il n'était pas possible, dans les délais qui nous étaient
impartis, de l'examiner comme nous y souhaitions, compte tenu de l'importance
que nous y attachions.
Je note d'ailleurs que, compte tenu de la masse d'amendements qui ont été
présentés, c'est la quatrième fois que je dois réunir la commission pour
essayer d'alimenter les travaux de la Haute Assemblée.
M. le président.
Monsieur le président, je crois que chacun met le maximum de bonne volonté
pour atteindre l'objectif qui a été fixé, en accord avec le Gouvernement, par
la conférence des présidents.
La séance est suspendue ; elle sera reprise à quinze heures.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures
cinq.)
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits
des victimes.
Dans la discussion des articles, nous en revenons à l'amendement n° 181,
précédemment réservé, tendant à insérer un article additionnel après l'article
5.
M. Charasse m'a fait connaître qu'il l'avait rectifié. Nous sommes donc
saisis, désormais, d'un amendement n° 181 rectifié.
Articles additionnels après l'article 5
(suite)
M. le président.
Par amendement n° 181 rectifié, M. Charasse propose d'insérer, après l'article
5, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 223-1 du code pénal n'est pas applicable lorsqu'il s'agit
d'assurer la préservation des intérêts fondamentaux de la nation au sens de
l'article 410-1 ou la continuité de l'Etat et des services publics. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
J'ai naturellement écouté avec l'attention et l'intérêt que l'on imagine les
discussions auxquelles a donné lieu cet amendement dans sa version d'origine,
puisqu'il s'agit d'abroger l'article 223-1 du code pénal, qui vise ce que l'on
appelle la mise en danger d'autrui.
Je pense pour ma part que nous n'avons jamais intérêt à disposer de textes
législatifs qui ne tiennent pas compte de la réalité. Or, si je ne suis pas
insensible aux arguments qui ont été développés par M. le rapporteur et par Mme
le garde des sceaux sur les conséquences de la suppression pure et simple de
l'article 223-1 du code pénal, je ne peux pas non plus ignorer, mes chers
collègues, qu'il existe un très grand nombre de situations et un très grand
nombre de responsables publics qui sont aujourd'hui d'ores et déjà visés par
cet article.
Je disais ce matin qu'en ce qui concerne en particulier la sécurité des
établissements recevant du public, notamment les établissements scolaires, les
modifications intervenues récemment dans le fonctionnement des commissions de
sécurité font que ces commissions donnent systématiquement un avis défavorable
dès qu'il y a un problème. Comme on ne peut pas fermer, pour des raisons
évidentes, tous les établissements scolaires ou la majorité d'entre eux qui
sont ou qui peuvent être concernés par des avis défavorables - et, madame le
garde des sceaux, cela peut arriver aussi à des tribunaux dont les locaux
peuvent donner lieu à un avis défavorable de ces commissions de sécurité - on
les maintient en fonctionnement.
J'ai donc rectifié l'amendement n° 181, et au lieu de proposer au Sénat
l'abrogation pure et simple de la totalité des dispositions, abrogation qui
aurait effectivement les inconvénients que signalaient et Mme le garde des
sceaux et M. le rapporteur ce matin, je propose d'exclure du champ
d'application de l'article 223-1 du code pénal ce que j'appellerai les cas de
force majeure, c'est-à-dire les décisions qui sont prises pour assurer la
continuité de l'Etat ainsi que la continuité des services publics, qui sont des
principes constitutionnels, et la préservation des intérêts fondamentaux de la
nation, au sens de la disposition qui en traite dans le code pénal.
Il s'agit en réalité de préserver les responsables publics qui, pour des
raisons de continuité du service public, qui est un principe de valeur
constitutionnelle, permettent, par exemple, le fonctionnement d'un collège ou
d'un lycée.
Permettez-moi donc de relire avec vous le texte que je propose : « L'article
223-1 du code pénal n'est pas applicable lorsqu'il s'agit d'assurer la
préservation des droits fondamentaux de la nation au sens de l'article 410-1 »
- je pense en particulier aux points noirs sur les routes - « ou la continuité
de l'Etat et des services publics. »
Je pense que cela correspond exactement à la situation de fait qui est celle
que nous connaissons aujourd'hui et qui, si le texte était, madame le garde des
sceaux, strictement appliqué, devrait conduire un très grand nombre de
responsables publics devant les tribunaux.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Les critiques générales formulées par la commission quant à
l'idée de supprimer un article du code pénal alors que notre débat porte sur le
code de procédure pénale ne se sont évidemment pas atténuées cet après-midi par
rapport à ce matin. Je suis cependant reconnaissant à M. Charasse d'avoir fait
un effort de rédaction même si je vais d'emblée lui dire que cet effort n'est
pas suffisant,...
M. François Trucy.
Ah !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... ce qui démontre d'ailleurs la difficulté de rédiger un
article du code pénal.
M. Michel Charasse.
Ah oui !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'article 223-1 relatif à la mise en danger d'autrui, dont
j'ai signalé ce matin qu'il a constitué une des innovations attendues et
saluées du nouveau code pénal, est l'un de ceux que nous avions le plus
longuement discuté.
J'étais à l'époque rapporteur et j'avais proposé des compléments à cet article
qui avaient obtenu un accord unanime et dont le but était, précisément,
d'éviter que se produisent les exemples que vous avez cités - qui nous ont à la
fois distraits et intéressés - c'est-à-dire l'existence de délits sans aucune
volonté et sans acte manifestement délibéré. D'ailleurs, c'est un des rares
articles du code pénal où figurent les mots : « manifestement délibéré ». Le
droit en vigueur nous met donc d'ores et déja à l'abri.
Cela dit, imaginez la difficulté qu'aurait un tribunal à appliquer le texte
proposé par M. Charasse. Il serait obligé de déterminer s'il s'agit d'un cas où
la continuité de l'Etat ou la préservation des intérêts fondamentaux de la
nation - encore que là il est fait référence à un article du code pénal - a
obligé telle personne à mettre en danger autrui.
La commission des lois n'a pas pu se prononcer sur l'amendement n° 181
rectifié, mais je crois pas trahir sa pensée en disant que l'avis que j'ai émis
ce matin sur l'amendement n° 181 vaut pour sa version rectifiée.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Certes, l'amendement n° 181 rectifié de M. Charasse ne
supprime plus le délit de mise en danger d'autrui, et se contente d'en limiter
le champ d'application, mais le Gouvernement y reste opposé parce que les
limitations envisagées sont à ses yeux inutiles et surtout fort peu juridiques.
Il est en effet évident que l'article 223-1 du code pénal ne peut s'appliquer à
un ministre qui ne prendrait pas une nouvelle réglementation dans un domaine
particulier comme celui de la sécurité routière ou de la santé, et ce pour deux
raisons.
D'abord, il faut une violation délibérée d'une obligation particulière -
j'insiste sur cet adjectif - de sécurité, prévue soit par la loi, soit par le
règlement. S'il n'y a pas de règlement, il ne peut y avoir violation d'un
règlement.
Ensuite, il faut causer un risque direct et immédiat de mort ou de blessure
grave ; l'existence d'un simple risque ne suffit pas.
Les précisions de M. Charasse me paraissent donc inutiles.
M. le président.
Je vais mettre en voix l'amendement n° 181 rectifié.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
La proposition de M. Charasse met en lumière une contradiction entre nos
principes de droit administratif et nos principes de droit pénal.
En droit administratif, la théorie des circonstances exceptionnelles, la
théorie de l'urgence, la théorie de la nécessité autorisent l'administration à
déroger à des règles parce que l'urgence et la nécessité l'imposent. Sur ce
point, la jurisprudence du Conseil d'Etat est constante.
Or, le code pénal ne « connaît » pas cette jurisprudence de la juridiction
administrative. Dans ce domaine, nous sommes donc en face d'une réalité
juridique que nous devrons revoir.
Je ne sais pas si l'amendement n° 181 rectifié de M. Charasse retient la bonne
formule, mais il a au moins le mérite de poser le vrai problème. L'Etat a le
devoir d'assurer sa continuité, l'Etat a le devoir de faire face à ses
obligations, et l'on ne peut pas appliquer, pour régler une contradiction, une
série de principes applicables à tous les citoyens.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
J'interviens contre l'amendement déposé par notre collègue et mon ami M.
Charasse parce que je dois attirer l'attention de la Haute Assemblée sur le
chemin singulier que nous sommes en train d'emprunter.
Ce matin, je suis arrivé tard par nécessité et j'ai regretté de ne point avoir
pu participer au débat. J'ai constaté que l'on avait inventé un nouveau
principe...
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui.
M. Robert Badinter.
... singulier...
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui.
M. Robert Badinter.
... et selon lequel, dorénavant, l'administratif tiendra le criminel en
l'état.
On m'a toujours appris le contraire et toutes les facultés enseignent
l'inverse, mais il paraît que ce n'est plus l'usage aujourd'hui...
Je le dis comme je le pense : un problème se pose aujourd'hui dans notre
droit, et nul ne saurait l'ignorer, s'agissant de la question - spécifique - de
la responsabilité pénale des élus. Ce problème doit être étudié et résolu.
C'est là, comme M. Gélard l'a souligné, le lieu de rencontre de principes
importants qu'il faut savoir concilier.
M. Gélard a évoqué le principe de la continuité de l'Etat. Mais je rappelle
que l'Etat doit aussi assurer la sécurité de tous les citoyens. Je le note
simplement pour indiquer que la chose ne sera pas facile, alors, qu'elle est
nécessaire.
Comme Mme le garde des sceaux l'a indiqué à juste titre, une commission
travaille sur cette question et doit bientôt rendre ses conclusions. Il faudra
en effet étudier attentivement le problème en tant que tel. Mais, en
l'occurrence, nous traitons d'un sujet différent : nous sommes en effet dans le
domaine de la procédure pénale et de la protection de la présomption
d'innocence pour tous les citoyens. Il ne s'agit pas de la responsabilité
pénale spécifique de telle ou telle catégorie de citoyens, aussi importants
soient-ils dans la vie démocratique de notre nation.
En utilisant, pour pallier tel ou tel problème concernant la responsabilité
pénale spécifique des élus, la voie de la modification de textes fondamentaux
du nouveau code pénal, nous nous engageons, selon moi, dans une voie qui est
mauvaise.
Je rappelle que, dans le nouveau code pénal, la conception qui a présidé à
l'élaboration de l'infraction de mise en danger d'autrui est à la fois moderne
et nécessaire. Il ne faut pas attendre, pour relever l'infraction, qu'un acte
ait des conséquences mortelles ou ait entraîné une grave infirmité.
Prenons l'exemple simple évoqué ce matin par Mme le garde des sceaux : un
conducteur, pris dans un encombrement, dans une côte, décide de franchir la
ligne blanche pour gagner - espère-t-il - quelques places ; si une voiture
arrive en face, il causera inévitablement un accident peut-être mortel. Dans un
tel cas, c'est le comportement du chauffeur qui constitue la faute, ce n'est
pas la mort de la malheureuse victime.
Voilà ce que nous avons voulu faire avec le nouveau code pénal ! Je le dis
avec d'autant plus de fermeté que j'ai eu l'occasion, au cours du déjeuner, de
me reporter à un vieux « petit livre rouge », qui n'a rien à voir avec celui du
grand Timonier puisqu'il s'agit du projet de nouveau code pénal - édition
Dalloz 1988.
J'ai eu l'honneur de présider la commission de révision du code pénal pendant
quatre ans. C'est le résultat de ses travaux dont le Sénat a été saisi par le
projet de loi qui a été déposé en décembre 1985 ici même, et qui a ensuite fait
l'objet, dans la législature commencée en 1988, d'un très long examen des deux
assemblées, notamment la nôtre. Ce nouveau code pénal a été voté à l'unanimité,
je l'ai vérifié. Chacun avait en effet conscience qu'il n'était pas possible de
laisser perdurer cette situation.
Il était intolérable que le patron d'un bateau de transport qui ne procède pas
aux vérifications nécessaires, mettant ainsi en danger la vie de centaines de
passagers, ne puisse être poursuivi même si l'accident, heureusement, ne se
produit pas. Il en est de même pour le propriétaire d'un camion qui ne fait pas
procéder aux réparations nécessaires. Voilà ce que vise le texte.
Je le dis clairement, attenter à ce texte pour traiter d'un problème
spécifique n'est pas de bonne politique législative.
On peut certes penser au statut des élus locaux, on doit effectivement prendre
en considération leur situation spécifique au regard des exigences du droit
pénal, mais on ne peut en aucun cas, en raison de leur situation particulière,
décider que l'on va supprimer à l'occasion de la discussion de ce texte telle
disposition générale du code pénal, cette disposition nécessaire à la
protection de tous nos concitoyens, par un amendement, même rectifié, qui ne
fait qu'en rétrécir la portée.
L'article 223-1 du code pénal qui est aujourd'hui en vigueur dispose : « Le
fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures
de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la
violation manifestement délibérée d'une obligation... », l'adverbe «
manifestement » ayant été adopté sur l'initiative de M. Jolibois.
Cela signifie que la personne en cause a réfléchi, qu'elle a pris sa décision
et que le comportement qu'elle a choisi d'adopter expose directement autrui à
un risque immédiat de mort.
Permettez-moi de dire que le moment n'est pas venu pour la Haute Assemblée,
dans le souci très légitime de la protection des élus, de supprimer cet article
du code pénal. Voyez comment fonctionne notre société aujourd'hui, voyez ce qui
se passe sur les routes et dans tant d'établissements qui ne sont pas tous
publics, je le reconnais, mais qui n'en appellent pas moins de nouvelles
dispositions législatives.
Voilà pourquoi le groupe socialiste s'opposera à l'amendement déposé par M.
Charasse, même modifié
in extremis
pour les besoins de sa cause.
(Applaudissements sur certaines travées socialistes ainsi que sur les travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur notre règlement : toute
explication de vote ne doit pas excéder cinq minutes. Je vous demande de
respecter cette règle, sinon je vous en ferai l'observation.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, même si cela prend un peu de temps - je prie Mme le
garde des sceaux de m'en excuser, mais ce débat est important - je voudrais
dire, d'une part, que les exemples cités par M. Badinter ne sont plus concernés
par mon amendement et, d'autre part, que le principe de continuité de l'Etat et
du service public évoqué par le Gouvernement a été dégagé par la jurisprudence
du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel. Dès lors, dire que cette
jurisprudence n'a pas de valeur juridique me paraît aller un peu loin.
J'ai écouté Mme le garde des sceaux et mes collègues avec attention. Selon
eux, l'article 223-1 du code pénal implique, compte tenu des précisions
ajoutées par le Sénat, que, dans les cas que j'ai cités, en particulier ceux
des établissements scolaires, il ne peut pas y avoir de poursuites.
Il est cependant évident qu'il faudra bien un jour que l'on étudie le pouvoir
de substitution du préfet. En effet, dans les cas que j'ai évoqués, il y a bien
un avis défavorable de la commission de sécurité et le préfet doit normalement
interdire, si le maire ne fait rien ; or le préfet ne fait rien et l'Etat est
donc lui aussi en cause.
Quoi qu'il en soit, madame le garde des sceaux, si, pour les cas que je cite,
l'article 223-1 du code pénal n'est pas applicable, je suis prêt à retirer
l'amendement, mais je vous demande de préciser la portée de cet article par une
circulaire au parquet. Dans ce cas, il n'y a pas de problème. Dans le cas
contraire, je maintiens mon amendement.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché
président de la commission des lois.
Je voudrais attirer l'attention de
la Haute Assemblée sur ce que nous sommes en train de faire. Il s'agit d'un
travail législatif qui a été accompli dans certaines conditions et qui a abouti
à un certain nombre de résultats qui, pour l'essentiel, peuvent être considérés
comme positifs. La mise en danger d'autrui est apparue comme un instrument
juridique nécessaire de répression. En effet, dans un certain nombre de cas, si
cet instrument juridique n'avait pas existé, la répression nécessaire n'aurait
pas été possible.
Comme je le disais ce matin, toute loi, toute bonne intention et toute mesure
positive peuvent avoir, au bout d'un certain temps, un effet pervers,
c'est-à-dire produire des résultats qui ne sont pas de la nature de ce que l'on
pouvait très légitimement escompter. Mais, dans les jugements que l'on doit
porter, quelle est la considération essentielle ? Il faut peser les avantages
et les inconvénients et, pour l'essentiel, je considère pour ma part que cet
article du code pénal a, dans l'ensemble, répondu aux besoins pour lesquels il
avait été écrit après un très long travail auquel nous sommes nombreux ici à
avoir participé. Je me souviens d'ailleurs du soutien qui nous avait été
apporté par un certain nombre de ceux qui s'interrogent lorsque, avec Charles
Jolibois, nous avons fait progresser cette idée.
Je considère que si nous n'avions pas pris de mesures dans d'autres domaines,
notamment si nous n'avions pas retenu les amendements extrêmement utiles de
notre collègue M. Alain Vasselle, peut-être y aurait-il eu lieu de s'interroger
sur les dispositions dont nous débattons en cet instant. Mais, en l'occurrence,
nous avons limité le plus possible l'effet pervers, qui existe comme nous le
savons tous.
Je crois que la navette nous éclairera à cet égard, et cela me semble
essentiel. Si nos collègues de l'Assemblée nationale acceptent peut-être, avec
l'accord de Mme le garde des sceaux, de se rallier à la position excellemment
défendue par M. Vasselle, d'une manière tellement excellente que nous l'avons
adoptée, alors, peut-être, ne sera-t-il pas nécessaire de modifier l'article
223-1 du code pénal.
Mais si d'aventure l'Assemblée nationale n'accepte pas de nous suivre sur ce
que nous avons considéré comme étant des dispositions essentielles pour
corriger des effets pervers d'autres lois, il nous faudra, à la faveur de la
navette, nous interroger à nouveau sur la portée de l'ensemble des amendements
qui nous sont proposés et sur la nécessité de les adopter.
Je crois cependant que ce n'est ni le moment ni l'occasion de porter atteinte
à une disposition qui a eu des effets utiles dans une politique répressive
normale et qui a permis de réprimer des délits qui, dans d'autres
circonstances, ne l'auraient pas été suffisamment.
Mais nous verrons bien le sort qui sera réservé aux dispositions qui nous
paraissent essentielles dans le texte dont nous sommes en train de débattre. Je
me permets de suggérer de nous réserver cette arme pour la deuxième lecture.
Nous pourrions ainsi leur dire : « Vous ne nous avez pas suivis sur ces points
qui tiennent à la protection des élus parce que vous avez considéré qu'il
fallait attendre qu'une commission remette son rapport, parce que vous n'avez
pas jugé utile d'agir avec la rapidité et la célérité qui a présidé à nos
débats au Sénat ».
Au moment de la navette, disais-je, rien ne nous empêchera de nous interroger
à nouveau sur la portée des modifications à apporter. Il n'en demeure pas moins
que, dans l'immédiat, ce dispositif ne me paraît ni techniquement ni, je me
permets de le souligner, politiquement utile.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Je souscris d'autant plus aux propos que vient de tenir M. le président de la
commission des lois que, d'après ce que nous a dit notre collègue, M. Charasse,
cet amendement ne tient plus qu'à un fil.
(M. Charasse fait un signe de protestation.)
Il a en effet sollicité Mme le ministre en lui disant qu'il était prêt à
le retirer sous réserve qu'elle s'engage à prendre une circulaire ou à faire
des recommandations. Comme l'ont dit M. le président de la commission et M. le
rapporteur, il ne faut donc pas en rajouter, ce n'est pas le moment. Il s'agit
d'une question de fond, on pourrait même dire, sans jeu de mots, qu'il s'agit
du tréfonds de notre droit pénal !
Madame la ministre, ce n'est pas à moi de vous suggérer de faire un geste,
mais donnez au moins une indication au Sénat sur vos intentions !
(M. Chérioux applaudit.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 181 rectifié, repoussé par la commission et
par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Section 4
Dispositions relatives au témoin et au témoin assisté
Articles additionnels avant l'article 6
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements présentés par MM. Bret, Dufour et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen.
« L'amendement n° 167 tend à insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Le second alinéa de l'article 178 du code de procédure pénale est abrogée.
»
« L'amendement n° 168 vise à insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« La dernière phrase du troisième alinéa de l'article 79 du code de procédure
pénale est abrogée. »
L'amendement n° 169 a pour objet d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article 179 du code de procédure pénale est abrogé.
»
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Les amendements n°s 167 et 169 ont le même objet : il s'agit de supprimer,
dans les articles 178 et 179 du code de procédure pénale, la purge automatique
des nullités introduite par la loi du 24 août 1993.
Ces articles prévoient que le fait de soulever une nullité purge la procédure
de toutes les nullités antérieures à celles-ci, sans même qu'on les ait
évoquées.
Nous considérons qu'il s'agit, en l'occurrence, d'une atteinte à la fois au
droit de la défense et aux libertés individuelles.
En effet, quand un avocat reprend un dossier en cours de procédure, par
exemple, il ne peut pas arguer d'un vice de procédure qui n'a pas été soulevé
par son prédécesseur.
Qui peut assurer que ce ne sont pas les seuls prévenus bénéficiant d'une
défense de qualité qui ont la faculté de soulever, dans les brefs délais prévus
par la loi, des nullités de procédure ?
Comment dès lors peuvent être respectés le principe de l'égalité devant la loi
et celui du droit de la défense ?
Telles sont les interrogations que je tenais à soulever à ce stade du débat et
concernant la purge automatique des nullités.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 167 et 169 ?
M. Charles Jolibois.
rapporteur.
La commission est défavorable à ces deux amendements.
M. Bret, qui a assisté à tous nos débats en commission, sait bien que nous
souhaitons que les informations soient plus rapides, que les nullités soient
couvertes et que l'on n'ait pas à tout recommencer.
L'amendement n° 167 tend à permettre que les moyens pris de la nullité des
actes puissent être soulevés après l'ordonnance de renvoi. Cela serait une
énorme régression par rapport au droit actuel et pourrait conduire à ce que des
procédures soient entièrement recommencées, alors que l'instruction est
totalement achevée. Les nullités doivent être soulevées à un moment du parcours
de l'information, mais on ne peut plus sans cesse recommencer.
Cette explication vaut également pour l'amendement n° 169.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Personnellement, je ne peux pas non plus être favorable
à ces deux amendements parce que la purge des nullités par l'ordonnance de
renvoi du juge d'instruction est la contrepartie normale des droits désormais
octroyés en cours d'instruction pour les parties de demander à la chambre
d'accusation d'annuler les actes irréguliers. C'est la raison pour laquelle je
crois que ces amendements ne sont pas opportuns.
M. le président.
Monsieur Bret, les amendements sont-ils maintenus ?
M. Robert Bret.
Je les retire, monsieur le président.
M. le président.
Les amendements n°s 167 et 169 sont retirés.
Vous avez la parole, monsieur Bret, pour défendre l'amendement n° 168.
M. Robert Bret.
Cet amendement a pour objet de supprimer la référence à la notion floue et
imprécise de trouble à l'ordre public pour maintenir un prévenu en détention
provisoire.
Cette disposition, introduite par la loi du 24 août 1993, a été certes
précisée par la loi du 30 décembre 1996.
Toutefois, nous y sommes toujours opposés et considérons qu'elle avait, à
juste titre, été supprimée de l'article 179 par la loi du 4 janvier 1993.
Aux termes de cette loi, le juge d'instruction pouvait maintenir le prévenu en
détention provisoire pour des raisons vérifiables et compréhensibles par tous,
s'agissant de la nécessité d'empêcher une pression sur les témoins ou les
victimes, de prévenir le renouvellement de l'infraction, de protéger le prévenu
ou de garantir son maintien à la disposition de la justice.
Nous sommes, comme chacun le sait, opposés à l'extension des cas de mise en
détention provisoire. C'est pourquoi nous proposons de revenir à la formulation
de la loi du 4 janvier 1993.
Tel est l'esprit de cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Nous sommes opposés à cet amendement puisque, après un long
débat, nous avons maintenu les critères de la mise en détention provisoire.
Nous avons également maintenu l'ordre public, qui nous est apparu
nécessaire.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, je ne suis pas non plus
favorable à cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 168, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 6
M. le président.
« Art. 6. - I. - Il est créé, à la section 4 du chapitre Ier du titre III du
livre Ier du même code, une sous-section 1, intitulée : "Dispositions
générales", qui comprend les articles 101 à 113.
« II. _ L'article 101 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé
:
« Lorsqu'il est cité ou convoqué, le témoin est avisé que s'il ne comparaît
pas ou s'il refuse de comparaître, il pourra y être contraint par la force
publique en application des dispositions de l'article 109. »
« III. _ Au troisième alinéa de l'article 109 du même code, les mots : "Si le
témoin ne comparaît pas" sont remplacés par les mots : "Si le témoin ne
comparaît pas ou refuse de comparaître". »
« IV. _ L'article 153 du même code est ainsi modifié :
« 1° Au deuxième alinéa, les mots : "à l'article 109, alinéas 2 et 3" sont
remplacés par les mots : "aux troisième et quatrième alinéas de l'article 109"
;
« 2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Hors les cas où elle est placée en garde à vue, conformément aux
dispositions de l'article 154, la personne entendue comme témoin ne peut être
retenue que le temps strictement nécessaire à son audition. »
« V. _ Dans le quatrième alinéa de l'article 154 du même code, après les mots
: "Les dispositions des articles", il est inséré la référence : "63,". »
Par amendement n° 14, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, après le paragraphe II de cet article, un paragraphe ainsi rédigé
;
« II
bis. -
L'article 102 du code de procédure pénale est complété par
l'alinéa suivant :
« Si le témoin est atteint de surdité, le juge d'instruction nomme d'office
pour l'assister lors de son audition un interprète en langue des signes ou
toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de
communiquer avec les sourds. Celui-ci, s'il n'est pas assermenté, prête serment
d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience. Il
peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de
communiquer avec le témoin. Si le témoin atteint de surdité sait lire et
écrire, le juge d'instruction peut également communiquer avec lui par écrit.
»
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement appartient à l'ensemble des amendements que
j'ai qualifiés d'« amendements surdité ».
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 15, M. Jolibois, au nom de la commisison des lois, propose
de supprimer le 2° du paragraphe IV de l'article 6.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'article 6 prévoit que, au cours de l'exécution d'une
commission rogatoire, « la personne entendue comme témoin ne peut être retenue
que le temps strictement nécessaire à son audition ». Ce principe figure déjà à
l'article 2 B du projet de loi ; il doit donc être supprimé à l'article 6.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 16, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de supprimer le paragraphe V de l'article 6.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il s'agit de supprimer une disposition inutile, en
l'occurrence le paragraphe V de l'article 6.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article additionnel après l'article 6
M. le président.
Par amendement n° 200, MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après les mots : "force publique", la fin de l'article 109 du code de
procédure pénale est supprimée.
« II. - Après l'article 434-15, il est inséré dans le code pénal un article
ainsi rédigé :
« Art. ... - Le fait de ne pas comparaître, sans excuse ni justification,
devant le juge d'instruction par une personne qui a été citée par lui pour y
être entendue comme témoin est puni de 11 000 F d'amende. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Les infractions et les sanctions doivent-elles figurer dans le code de
procédure pénale ou dans le code pénal ? Je pense que tout le monde est
d'accord pour dire que ce doit être dans le code pénal.
Or il se trouve - et d'ailleurs le Sénat le sait - que, en l'état actuel de
l'article 109, si le témoin ne comparaît pas, le juge d'instruction peut, sur
les réquisitions du procureur de la République, l'y contraindre par la force
publique et le condamner à l'amende prévue pour les contraventions de la
cinquième classe.
Au moment où nous sommes tous d'accord pour que le juge d'instruction n'ait
plus pour seul rôle que d'instruire à charge et à décharge, il nous paraît
qu'il ne doit sûrement pas prononcer des peines ! C'est pourquoi nous proposons
que cette compétence devienne celle du tribunal correctionnel.
Quant au montant de 11 000 francs, nous l'avons choisi pour dépasser les 10
000 francs qui en feraient une contravention.
J'ajoute que notre amendement comporte une erreur, vous l'aviez compris, que
je rectifie en tant que de besoin. Il convient en effet de préciser, après les
mots : « force publique », que c'est la fin « du troisième alinéa » de
l'article 109 du code de procédure pénale qui est supprimée. Mais chacun avait
corrigé de lui-même.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission est favorable à cet amendement, mais elle
souhaite que M. Dreyfus-Schmidt le rectifie pour que l'amende soit non plus de
11 000 francs, mais de 25 000 francs, s'il veut qu'il s'agisse d'un délit. A
moins qu'il ne préfère préciser : « est puni de l'amende prévue pour les
contraventions de la cinquième classe ».
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, que pensez-vous de la suggestion de M. le rapporteur
?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je choisis le première option, qui consiste à porter le montant de l'amende à
25 000 francs.
M. le président.
Il s'agit donc de l'amendement n° 200 rectifié, présenté par MM.
Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, et
tendant à insérer, après l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après les mots : "force publique", la fin du troisième alinéa de
l'article 109 du code de procédure pénale est supprimée.
« II. - Après l'article 434-15, il est inséré dans le code pénal un article
ainsi rédigé :
«
Art. 434-15-1
Le fait de ne pas comparaître, sans excuse ni
justification, devant le juge d'instruction par une personne qui a été citée
par lui pour y être entendue comme témoin est puni de 25 000 francs d'amende.
».
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée sur
cet amendement.
Il est vrai que nous avons besoin de dispositions permettant à un juge
d'instruction de condamner un témoin défaillant. Ce type de dispositions existe
d'ailleurs à l'échelon du tribunal correctionnel ou de la cour d'assises, et
même si ces mesures sont, en pratique, peu utilisées, je crois qu'il est
important de maintenir une forme d'astreinte.
La situation est très comparable à celle qui prévaut pour les condamnations à
des amendes civiles que les juridictions civiles ou administratives peuvent
prononcer. Cependant, est-il souhaitable de remplacer une contravention de
cinquième classe, symbolique mais dissuasive, par un délit passible du tribunal
correctionnel, ce qui est plus sévère mais peut-être moins efficace ? Je laisse
au Sénat le soin de trancher.
M. Hubert Haenel.
C'est plus cohérent !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 200 rectifié, accepté par la commission et
pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 6.
Article 7
M. le président.
« Art. 7. _ Il est inséré, après l'article 113 du même code, une sous-section
2 ainsi rédigée :
« Sous-section 2
«
Du témoin assisté
«
Art. 113-1
. _ Toute personne nommément visée par un réquisitoire
introductif et qui n'est pas mise en examen ne peut être entendue que comme
témoin assisté.
«
Art. 113-2
. _ Toute personne nommément visée par une plainte avec
constitution de partie civile et qui n'est pas mise en examen peut être
entendue comme témoin assisté. Elle est obligatoirement entendue en cette
qualité si elle en fait la demande.
« Toute personne nommément visée par une plainte ou une dénonciation et qui
n'est pas mise en examen peut être entendue comme témoin assisté.
«
Art. 113-3
. _ Le témoin assisté bénéficie des droits reconnus aux
personnes mises en examen.
«
Art. 113-4
. _ Lors de la première audition du témoin assisté, le juge
d'instruction constate son identité, lui donne connaissance du réquisitoire
introductif, de la plainte ou de la dénonciation, l'informe de ses droits et
procède aux formalités prévues aux deux derniers alinéas de l'article 116.
Mention de cette information est faite au procès verbal.
« Le juge d'instruction peut, par l'envoi d'une lettre recommandée, faire
connaître à une personne qu'elle sera entendue en qualité de témoin assisté.
Cette lettre comporte les informations prévues à l'alinéa précédent. Elle
précise que le nom de l'avocat choisi ou la demande de désignation d'un avocat
commis d'office doit être communiqué au greffier du juge d'instruction.
«
Art. 113-5
. _ Le témoin assisté ne peut être placé sous contrôle
judiciaire ou en détention provisoire, ni faire l'objet d'une ordonnance de
renvoi ou de mise en accusation.
«
Art. 113-6
. _ Les dispositions du premier alinéa de l'article 105 ne
sont pas applicables à la personne entendue comme témoin assisté.
«
Art. 113-7
. _ Le témoin assisté ne prête pas serment.
«
Art. 113-8
. _ Le juge d'instruction peut mettre en examen à tout
moment de la procédure, dans les conditions prévues à l'article 80-1, une
personne entendue comme témoin assisté. Lorsque cette mise en examen est faite
par lettre recommandée, conformément aux dispositions du troisième alinéa de
l'article 80-1, cette lettre peut être adressée en même temps que l'avis prévu
à l'article 175, qui précise alors que la personne dispose d'un délai de vingt
jours pour formuler une demande ou présenter une requête sur le fondement du
neuvième alinéa de l'article 81, de l'article 82-1, du premier alinéa de
l'article 156 et du troisième alinéa de l'article 173. »
ARTICLE 113-1 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
M. le président.
Sur le texte proposé pour l'article 113-1 du code de procédure pénale, je ne
suis saisi d'aucun amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 113-2 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
M. le président.
Par amendement n° 17, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit le texte présenté par cet article 113-2 du code de
procédure pénale :
« Art. 113-2. -
Toute personne nommément visée par une plainte ou une
dénonciation, ou mise en cause par la victime ou par un témoin en cours
d'instruction, ou contre laquelle il existe des indices laissant présumer
qu'elle a pu commettre une infraction, et qui n'est pas mise en examen peut
être entendue comme témoin assisté. Elle l'est obligatoirement si elle en fait
la demande. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 267, déposé par le
Gouvernement, et visant à compléter le texte proposé par l'amendement n° 17 par
les mots : « dès lors qu'elle fait l'objet d'une plainte avec constitution de
partie civile nominative. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 17.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement ouvre un débat, qui sera peut-être bref, sur
la notion de « témoin asssisté ».
Il s'agit d'une disposition clé du projet de loi si vous voulez - nous le
voulons tous et c'était d'ailleurs l'objectif de la commission - éviter les
mises en examen intempestives. Il fallait en effet trouver une solution pour
que le juge puisse éviter qu'on ne lui reproche de ne pas avoir mis en examen
une personne sur laquelle pesait des soupçons précis, ce qui est un cas de
nullité. La Cour de cassation casse souvent des informations parce qu'elle
estime qu'une personne n'a pas bénéficié de l'ensemble des droits de la défense
alors que pesaient sur elle des soupçons ; c'est le fameux article 105.
Qu'a-t-on fait ? Il y a d'abord le statut de témoin assisté. Le projet de loi
consacre son rôle, que nous avons voulu renforcer encore.
Le projet de loi prévoit que le juge peut accorder le statut de témoin assisté
à toutes les personnes visées par un réquisitoire introductif, par une plainte
avec constitution de partie civile ou par une plainte ou une dénonciation.
La commission a estimé souhaitable de permettre en outre au juge de donner ce
statut à toute personne mise en cause par un témoin ou par la victime, et ce à
quelque stade de la procédure que ce soit, ainsi qu'a toute personne contre
laquelle il existe des indices.
Cet élargissement vise à restreindre l'utilisation de la mise en examen aux
seuls cas où il est inévitable de sortir du statut de témoin assisté.
Je rappelle que le témoin assisté a le droit de connaître le dossier et qu'il
a droit à l'assistance d'un avocat.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour donner l'avis du Gouvernement
sur l'amendement n° 17 et pour présenter le sous-amendement n° 267.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Ainsi que je l'ai dit hier dans mon discours
introductif, le Gouvernement estime qu'il serait bon d'étendre la procédure du
témoin assisté.
Cette procédure, que le Gouvernement a souhaité renforcer, est en effet
destinée à éviter que l'on mette en examen des personnes qui n'auraient pas à
l'être et qui pourraient être simplement entendues comme témoins, cela pour
éviter l'opprobre qui s'attache à la procédure de la mise en examen.
La commission, elle aussi, propose d'étendre la procédure du témoin assisté.
Je suis favorable à sa proposition, et donc à l'amendement n° 17, mais je
souhaite sous-amender ce dernier parce qu'il ne me paraît pas souhaitable tout
de même de donner trop largement aux personnes entendues comme simples témoins
le droit de demander à bénéficier de cette procédure.
En effet, de telles demandes, si elles deviennent systématiques, risquent de
paralyser le travail du juge, ainsi que celui des enquêteurs agissant sur
commission rogatoire, à chaque fois qu'ils voudront entendre une personne comme
témoin.
Il n'est d'ailleurs pas souhaitable que de trop nombreuses personnes puissent
systématiquement disposer des droits des parties à la procédure, et notamment
le droit d'avoir la communication du dossier, en raison des risques d'atteinte
au bon déroulement de l'instruction.
Pensez à ce qui peut se passer en cas de crime en bande organisée : supposez
qu'une personne s'attende à être entendue comme témoin, elle demandera
immédiatement à être témoin assisté de façon à bénéficier de l'accès au
dossier. Il y a là un danger contre lequel il faut se prémunir.
Il est donc préférable de limiter aux personnes faisant l'objet d'une plainte
avec constitution de partie civile nominative le droit d'être entendues comme
témoins assistés à leur demande.
Les personnes faisant l'objet d'une simple plainte ou d'une dénonciation,
mises en cause par la victime ou par un témoin ou contre lesquelles il existe
de simples indices pourront être entendues comme témoins assistés, mais ce
choix relèvera du seul juge d'instruction.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 267.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission estime que le sous-amendement n° 267 réduit
considérablement l'effort que nous faisions pour augmenter le nombre de cas de
témoins assistés.
Le statut de témoin assisté tel que nous le proposons est nécessaire ; si on
l'accepte, il y aura plus de témoins assistés ; dans le cas contraire, il y
aura plus de mises en examen. Aussi, la commission a émis un avis défavorable
sur le sous-amendement n° 267.
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 267.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
En cet instant du débat, je tiens à attirer l'attention du Sénat parce que
nous sommes au coeur du sujet.
En effet, il s'agit de savoir quelle est la situation de la personne impliquée
dans une procédure pénale. Tout l'effort du projet de loi, mais aussi de la
commission des lois du Sénat a consisté à accroître les droits de la personne
qui est impliquée dans une procédure pénale mais contre laquelle ne sont pas
réunis les indices graves ou concordants qui commandent une mise en examen.
En fait, il existe trois situations.
Il y a le cas de celui qui se trouve mêlé à une procédure pénale par le fait
du hasard. Il est témoin, il doit déposer. Il le fait sous la foi du serment.
Il n'est pas autrement impliqué, il sert à éclairer la marche de la justice.
C'est le statut du témoin pur et simple, nous le connaissons.
La deuxième situation est celle d'une personne contre laquelle il n'existe pas
d'indice grave et concordant laissant présumer qu'elle peut être l'auteur de
l'infraction mais qui se trouve, cependant, mise en cause dans cette procédure,
à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile, dans laquelle
interviennent beaucoup de règlements de compte entre particuliers, notamment
dans certains milieux, d'une plainte simple ou tout simplement d'une
dénonciation contre lui faite ou, enfin, si la marche de l'enquête conduit à
faire peser sur lui des indices qui ne sont ni graves ni concordants.
Dans toutes ces hypothèses, il n'y a pas lieu pour le juge de prononcer de
mise en examen. Il est important de le souligner parce que, malheureusement,
pour le public la « mise en examen » égale l'« inculpation » de jadis égale «
présumé coupable ». Donc, celui qui est impliqué, mais contre lequel il n'y a
pas d'indices graves ou concordants doit bénéficier du statut de témoin
assisté. Il viendra, certes, comme témoin, mais il aura le droit d'être assisté
d'un avocat dans le cabinet du juge d'instruction, et cet avocat aura,
naturellement, accès au dossier.
Puis il y a une troisième situation, celle de la personne contre laquelle ont
été réunis des indices graves ou concordants. Dans ce cas, la mise en examen
s'impose, assortie de tous les droits qui sont les droits d'une partie.
Le sous-amendement pose la question de savoir si toute personne qui se trouve
ainsi impliquée, mais contre laquelle il n'y a pas d'indices graves ou
concordants, peut revendiquer le statut de témoin assisté ou si cette décision
est laissée à la discrétion du juge.
En commission des lois, après un travail très approfondi, nous avons considéré
que le bénéfice de ce statut était un droit dès l'instant qu'il n'existait pas
d'indices graves ou concordants et que, dès lors, la personne concernée avait
droit à l'assistance d'un avocat.
Selon Mme la garde des sceaux, c'est au magistrat instructeur d'en décider.
Dans ces conditions, on peut se demander où est le progrès.
Je ne pense pas, madame le garde des sceaux, que la précaution que vous
évoquez, dont je comprends bien l'inspiration, puisse être véritablement
retenue, et ce pour la simple raison qu'il ne peut s'agir de personnes
impliquées.
Vous évoquez le cas où l'on s'attribuerait soi-même le statut de témoin
assisté. Je rappelle que seule peut être témoin assisté une personne qui a été
dénoncée, visée par une victime, avec ou sans constitution de partie civile,
peu importe, ou contre laquelle le cours de l'enquête a montré qu'il pouvait
exister des indices. Elle est déjà impliquée, mais n'est pas encore, ou ne le
sera jamais, mise en examen.
Il n'est pas possible de se créer à soi-même ce droit. En revanche, il est
possible de le revendiquer dès l'instant où l'on est convoqué chez le magistrat
instructeur pour y répondre à des questions, mais cette fois avec l'assistance
d'un avocat. Voilà qui constitue un progrès très importants au regard du
renforcement de la présomption d'innocence, ce qui est notre objectif.
Qu'entend-on pas « renforcer la présomption d'innocence » ? C'est améliorer la
situation procédurale de la personne impliquée dans un procès pénal. C'est très
exactement ce que nous faisons en étendant le statut du témoin assisté.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien ! C'est lumineux !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 267, repoussé par la commission.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 17, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, le texte proposé pour l'article 113-2 du code de procédure
pénale est ainsi rédigé.
ARTICLE 113-3 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
M. le président.
Par amendement n° 201, MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte présenté par
l'article 7 pour l'article 113-3 du code de procédure pénale :
«
Art. 113-3. -
Le témoin assisté bénéficie du droit à être assisté
d'un avocat et a accès au dossier de l'instruction. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Cet amendement, comme l'amendement n° 202, précise le statut de témoin
assisté.
Par l'amendement n° 201, nous demandons que les droits du témoin assisté
soient très exactement précisés, droits que nous limitons à l'assistance de
l'avocat qui l'accompagne chez le juge d'instruction et qui, bien entendu, a
accès au dossier. Mais nous considérons que l'on ne doit pas donner au témoin
assisté la qualité de défendeur à l'action pénale, c'est-à-dire la qualité de
partie, pour la simple raison qu'il n'a pas été mis en examen.
M. Hubert Haenel.
Il ne peut pas faire appel !
M. Robert Badinter.
Il ne peut pas demander des mesures d'instruction. Il est témoin. Il ne peut
pas exercer les droits du défendeur. Il n'est pas partie.
Confondre témoin et partie me paraît conduire à une situation hybride,
difficilement soutenable. On doit marquer la distinction. C'est pourquoi nous
avons déposé cet amendement précisant les droits du témoin assisté : il a le
droit d'être assisté d'un avocat ; il peut prendre connaissance du dossier.
Mais cela doit s'arrêter là. Le mis en examen, c'est autre chose.
Il faut absolument marquer la distinction entre le témoin assisté et le mis en
examen faute de quoi, pour l'opinion publique, le témoin assisté deviendrait le
mis en examen et l'on se retrouverait dans la situation contre laquelle nous
voulons lutter.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission est favorable à cet amendement, qui donne au
témoin assisté un statut nouveau : il aura le droit d'être assisté d'un avocat
et il aura accès au dossier d'instruction.
Cependant, il n'aura pas le droit de demander des actes d'instruction...
M. Hubert Haenel.
Ni de faire appel !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... ni de faire appel, en effet. Ce sera donc un intervenant
limité.
J'annonce que nous serons également favorables à l'amendement n° 202 que M.
Badinter va présenter dans quelques instants. En effet, l'ensemble que
constituent les amendements n°s 201 et 202, combiné au fait que le témoin
assisté ne pourra plus prêter serment, fait de celui-ci, en quelque sorte, un
personnage complet. Le juge pourra recourir à cette procédure dans plusieurs
cas, ce qui, nous l'espérons, permettra de diminuer le nombre des mises en
examen sans que cela affecte l'efficacité de l'instruction.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le projet initial du Gouvernement prévoyait de donner
au témoin assisté l'ensemble des droits reconnus aux personnes mises en examen.
L'amendement n° 201 tend à limiter ces droits en ne retenant que celui d'être
assisté par un avocat et celui d'avoir accès au dossier.
A la réflexion, je suis favorable à cet amendement. Je pense en effet qu'il
importe de distinguer clairement le témoin assisté du mis en examen. Or cette
distinction serait moins nette s'ils avaient exactement les mêmes droits.
En outre, il importe d'inciter les juges à utiliser cette procédure. Or
l'incitation serait plus faible si un témoin assisté pouvait adresser au juge
autant de demandes qu'un mis en examen.
Je me demande toutefois - mais nous pourrons revoir cela au cours de la
navette - si un autre droit ne devrait pas être donné au témoin assisté, celui
de demander à être confronté à ses éventuels accusateurs, car cela me paraît
découler de la logique même de l'institution, surtout si l'information a été
engagée à la suite d'une constitution de partie civile.
Je suis donc favorable à l'amendement n° 201, mais je serai sans doute amenée,
dans un instant, à émettre un avis défavorable sur l'amendement n° 202.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 201.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Ce qui vient de nous être proposé me convient tout à fait. Le statut de témoin
assisté devient ainsi parfaitement lisible et opérationnel.
Cette disposition que propose M. Badinter conduira de plus en plus les juges
d'instruction à descendre d'un cran, passant de la mise en examen au témoin
assisté. Il y aura ainsi trois niveaux : le simple témoin, le témoin assisté et
le mis en examen. Si nous arrivons à cela, je pense que nous aurons fait un
gros progrès.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 201, accepté par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, le texte proposé pour l'article 113-3 du code de procédure
pénale est ainsi rédigé.
ARTICLES 113-4 ET 113-5
DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
M. le président.
Sur les textes proposés pour les articles 113-4 et 113-5 du code de procédure
pénale, je ne suis saisi d'aucun amendement.
Je les mets aux voix.
(Ces textes sont adoptés.)
ARTICLE 113-6 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
M. le président.
Par amendement n° 202, M. Badinter propose de supprimer le texte présenté par
l'article 7 pour l'article 113-6 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Comme l'a souligné M. le rapporteur, cet amendement est directement lié à ce
que nous avons dit précédemment concernant le statut du témoin assisté.
Pour que notre texte revête toute sa portée, il est absolument nécessaire que
soit bien marquée la distinction entre le témoin assisté et le mis en
examen.
La mise en examen doit être prononcée lorsqu'il existe des indices « graves ou
concordants », puisque le Sénat en a décidé ainsi, sur proposition du
Gouvernement. J'aurais préféré, pour ma part, qu'on en reste à la formule
traditionnelle, « graves et concordants », mais peu importe !
A partir du moment où de tels indices sont réunis, c'est qu'existent contre la
personne en cause des charges si sérieuses qu'elle doit devenir partie au
procès pénal, avec tous les droits que cela implique.
On pourrait presque dire depuis toujours, en tout cas depuis le code de
l'instruction criminelle, il est un principe fondamental de la procédure pénale
qui veut que, lorsque se trouvent réunis contre une personne des indices graves
et concordants, le juge d'instruction doit l'inculper ou, selon la nouvelle
terminologie, le mettre en examen.
Il s'agit précisément de faire en sorte que cette personne bénéficie de tous
les droits de la défense. C'est pourquoi on a toujours considéré que devaient
être frappés de nullité les actes de procédure pris à l'encontre d'un
justiciable qui, au lieu d'être mis en examen comme il aurait dû l'être, a
continué à être traité en simple témoin.
Dans la mesure où nous voulons que le témoin assisté n'ait droit qu'à
l'assistance d'un avocat et à la connaissance du dossier, c'est-à-dire qu'il ne
puisse pas bénéficier des autres droits accordés à la personne mise en examen -
voies de recours, etc. - nous revenons à la situation antérieure : il n'est pas
possible au juge d'instruction, même si cela l'arrange, de laisser dans la
situation de témoin assisté celui contre lequel il existe des charges
suffisamment graves pour qu'il soit mis en examen et accède ainsi à la totalité
des droits de la défense, sauf à courir le risque de voir toute la procédure
annulée.
Si j'ai tenu à déposer cet amendement, c'est parce qu'il convient de maintenir
ce qui est à la fois une garantie pour le justiciable, une sauvegarde pour le
magistrat instructeur et l'assurance de ne pas voir des procédures annulées
pour une mise en examen tardive, ce qui constitue toujours une violation
substantielle des droits de la défense.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je l'ai déjà indiqué, la commission des lois est favorable à
cet amendement, qui permet de « boucler » le système.
En effet, il faut absolument que le juge d'instruction soit obligé de mettre
en examen une personne contre laquelle existent des indices graves et
concordants : dès que ceux-ci apparaissent, elle ne peut plus être ni témoin ni
témoin assisté, elle doit être mise en examen.
Par conséquent, on ne saurait admettre que les dispositions du premier alinéa
de l'article 105 ne soient pas applicables à la personne entendue comme témoin
assisté, puisque c'est précisément cet article qui prévoit la nullité dans le
cas où l'on a continué à entendre comme témoin quelqu'un contre qui existent
des indices graves et concordants.
Avec l'amendement n° 202, le système est cohérent, comprenant les trois étages
qu'a évoqués M. Haenel.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Ainsi que je l'ai laissé entendre tout à l'heure, dans
un premier mouvement, je n'étais pas favorable à cet amendement. A la
réflexion, je crois que je vais adopter une position moins négative.
En effet, en l'absence de la modification introduite par l'amendement n° 201,
il y aurait indiscutablement un risque à rétablir l'application au témoin
assisté des dispositions de l'article 105 sanctionnant les mises en examen
tardives : celui de voir les juges d'instruction renoncer à appliquer la
procédure du témoin assisté précisément pour éviter les foudres de l'article
105.
Plusieurs d'entre eux l'ont dit à la Chancellerie lors des travaux
préparatoires : ils se demandent s'ils ne risquent pas de s'exposer à la
nullité de la procédure pour mise en examen tardive d'une personne qui était
témoin assisté. C'est d'ailleurs ce qui explique que l'actuelle procédure du
témoin assisté soit rarement utilisée.
M. Michel Charasse.
Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il est vrai que, pour éviter la nullité, les juges vont
recourir plus vite à la mise en examen, voire y recourir d'emblée. Il est
évident que si ce risque est écarté du fait de la non-application du premier
alinéa de l'article 105, soit la personne sera mise en examen plus tard, soit,
et c'est là l'intérêt, elle ne sera jamais mise en examen.
Voilà pourquoi je pensais qu'il était préférable de ne pas appliquer au statut
des témoins assistés cette sanction pour mise en examen tardive.
Dès lors que l'adoption de l'amendement n° 201 permet de mieux distinguer le
statut de mis en examen et celui de témoin assisté, je me demande si ce risque
n'est pas minimisé. Je ne suis pas, pour autant, absolument certaine qu'il soit
dissipé.
Je vais donc m'en remettre à la sagesse du Sénat, étant entendu que, au cours
de la navette, nous devrions réfléchir plus avant à cette question afin de nous
assurer que ce risque n'est pas trop grand.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 202.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement, il ne faut pas qu'on entende comme témoin une personne qui
devrait être mise en examen. Cependant, nous voulons aussi éviter que la mise
en examen soit systématique. Or le juge peut être tenté, pour se prémunir
contre toute nullité, de mettre l'intéressé en détention.
C'est pourquoi, dans un premier temps, j'étais contre votre amendement,
monsieur Badinter, considérant que les juges d'instruction risquaient fort de
garder leurs habitudes et de continuer à ne pas utiliser la procédure du témoin
assisté, parce qu'il est beaucoup plus simple pour eux de mettre en
détention.
Je crois que le principal intérêt du témoin assisté se manifeste lorsqu'il y a
plainte avec constitution de partie civile. Aujourd'hui, en effet, plainte avec
constitution de partie civile signifie mise en examen automatique. C'est ainsi
que beaucoup de responsables sont mis en examen sans qu'il y ait la moindre
intervention du parquet.
On peut voter cet amendemnet, mais il faut bien réfléchir à ses conséquences.
En étant trop restrictif, ne risque-t-on pas de priver totalement de ses effets
la procédure du témoin assisté que nous voulons promouvoir ?
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Nous sommes tout à fait favorables à l'amendement que vient de présenter M.
Badinter.
Il me paraît toutefois nécessaire de préciser que nous sommes là en cohérence
avec ce que nous avons voté à l'article 3
bis.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 202, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, le texte proposé pour l'article 113-6 du code de procédure
pénale est supprimé.
ARTICLE 113-7 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
M. le président.
Sur le texte proposé pour l'article 113-7 du code de procédure pénale, je ne
suis saisi d'aucun amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 113-8 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
M. le président.
Par amendement n° 92, M. Hyest propose de rédiger ainsi le texte présenté par
l'article 7 pour l'article 113-8 du code de procédure pénale :
«
Art. 113-8.
- Si le juge d'instruction décide de mettre en examen un
témoin assisté, il rend l'ordonnance prévue à l'article 80-1. Les dispositions
des premier et deuxième alinéas de l'article 81-2 et du quatrième alinéa de
l'article 116 ne sont pas applicables. L'avis prévu par l'article 175 peut être
adressé lorsque l'ordonnance de mise en examen est devenue définitive. »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il s'agissait d'un amendement de conséquence, monsieur le président. En raison
des votes qui sont intervenus, il n'a plus d'objet et je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 92 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 113-8 du code de procédure
pénale.
(Ce texte est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
M. le président.
« Art. 8. _ Il est inséré, après l'article 197 du même code, un article 197-1
ainsi rédigé :
«
Art. 197-1
. _ En cas d'appel d'une ordonnance de non lieu, le témoin
assisté peut, par l'intermédiaire de son avocat, faire valoir ses observations
devant la chambre d'accusation. La date de l'audience est notifiée à
l'intéressé et à son avocat conformément aux dispositions de l'article 197. » -
(Adopté.)
Section 5
Dispositions renforçant les droits des parties
au cours de l'audience de jugement
Article 9 A
M. le président.
« Art. 9 A. _ L'article 312 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 312
. _ Sous réserve des dispositions de l'article 309, l'accusé
et la partie civile peuvent poser des questions, par l'intermédiaire du
président, aux accusés, aux témoins et à toutes personnes appelées à la
barre.
« Sous les mêmes réserves, le ministère public et les conseils de l'accusé et
de la partie civile peuvent directement poser des questions aux accusés et aux
témoins et à toutes personnes appelées à la barre en demandant la parole au
président. »
Par amendement n° 18, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit le texte présenté par cet article pour l'article 312 du
code de procédure pénale :
«
Art. 312.
- Sous réserve des dispositions de l'article 309, le
ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des
questions à l'accusé, à la partie civile, aux témoins et à toutes les personnes
appelées à la barre, en demandant la parole au président.
« L'accusé et la partie civile peuvent également poser des questions par
l'intermédiaire du président. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel tendant à faire en
sorte que les rédactions des articles 9 A et 9 permettant aux avocats de poser
directement des questions au cours d'un procès criminel ou correctionnel soient
aussi proches que possible.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 9 A, ainsi modifié.
(L'article 9 A est adopté.)
Article 9 B
M. le président.
« Art. 9 B. _ L'article 345 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 345
. _ Si l'accusé est sourd, le président nomme d'office une
interface : interprète en langue des signes, codeur en langage parlé complété
ou transcripteur.
« Il en est de même à l'égard du témoin sourd.
« Le président fait prêter serment à l'interface d'apporter son concours à la
justice en son honneur et en sa conscience.
« Si le sourd sait écrire, le greffier écrit les questions ou observations que
peut vouloir faire le président par écrit ; elles sont remises à l'accusé ou au
témoin qui donne par écrit ses réponses.
« Il est fait lecture du tout par le greffier. »
Par amendement n° 19, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit le texte présenté par cet article pour l'article 345 du
code de procédure pénale :
«
Art. 345.
- Si l'accusé est atteint de surdité, le président nomme
d'office pour l'assister lors du procès un interprète en langue des signes ou
toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de
communiquer avec les sourds. Celui-ci prête serment d'apporter son concours à
la justice en son honneur et en sa conscience.
« Le président peut également décider de recourir à tout dispositif technique
permettant de communiquer avec la personne atteinte de surdité.
« Si l'accusé sait lire et écrire, le président peut également communiquer
avec lui par écrit.
« Les autres dispositions du précédent article sont applicables.
« Le président peut procéder de même avec les témoins ou les parties civiles
atteints de surdité. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement appartient à ce que j'ai appelé les «
amendements surdité »
(Sourires.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, accepté par le Gouvernement ?
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 9 B, ainsi modifié.
(L'article 9 B est adopté.)
Article 9 C
M. le président.
« Art. 9 C. _ L'article 408 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 408
. _ Si le prévenu est sourd, le président nomme d'office une
interface : interprète en langue des signes, codeur en langage parlé complété
ou transcripteur.
« Il en est de même à l'égard du témoin sourd.
« Le président fait prêter serment à l'interface d'apporter son concours à la
justice en son honneur et en sa conscience.
« Si le prévenu sourd sait écrire, le greffier écrit les questions ou
observations que peut vouloir faire le président par écrit ; elles sont remises
à l'accusé ou au témoin qui donne par écrit ses réponses.
« Il est fait lecture du tout par le greffier. »
Par amendement n° 20, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit le texte présenté par cet article pour l'article 408 du
code de procédure pénale :
«
Art. 408.
- Si le prévenu est atteint de surdité, le président nomme
d'office pour l'assister lors du procès un interprète en langue des signes ou
toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de
communiquer avec les sourds. Celui-ci prête serment d'apporter son concours à
la justice en son honneur et en sa conscience.
« Le président peut également décider de recourir à tout dispositif technique
permettant de communiquer avec la personne atteinte de surdité.
« Si le prévenu sait lire et écrire, le président peut également communiquer
avec lui par écrit.
Les autres dispositions du précédent article sont applicables.
« Le président peut procéder de même avec les témoins ou les parties civiles
atteints de surdité. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement a le même objet que le précédent.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 20, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 9
C
, ainsi modifié.
(L'article 9 C est adopté.)
Article 9
M. le président.
« Art. 9. _ I. _ Il est inséré, après l'article 442 du même code, un article
442-1 ainsi rédigé :
«
Art. 442-1
. _ Sous réserve des dispositions de l'article 401, le
ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des
questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins, et à toutes personnes
appelées à la barre, en demandant la parole au président.
« Le prévenu et la partie civile peuvent également poser des questions par
l'intermédiaire du président. »
« II. _ La deuxième phrase de l'article 442 est supprimée.
« III. _ Le premier alinéa de l'article 454 du même code est ainsi rédigé :
« Après chaque déposition, le président et, dans les conditions prévues à
l'article 442-1, le ministère public et les parties posent au témoin les
questions qu'ils jugent nécessaires. »
- (Adopté.)
Articles additionnels après l'article 9
M. le président.
Par amendement n° 114 rectifié, M. Charasse propose d'insérer, après l'article
9, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 40 du code de procédure pénale est complété
in fine
par un
alinéa ainsi rédigé :
« Hormis pour la prévention, la recherche et la répression des infractions
prévues au livre II du code pénal, de celles entrant dans le champ
d'application des articles 706-16 et 706-26 et de celles concernant les
intérêts fondamentaux de la nation, il ne peut être, à peine de nullité des
actes, effectué aucune vérification ni réservé aucune suite aux dénonciations
adressées anonymement, par quelque moyen que ce soit, aux autorités
administratives ou judiciaires. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il s'agit ici de la reprise d'un texte qui avait déjà été voté par le Sénat en
1997, à l'occasion d'une loi présentée par M. Toubon sur les cours d'assises,
et qui vise à interdire l'exploitation des dénonciations adressées anonymement
aux autorités administratives et judiciaires. C'est un texte qui avait été
adopté à l'époque ; je ne le commenterai pas plus avant.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Nous avons examiné avec attention cet amendement extrêmement
intéressant.
Bien entendu, tout le monde est
a priori
très défavorable aux
dénonciations anonymes, celles-ci se distinguant évidemment des plaintes avec
constitution de partie civile ou des plaintes signées.
Cependant, nous n'avions pas émis un avis favorable sur cet amendement n° 114,
parce que les exceptions de la première rédaction n'apportaient pas
suffisamment de précision. Or, maintenant, dans l'amendement n° 114 rectifié,
nous voyons apparaître la précision souhaitée : « Hormis la prévention, la
recherche et la répression des infractions prévues au livre II du code pénal.
»
Par conséquent, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat sur cet
amendement, je le répète, extrêmement intéressant.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis défavorable à cet amendement qui tend à
interdire l'utilisation par les autorités judiciaires des dénonciations
anonymes, sauf pour certaines infractions limitativement énumérées. Bien
évidemment, je ne défends pas la pratique, détestable, des dénonciations
anonymes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela revient au même !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Non, monsieur le sénateur, cela ne revient pas au même
! Mais, entre ce jugement moral et les conséquences juridiques que l'on tire de
cet amendement, il y a un fossé que je ne franchis pas.
Je rappelle tout d'abord que, bien entendu, une dénonciation anonyme ne peut
pas constituer une preuve permettant de condamner une personne.
En outre, une dénonciation anonyme ne peut pas autoriser une enquête de
flagrance si cette dénonciation n'est pas corroborée par des éléments de
fait.
Sur ces deux points, notre droit et notre jurisprudence sont clairs : on ne
peut pas utiliser les dénonciations anonymes.
Faut-il aller plus loin et interdire qu'une dénonciation anonyme puisse
entraîner des vérifications de la part des services de police judiciaire ? La
réponse négative est si évidente que vous avez vous-même éprouvé le besoin,
monsieur Charasse, d'assortir cette interdiction d'une liste d'exception qui,
d'ailleurs, ne cesse de s'allonger au fil des débats, me semble-t-il.
Cette liste demeure incomplète : sont visés, à l'heure actuelle, les
infractions contre les personnes, les actes de terrorisme, les actes de
trahison et d'espionnage, cas dans lesquels on accepterait, par conséquent, les
dénonciations anonymes. Mais alors,
quid
du vol à main armée ? La police
qui serait avertie qu'un braquage va avoir lieu dans telle banque, tel jour, à
telle heure, devrait-elle rester les bras croisés sans vérifier que la
dénonciation anonyme a une base de vérité ?
Je pourrais multiplier les exemples ! Le principe même de l'interdiction ne me
paraît pas justifié. Les limitations de l'utilisation de la dénonciation
anonyme qui figurent déjà dans notre droit sont, en effet, tout à fait
pertinentes et suffisantes.
C'est pourquoi je vous demande de rejeter l'amendement n° 114 rectifié.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 114 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il s'agit évidemment d'un problème qui interpelle : personne n'aime les
dénonciations anonymes, et encore moins lorsqu'elles n'apparaissent pas dans le
dossier, alors qu'elles sont faussement anonymes. Cela arrive aussi !
Mais je crois sincèrement que notre ami MichelCharasse commet une erreur
lorsqu'il compare - il l'a déjà fait devant le Sénat et je ne suis pas sûr que,
dans un premier temps, je ne l'ai pas soutenu - notre époque à la période
1940-1944 où les dénonciations anonymes étaient extrêmement nombreuses. Ce
n'est pas comparable ! Les dénonciations concernaient des personnes qui étaient
patriotes ou dans une situation qui relevait d'un certain statut. Ces
dénonciations ne portaient pas sur des délits ou des crimes de droit commun. Au
contraire, si j'ose dire !
C'est pourquoi je pense que comparaison n'est pas raison et qu'il convient de
prendre en considération ce que vient de dire Mme la garde des sceaux.
Lorsqu'il y a une alerte à la bombe, on évacue tout le monde pour procéder aux
vérifications nécessaires, même si cette alerte devait être fausse.
M. Michel Charasse.
C'est le terrorisme ! C'est exclu !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est la même chose ! Pourquoi voulez-vous choisir entre les uns et les autres
? Ce qui est vrai pour tel crime ou pour tel délit est également vrai pour les
autres.
C'est pourquoi, à mon grand regret, je voterai contre cet amendement.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
A ma connaissance, la dénonciation anonyme est interdite dans plus de vingt
constitutions. Dans des régimes récents, la dénonciation anonyme était à la
base de poursuites pénales. Dans un régime qui ne serait plus démocratique, la
dénonciation anonyme risquerait donc d'être systématiquement utilisée pour
faire en sorte que l'Etat arrive à ses fins.
Si nos compatriotes étaient naturellement bons, comme le pensait Jean-Jacques
Rousseau, j'irais dans le sens de notre ami Michel Dreyfus-Schmidt. Mais les
dénonciations anonymes sont quotidiennes et elles sont de plus en plus
nombreuses : on veut se venger du propriétaire, du voisin... Bien entendu - et
madame le garde des sceaux pourra nous le confirmer - la plupart de ces
dénonciations anonymes sont classées sans suite.
Cependant, quand un inspecteur des impôts veut coincer quelqu'un, la
dénonciation anonyme tombe bien. Quand on veut nuire à un voisin ou à un
ami...
M. Michel Charasse.
Et les juges qui s'envoient à eux-mêmes des lettres anonymes !
M. Patrice Gélard.
Exactement ! Ne jouons pas l'angélisme. Prenons l'exemple d'un commissaire de
police qui recevrait une dénonciation anonyme à propos d'un braquage : tout à
fait par hasard, les forces de police seraient là, qu'on adopte ou non ce texte
!
M. Jean-Jacques Hyest.
Alors, ce n'est pas la peine de le voter !
M. Patrice Gélard.
Ce qui me gêne, mais le braqueur, c'est le citoyen lambda qui, à tout moment,
pourra faire l'objet de la dénonciation d'un ennemi, d'un voisin, d'un client
mécontent ou autre.
C'est ce à quoi il faut mettre fin ! C'est la raison pour laquelle je me
rallierai à l'amendement déposé par M. Charasse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faut vouloir ce que l'on ne peut empêcher !
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Outre mes fonctions de sénateur, je suis conseiller général du canton de
Châteldon dans le Puy-de-Dôme, à quelques encablures de Vichy. Lorsque j'ai été
élu maire en 1977, des travaux ont été effectués dans le bureau de poste de ma
commune et l'on a découvert un sac postal intact qui datait de la dernière
guerre : il contenait une collection complète de dénonciations anonymes
adressées à la Kommandantur.
Parmi ces dénonciations se trouvaient celles auxquelles a fait allusion Michel
Dreyfus-Schmidt voilà un instant, mais il y avait aussi des dénonciations plus
pitoyables encore, de jalousie, de méchanceté, de voisinage... Non pas que les
autres ne soient pas pitoyables, mais elles étaient d'une autre nature, si je
puis dire. On sait très bien que, à l'époque, la Kommandantur donnait suite à
ces dénonciations, et nombreux sont ceux qui ne peuvent plus raconter
aujourd'hui ce qui leur est arrivé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ils n'étaient pas jugés ! Ce n'était pas pareil !
M. Michel Charasse.
Lorsque je suis arrivé au ministère du budget, en 1988, mon premier étonnement
a été de recevoir quarante à cinquante lettres anonymes par semaine de
dénonciations fiscales. Je souhaite dire à mes amis Michel Dreyfus-Schmidt et
Robert Badinter qu'il s'agissait non seulement de dénonciations fiscales
banales, mais également de dénonciations ignobles concernant l'arabe du coin de
la rue, le juif de tel endroit qui avait acheté sa troisième Mercédès, qui
possédait une boucherie, qui fraudait le fisc...
La société française ne peut pas continuer ainsi, dans cette ambiance qui est
un succédané de Vichy.
J'ai effectivement prévu un certain nombre d'exceptions, madame le garde des
sceaux, parce qu'on sait bien qu'il est des domaines - je pense au terrorisme,
au trafic de drogue, et j'ai dirigé autrefois des services chargés de la lutte
contre la drogue, aux sévices sur les personnes âgées ou sur les enfants, etc.
- il est des domaines, dis-je, pour lesquels, s'il n'y a pas de dénonciation
anonyme, il n'y aura jamais de dénonciation, car les gens ont peur.
Toutefois, pour des délits ordinaires de droit commun, pourquoi donnerait-on
suite aux dénonciations anonymes qui émanent de ceux qui, généralement, veulent
nuire à quelqu'un sans avoir le courage de donner leur nom et leur adresse ?
J'ajoute que mon amendement n° 117, que nous examinerons tout à l'heure, tend
à prononcer la même interdiction pour les dénonciations administratives. Tout à
l'heure, j'ai parlé des dénonciations en matière fiscale, mais, dans
l'amendement, les dénonciations en matière douanière, et de trafic de drogue en
particulier, sont exclues.
Je crois donc que le Sénat s'honorerait en mettant un terme à ce genre de
pratiques qui ont connu, dans les années passées immédiates, une telle
prospérité que, désormais, j'en viens à me demander si un certain nombre de
procédures administratives ou judiciaires ne sont pas entièrement fondées sur
des dénonciations anonymes fabriquées à dessein.
C'est la raison pour laquelle, quelles que soient les objections de Mme le
garde des sceaux et de certains de mes amis, je maintiens cet amendement, qui
me paraît être une mesure républicaine.
M. Hubert Haenel.
Et morale !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Bien entendu, quand des prétendues dénonciations anonymes, dont quelquefois,
d'ailleurs, on connaît les auteurs, peuvent servir à monter des procédures et à
donner une publicité à des enquêtes, on ne peut qu'être favorable à
l'amendement de M. Charasse, et je le voterai.
Cependant, il est un autre aspect des choses. M. Charasse a exclu un certain
nombre de délits ou de crimes, pour lesquels l'anonymat peut être respecté. Je
pense qu'il est, comme moi, sensible à ce qui se passe dans certaines
banlieues. Je songe non à la nature des délits, mais au fait qu'il existe des
bandes qui rackettent et commettent de petits délits. Nous le savons bien, les
dénonciations, si leurs auteurs sont identifiés, entraînent des représailles.
C'est pourquoi plus personne ne veut rien dire aux services publics, notamment
à la police. En effet, il règne une peur permanente, que certains
entretiennent. Aussi devons-nous y être attentifs avant de décider de supprimer
l'anonymat.
L'anonymat est possible pour certaines formes de criminalité organisée - tout
ce qui est le plus grave - notamment lorsque les intérêts fondamentaux de la
nation sont en cause ou pour les grands trafics. S'agissant des petits délits,
l'anonymat est quelquefois nécessaire, notamment dans les banlieues, pour que
la petite délinquance ne se développe pas.
C'est pourquoi, à mon grand regret, et même si je comprends l'intérêt de cet
amendement, il me semble préférable de réfléchir avant de le voter.
M. Michel Charasse.
On peut aussi déposer anonymement !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je précise simplement à M. Hyest que l'exemple qu'il a choisi
ne peut être retenu. En effet, les menaces sont bien des exceptions...
M. Michel Charasse.
Exactement !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... car elles sont faites à l'encontre des personnes. Le
racket implique des menaces. Il ne s'agit pas d'une escroquerie sans menace.
M. Jean-Jacques Hyest.
Certes ! On ne va pas dénoncer non plus les petits trafics qui existent.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Nous avons évidemment tous horreur des dénonciations
anonymes et des comportements auxquels M. Charasse a fait référence voilà un
instant.
Je vous demande simplement de réfléchir avant de voter cet amendement.
Permettez-moi de vous citer trois exemples. Prenons le cas d'un employé d'une
industrie agroalimentaire qui dénonce anonymement une intoxication car il a
peur des représailles. Va-t-on interdire au procureur de la République d'aller
vérifier ? Supposez qu'un sabotage informatique mette en jeu la sécurité du
contrôle aérien. Va-t-on interdire à la justice d'aller vérifier ? Supposez que
des fûts toxiques contenant des déchets radioactifs aient été enterrés.
Va-t-on, là encore, interdire au magistrat d'aller vérifier si la dénonciation
est fondée ?
Vous commencez à prévoir des exceptions puis, finalement, vous constaterez
qu'il faut s'en tenir aux dispositions actuelles qui interdisent l'utilisation
d'une dénonciation anonyme comme preuve.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il ne s'agit effectivement pas d'un élément de preuve !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Madame le garde des sceaux, j'irais presque jusqu'à vous
remercier car les délits que vous avez cités tombent dans l'exception.
M. Michel Charasse.
Exact !
M. Jean-Jacques Hyest.
Non !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Si ! C'est l'atteinte aux personnes, la mise en danger.
M. Patrice Gélard.
Exactement !
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Je me demande quelle est exactement la portée de cet amendement.
En effet, un procureur de la République qui recevra une lettre anonyme
dénonçant un certain nombre de faits la mettra au panier, mais il pourra
demander à la police ou à la gendarmerie de bien vouloir procéder à un certain
nombre de vérifications. Par ailleurs, nous savons bien que nombre de
procureurs de la République, compte tenu des informations qu'ils lisent dans la
presse chaque matin - je pourrais citer des exemples - demandent à la police ou
à la gendarmerie de vérifier un certain nombre de choses.
Aux termes du présent amendement, personne ne pourra demander une enquête sur
les faits qui auront été dénoncés ?
Un sénateur du RPR.
Si !
M. Hubert Haenel.
Alors, on met la lettre anonyme au panier et on en tient compte. Mais cela
revient au même !
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
L'habileté de Michel Charasse nous place véritablement dans une situation
extraordinaire. En disant qu'il faut jeter au panier les dénonciations
anonymes, il apparaît bien sûr comme le défenseur de la vertu, car la
dénonciation anonyme fait horreur.
Mon cher ami, vous avez exercé de hautes fonctions dans l'Etat. Je n'ai pas vu
à ce moment, au ministère du budget, où arrivent pourtant beaucoup de
dénonciations anonymes, que vous preniez l'initiative de demander dans un
projet de loi que désormais l'on n'attache plus d'importance à ces
dénonciations et qu'elles soient mises au panier.
M. Michel Charasse.
J'en ai interdit l'exploitation !
M. Robert Badinter.
Certes, mais je n'ai pas vu alors publiquement que vous fassiez cette demande
au Gouvernement et dire que s'il n'y était pas fait droit votre conscience
révoltée vous commanderait de quitter ledit gouvernement. Mais je laisse cela
de côté, car là n'est pas le problème.
Si, dans cet hémicycle, quelqu'un peut dire qu'il a horreur des dénonciations
anonymes, assurément, mon cher ami, c'est moi, car je sais ce qu'elles ont
coûté à ma famille.
Mais, revenons à la réalité de l'Etat de droit.
Mme le garde des sceaux a donné des exemples. On ne peut pas ne pas tenir
compte des dénonciations anonymes lorsque, effectivement, on est prévenu d'un
braquage imminent ou, pour prendre des exemples quotidiens de la criminalité,
en cas de racket et de recel. En effet, c'est bien souvent à partir du receleur
que l'on remonte la chaîne et que l'on débouche souvent sur la plus grande
criminalité.
M. Gélard, emporté par l'amour des principes et le goût de la vertu, ce qui
est louable, a dit que, dans ce cas-là, le commissaire de police fera tout de
même procéder aux vérifications nécessaires. Autrement dit, on voterait une
disposition hypocrite.
Non, mes chers collègues, je vous en prie, pas d'hypocrisie ! Point n'est
besoin de relire les mémoires de Fouché. Nous savons tous que les
renseignements anonymes sont, hélas ! telle qu'estl'humanité, un des premiers
moyens pour commencer des investigations. C'est dans les investigations - car
la procédure interdit précisément que l'on altère le principe de la recherche
des preuves - que se trouve la défense de l'Etat de droit.
M. Charles de Cuttoli.
Et Fouché fut sénateur !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
A vie !
M. Robert Badinter.
Belle remarque historique et qui, à coup sûr, entre dans le débat !
Vous avez prévu des exceptions car vous ne pouviez pas faire autrement. Mais,
encore une fois, réfléchissez à la multitude d'infractions hors du livre II du
code pénal, dont je vous épargnerai la lecture, c'est-à-dire les atteintes aux
biens, tout ce qui constitue les infractions économiques et financières les
plus graves, je pense notamment au recel à partir duquel on trouvera le
blanchiment de l'argent sale, ce qui permettra de remonter la chaîne. Il en va
ainsi.
Alors, ne jouons pas les hypocrites. Disons que nous détestons et réprouvons
en tant que telle la pratique des dénonciations anonymes. Mais ayons la loyauté
de dire que c'est dans la recherche des preuves, selon les moyens et les
exigences du droit et des droits de la défense en particulier, que se trouve la
protection de l'Etat de droit, et non dans le refus des lettres anonymes, refus
qui, on le sait, ne sera jamais observé. Les lettres anonymes déshonorent
assurément ceux qui les écrivent. Mais dites à n'importe quel responsable que
désormais il ne devra plus utiliser un renseignement anonyme et vous verrez
quelle sera sa réponse.
Moi, je n'aime pas l'hypocrisie ni la démagogie, permettez-moi de le dire à
cet instant. Aussi, je voterai contre cet amendement.
(Applaudissements sur
la plupart des travées socialistes.)
M. Michel Charasse.
Je n'accepte pas le terme « démagogie » ! Je sais de quoi je parle !
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Et moi, je n'aime pas les coups d'épée dans l'eau. C'est la raison pour
laquelle, moi non plus, je ne voterai pas cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 114 rectifié, repoussé par le Gouvernement et
pour lequel la commission s'en remet à la sagesse su Sénat.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Michel Charasse.
Mme Joly vous remercie !
M. le président.
Par amendement n° 115, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 9, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 170 du code de procédure pénale, il est inséré un article
additionnel ainsi rédigé :
« «
Art. ...
Les personnes citées comme témoin, qu'elles aient été
entendues ou non par le juge d'instruction, peuvent se pourvoir devant la
chambre d'accusation dans les mêmes conditions que les parties aux fins
d'examen de la régularité des actes les concernant. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il s'agit simplement d'autoriser les personnes citées comme témoin, qu'elles
aient été entendues ou non par le juge, à se pourvoir devant la chambre
d'accusation pour que soit examinée la régularité des actes qui les concernent.
Autrement dit, dans certains cas, a-t-on ou non le droit de convoquer quelqu'un
comme témoin ?
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable
sur cet amendement. En effet, un témoin n'est pas une partie à la procédure. Il
n'est donc pas possible de lui permettre de demander l'annulation d'un acte.
Vous venez d'ailleurs d'adopter un amendement précisant que le témoin assisté
- qui est donc plus qu'un témoin - aura comme seuls droits le droit à l'avocat
et le droit au dossier, et ne pourra donc demander la nullité de la
procédure.
En tout état de cause, si un tiers à la procédure fait l'objet d'actes qu'il
estime illégaux et qui lui ont causé un préjudice, il peut de toute façon
demander réparation à l'Etat pour faute lourde de la justice.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 115.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Puisqu'il faut s'expliquer, je pose la question suivante : le fait pour un
juge d'instruction d'appeler comme témoin un membre du Gouvernement ou un
ancien membre du Gouvernement pour qu'il s'explique sur les faits de sa
fonction est-il conforme, ou non, à la séparation des pouvoirs ?
M. Hubert Haenel.
Ce n'est pas le problème !
M. Michel Charasse.
Si, c'est le problème, car, bientôt, on pourra tous prendre un lit au Palais
de justice !
M. Patrice Gélard.
Une paillasse, plutôt !
M. Pierre Fauchon.
C'est ce que l'on appelle un lit de justice !
(Rires.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 115, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 21, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
d'insérer, après l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 304 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« I. - Après les mots : "ni ceux de la société qui l'accuse" sont insérés les
mots : "ni ceux de la victime" ;
« II. - Après les mots : "ni la crainte ou l'affection ;" sont insérés les
mots : "de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit
lui profiter ;". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il s'agit de modifier le texte du serment que le président de
la cour d'assises fait prêter aux jurés, afin que les intérêts de la victime
soient pris en compte, de même que la présomption d'innocence.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Comme je l'ai indiqué dans mon discours introductif -
et je le répéterai lorsque l'amendement n° 48 de la commission des lois viendra
en discussion - je ne suis pas favorable à ce que la discussion du projet de
loi soit l'occasion de réformer la procédure criminelle.
Cependant, le présent amendement ne procède qu'à une modification très limitée
d'une disposition concernant la cour d'assises, alors que le projet de loi
comporte déjà des modifications de ce type, par exemple sur l'audition des
personnes sourdes.
Vous procédez à deux modifications du serment des jurés qui sont en effet
directement liées aux objectifs du projet de loi, puisqu'elles visent à faire
référence aux intérêts de la victime, dont traite la deuxième partie du projet,
et au principe de la présomption d'innocence, visé par la première partie de ce
projet.
Dans ces conditions, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 21.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, cet amendement n'est pas en discussion commune avec
l'amendement n° 203 ?
M. le président.
Absolument pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande donc qu'il le soit puisqu'il porte sur le même article du code de
procédure pénale.
M. le président.
L'amendement n° 203 que vous avez déposé et qui doit être examiné à la suite
de l'amendement n° 21 est assorti d'un sous-amendement n° 273.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet amendement porte pourtant bien sur l'article 304 du code de procédure
pénale relatif au discours aux jurés.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, quel est l'avis de la commission sur la demande de M.
Dreyfus-Schmidt ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Le problème est différent.
M. le président.
C'est bien ce que je pense !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il est vrai qu'une série d'amendements porte sur la question
majeure de l'intime conviction, mais je pense qu'il s'agit d'un autre
problème.
Personnellement, je m'attendais à ce que les amendements traitant de l'intime
conviction soient discutés ensemble, mais que l'amendement n° 21 soit examiné
seul. En procédant ainsi, nous n'entamerons pas le droit de discussion sur les
autres amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Si l'amendement n° 21 tendant à modifier l'article 304 du code de procédure
pénale est adopté, mon amendement n° 203 n'aura plus d'objet !
M. le président.
Non, monsieur Dreyfus-Schmidt, car ce n'est pas le même objet !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Toute la question est là ! Si l'amendement n° 203 risque de
ne plus avoir d'objet à la suite de l'adoption de l'amendement n° 21, il faut
mettre en discussion commune ces deux textes. Mais M. le président indique que
nous ne courons pas ce risque.
M. le président.
En procédant ainsi, nous protégeons vos amendements, monsieur Dreyfus-Schmidt
!
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Tel est effectivement l'objectif !
M. le président.
Tenons-nous en donc à la façon dont nous avons commencé de procéder.
Je vais donc mettre aux voix l'amendement n° 21.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, je ne veux en rien prolonger le débat, mais il est
évident que si, à la suite de l'adoption de l'amendement n° 21, il est ajouté,
dans l'article 304 du code de procédure pénale qui traite du discours aux
jurés, après les mots : « ni la crainte ou l'affection », les mots : « de vous
rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter »,
il sera tout de même assez difficile au Sénat d'accepter ensuite, comme nous le
lui proposons notamment, d'insérer les mots : « sans oublier jamais que le
moindre doute doit profiter à l'accusé ; que vous ne pouvez retenir sa
culpabilité que si la preuve en est rapportée de manière certaine ».
Il est évident que ces amendements doivent faire l'objet d'une discussion
commune !
En l'état actuel, je n'ai pas d'autre solution que de voter contre
l'amendement n° 21, alors qu'il va dans le sens de ce que je demande ! Mais
j'aurais aimé pouvoir expliquer ce que mon amendement apportait de plus.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, le problème
pratique auquel nous sommes confrontés tient au fait que l'amendement n° 203
est extrêmement composite...
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... et qu'il porte non seulement sur
la formule, mais également sur le problème de principe du remplacement de
l'intime conviction par la preuve.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, je demande qu'il soit procédé à une discussion commune
de l'amendement n° 21 et des paragraphes II et III de l'amendement n° 203.
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, j'ai interrogé la commission sur l'opportunité de
joindre l'amendement n° 21 à la suite. La réponse a été négative.
Encore une fois, le fait de ne pas procéder à une discussion commune protège
votre capacité de défendre les amendements que vous avez déposés. En effet, en
cas de discussion commune, l'adoption de l'amendement n° 21 aboutira à rendre
sans objet les autres amendements. En conséquence, je vous propose de voter sur
l'amendement n° 21.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On me dira ensuite que la disposition adoptée suffit et que ma proposition ne
se justifie plus !
M. Charles Jolibois,
rapporteur,
et M. Jean-Jacques Hyest.
Mais non ! On ne le dira pas !
M. le président.
On ne vous le dira pas, mon cher collègue ! Qui d'autre que nous pourrait
décider de cela ?
L'alternative est la suivante : soit nous faisons comme je vous le propose,
soit nous joignons l'ensemble des amendements. Mais je vous avertis : si
l'amendement 21 est adopté, les autres amendements n'auront plus d'objet.
M. Michel Charasse.
Et voilà !
M. le président.
Vous n'avez donc pas intérêt à ce qu'il y ait discussion commune !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vous ai très bien compris, monsieur le président !
M. le président.
Je vais donc mettre aux voix l'amendement n° 21.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Si une disposition d'une grande force symbolique doit sortir de notre débat,
c'est bien celle-là.
Nous faisons, en effet, un texte de loi pour renforcer la présomption
d'innocence, et il était extraordinaire et en même temps révélateur de
constater que l'on ne rappelait pas aux jurés, au moment où ils prêtent
serment, que l'accusé est présumé innocent.
Il est heureux que nous remédions à cette omission, que les avocats se
plaisaient souvent à rappeler. Mais une chose est d'en prendre conscience au
moment du prononcé du serment, une autre est de l'entendre au cours d'une
plaidoirie dont on pense toujours qu'elle est dictée par les intérêts de la
défense.
Quant au rappel que le doute doit profiter à l'accusé, je n'ai pas besoin de
souligner devant la Haute Assemblée que, dans l'histoire de la procédure
pénale, la liaison entre la présomption d'innocence et l'exigence qu'il n'y ait
pas, en ce qui concerne la culpabilité de l'accusé, ce que les Anglais
appellent le « doute raisonnable » a été constante. S'il est présumé innocent,
le doute doit lui profiter.
Cet amendement n° 21 tend donc à inscrire enfin cette nécessaire innovation
dans le serment des jurés. Je suis convaincu qu'il sera adopté à l'unanimité,
et je m'en réjouis par avance.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel, ainsi rédigé, est inséré dans le
projet de loi, après l'article 9.
Nous pouvons maintenant, parce qu'ils ne faisaient pas l'objet d'une
discussion commune avec l'amendement n° 21, aborder l'examen des amendements et
sous-amendements suivants.
Par amendement n° 203, M. Dreyfus-Schmidt propose d'insérer, après l'article
9, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 427 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
«
Art. 427.
- Hors les cas où la loi en dispose autrement, les
infractions peuvent être établies par tout mode de preuve.
« Le juge ne peut condamner que si des preuves certaines de la culpabilité lui
sont apportées au cours de débats contradictoires. »
« II. - Le premier alinéa de l'article 304 du code de procédure pénale est
ainsi modifié :
«
a)
Les mots : "et votre intime conviction" sont supprimés ;
«
b)
Après les mots : "qui conviennent", la fin du premier alinéa est
ainsi rédigée : "à une femme ou un homme probe et libre, sans oublier jamais
que le moindre doute doit profiter à l'accusé ; que vous ne pouvez retenir sa
culpabilité que si la preuve en est rapportée de manière certaine". »
« III. - Le second alinéa de l'article 353 du code de procédure pénale est
ainsi rédigé :
« La loi prescrit aux juges de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le
recueillement et de répondre à cette seule question, qui renferme toute la
mesure de leurs devoirs : "La preuve de la culpabilité est-elle ou non
rapportée de manière certaine ?". »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 273, présenté par M.
Charasse, et tendant à compléter le premier alinéa du texte proposé par le
paragraphe I de l'amendement n° 203 pour l'article 427 du code de procédure
pénale par les mots : « autre que le chantage, les pressions, les menaces ou la
torture morale provenant notamment du placement ou du maintien abusif en
détention préventive. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 203.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je tiens à la main un papier jauni qui est le texte de la proposition de loi
annexée au procès-verbal de la séance du 17 mai 1994, proposition de loi
relative à la cour d'assises déposée par votre serviteur et les membres du
groupe socialiste et apparentés.
Nous demandions précisément qu'il soit dit, dans le discours qui est lu aux
jurés au début de l'audience et également dans le texte qui sera répété et
affiché dans la salle des délibérés, que le doute doit profiter à l'accusé. Les
mots : « présumé innocent », qui peuvent être mal compris, ne figuraient certes
pas dans notre proposition de loi ; mais dire que le doute doit profiter à
l'accusé revient à l'évidence au même.
Permettez-moi de souligner que je suis reconnaissant à la commission des lois
de s'être penchée sur cette question et qu'un problème de rédaction se poserait
sans doute si le Sénat adoptait la proposition que nous lui faisons par
l'amendement n° 203.
Le paragraphe I de cet amendement - mais je veux bien qu'il y ait disjonction
- vise à ce que, à l'article 427 du code de procédure pénale, qui traite de la
preuve en général, soient supprimés les mots : « intime conviction » et qu'il
soit indiqué que « le juge ne peut condamner que si des preuves certaines de la
culpabilité lui sont apportées au cours de débats contradictoires ».
Le paragraphe II du même amendement n° 203 vise l'article 304 du code de
procédure pénale ; cet article comporte de très belles phrases : « Vous jurez
et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui
seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux
de la société qui l'accuse. »
L'amendement n° 21, qui vient d'être adopté, y ajoute les intérêts de la
victime : je pense que ce sont ceux de la société qui accuse, mais je suis
d'accord pour que l'on introduise ici les victimes.
Je poursuis ma lecture de l'article 304 : « ... de vous décider d'après les
charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime
conviction,... ». Cela signifie, au moins pour le commun des mortels, non pas
suivant que la preuve est rapportée ou n'est pas rapportée de manière certaine,
mais suivant ce qui est votre conviction, à vous : il n'y a peut-être pas de
preuve, mais, moi, je suis convaincu qu'il est coupable, et donc je
condamne.
C'est cela, l'intime conviction, et c'est pourquoi j'en demande la suppression
à l'article 304 ainsi qu'à l'article 353 où elle figure en ces termes dans la
fameuse instruction dont le président donne lecture avant que la Cour d'assises
se retire : « La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute
la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?" »
Notre amendement n° 203 vise, sur ce point, à la rédaction suivante : « La loi
prescrit aux juges de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le
recueillement » - c'est ce qui figure déjà dans le texte - « et de répondre à
cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "La
preuve de la culpabilité est-elle ou non rapportée de manière certaine ?" »
Je n'ignore pas que l'un de mes excellents amis, auxquels je voue la même
admiration que vous tous et qui a été un grand avocat notamment d'assises,
n'est pas d'accord pour que l'on supprime dans le texte l'intime conviction.
M. Robert Badinter.
Effectivement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je suis néanmoins renforcé dans ma propre conviction par l'avis d'un non moins
grand avocat d'assises,...
M. Pierre Fauchon.
Tous les avocats sont excellents !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... René Floriot. Dans un livre intitulé
Les Erreurs judiciaires,
voici
ce qu'il écrivait à propos de cette phrase : « Avez-vous une intime conviction
? »
« Dois-je dire que cette formule ne me satisfait pas ? Il est exact que le
juré n'est lié par aucune règle, qu'il n'a pas à motiver sa décision, et qu'on
lui demande simplement d'exprimer sa conviction. Mais, puisqu'on voulait
adresser aux jurés, à l'audience publique, un avertissement solennel, ne
valait-il pas mieux leur rappeler qu'aucune condamnation ne doit être prononcée
s'il subsiste le moindre doute ?
« La seule façon d'éviter ou tout au moins de diminuer le nombre des erreurs
judiciaires est de rappeler aux jurés que seule une certitude absolue peut
justifier une condamnation. Il importe peu qu'un certain nombre d'éléments
troublants les aient persuadés de se trouver en présence d'un coupable. Chaque
fois qu'il subsiste dans le dossier des éléments, même légers, qui demeurent
inexplicables si l'on admet la culpabilité de l'accusé, le devoir des jurés est
tout tracé : ils doivent acquitter. »
Et les derniers mots du livre de René Floriot sont les suivants :
« Pourquoi, puisque l'on veut adresser un dernier avertissement solennel aux
jurés, ne pas leur dire : "Si un élément du dossier vous trouble, vous inquiète
et vous empêche d'arriver à une totale certitude, en un mot si vous conservez
un doute, même léger, n'hésitez pas à acquitter. Il vaut cent fois mieux
laisser libre un coupable que de châtier un innocent. Peu importe l'opinion
publique ! Personne n'a le droit de vous demander des comptes. Vous ne relevez
que de votre conscience". »
Il faut donc une preuve certaine. Dire que le doute doit profiter à l'accusé
n'est pas suffisant : il faut supprimer cette notion d'intime conviction pour
la remplacer par la certitude de la culpabilité.
M. Hubert Haenel.
On est dans une procédure orale non motivée ! Cela changera quoi ?
M. le président.
La parole est à M. Charasse, pour défendre le sous-amendement n° 273.
M. Michel Charasse.
Je le retire, monsieur le président, car je viens de m'apercevoir qu'il
n'était pas placé là où je voulais.
En revanche, je dépose un autre sous-amendement, qui vise à compléter le
second alinéa du texte proposé par l'amendement n° 203 pour l'article 427 du
code de procédure pénale par une phrase ainsi rédigée : « Elles doivent être
énumérées dans les motifs de la décision ».
M. Hubert Haenel.
De la décision de quoi ?
M. Michel Charasse.
De la condamnation !
M. Hubert Haenel.
Il n'y a pas de motif !
M. Michel Charasse.
L'article 427 du code de procédure pénale s'applique aux délits ; il y a bien
motivation pour les délits ?
M. le président.
Le sous-amendement n° 273 est retiré.
Pouvez-vous nous préciser, monsieur Charasse, le texte exact du
sous-amendement que vous souhaitez déposer ? Il ne semble, en effet, pas très «
mûr » !
M. Michel Charasse.
Nous ne sommes pas aux assises, mais devant le tribunal correctionnel.
Je le répète, je propose de compléter le second alinéa du texte proposé par
l'amendement n° 203 pour l'article 427 du code de procédure pénale par une
phrase ainsi rédigée : « Elles doivent » - les preuves certaines - « être
énumérées dans les motifs de la décision. »
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est l'administration de la preuve, cela n'a rien à voir !
M. le président.
Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 276, présenté par M. Charasse, et
tendant à compléter le second alinéa du texte proposé par l'amendement n° 203
pour l'article 427 du code de procédure pénale par une phrase ainsi rédigée : «
Elles doivent être énumérées dans les motifs de la décision. »
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 203 et sur le
sous-amendement n° 276 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission est défavorable à l'amendement n° 203.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Elle s'en est pourtant inspirée !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement m'a surpris, parce qu'il s'attaque à quelque
chose que je croyais inattaquable.
J'ai bien compris les arguments de M. Dreyfus-Schmidt, et j'ai l'impression
qu'il nous renvoie à un système à l'anglo-saxonne.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Encore !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Toutefois, la culture judiciaire de notre pays est ce qu'elle
est et nous éprouvons tous du respect pour l'un des plus beaux métiers qui
soient, mais aussi l'un des plus difficiles à exercer, celui de juge. Cela
tient probablement à cette idée profonde et enracinée que le juge statue, comme
les jurés, selon son intime conviction ! Au demeurant, cette notion est
inculquée au juge tout au long de son éducation juridique comme elle doit être
inculquée à l'avocat tout au long de sa formation, et le doute fait partie
intégrante de l'intime conviction puisque, si l'on a un doute, on n'a plus
d'intime conviction.
C'est la raison pour laquelle la commission a écarté cet amendement : l'intime
conviction, dans notre pays, est à la fois un pilier de la justice et une
immense garantie. De la sorte, quand on a la malchance de comparaître devant un
juge, il reste la chance de savoir qu'il est consciencieux et qu'il statue
selon son intime conviction. Personnellement, je pense donc qu'il faut
maintenir cette notion.
M. Michel Charasse.
C'est une situation idyllique !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Non, ce n'est pas idyllique, cela fait partie de nos grands
principes !
M. Michel Charasse.
C'est cela, oui ! M. Badinter ne parlait-il pas d'hypocrisie tout à l'heure
?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
De l'hypocrisie du juge, pas du rapporteur, bien sûr !
(Sourires.)
M. Michel Charasse.
Oui, rassurez-vous !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je l'avais bien compris ainsi.
Enfin, je tiens à dire à M. Dreyfus-Schmidt que, par son amendement, il
supprime le secret des délibérations...
M. Hubert Haenel.
Oh !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... qui est pourtant un élément important.
Quant au sous-amendement n° 276, il ne me paraît pas de nature à résoudre les
problèmes très graves qui sont soulevés par la suppression de l'intime
conviction. La commission y est donc également défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 203 et sur le
sous-amendement n° 276 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je ne pense pas qu'il faille modifier les principes de
notre procédure pénale, fondée sur la liberté des preuves, dès lors qu'ils ne
portent pas atteinte à la dignité de la personne, comme le rappellent les
dispositions de l'article préliminaire adopté par le Sénat, et dès lors qu'ils
font appel à l'intime conviction.
La notion nouvelle, inconnue de notre droit, de la « preuve rapportée de façon
certaine », me paraît trop délicate pour être acceptée.
Je suis donc défavorable à l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt.
S'agissant du sous-amendement de M. Charasse, précisant que les preuves
doivent être énumérées dans les motifs de la décision, permettez-moi de
rappeler les termes de l'article 485 du code de procédure pénale : « Tout
jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Les motifs constituent la
base de la décision. »
Le sous-amendement n° 276 me paraît donc inutile.
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 276.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Afin d'éviter tout malentendu, j'expliquerai également mon vote sur
l'amendement n° 203.
Contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, M. Charasse propose de
compléter l'article 427 du code de procédure pénale. Or cet article figure non
pas dans le chapitre consacré à la cour d'assises, mais dans le livre II, titre
deuxième : « Du jugement des délits », paragraphe 3 : « De l'administration de
la preuve ».
Soyons clairs ! C'est lorsque les décisions doivent être motivées,
c'est-à-dire ailleurs que devant les cours d'assises, qu'il est demandé
d'énumérer les preuves.
Par ailleurs, je souhaiterais que l'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas
dit. L'article 304 du code pénal dispose : « Le président adresse aux jurés...
le discours suivant : "Vous jurez et promettez... de vous décider d'après les
charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime
conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe
et libre...". » Par l'amendement n° 203, nous ne proposons que la suppression
des mots : « et votre intime conviction ». Le secret du délibéré n'est pas
supprimé !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La suite sans changement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Certes ! je vous en donne acte, et je rectifie mon observation. Ainsi,
monsieur le rapporteur, je vous dois et des excuses et des remerciements.
Nous proposons donc la rédaction suivante : « ...de vous décider d'après les
charges et les moyens de défense, suivant votre conscience... » - nous enlevons
l'intime conviction - « ...avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à
une femme... » - excusez-moi de souligner que nous proposons de faire allusion
au fait que le juré n'est pas forcément un homme il peut aussi être une femme -
« ...ou à un homme : probe et libre, sans oublier jamais que le doute doit
profiter à l'accusé ; que vous ne pouvez retenir sa culpabilité que si la
preuve en est rapportée de manière certaine, et de conserver le secret des
délibérations, même après la cessation de vos fonctions. »
Surtout, que personne ne croie que j'aie voulu supprimer le secret des
délibérés ! Diable non !
M. Hubert Haenel.
Heureusement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'espère que l'on m'en donnera acte.
Je souhaite ajouter encore quelques mots.
Le reproche nous a été fait à plusieurs reprises d'être marqué par le droit
anglo-saxon. C'est certes bien porté, surtout en ce moment ! Mais c'est
totalement faux ! Il s'agit simplement de reconnaître que l'intime conviction
ne doit pas entraîner de condamnation s'il n'y a pas de preuves certaines.
Nous n'avons pas du tout l'intention, bien entendu, madame le garde des
sceaux, de porter atteinte à la liberté des preuves, mais nous voulons que les
jurés et les juges sachent, encore une fois, qu'ils ne peuvent condamner que
lorsque la preuve de la culpabilité est rapportée de manière certaine, et pas
simplement, parce qu'ils en sont, même en l'absence de preuve, convaincus.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 203 rectifié, présenté par M.
Dreyfus-Schmidt, dont le II se lit ainsi :
« II. - Le premier alinéa de l'article 304 du code de procédure pénale est
ainsi modifié :
«
a)
Les mots : "et votre intime conviction", sont supprimés ;
«
b)
Après les mots : "à un homme probe et libre", par les mots : "à
une femme ou un hhomme probe et libre, sans oublier jamais que le moindre doute
doit profiter à l'accusé ; quevous ne pouvez retenir sa culpabilité que si la
preuve en est rapportée de manière certaine" ».
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je veux simplement dire à Mme le garde des sceaux que je propose l'énumération
des preuves dans les motifs de la décision.
Elle nous a lu un autre article du code de procédure pénale, selon lequel les
jugements doivent comporter des motifs.
Certes, si ces motifs doivent être chacun fondés sur les preuves sans en
oublier aucune, mon sous-amendement n'a pas d'objet, je le reconnais ; mais je
n'ai pas la conviction que tel soit le cas.
M. Jean-Jacques Hyest.
Si !
M. Hubert Haenel.
La démonstration est faite !
M. Michel Charasse.
Par conséquent, je le maintiens.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
J'interviendrai très brièvement, tout en regrettant d'avoir à le faire, pour
en revenir aux principes premiers.
Pourquoi l'intime conviction, sans même aller jusqu'à la cour d'assises ?
Parce qu'au moment où est née notre procédure pénale contemporaine, après
l'Ancien régime, on a voulu une fois pour toute abandonner le régime des
preuves tel qu'on le connaissait, où tel témoignage valait un quart de preuve,
une demi-preuve, deux tiers de preuve...
M. Hubert Haenel.
Bien sûr !
M. Robert Badinter.
...et laisser à ceux qui ont à juger le pouvoir et le devoir d'apprécier les
preuves produites.
M. Jean-Jacques Hyest.
Autrement, c'est
l'Aveu !
M. Hubert Haenel.
La question !
M. Robert Badinter.
Or, apprécier, qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie très exactement que
le juge forge sa conviction - oubliez l'adjectif « intime » : il est
traditionnel et il ne change rien à la chose - en fonction des éléments de
preuve qui lui sont soumis. Certaines preuves sont rapportées par l'accusation,
d'autres par la défense, et le juge forge sa conviction.
Cher Michel Dreyfus-Schmidt, vous avez été un grand avocat. Qu'a été votre
métier ? Convaincre ! Et qu'est-ce que convaincre, sinon réussir à faire passer
sa conviction chez celui qui vous entend ?
Alors, je vous en prie, revenons à l'élémentaire. Relisez, si vous le voulez
bien, ce qu'a écrit la Cour de cassation : « Les juges correctionnels peuvent
puiser les éléments de leur conviction dans tous les éléments de la cause
pourvu qu'ils aient été soumis au débat et à la libre discussion des parties.
»
Voilà ce qu'est l'intime conviction. Alors, croyez-moi, ne la supprimons pas
de notre code !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 276, repoussé par la commission et par
le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 203 rectifié.
M. Paul Girod.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Je voudrais, en m'excusant auprès de M. Badinter car je le ferai avec beaucoup
moins de talent que lui, témoigner de mon attachement à l'intime conviction.
Je ferai appel pour cela à un souvenir personnel qui s'est déroulé dans cet
hémicycle : en 1981, à la suite d'un concours de circonstances, j'ai eu
l'honneur, alors que j'étais sénateur depuis peu, de rapporter le texte relatif
à la suppression de la peine de mort.
A la suite d'une série d'incidents de procédure, de divergences internes, la
commission des lois s'était partagée en deux. La majorité souhaitait soumettre
cette affaire au référendum. Mais deux éminents juristes, qui n'étaient pas
d'accord sur la méthode, avaient réussi à faire en sorte que, curieusement, à
la fin de ses délibérations, avant la séance publique, la commission n'ait pas
d'avis formel à émettre.
J'avais donc eu la lourde tâche de monter à la tribune pour expliquer que la
commission des lois, en définitive, n'avait pas pu se mettre d'accord sur les
conclusions du rapport qu'elle avait à présenter devant le Sénat tout entier
sur la suppression de la peine de mort, qui n'était tout de même pas une mince
affaire !
Après y avoir beaucoup réfléchi, parce que ce n'était pas simple, je m'étais
adressé à mes collègues, à l'époque, en leur disant qu'en fait nous étions très
exactement dans la même situation qu'un juré d'assises. En effet, les arguments
pour la suppression étaient, pour une part, des arguments philosophiques, pour
une autre, des arguments que j'appellerai techniques, le principal avocat de la
cause, M. Badinter, à l'époque garde des sceaux, et nombre d'abolitionnistes
faisant valoir que l'existence de la peine de mort ne semblait pas avoir
d'effet dissuasif sur les crimes puisque, statistiquement parlant, les crimes
étaient aussi nombreux dans les pays qui avaient maintenu la peine de mort que
dans ceux qui étaient abolitionnistes.
Des arguments contraires pouvaient être apportés, plus difficilement, je le
reconnais.
Si bien que les preuves étaient, certes, objectives mais aussi, partiellement,
subjectives.
Je m'étais donc adressé à nos collègues en leur disant qu'ils étaient dans la
même situation qu'un juré d'assises, à qui est traditionnellement posée la
question qui se termine par ces mots : avez-vous une intime conviction ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Aucun rapport !
M. Paul Girod.
Très honnêtement, quand le débat a commencé, personne, dans cette enceinte, ne
savait quelle en serait l'issue. Les pronostics penchaient plutôt en faveur du
refus de l'abolition.
Le débat s'est déroulé dans une sérénité qui a fait honneur au Parlement et, à
sa conclusion, le Sénat a voté l'abolition.
Cette notion d'intime conviction, qui est à la base de notre culture et de
notre droit, il faut essayer de ne pas la chasser de nos manuels de droit, et
encore moins de nos pratiques et de nos prétoires.
C'est la raison pour laquelle, malgré l'amitié que j'ai pour M.
Dreyfus-Schmidt, je ne voterai pas l'amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 203 rectifié, repoussé par la commission et
par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 117, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 9, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel
ainsi rédigé :
«
Art. ...
- Sauf dans les cas prévus à l'article 40 du code de
procédure pénale, le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique
ou chargée d'une mission de service public agissant à l'occasion de l'exercice
de ses fonctions ou de sa mission, de donner suite à des dénonciations
effectuées par quelque moyen que ce soit et parvenues anonymement, de procéder
à des vérifications ou d'y faire référence dans les dossiers administratifs de
toute nature et dans les procédures correspondantes ainsi qu'en matière
d'enquête préliminaire, d'instruction ou de jugement et dans tout acte de
procédure civile ou pénale est passible des peines prévues à l'article 432-4 du
présent code. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je retire cet amendement, monsieur le président, car il est devenu sans
objet.
M. le président.
L'amendement n° 117 est retiré.
Par amendement n° 118, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer,
après l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel
ainsi rédigé :
«
Art. ...
- Seront, comme coupables du crime de forfaiture, punis de
la dégradation civique, tout officier de police judiciaire, tous procureurs
généraux de la République, tous substituts, tous juges, qui auront provoqué,
donné ou signé un jugement, une ordonnance ou un mandat tendant à poursuite
personnelle ou accusation, soit d'un ministre, soit d'un membre du Parlement
sans les autorisations prescrites par les lois de l'Etat, ou qui, hors les cas
de flagrant délit ou de clameur publique, auront, sans les mêmes autorisations,
donné ou signé l'ordre ou le mandat de saisir ou arrêter un ou plusieurs
ministres ou membres du Parlement. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Avec votre permission, monsieur le président, je défendrai en même temps
l'amendement n° 119.
M. le président.
Je suis également saisi d'un amendement n° 119, présenté par MM. Charasse et
Dreyfus-Schmidt, et visant à insérer, après l'article 9, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel
ainsi rédigé :
«
Art. ...
- Seront coupables du crime de forfaiture, et punis de la
dégradation civique :
« 1° Les juges, les procureurs généraux ou de la République, ou leurs
substituts, les officiers de police, qui se seront immiscés dans l'exercice du
pouvoir législatif, soit par les règlements contenant des dispositions
législatives, soit en arrêtant ou en suspendant l'exécution d'une ou de
plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si les lois seront
publiées ou exécutées ;
« 2° Les juges, les procureurs généraux ou de la République, ou leurs
substituts, les officiers de police judiciaire, qui auraient excédé leur
pouvoir, en s'immisçant dans les matières attribuées aux autorités
administratives, soit en faisant des règlements sur ces matières, soit en
défendant d'exécuter les ordres émanés de l'administration, ou qui, ayant
permis ou ordonné de citer des administrateurs pour raison de l'exercice de
leurs fonctions, auraient persisté dans l'exécution de leurs jugements ou
ordonnances, nonosbstant l'annulation qui aurait été prononcée ou le conflit
qui leur aurait été notifié.
« Les dispositions du présent article sont applicables à l'ensemble des
magistrats de l'ordre judiciaire, administratif et financier. »
Veuillez poursuivre, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse.
Ces deux textes ont déjà été adoptés par le Sénat en février ou mars 1997. Ils
visent à rétablir dans notre droit pénal les textes protégeant la séparation
des pouvoirs.
Nous sommes tout de même dans une situation assez baroque ! En effet, la loi
de 1790, qui est toujours applicable, dit que, lorsqu'un juge viole le principe
de la séparation des pouvoirs, c'est une forfaiture. Mais le nouveau code
pénal, sans doute par inadvertance - encore que je ne sois sûr de rien ! n'a
pas toiletté la loi de 1790, mais n'a pas non plus maintenu les dispositions de
l'ancien code, tant et si bien que l'on ne peut pas appliquer de sanction en
cas de violation du principe de la séparation des pouvoirs et que certains s'en
donnent à coeur joie.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 118 et 119 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cette question, certes importante, devra être examinée
lorsque nous étudierons la loi organique sur le statut des magistrats. Elle n'a
donc pas sa place ici, et c'est pourquoi la commission émet un avis
défavorable.
M. Hubert Haenel.
L'argument est imparable !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Ce matin, j'ai dit que j'aurais l'occasion de faire des
observations groupées sur un certain nombre d'objectifs visés pas M. Charasse
qui ont, certes, leur cohérence et leur logique, mais une cohérence et une
logique qui, je le rappelle, ne sont pas les miennes, loin de là !
Tout à l'heure le débat a porté sur la responsabilité des élus et les
exceptions qu'il fallait y apporter. C'était le premier objectif.
Nous abordons maintenant le chapitre de la méfiance à l'égard des magistrats,
méfiance manifestée à plusieurs reprises par M. Charasse, à qui j'ai déjà eu
l'occasion de répondre le 22 janvier 1998, lors du débat d'orientation sur la
réforme de la justice, et le 18 novembre suivant, au cours du débat sur le
projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature.
Lors du débat du 18 novembre dernier, j'avais rappelé que les magistrats
étaient soumis à une quadruple responsabilité - hiérarchique, administrative,
pénale et surtout disciplinaire - et que des magistrats avaient été poursuivis,
notamment pénalement, pour violation du secret de l'instruction. J'avais
d'ailleurs cité les chiffres.
S'agissant des procédures disciplinaires, j'avais rappelé que, depuis ma prise
de fonctions, j'avais veillé tout particulièrement à ce que le Conseil
supérieur de la magistrature soit saisi chaque fois qu'il devait l'être.
Monsieur Charasse, je ne vous suivrai évidemment pas sur le terrain du
rétablissement de la forfaiture à l'encontre du magistrat, incrimination tombée
en désuétude depuis deux siècles et supprimée par le nouveau code pénal élaboré
par Robert Badinter.
Pour ce qui me concerne, je fais le pari non pas de la méfiance mais de la
confiance. S'il y a des dérives - car il peut y en avoir, et il y en a ! - il
faut alors être très ferme dans l'application des sanctions ! Mais des
procédures sont prévues à cet effet.
Je suis d'accord pour qu'il y ait plus de responsabilité, plus de
transparence, plus de garanties de procédures, mais pas pour qu'il y ait plus
de défiance. J'aurai sans doute l'occasion d'y revenir.
Je suis, bien évidemment, opposée au gouvernement des juges, mais je le suis
tout autant au gouvernement sans juge et à un gouvernement de la méfiance
systématique à leur égard.
En ce qui concerne la forfaiture, je n'ai rien à ajouter, non plus,
d'ailleurs, que sur les amendements n°s 118 et 119, inspirés par une
philosophie absolument contraire à la mienne.
Sachons, précisément, nous défier de cette méfiance systématique. Nous sommes
à l'âge d'une démocratie adulte dans laquelle les différents acteurs doivent
jouer leur rôle et assumer complètement leurs responsabilités.
Nous aurons l'occasion d'y revenir à l'occasion de la discussion du projet de
loi organique sur le statut des magistrats. Bien entendu, nous pourrons
également en reparler lors de l'examen du projet de loi concernant la
Chancellerie et le parquet, car la question de la responsabilité des magistrats
est importante.
En tout cas, je ne pense pas qu'on puisse l'aborder ainsi, par le biais du
rétablissement de la forfaiture.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 118.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien évidemment, si ce qu'a voté le Parlement sur le Conseil supérieur de la
magistrature est un jour soumis à ratification du Congrès et que cette
ratification intervient, nous aurons à discuter des lois organiques. Cela
étant, certains problèmes sont suffisamment urgents pour qu'on n'attende pas
que cette éventualité se réalise. C'est ma première observation.
Deuxième observation : il n'est un secret pour personne que je ne suis pas
toujours d'accord avec mon ami Michel Charasse. Quand tel est le cas, je le lui
dis et je le dis. Mais souvent, aussi, je suis d'accord avec lui - c'est le cas
pour cet amendement - et, alors, je le dis.
J'ai, pour la magistrature dans son ensemble, un respect qui découle non pas
seulement du serment que j'ai un jour prêté mais également de la pratique et
des connaissances que j'en ai. Il n'en est pas moins vrai que, de temps en
temps, certains magistrats dérapent, comme tout le monde, et c'est simplement
pour cela que nous demandons que des précautions puissent être prises.
Tout à l'heure, madame le garde des sceaux, vous avez parlé du code pénal «
élaboré » par Robert Badinter. Robert Badinter n'a pas élaboré de code pénal ;
il a préparé un projet qui a été présenté au Parlement, qui, lui, a élaboré,
comme il convient, le code pénal. Cela me paraissait devoir être rappelé.
Ce matin, lorsque nous avons proposé la suppression des délits involontaires,
vous nous avez répondu qu'ils existaient depuis deux cents ans. Eh bien ! Ce
délit ou le crime de forfaiture était également prévu depuis deux cents ans, et
il ne faisait de mal à personne.
S'il a été supprimé, c'est, nous a-t-on dit, parce qu'il n'avait jamais joué.
Tant mieux ! et c'est une raison, tout au contraire, pour le maintenir, s'il a
empêché des cas de forfaiture !
En fait, ce sont non pas les magistrats qui sont en cause au travers de ce
crime de forfaiture, mais le principe même de la séparation des pouvoirs. Et il
n'y a pas de raison de ne pas continuer à le faire figurer dans le code pénal,
parce que c'est dans le code pénal que ce crime a toujours été visé depuis deux
cents ans.
Voilà pourquoi j'ai contresigné les amendements rédigés par Michel Charasse et
voilà pourquoi je les voterai.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Après avoir entendu avec plaisir mon ami Michel Dreyfus-Schmidt, j'en reviens
à ma première question : la forfaiture existe-elle toujours en France ? Réponse
: oui, puisque la loi de 1790 n'est pas abrogée. Cette loi a-t-elle valeur
constitutionnelle ou pas ? Je n'en sais rien. En tout cas, elle applique un
principe constitutionnel fondamental qui est celui de la séparation des
pouvoirs.
Deuxièmement, M. le rapporteur nous dit que l'on verra tout cela au moment de
l'examen des lois organiques. Mais, cher monsieur Jolibois, les dispositions de
l'ancien code pénal étaient des dispositions de loi ordinaire ! La violation de
la séparation des pouvoirs qui conduit à la forfaiture est-elle du domaine
organique, étant entendu qu'elle vise non seulement les magistrats mais
également ceux qui concourent à l'action de la justice, en particulier les
officiers de police judiciaire ? On ne va tout de même pas faire du statut des
officiers de police judiciaire un texte de nature organique ! On n'en sortira
pas ! En troisième lieu, je souhaite vous poser une question très simple,
madame le garde des sceaux : de quels moyens dispose actuellement la République
pour préserver le principe de la séparation des pouvoirs ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
D'aucun !
M. Michel Charasse.
Si le principe de la séparation des pouvoirs est violé par l'exécutif, il y a
des textes pénaux ; il est violé par le législatif, il y a des textes pénaux.
Ainsi, si notre collègue Hubert Haenel, qui est rapporteur spécial du budget de
la justice, va vérifier aujourd'hui la comptabilité d'un cabinet d'instruction,
comme il en a le pouvoir en tant que rapporteur budgétaire et au titre des
dispositions sur le contrôle des rapporteurs budgétaires,...
M. Hubert Haenel.
Voilà une idée !
M. Michel Charasse.
...il y a des chances qu'on lui dise qu'il viole le principe de la séparation
des pouvoirs et qu'on ne le laisse pas entrer. C'est clair.
Mais, en sens inverse, quelles sont les dispositions, madame le garde des
sceaux, qui répriment la violation du principe de la séparation des pouvoirs
par un magistrat ? Réponse : depuis le nouveau code pénal, il n'y en a plus !
Ou, plus exactement, il y a la forfaiture prévue dans la loi de 1790. Mais,
comme elle n'est plus qualifiée par le nouveau code pénal, on ne sait pas ce
que c'est et on ne peut pas poursuivre.
Par conséquent, le rétablissement de ces dispositions me paraît être la
moindre des choses pour rétablir l'équilibre entre les pouvoirs, d'une part, et
l'autorité judiciaire, d'autre part, en attendant que l'on voie effectivement,
monsieur Jolibois, éventuellement dans la loi organique, s'il y a lieu de faire
quelque chose.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 118, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 119, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Michel Charasse.
On peut donc violer la séparation des pouvoirs sans encourir de sanction. Vive
la République !
M. le président.
Par amendement n° 207, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent d'insérer, après l'article 9, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Après l'article 46, il est inséré dans l'ordonnance n° 58-1270 du 22
décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature un
article additionnel ainsi rédigé :
«
Art... -
Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, le
Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi, aux fins de poursuites
disciplinaires par tout justiciable qui estime qu'une faute a été commise à son
préjudice par un magistrat agissant dans l'exercice de ses fonctions. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mme le garde des sceaux vient de nous dire qu'elle a fréquemment saisi le
Conseil supérieur de la magistrature pour des manquements qui auraient été
commis par des magistrats. Je lui en donne acte ; et je n'en doutais pas.
Je me permettrai cependant de lui dire très amicalement qu'il y a des cas où
elle ne l'a pas fait, ce qui était son droit le plus strict.
Mais surtout, il s'agit non pas de vous, madame le garde des sceaux, mais de
la fonction que vous exercez, de celle, de celui qui, demain, dans vingt ans,
dans trente ans, dans cinquante ans l'exercera.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Encore que sa personne soit sympathique !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Or il se trouve que, par la force des choses, le ministre de la défense se
considère, pardonnez-moi l'expression, comme le défenseur des militaires, le
ministre de l'intérieur comme celui des policiers...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Et des préfets !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et le garde des sceaux comme celui des magistrats, ...
M. Hubert Haenel.
Et les avocats ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
d'autant plus, comme les gardes des sceaux aiment à le répéter, que les
magistrats ne peuvent se défendre eux-mêmes. C'est comme cela !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Qui défend les avocats ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Toujours est-il que, puisque tel est le cas, pourquoi s'en remettre à l'avis
d'une personne, quelle qu'elle soit, pour saisir ou ne pas saisir le Conseil
supérieur de la magistrature ?
Au regard d'un problème pour lequel tout le monde, l'opinion publique en
particulier et le corps électoral tout spécialement, se passionne, il me paraît
d'autant plus important que les magistrats soient, comme tout le monde,
responsables.
Le Conseil supérieur de la magistrature, tel qu'il est, tel qu'il sera,
présente en la matière toutes garanties d'impartialité, et je pense que
n'importe quel citoyen devrait pouvoir le saisir.
On dira qu'il faut un sas, un crible. Eh bien ! on créera une commission des
requêtes, comme à la Cour de cassation, composée d'un magistrat et d'un
non-magistrat, qui sera chargée de statuer sur la recevabilité - je n'y vois
pas d'inconvénient - de manière à ne pas occuper l'ensemble du Conseil
supérieur de la magistrature.
Mais, encore une fois, il me paraît très important que les magistrats soient
responsables et que justice puisse être demandée à leur encontre - sous
réserve, bien entendu, du délit de dénonciation calomnieuse - et c'est pourquoi
j'insiste pour que le Sénat adopte l'amendement n° 207.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
M. Dreyfus-Schmidt soulève la question intéerssante de la
saisine directe par un particulier du Conseil supérieur de la magistrature.
J'ai eu l'honneur d'être le rapporteur du projet de loi constitutionnelle sur
le Conseil supérieur de la magistrature ; je me souviens très bien que le
Gouvernement - et je pense moi-même en avoir parlé - a annoncé qu'une loi
organique viendrait compléter, tout naturellement, les règles applicables à ce
conseil. A n'en pas douter, la question de la saisine du CSM sera, tout
normalement, réglée dans ce cadre.
J'ajoute que l'amendement vise à insérer un article additionnel dans une
ordonnance portant loi organique. Or nous sommes en train d'examiner une loi
ordinaire !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis évidemment défavorable à l'amendement n°
207.
Je ferai d'abord remarquer que, s'agissant des membres de la fonction
publique, il n'existe nulle part de possibilité de saisine d'instance
disciplinaire par qui que ce soit d'autre que par le ministre de tutelle de ces
fonctionnaires. On me rétorquera que les magistrats ne sont pas des
fonctionnaires, mais qu'ils sont des agents publics membres de la fonction
publique.
Je veux bien admettre, parce que leur comportement peut être particulièrement
préjudiciable, que l'on aménage les règles ordinaires de saisine disciplinaire,
laquelle j'y insiste, ne relève que du ministre de tutelle.
C'est la raison pour laquelle je propose - mais dans le cadre d'un projet de
loi constitutionnelle ou organique, car cette question ne peut être traitée
dans un projet de loi ordinaire - que le pouvoir de saisine disciplinaire du
Conseil supérieur de la magistrature soit étendu aux chefs de cour, soit
soixante-dix personnes.
Je propose de surcroît, dans le futur projet de loi organique relatif au
statut des magistrats, que de simples citoyens puissent saisir - non pas
directement, évidemment - une commission nationale de comportements
susceptibles de sanctions disciplinaires.
M. Michel Charasse.
Par la voie de lettres anonymes !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mais pour pouvoir adopter de telles dispositions, il
faut d'abord que le projet de loi constitutionnelle que vous avez adopté
conforme avec l'Assemblée nationale en novembre dernier puisse être approuvé
par le Congrès. Ce préalable est nécessaire pour que je soumette à votre examen
les projets de lois organiques.
C'est un appel, vous l'avez compris, afin que, dans sa grande sagesse, le
Sénat exprime sa volonté que le Congrès soit réuni le plus rapidement
possible...
M. Claude Estier.
Très bien !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 207.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Depuis bientôt treize ans que je suis sénateur, j'ai l'impression qu'il y a un
certain nombre de sujets tabous que nous n'avons jamais osé aborder au fond et
à fond. Il y en a un que j'ai tenté d'aborder depuis des années, et encore
hier, c'est celui de la clarification des relations entre la justice et
l'intérieur, entre la police judiciaire et la justice.
Petit à petit, nous commençons tout doucement à oser aborder ces questions
pour tous ceux qui, aujourd'hui, exercent une autorité dans l'Etat. Bien sûr,
on parle des hommes politiques et des ministres, mais cela est valable aussi
pour les avocats, les policiers et les magistrats. Ces questions portent pour
tous sur la légitimité. Quelle légitimité ? Quelle impartialité et quelles
règles déontologiques ? Quelle responsabilité ? Comment s'organisent les
pouvoirs ? Comment peut-on faire respecter la séparation des pouvoirs les uns
par rapport aux autres ? Il faudra bien un jour que nous abordions ces
questions !
Nous avons toujours le sentiment que les gardes des sceaux, quels que soient
d'ailleurs les gouvernements, s'abritent derrière l'alibi de la nécessité d'un
arbitrage interministériel, ou arguent que le problème n'a pas été suffisamment
approfondi. Bref, ce n'est jamais le bon moment !
Apparemment, monsieur le rapporteur, vous vous êtes engagé, au nom de la
commission, à ce que ces questions soient abordées dans toute leur ampleur au
moment où nous examinerons le texte relatif au statut de la magistrature.
Madame le garde des sceaux, si j'ai bien compris, vous vous êtes également
engagée à aborder toutes ces questions totalement et sereinement quand ce
texte nous sera soumis.
(Mme le garde des sceaux acquiesce.)
Si tel n'était pas le cas, et même si l'amendement vise à modifier un texte de
nature organique, je serais presque tenté de le voter pour, enfin, ouvrir le
débat. C'est la seule façon, pour nous, de mettre, si je puis m'exprimer ainsi,
ce texte dans la moulinette de la procédure parlementaire.
En revanche, si les engagements pris sont tenus, nous examinerons alors ces
questions le moment venu, et j'espère qu'il viendra rapidement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 207, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 143, M. Fauchon propose d'insérer, après l'article 9, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa de l'article 498 du code de procédure pénale, les
mots : "de dix jours" sont remplacés par les mots : "d'un mois". »
La parole est à M. Fauchon.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Et toujours l'opposition centriste-socialiste !
M. Pierre Fauchon.
Vous allez voir que nous serons d'accord sur l'amendement n° 143, mon cher
collègue et confrère, qui a d'ailleurs été adopté à l'unanimité par la
commission des lois.
Je pars du constat selon lequel les appels correctionnels sont trop nombreux
et souvent artificiels. Renseignements pris auprès des praticiens, ils tiennent
au fait que le délai de dix jours ne laisse guère de temps à la réflexion. La
personne condamnée reste sous l'émotion de la décision, les consultations avec
la famille et l'avocat n'ont pas lieu dans de bonnes conditions ; elle fait
donc un appel à titre conservatoire. La mécanique est enclenchée. Le parquet
fait souvent un appel à incident et cette personne se retrouve devant la cour
d'appel, alors qu'en réalité, si elle avait eu plus de temps pour réfléchir,
elle n'aurait probablement pas fait appel.
C'est pourquoi il nous a paru raisonnable de fixer à un mois - ce qui,
d'ailleurs, ne comporte aucun inconvénient - le délai pour faire appel.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Défavorable.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
C'est dommage !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 143, accepté par la commission et repoussé
par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 9.
Par amendement n° 204, M. Dreyfus-Schmidt propose d'insérer, après l'article
9, un article ainsi rédigé :
« « I. - Après l'article 515-1 du code de procédure pénale, il est inséré un
article ainsi rédigé :
«
Art. ...
- La partie civile à l'égard de laquelle une décision
frappée de recours est définitive reste néanmoins partie au procès.
« Elle est avisée de la date de l'audience à laquelle elle peut faire valoir
ses intérêts moraux et peut à nouveau réclamer, au titre des frais non payés
par l'Etat et exposés par elle, la somme visée à l'article 475-1 du code de
procédure civile. »
« II. - L'article 374 du code de procédure pénale est rétabli dans la
rédaction suivante :
«
Art. 374
. - La partie civile à l'égard de laquelle un arrêt de cour
d'assises statuant sur ses intérêts est définitif reste néanmoins partie devant
la cour d'assises de renvoi après cassation.
« Elle est avisée de la date de l'audience à laquelle elle peut faire valoir
ses intérêts moraux et peut à nouveau réclamer, au titre des frais non payés
par l'Etat et exposés par elle, la somme visée à l'article suivant. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Un condamné a tout de même le droit de savoir assez rapidement si le jugement
est définitif ou s'il ne l'est pas !
M. Pierre Fauchon.
Il n'a qu'à faire appel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le procureur peut faire appel au bout d'un mois, alors que l'intéressé croit
que c'est terminé. Instaurer un délai de dix jours, au siècle où nous sommes, à
l'époque du téléphone et de la télécopie, voilà qui ne me paraît pas vraiment
constituer un progrès.
M. le président.
L'amendement n° 143 a été voté, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je le sais, mais j'ai le droit de m'exprimer afin que les députés puissent
m'entendre.
M. Pierre Fauchon.
C'est trop commode !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'ai eu un moment d'inattention, et je vous prie de m'en excuser.
M. le président.
Nous en sommes à l'amendement n° 204. Vous avez la parole, monsieur
Dreyfus-Schmidt, pour le défendre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cette disposition figurait dans une proposition de loi que nous avions
déposée, mais qui n'avait pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
L'application des règles du droit, à défaut de dispositions légales
contraires, exclut la victime partie civile du procès devant la cour d'appel ou
devant la cour d'assises de renvoi lorsque le prévenu ou l'accusé n'a fait
appel ou ne s'est pourvu en cassation que sur la seule action publique. Cela
est très désagréable pour la victime puisque le nouveau procès ne se déroule
plus dans les mêmes conditions que le premier. La partie civile a,
éventuellement, droit à réparation mais elle peut aussi s'intéresser à la
manière dont l'action publique est menée à l'encontre de l'accusé ou du
prévenu.
Notre amendement tend à ce que, dans ces deux cas, la partie civile soit
avisée de l'audience et puisse réclamer une nouvelle indemnité pour la
dédommager de ses frais, mais non des dommages et intérêts puisque le procès
est alors terminé pour elle.
Tel est l'objet de l'amendement n° 204 qui, s'il est adopté, nous paraît
devoir concourir à une bonne administration de la justice. En outre, cet
amendement est protecteur des droits des victimes. Par conséquent, il s'insère
tout particulièrement dans le projet de loi, tel qu'il a été déposé par le
Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'émets également un avis défavorable. En effet,
lorsqu'une victime, partie civile lors du procès en premier ressort, ne fait
pas appel de la décision rendue - en pratique c'est parce qu'elle a obtenu des
dommages et intérêts - elle n'est plus partie au procès. Il n'existe donc
aucune raison qu'elle soit partie devant l'instance d'appel, si l'appel a été
formé par le seul condamné sur l'action publique.
Une partie qui n'est plus partie ne peut se retrouver partie au procès sans
qu'elle ait manifesté cette volonté.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 204, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 205, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent d'insérer, après l'article 9, un article ainsi rédigé
:
« Le troisième alinéa de l'article 513 du code de procédure pénale est ainsi
rédigé :
« Les parties en cause ont la parole dans l'ordre prévu par l'article 460.
»
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Notre amendement vise à rétablir une disposition qui avait été adoptée non
seulement par le Sénat mais aussi par l'Assemblée nationale, insérée dans le
code de procédure pénale d'une manière tout à fait réfléchie, et qui, à la
sauvette, sans aucun débat, a été supprimée à la fin de l'année 1994, alors que
son auteur était hospitalisé. Je n'avais pas trouvé cela très élégant, mais
passons sur ce détail !
Très curieusement, le garde des sceaux de l'époque avait alors expliqué que ce
dispositif allongeait les débats. C'est tout à fait inexact. En effet, vous
savez que, devant le tribunal correctionnel, on entend d'abord la partie civile
- à peine de nullité, elle doit parler en premier - puis le procureur de la
République, puis la défense. Devant la cour d'appel, par revanche, on plaide
dans l'ordre des appels, c'est-à-dire qu'on peut très bien entendre d'abord la
défense - c'est en effet bien souvent le prévenu qui a fait appel - puis,
éventuellement, le procureur et, enfin, la partie civile.
En appel, le procès ne se déroule donc pas du tout à l'identique, alors que le
fondement du double degré de juridiction est de donner droit à un deuxième
jugement dans les mêmes conditions.
Je n'ignore pas que le texte actuellement en vigueur précise qu'en tout état
de cause , la parole est donnée en dernier à la défense. Mais tous les
praticiens savent comment cela se passe : après que la défense a plaidé, que le
procureur a requis puis que l'avocat de la partie civile a plaidé, si l'avocat
de la défense demande à reprendre la parole, on la lui donne pour deux mots.
Comme on l'a déjà entendu longuement, il n'est pas question qu'il reprenne de
grandes explications. Je ne vois donc pas en quoi les débats en seraient
allongés.
J'ai entendu que la commission des lois proposait que, sommairement, au début
de l'audience, la partie qui a fait appel indique pourquoi. En pratique, il en
est toujours ainsi : le président commence par demander à l'intéressé les
raisons de son appel. Je ne pense donc pas que cette disposition soit très
utile.
Je me permets d'insister sur cet amendement que nous vous présentons parce
que, en quarante ans de pratique d'une profession que je n'ai plus l'honneur
d'exercer, j'ai toujours été extrêmement choqué de voir le procès en appel se
dérouler dans des conditions tout à fait différentes de celles de première
instance.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
M. Dreyfus-Schmidt ne s'étonnera pas que je lui dise que la
commission des lois a estimé que les dispositions figurant dans cet amendement
étaient importantes.
L'article 513 du code de procédure pénale prévoit en effet que le prévenu ou
son avocat auront toujours la parole les derniers. Mais, dans la pratique, cela
se résume au fait que l'on demande, à la fin, si un avocat a une petite
observation à faire.
Ce que veut M. Dreyfus-Schmidt, c'est que l'on en revienne aux règles qui sont
considérées comme importantes pour les droits de la défense et que l'on
revienne en appel à l'ordre qui est prévu en première instance.
Toutefois, la commission aurait souhaité que cet amendement soit rectifié afin
de prévoir que, au début du procès en appel, l'appelant expose les raisons de
l'appel, ce qui est bien normal.
La commission des lois m'avait donné mission d'exprimer un avis favorable.
Mais cette rectification n'ayant pas été apportée, sans vouloir pour autant
donner un avis défavorable, je m'en remets à la sagesse du Sénat sur ce texte
qui ne répond pas tout à fait aux souhaits de la commission.
MM. Charles Ceccaldi-Raynaud et Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faut déposer un sous-amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 205.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je fait mon
mea culpa,
c'est moi qui ai oublié de rédiger le
sous-amendement, sans doute du fait de la pression dont nous sommes l'objet et
je vais proposer une solution au Sénat.
Le problème qui est soulevé par M. Dreyfus-Schmidt est très important. Selon
un principe très général, il appartient à celui qui est poursuivi de faire
valoir sa défense le dernier. Telle est la règle.
Le code de procédure pénale mentionne que le prévenu, l'appelant a la parole
le dernier. Mais nous savons tous que, dans la pratique, ce n'est pas ainsi que
les choses se passent. Le président demande très communément au prévenu : «
Pourquoi avez-vous fait appel ? » L'appelant répond. Le président passe alors
la parole à l'avocat qui expose à ce moment-là véritablement la défense.
Ensuite, c'est le ministère public qui requiert. Et, s'il y a lieu à réponse,
il ne s'agit que d'une réplique.
Dans la pratique, on est donc à l'inverse de ce que les principes commandent,
et depuis très longtemps. M. Dreyfus-Schmidt s'en est ému à juste titre, la
commission des lois aussi.
Il convient certes d'articuler l'amendement avec le texte en vigueur. Je
propose cependant que l'amendement soit voté et que, dans le cours de la
navette, on améliore sa rédaction de façon que l'ordre naturel du débat,
dirais-je, soit la loi commune : d'abord l'explication de la raison de l'appel,
puis l'expression par le ministère public des charges invoquées à l'appui de la
décision contre laquelle a été fait l'appel, enfin, la défense.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'ai essayé de rédiger le sous-amendement que souhaite la commission.
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous ne pouvez pas sous-amender votre amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je pourrais le rectifier et proposer une formule qui donne satisfaction à la
commission.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je préfère que cet amendement soit rectifié. Le système
proposé par M. Badinter pourrait en effet aboutir à la situation suivante : si
l'Assemblée nationale le votait conforme...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quelle catastrophe !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Non, tout de même pas ! Disons que ce serait un léger
ennui.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est en effet un risque !
M. le président.
Mes chers collègues, nous écartons le concept du sous-amendement, qui n'est
pas recevable, mais nous sommes prêts à entendre M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Même si ces prévisions ne sont pas utiles, puisque c'est ainsi que se
déroulent les audiences, je propose de rectifier ainsi mon amendement pour
tenir compte des remarques de M. le rapporteur : « Après que l'appelant ou son
représentant a sommairement indiqué les motifs de son appel, les parties en
cause ont la parole dans l'ordre prévu par l'article 460. »
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Robert Badinter.
Excellent !
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 205 rectifié, présenté par M.
Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à
insérer, après l'article 9, un article ainsi rédigé :
« Le troisième alinéa de l'article 513 du code de procédure pénale est ainsi
rédigé :
« Après que l'appelant ou son représentant a sommairement indiqué les motifs
de son appel, les parties en cause ont la parole dans l'ordre prévu par
l'article 460. »
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je le trouve excellent, au point que j'ai pensé qu'il avait
peut-être été préparé à l'avance !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Quand on a été avocat, on sait écrire !
M. Jean-Jacques Hyest.
Et on sait parler !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 205 rectifié, accepté par la commission et
par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 9.
Par amendement n° 116, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 9, un
article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 652 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« I. - Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Sauf dans les cas de procédures ouvertes devant la Cour de justice de la
République et concernant les crimes et délits qu'ils auraient accomplis dans
l'exercice de leurs fonctions gouvernementales, le Premier ministre et les
autres membres du Gouvernement ne peuvent comparaître comme témoins que sur des
faits détachables de leurs fonctions et après autorisation du conseil des
ministres, sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice.
« II. - Il est ajouté
in fine
un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf dans les cas de procédures ouvertes devant la Cour de justice de la
République et concernant les crimes et délits qu'ils auraient accomplis dans
l'exercice de leurs fonctions, les anciens membres du Gouvernement ne peuvent
être entendus comme témoins que sur des faits détachables de leurs anciennes
fonctions gouvernementales. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je vais vous entretenir de nouveau d'un mot de la séparation des pouvoirs,
mais j'ai l'impression que le Sénat n'est pas très sensible à cet aspect des
choses.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oh là là !
M. Michel Charasse.
Mais enfin, je le fais tout de même ! Je me situerai dans le droit-fil d'un
arrêt de la Cour de cassation rendu à propos d'une affaire Bidalou - je ne sais
pas si vous vous souvenez de ce magistrat -...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tout à fait !
M. Michel Charasse.
... qui convoquait tous les ministres comme témoins tous les jours dans tous
les tribunaux de France et de Navarre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
On s'en souvient !
M. Michel Charasse.
La Cour de cassation a rappelé que l'on ne pouvait pas interroger les membres
du Gouvernement sur les faits liés à leurs fonctions, ce qui n'empêche
cependant pas des magistrats de céder à cette tentation.
Par conséquent, je souhaiterais que l'on complète le code de procédure pénale
en indiquant - je ne parle pas, bien entendu, du cas de la Cour de justice de
la République, qui est à part - que l'on ne peut pas interroger les membres du
Gouvernement en exercice sur des faits non détachables de leurs fonctions et
qu'il en va de même pour les anciens membres du gouvernement. C'est la
séparation des pouvoirs !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission a émis un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement parce
que la Cour de justice de la République n'est compétente qu'en ce qui concerne
les infractions commises par les ministres.
Or il résulterait de cet amendement, s'il était adopté, qu'aucune juridiction
ne pourrait entendre comme simple témoin un ministre qui peut témoigner sur des
actes commis par exemple par un de ses collaborateurs. C'est évidemment une
hypothèse d'école, mais je crois tout de même que nous ne pouvons pas
l'écarter. La Cour de justice ne serait pas compétente dans la mesure où ces
actes ne sont en aucune manière reprochés au ministre lui-même. Par ailleurs,
la juridiction de droit commun, seule compétente pour connaître ces faits, ne
pourrait entendre le ministre simple témoin, malgré l'intérêt que présente son
témoignage.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 116.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je veux bien que l'on s'assoie sur les principes, mais on pourrait tout de
même lire les amendements correctement ! Je parle des « faits détachables » de
la fonction.
Il est évident que si un délit ou un crime est commis par un collaborateur du
ministre, cela ne fait pas partie de la fonction du ministre. Je dis simplement
que, pour les faits de la fonction, seule la Cour de justice peut entendre les
membres du Gouvernement. Cela est clair, net et précis.
Or, si l'on repousse cet amendement, cela veut dire qu'on considère que
n'importe quel juge à travers la France, comme le faisait autrefois M. Bidalou,
peut interroger comme simples témoins, certes, mais comme témoins, les
ministres à tout propos.
Pour les ministres, il existe une procédure spéciale, puisque l'accord du
conseil des ministres est nécessaire, mais il ne le donne jamais. Cela signifie
que, dans ce cas-là, c'est le premier président de la cour d'appel qui vient
interroger le ministre dans son bureau en lui lisant la liste des questions
préparées par le juge.
Pour les anciens ministres, cette procédure n'a pas cours. Je peux vous dire
qu'il y a d'anciens membres du Gouvernement - j'en fais partie, mais je ne suis
pas le seul - qui sont convoqués tous les quatre matins sur des faits de leur
fonction.
La question est simple : existe-t-il encore une séparation des pouvoirs et un
privilège de juridiction en ce qui concerne la Cour de justice ? Madame le
garde des sceaux, notre texte vise les « faits détachables » et non pas les «
faits de la fonction ». Si la secrétaire du ministre étrangle sa voisine de
bureau parce que les deux sont jalouses d'un garçon qui leur tourne autour,
cela ne concerne pas les fonctions du ministre !
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je voudrais simplement, reprenant ce que j'essayais de dire voilà quelques
heures, attirer votre attention sur la signification véritable de la
distinction entre la faute détachable et la faute non détachable.
La jurisprudence a été souvent amenée à considérer comme non détachable une
faute de manière que le responsable de cette faute reste l'administration et
que la victime ait devant elle, pour la réparation, quelqu'un capable de faire
face au préjudice.
Dans l'hypothèse visée par M. Charasse d'une secrétaire qui porte des coups à
sa collègue, la faute ne sera pas nécessairement considérée comme détachable :
elle est commise à l'occasion du service parce qu'elles sont dans le même
bureau, peut-être parce qu'il fait trop chaud ou trop froid. Donc, la faute ne
sera pas considérée nécessairement comme détachable tout en étant une faute
personnelle et, par conséquent, une faute pénale.
Ce sont deux problèmes totalement distincts - c'est ce qu'on a oublié ce matin
- que de savoir si une faute est détachable, auquel cas elle n'engage pas la
responsabilité de l'administration, ou si elle est non détachable et si elle
engage la responsabilité de l'administration tout en constituant dans le même
temps une faute pénale. C'est cela l'arrêt Thépaz.
(Exclamations)
M. Thépaz conduisait un camion dans un convoi militaire.
C'était dans les années 1930. Nous sommes quelques-uns à être nés à cet
époque, qui était donc une très belle époque.
(Sourires.)
Le soldat
Mirabel a fait un écart sur la route et on a considéré que cet écart, dont M.
Thépaz fut victime, était une faute pénale justifiant une condamnation pénale,
mais que pour autant ce n'était pas une faute « détachable », c'était une faute
« de service », car il était dans un convoi militaire, et donc l'Etat
organisateur du convoi militaire restait responsable vis-à-vis de la
victime.
C'est en partie dans un souci de protection des victimes que l'on est
restrictif sur la notion de faute « détachable ». Je crois que nous avons
mélangé des notions différentes.
Je n'ai pas d'opinion sur le fond de la démarche de M. Charasse, mais je crois
qu'il est important de ne pas faire de confusion à propos de la notion de faute
détachable, parce qu'on bousculerait alors tout un système jurisprudentiel qui
a une grande importance, notamment pour la protection des victimes et pour leur
indemnisation.
M. Michel Charasse.
Je n'ais pas parlé de « fautes », j'ai parlé de « faits » détachables !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'ai l'impression qu'il y a un malentendu et que l'amendement de M. Michel
Charasse, notre collègue et ami, est la suite logique du vote qui est déjà
intervenu sur ce problème au Sénat.
En d'autres termes, un ministre ou un ancien ministre peut-il être convoqué
par un juge d'instruction pour être entendu sur ce qu'il a fait ou n'a pas fait
dans l'exercice de ses fonctions de ministre ?
M. Michel Charasse.
Exactement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui ou non ? Si la réponse est non, il faut voter cet amendement et je le
voterai !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 116, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 9.
Par amendement n° 206, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent d'insérer, après l'article 9, un article additionnel
ainsi rédigé :
« I. - Après les mots : "par la chambre criminelle, soit sur requête du", la
fin du deuxième alinéa de l'article 665 du code de procédure pénale est ainsi
rédigée :" ministère public établi près la juridiction saisie soit sur requête
des parties".
« II. - Le troisième alinéa de l'article 663 du code de procédure pénale est
supprimé. »
La parole est M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'article 665 du code de procédure pénale traite du renvoi par la chambre
criminelle, à la requête du procureur général de la Cour de cassation, d'une
affaire d'une juridiction à une autre pour cause de sûreté publique.
Le renvoi peut également être ordonné dans l'intérêt d'une bonne
administration de la justice par la chambre criminelle, soit sur requête du
procureur général près la Cour de cassation, soit sur une requête du procureur
général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle la juridiction saisie
a son siège, agissant d'initiative ou sur demande des parties, c'est-à-dire que
seul un membre du parquet peut demander qu'une juridiction soit dessaisie au
profit d'une autre.
Or, s'il nous paraît tout à fait normal que le ministère public puisse le
demander, nous pensons que les parties doivent également pouvoir le faire. Vous
l'avez compris : si une partie civile estime que la juridiction saisie risque
de ne pas bien rendre la justice pour telle ou telle raison, elle doit avoir le
droit de demander le dessaisissement sans passer par le filtre du parquet, et
c'est ce filtre que nous vous demandons, mes chers collègues, de supprimer en
adoptant l'amendement n° 206.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très dangereux !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il apparaît à la commission des lois que le filtre par le
procureur général est nécessaire. Par conséquent, nous avons émis un avis
défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
L'avis du Gouvernement est également défavorable.
Le code de procédure pénale prévoit différentes hypothèses dans lesquelles la
chambre criminelle de la Cour de cassation a le pouvoir de dessaisir une
juridiction d'instruction ou de jugement d'un dossier et de renvoyer la
connaissance de celui-ci à une autre juridiction du même ordre.
L'amendement que nous examinons a pour finalité de rapprocher le régime du
renvoi dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, prévu par
l'article 665 du code de procédure pénale, du régime du renvoi pour cause de
suspicion légitime, évoqué par l'article 662 du même code.
Ressort-il de l'évidence que les deux renvois évoqués sont de nature identique
et donc que les droits similaires doivent être ouverts aux parties ? La réponse
m'apparaît devoir être négative : ces deux renvois ne sont pas de même
nature.
En effet, on comprend instinctivement qu'une partie, si elle a des motifs
sérieux de craindre qu'une juridiction qui va être amenée à la juger ne soit
pas en mesure de statuer en toute indépendance et en toute impartialité, se
voit reconnaître le droit de demander à la chambre criminelle de se pronocer
sur ce point et de désigner éventuellement une juridiction de renvoi.
Elle a un intérêt direct à un tel recours, puisqu'elle serait la première à
pâtir de l'action d'une juridiction partiale.
Le renvoi dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice est d'une
autre nature : comme son nom l'indique, il a d'abord pour finalité la justice
elle-même, la manière dont elle est rendue, et donc sa crédibilité et la
confiance que les citoyens ont en elle.
Cela justifie que ce recours est ouvert aux hauts magistrats que sont le
procureur général près la Cour de cassation et les procureurs généraux près les
cours d'appel.
On peut estimer que les parties ont également un intérêt à une bonne
administration de la justice. C'est pourquoi leur est ouverte la faculté de
saisir le procureur général près la cour d'appel. Mais, pour éviter des
manoeuvres dilatoires ou de mauvaise foi de leur part, ce magistrat s'est donc
vu confier par la loi le rôle de filtre que j'évoquais précédemment et auquel
faisait allusion M. le rapporteur.
Ce dispositif me paraît équilibré, préservant tout à la fois les intérêts de
la justice et les droits des parties. Je ne suis donc pas favorable à ce qu'on
le modifie, et je m'oppose à l'amendement n° 206.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 206.
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Je voudrais adresser non pas une observation, mais une amicale supplique à
notre rapporteur.
Nous ne sommes pas tous ici des spécialistes. Il ne faudrait pas que ce type
de débat tourne au débat d'initiés. Cela ne pourrait que favoriser
l'absentéisme !
M. Michel Charasse.
C'est le code pénal !
M. Michel Caldaguès.
Je dois dire que, sur cet amendement tel qu'il a été exposé, je suis quelque
peu perplexe, et je ne suis pas le seul. Je n'ai peut-être pas l'esprit
suffisamment rapide
(Protestations)
pour me remémorer toutes les données
qui permettraient de prendre la décision qui convient.
Aussi, quand j'entends M. le rapporteur se borner à dire que la commission
considère que le procureur doit rester un filtre, je suis tenté de lui demander
d'amicalement contribuer à sortir de leur ignorance ses collègues en leur
expliquant, peut-être de façon un peu plus détaillée, pourquoi il considère que
le procureur doit rester un filtre. Faute de quoi je ne prendrai pas part au
vote, parce que je me considérerai comme insuffisamment informé.
M. le président.
Monsieur le sénateur, nous souhaitons achever la discussion de ce texte, qui
est très important.
La commission des lois s'est efforcée d'examiner tous les amendements qui lui
ont été présentés, cela dans des conditions de travail extrêmement
difficiles.
M. Michel Charasse.
Admirables !
M. le président.
Admirables, comme le dit M. Charasse.
Les présidents de séance ont exhorté les orateurs, moi le premier, d'abord à
respecter leur temps de parole, puis à être concis, tout en étant naturellement
suffisamment explicites pour que les béotiens, parmi lesquels vous vous rangez,
sans doute à tort, puissent dans l'instant saisir les tenants et les
aboutissants de tel ou tel amendement.
Il faut trouver une cote mal taillée, et nous essayons de la tailler le mieux
possible afin de terminer la discussion de ce texte dans la semaine, comme le
Gouvernement le souhaite.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Quelle semaine ?
(Sourires.)
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Chaque fois que l'on me fait un reproche, j'essaie de le
prendre de bonne grâce pour m'améliorer.
M. Michel Caldaguès.
Surtout quand il est formulé de bonne grâce !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Selon la technique qui est la nôtre - enfin, c'est ainsi que
je l'ai comprise - l'auteur d'un amendement expose son texte. Quand l'exposé
est lumineux - ce qui a été le cas pour l'amendement n° 206 - et complet,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Complet et au-delà !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... il est inutile que le rapporteur l'expose de nouveau.
M. Dreyfus-Schmidt ayant complètement présenté son amendement, la commission
pouvait donc se contenter d'un avis cursif, respectant ainsi les desiderata
exprimés par ceux qui nous font l'honneur d'assister à cette discussion depuis
le début. Voilà la situation dans laquelle je me trouve.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement exposé la situation qui est la
nôtre.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
Je vous donne la parole, monsieur le président de la commission, en vous
rappelant les consignes !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, j'ai bien
entendu votre observation, mais je me permets de vous faire remarquer qu'au
rythme qui est le nôtre - rythme que véritablement nous n'avons pas voulu
ralentir et que nous ne ralentissons pas - nous risquons, à la reprise de nos
travaux, à vingt et une heures trente, de nous trouver à la tête de 150
amendements. Ce n'est pas possible, d'autant que nous examinons dix amendements
à l'heure, ce qui représente quinze heures de débat !
(Murmures sur les
travées socialistes.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Même si nous accélérons, il faudra
bien dix heures de débat ! Je n'y suis pas disposé.
M. le président.
Monsieur le président de la commission, je vous remercie d'avoir rappelé votre
position. Mme le garde des sceaux a fait hier soir une observation de même
nature.
Mes chers collègues, revenons-en à l'amendement n° 206.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Je pose une question. Peut-être M. le rapporteur ou Mme le garde des sceaux
pourront-ils y répondre.
La disposition proposée par M. Dreyfus-Schmidt ne serait-elle pas finalement
la bienvenue dans une affaire similaire ou voisine de celle de Corse ?
M. Charles de Cuttoli.
Je crois que oui.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, vous remarquerez que, à chaque fois que je prends la
parole, j'essaie d'être le plus bref possible.
Si quinze heures de débat sont encore nécessaires, nous pouvons siéger cette
nuit pendant un certain nombre d'heures. J'ai connu une époque, sous le
président Dailly, où les séances duraient jusqu'à six heures, voire jusqu'à
neuf heures du matin sans même que nous en ayons été avertis à l'avance.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ce n'est pas un modèle à suivre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Lorsque nous discutions de la loi Peyrefitte, nous avions dû siéger le
dimanche, et nous l'acceptions.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Les sessions ne duraient que deux
fois trois mois !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je suis prêt, quant à moi, à siéger la nuit et à siéger dimanche...
M. le président.
Mes chers collègues, nous en sommes à l'amendement n° 206, sur lequel M.
Dreyfus-Schmidt explique son vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout le monde ayant fait des considérations sur le déroulement du débat, j'ai
pensé avoir le droit, moi aussi, d'en dire deux mots : c'est ce que j'ai
fait.
S'agissant de l'amendement n° 206, je ne suis pas du tout convaincu par les
explications qui nous ont été données, et par le rapporteur et par Mme le garde
des sceaux.
M. Haenel a pris un exemple qui illustre parfaitement le problème : même s'il
n'y a pas suspiscion légitime, il peut y avoir, pour une bonne administration
de la justice, nécessité de recourir à une autre juridiction que celle qui est
normalement compétente et, si ce n'est pas l'avis du parquet, ce peut être
l'avis de la chambre criminelle de la cour de cassation. C'est pourquoi je
maintiens mon amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 206, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 9.
Par amendement n° 137, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 9, un
article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les articles 679 à 686 du code de procédure pénale sont rétablis dans
la rédaction suivante :
«
Art. 679.
- Lorsqu'un membre du Conseil d'Etat, de la Cour de
cassation ou de la Cour des comptes, un préfet, un magistrat de l'ordre
judiciaire, un magistrat consulaire ou un magistrat des tribunaux
administratifs est susceptible d'être mis en examen pour un crime ou un délit
commis hors l'exercice de ses fonctions, le procureur de la République, saisi
de l'affaire, présente requête à la chambre criminelle de la Cour de cassation,
qui procède et statue comme en matière de règlement de juges et désigne la
juridiction chargée de l'instruction et du jugement de l'affaire.
« La chambre criminelle doit se prononcer dans la huitaine qui suit le jour où
la requête lui sera parvenue.
«
Art. 680.
- Le juge d'instruction désigné conformément aux
dispositions de l'article 83 doit procéder personnellement aux auditions, aux
interrogatoires et aux confrontations des personnes visées aux articles 679 et
687 en considération desquelles sa désignation a été évoquée.
«
Art. 681.
- Lorsqu'une des personnes énumérées à l'article 679, ou un
maire, ou l'élu municipal le suppléant, ou un président de communauté urbaine,
de district ou de syndicat de communes, ou le président ou le vice-président
d'une délégation spéciale, sont susceptibles d'être mis en examen pour un crime
ou un délit commis dans l'exercice de leurs fonctions, le procureur de la
République saisi de l'affaire présente, sans délai, requête à la chambre
criminelle de la Cour de cassation, qui statue comme en matière de règlement
des juges et désigne la chambre d'accusation qui pourra être chargée de
l'instruction.
« S'il estime qu'il y a lieu à poursuite, le procureur général près la cour
d'appel désignée en application des dispositions de l'alinéa précédent requiert
l'ouverture d'une information.
« L'information peut être également ouverte si la partie lésée adresse une
plainte, assortie d'une constitution de partie civile, aux présidents et
conseillers composant la chambre d'accusation.
« Dans ce cas, communication de cette plainte au procureur général est
ordonnée pour que ce magistrat prenne des réquisitions ainsi qu'il est dit à
l'article 86.
« L'information est commune aux complices de la personne poursuivie et aux
autres auteurs de l'infraction commise, lors même qu'ils n'exerçaient point de
fonctions judiciaires ou administratives.
« Lorsque le crime ou le délit dénoncé a été commis à l'occasion d'une
poursuite judiciaire et implique la violation d'une disposition de procédure
pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de
la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une
décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie.
« La procédure prévue au présent article est également applicable lorsqu'un
avocat est susceptible d'être mis en examen pour un des délits visés à
l'article 433-5 du code pénal.
«
Art. 682
- La chambre d'accusation saisie commet un de ses membres
qui prescrit tous actes d'instruction nécessaires dans les formes et conditions
prévues par le chapitre premier du livre premier. Ce magistrat a compétence
même en dehors des limites prévues par l'article 93.
« Il peut requérir par commission rogatoire tout juge, tout officier de police
judiciaire ou tout juge d'instruction dans les conditions prévues par les
articles 151 et 155.
« Les décisions de caractère juridictionnel, notamment celles relatives à la
mise ou au maintien en détention ou à la mise en liberté de l'inculpé ainsi que
celles qui terminent l'information, sont rendues par la chambre d'accusation
après communication du dossier au procureur général.
« Sur réquisitions du procureur général, le président de cette chambre peut,
avant sa réunion, décerner mandat contre l'inculpé. Dans les cinq jours qui
suivent l'arrestation de l'inculpé, la chambre décide s'il y a lieu ou non de
maintenir en détention.
«
Art. 683
- Lorsque l'instruction est terminée, la chambre
d'accusation peut :
« - Soit dire qu'il y a lieu à poursuivre ;
« - Soit, si l'infraction retenue à la charge de l'inculpé constitue un délit,
le renvoyer devant une juridiction correctionnelle du premier degré, autre que
celle dans le ressort de laquelle l'inculpé exerçait ses fonctions ;
« - Soit, si l'infraction retenue constitue un crime, le renvoyer devant une
cour d'assises, autre que celle dans le ressort de laquelle l'accusé exerçait
ses fonctions.
«
Art. 684
- Les arrêts de la chambre d'accusation sont susceptibles de
pourvoi dans les conditions déterminées par le titre premier du livre III.
Toutefois, par dérogation à l'article 574, l'arrêt de la chambre d'accusation
portant renvoi du mis en examen devant le tribunal correctionnel peut, dans
tous les cas, faire l'objet d'un pourvoi en cassation. L'arrêt de renvoi devenu
définitif couvre, s'il en existe, les vices de la procédure antérieure.
«
Art. 685
- Lorsqu'un officier de police judiciaire est susceptible
d'être mis en examen pour un crime ou un délit, qui aurait été commis dans la
circonscription ou il est territorialement compétent, hors ou dans l'exercice
de ses fonctions, ou s'il s'agit d'un maire ou de ses adjoints, lorsque les
dispositions de l'article 681 ne leur sont pas applicables, le procureur de la
République saisi de l'affaire présente sans délai requête à la chambre
criminelle de la Cour de cassation, qui procède et statue comme en matière de
règlement des juges et désigne la juridiction chargée de l'instruction et du
jugement de l'affaire.
« La chambre criminelle se prononce dans la huitaine qui suit le jour auquel
la requête lui est parvenue.
« Les dispositions des articles 680 et du cinquième alinéa de l'article 681
sont applicables.
«
Art. 686
- Jusqu'à la désignation de la juridiction compétente comme
il est dit ci-dessus, la procédure est suivie conformément aux règles de
compétence de droit commun.
« II. - L'article L. 341-3 du code forestier est rétabli dans la rédaction
suivante :
«
Art. L. 341-3
- Les dispositions de l'article 687 du code de
procédure pénale sont applicables aux crimes et délits commis, dans la
circonscription où ils sont territorialement compétents, par les ingénieurs de
l'Etat chargés des forêts, dans leurs fonctions ou hors de leurs fonctions, et
par les techniciens et agents de l'Etat chargés des forêts dans l'exercice de
leurs fonctions de police judiciaire.
« III. - L'article L. 115 du code électoral est rétabli dans la rédaction
suivante :
«
Art. L. 115
- Les articles 679 à 688 du code de procédure pénale sont
applicables aux crimes et aux délits ou à leurs tentatives qui auront été
commis afin de favoriser ou de combattre une candidature de quelque nature
qu'elle soit.
« IV. - Après le premier alinéa de l'article L. 212-8 du code des juridictions
financières, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les magistrats bénéficient du privilège de juridiction prévu à l'article 679
du code de procédure pénale. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Voilà quelques années, nous avons adopté des dispositions mettant un terme à
ce que l'on appelle à tort les « privilèges » de juridictions. Il ne reste plus
maintenant qu'un seul privilège : la Cour de justice de la République pour les
membres du Gouvernement. Je me pose la question de savoir si l'absence de
privilège de juridiction joue bien pour tous les citoyens de ce pays.
Je remarque, en effet - Mme le garde des sceaux va dire encore que je cite les
magistrats, mais je n'y peux rien : n'étant pas leur chef syndicaliste, je
peux, de temps en temps, dire ce que je pense - qu'aucun magistrat n'est jamais
jugé dans le ressort où il a commis la faute et cela me paraît normal, mais je
ne sais pas comment cela se passe.
En tout cas, je relève aussi qu'en Corse, dont M. Haenel vient de parler, le
préfet, le colonel de gendarmerie, le directeur de cabinet du préfet et des
gendarmes continuent, pour des faits qui se sont produits sur l'île, à relever
pour l'instant de la juridiction locale, alors que le climat local est
passionnel à l'extrême et qu'il est de notoriété publique qu'entre les
autorités de poursuite - non pas les magistrats du siège, mais, en tout cas,
certains magistrats du parquet - et les autorités préfectorales, les relations
étaient, avant les événements, déjà tendues.
Je propose carrément le rétablissement du privilège de juridiction, à moins
que Mme le garde des sceaux ne me dise comment cela se passe exactement pour
les magistrats, puisqu'ils échappent toujours à la juridiction locale.
J'ai vu récemment l'ancien président de la chambre d'accusation de Chambéry
jugé pour pédophilie à Paris et je ne sais pas pourquoi il n'a pas été jugé sur
place. Il était connu là-bas ; cela aurait peut-être aidé à éclairer les
choses. Pourquoi deux poids, deux mesures ?
La loi étant ce qu'elle est, je ne comprends pas pourquoi le parquet ne prend
pas spontanément la décision, dans des cas comme celui de la Corse, de demander
à la Cour de cassation de désigner une autre juridiction. Il ne peut pas y
avoir deux poids, deux mesures entre la crème, à savoir les magistrats, et la
plèbe, c'est-à-dire les autres.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission a émis un avis favorable sur cet amendement
tendant à rétablir les articles 679 à 686 du code de procédure pénale, qui ont
été abrogés par la loi du 4 janvier 1993.
Il ne s'agit pas, comme certains l'ont dit, d'un privilège de juridiction.
Bien au contraire ! Il s'agit d'une délocalisation qui a semblé normale pendant
très longtemps et qui, tout d'un coup, est apparue anormale. On peut estimer
devoir y revenir. J'espère avoir été assez explicite, monsieur Caldaguès, étant
donné la clarté de l'exposé de l'orateur qui m'a précédé.
(Sourire.)
M. Michel Caldaguès.
Absolument !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
L'amendement n° 137 tend à rétablir les privilèges de
juridiction, qui ont été abrogés par la loi du 4 janvier 1993.
M. Michel Charasse.
Sauf pour les magistrats !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Les raisons qui ont justifié cette abrogation, et que
je rappellerai, sont toujours valables et me conduisent à émettre un avis
défavorable sur cet amendement.
D'abord, les privilèges de juridiction ont eu pour principale conséquence de
provoquer des annulations de procédure en raison de leur maniement très
délicat. Je citerai, à cet égard, un exemple célèbre, l'affaire Papon, dont
toute la procédure a dû être reprise à zéro en raison d'une annulation de ce
genre.
M. Michel Charasse.
La faute à qui ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je précise que ces annulations n'interdisaient pas,
sauf en cas de prescription, de recommencer les poursuites contre les personnes
protégées par ces privilèges.
Ces privilèges avaient aussi pour conséquence de porter gravement atteinte à
la réputation des personnes en cause. Dès que le nom d'une personne protégée
apparaissait dans la procédure, il fallait saisir la Cour de cassation pour
qu'elle désigne une autre juridiction, juge d'instruction ou chambre
d'accusation, pour connaître de la procédure. La personne protégée risquait
ainsi de se voir stigmatiser.
Voilà pourquoi je pense que la suppression des privilèges de juridiction
constituait un progrès, et qu'il ne faut pas revenir en arrière.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Madame le garde des sceaux, les mots ont leur importance.
Vous venez d'employer l'expression « privilèges de juridiction ». Je rappelle
qu'un privilège de juridiction, dans le droit français, signifie réserver une
juridiction à quelqu'un. En l'occurrence, il n'est pas question de juridiction
réservée. Il s'agit d'une délocalisation dans une autre juridiction de même
nature.
On peut concevoir en effet qu'un président de conseil général ou un président
de conseil régional, ...
M. Jean-Jacques Hyest.
Un préfet...
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... ou un préfet ne soit pas en bons termes avec le procureur
général.
En tout cas, on ne peut pas dire que le Sénat veut rétablir le privilège de
juridiction. Telle n'est pas notre volonté. Il s'agit simplement d'un problème
de délocalisation, ce qui n'est pas du tout la même chose.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, je m'aperçois que, dans le texte que je propose pour
l'article 681 du code de procédure pénale, j'ai oublié, après les mots : « une
délégation spéciale », d'ajouter les mots : « ou le président ou le
vice-président d'un conseil général ou régional », pour couvrir tout le monde.
Je souhaite donc rectifier mon amendement pour remédier à cette omission.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 137 rectifié, dans lequel le texte
proposé pour l'article 681 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
«
Art. 681.
- Lorsqu'une des personnes énumérées à l'article 679, ou un
maire, ou l'élu municipal le suppléant, ou un président de communauté urbaine,
de district ou de syndicat de communes, ou le président ou le vice-président
d'une délégation spéciale, ou le président ou le vice-président d'un conseil
général ou régional sont susceptibles d'être mis en examen pour un crime ou un
délit commis dans l'exercice de leurs fonctions, le procureur de la République
saisi de l'affaire présente, sans délai, requête à la chambre criminelle de la
Cour de cassation, qui statue comme en matière de règlement des juges et
désigne la chambre d'accusation qui pourra être chargée de l'instruction.
« S'il estime qu'il y a lieu à poursuite, le procureur général près la cour
d'appel désignée en application des dispositions de l'alinéa précédent requiert
l'ouverture d'une information.
« L'information peut être également ouverte si la partie lésée adresse une
plainte, assortie d'une constitution de partie civile, aux présidents et
conseillers composant la chambre d'accusation.
« Dans ce cas, communication de cette plainte au procureur général est
ordonnée pour que ce magistrat prenne des réquisitions ainsi qu'il est dit à
l'article 86.
« L'information est commune aux complices de la personne poursuivie et aux
autres auteurs de l'infraction commise, lors même qu'ils n'exerçaient point de
fonctions judiciaires ou administratives.
« Lorsque le crime ou le délit dénoncé a été commis à l'occasion d'une
poursuite judiciaire et implique la violation d'une disposition de procédure
pénale, l'action publique ne peut être exercée que si le caractère illégal de
la poursuite ou de l'acte accompli à cette occasion a été constaté par une
décision devenue définitive de la juridiction répressive saisie.
« La procédure prévue au présent article est également applicable lorsqu'un
avocat est susceptible d'être mis en examen pour un des délits visés à
l'article 433-5 du code pénal. » Le reste est sans changement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 137 rectifié ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Toujours défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 137 rectifié.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je tiens à dire que je suis, moi aussi, tout à fait favorable à cet
amendement.
Je regrette, madame le garde des sceaux, que vous nommiez la disposition en
cause un « privilège ». C'est une façon de clouer au pilori une mesure de bonne
administration de la justice.
Il est tout à fait inexact et illusoire de croire qu'étant envoyé devant une
juridiction extérieure à son territoire le prévenu éventuel a un avantage, ce
n'est pas sûr. Au contraire, dans l'endroit où il est administrateur, où il a
des responsabilités, il risque plutôt de bénéficier d'une certaine
compréhension. Certes, le fait peut susciter des rumeurs, des commentaires
désagréables pour lui, pour sa famille, pour ses proches, avec rejaillissement
sur la juridiction. Mais on ne sait pas du tout si ce sera un avantage pour lui
d'être déféré devant un autre tribunal. Ce que l'on sait, c'est que la sérénité
de la justice gagnera.
Quand j'avais examiné le problème de la responsabilité des maires, j'avais,
quant à moi, regretté la suppression de cette ancienne disposition. Je n'avais
pas osé, par timidité peut-être, proposer qu'elle soit reprise, c'était
d'ailleurs un peu en dehors du sujet. Je suis donc très content que M. Charasse
ait pris cette initiative. Selon moi, il serait tout à fait sage de voter cet
amendement.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je souhaiterais apporter une précision.
Première remarque : ce qu'il est convenu d'appeler les privilèges de
juridiction étaient utilisés, en réalité, pour annuler les procédures. En
effet, à partir du moment où le nom d'un officier de police judiciaire était
cité dans une procédure, il fallait absolument tout arrêter. Tout était
suspendu à l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation. C'est la
raison essentielle pour laquelle ils ont été supprimés en janvier 1993.
Seconde remarque : il n'y a pas de procédure particulière pour les magistrats.
Récemment, dans le Nord, un magistrat a été convaincu de corruption. Il a été
mis en détention provisoire sur le lieu du tribunal dans lequel il exerçait ses
fonctions. Ensuite se posera peut-être la question de savoir s'il sera jugé
ailleurs, comme ce serait logique.
En tout cas, je ne peux pas laisser dire ici, sans réagir que le préfet
Bernard Bonnet serait en détention provisoire parce qu'il aurait eu de mauvais
rapports avec les membres du parquet. On ne peut pas tenir ce genre de propos
!
Il est en effet de notoriété publique que M. Bonnet accomplissait ses
fonctions de façon extensive et qu'il y a eu des discussions au départ sur les
champs respectifs, comme c'est normal, de la justice et de l'autorité
administrative. Cela se produit tous les jours dans la vie administrative.
C'est une histoire de fonds de commerce et de compétences.
M. Jean-Pierre Schosteck.
D'accord !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mais je ne peux pas laisser dire, parce qu'il y a des
rumeurs, insistantes d'ailleurs, qui sont propagées en ce sens, que ce serait
l'explication de la détention du préfet Bonnet.
Je m'élève absolument contre ce type d'interprétation.
M. Michel Charasse.
Tout le monde sait que les magistrats ne propagent jamais de fausses rumeurs
!
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le Sénat vient d'adopter, sur notre proposition, un amendement qui permet aux
parties de demander le dessaisissement dans l'intérêt d'une bonne
administration de la justice. Nous nous en félicitons.
Faut-il pour autant aller jusqu'à rétablir ce que tout le monde a toujours
appelé « le privilège de juridictions » ...
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
A tort !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... même si ce n'est pas un privilège ? Il avait été supprimé - il ne faut pas
l'oublier - parce qu'il constituait pour beaucoup d'élus qui avaient fauté, un
moyen de gagner du temps et de retarder le procès. C'est pourquoi l'opinion
publique à l'époque, à tort ou à raison et sans doute à raison, a généralement
dénoncé ce qu'on appellait donc un privilège,...
M. Michel Charasse.
Qui c'est l'opinion publique ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et c'est pourquoi le législateur a supprimé ce privilège.
J'estime qu'il a bien fait et qu'il n'y a pas de raison de le rétablir.
J'ai déjà eu l'occasion de dire, ce matin, que j'estimais que tous les
citoyens devaient être traités de la même manière, qu'ils soient élus ou non,
qu'ils soient magistrats ou non. C'est un principe constitutionnel.
Voilà les raisons pour lesquelles je voterai contre l'amendement n° 137
rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Moi, je n'ai toujours pas de réponse à ma question : pourquoi la
délocalisation est-elle presque toujours appliquée pour les magistrats, alors
qu'elle ne l'est pas pour les autres citoyens. Et quel est le rôle du parquet
dans ce genre d'affaires ? J'aimerais bien le savoir !
Si j'ai bien compris le raisonnement de Mme le garde des sceaux, on a supprimé
ce système parce que la Cour de cassation annulait sans cesse les procédures.
Mais qui donc était responsable du non-respect des textes ? Les magistrats !
Ils se prenaient les pieds dans le tapis et ils se faisaient finalement «
planter » par la Cour de cassation !
Autrement dit, ce que les magistrats n'arrivent pas à appliquer, on le
supprime !
Au fond, cela signifie qu'il suffit que, demain, un texte gêne les magistrats,
qu'ils se fassent systématiquement « planter » en Cour de cassation, pour qu'on
vienne nous demander de le supprimer !
Moi, tant que je n'ai pas la réponse à la question, « y a-il égalité entre les
citoyens dans ce pays ou bien, selon qu'ils sont magistrats ou non, sont-ils
jugés au lieu de la faute ou ailleurs ? », je maintiens mon amendement.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 137 rectifié, accepté par la commission et
repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 9.
Chapitre II
Dispositions renforçant les garanties judiciaires
en matière de détention provisoire
Section 1 A
Dispositions générales
M. le président.
Monsieur le rapporteur, j'observe que, par un amendement n° 22, vous proposez
un nouvel intitulé pour cette section.
Ne croyez-vous pas qu'il conviendrait, en bonne logique, de le réserver
jusqu'après l'examen de l'article 10 C ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
En effet, monsieur le président.
M. le président.
Madame le garde des sceaux, êtes-vous d'accord sur cette réserve ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
En conséquence, la réserve est ordonnée.
Articles additionnels avant l'article 10 A
M. le président.
Par amendement n° 93, M. Hyest propose d'insérer, avant l'article 10 A, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Les mots : "détention provisoire" sont remplacés, dans toutes les lois y
faisant référence, par les mots : "détention exceptionnelle". »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
En 1970, il a été décidé de substituer la « détention provisoire » à la «
détention préventive », expression que l'on continue néanmoins souvent
d'employer tant elle était ancrée dans les esprits.
Il reste que « détention préventive » avait le mérite de bien signifier qu'il
s'agissait de « prévenir » un certain nombre de choses, d'empêcher les
intéressés de s'échapper, de communiquer avec des témoins, etc.
Quant à l'expression « détention provisoire », elle est d'autant moins
satisfaisante que, en dehors de la réclusion criminelle à perpétuité, toute
détention est provisoire. Autrement dit, cette forme de détention n'est pas
véritablement caractérisée et, de ce fait, on a tendance à confondre, en
matière de délit, la détention avant le jugement et la détention après le
jugement.
Il en résulte que, dans l'esprit général, la détention « provisoire »
constitue aussi un pré-jugement. Au moment où nous nous préoccupons de mieux
protéger la présomption d'innocence, il me semble que nous devrions avoir cette
réalité à l'esprit.
J'ajoute que l'on cherche aussi, à travers ce projet de loi, à limiter la
détention avant jugement, que celle-ci devrait être l'exception, la liberté
étant la règle, car il faut avoir des motifs sérieux pour placer une personne
en détention avant qu'elle soit jugée.
Telles sont les raisons pour lesquelles j'ai déposé, mais sans me faire
d'illusions, cet amendement. Cependant, sachant que la commission ne m'a pas
suivi, et afin de faire gagner du temps au Sénat, je le retire.
Je voulais simplement attirer l'attention sur le poids que peuvent avoir les
mots.
M. Hubert Haenel.
Vous pouvez changer tous les mots que vous voulez, cela ne changera rien au
fait !
M. le président.
L'amendement n° 93 est retiré.
Par amendement n° 208, MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 10 A, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 105 du code de procédure pénale est complété
par les mots : "ou témoins assistés". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet amendement nous paraît de bon sens.
Lorsqu'il y a des indices gravese et concordants, on ne peut pas être entendu
comme témoin. On ne doit donc pas pouvoir non plus être entendu comme témoin
assisté.
Je pense que la commission et le Gouvernement seront d'accord sur ce point. Je
limiterai donc là mes explications.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Du fait de l'adoption de l'amendement de M. Badinter à
l'article 7, cet amendement n° 208 est satisfait.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il me semble qu'il apporte tout de même une utile précision.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'amendement de M. Badinter a d'ores et déjà rendu les choses
très claires.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais le premier alinéa de l'article 105 n'a pas été modifié !
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, M. le rapporteur vous dit que votre amendement est
satisfait.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis du même avis que M. le rapporteur.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 208.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A notre connaissance, il n'y a pas eu d'amendement pour modifier le premier
alinéa de l'article 105. Or ce premier alinéa dispose :
« Les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et
concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne
peuvent être entendues comme témoins. »
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh bien oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il convient donc bien, par cohérence, d'ajouter : « ou témoins assistés ».
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais ce problème est déjà réglé !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Justement ! C'est de la corrélation !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 208, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 10 A
M. le président.
« Art. 10 A. - L'article 137 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
«
Art. 137
. - La personne mise en examen, présumée innocente, reste
libre. Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de
mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du
contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de
ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention
provisoire. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 23, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de supprimer cet article.
Par amendement n° 94, M. Hyest propose de rédiger ainsi la seconde phrase du
texte présenté par l'article 10 A pour l'article 137 du code de procédure
pénale :
« Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, la
détention provisoire peut être ordonnée dans les cas prévus à l'article 144 et
pendant le temps où sont remplies les conditions prévues à l'article 144-1.
»
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 23.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'article 10 A tend à modifier l'article 137 du code de
procédure pénale, qui prévoit que la liberté des personnes mises en examen est
la règle et que la détention provisoire ne doit être utilisée que lorsqu'elle
est strictement nécessaire.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement visant simplement à préciser que
la personne mise en examen est présumée innocente. Cette précision ne paraît
pas utile, d'autant que, même si la personne mise en examen est présumée
innocente, il existe néanmoins contre elle des indices laissant présumer
qu'elle a commis une infraction.
La présomption d'innocence est, de toute façon, désormais clairement inscrite
dans l'article préliminaire du code de procédure pénale, aux termes de
l'article 1er du présent projet de loi. Je pense que cela suffit.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, pour présenter l'amendement n° 94.
M. Jean-Jacques Hyest.
Cet amendement vise à préciser, dans la présentation de la détention
provisoire, que celle-ci est strictement encadrée par les mesures prévues aux
articles 144 et 144-1.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 94 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission proposant la suppression de cet article, elle
ne peut être favorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'étais favorable à la précision introduite par
l'Assemblée nationale et je n'ai pas changé d'avis. Je suis donc défavorable à
l'amendement n° 23.
Quant à l'amendement n° 94, je dois dire que je lui préfère le texte adopté
par l'Assemblée nationale. J'y suis donc également défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 10 A est supprimé et l'amendement n° 94 n'a plus
d'objet.
Article additionnel après l'article 10 A
M. le président.
Par amendement n° 95, M. Hyest propose d'insérer, après l'article 10 A, un
article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 145 du même code est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque la mise en examen a été requise dans son réquisitoire introductif
par le procureur de la République, les pouvoirs définis dans les alinéas
précédents sont exercés par le juge d'instruction. Dans tous les autres cas,
ils sont exercés par le président du tribunal ou le juge délégué par lui.
« Ce magistrat est saisi par le juge d'instruction au moyen d'une ordonnance
précisant qu'il lui demande de se prononcer sur l'éventualité d'une mise en
détention de la personne mise en examen.
« Il statue après un débat contradictoire au cours duquel sont entendues les
réquisitions du ministère public, puis les observations de la personne et, le
cas échéant, celles de son avocat.
« Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil sauf
s'il est fait application du huitième alinéa.
« S'il décide, à l'issue du débat, de rendre une ordonnance de mise en
détention, il décerne également un mandat de dépôt dans les conditions prévues
aux articles 122 et suivants. S'il ne prescrit pas la détention, il peut placer
la personne sous contrôle judiciaire. »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, il me paraît illusoire
de créer un juge de la détention provisoire à côté du juge d'instruction,
d'autant que les moyens nécessaires à une telle réforme, notamment, seraient
bien plus utiles ailleurs, par exemple pour renforcer certains cabinets
d'instruction.
J'ajoute que retirer au juge d'instruction la détention provisoire, notamment
lorsqu'il agit sur réquisition du parquet, c'est montrer qu'on ne lui fait pas
confiance, qu'on le considère comme un juge à charge et non comme un juge à
charge et à décharge, et cela dès le début de la procédure.
Je vous rends attentifs au fait que, petit à petit, on transforme le juge
d'instruction en inquisiteur.
Lorsqu'il résulte des investigations du juge d'instruction que la mise en
détention s'impose au cours de la procédure, celui-ci ne doit pas être juge et
partie, et il me paraît alors normal qu'on demande à un autre juge de se
prononcer sur la mise en détention provisoire. En revanche, lorsque le juge
d'instruction agit sur réquisition du parquet, et c'est le cas le plus
fréquent, il doit être mis en mesure de contrecarrer les demandes quasi
systématiques du parquet tendant à la mise en détention provisoire.
On dit généralement que c'est le juge d'instruction qui est le responsable ;
en fait, bien souvent, c'est le ministère public ! Et pourquoi le ministère
public demande-t-il aussi régulièrement la mise en détention provisoire ? Parce
que, faute de moyens, il n'est pas possible de mettre sérieusement en oeuvre le
contrôle judiciaire ! Dès lors, la mise en détention apparaît évidemment comme
la solution la plus simple ! Telle est la réalité quotidienne de nos
juridictions.
On peut faire toutes les réformes possibles ; si elles ne s'inscrivent pas
dans un ensemble cohérent, elles n'ont d'autre intérêt que médiatique. Il
s'agit en fait simplement d'affirmer devant l'opinion que l'on a pris des
mesures pour réduire le nombre des mises en détention provisoire. Je veux bien
prendre date, mais je n'y crois guère et je pense que, dans deux ou trois ans,
on nous proposera d'autres réformes.
Il en ira ainsi tant que nous n'instituerons pas une instruction collégiale,
car c'est cela qui changerait véritable la nature de ce système.
Pour l'heure, je ne crois absolument pas à l'efficacité d'un juge uniquement
chargé des mises en détention provisoire. C'est pourquoi je propose que le juge
de la détention provisoire n'intervienne que lorsque la mise en détention
résulte des investigations du juge d'instruction. A ce moment-là, oui, un point
de vue extérieur, qui serait bien sûr celui du président du tribunal ou de son
délégué, est utile.
De plus, comme le nombre de mises en détention dont il s'agit est assez
réduit, cela n'exigerait pas qu'on y consacre des moyens importants.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Evidemment, cet amendement est important dans la mesure où,
s'il était voté, c'est toute l'architecture du texte adoptée par la commission
des lois qui serait remise en cause.
Au cours d'une discussion qui a été très approfondie, nous avons certes admis
qu'il était extrêmement utile que ce ne soit pas le juge qui informe qui prenne
la décision si grave de mettre un homme en prison et de lui retirer ainsi sa
liberté.
Quant au problème de la collégialité, nous l'avons abordé, nous le verrons par
la suite, à travers la création d'un référé « liberté provisoire » impliquant
une collégialité.
Si nous votions l'amendement n° 95, c'est-à-dire si nous admettions le système
que vous nous proposez, monsieur Hyest, nous porterions atteinte à
l'architecture globale du texte, donc à la technique du juge de la détention
provisoire.
Vous dites que, notamment dans un cas, le juge d'instruction conserverait son
pouvoir, à la demande du procureur de la République.
M. Jean-Jacques Hyest.
Non, ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Personnellement, je ne peux pas accepter cet amendement et je
m'en tiens au système qui a été retenu par la commission : dorénavant, le juge
de la détention provisoire siégera au sein de chacun des tribunaux de grande
instance et il aura à se prononcer, en conscience, sur la mise en détention
provisoire, selon le système de la passerelle, que j'expliquerai plus tard. En
cas de contestation dans un délai extrêmement bref, les trois juges de la
chambre d'accusation seront saisis. La partie pourra également saisir la
chambre d'accusation, mais nous verrons ce point plus tard.
Reconnaissez donc, monsieur Hyest, que votre système n'est pas cohérent avec
celui que nous avons admis !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est normal ! Sinon, il ne faudrait plus déposer d'amendement !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je ne dis pas que vous n'avez pas le droit de les déposer
!
M. Jean-Jacques Hyest.
J'ai même le droit de convaincre le Sénat que mes amendements sont meilleurs
que ceux de la commission !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Non seulement vous avez le droit de le convaincre, mais, si
vous y croyez, vous avez le devoir de le faire. Mais là n'est pas le problème
!
En fait - et je m'adresse en particulier aux personnes qui n'auraient pas
suivi l'ensemble du débat - il s'agit véritablement d'un amendement clé.
M. Jean-Jacques Hyest.
Bien sûr !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il traite non pas simplement de l'un des aspects du texte,
mais de tous les aspects.
M. Jean-Jacques Hyest.
D'une partie !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
D'ailleurs, vous le savez tellement bien que, dans votre
exposé, que j'ai écouté avec beaucoup d'attention, vous avez déclaré ne pas y
croire personnellement.
M. Jean-Jacques Hyest.
Au juge de la détention !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cela signifie que vous ne croyez pas au système. Donc, vous
en proposez un autre. Je souhaite attirer l'attention de nos collègues sur le
fait que c'est l'ensemble du système qui a été admis par la commission des
lois.
D'ailleurs, si nous n'avions pas adopté le système du juge de la détention
provisoire, d'où découlent pratiquement 80 % du texte - c'est une partie très
importante du dispositif de la présomption d'innocence tel qu'il nous est
présenté - peut-être aurait-il été plus utile d'éviter tout ce débat et de
déposer une motion tendant à opposer la question préalable sur ce point, qui
est quand même le fond du problème : le chapitre consacré au juge de la
détention provisoire est, je le répète, l'un des chapitres clés du projet de
loi.
Telle est la position de la commission. Cet amendement est vraiment
incompatible avec l'ensemble du système retenu. Techniquement, il vient en
discussion avant les autres amendements relatifs au juge de la détention
provisoire. C'est la raison pour laquelle j'ai été conduit à donner cette
explication.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Il faut bien convenir avec M. le
rapporteur que la commission a fait le choix d'un système. Il est ce qu'il est
! J'avoue que je n'y crois pas beaucoup, même si je vais le voter. En effet, ce
système tend à remplacer un homme seul par un autre homme seul. La relation qui
s'établira entre eux sera très complexe. Et, compte tenu de la nature même des
hommes, que se passera-t-il lorsque, dans un tribunal de province - il n'en est
pas de même à Paris -...
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... le juge de la détention n'aura
pas accédé à la demande d'un juge d'instruction tendant à mettre une personne
en détention provisoire ? J'attends beaucoup des statistiques...
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... pour voir ce qui se produira.
J'espère que l'on pourra alors constater que les juges de la détention auront
usé du pouvoir considérable qui leur est donné sans modération, c'est-à-dire
avec un souci d'efficacité.
Pensez-vous que le juge d'instruction, qui sera quand même désavoué...
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... sur une conclusion importante de
l'affaire qu'il était en train d'instruire sera enclin à témoigner de beaucoup
de zèle dans la poursuite de l'instruction de cette affaire ?
Quoi qu'il en soit, le dispositif proposé a une certaine logique. Il a fait
l'objet d'un long débat qui a abouti à l'adoption d'un système moyen. Je forme
le voeu que ce système fonctionne lorsqu'il sera mis en oeuvre. Mais il devra
donner lieu à des vérifications.
Dès lors qu'il ne nous a pas paru possible d'accepter le système de la
collégialité, l'un des amendements que nous approuverons tout à l'heure tend à
établir une sorte de passerelle entre une future collégialité éventuelle et le
dispositif que nous allons adopter. Mais il nous faudra bien faire un choix
définitif ! Dans combien de temps ? Je l'ignore !
Un système va être institué. Il nous faudra faire le maximum pour qu'il
fonctionne bien. J'espère que ce sera le cas ! Cet espoir est teinté non pas de
septicisme, mais d'un certain nombre d'interrogations.
M. Hubert Haenel.
De réalisme !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis évidemment défavorable à cet amendement.
Le juge d'instruction resterait compétent pour placer une personne en
détention lorsque celle-ci lui est présentée par le parquet au moment de
l'ouverture d'une information. Vous opérez là une distinction subtile qui ne me
paraît pas justifiée.
Selon les magistrats qui sont à l'origine de cette proposition, laquelle a
fait l'objet d'un article dans une revue juridique, il n'y aurait aucune raison
de douter de l'objectivité ou de l'impartialité d'un juge d'instruction qui
découvre le dossier. C'est une opinion !
Le juge d'instruction est un juge enquêteur. Afin d'éviter que ne soit mise en
cause l'impartialité du juge au sens de la Convention européenne des droits de
l'homme, il n'a pas paru souhaitable au Gouvernement que ledit juge ordonne
lui-même une détention, quel que soit le cas de figure, qu'il estimerait
nécessitée par les besoins de ses investigations.
En tout état de cause, le risque de doute sur la crédibilité du juge
d'instruction existe, que la détention intervienne au début ou en cours
d'instruction. C'est la raison pour laquelle c'est un autre juge que le juge
d'instruction, lequel mène l'information et l'instruction, qui doit être chargé
de prendre cette décision extrêmement grave pour la liberté des gens - à plus
forte raison pour des personnes qui ne sont pas encore jugées - qu'est la mise
en détention provisoire.
La collégialité est-elle souhaitable ? Peut-être, mais pas nécessairement ! On
présente la collégialité comme une garantie absolue. Sil y a plusieurs
responsables, personne n'est responsable !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est intéressant !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
En tout cas, si l'on tient à la collégialité, ce que je
comprends, à ce moment-là, il faut voir l'instauration d'un second juge, qui
aura un deuxième regard,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... comme un progrès. Je préfère que deux juges
prennent cette décision extrêmement grave, plutôt qu'un seul.
De toute façon, il reviendra au juge d'instruction de proposer la mise en
détention. Le juge de la détention provisoire n'aura pas de pouvoir de
proposition en la matière. Un dialogue s'instaurera nécessairement entre
eux.
Si le juge d'instruction propose la mise en détention et que le juge de la
détention s'oppose à cette mise en détention, ce ne sera pas nécessairement un
désaveu ! On peut être atteint par le doute ! Il y a, d'une part, la logique de
l'enquête, et, d'autre part, la logique à laquelle obéit un autre magistrat,
lequel privilégie un angle de vue différent et se pose avant tout la question
de la protection des droits, de la réputation de la personne dont le sort
dépend de sa décision.
C'est la raison pour laquelle je pense que deux juges valent mieux qu'un seul.
Bien évidemment, je ne barre pas la route à la collégialité. Si elle était
possible, elle offrirait probablement une garantie encore supérieure. Ce n'est
peut-être pas une garantie absolument étanche. En réalité, on l'utilise un peu
comme un prétexte...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Ce n'est pas mon cas !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je ne parle pas pour vous, monsieur le président !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
C'est pour moi ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Ni pour vous, monsieur le rapporteur !
On l'utilise un peu comme un prétexte, disais-je, pour écarter une réforme à
laquelle on est opposé.
A l'évidence, ce n'est pas la seule réforme importante prévue par le présent
projet de loi. La réforme des droits de la défense, les dispositions que nous
avons prises sur le témoin assisté et les autres mesures concernant la
détention provisoire sont également importantes. Mais je tiens vraiment à la
création d'un juge de la détention provisoire.
J'ajoute qu'il est précisé dans le projet de loi que ce magistrat sera un
magistrat expérimenté : il aura rang de président, de premier vice-président ou
de vice-président du tribunal. J'y vois là une garantie supplémentaire pour le
justiciable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 95.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je suis de ceux qui partagent à peu près complètement le scepticisme de notre
collègue M. Hyest. Cependant, je n'aboutis pas à la même conclusion.
Je ne fonde pas, moi non plus, de grands espoirs dans le fait de substituer un
homme à un autre. Mais je crois surtout - et, madame la garde des sceaux, vous
avez marqué une certaine hésitation qui m'a surpris - que la justice n'est pas
infaillible. Cela, nous le savons ! Selon le proverbe, elle n'est pas de ce
monde ! La question est de savoir comment elle peut être mieux rendue.
On a toujours admis que trois juges, c'est-à-dire la collégialité, c'était
quand même plus sûr qu'un seul. Cela reste fondamentalement vrai. Si tel n'est
pas le cas, alors la gestion des moyens de la justice va s'en trouver
grandement facilitée : il faut modifier l'ensemble du système judiciaire en
supprimant les formations collégiales, ce qui permettra, effectivement, de
dégager de nombreuses possibilités.
Mais dès lors que l'on admet que la collégialité est préférable à un juge
unique et que les affaires graves doivent être soumises à la collégialité, il
en découle - à moins d'être, me semble-t-il, dans une incohérence complète -
qu'une décision aussi grave que la mise en détention provisoire ne peut être
prise par un seul homme. Je ne vois guère, en effet, de décision plus grave que
celle-ci. Depuis qu'on a supprimé la peine de mort, il ne peut rien arriver, en
un sens, de plus grave.
Il y a là quelque chose de choquant ! C'est d'ailleurs, la raison pour
laquelle j'ai proposé, dans un amendement, que, dans les cas les plus graves,
on ait recours à la collégialité. Nous y reviendrons !
Cela étant, dans l'immédiat - vous l'avez dit tout à l'heure, madame le garde
des sceaux - ajouter un juge, c'est permettre qu'un autre regard soit porté sur
la question. Je ne peux donc pas croire que ce soit tout à fait inutile.
Et puis, je fais confiance à Mme le garde des sceaux : si, après une réflexion
commune avec ses collaborateurs, avec l'expérience qui est la sienne et compte
tenu des contacts qu'elle a établis avec les responsables des cours, elle a
fait cette proposition, c'est qu'elle a de sérieuses raisons de la faire.
Je me souviens du mot du cardinal de Retz, qui était cependant un homme très
averti, selon lequel on était « plus souvent la dupe de sa défiance que de sa
confiance ».
C'est en m'inspirant de ce propos que je veux bien tenter le recours à un
second juge. Et, dans ces conditions, je ne pourrai pas voter l'amendement de
mon ami Jean-Jacques Hyest.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Disons-le : ce n'est pas un sujet nouveau. J'ai regardé uniquement par
curiosité : nous en sommes à la douzième réforme de la détention provisoire en
vingt-quatre ans.
M. Hubert Haenel.
Et ce n'est pas la dernière !
M. Robert Badinter.
C'est dire que je conçois le scepticisme de ceux que je n'appellerai pas, sauf
avec un certain sourire, les « vieilles moustaches » - c'est l'expression que
l'on utilisait dans l'Armée impériale pour désigner ceux qui n'avaient plus la
fraîcheur des conscrits.
Nous avons beaucoup vu dans ce domaine. A cet égard, sans rappeler tous les
systèmes qui ont été proposés, je voudrais citer ce qu'a écrit la commission
Truche : « Cette collégialité a été estimée indispensable par la commission,
unanime, parce qu'il s'agit de la plus grave des mesures possibles, lourde de
conséquences pour la présomption d'innocence, et ce quelle que soit l'issue de
la procédure. Cette solution avait déjà été retenue dans le passé puis
abandonnée faute de moyens. La solution nécessitera évidemment une modification
de la carte judiciaire. »
Je crois que la commission Truche a rappelé ici ce qu'est le sentiment
général. Je dis : « général » car, pour ma part, j'ai une autre vision des
choses. Je la rappellerai brièvement.
Durant les premières années qui ont suivies mon arrivée à la Chancellerie,
j'étais plutôt enclin, par tempérament, je n'hésite pas à le dire, à
l'instauration d'une procédure de type accusatoire. Puis au regard de la
réalité qui est la nôtre, en particulier au regard des pouvoirs étendus de la
police judiciaire et de l'autorité qu'en fait exerce le ministre de l'intérieur
sur la police judiciaire - peut-être n'est-ce plus le cas aujourd'hui, mais,
croyez-moi, c'était le cas à l'époque - je suis arrivé à la conviction selon
laquelle tant que le parquet ne serait pas le maître de la police judiciaire,
aller vers la procédure accusatoire représenterait un risque grave pour la
liberté individuelle, et que nous ne pouvions pas le courir.
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Robert Badinter.
A partir de là, j'ai réfléchi très longuement, et certains s'en souviennent
certainement ici, au problème que posait l'instruction.
Ce n'est pas seulement la détention provisoire. Le coeur du problème de
l'instruction, c'est la solitude du juge d'instruction.
M. Hubert Haenel.
Effectivement !
M. Robert Badinter.
Nous sommes dans un monde où tout le monde travaille en équipe. Le parquet est
puissamment organisé, la police est une institution puissamment organisée, les
experts travaillent en collèges. Il n'est pas d'affaire pénale, dès lors
qu'elle est de taille, où l'on n'assiste pas à la présence d'un cabinet
important ou d'une défense qui est - je n'ose dire « plurielle » - en tout cas
composée de plusieurs avocats. Toutes les parties au procès pénal, toutes, sont
des équipes. J'ai constaté que tant qu'on laisserait le juge d'instruction à sa
solitude, on ne remédierait pas au problème qui a été posé hier : l'expérience.
Comment s'acquiert l'expérience d'un jeune professionnel ? Au contact avec les
aînés.
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Robert Badinter.
Quelle meilleure formation que celle que le jeune juge d'instruction recevrait
en faisant partie d'une chambre d'instruction avec ses collègues !
De la même façon, on remédierait, grâce à cela, au terrible problème du
départ, que ce soit pour vacances, pour raisons de santé ou pour formation
professionnelle du magistrat instructeur, qui paralyse le cours de
l'instruction. Nous savons que c'est la longueur des délais, plus que le nombre
des détentions, qui fait l'encombrement dans les prisons.
Face aux responsabilités si lourdes qui pèsent sur eux - et pas seulement en
ce qui concerne le placement en détention - il me semblait nécessaire que les
magistrats instructeurs soient en équipe et qu'ils affrontent ainsi, regroupés
au sein d'une chambre d'instruction, les responsabilités qui sont les leurs, en
dissociant bien entendu la mission de simple enquête, confiée à un juge
rapporteur, que j'appelais « le Maigret », de la fonction juridictionnelle, qui
aurait été nécessairement exercée collégialement : pas de décision grave qui ne
serait prise par la collégialité.
M. Jean-Jacques Hyest.
Dont le placement endétention !
M. Robert Badinter.
Bien entendu, mon cher collègue, au premier chef.
Je pensais que l'on aurait ainsi réglé le problème et structuré puissamment
l'instruction, puisque nous devons la conserver, face aux exigences du monde
contemporain.
J'ai commis une erreur, je le reconnais - je n'étais pas seul, d'ailleurs,
mais j'en assume la pleine responsabilité. En effet, j'ai voulu rapprocher le
piano du tabouret, au lieu de rapprocher le tabouret du piano. C'était la
question des moyens. Que fallait-il faire ? Il fallait tout simplement
redessiner non pas la carte judiciaire, mais la carte de l'instruction et
regrouper les magistrats instructeurs au sein de chambres d'instruction dans
les principales juridictions, comme on le fait pour les chambres économiques. A
ce moment-là, la question des moyens aurait été pour l'essentiel résolue. Mais
quand je l'ai compris, j'avais, hélas ! déjà quitté la Chancellerie.
Cependant je pensais que la collégialité au moins survivrait, puisque le texte
- qui avait été voté à l'unanimité, je le rappelle, par les deux chambres du
Parlement - était devenu loi. Je me disais en outre que le Conseil
constitutionnel - auquel je ne pensais pas alors - considérerait que c'était là
une garantie des libertés publiques et que l'on ne pourrait donc pas revenir en
arrière sur la collégialité, que le législateur serait donc tenu de la
maintenir.
Mais, là aussi, les faits ont démenti mes prévisions. Que s'est-il passé ?
D'abord, j'avais fait voter la présence de soixante-dix nouveaux magistrats
instructeurs. Cela a été utilisé par mon successeur à d'autres fins. Mais il
avait gardé la collégialité, en considération, je pense, de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel, sachant qu'un oeil particulièrement vigilant y était
présent à cet instant et sur ce point précis.
Puis, la fortune politique étant variable, chacun le sait, le successeur de
mon successeur rêvait, lui, de grande procédure et de la grande réforme
inspirée par les travaux importants et très intéressants de Mme Delmas-Marty.
Par conséquent, il a supprimé ce qui avait été fait par son prédécesseur, M.
Chalandon, sans pour autant rétablir ce qui avait été décidé par son pénultième
prédécesseur. Je peux vous dire que cela tombait sous le coup de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais celui-ci n'a pas été saisi.
Ainsi se sont trouvées les choses et nous avons continué, de reforme en
réforme, toujours renâclant devant l'importance des moyens à mettre en
oeuvre.
Aujourd'hui, vous nous proposez cette disposition. Madame le garde des sceaux,
je le dis très franchement : je la voterai, et pas seulement parce que je vous
admire et pour votre talent, et pour votre caractère et pour votre force de
conviction, trois vertus cardinales qui font la femme d'Etat. Vous le voyez,
dans ce domaine, il n'y a pas de genre, il n'y a que des mérites !
M. Hubert Haenel.
Vous oubliez le charme !
M. Robert Badinter.
Le charme n'a rien à voir avec les qualités que j'ai évoquées. Laissons le
charme de côté, ce n'est pas l'objet de la définition de la femme d'Etat, ni
d'ailleurs de l'homme d'Etat, bien qu'il y aurait beaucoup à dire à cet égard
en reprenant la jurisprudence internationale comparée !
Je reviens à notre sujet. Ce que vous faites constitue un progrès. Il y aura
l'interrogation que se posera le juge avant d'envoyer son ordonnance motivée au
second juge ; il prendra conscience, la plume à la main, de la difficulté de
justifier cette mesure. Cet instant de réflexion pourra être salutaire ; c'est
ce que nous espérons.
Puis il y aura le débat devant l'autre juge. Là encore, nous pensons que l'on
améliorera les choses. Pour autant, réussirons-nous dans cette entreprise ?
Nous le souhaitons. La commission des lois a voté cette disposition. Nous y
avons ajouté un appel à jour fixe très rapide et bloqué, plutôt qu'un référé,
pour achever l'amélioration du système.
J'en arrive à ma dernière réflexion. Indépendamment des voeux qui vous
accompagnent, elle est la suivante : quand on regarde cette succession de
textes et leur effectivité, on constate que seuls deux textes ont eu une
influence sur le taux de détention provisoire : l'un date de 1975, l'autre,
c'est la réforme de 1984. Le texte de 1975, c'est la limitation de la durée de
la détention provisoire ; le texte de 1984, c'est l'organisation du débat
contradictoire devant le juge d'instruction. J'ajoute d'ailleurs que depuis
1985, contrairement à ce que l'on croit, le nombre de détentions provisoires
ordonnées par les juges d'instruction a non pas augmenté, mais diminué ; ce qui
a augmenté considérablement, c'est la durée des détentions, ce qui pose, comme
chacun le sait, la question des moyens.
Mais les choses étant ce qu'elles sont, votre réforme, précisément parce
qu'elle amène le juge, comme pour le débat contradictoire avant la prise de
décision, à s'interroger, contribuera, je le pense, à remédier à la situation.
Nous le souhaitons. Nous la voterons. Puis nous verrons.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je serai concis car tout ce qu'a dit M. Badinter conforte ma position. Ou bien
il faut changer vraiment le système, ou bien on n'aboutira pas à grand-chose.
Je le répète - car c'est important - la durée de la détention provisoire est
certainement ce qui est le plus nuisible aux libertés. En fait, le nombre des
mises en détention provisoire ne cesse d'augmenter parce que les juges
d'instruction ne sont pas suffisamment nombreux dans de nombreuses
juridictions.
Par ailleurs, on ne fera pas l'économie d'une révision immédiate de la carte
judiciaire car, dans nombre de juridictions, le système que vous proposez ne
peut pas fonctionner. De surcroît, cela ne changera pas grand-chose.
Bien entendu, si je croyais que cela puisse améliorer profondément les choses,
je ne m'opposerais pas au regard d'un deuxième juge.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous êtes pessimiste !
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui, je le suis. Par conséquent, je maintiens mon amendement.
De plus, même si je ne suis pas une « vieille moustache », j'ai voté un
certain nombre de réformes qui n'ont jamais été mises en oeuvre ou qui n'ont
pas été appliquées complètement. Aussi, je finis par ne plus y croire, sauf à
changer complètement le système.
Ce sont les motifs pour lesquels j'ai maintenu mon amendement. Bien entendu,
s'il n'était pas voté - mais je ne doute pas qu'il le sera - je m'exprimerais
sur les propositions du Gouvernement.
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Je voterai selon le voeu de la commission des lois, simplement parce que je ne
vois pas de motif déterminant pour voter contre cette disposition.
Au cours de cette discussion passionnante, a été très souvent prononcé le mot
« système ». Pour ma part, je ne crois en aucun système en la matière ; je ne
crois qu'à un état d'esprit car, comme l'a dit M. Badinter, nous sommes en
présence d'une nouvelle étape d'un parcours qui dure depuis trop longtemps.
M. le président de la commission des lois a dit : nous verrons bien comment
cela fonctionnera, nous ferons une statistique. Moi, ce qui m'inspire, en
l'occurrence, c'est la statistique macabre des ravages de la détention
provisoire : celle des suicides en détention provisoire, et à cet égard notre
système judiciaire est entaché d'une façon abominable.
Etant à l'époque jeune sénateur tout étant relatif, j'étais intervenu, il y a
vingt-deux ans, dans un débat où il était question de la détention provisoire.
J'avais pu me procurer le chiffre des suicides en détention provisoire sur la
période au cours de laquelle avaient eu lieu les trois dernières exécutions
capitales. La comparaison des chiffres - je ne les ai pas exactement en mémoire
- était terrible, abominable !
Peut-être vais-je vous étonner, mes chers collègues : attaché, par
tempérament, à l'application sérieuse, pour ne pas dire rigoureuse, de la loi,
et n'ayant pas suivi M. Robert Badinter, quel que fût le niveau de son
aspiration lorsqu'il nous a proposé de supprimer la peine de mort, je ne peux
cependant pas me résoudre à admettre que nous ne parvenions pas à changer le
processus terrible qui amène souvent des innocents à mettre fin à leurs jours
parce que - disons le mot - il a été fait un abus de la détention provisoire.
Nous devons absolument changer cela.
Je lance donc un appel au Gouvernement pour que, quel que soit le système
finalement retenu par le Parlement, il prenne l'engagement solennel de donner
un rendez-vous à ce dernier pour évoquer devant lui cette macabre statistique,
et ce après une période d'expérience. En effet, il faut que nous nous fixions
un délai pour apporter, si nécessaire, un nouveau remède à cette situation
inadmissible.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 95, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 10 B
M. le président.
« Art. 10 B. - Le premier alinéa de l'article L. 611-1 du code de
l'organisation judiciaire est supprimé. »
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 24 est présenté par M. Jolibois, au nom de la commission des
lois.
L'amendement n° 209 est déposé par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 24.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'Assemblée nationale a décidé de supprimer l'article L.
611-1 du code de l'organisation judiciaire prévoyant la présence, dans chaque
tribunal de grande instance, d'au moins un juge d'instruction. S'il s'agit
peut-être d'une piste intéressante pour la rationalisation de la justice
pénale, une réflexion très approfondie doit néanmoins être engagée sur ce
sujet.
En l'état, cette disposition est inapplicable, et d'autres modifications sont
nécessaires. Ainsi, lorsqu'une affaire se déroulera dans le ressort d'un
tribunal ne comprenant pas de juge d'instruction, quel sera le procureur
compétent pour ouvrir l'information ?
A ce stade, la commission des lois vous propose donc, mes chers collègues, de
supprimer l'article 10
bis
afin qu'il y ait et qu'il continue d'y avoir,
comme actuellement, un juge d'instruction dans chaque tribunal de grande
instance.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 209,
identique au précédent.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ces deux amendements sont encore plus identiques que je le pensais ! En effet,
les amendements de la commission des lois n'étant pas motivés - c'est non pas
un reproche, mais une constatation - les sénateurs qui ne sont pas membres de
cette commission pouvaient s'interroger sur la motivation de l'amendement n° 24
!
L'amendement n° 209 est quant à lui motivé : il vise à faire disparaître
l'article 10
bis,
qui a supprimé l'article L. 611-1 du code de
l'organisation judiciaire et donc l'obligation pour chaque tribunal de grande
instance de comprendre au moins un juge d'instruction.
Tout d'abord, on ne voit pas très bien le rapport avec la protection de la
présomption d'innocence.
Par ailleurs, tant que la carte judiciaire n'a pas été révisée, il n'y a
aucune raison qu'il n'y ait pas au moins un juge d'instruction par tribunal de
grande instance. C'est ce qu'on appelle la « justice de proximité ». Obliger
les victimes, que l'on veut protéger, à parcourir beaucoup plus de kilomètres
pour aller déposer devant le juge d'instruction me paraît contradictoire.
De surcroît, figure en annexe au rapport de la commission la liste des
tribunaux de grande instance comprenant moins de sept magistrats et devant être
renforcés pour pouvoir appliquer le dispositif du juge de la détention
provisoire.
La disparition, dans ces petits tribunaux, du juge d'instruction, vous
obligerait - c'est évident - à y nommer plus de magistrats encore que vous ne
l'avez prévu !
Ce sont toutes les raisons pour lesquelles, comme la commission des lois, nous
demandons la suppression de cet article 10 B.
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, je ne veux pas polémiquer, mais les justifications
de l'amendement n° 24 de la commission figurent dans le rapport de M.
Jolibois.
M. Hubert Haenel.
Mais oui !
M. le président.
Aucun amendement de la commission n'est particulièrement motivé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne doute pas, monsieur le président, que vous ayez lu entièrement le
rapport de la commission. Je vous en félicite. J'avoue que je n'ai pas eu le
temps de tout lire.
M. Louis de Broissia.
Il est remarquable !
M. le président.
Mon cher collègue, vous reprochez à M. le rapporteur de n'avoir pas motivé son
amendement. Mais tous les amendements de la commission sont motivés dans le
rapport de cette dernière ! Et les choses se passent d'ailleurs ainsi pour tous
les amendements déposés par les différentes commissions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Dont acte !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 24 et 209
?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 24 et 209, pour lesquels le
Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 10 B est supprimé.
Article 10 C
M. le président.
« Art. 10 C. - La carte judiciaire sera révisée dans les deux années qui
suivent la publication de la loi n° du renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 25, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de supprimer cet article.
Par amendement n° 152 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du
Rassemblement pour la République proposent de compléter l'article 10 C par un
second alinéa ainsi rédigé :
« Un rapport sur l'état d'avancement de ces travaux sera remis au Parlement à
l'issue de la première année. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 25.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'article 10 C, introduit dans le projet de loi par
l'Assemblée nationale, prévoit une révision de la carte judiciaire dans les
deux années suivant l'entrée en vigueur de la loi.
M. Hubert Haenel.
C'est impossible !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La révision de la carte judiciaire est demandée
collectivement depuis longtemps. En 1996, la mission d'information créée au
sein de la commission pour conduire une réflexion sur les moyens de la justice,
mission que j'avais eu l'honneur de présider, avait formulé des propositions
précises en ce sens dans un rapport rédigé par M. Fauchon.
Toutefois, la méthode choisie par l'Assemblée nationale, avec cet article 10
C, ne paraît pas pouvoir être retenue.
M. Michel Charasse.
C'est une injonction !
M. Charles Jolibois.
C'est effectivement une injonction au Gouvernement, qui n'a aucune chance
d'être respectée.
M. Hubert Haenel.
Bien sûr !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
En outre, toutes les interprétations sont possibles en ce qui
concerne l'ampleur de la révision de la carte judiciaire. Le Gouvernement vient
d'annoncer, par exemple, que le tribunal de Bressuire devenait une chambre
détachée du tribunal de Niort. N'est-ce pas le début d'une révision de la carte
judiciaire ?
Cet amendement n° 25 est donc l'occasion pour le Sénat d'interroger Mme le
garde des sceaux sur l'état des travaux de la mission qu'elle a mise en place
en vue de la réforme de la carte judiciaire et de demander la suppression de
l'article 10 C, qui n'a pas lieu d'être dans le projet de loi.
M. le président.
La parole est à M. Haenel, pour défendre l'amendement n° 152 rectifié.
M. Hubert Haenel.
Je partage tout à fait les propos que vient de tenir M. le rapporteur.
Il est souhaitable - et tel était le sens de mon amendement - que le Parlement
soit tenu régulièrement informé, pas obligatoirement par un rapport formalisé,
des travaux menés actuellement par la Chancellerie sur la réactualisation de la
carte judiciaire. Mais le fait de prévoir une révision de la carte judiciaire
dans les deux années suivant la publication de la loi me paraît un voeu pieux
!
Compte tenu des observations que vient de faire M. le rapporteur, je retire
mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 152 rectifié est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 25 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis favorable à l'amendement n° 25 de la
commission.
Je ferai simplement remarquer à ceux qui se montrent sceptiques sur la réforme
de la carte judiciaire que, hier et aujourd'hui, a été annoncée la réforme de
la carte des tribunaux de commerce, dans six cours d'appel : Rouen, Caen, Riom,
Montpellier, Dijon et Poitiers. Cette réforme a été naturellement précédée -
vous connaissez ma méthode - par une concertation approfondie, qui a duré
plusieurs mois et qui a abouti en effet à la suppression d'un certain nombre de
tribunaux de commerce, selon des critères tenant compte de la spécificité des
territoires, notamment des exigences de l'aménagement du territoire.
Ces six premières cours d'appel ont évidemment été choisies parce qu'elles
comptaient le plus grand nombre de tribunaux de commerce. Mais j'indique à la
Haute Assemblée que j'ai fermement l'intention de respecter mon engagement de
terminer avant la fin de l'année la réforme de la carte de l'ensemble des
tribunaux de commerce, qui sera naturellement poursuivie avec les autres
tribunaux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On peut même les supprimer tous ! Je n'y vois pas d'inconvénient !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je voterai l'amendement n° 25 parce que l'article 10 C ajouté par l'Assemblée
nationale est une injonction. Les ordres de juridiction sont créés par la loi,
mais l'implantation des juridictions relève du seul pouvoir réglementaire,
...
M. Hubert Haenel.
Du seul pouvoir réglementaire, en effet !
M. Michel Charasse.
... et le législateur ne peut pas donner d'ordre concernant l'exercice du
pouvoir réglementaire. Je m'étonne donc que cet article ait été voté par
l'Assemblée nationale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout à fait !
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je voterai bien entendu moi aussi cet amendement. Je saisis cette occasion
pour dire à Mme le garde des sceaux et à ses services ma satisfaction. Ayant
été, parmi quelques-uns, le plus motivé et le plus mobilisé sur cette question
de la réforme de la carte judiciaire, j'ai longtemps eu l'impression que, si la
chancellerie voulait bien en parler et créer des commissions, le projet
n'avançait guère, cependant. C'est donc avec beaucoup de satisfaction et de
plaisir que je constate que cette affaire est traitée avec sérieux et
résolution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On n'est plus au temps de Toubon ni de Méhaignerie !
M. Pierre Fauchon.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, un peu d'élégance, je vous en prie, dans vos propos
!
Madame le garde des sceaux, je me réjouis de voir que la démarche que vous
poursuivez actuellement est menée avec un mélange de prudence et de sagesse,
mais aussi avec une résolution à laquelle je tiens à rendre hommage.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 10 C est supprimé.
Intitulé de la section 1 A
(suite)
M. le président.
Nous en revenons à l'amendement n° 22, précédemment réservé.
Par cet amendement, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose de
supprimer la division « section 1 A » et son intitulé.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cet amendement vise à supprimer une division dont les trois
articles la composant ont été supprimés par les amendements que nous venons de
voter.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 22, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, la section 1 A et son intitulé sont supprimés.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits
des victimes.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'amendement n° 26
tendant à rédiger autrement l'intitulé de la section 1, avant l'article 10.
Section 1
Dispositions relatives au juge de la détention provisoire
M. le président.
Par amendement n° 26, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit l'intitulé de cette division : « Dispositions relatives
au juge chargé de la détention provisoire ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Comme je l'expliquerai tout à l'heure, la commission a décidé
de ne pas conserver l'appellation « juge de la détention provisoire », car tous
les juges sont des juges de liberté. Mais, dans l'impossibilité où elle était
de trouver une autre appellation, elle a décidé de retenir la formule : « juge
chargé de la détention provisoire ».
M. Hubert Haenel.
C'est en effet une véritable charge !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 26.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le juge n'est pas « chargé de la détention provisoire ». Juge de la détention
provisoire, cela signifie que le juge statue sur cette détention, et non pas
qu'il est chargé de mettre en détention provisoire.
(M. Hubert Haenel approuve.)
Cette querelle sémantique faite par la commission me paraît véritablement
regrettable. Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !
J'aurais préféré, moi aussi, qu'on l'appelle « juge des libertés ». Mais
puisque tout le monde l'appelle juge de la détention provisoire, laissons les
choses en l'état, quitte à revoir cela plus tard !
D'autant que, dans divers amendements, par la suite, on sera obligé de
préciser : « le juge visé à l'article tant ». Or, personne ne l'appellera
ainsi.
Il convient donc de maintenir l'expression « juge de la détention provisoire
», et c'est pourquoi je voterai contre l'amendement.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je ne suis pas très chaud, moi non plus, pour modifier cet intitulé, même si
je comprends les motivations de la commission des lois.
Nous sommes en train de refondre non pas l'ensemble du code de procédure
pénale mais un certain nombre de ses dispositions.
Voilà pourquoi l'intitulé suivant : « Dispositions relatives à la détention
provisoire », me paraîtrait de nature à satisfaire tout le monde.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La section 1 est incluse dans un chapitre qui s'intitule déjà
: « Dispositions renforçant les garanties judiciaires en matière de détention
provisoire ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Laissons-le comme il est, nous gagnerons du temps !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 26, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'intitulé de la section 1 est ainsi rédigé.
Article 10
M. le président.
« Art. 10. - Il est inséré, après l'article 137 du code de procédure pénale,
cinq articles 137-1 à 137-5 ainsi rédigés :
«
Art. 137-1
. - La détention provisoire est ordonnée ou prolongée par
le juge de la détention provisoire. Les demandes de mise en liberté lui sont
également soumises.
« Le juge de la détention provisoire est un magistrat du siège ayant rang de
président, de premier vice-président ou de vice-président. Il est désigné par
le président du tribunal de grande instance. Lorsqu'il statue à l'issue d'un
débat contradictoire, il est assisté d'un greffier.
« Il ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales
dont il a connu.
« Il est saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction, qui lui
transmet le dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de
la République.
«
Art. 137-2
. - Le contrôle judiciaire est ordonné par le juge
d'instruction, qui statue après avoir recueilli les réquisitions du procureur
de la République.
« Le contrôle judiciaire peut être également ordonné par le juge de la
détention provisoire, lorsque celui-ci est saisi en application des
dispositions du dernier alinéa de l'article 137-1.
«
Art. 137-3
. - Lorsqu'il ne décide ni le placement en détention
provisoire ou la prolongation de celle-ci, ni la prescription d'une mesure de
contrôle judiciaire, le juge de la détention provisoire n'est pas tenu de
statuer par ordonnance.
«
Art. 137-4
. - Le juge d'instruction n'est pas tenu de statuer par
ordonnance dans les cas suivants :
« 1° Lorsque, saisi de réquisitions du procureur de la République tendant au
placement en détention provisoire ou demandant la prolongation de celle-ci, il
ne transmet pas le dossier de la procédure au juge de la détention provisoire
;
« 2° Lorsqu'il ne suit pas les réquisitions du procureur de la République
tendant au prononcé d'une mesure de contrôle judiciaire.
«
Art. 137-5
. - Lorsqu'il n'a pas été fait droit à ses réquisitions
tendant au placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire de la
personne mise en examen, ou à la prolongation de la détention provisoire, le
procureur de la République peut saisir directement la chambre d'accusation dans
les dix jours de l'avis de notification qui lui est donné par le greffier. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Nous en arrivons aux dispositions relatives à la détention provisoire et, plus
précisément, à la création du juge de la détention provisoire, thème qui est au
coeur de la réforme de la justice.
Le débat a déjà été largement engagé, notamment par notre collègue Robert
Badinter, cet après-midi. Les nombreux amendements déposés sur cet article 10
vont certainement nous donner l'occasion d'approfondir encore la réflexion.
Ainsi donc, les critiques, justifiées ou non, dont les juges d'instruction
ont fait l'objet ces dernières années ont amené le Gouvernement à proposer des
mesures nouvelles.
Il s'agit, en l'occurrence, d'instituer un juge de la détention provisoire,
soit un « second regard ». Est-ce un progrès ? Mme le garde des sceaux nous a
posé la question. Comme notre collègue Jean-Jacques Hyest, j'ai un véritable
doute sur la réponse.
Si le juge d'instruction est chargé de proposer un placement en détention et
le juge de la détention chargé d'en décider, ce dernier statuera toujours en
juge unique. Je ne vois pas, dès lors, en une telle mesure constituerait une
meilleure garantie de respect des droits des mis en examen.
Par ailleurs, chacun sait que, de tous les magistrats, c'est le juge
d'instruction qui connaît le mieux le dossier d'information. Devra-t-il, en
conséquence, préparer le travail de son collègue de la détention, en veillant
notamment au respect de tous les délais, en transmettant au juge de la
détention les éléments nécessaires à la motivation de la décision, etc. ?
Il devra y avoir, par ailleurs, un double du dossier, qui sera confié au juge
de la détention. Mais qui dit copies multiples dit aussi danger de nullité de
procédure !
M. Hubert Haenel.
Et de fuites !
M. Robert Bret.
Toutes ces remarques font que nous estimons que l'actuel article 10 n'est pas
la solution attendue depuis de trop longues années.
Au point où nous en sommes aujourd'hui, si vraiment on veut changer la donne,
en cette veille du xxie siècle, il faut nous donner les moyens de mettre en
place un système collégial, qu'il s'appelle « collège » ou « chambre », de la
détention provisoire, d'autant que tout le monde semble être d'accord.
J'y reviendrai plus précisément lors de la discussion de l'amendement que j'ai
déposé sur ce point.
M. le président.
Je suis saisi de onze amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune. Mais, pour la clarté du débat, je les appellerai successivement.
Par amendement n° 96, M. Hyest propose de supprimer l'article 10.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
J'avais proposé un système différent selon que la mise en détention
intervenait après des investigations du juge d'instruction ou au début de
l'instruction.
Cela étant, même si l'on peut considérer, comme vient de le faire M. Bret, que
le système a une efficacité relative, force est de constater qu'il y a au moins
une tentative pour améliorer les choses.
Par conséquent, je retire l'amendement, qui est lié à des dispositions que
j'ai proposées précédemment et que le Sénat n'a pas retenues.
M. le président.
L'amendement n° 96 est retiré.
L'amendement de suppression de l'article ayant été retiré, je ne suis plus
saisi, dans un premier temps, que de quatre amendements qui peuvent faire
l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 170, MM. Bret, Duffour et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent de rédiger ainsi le texte présenté par
l'article 10 pour l'article 137-1 du code de procédure pénale :
«
Art. 137-1
. - La détention provisoire est prescrite ou prolongée par
un collège composé de trois magistrats du siège dont le président du tribunal
ou son délégué et le juge d'instruction chargé de l'information.
« Le collège est saisi par le juge d'instruction chaque fois que ce dernier
envisage un placement en détention ou une prolongation de cette mesure. Dans ce
dernier cas, le juge d'instruction convoque le conseil conformément aux
dispositions du deuxième alinéa de l'article 114.
« Lorsque le collège ne prescrit pas la détention provisoire ou ne prolonge
pas cette mesure, il peut placer la personne mise en cause sous contrôle
judiciaire en la soumettant à une ou plusieurs des obligations prévues par
l'article 138.
« Le magistrat du siège est désigné par le président du tribunal de grande
instance ou son délégué qui établit à cette fin un tableau de roulement. Le
président du tribunal ou son délégué peut, en cas d'empêchement du magistrat
désigné, affecter, pour le remplacer, un autre magistrat. Les décisions prévues
par le présent alinéa sont des mesures d'administration judiciaire
insusceptibles de recours.
« Le collège est présidé par le président du tribunal ou son délégué. Il est
assisté d'un greffier. »
Par amendement n° 27, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 10 pour l'article 137-1
du code de procédure pénale :
«
Art. 137-1
- La détention provisoire est ordonnée ou prolongée par un
magistrat du siège ayant rang de président, de premier vice-président ou de
vice-président désigné par le président du tribunal de grande instance. Les
demandes de liberté lui sont également soumises.
« Il ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales
dont il a connu.
« Il est saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction, qui lui
transmet le dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de
la République. Il statue à l'issue d'un débat contradictoire. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 268, présenté par le
Gouvernement, et tendant à supprimer la dernière phrase du dernier alinéa du
texte proposé par l'amendement n° 27 pour l'article 137-1 du code de procédure
pénale.
Par amendement n° 153 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du
Rassemblement pour la République proposent :
I. - Dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 10 pour l'article
137-1 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : « juge de la
détention provisoire » par les mots : « juge de la liberté individuelle ».
II. - En conséquence, de remplacer, dans l'ensemble du code de procédure
pénale, les mots : « juge de la détention provisoire » par les mots : « juge de
la liberté individuelle ».
Par amendement n° 212, M. Dreyfus-Schmidt propose, après le premier alinéa du
texte présenté par l'article 10 pour l'article 137-1 du code de procédure
pénale, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il ordonne, le cas échéant, le contrôle judiciaire. »
La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 170.
M. Robert Bret.
En matière de détention provisoire, le problème de la liberté individuelle est
trop grave pour que nous puissions nous contenter de la situation actuelle.
C'est un constat que nous faisons, hélas ! depuis de nombreuses années
maintenant. Il est donc grand temps de prendre cette question à
bras-le-corps.
Le juge unique, en matière de placement en détention, de prolongation de
détention, de demande de liberté, comme dans d'autres matières d'ailleurs,
auquel nous sommes foncièrement opposés, vous le savez, devrait être remplacé
par la collégialité, en tout cas c'est notre conviction.
Bien sûr, le manque de moyens financiers et donc humains est l'obstacle majeur
à la mise en oeuvre d'un système collégial et, à plusieurs reprises, Mme le
garde des sceaux nous a dit qu'il valait mieux deux juges d'instruction qu'un
seul, dans la mesure où on n'a pas les moyens financiers d'en avoir trois.
Par le passé déjà, des mesures ont été prises en faveur de la collégialité -
cela a été rappelé cet après-midi - sans avoir jamais été appliquées, faute de
moyens.
Notre amendement vise à faire en sorte que le juge d'instruction ne soit pas
le seul à juger. Ainsi, le collège sera composé de trois magistrats, dont un
aura instruit le dossier. Ce collège statuera sur le placement en détention et
sur tous les problèmes relatifs aux prolongations de la détention.
Tel est l'objet de l'amendement que nous proposons, qui constitue une
modification essentielle en la matière.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 27.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il s'agit là de l'amendement de base du dispositif prévu par
le projet de loi que la commission des lois a admis.
Nous proposons de rédiger ainsi le texte proposé pour l'article 137-1 du code
de procédure pénale :
« La détention provisoire est ordonnée ou prolongée par un magistrat du siège
ayant rang de président, de premier vice-président ou de vice-président désigné
par le président du tribunal de grande instance. Les demandes de liberté lui
sont également soumises.
« Il ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales
dont il a connu.
« Il est saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction, qui lui
transmet le dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de
la République. Il statue à l'issue d'un débat contradictoire. »
Cette phrase est essentielle puisque c'est là que le Sénat marque sa
différence en prévoyant un débat contradictoire.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre le sous-amendement n°
268.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
La position retenue par la commission des lois appelle
de ma part plusieurs réserves.
La première - vous en avez parlé tout à l'heure, monsieur le rapporteur -
tient au fait que la commission ne parle pas dans son texte de « juge de la
détention provisoire » tout en reconnaissant qu'on ne peut pas parler de « juge
des libertés », tous les juges étant chargés des libertés. Finalement, on se
retrouve avec un juge qui n'a pas de nom.
M. Michel Charasse.
Innommable !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'assume et je préfère qu'on l'appelle : « juge de la
détention provisoire ». Si l'on trouve une meilleure dénomination, qui ne soit
pas « juge des libertés », je suis prête à l'accepter. De nombreux débats ont
eu lieu pour lui trouver un nom, mais ils n'ont pas abouti. Je ne désespère
pas, mais en tout cas, il faut, dans un souci de clarté, donner à ce juge un
nom pour assumer la fonction qui sera la sienne. Voilà pour le premier
point.
J'en viens à ma seconde réserve qui justifie le dépôt du sous-amendement n°
268 à l'amendement n° 27 de la commission ; je me félicite d'ailleurs que
celle-ci accepte le principe de l'institution du juge de la détention
provisoire.
L'amendement n° 27 exige en effet que le juge de la détention provisoire
statue systématiquement à l'issue d'un débat contradictoire entre, d'une part,
la personne mise en examen et son avocat et, d'autre part, le procureur de la
République.
S'agissant du débat contradictoire, je ne peux pas partager la position de la
commission qui me semble résulter d'un véritable malentendu.
Un tel débat ne doit avoir lieu, comme c'est le cas devant le juge
d'instruction depuis 1985, que si le juge de la détention « envisage » de
placer la personne mise en examen en détention provisoire.
Lorsque tel n'est pas le cas, il n'y a aucune raison que le juge de la
détention soit obligé d'entendre les réquisitions du procureur de la
République. Si celui-ci a requis la détention, il risque de convaincre le
magistrat, ce qui est contradictoire avec l'objectif de la réforme qui tend à
diminuer les détentions, en espérant qu'elles deviennent exceptionnelles. C'est
d'ailleurs pourquoi, depuis 1985, le débat contradictoire n'est pas exigé dans
une telle hypothèse.
Si le procureur n'a pas requis la détention - ce qui est possible, puisque
c'est le juge d'instruction et non le parquet qui saisit le juge de la
détention - pourquoi lui demander de faire connaître oralement sa position
devant un magistrat qui est déjà convaincu ?
Au surplus, si un tel débat était obligatoire, cela signifierait que lorsque
la personne mise en examen demande un délai pour préparer sa défense, le juge
de la détention serait tenu d'ordonner son incarcération provisoire, alors même
qu'il n'a pas l'intention, à l'issue du débat différé, d'ordonner son placement
en détention.
Nous atteindrions là, j'allais dire « les sommets du contradictoire », mais on
m'a fait remarquer, à juste titre, que cette expression n'est pas correcte.
Nous serions en tout cas en totale contradiction avec l'objectif que nous
poursuivons avec ce projet de loi.
Lorsqu'il n'entend pas suivre la demande du juge d'instruction, il suffit que
le juge de la détention provisoire voit la personne assistée de son avocat pour
lui faire connaître sa décision de la laisser en liberté - ou, le cas échéant,
de la placer sous contrôle judiciaire - mais un débat contradictoire en
présence du ministère public n'est pas nécessaire.
Je demande donc au Sénat avec une grande insistance d'adopter le
sous-amendement du Gouvernement afin que l'amendement de la commission n'ait
plus pour objet que la dénomination du juge de la détention.
Je comprends que vous vous interrogiez. Moi même, j'aimerais trouver une autre
dénomination, mais je n'en vois pas pour l'instant. Pourquoi ne pas laisser ce
débat ouvert ?
Si le Sénat adopte le sous-amendement du Gouvernement à l'amendement de la
commission, le débat s'en trouvera simplifié, sans que la Haute Assemblée aille
à l'encontre des objectifs qui sont les siens comme ceux du Gouvernement. Notre
objectif commun n'est-il pas de limiter le recours à la détention provisoire ?
Le sous-amendement que je vous propose va dans ce sens.
M. le président.
La parole est à M. Haenel, pour présenter l'amendement n° 153 rectifié.
M. Hubert Haenel.
Si le Sénat venait à adopter mon amendement et celui de M. Dreyfus-Schmidt qui
va suivre, dont les objets sont de conférer les décisions de contrôle
judiciaire au juge de la détention provisoire, ce dernier, alors, ne devrait
plus s'appeler seulement « juge de la détention provisoire ».
Mais après la discussion qui vient d'avoir lieu, et ne voulant pas ouvrir un
débat sémantique sur le nom de ce juge, je retire l'amendement n° 153 rectifié
et, je le dis par avance, l'amendement n° 154 rectifié.
M. le président.
L'amendement n° 153 rectifié est retiré.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour présenter l'amendement n° 212.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'aborde par cet amendement la question du contrôle judiciaire. Le juge de la
détention provisoire statue sur la mise en détention éventuelle, sur les
demandes de mise en liberté, bref, sur tout ce qui concerne la détention
provisoire.
Va-t-on laisser au juge le pouvoir de prononcer le contrôle judiciaire
lui-même ? Personnellement - vous verrez pourquoi tout à l'heure - cela me
choque. Il m'a été dit que, si le juge d'instruction n'avait pas besoin d'aller
devant le juge de la détention, il aurait peut-être tendance à se contenter du
contrôle judiciaire. Je pense, au contraire, qu'il pourra avoir tendance à
mettre du contrôle judiciaire là où il n'en aurait pas mis !
J'estime que ce n'est pas non plus son rôle de porter une appréciation. Nous
le verrons d'ailleurs lorsque nous aborderons la révocation. Et nous
demanderons aussi que ce soit le juge de la détention qui soit compétent pour,
éventuellement, se prononcer sur la révocation du contrôle judiciaire.
Cela étant, et nous avons défendu cette position tout au long du débat
aujourd'hui, à partir du moment où le juge a pour seul rôle d'instruire à
charge et à décharge, il n'y a pas de raison de lui confier une autre mission.
Or c'est ce qui se passerait si le législateur le laissait se prononcer seul
sur le placement sous contrôle judiciaire.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 170, sur le
sous-amendement n° 268 et sur l'amendement n° 212 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
M. Bret, avec l'amendement n° 170, préconise la collégialité.
La commission ayant décidé d'accepter le principe du juge unique, elle ne peut
en conséquence être favorable à cet amendement.
De surcroît, la commission ne peut accepter cet amendement, car celui-ci vise
à intégrer le juge d'instruction dans le collège des trois juges. Nombreux ont
été les membres de la commission à retenir l'idée de base selon laquelle celui
qui instruit ne doit pas se prononcer sur la détention. L'amendement n° 170 est
donc incompatible avec la position que nous avons prise.
Le sous-amendement n° 268 du Gouvernement pose, madame le garde des sceaux, un
problème assez difficile.
Vous avez abordé trois points. Le premier point, c'est le nom du juge. J'avoue
n'en avoir trouvé qu'un seul, je l'avais appelé « le juge des libertés ». Cette
idée m'était venue avant même d'avoir lu le compte rendu des débats de
l'Assemblée nationale qui disait qu'on y avait déjà pensé mais sans l'avoir
retenue.
La commission a suggéré de s'abstenir de retenir une appellation puisque nous
ne voulions en aucun cas du « juge de la détention ».
C'était d'alleurs un mauvais début, pour un projet de loi qui vise à éviter la
détention provisoire, que d'instaurer un « juge de la détention ». Il est
probable d'ailleurs que ce n'est pas très agréable de se promener dans un
palais et de s'entendre dire : « Voilà le juge de la détention ! »
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est noble !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Si l'on veut !
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, vous voulez retirer ce qui constitue
à nos yeux un des éléments fondamentaux de la nouvelle méthode. Pour notre
part, nous voulons un débat et des motivations. Je ne comprends donc pas très
bien votre système. Vous ne prévoyez de débat contradictoire que si le juge «
envisage » une détention provisoire.
A partir du moment où le juge d'instruction porte son dossier à un autre juge,
...
M. Jean-Jacques Hyest.
... C'est qu'il « envisage » !
M. Charles Jolibois,
rapporteur. ...
on organisera un débat.
Qu'est-ce qu'un juge qui « envisage » avant d'entendre ? Les parties
viendront plaider ou s'expliquer devant un juge qui « envisage » ! Ce système
me paraît assez difficile à mettre en oeuvre.
La commission des lois propose pour sa part un système simple : il y a
toujours débat. Quand les choses sont très importantes - et la détention
provisoire est un acte particulièrement important, ce n'est vraiment pas un
acte banal - il y a débat contradictoire.
J'admets qu'il s'agit d'une forme d'alourdissement, puisque cela se fera que
le juge « envisage » ou qu'il n'« envisage » pas. Mais c'est un alourdissement
que nous assumons.
J'en viens à l'amendement n° 212.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je vous en prie, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt avec l'autorisation de M. le rapporteur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je souhaite transformer l'amendement n° 212 en un sous-amendement à
l'amendement n° 27 de la commission des lois.
M. le président.
Je suis donc saisi, par M. Dreyfus-Schmidt, d'un sous-amendement n° 212
rectifié tendant, après le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n°
27 pour l'article 137-1 du code de procédure pénale, à insérer un alinéa ainsi
rédigé :
« Il ordonne le cas échéant le contrôle judiciaire. »
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Si la commission des lois dévêt le juge d'instruction de son
pouvoir de prononcer la détention provisoire, elle ne lui retire pas ses autres
pouvoirs.
Il conserve notamment l'initiative d'aller devant le juge chargé de la
détention. En fait, il conserve presque tous ses pouvoirs, sauf celui de signer
l'acte de détention.
Notre conception est incompatible avec la vôtre puisque vous, monsieur
Dreyfus-Schmidt, voulez en faire le juge de tous les actes. Vous voulez même -
je le comprends très bien et je devine votre pensée - aller plus loin dans le
système accusatoire.
M. Maurice Ulrich.
La prochaine fois peut-être !
M. Hubert Haenel.
Qui sait ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Oui, qui sait ? Mais si ce système marche très bien, si les
espérances se réalisent, nous n'y reviendrons probablement pas de sitôt. Par
conséquent, ce sous-amendement propose un dispositif incompatible avec la
méthode que nous souhaitons employer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 170 et 27, ainsi que
sur le sous-amendement n° 212 rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je voudrais d'abord dire à M. le rapporteur qu'il n'y a
actuellement débat devant le juge d'instruction que si celui-ci « envisage » -
c'est le terme consacré - de placer le prévenu en détention provisoire.
A propos de l'amendement n° 170, qui pose à nouveau, sur l'initiative de M.
Bret, le problème important de la collégialité, l'idéal serait sans doute
d'instaurer la collégialité. Des réformes initiées il y a quelques années
tendaient au même objectif - je pense en particulier à la réforme proposée par
M. Robert Badinter - parce que c'est ce qui semble pouvoir donner, à cause du
débat contradictoire entre plusieurs magistrats placés sur un pied d'égalité,
le maximum de garanties.
Le problème, c'est qu'il faut pouvoir enfin réaliser une réforme de la
détention provisoire - après douze autres réformes - entrant véritablement dans
les faits. Or, comme je l'ai toujours clairement dit et devant le Sénat et à
l'Assemblée nationale, je ne proposerai pas de réforme qui ne serait pas
assortie des moyens d'application.
Trois juges, ce serait peut-être mieux ! Mais je préfère deux juges plutôt
qu'un. Cela me paraît constituer déjà un progrès.
Par ailleurs, il me semble que M. Badinter, avant la suspension de la séance,
a excellemment posé le problème qui est celui de la solitude du juge
d'instruction, du travail en commun et de la confrontation avec d'autres.
Avec cette forme de responsabilité partagée, le juge d'instruction, qui garde,
et j'y reviendrai dans un instant, l'essentiel de ses prérogatives, y compris
en matière de mise en liberté, de recours au contrôle judiciaire, et, bien
entendu, d'instruction à charge et à décharge, puisque c'est sa fonction,
devra, au moment de décider le placement en détention provisoire, se confronter
à l'opinion d'un collègue, qui sera de surcroît un magistrat expérimenté, et il
faudra donc qu'il développe ses arguments. Il y aura donc déjà un dialogue.
J'ajoute que je favorise, pour ma part, par des mesures concrètes, ce travail
en équipe des juges d'instruction, par exemple quand je crée des pôles
économiques et financiers pour lutter contre la délinquance économique et
financière. Il ne s'agit pas simplement de projets, ceux-ci sont maintenant en
place à Paris, à Bastia et à Marseille. Ils sont donc déjà au nombre de trois,
et je pense que nous en compterons huit à terme. De même, la réforme de
l'implantation des tribunaux de commerce a déjà été décidée dans six cours
d'appel.
Je préfère avancer de cette manière. Peut-être en arriverons-nous, un jour, si
cela se révèle nécessaire, à la collégialité. Pourquoi pas ? Mais je trouve que
l'on enregistre ainsi un progrès. Bien sûr, cela ne permettra peut-être pas de
résoudre tous les problèmes de la détention provisoire, et c'est bien la raison
pour laquelle, d'ailleurs, le projet de loi prévoit aussi de relever le seuil
en deçà duquel la détention provisoire est purement et simplement interdite.
C'est pourquoi le projet de loi propose également de limiter la durée de la
détention provisoire, car, nous le savons - et c'était encore une remarque
pertinente de M. Robert Badinter tout à l'heure ; elles le sont toutes, mais je
le souligne à nouveau - c'est la durée de la détention qui explique
l'encombrement des prisons. On ne met pas beaucoup plus de gens en prison.
Seulement, on allonge la durée de la détention.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Voilà ce que je tenais à dire sur l'important problème
de la collégialité. Sachez cependant, mais vous l'avez compris, que ce n'est
pas une opposition de principe. Il nous faut avancer, en tenant compte des
contraintes et des priorités qui sont les nôtres.
J'en arrive au sous-amendement n° 212 rectifié, qui, me semble-t-il, résulte
d'un malentendu.
Il est absolument indispensable que le juge d'instruction conserve la
possibilité d'ordonner un contrôle judiciaire, car, justement, le contrôle
judiciaire est une alternative à la détention. Si le juge d'instruction peut,
comme c'est le cas actuellement, y recourir, il ne saisira pas le juge de la
détention provisoire pour demander une mise en détention provisoire. C'est très
bien.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il faut donc un débat contradictoire !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Dans le cas contraire, il sera obligé de le saisir et
le risque qu'il demande à son collège, non pas un simple contrôle judiciaire,
mais une détention n'est pas à exclure, ce qui serait, avouez-le, un effet
pervers et très dommageable de cet amendement.
Y a-t-il un risque qu'un contrôle judiciaire soit abusivement utilisé par le
juge d'instruction ? Pour moi, la réponse est non, parce que l'éventuelle
sanction du contrôle judiciaire, c'est le placement en détention provisoire.
Or, ce placement ne peut être ordonné que par le juge de la détention
provisoire. Et si un contrôle judiciaire abusivement décidé n'est pas respecté,
la détention-sanction ne sera évidemment pas ordonnée par le juge de la
détention. Ce dernier interviendra donc en matière de contrôle judiciaire en
cas de demande de révocation.
Je veux dire aussi que j'ai fait, pour ma part, un choix, clair, et que
j'assume, celui de ne pas supprimer le juge d'instruction. Il ne s'agit pas,
pour moi, de supprimer ouvertement le juge d'instruction ; il ne s'agit pas non
plus de lui retirer la substance de ses pouvoirs.
J'estime en effet que notre système, avec ses défauts, qu'il faut corriger,
est infiniment préférable au système accusatoire à l'anglo-saxonne. Je sais
bien qu'il est à la mode de dire : l'idéal serait qu'on en arrive un jour au
système accusatoire à l'américaine, avec la suppression du juge
d'instruction.
(Exclamations sur diverses travées.)
Personne n'a dit « à l'américaine », c'est exact, cela ne se dit pas !
Mais le système accusatoire c'est le système des Etats-Unis !
(Nouvelles exclamations.)
Laissons toutefois les Etats-Unis de côté et
parlons de l'Angleterre. Il est à la mode de dire - et de très bons auteurs
défendent cette position avec beaucoup d'éloquence - que le système accusatoire
est le meilleur, parce que l'accusation et la défense sont ainsi sur un pied
d'égalité.
Moi, en Angleterre, j'ai vu l'omnipotence de la police...
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
C'est exact !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... avec des caméras à tous les coins de rue, avec des
instruments d'investigation qui me paraissent extrêmement dangereux. J'y ai vu
aussi - c'est de notoriété publique - que, dans un système de ce genre, il faut
être riche, avoir les moyens de s'offrir les services d'un ou de plusieurs
avocats pour s'en sortir convenablement.
Pour ma part, je préfère donner sa chance à notre système qui laisse un
magistrat impartial instruire à charge et à décharge. Bien entendu, il faut
corriger les dérives, mais c'est un autre sujet sur lequel nous reviendrons car
j'ai bien l'intention de m'y attaquer avec fermeté. Je préfère, disais-je,
laisser à un magistrat le soin de prendre en charge ces questions extrêmement
délicates.
C'est la raison pour laquelle vous ne me ferez pas aller - même si j'ai
introduit des éléments de la procédure accusatoire au sens où nous accroîtrons
avec ce projet de loi les droits de la défense - jusqu'à la suppression du juge
d'instruction.
Est-ce que cela va fonctionner ? Nous verrons bien ! Quoi qu'il en soit,
j'estime que c'est une tentative qui mérite véritablement d'être faite, d'abord
parce qu'elle répond à notre tradition, ensuite parce que moi je fais confiance
aux magistrats.
A partir du moment où l'on donne aux magistrats les moyens de travailler et
d'acquérir une formation plus adéquate, notre système induira beaucoup moins
d'effets pervers - même si aucun système ne peut être parfait - que les
systèmes à l'anglo-saxonne.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Madame le garde des sceaux, j'ai
entendu avec intérêt votre propos. « On ne me fera pas aller... ! », avez-vous
dit ; mais, en fait, vous irez jusqu'où le Parlement souhaitera aller...
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Ce sur quoi je suis d'accord ou pas !
M. Jacques Larché,
président de la commission de lois.
Vous irez jusqu'où le Parlement
souhaite que vous alliez, car c'est la prérogative du Parlement de
l'affirmer.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement a le droit d'affirmer ses positions ;
c'est ce que j'ai fait, monsieur le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
J'entends bien, madame le garde des
sceaux, mais il peut y avoir des contradictions intéressantes, et nous sommes
en train de les exprimer.
Je note que vous ne poussez pas le système auquel nous adhérons jusqu'au bout
d'une certaine logique. Nous admettons qu'il soit possible de mettre en place
le contrôle d'un juge par un autre et d'aboutir à des résultats satisfaisants.
Mais, dans le même temps, je crois qu'il est nécessaire de renforcer les droits
de la défense au maximum.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
C'est ce que je fais !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Pas tout à fait !
Il est nécessaire de renforcer les droits de la défense dans un domaine qui
demeure précisément celui où le juge d'instruction classique conserve un
certain nombre de prérogatives.
Vos propos m'ont intéressé dans la mesure où vous affirmez que vous voulez
conserver le maximum de pouvoirs au juge d'instruction, sauf cette prérogative
qu'est la mise en détention provisoire. Je ne crois pas que ce soit
suffisant.
Alors, on me dit, bien sûr, que les juges d'instruction ne vont pas être
contents. Mais, sommes-nous ici pour faire plaisir aux juges d'instruction ? Je
ne crois pas que nous ayons pris ce chemin. Ils sont très mécontents déjà
d'être dessaisis du pouvoir qui était traditionnellement le leur. Mais nous
assumons ce mécontentement, vous comme nous.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas notre problème !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
En effet ; je crois donc qu'il n'y a
aucun inconvénient à dessaisir au maximum le juge d'instruction de telle
manière que nous soyons certains que, dans ce système un peu timide qui est le
vôtre, malgré tout, les droits de la défense soient assurés de la manière la
plus efficace possible.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, je tiens à dire à
M. le président de la commission des lois que, lorsque j'élabore des projets de
loi, je ne cherche à faire plaisir à personne : je présente ce à quoi je crois,
à la suite d'une réflexion. Certes, je peux me tromper, comme tout le monde
ici. Mais mon souci n'est pas de savoir si je mécontente tel ou tel ; il est de
savoir, en fonction de ce qui existe chez nous, en fonction de nos traditions,
en fonction de l'idée que je me fais, que se fait le Gouvernement de l'intérêt
général, quelle est la meilleure des solutions possibles, en tout cas la moins
mauvaise.
Je ne prétends pas proposer un système qui soit parfait. D'ailleurs, l'idéal
n'existe pas. De toute façon, il faut compter avec les défaillances
humaines...
M. Jean-Jacques Hyest.
Les moyens !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Oui, bien sûr, et alors ? Je le revendique ! C'est
ainsi que nous pourrons avancer. Je ne travaille ni dans l'abstrait, ni dans la
complaisance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je travaille en fonction de ce que je crois et je vous
dis pourquoi, selon moi, il est primordial que le juge d'instruction garde une
place importante dans notre système. Nous verrons bien ! Le temps dira qui a
raison et qui a tort.
M. Jean-Jacques Hyest.
On fera une nouvelle réforme !
M. le président.
Je vais mettre au voix l'amendement n° 170.
M. Robert Bret.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
J'ai bien entendu les arguments développés par Mme le garde des sceaux,
notamment sur la question des moyens, et elle a bien entendu les miens. En tout
cas, sa réponse me le laisse supposer. Pour faire avancer le débat sur ce point
qui représente une avancée réelle, je retire mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 170 est retiré.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 212 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je voterai ce sous-amendement parce que, même si je ne suis pas insensible aux
propos de Mme le garde des sceaux quant au rôle du juge d'instruction, je crois
que les mesures coercitives constituent un tout. En la matière, le juge
d'instruction a aujourd'hui à sa disposition deux catégories de mesures : la
détention ou le contrôle judiciaire. Ces mesures coercitives doivent être
gérées selon ce que j'appellerai une unité de pensée. C'est la raison pour
laquelle il me semble préférable de confier l'ensemble des mesures coercitives
au juge de la détention, ou de la liberté, selon l'appellation que l'on donnera
à cette nouvelle catégorie de magistrats.
Si le juge de la détention refuse la proposition de mise en détention faite
par le juge d'instruction quelle que soit la décision que prendra ce dernier en
matière de contrôle judiciaire, s'il conserve cette compétence, vous
n'empêcherez jamais le prévenu ou l'accusé de penser qu'il fait l'objet d'une
vengeance et que le juge d'instruction, désavoué par son collègue, essaie de
rattraper par le contrôle judiciaire ce qu'il n'a pas obtenu par la
détention.
Je vais donc voter le sous-amendement de M. Dreyfus-Schmidt. Il n'y a pas
d'autre solution. Les mesures coercitives ne peuvent pas être tronçonnées.
Aujourd'hui, elles ne le sont pas.
Le juge choisit entre la détention et le contrôle judiciaire. Il a un
raisonnement d'ensemble et apprécie quels sont les meilleurs moyens de parvenir
à la vérité, de mener son instruction, compte tenu de la situation de la
personne concernée. Il faut que ce soit le même magistrat qui soit chargé des
différentes mesures coercitives.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Tout à l'heure, en regardant dans notre direction, Mme le garde des sceaux a
semblé suggérer que, de ce côté de l'hémicycle, nous considérions les
Anglo-Saxons, qu'ils soient Américains ou Britanniques, comme des modèles ou
des références. Dans ce domaine comme dans d'autres, il n'en est rien.
Par ailleurs, il ne faut jurer de rien. Une réforme n'est jamais définitive.
On va voir comment celle-là va fonctionner. J'espère que votre réforme,
modifiée par la commission des lois, atteindra toute sa plénitude et qu'enfin
nous aurons trouvé un modèle français, plus tout à fait inquisitoire, pas
encore accusatoire.
Une réforme, c'est d'abord une procédure : nous sommes en train de traiter le
sujet. Ce sont des moyens : vous nous en avez annoncé quelques-uns. Ce sont
aussi des méthodes et des us et coutumes.
Cette réforme ne réussira que si se produit une révolution culturelle dans la
magistrature ; vous l'obtiendrez de deux façons.
Premièrement, si l'on contraint les magistrats à travailler en équipe, avec
des collaborateurs de haut niveau, nous atteindrons sans doute les objectifs
poursuivis.
Deuxièmement, il faudra demander à l'École nationale de la magistrature de
dispenser des formations permanentes pointues pour faire en sorte que les
magistrats comprennent exactement de quoi il s'agit.
En effet, quand une réforme de cette importance intervient, mise à part la
diffusion de quelques circulaires, rien ne permet aux magistrats de prendre
connaissance des tenants et aboutissants de ladite réforme. Petit clin d'oeil
en passant : je suis toujours étonné que l'Ecole nationale de la magistrature
ne fasse pas appel plus souvent aux rapporteurs de la commission des lois du
Sénat et de l'Assemblée nationale qui viendraient expliquer le pourquoi et le
comment d'une réforme.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je souhaite apporter une précision complémentaire : si le
juge chargé de la détention n'ordonne pas la détention provisoire, le texte
précise expressément qu'il peut ordonner le contrôle judiciaire.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
C'est tout de même un élément clé. Par ailleurs, pour la
commission, l'un des avantages du projet de loi est de faire en sorte que
seules les détentions provisoires qui sont véritablement pensées et motivées
soient prononcées. Elle estime que, si le juge d'instruction ne conservait pas
le contrôle judiciaire, il serait plus souvent amené à se demander s'il était
opportun ou non de placer telle ou telle personne en détention provisoire. Pour
préserver l'équilibre du système que nous proposons, nous avons pensé qu'il
était préférable qu'il conserve le pouvoir d'ordonner le contrôle
judiciaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous félicitons Mme la garde des sceaux de sa méthode qui consiste à proposer
ce qu'elle croit devoir proposer. Elle a parfaitement raison, et je dois dire
que nous faisons très exactement la même chose : lorsque nous proposons des
amendements, c'est parce que nous pensons devoir le faire, sans chercher à
plaire ou à déplaire à qui que ce soit.
L'amendement de la commission que nous sous-amendons présente l'avantage de
mentionner l'existence d'un débat contradictoire. Dans le texte qui nous vient
de l'Assemblée nationale, il est dit à l'article 137-1 au sujet du juge de la
détention : « Lorsqu'il statue à l'issue du débat contradictoire, il est
assisté d'un greffier. ». Si l'on veut savoir quand il statue à l'issue du
débat contradictoire, il faut se reporter à l'article 33, qui se trouve dans le
chapitre de la coordination.
Ce n'est tout de même pas très clair ! Et le texte de la commission l'est
infiniment plus.
Pour le reste, lorsque systématiquement on nous qualifie de « gauche
américaine », on nous reproche d'être influencés par les Anglo-Saxons, ...
M. Hubert Haenel.
Il n'y a pas de gauche en Amérique !
M. Pierre Fauchon.
Nous, on vous qualifie de gauche caviar ! »
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... permettez-moi de vous dire que j'en ai assez.
Je voudrais rappeler que la commission Delmas-Marty, avec la complicité du
professeur Léauté et de très nombreux autres juristes, avait proposé une
procédure accusatoire à la française qui était conçue pour notre pays, adaptée
à nos habitudes et à nos méthodes.
Permettez-moi de dire aussi que j'ai assisté à de très nombreux colloques
organisés par le parti socialiste où tout le monde était partisan d'adopter les
conclusions de la commission Delmas-Marty.
Permettez-moi de vous dire aussi que j'ai assisté à de très nombreuses
réunions de la commission Justice du parti socialiste - j'y allais bien avant
que vous ne vous occupiez de ce domaine -...
M. Michel Charasse.
Eh bien, j'te plains !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et que tout le monde était d'accord pour préconiser les méthodes
recommandées aujourd'hui par la commission Delmas-Marty.
Vous ne voulez pas d'un « juge à l'américaine », dites-vous. Mais il ne s'agit
pas de cela !
Tout à l'heure, le Sénat a accepté, par exemple, que le juge d'instruction
n'ait plus à prononcer d'amende contre celui qui refuserait de comparaître
devant lui. Pourquoi l'avez-vous demandé ? Parce que vous avez estimé que tout
ce que l'on attend du juge était d'instruire à charge et à décharge. Le reste
relève du juge de la détention.
D'ailleurs, vous-même dites, dans le texte proposé par le projet de loi pour
l'article 137-2 : « Le contrôle judiciaire peut être également ordonné par le
juge de la détention provisoire, lorsque celui-ci est saisi en application des
dispositions du dernier alinéa de l'article 137-1 », c'est-à-dire lorsqu'« il
est saisi par une ordonnance motivée du juge d'instrution, qui lui transmet le
dossier de la procédure après avoir recueilli les réquisitions du procureur de
la République ».
Il faut que le juge mette en examen puis demande un contrôle judiciaire ou
bien une mise en détention, et se tourne alors vers le juge de la détention,
avec lequel il y a un débat contradictoire.
M. Michel Charasse.
Ce qui paraît nécessaire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et le juge de la détention décide soit qu'il n'y aura ni contrôle judiciaire
ni mise en détention, soit qu'il y aura mise en détention ou contrôle
judiciaire.
Voià pourquoi nous proposons un sous-amendement à l'amendement n° 27 de la
commission.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 212 rectifié, repoussé par la
commission et par le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 268.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je ne comprends pas les explications données par le Gouvernement.
Le nouveau système est complètement différent du système actuel, qui
n'implique que le juge d'instruction. Jusqu'à présent, le juge d'instruction
avait le pouvoir de placer une personne en détention. Depuis 1985, s'il
envisageait effectivement la mise en détention, il devait y avoir un débat
contradictoire.
Dans le nouveau système, ce pouvoir est confié à un autre juge qui est saisi
par une ordonnance du juge d'instruction. Mais si celui-ci ne souhaite pas que
la personne soit mise en détention, il n'y aura ni ordonnance ni, bien sûr,
débat.
Si j'ai bien compris, le juge d'instruction ne transmet pas forcément les
réquisitions du parquet.
M. Hubert Haenel.
Si !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah, mais c'est très important !
M. Hubert Haenel.
Il faut clarifier ce point !
M. Jean-Jacques Hyest.
Avant, c'était le juge d'instruction qui décidait. Si, maintenant, il transmet
forcément les réquisitions du parquet, on aboutit à un système où le juge
d'instruction est complètement « transparent ». Il n'est plus qu'un point de
passage entre le parquet et le juge de la détention.
Si le juge d'instruction estime qu'il n'y a pas lieu de placer en détention,
me semble-t-il, il ne saisit pas le juge de la détention. Il faut être tout à
fait clair sur ce point. S'il transmet tout, qu'il souhaite ou qu'il ne
souhaite pas la mise en détention, alors, je ne comprends plus le système, et
les explications données, notamment dans le sous-amendemement du Gouvernement,
ne me paraissent pas d'une parfaite clarté.
M. Hubert Haenel.
Il faut éclaircir cela !
M. Jean-Jacques Hyest.
Absolument !
Le système, tel que je l'ai compris, est le suivant : lorsque le juge
d'instruction souhaite mettre en détention, il transmet, par ordonnance
motivée, sa demande au juge de la détention, et il y a nécessairement débat
contradictoire. A ce moment-là, la position de la commission des lois est
parfaitement cohérente. Sinon, il n'y a pas de cohérence.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je pense que le sous-amendement n° 268 n'est tout simplement pas conforme à la
Constitution.
En effet, à partir du moment où un juge prend une mesure privative de liberté,
tous nos textes et tous nos principes imposent le débat contradictoire et
l'excercice des droits de la défense. Or, s'il n'y a pas débat contradictoire,
il n'y a pas exercice des droits de la défense devant le juge qui prend la
décision, et cela me paraît inconstitutionnel.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Il s'agit en effet ici d'interrogations majeures. Ce débat est éminemment
constructif, et nous ne pouvons pas ne pas demander, madame le ministre, des
précisions qui, il faut le dire, ne figurent pas dans le texte du
sous-amendement.
M. Hyest l'a excellemment, expliqué, mieux que je n'aurais pu le faire
moi-même bien qu'étant le père de la disposition en question, il est évident
que, dans le système actuel, lorsque le juge envisage seul - et il sait donc
bien s'il l'envisage ! - de placer quelqu'un en détention, il faut un débat
contradictoire. Nous sommes maintenant dans une situation radicalement
différente, puisque le juge de la détention ignore au départ tout de ce dossier
et que ce qu'il reçoit, c'est une demande motivée d'un autre juge. A partir de
quoi, évidemment, comme l'a fort bien rappelé Michel Charasse, l'exigence du
débat contradictoire que nous avons inscrite en tête des principes fondamentaux
de ce code de procédure pénale doit être respectée.
Or je lis, au quatrième alinéa du texte proposé par l'article 10 pour
l'article 137-1 du code de procédure pénale - mais peut-être n'ai-je pas de ce
complexe projet une maîtrise suffisante - que le juge de la détention « est
saisi par une ordonnance motivée du juge d'instruction, qui lui transmet le
dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de la
République. »
Là, je m'interroge : où sont les observations de la défense, madame le garde
des sceaux ?
M. Michel Charasse.
Eh oui !
M. Robert Badinter.
Je ne comprends pas !
Où sont ses observations pourtant nécessaires ? On nous explique bien que,
lorsque le juge de la détention reçoit le dossier avec l'ordonnance demandant
le placement en détention, il reçoit les réquisitions du procureur, mais, de la
défense il n'est pas fait état.
Sans doute est-il, dans votre esprit, implicite que, si la défense le
souhaitait, elle pourrait présenter ses observations. Mais on ne peut pas ne
pas l'inscrire dans le texte. Admettez, madame le garde des sceaux, qu'il y a
au moins un défaut de précision concernant les droits de l'autre partie,
c'est-à-dire de celui qui risque d'être placé en détention.
Il y a ensuite la question du débat contradictoire, qui n'est pas la même
chose que les observations écrites que fournit l'avocat, ....
M. Hubert Haenel.
Bien sûr !
M. Robert Badinter.
... en même temps que le procureur de la République envoie ses réquisitions
pour que le magistrat soit éclairé et commence, dans son esprit, à préparer le
débat.
Là se pose la grande question : peut-on revenir en arrière et considérer qu'un
débat contradictoire n'est pas nécessaire dans tous les cas ?
Je pense, pour ma part, qu'à partir du moment où le mécanisme est déclenché,
de la même façon qu'il l'est aujourd'hui dans le for intérieur du juge
d'instruction quand il envisage de placer en détention, le débat doit
commencer. Ici, le mécanisme est déclenché par l'ordonnance motivée. C'est elle
qui engage le débat. Il ne peut pas ne pas y avoir un débat contradictoire,
quelle que soit par ailleurs la complexité de la chose, car, je suis forcé de
le dire, le système qui a été élaboré est complexe. Ce n'est pas un reproche,
c'est un constat. Dès lors, il est évident qu'on l'améliore à mesure qu'on en
débat.
Nous posons donc deux questions.
Premièrement,
quid
des observations écrites de la défense recueillies
en même temps que le réquisitoire du procureur de la République ?
Deuxièmement, peut-on concevoir de revenir en arrière en supprimant le débat
contradictoire ? A mon sens, ce n'est pas possible.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, j'avais compris, peut-être un peu trop vite - et je
rejoins en cela la plupart de ceux qui se sont exprimés sur cette question -
qu'il y avait débat devant le juge de la détention provisoire pour savoir si,
oui ou non, la personne était placée en détention provisoire.
De même, lorsque le juge d'instruction veut placer une personne sous contrôle
judiciaire, lequel est parfois très serré, il est normal qu'il y ait aussi un
débat. Cela me paraît s'inscrire dans la logique du système qui nous est
proposé.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 268, repoussé par la commission.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Madame le garde des sceaux, pouvez-vous préciser l'avis du Gouvernement sur
l'amendement n° 27 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'y suis défavorable, monsieur le président.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 27.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explicaion de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Avec l'amendement n° 27, les choses sont mieux précisées, en ce qui concerne
non seulement la qualité du magistrat, mais aussi l'exigence de l'ordonnance
motivée. Néanmoins, il faudra, là aussi, s'interroger sur la nécessité de
recueillir les observations même écrites de la défense en même temps que
l'ordonnance motivée accompagnée des réquisitions. C'est dire que, dans le
cours de la navette, il faudra resserrer les écrous, car il y a, me
semble-t-il, quelques flottements.
Je souhaite cependant que, pour l'heure, nous adoptions l'amendement de la
commission car sa formulation est meilleure que la version gouvernementale. Je
ne crois pas, cependant, que nous ayons atteint un degré de précision
totalement satisfaisant.
Pour le reste, je prie le Sénat d'oublier les modèles étrangers. Je rappelle
qu'il existe deux grands systèmes dont on parle toujours : le système dit «
accusatoire » et le système dit « inquisitoire ». Mais, il y a beau temps que
l'instruction, en France, ne relève plus de l'inquisitoire pur !
Quand on analyse sur un siècle l'évolution de notre procédure d'instruction,
il apparait indiscutablement que celle-ci est de plus en plus marquée du
caractère accusatoire. Cela ne la rend pas anglo-saxonne pour autant : il n'y a
pas, comme en Amérique, de marchandage entre le procureur et l'avocat.
Quoi qu'il en soit, madame le garde des sceaux, j'attire votre attention sur
un fait : même si, comme nous l'espérons, à l'aide de la procédure proposée et
grâce à une heureuse disposition, vous parvenez, nous parvenons à réduire le
nombre des placements en détention provisoire et, mieux encore, leur durée,
demeurera ce qui est à mon sens le vice profond de l'instruction en France : la
solitude, la souveraineté solitaire du magistat instructeur.
Il ne pourra plus placer en détention ; fort bien ! Mais les magistrats
instructeurs doivent, comme ils le demandent, je le sais parfaitement, être
regroupés en chambre d'instruction. Ils n'aiment point cette solitude. Quant à
la puissance qu'elle donne à un magistrat parmi tout, il suffit de considérer
ce qui, dans certaines grandes affaires, se passe quand on a un magistrat isolé
: une durée infinie des procédures, des ordonnances qui, quelquefois,
n'hésitent pas prendre le contre-pied de décisions de la Cour de cassaton, avec
toutes les conséquences que cela peut avoir.
J'en suis convaincu, si nous gardonsle système du juge d'instruction tel qu'il
se présente aujourd'hui, nous ne remédierons pas à ces défauts structurels. Si
nous voulons y parvenir nous devons les réunir dans des équipes, que j'appelle
« chambres d'instruction ».
Il faut que les décisions soient prises collectivement quand il s'agit de
décisions juridictionnelles et que le reste puisse faire l'objet d'actes
d'instruction faits par un ou par deux d'entre eux. C'est seulement ainsi que
l'on arrivera à assurer la formation, à donner la souplesse et aussi à faire en
sorte que s'exerce cette espèce de contrôle interne, le plus efficace de tous,
qui est l'oeil du collègue sur le collègue.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 27, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je suis maintenant saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une
discussion commune.
Par amendement n° 259, M. Dreyfus-Schmidt propose de supprimer le texte
présenté par l'article 10 pour l'article 137-2 du code de procédure pénale.
Par amendement n° 154 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du
Rassemblement pour la République proposent de rédiger ainsi le texte présenté
par l'article 10 pour l'article 137-2 du code de procédure pénale :
«
Art. 137-2.
- Le contrôle judiciaire est ordonné par le juge de la
liberté individuelle qui statue après avoir recueilli les réquisitions du
procureur de la République ou lorsque celui-ci est saisi en application des
dispositions du dernier alinéa de l'article 137-1. »
Par amendement n° 28 rectifié
bis,
M. Jolibois, au nom de la commission
des lois, propose :
I. - Dans le second alinéa du texte présenté par l'article 10 pour l'article
137-2 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : « le juge de la
détention provisoire, lorsque celui-ci est saisi en application des
dispositions du dernier alinéa de l'article 137-1. » par les mots : « le
magistrat mentionné à l'article 137-1, lorsqu'il est saisi. »
II. - En conséquence, dans le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par
l'article 10 pour l'article 137-4 du code de procédure pénale, dans le texte
proposé par l'article 12 pour l'article 146 du code de procédure pénale, dans
le second alinéa de l'article 13, dans le dernier alinéa du 1° et dans le 2° de
l'article 14, dans le II de l'article 25 et dans les paragraphes I, II, III, V,
VII, VIII, IX, X, XII, XIII, XIV, XV et XVI de l'article 33, de remplacer les
mots : « juge de la détention provisoire » par les mots : « magistrat mentionné
à l'article 137-1 ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 259.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je le retire et j'annonce d'ores et déjà que je retire également les
amendements n°s 211 et 260.
M. le président.
L'amendement n° 259 est retiré.
L'amendement n° 154 rectifié a été retiré précédemment par son auteur.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 28 rectifié
bis.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il s'agit, en quelque sorte, d'un amendement de forme. Vous
savez que nous avions décidé de ne pas nommer le juge de la détention
provisoire. Par conséquent, comme l'a annoncé tout à l'heure notre collègue M.
Dreyfus-Schmidt, nous l'appellerons « le magistrat mentionné à l'article 137-1
». Au fur et à mesure du déroulement du débat sur ce chapitre, nous emploierons
donc cette expression.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est le magistrat innommé !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 28 rectifié
bis,
repoussé par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 29, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose,
à la fin du texte présenté par l'article 10 pour l'article 137-3 du code de
procédure pénale, de remplacer les mots : « le juge de la détention provisoire
n'est pas tenu de statuer par ordonnance » par les mots : « le magistrat
mentionné à l'article 137-1 statue par une ordonnance motivée. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il s'agit de l'un des points clés du système que nous vous
proposons. Nous demandons que le magistrat en question statue par une
ordonnance motivée.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le principe étant la liberté et non pas la détention,
je ne vois pas pourquoi le juge de la détention qui n'accéderait pas à une
demande du juge d'instruction devrait expliquer les raisons pour lesquelles la
détention ne lui paraît pas nécessaire.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il ne me paraît donc pas utile que le magistrat statue
par une ordonnance motivée.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 29.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Réfléchissons au déroulement de la procédure : par une ordonnance motivée, un
magistrat devient, ce qui est singulier, convenons-en, partie à un débat. Il
saisit un juge. Celui-ci décide de ne pas faire droit à sa demande, et ce sans
expliquer les motifs de sa décision...
(M. Ceccaldi-Raynaud s'exclame.)
M. Robert Badinter.
Vous permettez ?... Je poursuis.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ce n'est pas la peine !
M. Robert Badinter.
Pour moi qui suis soucieux que les choses soient claires à cet égard, je vous
demande de ne pas m'interrompre, mon cher collègue !
Donc, je poursuis. Le juge, par une ordonnance motivée, demande le placement
en détention. Le magistrat saisi de cette demande décide de ne pas donner
suite. Une telle décision appelle une motivation ! Réfléchissez : si la demande
de placement en détention émane du procureur de la République, au nom de quoi
pourra-t-on faire valoir les droits de la partie, c'est-à-dire frapper d'appel
la décision ? Même si elle est très satisfaisante quant à la volonté commune de
réduire le nombre de détentions provisoires, il s'agit d'une décision en
réponse à une ordonnance motivée, qui doit donc être également motivée au
regard des différentes parties en cause.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
Je vous rappelle que c'est la présidence qui mène les débats, et personne
d'autre, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Avez-vous eu l'impression que je voulais diriger les débats ?
M. le président.
Ma remarque s'adresse à l'ensemble des sénateurs !
Vous avez la parole.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je prie M. Badinter de bien vouloir m'excuser de l'avoir interrompu, mais je
suis en désaccord avec lui.
Comme Mme le garde des sceaux l'a rappelé, le principe, c'est la liberté ; la
détention est l'exception. Pour mettre quelqu'un en détention, l'ordonnance et
les réquisitions sont motivées. Mais je ne comprends pas la raison pour
laquelle on imposerait au magistrat qui met une personne en liberté de motiver
sa décision.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je crois que les choses sont beaucoup plus simples que cela. En dehors des
principes que rappelait tout à l'heure Robert Badinter, et que je partage, il
est un certain nombre d'affaires qui peuvent faire, comme l'ont dit, du bruit
dans le landernau. Par ailleurs, même si je n'ai pas une très grande révérence
pour elle, l'opinion publique attend, quelquefois, de connaître les décisions
des magistrats.
Prenons l'exemple d'une affaire grave qui crée un trouble sérieux à l'ordre
public - sur la voie publique, en matière de sécurité publique ou autre - le
juge de la détention pourra prendre la décision de ne pas mettre M. Untel en
détention, sans avoir le début du commencement d'une explication à donner à
l'opinion publique, qui peut s'en inquiéter.
Même si je pense que la justice ne doit pas se dérouler sur la place publique
- généralement, ce n'est pas ma position - je pense que, là, c'est la moindre
des choses ! En dehors des principes que rappelait Robert Badinter, l'opinion
publique, au nom de laquelle se prononcent les juges puisqu'ils jugent au nom
du peuple français, doit connaître les raisons pour lesquelles le citoyen Untel
n'est pas mis en détention.
Il faut que, à l'issue du débat contradictoire et après la décision du juge,
les avocats des parties - des victimes, de l'accusé ou du prévenu - puissent
donner des explications.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je souhaite dissiper un malentendu, car j'ai l'impression que notre collègue
M. Ceccaldi-Raynaud s'est mépris.
Nous sommes tous d'accord sur le principe que la liberté doit être la règle.
Il s'agit d'un principe.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et puis, il y a la procédure. Or, en matière de procédure, sur réquisitions du
procureur de la République tendant à la mise en détention, le juge
d'instruction adresse au juge de la détention une demande qui est écrite et
motivée. Eh bien ! il est indispensable que la décision du juge de la détention
qui refuserait la mise en détention soit motivée, et que les raisons de son
refus figurent au dossier. C'est tout à fait évident ! Nous en parlerons tout à
l'heure.
Hier, la presse a fait état d'une ordonnance d'un juge qui refusait pour
quatre motifs - un seul aurait suffi ! - la mise en liberté d'une personne mise
en détention provisoire. Si la chambre d'accusation avait émis un avis
contraire, il est évident qu'il aurait fallu en connaître les raisons.
Cela est d'autant plus vrai que, nous le verrons, ces débats seront publics ;
ce sont des « fenêtres de publicité » qui seront ouvertes, et devant le juge de
la détention, et devant la chambre d'accusation. Par conséquent, la presse sera
présente. Lorsqu'elle publiera les réquisitions du procureur et l'avis motivé
du juge d'instruction demandant la mise en détention, il faudra également
qu'elle puisse donner les arguments qui auront motivé la décision du juge de la
détention au terme du débat contradictoire.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est la justice sur la place publique !
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Lorsqu'on prend une décision, à plus forte raison dans le cadre de la réforme
qui nous est proposée, quelle que soit cette décision, elle doit être motivée,
à la fois dans l'intérêt de celui qui décide, dans l'intérêt de l'opinion qui
veut comprendre, dans l'intérêt des victimes, car on n'a pas parlé des
victimes...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Hubert Haenel.
... les victimes veulent savoir pourquoi on laisse une personne en liberté -
enfin, dans l'intérêt et de la personne qui est impliquée. Il est intéressant
pour elle - c'est son droit ! - de savoir pourquoi on prend telle ou telle
décision.
Le peu d'expérience que j'ai en matière judiciaire m'amène à savoir que, quand
trois personnes se réunissent après avoir entendu des plaidoiries et désignent
l'une d'entre elles pour rédiger la décision, il arrive parfois que celle-ci
revienne devant les autres pour l'indication des arguments qui motivent la
décision. Cela est vrai, que l'on soit seul ou que l'on soit trois : face à la
nécessité d'argumenter une décision que l'on croyait bonne, on se rend soudain
compte que quelque chose ne fonctionne plus dans le raisonnement. C'est
pourquoi il est important qu'une ordonnance, quelle qu'elle soit, soit
motivée.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
La cour d'assises ne motive pas !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Dès le début, ni la commission ni votre rapporteur n'ont eu
la moindre hésitation quant à l'absolue nécessité de motiver l'ordonnance.
C'est non pas une possibilité, mais un impératif. En effet, l'ordonnance sera
susceptible d'appel. Il y aura une discussion, une publicité. Et le juge qui
demandera le placement en détention provisoire aura besoin de connaître, le cas
échéant, les motifs du refus. Par conséquent, en l'absence d'une ordonnance
motivée, l'ensemble du système serait incomplet, voire bancal.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il s'agit là d'une question de principe importante.
C'est pourquoi je reprends la parole.
Nous parlons ici non pas de décisions judiciaires en général, mais de liberté.
L'article VII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
dispose : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas
déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elles a prescrites. »
M. Michel Charasse.
C'est exact !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il y a donc des formes pour la détention, mais pas pour
la liberté !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il en va de même pour la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'ailleurs, je
fais remarquer que, actuellement, le juge d'instruction ne motive pas sa
décision de ne pas placer un personne en détention. C'est la même chose au
tribunal correctionnel, qui peut être saisi à l'audience d'une demande de
mandat de dépôt ou d'exécution provisoire. Si le juge refuse le placement en
détention, il ne motive pas sa décision : la liberté ne se discute pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 29, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 211, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent de rédiger ainsi le deuxième alinéa (1°) du texte
présenté par l'article 10 pour l'article 137-4 du code de procédure pénale :
« Lorsqu'il est saisi de réquisitions du procureur de la République tendant au
placement en détention provisoire ou demandant la prolongation de celle-ci,
qu'il transmette ou non le dossier de la procédure au juge de la détention
provisoire. »
Cet amendement a été précédemment retiré par ses auteurs.
Par amendement n° 260, M. Dreyfus-Schmidt propose de supprimer le troisième
alinéa (2°) du texte présenté par l'article 10 pour l'article 137-4 du code de
procédure pénale.
Cet amendement a également été précédémment retiré par son auteur.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10, modifié.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je m'abstiens.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je m'abstiens également.
(L'article 10 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 10
M. le président.
Par amendement n° 155 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du
rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 10, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 76 du même code, un article ainsi rédigé :
«
Art. ...
- Si les nécessités de l'enquête relatives à un crime ou un
délit puni d'une peine d'emprisonnement l'exigent, le juge de la liberté
individuelle peut, sur requête écrite et motivée du procureur de la République,
autoriser que les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à
conviction soient faites sans l'assentiment de la personne chez qui elles ont
lieu. Les formes prévues par l'article 56 sont applicables ; ces opérations ne
peuvent intervenir en dehors des heures prévues par l'article 59.
« Les autorisations délivrées par le juge de la liberté individuelle sont
données pour des perquisitions déterminées. Chaque autorisation fait l'objet
d'une décision écrite, précisant la qualification de l'infraction dont la
preuve est recherchée ainsi que l'adresse des lieux dans lesquels les visites,
perquisitions et saisies peuvent être effectuées, et motivée par référence aux
éléments de fait justifiant que ces opérations sont nécessaires. Celles-ci sont
effectuées sous le contrôle du juge de la liberté individuelle, qui peut se
déplacer pour veiller au respect des dispositions légales. »
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
J'indique d'emblée que la mesure proposée dans cet amendement figurait dans
l'avant-projet du Gouvernement. Elle a été abandonnée entre-temps et je
souhaite savoir pourquoi. C'est la raison pour laquelle je la reprends. Je
pense qu'elle est de nature à faciliter le traitement des enquêtes et à limiter
le recours à l'ouverture d'une information pour les affaires simples
nécessitant une ou plusieurs perquisitions.
Par ailleurs, je constate que la plupart des administrations économiques - le
fisc, les douanes, la Direction générale de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes - disposent de facultés voisines de demander au
président du tribunal ou au juge délégué l'autorisation d'effectuer une
perquisition ou une visite domiciliaire, alors que le procureur de la
République est dépourvu de cette possibilité.
Les autres dispositions du projet de loi introduisent une modification
conséquente de l'équilibre au cours de l'enquête, du fait, par exemple, de la
présence accrue de l'avocat lors de la garde à vue, etc.
Je souhaite donc donner la possibilité à un procureur de la République qui
n'ouvrirait une information que pour obtenir telle ou telle mesure de rester
dans le cadre de l'enquête préliminaire et de demander ces mesures directement
au président du tribunal, donc, en l'occurrence, au juge qui n'est pas
dénommé.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Vous soulevez, là encore, un problème important. Je remarque,
monsieur Haenel, que vous avez utilisé trois fois, dans cet amendement, la
dénomination « juge de la liberté individuelle ». Vous pensiez, en fait, au
juge visé à l'article 137-1.
M. Hubert Haenel.
Lorsque j'ai rédigé cet amendement, on ne savait pas comment l'appeler !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Effectivement !
Je rappelle que son rôle ne se limitera pas à la détention provisoire. La
seule chose qui lui sera interdite sera de siéger dans les instances où l'on
jugera des affaires dont il aura eu à connaître en tant que juge de la
détention provisoire.
Cela étant dit, la commission a émis un avis défavorable. Peut-être
conviendrait-il de lui confier cette nouvelle mission à l'occasion de l'examen
d'un autre texte. Cette nouvelle charge n'était pas prévue dans le présent
projet de loi et la commission n'a pas examiné les conséquences qu'elle
pourrait avoir.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Moi non plus, je ne suis pas favorable à cet
amendement, car il ne faut pas dénaturer les principes traditionnels qui
gouvernent l'enquête préliminaire. Les perquisitions effectuées au cours de
cette enquête ne peuvent être diligentées qu'avec l'accord de la personne dont
le domicile est visité, et dans l'hypothèse inverse, de toute façon, un juge
d'instruction doit être saisi.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 155 rectifié.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Je ne suis pas tout à fait convaincu par les arguments de Mme le ministre.
Il y a un problème, a dit M. le rapporteur, et on pourrait réexaminer cette
disposition en une autre occasion. Cependant, il est tout de même curieux que
le fisc ou les douanes puissent demander au président du tribunal de grande
instance l'autorisation de perquisitionner dans ces conditions-là, alors que le
procureur de la République ne peut le faire et doit ouvrir une information,
donc engager une procédure beaucoup plus longue.
Nous pourrons effectivement examiner de nouveau cette disposition lors de
l'examen d'un autre texte. Dans cette attente, je retire mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 155 rectifié est retiré.
Par amendement n° 213, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent d'insérer, après l'article 10, un article additionnel
ainsi rédigé :
« L'article 138 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« 1° Dans le septième alinéa (5°), après les mots : "services", sont insérés
les mots : ", associations habilitées".
« 2° Dans le huitième alinéa (6°), après les mots : "de toute autorité", sont
insérés les mots : ", de toute association".
« 3° Le même alinéa est complété par les mots : "ainsi qu'aux mesures
socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir la
récidive". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je n'ai pas de raison de cacher que cet amendement m'a été inspiré par des
magistrats, et même de hauts magistrats. Et je pense qu'ils avaient
parfaitement raison.
Les articles que nous examinerons tout à l'heure, à savoir l'article 28, qui
est d'origine, et les articles 28
bis
et 28
ter
, qui sont
nouveaux, traitent tous trois des associations d'aide aux victimes. Il y a en
effet lieu de tenir le plus grand compte de ces associations, surtout - et
c'est ce que nous préciserons - lorsqu'elles sont conventionnées, car il ne
suffit pas qu'elles s'intitulent telles.
De même, il paraît tout à fait normal que, en ce qui concerne le contrôle
judiciaire, soient reconnues les associations qui ont précisément pour objet de
contribuer à l'application du contrôle judiciaire et qui se trouveront en
quelque sorte habilitées du fait que c'est le juge lui-même qui aura recours à
elles.
C'est pourquoi il convient de préciser, dans l'article 138 du code de
procédure pénale, qui traite du contrôle judiciaire, lequel peut être ordonné
par le juge d'instruction ou - il faudra l'ajouter dans le texte si cela n'a
été fait - par le juge de la détention provisoire, ce qui est conforme à ce que
vous avez décidé tout à l'heure, mes chers collègues, que ce contrôle peut
astreindre la personne concernée à se soumettre, selon la décision du juge, à
une ou plusieurs des obligations ci-après énumérées :
5° Se présenter périodiquement aux services associations habilitées ou
autorités désignés par le juge d'instruction qui sont tenus d'observer la plus
stricte discrétion sur les faits reprochés à la personne mise en examen ;
6° Répondre aux convocations de toute autorité, de toute association ou de
toute personne qualifiée désignée par le juge d'instruction et se soumettre, le
cas échéant, aux mesures de contrôle portant sur ses activités professionnelles
ou sur son assiduité à un enseignement ainsi qu'aux mesures socio-éducatives
destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir la récidive.
Ai-je besoin de dire que cette réinsertion recherchée par le juge avec l'aide,
éventuellement, non seulement de services ou d'autorité, mais aussi
d'associations est de nature à protéger les droits des victimes ?
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis favorable, car cet
amendement consacre dans le code de procédure pénale le contrôle judiciaire à
caractère socio-éducatif, qui est en effet exercé aujourd'hui par des
associations qui sont d'un grand secours pour le ministère dont j'ai la
charge.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 213, accepté par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 10.
Article 10
bis
M. le président.
« Art. 10
bis.
- I. - Le 11° de l'article 138 du même code est ainsi
rédigé :
« 11° Fournir un cautionnement dont le montant et les délais de mise en place
en une ou plusieurs fois sont fixés par le juge d'instruction, en proportion
notamment des ressources et des charges de la personne mise en examen ainsi que
de son patrimoine.
« La personne mise en examen pourra s'acquitter du cautionnement dans les
conditions fixées par l'article L. 277 du livre des procédures fiscales ; ».
« II. - Au début de l'article 142-2 du même code, les mots : "première partie"
sont remplacés par le mot : "totalité". »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 30, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de supprimer cet article.
Par amendement n° 120, M. Charasse propose, dans le deuxième alinéa du I de ce
même article, de remplacer les mots : « par le juge d'instruction » par les
mots : « par le président du tribunal de grande instance saisi à cette fin par
le juge d'instruction ».
Par amendement n° 121 rectifié, M. Charasse propose d'insérer, après le I de
l'article 10
bis,
un paragraphe ainsi rédigé :
« ... . Le deuxième alinéa de l'article 141-2 du même code est complété par
deux phrases ainsi rédigées :
« Toutefois, les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne s'appliquent pas à une
personne qui n'exécute pas les obligations qui lui ont été imposées au titre du
11° de l'article 138 lorsque celle-ci fait la démonstration que ses ressources
et son patrimoine ne lui permettent pas de disposer des fonds nécessaires. La
personne concernée peut se faire assister par tout expert de son choix y
compris les fonctionnaires des administrations fiscales et financières. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 30.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi un
article qui modifie les dispositions relatives au cautionnement qui peut être
exigé lorsqu'une personne est mise sous contrôle judiciaire.
Actuellement, le cautionnement ne peut consister que dans le versement d'une
somme d'argent. L'article 10
bis
tend à ce qu'une personne puisse
utiliser pour le cautionnement des garanties telles qu'une hypothèque.
Cependant, la rédaction proposée peut poser des difficultés.
Par ailleurs, l'article adopté par l'Assemblée nationale prévoit également que
la personne pourrait récupérer la totalité du cautionnement lorsqu'elle se
soumettrait à l'exécution du jugement. Or, une partie de celui-ci est en
principe destinée au paiement de la réparation des dommages causés par
l'infraction. Il ne paraît pas souhaitable de modifier cette situation.
Compte tenu des nombreuses incertitudes qui entourent cette question, la
commission considère qu'il est préférable, à ce stade, de supprimer cet
article. A cet égard, j'ai cru comprendre, cela m'a paru très pertinent, que si
l'on remplaçait le cautionnement en argent par une hypothèque, se poserait le
problème de l'évaluation par les Domaines du bien immobilier ; de surcroît,
cela met du temps.
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela met en effet du temps !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La visibilité n'étant pas totale, nous proposons donc de
supprimer cet article.
M. le président.
La parole est à M. Charasse pour défendre les amendements n°s 120 et 121
rectifié.
M. Michel Charasse.
Ces deux amendements concernent le cautionnement.
Compte tenu des incidents nombreux qui surviennent en ce qui concerne la
fixation du montant du cautionnement et les capacités contributives des
personnes soumises à cautionnement, il me paraît utile que, dans ce cas, ce
soit une deuxième personne qui fixe le montant de la caution, à savoir le
président du tribunal de grande instance. C'est la proposition que je fais par
mon amendement n° 120.
J'en viens à l'amendement n° 121 rectifié. Me souvenant en particulier,
monsieur le président, d'une affaire que nous avions eue à examiner autrefois
au bureau du Sénat et concernant un collègue qui passait de la détention
préventive au contrôle judiciaire avec un cautionnement impossible, j'ai pensé
que l'on pourrait donner la possibilité à l'intéressé de faire la démonstration
que ses ressources et son patrimoine ne lui permettent pas de disposer des
fonds nécessaires, avec l'assistance éventuelle d'experts, y compris les
fonctionnaires des administrations fiscales. Tel est l'objet de ces
amendements.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 120 et 121 rectifié
?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Ces amendements sont évidemment contraires à la position de
la commission qui a préconisé la suppression de l'article 10
bis
.
En écoutant M. Charasse, je me posais une question. Si le cautionnement est
décidé par le juge d'instruction, celui-ci peut constamment voir l'avocat de la
partie. On ne voit pas pour quelle raison l'avocat ne pourrait pas intervenir
auprès du juge d'instruction et faire la démonstration à laquelle vous pensez.
Le dialogue pourrait s'instaurer.
Dans la pratique, ces amendements ne constituent pas véritablement un ajout
très important.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 30, 120 et 121
rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis favorable à l'amendement n° 30, qui vise à
supprimer l'article 10
bis
. Je dois observer, pourtant, que la question
du cautionnement et des sûretés dans le cadre d'un contrôle judiciaire est
importante. J'espère qu'elle pourra être revue lors de la navette.
En revanche, j'émets un avis défavorable sur les amendements n°s 120 et 121
rectifié.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 30.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
A l'évidence, si l'amendement n° 30 est adopté, les deux amendements suivants
n'auront plus d'objet. Je veux donc, avant même qu'ils ne soient soumis au
couperet, apporter une précision à leur sujet.
Je souhaite simplement que, lors de la navette ou de la commission mixte
paritaire, cette question fasse l'objet d'une attention particulière. En effet,
nous nous sommes trouvés, je le redis, au bureau du Sénat, en présence d'un
juge d'instruction qui devrait remettre en liberté un prévenu qui avait
effectué la durée maximale de la détention préventive et à qui il a infligé un
cautionnement d'un montant tel que celui-ci ne pouvait pas y faire face, et ce
afin de pouvoir dire : « Les prescriptions du contrôle judiciaire ne sont pas
respectées, je vous remets "au ballon" ». Par conséquent, je souhaiterais que,
à l'occasion de la navette, on puisse regarder les choses de près.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 10
bis
est supprimé et les amendements n°s
120 et 121 rectifié n'ont plus d'objet.
Articles additionnels après l'article 10
bis
M. le président.
Par amendement n° 122, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 10
bis,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le 3° de l'article 144 du code de procédure pénale, les mots : "un
trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public" sont remplacés par les
mots : "un trouble grave pour la sécurité publique dans un lieu public ou non,
susceptible d'entraîner des dommages pour l'intégrité des personnes et des
biens". »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je ne suis pas un très fin juriste ni un pénaliste, contrairement à nombre de
mes collègues qui sont présents ce soir ou qui ont animé nos débats depuis deux
jours.
M. Hubert Haenel.
Vous pourriez être avocat !
(Sourires.)
M. Michel Charasse.
Cependant, en ce qui concerne la détention préventive, ou provisoire, comme on
voudra, il est une disposition à laquelle je ne comprends rien et qui figure à
l'article 144, à savoir l'ordre public. Je ne sais pas ce que cela veut
dire.
M. Hubert Haenel.
Il y a des thèses !
M. Michel Charasse.
On peut faire dire tout et n'importe quoi à la notion d'ordre public, tant et
si bien que c'est souvent la seule véritable motivation d'un placement en
détention. En effet, quand on ne trouve pas autre chose, on invoque l'ordre
public.
Puisque notre souci est de renforcer la protection de la présomption
d'innocence et d'éviter les détentions provisoires abusives, je propose au
Sénat, par cet amendement n° 122, de remplacer l'expression actuelle de «
trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public » par les mots : « un
trouble grave pour la sécurité publique dans un lieu public ou non, susceptible
d'entraîner des dommages pour l'intégrité des personnes et des biens. »
Aujourd'hui, la notion d'ordre public, c'est clairement le trouble sur la voie
publique. Voyez, par exemple, les motivations du juge pour incarcérer l'ancien
préfet de Corse : s'il y avait trouble à l'ordre public le jour où il a été
incarcéré, il y a belle lurette que ce trouble a disparu.
Ainsi les choses seraient plus claires. S'il y a des risques pour les biens et
les personnes, parce qu'il peut y avoir agitation sur la voie publique ou dans
un lieu public, par exemple une émeute, on peut alors considérer qu'il y a
effectivement un trouble pouvant justifier une mise en détention provisoire.
Dans les autres cas, il n'en ira pas ainsi.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La notion d'ordre public ne vous paraît pas très claire,
monsieur Charasse, mais il y est souvent fait référence en droit.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas pour ça que c'est mieux ! Les moulins à prières répètent toujours
la même chose !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Certes, mais nous procédons en nous référant à des
appellations connues.
M. Michel Charasse.
Ou morales !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Par ailleurs - et ce point est peut-être plus important - je
me demande si la notion de sécurité publique à laquelle vous faites allusion
n'est pas plus étendue que celle d'ordre public. Exiger un trouble à l'ordre
public me paraît plus précis. Un trouble à la sécurité publique peut être
constaté à un endroit sans que l'ordre public en général en soit affecté. C'est
une possibilité.
La commission estime donc préférable de maintenir la notion d'ordre public.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 122.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, je ne comprends pas pourquoi l'amendement n° 216 de mon
collègue Michel Dreyfus-Schmidt, qui est relatif à la même disposition, n'est
pas appelé maintenant en discussion. En effet, je serais à la limite prêt à
retirer mon amendement au profit du sien.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Effectivement, j'ai déposé un amendement n° 216, à l'article 15.
M. Michel Charasse.
Dans un débat qui a pour objet de limiter la détention provisoire ou
préventive, disposition qui porte atteinte au principe fondamental de la
liberté, qui est la règle absolue, permettre au juge de mettre en détention
préventive un citoyen pour des motifs vaseux qui sont soumis à une appréciation
générale pouvant varier d'un individu à l'autre n'est pas le meilleur moyen de
préserver la liberté individuelle.
Je veux bien admettre que ma formulation ne soit pas bonne. Peut-être celle de
l'amendement n° 216 sera-t-elle plus convaincante puisque mon collègue Michel
Dreyfus-Schmidt propose de supprimer purement et simplement cette notion, ce
qui, à mon avis, est une bonne chose.
Je retire donc l'amendement n° 122 au profit de l'amendement n° 216.
M. le président.
L'amendement n° 122 est retiré.
Nous examinerons l'amendement n° 216 en son temps, monsieur Charasse.
Par amendement n° 156 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du
Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 10
bis,
un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Au début de l'article 145 du code de procédure pénale, est ajouté un
alinéa ainsi rédigé :
« En toute matière, le juge de la liberté individuelle qui envisage de placer
en détention provisoire une personne mise en examen s'enquiert auprès de la
maison d'arrêt de la distribution intérieure. Si celle-ci ne permet de pourvoir
au principe de l'article 716 du même code, ce magistrat ne pourra prescrire le
placement de la personne en détention provisoire ».
« II. - Les dispositions du I entreront en vigueur un an après la publication
de la présente loi. »
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Cet amendement vise à donner au juge un temps de réflexion supplémentaire.
Toutes les modifications apportées par la commission des lois tendent à
accorder aux magistrats des temps d'arrêt pour faire le point, réfléchir et
examiner les conséquences de la disposition qu'ils vont prendre.
L'une des conséquences du placement en détention provisoire tient aux
conditions de vie dans les maisons d'arrêt.
Tout à l'heure, notre collègue et ami M. Caldaguès a rappelé le nombre élevé
de suicides au cours de la détention provisoire. Ces suicides sont dus en
partie aux conditions de détention inhumaines, totalement dégradantes.
Par conséquent, cet amendement vise à obliger le juge de la liberté
individuelle, comme c'est le cas pour le juge des enfants qui place un mineur
en détention, à vérifier, avant le placement en détention provisoire, si, à la
prison de la Santé, par exemple, la même cellule n'est pas partagée pas trois
ou quatre personnes placées en détention provisoire. En effet, actuellement, le
mandat de dépôt est donné à l'escorte qui, arrivée à la prison, le remet au
directeur de l'établissement pénitentiaire. Mais plus personne ne se soucie de
ce qui se passe une fois que la personne placée en détention provisoire a
franchi les portes de la prison !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Sauf l'avocat !
M. Hubert Haenel.
Sauf l'avocat, mais il ne vient pas tout de suite ! J'ajoute - peut-être
pourrez-vous nous répondre, madame la garde des sceaux, si vous avez les
éléments statistiques - que deux dispositions du code de procédure pénale
enjoignent le procureur de la République et le président de la chambre
d'accusation de visiter trimestriellement les établissements pénitentiaires.
Certains m'ont dit qu'ils n'étaient pas en mesure de le faire, faute de moyens
et de temps. Par conséquent, les contrôles qui sont prétendument exercés sur
les établissements pénitentiaires ne sont pas nécessairement aussi effectifs
que la loi veut bien le dire.
Je mesure la difficulté à mettre en oeuvre la disposition contenue dans mon
amendement n° 156 rectifié.
Toutefois, elle vise à faire prendre conscience de ce qui se passe quand un
mandat de dépôt a été délivré.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
A l'issue d'un débat sur ce problème, hier, la commission a
décidé de proposer que le Gouvernement disposerait d'un délai de cinq ans pour
parvenir à l'emprisonnement individuel des prévenus. C'est un délai qui peut
paraître long - les délais de trois ans et quatre ans ont également été évoqués
- mais qui est en tout cas très raisonnable.
Par conséquent, par cohérence avec ce qu'elle a décidé hier, la commission ne
considère pas souhaitable d'empêcher toute mise en détention provisoire lorsque
l'emprisonnement individuel ne peut pas être assuré, et elle émet donc un avis
défavorable sur l'amendement n° 156 rectifié, dont nous espérons qu'il n'aura
plus d'objet dans cinq ans.
M. le président.
Monsieur Haenel, l'amendement n° 156 rectifié est-il maintenu ?
M. Hubert Haenel.
Je retire cet amendement. Je l'ai déposé pour qu'une prise de conscience ait
lieu et qu'un message soit délivré ici.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Le message est délivré puisqu'il figure au
Journal
officiel
.
M. Hubert Haenel.
Vous le prenez donc en considération, monsieur le rapporteur ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Comme tout ce que vous dites, monsieur Haenel.
M. le président.
L'amendement n° 156 rectifié est retiré.
Article 11
M. le président.
« Art. 11. - Le second alinéa de l'article 145-3 du même code est ainsi rédigé
:
« Il n'est toutefois pas nécessaire que l'ordonnance de prolongation indique
la nature des investigations auxquelles le juge d'instruction a l'intention de
procéder lorsque cette indication risque d'entraver l'accomplissement de ces
investigations. »
Par amendement n° 97, M. Hyest propose de supprimer cet article.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il s'agit d'un amendement de conséquence, que je retire.
M. le président.
L'amendement n° 97 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
Article 12
M. le président.
« Art. 12. - L'article 146 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 146
. - S'il apparaît, au cours de l'instruction, que la
qualification criminelle ne peut être retenue, le juge d'instruction peut,
après avoir communiqué le dossier au procureur de la République aux fins de
réquisitions, soit saisir par ordonnance motivée le juge de la détention
provisoire aux fins du maintien en détention provisoire de la personne mise en
examen, soit prescrire sa mise en liberté assortie ou non du contrôle
judiciaire.
« Le juge de la détention provisoire statue dans le délai de trois jours à
compter de la date de sa saisine par le juge d'instruction. »
Par amendement n° 98, M. Hyest propose de supprimer cet article.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Par cohérence, je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 98 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12.
(L'article 12 est adopté.)
Article 13
M. le président.
« Art. 13. - La deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 147 du même
code est ainsi rédigée :
« Sauf s'il ordonne la mise en liberté de la personne, le juge d'instruction
doit, dans les cinq jours suivant les réquisitions du procureur de la
République, transmettre le dossier, assorti de son avis motivé, au juge de la
détention provisoire, qui statue dans le délai de trois jours ouvrables. »
Par amendement n° 99, M. Hyest propose de supprimer cet article.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Toujours par cohérence, je retire cet amendement.
M. le président.
L'amendement n° 99 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 13.
(L'article 13 est adopté.)
Article 14
M. le président.
« Art. 14. - L'article 148 du même code est ainsi modifié :
« 1° Les trois premiers alinéas sont ainsi rédigés :
« En toute matière, la personne placée en détention provisoire ou son avocat
peut, à tout moment, demander sa mise en liberté, sous les obligations prévues
à l'article précédent.
« La demande de mise en liberté est adressée au juge d'instruction, qui
communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de
réquisitions.
« Sauf s'il donne une suite favorable à la demande, le juge d'instruction
doit, dans les cinq jours suivant la communication au procureur de la
République, la transmettre avec son avis motivé au juge de la détention
provisoire. Ce magistrat statue dans un délai de trois jours ouvrables, par une
ordonnance comportant l'énoncé des considérations de droit et de fait qui
constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de
l'article 144. Toutefois, lorsqu'il n'a pas encore été statué sur une
précédente demande de mise en liberté ou sur l'appel d'une précédente
ordonnance de refus de mise en liberté, les délais précités ne commencent à
courir qu'à compter de la décision rendue par la juridiction compétente. » ;
« 2° Au cinquième alinéa, les mots : "le juge d'instruction" sont remplacés
par les mots : "le juge de la détention provisoire". »
Par amendement n° 100, M. Hyest propose de supprimer cet article.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Cet amendement est également retiré.
M. le président.
L'amendement n° 100 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
Section 2
Dispositions limitant les conditions
ou la durée de la détention provisoire
Article 15
M. le président.
« Art. 15. - L'article 144 du même code est remplacé par deux articles 143-1
et 144 ainsi rédigés :
«
Art. 143-1
. - Sous réserve des dispositions de l'article 137, la
détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l'un des cas
ci-après énumérés :
« 1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
« 2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée
égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, compte tenu, le cas échéant,
de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive ;
« 3° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle de deux ans
d'emprisonnement pour un délit prévu aux livres II ou IV du code pénal ;
« 4° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle de deux ans
d'emprisonnement pour un délit prévu au livre III du code pénal et a déjà été
condamnée, soit à une peine criminelle, soit à une peine d'emprisonnement sans
sursis d'une durée supérieure à un an.
« La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions
prévues à l'article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait
volontairement aux obligations du contrôle judiciaire.
«
Art. 144
. - La détention provisoire ne peut être ordonnée ou
prolongée que si elle constitue l'unique moyen :
« 1° De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une
pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse
entre personnes mises en examen et complices ;
« 2° De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la
disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son
renouvellement ;
« 3° De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public
provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou
l'importance du préjudice qu'elle a causé. Toutefois, ce motif ne peut, à lui
seul, justifier la prolongation de la détention provisoire sauf en matière
criminelle. »
Sur l'article, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Nous arrivons ici à un sujet de première importance puisqu'il s'agit de
traiter la grave question de la détention provisoire.
Tout le monde est conscient que la détention provisoire constitue une atteinte
à la présomption d'innocence, laquelle est affirmée par les articles VIII et IX
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Même si le législateur a eu maintes fois l'occasion de rappeler le caractère
exceptionnel de la détention provisoire, cela a toujours été en vain.
La détention a des conséquences d'autant plus graves sur les personnes qui la
subissent qu'elle concerne le respect de la dignité humaine.
Elle entraîne par ailleurs une surcharge insupportable des prisons ; elle nuit
aux conditions de vie des détenus et au travail des gardiens.
Ainsi, personne n'y trouve son compte, et force est de constater que la
situation actuelle n'est plus supportable.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres concernant la proportion élevée de
prévenus par rapport à l'ensemble des détenus, ou sur la durée moyenne de
détention, qui ne cesse de s'accroître.
Il faut aujourd'hui cesser de se servir de la détention provisoire comme d'un
mode normal d'instruction, voire de l'utiliser pour faire pression sur la
personne mise en examen pour en obtenir les aveux, ce qu'on appelle communément
les « détentions-pression ».
Votre texte, madame la garde des sceaux, s'y attache dans cette section 2.
Mais va-t-il aussi loin qu'il le devrait ?
Un débat a eu lieu ici même, il y a un peu plus d'un an, sur l'initiative de
notre collègue M. Michel Dreyfus-Schmidt, concernant la limitation de la durée
de la détention provisoire.
Nos collègues députés, pour leur part, ont eu à cette même période un débat
sur la détention provisoire, sur l'initiative de M. Tourret.
Ces deux propositions de loi n'ont jamais abouti, puisqu'un projet de loi
gouvernemental - celui qui nous occupe aujourd'hui - était alors en
préparation.
Pourtant, ces deux propositions de loi étaient novatrices, et les
parlementaires communistes, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat,
les avaient votées.
Or, le présent texte ne modifie que de façon modérée le droit en vigueur en
matière de placement en détention provisoire.
A cet égard, la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale allait
beaucoup plus loin en ce qu'elle ne permettait la mise en détention provisoire
que dans les cas où une peine de cinq ans était encourue, en cas d'infraction
contre les biens, et une peine de trois ans, en cas d'infraction contre les
personnes.
Par ailleurs, ainsi que l'indique notre collègue Charles Jolibois dans son
rapport, le texte de l'article 15, en l'état actuel, paraît fort complexe,
notamment en ce qui concerne les seuils.
Cela étant, nous notons la volonté du Gouvernement d'aller vers une évolution
dans ce domaine. En conséquence, nous voterons les amendements allant, selon
nous, dans le sens d'une plus nette amélioration.
M. le président.
Sur l'article 15, je suis saisi de neuf amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune. Mais, pour la clarté du débat, je les appellerai
successivement.
Par amendement n° 101, M. Hyest propose de rédiger ainsi cet article :
« L'article 144 du même code est remplacé par deux articles 143-1 et 144 ainsi
rédigés :
«
Art. 143-1.
- A titre exceptionnel et si les obligations du contrôle
judiciaire sont insuffisantes, la détention provisoire peut être ordonnée ou
prolongée dans les cas suivants :
« Si la personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
« Si la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle supérieure
ou égale à trois ans d'emprisonnement ;
« Si la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle supérieure
ou égale à cinq ans d'emprisonnement pour un délit prévu au livre III du code
pénal relatif aux atteintes aux biens ;
« Si la personne mise en examen se soustrait volontairement aux obligations du
contrôle judiciaire.
«
Art. 144.
- En toute matière la détention provisoire ne peut être
ordonnée ou prolongée que si elle est l'unique moyen :
« De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une
pression sur les témoins ou les victimes soit une concertation frauduleuse
entre personnes mises en examen et complices ;
« De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la
disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son
renouvellement.
« En matière criminelle uniquement, la détention exceptionnelle peut aussi
être ordonnée ou prolongée lorsque l'infraction, en raison de sa gravité, des
circonstances de sa commission ou de l'importance du préjudice qu'elle a causé,
a provoqué un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public, auquel la
détention est l'unique moyen de mettre fin. »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
L'article 144 du code de procédure pénale n'a pas tenu compte des
modifications apportées en matière de fixation des peines par le code pénal.
Or, beaucoup de peines ont été aggravées dans le code pénal que nous avons
voté. En matière de biens, par exemple, pratiquement tous les délits sont
susceptibles de faire l'objet de détention provisoire. En effet, seules les
dégradations de biens non publics commises par un individu isolé seront
exclues, ce qui est quand même assez faible.
Pour les délits contre les personnes, le projet de loi ne change rien au droit
actuel. Le seuil est fixé à deux ans.
L'amendement n° 101 retient des paliers un peu plus élevés.
La détention ne serait possible en règle générale - pour les délits contre les
personnes, contre la nation, contre l'Etat et contre la paix publique - que
pour les délits punis de trois ans et plus. Le seuil serait porté à cinq ans et
plus pour les atteintes aux biens.
Le dernier alinéa de l'amendement traite de l'ordre public. On peut admettre
l'ordre public en matière criminelle ; mais est-ce bien normal pour les
troubles exceptionnels à l'ordre public lorsqu'il s'agit de délits, surtout
avec une faible punition possible ?
Tels sont les objectifs de cet amendement.
M. le président.
Par amendement n° 214, M. Dreyfus-Schmidt propose :
« I. - Avant le premier alinéa de cet article, d'ajouter un paragraphe ainsi
rédigé :
«
I.
- L'article 141-2 du même code est supprimé. »
« II. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : "II. -
". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il s'agit d'un problème que nous n'avons pas encore évoqué.
Vous avez malgré nous laissé au juge d'instruction la possibilité de placer
sous contrôle judiciaire. La question est de savoir maintenant si ce juge va
pouvoir mettre en prison celui qui ne respecterait pas le contrôle judiciaire,
alors qu'il y a pour cela un juge de la détention.
Il y aurait également la possibilité d'en faire un délit propre. C'est une
autre solution qui me paraîtrait, je dois le dire, la meilleure. Cela ne me
choquerait pas du tout que quelqu'un, en comparution immédiate, se retrouve
devant le tribunal parce qu'il n'aurait pas respecté le contrôle judiciaire. Le
tribunal apprécierait ce qu'il en est.
En revanche, laisser au juge d'instruction le droit de mettre en prison dans
ce cas serait lui donner une arme sur celui à l'égard duquel il instruit. Or
toute la philosophie du texte que nous examinons nous amène à la lui supprimer,
puisqu'il doit, je le répète, instruire à charge et à décharge ; tout le reste,
s'agissant de la mise en détention, ne le regarde plus, mais relève de la
compétence du juge de la détention.
Voilà pourquoi nous proposons la suppression de l'article 141-2 du code de
procédure pénale, qui donne au juge d'instruction la possibilité de mettre en
détention celui qui ne respecte pas le contrôle judiciaire.
M. le président.
Par amendement n° 31, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de rédiger
comme suit le texte présenté par l'article 15 pour l'article 143-1 du code de
procédure pénale :
«
Art. 143-1
. - Sous réserve des dispositions de l'article 137, la
détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que dans l'un des cas
ci-après énumérés :
« 1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ;
« 2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée
supérieure à deux ans d'emprisonnement.
« La détention provisoire peut également être ordonnée dans les conditions
prévues à l'article 141-2 lorsque la personne mise en examen se soustrait
volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La question des seuils est, évidemment, très importante.
Le souci de la commission a été à la fois de restreindre le recours à la
détention provisoire et de prendre en considération le besoin « immunitaire »
de la société ; tout en proposant un système simple et cohérent avec l'objectif
que nous visons.
Certains systèmes prenaient en considération la situation de récidive. Après
simulation, nous nous sommes aperçus que n'était ainsi visé qu'un très petit
nombre de personnes et que ce n'était donc pas la peine de rompre l'harmonie de
la simplicité pour si peu.
M. le président.
Par amendement n° 215, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent :
I. - A la fin du troisième alinéa (2°) du texte présenté par l'article 15 pour
l'article 143-1 du code de procédure pénale, de supprimer les mots : « compte
tenu, le cas échéant, de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état
de récidive ».
II. - De supprimer le quatrième alinéa (3°) du même texte.
III. - Dans le cinquième alinéa (4°) du même texte, de supprimer les mots : «
pour un délit prévu au livre III du code pénal ».
IV. - Dans le cinquième alinéa (4°) du même texte, après le mot : « condamnée
», d'insérer le mot : « définitivement ».
V. - De supprimer le dernier alinéa du même texte.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est effectivement une question très importante, dont on a déjà débattu tant
à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, que de savoir à partir de quel seuil on
peut être mis en détention provisoire.
Nous sommes quelque peu choqués par la manière dont le problème est abordé par
le texte, qui prévoit que « la détention provisoire ne peut être ordonnée ou
prolongée que dans l'un des cas ci-après énumérés :
« 1° La personne mise en examen encourt une peine criminelle ; ». Pas de
problème !
« 2° La personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée
égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, compte tenu, le cas échéant,
de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive ; »
Je comprends bien ce que ce paragraphe 2° veut dire. J'aimerais toutefois être
bien certain que ladite personne est en état de récidive. Ce serait en effet
une atteinte à la présomption d'innocence que d'affirmer qu'elle est en état de
récidive alors qu'elle n'a pas encore été jugée.
Au paragraphe 3°, une différence est faite, pour ce qui est de la possibilité
de recourir à la détention, suivant la nature de l'affaire, c'est-à-dire selon
que le délit touche les personnes ou les biens.
Cela me choque profondément. En effet, la mesure de la gravité d'une
infraction est la peine encourue et non pas la nature de l'affaire. Ceux qui
estiment que ne sont pas assez sévères les peines prévues aux livres II ou IV
du code pénal peuvent toujours proposer de les relever, mais non pas, à peines
encourues égales, traiter les uns plus sévèrement que les autres.
Voilà pourquoi nous demandons, au 3°, la suppression des mots : « pour un
délit prévu aux livres II et IV du code pénal ». Au paragraphe 4°, qui vise les
délits prévus au livre III du code pénal, on fait, là aussi, une différence
suivant que la personne a déjà été condamnée ou non, et, en l'espèce, nous
sommes d'accord. Il est normal qu'on puisse mettre plus facilement en détention
provisoire une personne qui a déjà été condamnée. Encore convient-il de
préciser qu'elle doit avoir été condamnée définitivement, faute de quoi le
respect de la présomption d'innocence interdit d'en tenir compte. Nous
proposons donc de rajouter le mot « définitivement » après le mot « condamné
».
Enfin, le dernier alinéa du texte proposé pour l'article 143-1 doit être
supprimé si l'on accepte l'amendement que nous avons exposé tout à l'heure, et
qui consiste à retirer au juge d'instruction la possibilité de révoquer le
contrôle judiciaire.
M. le président.
Par amendement n° 261, M. Dreyfus-Schmidt propose de supprimer le dernier
alinéa du texte présenté par l'article 15 pour l'article 143-1 du code de
procédure pénale.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est la conséquence de l'amendement précédent.
M. le président.
Je suis maintenant saisi de deux amendements identiques.
Le premier, n° 171, est présenté par MM. Bret, Duffour et les membres du
groupe communiste républicain et citoyen. Le second, n° 216, est déposé par M.
Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer le dernier alinéa (3°) du texte proposé par
l'article 15 pour l'article 144 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 171.
M. Robert Bret.
Cet amendement concerne la notion d'ordre public.
L'article 144 du code de procédure pénale énumère les conditions permettant la
mise en détention provisoire ou son prolongement.
Même si le projet de loi modifie cet article pour mieux encadrer les
conditions de la mise en détention afin d'en limiter le nombre, il ne va pas, à
notre sens, jusqu'au bout de cette logique.
Subsiste en effet dans cet article la référence à la notion d'ordre public
pour justifier la mise en détention provisoire ou le prolongement de
celle-ci.
Nous considérons que cette notion est trop floue, qu'elle donne lieu à trop
d'abus et qu'elle ouvre, de surcroît, la voie à toutes les détentions
provisoires, en parfaite contradiction avec le principe de la présomption
d'innocence.
Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à supprimer le dernier
alinéa du texte proposé par l'article 15 pour l'article 144 du code de de
procédure pénale.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 216.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Par cet amendement, nous proposons de supprimer purement et simplement la
notion de trouble à l'ordre public telle qu'elle est visée dans le texte
proposé pour l'article 144 du code de procédure pénale en son 3° : « De mettre
fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public... »
C'est fou ce qu'on se sert de ce mot « exceptionnel » !
Il est dit déjà deux fois, dans le code, que la détention provisoire doit être
« exceptionnelle » ; il est aussi exigé un trouble « exceptionnel » à l'ordre
public et dit qu'à titre « exceptionnel » la personne peut ne pas être conduite
devant le procureur de la République ou devant le juge d'instruction. C'est
effrayant ! Il y a les exceptions et les exceptions aux exceptions !
Cela a déjà été dit et cela est évident, si le trouble est exceptionnel, il
est persistant, à défaut de quoi il n'existe pas. Mais parler de trouble «
persistant à l'ordre public », c'est la tarte à la crème, chacun le sait.
On a pu lire, hier, dans la presse, alors qu'il n'y avait sans doute pas eu de
fenêtre, une ordonnance d'un juge - j'allais dire parfaitement motivée, mais je
ne porte pas d'appréciation de fond.
Il est dit, premièrement : « La détention provisoire est l'unique moyen
d'empêcher une pression sur les témoins, les victimes et les autres personnes
impliquées ». Cela fait un motif.
Deuxièmement : « La détention provisoire est l'unique moyen d'éviter toute
collusion frauduleuse entre M. X » - le nom figure dans la presse - « et les
personnes mises en examen ».
Troisièmement : « La détention provisoire est l'unique moyen » - c'est
toujours le juge qui écrit - « de conserver les preuves et les indices
matériels en ce que les perquisitions, saisies et expertises doivent être
diligentées prochainement ». Ce sont là les nécessités de l'instruction.
Et comme si cela ne suffisait pas, d'ajouter : « Il convient de constater que
l'infraction, en raison de sa gravité » - présomption d'innocence ! - « et les
circonstances de sa commission, a provoqué un trouble exceptionnel et
persistant à l'ordre public auquel la détention est l'unique moyen de mettre
fin ». Il en est pour prétendre que c'est d'ailleurs la détention qui trouble
l'ordre public !
En tout état de cause, l'une ou l'autre des raisons précédentes suffisait,
sans qu'il soit besoin d'invoquer cette tarte à la crème que l'Allemagne - je
dois le dire, car c'est tout de même important - avait dans sa législation
depuis 1933 et qu'elle a supprimée en 1945. Vous avez bien entendu ! Ces dates
sont suffisamment éloquentes pour que vous fassiez droit à notre amendement.
Je dois d'ailleurs dire qu'un amendement identique a été proposé à l'Assemblée
nationale par MM. Gérin et Lang, et qu'il a été adopté après avoir été soutenu
par le président Louis Mermaz jusqu'à ce que, madame le garde des sceaux, vous
demandiez une seconde délibération à laquelle il ne semble pas que nombre de
députés aient pris part, si l'on s'en rapporte au
Journal officiel.
J'aimerais que le Sénat fasse la même chose que ce qu'a fait l'Assemblée
nationale dans un premier mouvement - le premier mouvement, c'est le bon ! - et
supprime une fois pour toutes cette notion totalement inutile et qui permet
toutes les détentions provisoires, aussi exceptionnelles soient-elles, en
adoptant notre amendement.
M. le président.
Par amendement n° 32, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit la seconde phrase du quatrième alinéa (3°) du texte
présenté par l'article 15 pour l'article 144 du code de procédure pénale :
« Toutefois, ce motif ne peut justifier la prolongation de la détention
provisoire lorsque la peine encourue est inférieure à cinq ans
d'emprisonnement. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
L'Assemblée nationale a prévu que le motif de l'ordre public
ne pouvait, à lui seul, justifier une prolongation de la détention. Mais, si ce
motif n'est pas le seul invoqué, il est inutile. Par conséquent, on peut
supprimer les mots : « à lui seul ».
Par ailleurs, il paraît préférable de continuer à utiliser le critère de
l'ordre public pour prolonger une détention quand la peine encourue est
supérieure à cinq ans et non pas seulement en matière criminelle.
M. le président.
Par amendement n° 262, M. Dreyfus-Schmidt propose :
A. - De compléter
in fine
l'article 15 par un paragraphe additionnel
ainsi rédigé :
« II. - Il est inséré dans le code pénal, après l'article 434-42, un article
additionnel ainsi rédigé :
«
Art.
... - La violation par toute personne de toutes mesures du
contrôle judiciaire auxquelles elle se sait soumise est punie de quatre mois
d'emprisonnement et de 40 000 francs d'amende. »
B. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. -
».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cet amendement fait suite à l'idée que nous avons exposée tout à l'heure et
qui tend à faire de la violation des mesures de contrôle judiciaire un délit
propre qui serait puni de quatre mois d'emprisonnement et de 40 000 francs
d'amende.
On ne remettrait pas en détention provisoire celui qui aurait violé une mesure
du contrôle judiciaire. Son cas serait soumis au tribunal, qui aurait à
apprécier éventuellement si les mesures du contrôle judiciaire demandées
étaient exagérées ou non.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 101, 214, 215, 261,
171, 216 et 262 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je pourrais dire très simplement que la commission est
défavorable aux amendements qui sont incompatibles avec la solution qu'elle a
retenue.
Nous avons voulu mettre en place un système simple - je ne prétends pas pour
autant qu'il soit le meilleur - et, pour cela, éviter d'introduire des
exceptions dont certaines sont de véritables petites « usines à gaz ».
On pourrait croire qu'en faisant simple, on ne vise pas toutes les situations
spécifiques. Puis, quand on y regarde de près, on s'aperçoit que cela revient
un peu au même, que les situations d'exception sont bien couvertes.
Par ailleurs, la commission a pris soin de prévoir, dans des amendements
ultérieurs, des soupapes de sécurité dans l'hypothèse où, pour des situations
graves, il serait nécessaire de prolonger la durée de la détention au-delà des
limites posées par la loi. Nous avons donc voulu simplifier cette partie du
code tout en restant prudents.
Une autre série d'amendements posent le problème de l'ordre public. Nous, nous
avons voulu maintenir cette notion. C'est une option.
M. Jean-Jacques Hyest.
Sauf pour la prolongation !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Certes, mais nous avons voulu la maintenir.
En conclusion, si le Sénat retient les amendements de la commission, il ne
pourra que repousser les autres, auxquels la commission est, en toute logique,
défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, nous examinons un sujet très important, celui des seuils au-dessous
desquels la détention provisoire est purement et simplement interdite.
Avant de donner l'avis du Gouvernement sur les différents amendements, je
voudrais rappeler les nouveaux seuils qui autoriseront le placement en
détention provisoire tels qu'ils sont prévus par le projet de loi.
Actuellement, les seuils sont à l'évidence trop sévères ; ils sont trop bas :
un an d'emprisonnement en cas de flagrance, deux ans dans les autres cas.
Le projet de loi supprime le seuil d'un an et distingue désormais trois
hypothèses.
S'il s'agit d'un délit contre les personnes, l'Etat, la nation ou la paix
publique, la détention provisoire sera possible si la peine d'emprisonnement
encourue est égale au moins à deux ans.
S'il s'agit d'un délit contre les biens et que la personne a déjà été
condamnée, le seuil sera également de deux ans.
Dans tous les autres cas, le seuil sera de trois ans, compte tenu, le cas
échéant, de l'état de récidive de la personne.
Ces seuils me paraissent justes et équilibrés ; ce sont ceux que nous avons
proposés.
J'en viens maintenant aux amendements.
Par son amendement n° 101, M. Hyest propose de porter le seuil en dessous
duquel la détention provisoire est interdite à cinq ans. Je crois que c'est un
seuil trop élevé. Notre objectif est d'assurer un équilibre entre la nécessité
de ne pas permettre la détention provisoire pour des délits mineurs et le souci
d'assurer la répression et la poursuite des enquêtes.
Interdire la détention provisoire en dessous de cinq ans, c'est l'interdire en
matière de vol, d'abus de confiance, d'introduction frauduleuse dans un système
de traitement automatisé. Bref, ce ne sont pas des délits anodins, vous en
conviendrez.
Sur l'amendement n° 214 de M. Dreyfus-Schmidt relatif au contrôle judiciaire,
je crois qu'il s'agit d'un malentendu. C'est non plus le juge d'instruction qui
pourra révoquer le contrôle judiciaire, mais le juge de la détention.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Parfait ! Dans ces conditions, je retire l'amendement n° 214.
M. le président.
L'amendement n° 214 est retiré.
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
S'agissant de l'amendement n° 31 de la commission, je
n'y suis pas favorable. En effet, il tend à modifier les seuils en matière de
détention provisoire. Il faut reconnaître qu'il a le mérite de la simplicité
puisqu'il prévoit un seuil unique contrairement au dispositif du Gouvernement
qui, en raison des exceptions, en maintient plusieurs.
Je souhaite tout de même attirer votre attention sur le fait que la commission
propose de fixer le seuil à trois ans, sans le dire précisément puisque
l'amendement fait état d'une durée supérieure à deux ans. Plus de deux ans,
c'est trois ans. Il s'agit du seuil en dessous duquel la détention provisoire
est purement et simplement interdite. La commission ne prend pas en compte
l'hypothèse de la récidive, qui reste importante à mes yeux.
A l'évidence, ce type de raisonnement pourrait être également utilisé pour les
seuils inférieurs à deux ans ou à un an.
Quoi qu'il en soit, le seuil de trois ans signifie qu'est interdite, purement
et simplement, la détention provisoire en cas de violation de sépultures avec
atteinte à l'intégrité du cadavre, non-présentation d'enfant pendant plus de
cinq jours ou lorsque l'enfant est retenu à l'étranger.
Ce qui me gêne surtout, c'est l'abandon de la récidive, parce que je trouve
que c'est particulièrement grave s'agissant de certaines infractions. Par
exemple, dans le cas de la conduite sous empire alcoolique, il me semble que se
priver de l'aggravation en cas de récidive n'est pas opportun.
Je suis défavorable à l'amendement n° 215 de M. Dreyfus-Schmidt. Je viens
d'argumenter sur la notion de récidive à propos de l'amendement n° 31 de la
commission.
L'amendement n° 171 de MM. Bret et Duffour pose l'importante question du
critère du trouble à l'ordre public que nous retrouvons dans l'amendement n°
216 de M. Dreyfus-Schmidt.
Vous voulez supprimer ce critère comme critère de placement en détention
provisoire. Grâce à la jurisprudence, les juristes savent, eux, ce qu'est la
définition de la notion d'ordre public.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas nous, merci !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il est vrai que, dans certains cas - pas dans celui que
vous avez cité, monsieur Dreyfus-Schmidt qui comportait beaucoup de motifs
autres que celui de trouble à l'ordre public - c'est le seul critère de
placement en détention.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Par exemple ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Premier exemple, un chauffeur routier, sous l'emprise
de l'alcool, tue dans un accident trois enfants à la sortie de l'école. Il a
des garanties. Les faits sont clairs. Il assume. Son comportement cause dans la
commune des manifestations violentes qui justifient son placement en
détention.
M. Jean-Jacques Hyest.
Donc, il y a un autre motif !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Non, dans ce cas, c'est le trouble à l'ordre public
!
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il y a des CRS pour cela !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Second exemple : dans une cité de banlieue, des
manifestations ont lieu après qu'une personne a tué avec un fusil depuis sa
fenêtre un jeune au pied de l'immeuble. Cette personne reconnaît les faits et
n'a pas l'intention...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Permettez-moi quand même !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je crois que, dans certains cas, l'invocation du motif
de l'ordre public est le seul motif et il serait difficile de s'en passer.
Je reconnais que la question n'est pas simple, et je suis tout à fait disposée
à poursuivre la discussion au cours de la navette. Mais, en l'état, je ne peux
pas être favorable aux amendements identiques n°s 171 et 216, et j'adopte la
même position que celle qui avait été la mienne à ce stade de la discussion à
l'Assemblée nationale.
Evidemment, je suis favorable à l'amendement n° 32 de la commission des lois
puisqu'il vise à revenir au texte originel du projet de loi déposé par le
Gouvernement.
Enfin, je suis défavorable à l'amendement n° 262, qui, de toute façon, me
semble ne plus avoir d'objet.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 101, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(Après une première épreuve déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par
assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 31.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je cherche la confirmation de ce que m'a indiqué Mme le garde des sceaux, et
dont je ne doute pas, quant au dernier alinéa de cet amendement - M. le
rapporteur va me rassurer.
Je lis : « La détention provisoire peut également être ordonnée dans les
conditions prévues à l'article 141-2 lorsque la personne mise en examen se
soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. »
Mme le garde des seaux me dit que c'est le juge de la détention provisoire qui
statue sur la révocation de la détention provisoire. Je ne trouve pas cette
mention dans le texte. Je vous remercie de me le confirmer, monsieur le
rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cette phrase se trouve à la page 284 du tableau
comparatif.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vous remercie.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je comprends le souci de simplification et de clarification de la commission
des lois, mais je ne suis pas tout à fait sûr que son texte soit plus favorable
que celui du Gouvernement, ce qui m'ennuirait fort, parce que je suis partisan
d'augmenter le seuil au-dessous duquel la détention provisoire est
interdite.
Simplifier, c'est bien, mais, selon la nature des délits, les seuils devraient
être différents.
J'ai d'ailleurs rappelé - je ne suis pas sûr qu'on y ait prêté attention -
que, d'une manière générale, le code pénal a aggravé toutes les peines.
M. Robert Badinter.
C'est vrai, hélas !
M. Jean-Jacques Hyest.
Avant, il y avait un minimum et un maximum ; aujourd'hui, pratiquement pour
tous les délits, les peines sont plus élevées. Si l'on ne tenait pas compte de
cette aggravation, cela signifierait que nous serions plus sévères que naguère,
ce que je regretterais profondément. Mais il reste la navette.
Je me rallie au texte de la commission, mais je ne suis pas sûr qu'il soit
plus favorable que celui du Gouvernement.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Notre texte est plus favorable en tout cas sur un point :
nous ne prenons pas en compte la récidive.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui, c'est vrai !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Là, c'est une zone sûre.
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais les autres ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Vous faites allusion surtout à la technique du nouveau code
pénal qui dit « au maximum la peine de ... »
Le Gouvernement nous a cité quelques cas dans lesquels notre texte paraît
affaiblir la répression. Moi, j'avais une grille - mais je n'ai pas voulu
alourdir le débat - qui démontrait qu'il était tout à fait anormal de mettre en
détention provisoire les auteurs de certaines infractions punies de deux ans
d'emprisonnement.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Quand il s'agit des seuils. Je ne crois pas que l'on gagne à la complexité.
Je regardais l'état actuel du droit. En matière criminelle, tout le monde est
d'accord ; en matière correctionnelle, on ne se réfère pas à tel ou tel livre
du code pénal, c'est : peine encourue égale ou supérieure à un an
d'emprisonnement en cas de délit flagrant, à deux ans d'emprisonnement dans les
autres cas. C'est clair, c'est simple.
Le projet de loi prévoit, dans sa rédaction actuelle, je le dis simplement,
que la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle d'une durée
égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement, compte tenu, le cas échéant,
de l'aggravation de la peine encourue si elle est en état de récidive.
Par rapport à la formule proposée par la commission, trois ans, c'est d'une
grande clarté sans prendre en compte la récidive. Quant aux précisions données
en fonction de tel ou tel délit prévu aux livres II ou IV du code pénal, je
vais donner mon sentiment. Je ne crois pas que ce texte, s'il est voté, fera le
bonheur des étudiants à venir et j'imagine déjà le visage de celui qui tirera
au sort parmi les papiers de l'examinateur, le jour de son examen, les
conditions de placement en détention provisoire comme sujet !
La clarté a, soyez-en sûrs, de grands mérites pédagogiques pour nous tous, et
même pour les magistrats !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il y a l'amendement n° 31 pour faire le bonheur des étudiants
!
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, les amendements n°s 215 et 261 n'ont plus d'objet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ils sont satisfaits !
M. le président.
Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 171 et 216, repoussés par la
commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 32.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je veux dire à Mme le garde des sceaux, pour la rassurer, qu'il est sans doute
nécessaire, ou en tout cas possible, de mettre en détention provisoire, pour le
protéger, celui qui tire depuis son immeuble, c'est l'article 144, 2°,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
...ainsi que le chauffard qui a écrasé des enfants, pour garantir son maintien
à la disposition de la justice. Nul besoin de la notion d'ordre public.
Je suis tout à fait navré de ne pas avoir eu sous les yeux l'amendement n°
171, j'aurais en effet pris la parole avant sa mise aux voix. Mais cette
explication de vote sur l'amendement n° 32 m'a donné l'occasion de dire ce qui
aurait dû l'être alors. De plus, nous aurons sans doute l'occasion de revenir
sur ce point puisque, grâce à l'amendement n° 32 de la commission, l'article
reste en navette. Je voterai donc cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 32, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 262.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 262 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 15, modifié.
(L'article 15 est adopté.)
Article additionnel après l'article 15
M. le président.
Par amendement n° 110, M. Hyest propose d'insérer, après l'article 15, un
article additionnel ainsi rédigé :
« La première phrase du deuxième alinéa de l'article 397-3 du même code est
complétée par les mots : "dans les conditions prévues à l'article 143-1". »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Cet amendement a pour objet d'aligner les conditions de la détention
provisoire ordonnée par le juge de la détention ou le juge d'instruction sur
celles qui sont ordonnées en comparution immédiate.
L'élévation des seuils de la détention provisoire d'instruction risque d'avoir
pour effet d'inciter les parquets à renvoyer en comparution immédiate encore
plus de dossiers pour obtenir des mandats de dépôt qu'ils ne pourraient plus
espérer du juge d'instruction ou du juge de la détention.
Les mesures ordonnées en comparution immédiate participent très largement aux
excès de la détention provisoire. Elles sont moins souvent dénoncées, car les
personnes concernées n'ont pas la notoriété de certains mis en examen. Elles
concernent pourtant autant de justiciables.
En 1997, 30 930 détentions provisoires ont été ordonnées par les juges
d'instruction et 28 851 comparutions immédiates. Si l'on se réfère aux seuls
délits, on constate que les tribunaux correctionnels ont été beaucoup plus
sévères : 28 851 détentions provisoires ont été ordonnées en comparution
immédiate contre 24 505 par les juges d'instruction.
L'alignement proposé ne ferait que maintenir l'équilibre actuel, puisque les
seuils de détention prévus pour le tribunal correctionnel en comparution
immédiate pour justifier sa compétence sont les mêmes que ceux qui sont prévus
par l'article 144, alinéa 1, actuel, pour l'instruction.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Il est envisageable d'aligner les seuils à partir desquels la
détention provisoire est possible en matière de comparution immédiate et en
matière d'instruction. La commission estime cependant qu'il n'est pas choquant
qu'une différence de seuils existe entre la détention au cours d'instruction et
la détention à l'issue d'une comparution immédiate. En effet, en comparution
immédiate, le tribunal correctionnel lui-même décide éventuellement de placer
une personne en détention dans l'attente d'une audience. L'expérience prouve
d'ailleurs que, souvent, c'est le prévenu qui demande à ne pas être jugé tout
de suite et l'on fait une remise pour qu'il puisse organiser sa défense,
appeler un défenseur autre que le défenseur commis d'office.
Dans le cas de la comparution immédiate il n'y a pas de détention provisoire
longue. Au bout de quelque temps, si une personne est encore en détention,
c'est qu'elle a été condamnée.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable.
Il y a, c'est vrai, une logique à aligner les seuils, - une logique
intellectuelle, en tout cas -, mais cela pose des difficultés pratiques et des
problèmes d'opportunité.
Tout d'abord, l'alignement des seuils entre détention provisoire et
comparution immédiate ne s'impose pas nécessairement dès lors que l'on
considère que les situations sont différentes. Je ne reviens pas sur ce qu'a
dit M. le rapporteur voilà un instant.
Je souligne qu'en cas de renvoi de l'affaire la durée de la détention
provisoire est extrêmement brève, le plus souvent quelques jours, deux mois au
maximum, selon le code de procédure pénale.
J'attire par ailleurs l'attention du Sénat sur le fait qu'il s'agit de délits
très sensibles. Je pense, en particulier, aux dégradations. Ainsi, l'auteur de
destructions ou de dégradations simples, par exemple celui qui a lancé des
pavés dans une vitrine, encourt une peine de deux ans d'emprisonnement. Or,
s'il n'est identifié que plus de huit jours après les faits - s'il l'est avant,
il s'agit d'un cas de flagrance - la comparution immédiate ne sera plus
possible en pratique. Je ne pense pas que, dans un cas pareil, affaiblir la
comparution immédiate soit très opportun.
Si nous suivions cette orientation, nous risquerions de priver la lutte contre
la délinquance urbaine d'un outil utile et efficace. Vous savez à quel point
les populations victimes de la délinquance urbaine de jour comme de nuit ont
besoin de savoir que, contre les auteurs d'infractions, il y aura une réaction
immédiate.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 110.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je comprends les objections. Je note toutefois que, pour un certain nombre de
délits simples, la convocation par officier de police judiciaire est prévue, et
qu'elle est rapide.
Bien souvent, même pour des vols simples, on place le délinquant en détention
provisoire et, ensuite, on fixe, bien entendu, une peine de prison ferme. Or,
la détention provisoire peut durer, notamment du fait de l'encombrement des
tribunaux.
Pourtant, il serait possible, pour de tels délits, de trouver, notamment pour
les jeunes, des solutions autres que de courtes peines de prison. On veut
éviter la détention provisoire, certes, mais nous savons très bien que les
conditions de détentions provisoires décidées en comparution immédiate ne sont
pas très dignes, s'agissant notamment des jeunes mineurs.
Je retire mon amendement, tout en estimant qu'il faudrait revenir sur ce
problème en deuxième lecture.
M. le président.
L'amendement n° 110 est retiré.
Article 16
M. le président.
« Art. 16. - L'article 145-1 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 145-1
. - En matière correctionnelle, la détention provisoire ne
peut excéder quatre mois si la personne mise en examen n'a pas déjà été
condamnée pour crime ou délit de droit commun, soit à une peine criminelle,
soit à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée supérieure à un an et
lorsqu'elle encourt une peine inférieure ou à égale à cinq ans.
« Dans les autres cas, à titre exceptionnel, et sous réserve des dispositions
de l'article 145-3, le juge de la détention provisoire peut décider de
prolonger la détention provisoire pour une durée qui ne peut excéder quatre
mois par une ordonnance motivée rendue conformément aux dispositions des
premier et quatrième alinéas de l'article 145, l'avocat ayant été convoqué
selon les dispositions du deuxième alinéa de l'article 114. Cette décision peut
être renouvelée selon la même procédure, la durée totale de la détention
provisoire ne pouvant excéder un an sauf si la personne est poursuivie pour
trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme,
extorsion de fonds ou pour une infraction commise en bande organisée et qu'elle
encourt une peine égale à dix ans d'emprisonnement. La durée de un an est
portée à deux ans lorsque le juge d'instruction a délivré une commission
rogatoire internationale. »
Sur cet article, je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune.
Par amendement n° 102, M. Hyest propose de rédiger ainsi le texte présenté par
l'article 16 pour l'article 145-1 du code de procédure pénale :
«
Art. 145-1. -
En matière correctionnelle, la détention ne peut être
ordonnée que pour une durée de quatre mois si la personne mise en examen n'a
pas déjà été condamnée pour crime ou délit de droit commun soit à une peine
criminelle, soit à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée
supérieure à un an.
« A l'expiration de ce délai, si la peine encourue excède cinq années
d'emprisonnement, le juge d'instruction peut la prolonger pour une nouvelle
durée de quatre mois par une ordonnance motivée comme il est dit au premier
alinéa de l'article 145.
« A titre exceptionnel, si la peine encourue est égale ou supérieure à dix
ans, le juge d'instruction peut, à l'expiration de ce nouveau délai, décider de
prolonger la détention pour une nouvelle durée de quatre mois par une
ordonnance motivée. Celle-ci est rendue conformément aux dispositions des
premier et quatrième alinéas de l'article 145, l'avocat ayant été convoqué
conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 114. »
Par amendement n° 217, MM. Dreyfus-Schmidt et Badinter, les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit l'article 16 :
« I. - Dans le premier alinéa de l'article 141-2 du même code, après les mots
: "quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue", sont
insérés les mots : "et sous réserve des dispositions de l'article 145-1,". »
« II. - L'article 145-1 du même code est ainsi modifié :
« A. - Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances de
placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut
excéder six mois. »
« B. - Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances
de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut
excéder un an lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans
d'emprisonnement ou deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à dix ans
d'emprisonnement. »
Par amendement n° 33, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose
de rédiger comme suit le second alinéa du texte présenté par l'article 16 pour
l'article 145-1 du code de procédure pénale :
« Dans les autres cas, à titre exceptionnel, et sous réserve des dispositions
de l'article 145-3, le magistrat mentionné à l'article 137-1 peut décider de
prolonger la détention provisoire pour une durée qui ne peut excéder quatre
mois par une ordonnance motivée rendue conformément aux dispositions des
premier et quatrième alinéas de l'article 145, l'avocat ayant été convoqué
selon les dispositions du deuxième alinéa de l'article 114. Cette décision peut
être renouvelée selon la même procédure, la durée totale de la détention
provisoire ne pouvant excéder un an sauf si la personne est poursuivie pour
trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme,
extorsion de fonds ou pour une infraction commise en bande organisée et qu'elle
encourt une peine égale à dix ans d'emprisonnement. »
Par amendement n° 218, MM. Dreyfus-Schmidt et Badinter, les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent, après les mots : « sauf si la personne est
poursuivie », de supprimer la fin de la deuxième phrase du second alinéa du
texte présenté par l'article 16 pour l'article 145-1 du code de procédure
pénale.
La parole est à M. Hyest, pour défendre l'amendement n° 102.
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous examinons maintenant le délai maximum de détention.
Cet amendement vise, en matière correctionnelle, à déterminer un délai maximum
de détention, à simplifier les différents régimes, à réduire le nombre des
détentions et leur durée et à améliorer la rédaction de la loi. En effet,
réduire de façon radicale la durée des détentions est le seul moyen de diminuer
substantiellement la détention provisoire.
Nous l'avons dit et répété, le scandale réside certes dans la mise en
détention abusive, mais aussi et surtout dans la durée de la détention. Je
propose donc des seuils en fonction de la gravité des délits avec des
possibilités de prolongation de la détention.
On a déjà réalisé des progrès récemment, mais je crois que l'on peut aller
plus loin sans nuire à l'efficacité de l'instruction, d'autant que le juge
d'instruction va être libéré de la tâche très lourde de mettre en détention.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour présenter l'amendement n° 217.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vais défendre cet amendement n° 217 dans son esprit plus que dans sa forme,
puisqu'il vise à modifier l'article 145-1 du code de procédure pénale actuel
alors qu'il devrait porter sur le texte transmis par l'Assemblée nationale.
Il tend à faire figurer une proposition de loi que nous avions eu l'honneur de
présenter et de faire adopter lors de la séance mensuelle réservée par priorité
à l'ordre du jour fixé par le Sénat.
En cas de révocation du contrôle judiciaire, la durée de détention totale ne
peut pas être supérieure à la durée maximale de la détention provisoire prévue
par la peine encourue pour le délit principal. Le texte du Gouvernement vise,
lui, à permettre, dans ce cas, une prolongation de quatre mois. Nous
proposions, quant à nous, qu'il n'y ait pas de telle prolongation. Nous avions
en effet expliqué, et le Sénat avait bien voulu nous suivre sur ce point, que,
si l'on voulait avoir la possibilité de remettre l'intéressé en prison, il y
avait intérêt à le remettre en liberté le plus tôt possible de manière que le
juge d'instruction hier, de la détention demain, dispose d'une petite marge.
Il est tout à fait anormal que celui qui a fait déjà beaucoup de préventive en
fasse plus parce qu'il aura violé le contrôle judiciaire que s'il n'avait pas
été mis sous contrôle judiciaire. C'est le sens de cet amendement sur lequel
j'aimerais entendre les explications et de la commission, si elle le veut bien,
et du Gouvernement, dont j'imagine, puisqu'il a modifié le dispositif que le
Sénat a voté, qu'elles sont défavorables. Quitte à être rédigé autrement, cet
amendement pourrait être examiné en deuxième lecture.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 33.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission des lois propose de supprimer la référence à la
délivrance d'une commission rogatoire internationale comme critère
d'augmentation de la durée de la détention provisoire.
Il suffirait de délivrer la commission rogatoire pour maintenir en détention.
Je n'imagine pas qu'un juge fasse un acte de ce type avec une idée de
malveillance mais s'il pense qu'il a encore besoin de quelques mois, il peut
lancer sa commission rogatoire dans l'idée d'être utile à la société.
Je rappelle que tout notre système repose sur la possibilité d'aménager des
soupapes permettant de prolonger la détention provisoire dans certains cas
particuliers.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 218.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Dans le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale, comme d'ailleurs dans
l'amendement n° 33 de la commission, des cas sont prévus où la détention
provisoire est illimitée. Ce sont des cas graves, je l'admets, mais même alors,
qu'il s'agisse d'un délit, voire d'un crime, le prévenu peut être innocent. Il
a tout de même le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, ce qui ne
résulte pas de la rédaction du projet de loi.
C'est pourquoi nous proposons par notre amendement de supprimer la fin de
l'article 16, qui, je le répète, peut rendre, dans certains cas, la détention
provisoire illimitée, ce qui n'est pas admissible. Un homme a le droit de
savoir à quoi il sera condamné. On ne doit pas le faire attendre. Sans en être
encore bien évidemment parvenus aux délais des Etats-Unis, nous sommes tout de
même sur cette pente et il ne faut pas s'y laisser aller.
Nous sommes certes d'accord avec la commission pour ne pas permettre au juge
d'instruction de délivrer une commission rogatoire internationale lorsqu'il
arrive au bout du délai, ne fût-ce que, parce que de bonne foi, il ne l'aurait
pas fait plus tôt.
Tout le monde sait que l'on peut attendre que les commissions rogatoires
internationales reviennent et, dans bien des cas, elles ne reviennent
jamais.
Mais si nous sommes d'accord sur ce point, je le répète, il n'en est pas de
même sur le point précédent. C'est pourquoi nous préférons notre amendement n°
218 à celui de la commission, qui a fait pourtant un effort méritoire.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 102, 217 et 218 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La proposition figurant à l'amendement n° 33 nous paraît
évidemment la meilleure. Surtout, nous avons pensé, au terme d'un très long
débat, qu'il fallait, dans certains cas, s'opposer aux levées d'écrou
automatiques. En fait, on finirait par libérer quelqu'un, même dans des cas
extrêmement graves, parce qu'on serait arrivé au bout de la durée maximale
prévue.
Evidemment, c'est une option, et c'est celle que nous avons prise. Il me
semble d'ailleurs qu'il en était ainsi dans le passé, et qu'il est normal qu'il
en soit ainsi.
Nous sommes donc défavorables à l'amendement n° 218 de M. Dreyfus-Schmidt, qui
est contraire à la position de la commission sur ce point important.
J'ai d'ailleurs été sensible, mon cher collègue, au fait que vous approuviez
la suppression des commissions rogatoires internationales, tant il est vrai
qu'en certains pays on peut envoyer autant de commissions rogatoires
internationales que l'on veut sans jamais les voir revenir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quand elles partent !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 102, 217, 33 et 218
?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je ne suis pas favorable à l'amendement n° 33, qui vise
à supprimer l'hypothèse de la commission rogatoire internationale pour porter
de un à deux ans la durée maximale de la détention provisoire, et ce en matière
correctionnelle pour les délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement.
En effet, cette hypothèse correspond à une réalité de plus en plus fréquente,
compte tenu du caractère international de la délinquance.
Je ferai observer que le Sénat ne peut pas à la fois adopter dans la loi
renforçant l'efficacité de la procédure pénale - votée la semaine dernière,
vous le savez - des dispositions qui favorisent l'entraide judiciaire
internationale et, en même temps, dans ce projet-ci, rendre plus difficile
l'action des magistrats.
Certes, est prévue une sorte de soupape de sécurité permettant à la chambre
d'accusation de prolonger elle-même la détention provisoire. Je trouve que
c'est là un dispositif lourd et complexe, ce qui m'amène à vous recommander,
mesdames, messieurs les sénateurs, de ne pas adopter cet amendement.
S'agissant de l'amendement n° 102, je pense que les délais prévus par le
projet sont préférables.
J'en viens à l'amendement n° 217 de M. Dreyfus-Schmidt.
Voilà un an, M. Dreyfus-Schmidt a fait adopter par le Sénat une proposition de
loi concernant la question de la révocation du contrôle judiciaire.
L'interprétation des textes actuels par les tribunaux permet, en effet, en
théorie du moins, des détentions illimitées.
Le Gouvernement a tenu compte de cette proposition, qui répondait à un
véritable problème, mais il a proposé une solution et une rédaction qui lui
paraissent meilleures, car plus simples.
La solution adoptée voilà un an est reprise par cet amendement. Elle
interdisait que le cumul des différentes détentions dépasse la durée maximale
prévue par la loi.
La solution proposée par le Gouvernement revient au même, mais elle est plus
simple en permettant, si la détention a été menée jusqu'à son terme et qu'un
contrôle judiciaire prononcé ensuite n'a pas été respecté, une révocation de ce
contrôle pour une durée de six mois, durée que la commission abaisse à quatre
mois.
Cela revient au même, mais sans les inconvénients dus à la création d'une
nouvelle infraction.
Je ne suis pas non plus favorable à l'amendement n° 218, pour les raisons que
j'ai invoquées à l'encontre de l'amendement n° 33 de la commission.
M. le président.
L'amendement 102 est-il maintenu, monsieur Hyest ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 102 est retiré.
L'amendement n° 217 est-il maintenu, monsieur Dreyfus-Schmidt ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 217 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 33, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 218 n'a plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 16, ainsi modifié.
(L'article 16 est adopté.)
Article additionnel après l'article 16
M. le président.
Par amendement n° 219, MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 16, un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article 11 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée est ainsi
modifié :
« I. - Le deuxième alinéa est complété
in fine
par une phrase ainsi
rédigée : "Si, dans une affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs
ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des
détentions ne peut excéder deux mois."
« II. - Le quatrième alinéa est complété
in fine
par une phrase ainsi
rédigée : "Si, dans une affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs
ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des
détentions ne peut excéder un an."
« III. - Le cinquième alinéa est complété
in fine
par une phrase ainsi
rédigée : "Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs
ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des
détentions ne peux excéder deux ans". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il s'agit, cette fois-ci pour les mineurs, de faire en sorte qu'en cas de
révocation du contrôle judiciaire la durée de la détention provisoire maximale
ne soit pas dépassée.
Mme le garde des sceaux nous a dit que son système était plus simple et qu'il
revenait au même en ce qui concerne les majeurs. Ce n'est pas tout à fait exact
puisqu'il permet une prolongation de six mois, prolongation que la commission
ramène à quatre mois. Nous reverrons la question en deuxième lecture.
En revanche, en ce qui concerne les mineurs, j'insiste pour que la durée
maximale prévue pour le délit commis ne puisse être dépassée.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission a l'honneur de proposer, après l'article 18, un
amendement qui procède du même esprit. Il s'agit de limiter la durée maximale
de détention lorsqu'une personne mineure est remise en détention après
révocation d'un contrôle judiciaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je me permets d'insister.
Voilà un mineur qui a passé le maximum de temps possible en détention
préventive à huit jours près, puis il viole le contrôle judiciaire auquel on
l'avait astreint. Je veux bien qu'on le remette en prison pour huit
jours,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Vous prévoyez quatre mois !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non, c'est la commission qui prévoit quatre mois au lieu de six mois.
M. Jean-Jacques Hyest.
Par le tribunal correctionnel.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Par le tribunal correctionnel, c'est autre chose.
En l'occurrence il s'agit d'un mineur. On ne tient quand même pas à ce que les
mineurs accomplissent une détention préventive d'une durée supérieure à la
durée de la détention prévue pour le délit qui leur est reproché. C'est
pourquoi je me permets d'insister pour que le Sénat vote cet amendement, qui me
paraît de bon sens, et qui a déjà été adopté par notre assemblée à
l'unanimité.
M. Hubert Haenel.
Lors de l'examen d'un autre texte.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Le raisonnement de la commission a été le suivant : quand il
y a révocation du contrôle judiciaire, c'est que des faits sont intervenus
durant le contrôle et, même si on était déjà arrivé au maximum, il est normal
que la révocation soit marquée par une petite sanction.
Cette petite sanction que prévoit la commission, c'est la possibilité - ce
n'est pas automatique - pour le juge de prolonger la détention d'un mois au
maximum.
Le Sénat arbitrera. Mais il me semble anormal que la révocation du contrôle
dans le système que vous proposez, de l'impossibilité pour le juge de
réintervenir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la réserve de l'amendement n° 219 jusqu'après l'examen de
l'amendement n° 37, visant à insérer un article additionnel après l'article
18.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de réserve ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Elle l'accepte. Cela nous permettra de réentendre M.
Dreyfus-Schmidt...
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
La réserve est ordonnée.
Mes chers collègues, avant de suspendre la séance pour quelques instants afin
de faire le point de la situation avec le Gouvernement, le président de la
commission et le rapporteur, je voudrais vous livrer quelques éléments
d'appréciation sur ladite situation.
En trois heures de débat, nous avons examiné trente-huit amendements,...
M. Hubert Haenel.
Ce n'est pas mal !
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous avons progressé !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Nous avons changé de « braquet » !
M. le président.
... soit une moyenne d'environ treize amendements à l'heure.
Il en reste cent dix-huit à examiner, ce qui, à ce rythme, correspond tout de
même à huit ou neuf heures de débats.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je rappelle que la prolongation de cette
séance au-delà de minuit résulte d'un accord conclu en conférence des
présidents, mardi dernier, sur proposition de votre président, M. Christian
Poncelet.
Le Gouvernement avait demandé que la présente discussion se poursuive dans la
journée du vendredi 18 juin ou le lundi 21 juin, mais il a accepté cette
proposition visant à achever l'examen de ce texte dans le courant de cette
nuit.
Le Sénat semble maintenant vouloir revenir sur cette décision. Nous allons
pouvoir le vérifier dans quelques instants, pendant la suspension de séance.
Bien entendu, ce débat d'importance ne pouvait pas être bâclé. Il ne l'a pas
été. Au contraire, il a été, semble-t-il, d'une grande qualité et d'une grande
richesse.
Il a été aussi l'occasion d'un certain nombre de discussions qui s'éloignaient
peut-être un peu du sujet.
(Murmures sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
De plus, sur toutes les travées, on n'a pas toujours su entendre les
appels à la concision lancés régulièrement par les présidents de séance, que je
tiens à remercier.
M. Jean-Jacques Hyest.
Surtout sur certaines travées !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Enfin, malgré les aménagements
apportés aux horaires des séances, la longueur des débats en commission a
également eu des répercussions sur la séance publique.
Mme la garde des sceaux a pris des dispositions en vue d'un achèvement de
cette discussion au cours de la présente séance. D'autres textes importants,
vous le savez, l'attendent à l'Assemblée nationale la semaine prochaine.
Si la séance était levée dans les minutes qui viennent, force me serait de
regretter que les engagements pris auprès du Gouvernement ne puissent être
tenus. Or le Sénat a encore, je le crois, la capacité de les respecter en
décidant maintenant de poursuivre ses travaux.
Si tel n'était pas le cas, il conviendrait de reprendre le débat lundi 21
juin, l'après-midi et le soir, puisqu'il existe une demande pressante pour ne
pas siéger le 18 juin.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ah oui !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Compte tenu de l'impossibilité
de réunir une conférence des présidents avant le 21 juin, je vous demande, dans
l'hypothèse où nous en arriverions là, ce que le Gouvernement ne souhaite pas,
de décider de siéger lundi pour terminer l'examen de ce texte.
Je ne reviens pas sur toutes les discussions qui ont eu lieu en conférence des
présidents - c'est-à-dire chaque semaine, maintenant - et qui ont vu le
Gouvernement accepter un certain nombre de demandes de la majorité
sénatoriale.
Je pense que nous devons faire en sorte que cette session, qui a d'ailleurs,
été d'une grande qualité, puisse s'achever dans les meilleures conditions.
M. le président.
Eh bien, monsieur le ministre, c'est précisément pour que nous puissions
examiner cette question que nous allons interrompre nos travaux pendant
quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue, le ve ndredi 18 juin 1999, à zéro heure trente-cinq,
est reprise à zéro heure quarante-cinq.)
M. le président.
La séance est reprise.
Mes chers collègues, nous allons maintenant lever la séance et renvoyer la
suite du débat à une séance ultérieure. Nous examinerons, j'allais dire avec
l'accord du Gouvernement
(M. Vaillant fait un signe dubitatif),
en
conférence des présidents, les conditions dans lesquelles pourra se poursuivre
l'examen de ce texte.
5
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté avec
modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant création
d'une couverture maladie universelle.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 440, distribué et renvoyé à la
commission des affaires sociales.
6
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 22 juin 1999 :
A dix heures :
1. Discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 358, 1998-1999),
modifié par l'Assemblée nationale, portant création de l'autorité de contrôle
des nuisances sonores aéroportuaires.
Rapport (n° 430, 1998-1999) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi : lundi 21 juin
1999, à dix-sept heures.
2. Discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi (n° 390,
1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, tendant à
limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans.
Rapport (n° 431, 1998-1999) de M. Louis Souvet, fait au nom de la commission
des affaires sociales.
Délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi : lundi
21 juin 1999, à dix-sept heures.
3. Discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 402, 1998-1999), adopté
par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, modifiant l'ordonnance n° 82-283
du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances.
Rapport (n° 432, 1998-1999) de M. Paul Blanc, fait au nom de la commission des
affaires sociales.
Délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi : lundi 21 juin
1999, à dix-sept heures.
A seize heures et le soir :
4. Sous réserve de sa transmission, discussion du projet de loi de règlement
du budget de 1997.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle
budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi : lundi 21 juin
1999, à dix-sept heures.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble.
5. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, d'orientation
budgétaire.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 21 juin
1999, à dix-sept heures.
6. Discussion des conclusions du rapport (n° 408, 1998-1999) de Mme Anne
Heinis, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la
proposition (n° 394 rect., 1998-1999) de MM. Roland du Luart, Gérard Larcher,
Philippe Adnot, Jean Bernard, Jean Bizet, Paul Blanc, Gérard Braun, Gérard
César, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois,
Désiré Debavelaere, Jean-Paul Delevoye, Fernand Demilly, Michel Doublet,
Philippe François, Alain Joyandet, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Lefebvre,
Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Guy Lemaire, Pierre Martin, Jacques
Oudin, Xavier Pintat, Ladislas Poniatowski, Henri de Raincourt, Henri Revol,
Michel Souplet, Martial Taugourdeau, Jacques Valade et Alain Vasselle portant
diverses mesures relatives à la chasse.
Délai limite pour le dépôt des amendements à ces conclusions : lundi 21 juin
1999, à dix-sept heures.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi relatif à l'élection des sénateurs (n° 260, 1998-1999).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mardi 22 juin 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 22 juin 1999, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à zéro heure cinquante.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON