Séance du 17 juin 1999
M. le président. Par amendement n° 17, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose de rédiger comme suit le texte présenté par cet article 113-2 du code de procédure pénale :
« Art. 113-2. - Toute personne nommément visée par une plainte ou une dénonciation, ou mise en cause par la victime ou par un témoin en cours d'instruction, ou contre laquelle il existe des indices laissant présumer qu'elle a pu commettre une infraction, et qui n'est pas mise en examen peut être entendue comme témoin assisté. Elle l'est obligatoirement si elle en fait la demande. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 267, déposé par le Gouvernement, et visant à compléter le texte proposé par l'amendement n° 17 par les mots : « dès lors qu'elle fait l'objet d'une plainte avec constitution de partie civile nominative. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 17.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement ouvre un débat, qui sera peut-être bref, sur la notion de « témoin asssisté ».
Il s'agit d'une disposition clé du projet de loi si vous voulez - nous le voulons tous et c'était d'ailleurs l'objectif de la commission - éviter les mises en examen intempestives. Il fallait en effet trouver une solution pour que le juge puisse éviter qu'on ne lui reproche de ne pas avoir mis en examen une personne sur laquelle pesait des soupçons précis, ce qui est un cas de nullité. La Cour de cassation casse souvent des informations parce qu'elle estime qu'une personne n'a pas bénéficié de l'ensemble des droits de la défense alors que pesaient sur elle des soupçons ; c'est le fameux article 105.
Qu'a-t-on fait ? Il y a d'abord le statut de témoin assisté. Le projet de loi consacre son rôle, que nous avons voulu renforcer encore.
Le projet de loi prévoit que le juge peut accorder le statut de témoin assisté à toutes les personnes visées par un réquisitoire introductif, par une plainte avec constitution de partie civile ou par une plainte ou une dénonciation.
La commission a estimé souhaitable de permettre en outre au juge de donner ce statut à toute personne mise en cause par un témoin ou par la victime, et ce à quelque stade de la procédure que ce soit, ainsi qu'a toute personne contre laquelle il existe des indices.
Cet élargissement vise à restreindre l'utilisation de la mise en examen aux seuls cas où il est inévitable de sortir du statut de témoin assisté.
Je rappelle que le témoin assisté a le droit de connaître le dossier et qu'il a droit à l'assistance d'un avocat.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 17 et pour présenter le sous-amendement n° 267.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ainsi que je l'ai dit hier dans mon discours introductif, le Gouvernement estime qu'il serait bon d'étendre la procédure du témoin assisté.
Cette procédure, que le Gouvernement a souhaité renforcer, est en effet destinée à éviter que l'on mette en examen des personnes qui n'auraient pas à l'être et qui pourraient être simplement entendues comme témoins, cela pour éviter l'opprobre qui s'attache à la procédure de la mise en examen.
La commission, elle aussi, propose d'étendre la procédure du témoin assisté. Je suis favorable à sa proposition, et donc à l'amendement n° 17, mais je souhaite sous-amender ce dernier parce qu'il ne me paraît pas souhaitable tout de même de donner trop largement aux personnes entendues comme simples témoins le droit de demander à bénéficier de cette procédure.
En effet, de telles demandes, si elles deviennent systématiques, risquent de paralyser le travail du juge, ainsi que celui des enquêteurs agissant sur commission rogatoire, à chaque fois qu'ils voudront entendre une personne comme témoin.
Il n'est d'ailleurs pas souhaitable que de trop nombreuses personnes puissent systématiquement disposer des droits des parties à la procédure, et notamment le droit d'avoir la communication du dossier, en raison des risques d'atteinte au bon déroulement de l'instruction.
Pensez à ce qui peut se passer en cas de crime en bande organisée : supposez qu'une personne s'attende à être entendue comme témoin, elle demandera immédiatement à être témoin assisté de façon à bénéficier de l'accès au dossier. Il y a là un danger contre lequel il faut se prémunir.
Il est donc préférable de limiter aux personnes faisant l'objet d'une plainte avec constitution de partie civile nominative le droit d'être entendues comme témoins assistés à leur demande.
Les personnes faisant l'objet d'une simple plainte ou d'une dénonciation, mises en cause par la victime ou par un témoin ou contre lesquelles il existe de simples indices pourront être entendues comme témoins assistés, mais ce choix relèvera du seul juge d'instruction.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 267.
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission estime que le sous-amendement n° 267 réduit considérablement l'effort que nous faisions pour augmenter le nombre de cas de témoins assistés.
Le statut de témoin assisté tel que nous le proposons est nécessaire ; si on l'accepte, il y aura plus de témoins assistés ; dans le cas contraire, il y aura plus de mises en examen. Aussi, la commission a émis un avis défavorable sur le sous-amendement n° 267.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 267.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. En cet instant du débat, je tiens à attirer l'attention du Sénat parce que nous sommes au coeur du sujet.
En effet, il s'agit de savoir quelle est la situation de la personne impliquée dans une procédure pénale. Tout l'effort du projet de loi, mais aussi de la commission des lois du Sénat a consisté à accroître les droits de la personne qui est impliquée dans une procédure pénale mais contre laquelle ne sont pas réunis les indices graves ou concordants qui commandent une mise en examen.
En fait, il existe trois situations.
Il y a le cas de celui qui se trouve mêlé à une procédure pénale par le fait du hasard. Il est témoin, il doit déposer. Il le fait sous la foi du serment. Il n'est pas autrement impliqué, il sert à éclairer la marche de la justice. C'est le statut du témoin pur et simple, nous le connaissons.
La deuxième situation est celle d'une personne contre laquelle il n'existe pas d'indice grave et concordant laissant présumer qu'elle peut être l'auteur de l'infraction mais qui se trouve, cependant, mise en cause dans cette procédure, à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile, dans laquelle interviennent beaucoup de règlements de compte entre particuliers, notamment dans certains milieux, d'une plainte simple ou tout simplement d'une dénonciation contre lui faite ou, enfin, si la marche de l'enquête conduit à faire peser sur lui des indices qui ne sont ni graves ni concordants.
Dans toutes ces hypothèses, il n'y a pas lieu pour le juge de prononcer de mise en examen. Il est important de le souligner parce que, malheureusement, pour le public la « mise en examen » égale l'« inculpation » de jadis égale « présumé coupable ». Donc, celui qui est impliqué, mais contre lequel il n'y a pas d'indices graves ou concordants doit bénéficier du statut de témoin assisté. Il viendra, certes, comme témoin, mais il aura le droit d'être assisté d'un avocat dans le cabinet du juge d'instruction, et cet avocat aura, naturellement, accès au dossier.
Puis il y a une troisième situation, celle de la personne contre laquelle ont été réunis des indices graves ou concordants. Dans ce cas, la mise en examen s'impose, assortie de tous les droits qui sont les droits d'une partie.
Le sous-amendement pose la question de savoir si toute personne qui se trouve ainsi impliquée, mais contre laquelle il n'y a pas d'indices graves ou concordants, peut revendiquer le statut de témoin assisté ou si cette décision est laissée à la discrétion du juge.
En commission des lois, après un travail très approfondi, nous avons considéré que le bénéfice de ce statut était un droit dès l'instant qu'il n'existait pas d'indices graves ou concordants et que, dès lors, la personne concernée avait droit à l'assistance d'un avocat.
Selon Mme la garde des sceaux, c'est au magistrat instructeur d'en décider. Dans ces conditions, on peut se demander où est le progrès.
Je ne pense pas, madame le garde des sceaux, que la précaution que vous évoquez, dont je comprends bien l'inspiration, puisse être véritablement retenue, et ce pour la simple raison qu'il ne peut s'agir de personnes impliquées.
Vous évoquez le cas où l'on s'attribuerait soi-même le statut de témoin assisté. Je rappelle que seule peut être témoin assisté une personne qui a été dénoncée, visée par une victime, avec ou sans constitution de partie civile, peu importe, ou contre laquelle le cours de l'enquête a montré qu'il pouvait exister des indices. Elle est déjà impliquée, mais n'est pas encore, ou ne le sera jamais, mise en examen.
Il n'est pas possible de se créer à soi-même ce droit. En revanche, il est possible de le revendiquer dès l'instant où l'on est convoqué chez le magistrat instructeur pour y répondre à des questions, mais cette fois avec l'assistance d'un avocat. Voilà qui constitue un progrès très importants au regard du renforcement de la présomption d'innocence, ce qui est notre objectif.
Qu'entend-on pas « renforcer la présomption d'innocence » ? C'est améliorer la situation procédurale de la personne impliquée dans un procès pénal. C'est très exactement ce que nous faisons en étendant le statut du témoin assisté.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! C'est lumineux !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 267, repoussé par la commission.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 17, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 113-2 du code de procédure pénale est ainsi rédigé.
ARTICLE 113-3 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE