Séance du 30 juin 1999






STATUT DE LA MAGISTRATURE

Adoption d'une proposition de loi organique

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique (n° 417, 1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, relative au statut de la magistrature. [Rapport n° 451 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objet de la proposition de loi organique que j'ai l'honneur de soumettre à votre assemblée est double.
En premier lieu, elle a pour objet de proroger jusqu'au 31 décembre 2002 les dispositions qui permettent le maintien en activité en surnombre pendant trois ans des magistrats de l'ordre judiciaire des cours d'appel et des tribunaux de grande instance, lorsqu'ils atteignent la limite d'âge fixée par le statut de la magistrature, qui est de soixante-cinq ans.
Instituée en 1988, puis reconduite en 1992 et en 1995, cette mesure a, depuis lors, profité à 394 magistrats. Si vous la prolongez jusqu'en 2002, elle concernera potentiellement 120 magistrats supplémentaires.
L'effectif des juridictions sera ainsi renforcé par des magistrats d'expérience, affectés en surnombre. Cette mesure ne pourra donc que contribuer à la réduction des délais de jugement, qui constitue, pour vous comme pour moi, je le sais, un objectif prioritaire.
En second lieu, cette proposition de loi tend à élever en hors hiérarchie les emplois de président et de procureur de la République de quatre tribunaux de grande instance, en raison de l'importance de ces juridictions.
Cette mesure est budgétairement acquise depuis 1995, mais sa traduction dans le statut de la magistrature nécessite une loi organique.
A l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, les quatre tribunaux de grande instance retenus sont ceux d'Aix-en-Provence, de Béthune, de Grasse et de Mulhouse, juridictions qui se situent incontestablement parmi les plus importantes, en termes d'activité, de personnels affectés et de population du ressort.
Ces choix me paraissent pleinement justifiés au regard notamment de l'évolution de l'activité juridictionnelle de ces tribunaux. L'élévation du niveau des emplois de ceux qui en assument la direction traduira la prise en compte du niveau particulier de responsabilité qui est le leur.
Je sais qu'un amendement a été déposé, tendant à substituer le tribunal de grande instance de Toulon à celui de Mulhouse, comme le prévoyait la proposition de loi initiale. J'aurai l'occasion de préciser tout à l'heure pourquoi le choix de Mulhouse me paraît en définitive préférable.
Mais je voudrais toute de suite indiquer que, bien entendu, au regard des critères retenus, les emplois de chefs d'autres tribunaux de grande instance seront ultérieurement élevés à la hors hiérarchie, particulièrement ceux de Toulon, de Nancy et de Montpellier.
Je m'engage devant le Sénat à examiner ces perspectives d'élévation hors hiérarchie de ces tribunaux supplémentaires afin qu'elles se concrétisent très rapidement. Je saisirai votre assemblée d'un nouveau texte en ce sens dans les prochains mois. Je tiens à souligner que c'est à l'unanimité que la présente proposition de loi organique a été adoptée en première lecture, le 9 juin dernier, par l'Assemblée nationale.
Je souhaite qu'elle puisse dès aujourd'hui être adoptée dans les mêmes termes par la Haute Assemblée, afin notamment que puissent entrer immédiatement en vigueur les dispositions relatives au maintien en activité, dont la publication revêt un caractère urgent. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est saisi aujourd'hui d'une proposition de loi organique, qui a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Ce texte vise, d'une part, à prolonger de trois années supplémentaires le dispositif, déjà prorogé à plusieurs reprises, qui autorise le maintien temporaire en activité de magistrats ayant atteint la limite d'âge ; d'autre part, il tend à compléter la liste des emplois de magistrats placés hors hiérarchie.
S'agissant du maintien en activité de magistrats expérimentés, ont déjà été prorogées à plusieurs reprises les dispositions permettant à des magistrats atteints par la limite d'âge de continuer à exercer leurs fonctions pour une durée de trois ans.
Une nouvelle prolongation de ce dispositif paraît pleinement justifiée au regard de la situation actuelle des juridictions. Comme vous l'avez indiqué, madame le ministre, le maintien en activité de magistrats expérimentés constitue une mesure utile face à l'accroissement du stock d'affaires en cours dans toutes les catégories de juridiction et à la longueur excessive des délais de jugement.
Il n'en demeure pas moins que, comme la commission des lois l'a souligné, cet effort risque d'être annihilé par la mise en oeuvre de nouvelles réformes, qui demanderont la mobilisation d'un nombre plus important de magistrats. Mais, bien entendu, la commission est favorable au texte qui est proposé et nous demandons au Sénat de bien vouloir l'adopter.
La poursuite du plan de repyramidage contribue à la revalorisation des fonctions de responsabilité dans les juridictions les plus chargées. Sont actuellement placés hors hiérarchie les plus hauts magistrats de France, à savoir notamment les magistrats de la Cour de cassation, les premiers présidents et les procureurs généraux des cours d'appel, les présidents de chambre et les avocats généraux des cours d'appel de Paris et de Versailles.
Aujourd'hui, il nous est demandé de placer hors hiérarchie les présidents et les procureurs de la République de quatre tribunaux de grande instance supplémentaires.
Madame la ministre, dans la proposition de loi initiale, étaient concernés les tribunaux de grande instance d'Aix-en-Provence, de Béthune, de Grasse et de Toulon. Mais l'Assemblée nationale a remplacé, pour des raisons qui nous paraissent mystérieuses, le tribunal de grande instance de Toulon par celui de Mulhouse. Il ressort des documents qui émanent de vos services que l'activité du tribunal de grande instance de Toulon est plus importante que celle du tribunal de grande instance de Mulhouse.
Dans des tableaux annexés à une question écrite posée à la Chancellerie, le tribunal de grande instance de Toulon apparaît à la vingt et unième position, alors que celui de Mulhouse se trouve en trente-troisième position. Dans ces conditions, la commission a proposé de rajouter le tribunal de grande instance de Toulon. Nous ne voyons en effet pas pourquoi il serait écarté alors que le tribunal de grande instance de Mulhouse qui a une activité inférieure serait maintenu.
Madame la ministre, nous comprenons bien les problèmes auxquels vous êtes confrontée. Vous souhaitez que cette proposition de loi soit adoptée conforme afin de permettre aux magistrats qui vont bientôt atteindre la limite d'âge de continuer à exercer leurs fonctions s'ils le demandent.
Toutefois, nous sommes prêts, compte tenu de l'engagement que vous avez pris, à reconsidérer notre position en espérant que vous nous présenterez très prochainement un texte permettant aux magistrats responsables du tribunal de grande instance de Toulon d'obtenir le classement hors hiérarchie dont ils auraient pu bénéficier si la proposition de loi initialement déposée avait été adoptée mais dont, pour des raisons que nous ne nous expliquons pas, ils se sont vu privés en cours de débat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Daniel Hoeffel. Mulhouse, c'est une bonne proposition !
M. Jean-Jacques Hyest. Toulon aussi !
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi aurait mérité dans un autre contexte quelques commentaires.
M. Jean-Jacques Hyest. Oh, pas trop !
M. Michel Duffour. Nous pouvons en effet difficilement nous satisfaire de voir le provisoire s'inscrire dans la durée. Mais nous n'oublions pas les efforts significatifs qui sont engagés par le Gouvernement en faveur du ministère que vous animez, madame la ministre, avec brio, fermeté et compétence. C'est pourquoi nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'indique simplement que le groupe socialiste votera également cette proposition de loi.
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà une bonne explication de vote !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Les explications qui ont été données par Mme le garde des sceaux sont quelque peu sommaires. En fait, il n'y en a eu aucune.
Vous nous avez parlé de raisons objectives. Nous, nous avons considéré que des raisons objectives devaient nous conduire à adopter une solution différente.
Pour des motifs qui ne nous paraissent pas très clairs, sauf peut-être à prendre en compte l'origine du rapporteur à l'Assemblée nationale, on a substitué le tribunal de grande instance de Mulhouse à celui de Toulon. Je ne vois aucune raison à cette substitution.
Vous nous avez indiqué de manière un peu succincte qu'il en était ainsi et qu'après tout c'était très bien.
Puis, vous avez pris un engagement qui est véritablement très sommaire. Vous avez dit que vous nous soumettrez un texte dans les prochains mois. Nous voulons, nous, un engagement précis parce que je considère que nous avons le choix entre deux solutions, dont l'une consiste à ajouter le tribunal de grande instance de Toulon à celui de Mulhouse, le texte repartirait alors à l'Assemblée nationale, qui aurait encore le temps de l'examiner. Compte tenu du dévouement de votre majorité, cela ne poserait aucune difficulté ! Le problème pourrait donc être résolu.
Nous pourrons donc opter pour une attitude quelque peu désagréable en réponse à la désinvolture avec laquelle le débat précédent a été mené. Si nous ne le faisons pas, c'est parce que nous avons le sens de l'intérêt général. Pour nous, le bon fonctionnement de la magistrature doit finalement primer sur la mauvaise humeur d'un certain nombre de nos collègues et sur le comportement quelque peu taciturne que vous avez adopté. Mais encore faudrait-il nous donner une explication concrète et un engagement infiniment plus précis que celui que vous avez pris !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vais volontiers donner plus de précisions à M. le président de la commission des lois.
Pourquoi avons-nous retenu le tribunal de grande instance de Mulhouse plutôt que celui de Toulon ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pourquoi avoir choisi le tribunal de grande instance de Toulon au départ, et celui de Mulhouse après ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vais m'en expliquer.
Le tribunal de grande instance de Toulon avait été sélectionné en 1995, voilà donc maintenant quatre ans. Depuis a été opérée une nouvelle évaluation, sur la base de douze critères mis en place à l'occasion de la création de 140 emplois de magistrats. Cette nouvelle évaluation, fondée sur les critères de 1999, est plus pertinente sous deux aspects. Tout d'abord, les statistiques prises en compte sont plus récentes, puisqu'elles portent sur l'année 1997 et sur la période 1994-1997. Ensuite et surtout, les critères étudiés font une plus large place aux évolutions récentes et à venir à brève échéance, puisque la moitié d'entre eux portent sur l'évolution soit de l'activité juridictionnelle, soit de la population du ressort.
Cette étude fait ainsi ressortir, par exemple, que Mulhouse se situe avant Toulon en ce qui concerne l'évolution du nombre des affaires civiles terminées, du nombre des procès-verbaux « auteurs connus », ou encore du nombre de procès-verbaux « poursuivis ». Cette nouvelle évaluation conduit à classer les juridictions susceptibles d'être élevées à la hors-hiérarchie dans l'ordre décroissant suivant : Grasse, Nancy, Béthune, Aix-en-Provence, Mulhouse, Toulon et Montpellier.
Le choix d'Aix-en-Provence, Grasse, Béthune et Mulhouse est donc justifié au regard de cette nouvelle évaluation. Il l'est également en termes d'équilibre géographique entre le nord et le sud de la France, puisque deux juridictions se trouveront ainsi élevées à la hors-hiérarchie dans chaque partie du territoire.
Bien évidemment, comme je l'ai souligné tout à l'heure, d'autres juridictions comme Toulon ou Nancy pourront être élevées à la hors-hiérarchie. Je m'y suis engagée. Un projet de loi organique vous sera soumis lors de la prochaine session.
Aujourd'hui, monsieur le rapporteur, si toutefois cela vous agrée, je vous demande de bien vouloir retirer l'amendement que vous avez projeté de défendre. En effet, dans le cas contraire, le projet de loi organique ne serait pas adopté conforme. Or, un vote conforme permettrait aux mesures essentielles de prolongation d'activité d'entrer en vigueur avant la fin de l'année.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur. Madame le ministre, je vous ai bien écoutée, mais votre argumentation ne m'a pas convaincu. En effet, compte tenu des indications ressortant des tableaux qui nous ont été fournis, s'agissant du nombre d'affaires civiles terminées, Toulon apparaît bien devant Mulhouse. Par conséquent, sur le plan objectif, nous ne comprenons pas la substitution de Mulhouse à Toulon. Toutefois, compte tenu de l'impératif auquel nous sommes confrontés, nous prenons acte de votre engagement.
Aussi, la commission retirera l'amendement qu'elle a déposé, pour permettre un vote conforme. Ainsi, les magistrats auront la possibilité de continuer à exercer leurs fonctions après avoir atteint l'âge normal de la retraite.
Cela étant dit, nous avons pris note du fait que le Gouvernement déposera bientôt devant le Parlement un texte permettant aux magistrats responsables du tribunal de grande instance de Toulon de bénéficier du classement hors hiérarchie qu'ils méritent.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la dicussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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