Séance du 19 octobre 1999
LIMITATION DU CUMUL DES MANDATS
Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi
organique et d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi
organique (n° 255, 1998-1999), adopté avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats
électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice et du projet de
loi (n° 256, 1998-1999), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et
des fonctions et à leurs conditions d'exercice. [Rapport n° 449
(1998-1999).]
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient
l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d'Etat,
qui remplace M. le ministre de l'intérieur retenu à Moscou par une importante
réunion sur la sécurité.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, le Sénat est amené à examiner aujourd'hui en deuxième
lecture les deux projets de loi - l'un ordinaire, l'autre organique - portant
limitation du cumul des mandats électoraux.
J'ai pris connaissance avec beaucoup d'attention du rapport établi par votre
rapporteur, M. Jacques Larché, président de la commission des lois.
Vous notez que l'Assemblée nationale a repris en deuxième lecture et pour
l'essentiel le dispositif qu'elle avait adopté lors de son premier examen. Elle
a cependant retiré les dispositions qui concernaient le fonctionnement des
assemblées parlementaires ou la participation des parlementaires à la vie
départementale.
Néanmoins, la Haute Assemblée a été saisie d'un projet resté proche de celui
qu'avait déposé le Gouvernement. Votre commission y a ensuite apporté de
substantielles modifications.
Je veux tout d'abord prendre acte des mesures auxquelles consent le Sénat en
matière de limitation des cumuls de mandats.
Le représentant au Parlement européen, qui ne pourrait plus être en même temps
sénateur ou député, ne pourrait par ailleurs exercer qu'un seul mandat local,
dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues pour les parlementaires
nationaux.
De même, votre commission des lois vous propose d'accepter le fait qu'un élu
ne puisse exercer qu'un seul mandat exécutif. Aucune condition relative aux
seuils de population des communes n'est posée pour la mise en oeuvre de cette
règle. En outre, la limitation à deux mandats est acceptée sans qu'une
condition de seuil de population soit posée.
Enfin, les mesures favorables proposées pour améliorer le statut des maires
ont reçu l'accord de votre commission des lois, pour ce qui concerne la
revalorisation de l'indemnité maximale de fonction des maires et d'eux seuls,
l'extension aux maires des communes de plus de 3 500 habitants et des adjoints
des villes de plus de 20 000 habitants du régime de suspension du contrat de
travail, ou encore l'extension aux conseillers municipaux des communes de plus
de 3 500 habitants des règles visant les crédits d'heures.
Je précise à nouveau que le Gouvernement avait, à la demande du groupe
socialiste de l'Assemblée nationale, ajouté ce dispositif par voie d'amendement
qui reste conditionné à l'adoption des dispositions anticumul. Il puise sa
raison d'être dans l'interdiction qui est faite, dans le projet du
Gouvernement, d'exercer en même temps un mandat de parlementaire et un mandat
de maire.
J'ai donc pris note de ces petits pas qui permettent de rapprocher le point de
vue des deux assemblées. Mais il est clair que des divergences substantielles
persistent.
Elles portent notamment sur le régime des incompatibilités professionnelles,
qui ne figuraient pas dans le projet initial du Gouvernement mais que
l'Assemblée nationale a voulu, à l'occasion de l'examen de ce texte, mettre à
jour.
Le désaccord porte surtout sur le souhait de votre commission des lois de voir
un parlementaire continuer d'exercer une fonction à la tête d'un exécutif
local. Autrement dit, un député ou un sénateur pourrait être en même temps
maire ou président d'un conseil général ou encore président d'un conseil
régional.
J'y retrouve certes la traduction de la position adoptée par la majorité
sénatoriale en faveur du cumul d'une seule fonction exécutive avec un mandat
parlementaire.
Mais, vous le savez bien, le projet de loi présenté par le Gouvernement et
accepté dans ses grandes orientations par l'Assemblée nationale est fondé, à
l'inverse, sur le non-cumul entre un mandat parlementaire et un mandat de chef
d'un exécutif local.
Il s'agit là d'une différence fondamentale d'approche. Le Gouvernement estime,
en effet, qu'une distinction claire doit être établie entre les deux fonctions
et que cette distinction est le critère d'une loi efficace visant à limiter les
cumuls.
Il est inexact, à mes yeux, d'affirmer que les parlementaires se trouveraient
de ce fait dénués de contact avec les réalités locales. Demeurant conseiller
municipal, conseiller général, conseiller régional, voire adjoint au maire,
vice-président d'un conseil général ou régional, le député ou le sénateur
continuerait d'être impliqué dans la vie des collectivités locales. Le projet
de loi qui vous est présenté n'a rien d'excessif ni de puritain.
La vie publique a tout à gagner à ce que les parlementaires se consacrent
pleinement à leur mandat national, et à ce que les maires ou les présidents
d'assemblées départementales ou régionales se consacrent exclusivement à
l'exercice de leurs fonctions.
J'ajoute que ces dispositions peuvent permettre de favoriser l'arrivée de
générations nouvelles aux responsabilités politiques, ce qui relève de notre
responsabilité commune.
Le coeur du dispositif relève de la loi organique, et requiert, comme vous le
savez, l'accord du Sénat. Le Gouvernement ne saurait désespérer de convaincre.
Mais il n'entend pas céder à une sorte de compromis entre deux vues fort
différentes. Si votre assemblée s'en tenait à sa position actuelle, le
Gouvernement ne pourrait qu'en prendre acte s'agissant de la loi organique qui
requiert l'accord du Sénat. Ce serait non pas un accommodement mais le constat
de points de vue différents et de l'impossibilité d'aller plus avant.
C'est pourquoi je ne saurais trop vous inviter, mesdames, messieurs les
sénateurs, à consacrer le temps imparti pour cette deuxième lecture à
poursuivre la réflexion sur les adaptations nécessaires de notre vie politique.
Il ne s'agit nullement de nier les particularités de notre vie politique,
héritières de notre histoire. Mais, précisément, lorsqu'on y attache du prix,
il faut savoir réformer à temps des pratiques qui ne sont plus satisfaisantes
et qui suscitent l'incompréhension ou le rejet de nos concitoyens.
C'est pourquoi, tout en prenant acte des évolutions qui sont intervenues ou
qui sont proposées par sa commission des lois, je voudrais inviter, ce matin,
le Sénat à partager cette préoccupation et à y répondre de manière plus
résolue.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
ne céderai pas à la tentation, qui est née dans mon esprit en vous écoutant, de
vous répondre de manière aussi abrupte que vous venez de le faire voilà
quelques instants en nous indiquant d'emblée qu'aucun compromis n'était
possible et que vous mainteniez votre proposition intégrale. Je pourrais vous
dire exactement la même chose mais, par courtoisie à l'égard du ministre de
l'intérieur, que vous représentez, et par courtoisie, surtout, à l'égard de mes
collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, je serai
plus disert que vous ne l'avez été dans la présentation de ces projets de
loi.
Je ferai donc quelques constats.
Tout d'abord, les textes adoptés par l'Assemblée nationale en deuxième lecture
- vous l'avez dit vous-même - reprennent pour l'essentiel ceux qui avaient été
adoptés en première lecture. On peut donc s'interroger sur la volonté de
l'Assemblée nationale de faciliter un accord indispensable à l'adoption de la
réforme proposée.
Vous avez omis de nous dire que rien n'a été fait s'agissant du statut des
ministres. D'ailleurs, vous n'y songez même pas. Ainsi a-t-on abouti à cette
sorte de mauvaise plaisanterie où l'on voit des ministres renoncer à leur
mandat de maire et se cantonner soigneusement dans le bureau du premier adjoint
en disposant de toutes les délégations nécessaires ! Je n'aurai pas la cruauté
d'énumérer la liste des mandats qu'un de nos anciens collègues député détenait
: entre quinze et vingt-deux suivant le calcul retenu !
Vous n'avez, fort heureusement, pas parlé, de l'absentéisme parlementaire.
Vous savez très bien qu'il n'est nullement lié à l'exercice de deux mandats et
que les parlementaires titulaires d'un exécutif local sont souvent les plus
assidus au sein de leurs assemblées respectives.
Vous nous avez, en revanche, parlé de la nécessité d'un renouvellement des
élus, d'une plus grande circulation des élites politiques quel que soit le
niveau de responsabilistés qu'ils excercent. C'est un leurre et un
faux-semblant. Ne faites pas croire que la circulation des élites politiques
serait en quelque sorte bloquée par la détention simultanée par un
parlementaire d'un autre mandat. D'ailleurs, vous le savez, les électeurs
choisissent : lors des dernières municipales, en 1995, on a dénombré 38 % de
nouveaux maires, ce qui n'est pas mal ; lors des dernières législatives, dans
des circonstances que nous pouvons déplorer, 49 % de députés nouveaux ont été
élus ; de même, on a dénombré 48 % de nouveaux conseillers généraux et 55 % de
nouveaux conseillers régionaux. Le système actuel ne bloque donc en aucune
façon la circulation des élites à laquelle nous aspirons, comme vous.
La réflexion de la commission des lois, en deuxième lecture, s'est appuyée sur
le principe de base de la démocratie qui est et doit demeurer la liberté de
choix de l'électeur.
La commission demeure attachée au maintien d'un lien entre responsabilité
nationale et responsabilité locale, condition de la poursuite de la
décentralisation permettant aux élus locaux de peser davantage face à
l'autorité de l'Etat et assurant une certaine cohésion entre les politiques
territoriales tout en évitant le cloisonnement des niveaux adminsitratifs.
Une question a fait l'objet d'un large débat, comme toujours, au sein de la
commission : fallait-il créer une incompatibilité entre la présidence d'un
établissement public de coopération intercommunale et la fonction de maire ? Il
n'est pas contestable que la loi nouvelle relative à l'intercommunalité, à
laquelle je me permets de rappeler la participation active de responsables
d'exécutifs locaux - ai-je besoin de souligner le rôle qu'ont joué MM. Michel
Mercier et Daniel Hoeffel lors de l'examen de ce texte ? - a permis de parvenir
à un résultat conforme, je crois, à une évolution souhaitable.
Certaines présidences d'établissements publics de coopération intercommunale
seront très certainement dans l'avenir d'une importance considérable. On peut
se demander qui comptera le plus, le maire de Lyon ou le président de la
communauté urbaine de Lyon ? On ne peut pas le savoir, quelles que soient les
personnalités qui détiendront ces deux mandats.
Nous avons finalement décidé d'écarter l'extension des incompatibilités aux
exécutifs des établissements publics de coopération intercommunale. En effet,
nous pensons que nous sommes à l'aube d'une expérience nouvelle. Le premier
texte qui nous était soumis - nous avions d'ailleurs supprimé cette disposition
- comportait, en germe, le principe de l'élection des exécutifs intercommunaux
au suffrage universel. L'Assemblée nationale, sur la demande du Sénat, en
commission mixte paritaire, a bien voulu y renoncer.
Pour ma part, je pense qu'il y aura un jour une évolution. Les communautés
urbaines, les communautés d'agglomération et les communautés de communes
deviendront des lieux de décision essentiels ; de ce fait, la tentation et la
volonté, peut-être légitime, de remettre ce pouvoir important à des élus du
suffrage universel apparaîtra à ce moment-là, et il faudra se poser le problème
de la compatibilité entre deux mandats locaux, celui de maire et celui de
président d'une communauté.
Dans l'état actuel de notre réflexion, nous n'avons pas retenu ce principe de
l'extension. Peut-être faudra-t-il l'envisager un jour, mais le moment n'est
pas encore venu.
Nous avons eu la volonté d'élaborer un dispositif simple, clair et lisible,
reposant sur un principe intangible : deux mandats - soit un national, un
local, soit deux mandats locaux - avec la possibilité dans le cadre de ces deux
mandats d'exercer un seul mandat exécutif.
Le dispositif est donc simple, clair, peut-être quelque peu brutal. Mais, aux
yeux de l'opinion publique, il est absolument indispensable que nous fassions
comprendre que le Sénat n'est en aucune manière opposé à une évolution
peut-être souhaitable et qu'il est parvenu, après réflexion, à cette règle : un
mandat national et un mandat local, qui peut être un mandat exécutif.
M. Christian Bonnet.
Très bien !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Je ne reviendrai pas sur le résultat inévitable auquel
aboutirait la coupure entre l'exercice d'un mandat national et l'exercice d'un
mandat local. Mes arguments développés en première lecture sont toujours
d'actualité.
Une professionnalisation excessive du mandat parlementaire n'accroîtrait en
rien, loin s'en faut, la liberté de décision du parlementaire. En effet, il
n'aurait plus cet enracinement local qui lui permet parfois d'asseoir la
décision qu'il prend sur des considérations qui ne lui sont pas dictées par des
appréciations d'opportunité politique.
Nous ne nous opposons pas à une évolution. Nous traitons le problème avec
pragmatisme ; nous écartons tout dogmatisme et les dispositions - claires,
simples et essentielles - que nous vous proposons marquent bien notre volonté
de parvenir à un système tel que, si le Gouvernement n'était pas enfermé dans
une pétition de principe dont il ne veut pas démordre, l'accord serait
possible.
Nous avons compris que vous y renoncez par avance, monsieur le secrétaire
d'Etat, et nous ne pouvons que vous en donner acte, ce qui ne nous empêchera
pas de maintenir notre position.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Le statut d'élu local mériterait une étude d'ensemble. Mais
nous proposerons au Sénat d'accepter un certain nombre de dispositions qui
facilitent, sans le résoudre, le problème de l'exercice de ces mandats locaux
dont nous savons bien qu'ils sont indispensables au fonctionnement réel de la
démocratie.
Au fur et à mesure de la discussion des amendements, j'énumérerai la
signification des dispositions que nous retenons, notamment la revalorisation
de l'indemnité maximale de fonction des maires, l'insaisissabilité des
indemnités de fonction des élus.
J'en viens à l'essentiel, car ce que vous nous proposez ne concerne pas
simplement le statut des élus. Nous divergeons en réalité sur notre conception
de l'intérêt national.
La France s'est bâtie comme un Etat unitaire. Elle est le résultat non pas de
la nature des choses, mais d'une volonté politique qui s'est affirmée au cours
des temps, parfois durement, notamment dans le domaine culturel. Cette unité,
nous voulons la maintenir, mais nous sentons naître, ici et là, de manière
peut-être légitime, des aspirations à plus de souplesse dans la gestion de
l'Etat et à une reconnaissance d'identités particulières.
La mission que la commission des lois vient d'accomplir dans les départements
d'outre-mer lui a permis de constater l'émergence d'une double volonté. Ils
veulent à la fois demeurer dans l'ensemble français et obtenir une plus grande
capacité dans la gestion des intérêts locaux et, en même temps, une faculté
plus grande d'insertion réelle dans l'environnement géographique qui est le
leur.
Si ces évolutions se produisent - et je pense qu'elles se feront, notamment
outre-mer - la présence des titulaires d'exécutifs locaux au sein du Parlement
confortera cette unité nationale que nous entendons maintenir.
(Très juste !
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
L'exercice de deux mandats, l'un national et l'autre local, assorti d'un
exécutif, rendra même plus vivante cette exception française dont nous n'avons
pas à rougir et à laquelle nous ne pouvons pas permettre qu'il soit porté
atteinte.
Mes chers collègues, tel est le sens profond des dispositions que votre
commission des lois vous demande de bien vouloir adopter aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. de
Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
cumul des mandats a mauvaise presse. Dans ma jeunesse, lorsqu'on parlait du
cumul, il s'agissait des structures foncières, et le malheureux Jean Gabin
avait même été désigné à la vindicte publique ou paysanne pour ce faire.
Dans l'esprit du public - parlons net - il implique souvent le cumul des
rémunérations. Très peu d'électeurs, d'ailleurs, savent que le montant des
indemnités est plafonné. Le cumul des mandats apparaît aussi comme un moyen,
pour une oligarchie, de maintenir ses privilèges et de verrouiller
soigneusement l'accès aux fonctions électives.
Selon certains politologues et beaucoup de médias, le cumul est un mal
français qui bloque la réforme de notre vie politique et freine la
modernisation de nos institutions. Dès lors, ce n'est pas totalement par hasard
que M. le Premier ministre en a fait son cheval de bataille.
Les deux projets de loi qui nous sont soumis permettent-ils de remédier à
cette situation ? Force est de constater qu'ils se caractérisent par leur
caractère lacunaire, incohérent et excessif, et qu'une fois encore l'idéologie
et l'esprit de système l'emportent sur le bon sens ou la réalité.
Les projets de loi sont lacunaires, parce qu'ils ne traitent pas du cumul de
la fonction ministérielle avec celle d'un exécutif local. Vous me direz qu'il
faut un texte particulier pour cela, mais je n'en vois point l'annonce. Il n'en
est pas question ; quand nous le présentera-t-on ?
Si l'on veut véritablement remédier au cumul des fonctions, il ne faut
excepter personne et entreprendre les réformes au même rythme.
On nous dira que le Premier ministre a exigé de ses ministres qu'ils
démissionnent de leur mandat de maire ou de président d'un exécutif
départemental ou régional sans attendre le vote d'un projet de loi.
Parlons-en.
En effet, cette décision a souffert au moins deux exceptions : notre très
vaillant ministre des relations avec le Parlement, qui est resté maire du
XVIIIe arrondissement, et l'honorable M. Dondoux autorisé à demeurer maire de
Saint-Egrève.
Mais, surtout, on a assisté à un admirable exercice d'escamotage et de
faux-semblant, car nos excellences ont quitté le fauteuil de maire pour se
faire élire immédiatement premier adjoint, avec de très larges délégations.
Dans les localités intéressées, personne ne se fait d'ailleurs d'illusion ;
les remplaçants des ministres sont des gérants temporaires, voire des métayers,
dont on escompte bien qu'ils rendront leur écharpe à la première injonction.
(Très bien ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste,)
Certains ministres ont même gardé leur bureau et tous les attributs
extérieurs de leurs anciennes fonctions. Seul un remplaçant a eu
l'outrecuidance de croire qu'il était véritablement un maire dans toute
l'acception du terme. Il a été rappelé aux convenances par son prédécesseur,
j'irai même jusqu'à dire sa prédécesseuse, puisque vous avez réformé la
grammaire et aboli le neutre... Le malheureux a simplement oublié qu'à
l'horloge de la cathédrale de Strasbourg, après un tour de cadran, ce sont
toujours les mêmes personnages qui reviennent sur le devant de la place !
(Rires sur les mêmes travées.)
De fait, s'il est une réforme qui s'impose sans conteste, c'est celle du
cumul d'un mandat local avec la fonction ministérielle. Un ministre, avait dit
le général de Gaulle lors de l'élaboration de la Constitution de 1958, « doit
n'exercer aucune autre fonction que celle de ministre parce que, agissant au
nom de l'intérêt général, il ne saurait jamais être mis en situation d'avoir à
choisir entre des intérêts locaux, si légitimes soient-ils, et l'intérêt de
l'Etat dont il est comptable. »
On comprend mal les raisons qui conduisent à différer une réforme aussi
indispensable quand on voit le zèle déployé pour limiter les cumuls des
parlementaires ou ceux des autres élus.
Les projets de loi risquent de conduire à l'incohérence. La loi ordinaire
régit les cumuls ou incompatibilités des parlementaires européens, pour ne
prendre que cet exemple, la loi organique ceux des parlementaires nationaux.
La loi ordinaire pourra interdire à un député européen le cumul de son mandat
avec une fonction exécutive locale, quand la loi organique autorisera
l'exercice de la même fonction avec celui d'un mandat national simplement parce
que, dans les deux assemblées, les majorités ne sont pas identiques.
Le projet de loi organique étend le domaine des incompatibilités
professionnelles pour les parlementaires. On constate toutefois que les élus
non parlementaires ne sont pas logés à la même enseigne quand il s'agit de
cumuls ou d'incompatibilités. J'insiste bien sur le terme d'« incompatibilités
» pour que vous compreniez la suite de mon propos.
Comment qualifier la situation du très distingué M. Michel Delebarre,
personnalité éminente de la gauche plurielle ? L'intéressé est maire de
Dunkerque, président de la communauté urbaine, président du conseil régional du
Nord - Pas-de-Calais, président de l'Union nationale des organismes d'HLM,
président du Centre national de la fonction publique territoriale, président du
Conseil national de l'habitat, président du syndicat mixte de la Côte d'Opale.
Je m'arrête là. Même si, comme le disait Renan, après l'âge de trente ans la
vie du Français n'est plus qu'une immense présidence, l'énumération des charges
de M. Delebarre rappelle plus celle d'un prélat de l'Ancien Régime avec ses
abbayes en commende que celle des charges d'un élu ordinaire. Le zèle
anticumulard du Gouvernement ne s'applique guère en la circonstance, pourquoi
?
Les projets de loi sont, enfin, excessifs. Un parlementaire pourra continuer à
exercer des fonctions de direction dans une société d'économie mixte et il ne
pourra pas assumer une fonction de direction dans une société ayant un objet
financier faisant appel à l'épargne publique. Mais tout le monde fait appel à
l'épargne publique, y compris dans une société d'économie mixte.
La fonction de maire et de conseiller municipal sera désormais interdite à un
membre de bureau d'une chambre consulaire ou d'une chambre d'agriculture. Il
n'y a aucune justification sérieuse à cette exclusive. Pourquoi priver les
collectivités locales d'élus expérimentés en prise avec la vie économique alors
qu'on recherche de plus en plus des hommes et des femmes désireux d'assumer des
responsabilités municipales ?
Ne s'agit-il pas, par ce biais, de renforcer encore le nombre des élus issus
de la fonction publique ? Mais la volonté affirmée d'interdire tout cumul d'un
mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale nous paraît tout à fait
exagérée. Nous avons, certes, jadis connu des excès. La loi Fabius de 1985 y a
largement remédié. Nous sommes entièrement d'accord pour considérer que seul
aurait dû être autorisé le cumul d'un exécutif local et d'un mandat national.
Nous estimons que, jusqu'à ce que soient généralisées les communautés de
communes, les communautés d'agglomération et les communautés de villes sur
l'ensemble du territoire, il peut être utile, dans un souci d'efficacité,
d'accepter qu'un maire puisse présider un établissement public de coopération
intercommunale.
Je crois, comme le rapporteur, que cette transition est nécessaire parce
qu'elle permettra probablement de cimenter efficacement l'intercommunalité ou
la supracommunalité comme on voudra bien le dire. Ultérieurement - et sur ce
point je vous rejoins tout à fait, monsieur le rapporteur - il faudra
s'interroger sur l'opportunité de maintenir un tel cumul avec un mandat
parlementaire lorsque les groupements à fiscalité propre disposeront d'un
budget qui excédera très largement celui des communes qui les composent et de
responsabilités très étendues dans le domaine de l'économie et des
infrastructures. Il s'agira vraiment d'une activité à part entière.
Vouloir interdire à un parlementaire d'exercer une responsabilité exécutive
locale peut satisfaire une opinion publique manipulée ou mal informée ; ce n'en
serait pas moins une grave erreur.
D'abord, vous l'avez dit et je suis d'accord avec vous monsieur le rapporteur,
il appartient aux électeurs, et à eux seuls, dans une démocratie, d'apprécier
librement si leurs élus ont les compétences et la disponibilité nécessaires
pour exercer les mandats qu'ils leur confient. Ils n'ont besoin d'aucun texte
de loi pour désavouer ceux qui ne leur rendent pas les services qu'ils
attendent d'eux.
Mais, surtout, nous savons tous d'expérience combien l'exercice d'une
responsabilité à la tête d'une mairie, d'un conseil général ou d'un conseil
régional permet d'avoir une approche concrète et réaliste des problèmes que
rencontrent les citoyens et les collectivités locales.
Dans notre pays, si enclin à l'hyperinflation législative et réglementaire,
l'expérience des praticiens de terrain corrige dans les assemblées les excès
technocratiques des projets soumis à leur examen. Ils savent faire le départ
entre ce qui est acceptable et compréhensible par leurs administrés et ce qui
est inapplicable.
En interdisant tout cumul entre les fonctions exécutives locales et le mandat
parlementaire, le pouvoir cherche peut-être à s'assurer de la docilité des élus
nationaux. L'influence et l'expérience acquises sur le terrain ne pourront plus
être opposées aux états-majors des partis. Pour peu qu'on généralise la
proportionnelle à tous les modes de scrutin, c'est l'investiture du parti, et
elle seule, qui permettra l'accès au Parlement.
Mais le calcul pourrait se révéler faux si, faute de liens avec le Parlement,
s'érigeait un puissant pouvoir municipal départemental et régional, réfractaire
aux consignes ou aux exhortations des appareils.
Vous nous avez dit très justement, monsieur le rapporteur, que des dérives
autonomistes pourraient trouver, notamment dans les territoires ultramarins qui
sont sous la tutelle de M. le secrétaire d'Etat, un puissant encouragement si
l'on rompt le lien avec le Parlement. Au demeurant, c'est un plus pour nous que
de compter parmi nous le président du conseil régional ou le président du
conseil général de tel ou tel département d'outre-mer.
A défaut de ce lien dont je parlais risquerait d'apparaître une véritable
fracture entre le pays réel et le pays légal.
Contrairement à ce qu'on veut nous faire accroire, la limitation du cumul des
mandats et l'extension des incompatibilités ne constituent pas une réforme
fondamentale ni un progrès décisif pour la modernisation de la vie publique.
Au moment où tant d'élus locaux, découragés par la complexité, la difficulté
de leur tâche et même les risques pénaux auxquels ils s'exposent, envisagent de
ne plus solliciter les suffrages des électeurs, il importe de se poser les
véritables questions.
Comment faire en sorte que les mandats locaux et nationaux soient accessibles
à tous les citoyens et non pas réservés en fait, et de plus en plus, à telle ou
telle catégorie professionnelle privilégiée ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Les énarques !
M. Josselin de Rohan.
Ne faut-il pas s'interroger sur l'opportunité de limiter la durée des
fonctions exécutives pour faciliter le renouvellement des responsables ?
Quelles protections ou garanties de revenus peuvent être apportées aux élus
exerçant à plein temps des fonctions exécutives et quelles possibilités de
reclassement peuvent leur être apportées quand ils cessent de les assumer ?
Sur tous ces points, les textes en discussion ne nous apportent que peu ou pas
de réponse. Nous suivrons donc les recommandations éclairées de notre
rapporteur.
Nous sommes conscients de l'exploitation que l'on fera de notre vote. Nous
assumerons notre choix parce que nous pensons qu'il est de notre devoir de
préférer nos convictions aux modes, parce qu'il faut encourir le risque de
l'impopularité plutôt que de céder à la démagogie, parce que, quoi que disent
et écriront demain les commentateurs, nous savons que la position que nous
prenons est celle de l'équilibre et du bon sens.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme nous l'indiquions déjà en première lecture, le groupe communiste
républicain et citoyen s'associe pleinement à la démarche du Gouvernement
concernant le cumul des mandats.
A ce titre, et même s'il convient de pousser plus loin l'analyse, toutes les
péripéties de la vie politique des derniers mois, les enquêtes et sondages sur
l'attitude de nos concitoyens face à la représentativité politique, les
exigences accentuées de disponibilité pour quiconque détient une fonction nous
confortent dans l'idée qu'il faut aller bien plus loin encore dans la
rénovation de nos institutions politiques.
Le temps et les mutations de notre société ont érodé nos institutions.
L'ensemble de ces raisons, de simple bon sens, nous amènent donc à examiner
une nouvelle fois favorablement les textes relatifs au non-cumul des mandats
tels qu'ils qu'ils nous viennent de l'Assemblée nationale.
Je ne reprends pas - nous l'avons fait lors de la première lecture - chacun
des motifs qui justifient, selon nous, notre acceptation de ces textes, mais
deux raisons essentielles plaident en faveur de leur vote.
Les lois de décentralisation rendent aujourd'hui nécessaire d'opérer une
distinction plus nette entre les mandats nationaux et les mandats locaux.
Cette question peut être étudiée, évidemment, comme nous le propose la
commission des lois, sous le prisme local, départemental ou régional, avec le
cumul possible d'un exécutif local et d'un mandat national, mais l'élu
parlementaire doit être avant tout pleinement le représentant de la nation tout
entière - c'est ce à quoi visent les textes que nous examinons - et c'est là
l'argument majeur de notre opposition à votre texte, mesdames et messieurs de
la majorité sénatoriale.
Le Sénat, certes avec ses traits constitutionnels spécifiques, son lien avec
les collectivités, est dans une situation différente de l'Assemblée nationale.
Le texte correspond-t-il à la fonction sénatoriale ou faut-il une approche
différente pour la Haute Assemblée ?
Non ! D'ailleurs, personne ne s'est engagé dans cette voie - et c'est heureux
- mis à part M. Delfau, qui a déposé un amendement en ce sens.
Enfin, réduire le cumul des mandats devrait permettre de rajeunir et de
féminiser la fonction élective.
Comment se satisfaire aujourd'hui du fait que les femmes ne représentent que
10,9 % des députés, 24 % des conseillers régionaux - la proportionnelle y est
pour beaucoup - et 7,4 % des conseilleurs généraux ; et je vous fais grâce du
pourcentage de femmes au sein de notre Haute Assemblée, mes chers collègues
!
Le Premier ministre a annoncé dans son discours de Strasbourg, devant les
parlementaires socialistes, le dépôt d'un projet très positif concernant les
scrutins de listes et la parité. Le non-cumul serait, nous semble-t-il, un
moyen supplémentaire pour parvenir à la parité.
S'agissant des conditions d'éligibilité, ramener l'âge des postulants aux
fonctions électives à dix-huit ans nous paraît aller dans un sens favorable au
rajeunissement indispensable du monde politique et à une meilleure adéquation
entre les citoyens et leurs réprésentants.
Pour autant, ces dispositions seraient-elles adoptées - nous savons qu'elles
ne le seront pas - il faudrait rénover et démocratiser nos institutions.
Comme je l'indiquais lors de l'examen de ce texte en première lecture, «
revivifier la démocratie nécessite des mesures porteuses de nouveautés ».
Au premier rang de ces mesures porteuses, nous mettons l'instauration de la
proportionnelle totale ou de la proportionelle aménagée selon les types de
scrutin.
Comment nier que le scrutin majoritaire impose, dans bien des cas, la
présentation d'une personne bien implantée pour s'assurer l'élection et que le
cumul des mandats en est la conséquence ?
Au rang des réformes prioritaires de nos institutions, il convient également
de donner au pouvoir législatif une place plus grande, une meilleure maîtrise
de l'ordre du jour des assemblées et un champ élargi de contrôle.
La constitution de 1958, à ce titre, a restreint le champ de compétences du
Parlement. Cette restriction est encore renforcée aujourd'hui avec la
construction européenne, qui impose à notre parlement l'application de
directives, sans que s'opère en amont, comme nous le souhaitons, une
consultation de nos deux chambres, gage de démocratie.
Enfin, il convient de repenser de manière neuve le statut de l'élu, notamment
pour éviter que l'implication dans le champ politique ne soit réduite à
quelques-uns, à quelques professions.
Cette réflexion doit nous conduire à élargir les possibilités d'absence pour
les salariés ; la sécurité de chacun dans son emploi doit être entière.
M. le Premier ministre a, à plusieurs reprises, réitéré son refus de légiférer
en ce domaine, au moins dans les circonstances actuelles. Nous connaissons le
prix de cette réforme. Mais une telle dépense serait-elle au-dessus de nos
moyens étant donné l'importance de l'enjeu ? Nous ne le pensons pas. Il s'agit
d'une réforme qui est en cohérence avec le texte dont nous débattons.
Nous avons suivi avec beaucoup d'attention les propos de notre rapporteur, M.
le président de la commission des lois. Je doute que la majorité sénatoriale
sente la nécessité de se saisir de ces questions et de se dégager d'un
immobilisme rejeté par nombre de concitoyens.
Nous pensons qu'il est plus que temps de légiférer dans le sens d'un
élargissement et d'une ouverture plus grande du politique sur la société et de
la société sur le politique.
Le refus quasiment préalable de la majorité sénatoriale de mettre un terme au
cumul des mandats conforte l'image conservatrice de notre Haute Assemblée.
Il va sans dire que nous sommes en désaccord avec cette attitude et que nous
n'apporterons pas nos suffrages à un projet de loi dénaturé par les amendements
de la majorité sénatoriale.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans mon bref propos, je rappellerai que je considère le mandat de
parlementaire comme l'aboutissement naturel de la prise de responsabilité au
niveau communal et départemental. Je reste néanmoins convaincu qu'une
présidence d'exécutif local, en dehors des collectivités de petite taille, ne
peut s'articuler avec la représentation national. Par expérience, je peux dire
que l'une des missions est forcément sacrifiée à l'autre ou bien que les deux
pâtissent du partage.
La thèse maximaliste « un homme, un mandat », ne me séduit pas plus. La
relation au terrain est irremplaçable. Quant à y voir un gage de
renouvellement, les dernières consultations électorales, tous échelons
confondus, le dénient : la moitié sont de nouveaux élus.
Toutefois, il convient de rendre accessible à nos concitoyens, tout en la
rendant plus attractive, la vie politique en brisant, certes, les pratiques de
confiscation par cumul, mais aussi en abaissant les âges d'éligibilité.
La majorité est à dix-huit ans. A cet âge, auquel est reconnue la capacité
d'être électeur, il me semble cohérent, en regard, de reconnaître la
possibilité d'être éligible comme conseiller municipal, conseiller général,
conseiller régional ou député. La participation à la vie publique forme des
individus responsables et respectueux des valeurs. Les comportements futurs
peuvent en être infléchis dans le bon sens.
Issus souvent de mouvements associatifs qu'ils ont animés, les jeunes ont
envie que leurs discours et leurs projets prennent forme en souhaitant être
leurs propres porte-parole. Il convient de ne pas les détourner et de les
mettre à l'épreuve de la réalité, toujours révélatrice de la validité des
propositions.
La commission des lois a estimé que l'article contenant cette disposition
n'avait pas de lien avec le projet traitant des incompatibilités et nous
proposera de le supprimer. Soit, mais
a contrario
c'est une occasion
perdue de favoriser l'insertion dès que possible. La sensibilisation aux
messages véhiculés par l'instruction civique dispensée au cours de la scolarité
doit pouvoir se concrétiser sans que soit imposée une forme de purgatoire peu
justifiée.
En ce qui concerne les maires et les sénateurs, l'âge d'éligibilité que
j'aimerais voir retenir est celui de vingt-quatre ans, soit celui de la
majorité auquel on ajoute la durée d'un premier mandat. La logique exige
d'imposer un délai d'apprentissage, de familiarisation, de maîtrise de la
gestion des affaires publiques à celui qui veut en assumer la conduite. Ce
seuil correspond à un cycle, le chiffre n'est donc pas arbitraire. Par
ailleurs, il met en symbiose mandataires et mandants.
La commission saisie au fond a adopté la même position et proposera la
suppression de l'article 4
bis
du projet de loi organique. Toutefois,
dans son rapport, elle indique que plusieurs propositions de loi tendant à
fixer l'âge d'éligibilité à la Haute Assemblée à vingt-trois ans ont été
déposées sur le bureau du Sénat. Elles pourraient être jointes à l'examen du
projet de loi relatif à l'élection des sénateurs, dont le dépôt devrait
succéder à la publication des résultats du recensement de 1999.
Là encore l'ouverture aurait pu intervenir dès maintenant sans pour autant que
soit dénaturé le texte en cours de lecture. Il est nécessaire de mettre
rapidement en adéquation les dispositions législatives et un stade d'évolution
sociale acquis.
Bien que les dispositions relatives au Sénat contenues dans le projet de loi
organique ne puissent aboutir sans un vote dans les mêmes termes par les deux
assemblées, on peut regretter que les modifications introduites par le Sénat en
première lecture n'aient été que très faiblement prises en considération et
retenues. Sachant qu'un accord est indispensable pour faire évoluer les choses,
on peut se demander si la volonté affichée par l'Assemblée nationale de ne pas
rapprocher les positions ne constitue pas un moyen de conserver un
statu quo
qui arrange sa majorité tout en flattant l'électorat et l'opinion.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
rénovation de nos institutions et de la vie politique est l'une des priorités
du Gouvernement ; inscription automatique des jeunes sur les listes
électorales, parité hommes-femmes inscrite dans la Constitution, réforme du
mode de scrutin sénatorial, limitation du cumul des mandats et fonctions en
sont la traduction concrète.
Que cette volonté réformatrice rencontre des résistances, qu'elle se heurte
aux conservatismes les plus divers n'a rien de surprenant.
En première lecture, la majorité sénatoriale s'est opposée au fond même de la
réforme proposée et a pratiquement taillé en pièces le projet de loi issu des
travaux de l'Assemblée nationale. Nombre de nos collègues revendiquent de
nouveaux transferts de compétence, de nouveaux pouvoirs, un statut de l'élu
rénové, sans remettre en cause le cumul actuel des mandats et des fonctions.
S'agissant du statut de l'élu, le Premier ministre a déclaré, le 14 octobre
dernier, à Léognan : « C'est une préoccupation légitime. Je suis favorable à
une réflexion sur ce sujet. Mais de telles réformes n'ont de sens que si elles
sont comprises par nos concitoyens, qui demandent d'abord à leurs élus d'être
disponibles pour exercer pleinement leurs attributions. C'est pourquoi il a
paru souhaitable au Gouvernement d'avancer sur la question du cumul des mandats
et des fonctions électives pour mieux traiter ensuite celle des conditions de
leur exercice. »
Pour ma part, j'ajoute que le nouveau statut de l'élu doit être la conséquence
et non le préalable de la limitation du cumul.
M. le rapporteur s'étonne de ce que l'Assemblée nationale n'ait pas tenu
compte des travaux du Sénat en première lecture. Mais comment pourrait-il en
être autrement alors même qu'au seuil de cette seconde lecture le Sénat choisit
encore le
statu quo
?
Au mois de juin dernier, dans un premier temps, monsieur le
président-rapporteur, vous vous apprêtiez à assimiler à un mandat la fonction
de membre d'un EPCI, un établissement public de coopération intercommunale à
fiscalité propre, et, surtout, à ne pas réintroduire de seuil. Dans un deuxième
temps, partagé, vous vous en remettiez à la sagesse du Sénat concernant
l'introduction, ou non, d'un seuil de population, et vous assouplissiez le
dispositif incluant les président, d'EPCI à fiscalité propre. Enfin, jeudi
dernier, alors que la commission des lois se réunissait pour régler un problème
interne à la majorité sénatoriale, vous avez « troqué » le seuil contre la
fonction de président d'un EPCI à fiscalité propre.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Roman !
M. Guy Allouche.
Réalité, monsieur Schosteck ! Vous le savez : vous étiez présent jeudi !
Bref, le doute, pour ce qui est du seuil, est devenu certitude. Quant à la
nécessité - celle qui touche l'EPCI, avec tous ses pouvoirs - eh bien, vous
avez déclaré qu'il était urgent d'attendre !
De même, vous continuez à refuser de distinguer le mandat et la fonction et, à
vous écouter tout à l'heure, j'en venais à la conclusion suivante : avec ce que
vous nous proposez, on pourra être parlementaire, maire et aussi président d'un
EPCI, une communauté urbaine par exemple. Vous ne retranchez pas, vous ajoutez
!
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Mais non !
M. Guy Allouche.
Tel est le constat que l'on peut dresser !
Avouez, mes chers collègues, que l'accord trouve difficilement sa place entre
le mouvement et l'immobilisme.
Ce projet de loi n'a rien de dogmatique, M. le secrétaire d'Etat l'a encore
rappelé dans son intervention : il est la réponse à une réalité que nul ne peut
nier.
La droite oublie un peu vite que ce projet de réforme a reçu l'assentiment des
électeurs en juin 1997. Toutes les enquêtes d'opinion confirment, et avec
constance, que l'immense majorité de la population, toutes sensibilités
politiques confondues, soutient le Gouvernement dans sa démarche.
J'ai d'ailleurs été étonné lorsque, jeudi, en commission des lois, notre
excellent et éminent collègue Maurice Ulrich a affirmé - le bulletin des
commissions en témoigne - que « l'attitude consistant à adopter
systématiquement les solutions présentées par les médias ou préférées par
l'opinion publique reviendrait, pour le Parlement, à une démission de ses
responsabilités ».
MM. Bernard Murat et Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Emmanuel Hamel.
Excellente remarque !
M. Guy Allouche.
Si, vraiment, ne pas écouter l'opinion publique entre dans nos attributions,
mes chers collègues, lorsque les élections viendront, allez donc expliquer aux
citoyens que, quoi qu'ils disent, quoi qu'ils pensent, on n'en tiendra pas
compte.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Le citoyen, il vote !
M. Bernard Murat.
L'écouter n'est pas le suivre !
M. Guy Allouche.
Dans ces conditions, pourquoi mettre en cause la volonté de l'Assemblée
nationale d'aboutir à la mise en oeuvre de cette réforme ? Convaincu que
l'objectif fixé sera atteint, le groupe socialiste du Sénat soutient cette
démarche.
La vitalité de notre démocratie, le renforcement du pacte républicain passent
par le rapprochement indispensable du peuple et de ses représentants.
J'ai lu, dans un grand journal du soir daté d'aujourd'hui...
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Lequel ?
M. Guy Allouche.
Le Monde,
monsieur le président-rapporteur, je le précise à votre
intention.
Voici donc ce que j'y ai lu : « La distance entre les institutions et les
citoyens, entre les électeurs et les élus, prend la dimension d'un fossé qui
pourrait devenir infranchissable... Le contenu de la relation entre l'élu et
l'électeur doit radicalement évoluer. »
Le signataire de cet article, qui se déclare pour l'interdiction complète du
cumul des fonctions, plaçait ses diverses propositions sous l'invocation d'un «
gaullisme de projet ».
S'agit-il d'un homme coupé des réalités ? D'un homme qui ne sait pas ce qu'est
la politique ? D'un homme qui n'a pas exercé de hautes responsabilités ? Le
signataire de cet article n'est autre que Jacques Toubon !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est un repenti !
M. Emmanuel Hamel.
Il y a de meilleures références !
(Rires.)
M. Guy Allouche.
Je vous laisse la responsabilité de votre propos, monsieur Hamel !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Prenez M. Fabius et laissez-nous les nôtres !
M. Guy Allouche.
Je vais y venir, monsieur Schosteck !
Faute de pouvoir compter sur le volontarisme individuel et sur les « velléités
des belles âmes », il faut une loi « claire, précise, simple et décisive ». Si
légitimes et respectables soient-elles, les objections des adversaires de cette
limitation du cumul sont beaucoup trop faibles pour résister à l'analyse
impartiale des faits et emporter la conviction d'une majorité désireuse de
réactiver notre vie démocratique.
L'addition des mandats et des fonctions aboutit à la soustraction des
responsabilités. Le cumul est contradictoire avec les lois de décentralisation,
qui accroissent les prérogatives des responsables territoriaux. Le cumul
conduit à la déformation du choix de l'électeur : quand il vote pour tel
candidat, il n'accepte plus que les affaires soient gérées, sinon les décisions
prises, par ceux qui n'ont pas la légitimité du suffrage universel. Les
électeurs aspirent à la nécessaire moralisation de la vie politique, ils
exigent plus de transparence, ils veulent savoir qui est responsable et qui a
le pouvoir de résoudre leurs problèmes.
Sur ce point, comme sur tant d'autres qui touchent aux réfomes de la société,
la droite, une fois de plus, fait preuve de conservatisme. Quelques-uns de ses
leaders en ont désormais conscience, et ils le disent. Mais la droite ne tire
pas pour autant les enseignements qui s'imposent !
Pour cette deuxième lecture au Sénat, j'aurais pu reprendre presque
intégralement ce que j'avais déclaré en première lecture, tant le « surplace »
de la majorité sénatoriale est patent. Néanmoins, je souhaite réfuter un
certain nombre des arguments développés par notre rapporteur.
S'il est juste d'affirmer que l'absentéisme parlementaire n'est pas lié au
nombre de mandats et fonctions exercés, avouons au moins entre nous qu'il y
contribue grandement ! A défaut, grave et condamnable serait alors l'absence et
au Parlement et sur le « terrain » ! L'absence des parlementaires, que
d'aucuns, ici et ailleurs, jugent scandaleuse, renforce
l'antiparlementarisme.
Censé être au service de la nation, le mandat national est devenu l'auxiliaire
du mandat local, avec le risque de se diluer dans le localisme.
Curieux raisonnement que celui qu'a tenu M. le rapporteur sur les nouvelles
technologies qui faciliteraient l'exercice convenable de plusieurs mandats et
fonctions ! Le bon accomplissement de notre mission ne peut se réduire à une
communication facilitée. On ne peut vanter le mérite de la présence sur le
terrain, le contact direct avec les citoyens, l'appréhension des réalités
concrètes de la gestion, autant d'activités dévoreuses de temps, et affirmer
que l'on peut déléguer facilement ses responsabilités parce que la
communication est facilitée.
Quant aux aller-retour entre la capitale et la commune, la circonscription ou
le département, ils ne poseraient pas la moindre difficulté. Après les «
turbo-profs », voilà les « élus TGV » !
Notons au passage que l'on ne vous a pas entendu, monsieur le
président-rapporteur, critiquer le cumul des mandats avant le développement de
ces nouvelles technologies ! J'en viens même à penser que votre prochain slogan
électoral pourrait être : « Les technologies nouvelles au service du cumul des
mandats »
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Prétendre, comme vous le faites, que l'électeur est le juge du cumul est
quelque peu fallacieux et à tout le moins spécieux,...
M. Emmanuel Hamel.
C'est pourtant vrai !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il juge de tout, l'électeur !
M. Bernard Murat.
C'est la démocratie !
M. Guy Allouche.
... tant il est évident que l'élection est rendue inéquitable par l'inégalité
des situations. Ne maîtrisant par les candidatures au sein de sa famille de
pensée, l'électeur n'a pas le choix. Il vote pour le candidat ou la candidate
qui partage ses idées.
M. Gérard Delfau.
Exactement !
M. Guy Allouche.
Il n'ira pas voter à droite parce que le candidat de gauche est en situation
de cumul ou inversement ! Tant qu'aucune loi ne restreindra le cumul, les
désignations des candidats n'évolueront pas. En conséquence, l'électeur
s'abstiendra de voter pour ne pas cautionner ce qu'il désapprouve.
Etonnons-nous, après, qu'il y ait plus d'abstentions !
M. Gérard Delfau.
C'est vrai !
M. Guy Allouche.
Vous avancez l'argument selon lequel la recentralisation, que vous dénoncez -
et qui reste à démontrer - justifie le cumul. Dans l'esprit du maître d'oeuvre
de la décentralisation, Gaston Defferre, la limitation du cumul était
consubstantielle à la décentralisation. C'est toujours aussi vrai. Une étape a
été franchie en 1985, et aussi bien Laurent Fabius que Pierre Joxe, alors
ministre, disaient alors qu'il faudrait, à terme, aller encore plus loin.
Relisez les débats de 1985.
Il serait vain de vouloir aller encore plus loin dans la décentralisation tant
que le cumul ne sera pas plus restreint.
Les récentes lois sur l'intercommunalité viennent opportunément nous rappeler
que les pouvoirs de certains exécutifs territoriaux - les présidents des EPCI à
fiscalité propre - se sont accrus.
Le 15 février 1993, lors de la remise du rapport du comité consultatif pour la
révision de la Constitution au Président de la République, le doyen Vedel,
homme éminent s'il en est, qui présidait ce comité, disait : « La
décentralisation et les nouveaux équilibres qu'elle a créés ou renforcés ne
justifient plus l'addition des pouvoirs de nature locale et nationale, dont les
premiers sont souvent considérables. » Lequel d'entre nous oserait affirmer que
tous les membres de ce comité étaient, eux aussi, coupés de la réalité, qu'ils
étaient animés par l'esprit de système, par l'esprit doctrinal ou par je ne
sais quel dogmatisme.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Les professeurs, sûrement !
M. Guy Allouche.
Je ne partage pas ce point de vue, vous le savez.
Tout à l'heure, j'entendais le président de Rohan parler des ministres et
évoquer le général de Gaulle ; notre collègue n'est plus là, mais il lira
sûrement le compte rendu de nos débats, dans le
Journal officiel
.
M. Emmanuel Hamel.
Il est présent par son esprit !
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
L'esprit souffle !
Aujourd'hui, c'est vrai, il n'y a pas de projet de loi constitutionnel
interdisant aux ministres d'être en même temps exécutif local, et on peut le
regretter. Ce n'est pas une vue de l'esprit.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Ça viendra !
M. Guy Allouche.
Cela va venir, d'ailleurs.
En fait, aujourd'hui, les ministres se consacrent à temps plein à leurs
fonctions ministérielles !
(Exclamations et rires sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Demandez à Mme Aubry !
M. Guy Allouche.
Vous pouvez en douter, mais c'est une réalité.
Evidemment, on ne va pas interdire à un ministre de se rendre le week-end dans
son département ! Mais, du lundi au vendredi, les ministres sont dans leur
ministère...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il croit au père Noël !
M. Guy Allouche.
... et sur le terrain, dans toute la France, pour expliquer la politique du
Gouvernement. Voilà la réalité aujourd'hui !
M. Jean-Jacques Hyest.
Il en a toujours été ainsi !
M. Guy Allouche.
Tout à l'heure, M. de Rohan citait le cas de M. Delebarre, que je connais
bien, et pour cause. Mais le cumul de Michel Delebarre, c'est la démonstration
par l'absurde qu'il faut restreindre le cumul !
Il pousse le cynisme assez loin pour montrer que, tant que la loi n'interdira
pas, voilà ce qu'il est possible de faire.
(M. Jean-Pierre Schosteck
applaudit.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah ! C'est incroyable !
M. Guy Allouche.
J'aurais aimé que M. de Rohan cite également les propos que tenait M. Philippe
Séguin à propos de l'un de ses amis qui a exercé les fonctions de président
d'un grand parti politique, qui a été Premier ministre, qui est maire d'une
grande ville - comme Bordeaux - président d'une communauté urbaine - par
exemple, de celle de Bordeaux - et je pourrais continuer la liste. Mais il ne
l'a pas fait, alors que ce cas a été souvent cité dans les gazettes !
M. Emmanuel Hamel.
C'est qui, ce cumulard ?
(Rires.)
M. Jean Arthuis.
Monsieur Allouche, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Guy Allouche.
Comment pourrais-je vous le refuser ?
M. le président.
La parole est à M. Arthuis, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Arthuis.
Monsieur Allouche, savez-vous qui est président du district de Belfort ?
M. Guy Allouche.
Très bonne question !
(Sourires.)
M. Jean Arthuis.
Le savez-vous, monsieur Allouche ?
M. Guy Allouche.
C'est un élu !
(Rires.)
M. Jean Arthuis.
Certainement !
(Nouveaux rires.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le rapporteur, vous utilisez l'argument selon lequel la
recentralisation, que vous dénoncez, justifie le cumul. Je vous réponds que,
parce qu'il est profondément convaincu de l'opportunité de cette réforme du
cumul des mandats, le Premier ministre vient de décider, dans le cadre de la
rénovation de la vie politique, la mise en place d'une commission consultative
qui, présidée par mon ami et excellent collègue Pierre Mauroy, Premier ministre
de la décentralisation, a pour mission l'étude de la relance de la
décentralisation.
Vous affirmez également, monsieur le rapporteur, que le non-cumul couperait
l'élu des réalités concrètes du terrain. Vous le dites et vous l'écrivez.
M. Jean-Pierre Schosteck.
On le pense !
M. Jean-Jacques Hyest.
Globalement !
M. Guy Allouche.
Il serait inexact, et surtout prétentieux, d'affirmer que la connaissance du
terrain passe par l'exercice d'une fonction exécutive.
Nous n'allons pas vers le mandat unique. Le projet de loi n'interdit pas le
cumul du mandat parlementaire avec le mandat local. La participation efficace
aux travaux d'une assemblée, une bonne connaissance des problèmes n'impliquent
aucunement la charge de l'exécutif. Si seul l'exécutif est au « coeur des
réalités de terrain », à quoi servent alors les adjoints et les conseillers
municipaux, les vice-présidents et les membres des commissions permanentes ?
Pourquoi désigne-t-on autant de conseillers municipaux, de conseillers généraux
et des conseillers régionaux ?
M. Jacques Larché,
rapporteur.
On se le demande !
M. Guy Allouche.
Font-ils de la figuration ? Les parlementaires qui ne sont pas exécutifs
territoriaux - la moitié - seraient-ils des parlementaires de seconde division
? Les exécutif locaux qui ne sont pas parlementaires - ils sont l'écrasante
majorité - seraient-ils moins performants que les autres ?
Alors, mes chers collègues, évitons ce genre de propos qui ne grandit pas la
fonction politique en général.
En privilégiant principalement la seule défense des intérêts locaux, si
importants soient-ils, nous laissons aux membres des cabinets ministériels, aux
techniciens des ministères, à la haute fonction publique, le monopole de la
réflexion d'ensemble, la défense de l'intérêt général, l'intérêt de la nation,
alors que cette mission nous est dévolue. Si cela n'est pas une démission de
notre part, cela y ressemble étrangement.
M. Paul Girod.
Monsieur Allouche, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Guy Allouche.
Je vous en prie, et avec grand plaisir.
M. le président.
Nous notons que cela fait deux fois que M. Allouche se laisse interrompre.
(Sourires.)
M. Paul Girod.
Nous reconnaissons bien là sa courtoisie habituelle !
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Paul Girod.
Monsieur Allouche, vous dites que nous devons, nous, parlementaires, être
juges des grandes orientations ; pourquoi, alors, a-t-on supprimé le passage
devant le Parlement des principaux textes sur l'aménagement du territoire ?
M. Guy Allouche.
C'est une question.
M. Emmanuel Hamel.
Oh, que oui !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
J'ai la réponse !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Je ne vous cacherai pas, mon cher collègue, que je verrais d'un très bon oeil
que les contrats de plan Etat-régions soient discutés au Parlement. Voyez, nous
pouvons nous rejoindre sur ce point.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Proposez-le !
M. Guy Allouche.
Je considère que les contrats de plan intéressent l'ensemble de la nation et
que nous aurions un avis à donner sur la façon dont les choses se passent, dont
les contrats se décident. Nous pouvons nous accorder sur ce sujet, mais je
précise que notre mission parlementaire, c'est l'intérêt général. Ne la
laissons pas aux autres.
Un autre argument ne manque pas de saveur dans la bouche de sénateurs : le
non-cumul ferait de l'élu un professionnel du Parlement ! Mes chers collègues,
nous appartient-il de tenir un tel langage, nous qui avons le mandat le plus
long, presque toujours renouvelé une fois, sinon deux, voire trois fois ? Non !
La fonction politique souffrirait de l'amateurisme et si vous voulez éviter une
professionnalisation excessive de la vie parlementaire, proposez donc la
limitation du nombre de mandats qu'un élu pourrait accomplir simultanément ou
consécutivement. C'est d'ailleurs ce que M. Toubon proposait dans l'article
précité.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il n'a pas tort !
M. Guy Allouche.
Que d'arguments encore à réfuter ! Et je m'en réserve quelques-uns pour une
éventuelle troisième lecture. Mais, dois-je le rappeler, la limitation du cumul
des mandats et des fonctions est sous-tendue par quatre objectifs principaux :
la revalorisation du Parlement et de la fonction parlementaire - l'objectif le
plus important - la disponibilité de l'élu, le renouvellement des élus et la
réduction des conflits d'intérêts.
Le cumul ne favorise pas la mise en oeuvre de la parité. On ne peut pas tout à
la fois refuser les quotas et vouloir le cumul. Rajeunissement et féminisation
contribuent à la saine respiration de notre vie démocratique. La clarification
des fonctions et des rôles, associée à l'ouverture plus grande du monde
politique, mettra fin à l'idée reçue selon laquelle la vie politique est
accaparée par un petit nombre de professionnels.
Le dispositif retenu mettra fin à la pratique dite « de la locomotive », qui
consiste à conduire une liste, à se faire élire, puis à démissionner aussitôt
en raison du cumul. Cette pratique suscite un sentiment négatif de la part de
l'électorat et discrédite davantage la fonction politique. Source de dérives,
les conflits d'intérêts nés du cumul alimentent la chronique de la corruption
en politique, tant il est vrai que les démêlés avec la justice ne sont jamais
le fait du mandat parlementaire. Ce projet de loi est aussi une protection
contre nous-mêmes.
Que ce soit sur la modernisation de la vie politique et des institutions ou
sur tant d'autres sujets fondamentaux, nos logiques sont différentes et
profondes sont nos divergences. La vie politique a besoin de mouvement et de
progrès. Notre mission est d'anticiper. Nous devons nous adapter, car ce qui se
justifiait avant 1982 et en 1985 ne peut rester en l'état.
Monsieur le rapporteur, une fois encore, votre vérité d'aujourd'hui apparaîtra
très vite comme une erreur profonde. Je fais allusion à ce que vous défendiez -
avec quelle force, avec quelle conviction - lors du débat sur la session unique
: nous nous opposions déjà, non sur le principe, mais sur les modalités. Vous
avez conçu la session unique à partir du seul cumul des mandats et avez attaché
plus d'importance aux mandats locaux qu'à la fonction parlementaire. Les
fonctions exécutives sont de plus en plus dévoreuses de temps, exigent une
présence plus forte sur le terrain. Alors, cessons de nous mentir à
nous-mêmes.
Respectueux des engagements pris devant le peuple, croyez-vous que les
citoyens apprécieraient que le Gouvernement n'engage pas les réformes
approuvées au motif que le Parlement ne travaille que deux ou trois jours par
semaine ? Et que dire du Sénat qui, opposition oblige, prend davantage son
temps qu'il ne le donne vraiment !
M. Emmanuel Hamel.
Mais nous avons le temps !
M. Guy Allouche.
Que le Parlement soit de retour, disait notre collègue M. Christian Bonnet,
cela dépend de nous, et de nous seuls ! Je plaide pour que le Parlement accepte
de s'autoréformer. Sommes-nous capables d'accomplir cette révolution culturelle
? Je veux toujours l'espérer.
De profondes divergences persistent encore entre l'Assemblée nationale et le
Sénat sur cette question. Le compromis semble difficile tant la perception de
la réalité et la vision de l'avenir sont différentes. Des voix s'élèvent déjà
pour dire qu'il n'est pas raisonnable de laisser aux seuls parlementaires le
soin de restreindre les cumuls. Si cette difficulté demeure, et cette deuxième
lecture au Sénat en apportera la confirmation, il n'est pas interdit de penser
que, dans le cadre d'une réforme d'ensemble de nos institutions intégrant la
limitation du cumul des mandats, il faudra faire appel, un jour prochain, à un
juge souverain, en l'occurrence le peuple. Nous n'avons d'ailleurs rien à
craindre de ses décisions.
Mes chers collègues, en conclusion, je livre à votre réflexion la déclaration
que M. le Premier ministre a faite à Strasbourg et que rappelait M. le
secrétaire d'Etat : « Nos propositions sont claires. Le Sénat et l'opposition
de droite prendront leurs responsabilités. S'agissant des dispositions
organiques applicables au Sénat, nous ne pourrons que prendre acte de ce
qu'elles rendront possible. Ce ne sera pas un compromis, ce sera un constat.
»
Réfléchissez, mes chers collègues, à cette déclaration.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel.
Nous réfléchissons !
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
tiens à apporter mon soutien aux conclusions de la commission des lois sur
présentation du rapport de son président, M. Jacques Larché.
En effet, j'estime que c'est un texte lisible et clair ; c'est aussi un texte
réaliste et raisonnable dans le contexte actuel. Il s'agit incontestablement
plus que de petits pas.
Ce texte, tel qu'il a été présenté aujourd'hui par le Sénat, représente, pour
ce qui est du non-cumul des mandats, une nouvelle étape mais certainement pas
la dernière sur la voie qui nous mènera un jour plus loin.
Les fonctions électives évoluent ; elles deviennent plus lourdes ; elles
impliquent plus de responsabilités. Il en résulte que le problème dont nous
nous préoccupons aujourd'hui est lui-même évolutif. Hier, c'est-à-dire en 1985,
la réduction à trois mandats avait été jugée par certains impossible à traduire
dans les faits. Elle a finalement bien été assimilée.
Demain, très probablement, la compatibilité entre l'exercice d'un mandat
parlementaire et celui d'un grand exécutif local se révélera dans les faits
pratiquement impossible. Voilà pourquoi ce texte est une étape, mais non la
dernière.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Car le non-cumul des mandats est nécessairement lié à bien d'autres réformes
portant sur l'évolution des structures territoriales, le statut de l'élu,
l'évolution du rôle et de la mission du Parlement ou le franchissement de
nouvelles étapes sur la voie de la décentralisation.
La prise en considération de tous ces problèmes ne sera pas, loin de là, sans
effet sur une nouvelle évolution dans la voie du non-cumul.
Je me bornerai à faire trois observations sur trois aspects du problème que
nous examinons aujourd'hui.
Premièrement, fallait-il ou non introduire un seuil de 3 500 habitants, voire
un seuil plus élevé, pour opérer une discrimination entre les fonctions locales
?
M. Gérard Delfau.
Oui !
M. Daniel Hoeffel.
Ce seuil est concevable, puisque nous le retrouverons, par exemple, à propos
du mode de scrutin. Mais je crois que la lisibilité du texte en souffrirait
incontestablement. Il y faut clarté, simplicité et lisibilité, raisons pour
lesquelles il était opportun que la commission des lois supprime ce seuil et
que les mêmes mesures, sur le plan du non-cumul, s'appliquent à toutes les
collectivités sans discrimination aucune. Sur ce plan, il en va aussi, et nous
en sommes conscients, de l'image même de notre haute assemblée, qui apparaît
comme la Haute Assemblée de toutes les structures territoriales, et pas
seulement des structures rurales.
Le deuxième point que j'évoquerai et qui a fait l'objet d'un certain nombre de
débats et de controverses concerne les structures intercommunales. Fallait-il,
aujourd'hui, séparer les structures communales des structures intercommunales ?
Le débat est concevable. Pour ma part, je suis tout à fait favorable, à l'heure
actuelle, à la non-dissociation entre la responsabilité d'élu intercommunal et
la responsabilité d'élu communal, et ce pour deux raisons essentielles.
La première tient à la loi du 12 juillet 1999 : nous avons eu, au printemps,
un très long débat sur le fait de savoir si l'élection au suffrage universel
direct des membres des conseils intercommunaux devait être introduite dans la
loi. Il a été décidé - et la loi du 12 juillet en est le reflet - qu'en
attendant et dans la conjoncture actuelle il fallait répondre « non » à cette
élection au suffrage universel direct des structures intercommunales, car il
s'en dégagerait inévitablement, dans la phase provisoire actuelle, un certain
nombre de rivalités entre l'échelon communal et l'échelon intercommunal,
lesquelles nuiraient au développement de l'intercommunalité.
M. Jacques Machet.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
Prenons l'exemple des communautés urbaines. L'expérience de trente ans montre
que, chaque fois qu'il y a eu une unité personnelle entre le maire du chef-lieu
et la présidence de la communauté urbaine, cela a fonctionné ; là où il y a eu
dissociation des fonctions, on a constaté, et c'est inévitable, rivalité et
atteinte au fonctionnement harmonieux de la structure intercommunale.
M. Jean Arthuis.
Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel.
Ce qui est vrai à cet échelon l'est également à l'échelon des communautés de
communes et des communautés d'aggomération à venir.
Le deuxième argument qui justifie la position de la commission des lois sur le
plan de l'intercommunalité tient au fait que les animateurs, ceux qui
entraînent le mouvement vers l'intercommunalité, sont souvent les maires des
communes concernées. A travers l'instauration d'une incompatibilité, nous
priverions les structures intercommunales du dynamisme et de la capacité
d'entraînement de ces maires. Dans la phase actuelle, il ne fallait pas
dissocier ces deux structures.
Lors de la discussion de la loi du 12 juillet 1999, quasiment tous les
sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent,
considéraient qu'à terme l'élection au suffrage universel direct des membres
des conseils intercommunaux serait inévitable. Je crois que, à terme, le
problème des incompatibilités se posera différemment. Mais en attendant, si
nous voulons donner un élan réel au développement de l'intercommunalité, la
position de sagesse qui nous est proposée s'impose naturellement.
Le troisième aspect que je voudrais rapidement effleurer concerne les
parlementaires européens.
Fallait-il introduire un régime d'incompatibilités différent pour les
parlementaires européens par rapport aux parlementaires nationaux. Il me paraît
probablement encore plus nécessaire pour eux de garder un enracinement local et
le contact avec les réalités.
M. Gérard Delfau.
Certes !
M. Daniel Hoeffel.
Tant qu'un scrutin rapprochant davantage les parlementaires européens des
réalités du terrain - et je pense à un scrutin organisé à l'échelon régional -
ne sera pas entré dans les faits, vouloir introduire un non-cumul radical pour
les parlementaires européens serait incontestablement une erreur.
M. Philippe Arnaud.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Pour conclure, je dirai que le cumul apparaît, bien entendu, comme une
originalité, comme une exception française parmi d'autres. Un mandat, une
personne : c'est probablement, dans le long terme, l'objectif à atteindre, mais
c'est dans l'immédiat un objectif hors de portée dans un pays centralisé, car
il n'est envisageable que dans des Etats fédéraux,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
... et ce n'est pas notre cas.
L'opinion publique a été évoquée. Certes, les sondages montrent que, dans
l'ensemble, elle est opposée au cumul en général, tout en l'acceptant
d'ailleurs volontiers en faveur de son élu en particulier.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel.
Elle exige de l'élu qu'il soit à la fois disponible et efficace, et très
souvent elle considère que l'efficacité de celui-ci passe par l'exercice d'un
mandat à un échelon supérieur. Soyons donc modestes dans l'interprétation qu'il
convient de donner, sur ce plan comme d'ailleurs sur beaucoup d'autres, aux
sondages, lesquels n'ont pas que des vertus.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
C'est dans cet esprit que je voterai le texte qui nous est présenté. Il
constitue un cadre, un plafond. Chaque élu reste en effet finalement libre de
s'appliquer à lui-même, à titre personnel, un non-cumul allant au-delà de ce
que prévoit la loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
ferai trois réflexions.
La première consiste à rebondir sur l'intervention de M. Allouche, et surtout
sur sa conclusion. Attention, vous êtes avertis, nous a-t-il dit, il n'y aura
pas de compromis, ce sera un constat. Ce n'est plus une discussion, c'est un
diktat !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Je le dis comme je
le pense : cette argumentation à l'adresse d'une assemblée à qui la
Constitution a confié la représentation des collectivités territoriales et qui
a prévu sa protection par de longues discussions entre les deux chambres quand
elle est concernée n'est pas acceptable.
(Applaudissements sur les travées
du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Guy Allouche.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Paul Girod ?
M. Paul Girod.
Je vous en prie, monsieur Allouche.
M. le président.
La parole est à M. Allouche, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Guy Allouche.
Cher collègue, je n'ai fait que citer M. le Premier ministre, dont les propos
ont d'ailleurs été rappelés dans l'intervention liminaire de M. le secrétaire
d'Etat.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
C'est inadmissible de la part de M. le Premier ministre !
M. Guy Allouche.
Si vous considérez qu'il s'agit d'un diktat, adressez-vous à M. le Premier
ministre.
Ne considérez donc pas qu'il s'agit des propos de Guy Allouche. Je le répète :
je n'ai fait que citer M. le Premier ministre.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur Allouche, je vous donne acte du fait qu'il ne s'agit pas de vos
paroles. Mais cela ne fait que renforcer mon propos.
Le deuxième aspect de mon intervention concerne tous les grands raisonnements
que l'on nous présente par comparaison avec l'étranger sur le non-cumul des
mandats vécu ici ou là.
M. Guy Allouche.
Personne ne l'a fait !
M. Paul Girod.
Ils ne reposent sur aucun texte ou concernent une pratique à l'échelon
national, celui que nous avons, malheureusement, la myopie de voir seul. Au
sein des Etats fédéraux, qu'il s'agisse des
Länder,
des comtés ou des
Etats américains, la pratique locale, à l'échelon où se crée le pouvoir, n'est
pas tout à fait celle que l'on nous décrit.
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement !
M. Paul Girod.
Pourquoi ce problème se pose-t-il en France ? Parce que nous avons un Etat qui
est centralisé et que, en face du responsable local, il y a le préfet, qui
détient de nombreux pouvoirs, y compris celui de représentation du gouvernement
central. Vis-à-vis du préfet, l'élu local doit avoir un minimum de poids. A ce
niveau, comparaison n'est pas raison. Les enseignements que nous essayons de
tirer de l'étranger me semblent excessifs.
J'en viens à ma troisième réflexion.
Le rôle du Parlement est, de par la Constitution, relativement limité. Il
s'agit d'un rôle de réflexion collective, d'orientation et de détermination de
règles qui s'appliquent aveuglément à tout le monde. C'est d'ailleurs le rôle
des conseillers municipaux dans la commune et des conseillers généraux dans le
département lorsqu'ils n'ont pas la charge de responsabilités exécutives.
A cet échelon-là, il ne peut pas, me semble-t-il, y avoir beaucoup de
problèmes judiciaires de la nature de celle qui a été évoquée tout à l'heure.
Il y a, surtout, une irresponsabilité collective des individus.
Tout autre est le rôle de celui qui détient l'exécutif. Il aura, à un moment
ou à un autre, à proposer, à faire prendre ou à faire appliquer des décisions
ponctuelles s'appliquant à tel ou tel secteur du territoire ou à telle ou telle
catégorie de citoyens. Là se situe ce à quoi le Gouvernement ne s'attaque que
par des moeurs mal décrites et encore plus mal pratiquées, à savoir le conflit
de devoirs au sein de la même personne quand elle détient à la fois deux
pouvoirs exécutifs qui se recouvrent. Que l'on soit ministre et président de
conseil général ne me semble pas acceptable, pas plus qu'être président de
conseil général et maire d'une grande ville du département. En revanche, qu'un
élu local en charge de la réalité de la vie du terrain, puisse apporter le
fruit de son expérience et participer à la réflexion collective du Parlement me
paraît légitime.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Paul Girod.
C'est la raison pour laquelle, tout en regrettant que l'on ne s'attaque pas au
problème tel que je le perçois, je me résigne, en vous priant de m'en excuser,
monsieur le rapporteur, à voter le texte de la commission des lois, qui est
loin d'être parfait sur ce point. Cela étant dit, monsieur le secrétaire
d'Etat, dans une atmosphère de discussion, et non de diktat, le Gouvernement
serait bien avisé de prêter attention aux propos des sénateurs.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
suis toujours surpris que l'on attende le vote d'une loi pour s'appliquer à
soi-même les principes que l'on défend.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest.
Après tout, si l'on considère qu'il est incompatible d'exercer un grand mandat
local et un mandat parlementaire, on peut très bien renoncer à l'un des deux.
Ce serait donner le bon exemple. Cependant, je constate que personne ne le fait
réellement. Comme le disait M. de Rohan, les ministres qui n'ont plus vraiment
de mandat local mais qui exercent réellement le pouvoir local fournissent un
bon exemple de la démonstration selon laquelle on peut donner des leçons aux
autres tout en ne se les appliquant pas à soi-même.
Par ailleurs, un certain nombre de nos collègues ou anciens collègues, que
j'appellerai des repentis car ils ont cumulé tous les mandats pendant de
nombreuses années, déclarent maintenant qu'il ne faut plus cumuler. Je ne fais
allusion à personne, bien entendu !
MM. Pierre Fauchon et Michel Mercier.
Surtout pas !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous avons évoqué longuement la région Nord - Pas-de-Calais. Je pourrais, à
mon tour, citer cette belle région, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche.
Merci !
M. Jean-Jacques Hyest.
En effet, on peut être président de communauté urbaine, Premier ministre,
maire et avoir bien rempli ses fonctions.
Chacun reconnaît en Gaston Defferre un ministre déterminé, qui a mis en oeuvre
la décentralisation, sa volonté n'étant pas partagée par tous à l'époque. Mais
tout le monde se souvient aussi de Gaston Defferre maire de Marseille, et
personne ne dit qu'il a mal exercé ses fonctions parce qu'il était en même
temps ministre de l'intérieur. Je crois donc que c'est un autre débat.
M. Guy Allouche.
Continuez le tableau ! Parlez aussi de Jean Lecanuet, paix à son âme !
M. Jean-Jacques Hyest.
Non, je crois que c'était une limite, et c'est pour cela qu'est intervenue la
loi de 1985. Il y avait beaucoup trop de cumuls dans ce domaine. Mais on
pourrait citer aussi d'autres personnalités.
En même temps, l'envers du débat sur le cumul des mandats tient, à mon avis,
au rôle du Parlement.
En effet - il faut bien le dire - la Constitution a beaucoup limité le rôle du
Parlement. Nombre de parlementaires qui étaient parfois enthousiastes en
prenant leurs fonctions, ici ou à l'Assemblée nationale - ici, nous nous
débrouillons mieux, car, disposant de plus de temps, nous exerçons mieux notre
contrôle - sont vite découragés et préfèrent retourner sur le terrain car,
s'ils n'y sont pas - peut-être est-ce lié aussi au système électoral ? -
d'autres, qui exercent souvent des mandats locaux, s'en occupent ! Je crois
qu'il faut reconnaître cette réalité.
M. Guy Allouche.
Ce que vous dites est gravissime !
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais c'est pourtant la réalité, monsieur Allouche ! On peut toujours rêver
d'une société idéale, mais il faut tenir compte des réalités actuelles !
M. Guy Allouche.
Alors, aggravons le mal !
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur Allouche, je vais vous expliquer où est le mal, qui n'est pas celui
que, avec M. Jospin, vous dénoncez.
Il y a effectivement le problème du rôle du Parlement : tant que, dans notre
démocratie, le pouvoir gouvernemental sera prioritaire et que nous ne
disposerons pas de grands moyens en matière de contrôle, un certain nombre
d'entre nous seront incités à exercer des mandats locaux.
M. Guy Allouche.
Qui a voté en faveur de la Constitution, en 1958 ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Deuxièmement, on nous parle de meilleure diffusion des responsabilités. Tout à
l'heure, l'un de nos collègues disait, à mon avis avec raison, que mieux
vaudrait, au lieu d'interdire le cumul des mandats, réfléchir à la limitation
de la durée de l'exercice de certaines fonctions. Voilà qui permettrait une
respiration de la démocratie. Il n'est en effet pas forcément sain que les gens
exercent pendant de très nombreuses années un mandat, local notamment ;
j'ajoute que des habitudes s'installent parfois... Il y a donc là une réflexion
que nous devrions peut-être mener.
On m'objecte que, de toute façon, l'opinion publique est favorable à la
limitation du cumul des mandats. Je vous rends néanmoins attentifs au fait que
de tels arguments doivent être maniés avec précaution ! En effet, si nous
suivions toujours l'opinion publique... Je ne veux pas vous rappeler un certain
débat de société...
M. Guy Allouche.
L'abolition de la peine de mort !
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui ! Le rôle de l'élu n'est-il pas aussi, parfois, d'éclairer l'opinion
publique et de ne pas suivre cette dernière à tout moment ? C'est une réflexion
que nous devons mener sur la démocratie au lieu de nous lancer des arguments
qui peuvent se retourner vite contre ceux qui les défendent !
M. Guy Allouche.
C'était un engagement électoral !
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais les gens voient les engagements électoraux de façon globale, et non dans
le détail ! Sinon, ils n'auraient certainement pas voté pour la majorité
actuelle !
M. Guy Allouche.
L'engagement avait été pris en 1981 !
M. Jean-Jacques Hyest.
D'ailleurs, nous vous rappellerons, le moment venu, certains engagements qui
n'ont pas été suivis d'effet.
M. Guy Allouche.
Des noms !
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous vous le dirons quand nous ferons le bilan. Cela va être assez rapide
maintenant !
En revanche, l'inconvénient du non-cumul dans notre société telle qu'elle est
- il n'y aurait plus qu'à ajouter la proportionnelle - serait que les élus
n'auraient plus aucun contact avec le terrain et que tout se passerait dans le
VIIe arrondissement de Paris, entre l'ENA et les sièges de quasiment tous les
partis politiques. On aboutirait alors à renforcer encore un phénomène qui
s'est déjà beaucoup développé dans nos institutions politiques : les
parlementaires ne seraient plus que des technocrates ; ils n'auraient plus à se
rendre auprès de leurs électeurs et n'auraient plus qu'à faire plaisir à ceux
qui les désigneraient.
Le problème est donc non pas celui que vous dénoncez, mais celui de la place
des partis politiques en France.
M. Paul Girod.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ces partis n'ont pas la capacité d'accepter une part de représentation
proportionnelle, contrairement à ce qui se passe dans d'autres démocraties
occidentales, telle l'Allemagne, où les partis sont vivants et jouent un rôle
très important dans la vie publique ! Hélas ! - et c'est vraiment de notre
responsabilité aussi - les partis politiques ne sont pas en état de permettre
tant une représentation réelle que l'émergence de nouveaux talents. Il existe
d'ailleurs une contradiction : on reproche au Parlement d'être trop «
monoculturel » et, dans le même temps, on interdirait aux représentants des
chambres de commerce, des chambres d'agriculture et des chambres des métiers de
détenir un mandat. La société civile n'a-t-elle pas vraiment toute sa place au
sein du Parlement ?
La proposition formulée par la commission des lois, après une réflexion
approfondie qui était nécessaire, constitue une étape s'agissant de l'évolution
tant de la coopération intercommunale - M. Daniel Hoeffel l'a dit excellemment
- que des mandats. Il y a eu 1985. Il devrait y avoir 1999, peut-être 2000. Et
on verra, dans quinze ans, si l'évolution de la situation permet d'envisager
une autre étape.
Je suis en effet convaincu que le mandat parlementaire est autre chose qu'un
exécutif local : ainsi, on peut très bien être un excellent parlementaire sans
avoir de mandat exécutif local et, à l'inverse, être un exécutif local sans
exercer de mandat parlementaire.
L'importance que va prendre la décentralisation si, comme je l'espère, de
nouvelles étapes sont franchies - pour l'instant, la réforme est en effet
inachevée - fera à mon avis évoluer la situation vers une absence de cumul, les
élus se consacrant à temps plein à leurs mandats locaux.
J'ajoute - M. Jacques Larché, comme d'autres orateurs, y a fait allusion - que
notre démocratie, avec la tradition de centralisation qui est la sienne, ne
sait pas, contrairement à ce qui se passe dans des pays fédérés, jouer de
toutes les responsabilités. Il serait très dangereux que le lien, notamment
avec les institutions nationales, ne reste pas fort, sous peine de voir
apparaître des potentats ou des pouvoirs locaux qui deviendraient
irresponsables. Notre démocratie est assez fragile pour que cela mérite
réflexion.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous voici, pour la deuxième fois, confrontés au projet de loi sur la
limitation du cumul des mandats et des fonctions, texte attendu par l'opinion
publique et qui a fait l'objet d'un engagement du futur Premier ministre lors
de la campagne des élections législatives de 1997.
J'ai deux raisons d'exprimer mon point de vue à ce sujet et de motiver mon
vote : je me suis appliqué tout au long de ma carrière politique ce principe de
limitation du cumul des mandats. Maire d'une commune de moins de 3 000
habitants à la date de mon élection au Sénat en 1980, je n'ai jamais été
candidat à aucune autre élection depuis, ni au conseil général ni au conseil
régional. Je ne suis même pas membre du bureau de ma communauté de communes,
car j'y ai fait déléguer l'adjoint qui a représenté la municipalité dès
l'origine.
Pourquoi cette attitude ? Parce que l'exercice du mandat de parlementaire
nécessite un engagement à temps plein si, du moins, l'on veut lui donner sa
pleine signification.
Nous sommes, ou nous devrions être, des « spécialistes polyvalents ». Aucun
des aspects de la vie quotidienne des Français ne peut nous échapper :
l'emploi, la santé, l'éducation. Il nous faudrait en outre actualiser sans
cesse nos connaissances dans des matières aussi diverses que le droit, la
philosophie, les institutions, les relations internationales, la défense, etc.
Il serait utile, enfin, de prendre le temps de comparer nos points de vue et
nos pratiques avec ceux des parlementaires étrangers. Qui peut raisonnablement
prétendre avoir le temps d'assumer son mandat de parlementaire national s'il se
trouve à la tête d'un exécutif local du type conseil général, conseil régional,
grande ville, communauté urbaine ou, demain, communauté d'agglomération ?
Logique avec moi-même, j'ai démissionné, en outre, de mon poste de maître de
conférence dès le lendemain de mon élection à la Haute Assemblée. Je menais
jusque-là, dans une université parisienne, une carrière bien remplie
d'enseignant-chercheur.
M. Jean-Jacques Hyest.
Bon exemple !
M. Gérard Delfau.
Les cours et les travaux dirigés devant les étudiants étaient l'essentiel de
mon travail professionnel. Et une grande partie de mon temps allait à la
recherche et aux publications : articles et livres nourrissaient l'enseignement
que je donnais et ponctuaient ma carrière. J'ai abandonné, non sans nostalgie,
les tâches universitaires pour me consacrer aux maires qui m'avaient choisi
pour siéger au Sénat.
(Exclamations sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Mercier.
Ça, c'est beau !
M. Gérard Delfau.
J'ai pensé que ce témoignage devait être donné aussi.
En effet - et c'est la deuxième raison de mon intervention dans ce débat - je
n'ai cessé depuis d'être à la disposition des municipalités, en jouant auprès
d'elles un rôle de médiation, de conseil et d'appui, en les aidant à surmonter
les pièges d'une fonction toujours plus difficile. Et pour cela, chaque
semaine, je me déplace dans plusieurs communes, pour aller sur le terrain
prendre connaissance, moi-même, du dossier en panne que l'élu désespère de voir
aboutir ou du conflit avec les administrations qu'il ne sait comment dénouer.
Je prolonge d'ailleurs ce contact par la publication d'une lettre mensuelle
tirée à 2 500 exemplaires.
Cette double mission consistant à exprimer l'intérêt général en votant la loi
et à faciliter le travail des municipalités suffirait à remplir les journées.
J'y ajoute l'exercice de mon mandat de maire, fort prenant lui aussi et sur
lequel je reviendrai. Et je n'oublie pas des combats plus ponctuels comme La
Poste, le Crédit foncier, les comités de bassin d'emploi, etc., qui me
conduisent régulièrement à traiter des problèmes de fond.
J'ai conscience, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, du
caractère inhabituel de mon propos.
Il n'est pas dans nos traditions, c'est vrai, de parler de soi dans cette
assemblée. Le risque est grand, en outre, que je paraisse faire la leçon à
certains de mes collègues, alors que je cherche seulement à expliquer la
position qui est la mienne dans le débat.
Si j'ai choisi de parler ainsi, c'est que la question de la limitation du
cumul des mandats fut au centre de la campagne que j'ai menée auprès des grands
électeurs, en 1998. J'ai, en somme, des comptes à rendre. Je dois montrer que
ma pratique politique, l'engagement que j'avais pris et les positions que je
défends au Sénat demeurent concordants. En ces temps de discrédit de la
politique, c'est bien le moins que nous puissions faire.
La deuxième raison de mon intervention, c'est que je ne suis convaincu ni par
la position du Gouvernement et de l'Assemblée nationale ni par celle de la
majorité du Sénat.
Le texte du projet de loi souffre d'un double handicap : il traite les
conséquences - le cumul des mandats - et ignore les causes - la dévalorisation
du Parlement sous la Ve République, l'insuffisance du statut de l'élu,
l'abandon de l'esprit des lois Defferre.
Par ailleurs, il prend une position excessive en mettant tous les exécutifs
sur un même plan : président de conseil général, de conseil régional, de
communauté urbaine ou d'agglomération mais aussi maire de Paris, Lyon et
Marseille, ou maire de Romiguières, la plus petite commune de mon département,
soit dix-sept habitants ! Est-ce raisonnable ? Il ne faut pas confondre la
tâche et le poids politique des uns et des autres.
Le Parlement travaille pour la longue durée et non en fonction des modes. Il
nous manque, pour être à l'aise sur ce texte, quand, comme moi, l'on soutient
le Gouvernement, un discours programme du Premier ministre s'engageant,
concurremment à la limitation du cumul des mandats, sur trois chantiers : la
revalorisation du rôle du Parlement, car là est la principale raison de
l'absentéisme ; une nouvelle étape dans la décentralisation, alors que la
politique actuelle est ressentie par les élus comme une volonté de brider leur
pouvoir au profit de celui des préfets ; enfin, le statut de l'élu, au moment
où les maires affrontent une crise de confiance dans leurs missions et les
conditions de l'exercice de leur mandat.
Je ne puis pas dire que les toutes dernières déclarations du Premier ministre
m'aient rassuré sur ces sujets, sans parler du silence obstiné du Gouvernement
sur l'incompatibilité entre la fonction de ministre et celle de maire d'une
grande ville.
Mais la position de la majorité du Sénat ne me satisfait pas davantage :
quelles que soient les préventions que peut nourrir le texte issu de
l'Assemblée nationale, le moment semble venu, ne serait-ce qu'au nom du
réalisme, de faire un pas de plus par rapport à la loi de 1985 en édictant une
incompatibilité entre le mandat parlementaire et un exécutif du type président
de conseil général, de conseil régional, président d'une communauté urbaine ou
d'agglomération, ainsi que maire d'une grande ville.
S'en tenir, comme le veut la commission des lois, à la règle selon laquelle un
mandat de parlementaire est compatible avec un exécutif, quelle que soit la
charge et le degré d'influence, sera ressenti à juste titre comme une dérobade.
Et le Sénat sortira une fois encore affaibli de cette discussion. C'est
pourquoi je ne pourrai apporter mon appui à la commission des lois.
Il me faut à présent préciser ma propre position. Fruit d'un compromis entre
deux logiques contradictoires, elle consiste à faire un pas de plus,
significatif, dans la limitation du cumul des mandats et des fonctions, sans
toutefois couper le député ou le sénateur de la réalité locale et du vécu de
ses concitoyens.
La prolongation de la loi de 1985 s'impose certes pour des raisons de
disponibilité du parlementaire mais plus encore, peut-être, afin de faire
accéder plus de citoyens à des postes de responsabilité. En effet, partager le
pouvoir, empêcher la constitution de baronnies locales qui défient l'intérêt
général, tel devrait être le fil conducteur explicite de ce projet de loi. Ces
préoccupations me rapprochent du texte de l'Assemblée nationale.
En revanche, l'incompatibilité voulue par mes collègues députés entre la
fonction de maire d'une petite ou d'une moyenne commune et celle de
parlementaire me semble une régression de la démocratie.
Je m'explique : le Parlement est aujourd'hui frappé d'un certain discrédit en
raison de sa faible influence sur les décisions de l'exécutif. Les citoyens
ont, en outre, l'impression - pas toujours fausse - qu'il est peuplé de
professionnels de la politique, en général issus des grandes écoles et
largement interchangeables.
Or, jusqu'ici, l'élection de maire était la voie normale qu'empruntaient les
agriculteurs, les salariés, les chefs d'entreprise et autres professions
libérales qui, voulant accéder à un mandat national, passaient en somme par
cette forme de promotion interne.
Est-ce à cela que le gouvernement de gauche nous demande de renoncer ? Veut-il
réserver le mandat de parlementaire aux fils de famille et aux « héritiers »,
décrits autrefois par l'ouvrage de Bourdieu-Passeron ?
Mais il faut aller plus loin dans le raisonnement. Etre ancré dans la vie
professionnelle au moment de l'élection ne suffit pas. Seul l'exercice
hebdomadaire d'un mandat de maire oblige à garder le contact direct avec la
population et donne cette expérience et ces repères si utiles dans le débat au
Parlement : j'irais volontiers jusqu'à en faire une obligation pour nos députés
européens.
Imaginons qu'un autre gouvernement choisisse de généraliser le mode d'élection
à la proportionnelle et la victoire de la technostructure et des appareils
politiques serait complète. L'exemple de l'Italie qui fut, jusqu'à peu de
temps, ingouvernable et celui de l'Autriche, en ce moment même, montrent le
risque qui nous guette, à terme, si nous faisons un pas de plus dans cette voie
de sélection de nos « élites ». Notre démocratie est-elle si bien portante ?
Qu'on ne compte pas sur moi, en tout cas, pour participer à cet aveuglement
!
Je sais bien que ma position est, pour le moment, minoritaire au sein du
Parlement. Mais je constate qu'elle est comprise et approuvée par les élus
locaux et par mes concitoyens chaque fois que je l'expose.
D'une certaine façon, je prends date. Pas seulement dans le déroulement de ce
débat par l'amendement que je défendrai mais, au-delà, en resituant ce texte de
loi dans sa vraie dimension : rééquilibrer les institutions de la Ve
République, doter les élus d'un statut compatible avec leurs nouvelles
missions, donner un prolongement aux lois Defferre. Tels sont quelques-uns des
chantiers que je souhaite voir ouverts par le Gouvernement. Il sera alors plus
crédible dans sa volonté de réformer l'exercice des mandats locaux et
nationaux.
Je suis évidemment favorable à deux dispositifs contenus dans les textes de
loi qui nous sont soumis : d'abord, une revalorisation, trop faible cependant,
des indemnités des élus locaux ; ensuite, le renforcement de l'incompatibilité
d'un mandat parlementaire et des fonctions situées au coeur du pouvoir
politique de décision. Ces deux propositions présentent toutefois un caractère
incontestablement accessoire par rapport aux questions que j'ai longuement
évoquées.
Au terme de cette réflexion, personne ne s'étonnera que je ne puisse suivre en
l'état ni la position de la majorité du Sénat, ni celle qui a été adoptée par
l'Assemblée nationale et soutenue par le Gouvernement. Sauf évolution sensible
du texte en cours de discussion, je m'abstiendrai donc.
(Applaudissements
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
A l'issue de cette discussion générale, je voudrais
simplement formuler trois observations.
Ma première observation porte sur l'intercommunalité qui a notamment été
abordée par MM. Larché et Hoeffel.
Le débat sur l'opportunité d'étendre les régimes de non-cumul aux présidents
des communautés urbaines, des communautés d'agglomérations, et des communautés
de communes a eu lieu en première lecture et s'est prolongé au sein de la
commission des lois.
A cet égard, je partage l'opinion qui a été émise dans cette assemblée selon
laquelle il serait prématuré, si peu de temps après le vote du texte sur
l'intercommunalité, dont l'objectif consiste à faire progresser les structures
intercommunales, de viser, au titre du non-cumul des mandats, les fonctions de
président d'un établissement public de coopération intercommunale.
En effet, nous nous trouvons face à des structures intercommunales dont les
responsables ne sont pas élus au suffrage universel. Par conséquent, placer ces
fonctions sur le même plan que celles de maire pourrait effectivement
compromettre la progression de l'intercommunalité, qui se poursuit grâce à
l'adoption de la loi du 12 juillet 1999. Voilà donc un sujet de discussion qui
alimentera cet après-midi l'examen des amendements.
Dans l'état actuel des choses, il me semble que l'intercommunalité ne doit pas
être concernée par la législation relative au cumul des mandats. En effet,
l'élection au suffrage universel n'a pas été retenue pour les communautés
urbaines. Il est toutefois probable qu'une évolution se dessine car la logique
républicaine veut que, dès lors qu'une fiscalité propre existe, elle soit
décidée par des élus désignés au suffrage universel direct.
Ma deuxième observation portera sur la situation actuelle. Je me permettrai de
citer maintenant des chiffres illustrant l'état des lieux dans les deux
assemblées en matière de cumul des mandats.
A l'Assemblée nationale, 299 députés sont maires, 15 président un conseil
général et 10 un conseil régional. Au total, 324 députés, soit un peu plus de
64 % des membres du Palais-Bourbon, sont donc dans la situation de cumul visée
par la proposition du Gouvernement.
Ils sont neuf à pouvoir, en raison de la petitesse de leur commune, cumuler
les trois mandats de député, président d'un conseil général et maire et cinq à
pouvoir, pour la même raison, être à la fois député, président de conseil
régional et maire. Seuls ces quatorze derniers seraient visés par le texte
adopté par la commission des lois du Sénat.
Force est de constater que les sénateurs font preuve en matière de non-cumul
d'un peu plus de vertu que les députés : 137 sénateurs sont maires, 34
président un conseil général et un seul préside un conseil régional, soit un
total de 172 et un pourcentage inférieur à celui qui est enregistré à
l'Assemblée nationale puisqu'il est légèrement supérieur à 58 %.
MM. Jean-Philippe Lachenaud et Henri de Raincourt.
Ces chiffres sont faux !
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le secrétaire
d'Etat ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de M. le secrétaire
d'Etat.
M. Jacques Larché,
rapporteur.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vos propos démontrent
parfaitement que, dans cette matière, le comportement personnel de chacun est
la règle à suivre. Nous faisons ce que nous entendons ! Nous nous soumettons à
l'appréciation de nos électeurs nous considérons que la position que nous avons
adoptée jusqu'à présent vient simplement renforcer cette tendance à la
modération qui est la nôtre.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je poursuis en évoquant les sénateurs qui cumulent
trois mandats ou trois fonctions.
Les sénateurs à la fois, présidents d'un conseil général et maires d'une
petite commune sont au nombre de 23 pour un seul sénateur président à la fois
d'un conseil régional et maire. Telle est la situation au sein des deux
assemblées.
M. Emmanuel Hamel.
Et combien ne cumulent rien ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Ce sont tous les autres et vous êtes d'ailleurs parmi
eux, monsieur Hamel...
(Sourires.)
Ils peuvent toutefois détenir un mandat de conseiller municipal, de
conseiller général ou de conseiller régional.
La troisième observation porte sur les remarques formulées par M. le
rapporteur, MM. Paul Girod et Hyest quant à la situation de notre pays. Il y
aurait - les deux expressions ont été utilisées ce matin - une exception
française ou un mal français.
De ce point de vue, je suis convaincu de la justesse de la réflexion de M.
Paul Girod qui l'a illustrée par une démonstration très claire.
Le cumul des mandats dans notre démocratie est l'antidote de la
centralisation. Parce que l'Etat était centralisé, parce qu'il fallait faire
face aux préfets et, surtout, parce qu'il fallait plaider les dossiers auprès
des ministères parisiens, il est apparu naturel que le cumul des mandats dans
notre pays devienne la règle commune.
M. Emmanuel Hamel.
Eh oui !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
C'est dans cette trame historique de centralisation
que s'est instauré, à la différence, il est vrai, des autres pays, le cumul des
mandats.
Aujourd'hui, nous nous inscrivons dans un mouvement de décentralisation qui a
pris un caractère général depuis 1982 et qui ne me paraît pas constituer une
menace pour l'unité nationale. Dans ces conditions, je partage l'analyse du
Gouvernement selon laquelle il est temps de mettre un terme à cette exception
française dorénavant injustifiée.
M. Larché disait tout à l'heure que les électeurs choisissent, que chacun peut
modérer ses appétits de pouvoir. Mais je ne crois pas que le problème se pose
véritablement en ces termes.
Auparavant, l'équilibre du système exigeait le cumul des mandats, seul garant
de la capacité des élus locaux de résister à un pouvoir central fort.
Nous vivons aujourd'hui à l'ère de la décentralisation, qui vous impose de
passer à une réflexion plus générale. Compte tenu des évolutions enregistrées
en matière de décentralisation, le cumul des mandats doit, à mon sens, subir
des restrictions beaucoup plus importantes que celles auxquelles le Sénat se
dit prêt à consentir.
Mais, monsieur Girod, il nous reste encore la discussion des articles, pour
que les esprits évoluent. Voilà, monsieur le président, ce que je souhaitais
préciser à l'issue de cette discussion générale.
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre maintenant nos travaux. Nous les
reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures cinq,
sous la présidence de M. Jacques Valade, vice-président.)