Séance du 3 novembre 1999
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Convocation du Parlement en Congrès
(p.
1
).
3.
Souhaits de bienvenue à une délégation du Vanuatu
(p.
2
).
4.
Candidature à une délégation parlementaire
(p.
3
).
5.
Réduction négociée du temps de travail.
- Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
(p.
4
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Joseph Ostermann, Aymeri de
Montesquiou, Jean-Luc Mélenchon, Louis Moinard, André Jourdain, Serge Lagauche,
Philippe Arnaud, Patrick Lassourd.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité ; M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Clôture de la discussion générale.
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
6.
Nomination d'un membre d'une délégation parlementaire
(p.
5
).
7.
Réduction négociée du temps de travail.
- Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
(p.
6
).
Articles additionnels avant l'article 1er (p. 7 )
Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre, MM. Guy
Fischer, Jean-Luc Mélenchon, Alain Gournac. - Adoption de l'amendement insérant
un article additionnel.
Amendement n° 2 de la commission et sous-amendement n° 58 de M. Gournac. - MM.
le rapporteur, Alain Gournac, Mme le ministre, MM. Guy Fischer, Jean-Pierre
Fourcade, Mme Nelly Olin. - Retrait du sous-amendement ; adoption de
l'amendement insérant un article additionnel.
Intitulé du chapitre Ier (réserve) (p. 8 )
Amendement n° 144 de la commission. - Réserve.
Article 1er (p. 9 )
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales ; Mmes
Gisèle Printz, Hélène Luc, Danielle Bidard-Reydet, MM. Alain Gournac, Alain
Vasselle, Mme le ministre, MM. Patrick Lassourd, Jean-Luc Mélenchon.
Amendements n°s 3 de la commission et 79 de M. Machet. - MM. le rapporteur,
Jacques Machet, Mme le ministre, M. Alain Gournac, Mme Marie-Madeleine
Dieulangard, MM. Alain Vasselle, Guy Fischer, Patrick Lassourd. - Adoption de
l'amendement n° 3, l'amendement n° 79 devenant sans objet.
Amendement n° 94 de M. Fischer. - Mme Nicole Borvo, M. le rapporteur, Mme le
ministre. - Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Suspension et reprise de la séance
(p.
10
)
Articles additionnels avant l'article 1er
bis
(p.
11
)
Amendement n° 4 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre, MM. Guy
Fischer, Patrick Lassourd. - Adoption de l'amendement insérant un article
additionnel.
Amendement n° 5 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre, MM.
Alain Vasselle, Charles Revet, Guy Fischer. - Adoption de l'amendement insérant
un article additionnel.
Article 1er bis (p. 12 )
Amendement n° 6 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre, M. Alain Gournac. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Article 1er ter (p. 13 )
MM. Marcel Deneux, Bernard Cazeau, Jean-Luc Mélenchon, Mme le ministre.
Amendements n°s 59 de M. Lassourd, 7 de la commission et sous-amendement n° 148
de M. Chérioux ; amendements n°s 60 de M. Gournac et 49 de M. Deneux. - MM.
Patrick Lassourd, le rapporteur, Jean Chérioux, Alain Gournac, Marcel Deneux,
Mme le ministre, MM. Robert Bret, Alain Vasselle, Jean-Luc Mélenchon. - Retrait
des amendements n°s 59, 60 et 49 ; adoption du sous-amendement n° 148 et de
l'amendement n° 7 modifié.
Adoption de l'article modifié.
Article 1er quater (p. 14 )
Amendement n° 8 de la commission et sous-amendements identiques n°s 71 de M.
Michel Mercier et 91 rectifié de M. Chérioux. - MM. le rapporteur, Michel
Mercier, Jean Chérioux, Mme le ministre, M. Robert Bret. - Adoption des
sous-amendements n°s 71, 91 rectifié et de l'amendement n° 8 modifié.
Adoption de l'article modifié.
Article 1er quinquies (p. 15 )
Amendement n° 9 de la commission et sous-amendements n°s 149 de M. Chérioux et
76 rectifié de M. Revet ; amendement n° 72 de M. Michel Mercier. - MM. le
rapporteur, Jean Chérioux, Charles Revet, Michel Mercier, Mme le ministre, MM.
Guy Fischer, Alain Vasselle. - Retrait du sous-amendement n° 76 rectifié et de
l'amendement n° 72 ; adoption du sous-amendement n° 149 et de l'amendement n° 9
modifié.
Adoption de l'article modifié.
Article 2 (p. 16 )
M. Guy Fischer, Mme Nelly Olin, M. Alain Vasselle.
Renvoi de la suite de la discussion.
8.
Dépôt de projets de loi
(p.
17
).
9.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
18
).
10.
Dépôt de propositions de résolution
(p.
19
).
11.
Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
20
).
12.
Renvoi pour avis
(p.
21
).
13.
Dépôt de rapports
(p.
22
).
14.
Ordre du jour
(p.
23
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
CONVOCATION DU PARLEMENT EN CONGRÈS
M. le président. M. le président a reçu de M. le Président de la République la lettre suivante :
« Paris, le 2 novembre 1999.
« Monsieur le président,
« Les projets de loi constitutionnelle suivants :
« - projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la
magistrature ;
« - projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la
Nouvelle-Calédonie,
ont été votés en termes identiques respectivement par l'Assemblée nationale le
6 octobre 1998 et le 10 juin 1999 et par le Sénat le 18 novembre 1998 et le 12
octobre 1999.
« Comme je vous l'ai indiqué lors de notre entretien du 27 octobre dernier,
j'ai décidé de soumettre ces projets au Congrès en vue de leur approbation
définitive dans les conditions prévues par l'article 89 de la Constitution.
« Je vous adresse, ci-joint, avant sa publication au
Journal officiel,
le décret de convocation du Congrès auquel sont annexés les textes des
projets de loi constitutionnelle que cette assemblée aura à examiner le 24
janvier 2000.
« Veuillez croire, monsieur le président, à l'assurance de ma haute
considération. »
« Signé : JACQUES CHIRAC »
Je vais vous donner lecture de l'article 2 du décret :
«
Art. 2. -
L'ordre du jour du Congrès est fixé ainsi qu'il suit :
« 1. Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur
de la magistrature ;
« 2. Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie
française et à la Nouvelle-Calédonie. »
Acte est donné de cette communication.
3
SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION DU VANUATU
M. le président.
Mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans
notre tribune officielle, d'une délégation du Vanuatu, conduite par M. Donald
Kalpokas, Premier ministre du Vanuatu.
Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie qu'ils
portent à notre institution.
Cette délégation est accompagnée par notre collègue Guy Cabanel, président de
notre groupe d'amitié.
Au nom du Sénat de la République, je leur souhaite la bienvenue et je forme
des voeux pour que leur séjour en France contribue à renforcer les liens
d'amitié entre nos pays.
(Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, Mmes et MM. les
sénateurs se lèvent et applaudissent.)
4
CANDIDATURE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
M. le président.
L'ordre du jour appelle la désignation d'un membre de la délégation du Sénat
aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes, en remplacement de Mme Lucette Michaux-Chevry, démissionnaire.
Le groupe du Rassemblement pour la République m'a fait connaître qu'il
présentait la candidature de M. Yann Gaillard.
Cette candidature a été affichée. Elle sera ratifiée si la présidence ne
reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.
5
RÉDUCTION NÉGOCIÉE
DU TEMPS DE TRAVAIL
Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 22,
1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence,
relatif à la réduction négociée du temps de travail. [Rapport n° 30
(1999-2000).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est le
second projet de loi relatif à la réduction du temps du travail qui est soumis
à notre examen.
Ayant passé plus d'un quart de siècle à gérer et à développer une entreprise,
je constate que, contrairement au bon vin, vos intentions à l'égard des
entreprises ne s'améliorent pas avec le temps, madame la ministre. Travailler
moins et gagner plus, c'est le rêve de tout un chacun. Mais la France seule
peut-elle s'offrir ce luxe ?
Votre texte est inacceptable, d'une part, parce qu'il persévère dans son
application uniforme et contraignante, ignorant ainsi la diversité du tissu
économique français et, d'autre part, parce qu'il est révélateur de la méfiance
dont fait preuve votre majorité à l'égard de nos entrepreneurs, et ce par pure
crispation idéologique. Oui, mais au fait, les entrepreneurs, notamment ceux
qui dirigent les structures les plus petites, souhaiteraient également
travailler moins, peut-être sans gagner plus. Les charges diverses pesant de
plus en plus fortement sur le travail leur font passer cette envie. Cette loi
les pénalise une fois de plus.
En suivant les débats à l'Assemblée nationale, j'ai en effet été choqué à la
fois par les propos tenus à l'égard des responsables de nos entreprises et par
le durcissement du texte. J'y reviendrai dans quelques instants. Je conçois et
je comprends que le débat démocratique soit nécessaire. Cependant, nul doute,
madame la ministre, que les députés de votre majorité seront nombreux à créer
leur entreprise, à embaucher du personnel peu qualifié et démontreront ainsi,
par leur perspicacité, que gérer une entreprise, une PME notamment, confrontée
aux contrôles incessants et à une paperasserie contraignante est un jeu
d'enfant. Ou bien les donneurs de leçons se contenteront-ils d'appliquer le
vieil adage : faites ce que je dis, mais ne regardez pas ce que je fais.
Il est ainsi regrettable que, malgré les résultats peu vérifiables de la
première loi en termes de créations d'emploi, vous persistiez à imposer un
système contraignant, uniforme et totalement dépassé dans sa conception de
l'entreprise.
Les entreprises créatrices d'emplois, madame la ministre, ne sont plus les
grandes entreprises industrielles, ce sont les PME, en particulier dans le
secteur des services.
Permettez-moi de vous rappeler, pour vous en convaincre, que 99 % des
entreprises créées chaque année comptent moins de dix salariés.
La contribution des très petites entreprises à la création d'emplois est
importante puisqu'elle représente 288 000 emplois en 1998. Or le dispositif que
vous proposez, dont l'objectif initial, passé au second plan, est la lutte
contre le chômage, n'est nullement adapté aux besoins des petites entreprises
et, pis encore, menace le dynamisme de leur activité.
Je rencontre régulièrement les patrons de PME de mon département, en
particulier les artisans et commerçants, hôteliers, restaurateurs,
électriciens, chauffagistes. Tous s'accordent sur les conditions qui leur
permettraient de créer les emplois qu'ils hésitent aujourd'hui à créer du fait
d'une conjoncture instable et des rigidités administratives.
Premièrement, ils souhaitent un droit du travail plus flexible afin d'acquérir
la souplesse d'organisation nécessaire pour faire face aux variations de leur
carnet de commandes. Or le présent texte vient encore complexifier et
rigidifier la législation.
La deuxième attente des PME à l'égard de la politique de l'emploi a trait à la
simplification de la législation.
La complexité du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ne les
rassure ainsi nullement et risque de réduire à néant les efforts de votre
collègue Mme Lebranchu pour simplifier les formalités administratives. Force
est de constater que le présent projet de loi fera les beaux jours des
juristes, entraînera une multiplication des contrôles ainsi que des sanctions
financières, et encombrera encore un peu plus les juridictions.
Le troisième type de mesures attendues par les PME est une réforme de la
formation professionnelle, qui s'adapte mal à l'évolution de leurs besoins. Il
y aurait là un gisement formidable à explorer.
Permettez-moi de vous rappeler que de nombreuses professions, principalement
artisanales, peinent à trouver du personnel qualifié sur le marché. Ce ne sont
donc pas les 35 heures qui vont les inciter à créer les emplois qui n'existent
pas. Vous voulez apporter une réponse quantitative à un problème qualitatif.
Avant d'imposer les 35 heures, dont l'efficacité est discutable et le coût
prohibitif, ne serait-il pas plus efficace de réformer la formation
professionnelle, parent pauvre de notre système éducatif ?
Enfin, les PME attendent la poursuite de la politique de réduction de la
fiscalité et des charges, déjà amorcée par le gouvernement Juppé ; votre texte
va dans ce sens. En revanche, le plan de financement du présent projet de loi,
totalement irréaliste, ne rassurera guère les entrepreneurs.
Les PME vont à nouveau être mises à contribution, que ce soit à travers
l'écotaxe - qui devrait inciter à lutter contre la pollution - la taxe sur le
chiffre d'affaires ou la taxation des heures supplémentaires. En plus du coût
induit par la réduction des horaires, elles devront ainsi financer elles-mêmes
les aides qui leur sont accordées. Est-ce bien logique ?
Comment pouvez-vous légiférer ainsi à l'encontre des intérêts des entreprises,
et donc de l'emploi au moins à court et à moyen terme ?
Votre projet de loi risque d'avoir plusieurs conséquences fâcheuses pour les
entreprises. J'en citerai quelques-unes.
La première conséquence tient au fait que les entreprises dotées d'une
structure suffisamment solide seront certainement tentées par la
délocalisation. Certains secteurs déjà fortement affectés par ce phénomène,
tels que l'industrie textile et la chaussure, risquent ainsi d'être
définitivement sinistrés. Par ailleurs, nombre de projets d'implantation
d'entreprises étrangères seront certainement remis en question.
La deuxième conséquence touchera les régions frontalières, où nos entreprises
sont soumises à la concurrence directe des entreprises étrangères. On peut
craindre pour elles au mieux une baisse des commandes, au pire des fermetures.
Mais il faut surtout redouter une fuite de compétences, les salaires étant
différents d'un côté et de l'autre de la frontière. Ce sera notamment le cas
dans le secteur des transports.
La troisième conséquence possible est un recours accru des moyennes et des
grandes entreprises à la sous-traitance, secteur essentiellement composé de
petites entreprises ; celles-ci sont les moins armées pour absorber le choc des
35 heures, ce qui risque d'aggraver les dérives que nous connaissons déjà
aujourd'hui.
Enfin, les entreprises dont la production est déjà partiellement robotisée
régleront le passage aux 35 heures en investissant dans un robot
supplémentaire. Ce sont donc les toutes petites entreprises qui se trouveront,
à court terme, face à ce texte, qui est totalement inadapté à leur taille.
Si l'on peut, à la limite, admettre que le Gouvernement fait preuve de bonne
foi en réduisant le temps de travail, persuadé qu'il est que cela créera des
emplois - l'enfer est pavé de bonnes intentions ! - il est en revanche
inadmissible qu'il se montre aussi méfiant et aussi cynique à l'égard des
entreprises de ce pays. C'est pourtant grâce aux entreprises que l'économie
d'un pays se développe.
Le débat à l'Assemblée nationale fut très éclairant sur ce point. Il constitue
une illustration parfaite du jusqu'au-boutisme idéologique de la majorité
gouvernementale.
Ainsi, certaines entreprises et branches ont bien naïvement accepté de jouer
le jeu de la négociation après l'adoption de la première loi, vous permettant
ainsi d'annoncer des créations d'emploi et de vous féliciter du dynamisme du
dialogue social. Comment sont-elles récompensées aujourd'hui ? Le fruit des
accords qu'elles ont signés avec les partenaires sociaux est tout simplement
ignoré.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale, renouant, avec une certaine délectation,
semble-t-il, avec la lutte des classes, est venue durcir le texte. Les députés
communistes ont, par exemple, conditionné l'octroi des baisses de charges à la
création d'emplois, condition qui avait été abandonnée par le Gouvernement à la
suite du bilan décevant de la première loi.
(M. Jean-Luc Mélenchon
s'exclame.)
Le plus regrettable est que cette crispation idéologique ne soit que de pur
principe. Aucun objectif quantitatif n'est en effet fixé quant au nombre
d'emplois à créer, les aides étant fonction de la réduction du temps de
travail. Cette disposition risque toutefois, malheureusement, je le répète, de
pénaliser les petites entreprises. Il est en effet beaucoup moins aisé de créer
un seul emploi dans une petite entreprise que dans une grande. Dans les
entreprises de moins de neuf salariés, cette disposition n'est d'ailleurs
mathématiquement pas applicable.
A activité égale, seule une réduction du travail de quatre heures appliquée à
au moins dix salariés peut théoriquement entraîner la création d'un emploi à
temps plein.
Une fois encore, la crispation idéologique se fait au détriment du réalisme
économique et contre les entrepreneurs qui essaient modestement de maximiser
leur profit et de créer ainsi des emplois et non, contrairement à ce que
semblent encore croire certains lecteurs assidus d'Emile Zola, d'exploiter la
grande masse silencieuse.
Ce qui est, à mon sens, le plus choquant, c'est que cette méfiance à l'égard
des chefs d'entreprise n'est même pas contrebalancée par une protection accrue
du salarié. Le texte adopté par l'Assemblée nationale a, en effet, introduit de
nombreuses inégalités entre les salariés. Ces dernières ayant été relevées hier
soir, je n'y reviendrai pas.
Je citerai donc juste, sans entrer dans le détail, le cas des salariés à temps
partiel rémunérés au SMIC.
J'évoquerai par ailleurs la limitation des possibilités de recours aux heures
supplémentaires. En taxant de surcroît ces dernières, vous pénalisez non
seulement les entreprises mais aussi et surtout les salariés qui, contrairement
à ce que l'on semble penser, souhaitent non pas forcément tous travailler moins
mais gagner plus. La société des loisirs est un mythe. Jusqu'à preuve du
contraire, le travail reste le principal moyen d'insertion dans notre
société.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ah bon ?
M. Joseph Ostermann.
Pour conclure, permettez-moi à nouveau de dénoncer le caractère dangereux de
ce projet de loi.
Certes, madame la ministre, il est indéniable que l'emploi s'améliore ; les
statistiques le prouvent. Mais si l'emploi s'améliore, c'est grâce, entre
autres choses, à la création de près de 300 000 emplois-jeunes, qui sont des
emplois publics déguisés, et à la reprise de la croissance économique. Ne nous
y trompons pas ! La création des emplois marchands est due non au seul
gouvernement, mais aux entreprises. Rendons aux entrepreneurs cet hommage, car
ils le méritent !
Je crains que votre dispositif contraignant et coûteux pour l'entreprise
n'inverse cette dynamique à moyen terme. Le moindre choc économique ne
permettra pas à l'Etat de faire face à ces charges nouvelles.
Il n'est pas encore trop tard non pour faire marche arrière - vous ne le ferez
pas - mais pour mettre un terme à un entêtement suicidaire.
On peut d'ailleurs douter que cet entêtement soit totalement sincère lorsque
l'on a à l'esprit les propos hostiles aux 35 heures que vous teniez ici ou là
avant votre arrivée au Gouvernement, madame la ministre.
Sans modifications fortes, je ne pourrai voter un texte qui touchera de plein
fouet les personnels les moins qualifiés et qui va, à mon avis, à l'encontre
des intérêts de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 35 heures
hebdomadaires, pourquoi pas ! La logique de diminution progressive du temps de
travail est inscrite dans notre histoire sociale.
Mais pourquoi obliger à travailler 35 heures ? Que des salariés puissent
assurer leur existence avec moins d'heures de travail, c'est leur choix ; mais
qu'en est-il de ceux qui veulent travailler davantage pour jouir d'une plus
grande liberté matérielle ? C'est ma première inquiétude et ma première
question, madame la ministre.
L'objectif de ce texte est la création d'emplois, préoccupation partagée par
l'ensemble des femmes et des hommes politiques. Le doute est cependant permis
quant à l'efficacité de celui-ci. Même votre ancien collègue le secrétaire
d'Etat Jacques Dondoux n'a pu retenir une de ses facéties en déclarant ceci : «
Ce qui est sûr, c'est qu'il est pas sûr que cette loi crée un seul emploi. »
(Sourires.)
Madame la ministre, le Gouvernement français est, hélas ! le
seul en Europe à croire que la mise en oeuvre de ce texte, coûteuse et dont le
financement n'est pas assuré, est la meilleure manière de créer des emplois.
Cela devrait vous interpeller.
Dans mon propos, je voudrais uniquement souligner certaines conséquences de
votre loi pour « la première entreprise de France », l'artisanat, qui concerne
1,5 million de salariés, ainsi que pour les petites entreprises traditionnelles
et les entreprises de nouvelles technologies.
Leur domaine, leurs espoirs et leurs structures sont bien sûr très éloignés
des sociétés qui trônent au CAC 40. Elles ne peuvent pas, comme celles-ci,
s'expatrier, poussées hors de France par la pression fiscale ou les charges,
car la vie quotidienne, affective et locale des artisans se confond avec celle
de leur entreprise.
Je n'aurai pas la discourtoisie d'imaginer que, depuis votre première loi sur
les 35 heures, votée le 13 juin 1998, vous êtes restée confinée dans votre
ministère ou dans votre bureau d'adjoint au maire de Lille. Je suppose que vous
avez rencontré des artisans ; je suppose que les artisans du Nord ont des
réactions très proches de celles des artisans du Gers sur votre texte. Ceux que
je rencontre me disent que ce projet de loi est injuste, inefficace et
inapplicable.
Premièrement, ce texte contribuera à alourdir encore et toujours les horaires
des artisans-entrepreneurs, car 80 % d'entre eux n'ont qu'un, deux ou trois
salariés. Ces chefs de petites entreprises s'interrogent : comment faire
fonctionner leur entreprise avec une réduction du temps de travail de leurs
salariés et sans la souplesse que confère un nombre suffisant d'heures
supplémentaires ? Leur conclusion est la même : ce sont eux qui devront
personnellement se substituer à leurs salariés alors qu'ils ont déjà des
journées très pénibles. Imaginez-vous, madame la ministre, qu'ils vont pouvoir
réduire leur propre durée de travail hebdomadaire à 35 heures ? Ils travaillent
souvent 50 ou 60 heures. Ils devront travailler encore plus pour rester dans la
légalité quant à leurs salariés ou pour préserver la vie de leur entreprise.
Deuxièmement, je crains sincèrement que votre texte ne crée pas d'emplois pour
autant. Vous allez me rétorquer que des syndicats ont signé un accord avec
vous. Alors, je m'interroge : les maçons, plombiers, plâtriers, charcutiers ou
autres que vous rencontrez...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Les gaveuses d'oies !
M. Aymeri de Montesquiou.
... et qui ne doivent pas être très différents de ceux avec lesquels j'ai
l'occasion de m'entretenir doivent vous dire qu'ils sont dans l'incapacité
d'embaucher, par manque de vocations. Ainsi, l'hypothétique création d'emplois
par le biais de votre loi ne pourra quasiment pas être mise en oeuvre dans
l'artisanat, faute de candidats, entre autres raisons. Et je ne développerai
pas, car je suis certain que vous en êtes consciente, le problème du travail au
noir vers lequel vous poussez les salariés dont les salaires sont bloqués, et
parfois en baisse, et qui disposent de plus de temps libre.
M. Jean-Claude Carle.
Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou.
Troisièmement et surtout, votre texte compromet l'égalité des chances. Madame
la ministre, sur toutes les travées de cette assemblée, chacun, peut-être par
des chemins différents, veut une plus grande égalité des chances. Contrairement
à ce que vous proclamez, votre loi est un obstacle majeur à cet objectif.
J'illustrerai cette affirmation par un seul exemple. Mon département a
bénéficié, dans la première moitié de ce siècle, d'une forte immigration
italienne. Ces Italiens sont arrivés pauvres, et souvent même très pauvres,
mais riches de leur courage, de leur savoir-faire, de leur volonté. Ils sont
aujourd'hui à la tête d'exploitations agricoles performantes ou de PME
dynamiques. Imaginez-vous qu'ils ont travaillé 35 heures par semaine pour
parvenir à ce résultat ? Imaginez-vous que votre loi leur aurait permis de
créer, par leur seul travail, un tel partimoine ?
Que répondez-vous à un salarié qui gagne 8 500 francs par mois grâce aux
heures supplémentaires et dont vous allez ramener le salaire à 7 500 francs ?
Pour vous, le fait de gagner 1 000 francs de plus ou de moins par mois est-il
indifférent ?
Qu'allez-vous conseiller au salarié qui vous dit qu'il veut travailler
davantage pour améliorer son logement, pour assurer des études à ses enfants,
pour se garantir une retraite digne ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Et les chômeurs ?
M. Aymeri de Montesquiou.
Qu'allez-vous répondre au jeune qui veut créer son entreprise artisanale avec
des camarades ? De travailler 35 heures ? Et pour quels revenus ?
Cette loi, en interdisant en particulier aux plus modestes d'améliorer leur
qualité d'existence, est antisociale. Les exemples que j'ai choisis sont tirés
de la vie quotidienne. Ils traduisent les aspirations de ceux qui veulent avoir
la liberté de travailler comme ils l'entendent. Le droit au travail, c'est
aussi cela.
Ne faites pas de fondamentalisme ou d'électoralisme sur le dos de ces petites
entreprises. Pour la quasi-totalité des artisans, ces mesures heurtent le bon
sens et blessent ceux qui ont toujours éprouvé de la fierté à progresser par le
mérite et le travail.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou.
Votre loi traduit une aspiration, mais elle nie toute liberté individuelle ;
elle bloque en l'état les différentes strates sociales qui sont, qu'on le
regrette ou non, étroitement liées au niveau de vie.
Alors que la jeunesse de France trouve de plus en plus ses modèles chez les
sportifs, alors qu'elle se rend compte que ces femmes ou ces hommes se sont
surpassés dans l'effort, votre projet de loi s'oppose à cette logique : vous
fixez des limites, vous mettez des barrières aux ambitions de réussite, vous
interdisez aux jeunes - et aux moins jeunes - de choisir la vie qu'ils veulent
bâtir grâce à leur travail.
(M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme la
majorité de mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique social et
européen, je suivrai l'avis de la commission des affaires sociales.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe
socialiste fera son devoir de législateur dans la discussion des articles. Il
proposera les amendements qui lui semblent nécessaires pour garantir les droits
des salariés sur quelques points qui lui paraissent devoir mériter encore à ce
moment du débat, c'est-à-dire après le travail de l'Assemblée nationale, que
l'on retienne encore votre attention, madame la ministre, et surtout que l'on
tâche de convaincre les parlementaires qui, en définitive, ont le dernier mot
ici.
Hélas ! - il faut bien l'avouer - nous avons peu d'illusions ! Non pas à
propos de votre attention, madame la ministre, car nous savons qu'elle nous est
acquise.
M. Patrick Lassourd.
Pas sûr !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais ce qu'ont dit à cette tribune nos collègues de droite, qui forment la
majorité de cette assemblée,...
M. Henri Weber.
Hélas !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... n'est, à la vérité, guère prometteur.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je suis au regret de vous dire
que vous êtes tragiquement conformes au trait de crayon qui dessine votre
caricature depuis un siècle sans qu'il soit besoin de ne rien y ajouter !
(Vives protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du
RPR et de l'Union centriste.)
M. Dominique Leclerc.
Quelle arrogance !
M. Alain Gournac.
C'est vous, la caricature, monsieur Mélenchon !
M. Robert Bret.
Non, il n'y a qu'à vous écouter !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et l'éloge que nous venons d'entendre de la psychologie et de la culture de
bête de somme...
(M. Alain Gournac s'exclame.)
Si vous souhaitez m'interrompre, je l'accepterai très volontiers. Mais il
me semble que vous n'êtes pas le mieux placé pour parler de caricature...
(Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste.)
M. le président.
Je vous en prie, mes chers collègues ! Laissez parler M. Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... après l'éloge de la mentalité de moujik qui vient d'être fait à cette
tribune il y a encore un instant !
Mme Nelly Olin.
Choquant !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Dès qu'il s'agit d'un progrès social, c'est toujours « non », avec les mêmes
mots, les mêmes pleurs sauriens abondants, les mêmes tableaux de catastrophe,
et ce depuis un siècle ! Il était donc bien normal que notre projet de
réduction du temps de travail,...
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Négociée !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... ces 35 heures qui claquent sur nos banderoles depuis tant d'années,
n'échappe pas à la règle, puisqu'il s'agit d'un progrès social, et de quel
progrès social !
M. Alain Gournac.
Oh !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je veux tout de même saluer la grande cohérence de votre point de vue dans la
conformité au modèle de pensée qu'il faut bien qualifier littéralement de
réactionnaire.
(Protestations sur plusieurs travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Eh oui, vous allez voir ! En
effet, voilà quelques semaines, vous ne vouliez ni du pacte civil de solidarité
ni de la parité !
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela n'a rien à voir !
Un sénateur du RPR.
Hors sujet !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous trouvez qu'il y a toujours trop de libertés dans les relations
individuelles.
(Protestations sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RRP et de l'Union centriste.)
M. Aymeri de Montesquiou.
Au contraire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais en matière de relations sociales et d'économie, c'est tout l'inverse :
vous trouvez toujours qu'il y a trop de contraintes !
M. Henri Weber.
Bonne remarque !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Si bien que c'est assez classiquement - mais ne vous en indignez pas, c'est
légitime - toute une vision du monde et des relations humaines qui s'exprime
dans ce balancement entre l'ordre moral et le libéralisme économique.
(M. Alain Gournac rit.)
Un sénateur du RPR.
Cela n'a rien a voir !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je ne vous citerai que Brel : « Il faut bien pour vous toujours que le corps
soit tenu en laisse. »
(Rires sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Au passage, il arrive aussi que vous vous mettiez en posture délicate au
regard d'autres principes que vous affichez volontiers en d'autres
circonstances. N'était la gravité du sujet, je m'amuserais de certains
silences. Alors quoi ? Dans une assemblée qui compte autant de coeurs battants
souverainistes, pas un mot pour contrer ceux qui viennent gémir à la tribune
sur cette nouvelle exception française qu'est la loi sur les 35 heures ? Le
souverainisme ne dépasserait pas les fontières à respecter de la qualité du
foie gras et du fromage ?
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est important !
(Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Puisque vous évoquez notre rapport au monde, alors l'homme de gauche que je
suis, parlant pour ses amis, veut vous dire ce qu'il ressent à cet instant.
Nous, la gauche, nous sommes fiers de ce que nous sommes en train de faire
parce que nous parlons au monde.
(M. Alain Gournac s'exclame.)
J'ai dit : « au monde » dans toute la prétention de ce terme. Pas au monde des
puissants, des financiers et de leurs pauvres récitants politiques,...
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
Un sénateur du RPR.
C'est scandaleux !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... mais à celui des braves gens tout simples, qui, sous toutes les latitudes,
s'entendent rabâcher matin, midi et soir qu'on ne peut rien contre l'ordre qui
les plie.
(M. Jean-Jacques Hyest s'exclame.)
Et nous, les Français, maîtres chez nous dans la quatrième puissance du monde,
nous montrons qu'on peut choisir une autre voie, que le progrès social est
possible, et nous le prouvons. De plus, et cela vous agace assez, cela marche
!
M. Alain Gournac.
Mais non, pas du tout !
M. Patrick Lassourd.
C'est une caricature !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà, selon moi, une bonne exception française et une bonne démonstration de
ce qu'est notre souverainisme à nous.
La souveraineté que nous respectons et faisons vivre, c'est la volonté
populaire qui s'est prononcée sur un programme, mes chers collègues,...
M. Henri Weber.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... sur un programme dont est issue cette majorité et qui ne comportait aucune
sorte d'ambiguïté sur cette question des 35 heures. Et ce programme est tenu
!
Vous, vous nous demandez de renoncer à ce qui a pourtant été décidé par notre
souverain, vous nous proposez de mentir.
(M. Alain Gournac rit.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Ce ne sera pas la
première fois !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bref, votre souverainisme, le voilà : souverainisme au balcon pour les effets
de manche et, le reste du temps, mondialisme au tison.
Mais ce n'est pas le plus grave, je vous le concède : en fin de discussion,
mes chers collègues, nous aurons à voter un texte et ce ne sera plus celui du
Gouvernement ni celui de la majorité de gauche de l'Assemblée nationale, il
faut le craindre. Ce sera le vôtre, tel que vous l'aurez construit avec vos
amendements.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est cela, la démocratie !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je crois donc très utile de souligner, pour ceux qui nous écoutent, que non
seulement vous avez l'intention d'empêcher les 35 heures - ce qui, après tout,
est votre droit le plus légitime car vous ne vous êtes jamais engagés sur cette
question - mais que, surtout, vous avez la volonté d'instaurer dans ce pays,
par-dessus le marché, à travers vos amendements, un code de travail que je vous
mets au défit d'inscrire noir sur blanc dans vos programmes électoraux, tout
comme je vous mets au défi d'aller à la rencontre de ceux à qui il
s'appliquerait.
Mme Gisèle Printz.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mes chers collègues qui siégez à gauche de cet hémicycle, quelles que soient
les insatisfactions qu'une loi de cette importance laisse nécessairement, nous
aurons à les mettre en balance avec ce qui serait advenu si cette majorité
sénatoriale avait politiquement le dernier mot car, au-delà des grands
mouvements oratoires auxquels nous avons assisté et de votre adhésion de
dernière minute à une réduction du temps de travail d'autant plus improbable
que vous la renvoyez au bon coeur bien connu de ceux que nous
connaissons,...
M. Alain Gournac.
On l'a fait avant vous !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... il ne resterait de cette loi que les allégements de cotisations sociales
patronales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Vous avez mal lu nos amendements !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Pour le reste, ce serait le rêve libéral enfin accompli...
M. Robert Bret.
Ultra-libéral !
M. Jean-Luc Mélenchon
... avec le travail aux pièces, avec la vie intégralement soumise au rythme du
carnet de commandes.
Ce n'est pas la vision que nous avons de la vie ! Il y a autre chose que le
travail dans l'existence, il y a ce droit au bonheur tout simple que l'on se
procure ailleurs et qui est la raison pour laquelle on va au travail : c'est
pour y acquérir un revenu, figurez-vous, et pour rien d'autre !
M. Patrick Lassourd.
Qui paie les impôts ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous voulez quelques exemples ? Ecoutez-moi, parce que vous n'avez peut-être
pas été assez attentifs, on s'en rend compte quand on met bout à bout vos
amendements.
Avec vous, le temps d'habillage et de déshabillage ne serait pas du temps de
travail effectif, même s'il se fait par obligation d'hygiène. Nettoyez une
carcasse, peignez une machine, c'est du travail ; habillez l'homme pour le
faire, c'est du loisir.
Les équivalences, ce tour de passe-passe qui permet de dire qu'une durée
excessive du temps de travail...
M. Alain Gournac.
C'est une caricature !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
C'est nul !
M. Dominique Leclerc.
Que connaissez-vous de l'entreprise ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
J'y ai travaillé, monsieur, pendant plus longtemps que vous ! Car, moi, je ne
suis pas né avec une cuiller d'argent dans la bouche !
(Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie !
Poursuivez, monsieur Mélenchon.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Sans invectiver vos collègues !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous me décomptez les arrêts de jeu, monsieur le président !
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie ! Hier, M. Mélenchon a interrompu M.
Gournac dix-neuf fois en vingt et une minutes
(Ah ! sur les mêmes travées),
et je comprends que vous soyez éventuellement tentés de prendre votre
revanche. Mais la meilleure réponse serait sans doute de l'écouter !
M. Henri Weber.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je vous remercie, monsieur le président.
Les équivalences, ce tour de passe-passe qui permet de dire qu'une durée
excessive du temps de travail est une durée normale, seraient instaurées par un
simple accord d'entreprise. Adieu l'ordre public, auquel, je le crois pourtant,
tous les républicains devraient être attachés. Des centaines de milliers de
salariés peuvent méditer sur ce que cela pourrait signifier sur leur propre
situation !
Avec vous, plus besoin d'accords pour mettre en place des astreintes, le
patron décidera seul ! Au demeurant, l'employeur ne serait plus tenu
(Nouvelles protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et
du RPR.)
C'est un de vos amendements !
M. Robert Bret.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
L'employeur ne serait plus tenu de les programmer...
M. Alain Gournac.
Changez de siècle !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... et de prévenir le salarié, fût-ce vingt-quatre heures à l'avance.
Ce sont vos amendements !
Puis, quand le moment vient quand même où il faut parler de repos - car le
projet de loi prévoit d'en accorder pour mettre en oeuvre la réduction du temps
de travail -, votre amendement n° 52 établit que celui-ci sera pris d'un commun
accord entre le salarié et l'employeur. Vous êtes trop bons !
Avec l'amendement n° 12, vous rectifiez cependant cette tendresse : il sera
possible de déroger au repos hedbomadaire.
Avec l'amendement n° 11, plus de réduction des maxima sur douze jours.
Quant aux jours de repos, vous préférez toujours qu'ils soient pris plus tard,
remis à l'année suivante, épargnés d'année en année sans aucune limite de
temps. Deux ans, proposez-vous ! Comme me disait un ami : « Comme je ne suis
pas sûr de ne pas être licencié avant de pouvoir prendre ces congés, tant qu'à
faire je prends le congé tout de suite et je travaille après ! »
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est révélateur !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais ce n'est pas tout : avec vous, la modulation pourra déroger aux maxima
quotidiens et hebdomadaires, elle ne devra même pas être justifiée par les
conditions économiques.
Tout le reste est de cette veine et, quand on en fait la liste - il faudra la
faire publiquement chaque fois qu'on le pourra - on se demande si vous avez
bien réalisé vous-mêmes ce que vous avouez.
Vraiment, je vous le redis : êtes-vous prêts à établir un programme électoral
de ces mesures ?
Mme Nelly Olin.
Oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et de celles-ci encore : pour ce qui concerne les cadres, vous les excluez
purement et simplement du droit commun. Les accords de branche, selon vous,
peuvent déroger à toutes les dispositions légales sur la durée du travail, aux
termes de votre amendement n° 16.
Pour les salariés à temps partiel, le contrat de travail ne devra plus
mentionner la durée du travail ni sa répartition.
Le refus d'effectuer des heures complémentaires - quel crime ! - quand le
salarié est informé moins de trois jours à l'avance - on se demande ce qu'il
peut avoir d'autre à faire ! - redevient un motif de licenciement, aux termes
de votre amendement n° 19, tout comme celui de la réorganisation des horaires.
Vous n'y connaissez qu'une exception : un pauvre diable peut venir vous
objecter sa vie privée, vous n'en avez rien à faire ; en revanche, si le même
pauvre diable, à la même heure, est retenu par un contrat de travail avec un
autre employeur, alors là il n'est plus question de licenciement, vous vous
inclinez respectueusement devant la force du contrat conclu avec un autre
patron.
M. Bernard Murat.
Vous méprisez le travailleur ! C'est honteux !
M. Jean-Claude Carle.
C'est caricatural !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais c'est votre amendement n° 20, mes chers collègues ! Si vous le trouvez
honteux, c'est votre affaire !
Vous supprimez les contreparties lorsque le délai de prévenance est réduit -
amendements n°s 21 et 53 - quand vous ne supprimez pas le délai de prévenance :
ainsi, il n'est plus besoin de prévenir la femme ou l'homme qui doit aller au
travail aux termes de l'amendement n° 53.
M. Bernard Murat.
Pauvre diable !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous supprimez la majoration des heures complémentaires avec l'amendement
22.
Vous supprimez le droit d'opposition des syndicats majoritaires à la
modulation annuelle du travail à temps partiel avec l'amendement 23.
Et ce n'est qu'une partie de la liste ! Ainsi, quand vous venez à cette
tribune plaider en frissonnant pour la sacro-sainte négociation qui, pour vous,
doit se substituer en permanence à la loi, n'oubliez pas que vos amendements
n°s 30, 31 et 32, en supprimant l'article 11 sur les modalités de la
négociation collective, s'attaquent aux conditions de la représentativité
syndicale des signataires des accords ainsi qu'à l'ensemble des modalités qui
permettent un meilleur équilibre dans la négociation collective. Vous dites
donc une chose à cette tribune mais vous amendez d'une autre manière.
J'arrête là : dans la discussion des articles, nous en verrons d'autres, et
non des moindres.
Madame la ministre, si jamais vous étiez tentée de le faire, je vous demande
de ne faire aucun compromis avec une telle logique. D'ailleurs, vous n'en
feriez jamais assez à leur goût, et les discussions qui se suivent depuis la
loi Balladur témoignent assez de ce qu'est votre état d'esprit, mes chers
collègues majoritaires dans cette assemblée.
Tout au contraire, c'est à ceux qui nous écoutent, c'est à la masse immense
des salariés qui savent que, ce qui se joue, c'est l'organisation de leur vie
quotidienne, leur dignité, leur droit au bonheur simple de vivre la vie comme
elle va et où il n'y a pas que le travail qui compte, c'est à eux que nous
devons encore des garanties là où ils nous ont signalé leurs inquiétudes, et
parfois même leur angoisse.
M. Patrick Lassourd.
C'est une question d'argent, c'est tout !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je pense ici, par exemple, à la clause concernant le licenciement de ceux qui
ne pourraient se plier aux conséquences de la nouvelle organisation du travail
: je crois qu'il faut améliorer cette disposition.
Je pense, par exemple, à la question cruciale du mode de comptabilisation du
temps de travail des cadres devant le risque que la formulation actuelle du
projet de loi ne fasse d'eux - ils le voient de cette façon - plutôt des
perdants que des gagnants. Or c'est une loi à laquelle, mes chers collègues, ne
vous en déplaise, il ont droit, comme tous les autres salariés !
M. Claude Huriet.
Cela ne nous déplaît pas !
M. Patrick Lassourd.
Au contraire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est d'autant plus vrai que, sur cette question, la comptabilisation en
jours, vous le savez, est un des plus puissants outils de la discrimination
sexiste dans l'accès aux responsabilités d'encadrement.
Mais nous verrons tout cela dans la discussion des articles en cause.
Pour conclure, voilà ce qui me semble essentiel dans ce que nous entreprenons,
au-delà de l'immense satisfaction qui est de faire voter une loi de progrès
social et, une nouvelle fois, de marquer par un moment fort...
M. Alain Gournac.
Les moments forts, c'est nous !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... la législature de gauche au service du très grand nombre qui vit de son
travail et n'a d'autre richesse à partager que son savoir-faire, son
intelligence et son dévouement.
Madame la ministre, mes chers collègues, dans le moment - je rejoins en cela
les propos de l'un de nos collègues - où la maîtrise des temps sociaux est au
coeur même des enjeux de notre époque, il s'agit, en quelque sorte, d'en fixer
la grammaire.
Le temps social est une propriété de l'ordre social ; il est donc, en quelque
sorte, soumis au mouvement du temps dominant. Et, le temps dominant, c'est le
temps de l'instantané : d'abord celui de l'argent, puis, compartiment par
compartiment, celui de la production, celui de l'échange.
Si un tel système parvenait à tout dominer - et jusqu'à la journée de travail
- alors, c'est ce que vous connaissez : c'est le système du stock zéro, le
système du flux tendu, le système de l'ouvrier ou de l'ouvrière, du travailleur
ou du salarié rivé aux fluctuations du carnet de commandes. Et tout ce que vous
aurez réduit dans la friction entre ces temps individuels et ce temps de
production, vous le répercutez directement, en asynchronie croissante, dans la
vie de la société, dans la vie des familles.
C'est pourquoi il importe de délibérer et de fixer cette grammaire du temps
social à travers le temps du travail.
M. Alain Gournac.
Quelle grammaire ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et, le faisant - ce sera ma conclusion -, nous avons à rendre un arbitrage
éminemment moderne parce que c'est là que se trouvent les mises en cause les
plus fondamentales du temps que nous vivons, un arbitrage entre le temps
individuel dont nous devons décréter s'il est seulement le temps de la
production ou s'il est aussi le temps du développement et de l'épanouissement
de la personne humaine - c'est la logique du développement humain, qui s'oppose
aux logiques productivistes - un arbitrage, enfin, avec les temps collectifs,
mes chers collègues : si vous n'instaurez pas des cycles dans la production et
dans le rythme du temps de travail, alors vous désarticulez tous les temps
collectifs, il n'y a plus de place pour la famille, il n'y a plus de place pour
la vie de groupe, il n'y a plus de place pour la démocratie.
Scander le temps social, le maîtriser, c'est, en définitive, répondre tout à
la fois à l'aspiration républicaine d'épanouissement de la personne et de
maîtrise de notre démocratie !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Henri Weber.
Très juste !
M. le président.
La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard.
Ramener la durée légale du temps de travail à 35 heures par semaine - grande
idée s'il en est ! - n'est pas, contrairement à ce que vous affirmez, madame la
ministre, une avancée sociale.
Pourquoi ? Parce que vos propositions ne répondent ni aux exigences de la
mondialisation de l'économie à laquelle notre pays doit faire face, ni aux
besoins des entreprises, ni, enfin, aux souhaits des salariés.
Dans le texte que vous nous soumettez, la réduction du temps de travail est
non pas négociée, mais imposée. De ce fait, elle pénalise l'économie française,
qui devient de moins en moins compétitive, favorise les délocalisations et
bloque les implantations de filiales étrangères en France.
Nous sommes tous favorables à la lutte contre le chômage pour tendre vers le
plein emploi. Mais, madame, votre texte est d'un autre siècle, et pas le xxie
siècle en tout cas.
Les besoins des entreprises sont multiples et leurs possibilités de modulation
du temps de travail très différentes.
Vous avez la prétention, à l'heure où le collectivisme est battu en brèche
partout dans le monde, de gérer mieux que les artisans, mieux que les
commerçants, mieux que tout chef d'entreprise. Madame la ministre, vous niez
aux Français toute capacité à assumer des responsabilités et à connaître le
marché qui les concerne.
Quant aux valeurs humaines des hommes et des femmes de ce pays, vous les
bafouez : en effet, vos propositions considèrent tout patron comme un
exploiteur potentiel de ses employés.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Moinard.
Le chef d'une entreprise textile vendéenne écrivait, voilà quelque temps, la
phrase suivante : « C'est un devoir pour vous, femmes et hommes politiques, de
réagir très vivement face à un Etat qui nous prépare un enterrement de première
classe. » Il m'interpellait par ailleurs en me transmettant par fax la
publicité d'un grand groupe de distribution diffusée dans un quotidien
régional. Je tairai les noms de l'un et de l'autre, mais je tiens ce document à
votre disposition. Celui-ci annonçait la mise en vente d'un lot de 60 000
chemises au prix de vingt-neuf francs l'unité ou de soixante-neuf francs les
trois. Ce chef d'entreprise m'interrogeait : « Que me conseillez-vous de faire
dans de tels cas ? Imposer un rythme de travail insoutenable à mes employés ?
Procéder à des délocalisations ? Ou encore me résigner à la disparition de
l'entreprise, en licenciant tout le personnel ? »
Non seulement l'élan des entrepreneurs est brisé par la multitude et la
complexité des dispositions modifiant le code du travail et dont vous venez de
nous donner les grandes lignes, mais encore les salariés sont ignorés dans la
diversité de leurs aspirations : je pense notamment ici à la taxation des
heures supplémentaires et à la rigidité de la gestion du « compte épargne temps
».
Madame la ministre, comment pouvez-vous prétendre être en phase avec nos
concitoyens entrant dans le troisième millénaire quand vous leur imposez à tous
le même mode de vie au travail, en faisant fi de toute considération liée à la
pénibilité des tâches, en assortissant le travail à temps partiel de
contraintes et en refusant de prendre en compte avec souplesse les aspirations
du salarié, lesquelles peuvent évoluer en fonction de son âge et de ses charges
familiales. A la souplesse, vous répondez par la rigidité ! A la simplicité,
vous répondez par la complexité ! Au travail justement rémunéré, considéré
comme valeur de référence dans une société digne de ce nom, vous opposez
l'encouragement donné au travail illégal !
Allez-vous donner à croire que le travail est un mal nécessaire ? Je pense
pour ma part que le travail, dans quelque branche que ce soit, permet à chacun
d'apporter sa quote-part à l'évolution du monde et au dynamisme de notre
environnement. Ensuite, sa tâche accomplie, il est bon et indispensable que
tout travailleur puisse bénéficier de loisirs personnels, en famille ou en
société.
Pour conclure, madame la ministre, je voudrais vous poser des questions
touchant au financement des mesures d'accompagnement de la réduction du temps
de travail.
Vous avez déclaré, en préliminaire à l'examen par l'Assemblée nationale du
projet de loi relatif au financement de la sécurité sociale, qu'« il n'y aura
pas de contribution, ni à la charge de l'UNEDIC ni à la charge de la sécurité
sociale, dans le cadre du projet de loi 2000 ». Pouvez-vous prendre cet
engagement pour les années suivantes ?
Le gouvernement auquel vous appartenez a décidé d'affecter une fraction des
droits sur les alcools au fonds d'allégement des charges. Ces ponctions seront,
selon les premières estimations, de l'ordre de 5,6 milliards de francs en 2000,
et atteindront jusqu'à 13 milliards de francs à l'avenir. Or les droits sur les
alcools constituaient jusqu'à présent une des recettes du fonds de solidarité
vieillesse. Indirectement et contrairement à ce que vous affirmez, la sécurité
sociale va donc bien participer au financement des allégements de charges
sociales prévus pour les entreprises signant un accord sur les 35 heures !
Madame la ministre, quelles sont vos propositions pour assurer la pérennité du
financement des mesures que vous imposez ? Contrairement à vous, je fais
confiance à la négociation.
M. Alain Gournac.
Moi aussi !
M. Louis Moinard.
Je veux encourager l'essor de l'actionnariat salarié et consacrer en priorité
les fonds publics à l'allégement des charges sur les salaires les plus
modestes, afin de créer des emplois.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Moinard.
Je ne voterai donc pas votre projet de loi, madame la ministre,...
M. Alain Gournac.
Vous avez raison !
M. Louis Moinard.
... dont l'intitulé devrait être : « Réduction imposée du temps de travail
».
M. Alain Gournac.
Oui ! Pas « négociée » !
M. Louis Moinard.
Ainsi que l'a résumé récemment un journaliste, en parlant de ce texte, « tout
ce qui n'est pas interdit est obligatoire ! ».
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la loi du 13
juin 1998 invitait, incitait les partenaires sociaux à négocier des accords de
réduction du temps de travail. Plus d'une centaine d'accords ont ainsi été
conclus, dont un bon nombre ont reçu votre agrément, madame le ministre.
Cependant, au sein des branches concernées, peu d'entreprises ont mis ces
accords en pratique, car elles attendaient le vote de la seconde loi.
Or, ce second texte ne reprend pas la totalité des dispositions qui avaient
été prévues dans les accords. On est loin du compte, en ce qui concerne tant
les heures supplémentaires que la formation ou le régime applicable aux cadres.
Par exemple, tous les accords ou presque précisaient que les heures
supplémentaires pourraient être payées par le biais d'une majoration du
salaire, avec l'accord du salarié, le repos compensateur étant l'exception. Or
le projet de loi prévoit le contraire pour la rémunération des trente-sixième,
trente-septième, trente-huitième et trente-neuvième heures.
Dans ces conditions, comment feront les petites entreprises dans les branches
où aucun accord n'aurait été signé ? Comment une entreprise du bâtiment pourra-
t-elle gérer un contingent de 130 heures, étant donné les difficultés
inhérentes aux activités de cette branche ? Et même, madame le ministre,
s'agissant d'un accord qui a servi pratiquement de modèle à votre second texte,
celui qui concerne les experts-comptables, une contradiction demeure. L'accord
prévoit en effet qu'un cabinet de plus de vingt salariés qui n'appliquerait pas
la réduction à 35 heures du temps de travail verserait en 2000 à ceux-ci une
majoration de salaire de 10 % pour les quatre premières travaillées au-delà de
35 heures, or la loi stipule que cette majoration de 10 % alimentera un fonds.
Comment concilier ces deux dispositions ? Non, les accords n'ont pas été repris
dans votre projet de loi. C'est un mauvais coup qui a été porté à la
négociation !
Un autre mauvais coup tient au financement de votre dispositif. Je ne
reviendrai pas sur les prélèvements qui devaient être opérés sur l'UNEDIC et la
sécurité sociale, puisque vous avez fait marche arrière, mais je m'interroge
sur le produit de la contribution de 10 % prélevée sur la rémunération des
heures supplémentaires. On parle à ce propos d'une recette de 7 milliards de
francs pour l'année 2000 : cela signifie que les entreprises de plus de vingt
salariés feraient effectuer plus d'un milliard d'heures de travail
supplémentaires au titre des quatre premières heures travaillées au-delà de 35
heures. Cela fait beaucoup ! Comment arrive-t-on à une telle recette ? Cela
voudrait-il dire que peu d'entreprises passeront à 35 heures ? Et que se
produira-t-il dans l'avenir si, comme vous le souhaitez, les entreprises sont
de plus en plus nombreuses à réduire à 35 heures la durée du travail ? D'un
côté il faudra plus d'argent pour financer les allégements de cotisations
sociales, de l'autre le fonds en recevra de moins en moins. Comment ferez-vous,
madame le ministre ?
Il existait peut-être une solution plus simple, qui aurait convenu aux
salariés : maintenir à 39 heures le temps de travail et diminuer les
cotisations sociales qu'ils acquittent. Cela aurait été moins complexe et plus
satisfaisant pour eux.
Par ailleurs, il y a un autre sujet que vous n'avez pas abordé, ou alors d'une
manière tout à fait détournée : je veux parler du multisalariat. Seuls, dans
votre texte initial, l'article 6, traitant du temps partiel, et l'article 8,
relatif aux congés, faisaient allusion au fait qu'un salarié pouvait avoir plus
d'un employeur. L'Assemblée nationale a d'ailleurs supprimé cette référence
dans la rédaction de l'article 6. Pourtant, le 11 mars dernier, lors de la
discussion de ma proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé,
Mme Nicole Péry avait indiqué à cette tribune, en soulignant la pertinence des
dispositions contenues dans ce texte, que le Gouvernement était « déterminé à
aborder cette question lors de la discussion de la seconde loi sur les 35
heures ». Or ce sujet n'est nullement traité dans le projet de loi.
Quand on vous parle de multisalariat, vous évoquez, madame le ministre, les
groupements d'employeurs. Or ce ne sont pas des notions contradictoires ; bien
au contraire, elles se complètent. Quand la constitution d'un groupement n'est
pas possible, le multisalariat permet alors aux entreprises de bénéficier de
compétences non exercées à temps plein en leur sein.
Sur ce point, j'aurais souhaité que vous puissiez entendre, le 30 septembre
dernier, à Orléans, le témoignage d'une jeune femme ingénieur. Licenciée par
une entreprise où elle occupait un poste à plein temps, cette jeune femme a
d'abord trouvé un emploi à temps partiel, situation qu'elle a considéré comme «
subie » de par le faible nombre d'heures de travail qu'on lui proposait. Elle
en a trouvé ensuite un deuxième, puis un troisième et encore un quatrième, pour
aboutir au total à l'équivalent de 80 % d'un temps plein réparti entre quatre
entreprises. Elle ne cherche plus, elle est très satisfaite de son sort et elle
ne voudrait pour rien au monde changer de situation. En concertation avec ses
quatre employeurs, elle a organisé son temps de travail et ses congés. Elle est
parfaitement intégrée dans chacune des quatre entreprises, elle s'enrichit des
expériences différentes rencontrées dans chacune d'elles et elle leur apporte,
par transferts, des enrichissements.
Cependant, outre les freins psychologiques qui empêchent le développement de
cette forme de travail, elle me disait que les obstacles juridiques ne sont pas
négligeables. Si pour elle tout se passe bien, tel n'est pas toujours le
cas.
En effet, il n'est pas toujours aisé, pour un salarié, d'une part de trouver
plusieurs entreprises qui veuillent bien l'accueillir et d'autre part de
pouvoir négocier, à armes égales, avec chacun de ses employeurs. C'est pour
cette raison que se mettent en place, ici et là, des structures destinées à
faciliter les relations entre salariés et employeurs et à aider les premiers à
définir les contrats. Ce qui est remarquable, c'est que ces structures
accueillent souvent, outre des représentants de l'ANPE, des unions patronales,
des chambres consulaires et des associations travaillant sur le temps partagé,
des représentants régionaux ou départementaux de votre ministère.
Alors, pourquoi ne pas accepter de mettre en place un cadre permettant de
préciser les conditions d'exercice de cette nouvelle forme de travail ? Malgré
le dépôt d'un amendement par notre excellent rapporteur, M. Souvet, visant à
rétablir, à l'article 6, la référence à un autre employeur, je présenterai un
autre amendement tendant à définir le contrat de travail à temps partagé.
Je dirai pour conclure que, complexe, compliqué, manquant de réalisme, ce
projet de loi présente, en l'état, des difficultés de mise en oeuvre
insurmontables, surtout pour les petites entreprises. Comme nous l'avons dit
lors de l'examen de la première loi sur la réduction du temps de travail, il
entraînera automatisations et délocalisations, mais peu ou pas de créations
d'emplois.
De plus, les dispositions qu'il prévoit sont en contradiction avec
l'affirmation, de plus en plus souvent formulée par les experts, selon laquelle
il va falloir travailler davantage à l'horizon des années 2005-2010. En effet,
devant la croissance du nombre des inactifs, faudra-t-il demander plus aux
actifs, mettre plus tôt les jeunes au travail, retarder les départs à la
retraite, allonger la durée du travail ? Vraisemblablement, il faudra jouer sur
tous ces critères, en particulier sur le dernier, ce qui serait en
contradiction avec votre texte.
M. Henri Weber.
Quel progrès !
M. André Jourdain.
Ma crainte, madame le ministre, est que votre texte, dont la portée est avant
tout électorale, n'hypothèque lourdement l'avenir. En raison de cette crainte,
je ne voterai pas ce projet de loi dans la rédaction qui nous est proposée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la seconde loi
qui sera progressivement appliquée dans les entreprises entraînera, au-delà de
ses effets bénéfiques sur l'emploi directs ou indirects grâce au temps libéré,
une transformation sociale et culturelle.
Le partage du travail est en effet devenu la raison la plus actuelle et sans
doute la plus importante justifiant et imposant l'élaboration d'une politique
d'aménagement du temps. C'est une exigence forte pour faire face au chômage.
Il n'est plus d'actualité de reprocher au Gouvernement l'ambition de ses
objectifs. Il faut, au contraire, s'en féliciter : les changements majeurs
intervenus au sein de notre pays, les progrès sociaux réalisés, se sont tous
heurtés, dans un premier temps, à un refus systématique de la part des
conservateurs.
Sans parler de conservatisme, la grande majorité des employeurs était-elle
naturellement encline, même au nom du progrès social et de la création
d'emplois, à faire travailler moins leurs salariés, et ce à salaire égal ? Non,
la loi sur les 35 heures était donc bien nécessaire.
Cependant, l'objectif de la réduction du temps de travail n'est pas seulement
économique, même si cet aspect est important ; il est également social. La
réduction du temps de travail, par son potentiel d'innovations et de
transformations sociales, peut et doit s'inscrire dans un véritable projet de
société, si nous nous en donnons les moyens.
Le travail n'est pas ou n'est plus la forme de socialisation suprême, l'unique
composante de notre identité sociale. Bien sûr, c'est le travail qui donne tout
son sens et sa valeur au temps libre ; les chômeurs le savent mieux que
quiconque. Mais le lien social fondé sur l'économique doit-il être, sinon le
seul, du moins le lien prépondérant dans notre société ?
La compétition économique, l'exigence de la rentabilité et le culte de la
performance, renforcée par la peur du licenciement, ne peuvent être le
fondement d'une existence.
Transformer la place du travail dans notre vie, cela signifie non pas faire
l'éloge d'une société de la paresse et de l'inactivité, mais mieux répondre aux
mutations, déjà en cours, du travail et du temps libre, dans une période de
forts changements technologiques.
Si un des enjeux fondamentaux de l'avenir de notre société réside bien dans
l'aménagement du temps de travail et dans son organisation, se pose
immédiatement la question fondamentale de l'utilisation du temps libéré. Il ne
sera un temps conquis pour une vie meilleure que s'il est perçu par chacun
comme un projet et non comme un acquis que l'on engrange.
Il est une occasion offerte, pour chacun d'entre nous, de mieux maîtriser son
temps, de disposer de plus de temps pour soi et pour sa famille, pour un
engagement social et citoyen, pour une démocratie plus vivante et plus sociale,
en somme.
A une société de consommation et de profit succéderait progressivement une
société au service de l'homme, où la culture populaire, la joie de vivre, la
fête, le loisir créateur seraient accessibles au plus grand nombre, par la
maîtrise et l'utilisation intelligente du temps.
M. Henri Weber.
Très bien !
M. Serge Lagauche.
C'est pourquoi les 35 heures doivent offrir un cadre d'organisation du travail
qui favorise l'engagement citoyen. En cela, généraliser la possibilité de
prendre en compte, dans la détermination des horaires de travail, l'engagement
bénévole des salariés d'une entreprise, comme le prévoit l'article 8, constitue
une avancée. Mais ne conviendrait-il pas d'aller plus loin et d'aller vers un
statut du volontariat qui permettrait la pluriactivité et les solutions
d'alternance entre travail et engagement citoyen ?
M. Henri Weber.
En effet.
M. Serge Lagauche.
Cette notion de fractionnement du temps d'activité amène une autre question
fondamentale : notre conception linéaire de l'existence fondée sur le triptyque
formation - travail - retraite est-elle toujours viable ? Notre conception de
la formation correspond-elle aux conditions de vie d'aujourd'hui ?
Nous devrions raisonner en termes de cycles de vie pour, à terme, pouvoir se
former, travailler, donner aux autres, prendre sa retraite ou des temps de
pause à l'intérieur de sa période d'activité grâce à une organisation souple et
personnalisée des différents temps de l'existence.
Dans cette perspective et face aux mutations du travail, la problématique de
la formation tout au long de la vie prend tout son sens. Jamais le niveau et la
qualité des ressources humaines n'ont été aussi essentiels dans la création de
valeur. Il ne faudrait pas, dans ce contexte et avec l'accélération de la
mobilité professionnelle, que nous laissions les moins formés d'entre nous sur
le bord du chemin.
C'est pourquoi la notion de qualification initiale doit céder le pas à celles
d'adaptabilité et de professionnalisation grâce à la formation tout au long de
la vie.
Ainsi la réduction du temps de travail doit-elle s'inscrire dans la
perspective d'autres réformes ambitieuses, telles que celle des associations ou
de la formation professionnelle, afin de créer les conditions d'un changement
profond de société.
Madame la ministre, c'est votre opiniâtreté, votre sens du social, qui ouvrent
la porte à cette mutation. Ce grand projet des 35 heures que vous réalisez
remonte à 1981, à l'époque du ministère du temps libre d'André Henry, qui avait
suscité alors tant de sarcasmes.
M. Henri Weber.
A tort !
M. Serge Lagauche.
Votre loi, qui soulève tant de polémiques aujourd'hui, constitue avant tout
une exigence de progrès social partagé par tous, grâce à de nouveaux rapports
fondés sur le dialogue et la négociation et, en définitive, une exigence de
démocratie participative pour cette fin de millénaire.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud.
En ouvrant ce débat, vous nous avez appelés, madame la ministre, à un débat
démocratique.
Je ne peux que souscrire à votre voeu mais, aussitôt, je m'interroge sur les
raisons qui vous ont conduite à déclarer l'urgence sur ce projet de loi qui ne
me semble pourtant pas relever de la gestion des affaires courantes de la
France, mais bien plutôt conditionner de façon fondamentale l'évolution de
notre vie sociale.
Si vous me répondez qu'avec le projet de loi sur l'aménagement du territoire
de Mme Voynet, le texte sur la coopération intercommunale de M. Chevènement ou
la réforme de la justice de Mme Guigou, tous des textes importants, « c'est
dans les habitudes du Gouvernement », je ne serai pas satisfait !
Vous nous avez appelés aussi à un débat serein où les arguments effacent les
slogans.
Mes chers collègues, madame le ministre, mes arguments trouvent leur source
dans mon expérience professionnelle, et non dans des récitations politiques,
mon expérience de créateur et de chef d'entreprise, petite entreprise de treize
personnes, mais quand même, que j'ai dirigée jusqu'en 1996.
Mais, madame le ministre, à l'évidence vous ne voulez pas entendre les
arguments que l'on vous présente, préférant vous en tenir à l'idéologie.
Notre rapporteur, Louis Souvet, vous a excellemment et sans polémique démontré
qu'il n'était sans doute pas très honnête de ne brandir que la seule équation :
« réduction du temps de travail égale création d'emplois ».
M. Henri Weber.
C'est exact !
M. Philippe Arnaud.
M. Fourcade et après lui M. Arthuis vous ont dit, avec la force que donne la
clarté du propos, que nous n'étions pas opposés à cette évolution vers une
réduction du temps de travail, mais pas à n'importe quel prix, et surtout pas
dans les conditions de contrainte qui auront pour effets : un renchérissement
du coût du travail, donc un affaiblissement de la compétitivité de nos
entreprises, qui, même si l'économie va mieux, restent fragiles ; un risque
majeur de blocage des salaires, donc une baisse du pouvoir d'achat pour les
salariés ; enfin, une remise en cause autoritaire des accords négociés et
conclus par branche ou par entreprise, donc un coup porté au dialogue social et
aux partenaires sociaux, qui ont pourtant besoin d'être renforcés dans leur
fonction.
Oui, décidément, je suis surpris que ce soit précisément vous, madame, et ce
gouvernement, qui, dans ce domaine, utilisiez la force de la loi pour
contraindre tout un chacun à se soumettre à votre doctrine, alors même que, de
partout, on vous supplie de casser certaines rigidités qui paralysent
l'initiative.
On vous appelle à plus de souplesse, le temps de reprendre son souffle, de
conquérir de nouveaux marchés, de créer de nouveaux produits, de nouvelles
activités...
M. Henri Weber.
Qu'est-ce qu'on fait d'autre ?
M. Philippe Arnaud.
... et, par là, de conforter des emplois existants, d'en créer de nouveaux
sans artifices.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
M. Henri Weber.
On en crée 400 000 par an !
M. Philippe Arnaud.
Oui, madame le ministre, comme vous l'avez dit, les 35 heures doivent être un
signal, un signal fort, un signal de progrès social et non de régression
économique.
Alors, restez dans le rôle qui doit être celui de l'Etat : aménagez
l'environnement des entreprises et créez les conditions favorables qui
permettent à ceux qui le peuvent, à ceux qui le veulent de passer à 35 heures.
C'est le sens de l'histoire, irréversible, sauf catastrophe. Alors, laissez les
acteurs écrire leur histoire à leur rythme !
Déblayez le terrain, levez les obstacles, incitez même pour avancer plus vite
vers cet objectif, mais ne contraignez pas.
Une réduction du temps de travail de 39 à 35 heures, présentée ainsi, paraît
évidemment facilement accessible : quatre heures par semaine... Cela devient
presque mesquin d'en faire une histoire.
M. Henri Weber.
C'est vrai !
M. Philippe Arnaud.
Pourtant, quatre heures par semaine sur 47 semaines travaillées, cela devient
188 heures, autrement dit l'équivalent de cinq semaines supplémentaires de
congés payés !
M. Henri Weber.
Moins les heures supplémentaires !
M. Philippe Arnaud.
Que l'on ne me dise pas que c'est une petite affaire que les entreprises
avaleront sans douleur !
Je suis même convaincu que si vous disiez aux Français : « Je vous offre cinq
semaines de congés payés supplémentaires », incrédules, ils souriraient,
sachant bien intuitivement que ce ne serait pas très sérieux.
M. Henri Weber.
Chiche !
M. Philippe Arnaud.
Passer sous la même toise toutes les entreprises quelle que soit leur taille,
quelle que soit la nature de leurs activités, grandes industries, PME,
artisans, agriculteurs, petits commerçants, passer sous la même toise tous les
salariés quels que soient leurs besoins ou leurs légitimes aspirations, relève
d'une inquiétante méconnaissance de la réalité du terrain, ou, plus grave, si
ce n'était pas le cas, d'une méprisante considération des situations de
chacun.
M. Henri Weber.
Ce n'est pas ce que fait la loi !
M. Philippe Arnaud.
Un jeune en charge de famille, désireux de construire sa maison et sa vie,
souhaiterait sans doute gagner un peu plus en faisant l'effort de travailler un
peu plus. Le même, quelques années plus tard, ses enfants sortis d'affaire,
maison payée et crédit remboursé, aspire peut-être légitimement à prendre un
peu plus de bon temps, à réduire son temps de travail, quitte à consentir un
petit effort financier.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il y a du chômage !
M. Philippe Arnaud.
Ces aspirations sont légitimes ; respectez-les !
S'agissant du financement de votre loi, quel détournement et quelle usine à
gaz !
Le 24 juin dernier, je vous disais ici même mon désaccord quant au recours à
l'écotaxe pour financer la réduction du temps de travail. Vous ne pouvez pas
ignorer, madame le ministre, les contraintes financières énormes qui pèsent
aujourd'hui et pèseront davantage encore demain sur les collectivités locales
et leurs administrés pour financer les services d'assainissement et le
traitement des ordures ménagères.
Une écotaxe sur tous les produits polluants et générateurs de déchets aurait
utilement et logiquement pu aider au financement de ces services.
Mais l'écotaxe ira aux 35 heures !
Et les droits sur les alcools ! Madame le ministre, à quoi sert le Parlement ?
On m'a expliqué ici même que le produit de la taxe sur les alcools devait
alimenter le fonds de solidarité vieillesse, servir la lutte contre
l'alcoolisme et payer les surcoûts liés à l'alcoolisme supportés par la
sécurité sociale. On me l'a expliqué ici même alors que je défendais les
produits charentais, entre autres.
Or vous réduisez les ressources de la sécurité sociale, vous ponctionnez le
fonds de solidarité vieillesse, mettant ainsi en cause le financement des
retraites par répartition, et de cela, nous en reparlerons !
Nos concitoyens contribuables, madame le ministre, n'y comprennent rien :
aucune lisibilité, aucun lien entre les 35 heures, une taxe sur les activités
polluantes et une taxe sur les alcools. Non, décidément, je ne comprends pas
moi non plus votre logique et, par conséquent je ne peux approuver votre projet
de loi. Une fois encore, je vous appelle à vous en remettre aux partenaires
sociaux.
Vous avez dit, monsieur Mélenchon, que j'était réactionnaire. Oui, j'accepte
ce qualificatif...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ah !
M. Philippe Arnaud.
... si c'est pour garantir plus de liberté aux entreprises, plus de liberté
aux travailleurs.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réduction
du temps de travail constitue une réalité historique en mouvement depuis
plusieurs décennies et traduit une légitime aspiration de l'homme. Ce qu'on
nous présente aujourd'hui comme une révolution n'est autre que la prise en
compte d'une logique s'adaptant, notamment, à l'augmentation de l'espérance de
vie.
Parallèlement à cette tendance, les salariés souhaitent une modulation de leur
temps de travail qui ne remette pas en cause le maintien de leur salaire.
Travailler moins sans diminution de rémunération correspond sans conteste à un
vrai progrès social, et la majorité sénatoriale l'appelle de ses voeux. Mais ce
progrès, comment le faire, pourquoi et pour qui ?
Il semble que le Gouvernement ait choisi de donner la plus mauvaise réponse à
chacune de ces trois questions fondamentales. Les modalités de cette loi
complexe et contraignante produiront les effets inverses de ceux qui sont
projetés. On va vers peu d'emplois créés et moins de compétitivité.
L'objectif avancé de progrès social masque en réalité la volonté d'imposer le
schéma idéologique socialiste, qui consiste à étatiser, à réglementer à
outrance. Les entreprises, particulièrement les PME et les TPE, seront les
premières à en faire les frais. Les prétendus bénéficiaires de cette loi, quant
à eux, les salariés, seront très pénalisés en termes de revenu, de qualité de
vie et de perspectives d'emploi.
En bref, ce texte censé faire progresser notre économie et notre société
constitue un recul, voire, et c'est plus grave, une faute sur tous les
fronts.
Premièrement, c'est une faute contre les entreprises, qui seront les premières
victimes du carcan paralysant des 35 heures.
Je ne vais pas revenir en détail sur les dispositifs qui ont été largement
évoqués par mes collègues. Je voudrais toutefois dénoncer le premier et grand
tort porté aux entreprises par cette loi : l'uniformité des mesures.
Madame la ministre, votre texte loge toutes les entreprises à la même
enseigne, sans tenir aucun compte de leur extrême diversité, aussi bien de
taille que d'activité.
Ce sont bien les petites, moyennes et très petites entreprises, ces grands
gisements d'emplois, qui seront les plus pénalisées. La réorganisation imposée
par la loi leur sera très difficile à assumer, en raison des contraintes
rigides et complexes des mesures et de la nature du personnel, qui n'est pas
interchangeable, caractéristique de ces petites entreprises.
Certains secteurs seront, eux aussi, pénalisés. Je pense notamment à
l'industrie agroalimentaire de transformation de la viande, qui a reçu de plein
fouet l'article 1er, voté à l'Assemblée nationale. Désormais, les temps
d'habillage et de déshabillage, si importants dans ce type d'activité où les
mesures sanitaires sont draconiennes, seront en effet inclus dans le temps de
travail effectif. Ces temps en étaient auparavant exclus, en vertu de la loi du
13 juin 1998...
Cette nouvelle définition du temps de travail « fusille » la compétitivité de
ces secteurs, déjà à faible taux de rentabilité. Le cas d'une entreprise de mon
département d'Ille-et-Vilaine en porte le témoignage : avec quarante minutes de
temps d'habillage et de déshabillage, auxquels s'ajoutent les temps de pause
réglementaires, c'est donc une heure par jour et par salarié qui va être
comptée comme travail effectif, soit cinq heures par semaine !
Cette entreprise va donc passer subitement, en temps de travail hebdomadaire,
non pas de trente-neuf à trente-cinq heures, mais de trente-neuf à trente
heures ! Je vous laisse apprécier la perte de production qui en découle ! Une
telle baisse de compétitivité jouera, à terme, contre l'emploi.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Gérard César.
Et le chômage !
M. Patrick Lassourd.
Cet exemple extrême révèle bien les conséquences perverses d'une loi dont les
effets seront très différents d'une entreprise à l'autre et qui sera donc une
source d'injustices et de profondes inégalités.
Une entreprise à faible valeur ajoutée et à forte proportion de main-d'oeuvre
peu qualifiée sera mise en péril par rapport à une grande entreprise en pleine
croissance dégageant un fort bénéfice, candidate idéale à « l'effet d'aubaine
», et disposant, bien sûr, des moyens financiers et humains pour faire face aux
35 heures.
Par ailleurs, les entreprises de secteurs très concurrentiels comme le
bâtiment auront du mal à se plier à la réglementation très stricte imposée par
la loi et elles ne créeront pas forcément des emplois nouveaux.
Dans ces conditions, les aides correspondant aux abattements de charges
n'auront pas le rôle incitatif escompté en matière d'embauche, mais serviront à
corriger les surcoûts issus de l'application de la loi !
C'est clair, ce projet de loi rigide est très inadapté aux réalités diverses
de l'entreprise.
Deuxièmement, ce texte est une faute contre les finances publiques et le
contribuable. Madame la ministre, quelle désinvolture !
Le caractère improvisé du financement des 35 heures, qui a été modifié en
dernière minute, traduit bien le caractère irréaliste de la loi.
Pour l'an 2000, le système « semble » sauvé. Mais, à terme, il en va tout
autrement.
Pour financer les 105 milliards de francs nécessaires aux exonérations de
charges, environ 80 milliards viendront des allégements de charges décidées
sous le gouvernement Juppé, de prélèvements sur les bénéfices et les activités
polluantes et des droits sur l'alcool aujourd'hui versés au fonds de solidarité
vieillesse.
Outre cette « pénalisation » du fonds de solidarité vieillesse, pourtant si
nécessaire au regard des perspectives démographiques de notre pays, et dont
personne ne semble s'émouvoir au sein du Gouvernement, il vous reste au moins
20 milliards de francs à trouver... Cela n'est pas sérieux !
On sait bien que, au bout du compte, ce seront les contribuables et les
salariés eux-mêmes, par le biais du prélèvement arbitraire sur les heures
supplémentaires, qui financeront les 35 heures !
Est-il bien raisonnable de créer des prélèvements nouveaux pour financer un
dispositif qui créera peu d'emplois ?
Avez-vous oublié que la France est dans une situation à la fois exceptionnelle
et paradoxale, avec un fort taux de croissance, un taux de prélèvements
obligatoires record et un taux de chômage très élevé ?
Quelle conscience avez-vous donc du Gouvernement de la France ?
Troisièmement, ce projet de loi est une faute contre l'emploi.
Le bilan de la première loi est apparu très décevant. Alors que vous annonciez
600 000 emplois nouveaux en deux ans, vous ne pouvez guère en reconnaître
aujourd'hui que 120 000, en vérité 84 000 si l'on exclut l'effet d'aubaine et
les créations d'emplois dans le secteur public.
De fait, c'est une fausse croyance, malheureusement bien ancrée dans
l'idéologie socialiste, que de penser qu'il existe une corrélation automatique
entre la réduction du temps de travail et le plein emploi.
Or, c'est avant tout la croissance qui crée de l'emploi...
M. Henri Weber.
On l'utilise !
M. Patrick Lassourd.
... et votre texte fait tout pour la brider !
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
Il impose à tous une réduction du travail qui n'est souhaitée
ni de toutes les entreprises, ni de tous les secteurs ! Réglementer
uniformément le travail, c'est tout simplement freiner la production et perdre
des marchés.
Les statistiques récemment rendues publiques par Bercy ne disent d'ailleurs
pas autre chose ! C'est la croissance qui est à l'origine des emplois créés
depuis deux ans. Et, sur ces 560 000 emplois crées, seuls 40 000 sont
imputables à la réduction du temps de travail ! Or l'embauche se heurtera, avec
cette loi, à de multiples obstacles.
Quatrièmement, ce texte est une faute contre le bon sens.
Cette loi extraordinairement complexe constitue un tel maquis de règlements
que l'on me permettra de douter de sa mise en oeuvre !
J'en donnerai deux exemples : tout d'abord, le SMIC à deux vitesses, qui est
aussi inéquitable que tortueux, et le système de calcul des heures
supplémentaires, qui suppose quatre niveaux de taxation, deux catégories
d'entreprises, une période transitoire et plusieurs dates d'application...
A l'heure où l'on prône à juste titre la simplification, cet alourdissement
des contraintes est un nouveau facteur de découragement tant pour les
entreprises que pour les salariés. La marge de manoeuvre se rétrécit de plus en
plus en faveur de l'Etat.
Cinquièmement, ce projet de loi est une faute contre le dialogue social.
La confiance, qui est vitale pour une bonne relance du dialogue social, ne
peut se développer dans un climat de promesses non tenues et de mesures
législatives autoritaires ! Or c'est exactement ce que vous venez de faire.
Vous prétendez encourager la négociation collective, et voilà que le projet de
loi remet en cause les 117 accords qui viennent tout juste d'être conclus par
les partenaires sociaux et dont beaucoup vont se retrouver caducs.
Mme Nicole Notat elle-même s'en est émue : « Les partenaires sociaux n'ont
jamais été aussi maltraités ! » C'est le signe, selon elle, « d'une grave
dérive du poids de l'Etat »...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et tout ce que dit Nicole Notat est vrai !
M. Patrick Lassourd.
Vous avez considérablement restreint la marge de manoeuvre des entreprises,
par exemple en imposant un accord pour l'obtention de l'allègement des charges.
En fait, cette procédure va obliger les entreprises à donner une contrepartie
nouvelle aux salariés pour bénéficier d'une simple application de la loi !
La négociation sociale connaît ainsi un vrai recul. Du reste, de nombreux
sondages révèlent l'inquiétude des syndicats. Cette négation du dialogue social
reflète la conception socialiste des rapports sociaux : archaïque,
passéiste...
M. Hilaire Flandre.
Ringarde !
M. Patrick Lassourd.
... et fondée sur la défiance !
On en revient à la bonne vieille lutte des classes, à la vision du travail,
source d'asservissement. Mais, madame la ministre, l'époque de Zola est révolue
!
Le chef de l'Etat lui-même dénonçait récemment « un texte à l'idéologie
dépassée ».
Sachez qu'aujourd'hui chefs d'entreprise et salariés se sentent bien souvent
solidaires, animés d'un esprit d'équipe, particulièrement dans les PME et
PMI...
Mme Hélène Luc.
Dans quelle entreprise ? Chez Michelin ?
M. Patrick Lassourd.
Ils savent que leurs intérêts vont de pair et qu'ils partagent les mêmes
préoccupations. Ils savent trouver sur le terrain, au cas par cas, le juste
équilibre entre les exigences économiques de l'entreprise et les aspirations
des salariés.
Les salariés, monsieur Mélenchon, ne sont pas de « pauvres diables » !
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Les dirigeants de la CGT italienne parlaient récemment de la réduction du
temps de travail en Italie : elle devait se faire secteur par secteur, région
par région, entreprise par entreprise !
Voilà pourquoi la majorité sénatoriale pense que l'aménagement du temps de
travail ne peut faire l'économie du dialogue ni de la concertation.
« La réduction du temps de travail est une idée moderne, il faut l'appliquer
avec des moyens modernes », comme l'affirme M. le Président de la
République.
Mme Hélène Luc.
Ce n'est pas moderne les 35 heures ?
M. Patrick Lassourd.
Ces moyens passent par une approche pragmatique, sur la base du contrat et du
pacte. C'est dans ce seul cadre que l'on pourra favoriser l'initiative et
l'innovation, sources de richesses pour notre économie, loin de votre
loi-carcan.
Sixièmement, ce texte est une faute contre les salariés.
Je voudrais insister sur cet aspect humain de la loi. Car ce sont bien les
salariés qui sont au coeur du projet et qui en seront les premières
victimes.
MM. Georges Gruillot et Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
Je pense surtout aux moins qualifiés d'entre eux, sur lesquels pèsera tout
particulièrement l'alourdissement du coût du travail.
Votre projet de loi est socialement condamnable, car il pénalise les salariés
à plusieurs titres.
D'abord, leurs attentes ne sont pas comblées. Votre texte prétend répondre à
des attentes fortes de la part des salariés. Or, beaucoup vous répondront
qu'ils préfèrent avoir le choix, et que ce choix les porte plus vers une
augmentation de leur pouvoir d'achat que vers une réduction du temps de
travail.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Georges Gruillot.
Très juste !
M. Patrick Lassourd.
Leur déception ne va donc pas tarder à se faire sentir. On sait d'ailleurs par
un sondage du CSA que seulement 26 % des personnes interrogées considèrent
comme prioritaire de la réduction du temps de travail. Cette loi signifie donc
pour eux de renoncer à voir leur niveau de vie augmenter et à profiter de la
croissance.
A cette perte de pouvoir d'achat s'ajoute une perte de rénumération,
principalement par le jeu de la baisse ou de la suppression des heures
supplémentaires qui constituent pourtant une source d'appoint importante pour
les familles ! En effet, le salaire sera amputé d'une partie des majorations
pour heures supplémentaires, cette somme étant versée à un fonds spécial chargé
de financer l'allégement des charges.
Ce prélèvement arbitraire de 10 % sur les heures supplémentaires me paraît
particulièrement injuste ! Il n'est pas admissible que ceux qui travaillent
davantage aient à supporter un prélèvement supplémentaire sur leur salaire pour
ceux qui travaillent moins ! Ce véritable « rationnement » du travail décourage
la performance, et le désir de progresser, légitime pour tout salarié !
M. Georges Gruillot.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
Les conditions de travail vont se dégrader et se durcir. De nombreux salariés
verront leurs horaires de travail arbitrairement décalés ou fragmentés, et ils
le vivront mal. Il s'agit là d'une véritable atteinte à la qualité de leur
travail.
Un tiers des salariés passés aux 35 heures déplorent déjà un rythme de travail
plus stressant, imposé au nom du surcroît de productivité nécessaire.
Cette charge de travail risque d'avoir des répercussions néfastes sur la santé
et la sécurité des travailleurs, préoccupations totalement absentes de ce
texte.
M. Henri Weber.
Voyons !
M. Patrick Lassourd.
Un tel déséquilibre affecte évidemment les salariés les plus vulnérables et
contribue à creuser encore davantage la fracture sociale.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Les situations varieront d'ailleurs d'une entreprise à l'autre. Le
salarié qui effectuera des heures supplémentaires dans une entreprise où il n'y
a pas eu d'accord collectif ne pourra bénéficier que d'une bonification de 15
%, alors que son voisin, qui a eu la chance de travailler dans le cadre d'un
accord collectif, bénéficiera, lui, d'une bonification de 25 % !
Ces disparités ouvent la porte aux conflits sociaux, à la multiplication des
contrôles et à la suradministration.
Un « temps pour soi » non choisi est donc inadapté. Vous avez annoncé aux
salariés le bénéfice d'un temps pour soi, dont les femmes pourront profiter
pour se consacrer à leur famille.
Mme Hélène Luc.
Pas seulement les mères, les pères aussi !
M. Patrick Lassourd.
Mais cette meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie
familiale devrait être choisie et non subie. En fait, ce temps pour soi sera le
retour aux tâches ménagères. La flexibilité imposée aura des effets pervers si
ces femmes doivent travailler hors périodes scolaires ou après la fermeture des
crèches. Tout cela ne les fera pas plus profiter de leur vie de famille. Cette
vie familiale n'a nul besoin d'être administrée par la loi ; elle relève du
dialogue social avec l'employeur, dialogue que vous souhaitez tant encadrer
!
Les salariés sont les grands perdants de la loi sur les 35 heures. A
substituer la contrainte au dialogue, vous allez provoquer frustrations et
déceptions, favoriser le recours à l'intérim et encourager le travail au noir !
Or travailler mieux, ce n'est pas nécessairement travailler moins !
La septième faute,...
M. Henri Weber.
N'en jetez plus !
M. Patrick Lassourd.
... est d'ordre idéologique : ce texte va contre l'épanouissement de
l'homme.
La majorité sénatoriale se fait une toute autre idée que la gauche du travail
et de son nécessaire aménagement.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est certain !
M. Patrick Lassourd.
Le travail doit, selon nous, constituer d'abord un lieu d'épanouissement de
soi. Cette loi a enfermé le débat dans une logique purement économique,
étatique et arithmétique. Or il est essentiel de replacer l'homme au coeur du
débat !
Je veux y apporter une alternative et quelques propositions !
Il faut dès maintenant réfléchir au concept du temps choisi sur toute la vie.
C'est la vraie réponse aux attentes des salariés, qui souhaitent que soient
pris en compte leurs projets, leur diversité. Cela suppose contractualisation,
flexibilité, adaptation et innovation. Aidons les actifs à moduler leur temps
de travail sur toute la durée de leur vie !
Les aspirations professionnelles évoluent en effet au cours d'une vie. Il
n'est donc pas tant question de travailler moins que de travailler autrement.
Qu'il s'agisse des femmes et du désir de maternité, qu'il s'agisse de ceux qui
souhaitent prendre une année sabbatique ou assister un proche malade, les
salariés ont parfois besoin d'une interruption de travail.
Mais il me paraît également essentiel de mettre l'accent sur la formation,
formidable moyen de diversifier les compétences. Il faut à tout prix favoriser
son essor. En ce sens, la formation qualifiante du jeune salarié constitue un
excellent moyen de valoriser son activité.
En parallèle, préparer à la cessation d'activité avec une préretraite ou une
retraite progressive est une formule souhaitable ! Les nouveaux retraités
constituent un vivier précieux pour le monde du travail. C'est pourquoi je
plaide pour le libre choix du départ en retraite.
Le temps choisi peut donc s'avérer une réponse satisfaisante à ces désirs
croisés. Il nous rappelle que l'entreprise est avant tout une communauté de
destins !
M. Henri Weber.
C'est la nation !
M. Patrick Lassourd.
C'est pourquoi, madame le ministre, le groupe du RPR ne peut pas voter le
texte que vous nous présentez aujourd'hui.
M. Claude Estier.
On l'avait compris !
Mme Hélène Luc.
C'est vrai, on l'avait compris !
M. Patrick Lassourd.
Nous ne sommes pas contre les 35 heures si elles sont négociées et non
imposées.
M. Henri Weber.
Cela fait 20 ans qu'on négocie !
M. Patrick Lassourd.
Nous souhaitons changer le climat moral du monde du travail, faire bouger les
mentalités. Cela suppose de réfléchir en termes d'évolution et non de
contrainte, de pluralité et non de normalisation ! « L'incitation est toujours
préférable à l'obligation », affirme le Président de la République. C'est
particulièrement vrai en matière d'organisation du travail. Votre loi propose
tout le contraire !
C'est de ces temps de travail à préserver que dépend l'efficacité de notre
économie ! La réglementation générale que vous proposez n'est pas une idée
moderne ni adaptée.
M. Henri Weber.
Quelle caricature !
M. Patrick Lassourd.
Madame le ministre, je vais conclure.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Vous pouviez choisir le dialogue, la souplesse, le contrat, la
négociation sociale. Vous avez préféré l'étatisation, la contrainte et la
réglementation imposée et uniforme !
M. Henri Weber.
La soviétisation !
M. Claude Estier.
Des soviets partout !
M. Patrick Lassourd.
Vous pouviez choisir de préserver le pouvoir d'achat des salariés ! Vous avez
préféré leur enlever le bénéfice des heures supplémentaires !
Vous pouviez financer votre loi avec les fruits fiscaux de la croissance. Vous
avez préféré, comme d'habitude, augmenter les impôts !
M. Claude Estier.
C'est vous qui avez augmenté les impôts !
M. Patrick Lassourd.
Votre gouvernement nous parle sans arrêt de simplification administrative,
mais vous avez cultivé, avec un talent indéniable, la complexité administrative
et bureaucratique !
Vous aviez l'occasion de remettre l'homme au coeur du dispositif, afin qu'il
soit maître de ses choix ! Vous l'avez enfermé dans un dispositif kafkaïen !
M. Henri Weber.
Quelle rhétorique !
M. Patrick Lassourd.
La croissance vous permettait d'assainir les finances publiques et de diminuer
les prélèvements obligatoires, et donc de rendre les entreprises plus
performantes ! Vous avez fait exactement le contraire !
Madame le ministre, je ne dirai qu'un seul mot pour conclure : quel gâchis !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite d'un sentiment
unanime sur ces travées en faveur de la politique de réduction du temps de
travail. J'en viens à croire que si la première loi était à nouveau soumise à
vos suffrages avec une incitation à la réduction de la durée du travail, elle
serait votée au Sénat de manière quasi générale !
M. Henri Weber.
L'homme est perfectible !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet !
Vous continuez à critiquer la méthode. Pourtant - je tenterai de le redire à
nouveau - je crois véritablement qu'elle fonctionne au regard tant de la
négociation que des résultats en matière d'emploi.
Quant à moi, aux slogans ou aux diatribes, je préfère les faits. Je
rappellerai simplement que le vrai débat démocratique s'appuie sur la réalité,
et non sur des fantasmes, sur ce que l'on croit être ou ce que l'on voudrait
voir être la réalité.
Je reprendrai, en premier lieu, les critiques qui se sont fait jour sur notre
méthode, sur la réduction de la durée du travail et tout d'abord ses effets sur
l'emploi.
Plusieurs d'entre vous, en particulier M. Souvet, se sont interrogés sur
l'ampleur du mouvement de négociation depuis un an et sur les résultats en
matière d'emploi.
S'agissant de la négociation, je dois dire que je suis quelque peu étonnée des
propos qui ont été tenus dans cette enceinte car, à l'Assemblée nationale, sur
tous les bancs, chacun s'est accordé pour dire qu'il n'y avait jamais eu un
mouvement de négociation comme celui-ci dans le domaine social, et évidemment,
dans le domaine de la réduction de la durée du travail.
Je précise à M. Arthuis, d'après qui nous bridons la négociation, que les
accords signés couvrent aujourd'hui, en ce qui concerne les branches, 8
millions de salariés et, en ce qui concerne les entreprises, plus de 2 millions
de salariés. Dès aujourd'hui, 32 % des salariés des entreprises de plus de 20
salariés, c'est-à-dire celles qui verront l'obligation s'appliquer à partir du
1er janvier 2000, sont déjà couverts par un accord de passage aux 35 heures !
Un tiers avant même l'application de la loi ! Qui aurait pu croire cela il y a
seulement un an ?
S'agissant des résultats en matière d'emploi, 17 000 accords ont été signés
dans les entreprises, ce qui correspond au maintien ou à la création de 133 000
emplois. Claude Domeizel l'a bien dit, c'est la méthode qui fonctionne. C'est
pourquoi il faut la garder. Elle se fonde sur la négociation et crée des
accords sur mesure qui prennent en compte l'intérêt du fonctionnement des
entreprises, des salariés et aussi de l'emploi.
J'ai entendu dire tout à l'heure que nous aurions annoncé la création de 600
000 emplois en deux ans ; je mets quiconque au défi de le prouver. Un certain
nombre d'analyses macroéconomiques ont été présentées l'année dernière, qui
portaient sur l'ensemble du dispositif de réduction de la durée du travail,
cinq ans. Certaines annonçaient 600 000, d'autres 700 000, d'autres encore 450
000. Je me suis toujours référée à l'ensemble de ces hypothèses sans en
privilégier aucune.
En revanche, je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant d'emplois créés :
133 000 aujourd'hui, 85 % créés et 15 % préservés, et cela avant même
l'application de la loi sur la réduction de la durée du travail. Le
Gouvernement, dans le projet de budget, s'était fixé le chiffre de 40 000
embauches dans l'année 2000. Ces chiffres me paraissent très intéressants et
importants par rapport à ce que nous estimions.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ils sont encourageants !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pour répondre à Mme
Dieulangard, qui a insisté sur ce point à juste raison, et M. Fischer qui s'est
inquiété de l'augmentation des emplois précaires, je dirai que beaucoup
d'accords prévoient d'embaucher des travaileurs temporaires ou d'allonger la
durée du temps partiel. Je m'en réjouis car je crois que cela va dans le sens
souhaité par les salariés.
J'entends dire que l'effet d'aubaine serait de 50 %, 80 % ou 100 %. Là aussi,
il y a les propos de tribune et la réalité des études. Pour apprécier cet
effet, j'ai demandé à la direction des études statistiques de mon ministère, la
DARES, qui travaille en liaison avec les services du ministère de l'économie,
de faire des études.
Personne ne peut critiquer ces études qui ont été réalisées par des
fonctionnaires ou par des chercheurs et qui montrent, à partir d'un échantillon
très vaste de 30 000 entreprises - échantillon exhaustif, puisque tous les
secteurs et toutes les entreprises sont concernés - ce qu'est effectivement
l'effet d'aubaine. La DARES a chiffré cet effet à environ 10 % des emplois
concernés. L'échantillon témoin présente les mêmes caractéristiques économiques
- taille et secteur notamment - que l'échantillon des entreprises passées à 35
heures et en corrige les tendances antérieures d'emploi.
Par ailleurs, la DARES évalue l'effet net additionnel sur l'emploi et l'effet
qui se serait produit indépendamment des 35 heures. Ainsi, les 133 000
engagements de création ou de préservation des emplois correspondent à un effet
additionnel net de 120 000 environ.
Je n'ai pas souvenir d'avoir vu un gouvernement réaliser des études de cette
nature - ce que je trouve normal pour que la transparence soit totale - pour
informer le pays sur les effets d'une politique qu'il a engagée. Qu'on puisse,
aujourd'hui, remettre en cause de telles études ainsi que la qualité et
l'indépendance des fonctionnaires me choque tout à fait - je dois le dire très
simplement -, car je n'ai vu aucun organisme contester le résultat de ces
études, que ce soit le BIPE ou REXECODE, dont chacun connaît l'affiliation et
la position sur les 35 heures.
M. Henri Weber.
Très juste !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur Gournac - peut-être
les réponses aux questions de la commission n'étaient-elles pas claires -, il
faut distinguer les 133 000 emplois potentiellement créés et les 40 000 qui le
sont déjà. C'est évident qu'il n'y a pas de divergence dans les chiffres.
D'ailleurs, les études faites auprès des entreprises montrent que ces dernières
mettent environ trois mois avant d'embaucher la totalité des salariés qu'elles
ont décidé effectivement d'employer. L'enquête auprès des directeurs des
ressources humaines, que beaucoup d'entre vous citaient, M. Souvet notamment,
est très instructive sur le décalage qui peut exister entre un jugement
abstrait
a priori
et la réalité, très concrète, dans les entreprises.
Je vous avais déjà cité hier la position de chefs d'entreprise qui sont passés
à 35 heures : 85 % d'entre eux estiment aujourd'hui - ce n'est pas moi qui le
dis, c'est un grand organisme qui fait des enquêtes - que leur entreprise
fonctionne mieux après avoir mis en oeuvre les 35 heures qu'avant, ce qui
n'empêche pas ceux qui n'y sont pas encore passés de s'inquiéter, et je les
comprends, car il n'est pas facile de lancer un mouvement comme la réduction de
la durée du travail. Si ça l'était, nous l'aurions fait, les uns et les autres,
depuis très longtemps.
De même, 61 % des DRH estiment que la RTT n'aura pas d'effet sur l'emploi ;
mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que 6 % estiment que la RTT
créera plus de 10 % d'emplois ; pour 26 %, ce taux est de 7 % à 10 %, et pour
28 %, il est 5 % à 6 %. Au total, 60 % des DRH avancent un chiffre supérieur à
5 % d'emplois ; 5 % d'effectifs supplémentaires dans notre pays, c'est beaucoup
plus que ce qu'avaient prévu toutes les études macro-économiques. Telle est la
réalité. Encore une fois, il y a ce que l'on croit et ce que les faits
démontrent. Je préfère, pour ma part, m'arrêter aux faits.
Vous parlez de l'exception française. Je vous rappellerai, comme je l'ai déjà
indiqué lors de notre premier débat, qu'en 1891, lorsque la durée du travail
des femmes et des enfants a été abaissé, pour la première fois, exactement le
même discours a été tenu.
M. Claude Estier.
Absolument !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous sommes l'exception
française ! C'est un scandale que de fixer à douze heures la durée du travail
des femmes et des enfants ! La compétitivité des entreprises va en souffrir !
Nous sommes les seuls au monde à le faire ! En 1936, on ajoutait un argument
supplémentaire : le travail au noir va se développer. Tous ces arguments, nous
les connaissons par coeur. Comme M. Mélenchon l'a rappelé, chaque fois que
notre pays connaît un progrès social - ce fut vrai pour les emplois-jeunes, ça
l'est pour la réduction de la durée du travail - nous entendons le même
discours : nous sommes l'exception française ; cela va coûter trop cher ; nous
sommes les seuls à le faire !
Aujourd'hui, les résultats sont là ! Aujourd'hui, l'exception française ce
sont les bons résultats que nous connaissons sur le chômage. Nous sommes l'un
des pays où le taux de chômage a diminué le plus et, à l'appui de mon propos,
je vais vous citer les chiffres correspondants dans quelques instants.
(Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste. -
Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Hilaire Flandre.
C'est faux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est faux ? Mais ces résultats
proviennent de l'OCDE, d'Eurostat et non des services du ministère du travail
!
M. Hilaire Flandre.
Nous sommes le pays où le chômage est le plus élevé.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai dit que nous étions celui
où le chômage baissait le plus. Nous parlerons ensuite du niveau du chômage. Là
aussi, les réalités peuvent faire mal, mais il est toujours bon de les
entendre.
MM. Souvet, Gournac et Trégouët soutiennent que, depuis deux ans, les
performances de la France sont moins bonnes que celles de ses partenaires de
l'OCDE. Mais, messieurs, la France est le pays du G7 où le chômage recule le
plus. Depuis le mois de juin 1997, il a baissé de 1,5 %. C'est deux fois plus
qu'en Allemagne, malgré la progression toujours rapide de la population active
française. Effectivement, et nous devons nous en réjouir, ces deux dernières
années, la population active s'est accrue de 220 000 à 230 000 personnes par
an. Avant que le chômage ne baisse, il fallait donc créer 230 000 emplois. Dans
le même temps, la population active a baissé en Allemagne, et pourtant, notre
rythme de réduction du chômage a été deux fois plus rapide.
Je prends l'exemple de l'Allemagne car vous prenez toujours ce pays comme
référence avec délectation.
En comparaison avec l'Allemagne, les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la
France fait mieux. Un seul pays a un taux de réduction du chômage meilleur que
celui de la France : c'est l'Espagne - et encore, si l'on prend en compte les
deux années précédant les deux dernières. En outre, l'Espagne partait d'un taux
de chômage de 20 % alors qu'il était en France de 12,5 % à notre arrivée et
qu'il est de 11,1 % aujourd'hui.
De plus, le chômage baisse à un rythme accéléré depuis quelques mois - Guy
Fischer et Marie-Madeleine Dieulangard ont rappelé les chiffres - accélération
qui coïncide, bien sûr, avec le retour de la croissance mais qui augmente
depuis plusieurs mois alors même que la croissance est moins élevée aujourd'hui
qu'elle ne l'était l'année dernière.
Je ne sous-estime pas les effets de la croissance, je m'en réjouis car nous
avons tout fait pour relancer la consommation, pour faire en sorte que la
confiance revienne. Néanmoins, alors que l'année dernière notre taux de
croissance était de 3,2 % et qu'il pourrait s'établir cette année entre 2,3 %
et 2,5 %, c'est-à-dire être moins élevé, le rythme de la baisse du chômage est,
cette année, deux fois et demie plus élevé que celui de l'année dernière, année
pourtant exceptionnelle.
On comptait 130 000 demandeurs d'emploi en moins en 1998 ; le chômage a baissé
autant ces trois derniers mois et, depuis le début de l'année, il baisse deux
fois et demie plus vite que l'année dernière. Voilà la réalité telle que la
décrivent les chiffres qui nous sont donnés.
Permettez-moi de citer la dernière étude sur la conjoncture des différents
pays qui vient d'être faite par la banque J.P. Morgan, une grande banque
anglo-saxonne. Il y est fait état du « cercle vertueux de la croissance en
France » et de ses effets sur l'emploi en soulignant les effets positifs des
emplois-jeunes et de la réduction de la durée du travail. Cette étude, qui nous
vient d'outre-Atlantique, a été publiée en mars 1999 et l'on ne peut pas dire
qu'il s'agit d'une invention du gouvernement socialiste ou de la majorité
plurielle. (
M. Mélenchon applaudit.
)
MM. Gournac et Revet prétendent que la loi sur les 35 heures favorise les
délocalisations, qu'elle décourage des sociétés de s'installer en France, que
le pays navigue à contre-courant de ses partenaires.
M. Charles Revet.
C'est vrai !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Madame le ministre, me permettez-vous de vous interrompre
?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il faut toujours que vous
m'interrompiez quand je parle, monsieur le rapporteur ! (
(Exclamations sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.
)
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Mais non, c'est la première fois.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Aujourd'hui, peut-être, mais
c'est la même chose à chaque débat.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
J'interviendrai donc à la fin de votre propos, madame le
ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mais non, je vous laisse encore
la parole cette fois-ci bien volontiers.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de Mme le ministre.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Madame le ministre, il est inexact de dire que j'ai
l'habitude de vous interrompre.
Quoi qu'il en soit, je souhaiterais vous répondre à propos des chiffres
provenant d'Eurostat que vous avez cités. J'ai sous les yeux un tableau publié
par Eurostat, datant du 10 août 1999 donc très récent.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Oui !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
On y voit que le chômage a baissé en Espagne de 23,3 %, en
Suède de 32,7 %, en Irlande de 33,7 %, en Finlande de 20,6 %, aux Pays-Bas de
40 %, je passe sur le reste, pour arriver à la France, où il a baissé de 11,2
%. On ne peut donc pas dire que nous sommes les meilleurs élèves !
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai fait une comparaison avec
les pays du G 7. Si je n'ai pas pris l'exemple de la Suède ou de la Finlande,
c'est que, au cours des quatre années précédentes, alors que le chômage a monté
en France, c'est dans les quatre pays du Nord qu'il a le plus baissé. Par
courtoisie, j'ai donc établi ma comparaison avec les pays du G 7, dont la
situation m'a semblé plus proche de la nôtre, je peux vous communiquer les
statistiques.
M. Guy Fischer.
Il faut comparer ce qui est comparable.
M. Georges Gruillot.
L'Espagne, ce n'est pas le G 7.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ces statistiques ne sont pas à
l'avantage de la droite, je tiens à le dire tout de suite.
(Applaudissements
sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Si j'avais parlé de
la Suède ou de la Finlande, certains se seraient esclaffés. C'est pourquoi j'ai
préféré choisir les pays du G 7.
Etes-vous d'accord avec les chiffres d'Eurostat que j'ai énoncés, monsieur le
rapporteur ? C'est la seule question qui importe.
M. Henri Weber.
Chapeau bas devant la sociale démocratie nordique !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je n'ai pas considéré que les seuls pays du G 7.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le rapporteur,
l'important est de savoir si j'ai raconté des histoires à la Haute Assemblée en
citant les chiffres d'Eurostat.
M. Hilaire Flandre.
On peut pécher par omission.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si M. le président le permet,
je citerai tout à l'heure les chiffres des pays du nord de l'Europe, et l'on
verra que M. le rapporteur aurait pu éviter de m'interrompre car ces chiffres
ne sont pas à l'honneur du précédent gouvernement !
Je tiens à répéter, après Mme Borvo notamment, que les propos tenus sur les
délocalisations relèvent plus d'une position idéologique que d'une constatation
des faits. Là aussi, je citerai quelques chiffres. Monsieur le rapporteur,
n'hésitez pas à m'interrompre s'ils ne vous semblent pas vrais.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Si vous m'y invitez, je ne résisterai pas !
(Sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En ce qui concerne les
investissements étrangers, la France est classée en 1998, dernière année
connue, en troisième ou quatrième position, selon les sources.
Ainsi, la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, la
CNUCED, organisme dépendant de l'ONU, place la France, avec 28 milliards de
dollars d'investissements étrangers en 1998, derrière les Etats-Unis et les
Pays-Bas, mais devant tous les autres pays ! L'Allemagne n'a totalisé que 20
milliards de dollars et en Italie les investissements se sont limités à 3
milliards de dollars. De plus, le volume de ces investissements étrangers est
en hausse de 20 % en 1998 par rapport à 1997.
Si effet 35 heures il y a, il est donc dans le sens inverse de celui que vous
indiquez ! J'ai les chiffres ; je vous les ferai passer dans quelques
instants.
Je rappelle que, pendant la période 1993-1997, le taux de chômage a augmenté
en France de 1,3 %, alors qu'il a baissé de 2 % en Finlande, de 3,4 % au
Royaume-Uni, de 4,6 % au Danemark et de 0,8 % aux Pays-Bas. Je le répète, je
n'ai pas mentionné ces chiffres car, alors vous étiez au pouvoir. J'ai préféré
considérer des pays à structures comparables.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes.)
J'en reviens aux investissements étrangers : alors que la France était à la
traîne des autres pays européens sur cette période 1993-1997 - et, là aussi,
reportons-nous aux statistiques : 0,5 % de croissance en moins par an en
moyenne - elle a vu son taux s'élever à 0,5 % au-dessus du taux européen en
1998, et les prévisions des organismes internationaux, comme le FMI, placent
tous la France en tête, pour 2000 en tout cas, et sans doute pour l'avenir.
Ainsi, pour 2000, le FMI prévoit-il un taux de 3 % en France, contre 2,5 % en
Allemagne, 2,4 % au Royaume-Uni et en Italie. Or, que je sache, le FMI n'est
pas un organisme dépendant du Gouvernement ! D'ailleurs, le BIPE et Rexecode
font des prévisions de même nature.
Je crois que nous sommes en train, depuis plus de deux ans, comme l'a très
bien dit Henri Weber, de faire la démonstration que le progrès économique et
technique, d'une part, le progrès social, d'autre part, loin de s'opposer, se
renforcent mutuellement. Tant que l'on considérera que la politique sociale
n'est là que pour contrebalancer les effets négatifs de la croissance et qu'une
économie plus solidaire ne va pas avec une économie plus performante, on
connaîtra les mêmes résultats que ceux qu'a connus la France au cours des
quatre années qui ont précédé notre arrivée. C'est bien parce que nous avons la
conception inverse que nous obtenons les résultats que l'on sait en matière de
chômage !
J'ai évoqué l'effet emploi, l'effet économique ; je voudrais maintenant
m'attacher à l'effet social des 35 heures, et tout particulièrement au problème
des salaires.
J'ai été heureuse de sentir l'intérêt - soudain pour certains, me semble-t-il,
moins pour d'autres - des membres de votre assemblée pour les salariés et,
particulièrement, pour ceux qui perçoivent de bas revenus.
M. de Montesquiou nous a fait une démonstration tout à fait intéressante sur
les salariés qui verraient leurs droits bafoués par la réduction de la durée du
travail.
Dois-je aussi rappeler - car les faits sont têtus - que l'augmentation du
pouvoir d'achat des salariés a dépassé 2,5 % en 1998 ?
M. Aymeri de Montesquiou.
C'était avant les 35 heures !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pendant la deuxième moitié de
l'année 1998, la loi était entrée en application.
D'ailleurs, vous n'avez cessé de nous expliquer que les entreprises étaient
terrorisées depuis deux ans à l'idée des 35 heures et qu'elles anticipent
toujours. C'est bien connu, pour avoir travaillé dans une entreprise, je sais
moi aussi ce qu'il en est. Eh bien ! elles ont anticipé.
Elles ont anticipé le retour de la confiance, le retour de la croissance. Et,
effectivement, alors que le pouvoir d'achat a stagné, voire baissé, pendant les
quatre dernières années, il s'est accru de plus de 2,5 % en 1998. C'est un
record inégalé depuis vingt ans !
M. Aymeri de Montesquiou.
Je le répète, c'était avant les 35 heures !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pour un pays qui irait mal et
qui traiterait mal ses salariés, on ne peut trouver de résultats plus éloquents
!
J'en viens maintenant aux cadres.
A en croire certains d'entre vous, ils risquent d'être seuls à être traités de
cette manière.
Employée dans un grand groupe multinational, j'ai pu voir aux Etats-Unis, à
Chicago précisément, comment à seize heures ou à dix-sept heures les tours
fermaient et se vidaient de leurs cadres.
Or je n'ai pas eu l'impression que la partie de ce groupe située aux
Etats-Unis était moins bien gérée et fonctionnait moins bien que le reste.
Simplement, aux Etats-Unis, qui sont votre modèle - c'est la raison pour
laquelle je me permets de l'évoquer - voilà longtemps qu'on travaille
différemment.
Le malaise des cadres dans notre pays ne provient pas d'un trop faible
attachement à leur travail, il découle du sentiment que leur mobilisation,
leurs efforts ne sont pas reconnues et que leur vie personnelle s'articule mal
avec leur vie professionnelle.
Je me réjouis de voir que plus de 60 % des jeunes cadres, comme le montrent
les sondages, ont envie de s'occuper de leurs enfants - je parle autant des
hommes que des femmes - et qu'ils ont envie pour cela de réorganiser leur
travail.
M. Aymeri de Montesquiou.
Combien de journées de vacances ont les cadres américains ? Dix jours par an
!
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le travail est un élément
essentiel d'insertion, un élément essentiel de reconnaissance de leur utilité
sociale pour les hommes et les femmes ; je l'ai dit dès mon introduction,
monsieur le sénateur !
Mais il y a aussi la vie hors du travail. Mme Borvo a insisté, comme Jean-Luc
Mélenchon, sur l'importance de la réduction de la durée du travail chez les
cadres, particulièrement chez les femmes ; nombre d'entre elles, qui hésitaient
à prendre des responsabilités de peur de culpabiliser parce qu'elles ne
pensaient pas pouvoir réaliser en même temps une vie professionnelle et une vie
personnelle pourront dorénavant le faire dans de meilleures conditions.
Personnellement, je m'en réjouis.
Il est d'ailleurs assez étonnant de voir comment un certain nombre de
syndicats représentant des cadres - je pense notamment aux syndicats
catégoriels -, qui s'opposaient aux 35 heures, nous disent aujourd'hui - et je
m'en réjouis, même si cela les rend plus exigeants - que tous les cadres
doivent se voir appliquer la règle des 35 heures dès demain. Je ne pense pas
que ce serait une bonne chose.
En tout cas, depuis un an, c'est tout un mouvement qui s'est mis en route, un
vrai mouvement de discussion dans les entreprises, une prise de conscience que
l'on peut organiser la société autrement, que l'on peut travailler autrement et
que personne ne doit rester en dehors de l'évolution. Je suis étonné que le
Sénat n'entende pas, ne voie pas ce mouvement, car il se manifeste dans de
multiples domaines.
M. Claude Estier.
Vous parlez de la majorité sénatoriale !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet, je veux parler de la
majorité du Sénat.
M. Alain Gournac.
La majorité présidentielle !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En ce qui concerne la fonction
publique, qu'elle soit d'Etat, territoriale ou hospitalière, M. Fischer a
souligné à juste titre qu'elle ne pouvait rester à côté de ce mouvement. Vous
les savez, à la suite du rapport Roché, M. Zuccarelli a rencontré les
organisations syndicales et entrepris les négociations dans la fonction
publique. De la même manière, nous les avons engagées dans le secteur
hospitalier.
S'agissant plus particulièrement de celui-ci, je fais observer que la durée du
travail y est très proche des trente-neuf heures affichées, ce qui n'est pas
partout le cas, que l'on y travaille beaucoup, et dans des conditions très
pénibles. Dans ce secteur, la réduction de la durée du travail est une vraie
nécessité et elle devra entraîner des créations d'emplois.
Parmi les critiques que j'ai entendues, il en est une qui provoque
singulièrement mon étonnement. Certains me disent que cette loi est un carcan
qui ferait marcher tout le monde au pas cadencé. Et puis les mêmes, ou
d'autres, m'affirment qu'elle est trop complexe, qu'elle envisage trop de cas.
Il faut choisir ! Ou bien c'est un carcan qui fait avancer tout le monde de
manière uniforme, ou bien il faut essayer de prendre en compte, comme nous
l'avons fait, les différents types de salariés - les cadres et les autres - les
différents types d'entreprises - les grandes et les petites - les différents
types d'accords signés. Si l'on prévoit des dispositions correspondant à une
réalité diverse, nécessairement, la loi est plus longue, plus détaillée, plus
complexe.
Il est évident que chaque entreprise n'est que dans un cas ; elle n'est pas
dans la totalité des cas.
Je prendrai un exemple qui a été souvent évoqué, celui des heures
supplémentaires.
Quand on connaît le code du travail actuel, M. Arthuis qui a fait partie de ce
ministère le sait aussi bien que moi, notamment en ce qui concerne le repos
compensateur tel qu'il a été mis en place par un ministre qui était là juste
avant lui, on se rend compte que ce qui est proposé correspond à une
simplification tout à fait essentielle. Qu'avons-vous prévu ? Une année de
transition pendant laquelle la taxation des heures supplémentaires serait de 10
% et un régime définitif où elle serait de 25 %. Lorsqu'un accord a été signé,
tout va au salarié ; en l'absence d'accord, 10 % de la somme vont vers un
fonds. Est-ce complexe ? Est-ce difficile ? L'entreprise aura-t-elle du mal à
savoir dans lequel de ces quatre cas elle se situe ? Très franchement, j'ai du
mal à comprendre où est la complexité ?
M. Hilaire Flandre.
Apparemment, c'est moins simple pour les salariés !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En revanche, nous avons
effectivement souhaité trouver les solutions les plus adaptées à chaque
réalité.
MM. Souvet et Gournac nous disent que les Français continuent à douter des 35
heures. Certains l'ont rappelé, M. Jean-Luc Mélenchon notamment, la majorité
actuelle a été élue pour faire baisser le chômage et le Premier ministre, dès
le premier jour, a dit que ce serait notre objectif prioritaire, pas seulement
dans les discours, mais aussi dans les faits.
Nous avons toujours affirmé, y compris pendant la campagne qui a précédé les
élections législatives, que les 35 heures constituaient une piste irremplaçable
pour réduire le chômage ; ce n'est pas la seule, il en existe d'autres : la
relance de la consommation et de la croissance, les nouvelles technologies, les
emplois-jeunes, la baisse des charges sociales.
Eh bien, nous sommes en train de faire tout ce que nous avons dit et, encore
une fois, les résultats sont là.
Selon l'enquête la plus récente, réalisée par la SOFRES en mai 1999, 56 % des
Français disent que la réduction de la durée du travail aura un effet sur
l'emploi. C'est le verre à moitié vide et le verre à moitié plein...
M. Aymeri de Montesquiou.
Mais un effet bon ou mauvais ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous savez, monsieur le
sénateur, on leur en a tellement raconté, aux Français, sur la baisse du
chômage, qu'ils finissaient par douter de tout !
M. Hilaire Flandre.
Surtout de ce que vous leur dites !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous comme nous !
M. Hilaire Flandre.
C'est gentil de le reconnaître !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai dit que je parlerais des
faits ; je m'en tiens à cette ligne de conduite.
Un fait, en voici un : interrogés il y a quelques semaines, les Français ont
dit pour la première fois depuis la crise pétrolière de 1973 qu'ils croyaient
que le chômage allait commencer à baisser. Il aura fallu qu'il y ait la relance
de la consommation, la croissance, les nouvelles technologies, les
emplois-jeunes, la réduction de la durée du travail, bientôt la baisse des
charges et, surtout, un début d'amélioration dans les chiffres du chômage -
même s'il reste beaucoup de chemin à parcourir, je suis bien placée pour le
savoir - pour que, tout à coup, on commence à y croire.
Quand on interroge les salariés qui sont passés aux 35 heures, 86 % d'entre
eux estiment que la réduction de la durée du travail a créé des emplois qui ne
l'auraient pas été autrement dans leur entreprise.
Monsieur Gournac, vous qui, dans un élan que vous avez qualifié de gaulliste,
avez souhaité que les Français se rassemblent derrière de grands projets, vous
devriez vous réjouir de ce qui se passe avec les 35 heures...
M. Alain Gournac.
Ah non !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... puisque, aujourd'hui, les
employeurs et les salariés se retrouvent autour d'une table pour que
l'entreprise fonctionne mieux, pour que les salariés aient de meilleures
conditions de travail, de meilleures conditions de vie, et également pour faire
en sorte qu'une place soit faite aux chômeurs. D'ailleurs, bon nombre d'entre
eux m'ont fait part de leur fierté d'avoir effectivement pu contribuer, par un
geste de solidarité active, dans leur entreprise, à créer des emplois.
En ce qui concerne les organisations d'employeurs, je ne peux pas vous laisser
dire, monsieur Souvet, qu'elles sont toutes en désaccord avec la démarche
engagée.
Bien entendu, jamais un chef d'entreprise n'accepte - et, à la limite, on peut
le comprendre - que l'Etat intervienne dans la conduite de son entreprise,
considérant qu'il sait ce qu'il a à faire.
Cela étant, un grand nombre de chefs d'entreprise se rendent compte que leur
entreprise ne pourra pas continuer à se développer dans un environnement qui se
dégrade, quand, dans certains quartiers, le taux de chômage est très élevé,
quand le coût social et financier de l'exclusion n'est plus acceptable dans un
pays comme le nôtre. Ils sont réalistes et, lorsqu'on leur propose une solution
qui, aussi difficile soit-elle, permet de sortir de l'impasse, ils s'engagent
dans la démarche. C'est pourquoi, aujourd'hui, dans une entreprise sur deux, on
a commencé à négocier.
M. Delmas, président de l'UPA, l'union professionnelle artisanale, qui
représente 850 000 chefs d'entreprise de France, les plus petits, a lui-même
considéré, même s'il n'était pas au départ favorable aux 35 heures, que le
projet de deuxième loi allait dans le bon sens. Il s'est même félicité des
amendements adoptés en première lecture à l'Assemblée nationale.
Je remercie M. Franchis d'avoir rappelé que, dans le rapport de M. Souvet,
figurait le procès-verbal de l'audition de M. Delmas. Ce dernier explique qu'il
a choisi la voie du dialogue plutôt que celle de l'affrontement parce que
l'opposition systématique ne peut être que stérile. Je dirai dans quelques
instants ce que nous faisons avec l'UPA pour essayer de travailler avec le
commerce et l'artisanat.
J'ai aussi entendu dire que nous ne respecterions pas les accords. Ce slogan,
je le connais ! C'est celui qui a été choisi par une grande organisation
patronale, notamment lors de son rassemblement à la porte de Versailles.
En commission, nous avons eu un débat assez animé à ce sujet. Là encore, j'ai
souhaité que l'on m'apporte des exemples, des faits, plutôt que d'asséner des
slogans.
Le Gouvernement a choisi de s'appuyer sur la négociation qui seule, me
semble-t-il, permettra de réussir le passage aux 35 heures. C'était vrai pour
la première loi, c'est également vrai pour la seconde. Nous laissons donc du
temps à la négociation.
Le projet de loi donne, et c'est nécessaire, des bases légales nécessaires à
des innovations issues de la négociation collective : décomptes annuels en
heures ou en jours du temps de travail pour les cadres ; réduction du temps de
travail sous forme de jours sur le mois ou sur l'année ; mise en place d'une
modulation individualisée des horaires ; possibilité d'organiser des actions de
formation personnelle pour partie sur le temps libéré par la réduction du temps
de travail ; nouvelles modalités d'alimentation ou d'utilisation du compte
épargne temps.
Toutes ces dispositions émanent des accords. Nous les avons reprises et
consolidées.
Par ailleurs, nous avons ouvert des espaces nouveaux à la négociation : en
laissant le choix entre récupération en temps ou majoration en argent pour les
heures supplémentaires, en permettant le recours au temps choisi ou au délai de
prise de repos compensateur.
Des paramètres essentiels du raisonnement sur le temps de travail proviennent
des accords de branche. Ainsi, le nombre de jours travaillés dans le cadre d'un
décompte en jours pour les cadres se situait, dans ces accords, entre 205 et
217 jours. Nous avons retenu 217 jours. Il est toujours possible, je le
rappelle, de modifier ce plafond par la négociation collective.
L'histoire retiendra à la fois que des innovations sociales majeures ont été
rendues possibles par la négociation sociale et que ce mouvement de négociation
a été impulsé par un choix clair du Gouvernement.
Certes, sur trois points, nous n'avons pas validé certaines propositions des
accords de branches. Le Sénat m'en fait-il le reproche ? Si c'est le cas, il
doit le dire !
Il s'agit tout d'abord de quelques accords de branche, qui ont voulu étendre
le régime du forfait tous horaires, c'est-à-dire cette rémunération globale que
l'on verse, sans contrôler la durée du travail, à d'autres catégories de
salariés que les cadres. Faut-il, dans notre pays, considérer qu'un agent de
maîtrise gagnant 12 000 francs par mois peut travailler sans contrôle de ses
horaires ? Personnellement, je ne le pense pas. Si, au Sénat, on pense
autrement, il faut le dire.
Par ailleurs, en matière de repos dominical, trois accords sont allés au-delà
des règles actuelles du code du travail, des règles qui, en l'occurrence, ne
datent pas de 1998 ! Devais-je reconnaître cette banalisation du travail le
dimanche, contraire au code du travail depuis plusieurs années ? Je n'ai pas
pensé qu'il fallait modifier la loi en la matière. Le Sénat souhaite-il que
nous étendions le travail le dimanche ? Là aussi, si c'est le cas, il faut le
dire.
Enfin, s'agissant de la formation, alors que nous avons reconnu que des
formations personnelles, visant à l'épanouissement du salarié, pouvaient être
suivies hors du temps de travail, il ne nous a pas semblé souhaitable de
prévoir que des formations pour de simples adaptations au poste du travail
pourraient être suivies en dehors du temps de travail. Là encore le Sénat
pense-t-il qu'il faut aller au-delà ?
Voilà les trois points majeurs sur lesquels nous n'avons pas étendu un certain
nombre de clauses d'accords de branche. Pour le reste, l'ensemble des accords
qui nous ont été proposés à l'extension ont été soit étendus, c'est le cas de
soixante-treize d'entre eux, soit sont sur le point de l'être, puisque trente
et un accords sont actuellement soumis à la procédure. Sur les huit qui
restent, un, que vous connaissez bien, s'est de lui-même mis à l'écart de la
loi, un autre a été refusé après l'opposition de trois organisations syndicales
et parce que l'exclusion d'un certain nombre de clauses aurait remis en cause
l'équilibre du texte, et les six derniers n'ont pas demandé l'extension. Tous
ceux qui ont été étendus ou qui vont l'être seront directement applicables si
le second projet de loi, tel qu'il est présenté aujourd'hui au Sénat, est
voté.
La réalité, la voilà. Si vous souhaitez que nous rouvrions ce débat, j'y suis
prête, c'est le jeu de la démocratie, mais je vous demande de me donner des
exemples. Je les ai sollicités en commission : on ne m'en a pas apporté ! Si
nous débattons, il faut tout de même que nous partions de données concrètes
!
Reste le problème de l'habillage et du déshabillage, qui correspond à un ajout
de l'Assemblée nationale. Ce point pose effectivement un problème, non pas pour
le dernier accord signé, mais dans le cas de certaines branches. Nous sommes en
train de l'étudier. Je rappelle que cette disposition ne figurait pas dans le
projet de loi initial ; je le précise non parce que j'en conteste le bien-fondé
mais parce que je tiens simplement à souligner que le projet de loi présenté
par le Gouvernement ne mettait pas en difficulté les accords de branche : bien
au contraire, il les rendait tout à fait applicables.
Telle est la réalité. Alors, pas de mauvaise querelle !
On a le droit d'être contre les 35 heures. On a le droit de considérer que
c'est une mauvaise solution pour l'emploi, pour les salariés et pour
l'économie. Mais on n'a pas le droit de dire le contraire de la vérité si l'on
souhaite un véritable débat démocratique.
J'en viens à la modulation, sur laquelle M. Fischer a eu raison d'insister.
Un accord sur deux prévoit aujourd'hui une modulation. Nous avions auparavant
un système de modulation un peu « sauvage » : on pouvait signer des accords
portant sur 20 à 48 heures, modifier les horaires de travail, ne pas légitimer
la modulation.
Aujourd'hui, dans tous les accords, le chef d'entreprise est obligé
d'expliquer les raisons qui l'amènent à mettre en place la modulation.
A mes yeux, la transparence et la démocratie dans l'entreprise, c'est aussi
cela.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si le chef d'entreprise estime
que la souplesse correspond à une nécessité, il doit expliquer en quoi aux
salariés. D'ailleurs, il a tout intérêt à ce que ceux-ci comprennent le
fonctionnement de l'entreprise et certaines nécessités, quitte à les contester
s'ils l'estiment nécessaire.
Deux tiers des accords prévoient un plafond inférieur ou égal 42 heures. Seuls
9 % des accords de modulation dépassent 40 heures pendant dix semaines dans
l'année.
Par rapport aux accords de modulation antérieurs, ils sont donc mieux cadrés
et les salariés sont mieux protégés.
Par ailleurs, des calendriers prévisionnels et des délais de prévenance sont
prévus pour que les salariés puissent connaître à l'avance les modifications
envisagées.
La moitié des accords modulent entre 30 et 39 heures ; ce n'est plus la
précarisation que l'on constatait auparavant.
Par ailleurs, nombre d'entre vous, notamment M. Fourcade, se sont inquiétés de
l'application de la réduction de la durée du travail dans les petites
entreprises. Plusieurs dispositions ont déjà été prises, je le rappelle, dans
la première loi, afin d'en adapter les modalités d'application aux petites
entreprises s'agissant, en particulier, des délais et des aides attribuées.
Nous procédons de la même manière dans la seconde loi. D'ailleurs, certains
amendements, qu'a salués M. Delmas, ont permis de prévoir, dans la seconde loi,
par exemple que les petites entreprises pourraient réduire par étape la durée
du travail jusqu'à 35 heures avant le 1er janvier 2002 et qu'elles
bénéficieraient des aides proportionnellement à la réduction de la durée du
travail.
Vous avez également été nombreux à soulever le problème de la pénurie de
main-d'oeuvre. Il s'agit d'un sujet majeur ! Cette pénurie touche le bâtiment,
l'artisanat, le commerce, le décolletage ; M. Carle nous en a longuement parlé.
Je souhaite m'attarder quelques instants sur cette question. Nous y travaillons
avec l'Union professionnelle artisanale depuis maintenant plus d'un an, avant
même que ne soit élaborée cette loi sur la durée du travail.
J'apprécie la démarche de l'Union professionnelle artisanale. Tout à l'heure,
M. de Montesquiou m'a demandé si je rencontrais les artisans du Nord comme il
voit ceux du Gers. Je rencontre les artisans et les commerçants, monsieur le
sénateur ! J'étais d'ailleurs, voilà quinze jours, à l'assemblée générale de
l'Union professionnelle artisanale où j'ai dû rencontrer les vôtres, monsieur
le sénateur, comme les miens, puisque la France entière était représentée.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est ce que je disais !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Aujourd'hui, ces artisans et
ces commerçants nous disent qu'ils connaissent des pénuries de main-d'oeuvre et
qu'ils n'arrivent plus à attirer des jeunes. Cela ne date pas de la réduction
de la durée du travail ; il y a longtemps que ce problème existe ! Les
sénateurs qui sont issus des zones rurales savent la difficulté que rencontrent
les bouchers, les boulangers, les cordonniers à voir reprendre leur commerce.
Les artisans qui veulent transmettre leur savoir ne parviennent pas à trouver
des jeunes pour exercer des métiers d'apprentissage et conclure des contrats de
qualification. Eh bien ! qu'ont-ils eu le courage de dire ? Que les conditions
de travail ne correspondent plus aujourd'hui à ce qu'attendent les jeunes.
M. Buguet, président de la Confédération de l'artisanat et des petites
entreprises du bâtiment, la CAPEB, a dit qu'il fallait réduire la durée du
travail - c'est l'un des premiers accords de branche signés, directement
applicable dans les petites entreprises - et il a proposé quatre formes de
réduction de la durée du travail. En effet, a-t-il indiqué, si nous maintenons
la durée du travail à 45 ou à 50 heures, nous n'aurons plus de jeunes et il ne
nous restera plus qu'à mettre la clé sous la porte.
Tel garagiste, tel boulanger, à Lille justement, m'ont dit qu'ils ne
trouvaient plus d'apprentis, mais que, depuis la loi sur les 35 heures, ce
n'était pas le choix qui manquait. Voilà la vérité ! Ces secteurs n'étaient
plus attractifs et lorsqu'ils arrivaient à trouver des jeunes et qu'ils les
formaient, ceux-ci partaient ailleurs à l'issue de leur formation, parce qu'il
n'est plus acceptable, aujourd'hui, de travailler 45 ou 50 heures par
semaine.
En liant la baisse des charges sociales et la réduction de la durée du
travail, nous permettons à ces secteurs de se moderniser, tout en activant leur
compétitivité, puisque, je le rappelle, la baisse du coût du travail est de 5 %
en dessous de 10 000 francs, une fois pris en compte le coût de la réduction de
la durée du travail.
Les artisans et les commerçants s'engagent dans cette voie de la réduction de
la durée du travail et nous y allons avec eux !
Voilà quelques jours, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et
moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, et moi-même avons signé un
accord avec les professions artisanales. Nous reprenons, secteur par secteur,
les besoins de main-d'oeuvre. En début d'année, nous lancerons un vaste
mouvement de sensibilisation et d'information des jeunes dans les collèges et
les lycées, en partenariat avec l'éducation nationale, ainsi que dans les
missions locales, avec l'appui des associations de jeunes, pour leur faire
connaître ces métiers du commerce et de l'artisanat, ces métiers où 80 % des
jeunes qui entrent en apprentissage deviennent ensuite leur propre patron. Il
s'agit de métiers de services dont nous avons vraiment besoin pour faire vivre
nos villes.
Monsieur de Montesquiou, je rencontre les artisans et les commerçants !
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est ce que je disais !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je ne me contente pas de parler
! Je travaille avec eux, parce que je souhaite que le commerce et l'artisanat
se développent dans notre pays. C'est un secteur formidable en termes de
métiers. Et il est créateur d'emplois.
Actuellement, nous mobilisons l'ensemble des services de formation de l'Etat,
afin de pouvoir former, dans des délais brefs lorsque c'est nécessaire, dans
des délais plus longs lorsque le métier l'exige, des jeunes, de façon que ces
métiers profitent effectivement de la réduction du temps de travail pour se
moderniser et pour exister.
Si le président Delmas, les présidents de la Confédération générale de
l'alimentation de détail, la CGAD, des hôtels cafés restaurants et de la CAPEB
avancent avec nous, monsieur le sénateur, c'est peut-être parce qu'ils ont
l'impression que ceux qui sont derrière eux - ils sont 830 000 ! - les suivent.
Tel a d'ailleurs été mon sentiment quant j'ai assisté à l'assemblée générale de
l'Union professionnelle artisanale.
Ces mesures seraient une calamité pour l'agriculture, monsieur Soucaret !
Peut-être, mais je remarque quand même que dix-huit accords de branche ont été
signés dans ce secteur. En effet, dans l'agriculture aussi, on a besoin de
salariés ! Maintenant que des accords prévoient, secteur par secteur, des
modulations du travail intermittent, les salariés saisonniers pourront
travailler chaque année avec des contrats à durée indéterminée, en connaissant
leurs périodes de travail à quelques jours près, car seul le temps compte pour
les récoltes ou l'ensemencement.
Là aussi, si nous voulons que notre agriculture trouve encore des bras, il
faut essayer de faire en sorte qu'elle fonctionne dans de meilleures
conditions. Les accords qui ont été signés le montrent abondamment, me
semble-t-il.
J'en arrive aux allégements des charges sur les bas et les moyens salaires.
Mme Dieulangard, MM. Franchis, Gournac, Souvet et Fourcade se sont félicités de
cette mesure qui a été couplée avec les aides pérennes à la réduction du temps
de travail.
En citant les propos de Mme Péry, monsieur Souvet, vous avez parlé d'un
ralliement tardif du Gouvernement à cette politique. Vous avez évoqué certaines
phrases prononcées par Mme Péry, mais je pourrais en citer d'autres. Elle a
déclaré - je vous renvoie au compte rendu intégral des débats - que les 35
heures « ne s'opposent pas à l'allègement des charges sociales sur les bas
salaires ; bien au contraire. Il est en effet indéniable qu'il y a dans notre
pays un problème de charges sociales sur les bas salaires ». Il n'y a pas donc
pas eu de ralliement tardif du Gouvernement en ce domaine !
Si l'abaissement du coût du travail n'a pas été la première mesure prise par
le Gouvernement Jospin - et Mme Péry l'avait souligné - c'est parce que nous
étions confrontés à une difficulté majeure : dès la première année
d'application de la ristourne dégressive, en 1997, il manquait 7 milliards de
francs ! Je veux bien écouter tous ceux qui nous donnent des conseils pour
trouver un financement d'ici à cinq ans, mais il a bien fallu trouver les 7
milliards de francs qui nous manquaient la première année.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons été obligés, notamment, de
faire passer la ristourne dégressive de 1,33 à 1,3 %. En effet, dans le même
temps, il a fallu trouver les 40 milliards de francs pour pouvoir entrer dans
l'euro. Je crois me souvenir que cette somme correspondait à la baisse de
l'impôt sur le revenu annoncée par le gouvernement Juppé et non financée. Je
crois même avoir compris que le Président de la République avait pris une
certaine décision à cause de cette crainte. Alors, je veux bien entendre les
leçons, mais telle est la réalité d'aujourd'hui !
M. Emmanuel Hamel.
L'euro coûte trop cher !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si vous continuez à penser que
l'euro n'est pas une bonne chose, alors que 98 % du marché européen n'ont pas
été touchés par les crises asiatique et russe...
M. Emmanuel Hamel.
Je crois en la France !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... comme l'ont été les
Etats-Unis, eh bien ! soutenez-le, mais vous le soutiendrez bientôt tout seul,
monsieur le sénateur, car les résultats sont là !
Je souhaite d'ailleurs citer M. Fourcade qui, répondant à Mme Péry, a tenu les
propos suivants : « Madame le secrétaire d'Etat, j'ai trouvé votre intervention
très modérée. Je voulais vous en donner acte. Vous avez reconnu qu'il existe un
vrai problème » - il s'agit toujours des baisses de charges sociales - « Vous
avez expliqué que les propositions que nous présentions n'étaient pas tout à
fait abouties et financées. Nous pouvons en discuter. »
Comme toujours, M. Fourcade est honnête dans ses déclarations.
(Sourires.)
Nous croyons tous que la question des charges sociales est un problème
structurel de notre pays ; il existe depuis trente ans. Mais pour notre part,
nous avons toujours pensé - Mme Dieulangard l'a très bien dit - qu'il fallait
procéder à cette baisse des charges de deux manières.
Tout d'abord, nous avons souhaité élargir l'assiette des cotisations
patronales, ce que nous faisons par la contribution sur les bénéfices et sur
les activités polluantes. Mais nous ne souhaitons pas faire financer cette
baisse des charges, par exemple par les ménages ou par une hausse de TVA. En
effet, nous agirions alors comme vous l'avez fait avec la « ristourne Juppé »,
qui n'avait pas entraîné les effets escomptés parce que la consommation et la
croissance avaient été bridées.
Ensuite, nous avons voulu procéder à cette baisse des charges sans effet de «
trappe à bas salaires », comme ce fut le cas avec la ristourne dégressive, qui
a entraîné un tassement vers le bas des grilles hiérarchiques. Nous avons prévu
un système souple, jusqu'à 1,8 fois le SMIC.
M. Fourcade a regretté que nous n'ayons pas retenu, par simplicité, la
technique de l'abattement forfaitaire. Nous l'avons étudiée, bien sûr, car elle
apparaît plus simple. Cependant, elle nécessite de mobiliser des financements
extrêmement lourds car, pour aboutir au même allègement que celui que nous
proposons - 21 500 francs - il aurait fallu mobiliser 280 milliards de francs,
au lieu des 65 milliards de francs de la part de réduction des charges sociales
dont nous parlons.
D'ailleurs, le Sénat n'avait pas choisi cette modalité lors de l'adoption, en
juin 1998, de la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas
salaires, puisque ce texte aménageait les paramètres de la « ristourne Juppé »,
dont la complexité du mécanisme devrait d'ailleurs conduire certains à plus de
modestie sur ce que l'on appelle une « usine à gaz ». Je ne vous donnerai pas
lecture de ce dispositif, je l'ai lu devant l'Assemblée nationale. Je dois dire
que c'était assez étonnant !
En fait, l'allégement que nous proposons est un système mixte reprenant les
deux précédents : une aide forfaitaire de 4 000 francs, avec un supplément pour
les salaires inférieurs à 1,8 fois le SMIC, afin de maximiser l'efficacité des
mesures sur l'emploi tout en évitant l'effet « trappe à bas salaires ».
Certains ont regretté le mode de financement des allégements sur les bas et
les moyens salaires par redéploiement au sein des entreprises ; l'un
d'entre-vous a même dit que c'était le serpent qui se mordait la queue.
Personnellement, je ne trouve pas anormal que les entreprises de main
d'oeuvre, le commerce, l'artisanat, les PME financent autant la sécurité
sociale que les entreprises capitalistes qui ont choisi de substituer le
capital au travail. Les petites entreprises et certains secteurs de main
d'oeuvre ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils ont salué ce dispositif, qui ne
fait que rééquilibrer les prélèvements sur le plan aussi bien économique que
social.
Et puis, comme l'a dit Mme Dieulangard, une contrepartie est prévue en termes
d'emploi. Elle est très clairement affichée et elle sera contrôlée, comme j'ai
été amenée à le dire dans mon propos introductif.
Dans la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires,
que vous avez adoptée en juin 1998, la question du financement avait été
relativement éludée. Je citerai les propos tenus alors par M. Gournac,
rapporteur de la proposition de loi, car il a été l'un des plus durs, hier, sur
le problème du financement.
« En fait, comme c'était le cas pour la réduction du temps de travail dans le
dispositif Robien, ces allégements généreront des recettes publiques grâce aux
emplois créés ; ils s'autofinanceront donc avec le léger décalage nécessaire
pour créer des emplois. » Cela correspond au recyclage, que vous contestiez
hier, monsieur Gournac.
(M. Gournac fait un signe de dénégation.)
Si ce
n'est pas vous, c'est l'un de vos voisins !
(Exclamations sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Je n'ai pas
mes notes ici, mais je peux citer deux ou trois termes : j'ai entendu parler de
« rackets » sur les finances publiques et sur les finances sociales. Vous y
pensiez.
« Cependant, pour des raisons évidentes », dites-vous - je ne sais pas
lesquelles - « la proposition de loi est gagée... par une taxe additionnelle...
Il s'agit de la taxe sur les tabacs. »
« Enfin, je tiens à vous faire part de mon étonnement quand je constate que
l'on met en avant son coût pour justifier le rejet d'un dispositif de lutte
contre le chômage. » C'est toujours vous qui parlez !
M. Cabanel, l'année dernière, dans sa grande sagesse, nous avait proposé de
mettre en place le système de recyclage que nous avions prévu et nous avions
alors repoussé sa suggestion. J'avais d'ailleurs moi-même répondu que je
souhaitais en discuter avec les partenaires sociaux.
Par conséquent, comment se fait-il que le système proposé l'année dernière par
l'un des vôtres, et qui était même envisagé par M. Gournac, soit devenu, hier,
un « racket » sur les finances sociales ? Effectivement, le Gouvernement a
souhaité proposer aux partenaires sociaux ce recyclage, cette activation des
dépenses passives qu'ils ont eux-mêmes utilisée pour l'allocation de
remplacement pour l'emploi, l'ARPE, ou pour les conventions de coopération.
Là aussi, deux langages par rapport à deux périodes !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Et alors, vous ne répondez rien ?
M. Guy Fischer.
Il reste muet !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je citerai un autre exemple de
ce double langage. La majorité sénatoriale, parce que nous avons effectivement
changé le mode de financement à la suite de l'opposition des partenaires
sociaux, ironise sur le fait que nous affections les droits perçus sur les
alcools et sur les tabacs au fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales. Ainsi M. Carle a même dit : « Fumez plus, buvez plus, pour
travailler moins » M. Arthuis, tandis que mentionnait le dessin de Plantu.
Dans le cas présent, je tiens à le souligner, le financement total, au travers
des droits perçus sur les alcools, s'élève à environ 12 milliards de francs,
alors que vous proposiez, l'année dernière, dans la proposition de loi que je
viens d'évoquer, d'augmenter le prix du tabac de 25 à 30 milliards de francs.
N'y a-t-il pas, là aussi, deux poids deux mesures ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est un symbole !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Dois-je vous rappeler par
ailleurs que c'est le fonds de solidarité vieillesse mis en place par M.
Balladur, qui est financé par les droits perçus sur les alcools ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Effectivement !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Alors ? Il serait donc
scandaleux de financer la réduction du temps de travail par les droits sur les
alcools, mais beaucoup moins scandaleux de financer de la même manière le
minimum vieillesse ?
Non, vous le voyez bien, tous ces débats, de par leur incohérence, ont de quoi
faire sourire, même sans le dessin de Plantu.
J'ai entendu dire aussi que nous mélangions tout, entre les finances publiques
et la sécurité sociale. Là encore, dois-je vous rappeler ce que comprend le FSV
et la façon dont il est financé ? On me parle d'usine à gaz ; on me parle de
transfert entre l'Etat et la sécurité sociale. Mais, pour le FSV, on peut y
aller : une part de la CSG, les taxes sur les alcools, la CSSS, qui provient
des grandes entreprises, et puis quelques produits financiers. N'est-ce pas là
un bon cocktail que l'on doit à la loi de finances ?
Alors, si nous avons été mal inspirés pour financer le fonds d'allégement des
charges sociales - destiné à favoriser cette baisse de charges que vous n'avez
jamais réussi à mettre en oeuvre bien qu'elle soit attendue par les commerçants
et les artisans - nous avons eu de grands maîtres. Que ces derniers se
montrent, aujourd'hui, un peu plus discrets dans leurs critiques !
D'ailleurs, quand nous transférons une partie du produit des taxes sur les
alcools dans ce fonds, nous transférons une taxe telle qu'elle existe, sans
l'augmenter, contrairement à ce qui était proposé l'année dernière pour la taxe
sur les tabacs. Car le FSV connaît un excédent durable, de l'ordre de 11
milliards de francs. Il n'y a donc pas d'augmentation de la taxe sur les
alcools, bien que j'aie entendu dire le contraire.
J'ai déjà évoqué l'activation des dépenses passives, mais je voudrais répondre
à M. Arthuis, qui a parlé de déontologie. J'en ai été profondément choquée.
En effet, monsieur Arthuis, j'ai proposé aux partenaires sociaux l'activation
de ces dépenses passives et je continue d'ailleurs à penser que ce n'était pas
totalement aberrant. D'ailleurs, M. Gournac, dans sa grande sagesse...
M. Jean Chérioux.
Grande sagesse, en effet !
(Sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... l'avait déjà proposée
l'année dernière, ainsi que M. Cabanel.
Malheureusement, il n'a pas conservé cette sage attitude...
(Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Charles Revet.
Pourquoi atténuez-vous votre propos ?
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il est vrai qu'il a bien changé !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai discuté et, face à
l'opposition des partenaires sociaux, nous avons trouvé un autre mode de
financement.
Monsieur Arthuis, vous m'avez dit hier sur un ton, convenez-en, assez
péremptoire, que ces mesures automatiques de prélèvement étaient
inadmissibles.
Je voudrais simplement vous rappeler que vous avez prélevé autoritairement et
unilatéralement 500 millions de francs sur l'UNEDIC dans le projet de loi de
finances pour 1997, 500 millions de francs sur la rémunération des chômeurs en
formation qu'il m'a fallu trouver dès mon arrivée pour permettre à l'AFR,
l'allocation de formation reclassement, de fonctionner.
M. Jean Arthuis.
C'est de la régulation budgétaire, et rien d'autre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Non, cessez de tenir deux
langages ! J'accepte de ne pas critiquer dès lors qu'on ne m'attaque pas mais,
quand on parle de déontologie, il faut faire attention aux propos que l'on
tient !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
Enfin, vous comprendrez mon étonnement quand j'entends la majorité
sénatoriale me reprocher de n'avoir financé qu'à 80 % sur cinq ans une réforme
attendue depuis trente ans, alors même que nous avions trouvé les 40 milliards
de francs de dettes...
M. Hilaire Flandre.
Parce que la gauche n'était pas au pouvoir pendant tout ce temps ?
M. Alain Gournac.
Combien de temps avez-vous été au pouvoir ?
M. le président.
Mes chers collègues, la parole est à Mme le ministre, et à elle seule.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai presque terminé,
rassurez-vous. Vous aurez tout le temps de vous remettre de mon intervention !
(Sourires.)
M. Alain Gournac.
Combien de temps avez-vous été au pouvoir ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Sachez, monsieur Arthuis,
puisque vous avez cité des chiffres - ceux, d'ailleurs, que je vous avais
donnés en aparté - que la dette accumulée par la sécurité sociale sur la
période 1989-1992 était de 40 milliards de francs, alors qu'elle s'est élevée à
266 milliards de francs entre 1993 et 1997. Les chiffres sont têtus, mais ils
sont là. Et, l'année prochaine, nous atteindrons l'excédent.
Donc, là encore, je veux bien recevoir des leçons, mais les chiffres sont là
!
M. Charles Revet.
Nous prenons date !
M. Hilaire Flandre.
La dette augmente tous les jours !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je tiens simplement à conclure
en soulignant, comme l'ont fait des membres de l'opposition sénatoriale les uns
après les autres, que l'objectif principal est de créer de l'emploi. Les 35
heures en créent déjà directement, et elles en créeront directement et
indirectement, car, quand on a du temps libre, on consomme des services, des
loisirs, de la culture, de la formation, du sport, autant de domaines qu'il
faut développer.
M. Hilaire Flandre.
Tu parles !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est une autre façon de vivre
: cela aussi, il faudra le prendre en compte.
Un certain nombre d'entre vous m'ont dit que le niveau de dialogue social
était moins élevé. Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, il n'a jamais été
aussi important dans notre pays qu'aujourd'hui. Et si, après les 35 heures, les
entreprises peuvent mieux fonctionner - je l'ai dit à plusieurs reprises - je
m'en réjouirai, car des entreprises plus compétitives aujourd'hui, ce sont des
entreprises qui, demain, créeront plus de richesses et plus d'emplois.
Si, demain, les Français vivent mieux, ce sera parce qu'ils disposeront de
temps libre pour s'occuper d'eux-mêmes, de leur famille et de la collectivité,
mais peut-être aussi auront-ils plus de temps pour considérer les autres, ceux
qui vont mal, pour s'occuper des personnes âgées, pour se retrouver entre eux
et - pourquoi pas d'ailleurs ? - pour faire la fête. A cet égard, j'ai
l'impression qu'ici on parle de « droit à la paresse », comme l'a très bien
relevé M. Fischer, alors qu'il s'agit tout simplement de vivre.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Guy Fischer.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bravo !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je regrette, mais je pense que
la vie, cela se gagne et que, dans notre pays, tout le monde a envie de vivre
mieux.
Et puis, surtout, il y a l'emploi. J'ai entendu M. de Montesquiou nous parler
de la liberté individuelle. Mais de quelle liberté individuelle jouit un
chômeur aujourd'hui, pouvez-vous me le dire ? De quelle liberté individuelle
jouit aujourd'hui un chef de famille au RMI qui ne sait pas comment payer des
vacances à ses enfants, ou même comment payer la cantine ? Où sont les libertés
quand 20 % des Français en sont privés à un titre ou à un autre ?
La vérité, c'est que la liberté ne se partage pas et, personnellement, je n'ai
pas l'impression d'être libre quand une partie des Français ne l'est pas !
(M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
M. Charles Revet.
Oh ! 20 % des Français...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En cette fin de xxe siècle,
c'est bien là le sujet qui est le nôtre.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est un argument spécieux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Eh bien non, c'est la vérité ;
c'est peut-être aussi pour cela que je fais de la politique et c'est peut-être
cela qui, profondément, nous fait diverger, en définitive !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
(M. Jacques Valade remplace M. Jean Faure au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
6
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
M. le président.
J'informe le Sénat que la candidature présentée par le groupe du Rassemblement
pour la République à la délégation du Sénat aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a été affichée et n'a fait
l'objet d'aucune opposition.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Yann Gaillard
membre de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des
chances entre les hommes et les femmes.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
7
RÉDUCTION NÉGOCIÉE
DU TEMPS DE TRAVAIL
Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la réduction négociée du
temps de travail.
Nous passons à la discussion des articles.
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président.
Par amendement n° 1, M. Souvet, au nom de la commission, propose d'insérer,
avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les organisations syndicales d'employeurs et les organisations syndicales de
salariés reconnues représentatives sont appelées à participer à une conférence
nationale sur le développement de la négociation collective ayant pour objet
d'étendre le champ de la négociation collective, de promouvoir à travers des
moyens adaptés la négociation collective dans les PME et d'améliorer la
représentation des salariés. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
La commission des
affaires sociales du Sénat a toujours été favorable à une réduction négociée du
temps de travail. Elle avait encouragé les partenaires sociaux dans leur
démarche de 1995. Elle avait accepté la validation du mandatement prévu par cet
accord et participé à la rédaction de la loi Robien du 11 juin 1996.
Lors de la discussion de la loi du 13 juin 1998, le Sénat avait voté les
propositions de la commission qui prévoyaient une incitation à la réduction du
temps de travail sous la forme d'une aide s'inspirant du barème de la loi
Robien reprofilée.
Aujourd'hui, le Gouvernement justifie le recours à l'abaissement de la durée
légale du travail par la faiblesse de la négociation collective sur le thème de
la réduction du temps de travail jusqu'en 1998.
Cette faiblesse, atténuée par la mise en oeuvre de la loi Robien, est une
réalité. Elle trouve ses origines dans la faiblesse de la représentation
syndicale dans les petites entreprises, dans l'étroitesse du champ de la
négociation collective et dans la faible participation des salariés à
l'exercice de leur droit syndical.
Si l'on souhaite éviter que la loi ne se substitue à l'initiative des
partenaires sociaux dans la définition des rapports de travail, il est donc
devenu nécessaire d'entreprendre une profonde réforme de la négociation
collective qui permette d'assurer l'application effective du huitième alinéa du
préambule de la constitution du 27 octobre 1946, qui dispose : « Tout
travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination
collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises.
»
Cette réforme de la négociation collective doit tenir compte de l'évolution de
la société et de l'économie.
Dans le rapport conjoint sur l'emploi pour 1999, la Commission européene
considère que l'approche en partenariat doit être davantage développée,
soulignant combien les partenaires sociaux jouent un rôle capital dans
l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique du marché du travail sur le
plan tant national que local.
Elle conclut qu'il est essentiel qu'ils soient impliqués à tous les niveaux
dans le processus de l'emploi afin de canaliser les changements structurels
dans le sens d'une amélioration de la qualité et de la quantité de l'emploi.
Pendant longtemps, le droit du travail s'est limité à édifier une législation
protectrice des salariés, selon le fameux principe de la « crémaillère ». Cette
conception a été doublement remise en cause, d'abord par la crise économique,
qui a limité les marges de manoeuvre des entreprises, ensuite par le
développement des nouveaux modes d'organisation des entreprises qui font appel
à une forte implication des personnels. Dans ce nouveau cadre, les salariés
sont à même de négocier leur participation active au fonctionnement de
l'entreprise, pour autant qu'ils disposent des outils adéquats, comme le
recours au délégué du comité d'entreprise, au mandatement voire au référendum
lorsqu'ils en conservent la maîtrise.
Comme le déclarait M. Jacques Barrot à l'Assemblée nationale : « Le véritable
enjeu pour l'avenir, c'est de favoriser un droit de la durée du travail de
nature conventionnelle, où la loi ne soit que subsidiaire. Pour cela, il faut
impérativement favoriser la signature d'accords d'entreprise, qui se heurtent
aujourd'hui à des obstacles tantôt formels - il s'agit des modalités - tantôt
matériels, la sous-représentation syndicale, qui freinent leur développement.
La loi, au lieu de fixer le contenu des accords, doit faciliter leur émergence
en formant leurs modalités. »
La question qui se pose aujourd'hui est celle d'une extension du champ
d'application de la négociation collective, bien plus que celle du recours à la
loi. L'enjeu est donc considérable, puisqu'il s'agit de revenir sur la
légitimité des auteurs de la négociation.
Nul n'est mieux à même que les partenaires sociaux pour aborder les questions
délicates de la représentation collective et de l'extension du champ de la
négociation. C'est pourquoi la commission, du moins dans sa majorité, propose
un amendement très important tendant à convoquer une conférence nationale
relative au développement de la négociation collective. Cette conférence aurait
trois objectifs principaux : étendre le champ de la négociation collective,
promouvoir, à travers des moyens adaptés, la négociation collective dans les
PME et, enfin, améliorer la représentation des salariés.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le Gouvernement souscrit, bien
évidemment, au souhait d'associer à ces démarches les partenaires sociaux,
d'étendre le champ de la négociation collective et d'améliorer la
représentation des salariés.
Il a d'ailleurs le sentiment d'avoir contribué à dynamiser la négociation
collective, notamment sur la durée du travail. En témoigne largement le bilan
que nous avons d'ailleurs dressé devant la commission nationale de la
négociation collective, en juin dernier, celui que nous dresserons en juin
prochain le confirmera, j'en suis sûre.
Le Gouvernement n'est pas favorable à la constitution d'une instance
particulière qui se substituerait d'ailleurs, par ses objectifs et par ses
missions, à la commission nationale de la négociation collective. Il est donc
défavorable à cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Guy Fischer.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Nous voterons contre cet amendement en trompe-l'oeil, un amendement à
l'apparence trompeuse qui propose une fausse solution à un vrai problème.
Tout d'abord, nous lui reprochons de remettre éventuellement en cause la
commission nationale de la négociation collective. Or, je le rappelle, c'est un
des points auxquels les partenaires sociaux sont très attachés.
Certes, le dispositif proposé repose sur la constatation de vrais
problèmes.
Aujourd'hui, la participation des salariés à l'exercice du droit syndical et
aux décisions de l'entreprise est une réalité de notre pays, mais elle reflète
le taux de syndicalisation. Cependant, la création d'une conférence nationale
sur le développement de la négociation collective a bien plus de conséquences
qu'il n'y paraît.
Permettez-moi de citer M. Barrot parlant de l'accord : « il est indispensable
que, sous une forme ou sous une autre, il recueille l'assentiment de la
majorité des personnels de l'entreprise. » M. Barrot relevait une deuxième
contrainte, l'insuffisance, dans certaines entreprises, de la représentation
syndicale. « Pour tenir compte de ces deux contraintes, ajoutait-il, il serait
souhaitable d'imaginer d'autres conditions de validité d'un accord d'entreprise
en rendant possible simultanément, et pour toutes les entreprises, plusieurs
manières de procéder ».
C'est sur le fond que nous ne sommes pas d'accord. Nous faisons confiance à la
loi. L'expérience de la première nous donne raison. Nous sommes donc fermement
opposés à cet amendement.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur le rapporteur, nous vous connaissons et nous vous estimons. C'est
pourquoi nous pensons que vous valez mieux que cette sorte d'amendement, qui
n'est qu'un leurre.
En effet, nous nous demandons d'où vous tirez ce besoin de créer une
conférence nationale sur le développement de la négociation collective, que
personne ne demande, alors qu'existe une commission nationale de la négociation
qui fonctionne déjà ? Négocier pour négocier sur ce qu'il y aura à négocier, ma
foi, c'est original !
Je n'aurai pas la placidité de ceux qui m'ont précédé. En effet, si je
reconnais un revirement de doctrine sur ce point dans cette assemblée, puisque
j'ai participé avec quelques autres ici, de très près à la discussion de la loi
dite pour l'emploi de M. Balladur, où vous ne souteniez pas du tout ces
thèses-là, je ne peux m'empêcher de vous dire que si, à l'époque, nous
militions si ardemment pour qu'il y ait au moins des négociations, puisque vous
ne vouliez pas de la loi, au moment où une loi prévoit des négociations, vous,
vous proposez de négocier sur ce qu'il y a négocier.
Je veux toutefois vous apaiser, dans l'hypothèse où vous seriez inquiets.
Je vous ferai observer que le projet de loi qui nous est soumis prévoit de
multiples dispositions de nature à développer la négociation dans les
entreprises et à garantir l'approbation ou le refus des salariés sur ce qui
leur sera proposé ; il en est de même dans les PME.
Nous entendons également vous rappeler, pour le cas où vous l'auriez oublié,
que, avant ce dispositif étrange de conférence nationale, vous disposez déjà
dans le code du travail de moyens pour qu'une représentation des salariés soit
possible dans toutes les entreprises, y compris dans celles qui comptent moins
de onze salariés où rien n'a jamais interdit la représentation du personnel.
Mais, évidemment, nous butons là sur une difficulté : dans combien
d'entreprises cela s'est-il concrétisé ? Combien d'entreprises de plus de
cinquante salariés sont-elles encore dépourvues de comité d'entreprise au
mépris de la loi ? Vous voyez qu'il y a plus urgent, déjà faire respecter la
loi avant d'imaginer - on n'ose plus parler dans cette enceinte d'usines à gaz
puisque nous en sommes déjà largement pourvus par vos interventions - un
instrument aussi étrange que celui-ci. Combien de fois nous a-t-on dit que les
entreprises contournent le seuil de cinquante salariés par la création
d'établissements secondaires car le passage à cinquante salariés génère, pour
elles, de redoutables complexités administratives ?
Bref, cet amendement ne peut pas recueillir notre assentiment. Des instruments
légaux existent pour négocier. Une loi prévoit des cadres pour cela. Je dois
tout de même vous faire une ouverture : si vous voulez développer les pouvoirs
des comités d'entreprise et les possibilités d'étendre la représentation des
délégués, nous sommes à votre disposition, notamment si vous voulez abolir les
dispositions de la « loi Balladur » qui restreignent cette représentation.
(Mme Danièle Pourtaud applaudit.)
M. Alain Gournac.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
J'exprimerai bien sûr un avis différent.
Ce premier amendement de la commission des affaires sociales va dans le bon
sens, en prenant le parti de remettre les choses dans le bon ordre.
Ainsi que nous l'avions déjà clairement formulé au cours de la discussion
générale, mes collègues du groupe du RPR et moi-même ne sommes pas opposés à la
réduction du temps de travail.
Dans bon nombre de situations, la réduction du temps de travail peut être une
réponse à des questions humaines touchant aux aspirations des salariés, comme à
la nécessité de la réorganisation de l'activité d'une entreprise.
Mais, encore une fois, et nous n'aurons de cesse de le rappeler tout au long
de l'examen des articles de ce projet de loi, nous sommes mille fois opposés à
la méthode préconisée.
La méthode autoritaire ne répond pas aux questions qui se posent au sein de
chaque cellule de vie qu'est une entreprise.
Si le postulat est juste, les réponses apportées sont mauvaises.
Oui, la faiblesse de la négociation collective a pour conséquence la non-mise
en oeuvre de l'abaissement de la durée du temps de travail dans les
entreprises.
En soi, cette affirmation est juste et nous ne vous contredirons pas sur ce
point.
En revanche, ce qui nous choque profondément, c'est la réponse que vous
apportez pour remédier à cette carence : puisque la négociation collective est
insuffisante, qu'importe, nous passerons outre pour faire ce qu'elle aurait dû
faire.
C'est là que nous divergeons profondément, madame le ministre.
Pour ce qui nous concerne, nous considérons que, si la négociation collective
est insuffisante, il faut lui donner les moyens de s'épanouir, et ne pas la
réduire plus encore.
Vous prenez le problème à l'envers en passant par dessus le dialogue social.
S'il ne suffit pas, il faut alors lui donner plus de moyens, et certainement
pas le bâillonner sous prétexte qu'il est muet.
La loi de Robien avait dans un premier temps, certes de manière partielle,
atténué la faiblesse du dialogue social.
Mais le problème de fond est que la faiblesse du dialogue social en France est
due à la faiblesse de la représentativité syndicale, par rapport à nos
partenaires européens.
Ainsi, plutôt que de bâillonner les acteurs sociaux, il faut tout faire pour
leur rendre la parole.
C'est pourquoi, avec M. le rapporteur, nous souhaitons entreprendre une
profonde réforme de la négociation collective.
Nous souhaitons la tenue d'une conférence nationale sur le développement de la
négociation collective.
Cette conférence nationale aura pour objet de permettre aux organisations
syndicales d'employeurs et de salariés de se réunir pour promouvoir la
négociation collective, notamment au sein des PME, qui souffrent souvent de
sous-représentativité.
Cette conférence nationale aura pour mission de trouver les réponses adéquates
pour un renouveau de la négociation sociale au sein de l'entreprise.
C'est par cette voie, et par cette voie seule, que la modernisation de
l'entreprise et la réduction du temps de travail pourront s'effectuer.
Elles seront en effet le fruit d'un travail de dialogue entre partenaires
sociaux avançant vers un même objectif.
La seule solution qui vaille, c'est de redonner toute sa place au dialogue
social en refusant toute initiative d'en haut se substituant à la réalité du
terrain.
La seule solution qui vaille, c'est d'améliorer la représentativité des
salariés.
Mes chers collègues, je conclurai en citant, ce que je n'ai pas l'habitude de
faire, M. le Premier ministre. Le 17 juin 1997, lors de sa déclaration de
politique générale devant l'Assemblée nationale, celui-ci déclarait : « Ce à
quoi aspirent les syndicats, c'est d'obtenir par eux-mêmes les acquis sociaux
qu'ils souhaitent, et non pas les obtenir par en haut comme des offrandes
accordées. »
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et sur
plusieurs travées des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
Mme Hélène Luc.
Il fallait le faire quand vous étiez au pouvoir !
M. Jean Chérioux.
Il n'est jamais trop tard pour bien faire !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Par amendement n° 2, M. Souvet, au nom de la commission, propose d'ajouter,
avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les clauses des conventions ou accords collectifs étendus ou des accords
d'entreprise ou d'établissement conclus en application de la loi n° 98-461 du
13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de
travail, sous réserve des prescriptions de l'article 6 du code civil,
continuent à produire leur effet jusqu'à la conclusion d'un accord collectif
s'y substituant ou, à défaut, jusqu'à leur terme dans la limite de cinq ans
après la date de promulgation de la présente loi. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 58, présenté par MM.
Gournac, Esneu, Jourdain, Lassourd, Mme Olin, MM. Ostermann, Trégouët et les
membres du groupe du Rassemblement pour la République, et tendant, à la fin du
texte proposé par l'amendement n° 2, à supprimer les mots : « dans la limite de
cinq ans après la date de promulgation de la présente loi. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Chacun l'aura compris, cet amendement ne vise pas à revenir
sur l'ordre public social absolu, contrairement à ce qui a pu être dit tout à
l'heure, madame le ministre.
La loi du 13 juin 1998 invitait les partenaires sociaux à anticiper la
réduction du temps de travail en définissant les modalités d'application
adaptées pour la négociation collective.
Comme le reconnaît le paragraphe II de l'article 14 du projet de loi, qui
prévoit une validation partielle des accords contraires au projet de loi pour
une durée d'un an, certaines des dispositions des accords de branche ou des
accords d'entreprise conclus en application de la loi du 13 juin 1998 se
trouveraient en contradiction avec le texte s'il était finalement voté dans la
version retenue par l'Assemblée nationale en première lecture.
En effet, les branches ou les entreprises signataires de ces accords se
trouveraient placées devant l'alternative suivante : ou bien renégocier leurs
accords pour les mettre en conformité avec la loi, ou bien considérer les
dispositions non conformes à la loi comme caduques et ne pas les appliquer,
mais c'est alors tout l'équilibre de ces accords qui pourrait, bien sûr, s'en
trouver compromis. En effet, ces dispositions sont partie intégrante d'un
ensemble et contribuent à son équilibre, chacune des parties signataires
s'étant déterminée au vu de l'ensemble des mesures adoptées.
On peut, à titre d'exemple, citer quatre catégories de dispositions figurant
dans les accords et qui risquent de devenir illégales.
La première, ce sont les dispositions qui n'intègrent pas dans le temps de
travail effectif le temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage lorsque
le port d'une tenue de travail est imposé par la réglementation, le règlement
intérieur ou le contrat de travail, celles qui n'intègrent pas dans le temps de
travail effectif les pauses, lorsque le salarié est à la disposition de
l'employeur et ne peut pas vaquer à des occupations personnelles.
La deuxième catégorie, ce sont les dispositions qui soumettent les salariés à
un aménagement de leur temps de travail sans leur offrir des contreparties
pertinentes et proportionnelles aux sujétions professionnelles et personnelles
imposées. Il en est ainsi de tous les accords qui ont prévu un aménagement de
la durée du travail, notamment sous forme de modulation ou de travail en
cycle.
La troisième catégorie, ce sont les dispositions qui prévoient une durée
annuelle de travail supérieure au plafond de 1 600 heures. Nombre d'accords
fixent cette durée au-delà de 1 600 heures, comme dans le négoce alimentaire,
le plus souvent autour de 1 645 heures. C'est le cas du BTP, de la chimie et de
l'UIMM. Ces heures accomplies au-delà de 1 600 heures devront être rémunérées
en heures supplémentaires. A cette occasion, il convient de souligner que les
accords de branche qui se contentent de faire référence à la durée hebdomadaire
du travail calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives -
actuellement 46 heures - devront être renégociés. En effet, cette durée ne
pourra pas, désormais, dépasser 44 heures, sauf si un accord de branche porte
cette durée à 46 heures.
La quatrième et dernière catégorie, ce sont les dispositions qui prévoient des
forfaits sans référence horaire. La première catégorie de cadres exclue de la
réglementation de la durée du travail est encadrée de façon si restrictive par
le projet de loi voté par l'Assemblée nationale que quasiment tous les accords
de branche ayant prévu une catégorie de personnels relevant d'un régime de
forfait sans référence horaire devront être renégociés. C'est le cas du sucre,
du négoce alimentaire, du BTP et de l'UIMM. Sont le plus souvent visés dans les
accords tout le personnel de l'encadrement : le personnel d'encadrement
exerçant des fonctions de management élargies, libre et indépendant dans la
gestion de leur temps pour remplir la mission qui est confiée, tous les
salariés relevant de la convention collective « ingénieurs et cadres » ainsi
que les salariés non cadres au sens des conventions collectives, c'est-à-dire
les commerciaux, les cadres en raison de l'autonomie et de la capacité de
délégation attachées à leur fonction ou de l'autonomie résultant de leur grande
expertise.
La commission estime que le Gouvernement a pris un engagement voilà dix-huit
mois vis-à-vis des partenaires sociaux en leur demandant, en particulier,
d'innover et qu'il convient aujourd'hui de le respecter. Aussi, elle vous
propose d'adopter cet amendement, qui a pour objet de valider les accords
conclus pour une durée maximale de cinq ans dans la mesure où ils ne
comprennent pas de dispositions contraires à l'ordre public social absolu.
M. le président.
La parole est à M. Gournac, pour présenter le sous-amendement n° 58.
M. Alain Gournac.
Ce sous-amendement a pour objet de rendre cohérente notre logique.
L'amendement de la commission tend à valider les accords conclus pour une
durée maximale de cinq ans dans la mesure où ils ne comprennent pas de
dispositions contraires à l'ordre public social, ce qui est tout à fait
normal.
Nous comprenons la logique de concertation de la commission, qui a souhaité
faire la moitié du chemin en espérant que le Gouvernement effectue ensuite
l'autre moitié.
Reprenons le problème à son début. Le Gouvernement souhaite ne pas valider les
accords.
Le paragraphe II de l'article 14 précise à ce sujet que, à l'exception des
dispositions contraires à l'ordre public social absolu, les clauses des accords
conclus en application de la première loi Aubry contraires aux dispositions de
la présente loi ne continueraient à produire leurs effets que durant une
période d'un an après l'entrée en vigueur de la présente loi.
La commission propose donc de laisser plus de temps aux branches et aux
entreprises pour rebondir face à cet autoritarisme, en fixant le seuil à cinq
ans.
Pour notre part, nous nous refusons à nous inscrire dans cette logique.
Un accord est soit bon, soit mauvais.
S'il est mauvais, c'est qu'il est contraire à l'ordre public social absolu, et
il est alors légitime qu'il ne soit pas validé.
Dans tous les autres cas, il est bon, puisqu'il est le fruit du dialogue
social et a été signé par les partenaires sociaux.
Nous ne voyons donc aucune raison pour laisser aux entreprises un délai de
cinq ans pour signer de nouveaux accords si ceux-ci sont bons. Si ceux-ci sont
légitimes, ils ne souffrent aucun délai. Ils doivent alors tout bonnement être
validés.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 58 ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Les auteurs de ce sous-amendement ont souhaité supprimer la
limite de cinq ans à la validation des accords, retenue par la commission ; je
comprends ce souci. Si un accord a été négocié, il doit être reconnu.
Cependant, la commission considère que le délai de cinq ans devrait être
maintenu pour des raisons pratiques, afin de ne pas favoriser la confusion
entre les règles de droit applicables. On peut imaginer par ailleurs que le
délai de cinq ans est suffisant pour permettre un rapprochement de la loi et
des textes conventionnels.
J'invite donc les auteurs du sous-amendement à retirer ce dernier, leur
préoccupation me semblant déjà être prise en compte par l'amendement n° 2 de la
commission.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 2 et sur le
sous-amendement n° 58 ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai été amenée à répondre tout
à l'heure sur le fait que les accords de branche, comme les accords
d'entreprise, seront applicables si le projet de loi tel qu'il existe
aujourd'hui est voté.
J'avais fait part des trois points sur lesquels nous avions prévu des
exclusions : le travail le dimanche, l'extension du forfait à des agents de
maîtrise et la formation d'adaptation sur le poste de travail, point que,
d'ailleurs, M. le rapporteur n'a pas relevé comme choquant. Je voudrais donc
revenir sur les exemples qu'il a cités.
En dehors de la question du temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage,
temps qui a été inclus par l'Assemblée nationale dans le travail effectif à la
suite de l'adoption d'un amendement, ce qui pose problème dans certaines
professions - je pense notamment au secteur agro-alimentaire, que nous sommes
en train d'étudier - le texte de loi ne modifie en rien la réalité, puisqu'il
reprend essentiellement une jurisprudence constante selon laquelle est
considéré comme temps de travail le temps pendant lequel le salarié peut à tout
moment être appelé à travailler et ne peut pas vaquer à ses occupations, ce qui
inclut éventuellement le temps de restauration ou de pause. Il n'y a donc rien,
dans la définition du travail effectif, en dehors du point que j'ai soulevé,
qui puisse poser problème à des accords précédents.
De la même manière, monsieur le rapporteur, vous avez signalé les modulations
du travail en cycle. C'est totalement repris dans l'article 3 du projet de
loi.
Vous avez également soulevé la question de la durée maximale du travail,
c'est-à-dire le dépassement des 1 600 heures. Comme vous l'avez d'ailleurs dit
vous-même, monsieur le rapporteur, le fait que certains accords dépassent la
durée de 1 600 heures retenue par le projet de loi comme la durée moyenne
annuelle de travail ne les empêche pas de s'appliquer. Ces accords sont
d'ailleurs très peu nombreux, puisque seuls 7 % des salariés sont concernés par
eux. En outre, 5 % de ces 7 % de salariés ont des durées de travail de 1 600 à
1 603 heures, ce qui signifie que l'employeur, s'il ne souhaite pas renégocier
sa convention, aura simplement à payer trois heures supplémentaires dans
l'année. On ne peut donc pas dire que cette disposition n'est pas
applicable.
Il en est de même pour les quelques cas très rares dans lesquels la durée
maximale annuelle est de 1 645 heures : il s'agit en fait de conventions qui
ont prévu que les jours fériés pouvaient ne pas être considérés comme des temps
chômés. Là aussi, ces quarante-cinq heures peuvent tout à fait perdurer et être
payées en heures supplémentaires si la branche ne souhaite pas renégocier. Il
n'y a donc aucun problème pour que les conventions soient applicables.
J'en viens aux durées maximales. Comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le
rapporteur, le projet de loi tel qu'il a été voté prévoit une durée maximale de
travail de quarante-quatre heures sur douze semaines consécutives. Mais il
prévoit également que les secteurs peuvent, après une convention collective
étendue, être autorisés à y déroger. Cela veut bien dire que la loi prévoit des
possibilités dans des cas exceptionnels ; à cet égard, nous pensons
essentiellement au secteur agro-alimentaire - sucre, cultures diverses et
variées, conserves - pour lequel existent des problèmes saisonniers liés au
climat. Ainsi, il sera possible de déroger par convention collective reprise
par décret.
De la même manière, en ce qui concerne le forfait, le projet de loi, faisant
d'ailleurs largement référence aux conventions collectives et renvoyant à ces
dernières pour définir ces catégories, rend applicables les accords signés et
étendus. Je n'en connais aucune exception.
Vous avez fait part de l'accord de l'UIMM. Cet accord s'est situé
volontairement en dehors de la loi et a prévu des salaires au forfait pour des
agents de maîtrise pouvant gagner 11 000, 12 000 ou 13 000 francs par mois. Là
encore, si le Sénat souhaite que, en France, ces personnes gagnant 11 000, 12
000 ou 13 000 francs par mois n'aient plus de durée maximale de travail, plus
de contrôle de leurs horaires, il faut le dire ! En tout cas, ce n'est pas la
conception du Gouvernement.
Sur ce point effectivement, et parce qu'il y a un désaccord, l'accord n'a pas
été étendu ; je souhaite donc vivement que la métallurgie, qui est un secteur
très important, reprenne ses négociations pour que nous puissions rapidement
étendre cet accord, après modification.
Je crois avoir répondu à chacun de vos points, monsieur le sénateur. Il n'y a
donc pas nécessité de sécuriser les accords de réduction du temps de travail.
Les accords, tels qu'ils ont été signés, sauf dans les quelques cas où ils
portent atteinte à l'ordre public, sont aujourd'hui étendus et applicables.
Je me permets de dire qu'à partir du moment où nous sommes au Parlement, je
trouve normal que des accords - la convention collective est la base même du
code du travail - respectent les lois. Vous avez vu que les quelques points que
j'ai soulevés sont des lois bien antérieures à la loi sur la réduction de la
durée du temps de travail.
Je ne pense pas souhaitable, pour le repos dominical, par exemple, que, à
l'occasion de la réduction de la durée du travail, nous revenions sur ces
clauses existant dans notre code du travail depuis de multiples années.
En résumé, le Gouvernement se prononce contre l'amendement n° 2 et le
sous-amendement n° 58.
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 58.
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'amendement
proposé par la commission des affaires sociales vise à valider les accords
conclus, en application de la loi du 13 juin 1998, pour une durée maximale de
cinq ans, y compris les accords que le ministère a refusé d'agréer.
Sans vouloir polémiquer ni accuser la majorité sénatoriale d'être la courroie
de transmission du MEDEF,...
M. Alain Vasselle.
S'il y a des accords, c'est bien que des syndicats ont négocié ! Il n'y a pas
que le MEDEF !
M. Guy Fischer.
Mais, écoutez...
M. le président.
Monsieur Fischer, ne répondez pas à ceux qui essaient de vous interrompre !
M. Guy Fischer.
Cela ne me dérange pas, monsieur le président. D'ailleurs, je crois avoir
touché juste, puisque je déclenche des réactions !
M. Alain Gournac.
L'objectivité a du bon !
M. Jean Chérioux.
A l'impossible, nul n'est tenu !
M. Guy Fischer.
Je disais donc que, sans vouloir polémiquer, je ne peux m'empêcher de relever
la similitude manifeste entre cette proposition et une critique majeure faite
au texte de cette deuxième loi par Ernest-Antoine Seillière.
Une des dix bonnes raisons avancées par le patronat pour dire « non » au texte
est que celui-ci remettrait en cause des accords de branche conclus. En niant
les résultats de ces négociations, votre projet, madame la ministre, «
casserait le dialogue social et créerait une grande incertitude pour les
entreprises et les salariés ».
M. Alain Vasselle.
Il a raison !
M. Guy Fischer.
Comment prendre au sérieux cet attachement soudain du MEDEF au dialogue social
qu'il préfère avoir avec des syndicats minoritaires - je pense à l'accord UIMM
- ou au paritarisme, alors qu'il agite constamment la menace de retrait
définitif des organismes sociaux ?
Aujourd'hui, nous savons que les organismes sociaux ne seront pas mis à
contribution pour financer les 35 heures. Pour autant, le MEDEF réserve encore
sa réponse, pose encore des conditions et continue encore son chantage.
Mais quels sont les « acquis » des premières négociations, chers à certains
dirigeants d'entreprise ? Des contingents annuels d'heures supplémentaires
démesurés, une annualisation de plein droit comme certaines branches le
prévoient, le travail le dimanche, la formation professionnelle sur le temps
libre du salarié.
Nous n'avons assurément pas la même appréciation. Ce qui représente un acquis
pour certains ne l'est pas nécessairement pour les salariés. En l'espèce, ces
dispositions constituent de véritables atteintes au droit social. Il n'y a
aucune raison qu'elles demeurent applicables ou que la loi ne s'en inspire.
L'article 14 du projet de loi valide les stipulations des conventions ou
accords conclus en application de la première loi conformes aux dispositions de
la présente loi. Cela représente 98 % des accords conclus, comme vient de le
préciser Mme la ministre. Les autres auront un an pour renégocier les
dispositions contraires à cette seconde loi - cela concerne très peu
d'entreprises - exception faite des dispositions relatives aux heures
supplémentaires.
Et vous considérez, monsieur le rapporteur, que ce n'est pas assez, que le
texte n'est pas assez favorable ? Vous l'aurez compris, nous n'accepterons pas
de faire de la validation de dispositions contraires à l'ordre public social
une condition d'acceptation de cette loi ! Par conséquent, nous voterons contre
le sous-amendement n° 58 et l'amendement n° 2.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je voudrais simplement faire remarquer à mon collègue M.
Fischer que c'est non pas le rapporteur mais la commission qui « considère
».
M. Guy Fischer.
Excusez-moi, monsieur le rapporteur. Mais vous savez bien qu'il n'y avait de
ma part aucune volonté de personnaliser le débat.
M. Alain Gournac.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Après les arguments développés, non par Mme la ministre, mais par M. le
rapporteur, je retire le sous-amendement n° 58.
M. le président.
Le sous-amendement n° 58 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
La discussion de cet amendement montre bien les clivages : on a, d'une part,
un gouvernement et une majorité plurielle qui veulent tout faire figurer dans
la loi et qui autorisent une négociation, mais en l'encadrant dans des limites
extrêmement étroites
(Protestations sur les travées socialistes),
et,
d'autre part, une majorité du Sénat qui souhaite que les dispositions des
accords signés en application de la loi du 13 juin 1998, qui ne sont pas
contraires à l'ordre public social, bien évidemment - c'est inscrit dans le
texte - soient validées et qu'un délai de renégociation soit donné. Je trouve
que le délai d'un an que prévoit le projet de loi est beaucoup trop court,
compte tenu de ce que nous pouvons savoir des habitudes de négociation.
Par conséquent, il me semble, madame la ministre, que vous pourriez accepter
cet amendement. Il donnerait la preuve que le Gouvernement, comme l'ensemble du
Parlement, croit à la négociation entre les partenaires sociaux.
(M. Alain Gournac fait un signe d'assentiment.)
Il me semble tout de même que deux points ont été négligés dans le débat
jusqu'à maintenant.
Premier point : ces accords dont nous parlons ont été signés non pas
uniquement par des chefs d'entreprise ou par des organisations patronales, mais
aussi par des organisations syndicales. Or c'est, me semble-t-il, faire peu de
cas de ces dernières et du dialogue social que de dire que c'est le ministère
qui décidera si telle clause est bonne ou pas. Cela me paraît contradictoire
avec la finalité du dialogue social !
(M. Jean Chérioux acquiesce.)
Deuxième point : un certain nombre d'accords ont été signés. Je pense,
par exemple, à l'affaire du travail le dimanche, dans laquelle on s'est
préoccupé non pas seulement des conditions de vie des salariés du secteur, mais
aussi de l'ensemble des consommateurs. En effet, notre société - il suffit de
parcourir l'Europe pour s'en persuader - n'évolue pas dans le sens de ce qu'a
connu la Suède voilà vingt ans, dans les bonnes années social-démocrates,
époque à laquelle tout commerce était interdit le samedi à partir de dix-sept
heures, tous les magasins étaient fermés le dimanche, et toute activité, y
compris de transport, cessait.
On doit aussi, au Parlement, s'occuper des citoyens et des consommateurs.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade.
A rester dans une logique strictement corporatiste à l'intérieur d'un certain
nombre de professions, nous passons à côté de l'objectif.
Ce sont les deux raisons pour lesquelles j'appuierai l'amendement n° 2.
Je remercie M. Gournac d'avoir retiré son sous-amendement n° 58 parce que,
pour le coup, il allait un peu loin.
(M. Alain Gournac sourit.)
Par conséquent, il me paraît que l'amendement
de la commission est un bon élément de transaction entre le Gouvernement et la
majorité sénatoriale.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
Mme Nelly Olin.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Madame le ministre, avec cet amendement de la commission, nous touchons
peut-être là l'un des points les plus épineux du projet de loi que vous nous
soumettez. En, effet, il concerne l'épée de Damoclès que vous maintenez
au-dessus de la tête des partenaires sociaux concernant la validation des
accords conclus.
Lors de l'examen de votre première loi, vous nous assuriez que votre objectif
était non pas d'imposer la réduction du temps de travail, mais de laisser les
partenaires sociaux la mettre en oeuvre.
Déjà, à l'époque, nous nous insurgions contre le fait que cesdits partenaires
avaient très peu de marge de manoeuvre, puisqu'ils devaient se maintenir dans
le couloir étroit de dispositions fort restrictives qui figuraient dans le
corps de votre projet de loi.
Les partenaires sociaux ont joué pour la plupart le jeu de la négociation et
sont arrivés souvent à des accords.
Ces accords, madame le ministre, même s'ils ne vous conviennent pas, ont été
signés par les partenaires sociaux. Personne n'a forcé la main aux syndicats
représentatifs des salariés pour les signer. Pourtant, ceux-ci ont bel et bien
été signés dans pas moins de 118 branches.
Peut-être l'ont-ils été parce que les syndicats connaissaient la vie
quotidienne de leur entreprise et ses besoins ? Peut-être l'ont-ils été parce
qu'ils étaient simplement justes et équitables pour toutes les parties, les
entrepreneurs s'assurant du bon fonctionnement de leur entreprise et les
salariés s'assurant de l'obtention de droits nouveaux en contrepartie d'autres
efforts.
Pourtant, vous avez d'ores et déjà refusé bon nombre de ces accords sous
prétexte qu'ils ne correspondent pas à ce que vous attendiez.
Vous avez appelé à la négociation. Des partenaires se sont mis d'accord. Vous
avez le devoir de respecter le fruit de leurs négociations !
Vous aviez assuré que les dispositions de votre deuxième loi suivraient les
initiatives avancées par les accords. De quel droit refuser les accords de
branche qui avaient retenu un contingent d'heures supplémentaires supérieur à
130 heures ?
N'avez-vous pas envisagé que, si la CGT acceptait des accords avec un
contingent de 180 heures dans la métallurgie ou dans le BTP
(Murmures sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.),
c'était
peut-être parce qu'il en allait de la survie de leur branche compte tenu de la
nature de certains impératifs économiques ?
De quel droit refuser, en matière d'annualisation du temps de travail, des
accords prévoyant 1 645 heures annuelles dans la chimie ou l'industrie
automobile ? Le contrôle de légalité que vos services exercent sur ces accords
est, en réalité, en contradiction avec le principe même du dialogue social.
J'ajoute que, ce contrôle se permettant de valider tout ou partie des accords,
il est de nature à porter une atteinte grave à leur équilibre. En effet,
souvent telle disposition est la contrepartie d'une autre. En refusant d'en
valider une, vous prenez le risque de faire s'écrouler tout l'équilibre d'un
dispositif négocié. Une des parties sera doublement perdante, puisqu'elle ne
pourra bénéficier de tel point de l'accord tout en subissant sa contrepartie,
qui n'aura pas forcément été annulée.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que nous sommes favorables à la
validation de tous les accords signés jusqu'ici dans le cadre des négociations
issues de votre première loi, tant il est inconcevable de ne pas reconnaître le
dialogue qui a eu lieu jusqu'ici.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Madame Olin, permettez-moi tout
d'abord de vous dire que la CGT n'a signé ni l'accord dans la métallurgie ni
l'accord dans le bâtiment, contrairement à ce vous avez laissé entendre.
Par ailleurs, les services qui étendent les accords n'ont aucune marge
d'appréciation, comme vous le prétendez. Ils étendent les clauses légales et
ils refusent les clauses illégales, il n'y a aucune subjectivité en la
matière.
En ce qui concerne les accords qui ont été présentés à l'extension avant le
vote de la présente loi, ont été exclues, comme je l'ai dit tout à l'heure, les
clauses illégales, celles qui portaient atteinte au travail le dimanche ou aux
principes de la formation, par exemple, parce que nous savions qu'elles
resteraient illégales. Ont été réservées, en revanche, et en accord avec les
fédérations patronales, celles dont nous savions qu'elles seraient légalisées
si le projet de loi du Gouvernement était effectivement voté.
Toutes ces clauses étant aujourd'hui validées par le projet de loi, elles
seront donc étendues de la même manière. Il n'y a donc aucune subjectivité,
mais simplement une stricte lecture de l'accord par rapport à la loi.
Lorsque nous avons été conduits à exclure certaines clauses parce qu'elles
étaient contraires à la loi - et je ne pense pas que le Parlement reprochera au
Gouvernement de faire appliquer la loi ! -, nous avons systématiquement demandé
aux représentants patronaux et syndicaux si une telle exclusion ne remettait
pas en cause l'équilibre de l'accord.
Je tenais à vous apporter ces précisions, car je considère que vous avez sans
doute été mal informée : je ne mets évidemment pas en doute votre bonne foi,
mais vos propos sont véritablement erronés, que ce soit sur la signature des
syndicats, sur la méthode d'extension ou sur la façon dont nous travaillons
avec les organisations patronales et syndicales représentatives.
J'ajoute que cette méthodologie de l'extension existe depuis plus de deux ans
: j'ai moi-même été directeur des relations du travail voilà quelques années
et, comme mes prédécesseurs, j'ai toujours appliqué cette procédure dans les
mêmes conditions. Nous continuons donc, en faisant appliquer la loi qui a été
votée par le Parlement de la République.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er.
Chapitre Ier
Durée légale du travail
et régime des heures supplémentaires
M. le président.
Par amendement n° 144, M. Souvet, au nom de la commission, propose de rédiger
comme suit cet intitulé : « Développement de la négociation collective et temps
de travail. »
Sans doute convient-il, monsieur le rapporteur, de réserver cet amendement
jusqu'après l'examen de l'article 2
ter
?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
En effet, monsieur le président.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Favorable.
M. le président.
La réserve est ordonnée.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. _ I. _ Le premier alinéa de l'article L. 212-1 du code du travail
est ainsi rédigé :
« Dans les établissements ou professions mentionnés à l'article L. 200-1,
ainsi que dans les établissements artisanaux et coopératifs et leurs
dépendances, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à
trente-cinq heures par semaine. »
« II. _ La durée prévue à l'article L. 212-1 du code du travail est applicable
à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif à cette date
est de plus de vingt salariés ainsi que pour les unités économiques et sociales
de plus de vingt salariés reconnues par convention ou par décision de justice.
Pour les autres entreprises et unités économiques et sociales, elle est réduite
de trente-neuf heures à trente-cinq heures à compter du 1er janvier 2002.
L'effectif est apprécié dans les conditions prévues au deuxième alinéa de
l'article L. 421-1 et à l'article L. 421-2 du même code.
« III. _ L'article L. 212-1
bis
du code du travail est abrogé.
« IV. _ Après le premier alinéa de l'article L. 321-4-1 du code du travail, il
est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L'employeur, préalablement à l'établissement du plan social et à sa
communication en application de l'article L. 321-4 aux représentants du
personnel, doit avoir conclu un accord de réduction du temps de travail portant
la durée collective du travail des salariés de l'entreprise à un niveau égal ou
inférieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou à 1 600 heures sur l'année, ou,
à défaut, avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la
conclusion d'un tel accord. »
Sur l'article, la parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Madame le ministre, si
nous avions voulu vous jouer un vilain tour, nous aurions voté conforme le
projet de loi tel que nous l'a transmis l'Assemblée nationale. Il serait alors
devenu immédiatement applicable mais, je le crois, désastreux pour le monde du
travail et le Premier ministre en aurait été réduit à demander au Président de
la République de ne pas le promulguer afin de permettre une nouvelle
délibération au Parlement.
Cette perversité nous a peut-être traversé l'esprit, mais nous n'y avons pas
donné suite.
M. Alain Gournac.
Dommage !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
S'agissant des problèmes soulevés par
l'application obligatoire des trente-cinq heures, nous avons une conception
différente du dialogue social.
L'Assemblée nationale nous a transmis une sorte de machinerie - je
n'utiliserai pas les termes qui ont été utilisés précédemment - d'une rare
complexité.
M. Alain Gournac.
Une machinerie à gaz !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
En effet, ont été branchés sur le dispositif
initial de nombreux accessoires : certains ont greffé un accélérateur
supplémentaire, d'autres un deuxième volant, d'autres encore quelques éléments
susceptibles d'entraîner l'adhésion finale de certaines composantes de la
majorité plurielle.
La majorité des membres de la commission des affaires sociales s'est
interrogée sur l'attitude à adopter à l'égard d'un tel texte au lendemain de
son adoption par l'Assemblée nationale.
Nous avons envisagé de déposer une exception d'irrecevabilité, procédure assez
peu utilisée par notre commission. Aux termes de l'article 44 du règlement du
Sénat, nous aurions ainsi reconnu que le texte en discussion est contraire à
une disposition constitutionnelle légale ou réglementaire.
J'en reviens, pour expliquer cette position, à nos conceptions respectives du
dialogue social.
Tout à l'heure, vous avez dit, madame le ministre, qu'il y avait une certaine
contradiction entre deux des critiques qui étaient formulées par la majorité de
cette assemblée, à savoir l'autoritarisme et la complexité de ce texte. Mais
ces deux critiques sont non pas substitutives, mais cumulatives ! Et c'est
parce qu'il est autoritaire et compliqué qu'il laisse finalement extrêmement
peu de place, ou une place résiduelle tout à fait minime, au dialogue
social.
Permettez-moi, à cet égard, de vous renvoyer au huitième alinéa du préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946, annexé à la Constitution de 1958 : «
Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la
détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des
entreprises. »
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Nous sommes bien là dans un dispositif
ascendant et non pas dans un dispositif imposé, aux termes mêmes de l'un des
fondements de la Constitution.
Je me souviens d'un temps pas si éloigné où la loi intervenait pour valider
des accords signés entre représentants syndicaux et patronaux. Aujourd'hui, le
processus est inversé et M. Fourcade a eu raison de dire tout à l'heure qu'il y
avait là un problème difficile à gérer. Evoquant les risques
d'inconstitutionnalité, nous nous sommes tournés aussi vers un autre élément de
notre dispositif de représentation, à savoir la saisine du Conseil économique
et social.
Je sais bien que cette chambre n'a pas de pouvoir législatif, même si Pierre
Mendès France, dans
la République moderne
, voulait lui conférer un rôle
plus grand, y compris législatif. Il n'en reste pas moins que le deuxième
alinéa de l'article 2 de l'ordonnance du 29 décembre 1958 précise que « le
Conseil économique et social est obligatoirement saisi pour avis des projets de
lois de programmes ou de plans à caractère économique ou social, à l'exception
des lois de finances ».
On peut se demander si une loi rendant obligatoires les trente-cinq heures
hebdomadaires et bouleversant d'une façon importante le dispositif social dans
lequel nous vivons depuis quelques décennies ne s'apparente pas à un plan à
caractère social et s'il n'y avait pas, dans ces conditions, obligation de
saisir le Conseil économique et social !
En tout cas, vous aviez la possibilité de le faire - vous avez vous-même
considéré qu'il s'agissait d'une grande loi - puisque le troisième alinéa de ce
même article 2 indique qu'« il peut être saisi des projets de loi ou de décret
ainsi que des propositions de loi entrant dans le domaine de sa compétence ».
Je serais curieux de savoir pourquoi vous n'avez pas ouvert le débat au Conseil
économique et social...
M. Alain Gournac.
A la concertation !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
... ou sont représentées les organisations
syndicales, les organisations patronales et l'ensemble de la société civile.
Un autre élément qui aurait pu justifier une exception d'irrecevabilité est la
procédure qui vous permettait, dans le cadre de ce que vous avez appelé une «
contribution conventionnelle », de faire appel aux différentes caisses
d'assurance maladie, à l'UNEDIC, à l'AGIRC, et à l'ARRCO.
Le mot « conventionnelle » a, je dois le dire, très rapidement disparu de
votre discours, car il s'agissait en réalité d'une imposition dont ni le taux
ni l'assiette n'étaient fixés dans la loi. Vous avez renoncé à instaurer cette
contribution quand la machine dont je parlais tout à l'heure a « coulé une
bielle », c'est-à-dire lors du week-end qui a suivi l'adoption du texte par
l'Assemblée nationale. Nous reviendrons sans doute tout à l'heure sur ce par
quoi vous l'avez remplacée.
A la suite de cet événement, nous avons renoncé à notre tour à déposer une
motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité à votre texte. La
commission des affaires sociales du Sénat a élaboré des propositions et si, je
le répète, nous sommes favorables à l'instauration progressive, en respectant
le dialogue social, d'une réduction du temps de travail - telle était déjà la
position du Sénat voilà un an - nous ne voulons pas qu'il s'agisse d'une
réduction imposée, et ce pour des raisons que je ne reprendrai pas mais qui ont
été développées par différents orateurs au cours de la discussion générale.
Nous proposons tout d'abord de supprimer toutes les dispositions visant à
créer une obligation de réduire à trente-cinq heures le temps de travail.
Par ailleurs, nous choisissons de faire confiance à la négociation à l'échelon
des entreprises ou des branches, afin de contribuer à relancer le dialogue
social, lequel s'était presque éteint, et de lui redonner la place qui n'aurait
jamais dû cesser d'être la sienne dans notre pays. C'est pourquoi nous avons
déposé l'amendement n° 3, qui rend à supprimer les paragraphes I, II et IV de
l'article 1er.
Mme Hélène Luc.
Eh bien voilà ! On supprime !
M. le président.
La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 1er
de ce projet de loi est capital, car il vise à officialiser la réduction à
trente-cinq heures de la durée légale du travail au 1er janvier 2000 pour les
entreprises de plus de vingt salariés et au 1er janvier 2002 pour toutes les
autres.
D'aucuns prétendent qu'il ne fallait pas légiférer, mais n'en a-t-il pas
toujours été ainsi ? En effet, la réduction du temps de travail est au coeur
des grandes luttes sociales de notre pays depuis le XIXe siècle, et c'est à
chaque fois d'une loi qu'est venue la solution.
Il est vrai que, dans d'autres pays, en Allemagne notamment, on parvient à
réduire le temps de travail sans recourir à la loi. Mais il faut souligner que
si le dialogue et la négociation en entreprise portent plus de fruit dans ce
pays, c'est parce qu'il y existe un syndicalisme plus fort et un patronat
attentif à l'évolution de la société et sachant dialoguer.
En effet, même si beaucoup ne veulent pas l'admettre, la réduction du temps de
travail correspond réellement aux besoins de notre société et aux aspirations
de nos concitoyens et concitoyennes. J'ai été choquée d'entendre dire, dans les
rangs de l'opposition, que le travail n'avait aujourd'hui plus rien à voir avec
ce qu'il était au XIXe siècle et que, par conséquent, réduire le temps de
travail ne signifiait plus rien.
Certes, le travail est moins pénible aujourd'hui qu'il ne l'était au siècle
dernier, mais je rappelle à ceux qui semblent l'oublier qu'il y a encore des
ouvriers et des ouvrières travaillant à la chaîne, des travailleurs de force
sur les chantiers, des mineurs et des sidérurgistes - notamment dans mon
département - pour qui le travail est loin d'être une partie de plaisir.
Ceux-là, comme beaucoup d'autres, bénéficieront de davantage de temps libre,
qu'ils pourront consacrer à la famille, au bénévolat dans le monde associatif,
aux loisirs et à leur épanouissement personnel.
Le travail est une nécessité, à laquelle on se prépare à faire face dès le
plus jeune âge, au collège, au lycée, à l'université pour certains.
Il peut être choisi ou subi, mais quoi qu'il en soit, il doit pouvoir être un
facteur d'épanouissement. Hélas, ce n'est pas souvent le cas, car les rapports
sociaux ne sont pas suffisamment équilibrés. J'ai pu m'en rendre compte lors de
ma carrière professionnelle dans la sidérurgie et en tant que syndicaliste.
Ce projet de loi vise à défendre les salariés qui, pour la majorité d'entre
eux, aspirent à bénéficier de plus de temps libre pour améliorer leur qualité
de vie personnelle et leur qualité de vie au travail. En cela, les accords
signés durant la période de transition ont porté leurs fruits, puisqu'une très
large majorité des salariés passés aux trente-cinq heures de travail
hebdomadaires se déclarent satisfaits de cette évolution.
Défendre les salariés ne signifie pas pour autant pénaliser les entreprises.
En effet, les intérêts sont communs. Au sein des entreprises, on pourra, si ce
n'est déjà fait, réfléchir collectivement à l'organisation du travail en vue
d'aboutir à une plus grande efficacité. Le dialogue social est d'une importance
primordiale, et ce texte ne vise qu'à l'encourager. Les chefs d'entreprise déjà
engagés dans une démarche de réduction de la durée du travail constatent, pour
une large majorité d'entre eux, l'effet positif de la mise en oeuvre des
accords sur le fonctionnement de leur entreprise et sur le climat social et
s'en déclarent très satisfaits.
Je suis d'autant plus confortée dans mon opinion que la réduction du temps de
travail permet de créer des emplois. Ainsi, à ce jour, 125 000 emplois ont été
créés ou préservés, ce qui rejoint les hypothèses optimistes énoncées voilà
plus d'un an par les conjoncturistes. Il est temps aujourd'hui de montrer ces
chiffres aux sceptiques et d'afficher les faits. La réduction à trente-cinq
heures du temps de travail amène la création d'emplois et permet d'améliorer la
vie des individus. C'est une certitude.
L'Assemblée nationale a fort justement amendé l'article 1er en définissant,
notamment, le temps de travail effectif, ainsi que les astreintes, qui entrent
dans le calcul de celui-ci. Cette notion est, en effet, déterminante en droit
du travail, et il convenait d'être clair au départ sur ce point, afin que sa
définition ne soit pas à l'origine de litiges entre employeurs et salariés.
L'amendement dit « Michelin », qui subordonne l'élaboration d'un plan social à
l'exploration préalable, sincère et loyale de toutes les possibilités liées à
la réduction de temps de travail, représente une avancée très importante en
matière de dialogue social. Cette disposition était nécessaire, car nous avons
tous été choqués par ce triste épisode.
Madame la ministre, grâce à votre détermination et à celle du Gouvernement,
nous écrivons aujourd'hui l'une des plus belles pages de l'histoire des
avancées sociales de ce siècle. L'article 1er en est le fondement, et nous le
voterons avec enthousiasme.
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant
d'examiner en détail cet article 1er, je souhaiterai au nom du groupe
communiste républicain et citoyen, m'arrêter à l'une des attitudes les plus
caractéristiques de la majorité sénatoriale dans ce débat.
En effet, la majorité des membres de la commission souhaite la suppression des
dispositions introduites dans le projet de loi par le biais de l'amendement dit
« Michelin », qui a été voté par l'Assemblée nationale. Or que prévoit celui-ci
? Comme l'a indiqué lui-même M. le rapporteur, l'employeur devra, préalablement
à l'établissement d'un plan social, avoir conclu un accord sur la réduction du
temps de travail ou, pour le moins, avoir engagé une négociation sur ce
thème.
Cette attitude de la majorité sénatoriale, qui s'arc-boute sur la défense des
intérêts patronaux, est choquante au regard de la détresse des milliers de
salariés victimes de procédures de licenciement massif.
A cet égard, Michelin a été le détonateur d'une prise de conscience au sein de
la société française. Comment accepter, en effet, 7 500 suppressions d'emplois,
alors que, dans le même temps, 2 milliards de francs de profits sont annoncés ?
Comment accepter que, au lendemain de cette décision, le cours des actions de
la société Michelin fasse un bond de plus de 12 % ? Ces derniers mois, de
nombreuses entreprises comme Alcatel, Epéda ou Wolber, filiale de Michelin, ont
choisi l'option ultra-libérale, c'est-à-dire le profit contre l'épanouissement
humain.
L'émotion a été très grande, non seulement dans le pays de Clermont, mais dans
toute la France. J'ai participé moi-même, avec mon ami Guy Fischer, à la
première manifestation des salariés et de la population de Clermont-Ferrand. Il
fallait, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, lire la
détresse et la colère sur les visages de ces hommes et de ces femmes confrontés
à la violence capitaliste ! Cette colère en disait long. Elle était due bien
sûr à l'annonce des licenciements, mais aussi à l'atteinte portée à la dignité
des salariés de par la manière dont cette annonce avait été faite, en ignorant
complètement le comité d'entreprise ! Elle était due également au fait que les
premiers touchés auraient été les jeunes : il n'y a même plus de place pour les
jeunes chez Michelin à Clermont-Ferrand !
Heureusement, la réaction a été unanime en France, et la grande manifestation
nationale contre les licenciements a juqu'à présent empêché ce mauvais coup.
Mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, quoi de plus
logique que de lier la possibilité de licencier à la recherche de solutions
permettant d'assurer la sauvegarde de l'emploi, en l'occurrence par la
réduction à 35 heures de la durée du travail, qui doit permettre, si les
employeurs jouent le jeu, de préserver les emplois et surtout d'en créer ?
Il faut être bien éloigné de ces drames humains pour refuser toujours et
encore l'intervention du législateur pour défendre l'emploi. Il faut être sourd
à l'exigence qui monte d'une juste redistribution des richesses et d'un effort
plus grand en faveur de l'emploi et de la formation pour persévérer, comme vous
le faites aujourd'hui, dans une défense inconditionnelle, que je trouve
violente, des intérêts patronaux au détriment de l'intérêt général.
La rédaction actuelle du paragraphe IV de l'article 1er ne nous convient pas
totalement, et nous nous en sommes expliqués à l'Assemblée nationale. Mais
celui-ci constitue sans nul doute - et c'est bien pour cette raison que les
députés communistes l'ont voté - une remise en cause du pouvoir tout-puissant
du patronat, qui peut décider sans contrôle réel de l'avenir et des conditions
de vie des salariés.
Je tenais à prononcer cette intervention, car il s'agit d'un sujet qui nous
tient particulièrement à coeur, à moi et aux membres de mon groupe. La
réduction à 35 heures du temps de travail peut constituer un moyen formidable
pour ramener le véritable plein emploi dans notre pays et de combattre la
précarité. Elle peut permettre à nos concitoyens de disposer de plus de temps
libre pour leur vie personnelle et familiale.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'opposeront avec
détermination au coup bas porté par la majorité sénatoriale à la lutte des
salariés contre les licenciements. Heureusement, la majorité plurielle de
l'Assemblée nationale rétablira les choses.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 1er
délimite le champ d'application de la réduction du temps de travail : les 35
heures seront applicables dès le 1er janvier 2000 pour toutes les entreprises
comptant plus de vingt salariés, les autres se voyant accorder un délai courant
jusqu'au 1er janvier 2002 pour s'adapter à la législation.
Pourtant, cet article ne fait pas davantage référence que les autres aux 35
heures dans la fonction publique.
M. Alain Vasselle.
Ils font déjà moins de 35 heures !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Vous parlez de choses que vous ne connaissez pas, monsieur Vasselle, je le
crains.
M. Alain Vasselle.
Mais si ! La moyenne dans la fonction publique territoriale, c'est 33 heures
!
M. le président.
Mes chers collègues, laissez parler Mme Bidard-Reydet, je vous prie.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Alors que le ministre de la fonction publique engage des discussions avec les
organisations syndicales, les élus locaux et leurs associations, nous
souhaiterions que cette seconde loi pose, dès à présent et clairement, le
principe du passage aux 35 heures au 1er janvier 2000 dans la fonction
publique.
Malgré leurs spécificités il n'est pas souhaitable de dissocier radicalement,
comme le fait souvent la droite, le service public et les fonctions publiques
du secteur marchand.
En termes de finalité et de moyens, ce serait les traiter hors des
problématiques générales du développement économique et social, auxquels ils
contribuent pourtant très efficacement.
Ce serait également prendre le risque de les soumettre aux politiques de
réduction des dépenses publiques, synonyme d'affaiblissement de leurs capacités
à répondre aux besoins des usagers et des populations, aussi, en limitant leurs
actions d'intérêt général, dans tous les domaines, notamment au plan économique
et sur les terrains de l'emploi.
Ce projet de loi doit donc prendre en compte le service public comme facteur
essentiel du développement, conjointement et en complémentarité avec le secteur
marchand. Il est indispensable de ne pas dissocier les deux logiques mais, au
contraire, de considérer que la mixité « public-privé » constitue un élément de
cohérence favorable à la croissance économique et au progrès social.
Accompagner avancée sociale et modernisation des services publics n'est pas
une aberration. C'est au contraire un véritable progrès économique et
social.
M. Zuccarelli, auditionné à la mi-octobre par la commission des affaires
sociales, déclarait que la réduction du temps de travail aurait vocation à
s'appliquer à la fonction publique et serait l'occasion d'une réflexion visant
à l'amélioration du service public, mais n'aurait cependant pas comme objectif
la création d'emplois.
Les parlementaires communistes souhaitent l'application des 35 heures dans la
fonction publique pour permettre la création d'emplois et d'embauches
statutaires, notamment dans les domaines de l'éducation, de la justice, de la
police et de la santé.
Nous voulons faire état de nos propositions accompagnées de leurs
financements, car, vous le savez, un grand nombre de collectivités locales ont
de telles difficultés budgétaires qu'elles ne pourront pas supporter le coût du
passage aux 35 heures dans la fonction publique territoriale.
Nous souhaitons que les négociations engagées aboutissent à un accord cadre
pour chacune des trois fonctions publiques, établissant les modalités du
passage aux 35 heures dans les fonctions publiques d'Etat, territoriales et
hospitalières, ainsi que dans les établissements publics à caractère
administratif.
Pour les missions comportant des tâches pénibles, dangereuses ou
particulières, telles que le travail de nuit et le ramassage des ordures
ménagères, la durée hebdomadaire de travail ne devrait-elle pas être plafonnée
à 32 heures ?
Nous souhaitons que l'année 2000 soit consacrée aux négociations par
établissement et que ces négociations aboutissent à un projet soumis aux
comités techniques paritaires.
Ces propositions ont pour objet de contribuer à la mise en oeuvre du programme
de réduction de la durée du travail et de recrutement corrélatif lié à une
amélioration du service public, comportant notamment le développement de
nouvelles activités de ses services et l'amélioration des réponses aux besoins
du public, y compris en termes d'implantation sur l'ensemble du territoire.
Pour financer nos propositions, nous suggérons de poser le principe d'un
engagement financier de la responsabilité nationale pour des créations
d'emplois publics, sur la base de ce qui avait été mis en place en 1982 par
l'ordonnance relative aux contrats de solidarité des collectivités locales ;
l'Etat prendrait en charge les cotisations de sécurité sociale incombant
obligatoirement à la collectivité ou à l'établissement et afférentes à l'emploi
de nouveaux personnels recrutés en application de la réduction du temps de
travail.
Dans la perspective des négociations engagées par M. le ministre de la
fonction publique pour aboutir à un accord cadre, ou à une loi-cadre spécifique
aux trois fonctions publiques, il est indispensable, selon nous, que ce projet
de loi prenne en compte le service public et ses 4,5 millions de
fonctionnaires, dont 1,8 million dans les collectivités locales.
Voilà pourquoi, madame la ministre, nous voulions vous faire part de notre
opinion, respectueuse des attentes des salariés ; nous souhaitons qu'elle soit
entendue.
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Nous l'avons dit, la manière d'aborder la question des 35 heures relève d'une
vision caduque du travail.
Nous ne sommes plus dans la société industrielle du xixe siècle ; nous allons
entrer dans le xxie siècle.
M. Jacques Marseille - j'ai utilisé hier un des termes qu'il emploie, ce qui
n'a guère fait plaisir - professeur d'histoire économique et sociale rappelait
fort justement qu'aujourd'hui, entre l'allongement des études, la retraite à
soixante ans, l'allongement de la durée de la vie et les congés payés, nos
concitoyens ne travaillent plus en moyenne que 12 % du temps de leur vie
éveillée !
Dans le texte qui nous est proposé, ce qui nous semble le plus aberrant est ce
découpage du temps de travail obligatoire, et ce quelles que soient les
situations et quels que soient les métiers.
En effet, s'il semble possible dans l'industrie de pouvoir les mettre en
place, comme cela est-il possible dans d'autres secteurs ?
Dans l'industrie d'ailleurs, madame le ministre, souvent les branches ne vous
avaient pas attendu pour réduire la durée du temps de travail. Mais dans les
autres secteurs, comment feront-elles ?
Nous vivons aujourd'hui dans une société de services. Qui peut croire que le
travail peut se fractionner et se répartir aussi facilement entre les hommes ?
Rares sont ceux qui, aujourd'hui, travaillent encore à la chaîne : de plus en
plus les hommes - et c'est un bien - suivent l'évolution du produit sur lequel
ils travaillent. On ne se contente plus de participer à un petit bout de la
chaîne sans chercher à savoir ce qu'il adviendra de ce produit.
Le travail ne se répartit donc pas aussi facilement que vous voulez nous le
faire croire. C'est pourquoi les 35 heures ne se traduiront pas par un partage
de l'emploi mais, c'est à craindre, par une baisse de l'activité de
l'entreprise.
A l'heure de la mondialisation, c'est un coup dur qui est porté à la
compétitivité de nos entreprises.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Non seulement aucun emploi ne sera vraiment créé par la mise en oeuvre des 35
heures dans les sociétés de services, mais de surcroît d'autres emplois seront
mis en péril par votre loi hasardeuse qui s'inscrit à contre-courant de nos
partenaires et de l'évolution de la nature du travail.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
L'article 1er constitue bien la pierre angulaire du texte du Gouvernement,
puisqu'il prévoit de réduire de manière autoritaire de 39 à 35 heures la durée
légale du temps de travail.
Quel est l'objectif recherché par le Gouvernement ? M. le Premier ministre et
Mme Aubry en particulier l'ont annoncé - et à l'instant Mmes Luc et
Bidard-Reydet y ont insisté - il s'agit de favoriser la création de nouveaux
emplois, dans le secteur marchand, bien entendu, car Mme Aubry se garde bien de
parler du secteur public. Mais Mme Bidard-Reydet s'est chargée de le lui
rappeler et d'inciter le Gouvernement à s'intéresser à la fonction publique,
tout en contestant quelque peu les intentions de M. Zuccarelli à cet égard.
En ma qualité de président du groupe de travail sur la fonction publique
territoriale au sein de l'Association des maires de France, j'ai été reçu avec
d'autres élus par M. Zuccarelli. S'agissant de la mise en oeuvre des 35 heures
dans la fonction publique, celui-ci a été très clair : oui, mais sans
participation de l'Etat, notamment par le biais de la DGF, pour financer le
surcoût qui en résulterait. En clair, les collectivités locales devront se
débrouiller toutes seules. En outre, M. Zuccarelli nous a dit qu'il n'y aurait
pas d'obligation de création d'emplois en contrepartie.
Madame Bidard-Reydet, vous connaissez ainsi la réponse du ministre de la
fonction publique. Peut-être Mme Martine Aubry vous la confirmera-t-elle dans
un instant, à moins que, à l'instar de ce qui s'est passé à l'Assemblée
nationale, le Gouvernement ne recule pour faire plaisir à une composante de sa
majorité plurielle, dont il aura besoin lors des prochaines échéances
électorales, les élections municipales ou cantonales.
Alors, peut-être le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat va-t-il
réussir à infléchir la position du Gouvernement quant à ses intentions en la
matière.
En tout cas, sur ce sujet délicat et épineux, c'est actuellement le silence
radio le plus complet de la part du Gouvernement. Vous avez sans aucun doute
bien fait de l'évoquer, madame Bidard-Reydet, et j'écouterai comme vous avec
intérêt la réponse que vous apportera Mme Aubry sur ce point.
Ainsi, mes chers collègues, l'objectif est de créer des emplois. Si la
solution ce sont les 35 heures, je me demande pourquoi MM. Juppé, Balladur,
Rocard, Mauroy ou Mme Cresson n'y ont pas recouru depuis 1981. S'il suffit de
diminuer le temps de travail pour créer des emplois, pourquoi ne pas l'avoir
fait plus tôt ?
La réduction du temps de travail à 39 heures ne s'est pas traduite par des
créations d'emplois. Lorsqu'en 1993 nous sommes revenus au Gouvernement, nous
avions hérité d'une situation particulièrement catastrophique sur les plans
économique et social, les 39 heures y étaient pour beaucoup.
Madame le ministre, on dit souvent en plaisantant - veuillez m'excuser de
cette familiarité - ...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vous en prie !
M. Alain Vasselle.
... « Zorro est arrivé ! » Aujourd'hui, « Martine est arrivée » !
(Rires).
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est assez fin, je dois le
reconnaître !
M. Alain Vasselle.
La solution, on la connaît. Eurekâ !
Monsieur le président, j'ignore si la séance de cet après-midi est retransmise
sur la chaîne parlementaire, car je ne tiens pas ces propos tant pour mes
collègues, qui connaissent parfaitement le sujet, que pour les téléspectateurs
qui nous regardent afin qu'ils se rendent compte si, véritablement, la solution
envisagée par le Gouvernement permet de créer des emplois.
Si les créations d'emploi sont proportionnelles à la diminution du temps de
travail, il fallait peut-être proposer 30 heures. Tout à l'heure, Mme
Bidard-Reydet a proposé 32 heures. Faisons de la démagogie, allons beaucoup
plus loin ! Le financement, le Gouvernement l'avait trouvé : il se servait sur
l'excédent de la CNAV et de l'UNEDIC pour financer les 35 heures. Mais il a
fait marche arrière toute, il est vrai sous la pression d'un certain nombre
d'organisations syndicales.
La première loi sur les 35 heures aurait déjà, prétend-on, permis de créer des
emplois. Demandez à M. Blondel ce qu'il en pense ! Je ne crois pas qu'il
partage l'avis du Gouvernement sur ce sujet.
Les chiffres annoncés par Mme Aubry sont particulièrement contestés par les
partenaires sociaux, le MEDEF, bien entendu, mais également les organisations
syndicales, et M. Blondel le premier.
Mesdames, messieurs, nous, nous pensons qu'il faut privilégier la voie
conventionnelle...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ça n'a pas marché !
M. Alain Vasselle.
... et les accords de branche ou d'entreprise. De ce point de vue, la première
loi pouvait recueillir pour partie notre assentiment...
M. Guy Fischer.
Vous l'avez combattue !
M. Alain Vasselle.
... même si nous considérions que la solution pour l'emploi ce n'était pas les
35 heures. Nous pouvions être en accord sur la forme mais non sur l'objectif et
sur le fond de la loi sur les 35 heures.
Aujourd'hui, c'est le bouquet ! On assiste à une levée de boucliers de toutes
parts et ceux qui vont le plus souffrir de la situation ce sont non seulement
les petites entreprises, mais aussi les salariés eux-mêmes, qui seront les
premières victimes de cette loi rendant obligatoire la réduction du temps de
travail à 35 heures.
En définitive, ce gouvernement ne réussit à gérer la France que par voie
législative ou réglementaire. La libre initiative, le liberté d'entreprendre,
la liberté des entreprises, la liberté indidivuelle, il ne connaît pas. Chaque
fois qu'il est possible de resserrer le carcan administratif, de gripper les
dispositifs qui permettent à cette société de fonctionner, le Gouvernement en
rajoute une cuillère, voire une louche. Il suffit pour s'en convaincre de faire
une analyse rétrospective de tous les textes qu'il nous a présentés depuis 1997
: chaque fois - la loi d'orientation agricole en est un exemple probant -
l'administration vient peser de plus en plus lourd, sans oublier le poids des
prélèvements obligatoires. Si l'on suit le groupe communiste citoyen et
républicain en ce qui concerne la diminution du temps de travail dans la
fonction publique, il faudra bien payer l'addition. Qui la paiera sinon le
contribuable ?
(Protestations sur les travées socialistes.)
Or, en
portant atteinte à son pouvoir d'achat, on porte atteinte à l'économie, à la
compétitivité des entreprises et la France se retrouvera dans une situation
encore plus difficile.
N'oublions pas que l'embellie économique que nous connaissons aujourd'hui est
due non pas aux dispositions prises par le Gouvernement, mais à une conjoncture
internationale favorable. C'est cela la réalité. Il faut que les Françaises et
les Français le sachent.
La voie réglementaire n'a jamais été la solution permettant de régler les
problèmes économiques. Voilà pourquoi l'amendement de la commission est
pertinent et réaliste. C'est dans cette voie que les Françaises et les Français
souhaitent que la France s'engage. Ils ne souhaitent ni la voie réglementaire
ni la voie législative.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
La fermeté du ton n'a jamais
fait ni la force du propos ni la cohérence, vous nous en avez donné une fois de
plus une belle démonstration, monsieur Vasselle.
Vous n'étiez pas présent lorsque j'ai répondu tout à l'heure. Aussi
n'avez-vous pas pu entendre que le Gouvernement n'était pas avare de paroles
quand il s'agissait de parler de la réduction de la durée du travail dans la
fonction publique. J'en ai en effet parlé très longuement tout à l'heure, mais
peut-être pas aussi longuement que pour le secteur privé, car j'essaie de me
cantonner aux domaines dont j'ai la charge.
Sachez cependant qu'il y a une cohérence dans l'action gouvernementale et que,
comme je le dirai plus précisément à Mme Bidard-Reydet, il n'est effectivement
pas question de ne pas réduire la durée du temps de travail de la même manière
dans le secteur public aussi.
J'ai écouté vos critiques, monsieur Vasselle. Vous avez notamment demandé
pourquoi le Gouvernement n'avait pas décidé de réduire plus tôt la durée du
travail. Nous avons sans doute tous eu tort de ne pas le faire. Mais nous le
faisons maintenant.
Je vous renvoie très volontiers le compliment. Pourquoi n'avez-vous pas décidé
une baisse des charges patronales que vous considérez depuis longtemps comme le
credo en matière d'emploi ? Si « Martine est arrivée », on ne peut pas en dire
autant d'Alain.
Mme Bidard-Reydet, quant à elle, a posé une véritable question en des termes
très solides. Nous devons effectivement réduire la durée du temps de travail
dans les fonctions publiques où elle est supérieure à 35 heures.
(Murmures
sur les travées du RPR.)
Voyons, messieurs, critiquer les fonctionnaires, cela a un temps ! En tant que
ministre en charge d'une administration, je n'accepte pas de voir traiter ainsi
les fonctionnaires. Je suis toujours étonnée que des représentants de la
démocratie et de la République traitent les fonctionnaires de cette manière.
En règle générale, ces responsables n'ont pas le courage de prendre les
décisions qui conviennent, quand ils sont à la tête des administrations pour
faire travailler ceux qui ne travaillent pas, qui sont peu nombreux
d'ailleurs.
Je ne connais aucun ministre de l'opposition qui ait pris des sanctions. S'il
était vrai que les fonctionnaires ne travaillaient pas, ces ministres
n'auraient donc pas rempli leur rôle. Mais je crois que les propos que nous
venons d'entendre sont purement démagogiques.
Pour ma part, j'ai une administration qui travaille, beaucoup même. M.
Vasselle a d'ailleurs rappelé tout ce que nous avons fait depuis notre
arrivée.
Madame le sénateur, comme je le disais, je crois que vous avez raison et qu'il
faut engager le mouvement de la réduction du temps de travail dans la fonction
publique. Le rapport Roché a dressé un état de la situation, et M. Zuccarelli a
déjà reçu les organisations syndicales et patronales, en ce qui concerne la
fonction publique d'Etat.
Ce doit être l'occasion pour nous, vous l'avez indiqué à juste titre, de
reposer l'ensemble du problème du rôle du service public dans notre pays. Si
nous disons aux entreprises de repenser l'organisation du travail, nous devons
aussi demander à la fonction publique de s'interroger sur ses missions et sur
la manière de faire en sorte que le service public soit mieux organisé pour
chacun de ses utilisateurs.
Tel est le réel débat qui apparaît derrière les 35 heures dans la fonction
publique. Le rôle de service public, c'est aussi d'être capable de se mettre à
la disposition de ceux qui ne viennent pas vers lui, d'assurer des permanences
dans des quartiers en difficulté ou dans des zones rurales.
Je suis convaincue que ce débat sur les 35 heures dans la fonction publique,
aussi bien nationale que territoriale, nous permettra de progresser.
En ce qui concerne l'hôpital, domaine qui dépend directement de mon ministère,
nous travaillons depuis plusieurs mois avec des experts et des représentants du
monde hospitalier.
Ma démarche consiste à faire en sorte que, avec la réduction de la durée du
travail dans l'hôpital - et je pense que M. Vasselle ne peut pas dire que l'on
ne travaille pas à l'hôpital, que les infirmières qui font 39 heures de jour ou
35 heures de nuit...
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, je n'ai jamais dit cela !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je sais que vous ne l'avez pas
dit ! Je dis : « M. Vasselle ne pourra pas dire cela. »
M. le président.
Madame le ministre, je vous en prie, achevez votre intervention.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si M. Vasselle ne
m'interrompait pas, il me serait plus facile de terminer, monsieur le
président.
M. le président.
Convenez, madame, que vous venez de le provoquer !
(Protestations sur les
travées socialistes.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, si vous
pensez que répondre à une intervention revient à provoquer, j'aimerais que vos
remarques soient aussi fermes lorsque j'interviens et que j'entends un certain
nombre d'insultes à mon égard.
M. le président.
Madame, nous sommes au Sénat, et aucune insulte n'est proférée, notamment à
votre égard.
(M. Mélenchon proteste.)
Monsieur Mélenchon, vous n'avez pas la parole maintenant, mais je vous la
donnerai tout à l'heure.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Vasselle ne pourra pas me
contredire - ce n'est ni une insulte ni une provocation, monsieur le président
- si je dis que les infirmières travaillent 39 heures de jour et 35 heures de
nuit.
M. Alain Gournac.
Voire beaucoup plus, nous le savons !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Roché l'a très bien
démontré.
A l'hôpital, le débat porte sur des questions essentielles. Comment ouvrir
l'hôpital sur la ville ? Comment accueillir les exclus ? Comment décloisonner
les services ? Comment améliorer les rapports entre ceux qui travaillent à la
base et les professeurs de médecine pour obtenir un service plus efficace, pour
mieux recevoir les malades, mieux les accompagner, mieux les servir ? Telles
sont les questions que nous allons aborder à l'occasion de la négociation sur
les 35 heures.
A l'hôpital, en tout cas, il est bien clair que la réduction du temps de
travail doit s'accompagner de créations d'emplois.
Aujourd'hui, cette durée du travail est appliquée. C'est d'ailleurs une durée
du travail intense, et chacun sait combien ces métiers sont difficiles.
C'est dans cet état d'esprit que j'engage la négociation sur les 35 heures
avec les organisations syndicales et les dirigeants du secteur hospitalier.
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Nous avons déjà exposé longuement, lors de la discussion générale, les raisons
pour lesquelles les 35 heures pourraient porter un préjudice grave à nos
entreprises.
En cet instant, je tiens à vous en donner trois exemples.
Tout d'abord, dans certains cas, les entreprises à faible valeur ajoutée
pourront difficilement respecter les dispositions relatives à la réduction du
temps de travail. En effet, des embauches supplémentaires engendrées par cette
réduction du temps de travail ne se justifieront pas, elles ne permettront pas
de respecter l'équilibre de leur compte d'exploitation.
Voici un deuxième exemple : une entreprise emploie cinq salariés travaillant
39 heures, soit 195 heures par semaine. Avec le passage aux 35 heures, ils
travailleront au total 175 heures. Il faudra donc que cette entreprise embauche
un salarié supplémentaire, ce qui portera le total des heures à 210 heures,
soit une augmentation de 7,6 % de la masse salariale. Cette augmentation
sera-t-elle suivie d'une augmentation d'activité, voire de marge brute de 7,6 %
? Je ne le pense pas, et certaines entreprises seront en difficulté.
Mon troisième exemple a trait aux entreprises dont les activités sont
contraintes de respecter des horaires précis et spécifiques. Ces entreprises ne
pourront pas jouer sur une certaine flexibilité, une certaine modulation du
temps de travail dans une journée. Toute réduction du temps de travail leur
posera donc des problèmes.
A l'heure actuelle, 89 % des salariés travaillent dans des petites et moyennes
entreprises, notamment chez des artisans ; cela signifie que 89 % des salariés
seront confrontés aux situations que je viens de décrire. Dans ces conditions,
ne croyez-vous pas, madame le ministre, que cette réforme sera sans incidence
sur la compétitivité de ces entreprises, voire sur leur survie ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je voudrais en préalable faire état de l'agacement qui règne sur nos bancs
lorsque nous devons constater qu'il y aurait ici une espèce de droit naturel au
brouhaha dès lors qu'un orateur de gauche vient à répondre à un argument
présenté par un orateur de droite !
M. Alain Gournac.
Moi aussi, j'ai été interrompu hier 19 fois !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Eh bien, tant mieux ! Et, en plus, vous avez eu la patience de compter !
Il vous est également arrivé de m'interrompre. Cela fait partie de la vie
parlementaire.
Ce qui n'est pas normal, en revanche, c'est de considérer que c'est un droit
pour vous seuls. Car, lorsqu'on vous répond, on vous provoquerait.
Je ne crois pas que ce soit de cette manière-là que nous devons mener la
discussion.
M. le président.
Je vous fais remarquer à cet égard, monsieur Mélenchon, que personne n'a de
droit. Chacun a la possibilité d'intervenir, dans la mesure où il s'est inscrit
préalablement, comme vous l'avez fait. Il appartient au président - ce que je
fais bien volontiers - d'assurer une certaine tenue à nos débats.
Veuillez poursuivre, je vous prie.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ma remarque n'était en aucun cas une remarque personnelle, elle ne visait
nullement à contester l'autorité de la présidence de cette assemblée.
Je voulais simplement faire cette remarque car, à deux reprises, l'argument a
été évoqué, la première fois à mon sujet, ce qui a peut-être réveillé une
sensibilité particulière de ma part.
Mais je sais bien que, ici, il vaut mieux mettre les points sur les « i » si
l'on ne veut pas avoir à y revenir.
Quant à M. Vasselle, qui n'a pas participé à la discussion générale et qui n'a
pas entendu la réponse de Mme la ministre, il nous a imposé un concentré
d'arguments que nous avons entendu exposer par d'autres et avec beaucoup plus
de talent pendant la discussion générale ! Il est assez insupportable de
reprendre la discussion générale, surtout quand des réponses ont déjà été
apportées.
J'en viens maintenant au fonds de mon propos.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, si la commission
s'oppose à l'article 1er et propose son abrogation, ce n'est pas, selon vous,
au nom de son opposition à la réduction du temps du travail. Je suis au regret
de vous dire que, malheureusement, je ne vous crois pas. Je pense que les
arguments que vous avancez sont des prétextes.
Vous adoptez cette attitude, dites-vous, parce que vous opposez la rigueur de
la loi à la souplesse qui serait celle du contrat et de la négociation.
J'ai dit tout à l'heure ce qu'il fallait penser de cet enthousiasme pour la
négociation, qui est nouveau dans cette assemblée et que je n'ai pas toujours
trouvé dans les débats précédents.
Cependant, pour ne pas en rester à cette seule approche, je veux ajouter que,
dans la tradition de gauche, il y a eu des débats, parfois fort longs, sur la
part qui doit être réservée à la loi, d'une part, et à la négociation
collective et au contrat, d'autre part.
Ces deux approches s'appuient chacune sur une philosophie politique, et
chacune a sa légitimité. Elles se rattachent à des philosophies politiques
différentes, qui peuvent converger ; elles se rattachent surtout à des
histoires nationales différentes.
Par exemple, on ne cesse de dire dans cette enceinte que la question de la
négociation et du contrat ne se pose en aucun cas dans les mêmes termes en
Allemagne et en France. Nous le savons bien. Cela tient à des événements
anciens et marquants de l'histoire sociale et politique de ces deux pays.
Mais, au fond, ce qui a fini chez nous par mettre tout le monde d'accord, ce
sont les faits ! Je suis au regret de vous le dire, si nous sommes tous
d'accord, aujourd'hui, pour dire, non pas que la réduction du temps de travail
est la seule et unique mesure qui permette le retour au plein emploi, mais que
c'est une mesure importante, une mesure décisive, si nous le disons tous et
depuis si longtemps, si nous convergeons sur la méthode à suivre aujourd'hui,
c'est parce que les faits ont mis tout le monde d'accord.
Nonobstant votre enthousiasme nouveau pour la réduction du temps de travail,
je suis au regret de vous dire que, depuis 1979, toutes les incitations à la
négociation spontanée ont échoué, n'ont débouché sur rien.
En particulier, il a fallu beaucoup de courage à Pierre Mauroy, en 1982, pour
imposer la réduction à 39 heures, qui a tout de même permis de créer 70 000
emplois dans un contexte où rien n'avançait...
M. Alain Gournac.
Après, il y a eu 3 millions de chômeurs !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il est vrai que les 35 heures étaient la vingt et unième des cent dix
propositions du programme de François Mitterrand en 1981.
Voilà pourquoi il a fallu la loi. Ce pays est fait de cette manière ! N'ayons
pas honte de nos traditions, elles comportent des points forts en matière de
rapports sociaux.
M. le président.
Il vous faut conclure, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Vasselle a mis un peu plus de temps que moi !
M. le président.
Un peu !
M. Alain Vasselle.
Moins longtemps que Mmes Luc et Bidard-Reydet !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je vous remercie de votre indulgence, monsieur le président, et, comme je ne
veux pas compliquer votre tâche, j'en viens à ma conclusion.
Voilà pourquoi il a fallu ce mouvement : la loi, la négociation, puis la loi
et de nouveau une négociation qui vise à la mettre en oeuvre.
Mais, mes chers collègues, il ne faudrait pas que, dans cet enthousiasme que
l'on sent maintenant pour la négociation collective et le contrat, on oublie
une notion à laquelle nous sommes nombreux ici à être très attachés : les
rapports sociaux ne se négocient pas de gré à gré.
(Murmures sur les travées
du RPR.)
L'ordre public social est un concept profondément républicain. Dans la
convention collective, dans l'accord étendu, on négocie, bien sûr, pour adapter
et pour rendre les dispositions compatibles avec l'état de la production ; mais
on négocie à partir d'une règle qui est commune pour tous. C'est cela l'esprit
républicain !
(Nouvelles protestations sur les travées du RPR.)
L'ordre public social, cela signifie que le travailleur lui-même n'a pas la
liberté de négocier de gré à gré des durées de travail supérieures à celles que
la loi prévoit ou des conditions d'hygiène et de sécurité moins exigeantes que
celles que la loi prévoit.
Donc, il faut la loi : il a fallu la loi pour lancer la négociation, il a
fallu la loi - et vous savez que cela a donné lieu à débat entre nous - pour
savoir jusqu'à quel point de contrainte nous irions.
Vous savez : mieux vaut pour vous tomber sur Mme Aubry que sur moi
(Rires
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)
qui aurais - et
je ne suis pas le seul de cet avis - tôt fait de considérer qu'une autre
assemblée avait une légitimité suffisante pour décider !
(Protestations sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Henri Revol.
Quel sectarisme !
M. Hilaire Flandre.
Vous voulez faire appel à Jospin ?
M. Alain Vasselle.
Vous voulez prendre la place de Strauss-Kahn ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je vous en prie ! La vie politique est ainsi faite...
M. le président.
Concluez, monsieur Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il y a une légitimité à ce que la loi tranche et arbitre. Je crois que le
système qui a été proposé instaure une bonne dynamique entre la loi et la
négociation collective ; c'est ce qui va nous permettre, à la fois, d'établir
un ordre public social et de le rendre compatible avec les exigences et les
contraintes de la production elle-même.
C'est pourquoi je fais le pari que ce dispositif sera gagnant. Je suis sûr
qu'à l'avenir c'est une méthode qui se généralisera : on fera la loi, on mènera
la négociation, puis on reviendra à la loi.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Sur l'article 1er, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune.
Par amendement n° 3, M. Souvet, au nom de la commission, propose :
A. - De supprimer les paragraphe I, II et IV de cet article.
B. - De complèter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« V. - Dans l'article 2 de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 précitée, les mots
: "à l'article 1er" sont remplacés par les mots : "à l'article 3". »
Par amendement n° 79, M. Machet et les membres du groupe de l'Union centriste
proposent de remplacer le texte présenté par le paragraphe I de l'article 1er
pour le premier alinéa de l'article L. 212-1 du code du travail par deux
alinéas ainsi rédigés :
« Dans les établissements ou les professions mentionnées à l'article L. 200-1,
ainsi que dans les établissements artisanaux et coopératifs ou dans leurs
dépendances, dont l'effectif est de plus de neuf salariés, ainsi que pour les
unités économiques et sociales de plus de neuf salariés reconnues par
convention ou décision de justice, la durée légale du travail effectif des
salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine.
« Pour les autres entreprises et unités économiques et sociales, un accord
d'entreprise ou d'établissement détermine les modalités de la réduction du
temps de travail de trente-neuf heures à trente-cinq heures par semaine. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission est favorable au principe de la réduction du
temps de travail, mais elle désapprouve la méthode retenue par le Gouvernement,
c'est-à-dire l'abaissement de la durée légale du travail prévu par cet article
1er, et ce au moins pour trois raisons.
D'abord, elle dessaisit les partenaires sociaux qui sont les acteurs naturels
d'une négociation réussie et équilibrée sur la réduction du temps de
travail.
Ensuite, elle oblige à l'adoption d'une réglementation complexe, contraignante
et source d'insécurité juridique, qui perturbe le fonctionnement des
entreprises.
Enfin, elle impose une solution unique à des entreprises qui sont confrontées
à des contraintes différentes.
L'efficacité de la baisse de la durée légale du travail pour créer des emplois
reste à démontrer. Le coût de ce dispositif promet, quant à lui, d'être
important.
En adoptant l'amendement n° 1 tendant à convoquer une conférence nationale sur
la négociation collective et l'amendement n° 2 relatif à la validation pour
cinq ans des accords, vous avez montré, mes chers collègues, votre préférence
pour une démarche volontaire et négociée, proche du terrain et des réalités.
La commission vous propose, en conséquence, de supprimer les dispositions de
l'article 1er relatives à l'abaissement de la durée légale du travail et de ne
conserver que des dispositions de coordination.
La commission vous propose également de supprimer le paragraphe IV de cet
article 1er, qui prévoit qu'un employeur doit, préalablement à l'établissement
d'un plan social, avoir engagé une démarche de réduction du temps de
travail.
Elle est défavorable à ce dispositif, dénommé « amendement Michelin », pour au
moins trois raisons.
Premièrement, il s'agit d'une réponse générale à un fait particulier qui a
concerné une entreprise.
Deuxièmement, ce dispositif jette l'opprobre sur l'ensemble des entreprises en
laissant penser qu'un chef d'entreprise recourt au plan social systématiquement
alors qu'une autre solution aurait été possible.
Troisièmement, une entreprise qui a besoin de se restructurer n'a pas
forcément le temps d'engager une négociation sur la réduction du temps de
travail,...
Mme Hèlène Luc.
Bien sûr, bien sûr !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... en particulier dans le cadre d'un climat social ou
économique difficile. Je voudrais dire à mes collègues, notamment à vous,
madame Luc, que les membres de la commission des affaires sociales du Sénat ne
sont ni sourds ni aveugles.
Mme Hélène Luc.
Vous êtes contre les 35 heures et vous ne voulez pas le dire !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Avons-nous le droit dans cette assemblée d'être d'un avis
différent du vôtre ? Si oui, laissez-nous nous exprimer.
Mme Hélène Luc.
Oui, mais dites-le clairement.
M. le président.
Poursuivez, monsieur le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Nous savons pertinemment qu'un licenciement est un acte de
violence. La commision souhaite qu'on légifère autrement que sous le coup de
l'émotion et à la veille d'une grande manifestation. Vous savez bien que cette
grande manifestation n'est pas pour rien...
Mme Hélène Luc.
C'est clair !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... dans les décisions de l'Assemblée nationale, dans le fait
que le Gouvernement ait lâché prise.
La majorité de l'Assemblée nationale rétablira son texte, avez-vous dit. Nous
le savons bien, nous savons dans quel système nous vivons. Mais nous avons le
droit de nous exprimer tout en sachant que la majorité aura le dernier mot à
l'Assemblée nationale. C'est cela la démocratie !
M. Charles Revet.
Très bien, monsieur le rapporteur !
Mme Hélène Luc.
Vous vous disqualifiez devant les électeurs !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Au cours de la discussion, j'ai entendu parler de deux
fonctions publiques. Or, dans notre pays, il y a trois fonctions publiques et,
madame le ministre, je n'ai pas entendu parler de la fonction publique
territoriale.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Bidard-Reydet a longuement parlé de l'application des 35 heures aux trois
fonctions publiques. Sur l'une au moins, les conséquences seront importantes,
celle que je connais le mieux, à savoir la fonction publique territoriale.
Depuis l'application de la loi Chevènement sur l'intercommunalité qui a
institué les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, ou
les communautés d'agglomération, les maires n'ont plus à leur disposition que
les impôts sur les ménages.
Vous avez parlé à l'instant de ce qui a été accompli en 1982. M. Mélenchon a
évoqué la création de 70 000 emplois. J'en parle en connaissance de cause. Dans
la collectivité dont je suis maire, nous avons participé à ce mouvement. Mais,
depuis 1982, nous avons embauché et c'est bien avec les impôts que nous payons
ces nouvelles embauches.
Si nous introduisons la règle des 35 heures dans la fonction publique
territoriale, les maires n'auront désormais à leur disposition que les impôts
sur les ménages, et rien d'autre ; il faudra s'en souvenir.
Pour conclure, j'évoquerai un point qui me tient à coeur, encore que vous ne
soyez pas le ministre concerné, madame : il s'agit du problème des
sapeurs-pompiers. Ces derniers sont en grève depuis des semaines et nous devons
leur apporter une réponse sur la prise en compte du caractère dangereux de leur
métier et sur leur demande de retraite à cinquante ans.
Si, un jour, nous leur appliquons la règle des 35 heures, il y aura beaucoup
d'embauches à effectuer !
En tout cas, je le répète, les sapeurs-pompiers sont en grève depuis des
semaines et il n'est pas normal de laisser ainsi sans réponse un corps auquel
tous les Français sont profondément attachés.
M. le président.
La parole est à M. Machet, pour défendre l'amendement n° 79.
M. Jacques Machet.
Dans les unités économiques et sociales de neuf salariés et moins, le projet
de loi n'est pas applicable en l'état car, mathématiquement, à activité égale,
seule la réduction du temps de travail de quatre heures appliquée à au moins
dix salariés peut théoriquement engendrer la création d'un emploi à temps
plein, sans compter que celui-ci devra être polyvalent pour maintenir la
capacité productive de chacun des autres postes dont le temps de travail aura
été réduit.
Comment un médecin généraliste en milieu rural peut-il créer un poste
supplémentaire au sein de son cabinet médical alors que les deux salariés qu'il
emploie ne libéreront en tout que huit heures par semaine, soit moins d'un
quart-temps, ce qui ne lui permettra même pas de bénéficier du dispositif
d'allégement des cotisations patronales prévu par les articles 11 et 12 du
présent projet de loi ?
Si l'on exclut de l'obligation de réduction généralisée du temps de travail
les entités économiques de neuf salariés et moins, celles-ci ne seront pas
liées par l'application de la durée légale du travail effectif à une date
butoir, mais auront au contraire toute latitude pour négocier le passage à
trente-cinq heures dans le respect de leurs modes de fonctionnement, et cela
tout en répondant aux aspirations des salariés. Le système que nous proposons
permettra à ces structures, qu'un dispositif légal rigide et uniforme de
réduction du temps de travail aurait mises en péril, de maintenir non seulement
leurs emplois mais surtout d'en créer.
Afin que ceux qui concourent souvent à l'aménagement du territoire par leur
présence en milieu rural puissent maintenir et développer leur activité selon
la conjoncture, nous vous demandons, mes chers collègues, de voter cet
amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 79 ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ayant adopté un amendement qui tend à supprimer l'essentiel
de l'article 1er relatif à l'abaissement de la durée légale du temps de
travail, la commission ne peut être favorable à l'amendement n° 79, qui vise à
exclure les entreprises de moins de neuf salariés de l'application des
trente-cinq heures, ce qui implique l'application de la règle des trente-cinq
heures aux autres entreprises.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 3 et 79 ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Comme l'a très bien dit
Jean-Luc Mélenchon tout à l'heure, on peut regretter que l'Etat intervienne.
Mais la négociation collective n'est pas particulièrement développée dans notre
pays, surtout dans les domaines qui touchent à l'organisation du travail et à
sa durée.
Je rappellerai que la négociation interprofessionnelle nationale de 1995 avait
permis la signature d'un accord qui devait entraîner de nombreux accords de
branche. En fait, quarante-quatre accords de branche ont été signés ;
cependant, ils ont porté non pas sur la réduction du temps de travail, mais
essentiellement sur des éléments mineurs, comme les jours fériés.
Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, la loi Robien, qui avait plus d'un an
d'application, s'était traduite par 500 accords. Il a fallu attendre l'annonce
de la réduction généralisée du temps de travail pour en accélérer le processus.
Je m'en réjouis puisque, lorsqu'elle a été remplacée par la loi de 1998, 2 931
accords étaient intervenus.
On peut souhaiter un monde idéal. Pour ma part, je souhaiterais que les
organisations syndicales soient plus fortes et que les chefs d'entreprise
acceptent, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président de la commission,
en citant le préambule de la Constitution, que les salariés participent à la
gestion de l'entreprise par la négociation. Mais cette évolution ne s'est pas
produite dans notre pays.
Alors, quand le chômage est en train de faire perdre espoir à nombre de nos
concitoyens, qu'il menace la cohésion sociale et peut-être même le
fonctionnement démocratique de notre société, il est du devoir du Gouvernement
de prendre les dispositions qu'il croit bonnes pour réduire ce chômage.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons fixer l'objectif et le
calendrier de réalisation de la réduction du temps de travail, tout en
n'excluant pas une démarche de négociation.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 3. Il l'est également à
l'amendement n° 79. J'ai rappelé tout à l'heure combien étaient nombreuses les
dispositions d'adaptation de la réduction du temps de travail aux petites
entreprises.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Alain Gournac.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Comme nous l'avons déjà dit, il est salutaire de suivre la commission sur cet
amendement de suppression de toutes les dispositions autoritaires relatives à
la réduction du temps de travail, réduction qui n'a de négociée que le nom. Je
l'avais d'ailleurs dit à Mme le ministre, lors de son audition par la
commission des affaires sociales.
Ainsi que l'a justement souligné M. le rapporteur, cet article porte atteinte
au dialogue social et à la libre négociation des partenaires sociaux.
Il crée des règles d'une complexité extrême qui seront inapplicables pour nos
entreprises et risquent de provoquer en leur sein des dysfonctionnements
dommageables à leur compétitivité.
Cette solution unique et autoritaire ne tient absolument pas compte des
contraintes différentes qui pèsent sur les entreprises de notre tissu
économique.
Pour ces raisons et celles que nous avons déjà précédemment évoquées, nous
voterons l'amendement n° 3.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Cet amendement conduit à remettre en cause la réforme proposée et renvoie aux
seuls accords de branche l'intégralité de la problèmatique de la réduction du
temps de travail.
Ce parti pris a le mérite d'être clair : il consiste à dénier au Gouvernement
et au législateur le droit de légiférer sur cette question. Voilà qui ne nous
surprend pas. J'entendais ce matin même, sur France Inter, le patron du MEDEF
rappeler avec véhémence le peu de considération qu'il avait à l'égard d'une
telle intervention. Nous ne sommes donc pas surpris de voir retranscrite dans
cet amendement cette conception qui consiste à placer le problème dans le champ
exclusif de la négociation collective, sans que l'Etat ait à fixer les grandes
orientations.
Entendons-nous bien : nous sommes profondément attachés au développement de la
négociation collective ; la loi de 1998 et celle qui sera adoptée à l'issue de
nos débats en sont la démonstration puisqu'elles renvoient la mise en place de
la réduction du temps de travail à la signature d'accords.
Mais nous devons nous rendre à l'évidence : les négociations collectives qui
ont été menées depuis 1979 ne se sont malheureusement pas traduites par les
avancées qu'on était en droit d'attendre. L'accord interprofessionnel de 1995
envisageait d'ailleurs l'intervention de la loi en cas d'échec de la
négociation et la loi de Robien, elle-même, tirait les conséquences du constat
de relatif échec de ces négociations.
C'est pourquoi la loi fixe un cap, les 35 heures hebdomadaires, dont découlent
le nouveau régime d'heures supplémentaires et la ou les nouvelles formules de
modulation, qui, à l'exception du dispositif prévoyant que la réduction du
temps de travail s'effectue sous forme de journée ou de demi-journée,
dispositif visé à l'article 4, renvoient systématiquement à l'accord.
Le leitmotiv des élus de l'opposition met en avant l'importance de la
démocratie sociale pour justifier le retour à un système reposant sur des
accords de branche. Intention fort louable ! On peut toutefois se poser
quelques questions quand on constate, au fil des débats à l'Assemblée
nationale, que certains amendements déposés par des députés de l'opposition
tendaient à limiter les possibilités pour les représentants du personnel de
s'opposer à des décisions de l'employeur, notamment quand il s'agit de mettre
en place un accord de modulation.
Nous pensons que ce projet de loi va permettre d'amplifier encore le mouvement
de négociation ouvert par la loi de 1998 - 15 000 accords signés en dix-huit
mois, je le rappelle - tout en définissant les règles les plus élémentaires ;
je pense, par exemple, à celles qui entourent le repos hebdomadaire, aux délais
de prévenance, aux contreparties auxquelles ont droit les salariés.
L'amendement n° 3 supprime également le paragraphe, ajouté par l'Assemblée
nationale, qui subordonne l'élaboration d'un plan social à une négociation
préalable sur la réduction du temps de travail, une disposition allant dans le
sens de la préservation des emplois.
Nous voterons donc contre cet amendement.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, permettez-moi d'abord de relever une partie des propos
de M. Mélenchon. Je regrette qu'il ne soit plus ici, mais j'espère qu'il lira
soit le compte rendu analytique, soit le
Journal officiel.
M. Mélenchon m'a conduit à faire un complexe d'infériorité vis-à-vis de mes
collègues, et surtout vis-à-vis de lui-même. Cependant, j'ai constaté que
lui-même n'hésitait pas à nourrir un certain complexe de supériorité, nous
expliquant que, s'il était à la place de Mme Aubry dans les fonctions qu'elle
exerce aujourd'hui, il administrerait une leçon un peu plus sévère à la
majorité sénatoriale pour ses appréciations sur le projet de loi relatif à la
réduction du temps de travail et le comportement qu'elle adopte.
(Sourires.)
Ma deuxième remarque s'adresse à Mme le ministre. Qu'elle ne voie surtout
pas, dans le force du ton que j'emploie et l'élévation de ma voix, une
quelconque marque d'agressivité à son égard ou à l'égard du Gouvernement et il
est simplement dans mon tempérament ; lorsque je développe une argumentation à
laquelle je crois fondamentalement, sur un sujet qui suscite chez moi une
certaine irritation, d'élever un peu la voix. En l'occurrence, je suis
convaincu que nous ne sommes pas sur le bon chemin pour la France, et je le
regrette très sincèrement, viscéralement même.
Que Mme le ministre veuille bien m'excuser si le ton sur lequel j'ai exprimé
cette conviction provoque chez elle une forme de stress.
(Rires et exclamations.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous êtes bien présomptueux
!
M. Alain Vasselle.
Ma troisième remarque porte sur la fonction publique.
Monsieur le rapporteur, vous avez très justement rappelé à Mme Bidard-Reydet
et à Mme le ministre qu'il existait trois fonctions publiques : la fonction
publique d'Etat, la fonction publique hospitalière - Mme le ministre la connaît
plus particulièrement puisqu'elle en a la charge - et la fonction publique
territoriale.
Mme le ministre admettra avec moi qu'il y a une certaine divergence de points
de vue à l'intérieur du Gouvernement quant à l'attitude à adopter en ce qui
concerne les trente-cinq heures dans la fonction publique territoriale, et je
remercie Mme Bidard-Reydet d'avoir interpellé le Gouvernement sur ce point.
En effet, les propos qui ont été tenus par M. Zuccarelli ne sont pas du tout
conformes à ceux qui sont tenus ce soir par Mme Aubry. On peut, pour s'en
convaincre se reporter à des déclarations reprises par la presse et à des
comptes rendus d'entretiens entre M. Zuccarelli et des délégations d'élus,
notamment des représentants de l'Association des maires de France.
Cela promet sans doute de beaux débats au sein du Gouvernement dans les heures
ou dans les jours qui viennent, particulièrement entre Mme Aubry et M.
Zuccarelli !
Enfin, madame le ministre, avez-vous mesuré les conséquences des dispositions
de votre projet de loi sur le secteur médico-social ?
Déjà l'année dernière, notre collègue Jean Chérioux avait appelé votre
attention sur ce point.
Avec les trente-cinq heures, vous tablez notamment sur une amélioration de la
productivité au sein de l'entreprise et au sein de la fonction publique. Mme
Printz nous a tout à l'heure expliqué que les entreprises avaient tout à gagner
à cette réduction du temps de travail puisqu'elles allaient nécessairement voir
la productivité s'accroître.
Mais peut-on considérer que, dans le secteur médico-social, notamment dans les
CAT, les centres d'aide par le travail, qui accueillent des handicapés, le fait
de diminuer le temps de travail puisse permettre de réaliser de tels gains de
productivité ?
Et puis, tout cela va avoir un prix ! Le Gouvernement est-il prêt à prévoir,
dans les prochaines lois de finances, les moyens qui permettront aux CAT en
particulier et au secteur médical-social en général de faire face aux nouvelles
contraintes qui résulteront de la loi ?
Ce sont là autant de questions que nous sommes en droit de nous poser et que
nous avons le devoir, en notre qualité de parlementaires, de poser au
Gouvernement.
Réciproquement, je pense qu'il est de votre devoir, madame le ministre,
d'éclairer le Parlement sur ce point et, à travers lui, l'ensemble des
responsables du secteur médico-social ainsi que les représentants de nos
collectivités territoriales, en particulier ceux des conseils généraux, qui ont
à leur charge un important secteur médico-social.
Bien sûr, nous sommes là pour légiférer, mais encore faut-il que les moyens
suivent. Les moyens suivront-ils ?
Bien entendu, je voterai l'amendement n° 3, présenté par la commission.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe
du RDSE.)
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Personne n'en sera surpris, nous voterons contre l'amendement n° 3.
L'article 1er du projet de loi confirme que la durée légale hebdomadaire du
travail est fixée à 35 heures au 1er janvier 2000 dans les entreprises de plus
de 20 salariés et au 1er janvier 2002 dans les autres.
Lors de l'adoption de la première loi, nous avions eu l'occasion de souligner
combien il était important que le Gouvernement ait décidé de proposer au
Parlement de légiférer pour généraliser la réduction du temps de travail et
fixer une date butoir.
En effet, contrairement à ce qui se passe chez certains de nos voisins
européens - je pense particulièrement aux Allemands - en France, le dialogue
social n'avait pas, jusqu'alors, permis d'impulser ce mouvement.
Comme dans d'autres domaines - la parité, le PACS, par exemple - la majorité
sénatoriale préfère miser sur l'évolution naturelle des choses pour tendre vers
une société plus juste.
Considérant que la démarche du Gouvernement est autoritaire, rigide, à
l'Assemblée nationale, la droite, unie pour l'occasion, a défendu un amendement
de suppression, en prônant le retour à une réduction du temps de travail
négociée par les partenaires sociaux, et non imposée par la loi. Elle a ensuite
présenté une série d'amendements visant à repousser le délai d'application de
la loi à 2005 ou encore à passer d'un seuil de 20 salariés à un seuil de 500.
Il s'agit d'une stratégie d'évitement, alors qu'il est nécessaire de débattre
des questions de fond intéressant directement les salariés.
Sans surprise, la commission des affaires sociales du Sénat nous propose de
supprimer la référence à l'abaissement de la durée légale du travail. De
surcroît, qualifiant ce qu'il est convenu d'appeler l'« amendement Michelin »
de disposition idéologique, elle fait d'une pierre deux coups et s'apprête à le
faire également disparaître.
Apparemment, l'emploi et la lutte contre le chômage ne sont pas des priorités
pour tous !
Allez-vous nous dire, comme Mme Bachelot, que « toutes les entreprises ont
vocation à mourir » ?
L'annonce faite par le groupe Michelin gêne peut-être certains d'entre vous
sur la forme mais, sur le fond, que des salariés soient acculés au chômage,
alors que la bourse applaudit quand les entreprises engrangent des aides
publiques, restructurent sans consulter ni même informer les syndicats, cela ne
semble pas vous déranger. Nous, si !
Je suis conscient que l'obligation faite aux employeurs de conclure un accord
sur les 35 heures avant d'annoncer un plan social ou, à défaut, d'avoir engagé
sérieusement et loyalement des négociations en vue d'un accord ne va pas
ébranler profondément la propension patronale aux suppressions d'emplois. C'est
pourquoi mes collègues de l'Assemblée nationale ont souhaité renforcer le
caractère normatif de cette disposition.
Toutefois, nous espérons pouvoir nous appuyer sur celle-ci pour faire
progresser l'idée selon laquelle il faut agir en amont, ce qui signifie qu'une
réforme de la procédure de licenciement économique s'impose.
M. Patrick Lassourd.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Je voterai, moi, l'amendement proposé par la commission.
A vous entendre tout à l'heure, madame le ministre, ainsi que notre collègue
M. Mélenchon, j'ai perçu chez vous une conviction selon laquelle le sens de
l'Etat serait de votre côté tandis qu'il serait inexistant du nôtre.
Je ne peux pas accepter une telle insinuation car mes amis et moi-même
appartenons à un mouvement politique qui se réclame du gaullisme, et Dieu sait
si le sens de l'Etat est fort, chez les gaullistes !
Peut-être n'avons-nous pas, vous et nous, le même sens de l'Etat. Peut-être
n'avons-nous pas la même vision des orientations que l'Etat doit donner. Si
nous avions été à votre place, nous aurions probablement fixé un cadre général
dans lequel les entreprises auraient eu la liberté de négocier. Or, dans cet
article 1er comme dans l'ensemble de ce projet de loi, vous précisez tout,
jusque dans les plus petits détails, à tel point que les entreprises auront
énormément de mal à sortir de ce carcan.
Voilà la différence entre le sens de l'Etat que vous développez et le nôtre.
(M. Vasselle applaudit.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 79 n'a plus d'objet.
Par amendement n° 94, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent de compléter l'article 1er par un
paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... L'article L. 321-3 du code du travail est complété par trois alinéas
ainsi rédigés :
« En cas de désaccord sur la pertinence du motif économique invoqué par
l'employeur, les représentants du personnel ou le syndicat ont la possibilité,
au cours de la procédure de licenciement collectif ou à l'issue de celle-ci, de
saisir le juge de première instance.
« Le tribunal devra à cette occasion examiner la cause du licenciement
économique invoquée par l'employeur et vérifier si celle-ci rend nécessaire la
suppression des emplois envisagée.
« Le tribunal devra statuer en la forme des référés dans le délai d'un mois.
»
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Cet amendement se situe dans la logique du paragraphe IV introduit par
l'Assemblée nationale au sein de cet article 1er : Il s'agit en effet de
conférer des droits nouveaux aux salariés, en donnant à leurs représentants la
possibilité d'intervenir en cas de menace de licenciement.
Nous proposons de permettre expressément aux représentants du personnel ou aux
syndicats de contester devant la justice de première instance la pertinence du
motif économique invoqué par le chef d'entreprise.
Nous savons que, de manière implicite, le droit actuel ouvre des voies de
recours. Mais notre objectif est de clarifier le contenu du code du travail.
Par exemple, madame la ministre, existe-t-il, à l'heure actuelle, une
possibilité de recours pour les entreprises ne disposant pas de comité
d'entreprise ?
Certains pourront affirmer, comme nous l'avons d'ailleurs entendu, que notre
proposition sort du cadre précis du projet de loi. Nous ne le pensons pas :
n'oublions pas que l'objectif prioritaire visé à travers ce projet est de
permettre de créer de nombreux emplois. Pour réussir les 35 heures, il faut
donc combattre les mesures de licenciement - en particulier les licenciements
massifs - qui sont décidées par le patronat et qui sont évidemment défavorables
à l'emploi.
La proposition que nous soumettons aujourd'hui au Sénat a été élaborée par les
salariés de l'entreprise Wolber, filiale de Michelin, située à Soissons. Je
suis fière de me faire l'interprète de ces salariés. Ce sont 451 salariés dont
l'emploi est menacé par la fermeture de cette usine. Comment accepter cette
situation, sans donner la possibilité de contester cette décision, notamment
sur le plan juridique ?
Il faut donc, comme le prévoit le paragraphe IV de l'article 1er du projet de
loi, conditionner l'acceptation du plan social à la négociation sur les 35
heures. Mais nous proposons qu'en amont il soit possible de contester la raison
d'être du plan social.
Vous me direz que, s'agissant du cas d'espèce de Wolber, le motif économique
existe, puisque le sort de cette entreprise dépend de celui de Michelin.
Cette proposition est préférable. Ce droit de regard doit pouvoir concerner
les maisons mères.
Nous estimons que le débat doit avoir lieu sur ce point, dans le cadre de ce
projet de loi.
Les 35 heures, mais, plus généralement, la politique de l'emploi du
Gouvernement, ne pourront réussir si la politique de licenciement du patronat
n'est pas freinée.
La lutte pour les 35 heures et la lutte contre les licenciements, sont, à
notre sens, étroitement liées. Tel est l'objet de cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Comme le reconnaissent ses auteurs, cet amendement n'a rien à
voir avec la réduction du temps de travail ; il s'apparente à ce que l'on
appelle communément un cavalier législatif. Il a pour objet de durcir le droit
du licenciement en introduisant le juge de première instance au cours de la
procédure.
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le Gouvernement ne peut que
souscrire aux préoccupations visant à renforcer les garanties des salariés
menacés d'un licenciement dont le motif économique n'est pas toujours avéré.
Je rappelle que le tribunal de grande instance peut être saisi en référé des
litiges d'ordre collectif concernant le licenciement économique, les
contentieux individuels en la matière relevant des conseils de prud'hommes.
Dans le cadre légal existant, le président du tribunal de grande instance,
saisi par le comité d'entreprise, peut d'ores et déjà, et en référé, ordonner
la suspension des licenciements, voire annuler la procédure. C'est ce qui s'est
fait récemment avec l'arrêt Smaf du 6 juillet 1999 de la Cour de cassation :
dans cette affaire, le juge a considéré que le motif économique n'était pas
caractérisé.
Par ailleurs, en cas d'absence d'un représentant du personnel, un salarié peut
toujours aller devant les conseils de prud'hommes pour contester la validité du
plan social et celle du motif économique invoqué par le chef d'entreprise.
Aussi, dans un tel contexte légal et jurisprudentiel, il ne m'apparaît pas
souhaitable de compléter l'article L. 321-3 du code du travail.
En revanche, le Gouvernement avait émis un avis favorable sur des dispositions
qui viennent d'être annulées par l'adoption de l'amendement n° 3, car celles-ci
avaient un lien direct avec le projet de loi, à savoir faire en sorte que la
réduction du temps de travail - d'ailleurs, beaucoup d'entreprises l'ont déjà
utilisée - permettent de réduire le nombre de licenciements, voire d'annuler le
plan social de l'entreprise.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet
amendement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, l'amendement n° 94, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux
heures.)
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discusion du projet de loi relatif à la réduction négociée
du temps de travail.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements
tendant à insérer un article additionnel avant l'article 1er
bis.
Articles additionnels avant l'article 1er
bis
M. le président.
Par amendement n° 4, M. Souvet, au nom de la commission, propose d'insérer,
avant l'article 1er
bis,
un article additionnel ainsi rédigé :
« Les dispositions de l'article 6 de la loi n° 96-985 du 12 novembre 1996
relative à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises
et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au
développement de la négociation collective, sont prorogées pour une durée de
trois ans à compter de la date de publication de la présente loi. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cet amendement a pour objet de valider l'accord signé par les
partenaires sociaux le 8 avril 1999, qui reconduit le mandatement tel qu'il
avait été défini par l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à
la négociation collective.
L'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 a été validé par l'article 6 de
la loi du 12 novembre 1996. Cet accord a permis aux entreprises dépourvues de
délégués syndicaux ou de délégués du personnel faisant fonction de délégué
syndical dans les enteprises de moins de cinquante salariés de conclure des
accords collectifs avec un ou plusieurs salariés expressément mandatés pour une
négociation déterminée par une ou plusieurs organisations syndicales
représentatives au plan national.
Les partenaires sociaux sont satisfaits de ce dispositif. Cependant, l'opinion
du Gouvernement sur ce mandatement ne nous est pas connue. Le paragraphe VII de
l'article 6 de la loi du 12 novembre 1996 prévoyait que le Gouvernement
présenterait un rapport sur l'application de cet article. Sauf erreur de ma
part, ni la commission des affaires sociales ni le service de la séance du
Sénat ou de l'Assemblée nationale n'ont reçu ce rapport.
Les partenaires sociaux ont décidé, par un accord interprofessionnel du 8
avril 1999, de proroger pour une durée de trois ans ce dispositif expérimental.
Ce mandatement est beaucoup plus étendu que celui qui a été institué par la loi
du 13 juin 1998 et permet toutes négociations sur la réduction du temps de
travail sous réserve que l'accord de branche l'autorise.
La commission préfère ce mandatement négocié par les partenaires sociaux à
celui qui est prévu par la loi du 13 juin 1998 ou à celui qui est prévu par
l'article 11 du projet de loi. Elle vous propose donc d'adopter cet amendement,
qui valide l'accord du 8 avril 1999 relatif à la reconduction du mandatement
prévu par la loi du 12 novembre 1996.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les partenaires sociaux ont
reconduit, le 8 avril 1999, l'accord national interprofessionnel du 31 octobre
1995. Cet accord prévoyait la possibilité d'organiser, par un accord de
branche, la négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical par
des salariés mandatés.
Le projet de loi tel qu'il est présenté par le Gouvernement reprend l'ensemble
des modes de négociation prévus par l'accord national interprofessionnel de
1995 tout en apportant des garanties supplémentaires. C'est la raison pour
laquelle je ne vois pas l'intérêt de reprendre l'ensemble de l'accord national
interprofessionnel aujourd'hui.
Il en est ainsi du mandatement, consolidé dans la loi avec des garde-fous qui,
en matière de protection des salariés notamment, sont nécessaires pour assurer
la constitutionnalité du dispositif, comme cela ressort de la décision rendue
par le Conseil constitutionnel sur l'article 6 de la loi du 12 novembre 1996.
La remarque est utile, monsieur le rapporteur, si l'on souhaite que cet article
6 soit introduit dans la loi.
Par ailleurs, nous avons prévu la signature de cet accord par les délégués du
personnel suivie d'une validation par la commission paritaire pour les
entreprises de onze à cinquante salariés à défaut d'accord de branche étendu ou
de possibilité de mandatement.
Ces modes de conclusion d'accords collectifs sont rendus accessibles
directement, alors que la mise en oeuvre de l'accord du 31 octobre 1995
exigeait des accords de branche, ils se sont révélés très peu nombreux.
Le projet étant susceptible de donner une plus large expansion au mécanisme
prévu par les partenaires sociaux dans le principal domaine qu'ils avaient à
l'esprit, celui de l'organisation du temps de travail, l'amendement ne me
semble pas s'imposer.
Je voudrais par ailleurs signaler à M. le rapporteur que, si l'accord du 31
octobre 1995 prévoyait que les parties signataires assureraient un suivi
régulier de l'application des accords de branche et en dresseraient le bilan,
les partenaires sociaux n'ont eux-mêmes pas fait ce bilan, ce qui explique
qu'il n'y en ait pas eu non plus de la part du Gouvernement.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à cet
amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
L'accord signé le 8 avril 1999 par les partenaires sociaux visait en
particulier le développement de la négociation collective dans les entreprises
dépourvues de délégués syndicaux par un mandatement beaucoup plus souple, en
prévoyant en particulier des négociations par des délégués du personnel ou de
simples salariés. L'amendement proposé vise à valider cet accord.
Nous avions à plusieurs reprises exprimé nos interrogations et nos réticences,
car nous nous interrogions sur la protection véritable du mandaté, les
conditions du mandat et l'indépendance du salarié mandaté. La loi apporte un
certain nombre de réponses aujourd'hui.
Par ailleurs, nous sommes toujours très attentifs aux conditions dans
lesquelles se négocient les accords au sein de chaque entreprise. Nous ne
sommes pas moins attentifs aux conditions dans lesquelles se développe le
dialogue social ; nous en attendons les résultats. Comme cet amendement ne
manifeste, à notre avis, aucune réflexion sur la représentativité des
syndicats, certaines organisations patronales pourraient, par ce biais,
favoriser des accords avec des syndicats minoritaires.
Nous nous opposerons donc à cet amendement.
M. Patrick Lassourd.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Cet amendement concerne donc la validation de l'accord du 8 avril 1999 sur le
mandatement ; il est excessivement important et va dans le sens que nous
voulons donner au dialogue social et à la négociation dans les entreprises.
Le nouvel accord de mandatement négocié avec les partenaires sociaux prévoit
de reconduire ce mandatement pour une durée de trois ans. Il est juste de
valider dans la loi cet accord signé par les partenaires sociaux.
En revanche, le Gouvernement lui a préféré un dispositif beaucoup plus
complexe, beaucoup moins juste et d'ailleurs fort justement dénoncé par
l'ensemble des partenaires sociaux, syndicats d'entrepreneurs et syndicats de
salariés réunis.
L'accord de mandatement signé en avril est beaucoup plus souple et, puisqu'il
a été approuvé, rien ne justifie que lui soit préférée une autre formule.
Adopter cet amendement serait de nature à permettre le plus vite possible la
mise en oeuvre de cette disposition favorable au développement de la
négociation d'entreprise.
Adopter cet amendement serait envoyer un signe fort à l'ensemble de la
population salariée et aux entrepreneurs, qui n'aspirent qu'à de meilleurs
rapports et à une meilleure concertation.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er
bis
.
Par amendement n° 5, M. Souvet, au nom de la commission, propose d'insérer,
avant l'article 1er
bis
, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les établissements soumis aux dispositions de l'article 16 de la loi n°
75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et
ayant signé un accord de réduction du temps de travail bénéficient du montant
de l'aide prévue par l'article 3 de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 précitée
jusqu'au 1er juin 2000.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il s'agit d'insérer, toujours avant l'article 1er
bis
,
un article additionnel qui permettrait notamment à certains établissements
sanitaires et sociaux de bénéficier des avantages promis à condition de
repousser la validité de l'aide prévue par l'article 3 de la loi de 1998
jusqu'au 1er juin 2000. »
Les établissements du secteur sanitaire et médico-social doivent soumettre
leur accord à l'agrément du ministère de l'emploi et de la solidarité. Il
apparaît aujourd'hui que cet agrément ne pourra être donné avant plusieurs
mois, étant donné l'encombrement du ministère.
Compte tenu du délai de deux mois du conventionnement et du délai de deux à
trois mois de mise en oeuvre, certains accords n'entreront pas en vigueur avant
juin 2000. Dans l'intervalle, ces établissements devront supporter le surcoût
salarial consécutif aux heures supplémentaires et à la garantie mensuelle du
SMIC sans pouvoir bénéficier des aides prévues par le projet de loi.
Par ailleurs, certains établissements s'inquiètent de l'état du droit qui leur
sera applicable.
Cet amendement a donc pour objet de prévoir un dispositif transitoire
permettant à ces établissements de bénéficier d'une aide compensatrice dans cet
intervalle de six moix. Il apporte donc un élément de réponse aux problèmes
financiers que pose ce projet de loi. Il demeure un problème juridique dans la
logique du texte défendu par le Gouvernement, celui de la conséquence de
l'abaissement de la durée légale de travail auquel la commission est
opposée.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le secteur sanitaire, social et
médico-social, comme l'ensemble du secteur privé, est éligible au dispositif
mis en place par la loi du 13 juin 1998. Cela signifie que les établissements
du secteur, s'ils remplissent bien les conditions fixées par la loi, peuvent
bénéficier de l'aide incitative.
La loi du 13 juin 1998 a permis un renouveau important de la négociation
collective dans le secteur puisque, après la conclusion de l'accord de branche
de l'UNIFED et la conclusion des accords des quatre conventions collectives
membres de l'UNIFED - Croix-Rouge, centres de lutte contre le cancer,
convention collective du 15 mars 1966, FEHAP - de nombreux accords ont été
conclus au niveau local.
Les accords nationaux ont tous été agréés, moyennant pour certains d'entre eux
les modifications nécessaires pour les rendre compatibles avec le droit et pour
permettre que les équilibres économiques soient tenus.
L'amendement proposé pose directement la question de la mise en oeuvre des
accords locaux, qui, comme tous les accords du secteur, sont soumis à la
procédure d'agrément.
Je voudrais redire que la procédure d'agrément constitue dans ce secteur un
élément majeur de la régulation de l'évolution stratégique permettant de
s'assurer, d'une part, que les accords répondent bien à la spécificité de
chaque organisme en termes d'organisation du travail et, d'autre part, que la
réduction du temps de travail se réalise dans des conditions équilibrées.
Il est vrai que l'existence de deux procédures, l'agrément et le
conventionnement, peut occasionner des délais dans la mise en oeuvre de la
réduction du temps de travail, mais on est loin des délais qu'a évoqués M.
Souvet, qui parle du 1er juin 2000.
Depuis la signature de ces accords locaux - la plupart ayant été signés avant
le 30 juin 1999 - les dates de réunion de la commission nationale d'agrément
ont été rapprochées de manière que l'étude des dossiers d'agrément puisse se
faire rapidement. J'ai adressé aux administrations concernées, le 31 août, des
instructions complémentaires sur le traitement des dossiers d'agrément, pour
que ces administrations puissent établir leur diagnostic dans de bonnes
conditions afin de permettre à la commission de se prononcer.
Je rappelle, par ailleurs, que, pour ces établissements comme pour toutes les
entreprises, le barème de l'aide est fonction de la date de signature de
l'accord. Les organismes ne pâtissent donc pas de la date de l'agrément, même
si, effectivement, par suite d'encombrements, si je puis dire, certaines
commissions tardent à prendre leur décision.
Par conséquent, la plupart des accords visés ici ayant été signés avant le 30
juin 1999, ces établissements ont droit à l'aide maximale prévue par la
première loi. Et, dans tous les cas, les établissements ne seront pas pénalisés
par la durée de l'instruction administrative.
Compte tenu de tous ces éléments et des mesures importantes qui ont été
prises, l'amendement proposé par M. Souvet me paraît sans objet et appelle de
ma part un avis défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je prends acte de la déclaration que vient de faire Mme le ministre à
l'occasion de l'examen de cet amendement.
Si l'ensemble des associations ou des organismes qui agissent dans le secteur
médico-social ont effectivement l'assurance de ne pas être pénalisés par les
dispositions contenues dans le présent projet de loi, nos inquiétudes sont pas
fondées et nous pouvons être rassurés. Mais encore faudrait-il que nous en
ayons une complète assurance. Or j'ai le sentiment que l'analyse présentée à
l'instant par Mme le ministre n'est partagée ni par M. le rapporteur ni par la
commission des affaires sociales.
Je prendrai pour exemple le cas de la FEHAP, la fédération des établissements
hospitaliers et d'assistance privée à but non lucratif, auquel Mme le ministre
a d'ailleurs fait référence.
Je rappellerai que l'avenant 99-01 de la FEHAP avait fait l'objet d'une
demande d'agrément, puisque, comme l'a rappelé Mme le ministre, ces
établissements sont soumis à l'agrément du ministère. Le refus d'agrément de la
part du ministère a entraîné le rejet de 750 accords d'entreprise et a
provoqué, bien entendu, un émoi sensible au sein de la fédération et parmi le
personnel.
Il a fallu votre arbitrage, madame le ministre, pour que la situation soit
rétablie en faveur de ces établissements, puisque vous avez accepté le recours
gracieux qui a été formé auprès de vous sur l'initiative de la FEHAP. Cela
signifie que, si vous n'étiez pas intervenue personnellement, ces
établissements n'auraient pas profité du dispositif de la loi de 1998.
C'est la raison pour laquelle il nous paraît tout à fait judicieux et légitime
qu'un amendement ait été déposé par la commission pour permettre le
rétablissement d'une justice et d'une équité, afin que ces établissements
bénéficient de l'aide à laquelle ils ont droit jusqu'au 1er juin 2000 de
manière à compenser les deux mois de conventionnement de leurs accords et le
délai de trois mois de mise en oeuvre desdits accords.
Vous avez reconnu vous-même que des délais s'écoulaient. Vous nous assurez
que, malgré ces délais, c'est la date d'agrément qui est prise en compte et
que, en principe, les établissements ne devraient pas souffrir de ces délais
dans le calcul des aides compensatoires qui leur seraient apportées. J'en
prends acte. Mais vous savez comme moi, madame le ministre, que, dans de tels
établissements, le poids de la masse salariale est tel qu'il pèse sur
l'équilibre budgétaire de ces organismes. Il est bien évident que l'absence de
confirmation, dans la présente loi, de la compensation financière annoncée dans
le cadre de la loi précédente entraîneraît une pénalisation de ces
organismes.
Il me semble donc important que M. Souvet, en sa qualité de rapporteur, puisse
donner sur ce point son sentiment après vos déclarations : si M. le rapporteur
était rassuré par les éléments d'information que vous apportez, je serais prêt
à me rallier à la position de la commission des affaires sociales dans la
mesure où elle rejoindrait votre interprétation.
M. Charles Revet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Revet.
M. Charles Revet.
Madame le ministre, les choses ne sont pas tout à fait aussi simples que vous
venez de nous l'indiquer. La sagesse serait, à mon avis, d'adopter cet
amendement, car j'ai le sentiment qu'il y a des aller-retour avant que
l'agrément puisse être donné.
J'ai à l'esprit le dossier d'une maison de retraite que je connais bien : le
directeur, ayant engagé la procédure, s'est vu répondre que l'agrément pourrait
lui être accordé s'il acceptait telle modulation.
Y a-t-il une règle très précise en matière de compensation ou cela va-t-il
faire l'objet de négociations ? Y a-t-il une enveloppe globale à l'échelon du
département avec laquelle on doit faire le maximum ?
Madame le ministre, pourriez-vous nous indiquer, d'une part, s'il y a des
dates butoirs et, d'autre part, s'il y a des éléments très précis quant à la
conclusion de ces accords ?
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je souhaite répondre aux sollicitations de notre collègue
Alain Vasselle.
Je n'ai pas de raison de mettre en doute ce qu'a dit Mme le ministre. Mais,
pas plus tard que la semaine dernière, les directeurs de la FEHAP et du SNAPEI,
le syndicat national des associations de parents et amis de personnes
handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés,
nous ont dit que le problème était réel et qu'il était urgent de présenter un
amendement ; d'où le dépôt de l'amendement n° 5. C'est tout ! Comme l'on dit
chez moi, il ne mange pas de pain !
(Sourires.)
S'il ne sert à rien, on le verra bien. mais je crois qu'il
est nécessaire.
M. Charles Revet.
Exactement !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
On mélange à mon avis deux
choses : le problème de l'agrément et le problème de l'aide incitative à
laquelle ont droit les établissements. J'espère que personne, ici, ne me
reproche de faire preuve de rigueur lorsque j'agrée un accord dans le secteur
médico-social. D'ailleurs, si tel n'était pas le cas, ceux d'entre vous qui
sont aujourd'hui conseillers généraux ou présidents de conseil général seraient
les premiers à me le reprocher.
M. Charles Revet.
Tout à fait !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai entendu parler de l'émoi
lié au fait que l'accord de la FEHAP n'avait pas été étendu. Il est vrai que
j'ai repris cette décision, mais après que la direction de la FEHAP m'a apporté
un certain nombre de précisions pour m'assurer que l'accord ne serait pas
appliqué partout de la même manière et qu'il y aurait un bouclage financier
accord par accord pour que nous ne nous trouvions pas, en fin d'année, avec une
ardoise que les collectivités locales, par exemple, auraient eu à financer.
La procédure d'agrément, pour la durée du travail comme pour tout accord,
salarial ou autre, comporte la même analyse la plus stricte possible de la
vérification sur le plan financier de l'équilibre nécessaire pour ces
établissements. Il peut donc y avoir des retards liés au fait que tel ou tel
accord ne permet pas de mesurer cet équilibre. Mais, que nous soyons dans la
loi sur la durée du travail ou dans toute autre loi, il en est de même. Nous
avons intérêt à ce que ces établissements gardent une logique financière, y
compris dans la réduction du temps de travail. C'est la première chose.
Par ailleurs, je redis ce que j'ai dit tout à l'heure, et à l'inverse : dès
lors qu'un accord a été signé à une date donnée, c'est bien cette dernière qui
est prise en compte, et c'est l'aide financière prévue à ce moment-là qui est
accordée, quelle que soit la date de l'agrément. Je rappellerai que nombre
d'accords signés dans le cadre de la FEHAP l'avaient été avant même l'accord
FEHAP. Or, c'est bien la date de leur signature qui, une fois qu'ils ont été
agréés, est prise en compte pour le montant des aides financières qui leur sont
appliquées. Il faut en effet éviter que des retards liés à l'embouteillage de
nos services ne soient préjudiciables à ces organismes.
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Nous avions voté contre la mise en place de taux d'évolution des dépenses dans
le secteur médical et médico-social car, à l'époque de la discussion de cette
disposition, des dissensions se manifestaient entre les points de vue des
différents organismes. Il n'y avait pas l'unanimité.
Aujourd'hui, nous entendons à la fois M. le rapporteur et Mme la ministre.
Nous n'avons pas de raison de croire que les précautions prises par M. le
rapporteur et les affirmations de Mme la ministre ne correspondent pas à la
réalité. C'est pourquoi nous nous abstiendrons sur cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 1er
bis.
Article 1er
bis
M. le président.
« Art. 1er
bis
. _ Il est inséré, dans le code du travail, un article L.
212-1-2 ainsi rédigé :
«
Art. L. 212-1-2
. _ Tout salarié soumis à un aménagement de son temps
de travail bénéficie de contreparties pertinentes et proportionnelles aux
sujétions professionnelles et personnelles imposées. »
Par amendement n° 6, M. Souvet, au nom de la commission, propose de supprimer
cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cet amendement vise à la suppression de l'article 1er
bis.
En vertu d'un principe établi par les partenaires sociaux en 1989, des
contreparties pertinentes et proportionnelles aux sujétions imposées aux
salariés sont accordées à ces derniers. Ce principe ayant été établi, il ne
paraît pas nécessaire de l'inscrire dans la loi. C'est la raison pour laquelle
la commission vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet
article.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cet article, qui résulte d'un
amendement adopté à l'Assemblée nationale, prévoit que tout salarié qui est
soumis à un aménagement du temps du travail doit bénéficier de contreparties
pertinentes et proportionnelles aux sujétions professionnelles et personnelles
imposées.
Pour ma part - je l'ai d'ailleurs dit à l'Assemblée nationale lors du débat -
je préférerais - je pense que nous allons y travailler d'ici à la nouvelle
lecture, et j'aurais accepté cet amendement s'il avait été complété par
d'autres - que l'on prévoie ces contreparties dans les cas réels d'aménagement
du temps de travail où elles sont nécessaires. Je pense, par exemple, à des
modulations larges, à des changements d'horaires dans le cas du travail à temps
partiel, ou à une réduction du délai de prévenance. L'existence de ces
contreparties me paraît importante à chaque fois que la souplesse entraîne des
modifications dans les conditions de vie ou un risque de précarisation du
salarié.
Pour ma part, je préférerais que, à la place d'un article général, qui est un
peu placé hors du contexte, des dispositions soient prévues chaque fois que
cela est nécessaire. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur, si
vous aviez repris cette notion, notamment sur les trois thèmes dont je parle,
j'aurais pu être favorable à cet amendement. Mais comme il n'en est rien et que
vous supprimez totalement l'idée de contrepartie en cas de souplesse, je ne
peux qu'être défavorable à cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Alain Gournac.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Avec cet article 1er
bis,
nous examinons la série de quatre articles
additionnels cédés à la majorité plurielle de l'Assemblée nationale.
Les entrepreneurs que nous avons rencontrés s'inquiétaient déjà de la première
mouture du projet de loi.
Certains en avaient pris leur parti et avaient décidé de s'en accommoder. Mais
ici, avec ces quatre articles additionnels, nous nous retrouvons dans une
problématique moderne d'opposition des classes sociales.
Plus aucun pays moderne ne prône cette logique de confrontation permanente
entre patrons et salariés.
Cet article 1er
bis,
adopté sur l'initiative des Verts, prévoit des
contreparties pour tout salarié qui serait soumis à un aménagement de son temps
de travail. Il est ainsi supposé bénéficier de contreparties pertinentes et
proportionnelles aux sujétions qui lui sont imposées.
Personne ne conteste qu'en soi cela est pertinent. Mais fallait-il l'inscrire
dans la loi ?
Ce principe de contreparties est retenu depuis dix ans par les partenaires
sociaux, et il n'apparaît pas nécessaire de l'ériger en principe de loi
immuable puisque les seuls cas où il n'est pas appliqué, c'est justement
lorsque les entreprises sont dans une situation telle qu'elles ne pourraient
assumer un surcoût salarial.
Mais permettez-moi de citer les propos que vous avez tenus à l'Assemblée
nationale, madame le ministre : « Je suis d'accord sur le principe mais je
pense que l'endroit proposé par les Verts pour insérer une telle disposition
n'est peut-être pas le meilleur », avez-vous dit.
En conséquence, madame le ministre, je pense que vous ne verriez pas
d'inconvénient à ce que nous supprimions cet article 1er
bis.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le sénateur, je venais
moi-même de rappeler la phrase que j'avais prononcée à l'Assemblée nationale.
Je n'ai pas de double langage et, en règle générale, j'essaie, dans mes propos,
d'être cohérente avec mes pensées.
A l'Assemblée nationale, j'ai effectivement dit que, au lieu d'inscrire ce
principe général, nous devions être capables de prévoir ces contreparties là ou
elles se justifiaient. C'est la raison pour laquelle, comme je l'ai indiqué à
M. le rapporteur, et parce que nous ne retrouvons ces contreparties à aucun
endroit dans le texte, je ne peux que m'opposer à cet amendement.
Monsieur le sénateur, je ne pense pas qu'une problématique moderne vise à
considérer que les uns ont raison contre les autres. Au contraire, dans une
problématique moderne, quand on crée des contraintes à certains, on est prêt à
en payer le prix. C'est vrai dans un cas comme dans l'autre. C'est toute la
logique de la réduction du temps de travail.
La souplesse est nécessaire aux entreprises pour mieux utiliser leurs
équipements, pour mieux répondre à leurs clients en termes de qualité et de
délais ; elle est également nécessaire pour répondre à une saisonnalité, liée
au temps ou à la consommation. Nous en sommes tous d'accord. Quand cette
saisonnalité est prévisible, lorsqu'elle n'est pas précarisante, les
contreparties ne se justifient pas. Mais dès lors qu'elle est imprévisible et
que des changements peuvent modifier les conditions de vie des salariés, il
n'est pas aberrant, dans une société moderne, que des contreparties négociées
puissent être avancées.
Personnellement, je pense qu'à des souplesses précarisantes pour les salariés
doivent répondre des contreparties. Cela fait partie des relations « modernes
», comme vous dites. Je dois avouer que je n'aime pas beaucoup ce mot dont je
n'ai d'ailleurs jamais très bien compris ce qu'il signifiait. Cela veut dire
tout simplement que chacun est prêt à rentrer dans la logique de l'autre et à
prendre en compte les problèmes posés dès lors qu'ils sont réels, et, dans ce
cas, à prévoir des contreparties qui sont elles-mêmes discutées. On est au
contraire dans une logique de changement profond des relations sociales où les
chefs d'entreprise n'imposent plus la flexibilité mais la légitiment,
l'explicitent. Lorsqu'elle est acceptée et si elle n'entraîne pas de
modification dans les conditions de vie, il n'y a pas de contrepartie ; dans le
cas contraire, il y a alors des contreparties.
La réduction du temps de travail permet de telles négociations dans
l'entreprise, c'est-à-dire une meilleure compréhension des intérêts des uns et
des autres et la recherche de solutions mieux équilibrées. C'est d'ailleurs
l'objectif même des négociations !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 1er
bis
est supprimé.
Article 1er
ter
M. le président.
« Art. 1er
ter.
- Le dernier alinéa de l'article L. 212-4 du code du
travail est ainsi rédigé :
« Le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux
pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque les critères
définis au premier alinéa sont réunis. Même s'ils ne sont pas reconnus comme du
temps de travail, ils peuvent faire l'objet d'une rémunération par voie
conventionnelle ou contractuelle. Le temps nécessaire à l'habillage et au
déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des
dispositions législatives ou réglementaires ou par le règlement intérieur ou
par le contrat de travail, est considéré comme du temps de travail effectif.
»
Sur l'article, la parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux.
Madame le ministre, d'une manière générale, le temps de travail a toujours été
considéré comme le temps pendant lequel le salarié était directement productif.
En effet, l'article L. 212-4 du code du travail, issu initialement de la loi du
28 août 1942, considère que le temps de travail s'entend du travail effectif à
l'exclusion des périodes d'inaction et du temps nécessaire à l'habillage et au
casse-croûte.
L'analyse de la jurisprudence sur la définition du temps de travail effectif
montre une évolution tenant compte des conditions de travail et de la volonté
des entreprises de limiter la rémunération aux heures strictement productives.
Ainsi, il faut souligner que les jugements successifs de la Cour de cassation
ont considéré que les exclusions prévues dans le code du travail n'étaient
qu'indicatives et que les temps de pause, quelle qu'en soit l'affectation -
douche, repas, pause non consacrée à une activité effective - ne devaient pas,
à défaut d'assimilation légale ou conventionnelle, être considérés comme temps
de travail effectif.
Il convient de rappeler qu'au stade de la préparation de la loi du 13 juin
1998 la définition du temps de travail n'était pas prévue. Or l'Assemblée
nationale a voté, avec l'accord du Gouvernement, un amendement visant à
compléter l'article L. 212-4 du code du travail définissant la durée du travail
par une disposition énonçant que la durée du temps de travail effectif est le
temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur.
A l'évidence, aujourd'hui, les temps de pause, les périodes de simple présence
ou d'attente sont exclues du temps de travail effectif.
Ces principes ont été repris dans la définition du temps de travail insérée au
début de l'article L. 212-4 du code du travail, dont ils constituent le premier
alinéa : « La durée du temps de travail effectif est le temps pendant lequel le
salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses
directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. »
L'alinéa 2 de même article précise par ailleurs : « Ne constitue pas du
travail effectif le temps nécessaire à l'habillage et au casse-croûte. »
La nouvelle définition du temps de travail qui nous est proposée est en
profonde contradiction avec le deuxième alinéa de l'article L. 212-4 du code du
travail. Les parlementaires qui sont à l'origine de cet amendement
sous-entendent que, en dépit des efforts de clarification entrepris dans le
cadre de la loi du 13 juin 1998 et malgré les positions constantes de la Cour
de cassation, certaines entreprises ont cherché à interpréter la notion de
travail effectif de manière biaisée.
Or les interprétations de la Cour de cassation ont toujours été très
explicites en considérant que le temps de travail effectif est le temps pendant
lequel le salarié est à la disposition permanente de son employeur, sous son
autorité, sans effectuer de prestations ne correspondant pas à du travail
effectif. Par ailleurs, l'alinéa 2 du même article est on ne peut plus clair et
ne souffre d'aucune imprécision qui puisse prêter à interprétation. La loi du
13 juin 1998 incitait les partenaires sociaux à engager des négociations en vue
de la mise en application effective de la réduction du temps de travail de
trente-neuf heures à trente-cinq heures pour les salariés des entreprises de
plus de vingt salariés.
C'est donc sur ces bases légales que les partenaires salariés des différentes
branches professionnelles ont négocié des accords.
Les dispositions que je viens de commenter remettent fondamentalement en cause
les éléments préalables à la négociation de ces accords, à savoir la définition
même du temps de travail effectif.
Dès lors, les dispositions contenues dans l'article 1er
ter
adopté par
l'Assemblée nationale annulent
de facto
les accords de branche et les
accords d'entreprise qui sont, pour la plupart, déjà entrés en application.
Par leur spécificité, de nombreux secteurs de la transformation des produits
alimentaires devront subir des distorsions de concurrence inacceptables. On se
trouve ainsi face à une réduction du temps de travail non pas de trente-neuf
heures à trente-cinq heures, mais de trente-neuf heures à trente-deux heures,
voire à trente heures dans certains secteurs.
La rentabilité trop faible du secteur n'est pas en mesure de procurer des
résultats susceptibles d'amortir un alourdissement des charges de personnel de
près de 25 % sans contrepartie, avec une réduction du temps de travail
effective de trente-neuf heures à trente heures.
Par ailleurs, face aux difficultés énormes qu'il y a à recruter les effectifs
nécessaires dans ce secteur d'activité, il est impossible de gérer sans
conséquences graves et irréversibles une nouvelle réduction du temps de travail
de 15 %.
Enfin, l'activité des industries agroalimentaires, et plus particulièrement
celle des viandes de boucherie, est caractérisée par de très fortes
fluctuations d'activité dues à la saisonnalité, aux moeurs alimentaires et à la
gestion des campagnes promotionnelles qui nous sont imposées.
Ces surcroîts d'activité ponctuels ne pourront être gérés dans les limites
imposées par la réglementation du travail en ce qui concerne la limite
supérieure de l'horaire hebdomadaire, prévue en l'état actuel des choses à
quarante-cinq heures par semaine.
Pour toutes ces raisons, il est inadmissible que l'amendement de M. Gorce
relatif à la nouvelle définition du temps de travail puisse être maintenu. Si
c'était le cas, il aurait de lourdes conséquences sur le revenu des salariés.
Or il n'est de l'intérêt de personne de réduire le pouvoir d'achat des salariés
!
Aussi convient-il de revenir sans nuance à la définition du temps de travail
effectif qui avait prévalu sur la base de la loi du 13 juin 1998.
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Avec cet article 1er
ter
tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée
nationale et avec les amendements que nous proposera tout à l'heure la
commission, nous nous trouvons en présence de deux rédactions parfaitement
contradictoires, tout au moins dans leurs conséquences. Or ni l'une ni l'autre
ne règle, à notre sens, le problème de l'habillage et du déshabillage.
La première rédaction, issue de l'Assemblée nationale, impose que le temps
d'habillage et de déshabillage, lorsque le port d'une tenue de travail est
imposé, relève du temps de travail effectif. Il en résulte que ce temps doit
être rémunéré et qu'il compte pour le déclenchement du contingent d'heures
supplémentaires.
On nous dit par ailleurs que, si ce temps d'habillage devient du temps de
travail effectif, il va en résulter pour certaines entreprises une diminution
du temps de travail qui pourra atteindre en une seule fois non pas quatre
heures, de trente-neuf à trente-cinq heures, mais beaucoup plus, comme l'a dit
mon prédécesseur.
Il est vrai que, dans certains secteurs, l'habillage et le déshabillage ne
sont pas une formalité mais une précaution, voire une exigence en matière
d'hygiène.
Dans l'agroalimentaire, les salariés au contact des aliments traités doivent
se déshabiller complètement puis s'habiller avant de commencer leur travail, se
changer à l'occasion de chaque pause, et ainsi de suite tout au long de la
journée, ce qui peut aboutir à des temps extrêmement longs.
Ces précautions d'hygiène indispensables sont pratiquées depuis longtemps et
ont été renforcées par les normes européennes, draconiennes en la matière,
auxquelles il n'est évidemment pas question de déroger.
Au demeurant, l'agroalimentaire n'est pas seul concerné par ce nécessaire
cérémonial vestimentaire. L'objectif peut aussi être de protéger le salarié,
comme c'est le cas, par exemple, dans l'industrie nucléaire.
Il ressort de ce qui vient d'être dit que la rédaction que nous transmet
l'Assemblée nationale, si elle est légitime dans son intention, ne peut
constituer une norme intangible, pour une raison simple : elle ne prend pas en
compte toutes les réalités de certaines catégories d'entreprises, ainsi que
vous l'avez dit vous-même, madame le ministre.
De son côté, la rédaction que nous propose la commission prévoit simplement
que ce temps soit rémunéré selon des modalités fixées par accord collectif. Ce
faisant, elle supprime la référence au temps de travail effectif, ce qui
présente l'inconvénient inverse.
Le temps d'habillage et de déshabillage peut, en effet, soit être relativement
court, et il n'y a alors pas lieu de le décompter du temps de travail effectif,
soit constituer une part du travail, comme c'est le cas, notamment, dans les
parcs d'attractions, où les salariés sont costumés sans que cela soit imposé
par une réglementation ou une nécessité absolue de sécurité.
Dans les deux cas, la rédaction nous semble trop fermée. La possibilité doit
demeurer ouverte aux partenaires sociaux des branches et des entreprises de
décider suivant les cas.
Le choix de la négociation collective, qui m'a paru avoir les faveurs de la
majorité sénatoriale, peut être ici pleinement respecté : rien n'empêche que
les temps d'habillage et de déshabillage soient définis par les partenaires
sociaux eux-mêmes comme du temps de travail effectif ou non.
Au demeurant, dans certaines entreprises, des accords ont déjà été signés dans
le cadre de la loi de 1998. Les voilà maintenant, avec leurs signataires,
placés en porte-à-faux et dans l'incertitude, et ce, que l'on adopte la
rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale ou celle que propose la
commission.
Pour notre part, devant cette impasse rédactionnelle, nous souhaitons que l'on
parvienne, au cours de la navette, à une rédaction plus ouverte qui permette
aux partenaires sociaux d'opter pour la solution la mieux adaptée tant aux
réalités économiques qu'aux intérêts des salariés.
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je crains d'être légèrement décalé par rapport à certains des points de vue
qui viennent de s'exprimer sur la question du calcul du temps de travail
effectif. Je considère en effet, pour ma part, que c'est une question tout à
fait centrale dans cette loi parce que, si l'on entend réduire le temps de
travail, on ne peut faire moins que de se demander ce que l'on réduit vraiment
!
Je veux d'abord dire à quel point, sur ce sujet, j'ai été attentif à
l'argumentation juridique de grande qualité qui nous a été présentée il y a un
instant. Il y avait en effet polémique et bataille sur la définition de ce
qu'est le temps de travail effectif et j'ai entendu tout à l'heure notre
collègue M. Cazeau se référer à un texte qui, si j'ai bien suivi la discussion,
est ce que nous appelons l'« amendement Vichy », car cette disposition...
M. Alain Vasselle.
Date de 1942 !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je n'ai nullement l'intention d'être insultant, je vous le dis tout de suite,
mais cette précision concernant la nature du temps de travail effectif a été,
en effet, introduite à un temps où nous serons tous d'accord pour dire que le
rapport de force n'allait pas dans le sens des travailleurs, et je crois que
personne ne sera en désaccord avec moi sur ce moment lamentable de notre
histoire : au passage, les rédacteurs de 1942 en avaient profité pour ne
compter que le temps de travail effectif.
C'est d'ailleurs une vieille tentation que de considérer que le travail
humain, qui est la richesse dont dispose le travailleur, que sa disponibilité à
travailler est une marchandise. On achète donc - ce n'est pas pour rien que
l'on parle de marché du travail ! - la marchandise « force de travail », et on
ne veut payer, pour simplifier et pour caricaturer les choses, que ce que l'on
consomme vraiment, et pas le reste.
C'est une vision tout à fait étroite qui est à l'avantage exclusif de
l'employeur : on ne paie que le temps productif.
Pour ma part, je tiens à mettre vraiment en garde tous ceux qui partageraient
cette approche du problème qui évacue l'être humain, surtout dans les
conditions actuelles de la production, avec le développement de l'informatique
qui permet de savoir, de seconde en seconde, quand vous travaillez, quand vous
arrêtez, quand vous faites fonctionner votre poste de travail.
Si l'on ne devait compter que le temps de travail effectif, on aboutirait
alors, par le grignotage de tout ce qu'on appelle les « temps morts » de la
production, à ce qui pourrait véritablement s'appeler une exploitation à 100 %
du travail que l'homme peut fournir, nonobstant le fait que c'est bien un être
humain qui le fournit et, qui donc parfois s'arrête, fait des pauses
casse-croûte, et qui, pendant des années, a mené bataille pour pouvoir
grapiller ces petits temps qui sont la part d'humanité dans le travail.
Lors des négociations sur la réduction du temps de travail, il est évident que
ceux qui n'avaient pas intérêt à compter trop largement - on les comprend :
c'est la logique de la discussion - aient commencé par dire que l'on mettait
dans le « pot » tous les temps de pause : pause pipi, pause casse-croûte, bref,
toutes les pauses humaines... Aux termes de ces calculs, certains travailleurs
ont appris avec surprise que, bien qu'ils se trouvaient à leur poste de travail
et sous la contrainte de leur employeur pendant trente-neuf ou quarante heures,
ils ne travaillaient en temps effectif que trente-cinq heures, voire
trente-deux heures, sauf à ne pas faire de pause, ne pas manger et se retenir
toute la journée. Mais voilà, il s'agit d'êtres humains qui font le travail.
Je considère donc que le temps de travail effectif, dans le respect de tout ce
qui fait une personne, c'est le temps pendant lequel le travailleur est sous la
sujétion de son employeur et ne peut librement vaquer à ses occupations.
Je vois bien que, dans certains domaines, il y a en effet friction et
contradiction, et il faut les étudier. Mais ce sont des exceptions et, dès lors
qu'il s'agit d'exceptions, la propension est forte de qualifier
d'exceptionnelles des choses qui, à mes yeux, ne le sont pas, mais participent
tout simplement des conditions de la production.
Personne n'imagine qu'une matière première peut être livrée gratuitement. En
revanche, certains sont prêts à admettre que le temps que passe un travailleur,
dans l'industrie alimentaire par exemple, à se changer plusieurs fois par jour,
pour des raisons d'hygiène, donc de certification, de qualité du produit, n'est
pas du temps de travail effectif.
Le temps que cette matière première humaine passe à s'habiller pour se
conformer aux normes de l'acte de production est pour moi du temps de travail.
En effet, pendant le temps que le travailleur passe à se changer, il ne fait
pas autre chose. D'ailleurs, il n'a pas le choix !
Celui qui n'a que sa force de travail à vendre, avec tout ce que l'on peut
mettre dans cette force de travail, d'intelligence, de savoir-faire ou de
qualification, il vend un temps, le temps dont il ne dispose pas pour lui-même.
Telle est l'essence du contrat de travail, qui n'est pas un contrat d'échange,
un contrat libre, un contrat égalitaire, mais un contrat de subordination, aux
termes mêmes du code du travail.
Pendant tout le temps où le travailleur est subordonné à son employeur, il est
au travail. Ce n'est pas l'acte mécanique de la production qui définit le fait
que l'on est au travail, c'est la subordination.
C'est pourquoi je considère qu'il faut s'en tenir à la nouvelle formulation
retenue par l'Assemblée nationale, quitte, ici ou là, aux producteurs de faire
un grand effort d'imagination pour faire en sorte que les choses se passent au
mieux, soit en rendant le travail moins pénible, soit en répercutant le coût
réel de leur production.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'interviendrai dès maintenant
car nous sommes face à un problème délicat, ce qui me permettra d'être d'autant
plus concise sur les amendements.
Rien ne m'a choqué dans les propos que j'ai entendus, même s'ils traduisent
des positions différentes. Ce problème n'est pas facile.
M. Deneux nous a rappelé l'historique, juste d'ailleurs, de la notion de
travail effectif, rappelant qu'au départ le travail effectif était le travail
directement productif, ce qui, bien évidemment - M. Jean-Luc Mélenchon l'a dit
- ne pouvait être considéré comme normal.
C'est la raison pour laquelle, au fil du temps, la jurisprudence, alors même
que la loi n'avait pas été modifiée, a considéré que le temps consacré au
casse-croûte - on peut parler de repas aujourd'hui - lorsque le salarié ne peut
pas s'éloigner de son poste de travail, ou lorsqu'il prend ce repas dans une
salle proche de son lieu de travail et peut à tout moment être appelé sur son
poste de travail, donc ne peut librement vaquer à ses occupations, était du
temps de travail. Cela ne signifie pas pour autant que tout temps de
restauration est un temps de travail effectif.
M. Patrick Lassourd.
Voilà !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cette jurisprudence, par la
suite, a pris en compte le temps de transport lorsque le travailleur est obligé
de passer par le siège de l'entreprise, par exemple avant de se rendre sur un
chantier. La jurisprudence a considéré que le transport entre le siège de
l'entreprise et le chantier était du travail effectif puisque c'était un temps
contraint pour le salarié.
C'est cette logique-là qui a été reprise dans la loi de juin 1998, qui s'est
ainsi alignée sur la jurisprudence.
Mais il est vrai que, si cette jurisprudence et la rédaction de l'article en
question, dans son premier alinéa, étaient bonnes et permettaient de prendre en
compte la réalité et la diversité des situations - j'en viendrai dans quelques
instants à l'intervention de M. Cazeau - la deuxième phrase disposant que « la
durée du travail s'entend à l'exclusion du temps nécessaire à l'habillage et au
casse-croûte » apparaissait en contradiction absolue avec le premier alinéa.
Dès lors que nous souhaitions faire une loi qui soit transparente, claire et
applicable, il aurait été quelque peu étonnant de ne pas modifier cet article,
compte tenu de l'obsolescence du terme « casse-croûte » et du fait que le temps
nécessaire à l'habillage n'était pas compté comme du temps de travail
effectif.
Le travail effectué par l'Assemblée nationale a abouti à une rédaction qui
traite de manière claire le problème de la restauration et des temps de pause -
ce n'est pas contesté aujourd'hui, me semble-t-il - et de manière générale le
problème de l'habillage et du déshabillage. Je rejoins là l'intervention de M.
Cazeau que je partage en grande partie.
Il est indéniable, comme l'a dit Jean-Luc Mélenchon voilà quelques instants,
que, lorsque le port d'une tenue est imposé par la loi ou par une disposition
réglementaire pour des raisons de sécurité - je pense au désamiantage - ou
d'hygiène, le temps d'habillage ou de déshabillage doit être automatiquement
compté comme du temps de travail.
De la même manière, lorsque les salariés sont obligés de se déguiser, pour
travailler dans un parc de loisirs par exemple, de revêtir une tenue
spécifique, je ne vois pas comment on pourrait ne pas considérer qu'il s'agit
de temps de travail.
En revanche, dans un certain nombre d'entreprises - c'est peut-être là où le
texte pose un problème et je partage sur ce point le souci de M. Cazeau - sont
mis à la disposition du salarié des vêtements de travail qu'il met ou pas, et
qu'il met parfois d'ailleurs pour ne pas abîmer ses propres vêtements. Dans ce
cas, je comprends très bien que l'on puisse considérer qu'il faille une
contrepartie à ce temps. Si, par exemple, un règlement intérieur impose que
l'on enfile telle veste - c'est le cas dans certains établissements automobiles
- je ne suis pas sûre qu'il faille considérer, en l'état, qu'il s'agisse de
temps de travail, d'autant qu'il est très difficile d'en mesurer effectivement
le temps. Combien de temps faut-il donner à l'ouvrier pour qu'il enfile sa
veste de travail, une minute, dix minutes ?
Je crois donc que nous devons continuer à travailler sur ce texte. Je dis
d'emblée, pour ne pas reprendre la parole plus longuement ensuite, que
supprimer l'article 1er
ter,
comme le propose M. Lassourd, serait
remettre en cause la jurisprudence. Cela ne me paraît pas correct s'agissant
d'obligations en termes de sécurité, qui imposent, par exemple, le port d'une
tenue, s'en remettre, comme le propose le rapporteur, dans une position
médiane, à la convention collective me paraît, là aussi, un peu en deçà de la
jurisprudence dans un certain nombre de domaines.
Je me demande donc si nous ne devrions pas continuer à travailler pour
considérer que, chaque fois que ces vêtements sont portés pour des raisons
imposées par la loi ou le règlement, à l'évidence, c'est du temps de travail,
sinon il doit y avoir des contreparties prévues par une convention sous forme
de temps ou sous forme pécuniaire. Ainsi, nous serions capables de traiter le
secteur où véritablement cela pose problème, c'est-à-dire le secteur
agro-alimentaire, ainsi que l'a évoqué tout à l'heure M. Cazeau.
Je terminerai en disant que, dans les secteurs où le port d'une tenue
spécifique pour des raisons d'hygiène stricte nécessite des changements
fréquents, le problème est déjà traité et, qu'en règle générale, l'habillage
est considéré comme du travail effectif ; mais c'est la négociation qui le
prévoit.
Je le dis très simplement, le texte, aujourd'hui, n'est sans doute pas
satisfaisant à 100 %. Il constitue une avancée certaine, mais il pose des
problèmes dans certains secteurs. Je me propose de continuer à y travailler, à
la fois avec vous-même et avec les députés, pour que nous parvenions, je
l'espère, au cours de la navette, à une rédaction qui protège les salariés sans
créer de difficultés dans certains secteurs, remettant ainsi en cause,
d'ailleurs, des accords déjà signés.
Je ne pourrai donc pas être favorable aux amendements tels qu'ils sont
rédigés, mais je suis consciente des difficultés et prête à trouver avec
vous-mêmes une solution.
M. le président.
Sur l'article 1er
ter,
je suis saisi de quatre amendements qui peuvent
faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 59, M. Lassourd propose de supprimer l'article 1er
ter.
Je suis tout d'abord saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 7 est présenté par M. Souvet, au nom de la commission.
L'amendement n° 60 est présenté par MM. Gournac, Esneu et Marini.
Tous deux tendent à rédiger comme suit le texte proposé par l'article 1er
ter
pour le dernier alinéa de l'article L. 212-4 du code du travail :
« Le temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage, lorsque le port d'une
tenue de travail est imposé par des dispositions législatives ou réglementaires
ou par le règlement intérieur ou par le contrat de travail, est rémunéré selon
des modalités fixées par convention ou accord collectifs de travail. »
En outre, je suis saisi d'un sous-amendement n° 148, déposé par MM. Chérioux
et Gournac, et tendant à compléter,
in fine,
le texte proposé par
l'amendement n° 7 par les mots : « , lorsque cet habillage et ce déshabillage
doivent s'effectuer sur le lieu de travail en vertu des textes précités ».
Enfin, par amendement n° 49, MM. Deneux, Huriet et les membres du groupe de
l'Union centriste proposent :
I. - De compléter,
in fine,
le texte présenté par cet article pour le
dernier alinéa de l'article 212-4 du code du travail par un alinéa ainsi rédigé
:
« Ne sont pas visés par cet article les temps d'habillage et de déshabillage
liés à des objectifs d'hygiène, d'asepsie et de sécurité. Ces temps pourront
faire l'objet d'une rémunération par voie conventionnelle ou, à défaut, d'une
pause portée de vingt à trente minutes par poste de travail. »
II. - En conséquence, à la fin du premier alinéa de cet article, de remplacer
les mots : « est ainsi rédigé » par les mots : « est remplacé par deux alinéas
ainsi rédigés : » ».
La parole est à M. Lassourd, pour défendre l'amendement n° 59.
M. Patrick Lassourd.
Il n'est pas facile de défendre un amendement qui a déjà reçu un début de
réponse. Néanmoins, je dirai pourquoi je propose de supprimer l'article 1er
ter :
tel qu'il est rédigé, l'article n'est pas du tout satisfaisant.
Il évoque, d'abord, le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps
consacrés aux pauses - et c'est bien formulé - qui sont considérés comme du
temps de travail effectif lorsque « le salarié est à la disposition de
l'employeur et doit se conformer à ses directives ».
Il faudra faire une distinction : en effet, de très nombreuses entreprises
possèdent un restaurant d'entreprise qui permet aux salariés de se restaurer
aux heures normales de repas. Ces restaurants d'entreprises sont, en
définitive, une facilité offerte par les entreprises aux salariés. Que je
sache, il y a une autonomie complète de ces salariés pendant ces temps de
restauration. Ils ne sont pas sous la dépendance et sous la subordination du
chef d'entreprise ; ils prennent simplement leur repas dans un lieu à
l'intérieur de l'entreprise mais, pendant ce temps, ils sont libres de faire ce
qu'ils veulent. Cette distinction doit être prise en compte sinon il y aura des
dérapages.
Le second point que je veux souligner concerne les temps d'habillage.
Permettez-moi de citer un exemple que j'ai déjà évoqué dans la discussion
générale. Il s'agit d'un abattoir situé dans mon département, qui plus est dans
ma commune. Les temps d'habillage et de déshabillage - il y a quatre
changements par jour - requièrent quarante minutes. Si vous y ajoutez les temps
de pause réglementaire, nous parvenons à une heure par jour et par salarié. Si
vous prenez en compte les pauses et l'habillage dans le temps de travail
effectif, le temps de travail est réduit non pas de 39 à 35 heures mais de 39 à
30 heures.
Cette entreprise a été rachetée voilà quatre ans et son compte d'exploitation
n'est équilibré que depuis quelques mois. Je vous demande donc, madame le
ministre, comment elle va faire pour s'en sortir.
J'ai bien écouté tous les arguments qui ont été avancés sur l'habillage,
notamment pour des raisons d'hygiène et de sécurité. Disney n'est pas seul en
cause ; il y a aussi les abattoirs !
Certes, on pourrait considérer que l'habillage, c'est du temps de travail
effectif, que les salariés sont à la disposition de l'employeur, mais soyons
pragmatiques. En effet, si l'on réduit le temps de travail effectif de 39 à 30
heures dans une entreprise qui équilibre à peine ses comptes d'exploitation et
qui a une faible valeur ajoutée, je me demande comment elle va s'en sortir.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Monsieur le président, avec votre autorisation, je
commencerai par un propos tout à fait général.
En toute chose, il faut raison garder. Nous sommes vraiment dans le domaine de
la négociation collective. De ce fait, comment voulez-vous que nous prévoyions
tous les cas qui vont se présenter et que nous les réglions par un amendement
ou par un article d'une loi ?
Pensez-vous que l'on va pouvoir répondre aux besoins des personnes qui
travaillent dans le secteur de la cosmétologie, dans l'alimentaire ou
l'agro-alimentaire ? Pensez-vous que l'on puisse faire la différence entre le
soudeur qui porte des guêtres pour protéger ses vêtements personnels sans y
être obligé et celui qui doit porter des habits spéciaux parce qu'il soude en
l'air ?
Pensez-vous que les peintres de l'industrie automobile et les personnes qui
travaillent dans le nucléaire ont les mêmes problèmes ? Et je ne parle pas de
Mickey, puisqu'on a qualifié ce texte d'amendement « Mickey », ni de toute
sorte de situations que l'on ne peut pas imaginer depuis notre banc.
Il est illusoire de penser que nous puissions régler tous ces problèmes ! Il
nous faut faire preuve d'une grande humilité et reconnaître que l'on ne peut
prévoir qu'un cadre, que l'on doit laisser aux partenaires sociaux la
possibilité de résoudre les cas particuliers.
J'en viens à la présentation de l'amendement n° 7 qui dispose : « Le temps
nécessaire à l'habillage et au déshabillage, lorsque le port d'une tenue de
travail est imposé par des dispositions législatives ou réglementaires ou par
le règlement intérieur ou par le contrat de travail, est rémunéré selon des
modalités fixées par convention ou accord collectifs de travail. »
Voilà l'esprit dans lequel nous travaillons. L'article 1er
ter
modifie
l'article L. 212-4 du code du travail relatif à la définition du travail
effectif, en prévoyant que le temps nécessaire à la restauration, le temps des
pauses, le temps nécessaire à l'habillage et au déshabillage constitue du
travail effectif quand le salarié reste à la disposition de l'employeur.
Votre commission considère que le premier alinéa de l'article L. 212-4 du code
du travail est suffisamment précis pour régler les questions relatives au temps
de restauration et aux pauses.
Elle vous propose donc de rédiger à nouveau cet article pour retenir le
principe selon lequel le temps d'habillage et de déshabillage ne constitue pas
du temps de travail effectif, mais est rémunéré selon des modalités qui sont
fixées par une convention ou par un accord collectif de travail. Il faut
laisser aux partenaires sociaux leurs responsabilités et tenir compte de leur
connaissance du terrain. Il nous faut nous en tenir là.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Chérioux, pour défendre le sous-amendement n° 148.
M. Jean Chérioux.
Nous sommes tout à fait d'accord sur le fond : c'est à l'évidence au niveau
des relations contractuelles que ce problème doit être réglé. On ne voit pas
comment le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire peuvent connaître
tous les problèmes. Seuls les gens de terrain peuvent définir les conditions
dans lesquelles doit s'appliquer ce texte.
Cela dit, il est bien évident également que cet article L. 212-4 du code du
travail date de 1942, ainsi que l'a souligné, à très juste titre, notre
collègue M. Mélenchon.
Il ne semble pas nécessaire de rester dans le cadre d'une législation qui date
de l'époque de la Charte du travail, d'autant que les choses ont bien changé
depuis.
Il n'en demeure pas moins que nous ne devrons pas non plus ouvrir la porte
trop grand en ce qui concerne les possibilités d'adaptation. C'est la raison
pour laquelle nous souhaitons compléter l'amendement n° 7 de la commission :
les opérations d'habillage et de déshabillage doivent s'effectuer sur le lieu
de travail.
M. le président.
La parole est à M. Gournac, pour défendre l'amendement n° 60.
M. Alain Gournac.
Cet amendement, identique à celui de la commission, a été brillamment défendu
voilà quelques instants par M. le rapporteur.
Il correspond à une attente très forte de beaucoup de salariés. En effet,
certains d'entre eux passent, notamment dans le nucléaire, près de cinq heures
par semaine à s'habiller et à se déshabiller pour obéir à des règles de
sécurité. Ce temps d'habillage et de déshabillage fait partie intégrante de
leur activité professionnelle et il est souhaitable que ce temps puisse être
rémunéré.
M. le président.
La parole est à M. Deneux, pour défendre l'amendement n° 49.
M. Marcel Deneux.
Nous avons déjà beaucoup parlé de ce problème et je pense qu'il correspond à
des situations vécues sur le terrain. Il s'agit, comme l'a dit Mme le ministre
à l'instant, de trouver une réponse dans le secteur des entreprises
agroalimentaires pour lesquelles le passage trop brutal de 39 à 30 heures est
insupportable pour leur compte d'exploitation.
Mon amendement apporte une solution de transition qui mériterait d'être
retenue, d'autant qu'elle permettrait d'autres avancées sociales dans les
années qui viennent.
Je dois ajouter que, dans certaines entreprises que je connais, lors des
négociations qui ont eu lieu aboutissant à des accords qui s'appliquent au 1er
octobre, les syndicats n'avaient pas étudié ce problème, qui devait sans doute
ne pas leur paraître essentiel.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 59, 60 et 49, ainsi
que sur le sous-amendement n° 148 ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Pour ce qui est de l'amendement n° 59, présenté par M.
Lassourd, les justifications apportées à la suppression de l'article 1er
ter
sont réelles, nous l'avons bien senti.
Néanmoins, la commission a préféré réécrire cet article plutôt que de le
supprimer, et ce afin d'encourager l'Assemblée nationale à modifier sa position
en excluant le temps d'habillage et de déshabillage du temps de travail
effectif.
Je souhaiterais donc, si toutefois cela ne lui coûte pas trop, que notre
collègue veuille bien retirer son amendement car, personnellement, je ne
souhaite pas que l'article 1er
ter
soit supprimé.
La commission n'a pas pu examiner le sous-amendement n° 148, sur lequel
j'exprimerai, une position qui est personnelle.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
... et partagée par le président de la
commission !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ce sous-amendement complète la rédaction de l'article 1er
ter
que propose la commission, afin de tenir compte du fait que certains
habillages et déshabillages ne sont pas effectués sur le lieu de travail et ne
doivent pas être nécessairement rémunérés. J'y suis favorable.
Quant à l'amendement n° 60, il est satisfait. Je souhaiterais donc que mes
collègues veuillent bien le retirer au bénéfice de celui de la commission.
S'agissant de l'amendement n° 49, M. Huriet a reconnu ce matin, lors de la
réunion de la commission, que nous avions respecté l'esprit de son amendement.
En conséquence, je lui demanderai de retirer son amendement.
M. le président.
Monsieur Lassourd, l'amendement n° 59 est-il maintenu ?
M. Patrick Lassourd.
Je vais retirer cet amendement, compte tenu de l'intervention du rapporteur et
des propos de Mme le ministre, qui semble accepter de considérer que cet
article 1er, tel qu'il est formulé, pose des problèmes. Il faudra certainement
affiner la rédaction de cet article de façon à le rendre applicable.
M. le président.
L'amendement n° 59 est retiré.
Monsieur Gournac, l'amendement n° 60 est-il maintenu ?
M. Alain Gournac.
J'adopte la même position que M. Lassourd et je retire l'amendement.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je vous en remercie.
M. le président.
L'amendement n° 60 est retiré.
Monsieur Deneux, l'amendement n° 49 est-il maintenu ?
M. Marcel Deneux.
Compte tenu des propos de M. le rapporteur et de la réponse engagée de Mme le
ministre, je retire mon amendement afin de faciliter la recherche d'une
solution.
Je voudrais par ailleurs dire à M. Mélenchon qu'il n'est pas normal que le
législateur s'occupe de ce genre de détails...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce ne sont pas des détails !
M. Marcel Deneux.
Je serais donc heureux, mon cher collègue, que le législateur que vous êtes
visite de temps en temps des entreprises agroalimentaires pour voir où nous en
sommes aujourd'hui.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais je le fais !
M. le président.
L'amendement n° 49 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 7 et sur le
sous-amendement n° 148 ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je salue le travail accompli
par la commission pour essayer de régler le problème qui a été soulevé par de
nombreux orateurs. Toutefois, comme je l'ai dit, je ne peux donner un avis
totalement favorable à cet amendement.
Je pense, en effet, que, dans certains cas, pour des raisons de sécurité liées
à une réglementation, le désamiantage par exemple, ou dans des centres de
loisir, pour prendre un exemple totalement différent, ou quand les tenues sont
imposées en raison travail, il faut que la rémunération soit de même nature que
lors du travail effectif ; même si je comprends qu'on ne veuille pas décompter
le temps d'habillage et de déshabillage dans le temps de travail pour ne pas
franchir des seuils, notamment celui des heures supplémentaires.
Dans le même esprit, je ne peux évidemment pas être favorable au
sous-amendement n° 148, qui porte sur l'amendement n° 7. Je partage toutefois
l'avis de M. Chérioux lorsqu'il dit que cet habillage ou ce déshabillage doit
s'effectuer sur le lieu de travail.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 148, repoussé par le Gouvernement.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Considérant, à juste raison, que la définition du temps de travail effectif -
référence incontournable permettant de calculer la durée légale du travail et,
par conséquent, sa rémunération - est une question centrale conditionnant, en
partie, la réussite des trente-cinq heures, les députés de la gauche plurielle
ont proposé en première lecture de préciser ce qui doit être considéré comme du
temps de travail effectif.
Déjà, lors de l'examen de la première loi, en décidant que la durée du travail
effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de
l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement
à ses occupations personnelles, nous avions fait un grand pas.
En effet, avant cela, seule la jurisprudence nous éclairait sur cette
définition, puisque l'article L. 212-4 du code du travail considérait comme
n'étant pas du temps de travail effectif, « le temps nécessaire à l'habillage
ou casse-croûte et aux temps d'inaction ».
Notons toutefois que les usages internes aux entreprises pouvaient être
différents.
Pour autant, tout n'était pas réglé car, en maintenant cette ancienne
disposition du deuxième alinéa de l'article L. 212-4, contradictoire avec le
premier alinéa de ce même article, la loi a permis à certains employeurs, peu
scrupuleux, de décider que désormais, les salariés étant libres de leurs
mouvements pendant les pauses, ces dernières seraient exclues de l'horaire de
référence.
Ainsi, mes chers collègues, en décomposant les temps de pause, en évacuant
certains congés exceptionnels, des accords ont permis aux entreprises
concernées de se rapprocher des trente-cinq heures. C'est le cas, par exemple,
dans la grande distribution.
Afin d'éviter qu'à l'avenir de tels abus ne se reproduisent, l'alinéa
incriminé a été réécrit. Il est désormais acquis que les périodes de pause, de
restauration sont incluses dans le temps de travail effectif, qui comprend
aussi le temps d'habillage et de déshabillage lorsque le port d'une tenue est
obligatoire.
Manifestement, cette avancée importante contrarie la commission des affaires
sociales, et nos collègues de la majorité sénatoriale ne tiennent pas à ce que
la question relative à la restauration et aux pauses puisse être réglée
législativement, comme l'a rappelé très clairement à l'instant notre collègue
Marcel Deneux.
Selon eux, la définition actuelle du code est assez précise ! Je crois avoir
démontré que c'était loin d'être le cas, beaucoup de négociations butant sur
cet aspect.
La rédaction de cet article proposée par M. le rapporteur est circonscrite au
seul temps d'habillage, qui sera rémunéré selon des conditions fixées
conventionnellement.
A l'évidence, cela n'apporte rien, mais je pense surtout, comme mon collègue
Jean-Luc Mélenchon, que c'est une menace pour la réduction effective du temps
de travail, pour la création d'emplois.
Cette menace est renforcée par le fait que, contrairement à la première loi,
les aides ne seront plus désormais conditionnées à un mode constant de décompte
de l'horaire collectif !
Résolus à écarter toute disposition contrevenant à la réalisation des
objectifs susvisés, nous voterons contre l'amendement présenté par la
commission.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Voilà un sujet extrêmement sensible à propos duquel nous nous rendons bien
compte, à travers les interventions des uns et des autres, qu'il n'est pas si
évident que cela de légiférer, qu'il n'est pas si facile de trouver la
rédaction adaptée à la situation très diverse de chacune des entreprises, comme
l'a souligné très justement notre rapporteur. En tout cas, il est un point sur
lequel nous avons adopté une position constante, qui diverge sensiblement de
celle du Gouvernement et de la majorité plurielle : nous souhaitons privilégier
la voie conventionnelle ou les accords d'entreprise par rapport à la
réglementation ou la législation.
Je crois qu'à la fois dans les syndicats, le personnel des entreprises, parmi
les employeurs mais également dans les milieux administratifs politiques et
publics, chacun se plaît à reconnaître aujourd'hui que le poids de
l'administration ou de la réglementation devient tellement pesant qu'il finit
parfois par paralyser une partie de notre économie.
M. le rapporteur, avec bon sens, propose que soient privilégiés, pour ce qui
concerne la définition du temps de travail, les accords et la voie
conventionnelle. La sagesse serait à mon sens de suivre la position de la
commission des affaires sociales.
Permettez-moi, mes chers collègues, de relever, dans l'argumentation
développée tout à l'heure par M. Mélenchon, le caractère quelque peu réducteur
de son analyse. En effet, il a situé le débat par rapport à des dispositions
législatives qui sont anciennes. Tout à l'heure, notre collègue Jean Chérioux,
lui, a fait référence à des dispositions qui datent de 1942.
Il ne faut pas oublier - je pense que notre collègue M. Mélenchon voudra bien
le reconnaître - que notre société a évolué depuis, de même que l'état d'esprit
des salariés, comme celui des employeurs.
En définitive, lorsque les employeurs veulent déduire du temps de travail
effectif les pauses consacrées au casse-croûte ou à l'habillage, lorsqu'ils
cherchent à rémunérer le temps de travail effectif, c'est non pas tant pour en
tirer profit pour eux-mêmes ou pour leur entreprise, que pour contribuer à
l'amélioration de la compétitivité de celle-ci et en faire profiter le
consommateur.
En effet, dans cette affaire, l'employeur n'est pas seul à trouver un intérêt
au paiement du temps de travail effectif et à faire valoir au mieux la
productivité de l'entreprise. Au début de la chaîne, l'entreprise cherche
peut-être à améliorer sa compétitivité et à bien se situer sur le plan
économique aux niveaux national, européen et international, mais, finalement,
au bout de la chaîne, c'est tout de même le consommateur qui, grâce aux prix
pratiqués, profite du résultat des négociations.
Enfin, je ne polémiquerai pas sur le sujet, puisque le débat a été tout à fait
constructif et que chacun a développé des arguments qui se justifient
parfaitement.
Au demeurant, il est un point sur lequel un consensus général semble se
dégager au sein de notre assemblée : le temps d'habillage rendu nécessaire par
la nature de la fonction du salarié dans l'entreprise - on a parlé des
centrales nucléaires - doit entrer dans le temps de travail et faire l'objet
d'une rémunération. Mais nous pensons que cela interviendra très naturellement
par la voie conventionnelle, dans une négociation qui sera menée entre
l'employeur et les salariés. Ce serait vraiment faire un procès d'intention aux
partenaires sociaux que de penser qu'en l'absence de dispositions précises dans
un texte législatif ou réglementaire le personnel de l'entreprise ne sera pas
rémunéré pour le temps de travail qu'il consacre à l'habillage ou au
déshabillage pour des raisons sanitaires.
Ne réglementons pas trop ; laissons suffisamment de souplesse pour que
l'entreprise, les salariés, mais également le consommateur, chacun y trouve son
compte.
Telle est la raison pour laquelle je voterai l'amendement de la commission,
sous-amendé.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
J'ai eu l'occasion d'expliquer assez largement mon point de vue sur cette
question ; je n'y reviendrai pas. J'ai écouté, comme tout le monde, avec
beaucoup d'attention, l'échange qui a eu lieu sur un point extrêmement
important de cette loi, nous en convenons tous.
Je tiens tout d'abord à féliciter M. Vasselle pour sa démonstration claire,
brillante et empreinte d'une certaine malice ; c'est en effet la première fois
que j'entends développer l'argument selon lequel la gratuité du travail
effectué profiterait au consommateur. C'est une trouvaille qu'il faut saluer
!
Je crains que le partage de la valeur du travail gratuit ne s'opère pas de
façon unilatérale en direction du seul consommateur.
(Sourires sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Redoutez, monsieur Vasselle, d'être pris en défaut. Je crains en
fait que cela ne participe aux profits de l'entreprise.
M. Jean Chérioux.
Il y a la concurrence !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je ne polémique pas à cette heure ; je musarde pour être agréable à mes
collègues.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Ce n'est pas l'heure de musarder !
M. Jean-Luc Mélenchon.
On n'est pas obligé d'être triste dans une discussion sénatoriale !
Il est vrai, mes chers collègues, que l'interprétation du code tel qu'il était
rédigé jusque-là permettait d'en avoir une approche restrictive ou une approche
un peu plus large. Pour finir, lorsque le conflit éclatait, c'est devant les
conseils de prud'hommes que l'affaire se tranchait. Tout dépendait, direz-vous,
de l'état de consensus dans l'entreprise ; je dirai, moi qui suis plus
traditionnel, du rapport de force. L'interprétation dépendait en fait beaucoup
des individus, de leur âpreté aux gains et de leur sensibilité à la peine
d'autrui.
La nouvelle rédaction tranche dans un sens. Je ne dis pas que cela ne soulève
aucune difficulté. Nous avons décelé, pendant les négociations qui ont eu lieu,
une certaine propension dans les entreprises ou les branches à vouloir faire
passer pour du temps de loisir ce qui jusqu'ici avait été conquis comme du
temps de pause pris en compte dans le travail effectif. De la sorte, à partir
d'une loi que l'on voulait progressiste, qui devait donner plus de temps libre,
on aboutissait à une situation telle que des salariés apprenaient qu'ils
étaient déjà en dessous des 35 heures.
C'est ainsi que, dans un certain nombre d'entreprises, tous les temps de
pause, tous les temps morts ont été pris en compte pour qu'il soit dit
finalement aux salariés : « Mais vous ne faites déjà que 35 heures ! »
Dans l'entreprise Michelin, par exemple, d'une manière inacceptable, les gens
ont appris qu'ils étaient déjà à 35 heures ; les malheureux ne le savaient pas
!
La constation de cette situation a renforcé notre volonté d'être plus
normatif.
Les discussions de notre assemblée ont une très grande importance, de la
lecture de nos débats dépend l'interprétation qui sera faite de la loi telle
qu'elle va résulter de la navette entre les deux assemblées. Il faut donc bien
marquer ce point : à aucun moment, dans notre assemblée, il n'a été dit que les
temps de pause, tous ces temps que l'on va baptiser de « temps morts » - on a
bien décrit lesquels - n'étaient pas du temps de travail effectif.
Les partisans de la version la plus ouverte de la définition ont précisé ce
point et ceux de la version que vous appelez la plus « fermée », dont je suis,
ont concédé que la réglementation ne règle pas tous les problèmes.
En tout cas, ce qui vient de se passer ici est très important. En cela, je
diverge légèrement de l'analyse que faisant à l'instant notre collègue du
groupe communiste : une évolution a eu lieu. M. Chérioux disait tout à l'heure
que la situation avait changé depuis 1942. Qui songerait à dire le contraire ?
Certainement pas moi, et heureusement qu'elle a changé. Mais les propos que
vous venez de tenir, chers collègues, marquent encore une évolution dans
l'analyse qui est faite du temps de travail effectif. Nous divergeons seulement
sur la manière d'y arriver. Vous voulez vous en remettre à la négociation et à
la convention. Cela se comprend. Ce point de vue est cohérent. Je m'en tiens,
pour ma part, à l'ordre public social. Je préfère qu'on prenne des précautions
en instaurant la contrainte dans la loi. On verra à la fin quel équilibre sera
trouvé et, madame le ministre, je ne veux surtout pas rendre votre tâche plus
difficile puisque plusieurs collègues ont retiré leur amendement pour faciliter
un arbitrage.
Quoi qu'il en soit, nous sommes tous d'accord pour décrire ce qu'est
dorénavant le temps de travail effectif. Nous ne divergeons que sur le moyen de
le constater.
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Je voterai bien évidemment l'amendement n° 7. Notre collègue Bernard Cazeau,
lorsqu'il s'est exprimé sur l'article 1er
ter
, a souhaité qu'une
solution consensuelle puisse être trouvée au cours des prochaines lectures. Sa
position a d'ailleurs été soutenue par Mme le ministre.
Mais il semble oublier que le projet de loi est déclaré d'urgence, ce que nous
ne pouvons que regretter. Peut-être le Gouvernement pourra-t-il présenter un
amendement au cours de la dernière lecture à l'Assemblée nationale ou au Sénat
de façon à tenir compte de ce début de rapprochement entre les points de vue
des uns et des autres.
Par ailleurs, je constate que notre collègue M. Mélenchon est très consensuel
ce soir, ce qui me fait grand plaisir. Mais je constate aussi qu'il est bien
pessimiste et qu'il est encore très marqué par l'esprit de la lutte des
classes, qui se comprenait au xixe siècle. Il semble avoir oublié que la
société française a heureusement évolué, que les syndicats ont pris de
l'importance, que le mouvement ouvrier s'est développé, qu'il en est résulté un
certain développement des conventions collectives, au sein desquelles bien des
points ont été traités.
J'ai été choqué qu'il ait l'air de considérer que les syndicats et les
représentants du personnel n'étaient peut-être pas toujours en état de négocier
valablement ; c'est leur faire injure et je ne le suivrai pas sur ce point.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er
ter
, ainsi modifié.
(L'article 1er
ter
est adopté.)
Article 1er
quater
M. le président.
« Art. 1er
quater
. - L'article L. 212-4 du code du travail est complété
par un alinéa ainsi rédigé :
« Une durée équivalente à la durée légale peut être instituée dans les
professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d'inaction
soit par décret, pris après conclusion d'une convention ou d'un accord de
branche, soit par décret en Conseil d'Etat. Ces périodes ne constituent pas du
temps de travail effectif mais peuvent être rémunérées conformément aux usages
ou aux conventions ou accords collectifs. »
Par amendement n° 8, M. Souvet, au nom de la commission, propose, après la
première phrase de l'alinéa présenté par cet article pour compléter l'article
L. 212-4 du code du travail, d'insérer la phrase suivante : « En l'absence d'un
tel décret, une convention ou un accord de branche étendus ou un accord
d'entreprise peut prévoir une durée d'équivalence par dérogation aux
dispositions du premier alinéa. »
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements identiques.
Le sous-amendement n° 71 est présenté par M. Michel Mercier, les membres du
groupe de l'Union centriste et M. Taugourdeau.
Le sous-amendement n° 91 rectifié est déposé par MM. Chérioux, Gournac et
Taugourdeau.
Tous deux tendent, dans le texte proposé par l'amendement n° 8, après les mots
: « convention ou un accord de branche étendus », à insérer les mots : « ou une
convention collective nationale agréée ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 8.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cet amendement a pour objet de légaliser, s'agissant des
horaires d'équivalence, les solutions jurisprudentielles consacrées depuis deux
ans par la Cour de cassation, notamment à travers un arrêt du 29 juin 1999, qui
considère l'équivalence conventionnelle comme une dérogation. Cette équivalence
peut, en conséquence, résulter soit d'une convention ou d'un accord de branche
étendus, soit d'un accord d'entreprise non frappé d'opposition.
L'article 1er
quater
valide le principe des équivalences mais en en
limitant le champ à des cas prévus par décret.
Nous proposons de prévoir qu'en absence d'un tel décret une convention ou un
accord de branche étendus ou un accord d'entreprise peut prévoir une durée
d'équivalence par dérogation.
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier, pour défendre le sous-amendement n° 71.
M. Michel Mercier.
Ce sous-amendement vise à prendre en compte la situation spécifique du secteur
sanitaire et social à but non lucratif.
En effet, dans ce secteur, un seul accord étendu existe, celui de l'UNIFED,
qui couvre un champ si vaste et des activités si diverses qu'il ne saurait
apporter une définition suffisamment précise concernant ce qui pourrait être
considéré comme un régime d'équivalence.
Le niveau de l'entreprise apparaît comme trop réduit. Le niveau des
conventions collectives agréées, qui regroupent les établissements par
activité, est donc celui qui nous semble le plus pertinent pour la définition
d'un régime d'équivalence.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux, pour défendre le sous-amendement n° 91
rectifié.
M. Jean Chérioux.
Chacun l'a compris, ce sous-amendement ressemble comme un frère au
sous-amendement n° 71, que vient de présenter M. Michel Mercier, et c'est, bien
entendu, pour les raisons qui ont été exposées par notre collègue voilà
quelques instants que nous avons, nous aussi, déposé ce sous-amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements identiques n°s 71 et
91 rectifié ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je me permettrai de dire à M. Chérioux qu'il s'agit non pas
d'un frère mais d'un clone !
(Sourires.)
La commission a émis un avis favorable sur les deux sous-amendements.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 8 et sur les
sous-amendements n°s 71 et 91 rectifié ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Aujourd'hui, la possibilité
d'instaurer un régime d'équivalence résulte de l'article L. 212-4, alinéa 2,
qui indique qu'un tel régime peut être mis en place par décret.
La validité des horaires d'équivalence par la voie conventionnelle a été
admise de longue date par la Cour de cassation pour l'accord de branche étendu.
Elle l'a admis pour l'accord d'entreprise dans un arrêt de juin 1999.
Toutefois, cela me paraît poser un problème. En effet, la règle générale veut
que toute heure de travail soit considérée comme une heure de travail effective
et décomptée comme telle. Seules les spécificités de certains secteurs ont
amené à reconnaître l'équivalence entre les horaires de travail et des horaires
de travail effectif, et la notion de spécificité est ici très importante.
Au demeurant, notre pays connaît une réduction du nombre d'équivalences, voire
leur suppression dans certain nombre de secteurs, et nous nous en réjouissons.
Il convient, selon moi, que le mouvement continue en ce sens.
C'est la raison pour laquelle je suis totalement défavorable à ce que, par
simple accord d'entreprise, il soit possible de mettre en place des
équivalences, ce qui peut entraîner non seulement un certain nombre de risques
pour les salariés mais aussi des distortions de concurrence. Je persiste à
considérer que la notion d'équivalence est liée à certaines spécificités et que
le régime d'équivalence doit être négocié au niveau adéquat, celui de la
branche.
Le texte voté par l'Assemblée nationale précise que ce régime est institué par
décret lorsqu'il existe un accord de branche ou, à défaut d'accord de branche,
par décret en Conseil d'Etat. Il convient de s'en tenir là si nous souhaitons à
la fois maintenir une protection pour les salariés et éviter des distorsions de
concurrence.
En ce qui concerne le secteur sanitaire et social, l'agrément vise
essentiellement le contrôle de l'équilibre financier d'un accord.
Rien n'empêche un accord signé dans le secteur sanitaire et social d'être par
ailleurs étendu et donc de prévoir des équivalences qui soient reconnues par
décret.
Par conséquent, le fait de m'opposer à l'amendement n° 8 et aux
sous-amendements ne signifie pas que j'exclue le secteur sanitaire et social
des possibilités d'équivalence. Mais n'utilisons pas la procédure de l'agrément
financier pour tirer des conséquences juridiques comme on peut le faire avec un
arrêté d'extension et un décret.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les sous-amendements identiques n°s 71 et 91
rectifié.
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Comme l'a dit Mme la ministre, l'agrément a un caractère financier, mais c'est
justement pour cette raison qu'il est important pour les associations : il leur
est indispensable en ce qu'il leur apporte pratiquement la certitude d'obtenir
les financements dont elles ont besoin pour exister. Tant qu'il n'y a pas
d'agrément, elles ne sont pas certaines de pouvoir équilibrer leur budget.
Je pense donc qu'il est bon de faire référence à l'agrément : cela donne une
certaine garantie aux associations, qui ne peuvent vivre sans que les
collectivités publiques assurent le financement de leur activité.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les sous-amendements identiques n°s 71 et 91 rectifié,
acceptés par la commission et repoussés par le Gouvernement.
(Les sous-amendements sont adoptés.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Introduit à l'Assemblée nationale, l'article 1er
quater
précise les
conditions dans lesquelles un régime d'équivalence peut être mis en place.
La démarche visant à limiter au maximum la possibilité de recourir à cette
notion d'équivalence est importante car, dans certains secteurs tels que
l'hôtellerie, cela représente des durées considérables qui ne sont pas
considérées et rémunérées comme du travail effectif. L'enjeu est donc de
taille.
La commission des affaires sociales considère que la rédaction actuelle, en
soumettant à un décret pris après une convention ou un accord de branche étendu
ou à un décret en Conseil d'Etat l'institution de tels régimes, encadre trop
strictement ces régimes dérogatoires et elle nous propose qu'un simple accord
d'entreprise suffise.
C'est dire, chers collègues, combien vous tenez aux équivalences telles
qu'elles pourraient être pratiquées aujourd'hui du fait d'évolutions
jurisprudentielles et qu'il ne vous déplairait pas que l'on puisse aller plus
loin. Vous êtes nostalgiques du temps où ces équivalences étaient la règle dans
le commerce ou dans le secteur du nettoiement.
Vous savez pourtant que, légalement, une horaire d'équivalence suppose
l'existence d'un décret ministériel.
Vous savez aussi que ces précisions sont actuellement nécessaires, simplement
parce que les constructions jurisprudentielles récentes de la Cour de cassation
- l'arrêt Auffère du 29 juin dernier - ont singulièrement étendu les
possibilités d'instauration de ces équivalences.
En proposant de légaliser les solutions jurisprudentielles, en ouvrant la
négociation de régimes d'équivalence au niveau de l'entreprise, c'est vous qui
allez trop loin sur la voie dangereuse du travail gratuit.
C'est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er
quater
, ainsi modifié.
(L'article 1er
quater
est adopté.)
Article 1er
quinquies
M. le président.
« Art. 1er
quinquies.
- Après l'article L. 212-4 du code du travail, il
est inséré un article L. 212-4
bis
ainsi rédigé :
«
Art. L. 212-4
bis
. _ Une période d'astreinte s'entend comme
une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente
et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à
proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au
service de l'entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme
un temps de travail effectif.
« Ces astreintes sont mises en place par des conventions ou accords collectifs
étendus ou des accords d'entreprise ou d'établissement, qui en fixent le mode
d'organisation ainsi que la compensation financière ou sous forme de repos à
laquelle elles donnent lieu. A défaut de conclusion d'une convention ou accord,
les conditions dans lesquelles les astreintes sont organisées et les
compensations financières ou en repos auxquelles elles donnent lieu sont fixées
par l'employeur après information et consultation du comité d'entreprise ou, en
l'absence de comité d'entreprise, des délégués du personnel s'il en existe, et
après information de l'inspecteur du travail.
« La programmation individuelle des périodes d'astreinte doit être portée à la
connaissance de chaque salarié concerné quinze jours à l'avance, sauf
circonstances exceptionnelles et sous réserve que le salarié en soit averti au
moins un jour franc à l'avance. En fin de mois, l'employeur doit remettre à
chaque salarié concerné un document récapitulant le nombre d'heures d'astreinte
effectuées par celui-ci au cours du mois écoulé ainsi que la compensation
correspondante. Ce document, qui est tenu à la disposition des agents de
contrôle de l'inspection du travail, est conservé pendant une durée d'un an.
»
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune.
Par amendement n° 9, M. Souvet, au nom de la commission, propose de rédiger
comme suit le texte présenté par cet article pour l'article L. 212-4
bis
du code du travail :
«
Art. L. 212-4
bis. - L'astreinte s'entend de l'obligation, découlant
soit du contrat individuel de travail, soit d'un usage de l'entreprise, aux
termes desquels un salarié est tenu, en dehors de son horaire de travail, de
demeurer à la disposition de l'employeur en vue de faire face à une situation
d'urgence requérant une intervention immédiate.
« Cette obligation doit être assortie d'une compensation financière ou d'un
repos compensateur. Hormis le temps consacré à des interventions, la durée de
l'astreinte ne peut être assimilée à un temps de travail effectif pour
l'application de la réglementation relative à la durée du travail. »
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements.
Le sous-amendement n° 149, présenté par MM. Chérioux et Gournac, tend, dans le
premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 9 pour l'article L. 212-4
bis
du code du travail, après le mot : « découlant », à insérer les mots
: « soit de conventions ou accords collectifs étendus, soit de conventions
collectives nationales agréées, ».
Le sous-amendement n° 76 rectifié, présenté par M. Revet, vise à compléter
in fine
le texte proposé par l'amendement n° 9 par un alinéa ainsi
rédigé :
« Ces dispositions s'appliquent dès lors que l'intervention de la personne
d'astreinte s'inscrit directement dans le fonctionnement de l'entreprise dans
laquelle elle travaille. Ces dispositions ne s'appliquent pas s'il s'agit
d'interventions non programmables de par leur nature et s'assimilant à une
notion de service public. Dans ce cas, des conventions particulières seront
négociées entre les partenaires concernés qui tiendront compte de la
spécificité de la nature des interventions. A défaut de conventions
particulières, le règlement intérieur fixera les modalités de calcul de la
prise en compte du temps passé en astreinte sur le lieu de travail ou à
domicile. »
Par amendement n° 72, M. Michel Mercier, les membres du groupe de l'Union
centriste et M. Taugourdeau proposent, dans la première phrase du deuxième
alinéa du texte présenté par l'article 1er
quinquies
pour l'article L.
212-4
bis
du code du travail, après les mots : « conventions ou accords
collectifs étendus », d'insérer les mots : « ou conventions collectives
nationales agréées ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 9.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'article 1er
quinquies
propose une définition de
l'astreinte et un régime d'application qui pourraient s'avérer contraignants
pour les entreprises. Le troisième alinéa du texte prévu pour l'article L.
212-4
bis
prévoit ainsi que « la programmation individuelle des périodes
d'astreinte doit être portée à la connaissance de chaque salarié concerné
quinze jours à l'avance, sauf circonstances exceptionnelles et sous réserve que
le salarié en soit averti au moins un jour franc à l'avance ».
Votre commission considère que le détail du recours à l'astreinte relève de la
négociation collective plutôt que de la loi.
En conséquence, elle vous propose, pour cet article, une nouvelle rédaction
qui se limite à définir l'astreinte et à prévoir le principe d'une compensation
financière ou d'un repos compensateur.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux, pour défendre le sous-amendement n° 149.
M. Jean Chérioux.
Ce sous-amendement est inspiré par le même souci que celui que j'ai
précédemment présenté puisqu'il tend à inclure les établissements du secteur
sanitaire et social à but non lucratif dans le dispositif prévu en matière
d'astreinte.
M. le président.
La parole est à M. Revet, pour défendre le sous-amendement n° 76 rectifié.
M. Charles Revet.
On a beaucoup parlé tout à l'heure d'habillage et de déshabillage et, au fil
de la discussion, on s'est aperçu qu'il y avait presque autant de situations
que d'entreprises. Nous avons constaté sur tous les bancs combien il était
difficile d'instituer une réglementation unique, et la position nuancée de Mme
le ministre était très significative.
Il en va quasiment de même en ce qui concerne les astreintes. Entre la
personne qui, pendant son temps d'astreinte, est systématiquement appelée à
intervenir un certain nombre de fois et l'équipe qui est d'astreinte pour
intervenir de manière sporadique uniquement face à tel événement, la différence
est extrêmement importante. On ne peut pas traiter l'une et l'autre de la même
manière.
C'est pourquoi je suggère de faire appel aux relations partenariales pour
qu'un accord puisse être trouvé sur le terrain, en fonction de la situation
concrète sur les modalités de prise en compte de l'astreinte.
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier, pour défendre l'amendement n° 72.
M. Michel Mercier.
Cet amendement participe de l'esprit de mon sous-amendement n° 71, que j'ai
précédemment défendu.
Sans reprendre tous les arguments qui militent en faveur de cet amendement, je
voudrais rappeler à Mme le ministre que l'agrément va au-delà du simple aspect
financier. La commission nationale d'agrément se fonde essentiellement sur
l'équivalence des situations entre le secteur public et le secteur privé
associatif. Il y a donc tout intérêt, dans ce domaine, à maintenir l'unité du
droit.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 149 et 76
rectifié ainsi que sur l'amendement n° 72 ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Le sous-amendement n° 76 rectifié tend à établir un régime
particulier d'astreinte pour les activités de service public. La rédaction
n'est pas suffisamment précise et les motivations ne sont pas évidentes. Aussi,
je souligne à l'attention de notre collègue M. Revet que l'amendement n° 9 de
la commission se limite à définir l'astreinte et le principe d'une
compensation. Il renvoie donc largement à la négociation collective. En effet,
celle-ci est la mieux à même de prendre en compte les situations
particulières.
Je demanderai donc à M. Revet de bien vouloir retirer son amendement au profit
de celui de la commission.
En ce qui concerne le sous-amendement n° 149 présenté par M. Chérioux, la
commission émet un avis favorable.
Par ailleurs, il semble que l'amendement n° 72 soit satisfait par le
sous-amendement n° 149.
M. le président.
Monsieur Revet, le sous-amendement n° 76 rectifié est-il maintenu ?
M. Charles Revet.
Ce sous-amendement a été rédigé avant d'avoir eu connaissance de l'amendement
n° 9 de la commission. J'ai bien noté qu'il était pris en compte. Cela étant,
monsieur le rapporteur, vous faites référence à une convention collective. En
l'absence de convention collective, des accords locaux devront régler le
problème, car il faudra bien trouver une solution. Il n'y a pas de conventions
collectives dans tous les domaines !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cela ne nous a pas échappé, monsieur Revet. Il s'agit alors
de la procédure classique : l'inspection du travail ou le tribunal.
M. Charles Revet.
Je suis d'accord avec la commission et je retire mon sous-amendement, monsieur
le président.
Je souhaite toutefois que Mme le ministre nous apporte des précisions sur sa
manière de voir le problème.
M. le président.
Le sous-amendement n° 76 rectifié est retiré.
Monsieur Michel Mercier, maintenez-vous l'amendement n° 72, qui, selon la
commission, est satisfait par le sous-amendement n° 149 de M. Chéroux ?
M. Michel Mercier.
Je suis toujours satisfait par M. Chérioux, monsieur le président !
(Sourires.)
Je retire l'amendement n° 72.
M. le président.
L'amendement n° 72 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 9 et sur le
sous-amendement n° 149 ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je souhaite d'abord rappeler
que les périodes d'astreinte sont aujourd'hui définies uniquement par la
jurisprudence. Les périodes d'astreintes ont précisément trait aux
interventions non programmables par leur nature. Sinon, ce ne serait pas des
astreintes. Par conséquent, si on exclut les astreintes du champ d'application
de la loi, on retire la possibilité même de faire des astreintes.
J'ai beaucoup entendu dire, depuis le début de notre discussion, que le fait
d'inscrire ces dispositions dans la loi pouvait gêner le fonctionnement des
entreprises ou poser des problèmes. Sur un sujet comme celui-là, comme
d'ailleurs sur quelques autres sur lesquels les entreprises nous ont demandé
d'intervenir, la sécurité juridique impose, pour les salariés comme pour les
entreprises, une définition claire et transcrite dans la loi.
Aujourd'hui, les astreintes existent. Il faut donc mettre en place des mesures
protectrices pour les salariés. Mais l'employeur de bonne foi qui y a recours
doit également bénéficier d'une sécurité juridique.
A cet égard, nous avons eu des demandes des uns et des autres. C'est la raison
pour laquelle nous en avions parlé avec les députés qui travaillaient sur ce
texte.
Le fait de l'inscrire dans la loi n'est pas obligatoirement un carcan, comme
je l'entends dire. Ce peut-être, au contraire, un moyen d'assurer le respect du
droit par les uns et les autres et d'apporter des solutions équilibrées. C'est
pourquoi le Gouvernement s'est montré favorable à l'amendement qui a été adopté
par l'Assemblée nationale : il établit des règles claires qui garantissent aux
salariés comme aux employeurs une sécurité juridique.
D'ailleurs, le texte de l'Assemblée nationale donne de l'astreinte une
définition totalement conforme à la jurisprudence qui, de façon pertinente,
n'admet l'astreinte que pour autant que le salarié soit à son domicile ou à
proximité, écartant ainsi la notion d'astreinte sur le lieu de travail.
L'amendement de M. le rapporteur ne reprend pas complètement cette garantie :
il y a un mélange entre l'astreinte et l'équivalence, ce qui n'est pas la même
chose.
Pour tenir compte de la diversité des conditions dans lesquelles les
astreintes sont organisées dans les entreprises, il me paraît essentiel que
leur mise en place soit effectuée, en priorité, par convention, par accord
collectif étendu, ou par accord d'entreprise ou d'établissement. En effet, nous
nous trouvons là devant des modalités qui ne sont pas obligatoirement liées à
un secteur d'activité ; elles peuvent concerner une activité particulière d'une
entreprise. Je pense, par exemple, à l'ingénieur qui, dans telle ou telle
entreprise, peut être d'astreinte un dimanche par trimestre parce qu'un
problème de sécurité risque de se poser au sein de l'entreprise.
Aujourd'hui, il faut bien le dire, avec l'apparition des portables,
l'astreinte est beaucoup moins difficile à assurer. En règle générale, on
impose au salarié de ne pas s'éloigner de plus de tant de kilomètres de son
entreprise, mais il peut largement vaquer à ses occupations, ce qui n'était pas
le cas auparavant, où il devait rester chez lui à proximité de son
téléphone.
Les garanties nécessaires à la conciliation entre la vie professionnelle et la
vie familiale doivent être prévues, notamment en termes de prévenance et de
programmation des astreintes, ainsi que les contreparties auxquelles ont droit
les salariés qui effectuent ces astreintes.
Sur ce point encore, l'amendement en discussion ne reprend pas les garanties
prévues par le texte adopté à l'Assemblée nationale. On ne retrouve pas
davantage la trace des outils de sécurisation et de transparence, tels que
l'information du salarié sur les périodes d'astreinte et la tenue d'un document
utilisé à cette fin. C'est pourtant ainsi que cela fonctionne dans la plupart
des entreprises.
Aussi suis-je défavorable à l'amendement n° 9 présenté par votre
rapporteur.
Je souhaite dire à nouveau à MM. Jean Chérioux et Michel Mercier - tout à
l'heure, nous nous sommes mal compris, me semble-t-il - que rien n'empêche
d'étendre une convention ou un accord collectif agréé, donc de proposer soit
des horaires d'équivalence - c'était l'article précédent - soit des astreintes.
C'est d'ailleurs ce qui vient d'avoir lieu s'agissant de l'accord de l'UNIFED :
cet accord agréé a été étendu afin de pouvoir bénéficier d'un régime
dérogatoire en matière de modulation.
Les secteurs qui sont soumis à l'agrément peuvent demander que leurs
conventions collectives soient étendues pour créer soit un régime d'équivalence
soit un régime d'astreinte. Nous examinerons leurs problèmes comme nous le
faisons toujours, en appliquant la loi.
Il n'existe donc aucune restriction à leur endroit. Simplement, pour créer ces
équivalences ou ces astreintes, la bonne procédure est non pas celle de
l'agrément, mais celle de l'extension, qui leur est ouverte comme à tous les
autres secteurs.
Sur le fond, bien évidemment, je suis d'accord avec vous, monsieur le
sénateur, mais les dispositions proposées sont inutiles, car votre
préoccupation est déjà prise en compte dans le texte actuel.
Par conséquent je suis également défavorable au sous-amendement n° 149.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 149, accepté par la commission et
repoussé par le Gouvernement.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9.
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Toujours lors du débat important sur le temps de travail effectif, l'Assemblée
nationale a adopté un amendement relatif tant à la définition qu'au régime
applicable aux astreintes.
Arguant du fait que cela pourrait se révéler contraignant pour les
entreprises, le rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat nous
propose une nouvelle rédaction qui s'éloigne, nous semble-t-il, des objectifs
fixés par les auteurs de l'article.
Pour lever toute incertitude juridique et éviter la profusion des astreintes,
le cadre conventionnel dans lequel elles peuvent être mises en place et les
protections et garanties apportées aux salariés ont été posés clairement par
l'article 1er
quinquies.
De l'avis des syndicats, les astreintes se trouvent ainsi mieux encadrées, le
temps non pris en compte comme du travail effectif réduit. J'apporterai tout de
même un petit bémol : à défaut de conclusion d'une convention ou d'un accord,
les conditions dans lesquelles les astreintes sont organisées et les
compensations financières ou en repos auxquelles elles donnent lieu peuvent
être fixées par l'employeur.
Mes collègues du groupe communiste de l'Assemblée nationale proposaient de
limiter la possibilité de recours aux astreintes aux accords de branche
professionnelle ou lorsqu'une convention ou un accord collectif étendu l'a
prévu, ce pour exclure les astreintes imposées aux salariés sans justification
ni respect de délais d'information.
Manifestement, ce souci n'est pas partagé par la commission des affaires
sociales du Sénat, qui supprime toute référence au cadre conventionnel et à la
procédure de programmation des astreintes.
Ainsi vidé de sa substance, l'article 1er
quinquies
, en retrait par
rapport à la jurisprudence, permettra à l'employeur de décider unilatéralement
de recourir aux astreintes et de se dégager de l'accomplissement de certaines
formalités, notamment du contrôle de l'inspection du travail.
Nous sommes étrangers à cette démarche et, par conséquent, nous voterons
contre l'amendement n° 9.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je formulerai trois observations qui me conduiront à adopter une attitude
radicalement opposée à celle que vient de défendre M. Fischer.
Tout d'abord, Mme le ministre a relevé que plusieurs d'entre nous, dont je
fais partie, ont dénoncé le poids trop lourd de la réglementation et de
l'administration dans l'organisation du temps de travail en employant le mot «
carcan ».
Pour ce qui est du débat que nous avons eu jusqu'à maintenant, je suis tout à
fait d'accord avec Mme le ministre, sur au moins un point. Ce sentiment est
sans doute partagé par la majorité, pour ne pas dire la quasi-unanimité des
membres de la Haute Assemblée et, je suppose, de l'Assemblée nationale. Il
s'agit de l'argument qui a été développé en faveur de la sécurité juridique
relative au temps d'astreinte à la fois pour l'employeur et pour les salariés.
Personne ici ne contesterait une initiative qui serait prise pour assurer cette
sécurité juridique. L'époque que nous vivons nous démontre la nécessité de
prévoir aujourd'hui des dispositions à cet effet.
Même si nous ne sommes pas favorables à une organisation du travail trop
administrée, un minimum d'encadrement nous paraît tout de même nécessaire,
notamment pour les raisons juridiques évoquées précédemment.
J'en viens à ma deuxième observation. Vous ne pourrez pas prendre en défaut la
cohérence de la position adoptée par la commission des affaires sociales, que
la Haute Assemblée suit dans sa majorité : nous souhaitons privilégier, chaque
fois que c'est possible, la voie conventionnelle. A la fois les
sous-amendements n° 149 et 76 rectifié et l'amendement n° 9 de la commission la
privilégient et, en ce qui concerne le temps d'astreinte, c'est le cas.
C'est la logique qui est la nôtre ! Pour votre part, vous pensez qu'il faut
réglementer et légiférer de manière beaucoup plus précise sur ce sujet et fixer
un cadre plus strict. Tel n'est pas notre sentiment.
Enfin, j'en arrive à ma troisième et dernière observation. Vous avez émis un
avis défavorable sur l'amendement de la commission, madame le ministre, au
motif que n'étaient pas reprises certaines dispositions prévues par
l'amendement de l'Assemblée nationale sur la transparence.
A partir du moment où nous avons décidé de faire confiance à la voie
conventionnelle pour régler toutes ces questions, la transparence apparaîtra,
de fait, par cette voie conventionnelle.
Pour notre part, nous faisons le pari de la force de ces accords
conventionnels conclus à l'échelon des partenaires sociaux. C'est la raison
pour laquelle il ne nous apparaît pas nécessaire de légiférer de manière aussi
détaillée et aussi précise que l'Assemblée nationale a jugé utile de le faire
en ce qui concerne le temps d'astreinte.
C'est pour toutes ces raisons que notre groupe adoptera l'amendement de la
commission qu'a sous-amendé M. Chérioux, rejoint en cela par notre collègue
Michel Mercier et par plusieurs autres collègues.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 9, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er
quinquies,
modifié.
(L'article 1er
quinquies
est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - I. - Les cinq derniers alinéas de l'article L. 212-5 du code du
travail deviennent les premier à cinquième alinéas de l'article L. 212-7-1
inséré après l'article L. 212-7.
« Au premier alinéa de l'article L. 212-7-1 du même code, les mots :
"Toutefois, la" sont remplacés par le mot : "La".
« Au 2° de l'article L. 212-7-1 du même code, après les mots : "accord
collectif étendu", sont insérés les mots : "ou une convention ou un accord
d'entreprise ou d'établissement".
« Au cinquième alinéa de l'article L. 212-7-1 du même code, les mots : "du
présent article et des articles" sont remplacés par les mots : "des articles L.
212-5," et les mots : "trente-neuf" par les mots : "trente-cinq".
« II. - L'article L. 212-5 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. L. 212-5.
- Dans les établissements et professions assujettis à
la réglementation de la durée du travail, les heures supplémentaires effectuées
au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l'article L. 212-1 ou de
la durée considérée comme équivalente sont régies par les dispositions
suivantes :
«
I.
- Chacune des quatre premières heures supplémentaires effectuées
dans les entreprises où la durée collective de travail est inférieure ou égale
à la durée légale fixée par l'article L. 212-1, ou à la durée considérée comme
équivalente, donne lieu à une bonification de 25 %.
« Dans les autres entreprises, chacune de ces quatre premières heures
supplémentaires donne lieu à une bonification de 15 % et à une contribution de
10 %.
« Une convention ou un accord collectif étendu ou une convention ou un accord
d'entreprise ou d'établissement détermine les modalités de la bonification qui
peut donner lieu soit à l'attribution d'un repos, pris selon les modalités
définies à l'article L. 212-5-1, soit au versement d'une majoration de salaire
équivalente. A défaut de convention ou d'accord, la bonification est attribuée
sous forme de repos.
« La contribution due par l'employeur est assise sur le salaire et l'ensemble
des éléments complémentaires de rémunération versés en contrepartie directe du
travail fourni.
« La contribution est recouvrée selon les règles et garanties définies à
l'article L. 136-5 du code de la sécurité sociale pour le recouvrement de la
contribution sociale sur les revenus d'activité.
« La contribution n'est pas due pour chacune des quatre premières heures
supplémentaires lorsque le paiement d'une heure ainsi que sa bonification sont
remplacés par 125 % de repos compensateur.
«
II.
- Chacune des quatre heures supplémentaires effectuées au-delà de
la quatrième donne lieu à une majoration de salaire de 25 %, et les heures
suivantes, à une majoration de 50 %.
«
III.
- Une convention ou un accord collectif étendu ou une convention
ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut, sans préjudice des
dispositions de l'article L. 212-5-1, prévoir le remplacement de tout ou partie
du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations prévues au II
ci-dessus, par un repos compensateur équivalent.
« Dans les entreprises non assujetties à l'obligation visée par l'article L.
132-27, ce remplacement est subordonné, en l'absence de convention ou d'accord
collectif étendu, à l'absence d'opposition, lorsqu'ils existent, du comité
d'entreprise ou des délégués du personnel.
« La convention ou l'accord d'entreprise ou le texte soumis à l'avis du comité
d'entreprise ou des délégués du personnel mentionné aux deux alinéas précédents
peut adapter les conditions et les modalités d'attribution et de prise du repos
compensateur à l'entreprise.
« Ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires prévu à
l'article L. 212-6 les heures supplémentaires donnant lieu à un repos
équivalent à leur paiement et aux bonifications ou majorations y afférentes.
« Les heures supplémentaires se décomptent par semaine civile qui débute le
lundi à 0 heure et se termine le dimanche à 24 heures. Toutefois, un accord
d'entreprise peut prévoir que la semaine civile débute le dimanche à 0 heure et
se termine le samedi à 24 heures. »
« III. - Le produit de la contribution prévue au I de l'article L. 212-5 du
code du travail et au I de l'article 992-2 du code rural est versé au fonds
créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2000 (n°
du ) assurant la compensation de l'allégement des cotisations sociales
défini par l'article L. 241-13-1 du code de la sécurité sociale aux régimes
concernés par cet allégement.
« IV. - Les heures supplémentaires effectuées au-delà de trente-neuf heures
hebdomadaires ou de la durée considérée comme équivalente dans les entreprises
pour lesquelles la durée légale du travail est fixée à trente-cinq heures à
compter du 1er janvier 2002 donnent lieu, jusqu'à cette date, à une majoration
de salaire de 25 % pour les huit premières heures et de 50 % pour les suivantes
et sont soumises aux dispositions du III de l'article L. 212-5 du code du
travail.
« V. - Pendant l'année 2000 pour les entreprises pour lesquelles la durée
légale du travail est fixée à trente-cinq heures à compter du 1er janvier 2000
et pendant l'année 2002 pour les autres entreprises, chacune des quatre
premières heures supplémentaires effectuées donne lieu :
« - dans les entreprises où la durée collective de travail est inférieure ou
égale à la durée légale fixée par l'article L. 212-1 du code du travail ou à la
durée considérée comme équivalente, à la bonification prévue au premier alinéa
du I de l'article L. 212-5 du même code au taux de 10 % ;
« - dans les autres entreprises, à la contribution mentionnée au deuxième
alinéa du I de l'article L. 212-5 du même code au taux de 10 %.
« VI. - L'article L. 212-5-1 du code du travail est ainsi modifié :
« 1° A. - Le deuxième alinéa est supprimé ;
« 1° La première phrase du quatrième alinéa est ainsi rédigée :
« Le repos peut être pris selon deux formules, la journée entière ou la
demi-journée, à la convenance du salarié, en dehors d'une période définie par
voie réglementaire. » ;
« 2° La deuxième phrase du quatrième alinéa est supprimée ;
« 3° Au cinquième alinéa, après la première phrase, est insérée une phrase
ainsi rédigée :
« Une convention ou un accord collectif étendu ou une convention ou un accord
d'entreprise ou d'établissement peut fixer un délai supérieur, dans la limite
de six mois. »
« VII. - L'article L. 212-6 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Ce contingent est réduit lorsque la durée hebdomadaire de travail varie dans
les conditions prévues par une convention ou un accord collectif définis à
l'article L. 212-8. Toutefois, cette réduction n'est pas applicable lorsque la
convention ou l'accord collectif prévoit une variation de la durée hebdomadaire
de travail dans les limites de trente et une et trente-neuf heures ou un nombre
d'heures au-delà de la durée légale hebdomadaire inférieur ou égal à
soixante-dix heures par an. » ;
« 2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Sans préjudice des dispositions du premier et du deuxième alinéas de
l'article L. 212-5-1, le contingent d'heures supplémentaires pouvant être
effectuées après information de l'inspecteur du travail peut être fixé, par une
convention ou un accord collectif étendu, à un volume supérieur ou inférieur à
celui déterminé par le décret prévu au premier alinéa. » ;
« 3° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour le calcul du contingent fixé par le décret prévu au premier alinéa et
du contingent mentionné au deuxième alinéa, sont prises en compte les heures
effectuées au-delà de trente-cinq heures par semaine. »
« VIII. - Le seuil défini au troisième alinéa de l'article L. 212-6 du code du
travail est fixé à trente-sept heures pour l'année 2000 et à trente-six heures
pour l'année 2001. Lorsque l'entreprise fait application d'une convention ou
d'un accord mentionné à l'article L. 212-8 du même code, ce seuil est fixé
respectivement pour les années 2000 et 2001 à 1690 et 1645 heures. Pour les
entreprises pour lesquelles la durée légale du travail est fixée à trente-cinq
heures à compter du 1er janvier 2002, ces seuils sont applicables
respectivement en 2002 et en 2003. »
« IX. - A la première phrase de l'article L. 212-2 du code du travail, le mot
: "précédent" est remplacé par la référence : "L. 212-1".
« Au deuxième alinéa de l'article L. 620-2 du même code, la référence à
l'article L. 212-5 est remplacée par celle à l'article L. 212-7-1 et les mots :
"le programme indicatif de la modulation mentionnée au 4° de l'article L.
212-8-4" sont remplacés par les mots : "le programme de la modulation mentionné
au septième alinéa de l'article L. 212-8". »
Sur l'article, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Avec l'article 2, nous abordons une question centrale laissée en suspens lors
de l'adoption de la première loi et qui, depuis, a suscité de toutes parts
pressions et critiques.
Il est légitime que le sort réservé aux heures supplémentaires ait
cristallisé autant d'attention car, du « prix » de l'heure supplémentaire, du
contingent annuel dépend, en définitive, la réussite pleine et entière de la
loi.
Défendue par les organisations patronales mais aussi syndicales, l'idée d'une
période transitoire a fini par être validée et justifiée par le fait qu'il
fallait laisser aux entreprises le temps de négocier.
Concrètement, cela se traduit par une majoration réduite à 10 % en 2000 de la
trente-sixième à la trente-neuvième heure et, de fait, durant deux ans, par une
imputation non intégrale de ces heures sur le contingent annuel.
De telles dispositions ne peuvent recevoir notre aval.
Depuis un an et demi, les entreprises ont été prévenues. Certaines ont déjà
signé au vu de la législation existante. Appliquer immédiatement le régime
définitif des heures supplémentaires ne serait pas fatal à leur compétitivité.
Donner encore du temps, c'est pousser les autres entreprises à l'immobilisme.
Si l'entreprise reste à trente-neuf heures, le surcoût induit au titre des
heures supplémentaires ne représentera que 1,01 % la première année !
Pour être efficace en termes de création d'emplois, il faut que la loi que
nous voterons assure, induise une réduction réelle du temps de travail. Pour ce
faire, la loi doit s'appliquer intégralement dès le 1er janvier 2000 pour les
entreprises de plus de vingt salariés et dès 2002 pour les autres.
Mes amis du groupe communiste de l'Assemblée nationale ont cosigné avec
d'autres partenaires de la majorité plurielle un amendement visant à supprimer
la période d'adaptation.
Nous aurons l'occasion ici de revenir sur ce point doublement fâcheux qui, de
plus, pénalise les salariés d'entreprises dont l'horaire collectif est
supérieur à 35 heures.
Que dire du taux de 10 % retenu ? L'expérience a montré que le taux de 25 %
était déjà insuffisant, pas assez dissuasif.
Les parlementaires communistes ont fait, à ce sujet, de nombreuses
propositions visant toutes à freiner le recours aux heures supplémentaires en
majorant leur taux et en sécurisant les outils de contrôle des horaires
effectués.
Excepté l'application de la majoration de 50 % à partir de la
quarante-troisième heure au lieu de la quarante-septième heure conformément à
la règle en vigueur actuellement, je regrette que le débat à l'Assemblée
nationale n'ait pas permis d'améliorer le dispositif.
Nos griefs à son encontre restent donc entiers. Nous réaffirmons que, dès l'an
2000, le régime normal de majoration des heures devrait s'appliquer, et ce dès
la trente-sixième heure ; toutes les heures supplémentaires devrait s'imputer
sur le contingent légal, qui devrait être réduit globalement. Tous les
syndicats souhaitent que ce contingent, qui est actuellement fixé à cent trente
heures, soit abaissé. Ce serait d'autant plus légitime que, dans certains
secteurs tels que la métallurgie, il peut atteindre conventionnellement cent
quatre-vingts heures par an.
Madame la ministre, il est profondément choquant que des discriminations
demeurent au sujet d'heures supplémentaires dont 10 % ne seront pas payés aux
salariés, mais alimenteront un fonds destiné à financer la loi.
Enfin, j'ai peur que, d'une part, en généralisant la transformation du
paiement des heures supplémentaires en un repos, on ne flexibilise complètement
le temps de travail et que, d'autre part, en portant à six mois, au lieu de
deux actuellement, le délai maximum dans lequel le repos compensateur doit être
pris, même en cas de modulation, on ne réduise à néant la vocation de ce
dernier à compenser la pénibilité du travail !
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Pour combler les multiples faiblesses de cet édifice, pas moins de deux
périodes transitoires ont été créées. L'une concerne les rémunérations des
heures supplémentaires, l'autre concerne le volume du contingent légal d'heures
supplémentaires.
La période transitoire de la rémunération des heures supplémentaires est
elle-même subdivisée en deux, puisqu'elle ne couvre que l'année 2000 pour les
entreprises de plus de vingt salariés et jusqu'en 2002 pour les autres.
Encore faut-il distinguer pour les premières celles dont l'horaire collectif
de référence est déjà égal à 35 heures ou moins et celles dans lesquelles ledit
horaire est encore supérieur à 35 heures.
Dans ces dernières, la majoration des quatre premières heures se répartit
ainsi : une contribution de 10 % prélevée par l'Etat et 15 % de bonification
restant au salarié.
Dans les entreprises passées aux 35 heures, la majoration n'est qu'une
bonification de 25 %.
Avec la période transitoire concernant le contingent d'heures supplémentaires
légales, le projet de loi prévoit encore une autre période transitoire
différente. Elle concerne les années 2000 et 2001 pour les entreprises de plus
de vingt salariés et les années 2002 et 2003 pour les entreprises de moins de
vingt salariés. Les heures supplémentaires ne seront décomptées sur le
contingent qu'au-delà de 37 heures en 2000, de 36 heures en 2001 et de 35
heures, enfin, en 2002.
Si vous m'avez suivie, madame la ministre, vous aurez compris que le tout est
redécalé de deux ans pour les entreprises de moins de vingt salariés.
En cas de décompte annuel, le système est encore différent puisque le
contingent légal d'heures supplémentaires est abaissé.
Vous m'aurez probablement trouvée très compliquée dans mes explications.
Pourtant, j'ai tenté d'être aussi claire que possible. Mais, hélas, je crois
que c'est le projet de loi qui est bien compliqué !
Aucun des directeurs des ressources humaines que nous avons rencontrés ne
maîtrise, à l'heure actuelle, la complexité du dispositif.
Que dire alors des petits entrepreneurs qui, en plus de leur travail, en plus
du travail supplémentaire qu'ils assumeront pour compenser la réduction de
temps de travail de leurs employés, s'arracheront les cheveux à essayer de
mettre en place cette réforme ?
Ce dispositif, par sa complexité, est inapplicable !
M. Serge Franchis.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je voudrais faire prendre conscience à nos collègues, mais également à ceux
qui nous écoutent et à ceux qui liront le compte rendu des débats, des
injustices que nous paraissent induire les dispositions prévues dans le présent
article 2 du projet de loi.
Outre le caractère extrêmement complexe du texte que chacun s'est plu à
reconnaître, du moins dans la majorité de cette assemblée, nous ne pouvons nous
empêcher de relever un certain nombre d'injustices.
Tout d'abord, la distinction créée entre les salariés d'entreprises passées
aux 35 heures et ceux des entreprises n'ayant pas effectué le passage à la
réduction du temps de travail imposée est inadmissible et crée une situation
flagrante d'inégalité entre nos concitoyens.
Ainsi que nous le soulignions dans la discussion générale, il est difficile de
comprendre les raisons pour lesquelles les salariés travaillant toujours plus
de 35 heures n'obtiendraient que 15 % de bonification contre 25 % pour les
autres concernant les heures supplémentaires effectuées.
Cette situation est totalement discriminatoire, d'autant que les 10 % restants
s'envoleront dans les caisses du ministère pour la création d'un fonds. Je note
au passage que nous ne sommes pas les seuls à faire cette analyse, M. Fischer
ayant fait exactement la même à l'instant.
M. Guy Fischer.
Pas pour les mêmes raisons ! Ne faites pas d'amalgame !
M. Alain Vasselle.
Il y a donc une convergence de vues, du moins sur ce point, entre le groupe
communiste républicain et citoyen et notre groupe politique. Nous serons
curieux d'entendre le Gouvernement et de voir comment il évoluera au fil de la
discussion de l'article 2.
Le fonds dont je viens de parler et que M. Fischer a évoqué précédemment aura
pour objet de financer le passage aux 35 heures des autres, c'est-à-dire
justement ceux qui bénéficient de la bonification de 25 % !
En somme, il y aura ceux qui travaillent moins et qui verront leur réduction
du temps de travail financée par ceux qui continuent de travailler autant sans
pouvoir toucher la rémunération qui leur est due ! Je ne partage pas la vision
qu'a le Gouvernement de la répartition ni sa conception de la justice
sociale.
Par ailleurs, ce fonds n'est rien d'autre qu'un nouvel impôt, après l'écotaxe
et la taxe sur les bénéfices, un impôt d'autant plus injuste qu'il pèsera
directement sur les salariés par la retenue de la bonification transformée pour
l'occasion en contribution. Il faut que les salariés le sachent, il faut le
dire avec netteté !
On prendra donc directement dans la poche de ces salariés, et cela ne changera
rien pour les entreprises qui paieront de toute manière 25 % de majoration pour
ces heures supplémentaires. Curieuse conception de l'incitation au travail et
au mérite que celle qui pénalise ceux qui travaillent plus que les autres.
C'est une nouvelle conception du temps de travail, de l'organisation du travail
et de la rémunération de ce travail. Les salariés ainsi que l'ensemble de
l'opinion publique apprécieront et jugeront !
La troisième erreur de votre projet de loi, madame le ministre, est qu'il
navigue à contre-courant des accords signés dans les branches ou dans les
entreprises.
En fixant un quota d'heures supplémentaires à 130 heures annuelles, vous
déniez toute légitimité à certains accords signés, et qui aboutissent, par
exemple, à 300 heures pour les exploitations agricoles, 190 heures pour les
entreprises de propreté, et 175 heures dans l'industrie textile.
Enfin, votre texte pèche par l'impossibilité théorique pour les entreprises de
le mettre en oeuvre en aussi peu de temps.
Dans les branches, où vous refusez les accords, comment feront les partenaires
pour trouver une nouvelle solution d'ici au 1er janvier 2000 ? Il ne reste plus
beaucoup de temps ! Aura-t-on à faire à un second
bug
?
Dans certains secteurs, je pense notamment aux entreprises de propreté, le
programe de l'an 2000 est déjà bouclé. Il n'est donc pas acceptable de changer
les règles en cours de route.
C'est pour toutes ces raisons, madame le ministre, mes chers collègues, que
cet article ne nous paraît ni réaliste ni acceptable. Dans l'impossibilité de
l'adopter en l'état nous devrons souscrire à la suggestion de la commission des
affaires sociales qui, après une analyse au fond, en demande la suppression.
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
DÉPÔT DE PROJETS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la
ratification du protocole établi sur la base de l'article K 3 du traité sur
l'Union européenne, relatif au champ d'application du blanchiment de revenus
dans la convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes
et à l'inclusion du numéro d'immatriculation du moyen de transport dans la
convention.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 48, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la
ratification de la convention établie sur la base de l'article K 3 du traité
sur l'Union européenne, sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des
douanes.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 49, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la
ratification du protocole établi sur la base de l'article K 3 du traité sur
l'Union européenne, concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la
Cour de justice des Communautés européennes de la convention sur l'emploi de
l'informatique dans le domaine des douanes.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 50, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la
ratification de l'accord relatif à l'application provisoire entre certains
Etats membres de l'Union européenne de la convention établie sur la base de
l'article K 3 du traité sur l'Union européenne, sur l'emploi de l'informatique
dans le domaine des douanes.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 51, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
9
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de MM. Robert Bret, Michel Duffour, Mme Marie-Claude Beaudeau, M.
Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Guy Fischer,
Thierry Foucaud, Gérard Le Cam, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc,
MM. Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade une proposition de loi visant
à la contribution des compagnies d'assurances à l'investissement et au
financement des services départementaux d'incendie et de secours.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 41, distribuée et renvoyée à la
commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques et
de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission
spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
10
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION
M. le président.
J'ai reçu de MM. Marcel Deneux, Jean Bizet, Pierre André, Mme Janine Bardou,
MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Georges Berchet, Gérard César, Marcel-Pierre
Cléach, Désiré Debavelaere, Michel Doublet, Jean-Paul Emorine, André Ferrand,
Hilaire Flandre, Philippe François, Jean François-Poncet, François Gerbaud,
Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Rémi
Herment, Jean Huchon, Bernard Joly, Patrick Lassourd, Jean-François Le Grand,
Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Louis Moinard, Bernard Murat,
Jean-Pierre Raffarin, Raymond Soucaret et Michel Souplet une proposition de
résolution, présentée en application de l'article 73
bis
du règlement,
sur la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement
européen relative à l'approche de l'Union européenne en vue du cycle du
millénaire de l'Organisation mondiale du commerce (n° E-1285).
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 46, distribuée et
renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de
la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le règlement.
J'ai reçu de MM. Jean Bizet et Marcel Deneux une proposition de résolution,
présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de
l'article 73
bis
du règlement, sur la communication de la commission au
Conseil et au Parlement européen relative à l'approche de l'Union européenne en
vue du cycle du millénaire de l'Organisation mondiale du commerce (n°
E-1285).
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 47, distribuée et
renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de
la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le règlement.
11
TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet de lettre rectificative au projet de budget 2000. Conséquences de
l'abrogation du Protocole 16 du traité de Maastricht et future coopération
interinstitutionnelle entre le comité économique et social et le comité des
régions.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1327 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision de la Commission concernant la conclusion d'un
accord entre la Communauté européenne du charbon et de l'acier et le Kazakhstan
relatif au commerce de certains produits sidérurgiques. Projet de décision de
la commission relative à l'administration de certaines restrictions à
l'importation de certains produits sidérurgiques en provenance du Kazakhstan.
Projet de décision du conseil relative à la conclusion d'un accord sous forme
d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la République du
Kazakhstan instituant un système de double contrôle sans limite quantitative à
l'exportation de certains produits sidérurgiques couverts par les traités CECA
et CE du Kazakhstan dans la Communauté européenne. Projet de règlement (CE) du
Conseil concernant l'administration du système de double contrôle sans limite
quantitative à l'exportation de certains produits sidérurgiques CECA et CE du
Kazakhstan dans la Communauté européenne.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1328 et distribué.
12
RENVOI POUR AVIS
M. le président. J'informe le Sénat que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale (n° 40, 1999-2000), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances du contrôle budgétaire et de comptes économiques de la nation.
13
DÉPÔT DE RAPPORTS
M. le président.
J'ai reçu de M. José Balarello un rapport fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur le projet de loi modifiant le code pénal et le
code de procédure pénale et relatif à la lutte contre la corruption (n° 179,
1998-1999).
Le rapport sera imprimé sous le n° 42 et distribué.
J'ai reçu de M. Christian Bonnet un rapport fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur :
- la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instituant un
Médiateur des enfants (n° 76, 1998-1999) ;
- et la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale,
relative à l'inéligibilité du médiateur des enfants (n° 77, 1998-1999).
Le rapport sera imprimé sous le n° 43 et distribué.
J'ai reçu de M. Jean-Guy Branger un rapport fait au nom de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi
autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la
République française, le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le
gouvernement de la République italienne, le gouvernement du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, portant création de l'organisation
conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) (ensemble quatre
annexes) (n° 487, 1998-1999).
Le rapport sera imprimé sous le n° 44 et distribué.
J'ai reçu de Mme Danielle Bidard-Reydet un rapport fait au nom de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le
projet de loi autorisant l'approbation du protocole visant à amender le
paragraphe 2 de l'article X de la convention internationale pour la
conservation des thonidés de l'Atlantique (n° 501, 1998-1999).
Le rapport sera imprimé sous le n° 45 et distribué.
14
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée à aujourd'hui, jeudi 4 novembre 1999 :
A neuf heures trente :
1. Suite de la discussion du projet de loi (n° 22, 1999-2000), adopté par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la réduction
négociée du temps de travail.
Rapport (n° 30, 1999-2000) de M. Louis Souvet, fait au nom de la commission
des affaires sociales.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Suite de l'ordre du jour du matin.
Délais limites pour le dépôt des amendements
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, instituant un Médiateur
des enfants (n° 76, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 8 novembre 1999, à dix-sept
heures.
Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à
l'inéligibilité du Médiateur des enfants (n° 77, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 8 novembre 1999, à dix-sept
heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant sur diverses
professions relevant du ministère de la justice, la procédure civile et le
droit comptable (n° 416, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : ouverture de la discussion
générale.
Projet de loi modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et
relatif à la lutte contre la corruption (n° 179, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 9 novembre 1999, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 4 novembre 1999, à zéro heure quinze.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
DÉLÉGATIONS PARLEMENTAIRES
DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES
HOMMES ET LES FEMMES
(En application de l'article 6
septies
de l'ordonnance n° 58-1100 du 17
novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires)
Lors de sa séance du mercredi 3 novembre 1999, le Sénat a nommé M. Yann
Gaillard membre de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de Mme Lucette
Michaux-Chevry, démissionnaire.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Danger de la chasse au sanglier dans les Pyrénées-Orientales
636.
- 3 novembre 1999. -
M. René Marquès
attire l'attention de
M. le ministre de l'agriculture et de la pêche
sur le grave danger que représente, dans le domaine département des
Pyrénées-Orientales, la chasse au gros gibier que constitue le sanglier. Le
sanglier, espèce très prolifique depuis l'introduction des laies espagnoles,
suite à la peste porcine des années passées, a proliféré de façon considérable,
à telle enseigne que, malgré la destruction de plusieurs milliers d'unité
chaque année, les dégâts provoqués au niveau agricole et au niveau des biens
sont considérables. C'est la raison pour laquelle, trois à quatre jours par
semaine, des battues mobilisant plusieurs dizaines de chasseurs par équipe ont
lieu dans les forêts du département des Pyrénées-Orientales. Le danger de ces
battues est constitué par le fait que les chasseurs, constituant chaque équipe,
sont amenés à utiliser des projectiles à balles, et non plus à chevrotine comme
antérieurement, cela ayant été décidé par le législateur. Antérieurement, une
distance de 150 mètres était considérée comme obligatoire entre les lieux de
chasse et les sites bâtis, la portée des projectiles à plomb étant très limitée
(environ 100 mètres). Il n'en est plus de même, aujourd'hui, depuis
l'utilisation des balles, d'autant plus que les chasseurs dont acquis des
carabines à canon rayé dont la portée des projectiles atteint plus de 2 000
mètres. Chaque jour de chasse, des accidents et des incidents se produisent en
raison des dangers représentés par la distance parcourue par les balles et,
dans une année cynégétique, plusieurs morts sont à déplorer soit parmi les
chasseurs, soit parmi les promeneurs. Actuellement, la crainte existe au niveau
des populations sédentaires ou périodiques des contreforts pyrénéens, ainsi que
les promeneurs ou ramasseurs de champignons, en raison de l'utilisation des
projectiles à balles. Pour éviter tout nouvel accident et pour rassurer les
populations, il lui demande s'il compte revoir cette législation pour exiger
une distance minimale de 1 000 mètres entre les lieux de tir et les
habitations.
Elargissement des missions du fonds de garantie
contre les accidents de la circulation
637.
- 3 novembre 1999. -
M. Joseph Ostermann
attire l'attention de
M. le ministre de l'intérieur
sur les charges croissantes supportées par les collectivités locales en matière
de service d'incendie et de secours. La loi n° 96-369 du 3 mai 1996, relative à
la départementalisation des services d'incendie et de secours, prévoit le
transfert à l'échelon départemental de tous les moyens humains et matériels
affectés à ces services. Les collectivités locales doivent ainsi faire face à
un alourdissement des charges qui leur incombent du fait de la conjonction de
trois facteurs principaux : le coût lié à la mise en place des nouvelles
structures départementales, le rattrapage des disparités de moyens entre
communes et, enfin, un accroissement des interventions sur accidents de la
route ; accroissement dû à l'augmentation constante du nombre de véhicule à
moteur en circulation et exigeant une plus grande disponibilité des sapeurs-
pompiers ainsi que l'acquisition de matériel de plus en plus spécialisé et
sophistiqué. Ainsi, afin de permettre aux collectivités locales d'assurer leurs
missions dans de bonnes conditions et d'alléger le poids de ces charges, il lui
demande s'il ne serait pas envisageable d'élargir les missions du fonds de
garantie contre les accidents de la circulation afin de prévoir le versement
d'indemnités aux services d'incendie et de secours en fonction du nombre de
leurs interventions lors d'accidents de la route et en fonction du nombre de
sapeurs-pompiers présents dans chacun des départements. Ce fonds, prévu à
l'article L. 421-1 du code des assurances, est alimenté, notamment, par les
contributions des entreprises d'assurance et des assurés assises sur les primes
et cotisations perçues ou versées. Une telle mesure, qui ne grèverait nullement
le budget de ce fonds dont la mission initiale d'indemnisation des victimes
d'accidents dont l'auteur n'est pas assuré, perd de son acuité du fait du
renforcement de la législation et des contrôles en matière d'obligation de
souscription d'une assurance automobile.
Conséquences de la baisse de la TVA à 5,5 %
sur les travaux d'entretien
638. - 3 novembre 1999. - M. Philippe Richert appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les conséquences inattendues mais fâcheuses de la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 % sur les travaux d'entretien. Cette mesure, salutaire pour l'activité de ce secteur et la lutte contre le travail au noir, risque de mettre nombre d'artisans dans de grandes difficultés en asséchant leur trésorerie. En effet, alors qu'ils achètent les matériaux à leurs fournisseurs avec une TVA de 20,6 %, ils la facturent à leurs clients à 5,5 %. Ne pouvant récupérer cette TVA de 20,6 % qu'avec un fort décalage dans le temps (les demandes de remboursement de TVA ne peuvent être formulées que trimestriellement, voire annuellement au mois d'avril pour les petites entreprises), ces professionnels se retrouvent systématiquement créditeurs vis-à-vis des services fiscaux. Ces différentiels de trésorerie se chiffreraient souvent à plusieurs centaines de milliers de francs par an, mettant bon nombre d'artisans dans des situations financières difficiles, notamment vis-à-vis de leurs banques. Il lui demande donc quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour parer au plus vite à ce problème, et notamment s'il envisage de permettre aux professionnels de formuler leurs demandes plus tôt, et d'accélérer les procédures de remboursement en vigueur.