Séance du 3 novembre 1999
RÉDUCTION NÉGOCIÉE
DU TEMPS DE TRAVAIL
Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 22,
1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence,
relatif à la réduction négociée du temps de travail. [Rapport n° 30
(1999-2000).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est le
second projet de loi relatif à la réduction du temps du travail qui est soumis
à notre examen.
Ayant passé plus d'un quart de siècle à gérer et à développer une entreprise,
je constate que, contrairement au bon vin, vos intentions à l'égard des
entreprises ne s'améliorent pas avec le temps, madame la ministre. Travailler
moins et gagner plus, c'est le rêve de tout un chacun. Mais la France seule
peut-elle s'offrir ce luxe ?
Votre texte est inacceptable, d'une part, parce qu'il persévère dans son
application uniforme et contraignante, ignorant ainsi la diversité du tissu
économique français et, d'autre part, parce qu'il est révélateur de la méfiance
dont fait preuve votre majorité à l'égard de nos entrepreneurs, et ce par pure
crispation idéologique. Oui, mais au fait, les entrepreneurs, notamment ceux
qui dirigent les structures les plus petites, souhaiteraient également
travailler moins, peut-être sans gagner plus. Les charges diverses pesant de
plus en plus fortement sur le travail leur font passer cette envie. Cette loi
les pénalise une fois de plus.
En suivant les débats à l'Assemblée nationale, j'ai en effet été choqué à la
fois par les propos tenus à l'égard des responsables de nos entreprises et par
le durcissement du texte. J'y reviendrai dans quelques instants. Je conçois et
je comprends que le débat démocratique soit nécessaire. Cependant, nul doute,
madame la ministre, que les députés de votre majorité seront nombreux à créer
leur entreprise, à embaucher du personnel peu qualifié et démontreront ainsi,
par leur perspicacité, que gérer une entreprise, une PME notamment, confrontée
aux contrôles incessants et à une paperasserie contraignante est un jeu
d'enfant. Ou bien les donneurs de leçons se contenteront-ils d'appliquer le
vieil adage : faites ce que je dis, mais ne regardez pas ce que je fais.
Il est ainsi regrettable que, malgré les résultats peu vérifiables de la
première loi en termes de créations d'emploi, vous persistiez à imposer un
système contraignant, uniforme et totalement dépassé dans sa conception de
l'entreprise.
Les entreprises créatrices d'emplois, madame la ministre, ne sont plus les
grandes entreprises industrielles, ce sont les PME, en particulier dans le
secteur des services.
Permettez-moi de vous rappeler, pour vous en convaincre, que 99 % des
entreprises créées chaque année comptent moins de dix salariés.
La contribution des très petites entreprises à la création d'emplois est
importante puisqu'elle représente 288 000 emplois en 1998. Or le dispositif que
vous proposez, dont l'objectif initial, passé au second plan, est la lutte
contre le chômage, n'est nullement adapté aux besoins des petites entreprises
et, pis encore, menace le dynamisme de leur activité.
Je rencontre régulièrement les patrons de PME de mon département, en
particulier les artisans et commerçants, hôteliers, restaurateurs,
électriciens, chauffagistes. Tous s'accordent sur les conditions qui leur
permettraient de créer les emplois qu'ils hésitent aujourd'hui à créer du fait
d'une conjoncture instable et des rigidités administratives.
Premièrement, ils souhaitent un droit du travail plus flexible afin d'acquérir
la souplesse d'organisation nécessaire pour faire face aux variations de leur
carnet de commandes. Or le présent texte vient encore complexifier et
rigidifier la législation.
La deuxième attente des PME à l'égard de la politique de l'emploi a trait à la
simplification de la législation.
La complexité du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ne les
rassure ainsi nullement et risque de réduire à néant les efforts de votre
collègue Mme Lebranchu pour simplifier les formalités administratives. Force
est de constater que le présent projet de loi fera les beaux jours des
juristes, entraînera une multiplication des contrôles ainsi que des sanctions
financières, et encombrera encore un peu plus les juridictions.
Le troisième type de mesures attendues par les PME est une réforme de la
formation professionnelle, qui s'adapte mal à l'évolution de leurs besoins. Il
y aurait là un gisement formidable à explorer.
Permettez-moi de vous rappeler que de nombreuses professions, principalement
artisanales, peinent à trouver du personnel qualifié sur le marché. Ce ne sont
donc pas les 35 heures qui vont les inciter à créer les emplois qui n'existent
pas. Vous voulez apporter une réponse quantitative à un problème qualitatif.
Avant d'imposer les 35 heures, dont l'efficacité est discutable et le coût
prohibitif, ne serait-il pas plus efficace de réformer la formation
professionnelle, parent pauvre de notre système éducatif ?
Enfin, les PME attendent la poursuite de la politique de réduction de la
fiscalité et des charges, déjà amorcée par le gouvernement Juppé ; votre texte
va dans ce sens. En revanche, le plan de financement du présent projet de loi,
totalement irréaliste, ne rassurera guère les entrepreneurs.
Les PME vont à nouveau être mises à contribution, que ce soit à travers
l'écotaxe - qui devrait inciter à lutter contre la pollution - la taxe sur le
chiffre d'affaires ou la taxation des heures supplémentaires. En plus du coût
induit par la réduction des horaires, elles devront ainsi financer elles-mêmes
les aides qui leur sont accordées. Est-ce bien logique ?
Comment pouvez-vous légiférer ainsi à l'encontre des intérêts des entreprises,
et donc de l'emploi au moins à court et à moyen terme ?
Votre projet de loi risque d'avoir plusieurs conséquences fâcheuses pour les
entreprises. J'en citerai quelques-unes.
La première conséquence tient au fait que les entreprises dotées d'une
structure suffisamment solide seront certainement tentées par la
délocalisation. Certains secteurs déjà fortement affectés par ce phénomène,
tels que l'industrie textile et la chaussure, risquent ainsi d'être
définitivement sinistrés. Par ailleurs, nombre de projets d'implantation
d'entreprises étrangères seront certainement remis en question.
La deuxième conséquence touchera les régions frontalières, où nos entreprises
sont soumises à la concurrence directe des entreprises étrangères. On peut
craindre pour elles au mieux une baisse des commandes, au pire des fermetures.
Mais il faut surtout redouter une fuite de compétences, les salaires étant
différents d'un côté et de l'autre de la frontière. Ce sera notamment le cas
dans le secteur des transports.
La troisième conséquence possible est un recours accru des moyennes et des
grandes entreprises à la sous-traitance, secteur essentiellement composé de
petites entreprises ; celles-ci sont les moins armées pour absorber le choc des
35 heures, ce qui risque d'aggraver les dérives que nous connaissons déjà
aujourd'hui.
Enfin, les entreprises dont la production est déjà partiellement robotisée
régleront le passage aux 35 heures en investissant dans un robot
supplémentaire. Ce sont donc les toutes petites entreprises qui se trouveront,
à court terme, face à ce texte, qui est totalement inadapté à leur taille.
Si l'on peut, à la limite, admettre que le Gouvernement fait preuve de bonne
foi en réduisant le temps de travail, persuadé qu'il est que cela créera des
emplois - l'enfer est pavé de bonnes intentions ! - il est en revanche
inadmissible qu'il se montre aussi méfiant et aussi cynique à l'égard des
entreprises de ce pays. C'est pourtant grâce aux entreprises que l'économie
d'un pays se développe.
Le débat à l'Assemblée nationale fut très éclairant sur ce point. Il constitue
une illustration parfaite du jusqu'au-boutisme idéologique de la majorité
gouvernementale.
Ainsi, certaines entreprises et branches ont bien naïvement accepté de jouer
le jeu de la négociation après l'adoption de la première loi, vous permettant
ainsi d'annoncer des créations d'emploi et de vous féliciter du dynamisme du
dialogue social. Comment sont-elles récompensées aujourd'hui ? Le fruit des
accords qu'elles ont signés avec les partenaires sociaux est tout simplement
ignoré.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale, renouant, avec une certaine délectation,
semble-t-il, avec la lutte des classes, est venue durcir le texte. Les députés
communistes ont, par exemple, conditionné l'octroi des baisses de charges à la
création d'emplois, condition qui avait été abandonnée par le Gouvernement à la
suite du bilan décevant de la première loi.
(M. Jean-Luc Mélenchon
s'exclame.)
Le plus regrettable est que cette crispation idéologique ne soit que de pur
principe. Aucun objectif quantitatif n'est en effet fixé quant au nombre
d'emplois à créer, les aides étant fonction de la réduction du temps de
travail. Cette disposition risque toutefois, malheureusement, je le répète, de
pénaliser les petites entreprises. Il est en effet beaucoup moins aisé de créer
un seul emploi dans une petite entreprise que dans une grande. Dans les
entreprises de moins de neuf salariés, cette disposition n'est d'ailleurs
mathématiquement pas applicable.
A activité égale, seule une réduction du travail de quatre heures appliquée à
au moins dix salariés peut théoriquement entraîner la création d'un emploi à
temps plein.
Une fois encore, la crispation idéologique se fait au détriment du réalisme
économique et contre les entrepreneurs qui essaient modestement de maximiser
leur profit et de créer ainsi des emplois et non, contrairement à ce que
semblent encore croire certains lecteurs assidus d'Emile Zola, d'exploiter la
grande masse silencieuse.
Ce qui est, à mon sens, le plus choquant, c'est que cette méfiance à l'égard
des chefs d'entreprise n'est même pas contrebalancée par une protection accrue
du salarié. Le texte adopté par l'Assemblée nationale a, en effet, introduit de
nombreuses inégalités entre les salariés. Ces dernières ayant été relevées hier
soir, je n'y reviendrai pas.
Je citerai donc juste, sans entrer dans le détail, le cas des salariés à temps
partiel rémunérés au SMIC.
J'évoquerai par ailleurs la limitation des possibilités de recours aux heures
supplémentaires. En taxant de surcroît ces dernières, vous pénalisez non
seulement les entreprises mais aussi et surtout les salariés qui, contrairement
à ce que l'on semble penser, souhaitent non pas forcément tous travailler moins
mais gagner plus. La société des loisirs est un mythe. Jusqu'à preuve du
contraire, le travail reste le principal moyen d'insertion dans notre
société.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ah bon ?
M. Joseph Ostermann.
Pour conclure, permettez-moi à nouveau de dénoncer le caractère dangereux de
ce projet de loi.
Certes, madame la ministre, il est indéniable que l'emploi s'améliore ; les
statistiques le prouvent. Mais si l'emploi s'améliore, c'est grâce, entre
autres choses, à la création de près de 300 000 emplois-jeunes, qui sont des
emplois publics déguisés, et à la reprise de la croissance économique. Ne nous
y trompons pas ! La création des emplois marchands est due non au seul
gouvernement, mais aux entreprises. Rendons aux entrepreneurs cet hommage, car
ils le méritent !
Je crains que votre dispositif contraignant et coûteux pour l'entreprise
n'inverse cette dynamique à moyen terme. Le moindre choc économique ne
permettra pas à l'Etat de faire face à ces charges nouvelles.
Il n'est pas encore trop tard non pour faire marche arrière - vous ne le ferez
pas - mais pour mettre un terme à un entêtement suicidaire.
On peut d'ailleurs douter que cet entêtement soit totalement sincère lorsque
l'on a à l'esprit les propos hostiles aux 35 heures que vous teniez ici ou là
avant votre arrivée au Gouvernement, madame la ministre.
Sans modifications fortes, je ne pourrai voter un texte qui touchera de plein
fouet les personnels les moins qualifiés et qui va, à mon avis, à l'encontre
des intérêts de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, 35 heures
hebdomadaires, pourquoi pas ! La logique de diminution progressive du temps de
travail est inscrite dans notre histoire sociale.
Mais pourquoi obliger à travailler 35 heures ? Que des salariés puissent
assurer leur existence avec moins d'heures de travail, c'est leur choix ; mais
qu'en est-il de ceux qui veulent travailler davantage pour jouir d'une plus
grande liberté matérielle ? C'est ma première inquiétude et ma première
question, madame la ministre.
L'objectif de ce texte est la création d'emplois, préoccupation partagée par
l'ensemble des femmes et des hommes politiques. Le doute est cependant permis
quant à l'efficacité de celui-ci. Même votre ancien collègue le secrétaire
d'Etat Jacques Dondoux n'a pu retenir une de ses facéties en déclarant ceci : «
Ce qui est sûr, c'est qu'il est pas sûr que cette loi crée un seul emploi. »
(Sourires.)
Madame la ministre, le Gouvernement français est, hélas ! le
seul en Europe à croire que la mise en oeuvre de ce texte, coûteuse et dont le
financement n'est pas assuré, est la meilleure manière de créer des emplois.
Cela devrait vous interpeller.
Dans mon propos, je voudrais uniquement souligner certaines conséquences de
votre loi pour « la première entreprise de France », l'artisanat, qui concerne
1,5 million de salariés, ainsi que pour les petites entreprises traditionnelles
et les entreprises de nouvelles technologies.
Leur domaine, leurs espoirs et leurs structures sont bien sûr très éloignés
des sociétés qui trônent au CAC 40. Elles ne peuvent pas, comme celles-ci,
s'expatrier, poussées hors de France par la pression fiscale ou les charges,
car la vie quotidienne, affective et locale des artisans se confond avec celle
de leur entreprise.
Je n'aurai pas la discourtoisie d'imaginer que, depuis votre première loi sur
les 35 heures, votée le 13 juin 1998, vous êtes restée confinée dans votre
ministère ou dans votre bureau d'adjoint au maire de Lille. Je suppose que vous
avez rencontré des artisans ; je suppose que les artisans du Nord ont des
réactions très proches de celles des artisans du Gers sur votre texte. Ceux que
je rencontre me disent que ce projet de loi est injuste, inefficace et
inapplicable.
Premièrement, ce texte contribuera à alourdir encore et toujours les horaires
des artisans-entrepreneurs, car 80 % d'entre eux n'ont qu'un, deux ou trois
salariés. Ces chefs de petites entreprises s'interrogent : comment faire
fonctionner leur entreprise avec une réduction du temps de travail de leurs
salariés et sans la souplesse que confère un nombre suffisant d'heures
supplémentaires ? Leur conclusion est la même : ce sont eux qui devront
personnellement se substituer à leurs salariés alors qu'ils ont déjà des
journées très pénibles. Imaginez-vous, madame la ministre, qu'ils vont pouvoir
réduire leur propre durée de travail hebdomadaire à 35 heures ? Ils travaillent
souvent 50 ou 60 heures. Ils devront travailler encore plus pour rester dans la
légalité quant à leurs salariés ou pour préserver la vie de leur entreprise.
Deuxièmement, je crains sincèrement que votre texte ne crée pas d'emplois pour
autant. Vous allez me rétorquer que des syndicats ont signé un accord avec
vous. Alors, je m'interroge : les maçons, plombiers, plâtriers, charcutiers ou
autres que vous rencontrez...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Les gaveuses d'oies !
M. Aymeri de Montesquiou.
... et qui ne doivent pas être très différents de ceux avec lesquels j'ai
l'occasion de m'entretenir doivent vous dire qu'ils sont dans l'incapacité
d'embaucher, par manque de vocations. Ainsi, l'hypothétique création d'emplois
par le biais de votre loi ne pourra quasiment pas être mise en oeuvre dans
l'artisanat, faute de candidats, entre autres raisons. Et je ne développerai
pas, car je suis certain que vous en êtes consciente, le problème du travail au
noir vers lequel vous poussez les salariés dont les salaires sont bloqués, et
parfois en baisse, et qui disposent de plus de temps libre.
M. Jean-Claude Carle.
Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou.
Troisièmement et surtout, votre texte compromet l'égalité des chances. Madame
la ministre, sur toutes les travées de cette assemblée, chacun, peut-être par
des chemins différents, veut une plus grande égalité des chances. Contrairement
à ce que vous proclamez, votre loi est un obstacle majeur à cet objectif.
J'illustrerai cette affirmation par un seul exemple. Mon département a
bénéficié, dans la première moitié de ce siècle, d'une forte immigration
italienne. Ces Italiens sont arrivés pauvres, et souvent même très pauvres,
mais riches de leur courage, de leur savoir-faire, de leur volonté. Ils sont
aujourd'hui à la tête d'exploitations agricoles performantes ou de PME
dynamiques. Imaginez-vous qu'ils ont travaillé 35 heures par semaine pour
parvenir à ce résultat ? Imaginez-vous que votre loi leur aurait permis de
créer, par leur seul travail, un tel partimoine ?
Que répondez-vous à un salarié qui gagne 8 500 francs par mois grâce aux
heures supplémentaires et dont vous allez ramener le salaire à 7 500 francs ?
Pour vous, le fait de gagner 1 000 francs de plus ou de moins par mois est-il
indifférent ?
Qu'allez-vous conseiller au salarié qui vous dit qu'il veut travailler
davantage pour améliorer son logement, pour assurer des études à ses enfants,
pour se garantir une retraite digne ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Et les chômeurs ?
M. Aymeri de Montesquiou.
Qu'allez-vous répondre au jeune qui veut créer son entreprise artisanale avec
des camarades ? De travailler 35 heures ? Et pour quels revenus ?
Cette loi, en interdisant en particulier aux plus modestes d'améliorer leur
qualité d'existence, est antisociale. Les exemples que j'ai choisis sont tirés
de la vie quotidienne. Ils traduisent les aspirations de ceux qui veulent avoir
la liberté de travailler comme ils l'entendent. Le droit au travail, c'est
aussi cela.
Ne faites pas de fondamentalisme ou d'électoralisme sur le dos de ces petites
entreprises. Pour la quasi-totalité des artisans, ces mesures heurtent le bon
sens et blessent ceux qui ont toujours éprouvé de la fierté à progresser par le
mérite et le travail.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou.
Votre loi traduit une aspiration, mais elle nie toute liberté individuelle ;
elle bloque en l'état les différentes strates sociales qui sont, qu'on le
regrette ou non, étroitement liées au niveau de vie.
Alors que la jeunesse de France trouve de plus en plus ses modèles chez les
sportifs, alors qu'elle se rend compte que ces femmes ou ces hommes se sont
surpassés dans l'effort, votre projet de loi s'oppose à cette logique : vous
fixez des limites, vous mettez des barrières aux ambitions de réussite, vous
interdisez aux jeunes - et aux moins jeunes - de choisir la vie qu'ils veulent
bâtir grâce à leur travail.
(M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme la
majorité de mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique social et
européen, je suivrai l'avis de la commission des affaires sociales.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe
socialiste fera son devoir de législateur dans la discussion des articles. Il
proposera les amendements qui lui semblent nécessaires pour garantir les droits
des salariés sur quelques points qui lui paraissent devoir mériter encore à ce
moment du débat, c'est-à-dire après le travail de l'Assemblée nationale, que
l'on retienne encore votre attention, madame la ministre, et surtout que l'on
tâche de convaincre les parlementaires qui, en définitive, ont le dernier mot
ici.
Hélas ! - il faut bien l'avouer - nous avons peu d'illusions ! Non pas à
propos de votre attention, madame la ministre, car nous savons qu'elle nous est
acquise.
M. Patrick Lassourd.
Pas sûr !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais ce qu'ont dit à cette tribune nos collègues de droite, qui forment la
majorité de cette assemblée,...
M. Henri Weber.
Hélas !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... n'est, à la vérité, guère prometteur.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je suis au regret de vous dire
que vous êtes tragiquement conformes au trait de crayon qui dessine votre
caricature depuis un siècle sans qu'il soit besoin de ne rien y ajouter !
(Vives protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du
RPR et de l'Union centriste.)
M. Dominique Leclerc.
Quelle arrogance !
M. Alain Gournac.
C'est vous, la caricature, monsieur Mélenchon !
M. Robert Bret.
Non, il n'y a qu'à vous écouter !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et l'éloge que nous venons d'entendre de la psychologie et de la culture de
bête de somme...
(M. Alain Gournac s'exclame.)
Si vous souhaitez m'interrompre, je l'accepterai très volontiers. Mais il
me semble que vous n'êtes pas le mieux placé pour parler de caricature...
(Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste.)
M. le président.
Je vous en prie, mes chers collègues ! Laissez parler M. Mélenchon !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... après l'éloge de la mentalité de moujik qui vient d'être fait à cette
tribune il y a encore un instant !
Mme Nelly Olin.
Choquant !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Dès qu'il s'agit d'un progrès social, c'est toujours « non », avec les mêmes
mots, les mêmes pleurs sauriens abondants, les mêmes tableaux de catastrophe,
et ce depuis un siècle ! Il était donc bien normal que notre projet de
réduction du temps de travail,...
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Négociée !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... ces 35 heures qui claquent sur nos banderoles depuis tant d'années,
n'échappe pas à la règle, puisqu'il s'agit d'un progrès social, et de quel
progrès social !
M. Alain Gournac.
Oh !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je veux tout de même saluer la grande cohérence de votre point de vue dans la
conformité au modèle de pensée qu'il faut bien qualifier littéralement de
réactionnaire.
(Protestations sur plusieurs travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Eh oui, vous allez voir ! En
effet, voilà quelques semaines, vous ne vouliez ni du pacte civil de solidarité
ni de la parité !
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela n'a rien à voir !
Un sénateur du RPR.
Hors sujet !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous trouvez qu'il y a toujours trop de libertés dans les relations
individuelles.
(Protestations sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RRP et de l'Union centriste.)
M. Aymeri de Montesquiou.
Au contraire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais en matière de relations sociales et d'économie, c'est tout l'inverse :
vous trouvez toujours qu'il y a trop de contraintes !
M. Henri Weber.
Bonne remarque !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Si bien que c'est assez classiquement - mais ne vous en indignez pas, c'est
légitime - toute une vision du monde et des relations humaines qui s'exprime
dans ce balancement entre l'ordre moral et le libéralisme économique.
(M. Alain Gournac rit.)
Un sénateur du RPR.
Cela n'a rien a voir !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je ne vous citerai que Brel : « Il faut bien pour vous toujours que le corps
soit tenu en laisse. »
(Rires sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Au passage, il arrive aussi que vous vous mettiez en posture délicate au
regard d'autres principes que vous affichez volontiers en d'autres
circonstances. N'était la gravité du sujet, je m'amuserais de certains
silences. Alors quoi ? Dans une assemblée qui compte autant de coeurs battants
souverainistes, pas un mot pour contrer ceux qui viennent gémir à la tribune
sur cette nouvelle exception française qu'est la loi sur les 35 heures ? Le
souverainisme ne dépasserait pas les fontières à respecter de la qualité du
foie gras et du fromage ?
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est important !
(Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Puisque vous évoquez notre rapport au monde, alors l'homme de gauche que je
suis, parlant pour ses amis, veut vous dire ce qu'il ressent à cet instant.
Nous, la gauche, nous sommes fiers de ce que nous sommes en train de faire
parce que nous parlons au monde.
(M. Alain Gournac s'exclame.)
J'ai dit : « au monde » dans toute la prétention de ce terme. Pas au monde des
puissants, des financiers et de leurs pauvres récitants politiques,...
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
Un sénateur du RPR.
C'est scandaleux !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... mais à celui des braves gens tout simples, qui, sous toutes les latitudes,
s'entendent rabâcher matin, midi et soir qu'on ne peut rien contre l'ordre qui
les plie.
(M. Jean-Jacques Hyest s'exclame.)
Et nous, les Français, maîtres chez nous dans la quatrième puissance du monde,
nous montrons qu'on peut choisir une autre voie, que le progrès social est
possible, et nous le prouvons. De plus, et cela vous agace assez, cela marche
!
M. Alain Gournac.
Mais non, pas du tout !
M. Patrick Lassourd.
C'est une caricature !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà, selon moi, une bonne exception française et une bonne démonstration de
ce qu'est notre souverainisme à nous.
La souveraineté que nous respectons et faisons vivre, c'est la volonté
populaire qui s'est prononcée sur un programme, mes chers collègues,...
M. Henri Weber.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... sur un programme dont est issue cette majorité et qui ne comportait aucune
sorte d'ambiguïté sur cette question des 35 heures. Et ce programme est tenu
!
Vous, vous nous demandez de renoncer à ce qui a pourtant été décidé par notre
souverain, vous nous proposez de mentir.
(M. Alain Gournac rit.)
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Ce ne sera pas la
première fois !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bref, votre souverainisme, le voilà : souverainisme au balcon pour les effets
de manche et, le reste du temps, mondialisme au tison.
Mais ce n'est pas le plus grave, je vous le concède : en fin de discussion,
mes chers collègues, nous aurons à voter un texte et ce ne sera plus celui du
Gouvernement ni celui de la majorité de gauche de l'Assemblée nationale, il
faut le craindre. Ce sera le vôtre, tel que vous l'aurez construit avec vos
amendements.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est cela, la démocratie !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je crois donc très utile de souligner, pour ceux qui nous écoutent, que non
seulement vous avez l'intention d'empêcher les 35 heures - ce qui, après tout,
est votre droit le plus légitime car vous ne vous êtes jamais engagés sur cette
question - mais que, surtout, vous avez la volonté d'instaurer dans ce pays,
par-dessus le marché, à travers vos amendements, un code de travail que je vous
mets au défit d'inscrire noir sur blanc dans vos programmes électoraux, tout
comme je vous mets au défi d'aller à la rencontre de ceux à qui il
s'appliquerait.
Mme Gisèle Printz.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mes chers collègues qui siégez à gauche de cet hémicycle, quelles que soient
les insatisfactions qu'une loi de cette importance laisse nécessairement, nous
aurons à les mettre en balance avec ce qui serait advenu si cette majorité
sénatoriale avait politiquement le dernier mot car, au-delà des grands
mouvements oratoires auxquels nous avons assisté et de votre adhésion de
dernière minute à une réduction du temps de travail d'autant plus improbable
que vous la renvoyez au bon coeur bien connu de ceux que nous
connaissons,...
M. Alain Gournac.
On l'a fait avant vous !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... il ne resterait de cette loi que les allégements de cotisations sociales
patronales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
Vous avez mal lu nos amendements !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Pour le reste, ce serait le rêve libéral enfin accompli...
M. Robert Bret.
Ultra-libéral !
M. Jean-Luc Mélenchon
... avec le travail aux pièces, avec la vie intégralement soumise au rythme du
carnet de commandes.
Ce n'est pas la vision que nous avons de la vie ! Il y a autre chose que le
travail dans l'existence, il y a ce droit au bonheur tout simple que l'on se
procure ailleurs et qui est la raison pour laquelle on va au travail : c'est
pour y acquérir un revenu, figurez-vous, et pour rien d'autre !
M. Patrick Lassourd.
Qui paie les impôts ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous voulez quelques exemples ? Ecoutez-moi, parce que vous n'avez peut-être
pas été assez attentifs, on s'en rend compte quand on met bout à bout vos
amendements.
Avec vous, le temps d'habillage et de déshabillage ne serait pas du temps de
travail effectif, même s'il se fait par obligation d'hygiène. Nettoyez une
carcasse, peignez une machine, c'est du travail ; habillez l'homme pour le
faire, c'est du loisir.
Les équivalences, ce tour de passe-passe qui permet de dire qu'une durée
excessive du temps de travail...
M. Alain Gournac.
C'est une caricature !
M. Jean Delaneau,
président de la commission.
C'est nul !
M. Dominique Leclerc.
Que connaissez-vous de l'entreprise ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
J'y ai travaillé, monsieur, pendant plus longtemps que vous ! Car, moi, je ne
suis pas né avec une cuiller d'argent dans la bouche !
(Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie !
Poursuivez, monsieur Mélenchon.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Sans invectiver vos collègues !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous me décomptez les arrêts de jeu, monsieur le président !
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie ! Hier, M. Mélenchon a interrompu M.
Gournac dix-neuf fois en vingt et une minutes
(Ah ! sur les mêmes travées),
et je comprends que vous soyez éventuellement tentés de prendre votre
revanche. Mais la meilleure réponse serait sans doute de l'écouter !
M. Henri Weber.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je vous remercie, monsieur le président.
Les équivalences, ce tour de passe-passe qui permet de dire qu'une durée
excessive du temps de travail est une durée normale, seraient instaurées par un
simple accord d'entreprise. Adieu l'ordre public, auquel, je le crois pourtant,
tous les républicains devraient être attachés. Des centaines de milliers de
salariés peuvent méditer sur ce que cela pourrait signifier sur leur propre
situation !
Avec vous, plus besoin d'accords pour mettre en place des astreintes, le
patron décidera seul ! Au demeurant, l'employeur ne serait plus tenu
(Nouvelles protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et
du RPR.)
C'est un de vos amendements !
M. Robert Bret.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
L'employeur ne serait plus tenu de les programmer...
M. Alain Gournac.
Changez de siècle !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... et de prévenir le salarié, fût-ce vingt-quatre heures à l'avance.
Ce sont vos amendements !
Puis, quand le moment vient quand même où il faut parler de repos - car le
projet de loi prévoit d'en accorder pour mettre en oeuvre la réduction du temps
de travail -, votre amendement n° 52 établit que celui-ci sera pris d'un commun
accord entre le salarié et l'employeur. Vous êtes trop bons !
Avec l'amendement n° 12, vous rectifiez cependant cette tendresse : il sera
possible de déroger au repos hedbomadaire.
Avec l'amendement n° 11, plus de réduction des maxima sur douze jours.
Quant aux jours de repos, vous préférez toujours qu'ils soient pris plus tard,
remis à l'année suivante, épargnés d'année en année sans aucune limite de
temps. Deux ans, proposez-vous ! Comme me disait un ami : « Comme je ne suis
pas sûr de ne pas être licencié avant de pouvoir prendre ces congés, tant qu'à
faire je prends le congé tout de suite et je travaille après ! »
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est révélateur !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais ce n'est pas tout : avec vous, la modulation pourra déroger aux maxima
quotidiens et hebdomadaires, elle ne devra même pas être justifiée par les
conditions économiques.
Tout le reste est de cette veine et, quand on en fait la liste - il faudra la
faire publiquement chaque fois qu'on le pourra - on se demande si vous avez
bien réalisé vous-mêmes ce que vous avouez.
Vraiment, je vous le redis : êtes-vous prêts à établir un programme électoral
de ces mesures ?
Mme Nelly Olin.
Oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et de celles-ci encore : pour ce qui concerne les cadres, vous les excluez
purement et simplement du droit commun. Les accords de branche, selon vous,
peuvent déroger à toutes les dispositions légales sur la durée du travail, aux
termes de votre amendement n° 16.
Pour les salariés à temps partiel, le contrat de travail ne devra plus
mentionner la durée du travail ni sa répartition.
Le refus d'effectuer des heures complémentaires - quel crime ! - quand le
salarié est informé moins de trois jours à l'avance - on se demande ce qu'il
peut avoir d'autre à faire ! - redevient un motif de licenciement, aux termes
de votre amendement n° 19, tout comme celui de la réorganisation des horaires.
Vous n'y connaissez qu'une exception : un pauvre diable peut venir vous
objecter sa vie privée, vous n'en avez rien à faire ; en revanche, si le même
pauvre diable, à la même heure, est retenu par un contrat de travail avec un
autre employeur, alors là il n'est plus question de licenciement, vous vous
inclinez respectueusement devant la force du contrat conclu avec un autre
patron.
M. Bernard Murat.
Vous méprisez le travailleur ! C'est honteux !
M. Jean-Claude Carle.
C'est caricatural !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais c'est votre amendement n° 20, mes chers collègues ! Si vous le trouvez
honteux, c'est votre affaire !
Vous supprimez les contreparties lorsque le délai de prévenance est réduit -
amendements n°s 21 et 53 - quand vous ne supprimez pas le délai de prévenance :
ainsi, il n'est plus besoin de prévenir la femme ou l'homme qui doit aller au
travail aux termes de l'amendement n° 53.
M. Bernard Murat.
Pauvre diable !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous supprimez la majoration des heures complémentaires avec l'amendement
22.
Vous supprimez le droit d'opposition des syndicats majoritaires à la
modulation annuelle du travail à temps partiel avec l'amendement 23.
Et ce n'est qu'une partie de la liste ! Ainsi, quand vous venez à cette
tribune plaider en frissonnant pour la sacro-sainte négociation qui, pour vous,
doit se substituer en permanence à la loi, n'oubliez pas que vos amendements
n°s 30, 31 et 32, en supprimant l'article 11 sur les modalités de la
négociation collective, s'attaquent aux conditions de la représentativité
syndicale des signataires des accords ainsi qu'à l'ensemble des modalités qui
permettent un meilleur équilibre dans la négociation collective. Vous dites
donc une chose à cette tribune mais vous amendez d'une autre manière.
J'arrête là : dans la discussion des articles, nous en verrons d'autres, et
non des moindres.
Madame la ministre, si jamais vous étiez tentée de le faire, je vous demande
de ne faire aucun compromis avec une telle logique. D'ailleurs, vous n'en
feriez jamais assez à leur goût, et les discussions qui se suivent depuis la
loi Balladur témoignent assez de ce qu'est votre état d'esprit, mes chers
collègues majoritaires dans cette assemblée.
Tout au contraire, c'est à ceux qui nous écoutent, c'est à la masse immense
des salariés qui savent que, ce qui se joue, c'est l'organisation de leur vie
quotidienne, leur dignité, leur droit au bonheur simple de vivre la vie comme
elle va et où il n'y a pas que le travail qui compte, c'est à eux que nous
devons encore des garanties là où ils nous ont signalé leurs inquiétudes, et
parfois même leur angoisse.
M. Patrick Lassourd.
C'est une question d'argent, c'est tout !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je pense ici, par exemple, à la clause concernant le licenciement de ceux qui
ne pourraient se plier aux conséquences de la nouvelle organisation du travail
: je crois qu'il faut améliorer cette disposition.
Je pense, par exemple, à la question cruciale du mode de comptabilisation du
temps de travail des cadres devant le risque que la formulation actuelle du
projet de loi ne fasse d'eux - ils le voient de cette façon - plutôt des
perdants que des gagnants. Or c'est une loi à laquelle, mes chers collègues, ne
vous en déplaise, il ont droit, comme tous les autres salariés !
M. Claude Huriet.
Cela ne nous déplaît pas !
M. Patrick Lassourd.
Au contraire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est d'autant plus vrai que, sur cette question, la comptabilisation en
jours, vous le savez, est un des plus puissants outils de la discrimination
sexiste dans l'accès aux responsabilités d'encadrement.
Mais nous verrons tout cela dans la discussion des articles en cause.
Pour conclure, voilà ce qui me semble essentiel dans ce que nous entreprenons,
au-delà de l'immense satisfaction qui est de faire voter une loi de progrès
social et, une nouvelle fois, de marquer par un moment fort...
M. Alain Gournac.
Les moments forts, c'est nous !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... la législature de gauche au service du très grand nombre qui vit de son
travail et n'a d'autre richesse à partager que son savoir-faire, son
intelligence et son dévouement.
Madame la ministre, mes chers collègues, dans le moment - je rejoins en cela
les propos de l'un de nos collègues - où la maîtrise des temps sociaux est au
coeur même des enjeux de notre époque, il s'agit, en quelque sorte, d'en fixer
la grammaire.
Le temps social est une propriété de l'ordre social ; il est donc, en quelque
sorte, soumis au mouvement du temps dominant. Et, le temps dominant, c'est le
temps de l'instantané : d'abord celui de l'argent, puis, compartiment par
compartiment, celui de la production, celui de l'échange.
Si un tel système parvenait à tout dominer - et jusqu'à la journée de travail
- alors, c'est ce que vous connaissez : c'est le système du stock zéro, le
système du flux tendu, le système de l'ouvrier ou de l'ouvrière, du travailleur
ou du salarié rivé aux fluctuations du carnet de commandes. Et tout ce que vous
aurez réduit dans la friction entre ces temps individuels et ce temps de
production, vous le répercutez directement, en asynchronie croissante, dans la
vie de la société, dans la vie des familles.
C'est pourquoi il importe de délibérer et de fixer cette grammaire du temps
social à travers le temps du travail.
M. Alain Gournac.
Quelle grammaire ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et, le faisant - ce sera ma conclusion -, nous avons à rendre un arbitrage
éminemment moderne parce que c'est là que se trouvent les mises en cause les
plus fondamentales du temps que nous vivons, un arbitrage entre le temps
individuel dont nous devons décréter s'il est seulement le temps de la
production ou s'il est aussi le temps du développement et de l'épanouissement
de la personne humaine - c'est la logique du développement humain, qui s'oppose
aux logiques productivistes - un arbitrage, enfin, avec les temps collectifs,
mes chers collègues : si vous n'instaurez pas des cycles dans la production et
dans le rythme du temps de travail, alors vous désarticulez tous les temps
collectifs, il n'y a plus de place pour la famille, il n'y a plus de place pour
la vie de groupe, il n'y a plus de place pour la démocratie.
Scander le temps social, le maîtriser, c'est, en définitive, répondre tout à
la fois à l'aspiration républicaine d'épanouissement de la personne et de
maîtrise de notre démocratie !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Henri Weber.
Très juste !
M. le président.
La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard.
Ramener la durée légale du temps de travail à 35 heures par semaine - grande
idée s'il en est ! - n'est pas, contrairement à ce que vous affirmez, madame la
ministre, une avancée sociale.
Pourquoi ? Parce que vos propositions ne répondent ni aux exigences de la
mondialisation de l'économie à laquelle notre pays doit faire face, ni aux
besoins des entreprises, ni, enfin, aux souhaits des salariés.
Dans le texte que vous nous soumettez, la réduction du temps de travail est
non pas négociée, mais imposée. De ce fait, elle pénalise l'économie française,
qui devient de moins en moins compétitive, favorise les délocalisations et
bloque les implantations de filiales étrangères en France.
Nous sommes tous favorables à la lutte contre le chômage pour tendre vers le
plein emploi. Mais, madame, votre texte est d'un autre siècle, et pas le xxie
siècle en tout cas.
Les besoins des entreprises sont multiples et leurs possibilités de modulation
du temps de travail très différentes.
Vous avez la prétention, à l'heure où le collectivisme est battu en brèche
partout dans le monde, de gérer mieux que les artisans, mieux que les
commerçants, mieux que tout chef d'entreprise. Madame la ministre, vous niez
aux Français toute capacité à assumer des responsabilités et à connaître le
marché qui les concerne.
Quant aux valeurs humaines des hommes et des femmes de ce pays, vous les
bafouez : en effet, vos propositions considèrent tout patron comme un
exploiteur potentiel de ses employés.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Moinard.
Le chef d'une entreprise textile vendéenne écrivait, voilà quelque temps, la
phrase suivante : « C'est un devoir pour vous, femmes et hommes politiques, de
réagir très vivement face à un Etat qui nous prépare un enterrement de première
classe. » Il m'interpellait par ailleurs en me transmettant par fax la
publicité d'un grand groupe de distribution diffusée dans un quotidien
régional. Je tairai les noms de l'un et de l'autre, mais je tiens ce document à
votre disposition. Celui-ci annonçait la mise en vente d'un lot de 60 000
chemises au prix de vingt-neuf francs l'unité ou de soixante-neuf francs les
trois. Ce chef d'entreprise m'interrogeait : « Que me conseillez-vous de faire
dans de tels cas ? Imposer un rythme de travail insoutenable à mes employés ?
Procéder à des délocalisations ? Ou encore me résigner à la disparition de
l'entreprise, en licenciant tout le personnel ? »
Non seulement l'élan des entrepreneurs est brisé par la multitude et la
complexité des dispositions modifiant le code du travail et dont vous venez de
nous donner les grandes lignes, mais encore les salariés sont ignorés dans la
diversité de leurs aspirations : je pense notamment ici à la taxation des
heures supplémentaires et à la rigidité de la gestion du « compte épargne temps
».
Madame la ministre, comment pouvez-vous prétendre être en phase avec nos
concitoyens entrant dans le troisième millénaire quand vous leur imposez à tous
le même mode de vie au travail, en faisant fi de toute considération liée à la
pénibilité des tâches, en assortissant le travail à temps partiel de
contraintes et en refusant de prendre en compte avec souplesse les aspirations
du salarié, lesquelles peuvent évoluer en fonction de son âge et de ses charges
familiales. A la souplesse, vous répondez par la rigidité ! A la simplicité,
vous répondez par la complexité ! Au travail justement rémunéré, considéré
comme valeur de référence dans une société digne de ce nom, vous opposez
l'encouragement donné au travail illégal !
Allez-vous donner à croire que le travail est un mal nécessaire ? Je pense
pour ma part que le travail, dans quelque branche que ce soit, permet à chacun
d'apporter sa quote-part à l'évolution du monde et au dynamisme de notre
environnement. Ensuite, sa tâche accomplie, il est bon et indispensable que
tout travailleur puisse bénéficier de loisirs personnels, en famille ou en
société.
Pour conclure, madame la ministre, je voudrais vous poser des questions
touchant au financement des mesures d'accompagnement de la réduction du temps
de travail.
Vous avez déclaré, en préliminaire à l'examen par l'Assemblée nationale du
projet de loi relatif au financement de la sécurité sociale, qu'« il n'y aura
pas de contribution, ni à la charge de l'UNEDIC ni à la charge de la sécurité
sociale, dans le cadre du projet de loi 2000 ». Pouvez-vous prendre cet
engagement pour les années suivantes ?
Le gouvernement auquel vous appartenez a décidé d'affecter une fraction des
droits sur les alcools au fonds d'allégement des charges. Ces ponctions seront,
selon les premières estimations, de l'ordre de 5,6 milliards de francs en 2000,
et atteindront jusqu'à 13 milliards de francs à l'avenir. Or les droits sur les
alcools constituaient jusqu'à présent une des recettes du fonds de solidarité
vieillesse. Indirectement et contrairement à ce que vous affirmez, la sécurité
sociale va donc bien participer au financement des allégements de charges
sociales prévus pour les entreprises signant un accord sur les 35 heures !
Madame la ministre, quelles sont vos propositions pour assurer la pérennité du
financement des mesures que vous imposez ? Contrairement à vous, je fais
confiance à la négociation.
M. Alain Gournac.
Moi aussi !
M. Louis Moinard.
Je veux encourager l'essor de l'actionnariat salarié et consacrer en priorité
les fonds publics à l'allégement des charges sur les salaires les plus
modestes, afin de créer des emplois.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Louis Moinard.
Je ne voterai donc pas votre projet de loi, madame la ministre,...
M. Alain Gournac.
Vous avez raison !
M. Louis Moinard.
... dont l'intitulé devrait être : « Réduction imposée du temps de travail
».
M. Alain Gournac.
Oui ! Pas « négociée » !
M. Louis Moinard.
Ainsi que l'a résumé récemment un journaliste, en parlant de ce texte, « tout
ce qui n'est pas interdit est obligatoire ! ».
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la loi du 13
juin 1998 invitait, incitait les partenaires sociaux à négocier des accords de
réduction du temps de travail. Plus d'une centaine d'accords ont ainsi été
conclus, dont un bon nombre ont reçu votre agrément, madame le ministre.
Cependant, au sein des branches concernées, peu d'entreprises ont mis ces
accords en pratique, car elles attendaient le vote de la seconde loi.
Or, ce second texte ne reprend pas la totalité des dispositions qui avaient
été prévues dans les accords. On est loin du compte, en ce qui concerne tant
les heures supplémentaires que la formation ou le régime applicable aux cadres.
Par exemple, tous les accords ou presque précisaient que les heures
supplémentaires pourraient être payées par le biais d'une majoration du
salaire, avec l'accord du salarié, le repos compensateur étant l'exception. Or
le projet de loi prévoit le contraire pour la rémunération des trente-sixième,
trente-septième, trente-huitième et trente-neuvième heures.
Dans ces conditions, comment feront les petites entreprises dans les branches
où aucun accord n'aurait été signé ? Comment une entreprise du bâtiment pourra-
t-elle gérer un contingent de 130 heures, étant donné les difficultés
inhérentes aux activités de cette branche ? Et même, madame le ministre,
s'agissant d'un accord qui a servi pratiquement de modèle à votre second texte,
celui qui concerne les experts-comptables, une contradiction demeure. L'accord
prévoit en effet qu'un cabinet de plus de vingt salariés qui n'appliquerait pas
la réduction à 35 heures du temps de travail verserait en 2000 à ceux-ci une
majoration de salaire de 10 % pour les quatre premières travaillées au-delà de
35 heures, or la loi stipule que cette majoration de 10 % alimentera un fonds.
Comment concilier ces deux dispositions ? Non, les accords n'ont pas été repris
dans votre projet de loi. C'est un mauvais coup qui a été porté à la
négociation !
Un autre mauvais coup tient au financement de votre dispositif. Je ne
reviendrai pas sur les prélèvements qui devaient être opérés sur l'UNEDIC et la
sécurité sociale, puisque vous avez fait marche arrière, mais je m'interroge
sur le produit de la contribution de 10 % prélevée sur la rémunération des
heures supplémentaires. On parle à ce propos d'une recette de 7 milliards de
francs pour l'année 2000 : cela signifie que les entreprises de plus de vingt
salariés feraient effectuer plus d'un milliard d'heures de travail
supplémentaires au titre des quatre premières heures travaillées au-delà de 35
heures. Cela fait beaucoup ! Comment arrive-t-on à une telle recette ? Cela
voudrait-il dire que peu d'entreprises passeront à 35 heures ? Et que se
produira-t-il dans l'avenir si, comme vous le souhaitez, les entreprises sont
de plus en plus nombreuses à réduire à 35 heures la durée du travail ? D'un
côté il faudra plus d'argent pour financer les allégements de cotisations
sociales, de l'autre le fonds en recevra de moins en moins. Comment ferez-vous,
madame le ministre ?
Il existait peut-être une solution plus simple, qui aurait convenu aux
salariés : maintenir à 39 heures le temps de travail et diminuer les
cotisations sociales qu'ils acquittent. Cela aurait été moins complexe et plus
satisfaisant pour eux.
Par ailleurs, il y a un autre sujet que vous n'avez pas abordé, ou alors d'une
manière tout à fait détournée : je veux parler du multisalariat. Seuls, dans
votre texte initial, l'article 6, traitant du temps partiel, et l'article 8,
relatif aux congés, faisaient allusion au fait qu'un salarié pouvait avoir plus
d'un employeur. L'Assemblée nationale a d'ailleurs supprimé cette référence
dans la rédaction de l'article 6. Pourtant, le 11 mars dernier, lors de la
discussion de ma proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé,
Mme Nicole Péry avait indiqué à cette tribune, en soulignant la pertinence des
dispositions contenues dans ce texte, que le Gouvernement était « déterminé à
aborder cette question lors de la discussion de la seconde loi sur les 35
heures ». Or ce sujet n'est nullement traité dans le projet de loi.
Quand on vous parle de multisalariat, vous évoquez, madame le ministre, les
groupements d'employeurs. Or ce ne sont pas des notions contradictoires ; bien
au contraire, elles se complètent. Quand la constitution d'un groupement n'est
pas possible, le multisalariat permet alors aux entreprises de bénéficier de
compétences non exercées à temps plein en leur sein.
Sur ce point, j'aurais souhaité que vous puissiez entendre, le 30 septembre
dernier, à Orléans, le témoignage d'une jeune femme ingénieur. Licenciée par
une entreprise où elle occupait un poste à plein temps, cette jeune femme a
d'abord trouvé un emploi à temps partiel, situation qu'elle a considéré comme «
subie » de par le faible nombre d'heures de travail qu'on lui proposait. Elle
en a trouvé ensuite un deuxième, puis un troisième et encore un quatrième, pour
aboutir au total à l'équivalent de 80 % d'un temps plein réparti entre quatre
entreprises. Elle ne cherche plus, elle est très satisfaite de son sort et elle
ne voudrait pour rien au monde changer de situation. En concertation avec ses
quatre employeurs, elle a organisé son temps de travail et ses congés. Elle est
parfaitement intégrée dans chacune des quatre entreprises, elle s'enrichit des
expériences différentes rencontrées dans chacune d'elles et elle leur apporte,
par transferts, des enrichissements.
Cependant, outre les freins psychologiques qui empêchent le développement de
cette forme de travail, elle me disait que les obstacles juridiques ne sont pas
négligeables. Si pour elle tout se passe bien, tel n'est pas toujours le
cas.
En effet, il n'est pas toujours aisé, pour un salarié, d'une part de trouver
plusieurs entreprises qui veuillent bien l'accueillir et d'autre part de
pouvoir négocier, à armes égales, avec chacun de ses employeurs. C'est pour
cette raison que se mettent en place, ici et là, des structures destinées à
faciliter les relations entre salariés et employeurs et à aider les premiers à
définir les contrats. Ce qui est remarquable, c'est que ces structures
accueillent souvent, outre des représentants de l'ANPE, des unions patronales,
des chambres consulaires et des associations travaillant sur le temps partagé,
des représentants régionaux ou départementaux de votre ministère.
Alors, pourquoi ne pas accepter de mettre en place un cadre permettant de
préciser les conditions d'exercice de cette nouvelle forme de travail ? Malgré
le dépôt d'un amendement par notre excellent rapporteur, M. Souvet, visant à
rétablir, à l'article 6, la référence à un autre employeur, je présenterai un
autre amendement tendant à définir le contrat de travail à temps partagé.
Je dirai pour conclure que, complexe, compliqué, manquant de réalisme, ce
projet de loi présente, en l'état, des difficultés de mise en oeuvre
insurmontables, surtout pour les petites entreprises. Comme nous l'avons dit
lors de l'examen de la première loi sur la réduction du temps de travail, il
entraînera automatisations et délocalisations, mais peu ou pas de créations
d'emplois.
De plus, les dispositions qu'il prévoit sont en contradiction avec
l'affirmation, de plus en plus souvent formulée par les experts, selon laquelle
il va falloir travailler davantage à l'horizon des années 2005-2010. En effet,
devant la croissance du nombre des inactifs, faudra-t-il demander plus aux
actifs, mettre plus tôt les jeunes au travail, retarder les départs à la
retraite, allonger la durée du travail ? Vraisemblablement, il faudra jouer sur
tous ces critères, en particulier sur le dernier, ce qui serait en
contradiction avec votre texte.
M. Henri Weber.
Quel progrès !
M. André Jourdain.
Ma crainte, madame le ministre, est que votre texte, dont la portée est avant
tout électorale, n'hypothèque lourdement l'avenir. En raison de cette crainte,
je ne voterai pas ce projet de loi dans la rédaction qui nous est proposée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la seconde loi
qui sera progressivement appliquée dans les entreprises entraînera, au-delà de
ses effets bénéfiques sur l'emploi directs ou indirects grâce au temps libéré,
une transformation sociale et culturelle.
Le partage du travail est en effet devenu la raison la plus actuelle et sans
doute la plus importante justifiant et imposant l'élaboration d'une politique
d'aménagement du temps. C'est une exigence forte pour faire face au chômage.
Il n'est plus d'actualité de reprocher au Gouvernement l'ambition de ses
objectifs. Il faut, au contraire, s'en féliciter : les changements majeurs
intervenus au sein de notre pays, les progrès sociaux réalisés, se sont tous
heurtés, dans un premier temps, à un refus systématique de la part des
conservateurs.
Sans parler de conservatisme, la grande majorité des employeurs était-elle
naturellement encline, même au nom du progrès social et de la création
d'emplois, à faire travailler moins leurs salariés, et ce à salaire égal ? Non,
la loi sur les 35 heures était donc bien nécessaire.
Cependant, l'objectif de la réduction du temps de travail n'est pas seulement
économique, même si cet aspect est important ; il est également social. La
réduction du temps de travail, par son potentiel d'innovations et de
transformations sociales, peut et doit s'inscrire dans un véritable projet de
société, si nous nous en donnons les moyens.
Le travail n'est pas ou n'est plus la forme de socialisation suprême, l'unique
composante de notre identité sociale. Bien sûr, c'est le travail qui donne tout
son sens et sa valeur au temps libre ; les chômeurs le savent mieux que
quiconque. Mais le lien social fondé sur l'économique doit-il être, sinon le
seul, du moins le lien prépondérant dans notre société ?
La compétition économique, l'exigence de la rentabilité et le culte de la
performance, renforcée par la peur du licenciement, ne peuvent être le
fondement d'une existence.
Transformer la place du travail dans notre vie, cela signifie non pas faire
l'éloge d'une société de la paresse et de l'inactivité, mais mieux répondre aux
mutations, déjà en cours, du travail et du temps libre, dans une période de
forts changements technologiques.
Si un des enjeux fondamentaux de l'avenir de notre société réside bien dans
l'aménagement du temps de travail et dans son organisation, se pose
immédiatement la question fondamentale de l'utilisation du temps libéré. Il ne
sera un temps conquis pour une vie meilleure que s'il est perçu par chacun
comme un projet et non comme un acquis que l'on engrange.
Il est une occasion offerte, pour chacun d'entre nous, de mieux maîtriser son
temps, de disposer de plus de temps pour soi et pour sa famille, pour un
engagement social et citoyen, pour une démocratie plus vivante et plus sociale,
en somme.
A une société de consommation et de profit succéderait progressivement une
société au service de l'homme, où la culture populaire, la joie de vivre, la
fête, le loisir créateur seraient accessibles au plus grand nombre, par la
maîtrise et l'utilisation intelligente du temps.
M. Henri Weber.
Très bien !
M. Serge Lagauche.
C'est pourquoi les 35 heures doivent offrir un cadre d'organisation du travail
qui favorise l'engagement citoyen. En cela, généraliser la possibilité de
prendre en compte, dans la détermination des horaires de travail, l'engagement
bénévole des salariés d'une entreprise, comme le prévoit l'article 8, constitue
une avancée. Mais ne conviendrait-il pas d'aller plus loin et d'aller vers un
statut du volontariat qui permettrait la pluriactivité et les solutions
d'alternance entre travail et engagement citoyen ?
M. Henri Weber.
En effet.
M. Serge Lagauche.
Cette notion de fractionnement du temps d'activité amène une autre question
fondamentale : notre conception linéaire de l'existence fondée sur le triptyque
formation - travail - retraite est-elle toujours viable ? Notre conception de
la formation correspond-elle aux conditions de vie d'aujourd'hui ?
Nous devrions raisonner en termes de cycles de vie pour, à terme, pouvoir se
former, travailler, donner aux autres, prendre sa retraite ou des temps de
pause à l'intérieur de sa période d'activité grâce à une organisation souple et
personnalisée des différents temps de l'existence.
Dans cette perspective et face aux mutations du travail, la problématique de
la formation tout au long de la vie prend tout son sens. Jamais le niveau et la
qualité des ressources humaines n'ont été aussi essentiels dans la création de
valeur. Il ne faudrait pas, dans ce contexte et avec l'accélération de la
mobilité professionnelle, que nous laissions les moins formés d'entre nous sur
le bord du chemin.
C'est pourquoi la notion de qualification initiale doit céder le pas à celles
d'adaptabilité et de professionnalisation grâce à la formation tout au long de
la vie.
Ainsi la réduction du temps de travail doit-elle s'inscrire dans la
perspective d'autres réformes ambitieuses, telles que celle des associations ou
de la formation professionnelle, afin de créer les conditions d'un changement
profond de société.
Madame la ministre, c'est votre opiniâtreté, votre sens du social, qui ouvrent
la porte à cette mutation. Ce grand projet des 35 heures que vous réalisez
remonte à 1981, à l'époque du ministère du temps libre d'André Henry, qui avait
suscité alors tant de sarcasmes.
M. Henri Weber.
A tort !
M. Serge Lagauche.
Votre loi, qui soulève tant de polémiques aujourd'hui, constitue avant tout
une exigence de progrès social partagé par tous, grâce à de nouveaux rapports
fondés sur le dialogue et la négociation et, en définitive, une exigence de
démocratie participative pour cette fin de millénaire.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud.
En ouvrant ce débat, vous nous avez appelés, madame la ministre, à un débat
démocratique.
Je ne peux que souscrire à votre voeu mais, aussitôt, je m'interroge sur les
raisons qui vous ont conduite à déclarer l'urgence sur ce projet de loi qui ne
me semble pourtant pas relever de la gestion des affaires courantes de la
France, mais bien plutôt conditionner de façon fondamentale l'évolution de
notre vie sociale.
Si vous me répondez qu'avec le projet de loi sur l'aménagement du territoire
de Mme Voynet, le texte sur la coopération intercommunale de M. Chevènement ou
la réforme de la justice de Mme Guigou, tous des textes importants, « c'est
dans les habitudes du Gouvernement », je ne serai pas satisfait !
Vous nous avez appelés aussi à un débat serein où les arguments effacent les
slogans.
Mes chers collègues, madame le ministre, mes arguments trouvent leur source
dans mon expérience professionnelle, et non dans des récitations politiques,
mon expérience de créateur et de chef d'entreprise, petite entreprise de treize
personnes, mais quand même, que j'ai dirigée jusqu'en 1996.
Mais, madame le ministre, à l'évidence vous ne voulez pas entendre les
arguments que l'on vous présente, préférant vous en tenir à l'idéologie.
Notre rapporteur, Louis Souvet, vous a excellemment et sans polémique démontré
qu'il n'était sans doute pas très honnête de ne brandir que la seule équation :
« réduction du temps de travail égale création d'emplois ».
M. Henri Weber.
C'est exact !
M. Philippe Arnaud.
M. Fourcade et après lui M. Arthuis vous ont dit, avec la force que donne la
clarté du propos, que nous n'étions pas opposés à cette évolution vers une
réduction du temps de travail, mais pas à n'importe quel prix, et surtout pas
dans les conditions de contrainte qui auront pour effets : un renchérissement
du coût du travail, donc un affaiblissement de la compétitivité de nos
entreprises, qui, même si l'économie va mieux, restent fragiles ; un risque
majeur de blocage des salaires, donc une baisse du pouvoir d'achat pour les
salariés ; enfin, une remise en cause autoritaire des accords négociés et
conclus par branche ou par entreprise, donc un coup porté au dialogue social et
aux partenaires sociaux, qui ont pourtant besoin d'être renforcés dans leur
fonction.
Oui, décidément, je suis surpris que ce soit précisément vous, madame, et ce
gouvernement, qui, dans ce domaine, utilisiez la force de la loi pour
contraindre tout un chacun à se soumettre à votre doctrine, alors même que, de
partout, on vous supplie de casser certaines rigidités qui paralysent
l'initiative.
On vous appelle à plus de souplesse, le temps de reprendre son souffle, de
conquérir de nouveaux marchés, de créer de nouveaux produits, de nouvelles
activités...
M. Henri Weber.
Qu'est-ce qu'on fait d'autre ?
M. Philippe Arnaud.
... et, par là, de conforter des emplois existants, d'en créer de nouveaux
sans artifices.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste.)
M. Henri Weber.
On en crée 400 000 par an !
M. Philippe Arnaud.
Oui, madame le ministre, comme vous l'avez dit, les 35 heures doivent être un
signal, un signal fort, un signal de progrès social et non de régression
économique.
Alors, restez dans le rôle qui doit être celui de l'Etat : aménagez
l'environnement des entreprises et créez les conditions favorables qui
permettent à ceux qui le peuvent, à ceux qui le veulent de passer à 35 heures.
C'est le sens de l'histoire, irréversible, sauf catastrophe. Alors, laissez les
acteurs écrire leur histoire à leur rythme !
Déblayez le terrain, levez les obstacles, incitez même pour avancer plus vite
vers cet objectif, mais ne contraignez pas.
Une réduction du temps de travail de 39 à 35 heures, présentée ainsi, paraît
évidemment facilement accessible : quatre heures par semaine... Cela devient
presque mesquin d'en faire une histoire.
M. Henri Weber.
C'est vrai !
M. Philippe Arnaud.
Pourtant, quatre heures par semaine sur 47 semaines travaillées, cela devient
188 heures, autrement dit l'équivalent de cinq semaines supplémentaires de
congés payés !
M. Henri Weber.
Moins les heures supplémentaires !
M. Philippe Arnaud.
Que l'on ne me dise pas que c'est une petite affaire que les entreprises
avaleront sans douleur !
Je suis même convaincu que si vous disiez aux Français : « Je vous offre cinq
semaines de congés payés supplémentaires », incrédules, ils souriraient,
sachant bien intuitivement que ce ne serait pas très sérieux.
M. Henri Weber.
Chiche !
M. Philippe Arnaud.
Passer sous la même toise toutes les entreprises quelle que soit leur taille,
quelle que soit la nature de leurs activités, grandes industries, PME,
artisans, agriculteurs, petits commerçants, passer sous la même toise tous les
salariés quels que soient leurs besoins ou leurs légitimes aspirations, relève
d'une inquiétante méconnaissance de la réalité du terrain, ou, plus grave, si
ce n'était pas le cas, d'une méprisante considération des situations de
chacun.
M. Henri Weber.
Ce n'est pas ce que fait la loi !
M. Philippe Arnaud.
Un jeune en charge de famille, désireux de construire sa maison et sa vie,
souhaiterait sans doute gagner un peu plus en faisant l'effort de travailler un
peu plus. Le même, quelques années plus tard, ses enfants sortis d'affaire,
maison payée et crédit remboursé, aspire peut-être légitimement à prendre un
peu plus de bon temps, à réduire son temps de travail, quitte à consentir un
petit effort financier.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il y a du chômage !
M. Philippe Arnaud.
Ces aspirations sont légitimes ; respectez-les !
S'agissant du financement de votre loi, quel détournement et quelle usine à
gaz !
Le 24 juin dernier, je vous disais ici même mon désaccord quant au recours à
l'écotaxe pour financer la réduction du temps de travail. Vous ne pouvez pas
ignorer, madame le ministre, les contraintes financières énormes qui pèsent
aujourd'hui et pèseront davantage encore demain sur les collectivités locales
et leurs administrés pour financer les services d'assainissement et le
traitement des ordures ménagères.
Une écotaxe sur tous les produits polluants et générateurs de déchets aurait
utilement et logiquement pu aider au financement de ces services.
Mais l'écotaxe ira aux 35 heures !
Et les droits sur les alcools ! Madame le ministre, à quoi sert le Parlement ?
On m'a expliqué ici même que le produit de la taxe sur les alcools devait
alimenter le fonds de solidarité vieillesse, servir la lutte contre
l'alcoolisme et payer les surcoûts liés à l'alcoolisme supportés par la
sécurité sociale. On me l'a expliqué ici même alors que je défendais les
produits charentais, entre autres.
Or vous réduisez les ressources de la sécurité sociale, vous ponctionnez le
fonds de solidarité vieillesse, mettant ainsi en cause le financement des
retraites par répartition, et de cela, nous en reparlerons !
Nos concitoyens contribuables, madame le ministre, n'y comprennent rien :
aucune lisibilité, aucun lien entre les 35 heures, une taxe sur les activités
polluantes et une taxe sur les alcools. Non, décidément, je ne comprends pas
moi non plus votre logique et, par conséquent je ne peux approuver votre projet
de loi. Une fois encore, je vous appelle à vous en remettre aux partenaires
sociaux.
Vous avez dit, monsieur Mélenchon, que j'était réactionnaire. Oui, j'accepte
ce qualificatif...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ah !
M. Philippe Arnaud.
... si c'est pour garantir plus de liberté aux entreprises, plus de liberté
aux travailleurs.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac.
Bravo !
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réduction
du temps de travail constitue une réalité historique en mouvement depuis
plusieurs décennies et traduit une légitime aspiration de l'homme. Ce qu'on
nous présente aujourd'hui comme une révolution n'est autre que la prise en
compte d'une logique s'adaptant, notamment, à l'augmentation de l'espérance de
vie.
Parallèlement à cette tendance, les salariés souhaitent une modulation de leur
temps de travail qui ne remette pas en cause le maintien de leur salaire.
Travailler moins sans diminution de rémunération correspond sans conteste à un
vrai progrès social, et la majorité sénatoriale l'appelle de ses voeux. Mais ce
progrès, comment le faire, pourquoi et pour qui ?
Il semble que le Gouvernement ait choisi de donner la plus mauvaise réponse à
chacune de ces trois questions fondamentales. Les modalités de cette loi
complexe et contraignante produiront les effets inverses de ceux qui sont
projetés. On va vers peu d'emplois créés et moins de compétitivité.
L'objectif avancé de progrès social masque en réalité la volonté d'imposer le
schéma idéologique socialiste, qui consiste à étatiser, à réglementer à
outrance. Les entreprises, particulièrement les PME et les TPE, seront les
premières à en faire les frais. Les prétendus bénéficiaires de cette loi, quant
à eux, les salariés, seront très pénalisés en termes de revenu, de qualité de
vie et de perspectives d'emploi.
En bref, ce texte censé faire progresser notre économie et notre société
constitue un recul, voire, et c'est plus grave, une faute sur tous les
fronts.
Premièrement, c'est une faute contre les entreprises, qui seront les premières
victimes du carcan paralysant des 35 heures.
Je ne vais pas revenir en détail sur les dispositifs qui ont été largement
évoqués par mes collègues. Je voudrais toutefois dénoncer le premier et grand
tort porté aux entreprises par cette loi : l'uniformité des mesures.
Madame la ministre, votre texte loge toutes les entreprises à la même
enseigne, sans tenir aucun compte de leur extrême diversité, aussi bien de
taille que d'activité.
Ce sont bien les petites, moyennes et très petites entreprises, ces grands
gisements d'emplois, qui seront les plus pénalisées. La réorganisation imposée
par la loi leur sera très difficile à assumer, en raison des contraintes
rigides et complexes des mesures et de la nature du personnel, qui n'est pas
interchangeable, caractéristique de ces petites entreprises.
Certains secteurs seront, eux aussi, pénalisés. Je pense notamment à
l'industrie agroalimentaire de transformation de la viande, qui a reçu de plein
fouet l'article 1er, voté à l'Assemblée nationale. Désormais, les temps
d'habillage et de déshabillage, si importants dans ce type d'activité où les
mesures sanitaires sont draconiennes, seront en effet inclus dans le temps de
travail effectif. Ces temps en étaient auparavant exclus, en vertu de la loi du
13 juin 1998...
Cette nouvelle définition du temps de travail « fusille » la compétitivité de
ces secteurs, déjà à faible taux de rentabilité. Le cas d'une entreprise de mon
département d'Ille-et-Vilaine en porte le témoignage : avec quarante minutes de
temps d'habillage et de déshabillage, auxquels s'ajoutent les temps de pause
réglementaires, c'est donc une heure par jour et par salarié qui va être
comptée comme travail effectif, soit cinq heures par semaine !
Cette entreprise va donc passer subitement, en temps de travail hebdomadaire,
non pas de trente-neuf à trente-cinq heures, mais de trente-neuf à trente
heures ! Je vous laisse apprécier la perte de production qui en découle ! Une
telle baisse de compétitivité jouera, à terme, contre l'emploi.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Gérard César.
Et le chômage !
M. Patrick Lassourd.
Cet exemple extrême révèle bien les conséquences perverses d'une loi dont les
effets seront très différents d'une entreprise à l'autre et qui sera donc une
source d'injustices et de profondes inégalités.
Une entreprise à faible valeur ajoutée et à forte proportion de main-d'oeuvre
peu qualifiée sera mise en péril par rapport à une grande entreprise en pleine
croissance dégageant un fort bénéfice, candidate idéale à « l'effet d'aubaine
», et disposant, bien sûr, des moyens financiers et humains pour faire face aux
35 heures.
Par ailleurs, les entreprises de secteurs très concurrentiels comme le
bâtiment auront du mal à se plier à la réglementation très stricte imposée par
la loi et elles ne créeront pas forcément des emplois nouveaux.
Dans ces conditions, les aides correspondant aux abattements de charges
n'auront pas le rôle incitatif escompté en matière d'embauche, mais serviront à
corriger les surcoûts issus de l'application de la loi !
C'est clair, ce projet de loi rigide est très inadapté aux réalités diverses
de l'entreprise.
Deuxièmement, ce texte est une faute contre les finances publiques et le
contribuable. Madame la ministre, quelle désinvolture !
Le caractère improvisé du financement des 35 heures, qui a été modifié en
dernière minute, traduit bien le caractère irréaliste de la loi.
Pour l'an 2000, le système « semble » sauvé. Mais, à terme, il en va tout
autrement.
Pour financer les 105 milliards de francs nécessaires aux exonérations de
charges, environ 80 milliards viendront des allégements de charges décidées
sous le gouvernement Juppé, de prélèvements sur les bénéfices et les activités
polluantes et des droits sur l'alcool aujourd'hui versés au fonds de solidarité
vieillesse.
Outre cette « pénalisation » du fonds de solidarité vieillesse, pourtant si
nécessaire au regard des perspectives démographiques de notre pays, et dont
personne ne semble s'émouvoir au sein du Gouvernement, il vous reste au moins
20 milliards de francs à trouver... Cela n'est pas sérieux !
On sait bien que, au bout du compte, ce seront les contribuables et les
salariés eux-mêmes, par le biais du prélèvement arbitraire sur les heures
supplémentaires, qui financeront les 35 heures !
Est-il bien raisonnable de créer des prélèvements nouveaux pour financer un
dispositif qui créera peu d'emplois ?
Avez-vous oublié que la France est dans une situation à la fois exceptionnelle
et paradoxale, avec un fort taux de croissance, un taux de prélèvements
obligatoires record et un taux de chômage très élevé ?
Quelle conscience avez-vous donc du Gouvernement de la France ?
Troisièmement, ce projet de loi est une faute contre l'emploi.
Le bilan de la première loi est apparu très décevant. Alors que vous annonciez
600 000 emplois nouveaux en deux ans, vous ne pouvez guère en reconnaître
aujourd'hui que 120 000, en vérité 84 000 si l'on exclut l'effet d'aubaine et
les créations d'emplois dans le secteur public.
De fait, c'est une fausse croyance, malheureusement bien ancrée dans
l'idéologie socialiste, que de penser qu'il existe une corrélation automatique
entre la réduction du temps de travail et le plein emploi.
Or, c'est avant tout la croissance qui crée de l'emploi...
M. Henri Weber.
On l'utilise !
M. Patrick Lassourd.
... et votre texte fait tout pour la brider !
(Exclamations sur les travées
socialistes.)
Il impose à tous une réduction du travail qui n'est souhaitée
ni de toutes les entreprises, ni de tous les secteurs ! Réglementer
uniformément le travail, c'est tout simplement freiner la production et perdre
des marchés.
Les statistiques récemment rendues publiques par Bercy ne disent d'ailleurs
pas autre chose ! C'est la croissance qui est à l'origine des emplois créés
depuis deux ans. Et, sur ces 560 000 emplois crées, seuls 40 000 sont
imputables à la réduction du temps de travail ! Or l'embauche se heurtera, avec
cette loi, à de multiples obstacles.
Quatrièmement, ce texte est une faute contre le bon sens.
Cette loi extraordinairement complexe constitue un tel maquis de règlements
que l'on me permettra de douter de sa mise en oeuvre !
J'en donnerai deux exemples : tout d'abord, le SMIC à deux vitesses, qui est
aussi inéquitable que tortueux, et le système de calcul des heures
supplémentaires, qui suppose quatre niveaux de taxation, deux catégories
d'entreprises, une période transitoire et plusieurs dates d'application...
A l'heure où l'on prône à juste titre la simplification, cet alourdissement
des contraintes est un nouveau facteur de découragement tant pour les
entreprises que pour les salariés. La marge de manoeuvre se rétrécit de plus en
plus en faveur de l'Etat.
Cinquièmement, ce projet de loi est une faute contre le dialogue social.
La confiance, qui est vitale pour une bonne relance du dialogue social, ne
peut se développer dans un climat de promesses non tenues et de mesures
législatives autoritaires ! Or c'est exactement ce que vous venez de faire.
Vous prétendez encourager la négociation collective, et voilà que le projet de
loi remet en cause les 117 accords qui viennent tout juste d'être conclus par
les partenaires sociaux et dont beaucoup vont se retrouver caducs.
Mme Nicole Notat elle-même s'en est émue : « Les partenaires sociaux n'ont
jamais été aussi maltraités ! » C'est le signe, selon elle, « d'une grave
dérive du poids de l'Etat »...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et tout ce que dit Nicole Notat est vrai !
M. Patrick Lassourd.
Vous avez considérablement restreint la marge de manoeuvre des entreprises,
par exemple en imposant un accord pour l'obtention de l'allègement des charges.
En fait, cette procédure va obliger les entreprises à donner une contrepartie
nouvelle aux salariés pour bénéficier d'une simple application de la loi !
La négociation sociale connaît ainsi un vrai recul. Du reste, de nombreux
sondages révèlent l'inquiétude des syndicats. Cette négation du dialogue social
reflète la conception socialiste des rapports sociaux : archaïque,
passéiste...
M. Hilaire Flandre.
Ringarde !
M. Patrick Lassourd.
... et fondée sur la défiance !
On en revient à la bonne vieille lutte des classes, à la vision du travail,
source d'asservissement. Mais, madame la ministre, l'époque de Zola est révolue
!
Le chef de l'Etat lui-même dénonçait récemment « un texte à l'idéologie
dépassée ».
Sachez qu'aujourd'hui chefs d'entreprise et salariés se sentent bien souvent
solidaires, animés d'un esprit d'équipe, particulièrement dans les PME et
PMI...
Mme Hélène Luc.
Dans quelle entreprise ? Chez Michelin ?
M. Patrick Lassourd.
Ils savent que leurs intérêts vont de pair et qu'ils partagent les mêmes
préoccupations. Ils savent trouver sur le terrain, au cas par cas, le juste
équilibre entre les exigences économiques de l'entreprise et les aspirations
des salariés.
Les salariés, monsieur Mélenchon, ne sont pas de « pauvres diables » !
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Les dirigeants de la CGT italienne parlaient récemment de la réduction du
temps de travail en Italie : elle devait se faire secteur par secteur, région
par région, entreprise par entreprise !
Voilà pourquoi la majorité sénatoriale pense que l'aménagement du temps de
travail ne peut faire l'économie du dialogue ni de la concertation.
« La réduction du temps de travail est une idée moderne, il faut l'appliquer
avec des moyens modernes », comme l'affirme M. le Président de la
République.
Mme Hélène Luc.
Ce n'est pas moderne les 35 heures ?
M. Patrick Lassourd.
Ces moyens passent par une approche pragmatique, sur la base du contrat et du
pacte. C'est dans ce seul cadre que l'on pourra favoriser l'initiative et
l'innovation, sources de richesses pour notre économie, loin de votre
loi-carcan.
Sixièmement, ce texte est une faute contre les salariés.
Je voudrais insister sur cet aspect humain de la loi. Car ce sont bien les
salariés qui sont au coeur du projet et qui en seront les premières
victimes.
MM. Georges Gruillot et Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
Je pense surtout aux moins qualifiés d'entre eux, sur lesquels pèsera tout
particulièrement l'alourdissement du coût du travail.
Votre projet de loi est socialement condamnable, car il pénalise les salariés
à plusieurs titres.
D'abord, leurs attentes ne sont pas comblées. Votre texte prétend répondre à
des attentes fortes de la part des salariés. Or, beaucoup vous répondront
qu'ils préfèrent avoir le choix, et que ce choix les porte plus vers une
augmentation de leur pouvoir d'achat que vers une réduction du temps de
travail.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Georges Gruillot.
Très juste !
M. Patrick Lassourd.
Leur déception ne va donc pas tarder à se faire sentir. On sait d'ailleurs par
un sondage du CSA que seulement 26 % des personnes interrogées considèrent
comme prioritaire de la réduction du temps de travail. Cette loi signifie donc
pour eux de renoncer à voir leur niveau de vie augmenter et à profiter de la
croissance.
A cette perte de pouvoir d'achat s'ajoute une perte de rénumération,
principalement par le jeu de la baisse ou de la suppression des heures
supplémentaires qui constituent pourtant une source d'appoint importante pour
les familles ! En effet, le salaire sera amputé d'une partie des majorations
pour heures supplémentaires, cette somme étant versée à un fonds spécial chargé
de financer l'allégement des charges.
Ce prélèvement arbitraire de 10 % sur les heures supplémentaires me paraît
particulièrement injuste ! Il n'est pas admissible que ceux qui travaillent
davantage aient à supporter un prélèvement supplémentaire sur leur salaire pour
ceux qui travaillent moins ! Ce véritable « rationnement » du travail décourage
la performance, et le désir de progresser, légitime pour tout salarié !
M. Georges Gruillot.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
Les conditions de travail vont se dégrader et se durcir. De nombreux salariés
verront leurs horaires de travail arbitrairement décalés ou fragmentés, et ils
le vivront mal. Il s'agit là d'une véritable atteinte à la qualité de leur
travail.
Un tiers des salariés passés aux 35 heures déplorent déjà un rythme de travail
plus stressant, imposé au nom du surcroît de productivité nécessaire.
Cette charge de travail risque d'avoir des répercussions néfastes sur la santé
et la sécurité des travailleurs, préoccupations totalement absentes de ce
texte.
M. Henri Weber.
Voyons !
M. Patrick Lassourd.
Un tel déséquilibre affecte évidemment les salariés les plus vulnérables et
contribue à creuser encore davantage la fracture sociale.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Les situations varieront d'ailleurs d'une entreprise à l'autre. Le
salarié qui effectuera des heures supplémentaires dans une entreprise où il n'y
a pas eu d'accord collectif ne pourra bénéficier que d'une bonification de 15
%, alors que son voisin, qui a eu la chance de travailler dans le cadre d'un
accord collectif, bénéficiera, lui, d'une bonification de 25 % !
Ces disparités ouvent la porte aux conflits sociaux, à la multiplication des
contrôles et à la suradministration.
Un « temps pour soi » non choisi est donc inadapté. Vous avez annoncé aux
salariés le bénéfice d'un temps pour soi, dont les femmes pourront profiter
pour se consacrer à leur famille.
Mme Hélène Luc.
Pas seulement les mères, les pères aussi !
M. Patrick Lassourd.
Mais cette meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie
familiale devrait être choisie et non subie. En fait, ce temps pour soi sera le
retour aux tâches ménagères. La flexibilité imposée aura des effets pervers si
ces femmes doivent travailler hors périodes scolaires ou après la fermeture des
crèches. Tout cela ne les fera pas plus profiter de leur vie de famille. Cette
vie familiale n'a nul besoin d'être administrée par la loi ; elle relève du
dialogue social avec l'employeur, dialogue que vous souhaitez tant encadrer
!
Les salariés sont les grands perdants de la loi sur les 35 heures. A
substituer la contrainte au dialogue, vous allez provoquer frustrations et
déceptions, favoriser le recours à l'intérim et encourager le travail au noir !
Or travailler mieux, ce n'est pas nécessairement travailler moins !
La septième faute,...
M. Henri Weber.
N'en jetez plus !
M. Patrick Lassourd.
... est d'ordre idéologique : ce texte va contre l'épanouissement de
l'homme.
La majorité sénatoriale se fait une toute autre idée que la gauche du travail
et de son nécessaire aménagement.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est certain !
M. Patrick Lassourd.
Le travail doit, selon nous, constituer d'abord un lieu d'épanouissement de
soi. Cette loi a enfermé le débat dans une logique purement économique,
étatique et arithmétique. Or il est essentiel de replacer l'homme au coeur du
débat !
Je veux y apporter une alternative et quelques propositions !
Il faut dès maintenant réfléchir au concept du temps choisi sur toute la vie.
C'est la vraie réponse aux attentes des salariés, qui souhaitent que soient
pris en compte leurs projets, leur diversité. Cela suppose contractualisation,
flexibilité, adaptation et innovation. Aidons les actifs à moduler leur temps
de travail sur toute la durée de leur vie !
Les aspirations professionnelles évoluent en effet au cours d'une vie. Il
n'est donc pas tant question de travailler moins que de travailler autrement.
Qu'il s'agisse des femmes et du désir de maternité, qu'il s'agisse de ceux qui
souhaitent prendre une année sabbatique ou assister un proche malade, les
salariés ont parfois besoin d'une interruption de travail.
Mais il me paraît également essentiel de mettre l'accent sur la formation,
formidable moyen de diversifier les compétences. Il faut à tout prix favoriser
son essor. En ce sens, la formation qualifiante du jeune salarié constitue un
excellent moyen de valoriser son activité.
En parallèle, préparer à la cessation d'activité avec une préretraite ou une
retraite progressive est une formule souhaitable ! Les nouveaux retraités
constituent un vivier précieux pour le monde du travail. C'est pourquoi je
plaide pour le libre choix du départ en retraite.
Le temps choisi peut donc s'avérer une réponse satisfaisante à ces désirs
croisés. Il nous rappelle que l'entreprise est avant tout une communauté de
destins !
M. Henri Weber.
C'est la nation !
M. Patrick Lassourd.
C'est pourquoi, madame le ministre, le groupe du RPR ne peut pas voter le
texte que vous nous présentez aujourd'hui.
M. Claude Estier.
On l'avait compris !
Mme Hélène Luc.
C'est vrai, on l'avait compris !
M. Patrick Lassourd.
Nous ne sommes pas contre les 35 heures si elles sont négociées et non
imposées.
M. Henri Weber.
Cela fait 20 ans qu'on négocie !
M. Patrick Lassourd.
Nous souhaitons changer le climat moral du monde du travail, faire bouger les
mentalités. Cela suppose de réfléchir en termes d'évolution et non de
contrainte, de pluralité et non de normalisation ! « L'incitation est toujours
préférable à l'obligation », affirme le Président de la République. C'est
particulièrement vrai en matière d'organisation du travail. Votre loi propose
tout le contraire !
C'est de ces temps de travail à préserver que dépend l'efficacité de notre
économie ! La réglementation générale que vous proposez n'est pas une idée
moderne ni adaptée.
M. Henri Weber.
Quelle caricature !
M. Patrick Lassourd.
Madame le ministre, je vais conclure.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Vous pouviez choisir le dialogue, la souplesse, le contrat, la
négociation sociale. Vous avez préféré l'étatisation, la contrainte et la
réglementation imposée et uniforme !
M. Henri Weber.
La soviétisation !
M. Claude Estier.
Des soviets partout !
M. Patrick Lassourd.
Vous pouviez choisir de préserver le pouvoir d'achat des salariés ! Vous avez
préféré leur enlever le bénéfice des heures supplémentaires !
Vous pouviez financer votre loi avec les fruits fiscaux de la croissance. Vous
avez préféré, comme d'habitude, augmenter les impôts !
M. Claude Estier.
C'est vous qui avez augmenté les impôts !
M. Patrick Lassourd.
Votre gouvernement nous parle sans arrêt de simplification administrative,
mais vous avez cultivé, avec un talent indéniable, la complexité administrative
et bureaucratique !
Vous aviez l'occasion de remettre l'homme au coeur du dispositif, afin qu'il
soit maître de ses choix ! Vous l'avez enfermé dans un dispositif kafkaïen !
M. Henri Weber.
Quelle rhétorique !
M. Patrick Lassourd.
La croissance vous permettait d'assainir les finances publiques et de diminuer
les prélèvements obligatoires, et donc de rendre les entreprises plus
performantes ! Vous avez fait exactement le contraire !
Madame le ministre, je ne dirai qu'un seul mot pour conclure : quel gâchis !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite d'un sentiment
unanime sur ces travées en faveur de la politique de réduction du temps de
travail. J'en viens à croire que si la première loi était à nouveau soumise à
vos suffrages avec une incitation à la réduction de la durée du travail, elle
serait votée au Sénat de manière quasi générale !
M. Henri Weber.
L'homme est perfectible !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet !
Vous continuez à critiquer la méthode. Pourtant - je tenterai de le redire à
nouveau - je crois véritablement qu'elle fonctionne au regard tant de la
négociation que des résultats en matière d'emploi.
Quant à moi, aux slogans ou aux diatribes, je préfère les faits. Je
rappellerai simplement que le vrai débat démocratique s'appuie sur la réalité,
et non sur des fantasmes, sur ce que l'on croit être ou ce que l'on voudrait
voir être la réalité.
Je reprendrai, en premier lieu, les critiques qui se sont fait jour sur notre
méthode, sur la réduction de la durée du travail et tout d'abord ses effets sur
l'emploi.
Plusieurs d'entre vous, en particulier M. Souvet, se sont interrogés sur
l'ampleur du mouvement de négociation depuis un an et sur les résultats en
matière d'emploi.
S'agissant de la négociation, je dois dire que je suis quelque peu étonnée des
propos qui ont été tenus dans cette enceinte car, à l'Assemblée nationale, sur
tous les bancs, chacun s'est accordé pour dire qu'il n'y avait jamais eu un
mouvement de négociation comme celui-ci dans le domaine social, et évidemment,
dans le domaine de la réduction de la durée du travail.
Je précise à M. Arthuis, d'après qui nous bridons la négociation, que les
accords signés couvrent aujourd'hui, en ce qui concerne les branches, 8
millions de salariés et, en ce qui concerne les entreprises, plus de 2 millions
de salariés. Dès aujourd'hui, 32 % des salariés des entreprises de plus de 20
salariés, c'est-à-dire celles qui verront l'obligation s'appliquer à partir du
1er janvier 2000, sont déjà couverts par un accord de passage aux 35 heures !
Un tiers avant même l'application de la loi ! Qui aurait pu croire cela il y a
seulement un an ?
S'agissant des résultats en matière d'emploi, 17 000 accords ont été signés
dans les entreprises, ce qui correspond au maintien ou à la création de 133 000
emplois. Claude Domeizel l'a bien dit, c'est la méthode qui fonctionne. C'est
pourquoi il faut la garder. Elle se fonde sur la négociation et crée des
accords sur mesure qui prennent en compte l'intérêt du fonctionnement des
entreprises, des salariés et aussi de l'emploi.
J'ai entendu dire tout à l'heure que nous aurions annoncé la création de 600
000 emplois en deux ans ; je mets quiconque au défi de le prouver. Un certain
nombre d'analyses macroéconomiques ont été présentées l'année dernière, qui
portaient sur l'ensemble du dispositif de réduction de la durée du travail,
cinq ans. Certaines annonçaient 600 000, d'autres 700 000, d'autres encore 450
000. Je me suis toujours référée à l'ensemble de ces hypothèses sans en
privilégier aucune.
En revanche, je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant d'emplois créés :
133 000 aujourd'hui, 85 % créés et 15 % préservés, et cela avant même
l'application de la loi sur la réduction de la durée du travail. Le
Gouvernement, dans le projet de budget, s'était fixé le chiffre de 40 000
embauches dans l'année 2000. Ces chiffres me paraissent très intéressants et
importants par rapport à ce que nous estimions.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ils sont encourageants !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pour répondre à Mme
Dieulangard, qui a insisté sur ce point à juste raison, et M. Fischer qui s'est
inquiété de l'augmentation des emplois précaires, je dirai que beaucoup
d'accords prévoient d'embaucher des travaileurs temporaires ou d'allonger la
durée du temps partiel. Je m'en réjouis car je crois que cela va dans le sens
souhaité par les salariés.
J'entends dire que l'effet d'aubaine serait de 50 %, 80 % ou 100 %. Là aussi,
il y a les propos de tribune et la réalité des études. Pour apprécier cet
effet, j'ai demandé à la direction des études statistiques de mon ministère, la
DARES, qui travaille en liaison avec les services du ministère de l'économie,
de faire des études.
Personne ne peut critiquer ces études qui ont été réalisées par des
fonctionnaires ou par des chercheurs et qui montrent, à partir d'un échantillon
très vaste de 30 000 entreprises - échantillon exhaustif, puisque tous les
secteurs et toutes les entreprises sont concernés - ce qu'est effectivement
l'effet d'aubaine. La DARES a chiffré cet effet à environ 10 % des emplois
concernés. L'échantillon témoin présente les mêmes caractéristiques économiques
- taille et secteur notamment - que l'échantillon des entreprises passées à 35
heures et en corrige les tendances antérieures d'emploi.
Par ailleurs, la DARES évalue l'effet net additionnel sur l'emploi et l'effet
qui se serait produit indépendamment des 35 heures. Ainsi, les 133 000
engagements de création ou de préservation des emplois correspondent à un effet
additionnel net de 120 000 environ.
Je n'ai pas souvenir d'avoir vu un gouvernement réaliser des études de cette
nature - ce que je trouve normal pour que la transparence soit totale - pour
informer le pays sur les effets d'une politique qu'il a engagée. Qu'on puisse,
aujourd'hui, remettre en cause de telles études ainsi que la qualité et
l'indépendance des fonctionnaires me choque tout à fait - je dois le dire très
simplement -, car je n'ai vu aucun organisme contester le résultat de ces
études, que ce soit le BIPE ou REXECODE, dont chacun connaît l'affiliation et
la position sur les 35 heures.
M. Henri Weber.
Très juste !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur Gournac - peut-être
les réponses aux questions de la commission n'étaient-elles pas claires -, il
faut distinguer les 133 000 emplois potentiellement créés et les 40 000 qui le
sont déjà. C'est évident qu'il n'y a pas de divergence dans les chiffres.
D'ailleurs, les études faites auprès des entreprises montrent que ces dernières
mettent environ trois mois avant d'embaucher la totalité des salariés qu'elles
ont décidé effectivement d'employer. L'enquête auprès des directeurs des
ressources humaines, que beaucoup d'entre vous citaient, M. Souvet notamment,
est très instructive sur le décalage qui peut exister entre un jugement
abstrait
a priori
et la réalité, très concrète, dans les entreprises.
Je vous avais déjà cité hier la position de chefs d'entreprise qui sont passés
à 35 heures : 85 % d'entre eux estiment aujourd'hui - ce n'est pas moi qui le
dis, c'est un grand organisme qui fait des enquêtes - que leur entreprise
fonctionne mieux après avoir mis en oeuvre les 35 heures qu'avant, ce qui
n'empêche pas ceux qui n'y sont pas encore passés de s'inquiéter, et je les
comprends, car il n'est pas facile de lancer un mouvement comme la réduction de
la durée du travail. Si ça l'était, nous l'aurions fait, les uns et les autres,
depuis très longtemps.
De même, 61 % des DRH estiment que la RTT n'aura pas d'effet sur l'emploi ;
mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que 6 % estiment que la RTT
créera plus de 10 % d'emplois ; pour 26 %, ce taux est de 7 % à 10 %, et pour
28 %, il est 5 % à 6 %. Au total, 60 % des DRH avancent un chiffre supérieur à
5 % d'emplois ; 5 % d'effectifs supplémentaires dans notre pays, c'est beaucoup
plus que ce qu'avaient prévu toutes les études macro-économiques. Telle est la
réalité. Encore une fois, il y a ce que l'on croit et ce que les faits
démontrent. Je préfère, pour ma part, m'arrêter aux faits.
Vous parlez de l'exception française. Je vous rappellerai, comme je l'ai déjà
indiqué lors de notre premier débat, qu'en 1891, lorsque la durée du travail
des femmes et des enfants a été abaissé, pour la première fois, exactement le
même discours a été tenu.
M. Claude Estier.
Absolument !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous sommes l'exception
française ! C'est un scandale que de fixer à douze heures la durée du travail
des femmes et des enfants ! La compétitivité des entreprises va en souffrir !
Nous sommes les seuls au monde à le faire ! En 1936, on ajoutait un argument
supplémentaire : le travail au noir va se développer. Tous ces arguments, nous
les connaissons par coeur. Comme M. Mélenchon l'a rappelé, chaque fois que
notre pays connaît un progrès social - ce fut vrai pour les emplois-jeunes, ça
l'est pour la réduction de la durée du travail - nous entendons le même
discours : nous sommes l'exception française ; cela va coûter trop cher ; nous
sommes les seuls à le faire !
Aujourd'hui, les résultats sont là ! Aujourd'hui, l'exception française ce
sont les bons résultats que nous connaissons sur le chômage. Nous sommes l'un
des pays où le taux de chômage a diminué le plus et, à l'appui de mon propos,
je vais vous citer les chiffres correspondants dans quelques instants.
(Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste. -
Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Hilaire Flandre.
C'est faux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est faux ? Mais ces résultats
proviennent de l'OCDE, d'Eurostat et non des services du ministère du travail
!
M. Hilaire Flandre.
Nous sommes le pays où le chômage est le plus élevé.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai dit que nous étions celui
où le chômage baissait le plus. Nous parlerons ensuite du niveau du chômage. Là
aussi, les réalités peuvent faire mal, mais il est toujours bon de les
entendre.
MM. Souvet, Gournac et Trégouët soutiennent que, depuis deux ans, les
performances de la France sont moins bonnes que celles de ses partenaires de
l'OCDE. Mais, messieurs, la France est le pays du G7 où le chômage recule le
plus. Depuis le mois de juin 1997, il a baissé de 1,5 %. C'est deux fois plus
qu'en Allemagne, malgré la progression toujours rapide de la population active
française. Effectivement, et nous devons nous en réjouir, ces deux dernières
années, la population active s'est accrue de 220 000 à 230 000 personnes par
an. Avant que le chômage ne baisse, il fallait donc créer 230 000 emplois. Dans
le même temps, la population active a baissé en Allemagne, et pourtant, notre
rythme de réduction du chômage a été deux fois plus rapide.
Je prends l'exemple de l'Allemagne car vous prenez toujours ce pays comme
référence avec délectation.
En comparaison avec l'Allemagne, les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la
France fait mieux. Un seul pays a un taux de réduction du chômage meilleur que
celui de la France : c'est l'Espagne - et encore, si l'on prend en compte les
deux années précédant les deux dernières. En outre, l'Espagne partait d'un taux
de chômage de 20 % alors qu'il était en France de 12,5 % à notre arrivée et
qu'il est de 11,1 % aujourd'hui.
De plus, le chômage baisse à un rythme accéléré depuis quelques mois - Guy
Fischer et Marie-Madeleine Dieulangard ont rappelé les chiffres - accélération
qui coïncide, bien sûr, avec le retour de la croissance mais qui augmente
depuis plusieurs mois alors même que la croissance est moins élevée aujourd'hui
qu'elle ne l'était l'année dernière.
Je ne sous-estime pas les effets de la croissance, je m'en réjouis car nous
avons tout fait pour relancer la consommation, pour faire en sorte que la
confiance revienne. Néanmoins, alors que l'année dernière notre taux de
croissance était de 3,2 % et qu'il pourrait s'établir cette année entre 2,3 %
et 2,5 %, c'est-à-dire être moins élevé, le rythme de la baisse du chômage est,
cette année, deux fois et demie plus élevé que celui de l'année dernière, année
pourtant exceptionnelle.
On comptait 130 000 demandeurs d'emploi en moins en 1998 ; le chômage a baissé
autant ces trois derniers mois et, depuis le début de l'année, il baisse deux
fois et demie plus vite que l'année dernière. Voilà la réalité telle que la
décrivent les chiffres qui nous sont donnés.
Permettez-moi de citer la dernière étude sur la conjoncture des différents
pays qui vient d'être faite par la banque J.P. Morgan, une grande banque
anglo-saxonne. Il y est fait état du « cercle vertueux de la croissance en
France » et de ses effets sur l'emploi en soulignant les effets positifs des
emplois-jeunes et de la réduction de la durée du travail. Cette étude, qui nous
vient d'outre-Atlantique, a été publiée en mars 1999 et l'on ne peut pas dire
qu'il s'agit d'une invention du gouvernement socialiste ou de la majorité
plurielle. (
M. Mélenchon applaudit.
)
MM. Gournac et Revet prétendent que la loi sur les 35 heures favorise les
délocalisations, qu'elle décourage des sociétés de s'installer en France, que
le pays navigue à contre-courant de ses partenaires.
M. Charles Revet.
C'est vrai !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Madame le ministre, me permettez-vous de vous interrompre
?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il faut toujours que vous
m'interrompiez quand je parle, monsieur le rapporteur ! (
(Exclamations sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.
)
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Mais non, c'est la première fois.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Aujourd'hui, peut-être, mais
c'est la même chose à chaque débat.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
J'interviendrai donc à la fin de votre propos, madame le
ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mais non, je vous laisse encore
la parole cette fois-ci bien volontiers.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de Mme le ministre.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Madame le ministre, il est inexact de dire que j'ai
l'habitude de vous interrompre.
Quoi qu'il en soit, je souhaiterais vous répondre à propos des chiffres
provenant d'Eurostat que vous avez cités. J'ai sous les yeux un tableau publié
par Eurostat, datant du 10 août 1999 donc très récent.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Oui !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
On y voit que le chômage a baissé en Espagne de 23,3 %, en
Suède de 32,7 %, en Irlande de 33,7 %, en Finlande de 20,6 %, aux Pays-Bas de
40 %, je passe sur le reste, pour arriver à la France, où il a baissé de 11,2
%. On ne peut donc pas dire que nous sommes les meilleurs élèves !
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai fait une comparaison avec
les pays du G 7. Si je n'ai pas pris l'exemple de la Suède ou de la Finlande,
c'est que, au cours des quatre années précédentes, alors que le chômage a monté
en France, c'est dans les quatre pays du Nord qu'il a le plus baissé. Par
courtoisie, j'ai donc établi ma comparaison avec les pays du G 7, dont la
situation m'a semblé plus proche de la nôtre, je peux vous communiquer les
statistiques.
M. Guy Fischer.
Il faut comparer ce qui est comparable.
M. Georges Gruillot.
L'Espagne, ce n'est pas le G 7.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ces statistiques ne sont pas à
l'avantage de la droite, je tiens à le dire tout de suite.
(Applaudissements
sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Si j'avais parlé de
la Suède ou de la Finlande, certains se seraient esclaffés. C'est pourquoi j'ai
préféré choisir les pays du G 7.
Etes-vous d'accord avec les chiffres d'Eurostat que j'ai énoncés, monsieur le
rapporteur ? C'est la seule question qui importe.
M. Henri Weber.
Chapeau bas devant la sociale démocratie nordique !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Je n'ai pas considéré que les seuls pays du G 7.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le rapporteur,
l'important est de savoir si j'ai raconté des histoires à la Haute Assemblée en
citant les chiffres d'Eurostat.
M. Hilaire Flandre.
On peut pécher par omission.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si M. le président le permet,
je citerai tout à l'heure les chiffres des pays du nord de l'Europe, et l'on
verra que M. le rapporteur aurait pu éviter de m'interrompre car ces chiffres
ne sont pas à l'honneur du précédent gouvernement !
Je tiens à répéter, après Mme Borvo notamment, que les propos tenus sur les
délocalisations relèvent plus d'une position idéologique que d'une constatation
des faits. Là aussi, je citerai quelques chiffres. Monsieur le rapporteur,
n'hésitez pas à m'interrompre s'ils ne vous semblent pas vrais.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Si vous m'y invitez, je ne résisterai pas !
(Sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En ce qui concerne les
investissements étrangers, la France est classée en 1998, dernière année
connue, en troisième ou quatrième position, selon les sources.
Ainsi, la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, la
CNUCED, organisme dépendant de l'ONU, place la France, avec 28 milliards de
dollars d'investissements étrangers en 1998, derrière les Etats-Unis et les
Pays-Bas, mais devant tous les autres pays ! L'Allemagne n'a totalisé que 20
milliards de dollars et en Italie les investissements se sont limités à 3
milliards de dollars. De plus, le volume de ces investissements étrangers est
en hausse de 20 % en 1998 par rapport à 1997.
Si effet 35 heures il y a, il est donc dans le sens inverse de celui que vous
indiquez ! J'ai les chiffres ; je vous les ferai passer dans quelques
instants.
Je rappelle que, pendant la période 1993-1997, le taux de chômage a augmenté
en France de 1,3 %, alors qu'il a baissé de 2 % en Finlande, de 3,4 % au
Royaume-Uni, de 4,6 % au Danemark et de 0,8 % aux Pays-Bas. Je le répète, je
n'ai pas mentionné ces chiffres car, alors vous étiez au pouvoir. J'ai préféré
considérer des pays à structures comparables.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes.)
J'en reviens aux investissements étrangers : alors que la France était à la
traîne des autres pays européens sur cette période 1993-1997 - et, là aussi,
reportons-nous aux statistiques : 0,5 % de croissance en moins par an en
moyenne - elle a vu son taux s'élever à 0,5 % au-dessus du taux européen en
1998, et les prévisions des organismes internationaux, comme le FMI, placent
tous la France en tête, pour 2000 en tout cas, et sans doute pour l'avenir.
Ainsi, pour 2000, le FMI prévoit-il un taux de 3 % en France, contre 2,5 % en
Allemagne, 2,4 % au Royaume-Uni et en Italie. Or, que je sache, le FMI n'est
pas un organisme dépendant du Gouvernement ! D'ailleurs, le BIPE et Rexecode
font des prévisions de même nature.
Je crois que nous sommes en train, depuis plus de deux ans, comme l'a très
bien dit Henri Weber, de faire la démonstration que le progrès économique et
technique, d'une part, le progrès social, d'autre part, loin de s'opposer, se
renforcent mutuellement. Tant que l'on considérera que la politique sociale
n'est là que pour contrebalancer les effets négatifs de la croissance et qu'une
économie plus solidaire ne va pas avec une économie plus performante, on
connaîtra les mêmes résultats que ceux qu'a connus la France au cours des
quatre années qui ont précédé notre arrivée. C'est bien parce que nous avons la
conception inverse que nous obtenons les résultats que l'on sait en matière de
chômage !
J'ai évoqué l'effet emploi, l'effet économique ; je voudrais maintenant
m'attacher à l'effet social des 35 heures, et tout particulièrement au problème
des salaires.
J'ai été heureuse de sentir l'intérêt - soudain pour certains, me semble-t-il,
moins pour d'autres - des membres de votre assemblée pour les salariés et,
particulièrement, pour ceux qui perçoivent de bas revenus.
M. de Montesquiou nous a fait une démonstration tout à fait intéressante sur
les salariés qui verraient leurs droits bafoués par la réduction de la durée du
travail.
Dois-je aussi rappeler - car les faits sont têtus - que l'augmentation du
pouvoir d'achat des salariés a dépassé 2,5 % en 1998 ?
M. Aymeri de Montesquiou.
C'était avant les 35 heures !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pendant la deuxième moitié de
l'année 1998, la loi était entrée en application.
D'ailleurs, vous n'avez cessé de nous expliquer que les entreprises étaient
terrorisées depuis deux ans à l'idée des 35 heures et qu'elles anticipent
toujours. C'est bien connu, pour avoir travaillé dans une entreprise, je sais
moi aussi ce qu'il en est. Eh bien ! elles ont anticipé.
Elles ont anticipé le retour de la confiance, le retour de la croissance. Et,
effectivement, alors que le pouvoir d'achat a stagné, voire baissé, pendant les
quatre dernières années, il s'est accru de plus de 2,5 % en 1998. C'est un
record inégalé depuis vingt ans !
M. Aymeri de Montesquiou.
Je le répète, c'était avant les 35 heures !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pour un pays qui irait mal et
qui traiterait mal ses salariés, on ne peut trouver de résultats plus éloquents
!
J'en viens maintenant aux cadres.
A en croire certains d'entre vous, ils risquent d'être seuls à être traités de
cette manière.
Employée dans un grand groupe multinational, j'ai pu voir aux Etats-Unis, à
Chicago précisément, comment à seize heures ou à dix-sept heures les tours
fermaient et se vidaient de leurs cadres.
Or je n'ai pas eu l'impression que la partie de ce groupe située aux
Etats-Unis était moins bien gérée et fonctionnait moins bien que le reste.
Simplement, aux Etats-Unis, qui sont votre modèle - c'est la raison pour
laquelle je me permets de l'évoquer - voilà longtemps qu'on travaille
différemment.
Le malaise des cadres dans notre pays ne provient pas d'un trop faible
attachement à leur travail, il découle du sentiment que leur mobilisation,
leurs efforts ne sont pas reconnues et que leur vie personnelle s'articule mal
avec leur vie professionnelle.
Je me réjouis de voir que plus de 60 % des jeunes cadres, comme le montrent
les sondages, ont envie de s'occuper de leurs enfants - je parle autant des
hommes que des femmes - et qu'ils ont envie pour cela de réorganiser leur
travail.
M. Aymeri de Montesquiou.
Combien de journées de vacances ont les cadres américains ? Dix jours par an
!
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le travail est un élément
essentiel d'insertion, un élément essentiel de reconnaissance de leur utilité
sociale pour les hommes et les femmes ; je l'ai dit dès mon introduction,
monsieur le sénateur !
Mais il y a aussi la vie hors du travail. Mme Borvo a insisté, comme Jean-Luc
Mélenchon, sur l'importance de la réduction de la durée du travail chez les
cadres, particulièrement chez les femmes ; nombre d'entre elles, qui hésitaient
à prendre des responsabilités de peur de culpabiliser parce qu'elles ne
pensaient pas pouvoir réaliser en même temps une vie professionnelle et une vie
personnelle pourront dorénavant le faire dans de meilleures conditions.
Personnellement, je m'en réjouis.
Il est d'ailleurs assez étonnant de voir comment un certain nombre de
syndicats représentant des cadres - je pense notamment aux syndicats
catégoriels -, qui s'opposaient aux 35 heures, nous disent aujourd'hui - et je
m'en réjouis, même si cela les rend plus exigeants - que tous les cadres
doivent se voir appliquer la règle des 35 heures dès demain. Je ne pense pas
que ce serait une bonne chose.
En tout cas, depuis un an, c'est tout un mouvement qui s'est mis en route, un
vrai mouvement de discussion dans les entreprises, une prise de conscience que
l'on peut organiser la société autrement, que l'on peut travailler autrement et
que personne ne doit rester en dehors de l'évolution. Je suis étonné que le
Sénat n'entende pas, ne voie pas ce mouvement, car il se manifeste dans de
multiples domaines.
M. Claude Estier.
Vous parlez de la majorité sénatoriale !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet, je veux parler de la
majorité du Sénat.
M. Alain Gournac.
La majorité présidentielle !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En ce qui concerne la fonction
publique, qu'elle soit d'Etat, territoriale ou hospitalière, M. Fischer a
souligné à juste titre qu'elle ne pouvait rester à côté de ce mouvement. Vous
les savez, à la suite du rapport Roché, M. Zuccarelli a rencontré les
organisations syndicales et entrepris les négociations dans la fonction
publique. De la même manière, nous les avons engagées dans le secteur
hospitalier.
S'agissant plus particulièrement de celui-ci, je fais observer que la durée du
travail y est très proche des trente-neuf heures affichées, ce qui n'est pas
partout le cas, que l'on y travaille beaucoup, et dans des conditions très
pénibles. Dans ce secteur, la réduction de la durée du travail est une vraie
nécessité et elle devra entraîner des créations d'emplois.
Parmi les critiques que j'ai entendues, il en est une qui provoque
singulièrement mon étonnement. Certains me disent que cette loi est un carcan
qui ferait marcher tout le monde au pas cadencé. Et puis les mêmes, ou
d'autres, m'affirment qu'elle est trop complexe, qu'elle envisage trop de cas.
Il faut choisir ! Ou bien c'est un carcan qui fait avancer tout le monde de
manière uniforme, ou bien il faut essayer de prendre en compte, comme nous
l'avons fait, les différents types de salariés - les cadres et les autres - les
différents types d'entreprises - les grandes et les petites - les différents
types d'accords signés. Si l'on prévoit des dispositions correspondant à une
réalité diverse, nécessairement, la loi est plus longue, plus détaillée, plus
complexe.
Il est évident que chaque entreprise n'est que dans un cas ; elle n'est pas
dans la totalité des cas.
Je prendrai un exemple qui a été souvent évoqué, celui des heures
supplémentaires.
Quand on connaît le code du travail actuel, M. Arthuis qui a fait partie de ce
ministère le sait aussi bien que moi, notamment en ce qui concerne le repos
compensateur tel qu'il a été mis en place par un ministre qui était là juste
avant lui, on se rend compte que ce qui est proposé correspond à une
simplification tout à fait essentielle. Qu'avons-vous prévu ? Une année de
transition pendant laquelle la taxation des heures supplémentaires serait de 10
% et un régime définitif où elle serait de 25 %. Lorsqu'un accord a été signé,
tout va au salarié ; en l'absence d'accord, 10 % de la somme vont vers un
fonds. Est-ce complexe ? Est-ce difficile ? L'entreprise aura-t-elle du mal à
savoir dans lequel de ces quatre cas elle se situe ? Très franchement, j'ai du
mal à comprendre où est la complexité ?
M. Hilaire Flandre.
Apparemment, c'est moins simple pour les salariés !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En revanche, nous avons
effectivement souhaité trouver les solutions les plus adaptées à chaque
réalité.
MM. Souvet et Gournac nous disent que les Français continuent à douter des 35
heures. Certains l'ont rappelé, M. Jean-Luc Mélenchon notamment, la majorité
actuelle a été élue pour faire baisser le chômage et le Premier ministre, dès
le premier jour, a dit que ce serait notre objectif prioritaire, pas seulement
dans les discours, mais aussi dans les faits.
Nous avons toujours affirmé, y compris pendant la campagne qui a précédé les
élections législatives, que les 35 heures constituaient une piste irremplaçable
pour réduire le chômage ; ce n'est pas la seule, il en existe d'autres : la
relance de la consommation et de la croissance, les nouvelles technologies, les
emplois-jeunes, la baisse des charges sociales.
Eh bien, nous sommes en train de faire tout ce que nous avons dit et, encore
une fois, les résultats sont là.
Selon l'enquête la plus récente, réalisée par la SOFRES en mai 1999, 56 % des
Français disent que la réduction de la durée du travail aura un effet sur
l'emploi. C'est le verre à moitié vide et le verre à moitié plein...
M. Aymeri de Montesquiou.
Mais un effet bon ou mauvais ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous savez, monsieur le
sénateur, on leur en a tellement raconté, aux Français, sur la baisse du
chômage, qu'ils finissaient par douter de tout !
M. Hilaire Flandre.
Surtout de ce que vous leur dites !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous comme nous !
M. Hilaire Flandre.
C'est gentil de le reconnaître !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai dit que je parlerais des
faits ; je m'en tiens à cette ligne de conduite.
Un fait, en voici un : interrogés il y a quelques semaines, les Français ont
dit pour la première fois depuis la crise pétrolière de 1973 qu'ils croyaient
que le chômage allait commencer à baisser. Il aura fallu qu'il y ait la relance
de la consommation, la croissance, les nouvelles technologies, les
emplois-jeunes, la réduction de la durée du travail, bientôt la baisse des
charges et, surtout, un début d'amélioration dans les chiffres du chômage -
même s'il reste beaucoup de chemin à parcourir, je suis bien placée pour le
savoir - pour que, tout à coup, on commence à y croire.
Quand on interroge les salariés qui sont passés aux 35 heures, 86 % d'entre
eux estiment que la réduction de la durée du travail a créé des emplois qui ne
l'auraient pas été autrement dans leur entreprise.
Monsieur Gournac, vous qui, dans un élan que vous avez qualifié de gaulliste,
avez souhaité que les Français se rassemblent derrière de grands projets, vous
devriez vous réjouir de ce qui se passe avec les 35 heures...
M. Alain Gournac.
Ah non !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... puisque, aujourd'hui, les
employeurs et les salariés se retrouvent autour d'une table pour que
l'entreprise fonctionne mieux, pour que les salariés aient de meilleures
conditions de travail, de meilleures conditions de vie, et également pour faire
en sorte qu'une place soit faite aux chômeurs. D'ailleurs, bon nombre d'entre
eux m'ont fait part de leur fierté d'avoir effectivement pu contribuer, par un
geste de solidarité active, dans leur entreprise, à créer des emplois.
En ce qui concerne les organisations d'employeurs, je ne peux pas vous laisser
dire, monsieur Souvet, qu'elles sont toutes en désaccord avec la démarche
engagée.
Bien entendu, jamais un chef d'entreprise n'accepte - et, à la limite, on peut
le comprendre - que l'Etat intervienne dans la conduite de son entreprise,
considérant qu'il sait ce qu'il a à faire.
Cela étant, un grand nombre de chefs d'entreprise se rendent compte que leur
entreprise ne pourra pas continuer à se développer dans un environnement qui se
dégrade, quand, dans certains quartiers, le taux de chômage est très élevé,
quand le coût social et financier de l'exclusion n'est plus acceptable dans un
pays comme le nôtre. Ils sont réalistes et, lorsqu'on leur propose une solution
qui, aussi difficile soit-elle, permet de sortir de l'impasse, ils s'engagent
dans la démarche. C'est pourquoi, aujourd'hui, dans une entreprise sur deux, on
a commencé à négocier.
M. Delmas, président de l'UPA, l'union professionnelle artisanale, qui
représente 850 000 chefs d'entreprise de France, les plus petits, a lui-même
considéré, même s'il n'était pas au départ favorable aux 35 heures, que le
projet de deuxième loi allait dans le bon sens. Il s'est même félicité des
amendements adoptés en première lecture à l'Assemblée nationale.
Je remercie M. Franchis d'avoir rappelé que, dans le rapport de M. Souvet,
figurait le procès-verbal de l'audition de M. Delmas. Ce dernier explique qu'il
a choisi la voie du dialogue plutôt que celle de l'affrontement parce que
l'opposition systématique ne peut être que stérile. Je dirai dans quelques
instants ce que nous faisons avec l'UPA pour essayer de travailler avec le
commerce et l'artisanat.
J'ai aussi entendu dire que nous ne respecterions pas les accords. Ce slogan,
je le connais ! C'est celui qui a été choisi par une grande organisation
patronale, notamment lors de son rassemblement à la porte de Versailles.
En commission, nous avons eu un débat assez animé à ce sujet. Là encore, j'ai
souhaité que l'on m'apporte des exemples, des faits, plutôt que d'asséner des
slogans.
Le Gouvernement a choisi de s'appuyer sur la négociation qui seule, me
semble-t-il, permettra de réussir le passage aux 35 heures. C'était vrai pour
la première loi, c'est également vrai pour la seconde. Nous laissons donc du
temps à la négociation.
Le projet de loi donne, et c'est nécessaire, des bases légales nécessaires à
des innovations issues de la négociation collective : décomptes annuels en
heures ou en jours du temps de travail pour les cadres ; réduction du temps de
travail sous forme de jours sur le mois ou sur l'année ; mise en place d'une
modulation individualisée des horaires ; possibilité d'organiser des actions de
formation personnelle pour partie sur le temps libéré par la réduction du temps
de travail ; nouvelles modalités d'alimentation ou d'utilisation du compte
épargne temps.
Toutes ces dispositions émanent des accords. Nous les avons reprises et
consolidées.
Par ailleurs, nous avons ouvert des espaces nouveaux à la négociation : en
laissant le choix entre récupération en temps ou majoration en argent pour les
heures supplémentaires, en permettant le recours au temps choisi ou au délai de
prise de repos compensateur.
Des paramètres essentiels du raisonnement sur le temps de travail proviennent
des accords de branche. Ainsi, le nombre de jours travaillés dans le cadre d'un
décompte en jours pour les cadres se situait, dans ces accords, entre 205 et
217 jours. Nous avons retenu 217 jours. Il est toujours possible, je le
rappelle, de modifier ce plafond par la négociation collective.
L'histoire retiendra à la fois que des innovations sociales majeures ont été
rendues possibles par la négociation sociale et que ce mouvement de négociation
a été impulsé par un choix clair du Gouvernement.
Certes, sur trois points, nous n'avons pas validé certaines propositions des
accords de branches. Le Sénat m'en fait-il le reproche ? Si c'est le cas, il
doit le dire !
Il s'agit tout d'abord de quelques accords de branche, qui ont voulu étendre
le régime du forfait tous horaires, c'est-à-dire cette rémunération globale que
l'on verse, sans contrôler la durée du travail, à d'autres catégories de
salariés que les cadres. Faut-il, dans notre pays, considérer qu'un agent de
maîtrise gagnant 12 000 francs par mois peut travailler sans contrôle de ses
horaires ? Personnellement, je ne le pense pas. Si, au Sénat, on pense
autrement, il faut le dire.
Par ailleurs, en matière de repos dominical, trois accords sont allés au-delà
des règles actuelles du code du travail, des règles qui, en l'occurrence, ne
datent pas de 1998 ! Devais-je reconnaître cette banalisation du travail le
dimanche, contraire au code du travail depuis plusieurs années ? Je n'ai pas
pensé qu'il fallait modifier la loi en la matière. Le Sénat souhaite-il que
nous étendions le travail le dimanche ? Là aussi, si c'est le cas, il faut le
dire.
Enfin, s'agissant de la formation, alors que nous avons reconnu que des
formations personnelles, visant à l'épanouissement du salarié, pouvaient être
suivies hors du temps de travail, il ne nous a pas semblé souhaitable de
prévoir que des formations pour de simples adaptations au poste du travail
pourraient être suivies en dehors du temps de travail. Là encore le Sénat
pense-t-il qu'il faut aller au-delà ?
Voilà les trois points majeurs sur lesquels nous n'avons pas étendu un certain
nombre de clauses d'accords de branche. Pour le reste, l'ensemble des accords
qui nous ont été proposés à l'extension ont été soit étendus, c'est le cas de
soixante-treize d'entre eux, soit sont sur le point de l'être, puisque trente
et un accords sont actuellement soumis à la procédure. Sur les huit qui
restent, un, que vous connaissez bien, s'est de lui-même mis à l'écart de la
loi, un autre a été refusé après l'opposition de trois organisations syndicales
et parce que l'exclusion d'un certain nombre de clauses aurait remis en cause
l'équilibre du texte, et les six derniers n'ont pas demandé l'extension. Tous
ceux qui ont été étendus ou qui vont l'être seront directement applicables si
le second projet de loi, tel qu'il est présenté aujourd'hui au Sénat, est
voté.
La réalité, la voilà. Si vous souhaitez que nous rouvrions ce débat, j'y suis
prête, c'est le jeu de la démocratie, mais je vous demande de me donner des
exemples. Je les ai sollicités en commission : on ne m'en a pas apporté ! Si
nous débattons, il faut tout de même que nous partions de données concrètes
!
Reste le problème de l'habillage et du déshabillage, qui correspond à un ajout
de l'Assemblée nationale. Ce point pose effectivement un problème, non pas pour
le dernier accord signé, mais dans le cas de certaines branches. Nous sommes en
train de l'étudier. Je rappelle que cette disposition ne figurait pas dans le
projet de loi initial ; je le précise non parce que j'en conteste le bien-fondé
mais parce que je tiens simplement à souligner que le projet de loi présenté
par le Gouvernement ne mettait pas en difficulté les accords de branche : bien
au contraire, il les rendait tout à fait applicables.
Telle est la réalité. Alors, pas de mauvaise querelle !
On a le droit d'être contre les 35 heures. On a le droit de considérer que
c'est une mauvaise solution pour l'emploi, pour les salariés et pour
l'économie. Mais on n'a pas le droit de dire le contraire de la vérité si l'on
souhaite un véritable débat démocratique.
J'en viens à la modulation, sur laquelle M. Fischer a eu raison d'insister.
Un accord sur deux prévoit aujourd'hui une modulation. Nous avions auparavant
un système de modulation un peu « sauvage » : on pouvait signer des accords
portant sur 20 à 48 heures, modifier les horaires de travail, ne pas légitimer
la modulation.
Aujourd'hui, dans tous les accords, le chef d'entreprise est obligé
d'expliquer les raisons qui l'amènent à mettre en place la modulation.
A mes yeux, la transparence et la démocratie dans l'entreprise, c'est aussi
cela.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si le chef d'entreprise estime
que la souplesse correspond à une nécessité, il doit expliquer en quoi aux
salariés. D'ailleurs, il a tout intérêt à ce que ceux-ci comprennent le
fonctionnement de l'entreprise et certaines nécessités, quitte à les contester
s'ils l'estiment nécessaire.
Deux tiers des accords prévoient un plafond inférieur ou égal 42 heures. Seuls
9 % des accords de modulation dépassent 40 heures pendant dix semaines dans
l'année.
Par rapport aux accords de modulation antérieurs, ils sont donc mieux cadrés
et les salariés sont mieux protégés.
Par ailleurs, des calendriers prévisionnels et des délais de prévenance sont
prévus pour que les salariés puissent connaître à l'avance les modifications
envisagées.
La moitié des accords modulent entre 30 et 39 heures ; ce n'est plus la
précarisation que l'on constatait auparavant.
Par ailleurs, nombre d'entre vous, notamment M. Fourcade, se sont inquiétés de
l'application de la réduction de la durée du travail dans les petites
entreprises. Plusieurs dispositions ont déjà été prises, je le rappelle, dans
la première loi, afin d'en adapter les modalités d'application aux petites
entreprises s'agissant, en particulier, des délais et des aides attribuées.
Nous procédons de la même manière dans la seconde loi. D'ailleurs, certains
amendements, qu'a salués M. Delmas, ont permis de prévoir, dans la seconde loi,
par exemple que les petites entreprises pourraient réduire par étape la durée
du travail jusqu'à 35 heures avant le 1er janvier 2002 et qu'elles
bénéficieraient des aides proportionnellement à la réduction de la durée du
travail.
Vous avez également été nombreux à soulever le problème de la pénurie de
main-d'oeuvre. Il s'agit d'un sujet majeur ! Cette pénurie touche le bâtiment,
l'artisanat, le commerce, le décolletage ; M. Carle nous en a longuement parlé.
Je souhaite m'attarder quelques instants sur cette question. Nous y travaillons
avec l'Union professionnelle artisanale depuis maintenant plus d'un an, avant
même que ne soit élaborée cette loi sur la durée du travail.
J'apprécie la démarche de l'Union professionnelle artisanale. Tout à l'heure,
M. de Montesquiou m'a demandé si je rencontrais les artisans du Nord comme il
voit ceux du Gers. Je rencontre les artisans et les commerçants, monsieur le
sénateur ! J'étais d'ailleurs, voilà quinze jours, à l'assemblée générale de
l'Union professionnelle artisanale où j'ai dû rencontrer les vôtres, monsieur
le sénateur, comme les miens, puisque la France entière était représentée.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est ce que je disais !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Aujourd'hui, ces artisans et
ces commerçants nous disent qu'ils connaissent des pénuries de main-d'oeuvre et
qu'ils n'arrivent plus à attirer des jeunes. Cela ne date pas de la réduction
de la durée du travail ; il y a longtemps que ce problème existe ! Les
sénateurs qui sont issus des zones rurales savent la difficulté que rencontrent
les bouchers, les boulangers, les cordonniers à voir reprendre leur commerce.
Les artisans qui veulent transmettre leur savoir ne parviennent pas à trouver
des jeunes pour exercer des métiers d'apprentissage et conclure des contrats de
qualification. Eh bien ! qu'ont-ils eu le courage de dire ? Que les conditions
de travail ne correspondent plus aujourd'hui à ce qu'attendent les jeunes.
M. Buguet, président de la Confédération de l'artisanat et des petites
entreprises du bâtiment, la CAPEB, a dit qu'il fallait réduire la durée du
travail - c'est l'un des premiers accords de branche signés, directement
applicable dans les petites entreprises - et il a proposé quatre formes de
réduction de la durée du travail. En effet, a-t-il indiqué, si nous maintenons
la durée du travail à 45 ou à 50 heures, nous n'aurons plus de jeunes et il ne
nous restera plus qu'à mettre la clé sous la porte.
Tel garagiste, tel boulanger, à Lille justement, m'ont dit qu'ils ne
trouvaient plus d'apprentis, mais que, depuis la loi sur les 35 heures, ce
n'était pas le choix qui manquait. Voilà la vérité ! Ces secteurs n'étaient
plus attractifs et lorsqu'ils arrivaient à trouver des jeunes et qu'ils les
formaient, ceux-ci partaient ailleurs à l'issue de leur formation, parce qu'il
n'est plus acceptable, aujourd'hui, de travailler 45 ou 50 heures par
semaine.
En liant la baisse des charges sociales et la réduction de la durée du
travail, nous permettons à ces secteurs de se moderniser, tout en activant leur
compétitivité, puisque, je le rappelle, la baisse du coût du travail est de 5 %
en dessous de 10 000 francs, une fois pris en compte le coût de la réduction de
la durée du travail.
Les artisans et les commerçants s'engagent dans cette voie de la réduction de
la durée du travail et nous y allons avec eux !
Voilà quelques jours, Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et
moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, et moi-même avons signé un
accord avec les professions artisanales. Nous reprenons, secteur par secteur,
les besoins de main-d'oeuvre. En début d'année, nous lancerons un vaste
mouvement de sensibilisation et d'information des jeunes dans les collèges et
les lycées, en partenariat avec l'éducation nationale, ainsi que dans les
missions locales, avec l'appui des associations de jeunes, pour leur faire
connaître ces métiers du commerce et de l'artisanat, ces métiers où 80 % des
jeunes qui entrent en apprentissage deviennent ensuite leur propre patron. Il
s'agit de métiers de services dont nous avons vraiment besoin pour faire vivre
nos villes.
Monsieur de Montesquiou, je rencontre les artisans et les commerçants !
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est ce que je disais !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je ne me contente pas de parler
! Je travaille avec eux, parce que je souhaite que le commerce et l'artisanat
se développent dans notre pays. C'est un secteur formidable en termes de
métiers. Et il est créateur d'emplois.
Actuellement, nous mobilisons l'ensemble des services de formation de l'Etat,
afin de pouvoir former, dans des délais brefs lorsque c'est nécessaire, dans
des délais plus longs lorsque le métier l'exige, des jeunes, de façon que ces
métiers profitent effectivement de la réduction du temps de travail pour se
moderniser et pour exister.
Si le président Delmas, les présidents de la Confédération générale de
l'alimentation de détail, la CGAD, des hôtels cafés restaurants et de la CAPEB
avancent avec nous, monsieur le sénateur, c'est peut-être parce qu'ils ont
l'impression que ceux qui sont derrière eux - ils sont 830 000 ! - les suivent.
Tel a d'ailleurs été mon sentiment quant j'ai assisté à l'assemblée générale de
l'Union professionnelle artisanale.
Ces mesures seraient une calamité pour l'agriculture, monsieur Soucaret !
Peut-être, mais je remarque quand même que dix-huit accords de branche ont été
signés dans ce secteur. En effet, dans l'agriculture aussi, on a besoin de
salariés ! Maintenant que des accords prévoient, secteur par secteur, des
modulations du travail intermittent, les salariés saisonniers pourront
travailler chaque année avec des contrats à durée indéterminée, en connaissant
leurs périodes de travail à quelques jours près, car seul le temps compte pour
les récoltes ou l'ensemencement.
Là aussi, si nous voulons que notre agriculture trouve encore des bras, il
faut essayer de faire en sorte qu'elle fonctionne dans de meilleures
conditions. Les accords qui ont été signés le montrent abondamment, me
semble-t-il.
J'en arrive aux allégements des charges sur les bas et les moyens salaires.
Mme Dieulangard, MM. Franchis, Gournac, Souvet et Fourcade se sont félicités de
cette mesure qui a été couplée avec les aides pérennes à la réduction du temps
de travail.
En citant les propos de Mme Péry, monsieur Souvet, vous avez parlé d'un
ralliement tardif du Gouvernement à cette politique. Vous avez évoqué certaines
phrases prononcées par Mme Péry, mais je pourrais en citer d'autres. Elle a
déclaré - je vous renvoie au compte rendu intégral des débats - que les 35
heures « ne s'opposent pas à l'allègement des charges sociales sur les bas
salaires ; bien au contraire. Il est en effet indéniable qu'il y a dans notre
pays un problème de charges sociales sur les bas salaires ». Il n'y a pas donc
pas eu de ralliement tardif du Gouvernement en ce domaine !
Si l'abaissement du coût du travail n'a pas été la première mesure prise par
le Gouvernement Jospin - et Mme Péry l'avait souligné - c'est parce que nous
étions confrontés à une difficulté majeure : dès la première année
d'application de la ristourne dégressive, en 1997, il manquait 7 milliards de
francs ! Je veux bien écouter tous ceux qui nous donnent des conseils pour
trouver un financement d'ici à cinq ans, mais il a bien fallu trouver les 7
milliards de francs qui nous manquaient la première année.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons été obligés, notamment, de
faire passer la ristourne dégressive de 1,33 à 1,3 %. En effet, dans le même
temps, il a fallu trouver les 40 milliards de francs pour pouvoir entrer dans
l'euro. Je crois me souvenir que cette somme correspondait à la baisse de
l'impôt sur le revenu annoncée par le gouvernement Juppé et non financée. Je
crois même avoir compris que le Président de la République avait pris une
certaine décision à cause de cette crainte. Alors, je veux bien entendre les
leçons, mais telle est la réalité d'aujourd'hui !
M. Emmanuel Hamel.
L'euro coûte trop cher !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si vous continuez à penser que
l'euro n'est pas une bonne chose, alors que 98 % du marché européen n'ont pas
été touchés par les crises asiatique et russe...
M. Emmanuel Hamel.
Je crois en la France !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... comme l'ont été les
Etats-Unis, eh bien ! soutenez-le, mais vous le soutiendrez bientôt tout seul,
monsieur le sénateur, car les résultats sont là !
Je souhaite d'ailleurs citer M. Fourcade qui, répondant à Mme Péry, a tenu les
propos suivants : « Madame le secrétaire d'Etat, j'ai trouvé votre intervention
très modérée. Je voulais vous en donner acte. Vous avez reconnu qu'il existe un
vrai problème » - il s'agit toujours des baisses de charges sociales - « Vous
avez expliqué que les propositions que nous présentions n'étaient pas tout à
fait abouties et financées. Nous pouvons en discuter. »
Comme toujours, M. Fourcade est honnête dans ses déclarations.
(Sourires.)
Nous croyons tous que la question des charges sociales est un problème
structurel de notre pays ; il existe depuis trente ans. Mais pour notre part,
nous avons toujours pensé - Mme Dieulangard l'a très bien dit - qu'il fallait
procéder à cette baisse des charges de deux manières.
Tout d'abord, nous avons souhaité élargir l'assiette des cotisations
patronales, ce que nous faisons par la contribution sur les bénéfices et sur
les activités polluantes. Mais nous ne souhaitons pas faire financer cette
baisse des charges, par exemple par les ménages ou par une hausse de TVA. En
effet, nous agirions alors comme vous l'avez fait avec la « ristourne Juppé »,
qui n'avait pas entraîné les effets escomptés parce que la consommation et la
croissance avaient été bridées.
Ensuite, nous avons voulu procéder à cette baisse des charges sans effet de «
trappe à bas salaires », comme ce fut le cas avec la ristourne dégressive, qui
a entraîné un tassement vers le bas des grilles hiérarchiques. Nous avons prévu
un système souple, jusqu'à 1,8 fois le SMIC.
M. Fourcade a regretté que nous n'ayons pas retenu, par simplicité, la
technique de l'abattement forfaitaire. Nous l'avons étudiée, bien sûr, car elle
apparaît plus simple. Cependant, elle nécessite de mobiliser des financements
extrêmement lourds car, pour aboutir au même allègement que celui que nous
proposons - 21 500 francs - il aurait fallu mobiliser 280 milliards de francs,
au lieu des 65 milliards de francs de la part de réduction des charges sociales
dont nous parlons.
D'ailleurs, le Sénat n'avait pas choisi cette modalité lors de l'adoption, en
juin 1998, de la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas
salaires, puisque ce texte aménageait les paramètres de la « ristourne Juppé »,
dont la complexité du mécanisme devrait d'ailleurs conduire certains à plus de
modestie sur ce que l'on appelle une « usine à gaz ». Je ne vous donnerai pas
lecture de ce dispositif, je l'ai lu devant l'Assemblée nationale. Je dois dire
que c'était assez étonnant !
En fait, l'allégement que nous proposons est un système mixte reprenant les
deux précédents : une aide forfaitaire de 4 000 francs, avec un supplément pour
les salaires inférieurs à 1,8 fois le SMIC, afin de maximiser l'efficacité des
mesures sur l'emploi tout en évitant l'effet « trappe à bas salaires ».
Certains ont regretté le mode de financement des allégements sur les bas et
les moyens salaires par redéploiement au sein des entreprises ; l'un
d'entre-vous a même dit que c'était le serpent qui se mordait la queue.
Personnellement, je ne trouve pas anormal que les entreprises de main
d'oeuvre, le commerce, l'artisanat, les PME financent autant la sécurité
sociale que les entreprises capitalistes qui ont choisi de substituer le
capital au travail. Les petites entreprises et certains secteurs de main
d'oeuvre ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils ont salué ce dispositif, qui ne
fait que rééquilibrer les prélèvements sur le plan aussi bien économique que
social.
Et puis, comme l'a dit Mme Dieulangard, une contrepartie est prévue en termes
d'emploi. Elle est très clairement affichée et elle sera contrôlée, comme j'ai
été amenée à le dire dans mon propos introductif.
Dans la proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires,
que vous avez adoptée en juin 1998, la question du financement avait été
relativement éludée. Je citerai les propos tenus alors par M. Gournac,
rapporteur de la proposition de loi, car il a été l'un des plus durs, hier, sur
le problème du financement.
« En fait, comme c'était le cas pour la réduction du temps de travail dans le
dispositif Robien, ces allégements généreront des recettes publiques grâce aux
emplois créés ; ils s'autofinanceront donc avec le léger décalage nécessaire
pour créer des emplois. » Cela correspond au recyclage, que vous contestiez
hier, monsieur Gournac.
(M. Gournac fait un signe de dénégation.)
Si ce
n'est pas vous, c'est l'un de vos voisins !
(Exclamations sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Je n'ai pas
mes notes ici, mais je peux citer deux ou trois termes : j'ai entendu parler de
« rackets » sur les finances publiques et sur les finances sociales. Vous y
pensiez.
« Cependant, pour des raisons évidentes », dites-vous - je ne sais pas
lesquelles - « la proposition de loi est gagée... par une taxe additionnelle...
Il s'agit de la taxe sur les tabacs. »
« Enfin, je tiens à vous faire part de mon étonnement quand je constate que
l'on met en avant son coût pour justifier le rejet d'un dispositif de lutte
contre le chômage. » C'est toujours vous qui parlez !
M. Cabanel, l'année dernière, dans sa grande sagesse, nous avait proposé de
mettre en place le système de recyclage que nous avions prévu et nous avions
alors repoussé sa suggestion. J'avais d'ailleurs moi-même répondu que je
souhaitais en discuter avec les partenaires sociaux.
Par conséquent, comment se fait-il que le système proposé l'année dernière par
l'un des vôtres, et qui était même envisagé par M. Gournac, soit devenu, hier,
un « racket » sur les finances sociales ? Effectivement, le Gouvernement a
souhaité proposer aux partenaires sociaux ce recyclage, cette activation des
dépenses passives qu'ils ont eux-mêmes utilisée pour l'allocation de
remplacement pour l'emploi, l'ARPE, ou pour les conventions de coopération.
Là aussi, deux langages par rapport à deux périodes !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Et alors, vous ne répondez rien ?
M. Guy Fischer.
Il reste muet !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je citerai un autre exemple de
ce double langage. La majorité sénatoriale, parce que nous avons effectivement
changé le mode de financement à la suite de l'opposition des partenaires
sociaux, ironise sur le fait que nous affections les droits perçus sur les
alcools et sur les tabacs au fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales. Ainsi M. Carle a même dit : « Fumez plus, buvez plus, pour
travailler moins » M. Arthuis, tandis que mentionnait le dessin de Plantu.
Dans le cas présent, je tiens à le souligner, le financement total, au travers
des droits perçus sur les alcools, s'élève à environ 12 milliards de francs,
alors que vous proposiez, l'année dernière, dans la proposition de loi que je
viens d'évoquer, d'augmenter le prix du tabac de 25 à 30 milliards de francs.
N'y a-t-il pas, là aussi, deux poids deux mesures ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est un symbole !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Dois-je vous rappeler par
ailleurs que c'est le fonds de solidarité vieillesse mis en place par M.
Balladur, qui est financé par les droits perçus sur les alcools ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Effectivement !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Alors ? Il serait donc
scandaleux de financer la réduction du temps de travail par les droits sur les
alcools, mais beaucoup moins scandaleux de financer de la même manière le
minimum vieillesse ?
Non, vous le voyez bien, tous ces débats, de par leur incohérence, ont de quoi
faire sourire, même sans le dessin de Plantu.
J'ai entendu dire aussi que nous mélangions tout, entre les finances publiques
et la sécurité sociale. Là encore, dois-je vous rappeler ce que comprend le FSV
et la façon dont il est financé ? On me parle d'usine à gaz ; on me parle de
transfert entre l'Etat et la sécurité sociale. Mais, pour le FSV, on peut y
aller : une part de la CSG, les taxes sur les alcools, la CSSS, qui provient
des grandes entreprises, et puis quelques produits financiers. N'est-ce pas là
un bon cocktail que l'on doit à la loi de finances ?
Alors, si nous avons été mal inspirés pour financer le fonds d'allégement des
charges sociales - destiné à favoriser cette baisse de charges que vous n'avez
jamais réussi à mettre en oeuvre bien qu'elle soit attendue par les commerçants
et les artisans - nous avons eu de grands maîtres. Que ces derniers se
montrent, aujourd'hui, un peu plus discrets dans leurs critiques !
D'ailleurs, quand nous transférons une partie du produit des taxes sur les
alcools dans ce fonds, nous transférons une taxe telle qu'elle existe, sans
l'augmenter, contrairement à ce qui était proposé l'année dernière pour la taxe
sur les tabacs. Car le FSV connaît un excédent durable, de l'ordre de 11
milliards de francs. Il n'y a donc pas d'augmentation de la taxe sur les
alcools, bien que j'aie entendu dire le contraire.
J'ai déjà évoqué l'activation des dépenses passives, mais je voudrais répondre
à M. Arthuis, qui a parlé de déontologie. J'en ai été profondément choquée.
En effet, monsieur Arthuis, j'ai proposé aux partenaires sociaux l'activation
de ces dépenses passives et je continue d'ailleurs à penser que ce n'était pas
totalement aberrant. D'ailleurs, M. Gournac, dans sa grande sagesse...
M. Jean Chérioux.
Grande sagesse, en effet !
(Sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... l'avait déjà proposée
l'année dernière, ainsi que M. Cabanel.
Malheureusement, il n'a pas conservé cette sage attitude...
(Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Charles Revet.
Pourquoi atténuez-vous votre propos ?
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il est vrai qu'il a bien changé !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai discuté et, face à
l'opposition des partenaires sociaux, nous avons trouvé un autre mode de
financement.
Monsieur Arthuis, vous m'avez dit hier sur un ton, convenez-en, assez
péremptoire, que ces mesures automatiques de prélèvement étaient
inadmissibles.
Je voudrais simplement vous rappeler que vous avez prélevé autoritairement et
unilatéralement 500 millions de francs sur l'UNEDIC dans le projet de loi de
finances pour 1997, 500 millions de francs sur la rémunération des chômeurs en
formation qu'il m'a fallu trouver dès mon arrivée pour permettre à l'AFR,
l'allocation de formation reclassement, de fonctionner.
M. Jean Arthuis.
C'est de la régulation budgétaire, et rien d'autre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Non, cessez de tenir deux
langages ! J'accepte de ne pas critiquer dès lors qu'on ne m'attaque pas mais,
quand on parle de déontologie, il faut faire attention aux propos que l'on
tient !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
Enfin, vous comprendrez mon étonnement quand j'entends la majorité
sénatoriale me reprocher de n'avoir financé qu'à 80 % sur cinq ans une réforme
attendue depuis trente ans, alors même que nous avions trouvé les 40 milliards
de francs de dettes...
M. Hilaire Flandre.
Parce que la gauche n'était pas au pouvoir pendant tout ce temps ?
M. Alain Gournac.
Combien de temps avez-vous été au pouvoir ?
M. le président.
Mes chers collègues, la parole est à Mme le ministre, et à elle seule.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai presque terminé,
rassurez-vous. Vous aurez tout le temps de vous remettre de mon intervention !
(Sourires.)
M. Alain Gournac.
Combien de temps avez-vous été au pouvoir ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Sachez, monsieur Arthuis,
puisque vous avez cité des chiffres - ceux, d'ailleurs, que je vous avais
donnés en aparté - que la dette accumulée par la sécurité sociale sur la
période 1989-1992 était de 40 milliards de francs, alors qu'elle s'est élevée à
266 milliards de francs entre 1993 et 1997. Les chiffres sont têtus, mais ils
sont là. Et, l'année prochaine, nous atteindrons l'excédent.
Donc, là encore, je veux bien recevoir des leçons, mais les chiffres sont là
!
M. Charles Revet.
Nous prenons date !
M. Hilaire Flandre.
La dette augmente tous les jours !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je tiens simplement à conclure
en soulignant, comme l'ont fait des membres de l'opposition sénatoriale les uns
après les autres, que l'objectif principal est de créer de l'emploi. Les 35
heures en créent déjà directement, et elles en créeront directement et
indirectement, car, quand on a du temps libre, on consomme des services, des
loisirs, de la culture, de la formation, du sport, autant de domaines qu'il
faut développer.
M. Hilaire Flandre.
Tu parles !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est une autre façon de vivre
: cela aussi, il faudra le prendre en compte.
Un certain nombre d'entre vous m'ont dit que le niveau de dialogue social
était moins élevé. Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, il n'a jamais été
aussi important dans notre pays qu'aujourd'hui. Et si, après les 35 heures, les
entreprises peuvent mieux fonctionner - je l'ai dit à plusieurs reprises - je
m'en réjouirai, car des entreprises plus compétitives aujourd'hui, ce sont des
entreprises qui, demain, créeront plus de richesses et plus d'emplois.
Si, demain, les Français vivent mieux, ce sera parce qu'ils disposeront de
temps libre pour s'occuper d'eux-mêmes, de leur famille et de la collectivité,
mais peut-être aussi auront-ils plus de temps pour considérer les autres, ceux
qui vont mal, pour s'occuper des personnes âgées, pour se retrouver entre eux
et - pourquoi pas d'ailleurs ? - pour faire la fête. A cet égard, j'ai
l'impression qu'ici on parle de « droit à la paresse », comme l'a très bien
relevé M. Fischer, alors qu'il s'agit tout simplement de vivre.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Guy Fischer.
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bravo !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je regrette, mais je pense que
la vie, cela se gagne et que, dans notre pays, tout le monde a envie de vivre
mieux.
Et puis, surtout, il y a l'emploi. J'ai entendu M. de Montesquiou nous parler
de la liberté individuelle. Mais de quelle liberté individuelle jouit un
chômeur aujourd'hui, pouvez-vous me le dire ? De quelle liberté individuelle
jouit aujourd'hui un chef de famille au RMI qui ne sait pas comment payer des
vacances à ses enfants, ou même comment payer la cantine ? Où sont les libertés
quand 20 % des Français en sont privés à un titre ou à un autre ?
La vérité, c'est que la liberté ne se partage pas et, personnellement, je n'ai
pas l'impression d'être libre quand une partie des Français ne l'est pas !
(M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.)
M. Charles Revet.
Oh ! 20 % des Français...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En cette fin de xxe siècle,
c'est bien là le sujet qui est le nôtre.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est un argument spécieux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Eh bien non, c'est la vérité ;
c'est peut-être aussi pour cela que je fais de la politique et c'est peut-être
cela qui, profondément, nous fait diverger, en définitive !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
(M. Jacques Valade remplace M. Jean Faure au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
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