Séance du 6 décembre 1999
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Loi de finances pour 2000.
- Suite de la discussion d'un projet de loi (p.
1
).
Emploi et solidarité
I. - EMPLOI (p.
2
)
MM. Joseph Ostermann, rapporteur spécial de la commission des finances ; Louis
Souvet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le
travail et l'emploi ; Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis de la commission
des affaires sociales, pour la formation professionnelle ; Mme Marie-Madeleine
Dieulangard, MM. Jean-Claude Carle, Dominique Leclerc, Guy Fischer, Georges
Mouly, Serge Lagauche, Dominique Larifla.
Mmes Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité ; Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Rejets des crédits.
Article 70 (p. 3 )
Amendements identiques n°s II-10 de la commission des finances et II-2 de la
commission des affaires sociales ; amendement n° II-14 de la commission des
affaires sociales. - M. le rapporteur spécial, Mmes Annick Bocandé, rapporteur
pour avis ; le secrétaire d'Etat. - Retrait des amendements n°s II-10 et II-2 ;
adoption de l'amendement n° II-14.
Adoption de l'article modifié.
II. - SANTÉ ET SOLIDARITÉ (p. 4 )
MM. Jacques Oudin, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jean Chérioux, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la solidarité ; Louis Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la santé.
Suspension et reprise de la séance (p. 5 )
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
M. Claude Huriet, Mme Anne Heinis, M. Lucien Neuwirth, Mme Nicole Borvo, MM.
Bernard Cazeau, Jean-Pierre Cantegrit, Dominique Leclerc, Daniel Goulet.
Mmes Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation
professionnelle ; Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action
sociale ; MM. Claude Huriet, Jean Chérioux, rapporteur pour avis.
Crédits du titre III (p. 6 )
M. le rapporteur spécial, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat.
Rejet des crédits.
Crédits des titres IV à VI. - Rejet (p.
7
)
Article 70
bis
(p.
8
)
M. le rapporteur spécial, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat.
Adoption de l'article.
Education nationale, recherche et technologie
II. - ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (p.
9
)
MM. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial de la commission des finances ; Jacques Valade, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles ; Lucien Neuwirth, Ivan Renar, Georges Othily.
Suspension et reprise de la séance (p. 10 )
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
MM. Serge Lagauche, André Maman.
MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie ; le rapporteur pour avis.
Crédits du titre III. - Rejet (p.
11
)
Crédits du titre IV (p.
12
)
MM. Jacques Valade, le ministre.
Rejet des crédits.
Crédits des titres V et VI (p.
13
)
III. - RECHERCHE ET TECHNOLOGIE (p.
14
)
MM. René Trégouët, rapporteur spécial de la commission des finances ; Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles ; Jean-Marie Rausch, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques ; Lucien Lanier, Ivan Renar, Georges Othily, Serge Lagauche, Albert Vecten.
Suspension et reprise de la séance (p. 15 )
MM. Henri Revol, Pierre Laffitte, Mme Anne Heinis, M. le rapporteur spécial.
MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie ; Pierre Laffitte.
Crédits du titre III (p. 16 )
M. André Maman.
Rejet des crédits.
Crédits des titres IV à VI. - Rejet (p. 17 )
3.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
18
).
4.
Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
19
).
5.
Ordre du jour
(p.
20
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
LOI DE FINANCES POUR 2000
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2000 (n° 88, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 89 (1999-2000).]
Emploi et solidarité
I. - EMPLOI
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et
la solidarité : I. - Emploi.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à périmètre
constant, les crédits inscrits au projet de budget de l'emploi progressent de
2,3 % par rapport à 1999, la croissance moyenne des dépenses de l'Etat étant
limitée à 0,9 %.
Je souhaiterais, dès à présent, attirer votre attention sur un point essentiel
de ce projet de budget, qui concerne une modification importante de la
nomenclature budgétaire.
En effet, les crédits du ministère de l'emploi s'élèvent, dans le projet de
loi de finances pour 2000, à 122,06 milliards de francs, alors qu'ils
s'établissaient à 162,06 milliards de francs en 1999.
Cette diminution apparente de près de 25 % des crédits résulte du fait que le
financement de la « ristourne dégressive » sur les bas salaires n'est plus
inscrit au budget de l'emploi dans le projet de loi de finances pour 2000.
Les dépenses engagées à ce titre, soit 39,49 milliards de francs, seront
prises en charge, dans le dispositif mis en place par le Gouvernement, par le
fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité
sociale, dont la création est prévue par l'article 2 du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2000. Une part du produit du droit de
consommation sur les tabacs manufacturés devrait alors être affectée à ce
nouveau fonds, pour assurer, à même hauteur, le financement de la « ristourne
dégressive ».
La nomenclature budgétaire subit ainsi une seconde modification très
importante en deux ans, car les crédits finançant cette ristourne étaient
inscrits, avant 1999, au budget des charges communes, pour un montant de 43
milliards de francs.
La Cour des comptes avait recommandé cette modification technique dont les
effets sont pourtant éminemment politiques. En effet, la prise en compte de ces
40 milliards de francs permettait, selon la Cour des comptes, de disposer d'une
vue d'ensemble de l'effort budgétaire consenti en faveur de l'emploi. La Cour
des comptes était auparavant contrainte de construire un « budget consolidé de
l'emploi » comprenant les crédits de l'emploi proprement dits et ceux du
chapitre 44-75 du budget des charges communes. Le financement des allégements
de charges sociales par un fonds distinct du budget de l'emploi devrait
susciter les mêmes critiques de la part de la Cour des comptes.
Toutefois, je m'interroge sur la sincérité de l'évaluation des crédits de la «
ristourne dégressive ».
En effet, en 1998, les crédits destinés au financement de cette disposition
fondamentale de la politique de l'emploi, dont les effets ont pu être mesurés
en termes de création de vrais emplois, c'est-à-dire d'emplois marchands,
avaient été arbitrairement réduits par le Gouvernement, afin de constituer une
provision de 3 milliards de francs destinée au financement des 35 heures. Cette
ponction avait alors amoindri les crédits affectés au financement de la «
ristourne dégressive », rendant, de ce fait, indispensable leur abondement par
la loi de finances rectificative pour 1998 à hauteur de 3 milliards de
francs.
En 1999, ces crédits avaient progressé, pour atteindre 42,725 milliards de
francs, mais ils diminuent de nouveau en 2000, les crédits transférés au fonds
de financement des 35 heures s'élevant non pas à 42,725 milliards de francs,
mais, comme je l'ai dit, à 39,49 milliards de francs. Cette réduction de
crédits de 3,235 milliards de francs n'est pas motivée, à l'exception d'un
vague « ajustement aux besoins ». Soit ces crédits ont été « surcalibrés » en
1999, soit ils seront insufffisants en 2000 !
Je souhaiterais maintenant, mes chers collègues, vous faire part des quatre
principales observations que m'inspirent les dotations allouées à l'amploi pour
2000.
Première observation : de nombreux dysfonctionnements ont marqué l'exécution
du budget de l'emploi.
La Cour des comptes a en effet présenté, dans son rapport sur l'exécution des
lois de finances pour 1998, sa première monographie consacrée au budget de
l'emploi.
Après avoir rappelé que le budget de l'emploi est désormais le deuxième budget
civil de l'Etat après celui de l'enseignement scolaire, ses dotations ayant
progressé de plus de 36 % depuis 1994, elle considère que ce budget est soumis
à une inertie qui en rend la réorientation difficile.
Elle se montre également sévère s'agissant de l'effort de maîtrise des
dotations budgétaires, qu'elle qualifie d'« insuffisant ».
Par ailleurs, son analyse conforte celle que j'avais développée l'année
dernière, lorsque j'avais souligné que le financement des priorités
gouvernementales était assuré par la réalisation d'économies significatives,
baptisées, pour la circonstance, « recentrages ».
Enfin, l'une des conclusions de son rapport insiste sur le fait que « le
budget de l'Etat ne retrace qu'une partie des financements publics de la
politique de l'emploi et de la formation professionnelle ». Je considère, dès
lors, que le projet de budget pour 2000 opère des choix très contestables.
C'est le cas, par exemple, de la création de 130 emplois, motivée, d'après le
Gouvernement lui-même, par la mise en place de la réduction autoritaire du
temps de travail. Non seulement les effectifs budgétaires du ministère
continuent de croître, mais la Cour des comptes a également rappelé que la
gestion des emplois par le ministère était loin d'être optimale.
En effet, dans un courrier en date du 28 juillet 1998 qui vous était adressé,
madame la ministre, le premier président de la Cour des comptes, M. Pierre
Joxe, écrivait que « la Cour a relevé que les effectifs dont disposait le
ministère étaient éloignés des prévisions et autorisations de la loi de
finances initiale. La description des effectifs qui figure en loi de finances
initiale ne correspond pas à la réalité ». Il concluait qu' « une amélioration
de la gestion prévisionnelle des effectifs est indispensable ».
Dans ces conditions, la création de ces nouveaux emplois me paraît
inopportune.
Deuxième observation : le coût du dispositif des emplois-jeunes va
croissant.
Les emplois-jeunes constituent l'une des deux priorités du Gouvernement en
matière d'emploi, avec la réduction du temps de travail. Or cette priorité est
extrêmement onéreuse, et son coût croît régulièrement chaque année.
Ainsi, 21,34 milliards de francs sont inscrits au budget de l'emploi pour
2000 au titre du financement des emplois-jeunes, soit une augmentation de 53,3
% par rapport à 1999.
Je vous rappelle que, à terme, le nombre des emplois-jeunes devrait s'élever à
350 000, soit un coût, en année pleine, de 33,25 milliards de francs. Pourtant,
le Gouvernement a fixé à 300 000 le nombre total d'emplois-jeunes en 2000.
Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner les raisons de cette révision à la
baisse de l'une des « mesures phares » du Gouvernement en matière d'emploi ?
En outre, le budget de l'emploi ne regroupe pas l'ensemble des crédits
destinés au financement de cedispositif.
En effet, l'éducation nationale a recruté des aides-éducateurs, le ministère
de l'intérieur des adjoints de sécurité, et l'outre-mer bénéficie de 11 000
emplois-jeunes. Le coût total des emplois-jeunes en 2000 s'élèvera donc à près
de 24 milliards de francs.
Enfin, je vous rappelle que l'avenir de ces jeunes est pour le moins
incertain, et qu'il est à craindre qu'un nombre important d'entre eux ne vienne
accroître les effectifs des fonctionnaires et, par conséquent, les dépenses du
budget général.
La Commission européenne, dans son rapport sur l'emploi, s'est d'ailleurs
montrée extrêmement critique sur ce dispositif que le Gouvernement a présenté,
au même titre que la réduction autoritaire du temps de travail, comme une «
bonne pratique » qu'il s'agit de diffuser. Elle estime ainsi que les
emplois-jeunes « ont contribué au recul du chômage des jeunes en 1998 », c'est
incontestable, mais que « la survie de ces postes, une fois qu'aura pris fin le
soutien financier des pouvoirs publics, dépendra de la capacité du programme à
générer des emplois économiquement viables ».
Troisième observation : le financement des 35 heures n'est pas assuré.
Mon rapport comporte des développements assez précis sur ce point. Je me
contenterai ici de rappeler les principaux éléments de ce dossier complexe.
Seuls 4,3 milliards de francs sont inscrits au projet de budget de l'emploi
pour 2000 au titre du passage aux 35 heures, alors que son coût est estimé à 25
milliards de francs environ pour l'année prochaine.
Le financement des 35 heures est, en effet, une véritable « usine à gaz ». Ses
modalités reposent en grande partie sur les dispositions du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2000 et sur un raisonnement postulant
le succès du passage aux 35 heures, le dispositif s'autofinançant en partie.
Or le financement du dispositif n'est pas totalement assuré.
Tout d'abord, celui-ci conduit à créer deux nouveaux prélèvements : une
contribution sociale sur les entreprises et une « écotaxe ». La fiscalité
pesant sur les entreprises restera donc lourde.
Ensuite, il prévoyait de mettre à contribution les organismes de protection
sociale, les caisses de sécurité sociale et l'Union nationale
interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'UNEDIC.
Or les partenaires sociaux étaient opposés à cette solution. Le Gouvernement,
reconnaissant implicitement son erreur, a fini par reculer lors de l'examen du
texte à l'Assembléenationale.
L'argument du Gouvernement repose sur des « voeux pieux », c'est-à-dire sur
l'hypothèse que les 35 heures seront à l'origine de nombreuses créations
d'emplois. Cela permettrait de « recycler » les économies de la sécurité
sociale, constituées par les moindres dépenses et par les suppléments de
recettes résultant, pour les régimes sociaux, des 35 heures.
On se rend compte que ce « recyclage », parfois aussi appelé « autofinancement
», est particulièrement hasardeux. En effet, si les 35 heures ne créent pas
d'emplois ou très peu, comme le montre le rapport de notre collègue Joël
Bourdin, rédigé au nom de la délégation du Sénat pour la planification, il n'y
aura pas d'économies à « recycler », et il faudra trouver le financement
ailleurs... C'est finalement ce qui s'est produit, dès avant l'adoption de la
loi sur les 35 heures ! De « recyclage » et d'auto-financement, il n'en est
plus question.
Le produit de la taxation des heures supplémentaires, ainsi que celui des
droits sur les alcools, aujourd'hui affectés au fonds de solidarité vieillesse
et à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, la
CNAMTS, viendront abonder le fonds de financement. Le Gouvernement a renoncé à
imposer une contribution à l'UNEDIC et au régime général de sécurité sociale et
a préféré priver ce dernier d'une partie de ses ressources...
J'estime que le Sénat ne saurait cautionner un tel « bricolage » qui est, par
d'ailleurs, lourd de menaces pour les finances publiques.
Quatrième observation : les gisements d'économies existent dans le budget de
l'emploi.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1998, devant la volonté du
Sénat de réaliser des économies budgétaires sur les crédits de l'emploi, vous
nous opposiez, madame la ministre, la réponse suivante : « Doit-on faire de
même pour l'insertion des publics en difficulté ? » Vous alliez jusqu'à ajouter
: « Je ne comprends pas très bien où vous souhaitez réduire les crédits du
titre IV. » Merci, madame la ministre, de nous avoir vous-même apporté la
réponse !
L'arrêté d'annulation du 2 septembre dernier a, en effet, annulé 3,05
milliards de francs de crédits au titre de l'emploi et de la solidarité, dont
750 millions de francs au détriment du financement de la formation
professionnelle, 1,2 milliard de francs au titre des dispositifs d'insertion
des publics en difficulté - alors que cet axe est présenté comme l'une des
priorités du ministère de l'emploi - et 1,1 milliard de francs sur les crédits
destinés à compenser l'exonération des cotisations sociales.
Par ailleurs, les annulations de crédits associées au collectif pour 1999
prévoient d'amputer les crédits de l'emploi de 4,39 milliards de francs, dont 1
milliard de francs au titre des dispositifs d'insertion des publics en
difficulté et 1,3 milliard de francs au titre du programme des emplois-jeunes,
ces deux dispositifs étant désignés comme des priorités du Gouvernement en
matière de politique de l'emploi.
Au total, le budget de l'emploi aura donc été réduit de près de 7,5 milliards
de francs en 1999.
Madame la ministre, j'aimerais que vous nous expliquiez comment ce qui était
impossible - presque sacrilège - hier est devenu possible aujourd'hui, et ce au
détriment du financement des dispositifs prioritaires du Gouvernement.
Parce que le budget de l'emploi est mal géré, parce qu'il est aujourd'hui
tronqué, parce qu'il promeut des politiques de type administratif et étatiste,
parce qu'il est tout entier subordonné à la mise en oeuvre d'une décision
autoritaire, arbitraire et idéologique, je demande au Sénat de rejeter les
crédits de l'emploi pour l'année 2000.
M. le président.
La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le travail
et l'emploi.
Monsieur le président, madame le ministre, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'année 1999 devait être l'année de la
réforme de l'assiette des cotisations sociales patronales. Il était également
prévu que le Gouvernement procède à une grande refonte de la formation
professionnelle, dont on pouvait espérer qu'elle permettrait de dégager les
moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre d'un projet ambitieux. Enfin,
la commission des affaires sociales du Sénat escomptait que seraient adoptées
des dispositions particulières permettant d'assurer la professionnalisation des
emplois-jeunes, en tenant compte des remarques qu'elle avait formulées à
l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1999.
Force est de constater que ce budget de l'emploi et de la formation
professionnelle ne répond pas à ces attentes. Il comporte, certes, des
dispositions qui vont dans le bon sens : les moyens du service de l'emploi sont
renforcés, les contrats aidés font l'objet d'une évaluation et d'adaptations
qui s'avéraient nécessaires.
Mais les réponses attendues ne sont pas au rendez-vous. Les effectifs de la
formation en alternance stagnent : l'Etat continue à prélever sur le fonds de
la formation professionnelle pour compenser des économies budgétaires sur les
engagements qui demeurent à sa charge ; près de la moitié des emplois-jeunes ne
savent pas quel avenir leur est réservé ; enfin, la grande réforme des
cotisations sociales patronales a pris, comme l'a dit M. le rapporteur spécial,
la forme d'une « usine à gaz » ayant pour vocation principale d'assurer le
financement des 35 heures.
Ces dispositions se traduisent par un profond changement de la nomenclature du
budget de l'emploi, marqué par le transfert des allégements de cotisations
sociales - c'est la « ristourne dégressive » - et des aides à la réduction du
temps de travail à un fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales créé par l'article 2 du projet de loi de financement de la sécurité
sociale.
En conséquence, les crédits du budget de l'emploi s'élèveront à 122,06
milliards de francs en 2000 contre 119,32 milliards de francs en 1999 à
périmètre 2000 constant, c'est-à-dire hors ristourne dégressive, ce qui
représente une hausse de 2,3 % des crédits.
On observera qu'à structure constante 1999, c'est-à-dire en ajoutant aux
crédits de l'emploi pour 2000 la ristourne dégressive telle que débudgétisée
après « ajustement au besoin », le budget de l'emploi est en baisse de 0,3 %.
Cela illustre bien les précautions avec lesquelles il convient d'accueillir les
données chiffrées - comme toujours, d'ailleurs - et les commentaires qui les
accompagnent, qui peuvent être parfois éloignés de la réalité.
Outre cette question de nomenclature, il demeure un problème de lisibilité des
crédits consacrés à la réduction du temps de travail. L'intitulé de l'article
10 du chapitre 44-77 - « exonération de cotisations sociales au titre de
l'incitation à la réduction du temps de travail » - laisse penser que les 4,3
milliards de francs inscrits sur cette ligne sont destinés à financer les aides
incitatives prévues par la loi du 13 juin 1998. Or il n'en est rien : ces
crédits serviront, en définitive - vous l'avez admis devant la commission des
affaires sociales, madame la ministre - à subventionner le fonds de financement
des cotisations patronales de sécurité sociale créé par la loi de financement
de la sécurité sociale.
La présentation des crédits se doit d'être claire, mais force est de constater
que ce n'est pas toujours le cas.
Par ailleurs, des interrogations subsistent sur le devenir des crédits
inscrits en loi de finances pour financer la réduction du temps de travail.
Seuls 78 millions de francs ont été consommés sur les 2,8 milliards de francs
budgétés en 1998, et au 30 septembre 1999, seuls 706 millions de francs avaient
été consommés sur les 3,5 milliards de francs inscrits en loi de finances.
L'état des reports de crédits reste donc aujourd'hui peu clair, ce qui est
regrettable.
J'observe, à cette occasion, que les faibles taux de consommation des crédits
budgétaires prévus pour financer la loi du 13 juin 1998 confirment la modestie
des résultats de cette loi et contrastent avec les déclarations du
Gouvernement.
Le troisième point caractéristique de ce débat budgétaire réside, à mon sens,
dans la confirmation de la volte-face du Gouvernement sur la politique
d'allégement des cotisations sociales patronales initiée en 1993, poursuivie en
1995 et délaissée en 1997.
Au printemps 1998, madame la secrétaire d'Etat à la formation professionnelle,
vous déclariez au Sénat, lors du débat sur la proposition de loi tendant à
alléger les charges sur les bas salaires déposée sur l'initiative de M.
Christian Poncelet, notamment, qui était à l'époque président de la commission
des finances de notre assemblée : « Le Gouvernement n'a pas souhaité poursuivre
cette politique d'allégement des charges entreprise depuis 1993 parce qu'il
n'est pas convaincu que le niveau du coût du travail constitue un obstacle à
l'emploi, qu'il estime relative l'efficacité de cette politique et que son
financement ne lui semble pas assuré. »
A cet égard, la commission des affaires sociales a été très satisfaite
d'apprendre que notre collègue député Jean-Claude Boulard se félicitait de ce
que « la politique d'allégement des charges sociales engagée soit poursuivie,
et même accentuée » en 2000.
Notre conviction est, en effet, que seule cette politique permettra de créer
plus d'emplois à l'avenir.
S'agissant du détail des autres mesures budgétaires, j'observe tout d'abord
que le nombre d'emplois-jeunes devrait atteindre 236 000 d'ici à la fin de
l'année et que 300 000 emplois auront été créés à la fin de l'année 2000, pour
un objectif initial de 350 000. Les crédits relatifs à ce dispositif s'élèvent
à 21,34 milliards de francs, soit une hausse de 53,3 % par rapport à 1999.
Il doit néanmoins être souligné que le projet de création de 350 000 emplois
dans le secteur non marchand semble définitivement abandonné par le
Gouvernement.
Les crédits affectés au financement du réseau d'accueil des jeunes progressent
de 12 % à structure constante, pour atteindre 467 millions de francs.
Ce réseau joue un rôle central dans la mise en oeuvre du programme
d'accompagnement personnalisé vers l'emploi, dit programme TRACE, dont
l'objectif est d'accueillir 60 000 jeunes en 2000.
Les actions en faveur des publics en difficulté prennent la forme d'un
renforcement des dispositifs adaptés aux publics les plus éloignés du marché du
travail - TRACE, contrat emploi consolidé et contrat de qualification adulte -
ainsi que celle d'un recentrage des dispositifs traditionnels - contrat
emploi-solidarité, contrat initiative-emploi et stage - sur les publics
prioritaires.
Ce recentrage a pour objectif d'accroître la part des publics prioritaires
dans les contrats nouveaux et en cours, même si l'offre globale de places
nouvelles diminue par rapport aux entrées prévues par la loi de finances de
1999, soit 575 000 au lieu de 675 000.
La commission des affaires sociales n'est pas hostile à cet effort
d'évaluation et aux redéploiements de crédits, à condition qu'ils permettent la
mise en place de dispositifs plus efficaces, ce dont on peut douter, notamment
à propos des 35 heures.
En ce qui concerne le nombre des entrées dans le dispositif, on observe ainsi
que 155 000 personnes devraient bénéficier d'un contrat initiative-emploi en
2000 contre 180 000 en 1999, soit une diminution de 13,9 %, que 360 000
personnes devraient bénéficier d'un contrat emploi-solidarité contre 425 000
l'année passée, soit une baisse de 15,3 %, alors que le nombre d'entrées en
emplois consolidés à l'issue d'un CES devrait rester stable, à hauteur de 60
000.
A propos des dispositifs destinés aux chômeurs de longue durée, la commission
des affaires sociales observe que les entrées prévues dans les stages
d'insertion et de formation à l'emploi, les SIFE, et les stages d'accès à
l'entreprise, les SAE, sont en légère baisse pour 2000, puisque 150 000
personnes devraient en bénéficier contre 175 000 en 1999. Cette évolution se
traduit dans les crédits, puisque la dotation budgétaire diminue de 8 % pour
s'établir à 2,9 milliards de francs.
Il est à noter que les structures de l'insertion par l'économique
bénéficieront de crédits en hausse de 22 % en 2000, pour atteindre 910 millions
de francs.
J'évoquerai enfin la subvention de l'Etat à l'ANPE. Elle devrait augmenter de
10,4 % et s'établir à 6,38 milliards de francs, afin de permettre à l'agence de
mettre en oeuvre le troisième contrat de progrès qui porte sur les années 1999
à 2003.
Ce troisième contrat aura pour objectif de renforcer la qualité des services
rendus aux demandeurs d'emploi et aux entreprises et de poursuivre la
modernisation de l'agence, notamment par l'augmentation des effectifs.
Je terminerai en évoquant les dépenses de personnel du ministère, qui
augmentent de 5,5 % et s'établissent à 2,5 milliards de francs. Cette
augmentation de crédits devrait permettre la création nette de 130 emplois,
dont 13 en administration centrale et 117 au sein des services déconcentrés.
S'agissant des orientations de ce projet de budget de l'emploi, la commission
des affaires sociales a le sentiment d'une occasion manquée. Alors que la
conjoncture permettait enfin de construire une politique de l'emploi moderne
préparant l'avenir, il n'est proposé que la mise en oeuvre de promesses qui ne
lui paraissent pasraisonnables.
Le Gouvernement se félicite de la baisse du taux de chômage et s'en attribue
la paternité, en évoquant notamment les 35 heures. Le taux de chômage devrait
effectivement s'établir à 11 % en 1999, et on évoque même des taux de 10,3 % en
2000 et de 9,6 % en 2001.
Pourtant, ces chiffres ne suffisent pas à décerner un satisfecit au
Gouvernement, pour au moins deux raisons : la baisse du chômage est largement
le fait d'un retour de la croissance générale en Europe et la conséquence des
politiques mises en place depuis 1993, et les mesures décidées par l'actuel
gouvernement ne paraissent pas avoir eu d'effets notables sur l'évolution de
l'emploi dans le secteur marchand.
Le Sénat ayant déjà marqué son désaccord avec la méthode retenue pour réduire
la durée du travail et ses regrets devant l'absence de dispositions favorisant
une véritable professionnalisation des jeunes, la commission des affaires
sociales a très logiquement émis un avis défavorable à l'adoption des crédits
consacrés au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle contenus
dans le projet de loi de finances pour 2000.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la formation
professionnelle.
Monsieur le président, madame le ministre, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat budgétaire de l'année dernière
avait été marqué par un recentrage des aides publiques à l'alternance.
Un décret du 12 octobre 1999 avait restreint le champ des bénéficiaires de
l'aide forfaitaire à l'embauche pour les contrats de qualification aux jeunes
les moins qualifiés, alors que l'article 80 du projet de loi de finances pour
1999 avait opéré la même modification pour les contrats d'apprentissage.
Aujourd'hui, et compte tenu de ces dispositions malthusiennes, on observe un
léger tassement des crédits consacrés à la formation professionnelle.
Ces crédits s'élèvent à 30,6 milliards de francs, dont 26 milliards de francs
pour l'agrégat « participation de l'Etat à la formation professionnelle », soit
une baisse de 1,6 %.
Ces données m'amènent à formuler deux remarques sur l'évolution des crédits :
ils sont, certes, suffisants pour assurer la reconduction des actions de
formation engagées les années précédentes ; toutefois, ils sont loin
d'atteindre le niveau qui permettrait de considérer que le développement de la
formation professionnelle constitue une priorité du Gouvernement au même titre
que les emplois-jeunes ou les 35 heures.
Je nuancerai mon propos en soulignant qu'une nouvelle fois la discussion du
budget de la formation professionnelle intervient dans un contexte de réforme
annoncée qui gèle pour ainsi dire les initiatives et explique que ce budget se
cantonne dans des actions de reconduction.
Quatre directions ont ainsi été esquissées par le Gouvernement à la suite de
la publication du Livre blanc intitulé
La formation professionnelle,
diagnostics, défis et enjeux :
la création d'un droit individuel à la
formation, la professionnalisation des jeunes, la meilleure prise en compte de
l'expérience professionnelle acquise et la clarification du rôle des différents
acteurs.
A propos de ce budget, j'observerai que le total des crédits consacrés à
l'alternance s'élève à 12,2 milliards de francs, soit une baisse de 2,4 %
consécutive au recentrage des primes sur les bas niveaux de qualification opéré
par la loi de finances pour 1999.
Les primes relatives aux contrats d'apprentissage baissent de près de 12 % et
celles qui sont relatives aux contrats de qualification de 32 %, le montant
total de ces diminutions de crédits s'élevant à 660 millions de francs.
L'idée de recentrage supposerait que ces crédits sont réalloués sur des
dispositifs prioritaires. Or cela n'est que partiellement le cas puisque, si
l'on observe une hausse de 20 % des primes relatives aux contrats de
qualification et une hausse de 60 % du montant des exonérations de cotisations
sociales de ces mêmes contrats, ces augmentations ne portent que sur 170
millions de francs.
On peut, dans ces conditions, considérer que, sous le vocable de « recentrage
», s'opère en fait une économie budgétaire de près de 500 millions de francs,
au détriment des formations en alternance.
Ce sentiment est confirmé par l'analyse des flux d'entrée dans les contrats
d'alternance. Le nombre des contrats d'apprentissage baisse de 4,3 % à 220 000,
et celui des contrats de qualification de 3,8 % à 125 000. Compte tenu de
l'augmentation du nombre de contrats de qualification adultes, on observe
globalement une baisse de 2,7 % du nombre des contrats en alternance, qui
devrait être ramené à 360 000 en 2000.
La commission des affaires sociales ne peut que regretter cette situation, qui
contraste avec l'état actuel du marché du travail. Selon le baromètre mensuel
La TribuneCrédit Lyonnais
du mois de novembre, près des deux tiers - 64
% - de l'échantillon de patrons de PME interrogés affirment rencontrer des
difficultés pour embaucher les spécialistes qu'ils recherchent, ce qui est
particulièrement préoccupant dans les secteurs des transports, du BTP, de la
vente ou de l'industrie.
J'ai le sentiment que la formation professionnelle doit jouer un rôle
fondamental dans la réforme nécessaire du fonctionnement du marché du travail
et peut constituer la réponse adéquate à ce problème de pénurie de
main-d'oeuvre.
Alors que le Gouvernement annonce la discussion prochaine de dispositions
législatives courant 2000 et d'un véritable projet de loi en 2001, je souhaite
insister sur le fait qu'une des raisons principales qui expliquent le niveau
élevé du taux de chômage français réside dans le déficit de formation,
c'est-à-dire dans l'inemployabilité.
La commission des affaires sociales souligne que les crédits consacrés aux
actions de formation à la charge de l'Etat baissent de 2,8 %, pour s'établir à
5,8 milliards de francs. Par ailleurs, les crédits consacrés aux contrats de
plan Etat-région baissent de 2 %.
Au titre des dépenses de rémunération de la formation professionnelle, les
crédits affectés au programme national de formation professionnelle sont
stabilisés à 926 millions de francs. Ces crédits concernent la rémunération des
stagiaires suivant des formations financées par l'Etat.
Par ailleurs, les crédits consacrés au financement de l'allocation
formation-reclassement baissent de 7 %. Ces crédits qui devraient atteindre 2,5
milliards de francs sont destinés à rémunérer les demandeurs d'emploi entrant
en formation.
On notera également que les crédits relatifs à la dotation de décentralisation
concernant la formation professionnelle et l'apprentissage, rassemblés au
chapitre 43-6, augmentent de 0,6 % pour atteindre presque 8 milliards de francs
en 2000.
Je traiterai brièvement maintenant de l'Association nationale pour la
formation professionnelle des adultes, l'AFPA.
Je rappelle que cette association concourt à la réalisation de la politique de
l'Etat en ce qui concerne la formation qualifiante, à l'échelon national et
déconcentré, c'est-à-dire qu'elle est partie intégrante du service public de
l'emploi. Sa dotation augmente de 5,4 % pour s'établir à 4,7 milliards de
francs. Cette augmentation s'inscrit dans le cadre des objectifs définis par le
contrat de progrès 1999-2003 qui prévoit une augmentation de l'activité «
orientation » de l'AFPA. Il s'agit de faire passer le nombre de personnes
orientées de 80 000 à 250 000 en 2003.
L'AFPA doit également mener une action prioritaire en direction des demandeurs
d'emploi afin de leur offrir un service personnalisé d'appui à un projet
professionnel.
J'en viens à la délicate question des prélèvements opérés par l'Etat sur les
fonds de la formation professionnelle.
Déjà, en 1997, l'article 40 de la loi de finances avait institué une
contribution exceptionnelle au budget de l'Etat égale à 40 % de la trésorerie
nette des fonds de la formation en alternance, soit 1,7 milliard de francs. Par
ailleurs, l'article 75 de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier avait institué une contribution
exceptionnelle au budget de l'Etat de 500 millions de francs. La commission des
affaires sociales s'était opposée à ces deux prélèvements, au motif que ces
détournements, dans l'utilisation des fonds, lui apparaissaient comme
préjudiciables aux entreprises.
L'année dernière, le Gouvernement avait décidé à nouveau que 500 millions de
francs seraient prélevés sur les fonds de l'AGEFAL, l'Association de gestion du
fonds des formations en alternance. Ces fonds devaient faire l'objet d'une
utilisation concertée avec les partenaires sociaux, le Gouvernement s'étant
engagé à assurer, le cas échéant, la couverture effective des dépenses exposées
par les entreprises dans le cadre des contrats en alternance.
Prenant acte de cette garantie et regrettant néanmoins le flou qui entourait
le fonctionnement de ce fonds, la commission des affaires sociales avait
souhaité faire part de sa réserve, sans toutefois manifester une opposition
radicale pour tenir compte de la réforme à venir des modalités de financement
de la formation professionnelle et de la garantie apportée par le
Gouvernement.
Or, force est de constater que le flou demeure et que les prélèvements
exceptionnels sur les fonds de la formation deviennent de plus en plus
habituels, comme en témoigne l'article 70 du projet de loi de finances. Cet
article tend à centraliser les excédents financiers du capital de temps de
formation, le CTF au niveau d'une section particulière créée au sein du fonds
national habilité à gérer les excédents financiers du congé individuel de
formation, le CIF.
Je rappelle que le CTF a pour objet de permettre aux salariés de suivre au
cours de leur vie professionnelle et à leur demande, et pendant leur temps de
travail, des actions de formation prévues au plan de formation de l'entreprise,
dans le but de se perfectionner, d'élargir ou d'accroître leur qualification.
Ce dispositif est financé par 50 % au plus de la participation des entreprises
au financement du CIF, à hauteur de 0,2 % du montant des salaires, c'est-à-dire
une contribution au plus égale à 0,1 % des salaires.
L'article 70 prévoit d'étendre le champ de compétences du fonds créé par la
loi de finances pour 1996 qui, actuellement, gère les excédents financiers des
organismes collectant les fonds du CIF, à la gestion des excédents financiers
dont disposent les organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, gérant
les contributions des employeurs affectées au financement du CTF.
Cette disposition pourrait être considérée favorablement si la centralisation
des disponibilités excédentaires du CTF n'apparaissait pas comme le moyen
d'affecter une contribution de 500 millions de francs, versée par le comité
paritaire du CIF au budget de l'emploi par voie de fonds de concours, afin de
compenser la diminution des crédits destinés au financement de l'indemnité
compensatrice forfaitaire à l'apprentissage.
Il s'agit donc, une fois encore, de procéder à un prélèvement exceptionnel sur
les fonds de la formation professionnelle.
Dès lors que ces prélèvements présentent un caractère structurel, l'urgence
d'une réforme du mode de financement des organismes collecteurs de fonds
devient, chaque année, de plus en plus évidente.
La commission des affaires sociales a déjà, à cet égard, marqué sa préférence
pour une réduction des cotisations versées par les entreprises.
Pour l'instant, il me semble que nous devrions refuser ce nouveau prélèvement
dont le caractère récurrent traduit le penchant du Gouvernement à considérer
les fonds collectés par les partenaires sociaux comme une ressource budgétaire
parmi d'autres, destiné à financer les priorités du Gouvernement, comme l'a
également montré le débat sur le financement des 35 heures à travers le projet
de contribution de l'UNEDIC et des régimes de sécurité sociale.
Plus généralement, je crois qu'il convient de nous interroger sur la politique
du Gouvernement en matière de formation professionnelle. Stagnation des
effectifs dans les dispositifs en alternance, priorité donnée aux
emplois-jeunes sur les formations qualifiantes, prélèvements exceptionnels sur
les fonds de la formation constituent les traits les plus saillants de cette
politique.
Dans ces conditions, l'examen des crédits budgétaires relatifs à la formation
professionnelle doit être l'occasion de prendre nos distances avec une
politique de l'emploi qui inverse les priorités en favorisant les dispositifs
de moyen terme non qualifiants sur la formation et en braquant les partenaires
sociaux qui sont pourtant les acteurs déterminants de tout progrès social.
En conséquence, je vous propose, mes chers collègues, de nous rallier, pour
les crédits de la formation professionnelle, à l'avis négatif formulé par M.
Louis Souvet en ce qui concerne les crédits de l'emploi. Je défendrai, par
ailleurs, un amendement de suppression de l'article 70.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Goupe du Rassemblement pour la République, 24 minutes ;
Groupe socialiste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 22 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes.
Madame le ministre, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous
rappeler que, en accord avec M. le ministre des relations avec le Parlement, le
Gouvernement dispose également d'un temps de parole prédéterminé. Il serait
souhaitable, pour le bon déroulement de cette longue semaine budgétaire, que
chacun fasse les efforts nécessaires pour respecter le temps de parole qui lui
a été attribué.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la discussion budgétaire offre la possibilité d'appréhender
dans sa globalité la cohérence d'un projet politique, de débattre de nos
divergences, de relayer les attentes et les interrogations de nos
concitoyens.
Les chapitres budgétaires consacrés à la politique de l'emploi figurent de
nouveau parmi les priorités du Gouvernement, avec plus de 122 milliards de
francs, soit une augmentation de 2,3 % pour une progression budgétaire moyenne
de 0,9 %.
Nous avons désormais suffisamment de recul pour mieux apprécier la véritable
décrue du chômage dans notre pays qui vient d'atteindre son niveau le plus bas
depuis février 1993.
Cette réalité, les familles la vivent au quotidien parce que leur enfant
trouve un travail, parce que la menace d'un licenciement se fait moins
oppressante, parce que les chances de retrouver un emploi pour les chômeurs de
longue durée s'accroissent.
Pourtant, l'opposition adopte des discours visant tantôt à attribuer à la
seule croissance les raisons de cette amélioration, tantôt à contester
l'honnêteté de ces statistiques.
L'adoption du budget pour 2000 nous permettra de poursuivre la mise en oeuvre
des réformes, certaines engagées avant 1997, d'autres initiées par le
Gouvernement depuis deux ans.
Il s'agit de la réduction du temps de travail et de la réforme des cotisations
patronales qui lui est attachée ; de la lutte contre les exclusions ; de la
rationalisation des dispositifs de cessation d'activité et de l'amélioration
des moyens des structures - publiques ou non - qui ont pour mission
d'accompagner les demandeurs d'emploi.
Je commencerai par évoquer le volet consacré aux dotations qui vont faciliter
la réduction du temps detravail.
Demeurent inscrits au budget les crédits affectés aux mesures mises en place
par la loi Robien, soit 2,72 milliards de francs, et la contribution de 4,3
milliards de francs de l'Etat au nouveau fonds créé dans le cadre de la loi de
financement de la sécurité sociale afin d'alléger le poids des prélèvements
pesant sur les salaires. C'est un des points qui nous oppose à la majorité
sénatoriale.
Différents mécanismes d'allégements, principalement créés afin d'encourager
l'implantation d'entreprises dans certaines régions sensibles, telles que les
départements d'outre-mer, les zones de revitalisation rurale ou urbaine, les
zones franches demeurent inscrites au budget de l'emploi.
Ces politiques qui prennent en considération les difficultés spécifiques de
certains territoires sont justifiées ; il conviendra cependant, en étroite
relation avec les ministères en charge de l'outre-mer, de l'aménagement du
territoire et de la ville, d'en évaluer l'impact dans l'ensemble de ses
dimensions.
J'en viens aux différents dispositifs consacrés aux personnes qui éprouvent le
plus de difficultés pour entrer ou revenir sur le marché de travail.
Les jeunes ont été, jusqu'à une période très récente, une catégorie
dramatiquement marquée par le chômage. A ce titre, un chiffre doit nous
interpeller : 42 % des contrats aidés les concernent.
La majorité s'était engagée à explorer toutes les pistes afin de lutter contre
ce qui ne devrait pas être une fatalité, en permettant à ces jeunes de « mettre
le pied à l'étrier », y compris les jeunes diplômés. C'est un des objectifs des
emplois-jeunes qui, parallèlement, doivent être positionnés sur des besoins
nouveaux peu ou non satisfaits.
Ce programme a permis à plus de 203 000 jeunes de trouver un emploi, de se
sentir utiles et de mieux intégrer la société. Les jeunes des quartiers en
difficulté représentent aux alentours de 15 % des embauches, et la répartition
entre les niveaux de qualification atteste un véritable équilibre.
Ils ont permis à la collectivité de satisfaire de nouvelles aspirations, que
ce soit dans l'amélioration du lien social, de la protection de l'environnement
ou de l'enrichissement des activités de loisirs. Toutes ces pistes qui, il y a
moins de deux ans, donnaient lieu à des commentaires sceptiques, parfois
cyniques, participent aujourd'hui à l'amélioration de la vie de nos
concitoyens.
Avec une dotation de plus de 21 milliards de francs, le Gouvernement conforte
les moyens de ce programme, qui devrait concerner l'année prochaine près de 300
000 jeunes.
La pérennisation de ces emplois est au centre de nos préoccupations. Elle
renvoie à plusieurs questions : le financement, bien sûr ; le perfectionnement
de la formation, permettant éventuellement de déboucher sur des recrutements
définitifs ; l'émergence de nouvelles qualifications pour de nouveaux métiers -
je pense notamment à ceux qui se situent dans le champ de la médiation sociale
ou de la protection de l'environnement.
Parallèlement, la loi de lutte contre les exclusions a mis en place le
programme TRACE, qui permet un accompagnement, sur une période pouvant aller
jusqu'à dix-huit mois, des plus marginalisés de nos jeunes, pour lesquels il
faut parfois en même temps traiter des problèmes de formation, voire
d'illettrisme, de santé, et de socialisation.
La mise en oeuvre de ce programme relève d'une démarche globale avec les
jeunes. Elle se heurte parfois à des obstacles institutionnels difficilement
compréhensibles. Je pense, en effet, aux réticences qu'ont certains conseils
régionaux à s'impliquer - c'est le cas notamment pour le mien, les Pays de la
Loire - dès lors qu'il s'agit, par exemple, de mobiliser des fonds pour ce
qu'ils estiment être de l'insertion sociale. Quant au fonds d'aide aux jeunes,
le FAJ, qui devrait pouvoir être sollicité pour assurer aux jeunes engagés dans
un parcours une garantie de ressources, trop de témoignages attestent de la
rigidité des critères d'attribution. Ici, l'objectif est d'atteindre près de 45
000 jeunes l'année prochaine.
J'en viens maintenant aux différents contrats aidés. Leur accessibilité avait
fait l'objet d'observations de nombreux acteurs de l'insertion, ainsi que de la
Cour des comptes, qui dénonçaient le fait que les moins défavorisés
concurrençaient les plus en difficulté dans l'accès à ces postes.
Le Gouvernement a entrepris un recentrage de ces dispositifs sur les chômeurs
de longue durée, les titulaires de minima sociaux, les handicapés, recentrage
qui sera poursuivi dans le cadre du budget 2000.
Le premier pôle demeure les CES avec 360 000 entrées financées par une
dotation de plus de 9 milliards de francs. On constate une nette diminution de
la part des jeunes dans ce dispositif. En revanche, la forte proportion de
femmes - elles sont 62 % - démontrent à quel point elles se heurtent à des
difficultés endémiques d'insertion sur le marché du travail. Elles constituent
d'ailleurs une majeure partie des travailleurs précaires.
Permettez-moi ici de signaler le problème rencontré par les unions régionales
des CIDF, qui sont de plus en plus sollicitées pour conseiller les femmes dans
leurs parcours d'insertion professionnelle. Nous souhaitons que soit trouvée
une solution aux difficultés de financement à l'échelon régional qui ont surgi
après l'adoption de la loi de finances pour 1997.
Le second pôle est constitué par les CIE, pour lesquels l'Etat débloquera plus
de 7 milliards de francs et qui devraient permettre l'embauche de 155 000
personnes. A cet égard, les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle
créée à l'Assemblée naionale ont souligné que ce dispositif permettait, en
fait, d'atténuer la sélectivité de l'embauche.
Si ces deux dispositifs connaissent une baisse relative des crédits, les CEC
pouvant aller jusqu'à cinq ans connaissent une augmentation. Leur dotation
atteint 5,3 milliards de francs, afin d'accueillir 60 000 personnes, la loi sur
les exclusions ayant prévu un accès direct et par ailleurs accru la
participation de l'Etat pour la prise en charge des personnes les plus en
difficulté.
Certains émettent l'idée de faire de ces contrats des CDI. Cette question est
pertinente, car il peut s'agir, pour certains, de la seule possibilité d'être
maintenus dans un emploi. Mais cette évolution signifie des bouleversements
tels, y compris au niveau de nos conceptions de l'insertion, qu'il convient d'y
réfléchir avec l'ensemble des acteurs de cette politique.
Les lois sur les emplois-jeunes et la lutte contre les exclusions ont par
ailleurs réaménagé les aides apportées aux chômeurs qui veulent créer une
entreprise. A l'aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d'entreprise a
succédé l'encouragement au développement d'entreprises nouvelles, qui permet
l'octroi d'une avance remboursable et un accompagnement pouvant aller jusqu'à
trois ans. Les crédits s'élèveront, pour 2000, à 400 millions de francs, afin
de toucher près de 10 000 créateurs ou repreneurs d'entreprise.
En dépit de ces deux mesures, madame la ministre, le secteur bancaire demeure
particulièrement frileux, comme le rappelait récemment la responsable de
l'Association pour le droit à l'initiative économique, et l'Etat pourrait
peut-être envisager à la fois de susciter dans ce secteur plus de volontarisme
et d'être davantage partie prenante dans ces dispositifs, afin de réduire un
incontestable handicap. Il s'agit d'ailleurs d'une des recommandations des
lignes directrices pour l'emploi élaborées dans le cadre européen.
Les crédits affectés au reclassement des travailleurs handicapés sont en
augmentation de 2,5 %, avec 5,5 milliards de francs, qui permettront
l'ouverture de places en ateliers protégés et en centres d'aide par le travail,
dont les possibilités d'accueil ont continué d'augmenter depuis 1994, alors que
le nombre de places en milieu ordinaire stagnait autour de 12 800.
Les statistiques du ministère de l'emploi publiées à la fin d'octobre dernier
relèvent ainsi que le taux d'emploi de personnes handicapées dans les
établissements de plus de vingt salariés se situe autour de 4 %. Il reste donc
en deçà des 6 % fixés par la loi, y compris dans les grandes entreprises.
A mon sens, ce constat est à mettre au passif des chefs d'entreprise. Comment
en effet méconnaître la légitimité et la justesse de la revendication d'un
grand nombred'associations de handicapés qui souhaitent une insertion
professionnelle en milieu ordinaire, chaque fois que cela est possible ?
Par ailleurs, le projet de budget pour 2000 poursuit l'entreprise de
rationalisation des contributions de l'Etat aux formules de cessation anticipée
d'activité.
Désormais, on mesure mieux les retombées à moyen terme de ces différents
dispositifs : un impact sur l'emploi réel, mais relativement neutre, et un coût
financier important faisant peser, dans certains cas, sur la collectivité
nationale les stratégies de rajeunissement de la pyramide des âges. Par
ailleurs, ces départs anticipés ont des incidences sur les régimes de
retraites. Enfin, ils renvoient à la problématique plus générale des départs en
masse très tôt de salariés expérimentés de l'entreprise.
Le Gouvernement intervient donc sur plusieurs fronts.
Le premier est le doublement de la contribution Delalande.
Il entend par ailleurs limiter l'accès au Fonds national de l'emploi aux
salariés réellement en difficulté, ceux notamment qui ont accompli des tâches
pénibles ou qui ont commencé à travailler très tôt. Corrélativement, la
participation financière des entreprises sera accrue.
De ce fait, les crédits affectés aux allocations spéciales du Fonds national
de l'emploi baissent de 14 %, mais ils représentent tout de même plus de 4
milliards de francs. Ils seront, par exemple, sollicités pour la mise en oeuvre
d'accords selon lesquels il serait envisagé qu'un départ d'un salarié de moins
de cinquante-sept ans soit intégralement financé par l'entreprise.
De la même façon, la dotation des préretraites progressives est en
diminution.
Dernière ligne directrice de ce projet de budget : le renforcement des moyens
des organismes chargés de l'accueil et de l'accompagnement des demandeurs
d'emploi.
Les crédits affectés aux personnels du ministère sont en hausse pour la
troisième année consécutive, avec 2,5 milliards de francs qui permettront de
revaloriser les traitements et contribueront à la résorption du travail
précaire dans l'administration.
Sur les 130 emplois créés, certains viendront renforcer les équipes sur le
terrain et seront chargés notamment du conseil aux partenaires engagés dans un
processus de négociation de réduction du temps de travail et du contrôle de la
mise en oeuvre des accords.
Ce sont des choix que dénonce l'opposition, généralement peu encline à vouloir
améliorer le droit de regard sur ce qui se passe au sein des entreprises. Il
n'est toutefois pas inutile de mettre en perspective les 1 200 agents de
contrôle dont nous disposons pour les 14 millions de salariés du secteur privé,
qui sont le plus souvent dans des entreprises dépourvues d'organisation
représentative. A cet égard, je veux saluer l'augmentation des crédits affectés
au conseiller du salarié, qui passent à 8,8 millions de francs.
Les actions en matière de santé et de sécurité du travail voient leur dotation
passer de plus de 17 millions de francs à 22,3 millions de francs. Elles
comprennent les crédits affectés à la médecine du travail, dont il convient
d'accentuer les interventions.
L'ANPE bénéficie pour 2000 d'une augmentation importante de ses subventions.
Elle pourra ainsi financer les 500 nouveaux emplois prévus pour 2000, en vue
d'améliorer les capacités d'accueil, notamment dans le cadre des examens
personnalisés proposés aux jeunes, aux chômeurs de longue durée, aux
allocataires de minima sociaux qui ont pu souvent ressentir un profond
découragement, voire de la colère, lorsqu'ils avaient l'impression que leur
situation n'était appréhendée que comme un dossier parmi tant d'autres.
Je profite de cette intervention pour relayer des interrogations sur le
transfert des crédits affectés aux centres institutionnels de bilan de
compétences vers les dotations à l'ANPE.
M. Jean-Claude Carle.
En effet !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Les discussions à l'Assemblée nationale ont été pour vous, madame la ministre,
madame la secrétaire d'Etat, l'occasion de rappeler que vous n'entendiez pas
diminuer la sphère d'intervention des CIBC qui sont associés à la mise en
oeuvre du programme « Nouveau départ ». Cependant, on peut légitimement
s'interroger sur le devenir des bilans de compétences, en particulier ceux qui
sont destinés aux salariés, qui représentent 25 % de leur public.
L'analyse de notre collègue M. Lindeperg est à ce propos particulièrement
pertinente. Dès lors que vous avez décidé de faire de la validation des acquis
professionnels un des grands axes de la réforme qui sera mise en chantier dès
l'année prochaine, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, la place et
l'expérience des CIBC ne peuvent qu'être utiles et valorisées.
M. Jean-Claude Carle.
Voilà !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Ne serait-il pas possible d'imaginer ici l'évolution des CIBC vers des
plates-formes ouvertes, dont les missions seraient complétées et couvriraient
les champs de l'orientation et de la formation, des bilans de compétences et de
la validation des acquis ?
Les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et
d'orientation concourent également à la mise en oeuvre de la politique de
l'emploi. Elles sont même devenues, depuis la loi d'orientation relative à la
lutte contre les exclusions, les interlocutrices privilégiées des jeunes en
difficulté. Je souhaite ici faire écho aux inquiétudes de certaines missions
locales, qui avaient pu mettre en place un « guichet emploi » grâce aux
dotations en provenance du fonds social européen, mais qui vont en 2000 se
trouver face à une période d'incertitude tant que ne sera pas débloquée la
nouvelle tranche de crédits en provenance du budget de l'Union européenne. En
tant qu'élus locaux, impliqués dans le fonctionnement de ces missions locales,
nous souhaiterions qu'une solution soit envisagée.
Le projet de loi de finances permet également de mettre en oeuvre l'engagement
pris de doubler en trois ans la capacité d'accueil des structures d'insertion,
qui sont, en fait, un des rares lieux où des personnes, parfois fortement
marginalisées, renouent avec une activité. Elles peuvent accéder à des
passerelles avec le monde du travail. Pour l'année prochaine, cette dotation
est en augmentation de 18 % avec 484 millions de francs. Les sénateurs
socialistes saluent cette progression, qui traduit la reconnaissance des
compétences et de l'efficacité de ces structures.
J'achèverai mon propos en évoquant les crédits de la formation
professionnelle, qui interviennent dans un contexte de réforme qui sera amorcée
dès l'année prochaine et qui s'attelera notamment à clarifier l'enchevêtrement
des circuits de financement de cette politique.
Cette réforme d'ampleur est urgente, car la formation doit faire face à
plusieurs défis.
Il s'agit de la lutte contre le chômage, bien sûr, et de la reconversion
possible des salariés en cours de carrière. Ainsi que le soulignait Mme
Bocandé, dans un contexte de chômage, il n'est pas normal que des secteurs
connaissent des difficultés de recrutement. Dans le bassin d'emploi de
Saint-Nazaire, par exemple, les entreprises éprouvent les plus grandes
difficultés pour trouver des soudeurs qualifiés.
Il s'agit de la santé économique de nos entreprises, dont la compétitivité est
conditionnée par la formation non seulement initiale, mais aussi continue de
leurs équipes.
Il s'agit du combat pour l'égalité des chances. Ainsi, les différentes
réflexions qui ont été menées cette année - je pense au Livre blanc que vous
avez présenté, madame la secrétaire d'Etat, ou aux rapports de MM. Barrot et
Lindeperg - ont mis en exergue les profondes inégalités qui existent selon que
l'on est dans une PME ou une grande entreprise, selon que l'on est cadre ou
ouvrier, selon que l'on est un homme ou une femme.
Dans l'attente de cette réforme, le projet de loi de finances prévoit un
budget de transition qui prolonge les orientations adoptées en matière
d'emploi.
Une attention particulière est ainsi accordée aux publics en difficulté. Elle
se manifeste dans le recentrage des dispositifs de formation en alternance que
sont les contrats d'apprentissage, les contrats de qualification, pour les
jeunes et les adultes. On le retrouve pour les stages d'insertion et de
formation à l'emploi et pour les stages d'accès à l'emploi.
Les parlementaires de l'opposition regrettent que l'apprentissage ne soit pas
mieux promu. C'est inexact. Toutefois, il ne faut pas ignorer ici un phénomène
culturel qui persiste et qui tend à dévaloriser le travail manuel. Sur ce plan,
tout le monde a sa part de responsabilité, à commencer par les familles et
l'éducation nationale. De plus, chacun sait que les conditions de travail
peuvent se révéler particulièrement pénibles et, donc, dissuader les jeunes de
s'engager dans des métiers qui, pourtant, recrutent.
Ainsi, les dispositions spécifiques adoptées dans la loi sur les 35 heures en
direction de l'artisanat et du BTP démontrent qu'une action conjointe des
professionnels et de l'Etat est concevable pour combattre ces désaffections.
L'Association nationale pour la formation professionnelle des adutes, dont la
dotation est augmentée de 5,4 %, avec plus de 4,5 milliards de francs, est une
pièce maîtresse du dispositif de formation des adultes. Elle poursuit la mise
en oeuvre de son deuxième « contrat de progrès », qui s'échelonnera jusqu'en
2003 et qui insiste, par exemple, sur la nécessité de renforcer son travail
d'orientation, ses actions prioritaires en faveur des demandeurs d'emplois, et
d'avoir une réactivité plus forte par rapport aux besoins des entreprises.
Tout cela ne peut se réaliser qu'à la condition d'un partenariat étroit avec
l'ANPE.
Nous aurons prochainement l'occasion d'engager un débat plus approfondi sur la
formation professionnelle.
La majorité sénatoriale n'entend pas voter le budget tel que nous le présente
le Gouvernement. Elle s'appuie sur son refus de voir se généraliser la
réduction du temps de travail et dénonce la logique des emplois-jeunes. Vous
expliquerez cela, mes chers collègues, à ceux qui ont trouvé un emploi grâce à
ces réformes.
Vous demandez des mesures plus volontaristes en matière d'allégement de
cotisations, mais vous refusez la réforme beaucoup plus ambitieuse que nous
propose le Gouvernement.
Vous ne nous ferez pas croire que votre opposition ne relève pas d'une
tactique politicienne.
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants).
M. Jean Chérioux.
Voilà de bien grands mots ! Que celui qui n'a jamais péché jette la première
pierre !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Les sénateurs socialistes approuvent les priorités dégagées dans votre budget,
madame la ministre ; c'est pourquoi ils se prononceront en faveur de son
adoption.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le budget dont nous débattons aujourd'hui est l'un des budgets
de l'emploi et non le budget de l'emploi. Une partie des crédits de l'emploi
était déjà inscrite ; en effet, au budget des charges communes. Vous accentuez
leur dispersion en transférant le financement des allégements de charges de la
loi de finances à la loi de financement de la sécurité sociale. Cet
éparpillement nuit à la transparence et à la lisibilité.
Cette opacité calculée peut également se révéler néfaste pour la politique de
l'emploi elle-même. Ainsi, le transfert à l'ANPE de la gestion des financements
de l'Etat aux CIBC risque de faire disparaître un service personnalisé, qui a
fait ses preuves, au profit d'une prestation standardisée, beaucoup moins
efficace.
Si l'on agrège les crédits ainsi dispersés, on constate que le budget de
l'emploi est désormais le deuxième budget civil de l'Etat, après celui de
l'enseignement scolaire. Il augmente de 2,3 % par rapport à 1999, soit d'un
taux bien supérieur au taux d'évolution de 0,9 % du budget général pour
2000.
Les dépenses consacrées à l'emploi ont augmenté de plus de 50 % depuis cinq
ans. Certains s'en réjouissent ; pour ma part, je le déplore et je m'en
inquiète.
Les prévisions de croissance économique pour 2000 s'échelonnent toutes entre
2,6 % et 3 %, et vous augmentez encore le budget de l'emploi !
Quand il y a une crise économique, vous répondez par l'inflation budgétaire.
Quand il y a une croissance économique, vous répondez encore par l'inflation
budgétaire ! Où est la logique ? C'est un comportement que les générations
futures, qui rembourseront vos dérapages, apprécieront.
Vous augmentez encore et toujours ce qu'on appelle les aides à l'emploi : on
connaît leur efficacité contre le chômage. En 1989, l'Etat dépensait environ 80
milliards de francs pour les aides à la création d'emplois. En 1997, le rapport
Novelli a évalué ces aides à environ 150 milliards de francs. Entre-temps, le
chômage avait augmenté de 1 million de personnes : où est l'efficacité ? Dans
les 35 heures d'Aubry 1 ou d'Aubry 2 ? Sûrement pas !
Vous vous réjouissez du chiffre de 120 000 emplois créés par les 35 heures,
quand les entreprises en ont créé, à elles seules, et sur la même période, plus
de 500 000 !
Le chiffre de 120 000 est d'ailleurs manifestement gonflé. Dans le rapport
économique et financier annexé au projet de loi de finances pour 2000, l'INSEE,
l'Institut national de la statistique et des études économiques, la direction
de la prévision et de la DARES, la direction de l'animation, de la recherche,
des études et des statistiques, estiment à seulement 40 000 le nombre d'emplois
marchands créés par la réduction du temps de travail entre juin 1997 et juin
1999. C'est la preuve que l'emploi ne se décrète pas et qu'avant de
redistribuer les richesses il faut d'abord chercher à garantir les conditions
favorables à leur création, c'est-à-dire laisser les entreprises faire leur
travail.
Ces comparaisons nous rappellent une évidence et nous invitent à une attitude
d'humilité : ce sont les entreprises qui, en effet, créent de l'emploi et non
pas l'Etat et son Gouvernement. C'est le dynamisme, la souplesse, la capacité
d'innovation de nos entreprises, et en particulier de nos PME, qui font la
croissance économique.
Et vous, vous vous appliquez à gâcher cette croissance en vous attaquant aux
entreprises à coups de taxes et de contraintes !
Vous augmentez les prélèvements sur les entreprises de plus de 30 milliards de
francs au moyen de deux nouveaux impôts - l'écotaxe étendue et la contribution
sociale sur les bénéfices des sociétés - et, bien sûr, par la taxation des
heures supplémentaires.
Les nouveaux allégements de charges ne compenseront pas la hausse du coût de
travail, estimée à plus de 11 % au niveau du SMIC, provoquée par les 35
heures.
Nous sommes les seuls à persister dans la voie de la hausse toujours accrue
des prélèvements obligatoires. Nous détenons le record en la matière, avec un
taux de 45 %. MM. Schröder, Blair et Clinton l'ont rappelé au Premier ministre
lors du récent sommet de Florence.
Madame la ministre, je n'accuse pas le seul gouvernement socialiste ;...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ah !
M. Jean-Claude Carle.
... nous avons nos propres responsabilités, et je n'avais pas manqué de le
signaler en son temps à cette même tribune à M. Jacques Barrot.
Aux taxes nouvelles que je viens de citer, vous ajoutez un carcan
supplémentaire ; vous corsetez un peu plus les entreprises en leur imposant
autoritairement le moule unique des 35 heures.
Décidément, les socialistes sont vraiment incorrigibles ! Je l'ai dit il y a
quelques jours lors du débat sur les 35 heures.
Au nom d'une prétendue éthique républicaine, vous êtes en train de faire la
même erreur de lecture que votre collègue M. le ministre de l'éducation
nationale. Avec lui, ce ne sont pas les entreprises que le Gouvernement veut
enfermer dans un moule unique, ce sont les collégiens et les lycéens. Le
résultat n'est pas fameux, en témoignent l'échec scolaire et le taux de chômage
des jeunes.
Gageons malheureusement qu'il ne le sera pas davantage avec une loi imposant
les 35 heures à toutes les entreprises.
A méconnaître ainsi la réalité, vous laisserez un lourd héritage, car, à vous
deux, vous engagez près de la moitié du budget de la nation.
Ne vous en déplaise, madame la ministre, à l'heure de la société de
l'information et de l'économie de services, la globalisation et l'instantanéité
de l'information exigent des entreprises réactivité et souplesse. Le tissu
économique s'est diversifié. Mais rien n'y fait, vous vous obstinez à vouloir
faire passer toutes les entreprises sous la même toise. Là où les besoins de
chaque entreprise nécessitent du sur-mesure, vous voulez imposer le
prêt-à-porter, le même modèle pour tous.
Grâce à l'initiative du président Poncelet, j'ai fait récemment un stage dans
une entreprise, une grosse PME de l'Oise. Ce passage n'a fait que confirmer ce
que je savais déjà : ce ne sont pas des aides que les employeurs demandent,
c'est qu'on les laisse travailler en paix, qu'on cesse de changer les règles
tous les mois, qu'on arrête de les matraquer fiscalement ; ce qu'ils demandent,
c'est de la souplesse, de la liberté, pour pouvoir réagir au marché et
s'adapter à la concurrence.
Vous voulez absolument intervenir ? Eh bien, faites-le, mais convenablement !
Donnez aux collectivités locales compétence pour apporter aux PME en
particulier un soutien en matière d'ingénierie, de capital-risque, de
transmission ou de reprise d'entreprise plutôt que de multiplier, comme vous le
faites aujourd'hui, les subventions à l'emploi dont on connaît les limites !
C'est cela qu'attendent nos entreprises : laissez-les respirer et se
développer, et créer ainsi des emplois !
Il n'y a malheureusement pas que les 35 heures qui sont coûteuses et
inefficaces : les emplois-jeunes le sont tout autant.
Les dotations qui leur sont consacrées augmentent de 53,3 % par rapport à 1999
pour s'établir à plus de 21 milliards de francs. Si l'on ajoute les
emplois-jeunes financés par d'autres ministères, on atteint la somme de 34
milliards de francs.
Non seulement le coût de ces emplois est prohibitif mais leur avenir n'est
guère assuré. Près de la moitié des jeunes concernés ignorent ce que deviendra
leur emploi à la fin de leur contrat. Seuls 12 % des bénéficiaires d'un
emploi-jeune se disent bien informés sur l'avenir de leur activité et de leur
travail alors que 46 % d'entre eux jugent cette information très floue.
Le Gouvernement commence enfin à s'en inquiéter. Constatant que les formations
assorties peinent à se mettre en route, Claude Allègre a décidé de réduire le
recrutement des emplois-jeunes, fixé à 5 000 l'année prochaine ; on est bien
loin des 65 000 créés au cours des deux années précédentes !
Les 350 000 emplois prévus pour l'an 2000 sont ramenés à 300 000. Cette
lucidité tardive n'efface par votre irresponsabilité initiale : qu'allez-vous
faire de tous ces jeunes que vous avez mis sur une voie de garage, tous ces
jeunes employés à des tâches sans avenir et insuffisamment formés ?
L'alternative qui se profile pour eux est claire : soit une intégration
rampante dans la fonction publique, dont le poids atteint déjà 42 % du budget
de la nation, soit, de nouveau, le chômage, un chômage pire que le précédent
car ils auront cinq ans de plus.
Votre politique, madame la ministre, n'est pas adaptée. Vous réagissez au
chômage en imposant au secteur public et au secteur privé de créer des emplois,
l'un avec les emplois-jeunes, l'autre avec les 35 heures. Cet autoritarisme est
toujours inefficace à long terme. La meilleure action sur l'emploi, c'est une
action indirecte, qui vise à améliorer les conditions de la création
d'emploi.
Ces conditions, quelles sont-elles ? J'en citerai quatre.
La première, c'est la stabilité de l'environnement juridique et la modération
de la pression fiscale.
Les 35 heures, nous l'avons vu, contredisent directement ces exigences. L'Etat
va-t-il enfin accepter de réduire son train de vie, de réduire les dépenses de
fonctionnement qui dépassent 42 % du budget, maîtriser l'impôt et réduire le
déficit ?
La deuxième condition, c'est une recherche dynamique et des encouragements à
l'innovation afin de compenser les coûts salariaux par la création de valeur
ajoutée, sinon, nos entreprises seront contraintes, comme c'est déjà trop
souvent le cas, à se délocaliser.
Or, pour l'année prochaine, la recherche n'est manifestement pas une priorité
budgétaire du Gouvernement puisque le budget de la recherche augmente moins que
la moyenne des budgets civils, 1,1 % contre 1,2 %.
La troisième condition, c'est l'adaptation des formations à l'évolution des
offres d'emploi et des besoins des entreprises.
Tout le monde le sait : une des causes majeures du niveau élevé du chômage en
France, et des jeunes en particulier, réside dans le déficit de formation et
l'inadaptation des qualifications.
Le baromètre mensuel
La Tribune-Crédit Lyonnais
du mois de novembre
indique que près de deux tiers - 64 % - de l'échantillon de patrons de petites
et moyennes entreprises interrogés affirment rencontrer des difficultés pour
embaucher les spécialistes qu'ils recherchent.
Or, là encore, la formation professionnelle n'est pas une priorité du
Gouvernement. Les crédits qui lui sont alloués vont diminuer l'année prochaine.
Le nombre de contrats en alternance va ainsi baisser de 2,7 %.
Le recentrage des aides à l'apprentissage et aux contrats de qualification
vous a permis de faire une économie de 500 millions de francs, que vous vous
êtes bien gardé d'affecter au financement d'autres dispositifs de formation.
Enfin, vous recourez une nouvelle fois à un prélèvement de 500 millions de
francs sur le capital temps-formation.
La quatrième condition, c'est l'urgente nécessité d'engager une deuxième phase
de décentralisation et de confier aux régions, qui ont déjà une grande
responsabilité en matière de formation, une compétence plus large en matière de
développement économique.
La diversité des situations, la nécessité d'une réactivité toujours plus
grande exigent la mise en place de politiques contractuelles fondées sur le
partenariat et la proximité. C'est l'inverse de ce que vous nous proposez :
vous centralisez, vous uniformisez, vous rigidifiez, vous gâchez la croissance
économique.
Le Président de la République s'est dit lui-même préoccupé par le recul des
créations d'entreprises dans un contexte de croissance durable : « Il n'est pas
acceptable que certaines d'entre elles soient arrêtées net dans leur course,
asphyxiées sous le poids des charges, des réglementations, des contrôles. »
Votre politique de l'emploi, madame la ministre, est donc diamétralement
opposée à celle que nous suggérons. Le groupe des Républicains et Indépendants
ne votera donc pas votre budget.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce budget de
l'emploi retient tout particulièrement notre attention, et ce pour deux raisons
au moins.
La première est que, tous, nous considérons l'emploi comme la plus impérieuse
des priorités politiques. Depuis quelques années, les gouvernements, quels
qu'ils soient, ont tous fait de l'emploi - avec plus ou moins de réussite -
leur plus ultime priorité. Et, même si bien souvent nous divergeons sur les
moyens, madame, je ne peux que me féliciter de ce consensus.
La deuxième raison tient au fait que cet automne parlementaire a été consacré
de manière presque exclusive aux questions du travail et de l'emploi, en raison
de l'examen de deux projets de loi que vous avez défendus dans ce temps très
court ; je veux, bien entendu, parler du projet de loi relatif à la réduction
du temps de travail et du projet de loi de financement de la sécurité
sociale.
Je ne m'attarderai pas sur ces deux sujets, mais il me faut pourtant les
évoquer tant il ne faut pas les perdre de vue pour aborder de manière
intelligible le présent projet de budget.
Si le Sénat s'est montré favorable à une réduction du temps de travail négocié
- j'entends réellement négociée entre les partenaires sociaux, au cas par cas
ou par accord de branche - si le Sénat s'est montré favorable à la validation
de tous les accords conclus dans le cadre de la première loi à condition, bien
évidemment, qu'ils ne soient pas contraires à l'ordre public social absolu, si
le Sénat s'est montré favorable à la tenue d'une conférence nationale sur le
développement de la négociation collective en partant du principe qu'il revient
aux partenaires sociaux de négocier et que, s'ils ne le peuvent pas
suffisamment, il ne faut pas les contourner mais leur donner plus de moyens
pour le faire, en revanche, il s'est montré résolument défavorable à votre
projet de loi qui n'avait de « négocié » que le titre.
Article après article, tout tendait à plus de contrôles, à plus de contraintes
pour les entreprises alors que le travail doit aujourd'hui être libéré.
Notre assemblée a également refusé d'accréditer le dispositif éminemment
injuste de la taxation des heures supplémentaires, qui figure à l'article 2 de
ce projet de loi, dispositif selon lequel les entreprises versent une
contribution de 25 % pour les heures supplémentaires effectuées.
Ce dispositif est inique dans la mesure où ces 25 % s'avéreront être une
bonification pour le salarié lorsque celui-ci sera passé aux 35 heures alors
qu'il ne touchera plus que 15 % lorsqu'il ne bénéficiera pas de la réduction du
temps de travail, les 10 % restants alimentant un fonds destiné à financer les
35 heures.
Ce qui est injuste dans ce système, c'est que ceux qui travaillent le plus,
ceux qui ne bénéficient pas de la réduction du temps de travail, paieront pour
ceux qui y auront déjà été soumis. C'est une drôle de conception de la justice
sociale !
Le débat sur le travail et les 35 heures ne s'est malheureusement pas arrêté
au cadre de l'examen dudit projet de loi, puisque nous avons dû aborder à
nouveau la question de son financement dans le cadre du projet de loi de
financement de la sécurité sociale.
L'article 2 de ce dernier concernait la création du fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales de sécurité sociale.
Là encore, le Sénat s'est vigoureusement opposé à ce système injuste, puisque
cet allégement de cotisations partiel n'est qu'une illusion dans la mesure où
il ne compense pas l'augmentation mécanique du coût du travail lié à l'équation
: 35 heures payée 39, dont l'incidence naturelle est l'augmentation du coût du
travail de 11 % sur les bas salaires.
Au-delà du caractère illusoire de ce fonds, c'est également son mode de
financement que nous avons rejeté puisque la contribution sociale sur les
bénéfices et l'écotaxe nous paraissaient totalement inéquitables dans la mesure
où vous repreniez d'une main ce que vous donniez de l'autre.
Ainsi, cet automne a été et sera, puisque nous devrons encore examiner en
seconde lecture le projet de loi sur les 35 heures, l'occasion d'un large débat
sur l'emploi et sur la politique que vous mettez en oeuvre en la matière.
Cela nous a déjà permis de constater que nous n'avions pas la même conception
sur ce qu'il convient d'entreprendre en matière d'emploi dans notre pays. Nous
ne pouvions donc être que très sceptiques quant à votre projet pour 2000.
Malheureusement, ce ne sont pas les seuls aspects qui, à l'examen de ce projet
de budget, suscitent notre critique. Au moins trois points méritent d'être
soulignés.
Le premier concerne l'opacité de la gestion du personnel dans votre ministère.
Je note d'ailleurs avec satisfaction une convergence de vue, à cet égard, avec
M. le rapporteur spécial, qui a cité la lettre du Premier président de la Cour
des comptes à laquelle je souhaitais faire allusion. Je n'insiste donc pas,
précisant simplement que je partage totalement ses vues.
Le deuxième point découle naturellement du précédent puisqu'il a trait à la
création de cent trente emplois, à propos desquels le Gouvernement indique
qu'ils concernent particulièrement les sections d'inspection du travail
fortement mobilisées par la mise en oeuvre du dispositif d'aménagement et de
réduction du temps de travail. Sur ces cent trente emplois, nous retrouvons en
effet quinze inspecteurs du travail et quatre vingt-huit contrôleurs.
Sans même nous prononcer sur le bien-fondé de la création d'emplois visant à
contrôler encore un peu plus nos entreprises, et démontrant par ailleurs le
caractère inapplicable des 35 heures à l'échelle de notre pays, nous
considérons qu'il n'était sans doute pas souhaitable d'alourdir davantage les
charges de fonctionnement de votre ministère.
Le troisième et dernier point concerne le coût des emplois-jeunes. Celui-ci
figure dans le « bleu » sous la mention, on ne peut plus floue, de « nouveaux
services et nouveaux emplois ». En tout cas, cela se traduit par une
augmentation cette année de 65 %, soit 21 milliards de francs, alors que ne
sont toujours pas créés les 350 000 emplois dans le secteur public que vous
aviez annoncés.
Si cet objectif est maintenu, à combien s'élèveront les dépenses de l'Etat
pour maintenir le cap de cette politique excessivement onéreuse et dont
l'intérêt, en termes de formation, reste à prouver ?
Dois-je rappeler que le ministère de l'éducation nationale, fleuron de cette
politique avec 65 000 contrats emplois-jeunes, se désengage d'un dispositif qui
démontre son incapacité à offrir une réelle formation professionnelle à ces
jeunes ?
Une autre question se pose, qui touche l'éventuelle pérennisation de ces
emplois dans le secteur public. Le terme de ces contrats est prévu pour 2002,
en pleine campagne présidentielle. Que proposerez-vous alors dans ce climat de
surenchère ?
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que nous opposer à votre projet de
budget, qui, à nos yeux, ne prend pas la direction d'une bonne politique pour
l'emploi.
Selon nous, une bonne politique pour l'emploi suppose que soient suivis quatre
axes simples mais impérieux.
La baisse des charges, réelle et non feinte, pour les entreprises, notamment
sur les bas salaires, constitue le premier axe et nous semble être la réponse
la plus efficace face aux problèmes du chômage.
L'année dernière, 62,6 % des Français, considéraient que les cotisations
sociales étaient le principal frein à l'embauche dans notre pays. Votre réforme
est par trop timide puisque la baisse est feinte. Elle ne compense pas le
surcoût du travail lié aux 35 heures.
Le deuxième axe concerne la formation. Dans le cadre de l'évolution du travail
et des technologies, la formation professionnelle est un enjeu capital de toute
politique de l'emploi.
On ne peut, dès lors, que regretter que l'accent n'ait pas été mis plus
nettement sur ce volet et qu'un certain nombre de dispositifs de formation
professionnelle voient leurs crédits réduits, en faveur d'autres politiques
plus hasardeuses et plus coûteuses.
Les dotations destinées à l'alternance sont en baisse de 3,2 %.
Les effectifs d'entrée en apprentissage sont stables, après deux baisses
progressives ces deux dernières années. Mais les effectifs sont encore
surévalués compte tenu de la réduction des crédits.
Par ailleurs, si les crédits de l'Association nationale pour la formation
professionnelle des adultes, l'AFPA, augmentent de manière significative pour
rénover l'offre de formation, il ne doit pas s'agir d'un chèque en blanc.
L'association se doit de faire des efforts vigoureux en matière de gestion et
d'améliorer significativement la qualité et la diversité de son offre.
L'AFPA devra renforcer son action à l'échelon local et bien sûr, sa
coopération avec l'ANPE.
Le troisième axe d'une bonne politique de l'emploi doit être la lutte contre
les exclusions. Sur ce point, je ne doute pas de votre volonté et de votre
détermination à enrayer le processus inexorable de désocialisation des
personnes privées d'emploi. Mais, malgré vos intentions, je ne peux que
regretter que rien ne soit plus sérieusement mis en oeuvre en faveur de ces
publics prioritaires.
Ainsi, les crédits des contrats initiative emploi diminuent de 26,2 % et ceux
des contrats emploi-solidarité de 9 %, tandis que les stages pour chômeurs de
longue durée voient leur dotation diminuer de 8,1 %.
Vous avez opté pour les emplois-jeunes. Malheureusement, cette politique se
fait au détriment des autres publics prioritaires. Nous le regrettons :
l'argent est suffisamment rare pour qu'on veille à ce qu'il soit bien
utilisé.
Enfin, une vraie politique de l'emploi se doit de préserver et de promouvoir
le paritarisme et le dialogue social. Vous vous félicitez du renouveau du
dialogue social lié aux 35 heures. Mais tout montre que celui-ci ne s'est
jamais porté aussi mal dans notre pays : le MEDEF a déjà un pied en dehors des
organismes sociaux. Les syndicats ne sont pas plus satisfaits du dirigisme dont
vous faites montre.
Edmond Maire n'a-t-il pas récemment, à propos des 35 heures, analysé ainsi la
situation : « Aujourd'hui, la France recule et l'espoir de voir s'installer
dans ce pays des relations économiques et sociales nouvelles s'éloigne. Le
Gouvernement et la majorité parlementaire ont réinventé la lutte des classes...
»
M. Guy Fischer.
C'est plutôt le MEDEF !
Mme Nicole Borvo.
Ils n'ont pas besoin de laréinventer !
M. Dominique Leclerc.
« ... et gâché de façon absurde les chances de réformes. » Quand c'est Edmond
Maire qui le dit, cela signifie bien que la situation est grave !
Voilà les quatre axes qui devraient alimenter et enrichir une vraie politique
de l'emploi : la baisse des charges, la formation professionnelle, la lutte
contre les exclusions et la défense du paritarisme.
Au lieu de cela, vous préférez les 35 heures et les emplois-jeunes, entraînant
la France à contre-courant de nos partenaires et suscitant leurs plus expresses
réserves quant à la voie que souhaite tracer seul notre pays.
Mme Nicole Borvo.
Demandez aux jeunes ce qu'ils en pensent !
M. Dominique Leclerc.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, le groupe du Rassemblement pour
la République ne peut que refuser ce budget.
(Applaudissement sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, avant d'étudier les principales lignes budgétaires pour l'an
2000 du ministère de l'emploi et de la solidarité, puis de dresser un bilan du
coût des politiques de l'emploi au regard de leur efficacité, je tiens à
m'arrêter quelques instants sur le contexte économique et social actuel.
Tous les indicateurs confirment, pour les deux prochaines années, la solidité
de la reprise de la croissance économique française. Les effets de cette
dynamique sur l'emploi comme sur le moral des Français et des entreprises sont
visibles.
Une nouvelle fois, en octobre, le nombre de demandeurs d'emplois a reculé ; la
baisse du chômage amorcée depuis plus de deux ans semble s'accélérer et, fait
nouveau, concerner toutes les catégories, même les plusfragiles.
Evidemment, les jeunes, dont le taux de chômage a baissé de 25 % en deux ans,
en profitent tout particulièrement. Les chômeurs de longue durée, dont le
nombre repasse sous la barre du million, sont aussi touchés.
Sensibles à cette décrue du chômage, au record qui est en vue en matière de
création d'emplois salariés, les Français sont aujourd'hui optimistes, plus
enclins à consommer, mais ils sont aussi conscients, et indignés, des
inégalités persistantes dans la répartition des richesses produites, des
bénéfices colossaux dégagés par certaines grandes entreprises, plus soucieuses
d'asseoir les profits financiers de leurs actionnaires que de mener une
politique favorable à l'emploi et à la progression salariale.
Ces embellies du marché de l'emploi, je les attribue, contrairement à
certains, non seulement à la conjoncture mais aussi à l'efficacité de la
politique volontariste en matière d'emploi - je songe aux 35 heures et aux
emplois-jeunes - et de relance de la consommation menée par le Gouvernement. Si
l'on peut s'en réjouir et s'il est désormais possible de reparler avec une
certaine crédibilité de société de plein emploi, nous avons le devoir de
concrétiser cet objectif, d'une part, et de corriger les effets pervers de
nouvelles inégalités, de cimenter la cohésion sociale, d'autre part.
Lutter contre la précarité et la misère reste plus que jamais d'actualité.
La persistance et le développement de la précarité au travail et hors du
travail ainsi que la flexibilité croissante du marché du travail non seulement
justifient que les efforts déjà entrepris soient soutenus mais appellent aussi
des mesures urgentes.
Le travail ne protège plus de la pauvreté. Une étude récente du Secours
catholique nous rappelle une fois de plus qu'avec l'explosion du temps partiel
et des contrats de courte durée on peut être salarié et vivre avec des revenus
inférieurs au seuil de pauvreté.
Les décisions prises depuis 1993 par les gestionnaires de l'UNEDIC -
durcissement des conditions à remplir pour ouvrir droit à indemnisation, telle
la durée d'activité, caractère dégressif de l'allocation chômage - ont
largement contribué à exclure du système d'assurance chômage et à paupériser un
nombre important de personnes, notamment des jeunes, alternant des contrats
précaires et des périodes de chômage. En 1999, la part des chômeurs indemnisés
devrait encore diminuer, passant de 41,3 % en 1998 à 41 %, voire moins de 40 %
! Et parmi les chômeurs indemnisés, près de la moitié le sont à des niveaux
extrêmement faibles !
Comme chaque année depuis 1997, au moment des choix budgétaires, à la veille
des fêtes de Noël, les associations de chômeurs et de personnes vivant dans la
précarité se font entendre. Au-delà de la demande d'une prime exceptionnelle de
3 000 francs et d'un relèvement significatif des minima sociaux adressée au
Gouvernement - revendication légitime de partage des fruits de la croissance -
est posé un problème de fond : celui de la réforme de l'indemnisation chômage.
Vous savez fort bien, madame la ministre, qu'un appel pour un Grenelle de
l'assurance chômage reçoit un accueil favorable.
Dans le contexte actuel de blocage, où le MEDEF rechigne à ouvrir des
négociations en vue de renouveler dans les temps la convention Etat-UNEDIC qui
vient à expiration le 31 décembre, et annonce dès à présent son refus de voir
reconduire l'ARPE, l'allocation de remplacement pour l'emploi, les conditions
ne sont pas remplies pour que le régime d'assurance chômage évolue positivement
afin d'assurer à tous une indemnisation décente.
Madame la ministre, je suis conscient que le système d'assurance chômage
relève de la compétence exclusive des partenaires sociaux. Toutefois, si nous
souhaitons promouvoir demain une aide plus efficace à la réinsertion
professionnelle, assurer une meilleure indemnisation et la prise en compte du
problème des jeunes de moins de vingt-cinq ans, l'Etat, qui a en charge la
solidarité nationale, doit évidemment consacrer plus à la résorption de la
fracture sociale mais aussi responsabiliser au maximum les entreprises afin de
les dissuader de jouer de la flexibilité et des licenciements comme de simples
variables d'ajustement en faisant supporter aux salariés les conséquences de
leurs décisions.
Pourquoi ne pas envisager, comme c'est le cas d'ailleurs pour la branche
accidents du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale, des
cotisations employeur à l'assurance chômage modulées avec un système de
bonus-malus, selon le risque chômage que l'entreprise fait courir à la
collectivité ?
C'est l'une des dispositions contenues dans la proposition de loi visant à
prévenir les licenciements économiques que nous avons déposée.
Il faut enrayer la machine à exclure, imposer dans le domaine de l'emploi la
démarche de prévention. Nous tenons beaucoup à l'évolution et au renforcement
de la législation en matière de licenciements économiques.
Après ce qu'il est désormais convenu d'appeler « l'affaire Michelin », le
Premier ministre a opportunément rappelé que l'Etat n'avait pas à aider les
entreprises qui diminuent leurs effectifs alors qu'elles réalisent de
substantiels bénéfices.
Se trouvent en ligne de mire, notamment, les dispositifs de préretraites et
les allocations spécifiques du fonds national pour l'emploi. Accordées dans le
cadre de plans sociaux, ces aides au retrait anticipé d'activité ont, bien
souvent, servi à financer à moindre coût par les deniers publics le
rajeunissement de la pyramide des âges et les restructurations d'entreprises
qui, objectivement, n'étaient pas réellement en difficulté.
Fort justement, le budget de cette année continue d'en tirer les conséquences,
puisque les divers articles du chapitre relatif à la promotion de l'emploi et
aux adaptations économiques enregistrent une réduction sensible des crédits.
Par exemple, l'enveloppe affectée dans ce domaine, qui dépassait 8 milliards de
francs il y a deux ans, diminue de 694 millions de francs, pour s'établir à 4,1
milliards de francs en 2000.
Nous apprécions cette démarche qui, de surcroît, s'accompagne de la révision à
la hausse des financements tant des entreprises que de l'UNEDIC.
Dans le même ordre d'idée, nous réitérons notre souhait de voir les
entreprises davantage associées à l'insertion, à la qualification et à la
formation des personnes en difficulté comme de l'ensemble des salariés.
Par ailleurs, la forte proportion d'intérimaires et de salariés en contrats à
durée déterminée témoigne du fait que les entreprises, dans certaines branches,
sont de plus en plus nombreuses à recourir à ce type d'emplois, de manière non
seulement conjoncturelle, mais également structurelle, pour gérer de façon
permanente la main-d'oeuvre. Le secteur de l'industrie concentre, à lui seul,
plus de la moitié des intérimaires.
A nouveau, en 1998, l'intérim a enregistré une forte hausse de 26,6 %. Selon
l'étude de la Direction de l'animation, de la recherche, des études et des
statistiques, la DARES, publiée en novembre dernier, le travail temporaire
représente 454 000 emplois en équivalent temps plein. Ainsi, 900 000 personnes
se contentent d'un contrat à durée déterminée et,
de facto,
pour le plus
grand nombre, de moyens d'existence réduits, de projet de vie à court terme.
Depuis l'an dernier, les parlementaires communistes vous invitent, madame la
ministre, à lutter contre le développement du travail précaire.
Faute de négociations au niveau des branches professionnelles et d'accords
responsabilisant les entreprises en pénalisant financièrement le recours
excessif et systématique aux emplois précaires, le Premier ministre s'est
résolu à accepter que ce sujet fasse l'objet d'une intervention législative.
Nous accueillons très positivement cette décision et espérons que le
dispositif retenu, qui pourrait prendre la forme d'une taxe supplémentaire pour
les entreprises dépassant un certain seuil d'emplois précaires et d'une
limitation des possibilités de reconduction des contrats à courte durée, se
révélera être effectivement un instrument incitant les employeurs à recourir à
l'emploi stable etcorrectement rémunéré.
Toujours dans le même souci de limiter la flexibilité en s'attachant à la
qualité et au contenu des emplois, je tiens à souligner ô combien ! il nous
paraissait urgent non seulement de « moraliser », mais aussi de décourager le
recours au temps partiel, subi dans plus de 40 % des cas par les salariés. Il
est en effet source de nombreux inconvénients du fait des fortes dérives dont
il a fait l'objet ces dernières années, sans que pour autant de réelles
contreparties soient apportées.
La suppression de l'abattement de 30 % des cotisations patronales décidée lors
de la discussion de la seconde loi sur les trente-cinq heures va dans le bon
sens.
Les enjeux sont importants. La promotion de l'emploi, la lutte contre les
exclusions et les inégalités devant l'emploi doivent rester les priorités du
Gouvernement.
Le budget de l'emploi, dont les crédits progressent cette année de 2,3 %,
reflète bien la volonté politique de ne pas se satisfaire d'un chômage de
masse, même ramené à 11 %. Il illustre aussi clairement certaines des
orientations fondamentales de la politique mise en oeuvre depuis 1997,
orientations sociales que nous partageons, qu'il s'agisse des trente-cinq
heures, des emplois-jeunes, de la lutte contre les exclusions ou de l'action
ciblée en faveur des publics les plus éloignés de l'emploi et que nous
souhaitons voir parfaire.
Il est toutefois un bémol et de taille : nous continuons à nous interroger sur
la pertinence et l'efficacité d'une politique publique pour l'emploi
privilégiant l'allégement du coût du travail. Nous regrettons, madame la
ministre, cette orientation stratégique qui emporte la préférence de la
majorité sénatoriale, laquelle souhaiterait que ce choix soit encore plus
amplifié. A notre sens, ces mesures tirent les salaires le plus souvent vers le
bas et ne concourent pas à qualifier ces emplois.
Profondément attachés à enrichir le plus possible l'objectif d'emploi de la
seconde loi relative à la réduction négociée du temps de travail, nous nous
sommes largement exprimés lors des débats sur ce texte. Nous avons fait valoir
notre opposition à la nature du financement retenu. Nous avons en vain proposé
un financement alternatif et l'extinction de la « ristourne Juppé »
débudgétisée pour les entreprises qui ne seraient pas à 35 heures.
En ce qui concerne la conditionnalité des aides à la création d'emplois, le
texte a évolué positivement. Plus généralement, nous attendons que le
Gouvernement s'engage résolument sur la voie du contrôle des fonds publics en
acceptant, dans un souci de transparence et de renforcement de la démocratie,
que notre proposition de loi visant à la création d'une commission nationale de
contrôle des fonds publics pour l'emploi soit discutée.
J'aborderai maintenant un axe essentiel de ce budget : l'accentuation des
actions en faveur des jeunes.
En octobre 1997, le Gouvernement lançait le programme « nouveaux services,
nouveaux emplois », réservé au secteur public et associatif, afin de développer
des activités nouvelles répondant à des besoins émergents ou non satisfaits et
présentant un caractère d'utilité sociale. L'objectif, pour la fin de l'année
2000, de 300 000 emplois pourra être tenu, les crédits nécessaires étant
prévus.
Si l'on peut effectivement saluer la montée en charge du dispositif
emplois-jeunes, il convient aussi, et surtout, de veiller à sa pérennisation en
assurant aux bénéficiaires, dont un sur deux s'interroge sur son avenir
professionnel, la possibilité de conserver leur activité et d'accéder à un
véritable emploi.
Au lieu de rejeter en bloc la poursuite du développement d'emplois dans le
secteur non marchand, comme le voudrait la majorité sénatoriale, alors même que
ces métiers correspondent à de vrais besoins, attachons-nous à
professionnaliser ces emplois.
Quels sont les taxes de réflexion retenus par le Gouvernement en complément
des initiatives et des conventions signées par le ministère de l'éducation
nationale, notamment avec le secteur du bâtiment ou des grandes entreprises -
Air France, Vivendi - pour procurer à l'ensemble des jeunes concernés de réels
débouchés ?
S'agissant du dispositif TRACE, mis en place par la loi d'orientation relative
à la lutte contre les exclusions afin d'assurer un suivi personnalisé des
jeunes sans qualification et très désocialisés, de les accompagner en leur
permettant d'accéder aux connaissances de base, je prends acte de
l'augmentation des crédits de ce programme.
Je constate que le rythme d'entrée dans ce dispositif paraît lent et que des
incertitudes demeurent quant aux résultats en termes d'insertion, en raison de
la limitation dans le temps de la durée d'accompagnement : dix-huit mois.
Une question cruciale et déterminante pour la resocialisation n'est toujours
pas résolue : il s'agit de la garantie de ressources, pourtant nécessaire pour
sécuriser le parcours d'insertion.
Madame la ministre, pourquoi ne pas envisager la création d'une allocation
d'emploi, une allocation « formation-insertion », pour remédier de façon
permanente aux difficultés financières des jeunes qui ne sont ni en stage ni
sous contrat de travail ?
En outre, le projet de budget tire toutes les conséquences du recentrage des
dispositifs d'aide à l'emploi des publics prioritaires au bénéfice des
demandeurs les plus éloignés de l'emploi. L'accent est mis sur les contrats
emplois consolidés, avec 60 000 contrats supplémentaires, alors que le nombre
d'entrées en contrat emploi-solidarité diminue et qu'il se stabilise pour les
contrats initiative-emploi.
Caractérisés tout de même par une forte précarité, ces emplois aidés à durée
déterminée « replongent » le plus souvent leurs bénéficiaires dans le
chômage.
Toujours pour renforcer l'insertion, traiter individuellement les besoins
particuliers et prévenir le chômage de longue durée, l'ANPE voit ses moyens
renforcés. Le programme « nouveau-départ » sera assuré, notamment, grâce à la
création de cinq cents postes supplémentaires.
Indéniablement, les réformes structurelles emblématiques de la gauche
plurielle sont financées. Je regrette toutefois les redéploiements opérés et
certains choix budgétaires. Je pense, en particulier, au financement de la
politique de formation professionnelle, qui soulève quelques interrogations.
Mais vous y apporterez, je crois, une réponse. L'évolution la plus
spectaculaire concerne les crédits consacrés à l'apprentissage.
En revanche, les dotations à l'AFPA progressent, ce qui devrait utilement
permettre, en période de reprise, de satisfaire les demandes de main-d'oeuvre
qualifiée émanant des entreprises. Nous attendons de la réforme annoncée
qu'elle permette la formation professionnelle tout au long de la vie,
accessible à tous, répondant aux besoins des enteprises comme aux aspirations
des salariés, et qu'elle clarifie les responsabilités de chacun.
Mais je pense aussi au reclassement des handicapés, à la question de leur
insertion sur le marché de l'emploi qui se révèle être deux fois plus longue
que pour unepersonne valide. A l'issue de la troisième semaine nationale pour
l'emploi des handicapés organisée par l'Association pour l'insertion
professionnelle des handicapés, l'ADAPT, quelles mesures le Gouvernement
envisage-t-il de prendre afin de favoriser l'embauche des personnes handicapées
?
Après ces quelques réserves, pour conclure par une note plus positive sur le
projet de budget que vous nous soumettez, madame la ministre, je saluerai
l'effort budgétaire pour améliorer les services de votre ministère.
Contrairement à la majorité sénatoriale, qui justifie son avis défavorable sur
le présent projet de budget par trois motifs principaux - le coût croissant des
emplois-jeunes, le caractère contraignant de la réduction du temps de travail
et son financement, la création de cent trente postes dont quinze inspecteurs
et quatre-vingt-huit contrôleurs - je considère qu'il est plus qu'opportun que
le nombre de ces personnels aille croissant et que l'on s'attache à résorber
l'emploi précaire en améliorant la situation matérielle et les perspectives de
carrière, notamment des agents de catégorie C.
Vous l'aurez compris, madame la ministre, nous approuvons votre projet de
budget et, par conséquent, nous ne pouvons, pour de multiples raisons, que nous
opposer à la position de la majorité du Sénat.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, mon propos sera bref, car le sujet a déjà été abordé, chiffres
à l'appui, que je ne reprendrai pas ou peu. Il sera centré sur les crédits
consacrés à la formation professionnelle.
Alors que le Gouvernement, à juste titre, fait de l'emploi une priorité, les
crédits de la formation professionnelle, qui sont l'instrument concret, me
semble-t-il, d'une demande précisément préalable à l'emploi, sont en baisse par
rapport à l'an dernier. Le projet de budget de la formation professionnelle ne
se cantonne-t-il pas, en effet, pour l'essentiel, à financer des mesures de
reconduction, dans l'attente, me dira-t-on, d'une réforme qui sera sans doute
la bienvenue ? Cette réforme, annoncée dapuis quelque deux ans et dont je
conviens qu'elle aurait pu être amorcée bien avant, devra voir le jour en 2001.
Elle est pourtant urgente, car indispensable.
Notre système de formation professionnelle, peu modifié depuis des années,
pour l'essentiel, suscite, à juste titre, de nombreuses réserves, alors que M.
Claude Allègre lui-même parle de « l'impérieuse nécessité de la formation
professionnelle ».
Tout d'abord, le système reste complexe et l'on pouvait parler de surcroît, il
y a peu - c'est peut-être moins le cas aujourd'hui - de l'opacité des
financements. A une question posée dans un passé relativement récent, il
m'avait alors été répondu que plus de 40 000 organismes étaient déclarés, que
seuls quelque 26 400 avaient exercé une activité et que moins de 5 000
seulement avaient déclaré un chiffre d'affaires supérieur à 1 million de
francs, représentant cependant 85 % de l'activité totale du marché. Suivaient
des précisions quant à la nécessaire transparence du marché. Il y a sans doute
toujours là un chantier à poursuivre, en matière de simplification et de
transparence.
Peut-on dire que ce système toujours complexe entretient de surcroît des
inégalités d'accès à la formation, selon le sexe, l'âge ou le niveau de
qualification ? A défaut d'une relation évidente de cause à effet, c'est pour
le moins là un constat que l'on fait à regret.
Ces quelques remarques ou observations critiques - je pourrais formuler
d'autres considérations, d'importance inégale il est vrai - sont d'autant plus
fâcheuses à faire que la formation joue bien évidemment un rôle premier dans la
lutte contre le chômage et les exclusions, qui est le point fort de la
politique du Gouvernement, puisqu'elle peut permettre à tous d'intégrer le
marché du travail, qui est le meilleur vecteur de l'insertion.
Il n'est nullement question, à mes yeux, de critiquer pour l'essentiel le
bien-fondé et la réalité des mesures de lutte contre les exclusions, mais
l'effort fait par ailleurs, et c'est un exemple, pour les emplois-jeunes ne
saurait être assimilé aux efforts nécessaires en faveur des publics en
difficulté au regard de leurs difficultés d'intégration professionnelle. C'est
tout autre chose, me semble-t-il.
C'est, là encore, une raison forte pour laquelle je déplore la diminution des
crédits. Je veux bien penser qu'elle ne traduit pas un désengagement du
Gouvernement, contrairement à ce qui a pu être dit. Chacun en convient, l'une
des pièces maîtresses de la formation professionnelle, c'est la formation, ou
les formations, en alternance. Or les crédits alloués à ce type de formation
sont en baisse et les contrats sont en diminution. C'est un autre regret que je
formule, mais j'ai cru comprendre tout à l'heure, en entendant M. Fischer,
qu'une réponse serait apportée. J'attends.
Le chômage régresse, et chacun ne peut que s'en réjouir, mais, parallèlement
et paradoxalement, de nombreux secteurs d'activités - cela a été dit -
éprouvent de grandes difficultés à trouver de la main-d'oeuvre. On ne saurait
reprocher au Gouvernement actuel le manque d'attrait des jeunes pour certains
métiers, pas davantage - je l'ai vécu, cela ne date pas d'aujourd'hui - la
sélection par le bas de l'orientation en établissement d'enseignement
professionnel. Il en est ainsi depuis des décennies. Sont en cause les
gouvernements peut-être, l'éducation nationale et les enseignants certainement,
et les parents tout autant.
C'est affaire de culture, me semble-t-il, et le courant sera difficile à
remonter. Raison de plus pour qu'un effort tout particulier soit fait - et ce
n'est, hélas ! pas le cas - en faveur de l'apprentissage, qu'il s'agisse des
contrats de qualification, d'adaptation ou d'orientation.
La formation
professionnelle, diagnostics, défis et enjeux,
tel est le titre du Livre
blanc, madame la secrétaire d'Etat, dont nous souhaitons l'exploitation et la
mise en oeuvre. Il s'agit d'une attente, ce n'est donc pas, par définition, une
réalité à ce jour.
Certes, il convient de se féliciter, par ailleurs, de l'augmentation des
crédits en faveur de l'AFPA, l'Association nationale pour la formation
professionnelle des adultes. Ses missions de service public permettent à cet
organisme de participer activement à la réinsertion professionnelle. Nous en
convenons.
L'AFPA prend effectivement le parti de se tenir à la pointe des nouvelles
technologies et de l'enseignement à distance. J'ai pu le constater dans mon
département. Souhaitons simplement, mais cela n'est pas rien, que l'AFPA
connaisse une très bonne gestion.
Au total cependant, et pour conclure ce « survol » trop bref et tellement
incomplet - je n'ai pas voulu rappeler les chiffres - ce budget permet, me
semble-t-il, la reconduction, je l'ai déjà dit, des actions conduites jusqu'à
présent. J'ai le sentiment qu'il s'agit en quelque sorte d'un budget de
transition, en attente de réformes souhaitables et souhaitées, en attente d'une
politique plus forte de la formation professionnelle. J'en conviens, la chose
n'est sans doute pas aisée ; raison de plus, me semble-t-il, pour amorcer sans
plus attendre ce chantier.
La reprise de l'activité économique qu'accompagne une pénurie de main-d'oeuvre
aurait dû, selon moi, y inciter. Le budget en discussion ne permet pas cette
avancée que nous aurions souhaitée. Madame la secrétaire d'Etat, c'est un
constat, que je fais à regret, regret qui n'est en rien, je ne crains pas de
l'affirmer, la manifestation d'une quelconque et condamnable tactique
politicienne dont parlait notre collègue Mme Dieulangard.
(Applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le présent projet de budget pour l'emploi s'inscrit dans la
continuité des mesures dont la mise en oeuvre a été entamée depuis 1997, qu'il
s'agisse, pour l'essentiel, des emplois-jeunes, de la lutte contre les
exclusions et des deux lois de réduction du temps de travail. En ce sens, le
budget est bien un texte d'exécution, qui donne au Gouvernement et à
l'administration les moyens d'application de la politique qui a été déterminée
auparavant.
C'est précisément sur les moyens que vous nous proposez pour votre propre
administration que mon intervention portera, madame la ministre.
Je voudrais tout d'abord vous féliciter de la poursuite du programme de
résorption de l'emploi précaire que vous avez entrepris. Quelque 12,5 millions
de francs sont consacrés à cette opération indispensable d'assainissement. Il
était en effet paradoxal que se soit ainsi développé au sein de
l'administration du travail un nombre important d'emplois précaires : vingt-six
postes d'agent administratif de deuxième classe sont créés dans ce cadre, qui
font suite aux trente postes de cette année.
Par ailleurs, ce projet de budget prévoit la création de quinze postes
d'inspecteur du travail et de quatre-vingt-huit postes de contrôleur du
travail.
Là aussi, ces créations font suite à celles de 1998 et 1999, soit déjà un
acquis de 195 inspecteurs et contrôleurs du travail. Si je compte bien, nous
voilà donc avec 298 membres du corps d'inspection en plus depuis votre prise de
responsabilité à ce ministère. C'est un effort tout à fait considérable et sans
précédent, qu'il convient de saluer.
Nous devons cependant tenir compte de trois points.
D'abord, nous partons de très loin, puisqu'il n'y a toujours que moins de 1
500 agents de contrôle pour 14 millions de salariés du secteur privé. Tous les
inspecteurs et contrôleurs ne sont pas affectés à des tâches d'inspection ; ils
peuvent être en poste dans les directions régionales ou départementales du
travail.
Ensuite, la procédure de recrutement et de formation est longue. L'ensemble
atteint facilement trois ans. Il y a donc un temps de latence réel entre notre
vote et la prise de fonction de ces agents.
Enfin, le Parlement est en train d'examiner le second projet de loi relatif à
la réduction du temps de travail, un texte important par la teneur de ses
dispositions et par le fait qu'il concerne l'ensemble des entreprises et des
salariés du secteur privé. Ce texte touche au coeur même de la relation de
travail, sa durée et, par ricochet, sa rémunération.
Quelles que soient la bonne foi et la bonne volonté des chefs d'entreprise et
des représentants de salariés, ce texte ne manquera pas de susciter des
questions sur ses modalités d'application.
A notre grand regret, nous devons aussi craindre que, ici ou là, cette bonne
foi et cette bonne volonté ne soient prises en défaut et que des divergences
d'interprétation ou des conflits ne surgissent. Nous avons déjà connaissance
d'entreprises où, par exemple, l'intégration de telle ou telle pause dans le
temps de travail effectif et la suppression des ponts traditionnels par la
direction sont sources de graves difficultées.
Il convient de veiller à ce que la réorganisation du travail, qui est bien
souvent permise par la réduction du temps de travail, se déroule de manière
équilibrée et ne lèse pas les salariés. Nous avons légiféré le plus précisément
possible, mais tout ne peut malheureusement être prévu.
Les employeurs et les salariés ont donc besoin de conseils durant la
négociation, et la mise en place de la réduction du temps de travail nécessite
un contrôle, non seulement lors de la mise en oeuvre, mais aussi dans les
modalités d'application au fil du temps.
C'est donc une tâche très importante qui attend les services d'inspection,
déjà fort préoccupés par le respect du droit du travail actuel dans les
entreprises.
Notre interrogation, madame la ministre, porte donc sur la poursuite de cette
politique de renforcement du corps de contrôle. Nous approuvons bien entendu
pleinement ce qui a déjà été réalisé en la matière. Nous aimerions d'ailleurs
savoir où en sont le recrutement, la formation et les premières affectations
des agents recrutés sur les postes qui ont été budgétisés.
Nous souhaitons que cette politique soit poursuivie et amplifiée dans les
prochaines années par un plan pluriannuel de recrutement et de formation.
Nous souhaitons aussi que les inspecteurs et les contrôleurs recrutés soient,
à l'issue de leur formation, affectés à des tâches effectives de contrôle et
réalisent des missions en entreprises, pour y apporter leurs conseils, mais
aussi pour sanctionner, lorsqu'il le faut, les chefs d'entreprise qui en
prennent à leur aise avec la loi.
Si je puis me permettre cette note d'humour, je dirai que nous sommes
persuadés qu'une plus grande présence, une plus grande disponibilité des agents
de contrôle aurait un effet bienfaisant sur les relations sociales dans
certaines entreprises.
Voilà qui m'amène à une autre question relative à la gestion des personnels de
contrôle. Il s'avère, en effet, que le déroulement de carrière des inspecteurs
du travail ne leur permet plus, passé un certain échelon, de rester en poste,
mais que toute promotion est conditionnée par l'accès à un poste de direction
du travail. Cela présente deux inconvénients : un certain nombre d'inspecteurs
préféreraient rester en poste et regrettent de devoir en quelque sorte changer
de métier ; surtout, sur le plan de l'efficacité, c'est au moment où ces agents
sont bien formés et expérimentés, au meilleur de leur efficacité, qu'ils
doivent abandonner leur mission. Ce système est parfaitement contre-productif
et il nous paraît opportun de réfléchir au moyen d'assouplir ces règles
d'évolution decarrière.
Telles sont, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, les éléments que
nous souhaitions apporter àl'occasion de ce débat budgétaire.
De grands progrès ont été réalisés depuis deux ans dans le domaine de la
gestion des personnels comme en matière de réorganisation de la dépense pour
l'emploi. Ces progrès portent leurs premiers fruits, et nous n'en avons que
plus de satisfaction à vous renouveler aujourd'hui encore notre total
soutien.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Larifla.
M. Dominique Larifla.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, incontestablement, les mesures prises par le Gouvernement
portent aujourd'hui leur fruit en métropole. La France retrouve son dynamisme
et sa place parmi les grandes puissances de ce monde. Hélas ! en outre-mer, la
situation économique et sociale se dégrade de jour en jour, malgré les
orientations et les actions fortes du Gouvernement.
En métropole, on assiste à une diminution très nette du nombre de demandeurs
d'emploi, alors que la situation de l'outre-mer demeure préoccupante. Le taux
de chômage et les indices d'exclusion sont en constante progression : 11,3 % à
la Martinique, 5,3 % en Guadeloupe et 4,1 % en Guyane. Le taux du chômage
atteint 36 % à la Réunion, 30,5 % à la Martinique, 30 % en Guadeloupe et 25 %
en Guyane.
Les départements d'outre-mer restent donc caractérisés par la tendance à la
hausse du chômage et par une conjoncture économique défavorable. La situation
est dramatique pour les demandeurs d'emploi de longue durée, dont le nombre
atteint 109 715 pour l'ensemble des départements d'outre-mer. Les proportions
les plus élevées se situent à la Martinique et en Guadeloupe, respectivement
58,4 % et 53,3 %.
A la Réunion, le nombre de RMIstes croît de 6,7 % pour atteindre 58 000. En
Guadeloupe, il s'établit à 28 000, soit environ 14 % de la population active.
Pour l'ensemble des départements d'outre-mer, on dénombre 118 822 bénéficiaires
du RMI, alors que ces départements représentent moins de 3 % de la population
française.
L'importance du nombre de personnes qui bénéficient du RMI dans les
départements d'outre-mer témoigne de la détérioration de la situation
économique et sociale. Elle est le signe de l'existence d'une société duale,
distinguant, d'une part, les personnes incluses dans le système productif et,
de l'autre, celles qui relèvent du dispositifd'assistance.
En ce qui concerne les agences départementales d'insertion, la loi du 28
juillet 1998 a allégé les procédures administratives. Les allocataires du RMI
doivent bénéficier d'un service social et d'un plan d'insertion adaptés à la
réalité locale. C'est la condition indispensable d'un accès à l'emploi.
La créance de proratisation est versée au budget des ADI, les agences
départementales d'insertion, par le FEDOM, le fonds pour l'emploi dans les
départements d'outre-mer. Le besoin en logements très sociaux est immense. Le
Gouvernement doit à tout prix maintenir, voire amplifier les dotations en
faveur de ce secteur. L'égalité sociale passe par l'égalité devant le droit au
logement.
La gravité de la situation économique et sociale de l'outre-mer constitue un
défi que le Gouvernement a décidé de relever.
Les emplois-jeunes ont permis de limiter le chômage des jeunes. La part de
l'outre-mer dans le nombre total des emplois de ce type créés à ce jour est
importante, puisqu'elle s'élève à 6,25 %, alors que les DOM ne représentent que
3,5 % de la population nationale âgée de moins de vingt-cinq ans. Malgré cela,
le taux de chômage des jeunes reste encore trop élevé.
Les crédits importants inscrits au FEDOM permettront de créer 11 000
emplois-jeunes sur trois ans pour l'ensemble de l'outre-mer. Mais, comme vous
le savez, le retard de développement de nos régions, qui a pour conséquence des
contraintes financières énormes, et le faible potentiel fiscal local entravent
la capacité des communes à signer des contrats emplois-jeunes en nombre
suffisant et à soutenir comme il le faudrait l'effort de l'Etat.
Sur le plan des mesures d'aide à l'emploi et à la formation, l'objectif fixé
pour les CAE a été atteint, tandis que celui qui est relatif aux CES est déjà
dépassé.
Malgré quelques difficultés l'année dernière de mise en oeuvre des contrats
d'insertion par l'activité, les CIA, on constate une montée en puissance du
dispositif par rapport à l'année précédente. Ainsi, en Guadeloupe, en 1998, 4
006 CIA ont été conclus. En revanche, le nombre de contrats en alternance a
diminué de 7 %. Les chefs d'entreprise devraient participer de manière plus
active à l'insertion de notre jeunesse dans le monde du travail.
Au total, dans les DOM, les principales mesures des politiques de l'emploi
relatives aux contrats aidés et aux actions de formation ont concerné plus de
92 000 bénéficiaires en 1998, au lieu de 75 000 en 1997.
L'emploi est donc la première des priorités gouvernementales pour l'outre-mer.
Le projet de budget pour 2000 fixe le montant de la dotation pour l'emploi dans
les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon à 2,1 milliards de francs, soit une
augmentation de 16,2 % par rapport à 1999. Ainsi, le FEDOM permettra le
financement de 58 000 solutions d'insertion, contre 56 000 en 1999.
En ce qui concerne le logement social, une part des crédits de la créance de
proratisation du RMI y est consacrée. Elle s'ajoutera à la ligne budgétaire
unique, qui marque une stagnation.
L'effort global de l'Etat pour l'outre-mer, tous ministères confondus,
progresse de 2,85 %, passant de 56 milliards de francs à 57,8 milliards de
francs. Cette progression est plus que trois fois supérieure à la moyenne
nationale. Cet effort consacré à l'outre-mer permettra aux DOM d'afficher des
objectifs ambitieux et de dégager véritablement des priorités en termes
d'emploi, de logement et d'action sociale et culturelle.
Mais un danger guette aujourd'hui nos sociétés : la tentation de « salarier »
l'exclusion.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Très bien !
M. Dominique Larifla.
Il faut que les DOM sortent de cette certitude fataliste, car ce consentement
tacite mène à une dissociation croissante entre l'économique et le social. Il
est temps de se pencher sur un plan de développement économique porteur
d'emplois durables et créateur de richesse.
Pour conclure, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, l'emploi et,
par conséquent, le développement économique nécessitent plus que jamais un
soutien actif et résolu de la puissance publique. Le développement, pour être
durable, doit être solidaire. L'emploi est au coeur de votre projet de budget.
En tournant la page de la politique de la parité sociale, le Gouvernement s'est
fixé pour objectif l'égalité sociale, qui suppose un effort de la nation.
La responsabilité politique, économique et sociale, dont le Gouvernement
souhaite qu'elle soit assumée dans chaque DOM, est une des clés du
développement de l'outre-mer. Nos territoires sont riches d'une jeunesse
nombreuse, dynamique, formée ou en quête de formation diplômante. Cette
jeunesse constitue un atout majeur, une chance pour les DOM, et aussi pour la
nation.
L'outre-mer reste attentif et ouvert à toute initiative allant dans le sens du
progrès. Je voterai ce projet de budget.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, madame,
messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, Nicole Péry et
moi-même avons l'honneur de vous présenter aujourd'hui le projet de budget de
l'emploi et de la formation professionnelle pour 2000.
Cette discussion est évidemment indissociable des débats relatifs à la
réduction de la durée du travail, au projet de loi de financement de la
sécurité sociale et à l'institution d'un nouveau régime d'allégement des
cotisations patronales.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que la politique de l'emploi
est au coeur de la stratégie du Gouvernement. Avec ce projet de budget, nous
remplissons les engagements qui avaient été pris en ce qui concerne l'emploi.
En effet, après l'instauration des emplois-jeunes, des aides à l'innovation
technologique et à la création d'entreprise, de l'aide au pouvoir d'achat et à
la relance de la consommation et de la croissance, de la réduction de la durée
du travail et de la modification du financement des cotisations patronales,
nous aurons mis en place l'ensemble des éléments sur lesquels s'était fondé le
Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
Il faut reconnaître que cette politique porte ses fruits, n'en déplaise à
certains. En effet, quels que soient les indicateurs du chômage retenus - je
rappelle que j'ai réintégré dans les chiffres du chômage publiés l'ensemble de
ces indicateurs, notamment celui que l'on appelle le « 1 + 6 », qui permet de
prendre aussi en compte les chômeurs ayant travaillé plus d'un mi-temps dans le
mois - tous témoignent d'un recul important du chômage.
Si l'on se réfère à l'indicateur le plus connu, on dénombre 470 000 chômeurs
de moins par rapport au mois de juin 1997 ; mais, ce qui est plus important et
plus intéressant encore, cette évolution est deux fois plus ample sur les seuls
dix premiers mois de l'exercice 1999 que pour toute l'année dernière, puisque
l'on compte 250 000 chômeurs de moins par rapport au début de l'année. Cela
montre que la décrue du chômage s'est nettement accélérée, alors même que le
taux de la croissance, comme vous le savez, est de 2,7 %, contre 3,4 % l'année
dernière.
Il faut donc croire que d'autres éléments jouent peut-être en dehors de la
seule croissance, à laquelle certains souhaiteraient borner leur analyse. Je ne
prétends pas, messieurs Ostermann et Souvet, que la croissance n'a joué aucun
rôle, puisque nous avons au contraire tout fait pour la relancer. Je rappelle
que, dans notre pays, le taux de croissance était en moyenne, sur les quatre
dernières années précédant l'installation du gouvernement de Lionel Jospin,
inférieur de 0,5 point à la moyenne européenne, alors qu'il lui est aujourd'hui
supérieur de 0,5 à 1 point. Nous avons, pour ce faire, relancé la consommation,
et donc les revenus de ceux qui en avaient le plus besoin, mais nous avons
aussi fait en sorte de ramener la confiance. Celle-ci est revenue, notamment
grâce aux emplois-jeunes, qui ont redonné espoir aux familles.
Comme l'ont très bien montré Mme Dieulangard et M. Fischer, c'est tout à la
fois le redémarrage de la croissance - fondé d'ailleurs sur la consommation
interne, ce qui nous a permis de franchir beaucoup plus facilement le cap des
crises asiatique et russe - les résultats de l'instauration des emplois-jeunes
et de la politique menée en matière de nouvelles technologies et les premiers
effets, que l'on retrouve dans les chiffres, de la réduction du temps de
travail qui expliquent la réalité d'aujourd'hui.
M. Ostermann nous a affirmé que la source de cette évolution favorable était
la croissance internationale, notamment américaine, qui se situait pourtant au
même niveau au cours des quatre années ayant précédé notre arrivée. A
l'écouter, on a donc l'impression qu'elle ne diffusait pas en France ses effets
bénéfiques quand la droite était au pouvoir mais que, brutalement, c'est cette
seule cause qui expliquerait les résultats actuels de notre pays. Je crois pour
ma part qu'il est tout aussi erronné d'affirmer que tout est dû à la croissance
internationale que de nier l'importance d'un climat favorable pour la création
d'emplois, ce que nous n'avons jamais fait. Je pense qu'il faut là aussi
procéder à une analyse en se fondant sur les faits, car c'est ainsi que nous
pourrons progresser.
Par conséquent, la situation de l'emploi s'améliore de manière certaine dans
notre pays, où l'on dénombre 150 000 chômeurs de longue durée de moins sur un
an et 25 % de jeunes chômeurs en moins par rapport à juin 1997, ce qui est tout
à fait nouveau puisque, depuis la première crise pétrolière, nous n'avions pas
connu un tel recul du chômage de longue durée. Ces résultats sont dus, à mon
sens, aux effets des politiques volontaristes que nous menons, par le biais
notamment de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions et
de l'action du service public de l'emploi.
Cela dit, il reste de nombreux chômeurs dans notre pays - ils sont aujourd'hui
2 670 000 - notamment dans certaines régions et dans les DOM, comme M. Larifla
nous l'a rappelé à juste raison. Nous savons donc que nous devons continuer
avec la même détermination à lutter contre le chômage : c'est tout l'enjeu de
la poursuite du mouvement de réduction de la durée du travail et de la mise en
place des emplois-jeunes, mais aussi de l'encadrement du temps partiel subi et
de la lutte contre l'emploi précaire, que M. Fischer a évoquée ; c'est aussi
tout l'enjeu de ce projet de budget, qui porte en germe la réforme des
cotisations patronales et la poursuite de la réduction du temps de travail.
Lorsque le marché du travail se dégrade, on peut être contraint de recourir
aux aides publiques pour atténuer le choc. Mais lorsque la situation de
l'emploi s'améliore, l'enjeu essentiel est de favoriser le retour à l'emploi
des personnes qui en sont le plus éloignées. Aujourd'hui, il y a encore 2 670
000 chômeurs, il reste 1 000 000 de personnes victimes du chômage de longue
durée - leur nombre a heureusement quelque peu baissé, mais il demeure quand
même extrêmement important - et c'est vers eux que nous devons nous tourner en
priorité quand la croissance est là, car ce sont eux qui voient passer les
trains et qui ont peur de ne pas pouvoir y monter. D'où l'importance, dans ce
projet de budget, de la mise en oeuvre de la loi d'orientation relative à la
lutte contre les exclusions.
Parallèlement à cette optimisation des moyens, qui vise à recadrer
l'utilisation de ceux-ci au profit de la lutte contre l'exclusion, nous
continuons à faire porter notre action sur les leviers du développement de
l'emploi, tels que la réduction de la durée du travail.
Je voudrais à cet égard rassurer M. Carle : il n'y a pas de différence entre
les chiffres publiés par l'INSEE et par la DARES et ceux que j'ai annoncés. Si
les accords sur les 35 heures signés à ce jour par les entreprises prévoient
bien la création ou la sauvegarde de 135 000 emplois, dont 85 % de créations
d'emplois, il est vrai que, dans leurs études du mois de septembre, la DARES
comme l'INSEE considéraient que 40 000 embauches étaient d'ores et déjà
réalisées. Mais il n'y a pas là de contradiction entre les chiffres, et nous en
sommes d'ailleurs aujourd'hui, je pense, à 70 000 ou 80 000 embauches, chiffre
qui continuera de croître avec le temps.
La politique d'allégement des charges sociales vise elle aussi, par le biais
d'une réforme des cotisations patronales, à favoriser l'emploi. Avec 122,6
milliards de francs pour 2000, le projet de budget de l'emploi et de la
formation professionnelle permet de financer intégralement nos actions
prioritaires, sans dépasser un taux de croissance modéré de 2,3 % par rapport à
1999.
En effet, le montant de ces crédits progresse de 2,7 milliards de francs,
chiffre qui résulte de la conjonction de 10,4 milliards de francs de dotations
complémentaires et de 7,7 milliards de francs d'économies ou d'ajustements à la
baisse sur d'autres postes. Comme nous l'avions fait les années précédentes,
nous continuons donc à recadrer le budget et à réduire, voire à supprimer les
effets d'aubaine, pour orienter les aides de l'Etat vers ceux qui en ont le
plus besoin. Quand des entreprises bénéficient de ces aides, des contreparties
en matière d'emploi sont prévues.
S'agissant des mesures structurelles de développement de l'emploi, elles
absorbent 80 % de la masse financière dévolue aux mesure nouvelles. A
l'inverse, et comme l'an dernier, des économies importantes sont réalisées sur
les dotations affectées à l'accompagnement des restructurations et au
financement des préretraites du Fonds national de l'emploi.
Quant à la démarche de « ciblage » des aides et d'accompagnement des parcours
de retour à l'emploi, elle se traduit par 3,7 milliards de francs d'économies
sur les dispositifs traditionnels - il s'agit, je le répète, d'obtenir des
gains en matière d'efficacités en recentrant ces dispositifs sur les personnes
les plus en difficulté, comme pour les CIE et les CES - et par l'affectation de
1,2 milliard de francs de crédits nouveaux aux outils de lutte contre
l'exclusion et au renforcement du service public de l'emploi.
Le premier levier pour favoriser le développement de l'emploi est le
dispositif des emplois-jeunes. Le bilan est aujourd'hui de 220 000 emplois
créés et de 211 000 embauches. Le projet de budget pour 2000 est construit
autour d'un objectif de 320 000 à 330 000 emplois créés, et donc d'environ 290
000 jeunes embauchés d'ici à la fin de l'année 2000. Je voudrais dire à ce
propos à M. Ostermann que le projet de budget est bien calibré et que les
emplois-jeunes sont financés, à hauteur d'un stock moyen d'emplois de 240 000.
Il n'y a donc pas de contradiction entre le projet de budget et les objectifs
affichés.
J'ajouterai, monsieur Ostermann, que la Commission européenne n'a pas,
contrairement à ce que vous avez affirmé, porté un jugement négatif sur les
emplois-jeunes. Elle indique notamment que « ces emplois ont contribué au recul
du chômage des jeunes », mais que, « cependant, la survie de ces postes, une
fois qu'aura pris fin le soutien financier des pouvoirs publics, dépendra de la
capacité du programme à générer des emplois économiquement viables ». C'est
justement le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Sachez, monsieur Ostermann, que
mes collègues et moi-même réunirons, à la fin de la semaine, plusieurs milliers
de bénéficiaires d'un emploi-jeune et d'employeurs, afin de faire le point sur
la professionnalisation et sur la pérennisation de ces emplois. Nous
continuerons à avancer dans cette voie.
La deuxième réforme structurelle, qui est double, concerne la réduction du
temps de travail et l'allégement des charges pesant sur les bas et les moyens
salaires. Son financement reposera, en 2000, sur le fonds de la réforme des
cotisations sociales, créé à cet effet dans la loi de financement de la
sécurité sociale. La ristourne dégressive qui, finalement, n'aura été intégrée
au budget de l'emploi que sur le seul exercice 1999, rejoint donc ce fonds,
pour un montant de 39,5 milliards de francs.
M. Ostermann a l'air de contester ces chiffres. Permettez-moi de vous
rappeler, monsieur le rapporteur spécial, que, lorsque j'ai pris mes fonctions,
en juin 1997, c'était la première année d'application réelle de la ristourne
dégressive. Or, si 38 milliards de francs avaient été programmés, il manquait
cependant 7 milliards de francs. C'est pour cette seule raison que nous avons
été amenés à baisser de 1,33 à 1,3 SMIC l'effet maximum et à trouver des
ressources complémentaires.
Quand j'entends l'opposition me dire que la réforme des charges sociales du
Gouvernement est un vrai scandale alors qu'elle est financée à 80 % sur cinq
ans, alors même que, dès la première année d'application de la ristourne
dégressive, il manquait déjà 7 milliards sur 45 milliards de francs, je réponds
que chacun doit avoir un peu de mémoire.
Compte tenu des évolutions salariales - la « trappe à bas salaires » sera
moins importante et, heureusement, il y aura croissance du pouvoir d'achat -
les 39,5 milliards de francs que nous avons prévus correspondent exactement à
nos calculs et à ceux de l'INSEE : c'est bien ce dont nous aurons besoin en
2000 pour financer la ristourne dégressive.
Je suis d'ailleurs étonnée de vos critiques sur la transparence car, s'il y
avait quelque chose qui n'était pas transparent, c'était bien que nous ne
soyons pas capables d'individualiser le fonds de baisse des charges. Or le
Gouvernement, en l'occurrence, l'a individualisé à la fois dans ses recettes et
dans ses dépenses, et il a prévu, à la demande du groupe communiste, que serait
établi et transmis chaque année au Parlement - qui devrait s'en réjouir - un
bilan annuel sur l'utilisation de ces fonds et leur contrepartie en matière
d'emploi. Là est la véritable transparence budgétaire : il s'agit d'un fonds
unique dont nous connaissons et les recettes et les dépenses, ce qui n'était
pas le cas auparavant pour la ristourne dégressive.
M. Guy Fischer.
Oui, cette transparence était bien nécessaire !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous pourrons ainsi contrôler
l'efficacité des fonds publics, ce qui va dans le sens d'une plus grande
démocratie.
Cette baisse des charges coûtera 105 milliards de francs à terme, dont 40
milliards sont destinés au coût du passage aux 35 heures avec une aide pérenne
de 4 500 francs en moyenne par salarié. Là aussi, on peut raconter ce qu'on
veut, mais la vérité c'est que chaque emploi créé par la réduction du temps de
travail coûtera au budget de l'Etat, selon la taille de l'entreprise, entre 55
000 et 75 000 francs. C'est, de loin, la mesure la moins coûteuse de toutes les
mesures de développement de l'emploi prises par les gouvernements successifs
pendant ces vingt dernières années.
Les 65 milliards de francs restants représentent la poursuite du mécanisme
d'allégement des charges, qui vise à moins taxer les salaires et à taxer les
bénéfices des entreprises polluantes, c'est-à-dire des entreprises
capitalistiques.
A MM. Carle et Ostermann, je répondrai à cet égard qu'il y a effectivement
création d'emplois nouveaux mais non prélèvements complémentaires nouveaux,
puisque ces deux taxes seront prélevées sur les entreprises réalisant des
profits, y compris des résultats financiers, et sur les entreprises
capitalistiques, qui sont les entreprises les plus polluantes, au profit des
entreprises les plus créatrices d'emplois. Il y a donc un redéploiement à
l'intérieur d'un prélèvement global identique pour les entreprises. Cela aussi,
il faut le souligner !
Quant au coût de l'aide aux 35 heures - 40 milliards de francs en régime de
croisière et 17 milliards de francs cette année - il est parfaitement budgété
et financé. Je n'ai d'ailleurs pas très bien compris les critiques de M.
Ostermann, qui prétend que les crédits sont sous-estimés et qui, en même temps,
affirme que les 35 heures n'auront aucun effet. S'il pense qu'ils sont
sous-estimés, c'est qu'il pense que les 35 heures créeront encore plus
d'emplois que ce que nous avons prévu ! Aujourd'hui, 2 400 000 salariés sont
passés aux 35 heures et nous prévoyons qu'ils seront 4 millions en 2000. S'il
devait y en avoir plus, monsieur Ostermann, je ne pourrais alors que vous
suivre et nous abonderions ces crédits avec grand plaisir, car cela
signifierait que notre politique a de meilleurs résultats que prévu.
J'en viens brièvement à l'« usine à gaz » que vous avez dénoncée car, là
aussi, il faut être raisonnable. Permettez-moi simplement de vous rappeler que
le FSV, le fonds de solidarité vieillesse, créé par M. Baladur, était financé
par la taxe sur les alcools, par une partie de la CSG, par des taxes sur les
revenus financiers et par la C3S.
Comme « usine à gaz », on fait difficilement mieux ! Or vous n'aviez rien
trouvé à redire, à l'époque, au fait que les droits sur les alcools - qui vont
aller aujourd'hui pour partie vers la réduction des charges patronales et dont
je rappelle qu'ils n'ont pas été augmentés - financent les retraites ! Je ne
vois pas en quoi il serait plus contestable que les droits sur les alcools
financent les baisses de charges plutôt que le minimum vieillesse !
Ne voulant pas être désagréable aujourd'hui,...
M. Jacques Oudin.
Vous ne l'êtes jamais !
(Sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... je n'ose vous renvoyer à la
proposition de loi que le Sénat a acceptée en première lecture en juin 1998. En
effet, en terme d'« usine à gaz »...
(Murmures sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Soit ! Puisque vous le souhaitez, je vais quand même, parce que cela vaut le
coup, en dire un petit mot.
(Sourires.)
M. Jean Delaneau.
Faites-nous plaisir !
(Nouveaux sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vais vous faire plaisir : «
Pour calculer la baisse des charges, la réduction est applicable pour les gains
et rémunérations versés au cours du mois civil inférieurs ou égaux à 169 fois
le SMIC, majorés de 40 % dans les entreprises dont le produit des deux
proportions suivantes est supérieur à 0,36 : la proportion de salariés
disposant d'un revenu mensuel inférieur à 1,33 multiplié par 169 fois le SMIC
par rapport au nombre total de salariés, la proportion de travailleurs manuels
ou d'ouvriers par rapport au nombre total de salariés. »
M. Jacques Oudin.
C'est limpide !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
« Le montant de la réduction,
qui ne peut excéder 1 730 francs par mois, est déterminé par ailleurs par un
coefficient fixé par décret... »
M. le président.
Tout le monde a compris, madame le ministre !
(Sourires.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je ne continue pas, parce qu'il
y en a quatre pages comme cela. L'« usine à gaz », vous avez donc su la
construire beaucoup mieux que nous ! Nous, nous sommes en train de construire
une usine à emplois. Voilà notre objectif : créer des emplois.
Par ailleurs, nous avons financé nos priorités et réalisé des économies. Nous
avons resserré, par exemple, l'accès au FNE. Il n'y a en effet aucune raison
que les entreprises qui enregistrent des résultats financiers fassent supporter
le coût de leur restructuration à la collectivité nationale.
J'ai resserré, en 1997, en prenant mes fonctions, l'aide publique aux
préretraites du FNE et je l'ai ouverte par ailleurs, dans un nouveau
dispositif, aux salariés qui ont commencé à travailler tôt, qui ont accompli
des tâches pénibles et qui souhaitent partir plus tôt parce qu'ils sont souvent
usés par le travail ou qu'ils n'ont pas pu s'adapter aux nouvelles
technologies.
Nous avons également rendu plus coûteux les licenciements des salariés âgés de
plus de cinquante ans. Là aussi, nous poursuivons notre logique : l'Etat n'a
pas à financer les conséquences sociales des décisions prises par les
entreprises.
S'agissant des préretraites progressives, l'économie de 400 millions de francs
que nous réalisons cette année est moins le résultat d'une politique
volontariste que de la diminution constatée du nombre des personnes concernées.
Je tiens à le préciser, puisqu'une remarque a été formulée en la matière.
Le Gouvernement a donc financé ses priorités et réalisé des économies sur les
effets d'aubaine, comme d'ailleurs sur un certain nombre de dispositifs qui, en
période de croissance, ne se justifient plus comme auparavant.
M. Ostermann nous a dit que notre budget était mal géré. Je tiens à lui
rappeler que le Gouvernement a fait de la lutte contre le chômage et
l'exclusion sa priorité des priorités. Or la politique menée en 1998, en 1999
et en 2000 avec les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail, la lutte
contre les exclusions et l'amélioration du service public de l'emploi aura
coûté 37,2 milliards de francs, et le budget du ministère du travail en a
financé 26,5 milliards de francs par économies, par redéploiements, par
réduction des effets d'aubaine.
Que l'on ne me dise pas que, quand on finance les trois quarts d'une politique
aussi volontariste par des économies, c'est une mauvaise gestion ! J'aurais
d'ailleurs aimé que mes prédécesseurs le fassent avant moi. Cela dit, s'ils
l'avaient fait, j'aurais sans doute disposé de moins de moyens pour financer la
politique que nous menons. Peut-être faut-il donc, finalement, que je les
remercie de ne pas avoir eu la rigueur que nous avons essayé d'avoir !
J'en viens au deuxième axe majeur, après le financement de nos politiques
structurelles : il s'agit de la lutte contre les exclusions.
En la matière, nous avons recadré tous les dispositifs. Les contrats
emploi-solidarité, dont 57 % étaient occupés par des publics prioritaires en
1997, le sont à 78 % aujourd'hui, et nous parviendrons à 80 % en 2000. Nous
recentrons donc bien ces contrats vers leur objectif, qui consiste à offrir des
emplois à ceux qui ne trouveraient pas un emploi classique dans le privé ou
dans le public.
La situation est la même pour les contrats initiative-emploi. Le gouvernement
précédent avait franchi une première étape, c'est vrai, mais j'ai recentré ce
dispositif vers les chômeurs de plus de deux ans, qui occupent désormais 42 %
des emplois concernés. Je crois que nous allons ainsi dans le bon sens, ce qui
nous permet d'aider les plus défavorisés.
Les nouveaux outils de la lutte contre les exclusions sont tous en place. Les
contrats emploi consolidés, les CEC, passeront de 50 000 en 1999 à 60 000 en
2000.
A cet égard, M. Larifla a évoqué la situation spécifique des départements
d'outre-mer : les retards en matière de formation et les contraintes
démographiques expliquent que la situation de l'emploi y reste critique. Le
temps qui m'est imparti ne permet guère d'approfondir ce sujet comme il
convient. Je rappellerai simplement que la dotation du FEDOM, qui portera
désormais les CEC, s'élève en 2000 à 2,1 milliards de francs et permettra de
financer 58 000 solutions d'insertion, soit 2000 de plus que cette année.
Le deuxième outil, la réforme de l'insertion par l'activité économique, est
entré en vigueur. Le budget pour 2000 fait progresser de 22 % la dotation à ce
titre et portera à 12 000 le nombre de places en entreprises d'insertion et à
500 le nombre de postes d'accompagnement dans les entreprises de travail
temporaire d'insertion.
Le programme TRACE monte en charge grâce aux efforts conjugués de l'Etat et
des collectivités locales. Il a connu un démarrage un peu difficile, parce que
nous tenions à le cibler véritablement vers le publics le plus en difficulté et
que nous avions besoin de financer avec les régions le partage des emplois des
missions locales. Aujourd'hui, cependant, le dispositif est bien cadré : 40 000
jeunes seront pris en charge cette année et 60 000 le seront, comme prévu, en
l'an 2000.
Enfin, 15 000 contrats de qualification - Mme Péry en parlera peut-être - sont
ou seront financés en 2000.Là aussi, c'est un élément majeur de lutte contre
les exclusions.
De la même manière, le dispositif EDEN est maintenant bien en place.
Le troisième et dernier objectif de ce projet de budget est le renforcement
des moyens du ministère et du service public de l'emploi, qui accomplit
aujourd'hui - et cela a été remarqué au niveau européen - un travail tout à
fait exceptionnel d'accueil et de suivi dans la durée des chômeurs de longue
durée et des RMIstes. Or je veux souligner, au moment où le chômage de longue
durée diminue - 150 000 demandeurs d'emploi de moins - qu'il n'est pas facile
de réinsérer des personnes qui sont au chômage depuis longtemps : cela
nécessite de l'énergie, du temps et de la patience, car il faut trouver avec
chacun le bon itinéraire qui, dans la durée, le mènera à la qualification et à
l'emploi. C'est ce que font aujourd'hui les agents de l'ANPE, associés à
l'AFPA, et je veux les saluer pour ce travail remarquable, qui donne des
résultats et qui redonne espoir à beaucoup de personnes qui, au chômage depuis
longtemps, se voient aujourd'hui enfin proposer des solutions.
Nous poursuivons donc le renforcement du budget de l'ANPE avec 500 agents
supplémentaires en 2000, après les deux vagues précédentes de 500 créations
d'emplois en 1998 et en 1999. La subvention de fonctionnement qui lui sera
versée augmente de 10 %, ce qui était nécessaire si l'on compare l'ANPE aux
autres offices du travail des pays européens.
L'AFPA verra également sa subvention augmenter de 5 %, Mme Péry en parlera
dans quelques instants.
Enfin, l'effort de renforcement du service public de l'emploi concerne aussi
les services du ministère, dont les moyens en personnels ne sont pas à la
hauteur des missions. M. le Premier ministre a accepté que nous rattrapions le
retard, d'abord par un renforcement des emplois budgétaires : 130 postes seront
créés dont 121 dans les services déconcentrés, parmi lesquels 90 contrôleurs et
20 inspecteurs du travail. Il s'agit d'un mouvement qui n'avait jamais eu lieu
par le passé !
A cet égard, M. Lagauche a insisté sur la nécessité d'un plan pluriannuel. Je
rappelle que nous aurons créé, en trois budgets, 45 emplois d'inspecteurs du
travail et 230 emplois de contrôleurs du travail, sans oublier la
régularisation, en deux ans, de 370 coordonnateurs emploi-formation qui étaient
sur des postes précaires.
Ces emplois sont surtout affectés aux sections afin de mieux contrôler la
bonne application du code du travail et, notamment, l'hygiène et la sécurité,
qui est une des priorités que nous leur avons fixées - mais aussi d'accompagner
et d'aider les entreprises dans les négociations, notamment mais pas seulement
sur la durée du travail, et de renforcer le contrôle de la formation
professionnelle.
Par ailleurs, la poursuite du plan de transformation d'emplois et une nouvelle
étape de revalorisation indemnitaire vont permettre d'améliorer la situation
matérielle et les perspectives de carrière des agents, notamment de catégories
B et C.
Un point n'a pas été abordé jusqu'à présent - sauf par Mme Dieulangard -
concernant la faiblesse de la France en matière de développement local.
Dans le domaine du crédit pour les créateurs d'entreprises et du développement
d'une épargne locale permettant de favoriser la production et l'emploi
localement, nous devons continuer à travailler. C'est d'ailleurs un des sujets
de préoccupation de mon ministère actuellement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voià ce que je souhaitais vous dire sur ce
projet de budget pour l'emploi. Véritablement, des choix très clairs, étayés
par des travaux importants, largement partagés, sur l'évaluation de
l'efficacité des aides à l'emploi y sont affichés.
M. Souvet nous dit que le Gouvernement ne mène pas une politique moderne :
j'attends toujours de savoir quelle est la politique moderne sur l'emploi que
l'oppostion nous propose !
Quant à Mme Dieulangard, elle a raison de souligner que c'est à l'occasion de
la discussion budgétaire que l'on voit si un gouvernement a une politique et
fait des choix volontaires. Conduire une politique, c'est d'abord transcrire de
façon concrète dans le budget la teneur des priorités énoncées dans les
discours. Je crois que c'est ce que nous faisons depuis maintenant plus de deux
ans.
Le budget tire les conséquences de nos choix et met un accent particulier sur
l'emploi et sur la lutte contre les exclusions. Il tient compte du fait que les
choix politiques n'ont d'efficacité que dans la mesure où les hommes et les
femmes qui les mettent en pratique sont pris en considération, d'où un
renforcement des moyens de ce ministère. Pour toutes ces raisons, il me semble
répondre à ce qu'attendent aujourd'hui les Français de nous. Aussi, aurais-je
souhaité, au moins dans les propos si ce n'était dans les votes, la
reconnaissance de cette attente et de cette volonté politique.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs
les sénateurs, le budget de la formation professionnelle que j'ai l'honneur de
vous présenter, concourt à la politique de l'emploi du Gouvernement, comme
vient de le rappeler Martine Aubry.
Le projet de budget de la formation professionnelle s'élève en 2000 à 33,9
milliards de francs. A structure constante, c'est un budget stable à un point
près.
Sans détailler l'ensemble des mesures, je souhaiterais évoquer devant vous
quatre points qui, je le sais, provoquent chez les parlementaires des
interrogations, comme j'ai pu le mesurer à la lecture de vos courriers et lors
de ce débat : les crédits affectés aux formations professionnelles en
alternance ; le transfert à l'ANPE des crédits relatifs aux CIBC ;
l'augmentation des moyens de l'Association nationale pour la formation des
adultes ; le contrôle de la formation professionnelle.
Mme Bocandé, MM. Fischer et Mouly ont déploré la réduction des crédits
affectés aux formations en alternance. Je tiens à redire ici brièvement que, du
point de vue budgétaire, le recentrage des aides à l'embauche que nous avons
décidé en 1999 joue d'une façon mécanique sur le budget 2000, ce qui explique
la diminution des crédits alloués à ces primes. Mais, quant à notre volonté
politique de soutenir les formations en alternance, nous sommes déterminées,
madame Aubry et moi-même, à maintenir l'effort de l'Etat en matière de contrats
d'apprentissage et de contrats de qualification.
A cet effet, nous avons souhaité que le nombre d'entrées en contrat
d'apprentissage soit maintenu à son niveau de 1999, soit 220 000, et que celui
des entrées en contrats de qualification soit porté à 125 000, au lieu de 120
000 en 1999. L'effort budgétaire de l'Etat pour l'alternance s'élève ainsi à
plus de 12 milliards de francs, soit un tiers du budget que je présente.
J'ajouterai, pour répondre à certaines interrogations, que la progression des
contrats s'est confirmée au cours des dix premiers mois de 1999, malgré le
recentrage des primes ; nous notons une augmentation de plus de 2 % pour les
contrats d'apprentissage et de 1,5 % pour les contrats de qualification.
Toujours à propos de l'alternance, j'évoquerai - sujet sensible - le transfert
de 500 millions de francs qu'opérera en 2000 le comité paritaire du congé
individuel de formation, le COPACIF. Cette somme sera affectée,
via
un
fonds de concours, à la couverture des aides à l'embauche relatives au contrat
d'apprentissage.
Cette mesure s'inscrit dans un cadre plus général qui prévoit l'extension du
champ de compétence du COPACIF au capital de temps de formation. C'est l'objet
de l'article 70 du présent projet de loi, qu'un certain nombre d'entre vous ont
évoqué et sur lequel je vous apporterai quelques précisions.
Les excédents rattachés au capital de temps de formation et détenus par les
organismes collecteurs paritaires, appréciés au 31 décembre 1999, seront
versés, selon cet article, au COPACIF et non au Trésor public comme le
prévoient actuellement les textes.
Cette disposition a reçu l'accord de l'ensemble des partenaires sociaux. Elle
a pour objet, à l'évidence, de mieux répondre aux demandes de congé individuel
de formation. En effet, seules 27 600 demandes ont été acceptées en 1998 alors
qu'il y en avait eu le double et, c'est vrai, j'ai reçu un courrier très
important à ce sujet.
Toutefois, le montant prévisible des excédents du capital de temps de
formation est apprécié à ce jour à 1 milliard de francs. C'est ce qui a conduit
le Gouvernement à souhaiter qu'une partie de cet excédent soit affectée au
budget de la formation professionnelle pour l'apprentissage.
Cette mesure présente un caractère exceptionnel, et j'ai d'ailleurs accepté un
amendement de M. Barrot spécifiant l'aspect exceptionnel de cette mesure, car
je suis certaine que, lorsque la réforme de la formation professionnelle sera
adoptée - et elle le sera à brève échéance - il n'y aura plus d'excédent ni en
ce qui concerne le capital temps de formation, ni en ce qui concerne les congés
individuels.
Le transfert à l'ANPE des crédits relatifs aux CIBC, autre sujet sensible, ne
traduit en rien un doute sur la qualité des prestations assurées par ces
derniers. Il s'agit de construire un nouveau partenariat, au service de
l'orientation des demandeurs d'emplois, sans que les missions de ces centres
soient aucunement remises en cause. D'un point de vue financier, le soutien de
l'Etat aux CIBC n'en sera pas modifié. De même, le dialogue institutionnel
entre le groupe national de liaison des CIBC et les services de la formation
professionnelle ne sera pas affecté par cette présentation budgétaire. Une
convention sera conclue pour préserver un accès diversifié des publics et les
spécificités des CIBC, notamment les fonctions d'animation et de lieu «
ressource ». Je souhaitais ainsi répondre aux interrogations de Mme Dieulangard
et de M. Carle.
J'en arrive à l'augmentation des moyens de l'Association nationale pour la
formation des adultes.
Le deuxième contrat de progrès couvrant la période 1999-2003 a pour objet
d'accroître la performance et l'efficacité de l'AFPA dans sa mission de service
public auprès des demandeurs d'emploi et dans la réalisation des objectifs
définis par le plan national d'action pour l'emploi, le PNAE, au nombre
desquels figure la promotion de l'égalité des chances entre les femmes et les
hommes.
L'AFPA devra, dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle,
faciliter l'accès aux titres du ministère du travail à travers la validation
des acquis professionnels et permettre ainsi des parcours de formation
individualisés que plusieurs d'entre vous avaient souhaité. N'oublions pas que
nombre d'hommes et de femmes dans la population active française ont un niveau
de formation professionnelle initiale inférieur au CAP. Nous nous devons de
reconnaître et de valider leurs différentes expériences professionnelles ; nous
devons leur offrir de nouveaux parcours de formation. C'est ainsi que nous
pourrons construire un droit individuel, transférable et garanti
collectivement, lequel est au coeur de la réforme que je vais présenter.
J'ouvre une très brève parenthèse pour répondre à Mme Annick Bocandé dont je
partage le constat sur les difficultés actuelles de recrutement dans certaines
branches professionnelles. La reprise de la croissance et de la demande
intérieure, une prévision parfois insuffisante de la gestion des ressources
humaines par les entreprises, voire parfois aussi, reconnaissons-le, les
conditions de travail de certains métiers expliquaient en partie ces
difficultés. Nous savons très bien que le nombre annuel de jeunes diplômés
formés pour ces emplois dans ces branches professionnelles ne répondra pas à la
demande, certainement avérée sur le long terme. Pour faire face à ces
difficultés de recrutement, nous devrons densifier la formation professionnelle
tout au long de la vie, plus qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Cette réforme doit répondre, j'en suis persuadée, non seulement à des
impératifs de cohésion sociale mais aussi à des nécessités économiques. Il y a
donc urgence.
A l'instar de Martine Aubry, je crois au développement local. Je pense que
l'échelon régional s'impose comme le niveau de mise en cohérence des actions en
matière de formation professionnelle. Les missions de l'AFPA, dont le statut
national ne saurait être remis en cause, doivent avoir une forte implication
dans les politiques territoriales.
Ces orientations nouvelles supposent des moyens à la hauteur des ambitions
affichées. Ce développement, qui était nécessaire, vise à justifier la hausse
de 5 % des crédits affectés à l'AFPA, qui atteignent plus de 200 millions de
francs. C'est évidemment l'expression d'une volonté politique.
Le quatrième point, le contrôle de la formation professionnelle, a été moins
présent aujourd'hui dans ce débat que dans le courrier que vous m'adressez.
J'en dirai donc quelques mots.
Le contrôle de caractère administratif et financier porte sur l'ensemble des
moyens techniques et pédagogiques, à l'exclusion des qualités pédagogiques
mises en oeuvre pour la formation professionnelle. Cette qualité fait l'objet
d'un abondant courrier.
Comment y répondre ? L'Etat n'a pas souhaité réglementer le marché de la
formation en en limitant l'accès. En revanche, nous accompagnons les démarches
« qualité », et je ne peux qu'encourager les entreprises et les organismes de
formation à aller dans ce sens. Je pense notamment aux actions engagées par la
Fédération de la formation professionnelle à travers l'Office professionnel de
qualification des organismes de formation. Je rappelle que, à ce jour cinq cent
cinquante organismes sont qualifiés.
L'inspection de la formation professionnelle a connu une période moins
favorable depuis 1995, mais cette situation s'expliquait par l'attente du
rapprochement de ce corps d'inspection avec l'inspection du travail. C'est
maintenant chose faite.
Je terminerai cette intervention en évoquant le calendrier de la mise en
oeuvre de la réforme. J'avais adressé à chacun d'entre vous le Livre blanc que
nous avions édité, et je remercie les uns et les autres d'avoir rappelé son
existence. Martine Aubry et moi-même souhaitons poser les bases de la nouvelle
architecture d'un système de formation qui doit être adapté à notre époque. La
réforme s'articule autour de quatre axes.
Le premier axe vise à donner toute leur portée aux formations en alternance.
L'effort que nous avons fait en nombre de contrats dans le cadre du projet de
loi de finances pour 2000 répond à cette exigence. Des dispositions
réglementaires et législatives seront prises en 2000, afin d'assurer une
meilleure efficacité et une transparence accrue, qui est souvent demandée, du
financement de ces politiques d'alternance.
Nous évoquerons à nouveau le sujet de l'apprentissage. Je conduis actuellement
une réflexion avec l'ensemble des acteurs, des partenaires sociaux. Comment
faire pour que l'affichage des coûts de formation, au niveau des CFA, permette
non seulement une meilleure transparence, mais aussi l'attribution à tous les
CFA des moyens dont ils ont besoin ? Comment faire pour que la redistribution
de la taxe au niveau des financeurs soit moins inégalitaire ? Nous progressons
également sur ce sujet.
Le deuxième axe est la prise en compte des acquis de l'expérience dans les
parcours professionnels au travers, bien sûr, de la validation de ces acquis,
qui est réellement un outil au coeur de la réforme. Cela nécessitera une
modification de la loi de 1992 si nous voulons être beaucoup plus ambitieux, et
nous le sommes, sur ce sujet. Ces points feront ensuite l'objet de mesures
législatives et réglementaires au cours de l'année 2000. J'ai utilisé toute
l'année 1999 pour créer des groupes de travail avec les partenaires sociaux
ainsi qu'entre tous les ministères concernés. Il s'agit, vous le savez, d'un
sujet sensible, notamment avec l'éducation nationale. Mais, là encore, nous
avons beaucoup avancé.
Le troisième axe est le développement d'un droit individuel, c'est-à-dire la
meilleure façon de répondre à ce qui est aujourd'hui une exigence économique
autant que sociale, la meilleure façon aussi de lutter contre les immenses
inégalités d'accès à la formation, inégalité que certains d'entre vous ont
rappelées.
Vous me permettrez, de cette tribune, d'appeler encore une fois les
partenaires sociaux à mieux se saisir de cette proposition. Le Premier
ministre, Martine Aubry et moi-même avons souhaité que la formation
professionnelle continue à être un élément central du dialogue social. Nous
voulons respecter ce paritarisme et ce dialogue social alors que les
partenaires sociaux se saisissent d'une façon beaucoup plus dynamique
qu'aujourd'hui de la nécessité de construire ce nouveau droit individuel, qui
trouvera sa traduction législative lors du premier semestre de 2001.
Le quatrième et dernier axe concerne le rôle des acteurs. Certains d'entre
vous ont évoqué l'excellent rapport de M. Gérard Lindeperg. qui a permis,
justement, de clarifier la situation, de mettre l'accent sur le territoire
régional, qui, selon moi du moins, sera tout à fait approprié - je l'ai dit
tout à l'heure - pour renforcer le développement local et les actions de
formation professionnelle.
Pour mettre en mouvement l'ensemble de ces axes de réflexion, j'ai souhaité
proposer, tant aux régions qu'aux branches professionnelles, des
expérimentations sous la forme d'une contractualisation avec mon secrétariat
d'Etat. Cette méthode a mis quelque temps à être comprise. Aujourd'hui, c'est
chose faite, et je suis en train d'instruire une quinzaine de dossiers, tant
avec les régions qu'avec les branches, sur ces expérimentations, prouvant qu'il
est possible de traduire les axes que je propose de façon concrète dans
l'application de ces politiques.
J'ai déjà signé un protocole d'accord avec la région Centre courant octobre
sur la mise en réseau des acteurs, et je m'apprête à en conclure un deuxième
avec la région Poitou-Charentes sur l'égalité d'accès à la qualification par la
validation des acquis.
Enfin, je rappellerai notre ambition à M. le Premier ministre, Mme Aubry et à
moi-même, qui est de faire de ce grand dossier de la formation professionnelle
un projet important du Gouvernement pour les deux années à venir. Nous aurons
donc d'autres occasions, tant en 2000 qu'en 2001, d'en débattre ensemble dans
cet hémicycle.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles
du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Mouly applaudit
également.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C, et concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.
ÉTAT B
M. le président.
« Titre III : 818 170 062 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par
assis et levé, n'adopte pas les crédits.)
M. le président.
« Titre IV : - 40 753 480 841 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
ÉTAT C
M. le président.
« Titre V. - Autorisations de programme : 64 900 000 francs ;
« Crédits de paiement : 33 900 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre V.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre VI. - Autorisations de programme : 498 900 000 francs ;
« Crédits de paiement : 239 540 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre VI.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
J'appelle en discussion l'article 70, qui est rattaché pour son examen aux
crédits affectés à l'emploi.
EMPLOI ET SOLIDARITÉ
Article 70
M. le président.
« Art. 70. - L'article L. 961-13 du code du travail est complété par un alinéa
ainsi rédigé :
« Ce même fonds national est habilité à gérer les excédents financiers dont
disposent les organismes collecteurs paritaires agréés gérant les contributions
des employeurs affectées au financement du capital de temps de formation
prévues par l'article 78 de la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses
dispositions d'ordre social et repris par le 1° de l'article L. 951-1 du
présent code. Ces excédents sont appréciés, pour la première année au 31
décembre 1999, et peuvent exceptionnellement concourir aux actions de l'Etat en
matière de formation professionnelle. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° II-10 est présenté par M. Ostermann, au nom de la commission
des finances.
L'amendement n° II-2 est déposé par Mme Bocandé, au nom de la commission des
affaires sociales.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° II-14, M. Ostermann, au nom de la commission des finances,
propose, dans la seconde phrase du texte présenté par l'article 70 pour
compléter par un nouvel alinéa l'article L. 961-13 du code du travail, de
remplacer les mots : « peuvent exceptionnellement concourir aux actions de
l'Etat en matière de formation professionnelle » par les mots : « sont affectés
au financement du congé individuel de formation mentionné au troisième alinéa
de l'article L. 951-1 ».
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour défendre les amendements n°s
II-10 et II-14.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur spécial.
L'article 70 du projet de loi de finances pour 2000
est rattaché, pour son examen, au projet de budget de l'emploi.
Cet article tend à centraliser les excédents financiers du capital de temps de
formation, le CTF, estimés à 700 millions de francs, au niveau d'une section
particulière créée au sein du fonds national habilité à gérer les excédents
financiers du congé individuel de formation.
Le CTF est financé sur 50 % au plus de la participation des entreprises au
financement du CIF à hauteur de 0,20 % des salaires : la contribution versée
par les entreprises au titre du CTF est donc égale au plus à 0,10 % de la masse
salariale.
Il convient de préciser que la centralisation des disponibilités excédentaires
du CTF permettrait de procéder à l'affectation d'une contribution de 500
millions de francs, versée par le comité paritaire du CIF au budget de l'emploi
par voie de fonds de concours, et cela afin de compenser la diminution des
crédits destinés au financement de l'indemnité compensatrice forfaitaire à
l'apprentissage. Il s'agit donc, une fois encore, de procéder à un prélèvement
exceptionnel sur le fonds de la formation professionnelle.
Je rappelle que la commission des finances s'est fixée une doctrine en ce qui
concerne de tels prélèvements : s'ils peuvent être, dans certains cas,
légitimes, leur caractère systématique, en revanche, est le reflet d'une
mauvaise gestion.
Lors du dernier prélèvement de 500 millions de francs réalisé sur les fonds de
l'AGEFAL en 1998, la commission des finances avait décidé d'émettre un avis de
circonstance autorisant, pour la dernière fois, un tel prélèvement. Je vous
propose, dès lors, de mettre cette doctrine en pratique, et de supprimer
l'article 70.
Mme le secrétaire d'Etat ayant bien voulu prendre position sur ce dispositif,
nous proposons un second amendement qui tend à opérer la centralisation
desexcédents du CTF auprès du comité paritaire du congé individuel de
formation, mais à refuser le prélèvement de 500 millions de francs au profit du
budget de l'Etat en lui préférant une affectation au bénéfice du congé
individuel de formation.
Nous aimerions, à ce sujet, entendre Mme le ministre.
M. le président.
La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement
n° II-2.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis.
Votre commission des affaires sociales avait
souhaité déposer un amendement de suppression de cet article 70, comme la
commission des finances, afin de manifester son hostilité aux prélèvements
opérés par le Gouvernement sur les fonds de la formation professionnelle. Ce
faisant, elle n'a évidemment pas souhaité revenir à un état du droit qui serait
plus défavorable aux acteurs de la formation professionnelle.
Je rappelle d'ailleurs que, dans leur rapport écrit, vos rapporteurs se sont
déclarés prêts à envisager favorablement la centralisation des excédents du
CTF, à condition que ces fonds ne fassent pas l'objet d'un prélèvement par
l'Etat afin de compenser des économies budgétaires réalisées sur les crédits de
la formation professionnelle. Ils avaient évoqué le fait que ces excédents
puissent « rester dans le circuit » pour financer, par exemple, le CIF, qui est
actuellement soumis à une contrainte financière qui le met dans l'impossibilité
de satisfaire toutes les demandes.
Après avoir entendu les explications du Gouvernement, notre rapporteur spécial
a souhaité modifier l'amendement de suppression présenté par la commission des
finances pour préciser que les excédents du CTF seront affectés au financement
du CIF, comme le souhaitent d'ailleurs les partenaires sociaux. Votre
commission des affaires sociales ne peut que se rallier à cette solution
qu'elle avait elle-même envisagée et souhaite en conséquence retirer son propre
amendement de suppression et, bien entendu, entendre les précisions de Mme la
ministre.
M. le président.
L'amendement n° II-2 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s II-10 et II-14 ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Dans mon intervention, j'ai essayé de bien expliquer
la logique de l'article 70. Je serai donc brève dans ma réponse.
Je rappelle que les partenaires sociaux sont d'accord avec cet article 70 et
que la trésorerie, actuellement évaluée à 1 milliard de francs, repartirait
dans le budget de l'Etat à la fin du mois de décembre sans cet article 70.
De plus, compte tenu de l'ampleur de cette trésorerie, il nous a semblé normal
cette année, à titre exceptionnel, que la moitié soit reversée pour le CIF, et
que l'autre moitié soit consacrée au soutien des politiques de l'alternance.
Nous ne pouvons donc que rejeter ces amendements de suppression n°s II-10 et
II-14.
Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° II-14.
M. le président.
Monsieur le rapporteur spécial, maintenez-vous vos amendements n°s II-10 et
II-14 ?
M. Joseph Ostermann,
raporteur spécial.
Compte tenu des réponses qui viennent d'être apportées
par Mme le secrétaire d'Etat, nous retirons l'amendement n° II-10, mais nous
maintenons l'amendement n° II-14.
M. le président.
L'amendement n° II-10 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-14, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 70, ainsi modifié.
(L'article 70 est adopté.)
M. le président.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant l'emploi.
II. - SANTÉ ET SOLIDARITÉ
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et
la solidarité : II. - Santé et solidarité.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget de la santé et de la
solidarité constitue le budget, à la fois, des prestations sociales délivrées
par l'Etat, des interventions publiques en matière de politique de santé et du
soutien au système de soins.
Comment ce projet de budget remplit-il chacune de ces trois grandes missions ?
Avec quels moyens, quelle politique, quelle efficacité ? Telles sont les
questions que s'est posée la commission des finances.
Votre budget, madame la secrétaire d'Etat, c'est d'abord des masses
financières considérables.
Avec 90,8 milliards de francs, il constitue le sixième budget de l'Etat. Il se
compose du budget de la solidarité pour 81,2 milliards de francs et de celui de
la santé pour 9,6 milliards de francs.
Votre budget, c'est aussi le reflet de la politique du Gouvernement, qui
conduit à une très forte progression des crédits pour 2000 : 10,6 milliards de
francs, soit plus de 13 % de hausse par rapport à l'année dernière.
Et vous connaissez l'opinion de la commission des finances sur ce point : la
hausse d'un budget ne traduit pas forcément une bonne politique.
Ces crédits permettent de couvrir les dépenses nouvelles résultant de la
création de la couverture maladie universelle, des revalorisations de minima
sociaux et de l'octroi de moyens de fonctionnement supplémentaires.
En dehors de la couverture maladie universelle, qui coûte à votre budget 7
milliards de francs, les moyens supplémentaires vous permettent donc de
financer la lutte contre les exclusions, d'assurer la montée en puissance des
agences de sécurité sanitaire et de renforcer les moyens du ministère.
Je ne compte pas détailler un à un les titres et chapitres de ce budget ; Mme
la ministre s'en chargera, mes chers collègues, et je vous renvoie pour le
reste à la lecture de mon rapport écrit, dans lequel vous trouverez toutes les
précisions voulues.
Je présenterai brièvement les crédits en cinq points, avant de formuler mes
principales observations.
D'abord, je constate que la hausse des minima sociaux mobilise, à elle seule,
3,2 milliards de francs supplémentaires : 2,3 milliards de francs pour le
revenuminimum d'insertion, 780 millions de francs pour l'allocation pour adulte
handicapé et 120 millions de francs pour l'allocation de parent isolé.
Ensuite, je remarque qu'il s'agit principalement d'un budget d'intervention,
les dépenses du titre IV en constituant plus de 90 %. Celles-ci, en progression
de près de 14 %, expliquent l'essentiel de l'augmentation du budget.
Dans le même temps, les moyens des services augmentent de plus de 6,5 %, qui
vont pour moitié aux dotations des nouvelles agences de sécurité sanitaire,
dans la création desquelles le Sénat a eu un rôle essentiel ; je crois qu'il
était souhaitable de le rappeler.
Parallèlement, la tendance à la baisse des dépenses en capital se poursuit,
avec une diminution d'un cinquième pour l'an 2000, alors qu'elles avaient déjà
diminué d'un quart en 1999 par rapport à 1998. Comme vous le savez, mes chers
collègues, cette tendance est générale et se retrouve dans tous les budgets
d'équipement que le Gouvernement nous présente.
Enfin, je constate que la progression du budget est très inégalement
reproduite selon les agrégats puisque la part relative aux agrégats « offre de
soins » et « développement social » dans le budget du ministère diminue, et ce
même si l'on retire l'effet de la couverture maladie universelle.
Cette très rapide présentation étant faite, je souhaiterais formuler quatre
observations.
La première concerne la couverture maladie universelle. Je vous avais, dans
mon avis, dénoncé par avance les conséquences pour le budget de l'Etat de cette
réforme, voilà quelques mois.
En effet, le coût pour le budget de la santé en est d'ores et déjà de 7
milliards de francs et le coût net pour l'Etat de plus de 1 milliard de francs.
Cette charge est destinée à croître, personne n'en doute.
En effet, votre budget comprend la subvention de l'Etat au fonds de
financement. Or cette subvention constitue un solde dépendant d'hypothèses qui,
déjà, se révèlent trop optimistes : 6 millions de bénéficiaires dépensant 1 500
francs par an pour leur couverture complémentaire. Je renouvelle donc mes
craintes de voir la dépense pour l'Etat croître dans les années à venir,
reproduisant les phénomènes déjà constatés pour les autres minima sociaux.
Ma deuxième observation porte justement sur l'augmentation des dépenses de
minima sociaux.
En 2000, comme les années précédentes, les augmentations de crédits les plus
importantes en volume du budget de la santé et de la solidarité résulteront de
la croissance non maîtrisée des dépenses sociales obligatoires.
Le total des crédits consacrés à la couverture maladie universelle, la CMU, à
l'allocation de parent isolé, l'API, à l'allocation aux adultes handicapés,
l'AAH, et au RMI s'élèvera en 2000 à plus de 72 % de votre budget, madame la
secrétaire d'Etat, contre déjà 69 % en 1999.
Un an après le basculement à l'Etat, les dépenses de l'API, qui étaient
orientées à la baisse quand la caisse nationale des allocations familiales, la
CNAF, gérait cette allocation, augmentent déjà de 2,8 %.
En dix ans - et, si je retiens une période de dix ans, c'est pour marquer
qu'en quelque sorte tous les gouvernements sont « dans le même bain » - les
dépenses de l'AAH ont connu 70 % de hausse.
En dix ans aussi, les dépenses du RMI ont été multipliées par trois !
De combien sera la hausse de la subvention pour la CMU l'année prochaine ?
C'est une question que je vous pose, madame la secrétaire d'Etat.
Je souhaite fermement critiquer la multiplication de mécanismes à guichets
ouverts ne permettant aucun contrôle des dépenses et soumis à de fortes
variations.
Il en résulte aussi que, sur un budget de près de 91 milliards de francs, plus
de 65,6 milliards de francs sont destinés à des prestations sociales.
Il en résulte encore que, sur 10,6 milliards de francs de crédits
supplémentaires, vous n'en avez en réalité que 400 millions, moins de 5 %, pour
conduire vos politiques !
Ces évolutions montrent que le contexte de forte croissance économique et de
redressement de l'emploi, dont Mme Aubry nous a parlé tout à l'heure, ne
profite pas à tous et que cet échec pèse sur votre budget. Il fallait que cela
fût dit.
Ma troisième observation porte sur les personnels et plus particulièrement sur
les mises à disposition, que je détaille dans mon rapport, auquel je vous
invite à vous reporter.
D'abord, je ne manque pas de m'étonner que, au moment même où se mettent en
place, avec des moyens importants, des agences spécialisées qui assument
plusieurs fonctions essentielles du ministère, le budget de l'emploi et de la
solidarité bénéficie de 102 créations d'emploi et de 150 millions de francs de
moyens de fonctionnement supplémentaires.
Je ne développerai pas non plus mon commentaire sur la tentation à laquelle
vous cédez de faire figurer au titre IV des subventions de fonctionnement,
correspondant notamment à la rémunération d'emplois publics permanents, au lieu
de les réintégrer au titre III. Cela revient à gonfler de façon quelque peu
artificielle des interventions qui n'en sont pas, comme la subvention à un
institut de formation du ministère. Dans le même temps, cela revient à minorer
les moyens des services. La méthode est habile mais guère orthodoxe quand il
s'agit d'améliorer la lisibilité et l'efficacité de la dépense publique.
Enfin, je tiens à dénoncer très vigoureusement la subsistance de 209 postes
mis à disposition de l'administration centrale par les organismes de sécurité
sociale et les hôpitaux et de 166 postes dans le même cas pour les services
déconcentrés, soit, au total, 375 postes. Je répète que cela revient à financer
une partie du personnel de l'administration par les cotisations sociales et les
dotations hospitalières. Cela ne rend pas sincères les budgets des organismes,
et pas plus celui du ministère.
Enfin, cela conduit à des absurdités comme celle qui veut que la direction des
hôpitaux, chargée du contrôle de ces derniers, accueille en son sein 75 agents
des mêmes hôpitaux. Il est vrai que l'on n'est jamais mieux servi que par
soi-même, mais c'est une très mauvaise politique !
Vous avez prévu cette année 10 millions de francs pour résorber en partie cet
état de fait. Cela va peut-être dans le bon sens, mais reste encore loin du
compte. J'espère vraiment que le budget pour 2001 verra disparaître ces
pratiques qui sont particulièrement critiquables. De quel montant de crédits
auriez-vous besoin, madame la secrétaire d'Etat, pour régulariser toutes les
situations irrégulières que l'on constate dans votre projet de budget ?
Ma quatrième observation est cursive et porte sur quelques évolutions que je
ne crois pas opportunes.
Les changements de nomenclature sont encore très importants cette année. Loin
de clarifier les lignes budgétaires, ils reviennent à rendre plus délicate
l'appréciation des évolutions.
Par ailleurs, il convient de trouver un équilibre entre des lignes trop
importantes et d'autres non significatives : la fusion des crédits de la lutte
contre l'alcoolisme et le tabac ne permettra plus d'identifier les priorités du
Gouvernement en ce domaine. De même, il est toujours impossible d'avoir une
vision globale des crédits affectés à la lutte contre le cancer alors même que
de lourdes interrogations se multiplient sur cette question. J'avais déjà
formulé un diagnostic à ce sujet dans mon rapport spécial sur le cancer, publié
en 1998.
Les bourses sont vraiment sacrifiées dans votre projet de budget. Les bourses
médicales et paramédicales restent à niveau constant, sans même prendre en
considération la hausse du coût de la vie, ou diminuent. De plus, les bourses
aux formations sociales diminuent alors même que l'administration déploie des
trésors d'ingéniosité pour essayer d'en faire bénéficier le maximum
d'étudiants.
Les crédits en faveur des rapatriés diminuent, quant à eux, de 25 %.
Les crédits destinés aux frais de justice sont, comme d'habitude, largement
sous-estimés au regard des dépenses des années précédentes.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Ils augmentent
pourtant de 13 % !
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Oui, mais le rapport se situe de un à dix entre les
inscriptions et les besoins.
Enfin, les dépenses relatives à l'offre de soins restent faibles et elles
diminuent même en valeur relative.
L'agrégat relatif à l'offre de soins s'établit ainsi à un peu plus de 1,5
millard de francs pour 2000, soit 1,7 % du budget de la santé et de la
solidarité contre 2 % en 1999. Or ces crédits sont stratégiques, parce qu'ils
correspondent à la contribution budgétaire de l'Etat aux instruments de
régulation des dépenses d'assurance maladie. Je vous livrerai dans un instant
les observations de la Cour des comptes à cet égard.
De même, les autorisations de programme demeurent les victimes des budgets
successifs puisqu'elles ne représentent plus que 539 millions de francs contre
700 millions de francs en 1999.
Ma dernière observation, la plus importante, concerne l'absence de sincérité
de ce projet de budget. Trois éléments viennent sous-estimer les dépenses
réelles d'environ 6 milliards de francs. Je l'ai déjà dit à M. Sautter, mais il
ne m'a pas répondu sur ce point, qui concerne pourtant directement le ministère
des finances.
La première insincérité porte sur 4,7 milliards de francs et concerne la
pérennisation de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire. J'en ai
fait état dans mon rapport, je n'y reviendrai donc pas.
La seconde source d'insincérité porte sur 1 milliard de francs et rejoint
cette question.
Lors de la conférence de la famille, le Premier ministre a annoncé que l'Etat
verserait à la CNAF une subvention de 1 milliard de francs couvrant les
dépenses qu'elle engage pour le Fonds d'action sociale des travailleurs
immigrés et de leurs familles. Vous nous avez répété cet engagement, qui figure
également dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale
de septembre 1999. Cependant, ce transfert de 1 milliard de francs ne figure
pas dans le projet de loi de finances pour 2000. Vous nous avez annoncé devant
la commission des finances qu'il figurerait dans le collectif 2000. Cela n'est
pas acceptable au regard de l'ordonnance portant loi organique.
La troisième source d'insincérité tient au fait que l'inscription à
concurrence de 7 milliards de francs seulement de la subvention de l'Etat au
fonds de financement de la CMU est en contradiction avec les prévisions du
Gouvernement d'un besoin d'au moins 7,2 milliards de francs et d'une subvention
aux régimes spéciaux de 260 millions de francs qui ne figure nulle part dans
votre projet de budget.
A cela, enfin, s'ajoute le financement de la prime de Noël aux titulaires du
RMI.
Si elle est rétroactive au 1er janvier 1999, elle devrait figurer en loi de
finances rectificatives pour 1999. Or, elle n'y figure pas.
Si elle est applicable au 1er janvier 2000, elle devrait figurer dans le
projet de loi de finances initial pour 2000. Or, elle n'y figure pas.
Dans ces conditions, la sincérité est sujette à caution.
Ces éléments montrent bien que la sincérité du projet de loi de finances pour
2000 est gravement altérée.
Le Gouvernement reconnaît que des dépenses interviendront en 2000, mais il ne
les inscrit pas dans le projet de loi de finances contrairement aux
dispositions du quatrième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance portant loi
organique du 2 janvier 1959, qui dispose que « la loi de finances de l'année
prévoit et autorise, pour chaque année civile, l'ensemble des ressources et des
charges de l'Etat. »
Ce sont donc environ 6 milliards de francs qui, d'ores et déjà, devraient
s'inscrire dans le projet de loi de finances rectificative pour 2000, auxquels
s'ajouteront les sous-estimations devenues habituelles de certains crédits.
Nous ne pouvons donc accepter une opération qui travestit l'autorisation
budgétaire et semble montrer le peu de cas que vous faites du Parlement.
Mais je ne voudrais pas achever mon propos en disant que le Sénat, bien
entendu, ne peut accepter ces évolutions et ces pratiques budgétaires
critiquables, sans me référer à la Cour des comptes. J'ai repris à cet effet
ses trois derniers rapports, ceux de 1997, 1998 et 1999.
Dans le rapport de 1997, la conclusion numéro 2 de la Cour des comptes est la
suivante : « La clarification des relations financières entre l'Etat et la
sécurité sociale reste d'une urgente nécessité. » Est-elle faite ? Je vous pose
la question, madame le secrétaire d'Etat.
Dans la conclusion numéro 4, je lis : « La réorganisation du système
d'information ne pourra être menée à son terme qu'au prix d'un effort soutenu
». Cet effort est-il vraiment soutenu ? C'est une question que je pose
aussi.
Du rapport de 1998, je tirerai trois recommandations.
Premièrement, il faut clarifier le partage des responsabilités. A ce propos,
la Cour constate que « de nombreux retards et carences dans la mise en oeuvre
des propositions sont le fait de l'Etat, alors même qu'elles ne soulèvent pas
d'opposition de sa part ».
Deuxièmement, la Cour préconise d'accélérer la mise en place des dispositifs
de maîtrise des dépenses.
Enfin, troisièmement, il faut simplifier et mieux gérer un système que vous
vous ingéniez à rendre plus complexe.
Quant au rapport de septembre 1999, je ne citerai que la première conclusion
de la conclusion générale, la plus importante, qui a trait aux comptes : « La
réforme visant à obtenir, plus rapidement, des comptes plus fiables et en
droits constatés est bien engagée mais doit être achevée dans les plus brefs
délais. C'est la première priorité, sur laquelle la Cour attire à nouveau
l'attention avec la plus grande vigueur. Dans la situation actuelle, il n'est
pas possible d'asseoir un diagnostic certain sur l'état des comptes ». C'est la
Cour des comptes qui le dit. « Les récentes améliorations ont créé, comme
toujours, une hétérogénéité par rapport au passé, rendant la lecture des
phénomènes paradoxalement plus difficile. » C'est ce que je disais. « Il
importe de dépasser cette situation en achevant la réforme en cours. Cela
suppose qu'elle soit considérée par les différentes parties prenantes, les
organismes de base, les caisses nationales, le ministère de l'emploi et de la
solidarité, comme une priorité de très haut rang, à laquelle il faut, durant
deux ou trois ans, consacrer des moyens crédibles, donc nettement accrus. »
Je crois que tout est dit en matière financière et, partant de là, madame la
secrétaire d'Etat, la commission des finances invite le Sénat à rejeter les
crédits de la santé et de la solidarité pour 2000.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Chérioux, rapporteur pour avis.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la
solidarité.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, à structure constante, les crédits relatifs à la solidarité, d'un
montant de 81,3 milliards de francs, augmentent de 4,5 %, ce qui traduit la
volonté du Gouvernement de donner une priorité aux actions de lutte contre les
exclusions et de développement social.
Pour autant, comme l'année dernière, la commission des affaires sociales a
estimé que les évolutions nominales des crédits ne pouvaient pas constituer le
seul critère d'appréciation de ce projet de budget.
En matière de versement des minima sociaux, de prise en charge des personnes
handicapées ou inadaptées, d'hébergement d'urgence des plus démunis,
d'insertion des handicapés en milieu ordinaire, les besoins sont immenses.
Aucun budget ne saurait jamais suffire à les combler.
C'est pourquoi il est essentiel de juger si, à partir des moyens qui sont
alloués à l'effort de solidarité, le Gouvernement ajuste bien sa politique
sociale pour le rendre plus efficace.
La commission des affaires sociales a constaté avec satisfaction la continuité
de l'effort du Gouvernement pour appliquer la loi d'orientation du 29 juillet
1998 relative à la lutte contre les exclusions. Force est de constater
néanmoins que les minima sociaux, notamment le RMI, le revenu minimum
d'insertion, absorbent la majeure partie des marges de croissance des crédits
relatifs à la lutte contre les exclusions.
La mise à jour des crédits du RMI, qui aspire à elle seule 2,3 milliards de
francs, contraste avec l'abondement de 266 millions de francs de l'agrégat
relatif aux exclusions pour appliquer le programme national. C'est que la «
machinerie » du RMI fait preuve d'une étonnante inélasticité au retour de la
croissance.
Malgré la baisse du chômage, les effectifs des titulaires du RMI augmentent
moins vite mais ne se réduisent pas et, qui plus est, les revalorisations du
montant de l'allocation décidées par le Premier ministre induisent une forte
progression des crédits alloués.
Le souci de revaloriser les minima sociaux est compréhensible. Une telle
revalorisation est même souvent nécessaire. Mais il n'en serait pas moins
préférable de considérer le retour de la croissance comme un instrument pour
favoriser la réinsertion des titulaires du RMI plutôt que comme une manne à
distribuer.
Le retour à la vie active du « noyau dur » des titulaires du RMI de longue
durée ne se dessine toujours pas, malgré la mise en place de la loi contre les
exclusions.
Il faut prendre garde à ce que les revalorisations du montant des minima
sociaux ne deviennent un palliatif commode, mais coûteux, de la faiblesse du
dispositif d'insertion ; pis, elles peuvent même parfois devenir un frein à la
volonté de réinsertion des intéressés.
Concernant la formation des professions sociales, notre commission a souhaité
une meilleure évaluation du coût de la formation des emplois-jeunes de
l'éducation nationale. Un diplôme d'éducateur de jeunes enfants sera assurément
un atout précieux pour permettre aux jeunes concernés de s'insérer sur le
marché du travail à l'expiration de l'aide publique, dans cinq ans. Mais il ne
faudrait pas mettre en place une « formation au rabais » qui ruinerait l'effet
recherché.
S'agissant des handicapés, notre commission a pris acte avec satisfaction de
l'effort exceptionnel engagé sur trois ans en faveur de l'insertion des
personnes handicapées en milieu ordinaire de travail, grâce à une mobilisation
des fonds de l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion
professionnelle des handicapés, l'AGEFIPH, financée par les entreprises. Elle a
souligné, en revanche, le caractère préoccupant de l'augmentation continue du
nombre des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH.
Parmi les trois explications de cette hausse, l'une est particulièrement
inquiétante.
Bien sûr, les personnes handicapées ont eu beaucoup de difficultés, ces
dernières années, à entrer sur un marché du travail lui-même déjà plus que
saturé ; de plus, en raison de la pyramide des âges, des personnes qui sont
entrées dans le dispositif en 1975 continuent d'en bénéficier aujourd'hui.
En revanche, apparaît trop souvent une confusion entre la notion de
compensation d'un handicap et le souci, plus ou moins formulé, de pallier
l'absence de revenu professionnel. En témoigne le fait que l'instauration du
RMI n'a pas eu pour effet de faire basculer certains bénéficiaires de l'AAH
dans le champ du RMI, comme on le pensait en 1998. Au contraire, la phase
d'instruction du RMI est souvent devenue un facteur déclenchant de
l'orientation vers la COTOREP, la commission technique, d'orientation et de
reclassement professionnel susceptible d'ouvrir la voie à la perception d'une
allocation plus durable et plus protectrice. L'AAH ne devait pas être
considérée comme un « RMI consolidé ».
Le phénomène est accentué par le flou dans lequel les COTOREP prennent leurs
décisions : on est frappé de constater que près du quart des demandes
s'appuient sur des troubles du psychisme et que 22 % de ces demandes soient
rejetées, alors que le taux de rejet est de 55 % pour les personnes présentant
une déficience de l'appareil locomoteur.
Les COTOREP doivent faire l'objet d'une réforme profonde, permettant d'assurer
une véritable logique de réseau et une plus grande cohérence des décisions,
dont le caractère médical doit être réaffirmé.
Les disparités de comportement des COTOREP suscitent des effets pervers : plus
le taux de chômage est élevé ou plus le pourcentage d'allocataires du RMI est
important, plus les COTOREP reconnaissent des taux d'incapacité compris entre
50 et 80 %.
Les COTOREP doivent être recentrées sur leur mission médico-sociale et
constater les handicaps irréversibles ou les maladies invalidantes de longue
durée. Le réseau doit s'appuyer sur des doctrines et des pratiques homogènes.
Il faut également que le passage en COTOREP soit l'occasion d'obtenir l'appui
d'une équipe de conseil et de soutien pour l'élaboration d'un véritable projet
de vie.
Concernant le secteur social et médico-social, les dépenses ont continué à
augmenter modérément au cours de l'année 1998, confirmant ainsi la tendance
constatée depuis 1996.
Il reste que la réforme du taux directeur opposable doit être appliquée avec
discernement, car il ne doit pas devenir un instrument dont l'utilisation
aveugle étranglerait les associations.
En effet, des menaces se profilent. Des facteurs de fond pourraient conduire à
entrer dans un nouveau cycle d'expansion de dépenses après 2000. De plus, la
commission a estimé que la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail
faisait entrer le secteur social et médico-social dans un période
d'incertitude.
Réussir le passage aux 35 heures suppose en effet de tenir trois paris.
Le premier concerne la capacité d'anticipation des échéances par les
établissements et les associations. En particulier dans les établissements où
l'on travaille plus de 37 heures par semaine, l'accord général de modération
salariale ne suffira pas pour financer suffisamment d'embauches compensatrices
supplémentaires ; ces associations devront impérativement conclure un accord
sur la réduction du temps de travail prévoyant des mesures particulières de
blocage de la progression des carrières pour franchir le cap.
Deuxième pari : les personnels devront comprendre l'effort de modération
salariale qui va leur être demandé, ce qui n'est pas évident si l'on en juge
par ce qui se passe dans certains secteurs de l'économie marchande. En cas de
dérapage, les financeurs, c'est-à-dire l'Etat, la sécurité sociale ou les
départements, seront en première ligne.
Troisième pari : il faut, dans certains cas, réorganiser les équipes et les
périodes de permanence pour intégrer les personnels nouvellement embauchés,
sans augmenter excessivement les heures supplémentaires et, surtout, sans
perturber la vie des personnes prises en charge ou réduire la qualité des
services qui leur sont dus.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales a regretté que l'encadrement
administratif des agréments au titre de l'article 16 de la loi de 1975 ait été
appliqué avec une lenteur et une rigidité qui n'ont pas facilité l'action des
établissements dans leur démarche complexe de recherche d'un accord. Il a fallu
quatre mois pour agréer l'accord du SNAPEI, le syndicat national des
associations de parents et amis de personnes handicapées mentales, et près de
neuf mois et de multiples tractations en coulisses pour que l'accord FEHAP -
fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non
lucratif - puisse enfin entrer en vigueur.
La déconcentration de l'instruction des accords d'établissement était
nécessaire dès lors que la décision avait été prise suivant laquelle chacun de
ces accords devait passer devant la commission nationale d'agrément. Mais, trop
souvent, au début de cet automne, les gestionnaires d'associations ont eu le
sentiment que les services déconcentrées de l'Etat ne comprenaient pas l'enjeu
qui s'attachait à l'agrément des accords avant la date fatidique du 1er janvier
2000.
Il est vrai, madame la secrétaire d'Etat, que Mme Aubry a répondu à l'une des
inquiétudes des associations qui se demandaient quel régime allait leur être
appliqué entre l'entrée en vigueur des 35 heures et la date effective de
l'agrément. Elle a fait état de cette réponse devant notre commission.
Quoi qu'il en soit, même si la procédure d'agrément apporte d'utiles
garanties, on pourra regretter qu'elle n'ait pas été mise en oeuvre avec plus
de souplesse et de « réactivité » aux besoins des établissements.
Tout se passe comme si les services de l'Etat n'étaient pas capables de faire
preuve de cette souplesse et de cette capacité d'adaptation que l'on demande
aux entreprises privées pour mettre en oeuvre les 35 heures.
Enfin, des arrêts récents des juges administratifs et judiciaires peuvent
générer des coûts inattendus pour les financeurs. Après la question,
semble-t-il réglée, de la fixation des horaires d'équivalence pour les heures
de permanence nocturne en chambre de veille, se posent celles du statut des
foyers à double tarification pour les adultes lourdement handicapés et des
règles de prise en charge applicables aux jeunes handicapés maintenus en
institut médico-éducatif au-delà de l'âge de vingt ans. Cela fait l'objet d'un
amendement désormais fameux.
La réouverture de ces dossiers sensibles ne doit pas donner lieu à des
transferts de charge au détriment des collectivités locales.
Parce que ce budget ne semble pas suffisamment préparer l'avenir et qu'il
laisse subsister des risques d'aggravation des dépenses, parce que le passage
aux 35 heures fait peser des menaces sur le secteur médico-social, la
commission des affaires sociales a donné un avis défavorable quant à l'adoption
des crédits relatifs à la solidarité dans le projet de budget pour 2000.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Louis Boyer, rapporteur pour avis.
M. Louis Boyer,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la
santé.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, au sein du budget de l'emploi et de la solidarité, le budget de la
santé s'élève, pour 2000, à 4 milliards de francs, en progression de 4,9 % par
rapport à 1999.
La principale priorité affichée par le Gouvernement concerne la sécurité et la
veille sanitaires. Cela se traduit par le renforcement des moyens mis à la
disposition des agences de sécurité sanitaire et de l'Institut de veille
institués par la loi, issue d'une initiative sénatoriale, du 1er juillet 1998.
Je rappellerai ici que ces institutions ont été créées avec plus de trois mois
de retard par rapport aux délais qui avaient été fixés par le législateur.
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé recevra en 2000
une subvention de l'Etat de 174 millions de francs, soit 55 millions de francs
de plus que celle qui avait été accordée en 1999. Il convient d'y ajouter une
subvention de 810 000 francs destinée à la recherche : cette subvention est
stable en francs courants par rapport à celle qui avait été accordée en
1999.
Les subventions de l'Etat sont désormais très minoritaires dans le financement
de l'agence : ainsi, en 1999, sur un budget de fonctionnement de 405 millions
de francs, 274 millions de francs, soit les deux tiers, provenaient de
ressources propres de l'agence constituées par les diverses taxes et redevances
versées par les industriels.
La commission des affaires sociales estime que l'origine des ressources de
l'agence n'est désormais plus équilibrée ni adaptée à ses nouvelles
missions.
Elle n'est plus équilibrée, car le rapport entre les financements par
redevance et les subventions publiques, qui est aujourd'hui de deux tiers un
tiers, est désormais trop élevé.
Ce jugement est d'autant plus fondé que les missions de l'agence ont évolué
avec la loi du 1er juillet 1998. Il n'est pas juste que seule l'industrie
pharmaceutique contribue au financement de l'agence, alors que cette dernière
est désormais en charge de tous les produits de santé et des produits
cosmétiques.
Le Gouvernement aurait dû nous proposer, par exemple dans le DMOS annexé au
projet de loi instituant une couverture maladie universelle, une réforme du
financement de l'agence de sécurité sanitaire des produits de santé qui prenne
en considération l'évolution de ses missions.
Pareille réforme eût été également nécessaire pour l'agence française de
sécurité sanitaire des aliments. En effet, le financement de celle-ci ne repose
aujourd'hui, en pratique, que sur des subventions publiques pour sa mission
d'évaluation des risques sanitaires des aliments.
Aucune taxe existante n'a été affectée à l'agence, fût-ce en partie, à
l'exception des redevances liées à l'activité de l'agence du médicament
vétérinaire.
L'agence, pour ses activités non vétérinaires, doit donc négocier
l'intégralité de ses ressources avec les administrations centrales, dont on a
vu, au cours de la discussion de la proposition de loi relative à la veille et
la sécurité sanitaires, que leur première préoccupation n'était pas toujours -
et c'est un euphémisme - de favoriser le développement de l'agence.
Il ne serait pas souhaitable non plus que l'agence soit contrainte de «
mendier » des ressources auprès des industriels en cherchant à développer une
activité de « services rendus ». C'est pourquoi la commission estime que le
Gouvernement aurait dû, dès cette année, réaffecter des taxes existantes au
fonctionnement de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments.
En outre, en 1999, la part de la subvention du ministère de la santé dans le
budget de l'agence a représenté seulement 4,8 % de son budget, part qui nous
paraît trop faible pour que le ministère de la santé puisse s'imposer, si
nécessaire, face aux autres ministères de tutelle.
Il faut, en effet, tenir compte des 182 millions de francs inscrits au budget
de l'agriculture pour financer les missions d'appui scientifique et technique
et les programmes de recherche.
Troisième institution créée par la loi du 1er juillet 1998, l'Institut de
veille sanitaire avait été doté, en loi de finances pour 1999, de 62,6 millions
de francs. Il a en outre reçu, au titre de conventions conclues avec différents
ministères et les institutions européennes, 24,5 millions de francs, auxquels
il faut ajouter 17 millions de francs au titre d'exercices antérieurs, soit un
budget de fonctionnement total de 105 millions de francs.
Nous voudrions, madame la secrétaire d'Etat, souligner l'insuffisante
application de la loi du 1er juillet 1998. En effet, les textes réglementaires
concernant les dispositifs médicaux, les réactifs de laboratoire, les tissus et
cellules, les produits thérapeutiques annexes, ainsi que les textes
réglementaires sur l'Etablissement français du sang n'ont toujours pas été
publiés plus d'un an après la promulgation de la loi. Ce délai peut être
considéré comme trop long, s'agissant de mesures de sécurité sanitaire.
Nous souhaiterions aussi savoir, madame la secrétaire d'Etat, quand
interviendra le décret transférant à l'agence les laboratoires actuellement
rattachés à d'autres ministères, notamment au ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie.
J'en viens à la prévention.
Ce qu'il est désormais convenu d'appeler « la lutte contre les pratiques
addictives », la lutte contre le sida et la prévention constituent
traditionnellement un poste important du budget de la santé.
Il faut souligner que, cette année, le projet de loi de financement de la
sécurité sociale a prévu une débudgétisation de 100 millions de francs en
faisant supporter à l'assurance maladie, plutôt qu'à l'Etat, l'intégralité des
dépenses des centres de dépistage anonyme et gratuit, des centres de
planification ou d'éducation familiale, ainsi que les dépenses de
désintoxication des toxicomanes réalisées avec hébergement dans les
établissements de santé.
Je tiens à souligner aussi les modifications de nomenclature budgétaires
intervenues cette année, et qui ont eu pour objet de rassembler au sein d'un
même chapitre - le chapitre 47-15 - les crédits de la lutte contre la
toxicomanie et ceux de la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.
Il devient désormais très difficile d'y voir clair, ce chapitre ne comportant
que deux articles respectivement consacrés aux dépenses déconcentrées et aux
dépenses non déconcentrées.
L'absence de clarté de cette politique ne se traduit pas uniquement sur le
plan financier, l'idée d'une politique de lutte contre « toutes les dépendances
» étant de nature à entraîner la confusion entre produits licites et
illicites.
S'agissant, enfin, de l'offre de soins, je souhaite évoquer les crédits
destinés à favoriser l'adaptation de l'offre hospitalière, affectés à l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, et au Fonds
d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le FIMHO.
Les ressources du budget de l'ANAES proviennent, pour l'instant, d'une
subvention de l'Etat et d'une subvention de l'assurance maladie. En 1999, elles
ont représenté respectivement 28,9 millions de francs et 57,9 millions de
francs. Pour 2000, la subvention de l'Etat progresse dans le projet de loi de
finances de 16 millions de francs.
La commission des affaires sociales regrette, à l'occasion de l'examen de ce
projet de budget, le retard pris pour le démarrage des procédures
d'accréditation des établissements de santé.
Certes, l'agence, dont le travail d'évaluation avait été apprécié, s'est vu
confier, au fil des ans, des missions de plus en plus nombreuses qu'il lui
semble difficile d'assumer. Il en est ainsi, notamment, des compétences que lui
avaient confiées les ordonnances du 24 avril 1996 en matière d'évaluation des
dispositifs médicaux. Ces compétences seront d'ailleurs transférées à l'Agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé à compter de la
promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale.
Mais l'ordonnance a aussi prévu que tous les établissements de santé devront
être soumis à la procédure d'accréditation avant la fin de l'année 2000. Ce
calendrier ne pourra très vraisemblablement pas être respecté, le conseil
d'accréditation de l'agence n'ayant été nommé qu'à l'automne 1999 et le nombre
d'établissements soumis à la procédure étant très insuffisant.
Le budget de la santé comprend aussi, au chapitre 66-22, la subvention
annuelle au Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, créé en
1998 pour accorder des aides à l'investissement aux établissements de santé qui
présentent des projets de restructuration. Il avait été doté, en 1999, de 250
millions de francs d'autorisations de programme et de 150 millions de francs de
crédits de paiement.
Pour 2000, le présent projet de loi de finances ouvre une enveloppe de 200
millions de francs en autorisations de programme et de 265 millions de francs
en crédits de paiement. Cette augmentation des crédits de paiement résulte du
retard pris au cours des années précédentes dans l'instruction des dossiers et
la délivrance des subventions.
Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité
sociale, la Cour des comptes a établi un bilan très critique du fonctionnement
de ce fonds, pourtant institué en loi de finances.
Elle critique, notamment, la procédure de sélection des dossiers. Ainsi, elle
note qu'en 1998 l'instruction des dossiers a pris un grand retard, qui s'est
traduit par un faible taux de consommation des crédits. Elle souligne qu'une
forte proportion des dossiers sélectionnés par les agences régionales de
l'hospitalisation, les ARH, n'étaient pas éligibles au FIMHO. C'était le cas,
en 1998, de 40 % des dossiers présentés.
Les critiques adressées au FIMHO sont d'autant plus graves que ce fonds
rassemble désormais l'intégralité des subventions d'Etat aux équipements
hospitaliers. En outre, l'extinction des subventions d'Etat intervient au
moment où les établissements de santé devront financer de nombreux
investissements de sécurité, notamment à l'occasion de leur préparation à
l'accréditation.
Je souhaiterais également savoir, madame la secrétaire d'Etat, si l'Etat
aidera les établissements de santé à financer les surcoûts résultant de la
prochaine application de la loi sur les 35 heures.
Pour toutes ces raisons - absence de réforme du financement des agences de
sécurité sanitaire, confusion des genres dans la politique de lutte contre les
dépendances et retards dans la politique d'accréditation et de restructuration
de l'offre hospitalière - la commission des affaires sociales a émis un avis
défavorable à l'adoption des crédits de la santé pour 2000.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures quinze,
sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant l'emploi et la solidarité : II. - Santé et solidarité.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 35 minutes ;
Groupe socialiste, 22 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Madame le secrétaire d'Etat, lorsque, le 24 novembre dernier, vous avez, avec
Mme Aubry, présenté votre projet de budget devant la commission des affaires
sociales du Sénat, vous avez évoqué, en matière de santé, trois priorités que
vous souhaitiez affirmer cette année, parmi lesquelles le renforcement de la
sécurité sanitaire et des politiques de santé publique.
Mon intervention portera exclusivement sur ces deux volets de votre
politique.
Je m'intéresserai tout d'abord au renforcement des politiques de santé
publique, puis à la sécurité sanitaire, domaine auquel je porte, vous le
comprendrez, une vigilance toute particulière.
S'agissant du renforcement des politiques de santé publique, je constate
qu'au-delà de l'effet d'annonce cette priorité a un contenu, à vrai dire, bien
léger.
Certes, des crédits sont censés répondre aux fléaux que constituent l'hépatite
C, le sida, le tabagisme, l'alcoolisme et la toxicomanie.
Mais, en matière de santé publique - je le dis chaque année - on manque d'un
objectif clair, s'appuyant sur des données épidémiologiques indiscutables, à
savoir faire reculer la mortalité prématurée évitable, comme on manque d'une
stratégie s'inscrivant nécessairement dans la durée.
Tel paraissait être d'ailleurs l'objectif de l'article 20 de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999, qui visait à mettre en place des
programmes de dépistage et de lutte contre les maladies aux conséquences
mortelles évitables.
Un an plus tard, nous attendons toujours les textes d'application et la liste
des maladies qui seraient concernées. En cette matière, comme dans d'autres,
les déclarations d'intention ne sauraient suffire.
Je citerai un exemple particulièrement éloquent : le cancer colorectal tue
chaque année entre 15 000 et 16 000 Français, et seulement 3 % des explorations
endoscopiques du côlon et du rectum permettent d'en faire le diagnostic. Depuis
1993, neuf enquêtes épidémiologiques, en France et à l'étranger, ont démontré
que l'utilisation d'un test, l'Hemoccult II, tous les deux ans au-delà de
cinquante ans, permet de réduire de 30 % à 44 % une telle mortalité.
La conférence de consensus organisée par l'ANAES sur cette question a
d'ailleurs mis en évidence que « le test Hemoccult II a une sensibilité et une
spécificité acceptables dans le cadre d'un programme de dépistage réalisé dans
de bonnes conditions : il permet de dépister environ 50 % des cancers et 20 %
des adénomes de plus de 1 centimère. »
Ce dépistage permettrait, en outre, de réduire significativement le nombre de
coloscopies pratiquées dans notre pays, dont la pratique n'est pas anodine et
dont le rendement est faible. De nombreux médecins ont alerté les pouvoirs
publics et l'opinion sur cette question ; selon eux, 3 000 décès au moins
pourraient être évités chaque année si ce dépistage était institué.
Or, malgré les engagements pris l'an dernier visant à étendre le dépistage du
cancer du côlon, aucun texte d'application, décret ou arrêté, n'est publié à ce
jour. Les deux premiers textes sont annoncés pour publication au cours du
dernier trimestre 1999. Nous sommes déjà le 6 décembre ; pourriez-vous, madame
le secrétaire d'Etat, nous apporter davantage de précisions quant à leur date
de parution ?
L'exemple du dépistage du cancer colorectal n'est pas - hélas ! - le seul qui
montre le décalage entre les paroles et les actes, entre les déclarations
d'intention et la réalité des faits.
En matière de santé publique, c'est inacceptable. Et l'on est amené à
s'interroger sur l'utilité de créer des structures au nom de la démocratie
sanitaire, telles que le Haut comité de santé publique ou les conférences
régionales et nationales de santé, si leurs propositions restent lettre
morte.
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité a annoncé qu'un débat
d'orientation sur la santé publique se tiendrait au printemps.
Un débat supplémentaire chaque année risque d'être un débat pour rien. Les
choix de santé publique ne peuvent en effet se traduire que par des engagements
pluriannuels, répondant à des objectifs précis et pour lequels des données
épidémiologiques permettent d'évaluer les actions et d'en mesurer les
effets.
Parmi les causes de iatrogénies qu'il définit comme « toute pathologie
d'origine médicale », le Haut comité de santé publique souligne d'ailleurs les
conséquences d'une absence ou d'un report de décision de soins sur la santé de
nos concitoyens.
Une autre priorité de votre action pour 2000, madame le secrétaire d'Etat,
porte sur le renforcement de la sécurité sanitaire.
Mme le ministre a annoncé, je la cite, que la montée en charge des agences de
sécurité sanitaire était assurée. J'aimerais revenir plus en détails sur leur
financement et sur leur fonctionnement.
En ce qui concerne le financement, vous avez mentionné en commission un
chiffre global de 495 millions de francs, en augmentation de 157 millions de
francs, ces crédits couvrant l'ensemble des agences, c'est-à-dire pas
uniquement celles qui ont été créées pas la loi du 1er juillet 1998. Les
chiffres concernent donc l'Agence française de sécurité sanitaire des produits
de santé, l'AFSSAPS ; l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments,
l'AFSSA ; l'Institut de veille sanitaire, l'IVS ; l'Agence française du sang,
l'AFS, qui deviendra, au 1er janvier 2000, l'Etablissement français du sang ;
l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES ; l'Office
de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, et l'établissement
français des greffes, l'EFG.
Je ne conteste pas l'effort entrepris par l'Etat pour doter ces structures de
moyens supplémentaires. Je note toutefois que l'effort portant sur les seules
agences créées par la loi du 1er juillet 1998 se monte à 108 millions de
francs.
Je m'interroge sur l'adéquation entre les missions nouvelles que l'on souhaite
confier notamment à l'AFSSAPS et à l'AFSSA et le montant des crédits qui leur
sont affectés.
En ce qui concerne l'AFSSAPS, je note ainsi que, si l'Etat prévoit en 2000 de
lui verser une subvention de 174 millions de francs, en augmentation de 55
millions de francs par rapport à 1999, l'agence, quant à elle, a prévu un
budget de fonctionnement de 405 millions de francs, dont les deux tiers
proviendront de taxes et de redevances versés par les industriels.
Faisant miennes les observations formulées ce matin par l'excellent rapporteur
de la commission des affaires sociales, je m'interroge sur le ratio entre le
financement public et privé, dont je considère comme lui qu'il est
déséquilibré. Seule l'industrie pharmaceutique contribue massivement au
financement de l'agence, alors même que les nouvelles mission de celle-ci
couvrent bien plus largement tous les produits de santé et les produits
cosmétiques. Il paraît nécessaire et urgent de mettre en place une autre
répartition du financement.
Dois-je vous rappeler, madame le secrétaire d'Etat, que lorsque l'Agence du
médicament avait été créée, l'équilibre qui avait été considéré comme pertinent
était de 60-40 ? Nous constatons, au fil des années, que cet équilibre est
compromis et nous nous demandons pourquoi.
Si l'AFSSAPS dépend trop, pour son financement, d'un seul secteur industriel
avec, de la part de certains, une suspicion, à mes yeux, non fondée quant aux
conséquences sur l'indépendance même des décisions de l'agence, l'AFSSA, quant
à elle, à l'exception des redevances liées à l'activité de l'Agence du
médicament vétérinaire, ne doit ses moyens financiers qu'à la puissance
publique. Encore doit-elle les négocier, comme cela a été rappelé par M. Louis
Boyer, auprès de trois ministère différents : santé, agriculture, économie et
finances. Il y a, là encore, tout lieu de craindre que ce financement, au gré
des arbitrages des uns et des autres, ne permette par une action pérenne de
cette agence dont le devenir, comme vous le savez, me donne, ainsi qu'à
d'autres, quelques soucis.
Je remarque également que, pour l'année 2000, le financement de l'AFSSA par le
ministère de l'agriculture fait l'objet de subventions, bien distinctes et que
les activités de l'ex-CNEVA, le Centre national d'études vétérinaires et
alimentaires, sont présentées indépendamment des activités nouvelles de
l'agence. Il faut espérer que cette présentation comptable n'est que temporaire
et qu'elle ne témoigne pas d'une volonté de conserver des structures qui
doivent désormais faire partie d'un ensemble.
En outre, alors même que le législateur a créé ces agences dans un souci de
contribuer au renforcement de la sécurité sanitaire de nos concitoyens, alors
même que l'impératif de santé publique doit y être prédominant, il voit, et
avec inquiétude, la part de la subvention du ministère de la santé dans le
budget de l'AFSSA s'élever à seulement 4,8 % du budget total. Connaissant les
pesanteurs auxquelles le législateur s'est déjà heurté maintes fois, comment
être assuré que le ministre en charge de la santé et, par là même, garant de la
santé publique, sera toujours entendu ?
En 1999, l'institut de veille sanitaire recevra une dotation de 101 millions
de francs. Son budget de fonctionnement pour 1999 atteignait 105 millions de
francs, dont 62,6 millions de francs provenaient de l'Etat. Cela laisse
présager la poursuite de la montée en charge de cet institut.
Pour conclure sur ce point, je voudrais rappeler qu'au cours des débats qui
ont précédé l'adoption de la loi du 1er juillet 1998 j'ai, à plusieurs
reprises, évoqué la question du financement et constamment réaffirmé que cette
réforme ne pouvait pas se faire à moyens financiers constants. En effet,
l'exigence de sécurité sanitaire nécessite que les agences disposent des moyens
de remplir correctement leurs missions. La volonté politique doit se retrouver
dans la réalité des budgets mis en oeuvre et dans leur lisibilité. La
présentation actuelle ne permet pas, en effet, de connaître précisément les
moyens financiers dont disposent les agences, ni l'origine des financements ni,
à plus forte raison, leur évolution dans le temps.
S'agissant de l'ANAES, je souligne la nécessité de poursuivre les efforts
entrepris. Grâce à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000,
l'ANAES a été recentrée sur ses deux missions de base, l'accréditation et
l'évaluation en santé. L'ANAES a été chargée de la mise en place des références
médicales opposables. Or les délais d'attente dans ce domaine se sont
considérablement allongés, pour atteindre parfois plus de dix-huit mois.
Sachant l'importance de ces règles pour améliorer les pratiques médicales, il y
a lieu de renforcer les moyens de l'ANAES dans ce domaine.
Quant au fonctionnement des agences, je voudrais revenir sur le rôle de
l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments dans ce que les médias
ont baptisé la « guerre du boeuf ».
Comme je l'ai exprimé publiquement déjà, j'ai apprécié les capacités
d'expertise de l'agence dans ce domaine. Chacun a pu en juger.
Mais je déplore, une fois encore, la manière dont le Gouvernement a géré cette
crise. En refusant d'accorder à l'agence un pouvoir de décision en matière de
gestion du risque, contrairement à l'Allemagne, en faisant du ministre de
l'agriculture le pilote de ce dossier difficile, on a donné à penser que la
priorité de santé publique n'était pas l'objectif premier.
La gestion de la crise a fragilisé l'agence. Votre ministère, madame le
secrétaire d'Etat, a été le grand absent de ce conflit. Je ne peux que le
déplorer, vous aussi, peut-être.
Je ne voudrais pas terminer ce tour d'horizon sur l'application de la loi du
1er juillet 1998 sans évoquer deux points qui, chacun à leur manière,
illustrent la difficulté de l'administration à tenir compte de la volonté du
législateur.
Il s'agit, d'abord, du retard inadmissible dans la parution des textes
d'application. Certes, les décrets constitutifs, après plus de neuf mois
d'attente, ont fini par voir le jour, mais la loi du 1er juillet 1998 comporte
également des dispositions réglementaires applicables à différents produits de
santé, tels que les dispositifs médicaux à risque particulier, les produits
cosmétiques, les réactifs, les produits thérapeutiques annexes, etc., pour
lesquelles aucun décret d'application n'est encore paru. Plus de quatorze
articles de cette loi restent ainsi en attente. C'est profondément
regrettable.
Il serait judicieux d'affecter en priorité les nouveaux effectifs de votre
ministère à la préparation des décrets d'application en souffrance.
Concernant également l'augmentation de l'encadrement de votre ministère, je
souhaiterais que vous me précisiez, parmi ces nouveaux postes, combien seront
affectés au renforcement des moyens d'inspection des services extérieurs de
l'Etat, qui ont aussi leur rôle à jouer dans la mission de contrôle de la
sécurité sanitaire. Je pense en particulier à la nécessité de renforcer le
nombre de postes de médecin et de pharmacien inspecteur de la santé publique,
dont les missions sont essentielles et les effectifs chroniquement
insuffisants.
Ma deuxième remarque portera sur la mise en place du comité national de
sécurité sanitaire. Créé sur l'initiative de nos collègues députés, ce comité
avait pour but, selon le rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Alain Calmat,
de permettre « de confronter régulièrement les informations disponibles sur les
risques sanitaires et les situations épidémiologiques et de coordonner
l'intervention des trois structures ». Ce comité, suivant le souhait même du
législateur, doit être une structure légère, coordonnant les actions des uns et
des autres ; il n'a, en aucun cas, reçu pour mission de procéder à un travail
d'évaluation, qui est par ailleurs déjà entrepris au sein des agences.
Quelle n'a pas été ma surprise d'apprendre que ce comité a décidé de créer des
groupes de travail dont les avis et rapports sont attendus dans six mois ! L'un
de ces groupes a pour tâche de travailler sur l'évaluation des risques
sanitaires faibles, tels que les expositions à la dioxine qui apparaissent
parmi les priorités de l'Institut de veille sanitaire.
Le dévoiement des missions du comité national de sécurité sanitaire me semble
contraire à la volonté de lisibilité et de cohérence qui avait présidé à
l'élaboration de la loi tout au long des travaux préparatoires.
Madame le secrétaire d'Etat, telles sont les interrogations, les réserves et
les critiques que j'ai voulu exprimer au nom du groupe de l'Union centriste.
Elles sont suffisamment graves et sérieuses pour que, suivant l'avis de la
commission des affaires sociales, nous rejetions les crédits de votre
ministère.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
limiterai mon propos aux restructurations hospitalières, en particulier au rôle
de ce que j'appelle l'« hôpital général de proximité » et aux difficultés qu'il
rencontre.
La grande réforme initiée par les ordonnances de 1996 avait donné l'espoir que
les restructurations se réaliseraient dans un cadre intégrant simultanément les
notions de services rendus à la population, d'égalité d'accès aux soins de
qualité et de maîtrise des coûts.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Les expériences sont variées, les résultats très inégaux. Certaines mutations
bien préparées, conduites par des hommes et des femmes de qualité, réussissent.
D'autres butent sur de grandes difficultés d'ordre divers.
A cet égard, M. le rapporteur pour avis a relevé, à la suite de la Cour des
comptes, le bilan très critique du fonctionnement du Fonds d'investissement
pour la modernisation des hôpitaux, qui rassemble désormais l'intégralité des
subventions d'Etat aux équipements hospitaliers.
La procédure de sélection des dossiers et leur instruction ont pris un grand
retard, ce qui s'est traduit par un faible taux de consommation des crédits.
On peut s'interroger légitimement sur les raisons, alors que les besoins
existent.
Le précédent directeur de la santé ne disait-il pas lui-même, quand il a
renoncé à ce poste, qu'il avait dû « mener son action à la direction générale
de la santé (...) au prix de grosses difficultés dues à l'organisation
administrative du ministère, organisation qui ne permet pas toujours d'oeuvrer
aussi vite et aussi efficacement qu'il le faudrait ». Dur constat !
Il est également regrettable que les procédures d'accréditation des
établissements de santé aient pris du retard. Cela est très dommageable car
elles permettraient de « donner au public des informations plus fiables que
celles qui résultent du classement dans la presse ». Grâce à la constitution de
vraies communautés d'établissements et aux contrats d'objectifs avec les
agences régionales de l'hospitalisation, on pourrait sans doute éviter de
fermer des services ou des établissements « à l'aveugle ».
J'en reviens à l'hôpital général de proximité, ce mal-aimé des théoriciens,
pourtant plébiscité par les populations, aussi bien dans les sondages que par
les manifestations de masse qui ont lieu chaque fois qu'un établissement est
discrédité et menacé ou en cas de fermeture, celle-ci étant ressentie comme une
véritable amputation.
S'agissant de discrédit, dans l'union hospitalière que je préside, vingt et un
établissements - grands et petits - injustement attaqués dans la presse ont
porté plainte et ont gagné très récemment devant le tribunal, l'hebdomadaire
concerné ayant été condamné à de lourdes amendes. Dont acte. Mais on ne le sait
pas suffisamment.
Par ailleurs, j'ai peine à croire que l'on fera systématiquement des économies
en regroupant dans des hôpitaux plus lointains et plus spécialisés, donc plus
chers, les patients des services fermés, d'autant que ces hôpitaux d'accueil
manquent aussi, la plupart du temps, d'anesthésistes, d'obstétriciens et de
chirurgiens. Il faudra bien embaucher et la difficulté sera la même puisque,
nous le savons bien, au niveau national l'écart se creuse entre les postes à
pourvoir et les postulants.
Ne serait-il pas temps d'examiner le problème en face, ainsi que les séries de
mesures susceptibles de combler ce déficit dramatique ? Il faudrait
rééquilibrer un besoin de postes sans cesse amplifié par l'inflation
d'exigences réglementaires et une désaffection de plus en plus marquée pour ces
métiers, due à la fois à des problèmes de rémunération, de temps de garde mal
payés et, il faut bien le dire, d'inquiétude devant une opinion qui pousse à
traduire les médecins devant les tribunaux comme de vils délinquants.
Ce que j'appelle l'« hôpital général de proximité », car il n'y a pas de
terminologie officielle, comporte au moins les trois services actifs -
chirurgie, obstétrique et anesthésie - auxquels il faut bien sûr adjoindre un
serviced'urgences.
S'agissant des urgences, tout a été dit, mais seules ont été retenues les
études des grands professeurs de l'université, qui n'ont jamais travaillé qu'en
CHU, centre hospitalier et universitaire, et ne conçoivent guère que l'on
puisse être soigné ailleurs. Mais que feront-ils si leurs services sont
submergés par une population nouvelle qui ne relève pas de leur indéniable et
haute compétence ? Je précise que cette question a été posée récemment dans un
journal par le directeur des urgences d'un CHU de Basse-Normandie. Comme on ne
dénombre qu'un CHU dans cette région, on le situera facilement !
(Sourires.)
Oui, nous avons besoin de médecins performants, de spécialistes éminents,
de plateaux techniques sophistiqués, de chercheurs de haut niveau, mais il est
bien évident qu'il faut une hiérarchie des soins et des compétences, reposant
sur une complémentarité des établissements, en fonction de la gravité des états
ou des interventions. Or, c'est ce qui est bafoué, chaque fois que les
mutations nécessaires sont imposées d'en haut, de façon parfois abusive ou mal
préparée. J'en ai, hélas ! un exemple criant dans mon département de la
Manche.
En fait, madame le secrétaire d'Etat, ce que la population veut pour ses
hôpitaux généraux de proximité est simple : un accueil humain et compétent - ce
qui pose notamment le problème du tri et de l'organisation des urgences - des
premiers secours bien organisés et rapides - ce qui suppose une coordination
entres services - et des soins de base relativement proches, tout au moins
facilement accessibles.
Contrairement à ce que l'on dit, la population n'est nullement hostile au fait
d'aller dans un hôpital plus éloigné, si besoin est. Bien au contraire, c'est
pour elle une garantie de qualité et de sécurité des soins.
L'hôpital général de proximité, quant à lui, travaille en réseau depuis déjà
bien longtemps, car il connaît ses propres limites. Qu'il soit nécessaire
d'améliorer ou de transformer nombre d'entre eux, certes, mais je ne suis pas
la seule à estimer qu'il est possible d'allier exigence de qualité et exigence
de proximité pour une part de dépenses raisonnables.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Excellent !
Mme Anne Heinis.
Je rappelle que les trois quarts de la population passent par des hôpitaux
généraux publics ou privés de tous niveaux, pour seulement un quart de la
dépense hospitalière, et qu'ils assurent, au sein de l'hôpital public, 60 % des
actes de médecine, de chirurgie et d'obstétrique ; c'est dire l'importance de
leur rôle.
Ce sont les chiffres qui nous avaient été communiqués par les services du
ministère lorsque j'étais au Haut conseil de la réforme hospitalière, voilà
cinq ans environ. Ils n'ont guère dû changer.
Il faut cesser de faire croire et de proclamer que la sécurité sanitaire
dépend uniquement de la sophistication des plateaux techniques, parce que c'est
un argument facile qui s'appuie sur la peur. En réalité, la qualité des soins
dépend du nombre et de la compétence des médecins, ainsi que de la bonne
organisation des réseaux qui doivent prendre en compte aussi bien le secteur
public que le secteur privé.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Très bien !
Mme Anne Heinis.
Cela figure d'ailleurs dans les nouveaux textes.
Le problème fondamental des hôpitaux généraux de proximité, c'est le
recrutement médical et infirmier, en nombre et en formations adaptés aux
besoins, ce qui nous ramène bien sûr au problème que je viens d'évoquer et à la
réforme des études médicales, dont je vais dire un mot.
Nous sommes dans une spirale infernale dont le rythme s'est accéléré depuis la
réforme de M. Ralite, à l'époque ministre de la santé, instituant l'internat
qualifiant et supprimant les CES, qui étaient les sources des recrutements de
nos hôpitaux généraux de proximité, en particulier pour les services actifs de
chirurgie, obstétrique, anesthésie.
Il faut reconnaître que le processus avait déjà été entamé avec la baisse
programmée du nombre des internes en formation, et sans lesquels nos hôpitaux
ne pourraient pas fonctionner. Et bien que ce soit clairement prévisible - je
me souviens d'avoir fait une étude avec le médecin de mon hôpital et la région
de Basse-Normandie ; on connaissait les chiffres - jamais aucun gouvernement
n'a programmé un système de remplacement adapté avec le personnel nécessaire.
Ce fut le premier coup meurtrier porté à l'hôpital général de proximité.
Alors qu'il faudrait former de nouvelles générations d'internes en nombre
suffisant, sans oublier les internistes et les urgentistes - j'ai entendu
maintes fois qu'on les réclamait - spécialités encore quasi inexistantes en
tant que telles, les instructions actuelles limitent de façon draconienne le
nombre des internes dans les spécialités dont nous avons besoin : obstétrique
et anesthésie, voire - et ce sont les instructions dans ma région - quand elles
ne les diminuent pas, pour la chirurgie, alors que l'on manque cruellement de
personnels dans ces disciplines. Etrange façon de régler les problèmes, sauf
s'il y a derrière une volonté cachée de fermer des services, ce qui m'apparaît
hélas ! de plus en plus clairement.
En matière de formation, ce n'est pas de sciences humaines dont nous avons
besoin en priorité dans les études médicales. Elles n'enseignent pas l'art du
comportement en face de l'autre. En matière médicale, et les médecins me l'ont
répété, c'est de formation au lit du malade dont nous avons besoin, là où se
passe une bonne partie de l'apprentissage du diagnostic qui, hélàs ! est de
plus en plus défaillant, ce qui entraîne la multiplication des examens.
Pour des raisons de coût mal étudiées à l'époque, comme on ne pouvait pas
faire baisser autoritairement le nombre des malades, il avait été tout
simplement décidé de réduire le nombre des médecins, afin d'abaisser les coûts.
C'est simple, mais il fallait y penser ! Cependant, il s'agit tout de même là
d'un étrange raccourci, qui fait que nous occupons le douzième rang mondial en
matière de santé. Ce n'est tout de même pas très brillant, et cela devrait nous
amener à nous interroger sur la pertinence de notre politique. La maîtrise
médicalisée des dépenses de santé, l'aménagement du territoire, dont le
maillage en réseau des hôpitaux est un élément fort, et les aspirations de la
population ne sont pas antinomiques. C'est la façon dont on aborde ces
questions qui les rend antinomiques.
En effet, nous sommes obsédés par des solutions techniques à caractère
universel qui ne permettent aucune adaptation aux besoins du terrain, alors
même que, précisément, cette adaptation constitue l'une des clés à la fois d'un
aménagement opérationnel du territoire et d'un bon service de santé. On brandit
comme un drapeau le grand concept de l'égalité d'accès aux soins pour tous,
mais on organise insidieusement un système qui aggrave la situation de toute
une partie de la population, déjà handicapée par son éloignement des
infrastructures. Si par malheur, après étude, il apparaît qu'il est impossible
de faire autrement que fermer l'hôpital, parce que cela peut également arriver,
que l'on ait au moins le courage de le dire, mais que l'on n'explique pas aux
gens, sans la moindre vergogne, que c'est pour leur sécurité, et que l'on
organise au moins des relais entre l'hôpital et les territoires concernés. Ce
n'est pas le cas, et cela m'inquiète.
On sait très bien, par exemple, qu'il y a environ 10 % d'accouchements à
risque, que l'on sait maintenant détecter, et 10 % de cas graves, dans le flot
des urgences, qui nécessitent une intervention chirurgicale immédiate. Ne
vaudrait-il pas mieux mettre sur pied un tri de bonne qualité, qui serait
effectué par des médecins expérimentés dans les hôpitaux généraux de proximité,
dont le coût de fonctionnement est quand même beaucoup moins élevé, afin de
transférer dans de bonnes conditions les patients relevant de services
spécialisés, bien équipés sur le plan technique ?
Mais cela pose, là encore, le problème de la mise en place de réseaux bien
conçus et celui de la formation d'urgentiste, que l'on évacue. Si j'insiste sur
ce dernier point, c'est parce que nous connaissons bien ce problème dans ma
région, où l'on va probablement fermer l'hôpital, au motif qu'il manque un
urgentiste. Mais un tel poste est très difficile à pourvoir, et c'est pourquoi
je suis très sensibilisée à ce problème.
On comprend bien que l'approche que je défends va totalement à l'encontre de
la politique actuelle, qui s'appuie exclusivement sur une approche bien trop
strictement administrative et macro-économique. Celle-ci est certes nécessaire
en tant que moyen de mesure et élément de stratégie générale, mais elle ne
suffit pas. L'homme souffrant a besoin, plus encore que les autres, de
proximité, y compris sur le plan social.
La sécurité sanitaire, comme la sécurité tout court d'ailleurs, le bien-être
de la population, comme ses moyens d'existence, relèvent d'une autre approche,
complémentaire de la première, et imposent l'étude réelle des besoins et des
solutions possibles, des contraintes et des coûts réels, qui ne doivent pas
être occultés simplement parce qu'ils nous dérangent.
Mes chers collègues, ce que j'ai voulu faire, c'est plaider pour l'homme
souffrant, l'homme en détresse qui a peur de la maladie et de la mort, mais qui
affronte aussi les difficultés de l'existence, le chômage et la détresse
sociale, qui sont au coeur de toutes les exclusions.
Aussi, pour conclure, poserai-je une question : comment peut-on espérer avoir
une vision claire des coûts et de leur influence sur l'équilibre des comptes de
la sécurité sociale si l'on mélange le financement de celle-ci avec celui du
passage aux 35 heures ?
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Très bien ! Très bonne question !
Mme Anne Heinis.
Le débat est plus que jamais faussé, ce qui permet, en toute impunité, de
supprimer ce qui dérange, au nom bien sûr de l'égalité d'accès aux soins, de la
sécurité et de la maîtrise des coûts, qui, en l'occurrence, ont plutôt bon dos.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
permettez-moi d'aborder les problèmes dans un ordre chronologique. Je
commencerai bien entendu par la contraception.
Le débat sur cette question vient d'être relancé par la récente décision de
Mme Ségolène Royal. A chacun son style ; je crois être fondé à penser, eu égard
à certaines réactions, que la concertation préalable avec les associations de
parents d'élèves et les associations familiales n'a peut-être pas été assez
complète,...
M. Claude Huriet.
Il n'y en a pas eu du tout !
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Lucien Neuwirth.
... ce qui est dommage sur un tel sujet, qui concerne au premier chef familles
et éducateurs.
Cependant, et c'est une évidence, mieux vaut, pour une adolescente, recourir à
une contraception d'urgence plutôt que de débuter sa vie de femme par un
avortement qui, quelles que soient les conditions dans lesquelles l'acte est
effectué, ne manque pas de provoquer une profond traumatisme, et, quelquefois,
de laisser des traces indélébiles.
Depuis des années, j'ai l'impression de prêcher dans le désert en demandant
que l'information sur la contraception soit poursuivie à l'intention des
nouvelles générations : c'est un silence assourdissant, mes chers collègues,
qui me répond. A ce sujet, qu'est devenu le Conseil supérieur de l'information
sur la contraception, où était représenté l'ensemble des syndicats et des
associations familiales ? Grâce à cet organisme, nous pouvions faire passer les
messages dans le langage qui était compris par les différentes catégories
d'enfants concernées. Par ailleurs, le planning familial est-il suffisamment
soutenu dans l'accomplissement de ses missions ?
De la même façon, une sorte de complicité du silence s'était établie autour de
la pilule du lendemain, sorte de « roue de secours » de la contraception, qui,
néanmoins, relève de la politique contraceptive.
Je ne peux pas non plus passer sous silence le fait qu'il existe un problème
de coût : en effet, un certain nombre de produits mieux dosés, plus adaptés, ne
sont pas remboursables. Je sais que, de même, d'autres méthodes contraceptives
moins astreignantes - vaccinations, implants, etc. - pourraient être
développées par l'industrie pharmaceutique. De plus, nous avons la certitude
que ces nouvelles méthodes sont attendues par le marché immense des pays à
démographie galopante, laquelle va de pair, hélas ! avec une mortalité féminine
considérable. Savez-vous, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que
dans ces pays une femme meurt toutes les trois minutes en avortant ou en
accouchant ? Est-il vraiment impossible, en élargissant le débat, d'engager des
discussions sur le fond avec les laboratoires et l'industrie pharmaceutique
?
Voilà pour la contraception.
J'évoquerai aussi, à l'occasion de cette discussion budgétaire, les soins
palliatifs. Mon intervention - vous m'en excuserez, madame la secrétaire d'Etat
- se présentera essentiellement sous forme interrogative.
En effet, au cours de votre présentation devant la commission des crédits
consacrés à la santé, vous n'avez pas prononcé les mots : « soins palliatifs ».
Dois-je comprendre qu'aucun crédit budgétaire n'est destiné à améliorer la
prise en charge sanitaire des personnes en fin de vie ou à former les
professionnels de santé dans ce domaine ?
L'annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale n'a
malheureusement pas été plus explicite : elle mentionne en effet seulement que
« le dispositif de prise en charge à domicile des personnes en fin de vie sera
renforcé ». Soit ! Mais de quel dispositif s'agit-il ? Comment ? Avec quels
crédits ? Que se passera-t-il à l'hôpital ? Par ailleurs, est-il vraiment
impossible de reconsidérer la situation des associations de soins et de
services à domicile, qui risque de devenir critique ?
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Absolument ! C'est un véritable problème !
M. Lucien Neuwirth.
Pour 1999, un financement de 180 millions de francs a été dégagé pour soutenir
le développement des soins palliatifs ; il devrait y avoir, à la fin de
l'année, au moins une équipe mobile ou une unité de soins palliatifs dans tous
les départements - je m'en félicite - à l'exception, hélas ! de la Guyane et de
la Guadeloupe. Mais ce n'est pas suffisant.
De même, en 1999, le fonds national d'action sanitaire et social de
l'assurance maladie a débloqué 50 millions de francs, qui seront consacrés à la
formation des bénévoles et à l'accompagnement. A ce sujet, où en est la
procédure d'agrément des associations ?
J'avais proposé, lors de la discussion de la loi du 9 juin 1999, que ce
financement soit pérenne et que l'assurance maladie finance chaque année ce
type d'actions au profit d'associations agréées de bénévoles. Je regrette que
cette disposition n'ait pas été acceptée par le Gouvernement, alors qu'elle
avait été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires sociales du
Sénat. Quels crédits seront, cette année, consacrés par l'assurance maladie à
la formation des bénévoles, et où en est la procédure d'agrément des
associations ?
Par ailleurs, je voudrais savoir, madame la secrétaire d'Etat, quand seront
pris les décrets d'application de la loi du 9 juin 1999. Je suis en effet saisi
de nombreuses demandes de personnes qui savent que le Parlement a voté la
création d'un congé d'accompagnement et qui voudraient pouvoir en bénéficier,
et je suis contraint de leur répondre qu'il faut attendre la parution des
décrets. Sur un tel sujet, j'estime que celle-ci ne devrait pas trop tarder.
Je voudrais aussi savoir si le projet de loi de modernisation du système de
santé, que vous nous avez annoncé pour le printemps, comprendra des
dispositions relatives à l'hospitalisation à domicile, et si le verrou que
constitue le fameux « taux de change » sera enfin levé pour les soins
palliatifs ou, pour le moins, adapté aux réalités du moment.
Enfin, en matière de prise en charge de la douleur, je voudrais connaître le
nombre de postes de praticien hospitalier « fléché douleur » qui seront ouverts
cette année.
J'ai aussi le plaisir de vous annoncer que j'ai participé mercredi 1er
décembre, au Parlement européen, à la réunion de l'intergroupe « europe contre
la douleur », qui compte des représentants de tous les groupes et qui prépare
une résolution afin de désigner la lutte contre la douleur comme une priorité
de santé publique en Europe.
J'ose espérer que la France, qui prendra prochainement la présidence de
l'Union européenne, saura démontrer que, dans le domaine de la lutte contre la
douleur, elle veut se hisser au rang que nous souhaitons unanimement lui voir
occuper : le premier.
Relancer, pour l'établir d'une façon permanente, l'information sur la
contraception pour les nouvelles générations, tenir les engagements de votre
prédécesseur s'agissant du plan de trois ans de lutte contre la douleur,
dynamiser le processus de soins palliatifs, voilà, madame la secrétaire d'Etat,
trois lignes forces qui, toutes, vont dans la même direction : celle d'une
vision humaniste d'une même qualité de vie, de la naissance à la fin de cette
vie.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Unioncentriste.).
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
projet de budget de la santé et de la solidarité est très particulier. Pour
presque la moitié de son montant, qui atteint 90,8 milliards de francs, il
témoigne de l'effort spécifique de l'Etat en faveur des laissés-pour-compte de
ce que j'appelle la solidarité nationale, et particulièrement de ceux qui en
sont exclus depuis longtemps parce qu'ils sont exclus du droit au travail.
Aussi, madame la secrétaire d'Etat, nous proposez-vous un projet de budget en
progression de 13 %, parce qu'il inclut les 7 milliards de francs de
contribution de l'Etat au financement de la couverture maladie universelle. A
périmètre égal, cette progression est de 5 % par rapport à 1999. Nous ne
pouvons que saluer et soutenir l'effort fait dans un certain nombre de
directions, notamment en ce qui concerne la sécurité sanitaire, même si
l'intervention privée est trop importante - ce qui, soit dit au passage,
m'avait amené à m'abstenir lors du vote de la loi portant création des agences
- la lutte contre le tabagisme, l'alcoolisme et la toxicomanie, la lutte contre
la maltraitance des enfants, l'éducation à la santé et le renforcement des
interventions en faveur de la reconnaissance des droits des femmes.
A ce propos, je souhaite que les 100 millions de francs inscrits à ce titre au
projet de budget pour 2000 témoignent de la priorité donnée par le Gouvernement
à la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes dans tous les
domaines et à l'affirmation des droits de celles-ci, s'agissant notamment de
l'accès à la contraception, que M. Neuwirth vient d'évoquer, et de l'IVG.
Il est bon, à mes yeux, que le Gouvernement s'engage à présenter, en annexe de
la loi de finances, un état retraçant l'ensemble des crédits des différents
ministères en faveur des droits des femmes, rendant ainsi plus lisibles les
politiques menées en ce domaine. Cela répond à un besoin.
En même temps, je ne peux que déplorer la persistance de difficultés majeures
pour un nombre trop important de nos concitoyens.
Le nombre de RMIstes continue d'augmenter, même si l'on observe un
ralentissement.
Le nombre de personnes vivant de minima sociaux, c'est-à-dire au-dessous du
seuil de pauvreté, n'a pas diminué et, au-dessus de ce seuil de pauvreté de 3
800 francs par mois, il y a les salariés précaires !
Cela me conduit à formuler deux remarques concernant l'action de l'Etat et la
politique du Gouvernement.
La première, c'est qu'il y a urgence à répondre durablement, par l'emploi, par
la protection sociale, par la lutte contre la précarité, aux besoins de nos
concitoyens.
C'est ce que nos concitoyens attendent d'une politique de gauche, madame la
secrétaire d'Etat, et c'est ce qu'ils expriment dans les enquêtes ou dans la
rue quand ils réclament une politique plus à gauche !
Comment s'en étonner quand coexistent records boursiers, profits des
entreprises supérieurs à 2 000 milliards de francs et licenciements massifs,
précarité, qui produisent chômage de masse et exclusions ?
Qui plus est, les entreprises supportent de moins en moins le poids du
chômage. En effet, comme chacun sait, seulement quatre chômeurs sur six sont
indemnisés.
Comme le disait mon ami Guy Fisher, ce matin, il est vraiment urgent de
s'attaquer à une réforme en profondeur de l'assurance chômage pour
responsabiliser les entreprises, au regard tant de la réparation provisoire que
du retour à l'emploi.
Est-ce à dire que l'Etat ne peut pas faire un peu plus, tout de suite, pour
les plus démunis ?
Cela me conduit à formuler ma seconde remarque : le maintien de la croissance,
les rentrées fiscales supplémentaires, le « mieux » économique ne font que
rendre plus insupportables encore les inégalités croissantes et les
exclusions.
Aussi les revalorisations prévues des minima sociaux ne me paraissent-elles
pas à la hauteur, même si les efforts consentis en matière de cumul de revenu
salarié et de RMI depuis l'an dernier sont positifs. L'augmentation est en
effet de 1,2 % pour le RMI et l'AAH, soit 0,2 % hors inflation. Il convient
aussi de rappeler que le RMI sera de 2 530 francs l'année prochaine, soit une
augmentation de 30 francs.
La revendication des chômeurs d'une prime de Noël de 3 000 francs s'en trouve
d'autant plus justifiée. Nous souhaitons, vous le savez, qu'elle fasse l'objet
d'un collectif budgétaire.
Une augmentation plus substantielle des minima sociaux serait le signe que
les fruits de la reprise économique profitent d'abord à la justice sociale.
Cette revalorisation des minima sociaux devrait se conjuguer avec un
accroissement des moyens attribués aux structures qui les mettent en oeuvre,
comme les caisses d'allocations familiales, les CAF.
En effet, c'est un nombre croissant de bénéficiaires que doivent traiter les
CAF, et ce avec des moyens humains et matériels insuffisants.
Les CAF, malheureusement, font vivre de nombreuses familles, en leur
fournissant parfois jusqu'à 80 % de leur budget. C'est dire à quel point les
retards de versement, qui peuvent atteindre plusieurs mois, peuvent avoir des
conséquences dramatiques pour les familles et conduire à des comportements qui
rendent plus difficiles encore les conditions de travail des personnels.
Je réitère donc ma demande, madame la secrétaire d'Etat, que l'on dote très
rapidement les CAF de moyens et de ressources suffisants.
Je souhaite maintenant faire quelques commentaires sur d'autres aspects de ce
budget.
Les crédits de la CMU s'élèvent à 7 milliards de francs, soit les deux tiers
de la progression totale du budget. En même temps, ces 7 milliards de francs -
selon les prévisions, ce devait être 7,2 milliards de francs - correspondent,
pour la majeure partie, à un transfert de dépenses existantes. L'intervention
nouvelle de l'Etat est donc, en fait, cette année de 1,5 milliard de francs.
Aujourd'hui, je me dois d'exprimer quelques craintes quant à l'application de
la CMU, déjà bridée, avant même d'avoir vu le jour, par une logique de
limitation des remboursements, de paniers de soins indépassables en matière de
remboursement, comme l'ont exigé la CNAM et les partenaires complémentaires,
limitation que le Gouvernement a acceptée, si j'en juge par les décrets.
Les conditions très restrictives pour les étrangers - que le Conseil d'Etat ne
fait pas siennes - et pour les étudiants, si j'en crois toujours les décrets
d'application, vont dans le même sens.
Par ailleurs, les effets de seuil résultant du plafond de 3 500 francs, que
nous avions estimé trop bas, ont pour résultat d'exclure un grand nombre de
personnes du dispositif et de les faire retomber dans la démarche stigmatisante
du recours à l'aide sociale.
On ne peut pas se contenter de recommander au personnel médical et social de
traiter ces cas avec bienveillance, il est nécessaire d'instaurer, par exemple,
une cotisation sociale sur les revenus financiers des entreprises, qui
permettrait de dégager des moyens, notamment pour ces salariés précaires à
peine mieux lotis que les personnes qui sont en dessous du seuil de 3 500
francs.
La volonté affirmée par le Gouvernement de pénaliser les entreprises qui
recourent indûment au travail précaire va évidemment dans ce sens.
J'ajoute que la mise en application de la loi au 1er janvier suppose également
que l'on donne les moyens nécessaires aux différents centres de la CNAM, qui
verront augmenter leur charge de travail alors que nombre d'entre eux sont déjà
asphyxiés.
Les personnels ont exprimé, à ce sujet, de fortes inquiétudes, auxquelles le
Gouvernement devra répondre rapidement. En effet, l'on peut se demander si les
1 400 postes dont la création a été confirmée lors de la discussion du projet
de loi de financement de la sécurité sociale seront suffisants pour faire face
aux besoins existants et nouveaux.
Je dirai quelques mots sur la politique du Gouvernement en matière de lutte
contre la toxicomanie.
L'approche globale, fondée sur les comportements plus que sur les produits
consommés, est intéressante, et j'apprécie les efforts budgétaires en faveur de
la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la
MILDT, et du développement du dispositif actuel des programmes d'échanges de
seringues et des lieux d'accueil des toxicomanes.
Mais cette politique de réduction des risques ne peut exempter l'Etat d'un
effort important en matière de prise en charge médico-sociale, encore très
insuffisante en France. Il est également nécessaire de développer fortement une
politique de prévention et de recherche à la hauteur de la gravité du
problème.
S'agissant de la lutte contre le sida et les maladies sexuellement
transmissibles, les crédits restent stables et d'ailleurs quelque peu opaques
puisque globalisés, ce qui empêche de distinguer entre maladies transmissibles,
hépatite C, etc.
Si les thérapies font que l'on meurt moins du sida - c'est heureux ! - les cas
de sida continuent de progresser, en France, de 3 % cette année.
En outre, les personnes touchées par la maladie sont dans une situation de «
grande vulnérabilité » comme le montre une étude de l'association AIDES publiée
au mois d'octobre et selon laquelle les trois quarts des personnes
séropositives qui fréquentent l'association ont un revenu inférieur à 4 000
francs par mois, 6 % n'ont aucun revenu, 25 % ont moins de 3 000 francs par
mois et près de 50 % touchent à peine les minima sociaux.
Pourtant, la gravité de la situation justifierait que l'on redouble d'efforts,
d'autant que - je tiens à le préciser - au niveau mondial, le sida n'a jamais
autant tué qu'en 1999. Selon le directeur de l'ONUSIDA, le sida est devenu la
menace numéro un pour le développement de nombreux pays, car 70 % à 80 % des
malades vivent dans les pays du Sud.
Votre prédécesseur s'est honoré en appelant à la solidarité internationale
contre ce fléau, madame la secrétaire d'Etat. Selon nous, la France ne doit pas
hésiter à donner l'exemple en ce domaine.
Dans notre pays, la prise en charge médicale et sociale des malades du sida
nécessite des améliorations profondes et rapides. La grille de l'allocation aux
adultes handicapés, qui n'a pas évolué depuis une dizaine d'années, semble trop
rigide pour les malades frappés par cette maladie. Elle devrait leur permettre
un retour progressif à l'emploi, par une modulation de l'aide en fonction des
possibilités offertes, la plupart d'entre eux souhaitant retrouver un travail,
sans toujours y parvenir.
S'agissant de la lutte contre le saturnisme, les mesures actuelles semblent
trop limitées aux pathologies déclarées. La présence de plomb dans le sang
concerne, au-delà des cas les plus dramatiques, comme ceux des enfants, que
j'ai eu, hélas ! à connaître en tant qu'élue parisienne, un éventail important
de la population, contaminée notamment par l'eau issue des canalisations en
plomb et par l'environnement. C'est un véritable problème de santé publique.
Il faudrait procéder à des investigations plus larges - c'est possible et pas
très coûteux - permettant une réelle prévention, plutôt que d'attendre que les
pathologies se déclarent.
Permettez-moi d'ailleurs, au travers de cet exemple, de regretter l'absence de
moyens supplémentaires pour la sécurité sanitaire environnementale, alors qu'un
rapport parlementaire souligne les insuffisances en la matière et que,
parallèlement, des crédits supplémentaires sont accordés aux agences
sanitaires.
Permettez-moi de saisir aussi l'occasion de l'examen de ce budget, dont les
crédits consacrés à l'organisation hospitalière, en diminution, n'ont pas
toujours été bien utilisés jusqu'à présent puisqu'ils ont surtout servi à des
fermetures de lits, pour souligner, une nouvelle fois, la nécessité de repenser
l'offre de soins hospitaliers.
Déjà, au mois de juin dernier, un article de l'union hospitalière de la région
d'Ile-de-France, l'UHRIF, relevait que « les hôpitaux soumis à la contrainte
financière n'ont pas pu faire face, en matière d'urgence notamment ».
Quant à la Fédération des médecins de France, la FMF, elle vient de dénoncer
le fait que la revalorisation des cotisations CNRACL ne soit pas financée.
C'est cette contrainte financière qui est également dénoncée par les
personnels actuellement en grève dans les hôpitaux parisiens. Vous le savez,
cette grève risque de s'étendre parce que les personnels en ont assez. Les
établissements franciliens enregistrent en effet une très faible augmentation
de leur taux - 1,25 % - qui, compte tenu de l'inflation et des facteurs
salariaux, se traduit par une diminution des moyens dont disposent les médecins
pour traiter leurs malades.
Du fait de ces mesures, les hôpitaux, qui doivent faire face tous les jours à
des situations de précarité, sont au bord de l'asphysie. Les objectifs de
fermeture décidés par le schéma régional d'organisation sanitaire et sociale,
le SROSS, ne font qu'aggraver les problèmes en déplaçant les malades, comme à
l'hôpital Saint-Antoine, lui aussi en grève.
Outre les questions de l'indispensable démocratie sanitaire, dont nous avons,
à de nombreuses reprises, souligné l'importance, et des moyens humains et
matériels à débloquer, il me semble également essentiel de relever les effets
pervers du mode d'évaluation de l'activité hospitalière, notamment sur les
établissements qui proposent des traitements hautement spécialisés, comme c'est
le cas à Paris.
En effet, ces traitements ne sont pas comptabilisés à leur valeur et risquent
de conduire à des décisions purement comptables de fermeture de services, alors
que les malades ont besoin de ces soins. Ce risque existe aussi, selon moi,
avec la tarification à la pathologie, dont la généralisation ne devrait pas
être décidée sans une très sérieuse évaluation de l'expérimentation décidée ce
printemps.
Nous apprécions, par ailleurs, l'augmentation de 3,2 % du financement des
centres d'hébergement et de réadaptation sociale, les CHRS, qui permettra la
création de 500 places et de centres d'accueil de 100 places.
J'aimerais cependant attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat,
même si cela n'est pas directement lié au débat budgétaire, sur l'inquiétude
des 20 000 cadres du secteur social et médico-social, face au refus que vous
avez opposé à la demande d'agrément de l'avenant n° 265 qui a été signé par les
partenaires sociaux.
La signature de cet avenant rendrait effective une amélioration sensible des
conditions d'exercice professionnel de ces catégories, au-delà du seul respect
des salaires, et contribuerait à remédier à une situation préjudiciable aux
associations, qui rencontrent des difficultés grandissantes, vous le savez, à
recruter des cadres.
Concernant la prévention, je tiens à souligner que le manque de médecins du
travail, de médecins scolaires et de personnels médicaux reste préoccupant.
La décision prise par Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement
scolaire, que M. Neuwirth a opportunément rappelée, de donner aux infirmières
scolaires la difficile mission de répondre à la détresse des jeunes filles face
à des grossesses non désirées - décision que je considère comme positive, faute
de mieux - ne fait qu'éclairer le besoin urgent de disposer des personnels
compétents en nombre suffisant. C'est loin d'être le cas, vous le savez, et je
ne manquerai pas de le rappeler à Mme la ministre déléguée chargée de
l'enseignement scolaire.
Pour conclure, j'indique que, bien entendu, nous ne partageons pas les
critiques de la majorité sénatoriale, qui s'est opposée à la couverture maladie
universelle, aux emplois-jeunes, qui critique « la croissance non maîtrisée des
dépenses sociales », traque les abus de RMI et déplore la création d'emplois
publics.
Sous les réserves que j'ai émises, votre budget, madame la secrétaire d'Etat,
est néanmoins encourageant et nous ne suivrons donc pas l'avis de la commission
: nous voterons le projet de budget de la santé et de la solidarité pour
2000.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de budget de la santé et de la solidarité pour 2000 progresse de 13,3 %,
contre 3,1 % en 1998 et 4,5 % en 1999. Je tenais à le saluer d'emblée, puisque
la progression est constante.
Cette année, le total du budget s'élève à 90,81 milliards de francs, contre
76,7 milliards de francs en 1999. Cela illustre les priorités fixées depuis
deux ans par le Gouvernement et réaffirmées cette année dans le domaine de la
lutte contre les exclusions, dans le domaine de la protection des populations
les plus fragiles et dans le domaine de la sécurité sanitaire.
Cette progression résulte en partie des modifications de structures
importantes apportées à ce budget. Je pense, bien sûr, à l'inscription de la
subvention de l'Etat au fonds de financement de la couverture maladie
universelle, qui s'élève à 7 milliards de francs pour la partie protection
complémentaire.
Vous connaissez notre attachement à cette grande réforme sociale, qui va
permettre à plus de 6 millions de Français de ne plus renoncer à se faire
soigner et à quelque 700 000 d'entre eux de bénéficier d'une prestation de
sécurité sociale de base.
Certes, il convient de préciser que cette dépense nouvelle n'est couverte par
le budget que pour 1,4 milliard de francs, le reste provenant du retour de la
dotation globale de décentralisation départementale et de la participation des
organismes de protection complémentaire. Il n'en reste pas moins que la
progression réelle du budget est de 5 milliards de francs, soit une
augmentation de 6,2 %, ce qui est loin d'être négligeable.
Je vais maintenant m'attacher au trois grandes priorités bien lisibles de ce
budget.
Le première concerne plus particulièrement la partie consacrée à la
solidarité, notamment à la lutte contre les exclusions et à la protection des
populations les plus fragiles.
Comme vous le rappelez, madame la secrétaire d'Etat, pour les personnes les
plus démunies, des préalables doivent être levés avant de s'engager dans une
démarche de retour à l'emploi. Une telle action relève de votre budget, qui
bénéficie à ce titre de moyens supplémentaires.
Ces préalables sont de deux ordres.
Le premier découle des engagements du programme de la loi contre les
exclusions de mars 1998, notamment en matière d'accompagnement social
individualisé et d'hébergement d'urgence, avec le fonds d'aide aux jeunes et le
programme TRACE.
A cet égard, le financement des centres d'hébergement et de réinsertion
sociale permettra de mettre en place, cette année, cinq cents places
supplémentaires, et les capacités d'accueil des centres de formation des
travailleurs sociaux ont été développées.
A cette occasion, je me permets d'affirmer ma satisfaction au sujet de
l'affectation des crédits consacrés aux subventions d'investissement social,
qui sont ciblés sur les thèmes prioritaires des volets sociaux des prochains
contrats de plan Etat-région et que nous relaierons bientôt, je l'espère.
Le second préalable prend en compte l'ajustement des dotations des minima
sociaux financés sur ce budget : pour le RMI, l'augmentation est de 2,3
milliards de francs, les crédits atteignant 28,7 milliards de francs.
Cette importante augmentation traduit la revalorisation de l'allocation de 3 %
en 2000 ainsi que l'effet de la revalorisation des minima intervenue en 1999 et
la montée en charge des mesures d'intéressement à la reprise de l'emploi, avec
la possibilité de cumuler la prestation et des revenus.
A propos du RMI, je voudrais répondre à ceux qui contestent inlassablement la
portée du « I » de RMI...
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Eh oui !
M. Bernard Cazeau.
... et mettre l'accent sur une évolution intéressante concernant l'insertion.
En effet, selon une enquête récente, un tiers des allocataires sortent du
dispositif après six mois, et la moitié après un an. Certes, il s'agit très
souvent, d'après les statistiques, d'individus âgés de moins de vingt-neuf ans,
mais le fait mérite d'être souligné.
Il me paraît également nécessaire d'associer le travail important des
départements dans la part prise dansl'insertion de ces publics.
Le problème reste la chronicité importante de certains RMIstes de longue durée
- ceux que vous appelez, monsieur le rapporteur pour avis, « le noyau dur »
-,...
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Eh oui !
M. Bernard Cazeau.
... qui ont du mal, malgré un accompagnement social individualisé fort, à se
réinsérer dans l'emploi.
Les crédits de l'allocation aux adultes handicapés connaîtront un
accroissement de 781 millions de francs, soit une progression, cette année, de
3 %, portant la dotation à 25,55 milliards de francs.
A ce sujet, je salue votre volonté, madame la secrétaire d'Etat, ainsi que
celle de Mme Martine Aubry, de poursuivre l'intégration des personnes
handicapées dans la société à tous les âges et dans toutes les situations, plus
particulièrement, d'ailleurs, pour ceux qui présentent les handicaps les plus
pénalisants.
Tous budgets confondus, des actions nouvelles pour 1,1 milliard de francs
seront mises en place en 2000 pour toutes les formes de handicap, que ce soit à
travers la prise en charge par les CAT, les MAS, les FDT, sans compter les
handicaps spécifiques, tels que ceux qui concernent les autistes et les
traumatisés crâniens, ou que ce soit à travers l'intégration des handicapés
dans le milieu scolaire, dans le monde du travail ou dans l'autonomie de vie à
domicile.
Bref, c'est la poursuite d'un plan pluriannuel 1999-2003 qui, à terme, doit
aboutir à la création de 16 500 places nouvelles dans les établissement
spécialisés.
Cependant, malgré des efforts notables dans la politique en faveur des
handicapés, certains progrès restent à accomplir en ce qui concerne tant
l'intégration en milieu de vie ordinaire que la prise en charge des personnes
handicapées vieillissantes.
A cet égard, la réforme de la loi de 1975 est devenue urgente afin de répondre
aux besoins nouveaux.
La deuxième grande priorité de ce budget concerne la sécurité sanitaire et le
renforcement des politiques de santé. Il s'agit là de deux priorités bien
lisibles. En effet, le poste « santé », qui regroupe les agences sanitaires et
la santé publique, s'élève à 4 milliards de francs, soit une hausse de 4,9 %
par rapport à l'année dernière.
Nous nous attacherons successivement, à travers ces deux priorités, aux
agences de sécurité sanitaire et à quelques éléments spécifiques de la
politique de santé publique.
Avec un budget de 495,3 millions de francs, soit 156 millions de francs
supplémentaires, on assiste à une véritable montée en charge des agences de
sécurité sanitaire.
Les trois agences nouvellement créées, à savoir l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé, l'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments et l'Institut de veille sanitaire, se répartissent ainsi 300 millions
de francs.
D'aucuns feront la fine bouche en critiquant l'origine et la répartition de
leurs ressources. Il n'en reste pas moins que les 109 millions de francs de
crédits nouveaux devraient leur donner une véritable bouffée d'oxygène.
Les crédits restants sont affectés aux établissements préexistants, tels que
l'OPRI, l'Etablissement français des greffes et l'Etablissement français du
sang, ainsi qu'à l'ANAES qui, grâce à 16,2 millions de francs supplémentaires,
pourra, nous l'espérons très fortement, atteindre sa vitesse de croisière.
Concernant les politiques de santé publique, les orientations tournées vers la
prévention sont non seulement renforcées - 149 millions de francs soit prévus à
cet effet - mais aussi clarifiées grâce à un effort de ciblage et de cohérence
en faveur des différentes interventions.
Notons, dans la lutte contre les fléaux sanitaires, une augmentation des
crédits de 6,3 % pour la lutte contre les pratiques addictives, dont 2 millions
de francs pour la formation au sevrage tabagique et 5 millions de francs pour
la prévention de l'alcoolisme, tandis que la mission interministérielle de
lutte contre la drogue et la toxicomanie reçoit une subvention nouvelle d'un
montant de 81,1 millions de francs.
Notons ensuite la réaffirmation de la dimension régionale, à travers la
dotation supplémentaire aux observatoires régionaux et un crédit complémentaire
de 3,2 millions de francs pour les politiques régionales de la santé.
Notons enfin la volonté de modernisation des offres de soins, qui doit passer
par l'amélioration des crédits affectés au fonctionnement des ARH et au travail
qu'elles font sur les SROS ainsi que la montée en charge des crédits en faveur
du FIMHO, le Fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux : 200
millions de francs d'autorisations de programme et 265 millions de francs de
crédits de paiement, soit une augmentation de 115 millions de francs, sont
prévus. Cette augmentation est notamment destinée à prendre en compte le retard
pris dans la montée en charge du FIMHO. En effet, les crédits ne sont pas
consommés au rythme où ils devraient l'être, puisqu'une grande partie des
dossiers présentés par les ARH ne sont pas recevables.
En vue de remédier à cette situation non satisfaisante, il pourrait être
opportun de prendre en compte les recommandations faites par la Cour des
comptes à cet égard et d'améliorer le fonctionnement de la procédure instituée
pour la sélection des dossiers.
Globalement, on peut cependant se féliciter que le Gouvernement axe les
orientations de notre système de santé vers une approche plus préventive que
curative.
La troisième grande priorité concerne le renforcement des moyens humains du
ministère.
Il s'agit d'une priorité constante. Comme pour le secteur de l'emploi, le
budget de la santé et de la solidarité pour 2000 poursuit et amplifie les
mesures obtenues en 1998 et 1999.
Outre la hausse très notable des crédits, madame la secrétaire d'Etat, ce
budget apporte une autre satisfaction. Au-delà de la seule logique de moyens,
il a le mérite de s'inscrire également dans une logique d'objectifs, traduisant
une politique cohérente de santé publique.
Nous voterons donc les crédits qui vous sont attribués pour 2000.
Avant de terminer, je souhaiterais attirer votre attention sur deux points.
Le premier concerne la couverture maladie universelle : il ne s'agit pas ici
de refaire le débat, mais de répondre à deux questions. D'une part, s'agissant
de la critique d'atermoiement faite au Gouvernement sur la parution des décrets
d'application, pouvez-vous nous préciser, madame, le calendrier de sa mise en
oeuvre, dans le cas, bien sûr, où elle serait retardée ? D'autre part,
serait-il possible d'obtenir des précisions sur le contenu du panier de soins,
en ce qui concerne plus particulièrement l'optique et les prothèses dentaires ?
En effet, les niveaux prévus à ce jour nous paraissent notablement
insuffisants.
Le second point sur lequel je souhaite attirer votre attention, madame la
secrétaire d'Etat, a trait à la mise en place de la nouvelle tarification des
établissements accueillant des personnes âgées, qui doit substituer au
mécanisme précédent une tarification prenant en compte le degré de dépendance
des personnes âgées hébergées. Si elle a le mérite d'instaurer une vérité des
coûts, de définir qui finance quoi, d'insister sur l'exigence de qualité dans
l'accueil et la prise en charge des personnes âgées, ce dont nous ne pouvons
que nous féliciter, elle n'est pas sans poser des problèmes, dont certains sont
peu acceptables.
Faute d'un financement adéquat, il en résulte un renchérissement des coûts.
Mais, ce qui est plus grave, c'est que la vérité des coûts se traduit dans ces
établissements par des augmentations substantielles de frais à la charge des
résidents ou de leur famille.
Ainsi, d'après les premières simulations réalisées dans mon département, mais
qui tendent à se vérifier dans bien d'autres, il en résulterait, en moyenne,
une charge supplémentaire de 50 francs par jour, soit 1 500 à 2 000 francs par
mois pour les personnes les plus handicapées. En outre, et toujours aux termes
de ces simulations, il apparaît que les personnes les moins dépendantes
paieront moins, autrement dit, les personnes en meilleure santé seront
favorisées par rapport aux personnes lourdement dépendantes.
Cette situation quelque peu complexe, madame la secrétaire d'Etat, mériterait
d'être réétudiée et clarifiée. Nous espérons que ce sera le cas dans les mois
qui viennent.
M. le président.
La parole est à M. Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
budget de la santé et de la solidarité me donne l'opportunité de vous
entretenir de la couverture sociale des 1 800 000 Français qui vivent hors de
nos frontières et dont je suis un des représentants.
Je ferai très rapidement un bref rappel historique de cette couverture
sociale, notamment en ce qui concerne l'assurance maladie et les accidents du
travail.
La commission Bettencourt, qui porte le nom de notre ancien collègue, s'était
penchée, dès 1976, à la demande des entreprises françaises envoyant du
personnel à l'étranger, sur une couverture sociale étatisée en leur faveur. De
ces travaux auxquels j'avais participé, est issue la loi du 31 décembre 1976
instaurant une couverture maladie-maternité, accidents du travail et maladies
professionnelles au bénéfice des salariés expatriés.
Elu sénateur en 1977, j'ai proposé et obtenu l'extension de cette couverture
sociale aux non-salariés et aux pensionnés français. Ce texte avait été adopté
à l'unanimité par le Sénat.
Le 13 juillet 1984, M. Bérégovoy, alors ministre des affaires sociales, a
étendu par un texte, dont j'avais été le rapporteur, cette couverture sociale à
tous les Français expatriés. Aux termes de ce texte, la caisse de sécurité
sociale des Français de l'étranger devenait autonome et était dotée d'un
conseil d'administration comprenant vingt et un membres, dont dix-huit membres
élus par le Conseil supérieur des Français de l'étranger - expression du
suffrage universel direct de nos compatriotes - deux membres représentant le
MEDEF et un la Mutualité française. La tutelle est également représentée au
sein de ce conseil d'administration, madame le secrétaire d'Etat, puisque y
siègent des représentants de votre ministère et de ceux du budget et des
affaires étrangères, ainsi que des représentants de la caisse d'assurance
vieillesse et du personnel.
Si le Conseil supérieur des Français de l'étranger avait été retenu comme
corps électoral, c'est parce que, à l'époque, une étude avait montré
qu'organiser des élections dans les cent quarante pays où sont installés les
assujettis était tout à fait impossible. La loi Bérégovoy en avait décidé
ainsi.
Depuis cette époque, mes chers collègues, de nombreux amendements sont venus
améliorer les textes en vigueur.
Quelle est, madame le secrétaire d'Etat, après vingt-et-un ans d'existence, la
situation de cette caisse de sécurité sociale des Français à l'étranger ?
J'ai l'honneur de présider cette caisse, dont le conseil d'administration est
actuellement réuni à son siège social. Je l'ai quitté il y a très peu de temps
et je le regagnerai après cette intervention.
Cent vingt mille Français sont couverts dans le monde par cette caisse de
sécurité sociale. Ses finances sont saines et elle a la réputation de répondre
rapidement aux besoins des expatriés. Elle doit faire face à la concurrence
redoutable d'organismes privés, qu'ils soient français ou étrangers, le plus
souvent des compagnies d'assurance.
Il s'agit d'un régime volontaire, c'est-à-dire non obligatoire, qui offre donc
aux représentants de nos entreprises françaises à l'étranger, à la carte, un
système de couverture sociale, qui n'est pas celui de la sécurité sociale mais
qui peut leur convenir.
Au point où nous en sommes, madame le secrétaire d'Etat, tout est-il parfait
au sein de cette caisse de sécurité sociale des Français de l'étranger ?
Eh bien, je vous répondrai par la négative, car un débat récurrent déjà ancien
agite son conseil d'administration, et plus largement le Conseil supérieur des
Français de l'étranger, qui est l'organisme consultatif de nos compatriotes
expatriés ainsi que les associations représentatives de ces derniers.
Ce débat, il faut que nous tentions, madame le secrétaire d'Etat, de le
trancher.
Deux thèses s'affrontent.
La première est celle de la majorité du conseil d'administration de la caisse
et du Conseil supérieur des Français de l'étranger. Elle rappelle que la caisse
des Français de l'étranger est une caisse d'assurance volontaire, soumise à la
concurrence redoutable d'organismes privés, qu'elle doit assurer son équilibre,
qu'elle ne bénéficie d'aucune aide de l'Etat, et qu'elle a fait dans le passé
un effort important pour instaurer plus de justice sociale.
Elle rappelle également que, à deux reprises, elle a diminué le taux de ses
cotisations, ce qui est rare en matière de sécurité sociale, qu'elle a étendu
sa couverture aux non-salariés et aux pensionnés, deux régimes fortement
déficitaires, que la loi Bérégovoy a créé deux catégories de cotisants, l'une
cotisant au plafond de la sécurité sociale, l'autre aux deux tiers de ce
plafond ; enfin, qu'un nouveau texte a créé une troisième catégorie de
cotisants ne cotisant qu'à la moitié du plafond de la sécurité sociale.
En outre, au sein de cette caisse, a été créé un fonds d'action sanitaire et
sociale qui aide beaucoup de gens en difficulté, et un certain nombre de
mesures importantes ont été prises au bénéfice de nos compatriotes résidant
dans des pays en proie à des guerres civiles ; je pense notamment à l'Afrique,
et plus particulièrement au Zaïre et au Congo, mais aussi, plus récemment, à la
Bosnie.
J'ajoute que, pendant deux ans, la caisse a accompagné la dévaluation du franc
CFA au profit de nos compatriotes vivant dans les zones concernées.
En bref, la petite caisse des Français de l'étranger ne peut pas couvrir toute
la misère des Français de l'étranger, et ce n'est pas sa vocation. D'ailleurs,
madame le secrétaire d'Etat, ma collègue Mme Cerisier-ben Guiga, s'est vu
confier par Mme Aubry une mission consistant à examiner la situation de nos
compatriotes en extrême difficulté. Telle est la première thèse.
La seconde thèse est celle de la minorité du conseil d'administration de la
caisse et du Conseil supérieur des Français de l'étranger. Aux termes de
celle-ci tout cela n'est pas suffisant, et elle préconise de créer une
quatrième catégorie de cotisants, de déplafonner la première catégorie qui
cotise au plafond de la sécurité sociale, de puiser dans les réserves
techniques qui sont constituées pour les accidents du travail et les maladies
professionnelles et de faire appel à l'aide de l'Etat. En bref, la caisse
devrait s'ouvrir aux plus défavorisés, et si elle devenait déficitaire - ce qui
n'est pas son cas depuis sa création - après tout, cela ne serait pas un drame
!
Alors, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous rappeler ce que
votre ministère a fait, avec raison, pour essayer de cerner la situation
précise de cette caisse.
Nous avons d'abord eu droit à un audit de l'inspection générale du ministère
des affaires sociales du mois de juin et au mois de décembre 1998. Quelles sont
ses conclusions ?
Je cite son rapport : « Ces évaluations conduisent la mission de l'IGAS à
conclure sur ce point que les réserves techniques sont à leur niveau actuel, à
la fois nécessaires et suffisantes, et qu'elles ne doivent en aucun cas servir
à gager des dépenses nouvelles de la caisse. La prudence s'impose quant à une
utilisation éventuelle des cotisations, s'agissant d'une caisse où
l'affiliation n'est pas obligatoire. Une telle mesure risquerait à terme de
compromettre l'équilibre de la caisse, voire sa pérennité - il s'agit de son
ouverture à une catégorie de cotisant beaucoup plus large. Elle aurait des
conséquences sociales défavorables, spécialement pour les cotisations de
troisième catégorie et pour les pensionnés.
« Sur l'idée que les adhérents de la troisième catégorie, ceux qui cotisent à
la moitié du plafond de la sécurité sociale, sont moins consommateurs de soins,
les tendances actuelles observées sont plutôt contraires.
« La caisse des Français de l'étranger est une caisse de taille modeste, mais
qui gère de façon autonome des contraintes importantes et inhabituelles.
« La caisse doit faire face aux conséquences de son autonomie.
« La caisse est financée par ses propres cotisations à l'exclusion de tout
lien financier avec d'autres régimes d'assurance maladie et doit assurer seule
l'équilibre de ses dépenses et de ses recettes, alors même que la permanence de
ses adhérents n'est pas garantie.
« Malgré cette fragilité constitutive, la caisse des Français de l'étranger a
su évoluer de façon positive tout en favorisant, par solidarité interne,
l'accès de catégories de Français expatriés plus nombreuses et moins
favorisées. »
En résumé, madame le secrétaire d'Etat, vous le voyez, ce rapport conclut
qu'une grande prudence doit être observée au sujet de cette caisse d'importance
moyenne soumise à des risques importants qui peuvent la désé-quilibrer.
La caisse des Français de l'étranger - à son grand bonheur ! - vient de
bénéficier d'un contrôle approfondi du CODEC de Seine-et-Marne, le comité
départemental d'examen des comptes des organismes de sécurité sociale, auquel
s'étaient joints les services financiers du ministère du budget. Ce contrôle
s'est déroulé du mois de juin au mois de septembre 1999.
Que dit le rapport du CODEC dont nous venons d'avoir connaissance ? « La
caisse des Français de l'étranger depuis sa création présente un bilan positif.
Cette caisse autonome de sécurité sociale demeure dans l'obligation de
préserver son équilibre financier, parce qu'elle ne bénéficie pas des aides
compensatoires de l'Etat. »
L'IGAS précise : « Un agent chargé de la communication serait nécessaire pour
l'enjeu qui est le sien. »
Le CODEC de Seine-et-Marne affirme que « la tenue de la comptabilité est
assurée de façon globalement satisfaisante ». L'IGAS dit : « La gestion
financière et de trésorerie réalisée n'appelle pas de commentaire particulier »
et elle conclut en émettant un avis favorable avec recommandations sur
l'approbation des comptes qui sont présentés par l'organisme.
Autrement dit, madame le secrétaire d'Etat, le contrôle du CODEC vient
confirmer en de très nombreux points les conclusions du rapport de l'inspection
générale du ministère des affaires sociales.
A la suite de ce rapport du CODEC, vos services ont demandé à la caisse des
Français de l'étranger des précisions complémentaires sur les différentes
branches et sur l'équilibre des comptes.
Notre direction a répondu aux questions qui lui ont été posées.
Vous avez ensuite souhaité que nous fassions vérifier par un actuaire d'une
compagnie d'assurance les réserves de notre caisse de sécurité sociale. Nous
vous avons demandé, madame, de nous fournir une liste d'actuaires. Vos services
l'ont fait et nous avons choisi le premier de la liste, à qui nous avons confié
une mission. Il a rendu son rapport il y a quelques jours.
Que dit cet actuaire dans son rapport ? « Les entreprises d'assurance se
protègent contre les conséquences de catastrophes par les réassurances. La
réassurance n'étant pas prévue pour les caisses de sécurité sociale, la caisse
des Français de l'étranger devrait faire face, seule, aux conséquences de tels
événements. »
Cet état des lieux montre que les règles de fonctionnement de la caisse des
Français de l'étranger ne sont pas adaptées sur ce point.
Au terme du rapport que l'actuaire présentera demain devant le conseil
d'administration, « il ressort de l'examen que le niveau des réserves de la
caisse des Français de l'étranger est insuffisant, compte tenu, d'une part, des
engagements qu'elle a contractés, et, d'autre part, des contraintes de
fonctionnement qui lui sont imposées. »
Je constate donc, madame le secrétaire d'Etat, que, contrairement à ce qui a
été dit par certains, les réserves de la caisse des Français de l'étranger,
pour faire face aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, pour
faire face à des explosions sur des plates-formes pétrolières sont
insuffisantes. Imaginez l'ampleur des responsabilités de notre caisse quand des
accidents d'une telle gravité se produisent !
Je vous interroge donc aujourd'hui, madame le secrétaire d'Etat : ce débat
récurrent entre la première thèse et la seconde, que je vous ai exposé, doit-il
continuer ? Pour une caisse qui est soumise à une concurrence vis-à-vis
d'organismes privés, franchement, je ne le pense pas.
Personne ne le conteste, tous les rapports indiquent que la caisse des
Français de l'étranger est soumise à une concurrence redoutable de la part
d'organismes privés qui, bien entendu, ne sont pas là pour nous faire des
cadeaux.
Mme Aubry a exprimé, à plusieurs reprises, ici même, au Sénat, le souhait que
l'équilibre de la caisse soit respecté. Elle m'a indiqué que nous n'avions pas
à attendre d'aide particulière de l'Etat en ce domaine. Dès lors, madame le
secrétaire d'Etat, devons-nous rester figés ? Nous le pourrions, compte tenu
des rapports qui viennent d'être élaborés.
Mais j'ai interrogé hier soir les membres de la majorité de mon conseil
d'administration. Je leur ai fait part de tous les contrôles qui sont
intervenus ainsi que de tous les audits dont nous avions pu avoir connaissance.
Et je suis en mesure de vous dire aujourd'hui que, comme dans le passé - je
vous ai donné la liste des avancées en matière sociale qui ont été réalisées au
sein de cette caisse - ils ne sont pas figés.
Le président que je suis ne l'est pas davantage. Je l'avais réaffirmé lors de
la suspension de la rétroactivité en 1998.
Il est donc temps, madame le secrétaire d'Etat, et c'est la proposition que je
présenterai demain au conseil d'administration de la caisse des Français de
l'étranger, d'élargir la troisième catégorie de cotisants qui paient
actuellement leur quote-part à concurrence de 50 % du plafond de la sécurité
sociale à de nouveaux cotisants qui cotiseraient à 40 % du plafond de la
sécurité sociale si leurs revenus sont inférieurs au tiers dudit plafond,
c'est-à-dire sont à peu près à un tiers en dessous du SMIC.
Si le conseil suit ma proposition, ce sera une avancée importante vis-à-vis de
nos compatriotes français. Nous avons fait nos calculs et je suis en mesure de
vous dire qu'avec cette proposition notre caisse serait juste en équilibre.
Elle n'enregistrerait plus le moindre excédent.
Il va donc falloir que nous renforcions les contrôles sur des branches
déficitaires, comme celle des non-salariés. Il faudra aussi que vos services
nous aident pour réaliser ces contrôles.
Mais, madame le secrétaire d'Etat, si nous arrivons à mettre ce système au
point, nous parviendrons à maintenir à nos compatriotes français qui vivent à
l'étranger, qu'ils travaillent pour de grandes entreprises ou pour de petites
et moyennes entreprises, une couverture sociale sans déplafonner les
cotisations de ceux qui appartiennent à la première catégorie. Nous le ferons
également pour nos compatriotes qui sont installés à titre individuel.
Vous savez comme moi le rôle qu'ils jouent les uns et les autres pour notre
pays, pour l'exportation de la France. Si nous réussissons, nous repartirons de
l'avant. C'est le souhait que j'exprime devant vous aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, tout
observateur qui se limiterait à un examen rapide des évolutions nominales des
crédits de votre ministère ne pourrait que se réjouir de la forte progression
de ce budget, et ce, d'autant plus que, s'articulant autour de deux volets,
l'un relatif au développement social, l'autre à l'intégration et à la lutte
contre l'exclusion, il pourrait penser que ce budget affiche une réelle volonté
gouvernementale de combattre l'exclusion.
Cependant, en observant le contenu de ce budget, on s'aperçoit que ce dernier
reste, en réalité, très ciblé. En effet, la hausse des crédits est due
principalement à la mise en place de la couverture maladie universelle.
Or, permettez-moi de le redire, madame la secrétaire d'Etat, la CMU, avec
l'effet de seuil totalement inégalitaire qu'elle instaure, laissera de côté des
personnes, pour quelques centaines de francs. Elle plongera ces personnes dans
une exclusion réelle, puisque celles-ci ne pourront plus bénéficier des aides,
notamment médicales, précises et adaptées auxquelles elles pouvaient prétendre
jusqu'à présent.
Il est vrai cependant que vous allez revaloriser les minima sociaux.
En revanche, en matière de prise en charge des personnes handicapées ou
inadaptées, d'hébergement d'urgence des plus démunis, d'insertion des
handicapés en milieu ordinaire, domaines où les besoins sont énormes, force est
de constater que, malheureusement, le présent budget ne suffira pas.
Je ne retiendrai, à ce titre, qu'un exemple, celui des personnes handicapées,
bien qu'il ait déjà été abordé par notre collègue M. Cazeau.
En effet, dans ce domaine, si les perspectives budgétaires pour 2000 sont
plutôt encourageantes, il n'en demeure pas moins que bien des problèmes restent
posés.
Ces personnes connaissent de réelles difficultés quant à leurs ressources, à
leur prise en charge et à leur intégration en milieu ordinaire. Pourtant, vous
les avez exclues dans leur grande majorité du bénéfice de la CMU, parce
qu'elles perçoivent l'allocation aux adultes handicapés et que, dépassant de
peu le seuil couperet que j'évoquais il y a un instant, elles en seront
privées.
Croyez-vous vraiment pouvoir désormais convaincre ces personnes de votre
volonté de résoudre les difficultés auxquelles elles sont confrontées ? Moi,
j'en doute, d'autant plus que vous avez encore repoussé, comme vous l'aviez
fait en 1998, la réforme de la loi de 1975 sur les institutions sociales et
médico-sociales, réforme que votre Gouvernement avait promis d'engager dès
1997.
La rénovation de cette loi devient urgente car ce texte permettrait de
répondre aux besoins des personnes handicapées et de soulager l'anxiété de
leurs familles.
J'aimerais à présent éclaicir avec vous un point sur lequel je vous avais posé
une question écrite qui est malheureusement restée sans réponse : celui de la
confusion qui règne actuellement entre les personnes handicapées et les
personnes en situation précaire.
Il semble que, pour ces personnes marginalisées en raison d'une perte de
revenu ou de logement, la réponse sociale emprunte aujourd'hui les mêmes
circuits que ceux qui sont prévus pour les personnes handicapées. Ainsi ces
personnes en difficulté sont-elles de plus en plus nombreuses à être reconnues
par la COTOREP en tant que travailleurs handicapés. Il en est de même pour le
versement de l'AAH qui est accordée de plus en plus fréquemment à des chômeurs
de longue durée ou à des personnes en difficulté qui ne souffrent pourtant pas
d'un handicap physique ou mental.
Cette confusion, qui n'est pas sans conséquence sur le budget de l'Etat, est
particulièrement préjudiciable pour les personnes handicapées. ll serait donc
souhaitable d'éviter cet amalgame, de prendre les mesures nécessaires pour
clarifier l'attribution des aides qui leur sont destinées et d'adopter des
mesures spécifiques pour apporter des solutions aux problèmes des personnes en
situation précaire.
Un autre problème se pose : celui du vieillissement des personnes
handicapées.
Le handicap ne disparaît pas avec l'âge, bien au contraire. Pourant, dès que
les personnes handicapées atteignent l'âge de soixante ans, la plupart d'entre
elles cessent de bénéficier de l'aide sociale aux personnes handicapées pour
relever de l'aide sociale aux personnes âgées. Ce changement n'est pas anodin,
qu'il s'agisse notamment de la rente de survie et de l'obligation alimentaire.
C'est pourquoi il est urgent, comme vous le réclament tout les mouvements
associatifs, d'élaborer des mesures qui répondent aux attentes tant des
personnes âgées que des personnes handicapées âgées.
Afin d'éviter toute discrimination entre ces personnes, ne pourriez-vous
envisager de moderniser le dispositif d'aide sociale aux personnes âgées, tout
en préservant celui qui s'applique aux personnes handicapées ?
Enfin, pour terminer mon propos, je m'attarderai un instant sur la
scolarisation des enfants et des adolescents handicapés, qui, malgré les vingt
mesures annoncées par Ségolène Royal, ne bénéficient pas tous de ce qui leur
est essentiel.
En effet, les structures d'accueil de ces enfants et les moyens de transport
et de locomotion sont insuffisants.
En matière de soutien scolaire, ces enfants, plus encore que les autres, ont
besoin d'équipements, notamment informatiques, spécifiques. On en est loin !
Or, vous le savez, la scolarisation de ces enfants, si elle était améliorée,
permettrait d'accroître de manière considérable leurs chances d'insertion
professionnelle et sociale.
Aussi pouvez-vous nous donner des précisions sur les échéances de financement
de ces projets en liaison avec le ministère de l'éducation nationale ?
Madame la secrétaire d'Etat, dans beaucoup trop de cas encore, les familles
des personnes handicapées ont le sentiment d'être dans des situations de
non-droit, notamment, je vous l'ai dit, quand leur enfant ne peut être
scolarisé en milieu ordinaire, quand un adolescent n'a jamais bénéficié de
l'enseignement d'un instituteur ou quand le statut d'une personne âgée proche
reste incertain.
Toutes mes interrogations, vous le comprendrez, correspondent à des situations
pénibles pour les familles et attendent des réponses concrètes qui, si elles ne
peuvent être immédiates, méritent néanmoins votre attention.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet.
Monsieur le président, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues,
c'est en ma qualité de président de la commission de l'alimentation du Conseil
de l'Europe que j'interviens aujourd'hui dans ce budget de la santé pour
aborder la question de l'alimentation, question d'actualité, s'il en est une,
brûlante, mais aussi permanente.
Mon intervention pourrait se résumer en deux phrases, deux expressions qui ne
sont pas que boutades : « On creuse sa tombe avec sa fourchette. » et : «
L'alimentation est notre première médecine. » En effet, la politique de la
santé et celle de l'alimentation sont indéfectiblement liées.
S'agissant de la politique de la prévention, votre budget, madame le
secrétaire d'Etat, est en augmentation très sensible - titre IV, chapitres 10
et 20 - ce qui est une bonne nouvelle, bien que le détail des actions ne
précise pas quels fonds seront affectés à la politique d'éducation en matière
d'alimentation ; je veux parler d'éducation nationale pour les jeunes, mais
aussi de la campagne d'information et d'éducation pour le grand public.
En cette matière, les études sont multiples et vont toutes dans le même sens.
Il en est ainsi pour les aliments fonctionnels. Les actes du colloque sur les
aliments fonctionnels, organisé récemment par le Conseil de l'Europe, nous
fournissent des renseignements très éclairants. On dispose aujourd'hui de
données précises concernant l'impact de l'alimentation sur la santé.
Chaque année, des dizaines de milliers de personnes meurent d'un cancer. On
estime que de 30 % à 40 % de ces décès auraient pu être évités grâce à des
mesures diététiques. De même, des dizaines de milliers de personnes meurent des
suites de maladies coronariennes et des dizaines de milliers d'autres de
maladies cardio-vasculaires. On assure que 30 % de ces décès auraient pu être
également évités au moyen de mesures diététiques.
Par ailleurs, on enregistre une augmentation du nombre de cas de surpoids ou
d'obésité. Entre 1980 et 1993, le pourcentage d'obèses est passé de 39 % à 56 %
pour les hommes et de 32 % à 46 % pour les femmes. Plus grave encore, le
pourcentage d'enfants et d'adolescents qui sont menacés par des surcharges
pondérales est en progression. L'obésité est donc un facteur de risques
supplémentaires pour plusieurs maladies.
Tout cela rend l'alimentation importante et incite tout particulièrement à
s'intéresser aux messages liant alimentation et santé.
Les messages liés à la santé doivent être en accord avec les conseils,
généralement acceptés, concernant l'alimentation saine et avec les lignes
directrices en matière de diététique. Ces messages ont d'ailleurs fait l'objet
de très sérieuses publications, comme, par exemple, le Guide national de
l'alimentation au Royaume-Uni. Je pense que nous pourrions faire aussi bien en
France.
L'ingestion d'un produit qui prétend faire baisser les taux de cholestérol ou
préserver la bonne santé de votre coeur ne servira à rien si, par ailleurs,
votre régime comporte de nombreux aliments à forte teneur en matières grasses
et en sel.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
C'est vrai !
M. Daniel Goulet.
Ce qui est inquiétant, c'est qu'à force de mettre en avant les effets
bénéfiques que tel ou tel aliment peut avoir sur la santé les gens risquent
d'oublier les mesures simples qui permettent de rester en bonne santé : en
fait, il suffit d'avoir un régime équilibré et de bonnes habitudes
alimentaires.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Et faire de l'exercice aussi !
M. Daniel Goulet.
Si l'on met en avant les effets positifs des produits alimentaires sur la
santé, effets qui pourraient presque tous être obtenus au moyen d'un régime
sain et équilibré, et que ces promesses ne sont pas contrôlées ni replacées
dans le contexte de la vie réelle, il est à craindre qu'à trop vouloir
améliorer leur état physique les consommateurs n'en viennent à compromettre
leur propre santé et celle de l'économie nationale, en accroissant les dépenses
du système de santé.
De la même façon, le président d'une commission en charge de l'alimentation de
41 pays d'Europe devrait se féliciter de la création de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments. Pourtant, la création et le fonctionnement de
cette agence me laissent perplexe et interrogatif. Nous en avons eu la
démonstration toutrécemment.
En effet, à l'heure de la grande Europe, cette Agence nationale était-elle
nécessaire ou répondait-elle à un besoin politique face aux interrogations et
aux inquiétudes de la population en proie à la crise de la dioxine et de la
sécurité alimentaire en général ?
Mon interrogation porte sur les moyens de contrôler non pas les acteurs, mais
les structures mises en place.
En effet, en matière de sécurité alimentaire, de très nombreux organismes sont
chargés d'études et de travaux en tous genres.
Comment collationnez-vous les résultats de ces travaux et des recherches ?
Comment coordonnez-vous les différents intervenants et organismes en charge,
de façon totale ou partielle, de cette question ?
Comment se fait l'articulation entre le ministère de la santé et celui de
l'agriculture ?
Comment allez vous concilier les travaux de l'Agence française avec ceux de
l'Agence européenne préparée par M. Prodi et ceux de l'Agence mondiale, dont la
création est envisagée ?
Madame le secrétaire d'Etat, la seule chose qui importe est, pour moi comme
pour nos concitoyens, la sécurité des aliments.
La seule préoccupation du législateur, comme celle du Gouvernement, est
d'organiser non pas des structures de réflexion, encore moins des structures
qui réglementent, mais des structures de contrôles efficaces et des structures
capables de sanctioner non pas à l'échelle nationale, mais à l'échelle d'une
Europe qui compte déjà, dans son Conseil, quarante et un pays.
Certes, cette Europe n'est pas celle qui est rèvée et prônée par M. Attali.
C'est celle qui existe déjà et qui travaille au sein de l'assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe.
L'essentiel, madame le secrétaire d'Etat, est le contrôle. Les réglementations
sont bien assez nombreuses. De plus, dans certains pays, pourtant membres de
l'Union, leur application est sujette à quelques variations qui ne manquent pas
de nous interpeller.
Ainsi, en Grèce - je l'ai vérifié - l'associé majoritaire d'un élevage de
porcs - élevage qui n'est en rien comparable en qualité à ceux qui existent
dans une région que je connais bien - est aussi le vétérinaire qui délivre les
autorisations sanitaires !
C'est donc vers l'éducation et le contrôle qu'il faut plus particulièrement
diriger vos actions et, cette fois, la formule suivante n'a jamais trouvé
meilleure application : il vaut mieux prévenir que guérir. Tout naturellement,
chacun de nous pense alors aux personnes en particulier, mais rien n'interdit
de penser également aux comptes, et plus précisément à l'équilibre des comptes
de la sécurité sociale !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Péry, secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les
sénateurs, je souhaite vous présenter ce projet de budget en quelques points
synthétiques.
Je commencerai par vous faire part de ma satisfaction devant son augmentation
de 24,27 %, qui marque une réelle volonté de l'ensemble du Gouvernement de
faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes.
En 1999, ce budget avait déjà progressé fortement. En effet, aux 80 millions
de francs de la loi de finances - qui marquaient déjà, je le rappelle, une
augmentation de 11,5 % par rapport à l'année précédente - se seront ajoutés 20
millions de francs de crédits de communication du ministère de l'emploi et de
la solidarité pour financer la prochaine campagne sur la contraception.
Cette année, les 100 millions de francs de crédits d'intervention pour 2000
consolident cette progression budgétaire.
Ce budget d'intervention en faveur de l'égalité hommes-femmes sera triplé par
l'intervention du fonds social européen. En effet, les politiques qui visent à
garantir l'égalité entre les hommes et les femmes, et à favoriser l'insertion
des femmes dans le monde du travail, sont éligibles au FSE. Le partenariat que
j'ai engagé avec l'ensemble des ministères concernés va donc nous permettre de
mobiliser 200 millions de francs du fonds social européen et ainsi de tripler
le budget propre aux droits des femmes. C'est une avancée d'autant plus
significative que nous ne disposions que de 4 millions de francs en 1999.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2000, l'Assemblée nationale
a adopté un amendement destiné à créer une nouvelle annexe budgétaire. Ce «
jaune » permettra de mettre en évidence l'ensemble des crédits destinés à
promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes. J'espère que vous
soutiendrez cette transparence budgétaire.
Schématiquement, le budget relatif aux droits des femmes se construit autour
de trois axes.
Le premier axe est celui de l'accès aux droits, qui mobilise environ la moitié
du budget. Il recouvre l'information des femmes, notamment en matière de santé
et de contraception, la lutte contre les exclusions et la participation des
femmes à tous les domaines de la vie sociale. Cette mission est essentiellement
assurée par le secteur associatif pour le compte de l'Etat.
Le Centre national d'information et de documentation des femmes et des
familles, ainsi que les centres départementaux qui assurent cette mission pour
le compte de l'Etat, font l'objet d'une évaluation par l'inspection générale
des affaires sociales. En effet, je souhaite évaluer les niveaux les plus
adéquats, les plus efficaces pour permettre cette action des associations aux
niveaux départemental, régional et national.
Le deuxième axe concerne l'égalité professionnelle, la formation, l'insertion
dans le monde du travail, et, pour ce poste très important, je mobilise 40 % du
budget.
L'augmentation des crédits permettra en particulier de développer les contrats
d'égalité avec les entreprises les plus innovantes, d'accompagner les femmes
créatrices d'entreprise ou d'aider celles qui ont des difficultés particulières
d'insertion.
Enfin, le troisième axe, qui mobilise 10 % des crédits restants, concerne les
violences. Le nombre de femmes battues, qui est de 2 millions, fait de ce
sujet, qui reste très tabou, un véritable problème social. Au-delà du budget
d'intervention, les crédits d'études du ministère seront mobilisés pour
financer une grande enquête sur les violences auprès de 7 000 femmes, dans
l'Hexagone et dans les départements d'outre-mer, enquête qui permettra de
mesurer l'ampleur du phénomène et les circonstances de ces violences afin de
mieux les combattre.
Telles sont les grandes lignes du budget relatif aux droits des femmes, tel
qu'il apparaît dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000. Il traduit
notre volonté de construire des actions concrètes par une approche transversale
globale de l'égalité entre les hommes et les femmes.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Gillot, secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous m'autoriserez à intervenir
un peu plus longuement que ma collègue Nicole Péry, car outre la présentation
du budget à laquelle je vais me livrer, je vais tenter de répondre à vos
questions de la manière la plus exhaustive possible.
J'ai donc l'honneur de présenter à votre Haute Assemblée, en mon nom et au nom
de Martine Aubry, les crédits de la santé et de la solidarité pour l'année
2000.
Je tiens, avant tout, à rappeler que ce budget complexe porte les priorités de
l'action de l'Etat dans les domaines de la lutte contre l'exclusion, de la
protection des populations les plus fragiles, de la santé publique et de la
sécurité sanitaire.
L'ampleur de la progression de ce budget - 13,3 %, soit 90,8 milliards de
francs en l'an 2000 - illustre avec force la place centrale de ces domaines
parmi les priorités du Gouvernement, comme de nombreux orateurs l'ont relevé,
même s'il faut, bien entendu, faire la part de l'extension de périmètre qui
résulte de l'inscription, pour 7 milliards de francs, de la subvention de
l'Etat au fonds de financement de la CMU.
A propos de cette dernière, il faudrait que vous vous mettiez d'accord,
messieurs. Ainsi, certains d'entre vous en critiquent le coût trop élevé - M.
le rapporteur spécial craint même que ses crédits n'augmentent encore en 2001
d'une manière non contrôlée - alors que d'autres, comme M. Leclerc, nous
reprochent des seuils trop bas, qui excluent un nombre important de personnes
dont ils estiment les revenus éligibles à une prise en charge des soins par la
solidarité nationale.
En fait, comme vous le savez, le seuil d'accès à la CMU résulte d'une
appréciation délicate du niveau de pauvreté, qui a fait l'objet d'un long
débat. Je ne pense pas qu'il faille regretter que l'AAH se situe au-delà de ce
seuil.
D'une façon générale, les personnes isolées titulaires de minima sociaux ne
sont pas dans le périmètre de la CMU.
Cela étant, votre remarque est opportune, monsieur le sénateur. Il faudra
surveiller les conditions dans lesquelles les personnes handicapées ou les
personnes âgées en établissement, par exemple, pourraient avoir à souffrir de
ce seuil. Cet aspect du problème sera pris en compte lors de la mise en oeuvre
de la CMU, qui fera l'objet d'un bilan à la fin de l'année 2000.
Au-delà de cette dépense, le budget de la santé et de la solidarité enregistre
une hausse de 3,64 milliards de francs, soit un taux de progression de 4,5 %,
ce qui porte à 9,7 % en deux ans la croissance à structure constante.
Cette croissance est justifiée par les grandes priorités que nous poursuivons
pour la troisième année, à savoir : financer les dispositifs de lutte contre
les exclusions conformément aux aménagements pris en 1998 ; assurer la montée
en charge des agences de sécurité sanitaire et améliorer l'efficacité des
politiques de santé publique ; enfin, renforcer les moyens du ministère.
L'effort budgétaire consacré à ces priorités est d'autant plus remarquable que
le propre de ce budget est qu'il n'offre pas de marges de redéploiement.
Contrairement au budget de l'emploi, qui réinvestit sur les grandes politiques
structurelles de développement de l'emploi les dividendes de la croissance, le
budget de la solidarité ne peut donner lieu à des économies. Au contraire, le
contexte économique favorable auquel nous participons renforce les attentes de
ceux qui restent sur le bord du chemin et qui regardent passer, avec beaucoup
de frustration, le convoi de ceux qui prospèrent.
C'est ainsi que, sur les 3,64 milliards de francs de progression des crédits
hors CMU que j'évoquais, 3,2 milliards de francs sont préemptés par l'évolution
des trois minima sociaux portés par le budget de la solidarité, à savoir le
RMI, l'allocation de parent isolé et l'allocation aux adultes handicapés. Nous
verrons que l'amélioration de la situation économique commence à infléchir la
tendance. Il reste, vous en conviendrez, que la marge nécessaire au financement
des priorités nouvelles est étroite.
J'en viens au budget de la solidarité, dont la masse est considérable avec
81,3 milliards de francs, dont 58,6 milliards de francs pour le RMI, l'API et
l'AAH.
Parmi les priorités de ce budget figurent les engagements du programme de
lutte contre les exclusions associé à la loi du 29 juillet 1998.
Tous ces engagements sont honorés, qu'il s'agisse de l'accompagnement social
individualisé, du renforcement des dispositifs de veille sociale et
d'hébergement, de l'extension des capacités des centres de formation de
travailleurs sociaux ou de l'abondement des fonds d'aide aux jeunes en
accompagnement du programme TRACE.
Ces dispositifs sont fortement articulés avec la politique de l'emploi : ils
se situent en amont de la démarche de retour à l'emploi, qui est au coeur des
dispositifs issus de la loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions. En effet, pour les personnes les plus démunies, pour les jeunes
très désocialisés, il faut surmonter bien des préalables avant de pouvoir
s'engager dans un parcours de retour ou d'accès à l'emploi durable.
Le rôle des dispositifs de lutte contre l'exclusion portés par le budget de la
solidarité est d'abord d'agir, très en amont, contre la formation des
exclusions, par le soutien à la parentalité, la protection des droits de
l'enfant et par le renforcement de l'appareil de formation des travailleurs.
Ces dispositifs ont ensuite pour rôle de lever les verrous sociaux, familiaux
et individuels qui font obstacle à l'entrée dans un parcours d'insertion.
Pour l'hébergement des personnes en déshérence, l'objectif est certes
d'accroître mais aussi de diversifier l'offre et les modalités d'accueil pour
les adapter à des besoins eux-mêmes divers et pour en faire un lieu de passage
vers la réinsertion et le logement autonome plutôt qu'un lieu de
stigmatisation. Cet effort d'adaptation de l'offre d'hébergement est
profondément inscrit dans l'esprit et la lettre de la loi d'orientation
relative à la lutte contre les exclusions, et nous y travaillons en permanence
en liaison avec M. Besson.
Il faut mentionner le rôle de l'accompagnement social individualisé, l'ASI, et
saluer au passage le travail remarquable des associations qui s'y consacrent.
L'ASI permet de débloquer des situations individuelles et sociales difficiles
et de remettre en selle les personnes en difficulté : 340 millions de francs de
moyens supplémentaires cumulés en deux ans y ont été consacrés.
Troisième outil pour lever les obstacles à l'insertion, les fonds d'aide aux
jeunes, qui apportent aux jeunes en grande difficulté l'aide matérielle
nécessaire pour faire la soudure entre les stages et les contrats qui ponctuent
leur parcours d'insertion ; 60 millions de francs supplémentaires leur sont
apportés par le budget 2000.
Enfin, il revient à l'Etat, responsable aux côtés des départements du volet
insertion du revenu minimum d'insertion, le fameux « I » du RMI, de renforcer
l'incitation à la reprise d'activité des bénéficiaires de l'allocation, comme
l'a justement rappelé M. Cazeau. A cet effet, la loi relative à la lutte contre
les exclusions a ouvert la possibilité de cumuler la prestation et les revenus
d'activité pendant un an, intégralement, puis partiellement. On estime à 16 %
en métropole la part des allocataires qui bénéficient de cet « intéressement
».
Cela m'amène à préciser mon propos initial sur l'évolution des effectifs du
RMI. L'année s'est conclue par une hausse de 3,8 % en métropole et de 4,1 % y
compris les départements d'outre-mer ; c'est la moins forte augmentation
observée depuis la mise en place du RMI, monsieur Chérioux.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
C'est normal, en période d'expansion !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Pour la première fois, les entrées ont baissé en
métropole de 4,4 %, alors quelles augmentaient de 6 % en 1997 ; les sorties, en
revanche, se maintiennent à un tiers des effectifs, du moins en métropole.
L'amélioration profite d'abord aux jeunes allocataires, dont le nombre a
baissé pour la première fois en 1998 : de 1,5 % pour les 25-29 ans et de 3,7 %
pour les moins de vingt-cinq ans. Le premier semestre 1999 confirme ces
évolutions.
Les crédits de l'exercice 1999 sont donc de 28,2 milliards de francs et
intègrent également le coût du cumul, désormais possible, du RMI avec
l'allocation pour jeune enfant versée pendant la grossesse, ainsi que les
majorations pour âge des allocations familiales, disposition qui résulte d'une
décision de la conférence de la famille de 1998, je vous le rappelle. La
dotation 2000 marque donc, par rapport à cette base, une hausse de 500 millions
de francs fondée sur une prévision réaliste d'accélération des effets de la
baisse du chômage conjugués à la mobilisation active des dispositifs de la
politique de l'emploi en faveur des allocataires du RMI.
Le Gouvernement poursuit donc son action déterminée en ce qui concerne les
minima sociaux.
Ainsi, alors que nous étions en train de discuter de ce budget, Mme Aubry
vient d'annoncer que le Gouvernement a décidé d'abandonner les dettes fiscales
pour tous les bénéficiaires de minima sociaux et les personnes en situation
d'urgence.
Par ailleurs, il est apparu nécessaire d'améliorer la situation des personnes
qui n'ont pas encore pu bénéficier de la croissance parce qu'elles étaient trop
éloignées de l'emploi et qui continuent, pour un temps, de dépendre, pour leur
existence, des minima sociaux. C'est ainsi que le ministère de l'emploi et de
la solidarité a annoncé une série de mesures en faveur des plus démunis, parmi
lesquelles l'attribution d'une prime particulière de fin d'année d'au moins 1
000 francs et la hausse de 2 % au 1er janvier 2000 du RMI et de l'ASS.
Cette prime particulière sera attribuée aux bénéficiaires du RMI, de
l'allocation spéciale de solidarité et de l'allocation d'insertion. Elle sera
modulable en fonction de la composition de la famille. Les personnes isolées
percevront 1 000 francs, les personnes avec enfant et les couples 1 500 francs
et les couples avec deux enfants 2 100. Cette allocation spéciale touchera 1
600 000 foyers, a indiqué Mme Aubry. Le coût pour l'Etat de ces mesures hors
effacement des dettes fiscales est évalué à 2,7 milliards de francs.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Où est-ce inscrit ?
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
C'est une annonce que je fais à cette tribune.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Cela ne suffit pas ! Et la procédure budgétaire
?
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Cette annonce vient d'être faite par Mme Aubry, au nom
du Gouvernement. Il me paraissait important de la porter à la connaissance de
la Haute Assemblée compte tenu des préocccupations qui ont été exprimées au
sujet des personnes en situation précaire et difficile, notamment sur le
devenir des minima sociaux.
M. Claude Huriet.
Madame le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de vous interrompre ?
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Bien volontiers.
M. le président.
La parole est à M. Huriet, avec l'autorisation de Mme le secrétaire d'Etat.
M. Claude Huriet.
Je vous remercie, madame le secrétaire d'Etat.
Je vous donne acte de l'annonce que vous venez de faire, mais pouvez-vous nous
préciser si cette bonne nouvelle pour ceux qui bénéficient des minima sociaux
aura ou non des conséquences sur les conditions d'accès à la couverture maladie
universelle ?
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Très bonnequestion !
M. le président.
Madame le secrétaire d'Etat, veuillez poursuivre, je vous prie.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Monsieur Huriet, cela n'a pas encore été porté à ma
connaissance. Toutefois, les seuils d'accès à la couverture maladie universelle
sont fondés sur des calculs effectués à partir du seuil de pauvreté. Ainsi,
pour les personnes qui bénéficient des
minima
sociaux mais dont les
revenus dépassent ce seuil, il est évident que cette mesure n'aura
pasd'incidence.
J'ai dit précédemment que les personnes isolées vivant des minima sociaux ne
seront pas prises en charge par la couverture maladie universelle, puisque
leurs revenus dépassent le seuil fixé pour celle-ci.
En tout cas, pour l'instant, que je sache, il n'est pas question de modifier
le seuil d'accès à la CMU.
Je tiens à souligner à l'intention de M. Cantegrit l'intérêt que porte le
Gouvernement aux Français de l'étranger et à leur protection sociale.
Le Gouvernement étudie actuellement une réforme du régime volontaire maladie
de la caisse des français de l'étranger pour en faciliter l'accès aux Français
expatriés plus démunis que les cotisants actuels. Cette ouverture du régime
devra, bien entendu, se faire dans le respect de l'équilibre financier de la
caisse.
En ce qui concerne la CMU, sa mise en oeuvre devrait être de peu de
conséquence sur l'assurance volontaire de la CFE puisque les deux champs
d'application sontdifférents. Des instructions complémentaires seront
prochainement données par circulaire lorsque le dispositif d'application de la
CMU sera définitivement connu. Cependant, le travail effectué par M. Cantegrit
sera utile à notre réflexion et nous ne manquerons pas d'accorder une attention
particulière aux précisions qu'il a portées à notre connaissance.
M. André Maman.
Très bien !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
La protection et l'intégration des populations
étrangères est aussi un axe fort du budget de la solidarité, qui participe de
l'esprit de la lutte contre les exclusions.
Tout d'abord, vous aurez noté l'orientation nouvelle donnée aux crédits d'aide
médicale du fait de la mise en place de la CMU.
Une fois le relais pris par la CMU, des crédits demeurent nécessaires pour
assurer la prise en charge médicale des étrangers en situation irrégulière ou
bénéficiant de courtes autorisations de séjour, celle des Français non
résidents, ainsi que celle des ressortissants étrangers accueillis en France
pour des raisons humanitaires.
Le besoin à ce titre a été évalué à 400 millions de francs. Nous avons
cependant maintenu une dotation de 495 millions de francs, de façon à faciliter
l'apurement des dettes antérieures de l'aide médicale.
Je mentionne aussi, pour m'en féliciter, la consolidation du financement des
soins dans les centres de rétention administrative.
Il faut également souligner l'effort réalisé dans ce projet de budget pour
accroître de cent vingt places les capacités des centres d'accueil des réfugiés
et demandeurs d'asile, et pour augmenter les crédits de l'allocation
d'insertion versée aux demandeurs d'asile dans l'attente des décisions de
l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Enfin, le projet de budget pour 2000 met en place des crédits d'investissement
pour l'aménagement d'aires de stationnement pour les gens du voyage, qui
viendront appuyer les efforts nécessaires des collectivités locales en ce
sens.
L'effort de solidarité se déploie également en faveur des rapatriés, puisque
le budget de la solidarité abrite le volet social et culturel de la politique
en faveur des rapatriés.
Parmi ces mesures, il convient de citer les dispositifs spécifiques
d'insertion dans l'emploi des Français rapatriés d'origine nord-africaine et de
leurs familles, mis en place sous forme d'un plan d'action, en application de
la loi du 11 juin 1994.
Outre ces mesures en faveur de l'emploi, une rente viagère sera versée aux
harkis, avec effet au 1er janvier 1999. Les conditions d'attribution de cette
rente seront prochainement définies, et le plan d'action sera reconduit
jusqu'au 31 décembre 2000 par un amendement du Gouvernement au projet de loi de
finances rectificative pour 1999.
Les mesures qui se rapportent à l'emploi et à la formation sont améliorées et
également reconduites jusqu'au 31 décembre 2000 par la circulaire du 31 mai
1999.
Par ailleurs, le décret du 4 juin 1999 a mis en place un nouveau dispositif
d'aide aux rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, placé sous
la responsabilité d'une commission nationale de désendettement présidée par un
magistrat de la Cour des comptes et qui comprend une représentation des
rapatriés. Ce sont 1 940 demandes qui ont été déposées et qui sont actuellement
en cours d'examen.
J'en viens maintenant à la politique en faveur des personnes handicapées, qui
occupe une place centrale dans le budget de la solidarité et dans les
préoccupations de nombre d'entre vous.
Cette politique se veut globale et cohérente, attentive à tous les aspects de
la vie des personnes handicapées, qu'il s'agisse de l'éducation, de l'emploi ou
de la vie sociale. Elle vise à favoriser prioritairement leur intégration, par
application de tous les dispositifs de droit commun, en milieu de vie
ordinaire, puisque telle est la demande le plus fréquemment exprimée
aujourd'hui par les personnes handicapées ou leur famille.
C'est pourquoi, sans opposer en aucune manière l'intégration des personnes
handicapées dans le milieu de vie ordinaire et la prise en charge en
institutions spécialisées, qui sont et resteront parfois indispensables, les
objectifs prioritaires que Martine Aubry et moi-même fixons à notre politique
sont : la socialisation et l'intégration des jeunes handicapés,
l'accompagnement des personnes handicapées dans leur vie quotidienne et la
formation et l'insertion professionnelles.
Ces orientations s'inscrivent dans le cadre d'une politique d'ensemble qui est
le plus souvent interministérielle.
Il faut raisonner en termes de complémentarité et de continuité, s'efforcer
d'assouplir et de diversifier les modes d'intervention des établissements et
des services, de les coordonner, de décloisonner les institutions entre elles
comme par rapport au milieu ordinaire. Cette coordination des interventions et
des structures est une nécessité qui guide les travaux préparant la réforme de
la loi d'orientation de 1975 sur les institutions sociales et
médico-sociales.
J'en profite pour rassurer M. Leclerc, qui m'a interpellée sur cette question
: la révision de la loi de 1975 qu'il appelait de ses voeux est engagée
puisqu'une mission parlementaire a été confiée au député Pascal Terrasse sur ce
sujet. J'ai d'ailleurs eu à plusieurs reprises, au cours du débat sur le projet
de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, l'occasion d'indiquer
que le travail de coopération que je mène à cet égard avec la mission
parlementaire, mais aussi avec les associations et les représentants du monde
handicapé trouvera son aboutissement dans des dispositifs législatifs qui
seront proposés à vos délibérations dans le courant du second semestre de
l'année 2000.
Il faut, bien entendu, faire une lecture coordonnée de la loi de financement
de la sécurité sociale et de la loi de finances pour prendre la mesure de
l'action entreprise en ce sens. Au demeurant, dans leurs interventions, Mme
Heinis, MM. Huriet et Neuwirth ainsi que Mme Borvo ont bien établi cette
liaison entre les textes, en exprimant leurs préoccupations sur la politique de
santé publique et en formulant des suggestions.
Pour m'en tenir au budget qui nous occupe aujourd'hui, je souhaite mettre
d'abord en exergue l'effort particulier que nous avons voulu consacrer, d'une
part, au développement des aides techniques et, d'autre part, au renforcement
des COTOREP.
S'agissant des aides techniques, il est essentiel d'offrir aux personnes
handicapées qui souhaitent et peuvent rester dans leur milieu de vie des moyens
de compensation fonctionnelle de leur handicap.
Des expérimentations ont été conduites avec le soutien des pouvoirs publics
sur quatre sites pilotes. L'évaluation dont nous disposons aujourd'hui a montré
l'intérêt qu'il y aurait à généraliser cette formule, et c'est ce que nous
allons entreprendre. Une mesure nouvelle de 15 millions de francs a été dégagée
pour ce faire dans le projet de budget pour 2000. Cet effort pourrait être
amplifié par la contribution des caisses de sécurité sociale et des conseils
généraux qui accepteraient de s'y associer.
Ainsi, nous pourrons disposer d'un centre d'expérimentation dans chaque région
de France, en évaluer le fonctionnement, puis « modéliser » ce dispositif de
manière à finalement « mailler » le territoire afin de répondre aux attentes
des personnes handicapées.
Pour ce qui est des COTOREP, le rapport remis en 1998 par l'IGF et l'IGAS a
confirmé l'existence de dysfonctionnements dans leur organisation et dans leur
gestion, et il en a clairement pointé les causes : l'absence de pilotage réel
des commissions et l'insuffisance de leurs moyens. Une remise à niveau
s'imposait donc. Les inscriptions budgétaires dans le projet de loi de finances
pour 2000 en sont la traduction forte, ce qui devrait satisfaire M. Chérioux,
qui m'a précisément interpellée sur cette question.
Le projet de budget pour 2000 continue parallèlement, bien entendu, à décliner
le programme pluriannuel de création de places pour adultes lourdement
handicapés arrêté par le Premier ministre le 8 avril 1998 pour la période
1999-2003. Il respecte la programmation prévue avec 2 000 places de CAT et 500
places en atelier protégé. Le programme de création de places en maison
d'accueil spécialisée et en foyer à double tarification - 1 100 places pour la
tranche 2000 - est, quant à lui, porté par les crédits d'assurance maladie et
prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour 230
millions de francs.
Il faut aussi mentionner l'ajustement des crédits de l'allocation aux adultes
handicapés, avec une progression de 781 millions de francs, ce qui porte la
dotation à 27,55 milliards de francs, sur la base d'un taux de progression en
volume et en valeur de 3 %, puisque tel est le niveau sur lequel se stabilise
l'évolution de l'AAH.
Je souhaite répondre brièvement à M. Cazeau, qui a exprimé son inquiétude sur
le devenir des personnes âgées dépendantes, auquel nous sommes nous-mêmes très
attentifs. Lorsque le maintien à domicile est devenu impossible, il faut
permettre un hébergement en établissement de qualité pour personnes âgées. Tel
est le but de la réforme de la tarification.
Nous savons que cette réforme suscite des interrogations, malgré l'oeuvre
pédagogique de la mission d'appui conduite par M. Jean-René Brunetière.
Des mesures seront prises pour éviter tout ressaut tarifaire pour les
personnes déjà hébergées. Il faut parvenir, dans la plupart des cas, à un
équilibre satisfaisant entre les réductions des tarifs d'hébergement et la
création des tarifs dépendance.
Pour ce faire, nous allons tirer parti des simulations chiffrées et des
constats réalisés par la mission d'appui avec les professionnels pour ajuster
un certain nombre de paramètres et mutualiser une part des frais liés à la
dépendance, avant même que la réforme n'entre effectivement en vigueur dans les
établissements. Il y sera procédé dans les meilleurs délais, afin de permettre
la signature dès 2000 de conventions tripartites dans les nombreux
établissements où les besoins sont urgents quant à l'amélioration de la prise
en charge et de la qualité des prestations que cette réforme leur apportera.
Enfin, les données chiffrées recueillies par la mission nous donnent les
moyens de préparer une programmation, sur la période 2001-2005, des crédits
nouveaux que l'assurance maladie consacrera à la médicalisation des
établissements.
Il faut souligner que, d'ores et déjà, pour 2000, les moyens nouveaux
progressent de 50 % par rapport à 1999.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sur le projet de budget de la
solidarité sans évoquer deux sujets qui, bien que très différents, touchent
néanmoins à la vie des structures associatives concourant fortement à la
conduite des politiques d'action sociale de l'Etat.
Il s'agit, d'une part, de la problématique de la réduction de la durée du
travail dans le secteur sanitaire, social et médico-social et, d'autre part, du
sujet jusqu'ici récurrent des dettes de l'Etat vis-à-vis des organismes
d'accueil des objecteurs de conscience.
S'agissant de ce dernier point, nous nous sommes donné les moyens d'apurer
complètement les dettes de l'Etat dans des délais très brefs puisqu'une partie
est en train ou sur le point d'être réglée grâce à l'ouverture de 86 millions
de francs dans le décret d'avances du 2 septembre dernier, et que, par
ailleurs, la dotation dans le budget 2000 est maintenue au niveau de 1999, soit
106 millions de francs, c'est-à-dire un montant supérieur de 45 millions de
francs environ aux besoins prévisibles de l'exercice, ce qui permettra de
solder totalement la dette de l'Etat.
Quant à la mise en oeuvre de la nouvelle durée légale du travail, c'est
évidemment un sujet essentiel pour un secteur associatif qui est clairement
dans le champ de la nouvelle législation sur les 35 heures mais qui, largement
financé sur fonds publics et tenu à de hautes exigences de qualité de service,
est confronté à des sujétions particulières.
Lorsqu'elle en parlait l'an dernier, Martine Aubry indiquait qu'elle y voyait
une chance pour un secteur qui avait souvent donné la preuve de sa capacité
d'adaptation. Et, de fait, le secteur s'est fortement mobilisé. Ainsi, 1 400
accords sont aujourd'hui enregistrés, qui concernent une multiplicité
d'établissements dans les secteurs du handicap, de l'aide sociale à l'enfance,
des maisons de retraite et des établissements sanitaires.
Après avis favorable de la Commission nationale d'agrément, Mme Aubry a agréé
plusieurs accords collectifs nationaux dans ce champ, notamment un accord de
branche étendu au niveau de l'UNIFED, les accords des centres de lutte contre
le cancer, de la Croix-Rouge, de la convention du 15 mars 1966 et, tout
récemment, de la convention FEHAP du 31 octobre 1951.
Nous sommes à présent dans la phase d'instruction des accords locaux, soumis
aux autorités qui, sur le terrain - DDASS, conseils généraux, agences
régionales de l'hospitalisation - autorisent et financent les
établissements.
C'est à ce niveau que pourront être appréciés, de manière partenariale, la
réalité des efforts de solidarité financière et le souci de la qualité du
service rendu qu'ont manifestés les partenaires sociaux dans leurs accords
nationaux.
Pour autant, il ne pourrait être question de définir un scénario unique de la
réduction de temps de travail dans ce champ. L'hétérogénéité de celui-ci,
l'importance des temps partiels - ces derniers concernent 40 % des emplois - la
variété des activités, des métiers, des modes d'organisation, la diversité des
conventions collectives excluaient toute démarche mécanique et réductrice des
différences ou négatrice des réalités.
Les accords agréés sont équilibrés à la fois par rapport aux aides prévues par
la première loi et au regard des contreparties salariales importantes que, au
nom de l'esprit de solidarité qui anime ces professionnels dans leur action,
ceux-ci ont acceptées. J'ajoute que l'équilibre des accords sera facilité par
les dispositions de la seconde loi sur les allégements de charges sociales sur
les bas salaires dans un secteur qui compte une proportion importante de
salariés concernés.
Je ne doute pas que ce secteur réduira sa durée de travail et créera des
emplois en respectant les contraintes posées en termes de financement comme de
maintien de la qualité du service rendu.
Vous le savez, les accords locaux sont instruits par les services
déconcentrés, qui recueillent l'avis des financeurs. En tout état de cause, les
délais nécessaires à l'agrément de ces accords ne seront pas préjudiciables aux
salariés de ce secteur ni à l'équilibre financier des établissements qui les
emploient, d'une part, parce que les aides applicables seront celles en vigueur
à la date de la signature de l'accord - soit le taux le plus élevé puisque
beaucoup d'entre eux ont été signés avant le 30 juin de cette année, quand bien
même les accords nationaux n'étaient pas encore signés - d'autre part, parce
qu'un amendement au projet de loi sur la réduction du temps de travail exonère
de la contribution de 10 % sur les heures supplémentaires les établissements
qui ont signé un accord mais qui sont dans l'attente d'une décision d'agrément
pour le début de l'an 2000.
Il n'y a donc pas de raison de s'inquiéter : les choses doivent avancer au
rythme que permet le travail en partenariat dans les services déconcentrés.
A ce stade de mon intervention, je répondrai à Mme Borvo, qui s'est inquiétée
de la situation des caisses d'allocation familiales et des caisses primaires
d'assurance maladie.
Les CAF de la région parisienne ont été confrontées, l'été dernier, à des
difficultés liées à la mise en oeuvre d'un nouveau système informatique, qui
était déjà implanté dans les CAF de province. Le passage au nouveau système a
été rendu difficile par les spécificités du système informatique antérieur de
l'Ile-de-France, différent de celui du reste de la France. Ce passage était
nécessaire avant le 31 décembre 1999, pour éviter d'avoir à transposer au 1er
janvier 2000.
Les directeurs des CAF d'Ile-de-France ont procédé à des redéploiements
internes afin de renforcer temporairement les services concernés.
Par ailleurs, avec l'aide de la CNAF, des techniciens chargés de ces
prestations sont venus de différentes caisses de province pour résorber au plus
vite les retards qui avaient été pris.
Tout est maintenant en bonne voie pour rentrer dans l'ordre. La plus grande
attention a été portée à la situation difficile de certains allocataires pour
que leurs dossiers soient traités au plus vite.
Concernant les caisses primaires d'assurance maladie, la situation est
différente. L'inquiétude portait sur la mise en oeuvre de la CMU et sur les
négociations relatives à la réduction du temps de travail.
La CNAM a été autorisée à créer 1 400 postes. Elle va donc maintenant procéder
à ces recrutements puis à la formation de ces personnels nouveaux, ainsi qu'à
laréorganisation des services. Mais il s'agit là, je vous le rappelle, d'une
responsabilité qu'assument complètement les responsables de la CNAF et de la
CNAM. C'est l'une des conséquences du paritarisme, que nous respectons avec une
grande conviction.
J'aborderai maintenant le budget de la santé, qui est caractérisé, en 2000,
par plusieurs évolutions marquantes.
La première et la plus évidente est son taux de croissance de 5 %, taux qui
est supérieur à celui du budget global santé-solidarité. Encore ce taux de
croissance est-il minoré par plusieurs transferts externes d'un montant total
de 184 millions de francs, sur le détail desquels je reviendrai dans un
instant. A structure constante, la progression réelle, de 1999 à 2000, est de
10 %, ce qui est considérable.
Vous le savez comme moi, le budget de la santé publique n'est qu'un élément
finalement modeste - son montant s'élève tout de même à 4 milliards de francs -
de l'ensemble de la politique de santé, qui repose sur les politiques
structurelles traduites depuis deux ans, bientôt trois, dans les lois de
financement de la sécurité sociale.
Mais, avec ses 4 milliards de francs, ce budget est bien sûr essentiel, compte
tenu des actions qu'il permet de financer, mais aussi, et surtout, parce qu'il
permet à des besoins de santé qui émergent du terrain d'être transformés en
choix de santé publique.
Ces choix de santé publique sont bien lisibles dans le projet de budget pour
2000.
Il faut d'abord rappeler que la santé est un enjeu de la lutte contre les
exclusions et qu'une place importante a été faite, à concurrence de 250
millions de francs au total, aux programmes régionaux d'accès à la prévention
et aux soins, les PRAPS, dans le budget de 1999, qui leur avait affecté 194
millions de francs de mesures nouvelles.
Des moyens nouveaux sont dégagés pour renforcer les moyens affectés aux
programmes régionaux de santé, pour conforter le financement du réseau des
centres d'éducation pour la santé, pour accroître la portée des interventions
en matière de prévention du suicide et de traitement des délinquants sexuels,
ainsi que pour la mise en place du dépistage organisé des cancers.
J'ai bien noté la préoccupation de M. Huriet à cet égard.
Lors de l'adoption de la loi de financement de la sécurité sociale de 1999, le
législateur a introduit, dans le code de la santé publique, un article
permettant d'organiser la lutte contre les maladies aux conséquences mortelles
évitables, en proposant à la plus grande partie possible de la population
concernée l'accessibilité et l'égalité d'accès à un dépistage de qualité
respectant l'éthique et la justice sanitaire. Cet article confie à l'Etat la
responsabilité de la mise en oeuvre du dépistage, qui repose sur le principe de
la gratuité des actes techniques.
Le Gouvernement n'a pas sous-estimé la complexité de la mise en place du
dispositif législatif et l'importance des problèmes soulevés pour la première
fois à cette échelle. C'est pourquoi un important travail de concertation et de
mobilisation des acteurs a été accompli. Cinq groupes de travail nationaux ont
été constitués.
Quatre groupes thématiques sont chargés d'élaborer les référentiels techniques
assurant la qualité et l'accessibilité du dépistage à propos de trois cancers -
ceux du sein, du colon et du col de l'utérus - ainsi que les instruments
nécessaires à la formation et à l'information des professionnels concernés. Ces
référentiels sont, vous le savez, en voie de finalisation.
Un cinquième groupe travaille sur l'organisation opérationnelle du programme,
l'élaboration du texte conventionnel, l'adaptation de la nomenclature des actes
professionnels, la résolution des questions relatives au fichier permettant la
gestion du système, tout en respectant l'anonymat et la confidentialité
nécessaires, et l'organisation, à l'échelon régional et départemental, du
pilotage et de la mise en oeuvre concrète des programmes.
Cet important dispositif justifie la mise en place progressive des mesures,
car il s'agit de respecter les acquis dans le domaine du dépistage du cancer du
sein. Trente-deux départements regroupant 45 % de la population féminine
concernée offrent déjà un programme organisé pour le dépistage du cancer du
sein et il a fallu surmonter de nombreuses difficultés matérielles,
professionnelles, vous le savez bien.
Le dépistage du cancer du col de l'utérus par le frottis cervical, à
l'exception de quatre sites expérimentaux, relève aujourd'hui de la pratique
courante des médecins.
Le dépistage du cancer colorectal est aujourd'hui expérimenté dans deux
départements, dans la perspective de sa généralisation éventuelle au vu des
résultats. Mais c'est une procédure qui n'est pas sans poser de problème.
L'ambition de la politique entreprise est donc d'assurer une couverture quasi
universelle de la population par ce dispositif. Toutefois, la montée en charge
est assez lente et elle justifie que des précautions soient prises, aussi bien
dans les procédures que dans les pratiques de mise en oeuvre.
J'ai également été interpellée à propos des soins palliatifs et du plan
pluriannuel de lutte contre la douleur. Il est vrai qu'il n'existe pas de
chapitre particulier dans l'exposé du budget qui vous a été remis. Mais le plan
pluriannuel de lutte contre la douleur se poursuit avec la même intensité que
précédemment ; j'y apporte ma détermination. Il en va de même pour les soins
palliatifs.
Comme vous le savez, monsieur Neuwirth, en matière d'accès aux soins
palliatifs, la loi du 9 juin 1999 prévoyait trois textes d'application ; je me
permettrai de vous les rappeler.
Il s'agit, d'abord, du décret d'applications de l'article L. 162-1-10 du code
de la sécurité sociale, qui prévoit un contrat type entre les organismes
d'assurance maladie et les professionnels. Les mesures réglementaires, qui sont
en cours de rédaction, viseront à permettre la participation et la rémunération
de tous les acteurs de santé sans exclusive, à la condition qu'ils puissent
respecter l'obligation légale de continuité et d'interdisciplinarité, à
domicile comme en établissement.
Il s'agit, ensuite, du décret d'application de l'article 10 qui prévoit un
contrat type portant sur les conditions d'intervention des associations de
bénévoles dans les établissements de santé publics et privés et dans les
établissements sociaux et médico-sociaux.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
M. Neuwirth le sait très bien, madame le secrétaire
d'Etat ! Il est l'auteur de ce texte !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Oui, mais je me permets de le rappeler, afin que cela
figure au compte rendu intégral des débats ! Ainsi, les lecteurs assidus du
Journal officiel
y trouveront et la question de M. Neuwirth et la
réponse du ministre concerné.
Ce texte, qui devrait être publié à la fin de l'année, doit faciliter les
interventions des bénévoles qui accompagnent les personnes en fin de vie dans
les établissements, en complémentarité et sans interférence avec les soins qui
leur sont prodigués.
La publication du décret devant déterminer, en tant que de besoin, les
modalités du congé d'accompagnement paraît encore prématurée à ce jour. Il
semble en effet opportun d'observer le niveau auquel se situeraient
d'éventuelles difficultés, afin d'apporter, le moment venu, une réponse d'ordre
réglementaire.
Plusieurs initiatives parlementaires visent actuellement à définir des congés
d'opportunité ou des congés de convenance pour satisfaire à des besoins
familiaux. Il serait intéressant de globaliser ces différentes demandes, de
façon que la procédure réglementaire reprenne l'ensemble de ces
dispositions.
M. Jean Chérioux,
raporteur pour avis.
Madame le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de
vous interrompre ?
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur Chérioux !
M. le président.
La parole est à M. Chérioux, rapporteur pour avis, avec l'autorisation de Mme
le secrétaire d'Etat.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
J'avoue que je suis quelque peu étonné, madame le
secrétaire d'Etat. Vous parlez de travaux actuels, mais la loi a été votée !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Effectivement !
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
Dès lors, je ne comprends pas pourquoi elle n'est
pas mise en oeuvre immédiatement ! Je vous rappelle que M. Neuwirth était
l'auteur et le rapporteur de ce texte ! Pour quelle raison les décrets
d'application de cette loi ne sont-ils pas publiés ? Vous faites état de
travaux parlementaires. Il s'agit peut-être de l'Assemblée nationale, du Sénat,
peu importe ! Pour le moment, cette loi existe, et il faut s'y tenir !
M. le président.
Madame le secrétaire d'Etat, veuillez poursuivre, je vous prie.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je reprends le fil de mon explication, monsieur
Chérioux. Je rassurais M. Neuwirth sur la détermination du Gouvernement à
mettre en oeuvre la loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins
palliatifs du 9 juin 1999 et j'indiquais les raisons pour lesquelles les trois
décrets d'application étaient encore en attente : les deux premiers sont en
cours de rédaction et ils seront publiés incessamment ; le troisième nécessite
une évaluation globale des demandes concernant des congés d'opportunité ou des
congés de convenance pour des raisons familiales.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
La loi est votée !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
On a vu des lois pour lesquelles les délais de
publication des décrets d'application étaient très longs ! En l'espèce, ils
sont tout à fait raisonnables : j'espère que les décrets d'application seront
publiés d'ici à la fin de l'année ou au tout début de l'année prochaine.
En tout état de cause, la promotion et le développement des soins palliatifs
restent une priorité du Gouvernement, mais cette dernière doit s'exprimer,
d'une part, au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2000, dans lequel ont été inscrits 75 millions de francs au titre de la
deuxième tranche du plan pluriannuel - ces crédits seront intégrés dans les
enveloppes régionales déléguées aux agences régionales de l'hospitalisation
pour être distribuées par celles-ci aux établissements de santé mettant en
oeuvre des actions dans ce domaine - et, d'autre part, dans les programmes de
formation continue des médecins.
L'enjeu n'est donc pas strictement budgétaire, monsieur le rapporteur pour
avis. Le Gouvernement veillera néanmoins à ce que ces actions soient promues et
favorisées.
Une attention particulière est également portée à l'évaluation et à la gestion
des risques sanitaires liés à l'environnement et aux milieux de vie. Je
reviendrai dans un instant sur l'Institut de veille sanitaire, qui en est une
pièce maîtresse.
Sans être exhaustive, je citerai deux mesures nouvelles notables : le
renforcement des moyens des observatoires régionaux de santé, soit plus de 2
millions de francs ; par ailleurs, l'Institut de veille sanitaire aura les
moyens de financer plus amplement les prestations et la mise en place du
dispositif de gestion des risques liés à l'amiante - 12 millions de francs sont
prévus à cet effet - ce qui traduit une attention soutenue du Gouvernement.
Les enjeux de santé prennent, de plus en plus, une dimension internationale.
Il importe que la France joue pleinement son rôle et réponde aux attentes qui
s'adressent à elle. Tel est l'objet de l'augmentation de 2 millions de francs
des crédits alloués à l'OMS et, surtout, de l'abondement de 16 millions de
francs du Fonds de solidarité thérapeutique internationale, ce qui porte ses
moyens à 42 millions de francs, 21 millions de francs provenant du secteur de
la santé et les 21 autres millions de francs du secteur de la coopération.
Cela permettra au fonds de lancer une série de programmes de prévention et de
soins, notamment pour les femmes enceintes et les mères de jeunes enfants dans
les pays d'Afrique les plus touchés, hélas ! par le sida.
La lutte contre les pratiques addictives et les maladies infectieuses reçoit
des moyens supplémentaires considérables, pour atteindre 867 millions de francs
en l'an 2000.
Un volume important de moyens budgétaires nouveaux - 51,3 millions de francs -
vient abonder ces dispositifs de prévention et de prise en charge globale des
comportements liés à la prise de drogues licites ou illicites, dont la lutte
contre le sida avait montré la voie, ou les réorienter sur les cibles les plus
urgentes. Cette priorité donnée à la prévention n'a pas échappé à la sagacité
de vos rapporteurs et je les en remercie.
Au-delà des 16 millions de francs dont j'ai parlé pour le FSTI, le projet de
budget pour 2000 apporte des crédits supplémentaires pour poursuivre le
programme de lutte contre l'hépatite C - 15 millions de francs - la lutte
contre la résistance aux antibiotiques - 1 million de francs - la lutte contre
le tabagisme - 2 millions de francs ; la dotation des centres de cure
ambulatoire en alcoologie - 5 millions de francs ; enfin, 10,8 millions de
francs permettront d'assurer, sur les crédits de la Direction générale de la
santé, les actions de réduction des risques du programme triennal de lutte
contre les drogues et la toxicomanie.
Plusieurs d'entre vous ont fait allusion à la contraception et à l'information
sur la maîtrise de la fécondité. Bien évidemment, madame Borvo, monsieur
Neuwirth, il s'agit là de préoccupations majeures du Gouvernement.
Le comité de pilotage que Mme Aubry a réuni avec les associations et les
partenaires concernés pour mettre au point une campagne d'information sur la
contraception montre bien l'intérêt, mais aussi la difficulté de diffuser de
nouveau une information qui, effectivement avait été laissée à l'abandon depuis
de nombreuses années, vous avez eu raison de le dire.
Les chiffres qui sont portés à notre connaissance à la suite de différentes
études montrent qu'il est indispensable de reprendre une information très
précise, très ciblée...
M. Lucien Neuwirth.
Et permanente !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
... et permanente, en direction des jeunes
générations, je vous l'accorde tout à fait.
La contraception d'urgence, dont on a annoncé la mise à disposition dans les
collèges et les lycées par le biais des infirmières scolaires, a ramené la
question sur le devant de l'actualité. Il est vrai qu'il s'agit d'une grande
avancée médicale : le produit est bien toléré, son utilisation est simple et le
fait qu'il soit en vente libre dans les pharmacies donne aux femmes une plus
grande chance de réussite. Cela étant, c'est une méthode de rattrapage qui,
bien évidemment, doit s'intégrer dans une politique de prévention globale des
grossesses non désirées.
Pour ce qui est de la délivrance du produit dans les collèges et dans les
lycées, un climat de confiance et un dialogue avec les jeunes filles concernées
est indispensable.
M. Lucien Neuwirth.
Manque de concertationpréalable !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, la concertation a été menée dans
le cadre du comité de pilotage et les différents groupes se positionnent
maintenant les uns par rapport aux autres.
Toute mobilisation médiatique n'est pas inutile, me semble-t-il, car cela
permet de mener plus loin cette concertation que vous appelez de vos voeux.
Il faut enfin préciser que ces apports de crédits nouveaux ont été également
permis par un travail de reclassement plus rationnel des financements entre
l'Etat et l'assurance maladie, dont vous avez vu l'effet dans le projet de loi
de financement de la sécurité sociale. Il s'agit, d'une part, du transfert à
l'assurance maladie des 15 % résiduels de financement par l'Etat du dépistage
dans les centres de dépistage anonyme et gratuit, d'autre part, de l'abandon du
principe du remboursement aux hôpitaux des frais de cure des toxicomanes
hospitalisés.
Par ailleurs, ma détermination m'incite à agir en faveur de la nécessaire
politique de nutrition évoquée par M. Goulet. Chacun doit pouvoir, en effet,
savoir se nourrir correctement et, surtout, ne pas nuire à sa santé en mangeant
n'importe comment.
La nutrition est un déterminant de santé puissant et la France portera ce
thème dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne, durant le second
semestre de l'année 2000.
Le financement de la montée en charge des agences de sécurité sanitaire était
certainement l'un des enjeux clés du projet de budget pour 2000, ce que M.
Louis Boyer, en tant que rapporteur pour avis, n'a pas manqué de souligner.
En 2000, 495 millions de francs, c'est-à-dire 156,6 millions de francs de plus
qu'en 1999, seront affectés aux sept établissements nationaux généralement
désignés depuis la loi du 1er juillet 1998 sous le nom d'« agences de sécurité
sanitaire ».
Quatre d'entre eux ont été créés ou transformés par cette loi. Il s'agit de
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dont la
compétence inclut, au-delà du médicament, les dispositifs médicaux et les
cosmétiques ; de l'Agence française de sécurité sanitaire alimentaire,
cofinancée par les trois ministères de tutelle pour les missions nouvelles qui
lui sont conférées par la loi ; de l'Institut de veille sanitaire et de
l'Agence du sang qui est appelée à se transformer, le 1er janvier 2000, en
Etablissement français du sang.
Les trois autres établissements, créés antérieurement à la loi de 1998, n'ont
pas pour autant terminé leur montée en charge, notamment l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé, dont le plan de charge en matière
d'accréditation doit se développer rapidement, la procédure, totalement
nouvelle dans notre pays, ayant nécessité un temps d'appropriation par les
acteurs.
L'Office de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, est aussi
confronté à de lourdes adaptations imposées, notamment, par des directives
communautaires.
Seul l'Etablissement français des greffes est aujourd'hui proche d'un niveau
de croisière, si tant est que cette notion ait un sens dans le paysage
extrêmement exigeant et évolutif de la sécurité sanitaire.
Sans détailler ici les montants de crédits supplémentaires affectés à chacune
des agences, ce que j'ai déjà eu l'occasion de faire en commission, je
voudrais, pour illustrer les ordres de grandeur, préciser que 125 millions de
francs sont affectés aux quatre agences issues de la loi de 1998, soit une
hausse de 55 % du niveau de ces subventions par rapport à 1999. Leur ampleur
s'explique aussi par le choix de ne pas multiplier les taxes prélevées sur les
secteurs de production placés sous le contrôle des agences. Ayant fait ce
choix, l'Etat prend ses responsabilités budgétaires.
Monsieur Huriet, telle est la réponse à votre question : nous avons tiré les
conséquences de ce choix, qui ne devrait pas vous choquer, en mettant en place
les crédits nécessaires à la montée en charge des agences. Ce financement entre
donc en effet dans les discussions budgétaires normales : négocier, ce n'est
pas mendier. Nous avons fait la preuve que l'Etat est responsable et sait
mettre en place les moyens adaptés aux besoins et à la montée en puissance de
ces agences, même lorsque trois ministères sont concernés, comme c'est le cas
pour l'Agence française de sécurité sanitaire alimentaire.
J'ajoute que l'ensemble de ce dispositif est coordonné par le comité national
de sécurité sanitaire, désormais opérationnel, et que je réunis tous les trois
mois.
Ce comité s'est réuni en octobre dernier. Il a présenté un bilan des alertes
et des crises sanitaires des six derniers mois, en particulier à l'occasion de
l'éclipse et de l'épidémie de légionellose, ainsi que la démarche en cours pour
les encéphalites suraiguës transmissibles à l'homme.
Conformément à ses missions, ce comité se réunit, travaille et mène une
réflexion en mutualisant les différentes réflexions des acteurs et des experts
convoqués devant lui.
C'est dans ce cadre qu'a été proposée la mise en place de trois groupes de
travail, présidés par des experts reconnus, chargés de travailler sur les
facteurs de décision dans les différents organismes, l'estimation quantitative
et qualitative des risques et les priorités de sécurité sanitaire.
Il s'agit bien de réfléchir et de coordonner l'action des différentes agences
et non pas d'alourdir le fonctionnement de ce comité, ce qui serait source
d'inefficacité pour un véritable lieu de réflexion et de proposition comme
celui-là.
Concernant le principe de précaution, s'il revient aux scientifiques d'évaluer
les risques, en revanche, la décision, c'est-à-dire la gestion du risque,
revient aux pouvoirs publics, au Gouvernement, comme on l'a vu pour la levée de
l'embargo de la viande bovine. Le dossier a été géré de manière
interministérielle, sous la responsabilité du Premier ministre, et si c'est le
ministre de l'agriculture qui a été le porte-parole de la France à Bruxelles,
c'est parce que tel est l'usage.
Ces questions, en effet, sont traitées par le ministère de l'agriculture et
par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes. En l'occurrence, M. le Premier ministre a tenu à ce que
les préoccupations de santé publique soient véritablement intégrées dans la
réflexion et les exigences portées par la France. C'est ce qui m'a conduite à
accompagner Jean Glavany à plusieurs reprises dans ces commissions, à la grande
surprise, je dois le dire, des acteurs présents qui n'avaient jamais vu un
ministre de la santé venir parler de ces questions. D'ailleurs, la manière dont
la France les a abordées, a fait évoluer de façon tout à fait positive et
novatrice la réflexion collective au sein de la Communauté européenne.
Le dernier domaine couvert par le budget de la santé est celui de l'offre de
soins, dénomination qui donne sa logique à un contenu malgré tout
diversifié.
Sous cet agrégat sont en effet regroupés les crédits affectés au
fonctionnement des agences régionales de l'hospitalisation, à la formation des
professions paramédicales, à l'organisation des systèmes de santé dans les
territoires d'outre-mer ainsi que les crédits de subventions aux
investissements hospitaliers.
Le fonctionnement des agences régionales de l'hospitalisation est désormais
stabilisé. Je vous remercie, monsieur Cazeau, de l'avoir relevé.
Les schémas régionaux d'organisation sanitaire de deuxième génération sont
désormais presque tous opérationnels.
La formation des professions médicales et paramédicales, heureusement
regroupée avec les bourses d'études dans la nouvelle nomenclature, prolonge
également le niveau des dotations 1999, tant pour les écoles de sage-femmes et
d'infirmiers - 256 millions de francs - que pour la formation extrahospitalière
des étudiants - 250 millions de francs - et l'année-recherche des internes.
Je m'arrête un instant sur les territoires d'outre-mer, pour souligner les
efforts mis en oeuvre pour régler un certain nombre de situations difficiles,
tant dans le budget 2000 - il s'agit de la revalorisation du minimum vieillesse
et des crédits d'action sociale pour les personnes handicapées à
Wallis-et-Futuna - qu'en gestion 1999, avec l'apurement d'une tranche de dettes
de 17,4 millions de francs au profit du système de santé de Wallis-et-Futuna,
un apport de 5 millions de francs à la convention en cours avec le Polynésie
française pour amorcer une aide au logement mise en place sur le territoire, et
enfin 10 millions de francs pour abonder la convention d'action sociale à
Mayotte.
Le dernier domaine relevant de l'offre de soins est celui des investissements
hospitaliers. Ils se répartissent entre un chapitre qui, à l'avenir, ne devrait
plus porter que les opérations non finançables par nature sur l'objectif
national de dépenses d'assurance maladie, notamment outre-mer, et un chapitre
constitué par le fonds d'investissement pour la modernisation des hôpitaux, le
FIMHO.
Créé en 1998, le FIMHO poursuit sa montée en charge à un rythme commandé par
le respect scrupuleux de l'éligibilité au regard de critères de sélection
stricts des opérations. Ces critères sont stricts, car il me semble essentiel
de préserver la fonction impartie au FIMHO, qui est d'appuyer la logique de
restructuration de l'offre de soins, en faisant jouer au financement de l'Etat
un rôle de complément et de levier là où il est nécessaire, et là seulement.
Le budget 2000 accompagne cette montée en charge avec un nouvel apport de 200
millions de francs d'autorisations de programme, qui porte à 265 millions de
francs, soit 115 millions de francs de plus qu'en 1999, le besoin de crédits de
paiement en 2000.
Mme Heinis a formulé quelques propositions concernant la réforme des études
médicales et la démographie médicale. Elle a longuement parlé des hôpitaux de
proximité et de l'importance d'assurer des soins de qualité par des
professionnels reconnus.
J'aimerais vous rappeler les différentes mesures qui ont été prises depuis
deux ans dans ce domaine, même si elles concernent davantage le projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 2000.
Ainsi, l'augmentation du
numerus clausus,
qui passe de 3 700 en 1999 à
3 850 pour 2000, devrait apporter des réponses en termes de démographie
médicale. Pour tenir compte des pénuries hospitalières, trois disciplines,
l'anesthésie, l'obstétrique et la pédiatrie, ont été individualisées afin
d'orienter les internes et de répondre aux besoins constatés.
Pour les praticiens hospitaliers, l'harmonisation des carrières à temps plein
et des carrières à temps partiel est en cours, ainsi que la mise en oeuvre du
périmètre de sécurité après une garde, la prime pour l'exercice dans plusieurs
établissements, l'amélioration de la situation sociale, l'amélioration du
statut des praticiens adjoints contractuels, la revalorisation du statut des
urgentistes et la création de trente postes d'urgentistes en 1999, de cent en
2000 et de cent en 2001.
Je souhaite conclure en évoquant le renforcement des moyens en personnel de
l'administration sanitaire et sociale, sans m'attarder, parce que Martine Aubry
l'a fait ce matin en vous exposant en détail la stratégie qui la guide en la
matière.
Monsieur Oudin, l'une des raisons du rejet du budget de la solidarité serait,
pour vous, le recours à des agents mis à disposition par des organismes tiers,
notamment par des hôpitaux. Vous savez mieux que personne que cette situation
n'est pas nouvelle, tout simplement parce que cette administration a connu,
jusqu'à notre arrivée, une dégradation de ses moyens humains qui a conduit à ce
recours à des formes, il est vrai, irrégulières de recrutement. Cependant, je
récuse vivement votre assertion selon laquelle, s'agissant des hôpitaux, on
n'est jamais mieux servi que par soi-même, ce qui laisse à penser que ce
ministère fait bon marché de la déontologie.
Cette situation est donc installée depuis longtemps, et je ne doute pas que
vous l'avez dénoncée auprès des ministres précédents.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Absolument !
M. Jean Chérioux.
rapporteur pour avis.
Nous, nous savons reconnaître nos erreurs !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je ne sais si vous l'avez fait avec la même force,
mais les résultats n'étaient pas concrets.
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
C'est ce que nous déplorions !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
En revanche - et c'est nouveau - nous nous donnons
aujourd'hui les moyens d'y remédier.
Vous critiquez les créations d'emplois budgétaires, alors qu'ils constituent
le moyen le plus sain de répondre à la charge accrue des services. Or,
contrairement à ce que l'on pourrait déduire de votre analyse, la mise en place
des agences de sécurité sanitaire n'exonère nullement les services de l'Etat de
la gestion des risques sur le terrain.
Quant aux mises à disposition héritées du passé, nous mettons en place dans le
budget 2000, et c'est la première fois, un crédit de rémunération de 10
millions de francs destiné à régulariser ces personnels. Il est évident que ce
n'est pas suffisant pour cette année, mais c'est un premier pas significatif
qui marque bien la détermination de Mme Aubry et de moi-même à poursuivre cet
effort dans les budgets à venir. Je pensais que vous pourriez nous en donner
acte. Je suis quelque peu déçue, mais je ne désespère pas !
M. Jean Chérioux,
rapporteur pour avis.
C'est un trop petit pas !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Soyez assurés que nous en ferons un autre l'année
prochaine !
Comme Martine Aubry, je suis convaincue de la nécessité absolue, pour un
ministère qui porte une part essentielle des grands projets du Gouvernement, de
veiller à donner les moyens nécessaires à l'administration pour mener à bien
ces projets et leur faire produire les effets que chacun en attend.
Les moyens qui conviennent, ce sont des emplois budgétaires en plus. Le
Premier ministre en a reconnu la nécessité. C'est ainsi que le projet de budget
pour 2000 permet une augmentation nette de 100 emplois, 137 en réel, à raison
de 53 en administration centrale et de 84 dans les services déconcentrés,
notamment pour renforcer les corps techniques, qui sont les chevilles ouvrières
des services en matières d'inspection et d'expertise.
En 2000, seront donc créés vingt et un emplois d'inspecteur des affaires
sanitaires et sociales, vingt-deux emplois de médecin inspecteur et huit
emplois d'infirmier, dix emplois de pharmacien inspecteur, dix emplois
d'ingénieur de génie sanitaire et huit emplois de technicien sanitaire pour la
filière santé-environnement.
C'est aussi une meilleure adaptation des emplois aux métiers, par la
requalification des emplois, et plus de fluidité.
C'est, enfin, avec 32,2 millions de francs, après les 33,5 millions de francs
obtenus l'an dernier, plus de reconnaissance, en termes de rémunération
indemnitaire, de la charge de travail supportée et des résultats accomplis.
Ces orientations, simples à dire, difficiles à obtenir, trouvent une
traduction forte dans le budget pour 2000. Je sais que beaucoup d'entre vous
qui côtoient fréquemment l'administration sanitaire et sociale s'en réjouissent
également.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C concernant l'emploi et la solidarité : II. - Santé et solidarité.
ÉTAT B
M. le président.
« Titre III : 348 539 873 francs. »
M. Jacques Oudin,
raporteur spécial.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Tout à l'heure, à la fin de mon exposé, j'ai indiqué
que, à l'issue de l'examen de l'ensemble des crédits du ministère de l'emploi
et de la solidarité, la commission des finances proposait au Sénat de rejeter
lesdits crédits.
Mme le secrétaire vient de me répondre sur les mises à disposition des agents
par la sécurité sociale, les caisses ou les hôpitaux au ministère, c'est-à-dire
375 agents. Pourquoi, m'a-t-elle dit, est-ce la première fois que vous posez
cette question ? Je tiens à préciser que ce n'est pas la première fois et que
je formule cette remarque depuis que je rapporte ce budget. Ces situations me
paraissent totalement anormales et irrégulières au regard de la compensation.
En effet, vous surdotez les hôpitaux qui transfèrent des postes à votre
administration alors que, vous le savez, celle-ci est systématiquement
condamnée par les instances qui sont amenées à juger ces litiges.
Par ailleurs, même si vous faites un petit pas en inscrivant 10 millions de
francs, l'ensemble du dispositif n'est pas satisfaisant. Le fait qu'un
organisme contrôlé mette des personnes à la disposition de l'organisme chargé
de le contrôler fausse toute logique du contrôle. Vous n'ignorez pas la
déontologie qui prévaut dans l'administration et selon laquelle le
fonctionnaire qui contrôle un secteur ne doit pas être détaché dans ce même
secteur. Vous, vous faites l'inverse : vous prenez une personne dans le secteur
contrôlé pour la mettre dans l'organisme contrôleur.
Si j'avais à rapporter les crédits du ministère de l'industrie, madame le
secrétaire d'Etat, je dirais la même chose. En effet, EDF met à la disposition
de la direction générale de l'électricité des personnes qui la contrôlent. Je
dirais la même chose de l'aviation civile, Air France mettant à disposition de
l'administration des personnes qui contrôlent Air France. Au bout du compte,
cela aboutit à des situations comme celle qu'a connue le Crédit lyonnais.
Je déposerai bientôt une proposition de loi visant à interdire toute mise à
disposition. Ainsi, nous reviendrons à la situation qui prévalait avant 1984.
C'est en effet le gouvernement socialiste de l'époque qui a autorisé
l'extension des mises à disposition, avec un principe de compensation à titre
exceptionnel, et une loi de 1992 a étendu ces facilités. Tout cela n'est pas
normal. Comme je rapporte le budget de votre ministère, c'est votre ministère
que je critique.
Je vous ai interrogé sur le coût de la régularisation de ces 375 emplois. Vous
m'avez répondu : nous avons fait un pas en inscrivant 10 millions de francs.
Cela, je le sais.
Ce que je ne sais pas, c'est combien il faudra l'année prochaine pour
régulariser l'ensemble des personnels concernés. Et ne me dites pas que c'est
impossible : on a vu les centaines de millions de francs qui ont été mis dans
d'autres actions. Cela signifie que, à vos yeux, la régularisation n'est pas la
priorité. Voilà ce qui nous sépare !
En revanche, vous ne m'avez pas répondu sur d'autres points. Si nombre de mes
collègues ont reçu des réponses, tel n'est hélas ! pas mon cas. S'agissant des
4,7 milliards de francs de l'allocation de rentrée scolaire, je n'ai pas reçu
de réponse. Sur le milliard du FASTIF, je n'ai pas reçu de réponse.
Quant aux différences d'évaluation du coût de la CMU, je n'ai pas reçu de
réponse ou, plutôt, vous avez précisé que 1 400 personnes vont être recrutées.
Lorsque nous avions examiné le texte relatif à la CMU, j'avais indiqué que ce
dispositif aurait un coût en termes de personnels. Il m'avait alors été répondu
que tel ne serait pas le cas. Or, nous le constatons aujourd'hui, il faut
recruter 1 400 personnes à ce titre.
Par ailleurs, vous avez dit que le coût du plan de Mme Aubry s'élèvera à 2,7
milliards de francs, qui seront probablement inscrits dans le collectif. Nous
en prenons acte. Toutefois, nous constatons que cette annonce intervient après
le dépôt de ce texte. Nous espérons que la situation sera régularisée pendant
l'examen de celui-ci.
A la fin de mon intervention, j'ai cité les observations de la Cour des
comptes qui concernaient plus directement votre ministère. Je vous ai alors
demandé de quelle manière vous aviez mis en oeuvre ces observations, qu'il
s'agisse de la clarification des relations financières entre l'Etat et la
sécurité sociale, de la réorganisation des systèmes d'information, de la
clarification du partage des responsabilités, des réformes des méthodes
comptables pour aboutir à une plus grande fiabilité. C'est le rapport de
septembre 1999.
Il s'agit là de quelques exemples parmi les questions que vous ai posées et
sur lesquelles je n'ai pas eu de réponse. C'est pourquoi je confirme que la
commission des finances propose au Sénat de rejeter l'ensemble des crédits du
ministère de l'emploi et de la solidarité.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
La question des mises à disposition et de la
compensation nous préoccupe. D'ailleurs, Mme Aubry a saisi le Premier ministre
voilà quelques mois sur cette question et nous réfléchissons pour y apporter
des solutions durables et définitives. Simplement, je vous interroge, monsieur
le rapporteur spécial : où recruter les contrôleurs sinon dans les
établissements contrôlés ? En effet, c'est là que l'on trouve les meilleurs
spécialistes de la question. Peut-être devrions-nous élaborer des dispositifs
empêchant le retour de ces personnels dans leurs corps d'origine, par exemple.
Il faut réfléchir autrement qu'en termes de sanctions aussi fortes que celles
que vous annoncez. En effet, ceux qui contrôlent les établissements et
procèdent aux évaluations doivent être compétents et expérimentés. Toutefois,
je le reconnais, la question mérite une réflexion approfondie.
J'en viens à l'allocation de rentrée scolaire et au FASTIF. Depuis deux ans,
le budget de la branche famille bénéficie d'un certain nombre de
clarifications, afin que ce budget prenne en charge les prestations familiales
qui concernent la politique familiale.
En 1999, l'allocation de parent isolé a été reprise par le budget de l'Etat,
afin qu'un minima social ne soit pas pris sur le budget de la branche famille.
En 2000, c'est le FASTIF qui sera pris en charge par le budget de l'Etat ; il
ne sera donc plus à la charge de la branche famille.
En ce qui concerne les 4,7 milliards de francs au titre de l'allocation de
rentrée scolaire, il s'agit d'un supplément puisque, dans le budget de la
branche famille, la prestation de rentrée scolaire figure déjà à hauteur de
près de 400 francs par enfant concerné. Chaque année, une décision intervenait
dans le courant de l'été pour l'augmenter - et l'augmenter de manière
importante ces trois dernières années - un rectificatif étant porté au
collectif budgétaire de l'année en cours.
Il nous a donc paru que cette procédure méritait d'être clarifiée, d'autant
que le Premier ministre s'est engagé à ce que l'allocation de rentrée scolaire
soit maintenant régulièrement portée à 1 600 francs. Par ailleurs, dorénavant
elle sera versée y compris aux familles avec un seul enfant. En outre,
certains, dont je suis - et dont j'étais lorsque je rapportais ce projet de
budget - considéraient que cette allocation devrait être modulée en fonction de
l'âge et des coûts réels de scolarité de l'enfant.
Il était donc nécessaire que l'allocation de rentrée scolaire devienne une
véritable prestation familiale. Nous nous sommes engagés dans cette voie en
prévoyant une compensation du budget de l'Etat au budget de la famille à
hauteur de la prise en charge du FASTIF et de la récupération de l'excédent de
recettes de la branche famille. Nous poursuivrons en ce sens dans les années à
venir afin que l'allocation de rentrée scolaire devienne une prestation
familiale inscrite dans le budget de la branche famille.
Concernant les 1 400 personnes recrutées par la CNAM pour faire face au
surcroît d'activités lié à la mise en oeuvre de la CMU, cela va effectivement
avoir un coût. Toutefois, un problème de calendrier se pose dans cette
opération. Normalement, l'informatisation et la carte Vitale auraient dû
intervenir au début de l'année 2000, ce qui aurait permis aux caisses primaires
d'assurance maladie de réaliser des gains de productivité et de faire des
économies en termes de fonctionnement.
Cela n'a pas été possible pour des raisons diverses, mais interviendra avec un
certain décalage. Cette autorisation de créations de poste est donc une
anticipation, qui pourra être récupérée ensuite par les caisses d'assurance
maladie en fonction des gains de productivité qu'elles pourront faire dans la
mise en oeuvre de l'informatisation et de la réorganisation du travail et par
le départ à la retraite d'un certain nombre de fonctionnaires. Par conséquent,
nous verrons dans la durée comment cette gestion de personnel sera absorbée par
le budget concerné.
Voilà ce que je pouvais vous répondre s'agissant des questions que vous
m'aviez posées et auxquelles je n'avais pas répondu.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre IV : 10 222 434 346 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
ÉTAT C
M. le président.
« Titre V. - Autorisations de programme : 96 000 000 francs ;
« Crédits de paiement : 46 800 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement
figurant au titre V.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre VI. - Autorisations de programme : 452 160 000 francs ;
« Crédits de paiement : 113 660 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement
figurant au titre VI. »
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
J'appelle en discussion l'article 70
bis
, qui est rattaché pour son
examen aux crédits affectés à la santé et à la solidarité.
Article 70
bis
M. le président.
« Art. 70
bis
. - Le Gouvernement présente chaque année, en annexe à la
loi de finances, un état retraçant les crédits qui concourent aux actions en
faveur des droits des femmes. »
Sur l'article, la parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
Cet article 70
bis
est un état qui doit
retracer les crédits en faveur des droits de la femme.
A l'Assemblée nationale, lors de la discussion des crédits de budget de la
santé et de la solidarité, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits de la
femme et à la formation professionnelle, a émis le voeu que : « l'an prochain,
un "jaune" budgétaire puisse présenter l'ensemble des crédits » relatifs aux
droits de la femme. Répondant sur le champ au souhait de Mme le secrétaire
d'Etat, le rapporteur spécial des crédits de la santé, notre collègue Gilbert
Mitterrand, a déposé un amendement visant à insérer un article additionnel
ainsi rédigé : « Le Gouvernement présente chaque année, en annexe du projet de
loi de finances, un état retraçant les crédits qui concourent aux actions en
faveur du droit des femmes. »
Sur le fond, je n'émets aucune objection. Cependant, je m'interroge sur la
méthode employée, qui est curieuse. En effet, le Gouvernement a besoin d'un
amendement parlementaire pour assurer une information qu'il n'aurait tenu qu'à
lui de fournir à la représentation nationale sans qu'il ait été besoin de créer
un « jaune » supplémentaire.
Je ne m'interroge pas non plus sur le caractère catégoriel de ce type de
document. En dépit de tout le respect qui leur est dû, les femmes
constitueraient ainsi un public particulier bénéficiant d'un document
budgétaire particulier. On pourrait imaginer un « jaune » pour la toxicomanie,
le cancer, le tabac, le sida, l'alcool, les handicapés, les personnes âgées,
etc.
Avec ce dispositif et ce type de présentation budgétaire, à quoi
arriverons-nous ? En l'occurrence, je me réfère à la mémoire de ceux qui sont
sénateurs depuis de nombreuses années. Voilà quelque vingt ans, dans le cadre
de l'élaboration des documents et des débats budgétaires, nous préparions ce
que l'on appelait un « blanc » qui visait à retracer l'ensemble des crédits de
chaque ministère en fonction des actions, et non des titres. Les actions
étaient déterminées en fonction des cibles que le ministère cherchait à
atteindre et derrière chaque action il y avait le recensement de tous les
crédits, les indices de performance, l'analyse des objectifs et des
cheminements utilisés pour atteindre ces objectifs.
Ces « blancs » budgétaires, ce que l'on appelait à l'époque « la
rationalisation des choix budgétaires », la RCB, ont été peu à peu abandonnés.
On les voit maintenant réapparaître cible après cible, sous la forme de «
jaunes » budgétaires. En termes de méthode de présentation de la loi de
finances, il est, bien entendu, intéressant qu'un « jaune » récapitule certains
crédits, mais il n'y a pas de raison que l'ensemble des crédits du ministère ne
soient pas récapitulés et étudiés de cette façon, qui permet d'apporter des
informations claires aux parlementaires. Chacun sait en effet que rien n'est
plus illisible qu'un « bleu » budgétaire.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je suis favorable à votre proposition, monsieur le
rapporteur spécial, mais permettez-moi un trait d'humour : je n'entrerai pas
dans votre logique, qui tendrait à donner à penser que les femmes sont des
fléaux !
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Les femmes sont des hommes comme les autres.
(Sourires.)
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
J'ai dit qu'elles avaient droit au respect !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
En effet, mais vous avez dit que nous aurions bientôt
un « jaune » sur la toxicomanie, etc.
M. Jacques Oudin,
rapporteur spécial.
En suivant la logique de la procédure !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Précisément, mais permettez-moi de poursuivre mon
raisonnement.
La logique de la procédure me conduit à vous dire qu'il n'est pas inutile, à
un moment où le débat public a porté une attention particulière à la place des
femmes dans notre société, de savoir comment elles sont traitées dans le budget
de l'Etat.
M. le président.
Nous aimons bien les femmes, et nous les voulons en bonne santé. A cet égard,
vous venez de nous faire la démonstration, madame le secrétaire d'Etat, qu'il
est possible de parler plus d'une heure devant la Haute Assemblée !
(Sourires.)
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 70
bis.
(L'article 70
bis
est adopté.)
M. le président.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant la santé et la solidarité.
ÉDUCATION NATIONALE, RECHERCHE
ET TECHNOLOGIE
II. - ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'éducation
nationale, la recherche et la technologie : II. - Enseignement supérieur.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, c'est donc la cinquième fois que j'ai l'honneur
de rapporter les crédits de ce ministère pour l'enseignement supérieur.
Ce projet de budget pour 2000 est placé sous le signe de l'adaptation de
l'enseignement supérieur aux problèmes du troisième millénaire. C'est en
partant de ce même point de vue que je m'efforcerai, au nom de la commission
des finances, de présenter un certain nombre d'appréciations et
d'observations.
Tout d'abord, présentons très rapidement ce projet de budget : il est en
croissance, et il affirme très nettement les trois priorités essentielles que
vous avez définies, monsieur le ministre, pour la politique de l'enseignement
supérieur.
Les crédits inscrits à ce projet de budget atteignent 52,462 milliards de
francs, soit une progression de 2,63 % par rapport à l'année précédente, les
crédits de personnel augmentant pour leur part de 4,55 %. L'ampleur de l'effort
financier de la collectivité nationale sera mieux mis en lumière si l'on tient
compte des crédits alloués à l'enseignement supérieur dispersés dans les
budgets des autres ministères. A cette fin, je présente de manière un peu plus
approfondie que les années précédentes, dans mon rapport, le projet de budget
coordonné de l'enseignement supérieur.
On a dénombré, lors de la dernière rentrée, 20 000 étudiants de moins qu'en
1998, pour un effectif total de 1 530 000. C'est la troisième année consécutive
que l'on enregistre une baisse de celui-ci.
Quant aux personnels, ils sont au nombre de 138 772, dont 81 000 emplois
d'enseignant-chercheur. Cette année encore, le projet de budget est marqué par
une croissance importante des effectifs, puisque sont créés 800 postes
d'enseignant-chercheur, auxquels il convient d'ajouter 400 postes libérés par
le financement sur le chapitre 31-96 du recrutement des ATER, les attachés
temporaires d'enseignement et de recherche, et 500 postes d'IATOS - ingénieurs,
administratifs, techniciens, ouvriers de service.
Cette présentation extrêmement succincte de votre projet de budget fait
apparaître, monsieur le ministre, trois priorités que vous affirmez souvent et
qui, d'ailleurs, recueillent notre accord.
La première concerne le plan social étudiant. A cet égard, les crédits pour
2000 traduisent véritablement le franchissement d'une étape supplémentaire et
importante dans sa mise en place. Nous approuvons les orientations de ce plan
social étudiant, qui, sans tomber dans les excès et la rigidité d'un éventuel
statut de l'étudiant, visent à améliorer la situation de celui-ci en termes
d'aides directes et indirectes, de logement, de transport et de restauration.
Il apportera aussi un perfectionnement du système d'attribution des bourses,
tout en maintenant les mécanismes de l'aide personnalisée au logement, l'APL,
ou de l'allocation de logement sociale, l'ALS, qui visent à permettre aux
étudiants de se loger dans des conditions plus satisfaisantes. Au total,
l'ensemble de l'action sociale en faveur des étudiants représente 9,6 % des
crédits, soit une progression de 8 %, chiffre tout à fait significatif.
En ce qui concerne les bourses, 36 000 étudiants en bénéficient, et les
crédits qui leur sont affectés augmentent de plus de 677 millions de francs.
L'objectif de faire profiter 30 % des étudiants d'un soutien financier devrait
donc être atteint dans les prochaines années.
En résumé, les orientations du plan social étudiant sont tout à fait
cohérentes et leur mise en oeuvre se poursuit avec détermination.
De même s'amorce - et c'est la deuxième priorité - la mise en place du
programme dit « U3M », « Université du troisième millénaire ». Les premières
tranches de crédits sont disponibles, et l'accent est mis sur le qualitatif,
mais aussi sur l'indispensable sécurité des universités et des structures
d'accueil des étudiants. Nous assistons donc, avant même que la négociation
soit terminée - je reviendrai d'ailleurs sur ce point - aux premières étapes de
l'application du programme « Université du troisième millénaire ».
La troisième priorité touche au renforcement de l'encadrement pédagogique et
de la recherche, qui résulte de l'effet conjugué de la baisse des effectifs de
l'enseignement supérieur et de l'effort, poursuivi depuis plusieurs années
maintenant, de renforcement des effectifs d'enseignants et de chercheurs.
En conclusion, ce projet de budget fait l'objet de développements beaucoup
plus importants dans le rapport écrit de la commission des finances, mais il me
semblait nécessaire de résumer devant vous, mes chers collègues, les principaux
points abordés dans celui-ci.
Je voudrais maintenant, monsieur le ministre, vous faire part d'un certain
nombre d'observations sur quelques problèmes majeurs nous conduisant à nous
interroger sur la capacité d'adaptation au troisième millénaire de l'appareil
de formation et de recherche français.
Ma première observation portera sur les structures pédagogiques.
Une nouvelle fois, - c'était déjà le cas l'an dernier - nous nous trouvons un
peu désorientés, si j'ose dire, et nous nous demandons où en est exactement la
mise en oeuvre des différentes réformes engagées.
S'agissant tout d'abord du premier cycle, l'application des dispositions
prévues par l'arrêté de 1997, notamment la semestrialité et la phase
d'observation et de réorientation, sera-t-elle poursuivie et généralisée ?
Quels sont vos projets concernant ce premier cycle ? En effet, le taux d'échec
en premier cycle continue de nous inspirer une vive inquiétude, d'autant que
des statistiques montrent que, par exemple, la proportion de bacheliers
scientifiques est en régression, ce qui laisse augurer une évolution difficile
des premiers cycles de l'enseignement supérieur au cours de la décennie à
venir.
Par ailleurs, nous approuvons la mise en place de la licence professionnelle,
mais sera-t-elle étendue à l'ensemble du territoire français ?
En ce qui concerne enfin le statut des grandes écoles et leurs relations avec
les universités, nous ne savons toujours pas précisément - j'avais déjà soulevé
cette question les années précédentes - quels sont les objectifs visés. A-t-on
renoncé à procéder à une réforme ? Nous aimerions obtenir des éclaircissements
sur ce point, monsieur le ministre, à l'occasion de ce débat budgétaire.
Ma deuxième observation concerne la mise en place du programme « Université du
troisième millénaire ».
On pourrait bien évidemment nous objecter que la conception générale de ce
plan a été arrêtée et que les objectifs ont été définis, mais que les projets
doivent maintenant être intégrés à la négociation, région par région, des
contrats de plan « enseignement et recherche », et qu'il est donc trop tôt pour
débattre des orientations, des montants financiers ou des questions de
localisation géographique ou de ventilation entre les diverses disciplines.
Nous nous attendons à cette réponse, et c'est pourquoi la commission des
finances a souhaité vous mettre en garde, monsieur le ministre, non pas contre
l'idée que, pour les sept ans à venir, soit la durée du plan, l'accent doit
être mis sur l'aspect qualitatif - chacun le comprend bien - mais contre un
certain nombre de difficultés que vous risquez de rencontrer.
Tout d'abord, s'agissant de la négociation avec les régions, il est certain
que les crédits importants affectés à la sécurité motivent beaucoup moins
celles-ci que les crédits alloués à l'extension ou à la création des
universités.
Par ailleurs, vous n'avez toujours pas réglé le problème de l'assujettissement
à la TVA des fonds de concours apportés par les différentes collectivités
locales. J'avais déjà soulevé cette question les années précédentes, mais c'est
toujours la même circulaire qui s'applique, et cela risque de dissuader les
collectivités locales de contribuer à la réalisation des projets.
En résumé, j'y insiste, il nous apparaît que des difficultés pourraient surgir
dans les négociations avec les régions à propos de la conception des projets
retenus et de leur mode de financement dans l'optique du plan U3M.
Ma troisième observation touche à la restructuration du site de Jussieu.
A ce propos, à chaque fois qu'une enquête est menée, le calendrier change, les
coûts sont réévalués, et jamais dans le sens d'une réduction. Selon le rapport
qui nous a été présenté par votre ministère, il semble que l'ensemble de cette
restructuration durerait jusqu'en 2003 et que son coût s'élèverait à environ
3,87 milliards de francs. Or, ayant lu par ailleurs que ce coût atteindrait
plutôt 5 milliards de francs, nous aimerions avoir la certitude que cette
opération ne perturbera pas la mise en oeuvre du plan U3M.
(M. le ministre
acquiesce.)
Monsieur le ministre, vous semblez me signifier que ce ne sera pas le cas, et
que la restructuration de Jussieu fera l'objet d'un financement particulier. Je
m'en réjouis, car les choses seront donc claires, à moins que l'enveloppe des
crédits destinés à financer le plan U3M n'ait été amputée par avance, alors
qu'il est nécessaire, compte tenu du passé, qu'un effort soit consenti dans
l'optique de celui-ci pour la requalification des universités de la région
d'Ile-de-France.
A plusieurs reprises, devant la commission et ici même, devant la Haute
Assemblée, vous avez indiqué que les modalités de l'opération de Jussieu ne
pouvaient pas être complètement cernées, que le Gouvernement avait la volonté
de mener à bien cette restructuration, mais que, tant qu'on ne pouvait pas
mesurer précisément l'incidence d'un éventuel transfert partiel sur Tolbiac de
certaines unités, on ne pouvait fixer de manière ferme ni le calendrier ni les
coûts.
Qu'en est-il aujourd'hui, en cette fin d'année 1999, de l'opération de
restructuration de Jussieu ?
Notre quatrième observation porte sur les bibliothèques universitaires, sur
lesquelles, à la demande du Sénat, nous avons réalisé une mission spécifique.
Je dois d'ailleurs dire que nous avons été très bien accueillis par vos
collaborateurs, ainsi que par l'ensemble desdites bibliothèques.
Nous avons formulé un certain nombre de remarques, de demandes, de souhaits
concernant le renforcement des capacités d'accueil des bibliothèques
universitaires, la mise en place du système universitaire de documentation, le
recours aux technologies nouvelles, l'extension des horaires d'ouverture, la
bonne relation entre les bibliothèques universitaires et les bibliothèques
locales, l'augmentation en nombre des personnels et l'amélioration de leur
formation.
Pour le dire très franchement, comme nous l'avons ressenti, notre rapport n'a
pas trouvé beaucoup d'écho auprès du ministre et de ses services. Est-il tombé
aux oubliettes ou des conséquences positives en seront-elles tirées ?
Nous avons observé que, dans le budget pour 2000, 15 millions de francs
supplémentaires étaient affectés aux bibliothèques universitaires et 80 postes
nouveaux étaient créés. C'est bien, mais nous avons quelque peu le sentiment
que ce n'est pas tout à fait à la hauteur des nécessités de la
modernisation.
Le système de documentation, qui - ce n'est pas à vous que nous l'apprendrons
! - est un élément essentiel de la pédagogie et de la recherche, n'est pas
suffisamment mis en valeur.
De la même façon, nous nous interrogeons sur la place des bibliothèques
universitaires dans le prochain plan « Université du 3e millénaire ». Nous nous
étions dit que les crédits qui devaient être affectés aux bibliothèques
universitaires pendant toute la période de ce plan devraient être de l'ordre de
10 %. Qu'en est-il ?
Nous nous inquiétons véritablement, car nous avons constaté un retard
important de nos universités sur les universités étrangères en matière de
politique documentaire. C'est l'un de leurs handicaps et ce sera l'une de leurs
difficultés, demain, à s'adapter aux nécessités du troisième millénaire.
Notre dernière observation porte sur la rationalisa-tion de la gestion des
crédits que nous souhaitons voir engagée.
Une fois encore, nous sommes dans une année de croissance des crédits et,
favorable que nous sommes au développement de l'enseignement supérieur et à
l'amélioration de sa qualité, nous pourrions tout naturellement nous dire que,
au fond, la solution, c'est toujours plus de crédits. Eh bien, ce n'est pas ce
que nous disons, ce n'est pas ce que dit aujourd'hui la commission des
finances.
A nos yeux, il est indispensable de poursuivre un important effort de
rationalisation de la gestion des crédits, c'est-à-dire d'entreprendre des
efforts d'économie, de redéploiement du personnel, de négociation avec
l'ensemble des universités, dans des mécanismes respectant leur autonomie, dans
des mécanismes de contractualisation, par exemple pour améliorer la gestion des
heures supplémentaires, sujet dont nous ne débattrons certainement pas cette
année, mais qui était tout de même une entreprise importante et difficile.
Alors que les effectifs d'étudiants baissent et que toutes les perspectives
sur les dix années à venir montrent qu'il continuera à en aller ainsi, il
convient aujourd'hui, après un effort de renforcement de l'encadrement,
d'entreprendre un effort supplémentaire de rationalisation de la gestion des
crédits.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les analyses qui ont été
faites par la commission des finances et par son rapporteur spécial. C'est au
vu de ces analyses qu'ils sont conduits à vous proposer le rejet des crédits du
ministère de l'éducation nationale pour la section de l'enseignement supérieur.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Avec 52,4
milliards de francs de crédits prévus pour 2000, l'enseignement supérieur
apparaît, cette année encore, monsieur le ministre, comme le parent pauvre de
votre très vaste département ministériel.
Cette pauvreté résulte moins de la progression des crédits, que M. Lachenaud a
évoquée, et qui atteint 2,6 %, que de l'absence de transfert budgétaire entre
l'enseignement scolaire, qui, lui, bénéficie d'une rente démographique, et
l'enseignement supérieur, qui doit aujourd'hui impérativement réussir sa
démocratisation sur le plan qualitatif.
Plus que l'évolution des crédits, c'est l'absence d'un grand projet
mobilisateur qui a retenu notre attention : l'ouverture modeste à
l'international, l'alignement des diplômes sur le modèle européen, la
modernisation de nos campus, la formation continue, les bourses de mérite
supplémentaires, etc., ne peuvent être interprétés comme un projet cohérent et
ambitieux pour l'enseignement supérieur.
Au-delà de ce manque de souffle, trop peu d'initiatives ont par ailleurs été
engagées pour lutter contre l'échec en premier cycle, qui a été évoqué, pour
remédier à la mauvaise orientation des étudiants - je vais y revenir - et à
l'inadaptation de trop nombreuses formations et pour conserver à la recherche
universitaire son rôle essentiel.
La progression des crédits est la plus faible depuis 1995 et doit être
rapportée à l'augmentation de 3,4 % des moyens de l'enseignement scolaire.
Cette faible progression se répercute automatiquement sur les emplois qui
seront créés en 2000 : 1 200 enseignants chercheurs, au lieu de 1 500 en 1999 ;
500 emplois IATOS, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de
service, contre 800 en 1999, dont 80 pour les bibliothèques, ainsi que l'a
souligné M. le rapporteur spécial, contre 150 en 1999. Trop de bibliothèques
universitaires sont aujourd'hui littéralement sinistrées.
Cette évolution des crédits budgétaires intervient alors que s'amorce une
baisse non négligeable des effectifs étudiants.
Lors de la dernière rentrée, notre système universitaire a accueilli quelque 2
100 000 étudiants, soit 13 000 de moins qu'en 1998. On a cependant observé une
certaine progression des effectifs dans les filières sélectives, ce dont il
convient de se féliciter. Cette décrue démographique devrait s'accélérer à
moyen terme.
Plus préoccupantes apparaissent, pour la commission, les inscriptions massives
en STAPS, sciences et techniques des activités physiques et sportives, au
nombre de 38 000 à la rentrée de 1999, étant rappelé que le professorat
d'éducation physique n'offre qu'un millier de postes chaque année. 38 000
inscriptions pour un millier de postes ! Un élargissement des débouchés de la
filière sportive s'impose à l'évidence. Mais ne vaudrait-il pas mieux réguler
en amont ?
S'agissant des disciplines scientifiques, qui nous sont familières, monsieur
le ministre, la désaffection des bacheliers à l'égard des diplômes d'études
universitaires générales, les DEUG, se traduit depuis deux ans par une baisse
de 10 000 étudiants. Une rénovation de ces DEUG a été expérimentée, l'an
dernier, dans six universités. Ces efforts sont, à mon sens, insuffisants et
une réflexion plus large sur l'avenir de la filière scientifique s'impose à
l'évidence.
Je voudrais, ensuite, souligner la portée limitée de certaines des réformes
que vous avez engagées.
Votre souci de développer le rôle international de l'enseignement supérieur
est évidemment légitime, et on ne peut qu'y être favorable. L'agence Edufrance,
quis'appuie déjà sur un réseau de quatre-vingts établissements, a notamment
signé un protocole de coopération destiné à accueillir plusieurs milliers
d'étudiants chinois pour les trois ans à venir, mais ses moyens, tant en
personnels qu'en crédits de fonctionnement, ne sont pas à la hauteur de ses
ambitions.
Vous rentrez d'un important voyage en Inde, monsieur le ministre : quels
moyens nouveaux entendez-vous donner à l'agence Edufrance ?
D'une manière plus générale, on peut constater que la France perd du terrain
sur le marché de l'accueil des étudiants étrangers : ils constituaient 8,5 % de
la population des universités françaises en 1998, contre 13 % en 1985.
Afin de remédier à cette situation, un rapport d'information de l'Assemblée
nationale propose d'accroître l'autonomie des universités en ce domaine. Ce
rapport préconise également une mesure, à mon sens discutable, qui conduirait à
ne plus considérer une bonne maîtrise de la langue française comme un préalable
à la poursuite d'études dans notre pays.
Je crois qu'il convient aussi de relativiser la réalité de ce marché mondial
de l'enseignement supérieur que vous vous plaisez à souligner, monsieur le
ministre, même si les universités anglo-saxonnes s'installent désormais dans
certains pays européens, comme l'Italie, la Grèce et, éventuellement, la
France.
La réalité montre que la mobilité étudiante internationale est davantage
déterminée par les accords entre établissements et les affinités culturelles et
historiques que par une comparaison entre les offres universitaires, selon les
règles strictes du marché. Il conviendrait sans doute que nos universités
soient plus autonomes pour proposer des offres de formations spécifiques qui
seraient évaluées par des organismes indépendants et internationaux. Nous en
sommes encore loin.
S'agissant de la mise en place d'un espace universitaire européen, celui-ci
doit se traduire par une architecture commune pour les formations et les
diplômes, fondée sur deux cursus, avant et après la licence, le second cursus
devant conduire au mastère et au doctorat.
Le mastère a enfin vu le jour et ses modalités ont été précisées par le décret
du 30 août 1999 : ce grade sera conféré à tout titulaire d'un diplôme européen
ou français faisant l'objet d'une habilitation à bac + 5.
Dans le même temps, il nous faut constater que le rapprochement des grandes
écoles et de l'Université, prôné par le rapport Attali, devient une réalité ;
des synergies s'établissent d'ores et déjà en matière de recherche. Les grandes
écoles, qui contrairement à des idées reçues font de la recherche, et depuis
longtemps, se rapprochent des laboratoires universitaires.
Des regroupements entre grandes écoles et universités sont ainsi intervenus à
Tours, Nantes, Belfort, mais aussi à Bordeaux, ce dont il convient de se
féliciter.
Cette volonté de rapprochement se retrouve au niveau du recrutement des
grandes écoles, qui tend désormais à se diversifier en première année ou au
cours de la scolarité : aujourd'hui, 52 % des ingénieurs ne sont plus issus des
classes préparatoires.
La professionnalisation des cursus universitaires constitue par ailleurs une
priorité pour notre enseignement supérieur ; elle a suscité de nombreuses
initiatives, dans le passé, dans quelques universités.
A cet égard, il convient de saluer la naissance de la nouvelle licence
professionnelle, qui répond aux objectifs du cursus pré-licence.
Cette licence s'adresse aux titulaires de DEUG, de brevet de technicien
supérieur, BTS, ou de diplôme universitaire de technologie, DUT, se destinant à
une insertion professionnelle relativement rapide et sera définie en liaison
avec les milieux professionnels. Des incertitudes subsistent cependant,
monsieur le ministre, sur une éventuelle sélection à l'entrée, compte tenu des
débouchés professionnels nécessairement limités, sur les moyens qui seront
consacrés à ce nouveau diplôme, sur sa vocation, sur la répartition des
enseignements théoriques et pratiques. Pourriez-vous, monsieur le ministre,
éclairer le Sénat sur tous ces points ?
L'avenir de la filière technologique, et notamment des instituts
universitaires de technologie, les IUT, apparaît, en revanche, moins clair.
La commission est attentive aux inquiétudes exprimées par les directeurs d'IUT
: une menace pèserait - ce n'est pas nouveau - sur leur autonomie au sein des
universités, la réduction du volume des heures complémentaires - c'est plus
grave - est de nature à porter atteinte à l'ancadrement des élèves et des
incertitudes subsistent sur le rôle des instituts dans la délivrance des
nouvelles licences professionnelles et sur leur articulation avec les nouveaux
cursus européens.
La commission tient à rappeler son attachement aux IUT, qui ont fait la preuve
de leur efficacité et de leur caractère démocratique, en dépit d'une sélection
parfois critiquée. Les IUT ont su mêler la tradition et un enseignement
appliqué ; ils jouent par ailleurs un rôle capital dans l'aménagement du
territoire. Les sénateurs y sont tout particulièrement attachés.
Pour en terminer avec ce « volet professionnalisant », je voudrais souligner
que l'université n'a pas encore accordé la part qui revient à la formation
continue diplômante : force est de constater que l'université est bien loin de
bénéficier de la manne financière supposée de la formation continue.
J'aborderai, en dernier lieu, le plan social étudiant et le programme U3M.
Comme nous l'avons déjà constaté l'an dernier, le plan social étudiant a une
portée modeste : revaloriser les taux des bourses de 15 % en quatre ans et
étendre ces aides à 30 % des étudiants.
La rentrée de 1999 a vu la création d'une bourse de premier cycle destinée à
remédier aux situations de perte brutale de bourse sur critères sociaux. Par
ailleurs, 200 bourses supplémentaires de mérite seront attribuées : leur
montant sera majoré de 5 francs pour faciliter, semble-t-il, le paiement par
trimestre ou par mois. Je n'aurai pas le mauvais esprit de commenter une telle
majoration...
Je rappellerai que 410 000 étudiants bénéficiaient d'une bourse lors de la
précedente année universitaire et qu'un peu plus de 7 milliards de francs
étaient consacrés au paiement de ces bourses ; 677 millions de francs s'y
ajouteront à la rentrée 2000.
Sur un plan plus général, la commission des affaires culturelles regrette
qu'aucune réflexion n'ait été engagée pour réduire la part trop importante des
aides indirectes accordées aux étudiants sans conditions de ressources, et pour
définir un statut spécifique aux étudiants, permettant à ces derniers de
choisir une formule d'autonomie.
Il nous faut enfin évoquer le plan U3M. Ce plan doit prolonger le schéma
Université 2000 ; il s'inscrit dans un contexte de baisse démographique et dans
une approche plus qualitative.
Cela étant, je fais miennes les observations qui ont été présentées par M. le
rapporteur spécial. Je ne rappellerai que les grandes lignes du plan U3M :
création de départements d'IUT sur des sites existants, mise en place de 70
plates-formes technologiques, rattrapage des retards de constructions
universitaires, développement d'un volet « vie étudiante », déconcentration des
grands établissements, implantation de six nouvelles universités de
technologie, accueil d'étudiants étrangers, effort particulier - qui a été
souligné - en faveur de l'Ile-de-France et de Paris-Centre.
Sur ce dernier point, il convient de rappeler que le désamiantage du campus de
Jussieu - nous en avons déjà parlé et nous savons l'un et l'autre quelles sont
nos positions sur ce sujet - a été évalué à 3,8 milliards de francs, et que le
projet de loi de finances pour 2000 prévoit 600 millions de francs pour assurer
la montée en charge de ce chantier coûteux.
La commission des affaires culturelles insiste surtout sur le coût incertain
du plan U3M et sur le nouvel appel qui sera fait aux collectivités locales pour
son financement : d'après le comité interministériel pour l'aménagement et le
développement du territoire de juillet 1999, la part de l'Etat pour l'exécution
du volet enseignement supérieur et recherche des prochains contrats de Plan
serait de 15 milliards de francs, ce chiffrage devant être affiné après
négociation avec les régions.
Selon certaines indications, le coût du plan U3M pourrait représenter plus de
38 milliards de francs, dont 14 milliards de francs pour l'Etat au titre de sa
part dans les contrats de plan.
Vous serait-il possible, monsieur le ministre - c'est une demande qui émane de
l'ensemble des groupes représentés au sein de la commission des affaires
culturelles - d'apporter des précisions sur le coût de ce programme et sur la
contribution totale et détaillée qui sera demandée aux régions, celles-ci
n'ayant guère de liberté pour remettre en cause les priorités d'U3M ?
Pourriez-vous également fournir des indications sur les orientations du plan
U3M, à la suite de la publication du rapport d'étape de son comité stratégique
? Ces orientations sont à l'évidence susceptibles d'avoir des incidences sur le
rôle des premiers cycles et sur le maillage universitaire du territoire,
questions auxquelles la commission des affaires culturelles accorde un intérêt
tout particulier.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles, au
nom de laquelle je m'exprime, compte tenu de la modestie des moyens annoncés,
de l'absence de transfert interne au sein de ce budget et d'une définition
insuffisante des objectifs, a donné un avis défavorable à l'adoption des
crédits de l'enseignement supérieur pour 2000.
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 18 minutes ;
Groupe socialiste : 16 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 14 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 11 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Monsieur le ministre, mon propos sera bref mais précis. Ainsi que vous ne
pouvez l'ignorer, le Parlement - c'est-à-dire l'Assemblée nationale et le Sénat
- a voté à l'unanimité, ce qui est assez rare par les temps qui courent, deux
lois : la première concernait la prise en charge de la douleur, la seconde, les
soins palliatifs et la fin de vie.
Je commencerai par la première. Il fallait changer les mentalités puisque,
comme vous le savez, la douleur s'était banalisée dans notre pays. Il était
habituel de dire à un homme qui souffrait : « Mon pauvre monsieur, vous
souffrez, mais c'est normal de souffrir avec ce que vous avez ». A partir du
moment où l'on avait prononcé ces mots fatals - « c'est normal de souffir » -
on laissait souffrir.
Aujourd'hui, après l'adoption de cette loi de progrès, la douleur est prise en
charge. Mais la formation des médecins est essentielle dans ce domaine et votre
prédécesseur avait décidé de créer, dans le cadre d'une formation continue - ce
qui est une bonne chose en matière médicale - deux séminaires obligatoires
concernant la formation à la douleur et - suite normale - les soins
palliatifs.
Or nous nous sommes très rapidement rendu compte que la mise en place de ces
séminaires obligatoires prenait énormément de temps et que cette formation
n'était pas dispensée dans toutes les UER de médecine.
En outre, cette situation s'est accompagnée d'un autre phénomène : l'attitude
du corps médical face à la morphine. De peur qu'un brave homme ou une brave
femme susceptible de décéder dans les deux ou trois mois ne devienne toxicomane
avant son décès, on ne lui administrait pas de morphine !
Mais l'on s'est rendu compte, à la lumière de ce qui se fait dans les pays
étrangers et des sondages réalisés à la demande de la commission, que c'était
une absurdité. Les morphiniques ont donc de nouveau été utilisés pour empêcher
les gens de souffrir. En conséquence, les études médicales s'agissant de la
prise en charge de la douleur ont été modifiées en ce sens.
En juin dernier, un autre projet de loi a été adopté, qui visait à rendre
possible l'accès aux soins palliatifs pour tout malade.
Là encore, nous nous sommes heurtés à des mentalités quelque peu figées et une
formation spécifique des médecins s'imposait. Ce n'est pas à vous, monsieur le
ministre, que j'expliquerai que, dans nos mentalités occidentales, la mort est
considérée comme un concept que l'on repousse, et dont ne ne parle pas ;
surtout, un certain nombre de médecins estimaient que la mort était leur échec
personnel.
Nous souhaitons donc, monsieur le ministre - et les associations et le corps
médical qui se préoccupent de ces problèmes sont unanimes sur ce point - que,
compte tenu de la nécessité des soins palliatifs et d'un accompagnement de la
fin de la vie avec prise en charge de la douleur, ce qui, dans une société
telle que la nôtre, est tout à fait légitime, vous veilliez vraiment par
vous-même - nous savons que vous ne manquez pas d'autorité ! - à ce qu'un
enseignement spécifique soit dispensé dans nos UER de médecine en application
de ces deux lois que j'ai rappelées.
En effet, il nous est apparu que la mise en place de ces enseignements se
faisait avec une ardeur que je ne qualifierai pas de dynamique. Nous comptons
donc sur vous, monsieur le ministre, pour accompagner la mise en oeuvre de ces
deux lois adoptées à l'unanimité par le Parlement.
(M. Louis Boyer applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du
projet de budget de l'enseignement supérieur se déroule cette année dans un
contexte fort différent de celui des années précédentes, marqué en particulier
par une diminution du nombre d'inscrits dans les disciplines scientifiques
dites « lourdes ».
Ce phénomène est encore limité mais il nous faut en connaître les causes, afin
d'en tirer un certain nombre d'enseignements pour les décisions à prendre dans
les années à venir.
C'est dans ce contexte que le budget progresse, mais moins qu'en 1998 et en
1999.
L'enseignement supérieur, comme l'enseignement scolaire, ne bénéficie pas, à
hauteur de ses besoins, des bénéfices de la croissance enregistrée cette
année.
En dépit des efforts réalisés par la majorité plurielle et par votre ministère
concernant l'aide aux étudiants, la sélection sociale reste une réalité de
l'université.
Le montant des bourses augmente de 677 millions de francs ; le taux des aides
est également revu à la hausse.
Pour autant, nous sommes encore loin de la pleine application du plan social
étudiant.
De trop nombreuses universités pratiquent pour les étudiants non boursiers des
droits d'inscription, voire des frais annexes à ces droits d'un montant
exorbitant. C'est là une manière pour elles de pallier leur manque de
trésorerie. Je pense que, partout où tel est le cas, le ministère se doit
d'intervenir.
Je note par ailleurs que le droit au logement des étudiants se heurte, dans
certaines régions, à des difficultés insurmontables. En région parisienne, le
coût de la construction au mètre carré empêche la réalisation de logements
neufs. Paris est la « lanterne rouge » en matière de capacités d'accueil en
logement étudiant avec 2 000 chambres pour 330 000 inscrits.
La part allouée au logement dans le projet de budget croît de 2,4 %. Comment
penser que cette augmentation sera de nature à combler les retards pris ?
La santé des étudiants est un autre dossier important et inquiétant que
j'aborde chaque fois que l'occasion m'en est donnée. Cette année encore, aucune
mesure budgétaire, à l'exception de la création de quelque vingt postes
d'infirmères, ne prend en compte ce problème, qui reste pourtant un enjeu de
santé publique pour notre jeunesse sur laquelle devraient porter par définition
en priorité les efforts de prévention.
Dans un appel récent, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la
recherche déclarait : « Le budget donne la priorité à l'amélioration du cadre
de vie et du travail des étudiants qui exige aussi un effort national de
rénovation-modernisation des établissements. »
La période de moindre flux des étudiants ne devrait-elle par être l'occasion
pour nous, l'urgence passée, d'engager une réflexion sur la qualité de notre
enseignement supérieur au rang de laquelle je range cette rénovation des
établissements ?
Le plan U3M se veut ambitieux ; pour autant, la capacité des conseil régionaux
à le financer reste déterminante. L'Etat prévoit une intervention de l'ordre de
14 milliards de francs pour la réalisation de ce plan qui devrait couvrir les
années 2000-2006 ; cette année, 4 milliards de francs sont inscrits. C'est
bien, mais cela ne répond néanmoins que partiellement aux besoins de
financement des régions pour U3M, évalués à plus de 40 milliards de francs.
Les retards pris d'ores et déjà par certaines d'entre elles ne risquent-ils
pas de s'accumuler ? Quelle sera la nature de l'intervention de l'Etat afin
d'assurer, en matière d'équipements universitaires, une égalité de traitement
sur l'ensemble de notre territoire ?
Au-delà des nouveaux équipements eux-mêmes, il convient de tout mettre en
oeuvre pour assurer, dans les structures existantes, un meilleur accueil des
étudiants.
Cette préoccupation, je le sais, est aussi la vôtre, monsieur le ministre,
comme en témoigne l'augmentation de 20 % des budgets de maintenance des
équipements universitaires. Il nous faut faire vite. Bien souvent, l'aspect de
nos universités, leur mauvais entretien contribuent à ces sentiments à la fois
de lassitude, mais aussi de manque de considération que peuvent éprouver les
étudiants et l'ensemble de la communauté universitaire.
Cette question m'amène tout naturellement à évoquer le manque de personnel
IATOS. Avec moins de quatre cents postes prévus dans le projet de budget 2000,
les conditions de travail des personnels, l'entretien des bâtiments
universitaires, l'accueil des étudiants, l'humanisation de l'université,
resteront encore des objectifs à atteindre à l'horizon indéfini.
Je prendrai un exemple concret, monsieur le ministre, celui de l'université
des sciences et des technologies de Lille - Lille I - avec laquelle j'ai des
liens particuliers du fait de mes responsabilités de vice-président du conseil
régional du Nord - Pas-de-Calais.
Lors de sa dernière réunion, le conseil d'administration a constaté plusieurs
éléments préoccupants. En premier lieu, il a constaté que la diminution des
effectifs des étudiants se répercute rapidement sur les emplois IATOS et les
crédits de fonctionnement pédagogique alors même que cette baisse devrait être
l'occasion d'une modification des pratiques pédagogiques - groupes plus petits,
individualisation plus poussée, tutorat... - qui nécessiterait une implication
plus forte de la part des personnels non enseignants.
Ensuite, plus globalement, il conviendrait de procéder à la diversification
des missions de l'enseignement supérieur, de répondre aux attentes de la
société en termes de créations d'activités nouvelles, d'introduction des
nouvelles technologies de l'information et de la communication, de
développement de l'enseignement à distance, qui nécessitent des spécialités
nouvelles et un nombre d'emploi IATOS suffisant.
Enfin, le modèle de répartition des moyens ne prend pas en compte certaines
spécificités des établissements, qui conduisent à des besoins plus prononcés.
En ce qui concerne l'université des sciences et des technologies de Lille, par
exemple, il s'agit de l'existence d'un campus.
Le faible soutien régional des organismes de la recherche fait reposer sur les
universités l'essentiel de l'effort de recherche.
De ce fait, l'écart entre les besoins en emplois tels qu'ils sont calculés et
le potentiel de l'établissement n'est qu'un indicateur partiel des besoins
réels. Ainsi, pour Lille I, deux emplois ont été créés cette année, alors qu'il
faudrait quarante ans pour résorber le retard, voire plus puisque les besoins
sont largement sous-estimés. L'ensemble des universités du Nord - Pas-de-Calais
est dans une situation identique.
La stagnation des moyens financiers alloués aux universités, voire leur
diminution comme c'est le cas pour l'université des sciences et des
technologies de Lille, place ces institutions dans une situation extrêmement
difficile. Elles ne peuvent faire face à leurs missions. Leurs capacités
d'innovation sont freinées.
Moins que d'une énième réforme, monsieur le ministre, notre système
universitaire a besoin d'être tout entier réorienté vers un objectif : la
qualité. C'est parce que cet objectif fait défaut que les étudiants perdent
tout intérêt en l'université.
Après avoir abordé la vie étudiante, les conditions d'accueil des étudiants,
j'en viens aux études, qui doivent être l'élément essentiel de nos
préoccupations.
L'emploi, notamment l'emploi public - mais ce n'est pas propre à votre
ministère - est le grand laissé-pour-compte des budgets pour 2000 !
Pour l'enseignement supérieur, le solde d'emplois est négatif : 1 674
suppressions de postes contractuels contre 1 668 créations. De plus, parmi les
1 196 postes d'enseignants créés, 400 sont des postes d'attachés temporaires
d'enseignement et de recherche, c'est-à-dire des emplois précaires.
Un effort particulier dans le recrutement des enseignants aurait permis,
compte tenu de la baisse du nombre des inscrits à l'université, un meilleur
taux d'encadrement des étudiants et, parallèlement, une amélioration de la
qualité de l'enseignement. Ce n'est pas l'orientation prise. Je le regrette.
Voici un exemple précis : chacun s'accorde à reconnaître la faiblesse de notre
enseignement en ce qui concerne l'apprentissage des langues étrangères. Or,
parmi vos compétences, figure, monsieur le ministre, la construction d'un «
Espace européen de l'enseignement supérieur ».
Pourtant, parallèlement, quelque 1 674 postes de lecteurs et de maîtres de
langues sont supprimés. Une telle suppression permettra-t-elle d'améliorer le
niveau de nos étudiants dans une, voire dans plusieurs langues étrangères ?
Une meilleure connaissance des langues de nos voisins est indispensable, si
l'on veut l'harmonisation.
L'effort consenti l'an dernier en faveur des bibliothèques universitaires
n'est pas reconduit : seulement 80 postes de personnels de bibliothèques sont
créés contre 150 l'an dernier.
Peut-être le moment est-il venu, monsieur le ministre, de conduire une
réflexion d'ensemble sur le devenir de notre système universitaire.
Je me borne à évoquer l'échec à l'université, dans les premiers cycles
notamment. Il frappe au premier chef les jeunes étudiants issus de milieux
défavorisés.
Je ne traiterai pas davantage du taux de passage dans les troisièmes cycles et
vers la recherche où, là encore, les étudiants n'accèdent pas à ces filières
dans l'égalité.
Le sport à l'université, l'accès des étudiants à la culture et à
l'enseignement artistique figurent également parmi les thèmes qui, faute de
moyens suffisants et parfois de réflexion ou à cause d'une certaine lourdeur
d'intervention, restent à l'abandon.
L'enseignement, notamment l'enseignement supérieur, ne doit pas être rangé au
rang d'une dépense.
Nous pensons qu'il s'agit d'un investissement pour l'avenir de notre pays mais
également pour l'avenir de milliers de jeunes qui, dans une période de
mutations rapides, doivent trouver à l'université, au lycée, à l'école, les
instruments d'une meilleure assise dans le monde et dans notre société.
Peut-être l'amélioration des chiffres du chômage participe-t-elle de cette
régression des inscriptions à l'université. Mais est-elle seule en cause ?
Dans ces temps de barbarie ordinaire, où l'on a parfois l'impression de tâter
l'avenir avec une canne blanche, l'université doit tenir toute sa place.
L'augmentation du niveau de formation est encore aujourd'hui le meilleur
cheminement vers la démocratie, la citoyenneté, la culture et la
connaissance.
Associons les étudiants, associons les enseignants, associons nos concitoyens
à la préparation de l'université du troisième millénaire.
Certes, le projet de budget que nous examinons marque quelques efforts en
faveur du plan social en faveur des étudiants, mais combien de travaux
accumulent encore trop de retards.
Avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, je peux estimer que
le projet de budget de l'enseignement supérieur n'est pas à la hauteur des
enjeux du siècle à venir. Pour ces raisons, nous nous abstiendrons.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
budget de l'enseignement supérieur pour l'an 2000 s'élève à 52,4 milliards de
francs, soit une progression de 2,63 %. Il s'articule autour de trois axes
majeurs : l'amélioration des moyens de fonctionnement, la mise en oeuvre du
plan U3M et la poursuite des efforts en faveur du plan social étudiant.
Je souhaiterais souligner importance de ces trois priorités pour l'université
des Antilles et de la Guyane, qui n'est pas sans connaître de graves
difficultés.
S'agissant tout d'abord des moyens humains, l'université a besoin d'un grand
nombre d'enseignants-chercheurs et, surtout, d'un grand nombre de personnels
administratifs.
Monsieur le ministre, vous n'êtes pas sans savoir que les personnels
non-enseignants de l'académie de la Guyane ont récemment arrêté le travail pour
réclamer la création de 200 postes supplémentaires. A ce jour, qu'en est-il
?
Cette revendication peut vous paraître excessive alors qu'elle n'est, en fait,
que le triste reflet d'une situation déplorable. En effet, d'après le
recensement de 1999, la Guyane est le département français qui a connu la plus
importante augmentation démographique. Et, du fait de la jeunesse de la
population, le nombre des étudiants inscrits à l'université ne cesse de croître
dans des proportions conséquentes. Or, jamais les effectifs des personnels
ATOSS n'ont suivi.
Est-il par ailleurs acceptable, monsieur le ministre, que les agents de votre
ministère résidant en Guyane ne perçoivent leur salaire que selon le bon
vouloir des fonctionnaires de l'éducation nationale de Fort-de-France ? Je vous
sais imprégné de « décentralisme », sinon de décentralisation : pouvez-vous me
dire si en 2000 les fonctionnaires de Guyane auront satisfaction et pourront
être payés par un service dépendant de l'éducation nationale, installé en
Guyane ?
S'agissant, ensuite, de la mise en oeuvre du plan U 3 M, l'université des
Antilles et de la Guyane a besoin d'un véritable soutien pour chacun des sites
universitaires.
Pour la Guyane, il s'agit de mettre en place un projet concerté de
développement de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ce dernier doit
passer par la définition de filières et de contenus en vue de favoriser
l'émergence d'un corps de jeunes Guyanais compétents et diplômés, par
l'amélioration des conditions de vie et de travail des usagers du campus,
notamment, l'installation de laboratoires de recherche, et par une meilleure
articulation entre l'université et les groupes de recherche implantés en
Guyane.
Pour la Martinique, il convient de dégager les moyens nécessaires pour que
l'enseignement scientifique puisse se développer dans le cadre défini par les
assises de l'université.
Pour la Guadeloupe, il faut procéder d'urgence à la réhabilitation et à la
reconstruction des bâtiments du campus de Fouillole, dont la vétusté inquiète,
non sans raison, les membres de la communauté universitaire.
S'agissant enfin du plan social étudiant, l'université des Antilles et de la
Guyane a besoin de moyens importants pour réussir dans le contexte économique
difficile des départements d'outre-mer.
Récemment, les étudiants de Guyane ont provoqué une grève dure, qui a gêné la
libre circulation de la population. Ils ont eu raison de manifester leur
mécontentement, car il n'est plus possible de faire fonctionner une université
qui se trouve dans un état de délabrement insupportable.
Le manque de postes est par ailleurs flagrant, il se fait de plus en plus
sentir et il est extrêmement urgent que vous me répondiez à propos de la
création de huit postes permanents d'enseignants-chercheurs pour l'enseignement
supérieur.
Pouvez-vous en outre confirmer, monsieur le ministre, que l'UFR de droit et
des sciences économiques de Guyane pourra disposer dans l'immédiat de deux
postes de maîtres de conférences en droit public et de deux postes de maître de
conférences en droit privé ?
Je souhaiterais maintenant aborder un sujet qui me tient particulièrement à
coeur - à vous aussi - et qui, je l'espère, devrait bientôt se concrétiser : la
création d'une université autonome en Guyane.
La restructuration de l'enseignement supérieur dans ce département d'outre-mer
est une nécessité absolue. Nous nous devons d'offrir à tous nos étudiants la
possibilité de poursuivre leurs études dans les meilleures conditions. Or,
aujourd'hui, les jeunes Guyanais titulaires d'un DEUG et désireux d'obtenir une
licence dans les filières classiques sont contraints de partir pour les
Antilles ou pour la métropole.
L'instauration d'une telle structure permettra de combler les lacunes de
l'enseignement supérieur en Guyane et d'insuffler une nouvelle dynamique au
système éducatif dans son ensemble.
En effet, l'université devra non seulement accueillir les étudiants, mais
également être conçue comme un espace de formation ouvert au plus grand nombre.
Dans un monde en pleine mutation, il faudra apprendre aux étudiants à
entreprendre et promouvoir leur esprit d'investigation. Il sera également
nécessaire d'offrir à l'enseignement supérieur en Guyane de nouvelles
perspectives, telles que les nouvelles technologies de l'information et de la
communication, les activités liées à la biodiversité ou encore la participation
des chercheurs à la formation universitaire.
La mise en place d'une telle structure est ardue, j'en ai conscience.
L'application de la législation actuelle, la loi sur l'enseignement supérieur
de 1984, ne permet pas de résoudre toutes les difficultés auxquelles est
confrontée quotidiennement la composante universitaire guyanaise, qui ne peut
exister véritablement ni offrir aux étudiants l'accès à un enseignement
supérieur auquel ils ont droit.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
D'un point de vue institutionnel, la réalisation des perspectives de
développement devrait, dans la situation actuelle, recueillir la faveur du
conseil d'administration de l'université des Antilles et de la Guyane. Or les
décisions de ce conseil sont indexées sur la quantité d'étudiants présents dans
les différentes composantes. Il est inacceptable qu'à l'avenir les conditions
d'évolution ou de fonctionnement de la structure guyanaise soient suspendues au
vote des représentants des structures antillaises, qui constituent plus de 80 %
du conseil d'administration de l'université des Antilles et de la Guyane.
La gestion administrative et financière du dispositif guyanais est entièrement
assumée par les responsables de services présents en Guadeloupe, alors que les
crédits de fonctionnement ou d'investissement proviennent principalement des
collectivités locales guyanaises. Cette non-souveraineté des structures
universitaires guyanaises entraîne des conséquences regrettables. Elle suscite
un malaise politique local et un sentiment d'absence de reconnaissance et de
confiance chez les responsables universitaires locaux. Elle nécessite des
procédures lourdes et lentes pour effectuer une simple dépense.
D'un point de vue technique, il est inconcevable de gérer un site à 2 000
kilomètres de distance. Aussi est-il impératif que la Guyane soit dotée d'un
véritable service technique avec les moyens nécessaires en compétences humaines
et en moyens financiers.
Enfin, d'un point de vue pédagogique, tous les diplômes accessibles en suivant
les enseignements en Guyane doivent faire l'objet d'une demande d'habilitation
de la part des enseignants présents en Guyane. Le contenu des matières, les
sujets d'examen, les corrections ne peuvent pas raisonnablement être identiques
dès lors que les enseignements relatifs à un diplôme sont dispensés par des
enseignants différents et sur un site différent.
Le développement de l'enseignement supérieur en Guyane se heurte donc à
d'importantes difficultés, à des difficultés parfois insurmontables. La
situation actuelle est inadaptée du fait de l'éclatement sur trois régions à la
fois éloignées et différentes. Et la loi de 1984 ne permet pas de mettre en
oeuvre toutes les perspectives de développement qui sont devenues peu à peu
pour la population guyanaise des exigences légitimes.
Aussi n'existe-t-il pas, à mon sens, d'autre solution que la création de
l'université de Guyane. Ce procédé a d'ailleurs été adopté récemment pour
reconsidérer le devenir de l'université française du Pacifique par la création
de l'université de Nouméa et de l'université de Papeete.
A l'aube du xxie siècle, l'heure est non plus aux bilans mais à la préparation
de centaines d'étudiants venus trouver dans l'enseignement supérieur en Guyane
les outils nécessaires pour bâtir leur dessein professionnel. Monsieur le
ministre, donnez-nous les moyens d'élaborer ce vaste projet qui engagera
l'avenir de la Guyane et de ceux qui la composent.
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente, sous la présidence de M. Jean Faure.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant l'enseignement supérieur.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis
plusieurs années, nous sommes dans un contexte de baisse des effectifs
étudiants et, parallèlement, de hausse du budget consacré à l'enseignement
supérieur, ce qui permet d'oeuvrer pour une transformation qualitative du
système, notamment par la progression du taux d'encadrement des étudiants.
En augmentation de 2,6 %, le budget de l'enseignement supérieur pour 2000
confirme les orientations, définies en 1998, de modernisation et de poursuite
de la démocratisation de notre système d'enseignement supérieur.
Il s'articule autour de trois priorités : la montée en charge du plan social
étudiant, la mise en oeuvre du programme Université pour le troisième
millénaire et l'amélioration des moyens des établissements, en particulier dans
le domaine des emplois.
Outre les mesures de revalorisation des carrières, près de 1 300 emplois
nouveaux sont prévus : 796 postes d'enseignants-chercheurs, dont 35 % de
professeurs et 65 % de maîtres de conférence, et 400 attachés temporaires
d'enseignement et de recherche ; 514 postesd'IATOS sont créés, répartis pour
l'essentiel en personnel de recherche et de formation - 257 postes - et en
personnels administratifs - 115 postes.
En ce qui concerne le plan social étudiant amorcé dans la loi de finances de
1999, les crédits de l'aide sociale augmentent de 8 % et ceux qui sont destinés
aux bourses de 9,5 %, ces derniers atteignant un montant de 7,8 milliards de
francs.
Cette hausse permettra d'élargir le nombre des étudiants aidés, grâce à un
relèvement des plafonds de ressources pour les bénéficiaires, à l'instauration
d'une bourse « à taux zéro » sous forme d'exonérations de droits d'inscriptions
et de sécurité sociale et d'une bourse de premier cycle. Au total, 36 000
étudiants supplémentaires seront soutenus en 2000, l'objectif étant d'atteindre
30 % de boursiers sur quatre ans.
Par ailleurs, le plan social étudiant s'attache à améliorer le cadre de vie
des étudiants, ce qui n'avait pas été possible jusqu'alors, les universités
devant relever le défi de la massification.
Cette amélioration passe évidemment par le logement, les transports, mais
aussi et surtout par la santé.
Les difficultés au quotidien de certains étudiants, spécialement des plus
démunis, qui peuvent être liées à une mauvaise hygiène de vie, au stress, ou à
la solitude, doivent être prises en compte à travers une véritable politique de
prévention et de surveillance médicale. Or, depuis 1995, les crédits alloués à
la médecine universitaire n'ont pas connu de réelle augmentation, hormis la
création de postes d'infirmiers, au nombre de 20 cette année, comme pour
l'année passée. Un texte refondant les missions des services de médecine
préventive et de promotion de la santé était pourtant prévu pour la fin de
l'année 1998.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation
nationale l'état d'avancement de ce texte ? Cette redéfinition des missions de
la médecine universitaire s'accompagnera-t-elle d'un réel effort budgétaire
dans les prochains projets de lois de finances ?
Deuxième priorité de ce budget : la poursuite du programme Université pour le
3e millénaire lancé l'an dernier.
Pour l'année 2000, près de 4 milliards de francs en autorisations de
programmes permettront des opérations de mise en sécurité et de réhabilitation
des locaux universitaires, de construction et de restructuration.
Ils serviront également à financer des opérations spécifiques comme la
continuation du désamiantage de Jussieu, la rénovation du Muséum d'histoire
naturelle ou la construction du musée des arts et civilisations.
Certaines régions rechignent à participer au financement du volet de
restructurations et de mise en sécurité des établissements du plan U3M.
Pourtant, la présence d'un pôle universitaire constitue une richesse pour une
région, que ce soit en termes de maintien des populations, de développement
économique ou de la vie intellectuelle et culturelle. L'entretien des
universités est tout aussi important et bénéfique pour les collectivités
locales que leur création. Il me semble donc tout à fait logique qu'elles
participent financièrement au plan U3M. Un éventuel manque de motivation en ce
domaine serait tout à fait regrettable pour le développement régional.
Sans négliger les mesures très positives de ce plan, j'aimerais vous faire
part, monsieur le ministre, de mon inquiétude concernant la situation des
bibliothèques universitaires.
Si l'effort budgétaire en leur faveur s'est accru au cours des trois dernières
années, et en dépit de 15 millions de francs de mesures nouvelles et de la
création de quatre-vingts emplois de personnels de bibliothèque cette année, la
modernisation des bibliothèques, priorité forte du plan U3M, exigera un
renforcement important des moyens en raison des carences du plan U 2000 en ce
domaine.
Entre 1991 et la fin 2000, moins de 300 000 mètres carrés de bibliothèques
auront été construits, alors que la construction de 500 000 mètres carrés
supplémentaires est nécessaire pour atteindre le ratio de 1 mètre carré par
étudiant, sans parler des besoins en matière de mise en sécurité et de
modernisation.
Dans le même temps, le développement des ressources documentaires doit être
intensifié.
Le taux d'acquisition de 0,6 volume par étudiant et par an est très
insuffisant, d'autant plus que les ressources électroniques vont constituer un
poste de dépenses supplémentaire appelé à progresser dans les années à venir.
L'ensemble des crédits de fonctionnement affectés aux bibliothèques équivaut à
500 francs par étudiant et par an : ce chiffre devrait être doublé pour
atteindre un équipement satisfaisant.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Très juste !
M. Serge Lagauche.
Nous sommes là en présence d'un enjeu essentiel pour notre enseignement et
notre recherche. L'accès à l'information ne doit pas être, en effet, une source
d'inégalités supplémentaires.
Notre attention doit aussi se porter sur la mise en réseau des établissements
et des bibliothèques, car nombre de délocalisations souffrent de la limitation
de leurs fonds documentaires. A ce propos, monsieur le ministre, pouvez-vous
nous indiquer l'état d'avancement de la réflexion sur la bibliothèque numérique
?
Plus largement, le développement des nouvelles technologies de l'information
et de la communication induit forcément un décloisonnement et une meilleure
cohérence de notre système d'enseignement supérieur. Le mode de fonctionnement
pour l'avenir, c'est le réseau : il est indispensable pour développer des
cursus d'enseignement communs, des synergies entre universités, grandes écoles,
centres de recherche et entreprises. Il s'agit, parallèlement, de faire émerger
de plus amples coopérations régionales ou interrégionales pour valoriser la
complémentarité des sites.
Le réseau nous permettra également d'avancer vers la formation permanente,
autre défi que notre système d'enseignement devra relever.
D'ailleurs, le mouvement est déjà engagé depuis le premier appel à projet de
votre ministère, en 1997, pour le développement de la formation continue à
l'université.
Actuellement, vingt-trois universités sont ouvertes toute l'année et proposent
leurs diplômes aussi bien en formation initiale qu'en formation continue. C'est
un bon début, mais c'est vers la formation tout au long de la vie que nous
devons aller.
Ce thème m'est cher car son développement constitue une étape supplémentaire
dans la démocratisation de l'accès au savoir. C'est la possibilité d'apprendre
en continu, d'évoluer dans sa formation et sa carrière professionnelle. C'est
bénéficier, au minimum, d'une deuxième chance, alors qu'aujourd'hui, bien
souvent, tout est joué avec la formation initiale. Mais cela implique une vraie
reconnaissance des acquis professionnels et un fort développement de
l'enseignement à distance par le biais des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Le centre national d'enseignement à
distance s'est engagé dans cette voie en réalisant des outilstélématiques pour
l'information et l'orientation de ses usagers.
Enfin, j'aborderai la nécessaire ouverture sur l'international de notre
système d'enseignement supérieur.
La conférence de Bologne, en juin dernier, a abouti à l'adoption d'une
déclaration commune pour la construction d'un espace européen de l'enseignement
supérieur fondé sur une harmonisation des diplômes, une mobilité et une
coopération accrues des étudiants, des enseignants et des chercheurs en Europe.
Là encore, nous sommes sur la bonne voie.
Toutefois, j'exprimerai une réserve, monsieur le ministre. Elle concerne la
faiblesse de l'enseignement des langues étrangères à l'université. C'est un
réel handicap, non seulement par rapport à nos homologues européens, mais aussi
par rapport aux étudiants des grandes écoles françaises. L'enseignement des
langues à la faculté doit être pleinement intégré à toutes les formations et à
tous les diplômes, d'autant qu'elles sont une véritable richesse culturelle de
connaissance et d'ouverture sur les autres.
Quant on pratique la langue de son interlocuteur, n'est-ce pas déjà mieux le
connaître, mieux le comprendre ? Et cela ne signifie pas pour autant renoncer à
la promotion de la langue française.
Monsieur le ministre, votre budget obtiendra le plein soutien du groupe
socialiste, car il permet la poursuite et la consolidation des projets et des
réformes déjà engagés. C'est un bon budget pour une bonne politique de
l'enseignement supérieur. Aussi, son rejet par nos collègues de la majorité
sénatoriale me paraît difficilement soutenable dans la mesure où ils jugent
positivement ses grandes orientations, tout particulièrement le plan social
étudiant et l'adaptation de notre système d'enseignement supérieur au contexte
européen.
Bien sûr, les nouveaux enjeux sont colossaux, en cette période d'évolution
rapide des techniques et des savoirs ; c'est pourquoi l'effort budgétaire en
faveur de l'enseignement supérieur est tout à fait justifié. Il doit être
continu et même amplifié pour répondre, le mieux possible aux exigences de
modernisation et de compétitivité de notre système d'enseignement supérieur.
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget,
qui s'inscrit dans un contexte de stabilisation des effectifs étudiants, avec
une faible diminution d'environ 20 000 sur 2 millions d'étudiants, s'élève à
52,46 milliards de francs en crédits de paiement et dépenses ordinaires, ce qui
correspond à une augmentation de 2,6 % par rapport à la loi de finances
initiale de 1999.
Cette progression, si elle reste supérieure à celle de l'ensemble des budgets
civils de l'Etat, estimée à 0,9 %, demeure largement inférieure à celle de 5,5
% qui était enregistrée l'année dernière.
Il s'agit donc là d'un budget de gestion des actions déjà entreprises, qui
innove peu et qui ne contient aucune des réformes d'envergure dont notre
système d'enseignement supérieur a tellement besoin, depuis de nombreuses
années.
Ce budget n'offre aucune vision prospective à moyen et long termes et il est
dénué de perspectives stratégiques. Il ne traduit aucune volonté d'engager la
grande réforme globale dont notre université a tant besoin.
J'ajoute, monsieur le ministre, que les quelques modestes réformes que vous
avez engagées accusent au mieux un retard, au pire un abandon. Quoi qu'il en
soit, elles sont toujours sources de dysfonctionnements. En somme, vous ne
faites que gérer les affaires courantes.
En premier lieu, le document budgétaire qui nous est proposé comporte une
nouveauté : pour la première fois, en effet, la représentation nationale
bénéficie d'un nouvel instrument d'appréciation de la politique en matière
d'enseignement supérieur, grâce au budget coordonné de l'enseignement
supérieur, le BCES. Celui-ci est censé récapituler toutes les formations
post-baccalauréat qui ne dépendent pas directement du ministère de l'éducation
nationale. On peut citer, parmi les établissements les plus renommés, l'Ecole
polytechnique ou l'ENA.
Or, si ce document offre une meilleure visibilité du système d'enseignement
supérieur français, il est regrettable que certains ministères, comme celui de
la fonction publique, ne jouent pas le jeu : en effet, ce ministère n'intègre
dans le BCES ni les instituts régionaux d'administration ni l'ENA.
Toutefois, globalement, il s'agit d'un budget aussi triste que le rapport
émanant de l'inspection générale qui vient d'être remis à Mme Ségolène Royal et
selon lequel notre système éducatif forme aujourd'hui des enfants sans parole,
des enfants qui ne savent plus lire ni écrire. Ils ne savent plus parler, ils
ne savent même plus communiquer, constate ce rapport.
Si les crédits consacrés à l'action sociale sont en hausse, ils ne permettent
pas de donner un réel essor au plan social étudiant, qui demeure limité. En
effet, contrairement aux ambitions de départ, il n'a que peu de rapports avec
le statut social de l'étudiant. Il ne réforme pas le système existant et
consiste uniquement dans une augmentation des aides aux étudiants.
Je ne suis pas le seul à dénoncer cet état de fait. Récemment, le conseil
d'administration du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires a
rejeté le budget de l'enseignement supérieur, dénonçant un saupoudrage des
aides. Depuis deux ans, monsieur le ministre, vous n'avez cessé de différer les
quelques mesures novatrices du plan. Aujourd'hui, vous en payez les
conséquences.
Seule l'amélioration de notre système de bourses me paraît devoir être portée
à votre crédit. Du point de vue social, ce budget présente une augmentation
notable de 9,5 %, qui devrait permettre de revaloriser le montant des bourses,
notamment grâce au relèvement des plafonds de ressources ouvrant droit à une
aide et à la mise en place des bourses de premier cycle, ainsi qu'à la
possibilité, par le biais d'aides d'urgence, de venir en aide en cours d'année
à des étudiants confrontés à des difficultés imprévues.
Il s'agit incontestablement d'un point positif, et j'espère que vos collègues
du Gouvernement sauront s'en inspirer lorsque nous évoquerons le système des
bourses allouées aux jeunes Français étudiant dans les 440 écoles françaises
accréditées à l'étranger, où les frais d'écolage sont bien plus importants que
dans l'Hexagone. Le sénateur représentant les Français établis hors de France
que je suis y veillera attentivement.
Pour le reste, le bilan est extrêmement peu encourageant.
Je ne vois aucune initiative destinée à ouvrir l'enseignement supérieur sur le
monde, je ne distingue aucun écho des suggestions formulées par M. Jacques
Attali dans son rapport de mai 1998 sur « le modèle européen de l'enseignement
supérieur ». Dans ce rapport, ce dernier affirmait clairement qu'il ne pourrait
y avoir d'Europe de l'emploi sans Europe de l'éducation, ce qui me paraît
évident.
En juin dernier, s'est tenue à Bologne, en Italie, une conférence réunissant
vingt-neuf Etats. A cette occasion, les représentants de ces Etats ont plaidé
pour la définition d'un système de diplômes lisibles et comparables, pour
l'organisation des études autour de deux cycles principaux, pour
l'établissement d'un système de crédits, afin de faciliter la mobilité des
étudiants et des chercheurs et, enfin, pour le développement de la dimension
européenne dans les programmes.
Dans votre projet de budget, monsieur le ministre, on ne retrouve rien de tout
cela. On ne perçoit que la gestion prudente d'un système sclérosé et largement
déficient.
En matière d'emploi, les créations de postes paraissent insuffisantes pour
compenser la disparition de 1 600 emplois. Or il aurait été judicieux de
profiter de la marge de manoeuvre induite par la stabilisation des effectifs
universitaires.
J'ajoute que la création de ces postes est, en partie, financée par la
suppression de 40 % des heures complémentaires. C'est une bien curieuse méthode
lorsqu'on sait que ces heures se révèlent très utiles dans les formations à
caractère professionnel. Elles permettent, en effet, de recruter des chargés
d'enseignement vacataires parmi les cadres supérieurs et elles contribuent à
assurer des stages aux étudiants. En vérité, elles sont un élément important
pour nouer des contacts avec l'entreprise et faciliter l'embauche des
étudiants. Ainsi, en supprimant ces heures, vous hypothéquez les possibilités
d'insertion professionnelle des étudiants.
Vous négligez les classes préparatoires, qui attendent une réforme. Vous avez
simplement concentré votre action sur les rémunérations des enseignants, en
diminuant de 17 % le paiement des heures supplémentaires, et cela pour une
seule raison : financer les emplois-jeunes !
Dans cette opération, ce sont les enseignants des classes préparatoires qui
ont payé le plus lourd tribut, car ils ont un horaire de base plus réduit que
les professeurs des collèges et lycées.
De plus, vous n'avez pas tenu parole : rien n'est prévu dans ce projet de
budget pour la nouvelle indemnité destinée à tenir compte de l'investissement
personnel des enseignants des classes préparatoires, indemnité dont vous aviez
pourtant annoncé l'instauration.
L'université d'aujourd'hui n'est plus simplement un lieu de culture, monsieur
le ministre. Elle est aussi un lieu d'emploi, de recherche, de rencontres et
d'ouverture sur le monde. L'université, plus que jamais, a besoin de liberté,
d'autonomie et d'exigence. Or rien dans votre projet de budget ne la destine à
détenir tout cela.
Les moyens mis en oeuvre pour encourager et favoriser les échanges entre le
monde universitaire et celui des entreprises sont bien minces. Certes, le
Conseil national de l'enseignement supérieur vient de donner son feu vert à la
licence professionnelle. Il s'agit là d'une bonne, je dirai même d'une
excellente initiative, mais il est regrettable qu'elle ne concerne qu'un nombre
limité d'univer-sités.
Nous avons, en ce domaine, un grand retard à rattraper par rapport à nos
voisins européens. En Grande-Bretagne, de même qu'aux Etats-Unis, pays que vous
connaissez si bien, il n'est pas rare de voir des entreprises privées se
présenter comme des « sponsors », des parrains des universités.
La France est encore loin de ce système, prisonnière de ses vieux réflexes et
d'une mentalité jugeant incompatibles le monde de l'université et celui de
l'entreprise, considérant les liaisons entre l'un et l'autre comme dangereuses,
voire sulfureuses.
Le manque d'ambition de ce budget, et de la politique dont il n'est que la
traduction chiffrée, est choquant parce que jamais le système éducatif français
n'a eu autant besoin de réformes de fond, dans le secondaire comme dans le
supérieur.
Or, que faites-vous, monsieur le ministre ? Vous refusez d'apporter des
changements à un système en difficulté, vous n'admettez même pas d'entendre le
mot « sélection ». Si ce mot fait vraiment peur, accepterez-vous plus aisément
qu'on parle d'orientation à l'entrée des universités, une orientation bien
faite, bien organisée, démocratique, permettant aux étudiants de prendre la
voie qui leur convient, selon leurs capacités et leurs motivations ?
On a évoqué tout à l'heure une filière où il y avait 36 000 étudiants mais qui
n'offre que mille emplois au terme du cursus. Il est scandaleux de laisser
faire cela.
Combien de nos étudiants se dirigent, par manque de conseils préalables et
d'orientation, laquelle devrait commencer dès la classe de seconde, vers des
filières où ils sont voués à l'échec ?
Vous laissez s'installer - je devrais même dire que vous gérez - un système
fondé sur la sélection par l'échec. Je rappelle ce chiffre terrifiant : un
étudiant sur deux sort de l'université sans aucun diplôme. Quel effroyable
gâchis ! Que de carrières brisées ! Que de destins écrasés !
Le premier cycle universitaire est le cimetière des illusions d'une jeunesse
que l'on croit flatter en la laissant livrée à elle-même et en refusant de
l'orienter dans un monde de plus en plus complexe.
J'ajoute que, si les frais de scolarité exigés des étudiants n'augmentent pas
sensiblement, comme c'est le cas dans la quasi-totalité des pays du monde, que
vous visitez souvent, notre système universitaire connaîtra un déclin
inéluctable.
En effet, si les frais de scolarité dépendaient du niveau de ressources des
étudiants, cela permettrait d'accorder des bourses plus importantes à ceux qui
en ont besoin. Aucun étudiant ne serait exclu de l'enseignement supérieur pour
des raisons financières. On verrait vraiment jouer là l'égalité des chances et
la solidarité.
Avec EduFrance, dont on a beaucoup parlé, vous avez voulu voir grand,
accueillir des centaines de milliers d'étudiants étrangers en France. Nous vous
avons approuvé parce que l'existence d'une telle structure est effectivement
très importante pour notre pays. C'est pourquoi nous voulons vraiment jouer le
jeu avec vous. Hélas ! si l'initiative est bonne, les moyens matériels et
financiers font cruellement défaut. On peut noter le manque de cohérence du
dispositif actuel d'accueil, en raison de la dispersion des acteurs, de
l'absence d'évaluation et du manque de lisibilité des cursus universitaires.
Il faudrait clarifier les missions d'EduFrance et accroître ses moyens, tout
en poursuivant l'harmonisation des cursus universitaires.
Allez-vous, monsieur le ministre, mettre en oeuvre certaines de ces
propositions ? Si oui, lesquelles et avec quels moyens ?
Toute la question est celle de l'aptitude de la France à « vendre » son
enseignement supérieur et à se placer en concurrente sérieuse vis-à-vis des
universités anglo-saxonnes.
La troisième priorité de votre projet de budget, monsieur le ministre, porte
sur l'amélioration des moyens de fonctionnement des universités et des
bibliothèques.J'estime, à cet égard, que les bibliothèques font l'objet d'un
effort tout à fait insuffisant au regard de l'état déplorable dans lequel elles
se trouvent aujourd'hui.
Vous savez très bien, monsieur le ministre, que dans les universités
anglo-saxonnes la bibliothèque est le centre du campus. Plus la bibliothèque
est importante, plus elle reste ouverte longtemps - et beaucoup, aux
Etats-Unis, le sont vingt-quatre heures sur vingt-quatre - plus le travail des
étudiants est productif.
Les crédits de fonctionnement des bibliothèques augmentent de 15 millions de
francs : 10 millions de francs correspondent à des mesures nouvelles ; les 5
millions de francs restant résultent, pour une part, de transferts de crédits
au sein du ministère et proviennent, pour une autre part, du ministère de la
culture.
La France accuse un retard considérable en matière de bibliothèques
universitaires. La durée moyenne d'ouverture hebdomadaire de ces bibliothèques
est de cinquante-quatre heures ! C'est inacceptable ! De tels horaires ne
permettent pas aux étudiants dont les moyens sont limités de travailler, de
préparer leurs examens, de se documenter.
Qu'allez-vous faire, monsieur le ministre, pour donner aux bibliothèques
universitaires la place majeure qu'elles doivent occuper dans notre
enseignement supérieur ?
Quand on se déplace dans le monde, on perçoit de mieux en mieux combien
l'avenir d'un pays dépend de ses universités. N'est-il pas évident qu'un pays
qui réussit a de grandes universités ? Je pense évidemment aux Etats-Unis, mais
il y en a d'autres qui ont compris que les universités sont importantes :
l'Australie, par exemple, un pays que vous connaissez aussi, monsieur le
ministre.
Vous entendez poursuivre le plan U3M et le désamiantage du campus de Jussieu.
Comme l'ont indiqué éloquemment les rapporteurs, il serait intéressant de
connaître les prévisions du coût total de ce plan, ainsi que la contribution
qui sera demandée aux régions.
Si j'ajoute à cela un budget de la recherche en trompe-l'oeil et des choix
très contestables en matière d'équipement - je pense ici à l'abandon du projet
SOLEIL, décision prise pendant l'été, sans aucune concertation et contre l'avis
des experts - vous comprendrez, monsieur le ministre, que l'incroyable décalage
entre les ambitions affichées et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir
m'interdise de voter ce projet de budget qui, soyez-en sûr, provoquera une
grande déception chez tous les acteurs du monde de l'enseignement supérieur
français.
Le groupe de l'Union centriste ne peut voter un budget aussi peu tourné vers
l'avenir, qui néglige les grandes priorités de l'université de demain.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout ce qui est
excessif est insignifiant.
Je voudrais faire revenir le débat sur un objectif qui est important et qui
devrait nous unir : le développement de notre enseignement supérieur. Pour
cela, je rappellerai d'abord quelques faits avant de m'efforcer de dessiner une
ligne qui, je l'espère, ne sera pas une ligne brisée.
C'est vrai, monsieur Maman, je voyage beaucoup. Je suis donc très attentif à
ce qui se passe à l'étranger. Eh bien, je vous recommande, mesdames, messieurs
les sénateurs, la lecture de ce document qui émane de l'OCDE.
(M. le
ministre brandit un document.)
Il y est notamment indiqué que, en matière
d'investissement pour le savoir, par tête d'habitant, la France se situe au
deuxième rang dans le monde. Et figurez-vous que ce ne sont pas les Etats-Unis
qui occupent le premier rang : c'est la Suède, juste au-dessus de nous. Les
Etats-Unis sont très loin ! Je vous donne d'ailleurs le classement : Suède,
France, Danemark, Finlande, Norvège, Canada, Grande-Bretagne, Etats-Unis, la
moyenne des pays de l'Union européenne, etc.
Bien sûr, vous avez le droit de juger la qualité de notre enseignement
supérieur et celle de notre recherche mais, globalement, ce n'est pas un
problème budgétaire, monsieur Maman. Ce n'est pas là que se fait la
différence.
D'ailleurs, je pourrai dire tout à l'heure la même chose à propos du nombre de
chercheurs rapporté au nombre d'habitants. Ce rapport est, aux Etats-Unis, d'un
tiers inférieur à ce qu'il est en France.
Le problème se situe donc non au niveau du budget mais à celui de
l'organisation.
Cette organisation, quelle est-elle ? Monsieur Maman, je sais que vous
connaissez l'enseignement supérieur américain, mais je ne sais pas si vous
connaissez l'enseignement supérieur français.
Or l'enseignement supérieur français a fait des progrès considérables en
quinze ans ; il est même l'un des meilleurs du monde. Il a réussi ce à quoi
aucun autre système éducatif n'était parvenu jusqu'ici : il a su accueillir en
trente ans sept fois plus d'étudiants et, dans le même temps, améliorer sa
qualité. La Grande-Bretagne connaît de grandes difficultés, à cet égard ; quant
à la Chine, n'en parlons pas.
Quand j'étais encore sur les bancs de l'école, je peux vous dire que mes
professeurs de sciences étaient totalement inconnus sur la scène
internationale. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'enseignement scientifique
qui est prodigué dans toutes les universités françaises est de renommée
mondiale.
Cet enseignement supérieur français doit donc être respecté et défendu. Je
reconnais volontiers que notre système éducatif souffre de certaines
faiblesses, mais l'enseignement supérieur n'est pas du nombre. Nos grandes
écoles ont évolué, les passerelles se sont développées. La ligne générale que
suit notre enseignement résulte d'un consensus. J'ai eu l'occasion de critiquer
la politique de M. Bayrou sur l'enseignement scolaire, mais pas sur
l'enseignement supérieur car, depuis un certain nombre d'années, ce dernier
fait l'objet d'une réelle continuité. Souvenez-vous : « Un million d'étudiants,
n'est-ce pas trop ? ». Voilà ce qui faisait débat. Nous avons aujourd'hui deux
millions d'étudiants. Cela me rappelle d'autre débats, d'autres empoignades qui
ont dû animer des hémicycles tels que celui-ci, quand, pendant la Révolution
française, on se battait pour savoir s'il y aurait 15 % ou 20 % de Français
sachant lire.
Encore une fois, la France doit être fière de son enseignement supérieur et
doit l'aider à se transformer encore. Il mérite de faire l'objet d'un consensus
entre la droite et la gauche. Il ne s'agit pas de l'affaiblir par des critiques
non justifiées.
D'ailleurs, confrontée à la politique du Gouvernement en matière
d'enseignement supérieur, l'opposition, qui n'est pas dite « plurielle », car
elle est multiple, se contredit.
J'ai d'abord entendu M. Lachenaud faire un excellent exposé dans lequel il a
soutenu que nous ne faisions pas assez d'économies. J'ai ensuite entendu M.
Valade faire un moins excellent exposé selon lequel nous ne dépensions pas
assez. Messieurs de l'opposition, organisez donc des réunions intergroupes pour
vous mettre d'accord sur les critiques !
(Sourires.)
M. Philippe Marini.
Lecture sélective !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Ma stratégie budgétaire est claire. Je pense être l'un des ministres qui a fait
le plus pour supprimer les dépenses inutiles dans l'éducation nationale ; nous
aurons l'occasion de le constater vendredi. Quand il faut de l'argent, il faut
de l'argent. Quand on peut faire mieux pour moins, on fait mieux avec moins
!
Attention aux chiffres. Un tassement des crédits de paiement, d'un côté - dû
au fait que nous sommes dans la première année des contrats de plan - les
actualisations de crédits de personnels et de pensions, de l'autre, font
diverger les taux de progression et masquent les évolutions réelles. En
réalité, les taux d'encadrement - c'est ce qui importe - continuent
d'augmenter, les crédits de fonctionnement croissent et la capacité
d'investissement également. Autrement dit, la différence entre le budget pour
2000 et le budget de l'année dernière est un trompe-l'oeil si on l'examine dans
la continuité des crédits d'investissement.
Mais je ne vais pas détailler mon budget, et me contenterai de tracer les
grandes lignes de la politique qui est menée, pour répondre ensuite à toutes
les questions que vous avez posées. D'un mot, cependant, je constate d'emblée
que nous sommes tous aussi fautifs, vous comme nous, et que le manque
d'informations est évident sur un certain nombre de points.
Je commencerai pas les emplois. Nous avons créé 4 500 emplois qui sont
effectivement pourvus, ce qui constitue un changement radical par rapport à la
période antérieure à 1997. En effet, le système de recrutement dans
l'enseignement supérieur faisait qu'on ne pourvoyait pas les emplois. A ce
sujet, monsieur Maman, je n'ai pas noté que vous votiez contre ces budgets. Et
pourtant, année après année, on votait des créations d'emplois que l'on
recyclait en quelque sorte parce qu'ils n'étaient pas pourvus. Depuis que je
suis au ministère, 4 000 à 4 500 personnes sont recrutées, chaque année, dans
l'enseignement supérieur, ce qui représente exactement la moitié des 9 000
thèses produites également chaque année. Je ne pense pas que nous puissions
aller très au-delà, sinon n'importe qui deviendrait professeur d'université
!
Actuellement donc, la politique de recrutement du Gouvernement est massive.
Elle offre une opportunité considérable aux jeunes. Cela ne veut pas dire pour
autant que, qualitativement, discipline par discipline, nous ayons exactement
le recrutement que nous voulons, car certaines disciplines connnaissent des
manques et d'autres des surnombres.
Nous créons également cette année 1 200 postes d'enseignants chercheurs et 500
IATOS.
J'ai entendu tout à l'heure des remarques sur la santé. Certes, l'effort pour
la santé est insuffisant ; il est, d'ailleurs, toujours insuffisant. Mais si
nous ne créeons pas beaucoup de postes d'infirmières, songez qu'il n'y avait
pas eu de création de ce type dans l'enseignement supérieur depuis plusieurs
décennies ! Alors, peut-être que l'on n'en crée pas assez aujourd'hui, mais on
n'en a vraiment pas créé assez par le passé !
Donc, soyons un petit peu équitables.
En ce qui concerne le plan social étudiant, je suis obligé de vous faire
remarquer, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il bénéficie de 600 millions
de francs supplémentaires - ce n'est pas une paille, tout de même ! - sans
compter les mesures en faveur du logement étudiant inscrites dans le plan
U3M.
Le logement étudiant en France n'est pas ce que vous avez décrit, sauf dans
les grandes villes où la situation n'est pas bonne. Ailleurs en France, la
situation est sans commune mesure avec celle que nous avons trouvée, quand nous
sommes arrivés au ministère de l'éducation nationale, Lionel Jospin et moi, en
1990. Le nombre de logements étudiants dans le plan Université 2000 a été
multiplié par quatre. Peut-être n'est-ce pas encore suffisant, et nous allons
faire davantage, mais les chiffres sont là !
Quant au problème de la répartition des bourses, je voudrais rappeler qu'il a
quand même fallu attendre ce gouvernement pour voir la création de bourses au
mérite. C'est-à-dire que les élèves venant de familles modestes mais ayant
obtenu une mention « bien » ou « très bien » au baccalauréat sont intégralement
pris en charge par la République, soit 200 cette année plus 200
supplémentaires, ce qui fait 400 étudiants boursiers au mérite. D'ailleurs, la
presse s'en est fait l'écho. Nous rétablissons le concours des bourses
d'autrefois, qui a permis à un fils d'instituteur d'être Président de la
République, et qui avait été supprimé. Il est normal de le rétablir, car ces
enfants de familles modestes, on ne les retrouvait ni dans les grandes écoles
ni dans l'élite du pays, faute de moyens financiers, mais pas faute de moyens
intellectuels. Il s'agit là d'une aide sociale modernisée.
Une partie importante des bourses sera destinée aux études à l'étranger, car
je me suis donné pour objectif que, d'ici à cinq ans, tout diplômé français ait
passé au moins six mois dans une université européenne. Pour ce faire, il nous
faut rénover le système des bourses. Voilà pour le plan étudiant.
Voyons maintenant la politique contractuelle : elle est rénovée.
Certaines des critiques que j'ai entendues aujoud'hui ne s'adressent pas à
moi, car les universités sont désormais autonomes, notamment dans leur gestion,
et je suis un ardent partisan de cette autonomie. C'est dans ce cadre que nous
avons développé et rénové la politique contractuelle, qui se conjugue avec le
développement de la formation continue diplômante. Cette dernière, certes,
n'est pas suffisante mais le nombre des diplômes en formation continue a été
multiplié cette seule année par deux. A défaut d'être suffisant, c'est déjà un
progrès !
Nous avons intégré les nouvelles technologies dans l'enseignement et, comme il
a été dit, nous avons commencé, dans le premier cycle, un travail en petits
groupes, d'abord, dans six universités, puis, depuis cette année, dans douze.
Là encore, nous progressons.
Permettez-moi quelques réflexions sur l'harmonisation européenne. Monsieur
Maman, en vous écoutant tout à l'heure, je me pinçais presque pour y croire.
Mais l'harmonisation européenne, c'est moi qui l'ai faite ! C'est moi qui ai
organisé le colloque de la Sorbonne, c'est moi qui ai inspiré celui de Bologne.
Alors, si je n'applique pas ce que je promeus, c'est à croire que je suis tombé
sur la tête !
(Sourires.)
Le 3, 5, 8, c'est nous qui l'avons fait, et les Français ont été
leaders
dans cette affaire.
Alors, non, monsieur Maman, je ne peux pas vous suivre.
Mais vous n'êtes peut-être pas au courant : il n'y a plus que trois grades
dans l'enseignement français : la licence, le mastaire et la thèse. Pour la
première fois cette année, les grandes écoles décernent le grade de mastaire et
pour la première fois aussi un concours d'entrée à l'Ecole polytechnique sera
ouvert aux élèves des universités, sur titre et sur dossier et après un
entretien. La passerelle entre les grandes écoles et les universités existe,
chacun restant par ailleurs lui-même, le tout dans une harmonisation européenne
qui peut être lue dans toutes les parties du globe : que vous soyez en
pré-licence, en mastaire ou bien dans la préparation d'une thèse, vous pouvez
venir en France.
D'ailleurs, les résultats ne se sont pas fait attendre. Aussi, cette année, le
nombre d'étudiants en provenance d'Asie du Sud-Est a augmenté de 45 %. Quand je
suis arrivé au ministère, il y avait cinquante étudiants indiens ; cette année,
ils seront deux cent cinquante. Ce n'est pas le Pérou, mais c'est un facteur 5
et, l'an prochain, ils seront six cents.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Et les Péruviens ?
(Rires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Interrogez-moi plutôt sur les Brésiliens, car, là, nous sommes en
augmentation.
(Nouveaux rires.)
Ce 3, 5, 8 a permis, pour la première fois, j'y insiste, que nos grandes
écoles décernent un grade et ne soient pas « en l'air » dans le système
international comme par le passé. Mais elles sont entrées dans ce système en
restant elles-mêmes, car il n'est pas question de les intégrer dans quoi que ce
soit.
Cette réforme permet également de mettre en place la licence
professionnalisée. Je peux vous dire que le succès est tel que nous allons être
submergés par les demandes, et ce dès la première année.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial,
et M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Très bien !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Aussi, cette année, aurons-nous une grande réunion pour harmoniser l'ensemble
des formations professionnalisantes - BTS, IUT, licence professionnalisée, IUP
et grandes écoles - afin d'avoir un schéma d'ensemble qui soit cohérent.
Nous sommes donc à la tête de l'harmonisation européenne. Je le disais, nous
avons organisé le colloque de la Sorbonne ; nous avons inspiré celui de Bologne
; nous avons demandé que l'harmonisation soit élargie aux pays de l'Est et non
pas restreinte aux seuls pays de l'Union. C'est pourquoi le prochain colloque
se tiendra à Prague. Nous travaillons maintenant sur la mobilité des
professeurs, afin de leur permettre d'être mobiles de manière permanente, sans
être hors des règles de sécurité sociale ou de retraite.
Quant à Edufrance, nous faisons plus que doubler ses moyens. Cette agence ne
demande pas davantage, sinon, ce que nous ferons dans l'année, la mise en place
d'un fonds de placement pour permettre aux étudiants étrangers d'emprunter
lorsqu'ils viennent faire leurs études en France. Ce n'est pas simple à mettre
en oeuvre car ces étudiants repartent dans leur pays à la fin de leurs études.
La question du remboursement se pose. Aussi, je ne peux pas vous dire que c'est
fait. Le principe est adopté mais, sur le plan technique, la mise en oeuvre
n'est pas aisée, même avec Internet.
En ce qui concerne Edufrance, je voudrais vous donner des chiffres car,
excusez-moi de vous le dire, ceux que vous avez cités, monsieur Renar, ne sont
pas exacts.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
C'est normal, il n'a pas l'information !
M. Ivan Renar.
Je n'ai pas un cabinet de haute valeur, monsieur le ministre !
(Sourires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Les chiffres que vous avez cités étant faux, je suis donc obligé de les
rectifier.
Mme Hélène Luc.
Donnez-nous les bons chiffres, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
D'abord, Jussieu fait partie de U3M, mais est hors contrat de plan.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Heureusement !
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
On attendait que vous le disiez !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Ensuite, les travaux de mise en sécurité - 3 milliards de francs - sont hors
contrats de plan. Les régions ne seront donc pas concernées par les problèmes
en la matière.
En outre, le musée des Arts premiers est également hors contrats de plan.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Tout de même !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Enfin, la rénovation du Muséum national d'histoire naturelle est, elle aussi,
hors contrats de plan.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Que reste-t-il donc dans les contrats de plan ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
La part de l'Etat pour U3M, dans les contrats de plan, s'élèvera à 18,3
milliards de francs et nous savons, parce que les négociations ont eu lieu, que
la part des régions sera équivalente, voire légèrement supérieure.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Eh oui !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Par conséquent, cela signifie que l'ensemble du plan U3M s'élèvera à deux fois
quelque 18 milliards de francs plus 7 milliards de francs, soit environ 43
milliards de francs.
Voilà huit ans, lorsque j'étais conseiller spécial de Lionel Jospin et que
j'ai annoncé que l'on allait faire un plan pour les universités, j'ai provoqué
l'hilarité générale des présidents d'université ; l'un d'eux m'avait même
répondu que l'on n'avait pas vu un sac de ciment sur un campus depuis quinze
ans !
M. André Maman.
Il ne faut pas exagérer !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Néanmoins, le plan Université 2000 a remis les choses en place. Son application
s'est d'ailleurs poursuivie après le changement de majorité.
Nous poursuivons l'effort à l'heure actuelle. Nos universités disposeront de
locaux dignes de leur mission au terme du plan U3M. J'indiquerai lundi prochain
les grandes lignes de ce plan afin de vous montrer que la situation a beaucoup
progressé.
M. Jacques Valade,
rapporteur spécial.
Trop tard !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je ne vais pas vous parler de U3M pendant une heure car vous seriez fatigués et
l'examen du projet de budget de la recherche et de la technologie
interviendrait très tard.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Nous sommes infatigables !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Certes, mais vous seriez peut-être lassés par mon discours.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Pas du tout !
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Vous le savez, monsieur le ministre, nous vous
écoutons avec plaisir !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
C'est gentil ! Alors, vous devriez voter mon budget.
(Sourires.)
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Ah non !
M. André Maman.
On n'ira pas jusque-là !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Enfin, j'évoquerai l'enseignement continu et l'enseignement à distance.
S'agissant de l'enseignement continu, nous avons fait, l'année dernière, un
premier appel d'offres. Treize universités sont restées ouvertes douze mois sur
douze et ont délivré tous leurs diplômes en formation continue. Cette année,
nous avons lancé un nouvel appel d'offres et vingt-trois universités seront
concernées.
Quant à l'enseignement à distance, j'aurai l'occasion d'en parler car nous
sommes en train de faire un consortium qui regroupera le Conservatoire national
des arts et métiers, le Centre national d'enseignement à distance, le Centre
national de documentation pédagogique et la Fédération d'enseignement
universitaire à distance. Il constituera le troisième opérateur d'enseignement
à distance du monde.
Vous pourrez le constater, nous ferons un effort particulier dans ce secteur
au cours des mois à venir. L'enseignement à distance, c'est en effet l'avenir
et il faut donc faire davantage. Nous nous sommes lancés dans ce système.
Maintenant, je vais m'efforcer de répondre aux différentes questions. Je les
ai reclassées mais je vous prie de m'excuser si, en répondant successivement,
cela donne l'impression d'un catalogue un peu désordonné.
S'agissant des premiers cycles, je voudrais d'abord tuer une légende qui court
partout.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
La légende des cycles !
(Sourires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Les classes préparatoires, après une scolarité de trois ans, permettent à 80 %
de leurs élèves d'intégrer une grande école. Le taux de réussite est donc de 80
%. Les universités, qui n'ont pas de sélection à leur entrée, obtiennent sur
trois ans un taux de réussite de 65 %. Un système qui n'a pas de sélection à
son entrée et qui permet à 65 % des étudiants de réussir n'est pas mauvais.
Nous ne sommes plus dans la situation que nous avons connue à une certaine
époque.
M. André Maman.
Et 35 % sont abandonnés !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Non, monsieur Maman, ils ne sont pas abandonnés. Il n'y a pas de sélection. Si
vous étiez en Grande-Bretagne, vous vous promèneriez pendant un an avant
d'entrer à l'université. C'est comme cela que le Premier ministre britannique,
en étant barman au Sofitel, a appris le français.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Ça lui sert maintenant !
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
C'est l'internationale socialiste !
(Sourires.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Excusez-moi, mais à partir du moment où il n'y a pas de sélection à l'entrée de
l'université, ce taux d'échec n'est plus ce qu'il était autrefois. Dans les
expériences qui ont été faites avec un encadrement en petits groupes, le taux
d'échec diminue encore. A l'heure actuelle, vous ne pouvez pas critiquer le
premier cycle sur ce point. Vous pouvez le critiquer - je vais vous donner des
armes - mais cela concerne aussi mes prédécesseurs. Le problème numéro un,
c'est le non-contrôle des filières.
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Voilà !
M. André Maman.
Effectivement !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
En effet, là se pose un problème.
Je vous donne une information : cette année, la filière des sciences et
techniques des activités physiques et sportives, STAPS, est certes encore trop
importante, mais elle décroît, contrairement à ce qui a été dit.
(M. le rapporteur pour avis est dubitatif.)
M. Jean-Philippe Lachenaud,
rapporteur spécial.
Enfin, la sagesse !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Vous n'avez pas les chiffres, je vous les donne !
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Heureusement qu'il y a la présente discussion.
Enfin, nous les avons !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Vous pensez, monsieur Valade, que je vous cache des chiffres ? Mais ils sont
publiés !
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Nous avons un peu de difficulté à les obtenir,
monsieur le ministre !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Ce n'est pas vrai ! Vous n'avez qu'à m'écrire. La preuve, je vous les donne
!
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Je vous laisse à vos certitudes !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je reconnais que, sur le plan de l'information, il y a problème par rapport au
débat.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Un vrai problème !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Mais je ne veux pas que l'on croie qu'on cache les chiffres.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Je pourrais vous citer quelques réponses que
vous-même et vos collaborateurs avez bien voulu formuler au questionnaire sur
le présent projet de budget de l'enseignement supérieur !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je n'avais pas alors les données relatives aux inscriptions de cette année.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Comment pouvons-nous faire du bon travail dans ces
conditions ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je ne vous reproche rien !
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Je cite les chiffres de vos services, monsieur le
ministre !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je vous donne aujourd'hui les chiffres exacts. Au moment du débat à l'Assemblée
nationale, qui se situait quinze jours après la rentrée, je n'avais pas les
statistiques. Je les ai maintenant et cela me permet de vous dire qu'il y a un
tassement s'agissant des STAPS. Je n'ai pas dit que nous avions résolu le
problème !
En revanche, des filières intitulées « communication et culture » continuent
de croître. Puis il y a la filière psychologie. Là, un problème de répartition
se pose et c'est un domaine dans lequel il faut progresser.
Je prendrai un autre exemple : les filières de lettres et sciences humaines.
Il s'agit de « tuyaux ». Vous entrez en premier cycle et vous continuez en
ayant uniquement des cours de la spécialité dans laquelle vous êtes entré. Vous
pouvez mettre un semestre d'orientation ; celui de M. Bayrou, je vous le dis
franchement, ne sert à peu près à rien, parce qu'on ne peut pas se réorienter
brutalement de psychologie en lettres, ou vice versa.
Le véritable problème, c'est que ces études de lettres devraient avoir un
socle beaucoup plus large, permettant l'orientation. On va essayer d'y
remédier. Ce n'est pas simple. En effet, les personnes qui ont créé
quarante-deux filières séparées en lettres et sciences humaines ont quelque
intérêt dans ce domaine. Donc, il faut faire bouger les choses.
S'agissant des relations entre les universités et les grandes écoles, je pense
vous avoir répondu, monsieur Lachenaud.
S'agissant des heures complémentaires, c'est encore un secteur à propos duquel
l'opposition devrait se mettre au fait. En effet, M. Lachenaud a considéré que
j'étais un peu laxiste, alors que MM. Valade et Maman ont estimé que j'avais
supprimé ces heures dans les IUT, ce qui, à leurs yeux, est une catastrophe.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Diminuées !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Nous essayons de faire au mieux dans ce domaine.
J'en viens aux bibliothèques. On a réalisé le plan Miquel, ce qui est déjà
bien. J'ai d'ores et déjà à peu près toutes les remontées du plan U3M. Cela
vous satisfera, messieurs, puisque les investissements en faveur des
bibliothèques représenteront probablement entre 10 % et 15 %. Donc, on avance
dans ce domaine.
Maintenant, je vous livre une information sur la bibliothèque numérique. De
telles bibliothèques sont
pro parte
une illusion. En effet, les supports
informatiques sont moins résistants que les microfilms ou le papier. Or, dans
une bibliothèque, plus de 90 % des ouvrages ne sont jamais lus. Si vous stockez
l'ensemble des livres sous forme informatique, il faut les recopier tous les
six ou sept ans et le prix de revient est considérable. C'est pourquoi la
Library of Congress
ou la
British Library
ne font pas de stockage
numérique actuellement. Le jour où l'on aura trouvé des supports irréprochables
pendant trente ans ou quarante ans ou que l'on peut recopier facilement, on
pourra créer une bibliothèque numérique.
En revanche, il est possible d'établir un catalogue numérique. Les
bibliothèques universitaires en ont fait un. A ce propos, nous allons signer
une série d'accords avec la
Library of Congress
et la
Bristish
Library
pour favoriser les échanges de livres.
M. Neuwirth m'avait interrogé sur le traitement de la douleur. Je lui
répondrai par écrit. Nous avons pris des mesures dans ce domaine.
Monsieur Othily, je suis très attentif au programme relatif à la Guyane et aux
DOM-TOM. Nous avons lancé un plan spécial de rattrapage scolaire pour les
DOM-TOM. Le problème est, en Guyane, particulièrement difficile à résoudre, le
nombre d'étudiants étant peu élevé : comment faire fonctionner un IUFM pour
former des enseignants dans le premier et le second cycle ? De toute manière,
un chargé de mission, M. Alain Nemoz, va être nommé et des moyens
supplémentaires lui seront octroyés dès le mois de janvier. La dotation de
l'université des Antilles-Guyane, bien qu'excédentaire, a été maintenue à 20
millions de francs et onze postes d'IATOS et treize postes d'enseignants leur
ont été affectés cette année.
Je suis donc tout à fait ouvert s'agissant de la Guyane. Le plan U3M prévoit
d'ailleurs la création d'un centre de recherche commun avec les Brésiliens.
Cela étant, on ne peut pas aller plus vite que la musique ! Je suis favorable à
l'installation, à terme, d'une université autonome en Guyane, comme à Papeete
et à Nouméa. Il n'y a aucune opposition de principe de la part du Gouvernement,
mais il faut attendre que les conditions soient réunies et que les étudiants
soient assez nombreux. Précipiter les choses ne rendrait pas service à la
Guyane.
Je crois avoir répondu, mesdames, messieurs les sénateurs, à toutes vos
questions.
M. André Maman.
Et les frais de scolarité ? Et la sélection ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Vous êtes partisan du modèle américain, monsieur Maman, mais pas moi ! Je suis
fondamentalement opposé à ce que les frais d'inscription financent la plus
grande partie des coûts de fonctionnement de l'enseignement supérieur dans
notre pays.
Mme Hélène Luc et M. Yvan Renar.
Très bien !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
En France - cela fait partie du
welfare state -
l'enseignement est
gratuit et public. Tant que je serai ministre, cela ne changera pas.
Mme Hélène Luc.
Il a raison !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Ce point est fondamental.
A l'heure actuelle, des universités américaines tentent de s'implanter chez
nous.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis.
Oui !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Si nous les laissions faire, nous serions rapidement envahis. Par conséquent,
sur ce sujet, aucune discussion n'est possible.
M. Jacques Valade,
rapporteur pour avis,
et Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
L'un des fondements de la République dans ce pays, c'est l'enseignement gratuit
donné à ceux qui sont capables d'en tirer profit, et revenir sur ce principe
signifierait à mon sens changer de régime. Je n'importerai pas le système
américain. C'est clair ! Je le connais aussi bien que vous, monsieur Maman,
mais dans l'ensemble de l'Europe, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas,
l'enseignement est gratuit : c'est la philosophie européenne. Outre-Atlantique,
une autre philosophie prévaut, à laquelle je ne suis pas favorable. Je vous le
dis tout net, et c'est un point très important à mes yeux !
Vous avez en outre évoqué la sélection à l'entrée de l'université. Je croyais
que M. Bayrou avait réglé le problème, mais je veux bien en débattre.
C'est à l'université que la sélection est la plus forte,...
M. André Maman.
Par l'échec !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
... et non pas dans les grandes écoles ! Une fois que l'on est parvenu à entrer
dans une grande école, on en sort diplômé. Mais à l'université, chaque année
est sélective, chaque année des étudiants échouent. Par conséquent, la
situation en France est la suivante : il existe le système des grandes écoles,
que, de vous à moi, je trouve extraordinairement scolaire, avec un examen
formel, etc., et, parallèlement, une autre voie, l'université, qui offre à ceux
qui n'ont pas été suffisamment travailleurs ou brillants dans l'enseignement
secondaire une deuxième chance. Mais encore faut-il qu'ils passent le cap du
premier cycle ! La sélection existe donc aussi à l'université, simplement elle
ne s'opère pas à l'entrée.
En tout état de cause, cette possibilité de choisir me semble très importante.
Le problème est ailleurs : il s'agit plutôt de savoir si l'on doit laisser une
université accueillir trois fois plus d'étudiants que ses moyens ne le lui
permettent. C'est donc une question d'adéquation aux capacités d'accueil. En
effet, un certain nombre d'universités - c'est leur faute, et non pas celle du
Gouvernement - essaient d'attirer plus d'étudiants qu'elles ne peuvent en
accueillir, afin d'obtenir des moyens supplémentaires. Je ne pense pas que ce
soit une bonne solution. Là est le vrai problème.
Cela étant dit, je le répète, les questions relatives à la sélection à
l'université et aux droits d'inscription sont fondamentales et mettent en cause
des valeurs essentielles du système éducatif européen, à propos desquelles ma
position n'est pas près d'évoluer, ni celle du Gouvernement, je vous le dis
tout de suite !
Mme Hélène Luc.
Vous avez raison ! Pas sur tout, mais là-dessus, oui !
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : II. -
Enseignement supérieur.
*
* *
ÉTAT B
M. le président.
« Titre III : 516 104 326 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre IV : 49 704 374 francs. »
Je vais mettre aux voix les crédits figurant au titre IV.
M. Jacques Valade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade.
Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur certains de vos propos, car je
ne voudrais pas vous laisser penser un seul instant qu'il puisse exister un
désaccord entre M. le rapporteur spécial et moi-même.
Vous avez suggéré à la majorité sénatoriale d'organiser quelques réunions
supplémentaires de son intergroupe. Je puis vous rassurer sur ce point : nous
tenons nos réunions en temps et en heure utiles. Par conséquent, nous ne
changerons pas leur rythme.
De toute façon, ce serait inutile, car même si M. Lachenaud et moi-même nous
sommes exprimés de manière un peu différente, le résultat est le même puisque
la commission des finances et la commission des affaires culturelles, ainsi que
le Sénat, ont repoussé votre projet de budget.
Par ailleurs, je voudrais expliquer pour quelles raisons je vais voter contre
les crédits de l'enseignement supérieur, quel que soit le titre concerné. Nous
avons émis quelques observations et d'autres intervenants que les rapporteurs
se sont exprimés. Vous avez répondu, monsieur le ministre, à votre rythme,
selon votre méthode, qui est à la fois sympathique et, essentiellement, très
sincère ; je vous donne bien volontiers acte de cette sincérité. Mais il se
trouve que nous sommes tous les deux des spécialistes de sciences
expérimentales ; par conséquent, nous sommes soumis aux contingences de la
matière, et je serais tenté de dire que vous l'êtes davantage que moi... En
sciences expérimentales, le raisonnement n'est donc pas toujours totalement
rigoureux, et il m'a semblé déceler dans vos démonstrations une certaine
improvisation qui s'écartait un peu de l'esprit cartésien, sans amoindrir le
capital de sympathie dont vous disposez, notamment au Sénat.
Quelque peu excité, au début de votre intervention, par les propos de notre
collègue André Maman
(Sourires),
vous avez dit que tout ce qui est
excessif est dérisoire. Je relève que vous avez fait référence à un ancien
ministre de l'éducation nationale, Lionel Jospin, à l'exceptionnel conseiller
spécial qui était alors à ses côtés
(Nouveaux sourires),
et que vous
avez estimé que, au fond, M. Bayrou n'avait pas été si mauvais que cela ! Puis,
Claude Allègre est arrivé, et a accompli toute une série de choses qui,
jusqu'alors, n'avaient pas été faites. A la limite, je serais tenté de vous en
donner acte !
Mais, ce que je ne vous pardonnerai pas - si vous me permettez cette
expression - c'est de faire coïncider l'an I de l'enseignement supérieur et le
début des efforts qui ont pu être faits dans ce domaine avec l'arrivée de
Lionel Jospin et de son conseiller spécial rue de Grenelle.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Non ! Je n'ai pas dit cela !
M. Jacques Valade.
C'est ce que vous avez dit !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Non !
M. Jacques Valade.
Je n'ai pas d'amour-propre d'auteur, mais il n'en demeure pas moins que, après
1968, toute une série de ministres de l'éducation nationale ont consacré leurs
efforts, avec plus ou moins de bonheur et plus ou moins de talent, à
l'université française. Je tenais à faire cette mise au point.
Quoi qu'il en soit, s'agissant notamment de la professionnalisation, de la
licence professionnelle ou de la possibilité désormais offerte d'établir des
comparaisons, au sein de l'Europe mais également en dehors de celle-ci, grâce
aux différents niveaux rendus plus cohérents, nous ne rejetons pas bêtement et
systématiquement votre argumentation.
Cependant, je le répète, le fait que, d'une part, malgré l'augmentation des
crédits de l'enseignement supérieur, aucune redistribution des crédits ne soit
opérée au sein de l'enveloppe globale de l'éducation nationale entre
enseignement scolaire et enseignement supérieur et, d'autre part, qu'aucun
grand projet ne soit annoncé pour l'enseignement supérieur - pourtant, Dieu
sait si vous aimez manipuler les idées ! - me confirme dans ma résolution - et
c'est ici à titre personnel que j'interviens - de voter contre vos crédits.
(M. Philippe Marini applaudit.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je ne crois nullement que l'enseignement supérieur français ait commencé avec
l'arrivée de Lionel Jospin à l'éducation nationale ! J'ai simplement dit que la
ligne qui avait été esquissée à cette époque avait été suivie par son
successeur. Maintenant, si vous voulez que nous revenions sur l'histoire de
l'éducation nationale, je peux évoquer quelques grands moments ; il y a eu la
création des IUT par Christian Fouchet et qui fut à mon avis un grand moment
pour l'éducation nationale ; il y a eu la suppression des facultés par Edgar
Faure, accompagnée, il est vrai, de nombreuses autres mesures plus discutables.
Je connais donc bien cette histoire.
Cela étant, nous, Français, avons une spécialité, qui est de dénigrer nos
propres efforts, jusqu'au moment où nous gagnons la Coupe du monde de football.
(Sourires.)
Aimé Jacquet a été la victime de ce travers. J'affirme que
notre enseignement supérieur français, grandes écoles et universités
confondues, n'est pas en position de faiblesse dans la compétition mondiale. Il
manque certes de moyens, ou plutôt il en manquait, car, peu à peu, nous lui en
donnons, mais le corps d'enseignement supérieur français a déjà fait des
efforts considérables, et, en ces matières, j'estime qu'il faut être modéré.
Ainsi, vous parlez, monsieur Valade, de grands projets. Mais parvenir à une
harmonisation à l'échelle mondiale et à une réduction du nombre de chômeurs en
France, n'est-ce pas le seul grand projet qui vaille ? Le reste ne compte
guère.
D'ailleurs, je ne crois pas aux grandes envolées dans ce domaine, je vous le
dis clairement. Je crois au travail accompli tous les jours, petit à petit,
acte après acte, au plus près du terrain. C'est à cela que je crois, et non pas
aux grandes perspectives générales. Nos bases sont correctes, il faut
simplement définir une cohérence, et c'est ce que je m'efforce de faire. C'est
tout ! Vous pouvez estimer que cela n'est pas flamboyant, mais j'assume
pleinement cette démarche.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire récemment à la télévision s'agissant d'un
autre sujet politique, il est des problèmes à propos desquels il n'est pas bon
que nous nous divisions ; nous devons au contraire avancer ensemble.
Pour conclure, mon cher collègue - je m'adresse ici au professeur que vous
êtes - il eût été cohérent avec vos arguments de proposer non pas de ne pas
voter les crédits de ce projet de budget, mais de les augmenter de 3 % par
rapport à la proposition initiale du Gouvernement.
M. Philippe Marini.
Nous n'en avons pas le droit, monsieur le ministre !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
Mme Hélène Luc.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
ÉTAT C
M. le président.
« Titre V. - Autorisations de programme : 700 000 000 francs ;
« Crédits de paiement : 210 000 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement
figurant au titre V.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre VI. - Autorisations de programme : 5 201 060 000 francs ;
« Crédits de paiement : 3 141 260 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement
figurant au titre VI.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant l'enseignement supérieur.
III. - RECHERCHE ET TECHNOLOGIE
M. le président.
Le Sénat va poursuivre l'examen des dispositions du projet de loi concernant
l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. - Recherche et
technologie.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. René Trégouët,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, c'est la première fois, depuis que je rapporte
ce budget, que je demande le rejet de ses crédits.
Je veux ainsi non pas manifester une réprobation totale à l'égard de son
évolution pour l'an 2000 ou envers la politique de la recherche qui est menée,
mais tirer solennellement une sonnette d'alarme.
Mon insatisfaction est motivée davantage par une profonde inquiétude pour
l'avenir de la recherche française que par une condamnation de principe de tous
les choix qui sont faits, et je pense qu'il est bien de dire avec humilité, en
cet instant, que je n'ai aucune certitude de détenir la vérité en ce
domaine.
Je veux donc, malgré mon vote négatif, me montrer nuancé et ouvrir, à
l'occasion de ce débat, un véritable dialogue avec vous, monsieur le
ministre.
La décision de la commission des finances de rejeter les crédits de la
recherche pour l'an 2000 tient davantage à l'évolution globale insuffisante de
ce budget qu'à l'orientation de ses priorités. Elle met en cause plus le
processus que le contenu des décisions qui sont prises.
Nous rejetons ces crédits pour deux raisons principales.
D'une part, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux et des besoins de la
recherche française.
D'autre part, nous ne sommes pas pleinement satisfaits de la façon dont les
décisions sont prises et exécutées.
Tout d'abord, le montant des crédits de la recherche en 2000 n'est pas à la
hauteur des enjeux et des besoins de notre recherche, disais-je.
Je note, dans mon rapport écrit, qu'il est même en contradiction avec les
ambitions du Gouvernement affichées par le comité interministériel de la
recherche du 15 juillet 1998. Le compte rendu de ce comité affirmait en effet
que la France devait se donner les moyens d'adapter son dispositif public de
recherche pour être capable de relever les défis du siècle prochain.
Or, que constate-t-on ? Le taux de progression du budget civil de recherche et
de développement, qui passe de 53,9 milliards à 54,6 milliards de francs, est
de 1,3 %. Il est donc à peine supérieur à celui de l'ensemble des dépenses
civiles de l'Etat, qui est de 1,2 %. Il leur est même inférieur en ce qui
concerne les autorisations de programme.
Au sein du budget civil de recherche et de développement technologique, le
BCRD, votre propre budget, monsieur le ministre, progresse, à structure
constante, de 1,1 % pour le total des dépenses ordinaires et des crédits de
paiement, qui avoisinent 40 milliards de francs. Certes, on peut considérer que
le verre est à moitié plein, puisque c'est un peu plus que l'inflation. Je
considère, pour ma part, qu'il est à moitié vide, car c'est moins que la
croissance de l'économie et beaucoup moins que celle des budgets de certains
autres départements ministériels.
En revanche, l'accroissement de 3,6 %, à structure constante, des
autorisations de programme est un élément positif.
Force est de reconnaître, cependant, que la recherche est loin de faire
l'objet de la priorité budgétaire qu'elle mérite. Il n'est que de comparer la
progression de ses crédits à l'augmentation de ceux de l'environnement, de
l'emploi ou de la justice, par exemple.
Cette progression n'est pas à la hauteur des enjeux et des besoins de notre
recherche.
Les enjeux, je le rappelle brièvement, ne sont pas seulement scientifiques.
Ils sont aussi culturels, stratégiques, s'agissant, par exemple, de notre
défense, de l'accès à l'espace. Ils sont, enfin, économiques.
Il est prouvé que la recherche est un des moteurs de la croissance et de la
création d'emplois. Les dépenses publiques de recherche sont donc les moins
stériles d'entre toutes ; elles engendrent, à terme, des recettes fiscales et
des rentrées de cotisations sociales.
C'est pour cette raison que la commission des finances souhaite les voir
augmenter, alors qu'elle est favorable, dans l'ensemble, à une réduction des
dépenses des administrations.
Notre recherche doit relever deux défis majeurs, celui de la compétitivité et
celui de l'emploi scientifique.
Défi de la compétitivité, dans un monde où, comme le souligne un récent
rapport du Commissariat au Plan, les activités de recherche n'échappent pas à
la mondialisation. Elles peuvent être délocalisées et les risques de « fuite
des cerveaux » sont réels.
Défi de l'emploi scientifique, avec une accélération des départs à la
retraite, qui vont atteindre leur maximum de 2006 à 2012. D'ici à l'année 2012,
s'agissant des enseignants chercheurs, les deux tiers des professeurs et 35 %
des maîtres de conférence de l'enseignement supérieur auront atteint l'âge de
soixante-cinq ans.
Globalement, notre effort de recherche, considéré dans le moyen terme et par
comparaison avec d'autres pays, ne semble pas pouvoir nous permettre de relever
ces défis dans les meilleures conditions.
La part dans notre PIB de nos dépenses de recherche diminue depuis 1993, qu'il
s'agisse des recherches exécutées sur notre territoire ou de celles que nous
finançons en France et à l'étranger. Dans le même temps, les Etats-Unis et le
Japon ont accentué leur effort. Les indicateurs de l'OCDE - je vous renvoie,
mes chers collègues, à mon rapport écrit - nous placent en queue du peloton de
tête des principaux pays industrialisés pour les ratios concernant la dépense
intérieure de recherche par habitant ou le nombre de chercheurs par rapport à
la population active.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Non, c'est faux. Je ne peux vous laisser dire cela !
M. René Trégouët,
rapporteur spécial.
Tout à l'heure, vous pourrez me répondre, monsieur le
ministre, et je reprendrai, pour ma part, les termes précis qui figurent dans
mon rapport.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
J'ai un document sous les yeux ; il est à la disposition de tout le monde. On
ne peut pas faire de la politique en citant des chiffres faux !
M. René Trégouët,
rapporteur spécial.
Monsieur le ministre, je suis à la tribune et je n'ai
pas, moi, votre document sous les yeux. Mais j'ai l'humilité de vous dire que
je vérifierai et que, si j'ai fait une erreur, ce sera l'honneur du
parlementaire que je suis de le reconnaître.
Cela étant, j'ai peut-être une autre lecture que vous des mêmes tableaux. En
effet, je me méfie beaucoup des statistiques. Il faut faire très attention à
l'angle sous lequel on les regarde.
Tout à l'heure, nous y reviendrons ; je vous répondrai précisément en vous
donnant la référence exacte.
La part des brevets français dans le monde diminue - cela aussi, vous pouvez
le contester, monsieur le ministre ! - ainsi d'ailleurs que celle de l'Europe,
ce qui n'est pas une consolation, notamment en ce qui concerne les technologies
clés.
A l'insuffisance, traditionnelle, de la valorisation de notre potentiel de
recherche, qui reste, dans l'ensemble, remarquable, s'ajoutent des retards
préoccupants dans des domaines comme les sciences du vivant ou les nouvelles
technologies de l'information et de la communication, dont les perspectives de
développement sont pourtant particulièrement prometteuses.
Dans ces conditions, la progression, médiocre, de ce budget n'offre pas de
marges de manoeuvre suffisantes pour concilier, dans de bonnes conditions, le
rattrapage de nos retards, l'accompagnement de l'émergence de disciplines
nouvelles, comme la bio-informatique ou la microbiologie, et le maintien des
acquis dans nos pôles d'excellence.
A cet égard, la remise en cause, pour des raisons d'ordre plus strictement
budgétaire que d'opportunité, de certains investissements, comme le
remplacement du navire porte-engin
Nadir
de l'Institut français de
recherche pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER, ou le synchrotron SOLEIL me
semblent regrettables.
La situation du Commissariat à l'énergie atomique me préoccupe également.
Certes, un effort de rebudgétisation de sa dotation d'investissement a été
fait, mais ses dépenses ont diminué de 100 millions de francs en 1999. Il n'est
pas satisfaisant que le financement de ses dépenses ordinaires nécessite la
vente de « bijoux de famille », autrement dit la cession d'actifs de
CEA-Industrie. Ne pourrait-on pas mettre à disposition du CEA, en loi de
finances initiale, les 100 millions de francs approvisionnés au titre de la
scission de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire ?
M. Philipppe Marini.
C'est un minimum !
M. René Trégouët,
rapporteur spécial.
L'océanographie et le nucléaire sont des domaines
d'excellence française. Un synchrotron est un instrument de recherche
pluridisciplinaire irremplaçable, utilisé par toutes sortes d'usagers, y
compris des PME et des thésards.
Certes, il faut faire des choix, certes, le poids des très grands équipements
est lourd, et celui des salaires des chercheurs encore plus. Mais il ne
faudrait pas qu'une certaine pénurie budgétaire laisse à penser que les
arbitrages sont effectués en fonction d'oppositions sommaires entre très grands
équipements et laboratoires, par exemple, ou entre CNRS et universités.
Toutes les composantes de la recherche française sont, en réalité, nécessaires
et étroitement imbriquées, et leur équilibre est délicat.
Il convient de réfléchir à la répartition entre les équipements réalisés,
selon leur dimension et leur coût, au niveau soit européen, soit national, soit
régional.
Concernant les ressources humaines, la faiblesse des mesures nouvelles pour
2000 a suscité une « vive inquiétude » de la part du Conseil supérieur de la
recherche et de la technologie, et le Commissariat général du Plan a évoqué «
le vieillissement inquiétant de la recherche publique française ».
J'avoue, compte tenu de la complexité du problème, liée, notamment, à la
diversité des situations des organismes, ne pas disposer en cet instant des
éléments qui me permettraient d'apprécier si la pause prévue, l'an prochain,
dans l'effort de recrutement des chercheurs est ou non justifiée.
Un effort d'anticipation - j'y reviendrai - est à tout le moins indispensable,
et il faut lisser les évolutions des effectifs pour préserver l'excellence de
notre recherche.
Certes, la rigidité des grands organismes et des cloisonnements disciplinaires
peut être invoquée, mais ne faudrait-il pas, monsieur le ministre, faire de
l'augmentation du budget une incitation aux réformes de structure plutôt que
faire de la réforme des structures un préalable à l'augmentation du budget ?
M. André Maman.
Très bien !
M. René Trégouët,
rapporteur spécial.
J'en viens maintenant à l'examen des priorités de ce
budget, qui, je vous l'ai dit, me paraissent, dans l'ensemble, correctement
orientées.
D'un point de vue thématique, elles ont été affirmées par le comité
interministériel du 1er juin dernier.
Elles privilégient, tout d'abord, les sciences du vivant, et plus
particulièrement la biologie et la génomique, ainsi que les nouvelles
technologies de l'information et de la communication.
Ces deux premières priorités me semblent incontestables, étant donné, à la
fois, le potentiel de valorisation, en termes de croissance et d'emplois, de
ces disciplines et le retard que nous y accusons.
Sont également distingués les transports et le cadre de vie, l'énergie.
En matière spatiale, priorité est donnée à l'espace « utile », et je voudrais,
dans ce domaine, souligner l'intérêt du programme européen Galiléo de
positionnement par satellite.
Mais, s'agissant de l'étude de la planète et de l'environnement ou de la
relance de la recherche en sciences humaines et sociales, dont les champs
d'investigation sont très vastes, pourriez-vous nous préciser, Monsieur le
ministre, comment les actions menées seront ciblées ?
Seront par ailleurs favorisés la recherche universitaire, notamment à travers
le plan U3M et les contrats de plan Etat-régions, et la recherche
technologique, au moyen du FRT, le fonds de la recherche et de la technologie.
Mais, s'agissant de la valorisation de la recherche, les moyens de l'ANVAR,
l'Agence nationale de valorisation de la recherche, qui n'est pas, il est vrai,
sous votre tutelle, n'augmentent pas.
D'un point de vue méthodologique, j'approuve l'accent mis, d'une part, sur la
coordination des moyens, notamment par le biais des actions concertées
incitatives et des réseaux de recherche technologique, et, d'autre part, sur la
mobilité des chercheurs. S'agissant plus particulièrement des relations avec
les entreprises et de la valorisation des travaux des chercheurs du secteur
public, les dispositions prévues par la loi sur l'innovation et la recherche
sont excellentes.
Concernant, enfin, vos priorités budgétaires, l'augmentation des moyens des
deux fonds d'intervention du ministère, le fonds national de la science, d'une
part, et le fonds de la recherche technologique, d'autre part, est
spectaculaire. Les autorisations de programme de ces deux fonds, dont le total
dépasse 1,5 milliard de francs, progressent, en effet, de plus de 35 %.
Je comprends votre volonté de favoriser, par l'octroi de subventions de ces
deux fonds, les disciplines nouvelles et les jeunes chercheurs, ainsi que le
rattrapage de notre retard dans certains domaines comme les sciences du vivant
et les technologies de l'information, je le disais voilà quelques instants.
Je souhaite seulement que ces deux fonds constituent des instruments de
coordination des efforts plus que de contournement des grands organismes.
Je m'interroge, à ce sujet, sur la faiblesse de l'augmentation des crédits de
certains d'entre eux, comme l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la
recherche médicale, ou l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise
de l'énergie, dans des secteurs pourtant prioritaires des deux fonds en
1999.
La stimulation de la recherche universitaire et la restauration des moyens des
laboratoires des organismes de recherche me paraissent les bienvenues.
Je souhaite simplement que le financement des activités de nos laboratoires de
recherche, dans lequel les entreprises pourraient davantage s'impliquer, ne
s'effectue pas au détriment de celui des très grands équipements
indispensables, que les laboratoires utilisent et qui relèvent surtout, dans le
contexte français, du budget de l'Etat.
Bien entendu, il faut, autant que possible, faire appel à des coopérations
internationales pour limiter certaines dépenses d'investissement, mais sans que
cela ne lèse la satisfaction des besoins légitimes de nos chercheurs.
Je pense que vos priorités, monsieur le ministre, gagneraient à s'inscrire
dans une politique de la recherche plus prospective, plus transparente et mieux
évaluée. Les trois aspects sont liés.
La prospective doit permettre de mieux instruire les dossiers, de mieux
préparer les décisions, en y associant, le plus en amont possible, tous les
intéressés, chercheurs et parlementaires compris. Elle doit permettre d'aller
au-delà de la programmation des grands équipements pour élaborer une stratégie
à long terme de la recherche. Elle est absolument indispensable en matière
d'emplois scientifiques, compte tenu du choc démographique que va subir la
recherche française, qui constitue une occasion unique de rénovation et de
remodelage disciplinaire.
Le manque de transparence de la politique, notamment budgétaire, de la
recherche, est lié au caractère complexe et peu lisible de son dispositif. Il
nécessite un effort d'autant plus soutenu d'explication et de communication.
Une plus grande sincérité budgétaire est souhaitable - je vous renvoie, sur ce
point, aux observations de la Cour des comptes - ainsi qu'un suivi des dépenses
des fonds de la science et de la technologie, compte tenu, notamment, des
précédents rencontrés en matière de gestion du FRT.
S'agissant, enfin, de l'évaluation de la politique de la recherche, dans son
ensemble, par domaines particuliers, ou par organismes, elle doit porter sur
les choix eux-mêmes et pas seulement sur l'exécution ou les résultats des
décisions. Le Parlement doit, naturellement, y être associé et disposer de ses
propres moyens d'appréciation. L'évaluation doit être objective, rigoureuse et
contradictoire, ce qui suppose de faire appel à des experts à la fois
indépendants - donc, en partie, étrangers - compétents et en nombre suffisant.
Tous les intéressés doivent pouvoir s'exprimer et être non seulement entendus
mais aussi écoutés.
Le dispositif actuel est trop foisonnant et il faut, sans doute, fusionner
certains organismes.
Par leur composition en partie représentative de la communauté des chercheurs,
le conseil supérieur de la recherche et de la technologie et le comité national
de la recherche scientifique constituent cependant des exemples
particulièrement intéressants.
Sans doute faudrait-il créer une sorte de forum permanent où puissent
dialoguer des représentants de l'administration, du Parlement et de la
recherche publique et privée.
Dans cette attente d'une recherche plus transparente et mieux évaluée et,
surtout, en raison de l'insuffisance de la progression de ce budget, face à ses
enjeux, dans l'espoir de contribuer, par cette décision, à le voir augmenter de
façon significative l'an prochain, votre commission des finances vous demande,
mes chers collègues, de rejeter les crédits de la recherche pour l'an 2000.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte, rapporteur pour avis.
M. Pierre Laffitte,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quatorze ans
maintenant, je rapporte pour avis le budget de la recherche, en prenant bien
soin de ne pas trop parler chiffre, mais plutôt des problèmes qui me paraissent
essentiels, c'est-à-dire les structures, leur évolution et la façon dont le
système français de recherche s'adapte et contribue au développement économique
de la nation.
Je commencerai par vous livrer quelques données qui n'ont pas encore été
évoquées par mes prédécesseurs à cette tribune, et notamment le volume
considérable que représente aujourd'hui le financement de la recherche par la
Commission européenne. Les chiffres commencent à s'apparenter à des chiffres de
caractère national. En effet, le cinquième programme cadre de recherche et
développement, PCRD, par exemple, représente quelque 98 milliards de francs de
financement sur quatre ans, soit près de 25 milliards par an, ce qui n'est pas
négligeable ! Il convient donc de veiller à ce que ces 25 milliards de francs
par an correspondent bien à des actions menées à l'échelon européen et ne
dupliquant pas des programmes spécifiquement nationaux. Il s'agit, par exemple,
du programme « mobilité des chercheurs ou des ingénieurs » - qui devrait
d'ailleurs être fortement augmenté - de façon à bâtir un espace européen de la
recherche.
De même, l'Europe doit se préoccuper des grands équipements. Actuellement, les
plus grands équipements ne sont pas financés par la Communauté européenne :
qu'il s'agisse du CERN - organisation européenne pour la recherche nucléaire -
du synchrotron de Grenoble, ou d'autres opérations, y compris le futur
synchrotron dont il a été beaucoup question, mais qui n'est pas financé par la
Communauté européenne. Cela n'est pas normal, ce n'est pas admissible ! Les
grands équipements et leur fonctionnement doivent être financés par la
Communauté européenne parce que ce sont des opérations européennes.
Aux Etats-Unis, par exemple, les grands équipements sont financés par le
gouvernement fédéral et non par les Etats de la fédération. Je ne milite pas
ici pour une fédération européenne ; je me contente de citer un exemple dont
l'Europe pourrait s'inspirer pour bâtir un espace européen de la recherche. Le
principe de la subsidiarité s'appliquerait pour tout ce qui concerne, par
exemple, le financement de la recherche, des PME, qui nécessite des
connaissances précises de proximité.
J'étais à Bruxelles voilà quinze jours. J'ai pu constater que, sur ce point,
les idées évoluent et je me plais à souligner qu'elles évoluent en partie grâce
à des initiatives françaises qui sont maintenant relayées par les initiatives
franco-allemandes et belges. Le commissaire Busquin partage d'ailleurs ces
idées, que, tous ensemble, nous devons continuer à promouvoir.
Le second point que j'évoquerai, c'est l'importance croissante des
financements par les régions, qui est d'ailleurs bien moindre en France que
dans d'autres pays.
Je rappelle qu'en Allemagne le seul Land de Bavière a des projets
considérables puisqu'il consacre près de 10 milliards de francs pour la seule
année 2000 à ce qu'il appelle « l'Offensive high tech » de Bavière ; c'est
plus, et de loin, que ce que les contrats Etat-région apportent en France pour
des projets aussi pointus. Cela veut bien dire que, d'une certaine façon, le
budget qui nous est soumis, bien qu'il soit postérieur aux assises nationales
de la recherche et au vote de la loi sur l'innovation qui a apporté un souffle
nouveau - et je crois que le Sénat peut se féliciter d'y avoir contribué -
devrait être examiné en tenant compte de ces éléments spécifiques.
Encore une fois, je ne parlerai pas du volume budgétaire. J'évoquerai
simplement certains aspects, notamment ceux qui concernent le développement
économique lié à la matière grise, le développement de la recherche, le
transfert de la technologie, le développement d'incubateurs. Ils sont une
priorité absolue, que le ministre a fortement poussée, en faveur de laquelle il
a sans doute la volonté - pourra-t-il le confirmer ? - de réorienter une partie
de ses financements.
Des domaines stratégiques ont été sélectionnés ; sont-ils suffisamment
financés ? Je souhaiterais sur ce point recevoir des apaisements.
Monsieur le ministre, vous avez du souffle, vous ne craignez pas de bousculer
les traditions, d'être dans certains cas impopulaire, mais je n'ai pas le
sentiment que vous ayez véritablement mis « tout le paquet », comme on dit
familièrement, pour obtenir des moyens supplémentaires, pour obtenir les moyens
de vos ambitions, dont nous connaissons tous la direction, car vous les avez
affichées ici à diverses reprises.
Mon collègue M. Trégouët vient de juger très positives les priorités que vous
avez indiquées. Je n'aurais garde d'avoir un avis différent. Je partage cette
opinion positive sur les priorités que vous retenez. Mais, monsieur le
ministre, ces priorités doivent être concrétisées, notamment pour l'Institut
national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA.
Monsieur le ministre, si j'en avais eu la possibilité, j'aurais déposé un
amendement visant à la création de cinquante emplois à l'INRIA. Mais je n'en ai
pas la possibilité car, sous la Ve République, un article de la Constitution
et, qui plus est, un article du règlement du Sénat m'en empêchent !
Il en est de même de l'intérêt qu'il y aurait à développer de grandes
recherches dans le domaine crucial de la création de produits multimédias ; le
contenu des autoroutes de l'information est au moins aussi important, voire dix
fois plus en termes de chiffre d'affaires futur, que la création de ces
autoroutes.
En Europe, les organismes privés investissent des centaines de milliards de
francs dans ce secteur. Il faudrait au moins que l'Etat y consacre une partie
de ses investissements pour que l'ensemble des chercheurs, privés ou publics,
dans le domaine des sciences de l'homme ou des sciences sociales, soient
incités à créer des produits multimédias dans des secteurs variés, culturels,
liés à la santé, au télé-enseignement, etc.
Au terme de ces quelques réflexions, je précise que la commission des affaires
culturelles approuve les directions qui ont été retenues, mais préfère s'en
remettre à la sagesse du Sénat sur ce projet de budget de la recherche pour
l'an 2000.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Rausch, rapporteur pour avis.
M. Jean-Marie Rausch,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. René
Trégouët, rapporteur spécial de la commision des finances, a évoqué tout à
l'heure, comme c'est son rôle, les données financières du projet de budget que
je ne rappellerai donc pas, me bornant à préciser que le budget civil de
recherche et de développement technologique s'élève à 54,6 milliards de francs,
ce qui représente une faible hausse de 1,3 % par rapport à l'an dernier.
J'évoquerai très rapidement trois évolutions positives de notre système de
recherche dont on a déjà parlé ainsi que trois interrogations persistantes de
la commission des affaires économiques.
Le premier motif de satisfaction est le soutien, par l'Etat, des disciplines
d'avenir comme les biotechnologies ou les technologies de l'information, et ce,
au moyen de deux fonds d'intervention nationaux : le FNS, le Fonds national des
sciences, et le FRT, le Fonds de la recherche technologique. La transparence
sur l'utilisation de ces crédits me semble toutefois devoir être améliorée, car
les fonds ne doivent pas devenir un instrument de « contournement » des
établissements de recherche.
Le deuxième motif de satisfaction est la réorientation des crédits
d'intervention de la recherche vers les petites et moyennes entreprises,
désormais les premières bénéficiaires du crédit d'impôt recherche, ainsi que du
Fonds de la recherche technologique.
Le troisième motif de satisfaction est la relance de l'objectif de
valorisation de la recherche française et des mesures incitatives à
l'essaimage, c'est-à-dire à la création d'entreprises innovantes par les
chercheurs, notamment par la loi du 12 juillet 1999 relative à la recherche et
à l'innovation que le Sénat à d'ailleurs soutenue.
Je relève que 200 millions de francs de crédits ont été réservés dans votre
budget à la création d'incubateurs et de fonds d'amorçage auprès des
établissements de recherche, universités et écoles.
La commission soutient cette logique, où l'argent public, qui s'additionne à
des fonds privés, a un fort effet de levier. La proposition de loi de MM.
Raffarin et Grignon vise d'ailleurs à la voir dupliquer, au-delà de la
recherche, sur des thématiques plus générales, dans une logique de
développement territorial. C'est en effet l'accompagnement de la création et le
premier tour de table financier qui sont les maillons faibles du processus de
création d'entreprises en France.
Je présenterai maintenant trois interrogations fortes et persistantes en
matière de politique de la recherche.
En premier lieu, les perspectives de l'emploi au sein des établissements de
recherche ne semblent pas bien tracées. Or l'âge moyen des personnels de
recherche publique est de quarante-sept ans, et la tranche des
cinquante-soixante ans représente un tiers des effectifs du CNRS. Les départs
massifs dans les années à venir peuvent constituer une opportunité historique
de renouvellement, mais ils sont aussi un facteur de risque de déperdition du
potentiel scientifique.
En deuxième lieu, la commission s'interroge sur les résultats obtenus par les
instances de conseil et d'évaluation de la recherche, dont la mise en place
avait été annoncée - en grande pompe - l'an passé. Le Conseil national de la
science, en particulier, remplit-il vraiment son office ?
En troisième lieu, enfin, la commission regrette l'abandon du volontarisme
politique en matière d'aménagement du territoire, qu'accompagne d'ailleurs un
abandon de la politique des très grands équipements structurants.
Alors que d'aucuns craignent une récession scientifique de notre pays, liée au
manque de certains équipements de grande ampleur - on pense au synchrotron
Soleil - nous redoutons, quant à nous, l'impact territorial de l'abandon des
grands équipements.
Les orientations du projet de schéma des services collectifs de la recherche
ne sont guère prometteuses, puisque ce schéma est essentiellement conçu comme
un document d'accompagnement du plan U3M, sans volet recherche autonome, à part
une incitation à la mise en réseau de l'existant !
Je vous pose la question, monsieur le ministre : la régionalisation de la «
matière grise » est-elle encore un objectif du Gouvernement ?
Pour ces motifs, la commission des affaires économiques a émis un avis
défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche dans le projet de
la loi de finances pour 2000.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 11 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 19 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 5 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier.
Monsieur le ministre, en octobre dernier, soucieux d'informer les sénateurs,
et nous vous en remercions, sur la politique de la recherche, vous annonciez
deux objectifs ambitieux : redonner à la recherche française une place de
premier plan dans tous les domaines, et faire de la recherche un moteur de
l'économie et de la lutte contre le chômage.
Qui ne souscrirait à une telle ambition, créatrice d'un consensus toujours
difficile, voire impossible à réunir en matière de recherche scientifique et
technique, qui se situe, par la force des choses, au carrefour des intérêts et
des sentiments ? C'est bien là qu'apparaît, reconnaissons-le très honnêtement,
la complexité de votre tâche, autant que la bonne volonté du chercheur que vous
êtes vous-même.
Vous ajoutiez, en effet, dans votre exposé d'information, que l'ambition
annoncée passe par des stratégies et des mesures concrètes.
Les stratégies, c'est bien la politique de la recherche. Les mesures
concrètes, ce sont les moyens dont dispose cette politique au sens le plus
noble du terme, c'est-à-dire le budget qui vous est imparti.
Nous voilà donc au coeur du sujet. Car la progression des crédits de la
recherche n'est pas, de toute évidence, à la hauteur des ambitions que vous
souhaitez et que vous annoncez.
Les ambitions sont louables, les moyens décevants !
Depuis des années, nous observons un tassement des crédits de la recherche,
tendance que ne démentit pas, cette année encore, la présentation de votre
budget. Force est de constater, comme l'indique le rapporteur spécial, notre
excellent collègue M. René Trégouët, que ce budget ne constitue pas une
priorité nationale. Au regard du budget général, la recherche n'occupe pas la
place privilégiée qui lui revient en tant que facteur déterminant de notre
développement économique, culturel et social. Bref, le dispositif public de
recherche, dans son état, est-il capable de relever les défis du XXIe siècle
?
La stabilité des moyens en volume, comparativement au budget de 1999, semble
apporter une réponse négative à cette question. Vous déclariez récemment
vous-même, monsieur le ministre, devant l'Assemblée nationale, que « s'agissant
de la création d'entreprises innovantes, nous sommes le pays industrialisé le
plus en retard ». La France se classe en effet en queue du peloton, comme l'a
dit notre rapporteur spécial, ce qui n'est guère rassurant pour l'avenir, qu'il
s'agisse du dépôt des brevets, dont le recul inquiétant paraît s'accélérer, de
la part mondiale de la France dans les technologies clefs, qui régresse de 2,5
% par an.
Cela est préoccupant au moment même où la recherche s'insère dans la
compétition mondiale et que nous devons dans le même temps maintenir notre
excellence scientifique, mais également assurer sa valorisation.
Toutes vos analyses, monsieur le ministre, montrent que le dilemme ne vous a
pas échappé. Avez-vous d'autres moyens de répondre à ce dilemme que de vous «
attaquer » - le terme est vôtre - à la structure interne du budget de la
recherche, c'est-à-dire, disons-le clairement, à déshabiller Paul pour habiller
Jacques.
Loin de nous l'idée de vous en faire le reproche car, les choses étant ce
qu'elles sont, vous faites avec ce que vous avez et vous justifiez votre
attitude par des raisons qui ne sont pas dénuées de fondement.
J'évoquerai les trois raisons principales.
Tout d'abord, le budget de la recherche n'est pas seulement une affaire de
gros sous, vous avez raison. L'augmenter massivement sans modification des
structures n'aboutirait qu'à confirmer une situation figée depuis quinze
ans.
Ensuite, il faut réduire de façon drastique le poids des grands équipements
afin d'assurer une priorité aux équipes de jeunes chercheurs des
laboratoires.
Enfin, désormais, les équipements lourds seront assurés dans le cadre d'une
coopération multinationale européenne, meilleur moyen, pensez-vous à juste
titre, pour aller de l'avant dans la construction d'une communauté scientifique
européenne.
L'ensemble de ces mesures s'inscrit dans une logique intellectuellement
satisfaisante, mais à une condition : qu'elles puissent s'adapter avec prudence
à l'évolution générale de la recherche, sans que soit mis en péril, faute de
nuances suffisantes, le potentiel des acquis culturels et structurels de la
recherche nationale.
Vous savez mieux que quiconque que toute rupture de rythme par trop brutale
dans le fil d'une recherche constitue une épreuve très difficile à surmonter et
parfois fatale.
Réduire dans le budget le poids des équipements très lourds est, à l'évidence,
une nécessité si l'on veut que la recherche épouse son temps. Mais la
stagnation du budget qui nous est présenté vous ôte toutes marges de manoeuvre
capables de nuancer, de « lisser » la logique de votre politique.
Il vous faut faire des choix tranchants, dans certains cas au détriment de la
continuité qui sensibilise profondément la recherche scientifique.
Ainsi, vous voulez réduire la rigidité, et peut-être aussi, dans votre esprit,
la superbe des grands organismes afin de « redéployer la recherche vers les
champs nouveaux du savoir ». Mais vous ne pouvez le faire sans dégâts.
Je citerai à titre d'exemple les nombreux problèmes qui se posent au
Commissariat à l'énergie atomique, qui, déjà, dans le passé récent, a subi les
à-coups d'une évolution d'abord positive, ensuite négative. L'établissement a
dû réduire de 100 millions de francs des dépenses pourtant essentielles eu
égard à l'avenir énergétique de notre pays, autant qu'au niveau de ses
recherches et de sa technologie. Je pense, entre autres, aux piles à
combustibles.
Certes, des mesures nouvelles sont prévues, mais une part concerne les
compensations du surcoût de la scission entre le Commissariat à l'énergie
atomique et l'Institut de protection et de sécurité nucléaire. Certes, vous
ajustez les crédits de personnel, mais les subventions d'investissement ne
progressent pas, ce qui va nuire à la coopération indispensable de cet
organisme avec l'université etl'industrie.
Monsieur le ministre, vous savez pertinemment que le CEA est responsable de
recherches qui ont été à la source de progrès techniques considérables, plus
particulièrement de notre avancée dans la discipline de l'atome et de l'énergie
nucléaire. Cette avancée a permis, personne n'a pu le contester, de valoriser
au mieux ces recherches, économiquement et socialement.
Sans faire aucun procès d'intention, ce dont je me garderai d'ailleurs à votre
égard, je me demande si la place offerte au CEA dans votre projet de budget ne
serait pas l'ébauche de la reconnaissance, voire de l'appui donné à certaines
tendances qui, pour des raisons plus sentimentales que scientifiques, sont
a
priori
et sans nuance hostiles à l'application civile du nucléaire.
M. Jacques Valade.
Absolument !
M. Philippe Marini.
On peut le craindre !
M. Lucien Lanier.
Il en est de même pour d'autres grands organismes, et la question peut se
poser de savoir si le nécessaire assouplissement de leur structures trop
rigides, nous le reconnaissons, ne mène pas, subrepticement, à leur
affaiblissement.
Au centre des grands équipements, la question des synchrotons de troisième
génération se situe vraiment au carrefour des intérêts et de sentiments ; elle
a suscité et soulève encore polémiques et passions.
Vous l'abordez avec des arguments propres à convaincre : la France ne pourrait
seule s'en offrir la réalisation que réclame pourtant l'intersyndicale
nationale recherche et enseignement supérieur, autant que les grandes régions
françaises, pour des raisons à la fois scientifiques et économiques, les unes
complémentaires des autres, ce qui donne à réfléchir.
L'aspect financier est évident : 16 milliards de francs pour l'ensemble
université-recherche, 2 milliards de francs pour le projet de synchroton
soleil. Votre budget n'y suffit pas, même avec le concours que vous proposent
certaines régions.
Conscient que ce projet s'avère indispensable, plutôt que d'y renoncer, ce qui
aurait été la pire des solutions, vous avez sagement recherché la coopération
européenne et décidé que tous les grands équipements seraient désormais
construits dans le cadre multinational européen, faisant valoir qu'une telle
solution incitait, de manière irréversible, à l'élaboration d'une communauté
scientifique européenne.
Croyez bien, monsieur le ministre, que nous sommes parfaitement conscients
qu'on ne peut renforcer l'Union européenne sans renforcer l'Europe
scientifique. Votre politique y trouve sa logique.
C'est donc surtout le processus de votre politique qui nous émeut, nous autant
que la communauté scientifique, processus qui vous a conduit, après avoir
informé, certes, mais sans grande concertation réelle et suffisante, à coopérer
avec le gouvernement anglais et la fondation caritative
Wellcome Trust
,
pour la construction du projet anglais Diamond, synchroton de troisième
génération.
Vous nous dites que soleil et diamond sont deux projets « quasiment identiques
». Quasiment, oui, puisqu'au dire de certains diamond fournirait trois fois
moins de rayonnement que soleil.
Sans entrer dans ces considérations purement techniques, avez-vous pensé au
coup sévère que l'abandon du projet soleil portera à la recherche française en
chimie, en biologie et pour l'étude de l'infiniment petit, sans compter les
conséquences économiques et sociales, ne serait-ce que pour l'emploi, qui nous
concerne au premier chef ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Cent cinquante personnes !
M. Lucien Lanier.
Vous nous dites que la France est bien dotée, à Orsay, à Saclay, à Grenoble et
d'ailleurs, d'instruments dont la saturation est loin d'être atteinte,
peut-être, mais d'instruments qui, en vieillissant - et ils vieillissent vite -
répondront de moins en moins à l'évolution de la troisième génération et nous
laisseront largement tributaires d'un pays étranger jusqu'alors très jaloux de
son excellence scientifique.
La coopération européenne, oui ! mais dans la prudente mesure où elle préserve
les intérêts de la recherche française en un domaine de pointe, C'est pourquoi,
répondant à votre détermination de faire en sorte que tous les investissements
lourds ne soient qu'européens, et nous y souscrivons, nos excellents collègues
MM. Valade et Legendre vous ont clairement demandé, à cette tribune, de définir
une politique de recherche nationale qui ne soit pas seulement traitée, pour
des raisons budgétaires, à court terme. Ne pensez-vous pas qu'un grand débat
parlementaire s'imposerait à cet égard ?
En conclusion, monsieur le ministre, je dirai que ce ne sont pas globalement
les orientations de votre politique de la recherche que nous critiquons, mais
que c'est davantage les moyens dont vous disposez qui nous inquiètent. Ils vous
obligent à des choix drastiques, dont certains risquent d'hypothéquer, de
manière irréversible, l'avenir de l'excellence scientifique française, de sa
valorisation et de son impact économique et social.
Le général de Gaulle, avec une sûre intuition, avait consacré la recherche
comme une priorité nationale. Il lui en donnait les moyens par l'organisation
spécifique d'un grand ministère de la recherche, par des budgets, chaque année
adaptés aux besoins réels, concertés et réfléchis. Nous en avons longtemps
récolté les fruits.
Aujourd'hui, la récolte tend à s'amenuiser, le système à vieillir, les bons
cerveaux à déserter. Le « navire recherche » court sur son aire, moteurs au
ralenti. Les exigences du court terme estompent l'indispensable prospective.
Vos efforts, monsieur le ministre, - que nous reconnaissons - en sont
compromis. Votre budget n'est pas à la hauteur de vos ambitions.
C'est pourquoi nous rejoindrons les conclusions de la commission des
finances.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu
des pauvres petites cinq minutes qui me sont imparties, mon intervention ne
sera, en quelque sorte, qu'un cri.
Je souhaiterais d'emblée vous faire part de notre inquiétude, qui est partagée
par l'ensemble de la communauté scientifique, quant à l'évolution du budget,
mais également pour ce qui relève des orientations de notre politique de
recherche.
Dans un monde en mutation rapide, qui peut dire ce que seront les besoins de
notre pays dans dix ans ? Aussi, la France se doit d'adapter et de promouvoir
son dispositif public de recherche.
Or, le budget de la recherche civile n'augmente pas en volume.
Le niveau des autorisations de programme des établissements publics à
caractère scientifique et technique est inférieur à celui de 1993.
La part de la recherche-développement dans le PIB ne cesse de décroître alors
que celle de nos concurrents augmente.
Les deux augmentations budgétaires effectivement remarquables, l'une pour le
Fonds national de la science, et l'autre pour le fonds national de la recherche
et de la technologie, vont à des actions pilotées directement par le ministère
de la recherche et de la technologie.
Le taux de croissance limité de l'emploi scientifique nous éloigne de la mise
en place d'une loi de programmation de l'emploi scientifique.
Si cette tendance devait perdurer, le CNRS, pour ne citer que lui, perdrait
près d'un cinquième de ses équipes de recherche permanente.
Au même moment, de jeunes docteurs quittent notre pays faute d'emplois dans
nos laboratoires publics ouprivés.
Au moins pouvait-on penser que ce qui n'irait pas à l'emploi scientifique
irait aux équipements, voire aux grands équipements.
Il n'en est rien ! C'est ainsi que nombreux sont ceux, membres de la
communauté scientifique ou élus, à estimer que l'abandon du projet soleil
apparaîtra très vite comme une erreur.
L'équipement d'Orsay est vétuste. N'était-il pas temps de doter notre pays
d'un outil adapté, indispensable à la recherche fondamentale, comme à la
recherche appliquée ?
Les coopérations européennes en matière scientifique doivent-elles donc obérer
toute perspective d'équipements, voire de recherche nationale en la matière,
encore que, pour pouvoir coopérer à l'échelle internationale, il faut avoir de
solides bases nationales.
La dimension européenne d'un tel projet me semble évidente, mais pourquoi pas
l'initier en France, comme ce fut le cas pour Airbus et Ariane ?
Par ailleurs, la question du bien-fondé ou non de ce projet n'était-elle pas
importante au point de justifier amplement un débat devant la représentation
nationale ?
Dans le domaine de la recherche, plus que dans tout autre, le débat
contradictoire est une nécessité pour faire avancer les choses. Je dis cela non
pas tant par goût de la palabre, ou de la diatribe, que parce que l'élaboration
démocratique de décision est la clé de son efficacité.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Non !
M. Ivan Renar.
Je n'ai pas parlé de référendum, monsieur le ministre, j'ai parlé d'«
élaboration démocratique » de la décision.
En attendant, il y a un malaise dans les deux chambres du Parlement et dans la
communauté scientifique. De fait, il est très difficile d'admettre qu'une
décision politique condamne un projet dont le bien-fondé scientifique et
économique a été, tout au long de sa conduite, soumis à l'évaluation de la
communauté scientifique et dont lesdites évaluations ont toutes été
positives.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur Renar, l'engagement de ce projet n'a jamais été décidé par personne !
Il n'en a jamais été débattu, vous entendez ! Jamais, y compris par les
précédents gouvernements.
M. Ivan Renar.
C'est bien pour cela que j'ai toujours demandé, monsieur le ministre, qu'un
débat ait lieu ici, en commission et en séance publique.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Les débats auraient dû avoir lieu au moment où les problèmes budgétaires se
posaient, et pas seulement pour ce système, pour les précédents aussi, sous les
gouvernements antérieurs.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Renar !
M. Ivan Renar.
Permettez-moi d'ajouter quelques mots sur la culture scientifique.
L'actualité parfois douloureuse de cette fin de siècle nous rappelle
l'impérieux besoin de favoriser tous les rapprochements possibles entre les
citoyens et la science. N'est-ce pas aussi l'ambition d'une grande politique
publique de la recherche ?
La « mise en culture » de la science n'est pourtant pas chose aisée. En
témoigne, par exemple, le cas du Forum des sciences, situé à Villeneuve-d'Ascq
dans le Nord.
Fruit d'une volonté commune des collectivités, principalement du conseil
régional du Nord - Pas-de-Calais, et de l'Etat dans les années quatre-vingt, le
Centre doit aujourd'hui faire face à de très graves difficultés en raison du
retrait de l'Etat de toute participation aux frais de fonctionnement.
Pourtant, les publics et les besoins sont là bien réels. Le Centre présente un
bilan tout à fait passionnant compte tenu de ses moyens, mais le risque est, à
terme, qu'il ne devienne une coquille vide. Le rapport de l'inspection générale
de l'administration de l'éducation nationale que vous avez diligenté, monsieur
le ministre, a clairement mis en évidence la responsabilité toute particulière
de l'Etat dans les difficultés actuelles, Etat qui s'est déchargé sur les
collectivités, en particulier sur le conseil régional. Que comptez-vous faire,
monsieur le ministre, pour assurer l'avenir du plus grand centre de culture
scientifique au nord de Paris et respecter la parole donnée ?
Dans un autre domaine, vous avez trouvé en nous, monsieur le ministre, lors
de l'examen de la loi sur l'innovation par exemple, des interlocuteurs
sensibles à une certaine idée de la recherche publique dans notre pays,
sensibles encore aux questions de l'innovation, et nous l'avons prouvé.
Pour autant, nous sommes à présent inquiets des orientations prises pour le
devenir de notre recherche publique.
Le dispositif de recherche fondamentale dans tout le champ de la connaissance
est une des missions essentielles du service public.
Pouvons-nous prendre le risque de voir disparaître de nos laboratoires des
domaines qui n'ont pas d'application industrielle immédiate ?
Quelles sont les dispositions prises pour faire participer l'industrie au
financement de la recherche ? Notre proposition de remplacer le crédit
d'impôt-recherche par un impôt libératoire a-t-elle des chances d'être entendue
?
De la même manière, les formations doctorales devraient être reconnues dans
les conventions collectives, ce qui favoriserait, dans leur recherche d'emploi,
chacun des jeunes docteurs des universités.
Soucieux du développement de notre recherche publique, soucieux de la
préservation et du développement de notre recherche fondamentale, soucieux
encore d'orienter, au service de notre pays tout entier, les travaux de nos
laboratoires, je ne puis qu'exprimer les plus grandes réserves sur le projet du
budget de la recherche qui nous est proposé.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget
civil de la recherche et du développement technologique, qui englobe l'ensemble
des activités scientifiques et technologiques, atteint cette année 54 milliards
de francs. Les dépenses en capital s'élèvent en autorisations deprogramme à 22
milliards de francs. Ce projet de budget est donc caractérisé par le
renforcement de la capacité du ministère, la restauration des moyens des
laboratoires de recherche, la stimulation de la recherche universitaire et la
réaffirmation du soutien à l'innovation technologique.
Trois motifs de satisfaction doivent être relevés.
D'abord, il est satisfaisant de constater le soutien de l'Etat en faveur des
disciplines d'avenir telles que les biotechnologies et les technologies de
l'information.
Ensuite, on peut se réjouir de la réorientation de certains soutiens publics
vers les PME, qui figurent parmi les principales bénéficiaires du crédit
d'impôt-recherche.
Enfin, des crédits sont consacrés à l'incitation à la constitution de fonds
d'amorçage, destinés à favoriser l'essaimage et la création d'entreprises à
partir des établissements de recherche, ainsi que la création d'entreprises
innovantes.
S'agissant de la recherche spatiale, il n'est en rien étonnant que le sénateur
de la Guyane interroge le ministre compétent dans ce domaine.
En effet, la Guyane est particulièrement concernée puisque la base de
lancement de la fusée Ariane se trouve à Kourou.
Le centre spatial guyanais et le centre national d'études spatiales sont
aujourd'hui totalement axés sur le programme Ariane, dont le premier lancement
eut lieu le 24 décembre 1979, événement dont le vingtième anniversaire sera
célébré, je pense, avec la dignité qui s'impose.
A l'aube du prochain millénaire, l'espace n'est plus pour l'homme uniquement
un lieu d'exploration et d'expériences. Il est devenu, ces dernières années,
une composante essentielle de son univers quotidien.
Il est donc nécessaire de réorienter la politique spatiale française,
notamment en concentrant les moyens budgétaires sur les applications
terrestres.
La mise en oeuvre de nouveaux systèmes de télécommunications spatiales exige
d'importants programmes de recherche, notamment dans le domaine des logiciels,
dont le financement ne peut être assuré par les opérateurs privés.
Cette année, la dotation du centre national d'études spatiales, hors crédits
de la défense, s'élève dans le projet de loi de finances pour 2000, en dépenses
ordinaires et crédits de paiement, à 7 milliards de francs, ce qui représente
une baisse de 9 %.
Si la dotation de fonctionnement reste, quant à elle, identique à celle de
l'année dernière, soit 915 millions de francs, la dotation du CNES est tout à
fait insuffisante et elle oblige ce dernier à opérer des transferts du budget
d'investissement vers celui de fonctionnement.
Cette baisse de 160 millions de francs est certes symbolique mais néanmoins
réelle.
La France doit garder une très grande ambition spatiale, car elle est le
moteur spatial de l'Europe. Nous devrons donc consentir un effort industriel
considérable pour faire baisser nos prix.
Je pense qu'il serait souhaitable de recentrer les missions du CNES autour de
ses activités de recherche et d'innovation, qui ne peuvent faire l'objet d'une
délégation à aucun autre secteur. Je suis également favorable à ce que le CNES
maintienne ses compétences de maître d'ouvrage pour les projets complexes
innovants.
Il serait souhaitable que le CNES cherche des partenariats publics au-delà du
seul secteur spatial. Il conviendrait donc de généraliser l'expérience
d'association du ministère des transports au programme Galileo.
Le CNES doit continuer à évoluer, mais dans un contexte européen et
international. A cet égard, les coopérations internationales, comme celles qui
sont conduites avec la NASA pour le programme martien doivent être poursuivies
et encouragées.
Par ailleurs, je pense qu'il faut davantage aider le développement des
technologies spatiales. En effet, cela constitue un enjeu géopolitique majeur.
Aujourd'hui, les satellites, dont les performances ont été considérablement
améliorées, ont pris une place privilégiée dans les télécommunications
mondiales, que ce soit pour la télévision ou pour le téléphone mobile.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'accélération de la concurrence qui est en
train de naître avec la construction de nouvelles bases spatiales un peu
partout de par le monde.
Au Guyana, à côté de la Guyane française, les Américains sont en train
d'étudier sérieusement la possibilité d'installer une rampe de lancement. Avec
la plate-forme de Sea Launch dans le Pacifique et la base d'Alcantara, au
Brésil, la Guyane est presque cernée !
Dans ce contexte, la France risque de perdre des marchés, notamment pour ce
qui concerne le lancement des micro-satellites. En effet, les coûts de
lancement seront sûrement moins élevés ailleurs. Comment la France peut-elle
faire face à cette nouvelle concurrence ? Par quels moyens peut-on rendre notre
industrie spatiale plus compétitive face à ses concurrents étrangers ?
Vous comprenez certainement notre inquiétude, monsieur le ministre, car
l'avenir du développement économique de la France et de la Guyane dépend de la
réponse à ces questions.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
reviendrai pas sur les données chiffrées du budget civil de recherche et
développement, que les orateurs précédents n'ont pas manqué d'évoquer.
J'insisterai, en revanche, sur la démarche que sous-tend ce budget, et que
certains d'entre nous font mine de ne pas comprendre.
Ce budget, comme le précédent, est un budget de transition.
Vous avez décidé, monsieur le ministre, de rompre avec la pratique de
reconduction systématique des crédits pour les institutions en place tant que
ne serait pas opérationnelle une réforme de leurs structures.
Rien ne sert, en effet, de débloquer des fonds qui entretiennent la dérive
budgétaire de certains établissements de recherche. Nos collègues de la
majorité, sur ce point, ne peuvent qu'approuver : cela correspond à un souci de
bonne gestion de l'argent public.
De même, pour dynamiser les laboratoires et les équipes de recherche, vous
avez décidé de rompre avec la politique de grands équipements suivie jusqu'à
présent et qui asphyxiait les laboratoires en grevant leurs ressources.
Une solution qui permet à la fois de redresser la situation et de renforcer la
communauté scientifique européenne - ce qui est loin d'être négligeable -
consiste à faire en sorte que les très grands équipements soient réalisés dans
le cadre européen.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est engagé dans un partenariat avec le
Gouvernement du Royaume-Uni et la fondation caritative
Welcome Trust
pour la construction d'un synchrotron de troisième génération.
La France disposant déjà du grand synchrotron européen ESRF à Grenoble et du
synchrotron LURE à Orsay, qui ne sont d'ailleurs pas utilisés à plein, il n'est
pas illogique que le prochain synchrotron soit implanté en Grande-Bretagne,
pays qui est dépourvu, à l'heure actuelle, d'un tel équipement.
Le projet de budget pour 2000 opère également un renforcement des fonds
d'intervention du ministère qui sont affectés aux disciplines et aux actions
définies comme prioritaires pour l'avenir de notre recherche.
Le Fonds national de la science, le FNS, créé l'année dernière, permet de
développer des projets réclamant la coopération de plusieurs établissements en
sciences de la vie, sciences pour l'ingénieur, chimie, sciences humaines et
sociales.
Les autorisations de programme du FNS bénéficient d'une augmentation de 40 %
et passent donc de 500 millions de francs dans la loi de finances initiale pour
1999 à 700 millions de francs. Ses crédits de paiement augmentent, quant à eux,
de 77 %, soit 565 millions de francs au lieu de 318 millions.
De son côté, le Fonds de la recherche technologique, le FRT, voit ses
autorisations de programme progresser de 35 % pour atteindre 905 millions de
francs. Quant aux crédits de paiement, s'ils sont en diminution, cela résulte
de la régulation d'engagements antérieurs.
A travers le FRT, il s'agit de renforcer non seulement le secteur des
nouvelles technologies de l'information et de la communication, mais aussi la
création d'entreprises technologiques innovantes et d'incubateurs.
Parallèlement, il faut noter la décision, annoncée vendredi dernier par le
Premier ministre, de débloquer 1 milliard de francs supplémentaires sur cinq
ans pour la recherche sur le génome humain. Cette somme sera affectée à un
nouveau réseau associant laboratoires publics et entreprises privées, qui se
mettra en place dès le début de l'année prochaine.
Dans ces conditions, je ne pense pas que l'on puisse soutenir que le
Gouvernement ne se donne pas les moyens de ses priorités en matière de
recherche.
Par ailleurs, on ne peut que se féliciter de l'accent mis sur la recherche
universitaire, dont les crédits augmentent de 3,1 %. L'université constitue une
composante essentielle de notre recherche puisqu'elle forme les jeunes
chercheurs de demain et contribue, pour une grande part, à la recherche
fondamentale.
Ainsi, une mesure nouvelle de 25 millions de francs est prévue pour les
activités de recherche de l'enseignement supérieur. Le plan d'accueil des
post-doctorants étrangers est conforté avec cent soixante bénéficiaires
supplémentaires. Enfin, figurent au budget le renforcement des moyens des
écoles françaises à l'étranger et la création de dix emplois de chercheur à
l'Ecole française d'Extrême-Orient.
J'en viens maintenant à la coopération avec les pays du Sud en matière de
recherche et développement. Elle doit figurer au titre des priorités de notre
action de solidarité avec le monde en développement.
Grâce à ses accords de partenariat avec la plupart des instituts français de
recherche - CNRS, INRA, IFREMER, CEMAGREF, CIRAD, etc. - et de nombreuses
universités - universités de Provence, Montpellier I, Paris VI -, l'Institut de
recherche pour le développement, l'IRD, joue un rôle central dans notre
politique de coopération scientifique et technique avec les pays
endéveloppement et émergents. Il contribue à la formation et à la consolidation
des communautés scientifiques et des capacités d'expertise de ces pays.
Dernièrement, l'IRD a connu une restructuration portant notamment sur
l'amélioration de l'évaluation des procédures de recherche, le développement de
l'activité d'expertise collégiale et la réaffirmation de sa vocation de
développement et de dialogue avec les pays du Sud.
Dans ce contexte, ce qui différencie et légitime l'IRD, c'est la mobilité de
ses chercheurs, garantie par ses capacités en matière d'expatriation ; or le
poste budgétaire correspondant est en déficit depuis plusieurs années.
L'institut est donc obligé d'effectuer des prélèvements sur réserves, alors
même que vous lui demandez, monsieur le ministre, d'augmenter le nombre de ses
agents expatriés. Actuellement, 40 % de ses agents travaillent hors de la
métropole, et l'IRD est présent dans vingt-six pays, situés essentiellement
dans la zone intertropicale, en général dans des structures partenaires,
universités ou centres de recherche.
J'aimerais donc que vous nous rassuriez sur les capacités d'expatriation de
l'IRD pour l'avenir.
Enfin, j'insisterai sur le rôle d'expertise dévolu aux chercheurs, rôle
nécessairement amené à se développer dans un futur imminent, compte tenu de
l'évolution rapide des techniques et de leur importance croissante dans notre
vie quotidienne.
En effet, l'attente de nos concitoyens en matière de compréhension des
mutations de notre société et en matière d'éthique est forte. La mise en avant
du principe de précaution par la France dans ses relations commerciales, la
montée de boucliers contre les OGM ou les récentes manifestations liées à la
conférence de l'OMC à Seattle le confirment.
Les situations de crise ne doivent cependant pas être le cadre privilégié
d'expression de cette expertise, sinon celle-ci restera d'une fiabilité limitée
et sera immanquablement contestée. Elle doit être reconnue comme un champ de
recherches pluridisciplinaires à part entière.
Des formes nouvelles de dialogue entre citoyens et experts scientifiques
doivent être instaurées, afin de favoriser l'appropriation de la science par le
public et de développer un climat de confiance entre science et société.
La conférence des citoyens, organisée pour la première fois en 1998, sur
l'utilisation des OGM peut être l'une de ces formes, d'autant que les avis
rédigés par le panel de citoyens, grâce à la pluralité et à la clarté des
débats, ont été marqués par une grande qualité et par leur pertinence.
Il ne faudrait pas, en effet, que les citoyens n'aient pas accès à la
compréhension des thèmes scientifiques d'avenir pour notre société, faute d'une
réelle diffusion de la culture scientifique et technologique, et qu'ils n'aient
aucune prise sur eux.
Monsieur le ministre, le groupe socialiste soutient pleinement votre budget,
qui traduit en moyens les objectifs et les orientations d'une politique
ambitieuse pour notre recherche.
D'ailleurs, au sein de la commission des affaires culturelles, nos collègues
de la majorité, avant de s'en remettre à la sagesse du Sénat, n'ont pas manqué
d'exprimer leur accord avec vos axes stratégiques d'action et la réorientation
d'un budget qui avait dangereusement dérivé. Au demeurant, notre collègue M.
Laffitte l'a lui-mêmeindiqué.
Ils ont aussi jugé positivement le soutien aux disciplines d'avenir et aux
laboratoires, la réorientation des crédits d'intervention vers les PME et la
forte relance de la valorisation de notre recherche.
Alors, pourquoi, mes chers collègues, ne pas voter ce budget ?
M. le président.
La parole est à M. Vecten.
M. Albert Vecten.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de
développer et de soutenir l'effort d'innovation, le Gouvernement a affirmé la
volonté de multiplier les échanges entre le monde de la recherche et les
entreprises, notamment par la constitution de structures professionnelles de
valorisation.
Cette volonté s'est traduite par l'adoption de la loi sur l'innovation et la
recherche du 12 juillet 1999. Comme vous vous en souvenez sans aucun doute,
monsieur le ministre, j'ai soutenu ce texte, qui me paraissait correspondre à
un besoin urgent.
En effet, le retard pris par notre pays en matière de valorisation de la
recherche publique est devenu inquiétant. Non que nous ne disposions, en
France, d'une recherche publique de grande qualité, bien au contraire, mais il
existe dans notre pays un vrai décalage entre la qualité de la recherche
scientifique publique et la faiblesse du transfert d'innovation vers le monde
de l'entreprise.
Il nous appartenait donc d'y remédier, notre rôle de législateur étant
d'offrir un cadre simple, souple et efficace pour permettre une coopération
active entre la recherche publique et le monde économique.
Votre loi « innovation et recherche » s'inscrit dans cette ambition et apporte
une réponse indispensable à nos attentes. Ces attentes, ce sont notamment
celles des collectivités locales, qui, depuis la décentralisation,
s'investissent de plus en plus dans ce domaine de la recherche, même s'il ne
s'agit pas d'une de leurs compétences premières.
Quel est l'objectif des collectivités locales à cet égard ?
A terme, c'est bien sûr de contribuer par cette voie au développement
économique, et donc à la création d'emplois. Pour ce faire, il est essentiel
que les collectivités puissent travailler en partenariat étroit avec les
universités et les grands organismes de recherche afin de valoriser les
résultats de leurs travaux. De ce point de vue, très concrètement, la
possibilité de créer des structures dédiées aux moyens affectés à des
thématiques bien identifiées, avec des perspectives de débouchés économiques
réels, est essentielle.
Pour illustrer mon propos, monsieur le ministre, je prendrai l'exemple d'une
initiative particulière que nous avons lancée dans la Marne.
Comme vous le savez, notre région Champagne-Ardenne se caractérise et se
distingue par la force remarquable de son bassin de production agricole et
viticole. L'excellence que nous avons pu atteindre dans le domaine du champagne
ou dans la production de plantes de grandes cultures n'est cependant pas
définitivement acquise.
Ainsi, le secteur céréalier, qui utilise plus de 56 % de nos terres arables, a
été fortement ébranlé tant par la vive concurrence sur les marchés mondiaux que
par les deux réformes consécutives de la politique agricole commune.
Dès les premiers signes de ce bouleversement, que nous pressentions, nous
avons pris en main notre destin en recherchant de nouveaux débouchés, hors des
voies conventionnelles, saturées.
Les discussions engagées aujourd'hui à Bruxelles ou à Seattle, les évolutions
du commerce mondial vers un libre-échange qui implique une concurrence de plus
en plus acharnée ne peuvent que nous conforter dans ce choix.
Depuis dix ans déjà, les collectivités territoriales de Champagne-Ardenne se
sont donc mobilisées pour créer une association dénommée « Europol'Agro », dont
l'objet est de développer une recherche finalisée débouchant sur de nouvelles
valorisations de nos « agroressources », notamment dans le secteur non
alimentaire : nouveaux matériaux, détergents, cosmétiques ou spécialités
pharmaceutiques.
La dynamique créée par Europol'Agro a favorisé l'émergence de programmes
reposant sur le volontariat des équipes de l'université de Champagne-Ardenne ou
des grands organismes de recherche présents à Reims, tels que l'INRA.
Hier utopies pour certains, ces nouvelles applications sont aujourd'hui une
réalité dans notre département puisque deux PME d'une dizaine de personnes
chacune produisent différentes spécialités pour la cosmétique ou le secteur de
la santé humaine à partir d'agroressources locales.
Car telle est bien notre ambition : que les résultats de cette recherche
suscitent la création d'entreprises innovantes, sources d'emplois et de valeur
ajoutée.
Mais il nous faut poursuivre et même aller plus loin, car d'autres pays sont
sur les mêmes créneaux.
L'engagement financier de l'Etat et des collectivités locales lors de ce
dernier contrat de plan Etat-région a déjà permis de mobiliser plus de 70
millions de francs pour financer des programmes de recherche.
Près d'une soixantaine de doctorants ont déjà été financés par le conseil
général, qui alloue pour ce faire une enveloppe annuelle complémentaire de plus
de 6 millions de francs.
Des investissements structurants en bâtiment et en matériel ont permis à nos
équipes de disposer d'un environnement très favorable.
Les équipes de recherche mises en place ces dernières années forment un
dispositif cohérent qui nous permet de disposer de compétences très
intéressantes, mais qu'il conviendrait de compléter dans deux disciplines, la
glycochimie et la physicochimie, pour aboutir à de plus nombreux résultats.
Aujourd'hui, pour aller plus loin, il nous faut franchir avec l'université de
Reims Champagne-Ardenne et l'INRA une nouvelle étape.
Notre projet concret est donc la constitution d'un pôle de glycochimie
réunissant sur un même site une équipe de quatre à cinq chimistes encadrés par
un chercheur expérimenté et une équipe de deux ou trois physicochimistes qui
testeront les aptitudes des molécules élaborées par les chimistes.
Comme vous le voyez, nos besoins sont, me semble-t-il, très raisonnables, car
nous aurons la sagesse de cultiver le travail en réseau avec les laboratoires
abordant les mêmes thèmes.
Cependant, si ces thématiques ont reçu l'aval d'éminents experts
scientifiques, nous rencontrons des difficultés pour la mise en place de ce
pôle.
Les collectivités locales, en premier lieu le conseil général de la Marne,
sont prêtes à mobiliser des moyens financiers. Mais les moyens humains
complémentaires passent par un fléchage de postes auprès de l'université et de
l'INRA pour lequel votre appui est nécessaire.
Je sais, monsieur le ministre, que vous avez engagé une politique pour
renforcer le recrutement de chercheurs dans les prochaines années. Je pense que
notre région, qui a été précurseur en ce domaine, mérite aujourd'hui un soutien
particulier.
Par ailleurs, votre loi du 12 juillet 1999 a suscité pour nous beaucoup
d'espoirs, car certaines de ses dispositions pourraient constituer le
complément indispensable aux postes universitaires fléchés.
Nous souhaitons, pour constituer ce pôle de glycochimie qui nous fait défaut,
nous appuyer sur le dispositf prévu par l'article 1er de cette loi que je cite
: « En vue de la valorisation des résultats de la recherche dans leur domaine
d'activité, les établissements publics à caractère scientifique et
technologique peuvent, par convention et pour une durée limitée, avec
information de l'instance scientifique compétente, fournir à des entreprises ou
à des personnes physiques des moyens de fonctionnement, notamment en mettant à
leur disposition des locaux, des équipements et des matériels.
« Ces activités peuvent être gérées par des services d'activité industrielles
et commerciales. Et ces services peuvent recruter des agents non titulaires par
des contrats de droit public à durée déterminée ou indéterminée. »
Simplement, comme vous le savez aussi, la mise en oeuvre de ce dispositif est
subordonnée à la parution d'au moins trois décrets d'application. Or, en
matière de recherche, si nous voulons obtenir des résultats d'ici deux à cinq
ans, nous devons nous hâter afin de ne pas perdre l'avance que nous avons pu
prendre.
Je demande donc, monsieur le ministre, à pouvoir bénéficier du soutien
concret des services de votre ministère, pour que notre région, son université,
associée à l'INRA, puissent mettre en place rapidement ce pôle de glycochimie,
en s'appuyant directement sur le dispositif prévu dans votre loi, et ce sans
avoir à attendre les décrets d'application.
Avec ce soutien, nous pourrions une nouvelle fois faire ensemble figure de
précurseurs. Dans le domaine de la recherche, c'est là un atout déterminant
!
Par avance, je vous remercie de votre appui.
Monsieur le ministre, je vous invite aussi à venir dans notre région, à Reims,
tout particulièrement pour vous rendre compte de ce que nous avons déjà réalisé
et voir ce qu'il nous reste encore à entreprendre.
(Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Monsieur le président, je souhaite une brève suspension de séance.
M. le président.
Le Sénat va, naturellement, accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mardi 7 décembre 1999 à zéro heures cinq, est reprise
à zéro heure dix.)
M. le président.
La séance est reprise.
La parole est à M. Revol.
M. Henri Revol.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant été
chargé par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiqueset
technologiques d'un rapport sur la politique spatiale française, je
souhaiterais obtenir quelques éclaircissements et, surtout, un engagement au
sujet du budget du Centre national d'études spatiales, le CNES.
La subvention d'investissement accordée au CNES dans le cadre du projet de loi
de finances pour l'an 2000 est de 8 060 millions de francs, soit une diminution
de 160 millions de francs par rapport à l'exercice 1999.
Je le rappelle, cette subvention d'investissement avait été de 8 350 millions
de francs en 1996 et en 1997, de 8 150 millions de francs en 1998 et de 8 220
millions de francs en 1999.
Elle a donc subi une diminution de 200 millions de francs en 1998, puis une
augmentation de 70 millions de francs en 1999 - elle n'a pas permis toutefois
de retrouver le niveau de 1996 et de 1997 - et vous la réduisez à nouveau, de
160 millions de francs, cette fois.
Vous le savez, monsieur le ministre, il est impossible que la politique
spatiale française, compte tenu de l'incontournable dimension pluriannuelle des
programmes, soit menée efficacement dans un tel contexte d'oscillation
budgétaire.
(M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Monsieur le ministre, je reprends les chiffres de vos propres documents
budgétaires !
Les restrictions budgétaires pénalisent excessivement le CNES. Elles vont à
l'encontre du choix de rigueur qui avait été fait pour la résorption des
arriérés de contribution à l'European Space Regency, l'ESA. Enfin, elle ne sont
pas favorables à l'exécution des programmes spatiaux. Elles pénalient le CNES
avec excès, compte tenu de la qualité de cet organisme et du rôle qu'il joue
dans la politique spatiale française et européenne, à plusieurs niveaux.
Pour ce qui est des réalisations technologiques, le CNES a démontré ses
qualités. Le succès de la famille des lanceurs Ariane, qui garantit
l'indépendance de l'accès à l'espace et permet, en outre, de dominer le secteur
économique du transport spatial, en est une preuve. A la veille du premier
lancement commercial d'Ariane 5, on ne peut que saluer ce succès.
Le CNES est également le seul dépositaire, en France et en Europe, de la
technique des ballons stratosphériques, un moyen d'observation peu coûteux et
permettant d'étudier l'astronomie, les plasmas spatiaux, la physique du globe
et, surtout, l'atmosphère. Le programme français est, en importance, le
deuxième au monde après celui des Etats-Unis.
Enfin, dans un souci d'optimisation technologique et économique, le CNES a mis
en place une filière de micro-satellites et mini-satellites qui permet de
compléter les grands programmes traditionnels par la réalisation rapide et à
moindre frais de missions scientifiques. Ces micro-satellites et
mini-satellites ont déjà trouvé des applications telles que Jason 1-Proteus,
qui prendra le relais du satellite d'océanographie Topex-Poseidon, ou telles
que la mission Piccasso-Cena d'étude climatique menée en coopération avec les
Etats-Unis.
En matière de stratégie économique, le CNES a anticipé avec succès les
transferts, que vous-même préconisez aujourd'hui, vers le secteur industriel,
tant par la création d'Arianespace que par le soutien de multiples
start
up.
Il a, par ailleurs, établi un protocole de partenariat avec Alcatel
pour le projet
Skybridge
de constellation de satellites en orbite basse,
qui permettra un accès rapide à Internet ainsi qu'à différents services
interactifs tels le télétravail ou le téléenseignement. Des partenariats ont
également été établis avec des groupes industriels tels que Rhône-Poulenc ou
Vivendi.
Enfin, vous ne pouvez ignorer les engagements qu'a pris cet organisme depuis
quelques années pour rendre ses activités plus cohérentes et plus
compétitives.
Le plan stratégique avait, dès 1996, identifié cinquante actions destinées à
concrétiser une volonté novatrice dans des directions telles que le partenariat
avec l'industrie ou la constitution de groupes stratégiques communs avec les
autres puissances spatiales.
Le plan statégique de 1999 s'inscrit dans la continuité de cet esprit de
rénovation de l'établissement et d'ouverture vers la communauté scientifique,
le grand public et, bien sûr, le monde économique.
Il est parfaitement cohérent avec les dix engagements contenus dans le contrat
quadriennal d'objectifs que le CNES va bientôt signer avec votre ministère.
Ne vous semble-t-il pas légitime que, lorsqu'un organisme s'engage à respecter
des obligations pendant plusieurs années consécutives, son ministre de tutelle
s'engage, lui aussi, à assurer à celui-ci une certaine lisibilité budgétaire
?
Les restrictions budgétaires pour 2000 ont un deuxième aspect néfaste : elles
remettent en cause la résorption de l'arriéré de contributions du CNES à
l'Agence spatiale européenne.
A la fin de l'exercice 1995, le CNES avait constaté que les engagements qu'il
avait contractés vis-à-vis de ses fournisseurs, dont l'ESA, European Space
Agency, ne pouvaient être honorés en raison de l'insuffisance des crédits de
paiement dont il disposait.
Il avait alors appliqué rigoureusement un plan de retour à l'équilibre des
comptes.
Les déficits constitués dans le cadre des activités conduites par le CNES pour
son propre compte ont été annulés dès la fin de l'exercice 1997, notamment
grâce à l'adoption, dès 1996, de principes de gestion privilégiant le suivi des
crédits de paiement, et par une politique de réduction des engagements
juridiques et de régulation de ceux-ci selon la disponibilité des moyens de
paiement.
Les arriérés de contribution du CNES à l'égard de l'ESA, qui s'élevaient à 1
734 millions de francs au 31 décembre 1995, doivent être ramenés à 478 millions
de francs à la fin de 1999.
Pour l'an 2000, le CNES prévoyait de rembourser 307 millions de francs, dont
150 millions de francs au titre des services votés inscrits en loi de finances
initiale et 157 millions de francs au titre de la mise en oeuvre en 2000 du
dispositif de blocage de fonds décidé au Conseil de l'ESA tenu à Bruxelles en
1998 à l'échelon ministériel.
Or, vous le savez bien, monsieur le ministre, compte tenu de la diminution de
160 millions de francs de sa subvention d'investissement, le CNES sera
obligatoirement conduit à réduire de 100 millions de francs le remboursement de
ses arriérés de contribution, ce qui est totalement contraire à l'esprit de
rigueur qui avait prévalu ces dernières années.
Enfin, la troisième conséquence négative de la réduction du budget du CNES est
la fragilisation des programmes spatiaux.
Dans un premier temps, le CNES devra différer et largement réaménager le
projet COROT, qui devait permettre d'étudier la sismologie stellaire et de
rechercher des planètes extrasolaires. Outre son intérêt scientifique évident,
COROT présente l'avantage de s'intégrer dans le programmede mini-satellites
utilisant deux plates-formes récurrentes de la filière Proteus, filière
destinée à adapter des plates-formes standardisées aux besoins du marché. Il
est donc regrettable de ne pouvoir mettre en oeuvre le projet COROT tel qu'il
était prévu.
Vous me rétorquerez, monsieur le ministre, que le CNES aurait pu procéder à
d'autres arbitrages, mais reconnaissez que sa marge de manoeuvre était bien
réduite, compte tenu notamment des engagements pris auprès d'autres pays ou de
groupes industriels privés pour la réalisation d'importants programmes
pluriannuels.
Plus généralement, vous devez reconnaître que l'ensemble des programmes
spatiaux ne peut être que fragilisé par les oscillations budgétaires.
S'il est évident que les projets destinés à améliorer la compétitivité du
lanceur Ariane 5 - je pense à Ariane 5 Plus, Ariane 5 Evolution - ne doivent
subir aucun retard provenant de restrictions budgétaires, il faut également
être conscient de la stabilité financière indispensable aux autres programmes,
qu'ils soient réalisés par le CNES seul ou dans le cadre d'une collaboration
européenne. Je citerai notamment l'intéressante filière des micro-satellites et
mini-satellites, les programmes Stentor et Artes 3 dans les télécommunications,
Meteosat de Seconde Génération et Metop pour la météorologie, la constellation
Pléiade de petits satellites pour l'imagerie civile et militaire et, bien
entendu, le projet Galileo, indispensable à l'indépendance européenne dans le
domaine de la navigation par satellites.
Vous savez que tous ces programmes, dont vous n'avez d'ailleurs jamais nié
l'utilité, sont par définition, compte tenu de leur coût et des développements
scientifiques et techniques qu'ils supposent, des programmes pluriannuels.
L'instabilité budgétaire, la variation des crédits alloués d'une année à
l'autre les met en péril.
Monsieur le ministre, je ne vous pousse pas à la dépense - d'ailleurs, je ne
le pourrais pas ; mon collègue Pierre Laffitte a exposé tout à l'heure les
pouvoirs du Parlement en cette matière - mais je vous réclame la constance. Je
vous demande non pas d'augmenter substantiellement le budget du CNES, mais
seulement de vous engager à garantir sa stabilité, condition
sine qua
non
des succès de la politique spatiale française et européenne.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le ministre, si je m'exprime de nouveau à cette tribune, c'est parce
que je voudrais, à titre personnel, insister avec beaucoup de force sur
quelques points que j'ai déjà évoqués.
Tout d'abord, je souhaiterais - je ne peux pas le demander officiellement -
que l'on aide l'INRIA, l'Institut national de recherche en informatique et en
automatique, qui a démontré plus que toute autre structure, et c'est ce qui
justifie cette citation particulière, qu'il générait des créations d'emploi à
partir de scientifiques. En effet, les différentes
start up
qui sont
issues de l'INRIA représentent un potentiel considérable en termes de revenus
fiscaux, de créations d'emploi et de développement de la recherche. Le nombre
d'ingénieurs qui travaillent au sein de ces entreprises est très largement
supérieur à celui des personnels financés par l'Etat.
Pour appuyer le développement de la politique d'innovation à laquelle nous
tenons tous, qu'il s'agisse de la droite, de la gauche, du centre et, surtout,
de tous ceux qui veulent que notre pays réussisse et soit l'un des plus
dynamiques au monde, il est essentiel de donner une cinquantaine de postes à
l'INRIA. Sur les 50 000 postes de chercheur du secteur public, cela devrait
être possible, compte tenu, notamment, du grand nombre de chercheurs qui
désormais partent à la retraite. Monsieur le ministre, nous vous demandons de
prendre cette décision.
Par ailleurs, et c'est le deuxième élément sur lequel je voudrais insister, il
conviendrait de lancer un programme interministériel pour une politique de
création de contenus multimédia destinés à être injectés dans les réseaux
terrestres ou satellitaires, à savoir tout ce qui est en train de se développer
en matière d'Internet à grand débit. En Europe, sont actuellement prévus des
centaines de milliards de francs pour les infrastructures. Qu'il s'agisse des
anciens opérateurs nationaux, d'autres opérateurs qui s'intègrent à eux ou des
Américains, les financements sont considérables.
Je ne doute pas que, d'une certaine façon, les grands entrepreneurs comme
Hachette, Havas ou Bertelsmann se préoccupent, en liaison avec des opérateurs
de télévision, de la préparation de ces contenus. Mais ce sont des éditeurs, et
non des auteurs. Les auteurs, ce sont les petites équipes qui, dans nos
universités, au sein de centres de recherche ou dans de petites entreprises
privées, sont susceptibles de créer des produits multimédia, dans le domaine
médical, en matière de formation à distance, dans le domaine de la culture, des
arts, etc.
Il y a là une opportunité extraordinaire de faire travailler ensemble la
moitié de nos universitaires et de nos chercheurs dans plusieurs domaines des
sciences humaines, des arts, de la littérature ou de la sociologie, avec des
informaticiens et des ingénieurs pour créer une dynamique dans ce qui
représentera le plus grand moteur de créations d'emploi.
Enfin, troisième point sur lequel je me permettrai d'insister, je souhaite,
monsieur le ministre, que vous poursuiviez l'action que vous avez commencée à
l'échelon de l'Europe. Comme j'ai pu le constater, le personnel des commissions
concernées à Bruxelles et les commissaires sont beaucoup plus ouverts. Ils ne
sont plus dominateurs et n'ont plus le sentiment de détenir seuls la
connaissance. Il faut que nous continuions, que vous continuiez, monsieur le
ministre, que chacun continue à les inciter à faire des efforts, par exemple,
pour développer à nouveau des infrastructures adaptées aux nouvelles
technologies. Il s'agira d'infrastructures communautaires qu'ils financeront et
qui seront réparties dans les différents pays, y compris en France, notamment
des centres de ressources multimédia ou des centres d'études spécialisées, par
exemple dans le domaine de la sécurité alimentaire.
Il faut véritablement imposer à la Commission de concevoir des grands projets
qui, inscrits ou non dans le cinquième PCRD, le programme civil de recherche et
de développement, financent à la fois des investissements et des participations
aux dépenses de fonctionnement. Ainsi, l'espace européen sera financé par
l'Europe, alors que, pour le moment, il n'est financé que par certaines
nations.
Par ailleurs, il faut aussi mener une action afin de promouvoir les projets
EUREKA -
European research coordination agence
- qui sont d'origine française ou
franco-allemande. En effet, dans ce domaine, on constate actuellement une
érosion. Or les industriels et les laboratoires considèrent que les procédures
EUREKA génèrent beaucoup moins de pertes de temps ou de substance et de
red tape,
comme disent les Américains, c'est-à-dire de bureaucratie,
laquelle est, en l'occurrence, tout à fait inutile.
Telles sont, monsieur le ministre, les souhaits que je voulais formuler et sur
lesquels je tenais à insister vivement.
(Applaudissements sur les travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi de revenir un instant sur les dotations du Commissariat à
l'énergie atomique, qu'ont déjà évoquées nos rapporteurs au cours de leurs
interventions.
Ce sujet est loin d'être anecdotique. En effet, cet établissement représente
une carte maîtresse pour l'avenir nucléaire de notre pays, et les questions
dont je vais faire état ont été soulevées, lors du débat budgétaire à
l'Assemblée nationale, par tous les groupes politiques - sauf un ! - ainsi que
par le rapporteur spécial de la commission des finances et par le rapporteur
pour avis de la commission de la production et des échanges.
En effet, alors que les crédits d'investissement alloués à cet établissement
ont presque totalement été débudgétisés en 1997 - ce qui, bien sûr, a fragilisé
durablement son équilibre financier - le projet de loi de finances pour 2000 me
semble porter un nouveau mauvais coup au CEA.
Tout d'abord, le « maintien » apparent de la subvention de l'Etat est assez
largement illusoire, puisque celle-ci avait été diminuée de 300 millions de
francs en 1999 et que le bouclage du budget pour ce même exercice du CEA se
révélera, de ce fait, acrobatique, voire impossible, malgré une ponction
supplémentaire de 160 millions de francs opérée sur les industriels et une
réduction du programme d'investissement à hauteur de 100 millions de francs.
Par conséquent, l'impasse s'élève à 40 millions de francs pour 1999.
Pour 2000, les perspectives ne sont guère réjouissantes, car si l'on analyse
le projet de budget notifié par la tutelle à l'établissement, on s'aperçoit que
l'impasse pourrait même atteindre, à ma connaissance, près de 246 millions de
francs, pour un budget total de 11,1 milliards de francs.
L'« équilibre » de ce budget repose sur des bases plutôt fragiles.
Pour ce qui concerne les ressources, 50 millions de francs sont censés
provenir du Fonds de la recherche technologique et du Fonds national de la
science qui procèdent - on le sait - par appels à propositions. Alors, monsieur
le ministre, si l'on est tellement sûr que ces crédits iront au CEA, pourquoi
ne pas les avoir inclus directement dans la dotation inscrite au budget de
l'Etat au titre de cet organisme...
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
C'est exactement l'inverse !
Mme Anne Heinis.
Pas tout à fait !
... au lieu de les intégrer à la ligne budgétaire du Fonds de la recherche
technologique ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Mais non ! La différence, c'est qu'ils sont en compétition avec d'autres !
Mme Anne Heinis.
S'agissant toujours des ressources, 21 millions de francs proviendraient en
outre d'un emprunt à CEA Industrie, qui financerait ce dernier par la vente
partielle du capital de certaines filiales. Est-il raisonnable de céder ce que
M. le rapporteur spécial a appelé des « bijoux de famille » pour couvrir les
frais de fonctionnement du CEA ?
Enfin, 165 millions de francs supplémentaires devraient être trouvés auprès
des industriels, qui financent déjà à près de 40 % le CEA - ce qui représente
une proportion inégalée à l'étranger, qui va donc encore augmenter. Malgré
l'excellence des travaux du CEA, il est probable que ces industriels ne
manqueront pas de trouver la pilule bien amère, puisqu'on leur a déjà joué, si
j'ose dire, la même musique l'an dernier !
Pour ce qui concerne les dépenses, le projet de budget est construit sur une
hypothèse de gel des salaires et ne prend pas en compte le coût de la mise en
place des 35 heures. Par ailleurs - c'est un autre point important - la
taxation introduite par l'article 24 du projet de loi de finances pour 2000
pourrait coûter entre 10 millions et 130 millions de francs supplémentaires au
CEA, selon la valeur du coefficient multiplicateur, qui sera comprise entre un
et quatre, à la discrétion du Gouvernement, ce qui pourrait d'ailleurs
apparaître comme allant à l'encontre des prérogatives constitutionnelles
duParlement.
Je crains donc que le CEA ne puisse respecter son programme d'investissement
et poursuivre, notamment,l'indispensable processus d'assainissement de ses
centres civils.
La situation est préoccupante. Or, monsieur le ministre, 100 millions de
francs sont inscrits au chapitre 45-10 du ministère de l'industrie à l'article
50, qui correspondent à la provision pour frais de scission de l'IPSN et du
CEA. Ne serait-il pas opportun de les intégrer à la dotation du CEA, au
chapitre 45-10, article 40, et de régler la question du financement des frais
éventuels de scission entre l'IPSN et le CEA dans le collectif budgétaire,
puisque l'on ne sait pas encore exactement quand cela se fera ? Cette
proposition est d'ailleurs avancée par M. Jean Clouet, rapporteur spécial des
crédits de l'industrie, dans son rapport. Peut-être cela pourrait-il
représenter un début de solution.
Monsieur le ministre, que pensez-vous de cette proposition ? Je serais
heureuse de connaître votre point de vue sur ce sujet. Pouvez-vous nous dire
comment vous comptez régler les problèmes qui se posent pour assurer l'avenir
du CEA ?
Enfin, dernière question que je poserai également à M. le secrétaire d'Etat à
l'industrie, puisque vous exercez une tutelle commune, pouvez-vous également
nous dire quand sera prise la décision de lancement du nouveau réacteur EPR ?
Je crains, si nous devions attendre jusqu'à mai 2002, que la France ne laisse
passer sa chance.
(Applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René Trégouët,
rapporteur spécial.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteurspécial.
M. René Trégouët,
rapporteur spécial.
Lors de mon intervention au nom de la commission des
finances, quand j'ai dit que « les indicateurs de l'OCDE nous placent en queue
du peloton de tête des principaux pays industrialisés pour les ratios
concernant la dépense intérieure de recherche par habitant ou le nombre de
chercheurs par rapport à la population active », vous m'avez vivement
interrompu, monsieur le ministre, en m'objectant que les bases sur lesquelles
je me fondais étaient fausses.
Je tiens à remplir avec rigueur ma tâche de rapporteur, et, bien entendu, je
me réfère aux sources les plus authentiques, puisque je m'appuie sur un
document officiel, un document législatif, à savoir le « jaune ».
Il y est indiqué très clairement que si la dépense intérieure de recherche et
développement par habitant est de 100 en France, elle est de 167 aux
Etats-Unis, de 150 au Japon et de 107 en Allemagne. Quant au nombre de
chercheurs ramené au chiffre de la population active, le ratio est de 6,1 en
France, de 7,4 aux Etats-Unis et de 9,2 au Japon.
Je tenais à être précis, car je ne veux pas que l'on puisse dire que nous
avons cité de faux chiffres.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Tout d'abord, je donne acte à M. le rapporteur spécial de ses précisions. Le
document dont je dispose provient de l'OCDE, mais puisque celui de M. Trégouët
émane du Gouvernement, j'assume la responsabilité d'une erreur éventuelle. Il
n'en reste pas moins qu'il faudra tirer les choses au clair sur le fond, car le
problème n'est pas sans intérêt, en particulier en ce qui concerne les
chercheurs. Quoi qu'il en soit, je demande à M. Trégouët de bien vouloir
m'excuser.
Cela étant, monsieur le rapporteur spécial, j'ai bien pris note de votre
déception et de vos inquiétudes, mais il s'agit ici d'un débat politique, et je
voudrais tout de même rappeler quelques chiffres.
Vous vous dites déçu que l'on ne consacre pas davantage de crédits à la
recherche, mais, en 1994, ceux-ci étaient en recul de 1,9 % ; or vous aviez
voté le projet de budget. En 1995, la diminution était de 1,8 %, et vous aviez,
là encore, voté le projet de budget. En 1996, le recul atteignait 3,4 %, et,
une fois de plus, vous aviez voté le projet de budget.
En revanche, le présent projet de budget prévoit non pas une réduction, mais
une croissance des crédits de la recherche, à hauteur de 1,3 %. Je pense donc,
que, en ce qui concerne la question budgétaire, il faut être équitable. Je sais
qu'il est de tradition, dans l'opposition comme dans la majorité, d'avoir
beaucoup d'idées et d'ambition lorsque l'on n'est plus au Gouvernement. Mais,
quand on exerce des responsabilités gouvernementales, il faut assumer ses
choix. C'est ce que je fais, et je maintiens ce que j'ai dit : s'agissant de la
recherche, le problème le plus urgent n'est pas celui du montant du budget
global, c'est celui de la répartition des crédits. A titre de comparaison, si
la Grande-Bretagne obtient des résultats très supérieurs aux nôtres en matière
de recherche, ses dépenses dans ce domaine sont très inférieures aux nôtres,
tous les documents en attestent. On voit donc bien que la question de fond ne
tient pas à l'importance des crédits.
En effet, une autre urgence s'impose à nous : depuis un certain nombre
d'années, le budget de la recherche a dérivé, faute d'une politique budgétaire
cohérente. Il est donc impératif de faire en sorte - que la richesse de la
science française alimente notre économie. Dans tous les pays modernes,
aujourd'hui, c'est la recherche qui dynamise l'économie, mais ce n'est pas vrai
chez nous, en tout cas pas suffisamment, bien que la situation commence à
évoluer quelque peu.
Dans quelle situation nous trouvions-nous jusqu'à présent ? Les fonds publics
étaient principalement affectés aux grandes entreprises, la mobilité des
chercheurs en direction du monde économique était résiduelle, et les relations
entre laboratoires et entreprises étaient encore empreintes de méfiance.
Face à ce constat, qu'avons-nous fait ? Tout d'abord, le financement a été
réorienté, au profit des PME et des PMI, et le Fonds de la recherche et de la
technologie, qui allouait plusieurs centaines de millions de francs par an aux
grandes entreprises, ne leur a versé en 1998 que 93 millions de francs. Par
ailleurs, nous avons reconstitué l'outil d'intervention, qui s'était érodé au
cours du temps, mais qui, en deux ans, a vu ses crédits passer de 412 millions
de francs à environ 900 millions de francs. Enfin, nous avons créé des réseaux
de recherche et de développement technologique. A cet égard, un orateur a
évoqué tout à l'heure les piles à combustible. Si le CEA détient une position
dominante dans ce domaine, c'est grâce au réseau correspondant.
Mais il y a mieux encore. Par cette méthode, au lieu de donner des subventions
aux grands groupes, nous avons mobilisé leur argent. Peugeot et Renault
financent ainsi le réseau « pile à combustible », et, de même, de grandes
sociétés financent les réseaux « génoplante » ou « génome humain ». Cela a
permis de lancer un certain nombre de programmes relatifs à la génomique, aux
recherches sur les matériaux et aux sciences et technologies de l'information
et de la communication. Nous avons consacré en outre 600 millions de francs au
développement du capital-risque, auxquels se sont ajoutés 300 millions de
francs provenant du fonds d'intervention européen.
Enfin, nous avons créé des « incubateurs d'entreprises », et instauré un
concours visant à encourager la création d'entreprises innovantes par les
jeunes chercheurs. A cet égard, l'observatoire sur la création d'entreprises
innovantes, qui avait été installé par Dominique Strauss-Kahn, nous indique que
la France est enfin en train de rattraper son retard. Cette action, qui
constitue notre première priorité, n'avait pas été engagée auparavant,
excusez-moi de le souligner.
Par ailleurs, il nous fallait garantir la qualité de la science française.
Certes, il est très facile, pour un ministre de la recherche et de la
technologie, de se gargariser de la qualité de la recherche française. Cette
recherche est de bonne qualité, c'est vrai, mais non pas de très bonne qualité
eu égard à l'investissement consenti. Il suffit, pour s'en convaincre, de
comparer le nombre de prix Nobel obtenus respectivement par la France et par
ses principaux concurrents.
Cela signifie donc que des progrès peuvent être réalisés. Nous venons de mener
une enquête à partir des citations en index sur vingt ans, et il apparaît que
la recherche française est de très bonne qualité dans deux domaines, à savoir
les mathématiques et les sciences de la terre. Pour les autres secteurs, la
situation est beaucoup plus variable. Notre recherche pourrait donc être plus
performante, et c'est le résultat que nous chercherons à atteindre.
A l'heure actuelle, notre appareil de recherche vieillit - le rapport du
commissariat général du Plan le montre - et les jeunes n'ont pas la possibilité
de choisir eux-mêmes leurs sujets de recherche. La preuve nous en a été donnée
par le lancement du programme pour la création d'équipes de recherche : 2000
jeunes ont demandé à créer leur équipe, alors que les grands mandarins, les
chefs des laboratoires me disaient qu'une telle initiative était inutile, parce
que le système actuel était satisfaisant. Cette action a permis de créer cent
équipes nouvelles.
En outre, les grands organismes tendent à être conservateurs. Par exemple, le
CNRS, notre principal organisme de recherche, ne compte pas de département des
sciences de l'information et de la communication. Personne au monde ne peut le
croire !
Jusqu'à présent, la biologie n'a été une priorité que dans les discours. Pour
la première fois, cette année, le nombre de postes de chercheurs en biologie
créés au CNRS va dépasser les cent. Je le répète, nos organismes sont
auto-reproductifs.
Notre recherche est encore trop éloignée de l'Université. Le dernier week-end,
je participais à la réunion du G8 pour la recherche, en Grande-Bretagne.
L'unanimité s'est faite, des Etats-Unis au Japon, en passant par le Canada, la
Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Russie, pour dire que le système le plus
rentable, en recherche, c'est l'association péri-universitaire.
Des études quantitatives sont faites, aux Etats-Unis, entre laboratoires
nationaux et universités : le facteur de rentabilité est de un à trois.
Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, lorsqu'il y a, autour des universités, des
organismes de recherche, des entreprises qui se créent, le transfert des
informations vers les jeunes se fait.
Qu'avons nous fait ? Nous avons créé deux fondsd'intervention, suivant en cela
l'exemple du premier gouvernement du général de Gaulle, et pour les mêmes
raisons, parce que les organismes n'avançaient pas.
Dire que le fonds d'intervention est entre les mains du ministre, c'est
ridicule. Ce sont les comités scientifiques, qui distribuent les crédits, comme
au CNRS ou ailleurs.
Mais l'avantage accordé à certaines disciplines est effectivement planifié
d'en-haut. Tel est le cas des sciences du vivant, qui, cette année, si l'on
ajoute au budget les sommes qu'investiront les grandes entreprises, se verront
octroyer plus d'un milliard de francs.
S'agissant des sciences de l'information et de la communication, je dis tout
de suite à mon ami Pierre Laffitte que le problème des cinquante chercheursde
l'INRIA n'en est plus un.
M. Pierre Laffitte,
rapporteur pour avis.
Merci !
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
J'y reviendrai tout à l'heure plus en détail.
Nous mettrons en place, dans le courant de l'année, le rapprochement entre
universités et organismes dans le cadre de la réforme du CNRS, avec une
mobilité des chercheurs tous azimuts.
Par amendement à l'Assemblée nationale, en première lecture, nous avons
demandé une provision de 15 millions de francs pour commencer la mise en oeuvre
de l'allégement des horaires d'enseignement des jeunes maîtres de conférence,
afin de leur permettre de faire de la recherche.
Les crédits des laboratoires de recherche vont augmenter cette année. Vous
avez lu dans la presse que j'ai demandé aux organismes de diriger 200 millions
de francs qui étaient destinés aux gros équipements vers les laboratoires de
recherche. De plus, je vous annonce que, dans le collectif budgétaire, nous
allons abonder cette somme de 100 millions de francs supplémentaires pour
commencer le plan d'équipement.
Oui, le choix, ce sont les laboratoires, ce sont les jeunes, c'est
l'imagination, c'est l'innovation !
Maintenant, parlons des gros équipements.
Au Conseil européen de la semaine dernière, tout le monde s'est accordé pour
dire que les grands équipements devraient être européens. Je vais vous donner
des chiffres, et vous aurez ainsi immédiatement la réponse concernant le projet
SOLEIL.
La France dépense par habitant 50 % de plus, la Grande-Bretagne 45 % de plus
et l'Allemagne 50 % de plus que les Etats-Unis pour les gros équipements.
Cette technique des « Horace et des Curiace », qui consiste à nous diviser,
fait que nous sommes tous affaiblis face au géant américain. Nous dépensons
tous des sommes considérables pour avoir de gros équipements.
Prenons l'exemple du LURE. On y trouve des gens très agités et très actifs
politiquement qui y travaillent 2 000 heures par an, alors que tous les
équipements européens fonctionnent 5 500 heures par an. Voilà la différence
entre un équipement national et un équipement européen ! Le Gouvernement a donc
fait un choix : les équipements doivent être européens.
Je le répète, la décision n'a pas été prise en catimini. La première fois où
l'on nous a présenté le projet SOLEIL, nous avons répondu : si c'est un projet
européen, trouvez des partenaires, mettez-le où vous voulez, nous sommes
d'accord. Le projet n'est jamais arrivé au stade européen, parce que les
chercheurs concepteurs du projet ne voulaient pas qu'il soit européen, parce
qu'ils refusaient la coopération avec l'Allemagne et la Suisse. Pourquoi ? les
informations que je vous ai données vous permettent de trouver la réponse
vous-même.
Quant au fond, faut-il refaire un autre synchrotron, alors que la France a
déjà le plus gros synchroton du monde, qu'elle est le pays qui dépense le plus
en fonctionnement pour les synchrotrons - près de 300 millions de francs de
fonctionnement ?
Doit-on faire un synchroton en France ou, dans le cadre d'équipements
européens, fabriquer un nouvel instrument original, une résonance magnétique
nucléaire à 2 gigahertz, qui permettra d'étudier la structure des molécules
jusqu'à 30 000 ou 40 000 de masse sans être obligé de les cristalliser ?
Depuis des années, les gros équipements sont décidés, dans ce pays, sans
comparaison ; on pousse à la roue et, un jour, ils sont lancés ! Il y a une
pression forte en faveur des gros équipements qui fait qu'ils sont finalement
construits. Il en va de même pour les missions spatiales : il n'y a pas de
discussion, pas de comparaison. Or, il n'y a pas de choix budgétaire sans une
comparaison, sans le choix entre telle ou telle solution. C'est pourquoi je
suis personnellement un grand partisan du système du Plan, qui,
malheureusement, a été abandonné. Ce n'est plus à la mode !
Cette année, les très gros équipements représentent 4,5 milliards de francs.
La moitié de l'augmentation du budget va servir à honorer des engagements liés
à ces gros équipements.
Croyez-vous que je vais continuer à laisser un organisme comme le CNRS
dépenser 85 % de ses crédits dans les salaires et seulement 15 % dans les frais
de fonctionnement et d'équipement sans réagir ?
Ce n'est pas moi qui suis à l'origine de ces déséquilibres budgétaires ; je
les ai trouvés à mon arrivée. Selon le rapport du Commissariat du Plan, il
serait souhaitable que le CNRS soit à 50 % de salaires et 50 % de
fonctionnement, comme le Max Planck Institut. C'est facile à dire. J'ai pris
mon téléphone et j'ai demandé à M. Charpin s'il voulait prendre ma place pour
savoir comment il allait faire.
Il y a quelques années, le CEA a pris des mesures sacrément rudes : il a mis
les chercheurs à la retraite à soixante ans. Faut-il mettre les chercheurs à la
retraite à soixante ans pour abaisser leur nombre ? De plus, on ne peut pas me
demander, dans le même temps, decontinuer à embaucher pour compenser en
totalité les départs en retraite. Cela, je ne sais pas faire ! Comment
équilibrer en vidant le seau si je continue à le remplir ?
Le problème de l'emploi scientifique est très sérieux. Il est traité au
travers du renouvellement des 3 % et du recrutement de 4 000 enseignants
chercheurs, avec des procédures de mobilité : mobilité vers l'industrie,
mobilité vers l'université, échanges, la véritable synergie avec l'industrie
étant celle des gens qui bougent avec leur
know how
pour créer.
C'est une politique différente de celle qui a été menée jusqu'ici. Parce que
ce sont de grands Européens, je ne veux pas priver les Français de grands
équipements.
Le bateau sera construit grâce à une coopération inédite avec les militaires
et grâce à une coopération européenne. Il sera extrêmement bien équipé.
Il y aura d'autres projets. En ce moment, le CEA propose de fabriquer un
réacteur propre, et donc d'étudier de manière systématique comment on peut
brûler les déchets avec des sources à neutrons de grande intensité par
spallation. Sans doute faudra-t-il que cet appareil soit européen ; nous
recherchons un partenariat pour le faire.
Quand l'Europe est forte, elle fait mieux que les Américains. C'est le cas du
CERN, pour les crédits duquel je n'ai pas lesiné. Unissons-nous donc sur le
plan européen !
C'est vrai, la position française est maintenant celle que tout le monde a
adoptée. Mais je suis bien obligé de dire que, la première fois qu'elle a été
exposée, tel n'était pas le cas : la France faisait scandale !
Nous allons effectivement réaliser des grands équipements communs et, d'abord,
apporter la réponse sur Internet 2. Nous avons le réseau Renater II. Nous
allons faire un réseau européen à deux gigabits par seconde sur toute l'Europe
parce que c'est la priorité numéro un.
Nous allons aider à la fabrication de procédés multimédias et, d'abord, de ce
procédé essentiel qu'est la traduction automatique en numérique pour les films,
qui permet de passer tous les films dans toutes les langues en modifiant la
forme de la bouche en fonction des langues. C'est essentiel si nous voulons que
notre industrie cinématographique puisse être exportée dans le monde entier.
Nous allons accorder plus de moyens à la mobilité des chercheurs et des
étudiants. Actuellement, on dénombre 200 000 chercheurs étudiants ; l'objectif
que va fixer la présidence française en Europe est qu'il y ait 4 millions
d'étudiants qui soient touchés par les procédures de mobilité européenne.
Gros équipements, mobilité, revues européennes, échanges européens, banques de
données européennes, banques de mobilité pour étudiants, etc. : c'est vrai, il
y a un changement en Europe, et c'est vrai que le commissaire Busquin est
décidé à faire bouger les choses. Enfin, dirai-je !
Vous avez été nombreux à parler du CEA. Il est vrai qu'un gros organisme a
toujours un gros lobbying ! C'est la règle.
(Sourires.)
Si je ne donne pas des budgets directement au CEA, c'est pour respecter
la règle de la compétitivité. Chaque fois, on met en péril la recherche sur
l'énergie, ai-je entendu. Non, le CEA fait de la recherche en climatologie, en
astrophysique, en biologie, et, en biologie, les laboratoires du CEA ont, par
chercheur, 2,5 fois plus que les laboratoires du CNRS dans les mêmes
domaines.
Donc, quand je dis que le CEA doit aller, comme les autres, en compétition
devant des comités où l'on évalue les projets et les équipes, je ne fais que
faire ce que l'on fait partout en matière scientifique. Aux Etats-Unis, la
question ne se poserait même pas !
Le CEA récupérera son argent soit dans les réseaux technologiques, soit dans
les actions concertées incitatives, mais sur une base compétitive, sur une base
qui ne lui est pas assurée.
Donc, personne n'apprécie plus que moi le CEA.
Si l'on ne touche pas à l'option nucléaire - ce n'est même pas à l'ordre du
jour au sein du Gouvernement - il suffit de lire mes déclarations pour voir que
je n'y suis pas pour rien.
Cela étant, le CEA doit, comme les autres organismes, comme l'INRA, comme
l'IRD, comme le CNRS, être soumis à une procédure compétitive, avec des appels
d'offres. D'ailleurs, les équipes du CEA, qui sont de bonnes équipes,
récupèrent de l'argent. Je pense même qu'elles récupéreront plus que les 100
millions de francs que je leur ai retirés, 100 millions qui, soit dit en
passant, représentent 0,5 % du budget, car le budget total du CEA, avec la
partie militaire, c'est 18 milliards de francs.
Quant au CNES, il n'est pas du tout en péril. Le CNES a fait de grosses
erreurs de gestion, mais la situation est en partie rétablie. Par ailleurs,
l'ESA, vous le savez, n'a pas dépensé son budget l'année dernière. Il y a donc
un problème comptable de remboursement à ce titre. Et si j'ai, effectivement,
serré quelque peu la vis, c'est parce que je veux améliorer la gestion du
CNES.
Il est capital d'améliorer la compétitivité d'Ariane. Sinon, après nous être
beaucoup autosatisfaits des lancements réussis d'Ariane, nous aurions des
lendemains qui déchantent ! Mais pour ce faire, il faut améliorer la
compétitivité du CNES, et cela passe par une meilleure gestion.
J'ai donc choisi comme méthode - dans trois ou quatre ans, vous pourrez me
critiquer si je n'ai pas réussi - de serrer un peu les boulons. En effet, la
technique consistant à dire : « pour que vous gériez mieux, je continue à
augmenter votre budget » n'a jamais marché. Je le sais car j'ai quand même géré
pas mal de choses dans ma vie...
S'agissant du parc du Nord, monsieur Renar, nous sommes prêts à discuter. Des
erreurs de gestion ont été commises, qui ont provoqué des réactions non pas de
ma part, mais de l'administration. Je suis prêt à engager une discussion avec
les élus sur ce problème.
Vous avez également soulevé le problème des relations science et société. Je
vous apporterai deux précisions. D'abord, nous créons au sein du ministère une
mission spéciale « information scientifique et technique » dont Mme Dominique
Ferriot sera la directrice. Ensuite, la France a invité les pays de l'ASEAN,
plus l'Inde, ainsi que les pays membres de l'Union et les pays futurs
adhérents, à une conférence qui se tiendra au mois de septembre 2001 sur le
thème « science et société ». En outre - vous en avez la primeur - je souhaite
associer le Parlement à l'organisation de cette conférence. Je prendrai donc
contact avec le président de l'office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques, interlocuteur normal, pour étudier comment
associer le Parlement à cette initiative.
Par ailleurs, s'agissant des obligations de service faites aux enseignants du
supérieur, figureront désormais annuellement cinq heures de cours qui seront
dues soit pour l'enseignement des professeurs d'enseignement secondaire, soit
pour des conférences publiques.
Je tiens vraiment à sensibiliser, à défaut d'éduquer, le public sur les
principaux problèmes qui se posent aujourd'hui. Sinon, il nous sera difficile
de défendre la science face aux réactions hostiles qui surgiront un peu
partout.
M. Vecten m'a interrogé sur l'aménagement du territoire et M. Rausch est
également intéressé par ce sujet.
U 3 M comprend effectivement la recherche. Une discussion va donc normalement
s'ouvrir sur l'aménagement du territoire quant à la recherche, puisque c'est
une priorité.
J'en viens à l'INRIA. Monsieur Lafitte, je vais d'emblée vous faire une
confidence pour vous avouer que c'est à la suite d'une inattention de ma part -
dont je prends la responsabilité - que ces cinquante postes n'ont pas figuré
dans le projet de budget initial.
Je vous le dis publiquement, mon intention est de doubler le nombre des
chercheurs de l'INRIA en quatre ans. C'est notre stratégie. Simplement, nous
avons rencontré des petits problèmes pratiques, parce que l'INRIA souhaite
certains postes de chercheurs, mais préfère des contractuels pour d'autres, en
raison de leur important
turn over.
En outre, le problème qui se pose - et l'INRIA en est d'accord - est
l'extension de son champ d'intervention, non pas que l'on élimine les
mathématiques appliquées - c'est très bien, les mathématiques appliquées ! -
mais que l'on élargisse du côté des techniques de la télécommunication pour
pallier le fait que le CNET est devenu un laboratoire de recherches lié à une
entreprise. Des discussions étaient engagées, le budget était en cours
d'élaboration et il y a eu une erreur d'inattention. Mais soyez sans crainte
sur ce sujet.
Pour l'INSERM, le problème est différent. L'année dernière, j'avais fortement
augmenté son budget, employant une tactique que l'on m'avait recommandée en me
disant que, pour modifier les structures, il fallait donner un peu plus
d'argent. Eh bien, la preuve du contraire a été faite : l'INSERM n'a pas
évolué. Cette année, j'ai appliqué la tactique inverse : j'ai serré la vis, on
verra si l'INSERM se réforme, ne serait-ce qu'un peu. Il est en train de le
faire, M. Griscelli fait d'ailleurs preuve de beaucoup de détermination.
J'en viens à la procédure EUREKA. Monsieur Laffitte, nous lui avons consacré
30 millions de francs en 1998, 50 millions de francs en 1999, et 50 millions de
francs en 2000. C'est une très bonne procédure, mais nous avons besoin
maintenant de la revivifier, car la Commission européenne ne l'a pas
extraordinairement favorisée, c'est une litote.
M. Pierre Laffitte,
rapporteur pour avis.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le
ministre ?
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis, avec l'autorisation de M. le
ministre.
M. Pierre Laffitte,
rapporteur pour avis.
Dans le cadre de l'office parlementaire, je fais
une étude pour revivifier EUREKA et nous avons déjà eu des contacts très
positifs avec nos amis espagnols, allemands et néerlandais sur ce point.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre,
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Il n'y a donc pas de difficulté sur ce point.
En ce qui concerne le problème du CEA et du budget de l'Institut de protection
et de sûreté nucléaire, on fera quelque chose, mais je ne vais pas changer de
ligne par rapport à ce que je vous ai dit.
S'agissant maintenant du multimédia, je vous ai déjà répondu tout à l'heure
lors de l'examen du projet de budget de l'enseignement supérieur, mais j'aurai
l'occasion de vous en dire plus au début de l'année 2000 sur notre action en ce
domaine. Je vous donne des réponses partielles en attendant.
A la suite du rapport de Jean-Claude Rissel, qui vient de recevoir la médaille
d'or du CNRS, nous avons décidé de créer un réseau arts, sciences et
technologies, dont l'une des têtes de réseau sera à la Villette, d'autres étant
à Marseille, à Grenoble, ou encore à Rennes pour les images.
Nous voulons vraiment encourager la création artistique assistée par
ordinateur. C'est un premier point.
Deuxièmement, les contacts avec les groupes industriels français sont très
avancés pour instaurer une coordination française en matière de logiciels
éducatifs. En outre, dans le cadre du plan U 3 M et de l'installation des
centres nationaux de recherche technologique, un centre national de recherche
technologique sera créé à Poitiers, dans l'enceinte du Futuroscope, sur les
logiciels éducatifs.
Enfin, nous allons créer des banques de données à l'attention de nos
professeurs : si l'on veut réformer l'enseignement secondaire, il faut bien
leur fournir des documents !
Je ne vous livre donc que quelques idées quelque peu débridées sur ce sujet,
et ce volontairement, car j'aurai l'occasion de m'exprimer bientôt plus
longuement sur ce chapitre.
Pour conclure, ma stratégie, un peu rude, n'est pas simple. Il serait beaucoup
plus facile pour moi de laisser les choses se faire homothétiquement, comme ce
fut le cas pendant des années. Moi, j'ai opéré un autre choix, celui d'essayer
de redonner à la France une place non pas moyenne mais au plus près du
sommet.
En consacrant près de 500 millions de francs par an à la génomique, ce qui
nous permettra de nous doter des séquenseurs les plus modernes et de multiplier
les possibilités de séquensage de la France par un facteur cinq ou dix dans les
deux ans à venir, nous voulons redonner à la France la première place qu'elle a
occupée au début des actions, entre Daniel Cohen et Jean Weissenbach, et
qu'elle a perdue. Le génome humain, c'est une idée française de Jean Dausset.
Les Français ont fait une percée sur le plan technique, mais nous n'avons pas
persévéré.
Je considère que nous devons être parmi les premiers. Nous sommes bien placés
sur le plan international en matière de création de langages informatiques.
Nous sommes parmi les meilleurs dans ce domaine, mais nous avons là encore
laissé partir les principaux créateurs.
Vous parliez du problème international demain : je vais aux Etats-Unis. Je
vais rencontrer au MIT les « post-doc » français, pour tenter d'en ramener
quelques-uns en France. Je m'y rends avec le directeur général del'INSERM, avec
le directeur des sciences de la vie du CNRS, avec le directeur scientifique de
la Fondation Curie pour essayer, avec Pierre Tambourin, directeur du génopole
d'Evry, de les convaincre.
Nous ne sommes pas décidés à céder le moindre pouce de terrain, sur aucun de
ces chapitres, mais cela exige que nous fassions des choix. Nous devons rompre
avec la logique d'homothétie. Même si l'on augmentait le budget de 5 % sur un
exercice, cela ne changerait pas les équilibres au sein du budget.
Le CNRS, sur ses 13 milliards de francs de budget, consacre 11 milliards de
francs - je dis bien 11 milliards de francs ! - à la gestion des personnels.
Faut-il, pour équilibrer ce budget, ajouter 6 milliards de francs ou même 8
milliards de francs pour financer les autres dépenses du CNRS ? Tout le monde
nous traiterait de fous si nous faisions cela. Il y a une autre tactique, mais
elle n'est pas facile.
Nous avons décidé de faire ce que personne n'a fait depuis des années, au lieu
de prononcer des discours du type : « La grande priorité doit être la biologie.
» Vous le savez, M. Giscard d'Estaing avait confié un rapport à François Jacob,
François Gros et Leroy. La biologie devait être la priorité : les programmes
n'ont pas été augmentés d'un sou. La priorité a continué d'être la physique
lourde. Bien sûr, quand on redéploie des crédits, la physique lourde proteste !
Quelqu'un a dit que l'on déshabille Pierre, etc. Non, nous faisons des choix
!
Aujourd'hui, je prends des risques avec M. Pierre-Gilles de Gennes et M.
Charpak, et j'affirme que l'avenir n'est pas dans la physique lourde. Les
découvertes sont dans la physique légère, dans la biologie, dans la chimie,
dans les matériaux, dans les sciences de l'information et de la communication,
dans la protection de la planète. C'est dans ces secteurs que les progrès sont
à faire et c'est là que nous mettons nos priorités. Evidemment, nous sommes
obligés de redéployer.
Je voudrais, pour terminer, faire une comparaison en prenant l'exemple du
synchrotron. Je l'ai déjà dit, le synchrotron français est utilisé 2 000 heures
par an ; le synchrotron européen à Grenoble, l'est 5 000 heures. C'est le même
prix de revient : 100 millions de francs de frais de fonctionnement chaque
fois. Quand nous avons fait la pile à haut flux à Grenoble, la même équipe - ce
sont les mêmes, ceux d'Orsay - a protesté : « Comment Grenoble, il nous faut...
» Les gouvernements de l'époque ont cédé : on a donc fait une pile à neutrons à
Saclay, qui s'appelle ORPHEE.
Il y a quelques mois, on est venu me voir pour me dire : « Il n'y a pas assez
de clients, il va falloir fermer ORPHEE. » On avait payé orphee et il aurait
fallu le fermer ! J'ai dit : « Non ! on ne va pas fermer ORPHEE, on va
l'européaniser. »
J'ai donc pris mon bâton de pèlerin. Je suis allé voir les Espagnols, les
Portugais, pour leur demander de travailler avec nous.
Par ailleurs, le Gouvernement français va mettre un peu d'argent pour donner
l'accès à ORPHEE aux pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, qui vont
adhérer à l'Union européenne. Ces pays ne sont pas riches et nous paierons
leurs physiciens et leurs biologistes.
Voilà ce que l'on fait. Notre politique est cohérente.
Pourquoi les équipements européens ne seraient-ils pas sur notre territoire ?,
m'a-t-on demandé. Je serai évidemment ravi si la France accueillait tous les
équipements européens, mais certains finiraient pas se poser des questions !
Le CERN est, pour les trois quarts, sur le territoire français. L'Agence
européenne est à Paris. Le synchrotron européen est à Grenoble. La pile à haut
flux est à Grenoble également. Il faudra bien un jour admettre que, lorsqu'on
parle de l'Europe, il n'y a pas que la France. Il n'en demeure pas moins que,
pour ma part, je suis partisan du fait que la France fasse beaucoup de
choses.
Je tiens à ajouter que le fait qu'un synchrotron franco-britannique soit
implanté sur le territoire britannique fait beaucoup plus pour l'Europe que de
longs discours.
Interrogez les Britanniques ! Les deux scientifiques britanniques qui sont
membres du Conseil national de la science ont affirmé que cette implantation
arrime les Britanniques à l'Europe. Eux qui croient que leur science est
supérieure à celle de tous les autres pays, ils s'engagent dans une coopération
avec des Français sur leur territoire, c'est là une action extrêmement
utile.
Vous constaterez d'ailleurs, dans dix ans, que tout le monde sera content
d'avoir fait un synchrotron franco-britannique.
Maintenant, comme nous avançons - nous avons mis en place le comité européen
des grands équipements, qui s'est déjà réuni - s'il s'avère qu'il faut d'autres
synchrotrons en Europe, on en construira d'autres, en France ou ailleurs.
Est-ce que ce sera dans la vallée de Chevreuse ? C'est une autre affaire ! En
effet, j'ai cru comprendre que beaucoup de régions se porteraient candidates.
On verra bien !
Est-ce que ce sera une super résonance magnétique à 2 gigahertz ? On verra ce
qu'il faut construire, mais on le fera sur la base d'un projet scientifique.
Lorsque le CERN construit un équipement, par exemple le
super collider
,
il le fait pour des recherches précises. C'est pour un projet scientifiques
donné que le Gouvernement accorde une certaine somme.
Telle est la politique du Gouvernement par rapport aux grands équipements.
(M. Laffitte applaudit.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et
C et concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : III. -
Recherche et technologie.
*
* *
ÉTAT B
M. le président.
« Titre III : 234 455 000 francs. »
Je vais mettre aux voix les crédits inscrits au titre III.
M. André Maman.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce budget
est en parfaite contradiction avec les ambitions affichées par le Gouvernement.
Il ne laisse aucune marge de manoeuvre pour mettre en place des réformes,
maintes fois annoncées et toujours retardées.
Mes inquiétudes se fondent non pas sur la modestie des crédits consacrés à la
recherche, mais plutôt sur l'incohérence des choix opérés.
En effet, cela a été dit durant la discussion générale, l'abandon de certains
grands équipements risque de pénaliser la France, face à la concurrence
internationale. Les crédits dégagés ne profitent même pas aux laboratoires dont
vous jugez, monsieur le ministre, l'action prioritaire.
Vous nous avez soumis, lors de la dernière session, un projet de loi relatif à
la recherche et à l'innovation. Le Sénat a largement contribué à améliorer ce
texte, qu'il considérait comme très utile pour le développement de la
croissance. Nous avions cru comprendre que votre volonté était inaltérable et
que le Gouvernement était résolu à faire de ce secteur une priorité
nationale.
Ce budget ne traduit en aucune manière cette volonté, il la réduit comme une
peau de chagrin.
Vous savez, comme moi, que seule l'innovation est garante de la compétitivité
et de la rentabilité. Le lien entre innovation et croissance passe donc par la
recherche. La France est en train de prendre du retard. La recherche ne doit
plus être uniquement dépendante des organismes publics.
Il faut resserrer encore les liens entre le monde industriel et les milieux
scientifiques, pour valoriser les résultats de la recherche. Cela permettra
notamment d'éviter la fuite des cerveaux et de faire revenir en France un
certain nombre d'entre eux en leur offrant les conditions de recherche et aussi
les conditions de vie qui pourraient les convaincre de quitter les pays où ils
sont installés.
Il ne suffit pas d'envoyer un groupe de personnes aux Etats-Unis pour
convaincre ces jeunes gens de revenir, il faudrait établir une politique très
précise sur la façon de les convaincre de rentrer en France. Nous avons besoin
d'eux.
Nous sommes persuadés que 30 % d'entre eux pourraient rentrer si on leur
offrait les conditions nécessaires. Il y a un effort énorme à faire, et je ne
suis pas sûr qu'il ait été engagé.
Enfin, sans une fiscalité adaptée et attractive, l'objectif de croissance ne
sera pas tenu.
Compte tenu de ces observations, mes collègues du groupe de l'Union centriste
et moi-même ne pourrons voter ce projet de budget.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre IV : 578 104 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
ÉTAT C
M. le président.
« Titre V. - Autorisations de programme : 7 000 000 francs ;
« Crédits de paiement : 3 500 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement
figurant au titre V.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre VI. - Autorisations de programme : 13 458 250 000 francs ;
« Crédits de paiement : 11 555 951 000 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement
figurant au titre VI.
(Les crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant la recherche et la technologie.
3
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de MM. Xavier Darcos, Philippe Arnaud, Nicolas About, Pierre André,
José Balarello, Bernard Barraux, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Jean Bizet,
Paul Blanc, James Bordas, Didier Borotra, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis
de Broissia, Michel Caldaguès, Auguste Cazalet, Gérard César, Jacques Chaumont,
Jean Clouet, Gérard Cornu, Philippe Darniche, Désiré Debavelaere, Jacques
Delong, Fernand Demilly, Christian Demuynck, Michel Doublet, Xaxier Dugoin,
André Dulait, Jean-Léonce Dupont, Hubert Durand-Chastel, Michel Esneu, Hubert
Falco, Bernard Fournier, Alfred Foy, Jean François-Poncet, Yann Gaillard,
Jean-Claude Gaudin, Patrice Gélard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles
Ginésy, Francis Giraud, Adrien Gouteyron, Francis Grignon, Georges Gruillot,
Emmanuel Hamel, Marcel Henry, Pierre Hérisson, Daniel Hoeffel, Jean-Paul Hugot,
Claude Huriet, Roger Husson, Pierre Jarlier, André Jourdain, Lucien Lanier,
Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Edmond Lauret, René-Georges Laurin, Dominique
Leclerc, Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Guy Lemaire, Roland du
Luart, Kléber Malécot, André Maman, Philippe Marini, Pierre Martin, Paul
Masson, Serge Mathieu, Lucette Michaux-Chevry, Jean-Luc Miraux, Georges Mouly,
Bernard Murat, Philippe Nachbar, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix,
Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Lylian Payet, Michel
Pelchat, Jean Pépin, Jacques Peyrat, Jean-Marie Poirier, Victor Reux, Charles
Revet, Henri de Richemont, Philippe Richert, Yves Rispat, Louis-Ferdinand de
Rocca Serra, Michel Souplet, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, René Trégouët,
François Trucy, Maurice Ulrich, Jacques Valade, André Vallet, Xavier de
Villepin et Serge Vinçon une proposition de loi tendant à améliorer le contrôle
de légalité des actes des collectivités locales.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 114, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
4
TEXTES SOUSMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion de l'accord sous
forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la
Républiquetunisienne concernant le régime à l'importation dans la Communauté
d'huile d'olive originaire de Tunisie, fixant les règles générales
d'importation et abrogeant le règlement (CE) n° 906/98 (Procédure
d'urgence).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1356 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide financière
exceptionnelle de la Communauté au Kosovo.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1357 et distribué.
5
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée à aujourd'hui, mardi 7 décembre 1999, à dix heures trente, à quinze
heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2000, adopté par
l'Assemblée nationale (n°s 88 et 89, 1999-2000).
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Deuxième partie. - Moyens des services et dispositions spéciales.
Charges communes (et article 67).
Comptes spéciaux du Trésor (art. 44, 44
bis,
45 à 50).
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, rapporteur spécial (charges communes,
rapport n° 89, annexe n° 7) ;
M. Paul Loridant, rapporteur spécial (comptes spéciaux du Trésor, rapport n°
89, annexe n° 45).
Budget annexe des Monnaies et médailles.
Mme Maryse Bergé-Lavigne, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 41).
Economie, finances et industrie :
I. - Economie, finances et industrie (et consommation) (et art. 68).
M. Bernard Angels, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 11) ;
Mme Odette Terrade, rapporteur pour avis de la commission des affaires
économiques et du Plan (consommation et concurrence, avis n° 91, tome IX).
II. - Industrie (et poste).
M. Jean Clouet, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 12) ;
M. Francis Grignon, rapporteur pour avis de la commission des affaires
économiques et du Plan (industrie, avis n° 91, tome V) ;
M. Jean Besson, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
et du Plan (énergie, avis n° 91, tome VI) ;
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis de la commission des affaires
économiques et du Plan (technologies de l'information et poste, avis n° 91,
tome XXI).
III. - Petites et moyennes entreprises, commerce et artisanat (et art. 69, 69
bis,
69
ter
et 69
quater).
M. René Ballayer, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 13) ;
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur pour avis de la commission des affaires
économiques et du Plan (avis n° 91, tome VIII).
- Commerce extérieur.
M. Marc Massion, rapporteur spécial (rapport n° 89, annexe n° 14) ;
M. Michel Souplet, rapporteur pour avis de la commission des affaires
économiques et du Plan (avis n° 91, tome X).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans les discussions précédant
l'examen des crédits de chaque ministère
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans les discussions précédant
l'examen des crédits de chaque ministère est fixé à la veille du jour prévu
pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux crédits budgétaires pour le
projet de loi de finances pour 2000.
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux divers crédits budgétaires
et articles rattachés du projet de loi de finances pour 2000 est fixé à la
veille du jour prévu pour la discussion, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la deuxième partie,
non joints à l'examen des crédits du projet de loi de finances pour
2000.
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la deuxième
partie, non joints à l'examen des crédits du projet de loi de finances pour
2000, est fixé au vendredi 10 décembre 1999, à seize heures.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des
amendements.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
modifiant le code général des collectivités territoriales et relatif à la prise
en compte du recensement général de population de 1999 pour la répartition des
dotations de l'Etat aux collectivités locales (n° 56, 1999-2000).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
jeudi 9 décembre 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : jeudi 9 décembre 1999, à seize
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à une heure vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Création de bureaux de tabac dans les petites communes
674. - 6 décembre 1999. - M. Jean-Pierre Demerliat souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les difficultés rencontrées par les communes ou les particuliers pour obtenir l'autorisation d'ouvrir un bureau de tabac dans les petites communes. Il est parfaitement conscient des dangers que peut occasionner l'abus du tabac sur la santé mais il sait aussi que si les habitants d'une petite commune n'ont pas la possibilité de se procurer leur « drogue » chez eux, ils iront faire l'ensemble de leurs achats dans une ville plus grande, ce qui aura pour conséquence de faire péricliter les commerces des toutes petites communes et accentuera le phénomène de désertification des zones rurales.