Séance du 16 décembre 1999
ACTIONNARIAT SALARIÉ
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 118,
1999-2000) de M. Jean Chérioux, fait au nom de la commission des affaires
sociales sur :
- la proposition de loi (n° 52, 1999-2000) de MM. Jean Chérioux, Jacques
Bimbenet, Paul Blanc, Louis Boyer, Jean Delaneau, Christian Demuynck, Charles
Descours, Jacques Dominati, Michel Esneu, Francis Giraud, Alain Gournac, André
Jourdain, Dominique Leclerc, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin,
MM. André Pourny, Henri de Raincourt, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Alain
Vasselle et Guy Vissac tendant à favoriser le développement de l'actionnariat
salarié ;
- la proposition de loi (n° 87, 1999-2000) de M. Jean Arthuis et les membres
du groupe de l'Union centriste, relative au développement du partenariat
social. [Avis (n° 129, 1999-2000).]
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Chérioux,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
« Assez de ce système
absurde où, pour un salaire calculé au minimum, on fournit un effort minimum,
ce qui produit collectivement le résultat minimum. Assez de cette opposition
entre les divers groupes de producteurs qui empoisonne et paralyse l'activité
française. En vérité, la rénovation économique de la France et, en même temps,
la promotion ouvrière, c'est dans l'association que nous devons les trouver.
»
Ces mots, vous l'avez deviné, monsieur le président, madame la secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, sont du général de Gaulle. Il les a prononcés le 4
janvier 1948, aux heures les plus sombres de la reconstruction de notre pays,
devant les mineurs de Saint-Etienne.
Je n'irai pas jusqu'à dire, au risque d'être un peu provocateur, qu'ils
auraient aussi pu être ceux de Karl Marx.
M. Guy Fischer.
Très bien !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Je sais qu'au fond vous êtes de mon avis, monsieur Fischer
!
Ces deux analyses convergeaient très largement pour ce qui est du diagnostic.
Il y avait un affrontement entre le capital et le travail, mais un affrontement
stérile qui ne mène à rien, et qui ne résout rien.
Une analyse similaire n'implique pourtant pas des conclusions communes cela va
sans dire. Or, l'histoire a prouvé que l'application de la théorie marxiste
n'apportait pas la bonne solution. Le capitalisme d'Etat, voire l'autogestion,
n'ont pas permis d'assurer le développement économique ni même d'améliorer la
condition des travailleurs. Je ne serai pas féroce au point de donner des
exemples, mais ils sont nombreux. Je dirais même qu'ils sont légion.
On ne peut toutefois accepter un capitalisme sauvage, dont on aperçoit
aujourd'hui les méfaits sur le plan humain. Or, il se profile à l'horizon.
M. Lucien Neuwirth.
C'est la réalité.
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Dans ce contexte, la vieille idée, chère au général de
Gaulle, de l'association retrouve, une fois encore, une actualité
renouvelée.
Dans ses
Mémoires d'espoir
, il écrit : « Cependant, depuis longtemps,
je suis convaincu qu'il manque à la société mécanique moderne un ressort humain
qui assure son équilibre. Le système social qui relègue le travailleur au rang
d'instrument et d'engrenage est, suivant moi, en contradiction avec la nature
de notre espèce. »
C'est pour sortir de cette contradiction que le général de Gaulle a mis en
place, à partir de 1959, le cadre d'une politique de participation. Celle-ci
s'est développée en trois étapes.
L'ordonnance du 7 janvier 1959 a institué l'intéressement.
Les ordonnances du 17 août 1967 ont fondé la participation financière.
Mais il importait aussi de favoriser l'actionnariat salarié. Et c'est ce
qu'ont permis les ordonnances de 1986 par l'effet conjugué des privatisations
et de la relance des plans d'épargne d'entreprise. Ces deux formules restent
d'ailleurs aujourd'hui encore le principal vecteur de l'actionnariat
salarié.
Dans le cas des privatisations, la loi offre des conditions préférentielles
aux salariés pour les inciter à devenir actionnaires : 10 % des actions mises
sur le marché leur sont réservées, ils bénéficient en outre d'une décote sur le
prix des actions, de délais de paiement et même de la possibilité d'obtenir des
actions gratuites.
Les plans d'épargne d'entreprise permettent, eux, d'affecter l'épargne
salariale à l'acquisition de titres de l'entreprise. Dans le cadre du plan, le
salarié bénéficie aussi de conditions attractives : l'employeur peut participer
au financement, la décote peut atteindre 20 %, le régime fiscal et social
favorable de l'épargne salariale s'applique à l'actionnariat avec notamment une
exonération d'impôt sur les plus-values. En contrepartie, les fonds recueillis
sur le plan sont bloqués pendant au moins cinq ans, ce qui permet d'assurer la
stabilité de l'actionnariat.
Aujourd'hui, les plans d'épargne sont devenus des vrais plans d'actionnariat.
De très nombreuses entreprises proposent à leurs salariés d'investir leur
épargne salariale, placée dans les plans d'épargne, dans des fonds communs de
placement d'entreprise composés principalement d'actions de la société.
La loi du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation a, à
son tour, renforcé ces dispositifs en permettant notamment de mieux associer
les salariés actionnaires à la vie de leur entreprise. Ainsi, cette loi a prévu
que, lorsque les salariés détiennent plus de 5 % du capital de l'entreprise,
une assemblée générale extraordinaire est convoquée pour se prononcer sur une
modification des statuts permettant aux représentants des salariés actionnaires
de siéger au conseil d'administration de l'entreprise. C'est ce que j'ai appelé
le « rendez-vous obligatoire ».
On voit là tout le chemin parcouru depuis 1959. De pari improbable,
l'association, forme ultime de la participation, est devenue une réalité
vivante. Preuve en est donnée par le dynamisme actuel de l'actionnariat
salarié. Je pense que vous ne me démentirez pas sur ce point, madame la
secrétaire d'Etat.
Je donnerai quelques exemples chiffrés pour illustrer mon propos.
Ainsi, 3 % des ménages, soit environ 700 000 familles, possédaient en 1997 des
actions de leur entreprise.
A la fin de l'année 1998, la part du capital des entreprises cotées au fameux
CAC 40 détenue par leurs salariés s'élevait à environ 2,6 %.
Les émissions de titres réservés aux salariés sont passées de 3,9 milliards de
francs à 7 milliards de francs entre 1996 et 1998.
L'épargne salariale tend de plus en plus à être investie en actions de
l'entreprise. Ainsi, en 1998, 88 milliards de francs sur les 232 milliards
d'encours des fonds communs de placement d'entreprises étaient placés dans des
actions de l'entreprise.
Madame la secrétaire d'Etat, cela doit vous faire rêver, vous qui appartenez à
un gouvernement qui cherche quelques malheureux milliards de francs pour
constituer son fonds de réserve pour les retraites !
M. François Autain.
Il les a !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Cela représente 38 % de l'encours de ces fonds salariaux
contre seulement 15 % en 1988.
Mais, au-delà de ces indicateurs statistiques qui auraient d'ailleurs besoin
d'être améliorés - et là, je m'adresse au Gouvernement - on assiste aujourd'hui
à de nouvelles pratiques des entreprises. Ainsi, pour s'en tenir à ces tout
derniers jours, un grand groupe du bâtiment et des travaux publics a lancé une
augmentation de capital réservée à ses salariés et correspondant à 3 % de son
capital. Un autre groupe, cette fois-ci du secteur des services collectifs,
vient d'annoncer un plan exceptionnel d'attribution d'options sur actions à
l'ensemble de ses 250 000 salariés, à hauteur de 0,4 % de son capital.
Ces exemples témoignent du dynamisme actuel de l'actionnariat salarié. Il est
vrai que celui-ci tend progressivement à devenir un thème fédérateur, dans un
contexte apparemment de plus en plus consensuel. J'ose croire que le débat de
ce soir ne le démentira pas.
Son développement apparaît en effet souhaitable.
Pour l'entreprise, il est d'abord un facteur de cohésion sociale. Il doit
renforcer le dialogue social et permettre l'essor des démarches contractuelles.
Il associe le salarié à la vie et à l'avenir de l'entreprise.
Il est également un moyen de redistribution de la richesse créée. Dans un
contexte financier qui accorde une place centrale à l'actionnaire,
l'actionnariat salarié permet de repositionner la politique participative en
faisant participer le salarié au mouvement de « création de valeur ».
Il est, enfin, un moyen efficace de contribuer à la stabilité du capital des
entreprises. Au moment où l'arrivée massive d'investisseurs étrangers rend le
capital des entreprises françaises plus volatil, l'actionnariat salarié
garantit un pôle de stabilité dans son capital.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
On ne peut alors à la fois regretter la fragilité du capital
de nos entreprises, critiquer l'emprise croissante des fonds de pensions
étrangers et ne pas favoriser le développement de l'actionnariat salarié.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
L'actionnariat permet également au salarié d'être mieux
associé à la marche de l'entreprise. En devenant actionnaire, le salarié est
désormais en mesure de peser sur les décisions les plus importantes qui
engagent le destin de son entreprise. Encore faut-il - c'est très important,
c'est même fondamental - que l'actionnariat salarié soit à la fois stable et
organisé.
C'est pour ces raisons qu'il importe aujourd'hui de franchir une étape
supplémentaire dans la voie du renforcement du partenariat social par un
nouveau développement de l'actionnariat salarié.
Votre commission des affaires sociales a engagé, depuis le mois de mars
dernier, un important travail sur ce thème de l'actionnariat salarié. A l'issue
d'un très large programme d'auditions, environ une cinquantaine, elle a publié
un rapport d'information, dont j'étais le rapporteur, dressant un bilan aussi
objectif et exhaustif que possible de la situation actuelle de l'actionnariat
salarié, de ses perspectives, de ses implications. C'est au regard de ce bilan
qu'elle a élaboré une série de vingt-huit propositions dont l'ambition est
d'accompagner la progression de l'actionnariat salarié, dans les meilleures
conditions, dans le respect du dialogue social et dans le souci de coller au
plus près de la réalité des entreprises et des attentes des salariés.
Ce travail a notamment permis de mettre en évidence la nécessité d'accompagner
le mouvement actuel.
Le développement récent de l'actionnariat salarié ne doit pas en effet cacher
la persistance de quelques faiblesses, ni l'existence de certains obstacles.
Certes, l'actionnariat salarié est plus développé en France que dans les
autres pays de l'Europe continentale. Il n'en reste pas moins en retard par
rapport à la Grande-Bretagne ou surtout aux Etats-Unis. Ainsi, on estime que 18
% des salariés représente là-bas 750 milliards de dollars, soit 9 % de la
capitalisation boursière.
De même, le développement de l'actionnarait salarié reste inégal en France. Il
concerne surtout les grandes entreprises et les PME dites « de croissance »,
celles qui sont positionnées sur des secteurs très pointus, souvent de haute
technologie. Les PME plus « classiques » restent pour beaucoup à l'écart de ce
mouvement.
Mais le développement de l'actionnariat salarié se heurte aussi à certains
obstacles qui pourraient ralentir sa progression.
Tout d'abord, les privatisations, qui ont tant contribué à l'essor de
l'actionnariat salarié, auront nécessairement un terme lorsque toutes les
entreprises du secteur public que le Gouvernement voudra privatiser l'auront
été.
Il existe ensuite un risque de dilution de l'actionnariat salarié. Face aux
évolutions très rapides qui transforment la structure du capital des
entreprises françaises, qu'il s'agisse de fusions, d'acquisitions, d'OPA,
d'OPE, l'entreprise doit mener une politique dynamique et régulière
d'actionnariat salarié afin que la part du capital social détenue par les
salariés ne diminue pas progressivement.
En outre, la législation actuelle a vieilli sur certains points. Il convient
donc de l'adapter aux évolutions actuelles du monde du travail pour accompagner
efficacement l'essor de l'actionnariat salarié.
L'entreprise aussi a évolué. Son succès repose désormais sur l'adhésion de
tous à un projet commun. La simple logique hiérarchique et verticale a vécu.
C'est est également fini du modèle français de capitalisme d'Etat, né des
nationalisations. C'en est fini aussi des montages subtils créés par les
entreprises pour assurer leur autocontrôle.
C'est donc pour résoudre ces difficultés qu'ont été déposées les deux
propositions de loi que votre commission des affaires sociales a été appelée à
examiner.
Comme je l'avais annoncé, la première de ces propositions, déposée le 4
novembre dernier et présentée par votre rapporteur, prolonge le travail
effectué par la commission depuis plus de huit mois. Je tiens ici à remercier
tous les commissaires qui ont bien voulu la cosigner. Cette proposition qui
tend à favoriser le développement de l'actionnariat salarié vise à transcrire
dans la loi les vingt et une des vingt-huit propositions qui sont présentées
dans mon rapport d'information et qui appellent des modifications d'ordre
législatif.
Je tiens également à remercier M. Jean Arthuis et les membres du groupe de
l'Union centriste qui ont souhaité, à leur tour, déposer une proposition de loi
sur ce sujet le 24 novembre dernier. Cette proposition de loi est relative au «
développement du partenariat social ». Comme le précise excellemment son exposé
des motifs, « l'organisation de l'entreprise doit reposer à la fois sur le
principe de la négociation et sur un véritable partenariat social. Cette
indispensable évolution des rapports sociaux nécessite de nouvelles avancées en
matière d'actionnariat salarié. Ainsi faut-il que l'accès au capital social
soit ouvert à tous les salariés, cela dans un cadre contractuel » - j'insiste
sur ces derniers termes - « et des conditions préférentielles ».
Ces deux propositions de loi relèvent, on le voit, d'une logique en très
grande partie identique. Elles visent, toutes les deux, à favoriser
l'actionnariat salarié, à corriger certaines lacunes de la législation de
manière non seulement à permettre son développement, mais aussi à mettre en
place un véritable partenariat social dans l'entreprise associant concrètement
les salariés aux décisions les plus importantes, celles qui engagent l'avenir
de l'entreprise.
Dans ces conditions, il n'est donc guère étonnant qu'environ les deux tiers
des dispositions de ces deux propositions de loi soient identiques ou presque.
Et ce sont ces dispositions qui constituent la ligne directrice des conclusions
que votre commission des affaires sociales vous présente aujourd'hui.
Toutefois, dans le souci de proposer des conclusions homogènes et de respecter
les compétences des autres commissions permanentes, votre commission des
affaires sociales a choisi de disjoindre de ses conclusions six des dix-sept
articles de la proposition de loi qui ne relèvent pas directement de
l'actionnariat salarié généralisé dans le cadre du partenariat social. Il
s'agit principalement des dispositions concernant le régime des plans d'options
sur actions. Il nous a semblé en effet préférable que la commission des
finances se saisisse pour avis de cette question. Son regard d'expert sur ce
sujet me paraît d'autant plus indispensable qu'elle a été, ces derniers mois, à
l'origine de plusieurs propositions en ce domaine. Nous nous sommes simplement
contentés, à la commission des affaires sociales, d'aborder l'actionnariat
salarié issu des options sur actions.
S'agissant de nos conclusions, je souhaite vous rappeler les principes qui ont
guidé la démarche de votre commission. Ils sont au nombre de trois.
D'abord, nous n'avons pas souhaité construire ici une nouvelle « cathédrale
législative ». Il existe déjà un cadre législatif qui a fait la preuve de son
efficacité - je pense notamment au plan d'épargne d'entreprise - et qu'il
importe donc de ne pas fragiliser en inventant des dispositifs de rechange,
lesquels pourraient, à terme, apparaître comme autant d'« usines à gaz ». Notre
démarche est plus pragmatique : nous avons simplement voulu renforcer
l'existant en levant certains obstacles et en ouvrant de nouvelles possibilités
de développement pour l'actionnariat salarié.
Ensuite, le développement de l'actionnariat salarié doit être favorisé dans un
cadre avant tout incitatif et contractuel. L'actionnariat, qui est par nature
un investissement risqué, doit rester prioritairement une démarche volontaire
des entreprises et des salariés, non seulement une démarche souple adaptée aux
spécificités de chaque entreprise, mais aussi une démarche contractuelle
permettant de mettre un terme à l'affrontement stérile entre le capital et le
travail, conformément à l'esprit qui préside à la mise en oeuvre de la
participation. Il importe alors de réserver une large place à la négociation
dans l'entreprise et au dialogue social.
Enfin, l'actionnariat salarié ne sera efficace que s'il est à la fois stable
et organisé. Un réel actionnariat doit en effet se traduire par un véritable
partenariat dans l'entreprise associant concrètement les salariés aux décisions
les plus importantes qui engagent le destin de l'entreprise.
C'est autour de ces trois principes que s'articulent les conclusions de la
commission des affaires sociales, lesquelles concrétisent le travail mené
depuis maintenant près d'un an.
Permettez-moi, au moment de conclure, mes chers collègues, de faire une
seconde fois référence à Karl Marx.
M. Guy Fischer.
Vraiment, aujourd'hui, on aura tout entendu !
M. Philippe François.
Il n'a jamais été communiste !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Eh oui, monsieur Fischer ! Vous savez très bien que c'est
pour vous faire plaisir !
M. François Autain.
Quelle insistance !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Cela fait tellement plaisir à M. Fischer que je cite Karl
Marx !
A l'époque où je faisais mes études, nous étions plongés dans ses oeuvres pour
développer notre connaissance du marxisme ! Il en reste quelque chose, et je
tiens à vous en faire profiter !
Ce prophète du socialisme s'est certes trompé dans ses prévisions, mais il
avait bien vu que le capitalisme était condamné à une concentration sans fin
des entreprises. Aujourd'hui, nous assistons en effet à un véritable
déferlement de projets de fusions et d'OPA dont l'objectif est de faire face
aux contraintes de la mondialisation de l'économie.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'était bien un visionnaire !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Pour pallier les effets que ce phénomène risque de faire
subir à nos entreprises, l'épargne salariale, et plus particulièrement
l'actionnariat salarié, peut offrir un instrument efficace. C'est pourquoi il
convient de l'encourager et de la développer. C'est l'objet du texte que j'ai
l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
N'oublions jamais que c'est l'économie qui doit être au service de l'homme, et
non l'homme au service de l'économie !
M. Guy Fischer.
Dites-le au MEDEF !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
C'est pourquoi nous devons tout mettre en oeuvre pour
protéger nos entreprises face aux exigences d'une communauté financière
internationale uniquement préoccupée de rentabilité strictement boursière et
dont la bible n'est qu'une succession d'analyses, de statistiques, de
projections et de graphiques,...
M. Alain Gournac.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je pourrais vous applaudir !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
... et les prophètes, des robots informatiques et des
ordinateurs trop souvent branchés sur les mêmes programmes !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Oui, l'entreprise est une aventure humaine. Elle doit le
demeurer !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Guy Fischer.
Bravo, camarade !
(Rires.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour rendre
hommage à l'excellent travail accompli par MM. Arthuis et Chérioux, par les
cosignataires de leurs propositions de loi ainsi que par la commission des
affaires sociales pour ses conclusions sur ces deux textes.
Dans la nouvelle économie, les ressources humaines et la création de valeur
par l'entreprise sont primordiales. Les salariés, individuellement et
collectivement, ont tous vocation à devenir actionnaires de sociétés, à
commencer par leur propre entreprise.
L'opposition du capital et du travail se trouve ainsi totalement dépassée.
Avec le retour de la croissance et l'appréciation des valeurs mobilières qui
l'accompagne, le développement du partenariat social et de l'actionnariat
salarié devient non plus seulement nécessaire, mais aussi de plus en plus
opportun et motivant pour les intéressés.
La commission des finances a demandé à être saisie pour avis de l'excellente
proposition de loi de M. Arthuis sur le développement du partenariat social,
afin d'examiner son titre III, relatif à la régulation et au développement des
plans d'options sur actions - plus couramment appelés «
stock options
»
-, disjoint des conclusions de la commission des affaires sociales.
Mais elle ne pouvait pas pour autant se désintéresser de l'article 5 du texte
de la commission saisie au fond, et cela pour trois raisons.
Cet article réalise une sorte d'hybridation, au meilleur sens du terme, en
prenant ce qu'il y a de mieux dans chaque système entre les plans d'options sur
actions, d'une part, et les mécanismes d'actionnariat salarié généralisé,
d'autre part.
Cet article prévoit d'exonérer la décote spéciale qu'il instaure de
prélèvements fiscaux et sociaux dont notre commission demande par ailleurs la
suppression. Une harmonisation doit donc être effectuée.
Notre commission des finances reste-t-elle fidèle à elle-même en acceptant la
création de cette décote alors que nous sommes hostiles aux rabais sur les prix
d'attribution d'options d'achat ou de souscriptions d'actions ?
Oui, car il ne s'agit pas, à proprement parler, de stock-options et parce que,
s'agissant d'avantages généralisés à tous les salariés, cela ne soulève pas de
problème de transparence.
Concernant les plans d'options sur actions classiques, nous sommes d'accord
avec M. Arthuis sur les objectifs essentiels, à savoir l'allégement et la
transparence du système et sa simplification, dans toute la mesure du possible.
Par ailleurs, nos propositions sont exactement les mêmes sur la prévention des
délits d'initiés.
Il existe cependant des divergences, de nature technique, entre le titre III
de sa proposition de loi, dont nous reprenons l'intitulé, et les dispositions
dont nous demandons l'insertion, sous forme d'article additionnels, dans le
texte des conclusions de la commission des affaires sociales.
Ces divergences tiennent au fait que nous sommes attachés à la légitimation,
d'un point de vue fiscal, de l'application aux gains résultant des options sur
actions du régime d'imposition le plus favorable qui est celui des plus-values
sur valeurs mobilières.
Pour justifier, d'un point de vue fiscal, cet avantage, il faut, en effet,
selon nous, que le titulaire d'options, en tant qu'actionnaire, prenne un
engagement vis-à-vis de son entreprise et lui manifeste une certaine fidélité
en achetant ses titres et en les conservant un minimum de temps.
C'est la raison pour laquelle, tout en raccourcissant à trois ans, au lieu de
cinq, le délai total d'indisponibilité fiscale entre l'attribution et la
cession des actions, nous subordonnons l'octroi fiscal le plus avantageux au
respect d'un délai de portage d'un an, inclus les trois années
d'indisponibilité, entre la levée de l'option et la vente du titre.
Cette exigence nous empêche d'aller aussi loin que M. Arthuis dans la
simplification du régime actuel qui, telle qu'il la propose, est - je dois le
reconnaître - extrêmement séduisante.
Mais - qu'il nous pardonne ! - la commission des finances avait,
préalablement, très longuement réfléchi à ces questions et avait arrêté, à leur
sujet, des conclusions votées par le Sénat à l'occasion de la discussion du
projet de loi sur l'innovation et la recherche. Tous les travaux réalisés par
M. Arthuis, alors qu'il était membre de la commission des finances, nous ont
été fort utiles au moment de parvenir à nos propres conclusions.
Il ne nous a pas semblé possible, à la commission des finances, de changer de
position, surtout en de si brefs délais. J'ai donc reçu mission de proposer au
Sénat de rétablir le dispositif déjà voté par lui dans les circonstances que je
viens de rappeler.
Mes chers collègues, si nous sommes ainsi obligés, en quelque sorte, de vous
resservir le même plat, c'est tout simplement parce que le Gouvernement et la
majorité de l'Assemblée nationale ne l'ont pas encore goûté !
La commission des finances vous propose donc de voter le texte de la
commission des affaires sociales, modifié par ses amendements figurant, pour
l'essentiel, dans un titre additionnel sur la régulation et le développement
des plans d'options sur actions, issu de l'excellente proposition de loi de M.
Arthuis, mais reprenant aussi les résultats de nos conclusions précédentes sur
cette question.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
voudrais d'abord rendre hommage à la persévérance et à l'esprit de suite de nos
collègues Jean Chérioux et Jean Arthuis, qui nous présentent aujourd'hui leurs
propositions de loi relatives à l'actionnariat salarié et au partenariat
social.
Nous connaissons tous les convictions fortes de notre collègues Jean Chérioux
sur la participation, et aussi l'origine de ses convictions, puisées dans la
veine sociale du gaullisme, comme il vient de le rappeler avec éloquence à
l'instant.
J'ai été quelque peu surpris par la référence insistante à Karl Marx...
M. Emmanuel Hamel.
Vous n'êtes pas le seul !
M. Philippe François.
Absolument !
M. François Autain.
... à côté de la référence à l'héritage gaullien. Il s'agit d'une simple
remarque que je souhaitais faire au passage...
Nous connaissons également l'opinion de notre collègue Jean Arthuis quant à la
nécessité de développer l'actionnariat salarié afin de permettre aux
entreprises de renforcer leurs fonds propres et de stabiliser leur
capitalisation boursière.
De la rencontre de ces convictions qui n'ont pas à l'origine le même
fondement, naît aujourd'hui le texte qui nous est soumis, mi-social,
mi-économique.
Je ne surprendrai pas le Sénat en disant d'emblée que les convictions ainsi
exprimées ne vont pas dans le même sens que celles du groupe socialiste.
En effet, lorsqu'il est question, comme il est dit dans l'exposé des motifs de
l'un de ces deux textes, de « partager les fruits de la croissance », nous en
convenons sans difficulté ; mais l'intéressement, la participation et l'épargne
salarial ne sont, pour nous, que des aspects secondaires de ce partage.
La première façon de partager les fruits de la croissance passe, selon nous,
d'abord par l'emploi et par le salaire, qui constitue l'essentiel de la
rémunération des salariés et non une simple variable d'ajustement. Pour
affermir la croissance, nous mettons davantage d'espoir dans la réduction du
temps de travail, dans la création d'emplois stables et dans des niveaux de
salaires décents.
L'actionnariat salarié est, néanmoins, une réalité, il faut le reconnaître.
Vous le savez, ce n'est pas sur ce principe, auquel nous souscrivons, que
s'opposent la droite et la gauche, c'est sur ses modalités de mise en
oeuvre.
Il n'est pas injuste, par exemple, que les salariés puissent profiter, comme
le recommandent d'ailleurs les deux textes, d'achats d'actions de leur
entreprise à prix réduit, avec abondement de l'employeur.
Il serait même intéressant d'envisager le développement de l'épargne salariale
en direction des petites et moyennes entreprises grâce à un système
inter-entreprises ou de branche.
De même, nous ne pouvons qu'aprouver tout ce qui va dans le sens d'une
meilleure information des salariés des entreprises concernées, d'une meilleure
représentation des salariés actionnaires dans les instances de direction de
l'entreprise.
Il est en effet primordial que le développement hypothétique de l'actionnariat
salarié, ou de l'épargne salariale, ce qui n'est pas tout à fait la même chose
vous le reconnaîtrez, se réalise dans la plus grande transparence. Il est de la
responsabilité des partenaires sociaux de s'emparer de ce sujet relativement
nouveau pour en faire un élément de dialogue et d'avancée sociale. Il serait
regrettable que les syndicats de salariés ne se saisissent pas de ce levier
pour intervenir sur les grandes orientations de l'entreprise et battre en
brèche la dictature de l'actionnariat extérieur.
M. Jean Chérioux.
C'est ce que j'ai proposé !
M. François Autain.
Il existe bien aujourd'hui une dictature de l'actionnariat extérieur, et je
suis sûr que vous pensez comme moi aux fonds de pension américains.
Le développement de l'actionnariat salarié et de l'épargne salariale n'est
donc pas séparable d'une augmentation des droits des salariés et doit être géré
paritairement.
En effet, les salariés doivent être parfaitement à même d'exercer leur
contrôle sur les fonds qu'ils auront placés. Il convient de prévoir les moyens
et les instances pour ce faire. C'est une condition nécessaire, même si elle
n'est pas suffisante, à l'heure où le patronat remet en cause, pour ne pas dire
plus, le paritarisme. Voilà pourtant un nouveau champ d'action qui revient de
droit à ce paritarisme et qui devrait être soumis à la réflexion à laquelle le
patronat semble actuellement se livrer.
S'il ne s'agissait que de cela, le débat pourrait être ouvert, avec des
perspectives très fructueuses, puisqu'il viendrait compléter et prolonger celui
qui est en cours chez les experts, les partenaires sociaux, dans les partis
politiques.
Comme vous le savez tous, le Premier ministre a confié à MM. Balligand et de
Foucault un rapport sur l'épargne salariale, rapport qui doit lui être remis
dans les prochaines semaines.
Il y a manifestement nécessité - nous en convenons tous - de réformer les
textes sur le sujet. La législation date et n'est plus adaptée aux évolutions
qui ont eu lieu depuis sa mise en oeuvre ; chacun en est d'accord. Il y a une
occasion de renouvellement à saisir.
Malheureusement, dans les deux textes confondus qui nous sont présentés ce
soir, il ne s'agit pas que de cela. Au demeurant, je crains que le mot «
confusion » ne soit que trop approprié, tant les sujets abordés par ces deux
propositions de loi sont variés. Chacun de ces deux textes mériterait à lui
seul un long développement.
Je n'en veux pour preuve que l'allégement de la fiscalité des
stocks
options
, abordé au détour d'un article du texte de Jean Arthuis, ou
l'épargne-retraite, qui surgit à la fin de la proposition de notre collègue M.
Chérioux.
En réalité, derrière ces deux propositions apparemment à caractère social - le
mot est d'ailleurs souvent présent dans le texte - reviennent les
préoccupations traditionnelles de la droite et du patronat, que l'on pourrait
résumer ainsi : flexibiliser une partie des rémunérations en fonction des
résultats de l'entreprise ; favoriser l'épargne des salariés déjà les mieux
rémunérés ; défiscaliser ces sommes ; enfin, orienter l'épargne longue vers les
fonds de retraite assuranciels.
Je ne reprendrai pas le débat très riche et intéressant que nous avons eu, ici
même, le 14 octobre dernier sur l'épargne-retraite. Mais je regrette de devoir
souligner que, pour la droite sénatoriale, quel que soit le nom qu'on leur
donne, les fonds de pension sont manifestement le but final, l'objectif
principal de toute réflexion relative à l'épargne ou à l'actionnariat.
C'est un véritable amalgame, qui permet ainsi de mélanger le besoin
indiscutable de l'économie en épargne longue, le besoin pour les entreprises
d'un actionnariat stable et de fonds propres suffisants, et la nécessité pour
notre pays de modifier la structure de détention du capital des entreprises
françaises.
Toutes ces conditions peuvent mener au développement de l'actionnariat
salarié, mais c'est aller, me semble-t-il, un peu vite en besogne que de
décider, sans consultation des salariés, que les sommes épargnées par eux
seront utilisées pour alimenter des fonds de retraite privés. Il est primordial
que les salariés ou leurs représentants décident du devenir de ces sommes.
Pour notre part, nous estimons que les divers sujets abordés aujourd'hui ne
peuvent être ainsi amalgamés pour prendre des décisions hâtives. Le Parlement a
pour tâche de légiférer dans l'intérêt général, et l'on voit bien que cette
précipitation favoriserait, dois-je le dire, l'intérêt de quelques-uns,
actionnaires et gestionnaires de fonds d'épargne-retraite privés, cadres
dirigeants, mais certainement pas celui du plus grand nombre.
Nous refusons par conséquent l'établissement d'un lien organique entre
l'actionnariat salarié et l'épargne salariée, d'une part, et tout ce qui a
trait à la retraite par capitalisation, d'autre part, et ce quel que soit le
nom que l'on donne à ses instruments : épargne salariale, fonds de pension ou
fonds de retraite. Il s'agit non pas, vous l'aurez compris, de condamner
l'actionnariat salarié, mais de ne pas en faire un instrument de siphonnage des
régimes de retraite par répartition en lui octroyant un statut privilégié et en
orientant systématiquement les sommes vers des fonds privés.
L'enjeu est - vous vous en doutez - considérable, et il est tentant pour
certains, par des opérations de communication au demeurant remarquablement
menées - il faut bien le reconnaître -, d'amener l'opinion à se rallier à de
trompeuses évidences.
S'il y a un problème démographique au début du prochain siècle, rien n'indique
que les efforts actuels n'en atténueront pas largement l'effet par une
croissance durable, une amélioration importante de l'emploi et les rentrées de
cotisations correspondantes.
En toute hypothèse, la retraite doit rester l'affaire des partenaires sociaux,
même si le Gouvernement a déjà commencé à agir par la constitution du fonds de
réserve, largement abondé cette année. Il n'est pas inutile de le rappeler dans
cette enceinte tant les chiffres ont tendance à être oubliés ou minimisés.
C'est là travailler avec méthode, sans mélanger les questions mais en
s'efforçant de traiter les problèmes dans l'ordre, en s'entourant d'avis
éclairés et en s'assurant - sans jeu de mots - qu'aucun des partenaires
concernés n'est favorisé au détriment des autres et que nul n'est laissé au
bord de la route.
Qu'il s'agisse d'actionnariat salarié ou de retraite, l'enjeu, pour l'ensemble
des Français, est tel que des décisions devront être prises, certes rapidement,
mais dans des conditions de démocratie et de transparence conformes à la
hauteur des enjeux.
Nous ne trouvons pas aujourd'hui ces conditions réunies. C'est pourquoi le
groupe socialiste votera contre le texte qui nous est proposé.
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
n'est pas la première fois, nous le savons tous ici, que notre collègue Jean
Chérioux dépose une proposition de loi favorisant la participation et
l'actionnariat des salariés dans l'entreprise.
Cette grande idée du général de Gaulle qui substitue au rapport antagoniste du
capital et du travail une association dans l'intérêt aussi bien des salariés
que des entreprises a longtemps été freinée par idéologie.
L'effondrement dans les faits des théories marxistes permet aujourd'hui
d'aborder avec sérénité le partenariat voulu par le général de Gaulle et de
faire, enfin, du salarié un associé.
A cet égard, je pense qu'il n'est pas inutile d'évoquer ce que furent Marx et
Engels, qui ont généré le communisme et le national-socialisme,...
M. Guy Fischer.
Quel amalgame !
M. Philippe François.
... quand on se rappelle que Staline et Hitler ont été les deux plus grands
criminels de l'Histoire.
M. Guy Fischer.
Ah non ! Pas ça !
M. Philippe François.
Depuis 1980, notre rapporteur, dont je voudrais souligner le remarquable
travail, oeuvre en faveur de la participation. Il a d'ailleurs été, cette
année-là, rapporteur d'un projet de loi relatif à l'intéressement des
travailleurs aux fruits de l'expansion et à la gestion des entreprises.
En 1986, sous le gouvernement de Jacques Chirac, est inscrite en première
lecture au Sénat une proposition de loi tendant à créer une faculté nouvelle de
participation des salariés au conseil d'administration ou au conseil de
surveillance d'une société anonyme, alors que l'ordonnance du 21 octobre 1986,
relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de
l'entreprise et à l'actionnariat salarié, a profondément rénové le cadre
législatif de la participation.
A partir de cette date d'ailleurs, les privatisations et la relance des plans
d'épargne d'entreprise ont contribué à l'essor de la participation.
De même, la loi du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la
participation des salariés dans l'entreprise, reprenant une proposition de loi
adoptée en mai 1993, poursuit le mouvement amorcé.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, mes chers collègues,
vient compléter une oeuvre législative déjà importante. Elle vise, en effet, à
associer les travailleurs et les apporteurs de capitaux qui se répartissent
paritairement les bénéfices sous forme d'actions nouvelles après versement d'un
dividende aux actionnaires.
La démarche du Sénat diverge d'ailleurs en ce sens des propositions du
Gouvernement. Alors que celui-ci veut partager, par des mesures législatives,
les profits au sein des entreprises et s'attaquer aux « abus des
stock
options
», les propositions de la commission des affaires sociales se
veulent contractuelles et incitatives.
Avant de réformer, il est nécessaire d'améliorer l'information, actuellement
mal coordonnée, entre le ministère de l'emploi, la Commission des opérations de
bourse et l'INSEE.
C'est ainsi l'association idéale du capital et du travail. Elle organise une
forme de répartition du profit qui consacre les droits des salariés sans léser
les apporteurs de capitaux.
On assiste aujourd'hui à une nouvelle accélération de la participation, mot
sacré du général de Gaulle.
Le nombre des salariés actionnaires de leur entreprise peut être chiffré à 700
000.
Si les fonds communs de placement d'entreprise constituent la forme principale
de gestion des sommes placées sur des plans épargne entreprise, si le
développement actuel de l'actionnariat salarié est porteur de perspectives
prometteuses, il n'en demeure pas moins que ce mouvement encore fragile mérite
d'être consolidé, et c'est tout l'objet de cette proposition de loi.
Certes, la société d'actionnariat salarié ne peut s'appliquer à tous les types
d'entreprise mais, comme l'a souligné notre rapporteur, ce modèle est
particulièrement intéressant dans les sociétés financières d'innovation telles
qu'elles sont définies par la loi du 11 juillet 1972.
Je n'entrerai pas dans le détail des articles du texte que nous examinons,
excellemment commenté par notre rapporteur, sinon pour approuver la réservation
aux salariés de 5 % des actions émises à l'occasion de toute augmentation du
capital, pour approuver aussi l'amélioration de la représentation des salariés
actionnaires et surtout pour me réjouir de la mise en place - à l'article 27 -
de nouvelles formes d'actionnariat salarié adaptées aux spécificités des
entreprises.
D'une manière générale, je veux souligner la grande sagesse de ce texte, qui
ne se limite pas à des dispositions d'ordre financier.
Ainsi, cette proposition de loi, au-delà de l'encouragement de l'actionnariat
salarié, s'attaque également à la question plus vaste de la participation des
salariées actionnaires à la vie des entreprises.
Les articles 11 à 16 permettent d'améliorer leur représentation dans les
conseils d'administration - c'est une première - et dans les conseils de
surveillance des entreprises ainsi que les modalités de leur consultation.
Notre collègue Alain Gournac a d'ailleurs déposé, au nom de notre groupe, un
amendement ayant pour objet de faciliter la participation des salariés aux
assemblées générales d'actionnaires, ce qui me semble très important sur le
plan psychologique et même sur le plan politique.
Ce texte tend donc à constituer un véritable pôle des responsabilités dans
l'entreprise. Il donne sa pleine mesure à l'idée que nous nous faisons de la
participation.
Pour conclure, je voudrais souligner qu'au moment où les Français s'inquiètent
des conséquences de la mondialisation, où certains craignent le règne absolu
d'un libéralisme débridé - que d'autres appellent au contraire de leurs voeux -
la participation se fixe la juste ambition de rendre l'entreprise à sa
vocation, sa vocation fondamentale, historique : être une communauté d'hommes
solidaires.
C'est la raison pour laquelle le groupe du RPR votera ce texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
regrette que notre collègue Philippe François ait quitté l'hémicycle, car je
tiens à condamner formellement l'amalgame qu'il a cru bon de faire entre le
communisme et le national-socialisme !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat.
Moi aussi !
M. Guy Fischer.
Il y a tout de même eu Stalingrad !
Au demeurant, dans notre pays, certains n'ont pas hésité, naguère, à s'allier
à des élus dont l'idéologie s'inspire de l'idéologie nazie.
Cela étant dit, j'en viens à la discussion qui nous réunit cet après-midi et
qui constitue, non pas une première, mais une nouvelle étape d'un débat qui est
loin d'être clos.
A l'origine de cette discussion, se trouvent deux propositions de loi, tendant
à favoriser l'une le développement de l'actionnariat salarié, l'autre le
développement du partenariat social.
Par la grâce de l'échange de vues entre les signataires de la proposition de
la commission des affaires sociales et nos collègues de l'Union centriste, nous
sommes aujourd'hui invités à débattre d'un seul et même texte, tendant à
favoriser le partenariat social par le développement de l'actionnariat salarié,
expression qui illustre la qualité de la synthèse opérée !
De prime abord, on pourrait considérer le texte issu de la réflexion commune
des membres de la majorité sénatoriale comme la contribution au débat qui
traverse aujourd'hui le pays sur la question de la propriété des entreprises.
Ne nous a-t-on pas, en effet, annoncé un projet de loi sur le même sujet ? Il
est évident que les propositions contenues dans le rapport de MM. Balligand et
de Foucauld seront au coeur de la réflexion que nous mènerons en 2000.
Vous me permettrez cependant de m'interroger sur la place réelle de ce débat
dans les préoccupations des salariés, de l'ensemble de nos compatriotes, au
moment où l'actualité est plutôt à l'action citoyenne contre la libéralisation
des échanges internationaux ou contre l'exclusion sociale en France.
Nous aurions cependant mauvaise grâce à ne pas affronter l'ensemble des
questions qui nous sont soumises dans le cadre de cette discussion, et nous
nous attacherons donc à replacer ce débat, guidé surtout par l'opportunisme
politique, dans sa perspective et dans ses implications.
Pour en rester à l'actualité, soulignons d'abord que la question des rapports
entre salariés et actionnariat a pris, ces derniers mois, un tour nouveau.
Le débat relatif à la « moralisation » des plans d'option d'achat d'actions
est en fait la conséquence directe de certaines révélations dont la presse
s'est largement fait l'écho.
Ainsi, l'affaire Elf-Jaffré illustre spectaculairement la logique de ces
propositions. Au moment même où se négociait l'opération de fusion entre
Total-Fina et Elf Aquitaine, cette compagnie programmait la liquidation de son
centre de recherche de Pau.
L'échec de Philippe Jaffré, puis sa démission ont permis de révéler au grand
jour qu'il détenait un volume pour le moins important de
stock options,
qu'il a évidemment mis sur le marché, monnayant de plus son départ contre
une indemnité tout à fait substantielles. N'est-il pas scandaleux de donner une
telle prime aux perdants ?
Cette situation particulière a permis de stigmatiser un certain nombre des
dérives qui ont marqué, ces dernières années, les régimes de rémunération des
cadres dirigeants de grandes entreprises.
A ce propos, vous me permettrez de trouver quelque peu surprenant qu'une
personne qui a été au centre d'une de ces affaires ait été l'un des premiers
signataires de propositions de loi proches de celles dont nous débattons
aujourd'hui.
Le problème, c'est que le cas de Philippe Jaffré a contribué à raviver la
méfiance naturelle que le monde du travail nourrit vis-à-vis du monde de la
finance. L'affaire Jaffré a choqué et elle a éloigné nombre de salariés des
préoccupations qui animent nos collègues de la majorité sénatoriale, ramenant
le débat social sur un terrain plus directement perceptible : celui de
l'opposition entre salariés et dirigeants d'entreprise.
Le contexte socio-économique actuel contribue d'ailleurs à aiguiser ces
affrontements, et un rappel s'impose à ce sujet.
Le mouvement social connaît depuis quelque temps un développement sensible. Il
n'est en effet quasiment pas de secteur où ne se développent des luttes et des
actions rassembleuses.
C'est vrai pour les pompiers professionnels du service public territorial, qui
viennent d'obtenir, sous certaines conditions, la possibilité de partir à la
retraite à cinquante ans.
C'est vrai pour les agents et cadres hospitaliers, qui se mobilisent de
manière chaque jour plus spectaculaire contre une restructuration sans moyens,
dont les premières victimes sont les personnels et les malades.
C'est vrai pour les agents des impôts, les salariés de La Poste et de France
Télécom - lesquels sont pourtant devenus actionnaires de leur entreprise en
1996 - qui multiplient les actions, formulent des revendications et avancent
des propositions.
C'est vrai aussi dans de nombreuses entreprises privées dont il serait
fastidieux de dresser ici la liste, tant elle s'allonge tous les jours.
Ainsi, les salariés de l'ensemble du groupe Vivendi se sont mis en grève ces
dernières semaines à propos de l'application de la réduction du temps de
travail dans leurs entreprises respectives, et cela alors même qu'on leur
propose de nouvelles actions.
Que dire encore du divorce, qui semble consommé, entre les cadres et les
directions d'entreprise sur la question du forfait de jours de travail
découlant de l'application de la seconde loi relative à la réduction du temps
de travail ?
Quoi que l'on puisse dire de cette loi, les patients efforts d'intégration que
le patronat avait accomplis pendant plusieurs décennies pour s'attirer les
bonnes grâces du personnel d'encadrement se sont trouvés d'un seul coup réduits
à néant. Telle est bien la réalité ! L'encadrement s'est découvert, sinon une «
conscience de classe », selon une terminologie quelque peu dissonante ici -
mais c'est M. François lui-même qui a évoqué Marx ! -...
M. Emmanuel Hamel.
Marx est mort !
M. Guy Fischer.
... en tous cas une convergence d'intérêts avec les autres salariés qui ne
s'était pas manifestée depuis longtemps.
Tous ces mouvements recueillent aujourd'hui une large sympathie dans
l'opinion, ce qui tranche avec des attitudes passées et caractérise un appui
populaire dont les limites sont encore loin d'être atteintes.
Je ne peux évidemment manquer d'évoquer aussi le mouvement qui anime
aujourd'hui tous ceux qui luttent contre l'exclusion sociale et le chômage.
Il y eut, dans la foulée de la manifestation du 16 octobre dernier, encore
beaucoup de chômeurs, de femmes, de jeunes, de salariés, de militants
syndicaux, associatifs, politiques dans les rues de nos grandes villes en ce
samedi 11 décembre pour exiger le respect des droits et de la dignité de tous
ceux qui ne peuvent aujourd'hui tirer parti de la richesse de notre pays et
sont privés des droits les plus fondamentaux, dont le droit au travail.
Pourquoi de tels mouvements, alors que nous devrions discuter, dans le cadre
de notre assemblée, des conditions de l'association des salariés à la gestion
de leur entreprise ? Tout simplement parce qu'il y a la croissance et que les
inégalités, la pauvreté et l'exclusion sont encore plus insupportables quand
notre économie s'enrichit, que la production industrielle se développe et que
le volume de biens et de services disponibles sur le marché croît tous les
jours.
Se pose donc directement la question de la répartition des fruits de cette
croissance.
Pour le moment, force est de constater que le potentiel de croissance de notre
économie ne semble pas devoir être épuisé, pour peu que l'on analyse
l'évolution des principaux indices boursiers comme un paramètre d'évaluation de
la situation économique générale.
Je ne sais plus qui disait que « la politique de la France ne se fait pas à la
corbeille »...
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
C'est le général de Gaulle !
M. Guy Fischer.
Je le savais, bien sûr !
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Vous êtes un provocateur !
M. Guy Fischer.
... mais force est de constater qu'il y a au moins une trace tangible de la
croissance et que cette trace c'est la hausse de la capitalisation boursière.
Lorsque cette capitalisation exige un taux élevé de rémunération, commencent
alors à se créer les premiers problèmes.
La question est d'importance : oui ou non la croissance va-t-elle trouver sa
traduction dans l'explosion du CAC 40 et de la valeur des entreprises, ou bien
va-t-elle porter création d'emplois et revalorisation des salaires ? Cette
question est au coeur du débat qui nous anime aujourd'hui.
Derrière la discussion que nous allons avoir sur les modalités de cette
proposition de loi n° 118 se profile, en effet, la question de l'utilisation de
l'argent, notamment de l'affectation de la valeur ajoutée créée par le
travail.
Cette question doit être interprétée dans une mise en perspective que la
partie liminaire de mon intervention a commencé d'esquisser en partant de
données assez générales inscrites en arrière-plan du débat.
La lecture de la présente proposition de loi pose des questions de natures si
diverses que je suis un peu en peine d'en concevoir toutes les interactions,
mais je vais m'efforcer de le faire.
Premier élément de la situation : la participation des salariés au capital de
leur entreprise ou encore l'épargne salariale, indépendamment de son
intégration dans le capital même de l'entreprise, est loin d'être une
nouveauté.
Les premières lois sur le sujet, vous l'avez rappelé, monsieur Chérioux,
datent, en effet, de plusieurs décennies. Elles ont notamment inspiré une bonne
partie de ce que l'on a pu appeler le « gaullisme social », dont certains des
membres de cette assemblée - vous-même, monsieur Neuwirth - sont aujourd'hui à
la fois les héritiers et les témoins, à commencer par le premier signataire de
cette proposition de loi.
On notera, par ailleurs, que ce contexte législatif a été maintes fois modifié
depuis 1959, où il fut ébauché pour la première fois, et qu'il se situe en
parallèle avec la modernisation du droit des sociétés qui résulte de la loi du
24 juillet 1966 modifiée. Le débat qui nous occupe aujourd'hui est donc dans
cette filiation, mais il s'inscrit dans un climat économique et politique
renouvelé.
Je ne reviendrai pas inutilement sur cet aspect de la question. Permettez-moi
simplement de préciser que les premières formules de participation se sont
développées dans un contexte de forte croissance économique, de forte inflation
et d'indexation des salaires sur le mouvement des prix.
Aujourd'hui, nous sommes dans un cadre totalement différent : il y a de la
croissance, une tendance lourde à la réduction de la part des salaires dans la
valeur ajoutée, et une pratique assez largement répandue de la modération
salariale.
Pour préciser encore le contexte, on soulignera que le montant des sommes
aujourd'hui collectées dans le cadre des réserves spéciales de participation
est significatif. Il atteint, en effet, 360 milliards de francs,...
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Eh oui !
M. Guy Fischer.
... dont les deux tiers sont d'ailleurs mobilisés au sein de plans d'épargne
d'entreprise.
M. Lucien Neuwirth.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
La somme est cependant relativement faible au regard de la capitalisation
globale des entreprises françaises, ce qui limite, en termes de droit des
sociétés, la portée de la diffusion du capital des entreprises au sein du
personnel.
Nous soulignerons ici que les sommes concernées offrent aux salariés
l'opportunité de disposer parfois de certains compléments de rémunération qu'un
appareillage fiscal et social particulièrement incitatif a d'ailleurs tendance,
dans les faits, à majorer.
Pour s'en tenir, par exemple, au simple domaine de la fiscalité, on relèvera
que les dispositions des articles 163 AA et 163
bis
B du code général
des impôts génèrent une dépense fiscale de 1,1 milliard de francs au titre de
l'exonération des revenus tirés de l'épargne salariale, que l'exonération des
revenus de PEA coûte 2,5 milliards de francs au budget de l'Etat, que les
exonérations de gains de cession sur ces plans coûtent 5 milliards de francs,
tandis que les sommes versées par les entreprises au sein des plans d'épargne
d'entreprise, les PEE, sont assimilées à des charges déductibles de l'impôt sur
les sociétés.
Dans le domaine social, on soulignera que les produits de la participation et
de l'intéressement sont placés sous le régime des capitaux mobiliers et ne sont
donc soumis qu'à la contribution sociale généralisée au taux de 10 %, ce qui,
vous en conviendrez, n'a pas grand-chose à voir avec les taux de prélèvements
qui concernent les salaires.
On ne peut également manquer d'oublier le régime particulier d'imposition des
plus-values de cession d'actifs qui prend, chacun le sait ici, tout son relief
et tout son intérêt dès que le taux de prélèvement sur les revenus salariaux
excède 16 %. En s'en tenant à la lettre du barème de l'impôt progressif, cela
concerne des revenus dont le montant annuel est légèrement supérieur à 110 000
francs nets annuels, soit moins de 13 000 francs par mois.
Le régime d'imposition séparé des plus-values de cession d'actifs a évidemment
une tendance naturelle à être plus rentable dès lors que les revenus s'élèvent.
Le bonus fiscal est ainsi d'un peu plus de 7 100 francs pour un revenu salarial
soumis à l'impôt sur le revenu au sommet de la tranche taxée à 33 %, mais il
s'approche de 128 000 francs pour un revenu qui serait de 500 000 francs nets
annuels.
Le maintien de ce mode de traitement des revenus tirés de la participation et
de l'intéressement est donc, fondamentalement, un puissant levier d'inégalité
devant l'impôt entre les salariés aux revenus les plus modestes et les autres.
Il témoigne, en particulier, du peu de succès de la logique même de la
participation auprès des salariés sous-rémunérés et tend à souligner encore
plus le succès - le scandale ! - que peut constituer un dispositif comme celui
des
stock options
.
Peu de succès, mais, en fait, une sorte de succès obligé, puisque 5 millions
de salariés sont aujourd'hui actionnaires, en vertu des dispositions
législatives en vigueur, et que 3 millions - ce ne sont pas tout à fait les
mêmes - sont concernés par des dispositifs d'intéressement. Ces chiffres sont
évidemment à rapprocher de ceux que nous connaissons en matière de détention
d'actions ou de parts sociales au sein de la population de notre pays.
Le mouvement de privatisation d'une part importante du secteur public
industriel, commercial, bancaire ou assurantiel aurait pu conduire à une
augmentation sensible du nombre de nos compatriotes détenteurs de tels titres.
Sur la durée, il n'en a pas vraiment été ainsi puisque le nombre de Français
actionnaires n'a pas crû dans des proportions significatives.
Dans les faits, après un tel mouvement et près de quarante années
d'expérimentation, la participation et l'intéressement n'ont pas fait la
démonstration de leur parfaite pertinence. D'autant que la part du capital qui
est détenue est souvent infime et le poids des actions marginal dès lors que
l'on se retrouve en situation de décider en assemblée générale
d'actionnaires.
Pour nombre de salariés, la participation n'est qu'une modeste contribution à
l'amélioration de leur rémunération, ne résolvant la principale contradiction
que bien imparfaitement.
Une entreprise comme Peugeot peut fort bien distribuer quelques actions à ses
salariés dans le cadre de ses obligations légales. Il n'en demeure pas moins
que le principal problème des salariés de cette entreprise est plutôt fondé sur
la non-reconnaissance de leur qualification ou de leur ancienneté, comme l'a
montré la récente affaire d'indemnisation des délégués syndicaux, dont les
promotions étaient bloquées depuis plus de vingt ans.
La participation est donc bien souvent vécue - permettez-moi d'employer un
terme qui n'est nullement méprisant à votre égard, monsieur Chérioux, mais qui
me semble parfaitement adapté - comme un gadget.
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Un gadget de 300 milliards de francs, ce n'est pas mal !
M. Guy Fischer.
Dans le vécu quotidien, c'est parfois difficile !
Je comprends, dès lors, que la proposition de loi qui nous est présentée vise
à redonner un peu de muscle à un système pour le moins limité dans sa
pertinence et son application.
Nous avons indiqué une partie des éléments du contexte dans lequel le débat se
situe. Permettez-moi d'en souligner d'autres.
Dans la proposition de loi, on nous invite à concevoir un nouveau partenariat
social. Ce concept mérite examen. Il est avancé au moment où la politique
contractuelle comme d'ailleurs le schéma de la négociation collective sont
remis en question par l'attitude du MEDEF, qui souhaite en particulier mettre
un terme au paritarisme de gestion et dénonce assez régulièrement les
conventions collectives régissant les relations sociales dans les branches.
Ce nouveau partenariat social serait-il, dès lors, une sorte de produit de
substitution à un dialogue social institutionnel tel que nous le connaissons
aujourd'hui et qui se déclinerait entreprise par entreprise, à géométrie
variable en quelque sorte ? Si tel était le cas, vous comprendriez que nous ne
vous suivrions pas tout à fait.
Les relations sociales doivent être régulées par le droit du travail et non
par le droit des sociétés.
Si le seul point d'accord existant entre salariés et employeurs réside dans
les modalités d'utilisation de la réserve spéciale de participation, il nous
sera difficile de vous suivre.
Pourtant, n'est ce pas la BNP qui propose aujourd'hui à ses salariés une forme
d'affectation en épargne longue de la réserve spéciale et qui, dans le même
temps, se situe au premier rang dans la dénonciation de la convention
collective des banques ou dans la mise en avant de la tarification des services
bancaires ?
Se pose ensuite la question de l'abondement de la réserve spéciale de
participation, dont nous avons souligné qu'il bénéficiait d'un important
accompagnement fiscal et social, et qui figure dans le texte de la proposition
de loi au premier rang des préoccupations de ses auteurs.
Cet abondement est un prélèvement sur la richesse créée par le travail, donc
sur la valeur ajoutée. Echappant assez largement aux prélèvements sociaux et
fiscaux, il est, par voie de conséquence, un facteur de stagnation, sinon de
régression, des ressources de la protection sociale. Il peut, si l'on suit la
logique des auteurs de la proposition de loi, s'assimiler bientôt à ce que nous
avons rejeté en 1997 et lors du débat de 1998 relatif aux fonds de pension de
la loi Thomas.
Il deviendrait une sorte de bombe à retardement pour l'équilibre des comptes
sociaux qui seraient ainsi « siphonnée », et singulièrement de ceux de
l'assurance vieillesse, générant une nouvelle inégalité entre ceux qui auraient
souscrit un PEE fructueux et ceux qui n'en auraient pas souscrit ou qui
auraient subi quelques moins-values. Conditionner sa retraite aux aléas de la
situation générale des marchés financiers est pour le moins risqué.
On ne peut évidemment manquer de souligner que l'incitation au développement
de l'actionnariat salarié, que l'on nous invite à favoriser ici, est également
placée dans un mouvement profond de renouvellement des cadres dirigeants des
entreprises de notre pays. Le départ en retraite de nombre de dirigeants, la
question de la maîtrise du capital de certaines entreprises constituées sous la
forme de groupe familiaux impliqueraient de favoriser des formules de diffusion
de ce capital au sein des salariés. La proposition de loi s'en fait l'écho,
même si nous pouvons souligner que l'on peut aussi faire le choix du statut
coopératif pour poursuivre une activité.
On peut encore souligner qu'il ne suffit pas nécessairement de maîtriser le
capital d'une entreprise pour s'en asurer le contrôle ou pour permettre sa
viabilité.
La question cruciale de l'accès au crédit est en effet directement posée,
puisque certains établissements bancaires ont ainsi largement investi dans les
entreprises de notre pays en conditionnant leur appui financier à un droit
d'entrée, même partiel, dans le capital de l'entreprise et ils ont fini par y «
mener la danse », en général au détriment de l'investissement direct et de
l'emploi.
Permettez-moi d'ailleurs, mes chers collègues, de souligner que je trouve
étonnant que vous nous proposiez de réduire la part de la réserve spéciale
consacrée à l'abondement des comptes courants bloqués qui pourraient,
judicieusement utilisés, constituer une forme d'autofinancement adaptée aux
besoins des entreprises.
Cela m'amène à poser la question de l'allocation des ressources de la réserve
spéciale de participation.
La différence existant entre les deux propositions de loi initialement
déposées réside en particulier dans le fait que la proposition de loi «
Chérioux » est centrée sur l'entreprise et la diffusion du capital de
l'entreprise, tandis que la proposition de loi « Arthuis » est plus directement
intégrée dans une logique de financiarisation de l'économie.
Il est vrai que la situation des entreprises de notre pays est fort diverse.
Certaines sont fortement capitalistiques et faiblement productrices de valeur
ajoutée, d'autres faiblement capitalistiques et fortement productrices de
valeur ajoutée, d'autres encore fortement capitalistiques et productrices de
valeur ajoutée, par exemple dans le secteur des biens d'équipement.
Il pourrait donc y avoir, dans la logique de nos collègues de l'Union
centriste, quelque intérêt à distraire les sommes de la réserve spéciale de
participation, la RSP, du strict cadre de l'entreprise pour les aventurer à
l'extérieur ; c'est ce que l'on appelle la volatilité.
Ce ne serait alors, ni plus ni moins, qu'une forme d'instrumentalisation de la
participation des salariés au profit d'une logique de diversification
stratégique de l'entreprise.
Pour autant, les problèmes du devenir des activités orginelles de
l'entreprise, du maintien et du développement de l'emploi, de la validation des
qualifications et des potentiels humains et créatifs des salariés seraient-ils
mieux pris en compte ? Pour nous, ce serait risquer la collecte de la réserve
spéciale de participation au jeu des moins-values financières, et donc remettre
en cause, sur le long terme, les atouts dont elle dispose aujourd'hui, surtout
si son utilisation tend à se matérialiser dans des plans d'épargne longue.
J'observerai qu'une part des propositions de la commission des finances vise à
faciliter ce « nomadisme capitalistique » et donc à dénaturer quelque peu le
sens initial de la participation. J'oserai dire que la proposition de loi de M.
Arthuis pervertit en quelque sorte celle de M. Chérioux.
(M. le rapporteur
s'étonne.)
J'en prendrai pour exemple l'amendement relatif aux délais de portage des
actions souscrites dans le cadre des plans d'options d'achat d'actions.
Comment peut-on prétendre valoriser la participation en favorisant la
volatilité du capital ? Je n'ai pas la réponse. Pour notre part, monsieur
Chérioux, nous ne sommes pas totalement fermés à l'existence de dispositifs de
participation.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. François Autain.
C'est Marx qui rejoint de Gaulle !
(Sourires.)
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Cela fait vingt-cinq ans qu'on l'attendait !
M. Guy Fischer.
Cette intervention est un peu conçue comme un état des lieux de la
situation.
S'agissant des perspectives offertes par le débat, vous nous permettrez de
nous interroger sur les véritables finalités de la proposition de loi qui nous
est soumise.
Ne serait-elle pas pour les salariés - ne le prenez pas en mal - comme la fine
couche de sucre dont on entourerait la pilule amère de la négation des
qualifications et des compétences, de la stagnation des rémunérations directes
?
Pour autant, on pourrait concevoir autrement la question de la participation
salariale.
Nous pensons, sans que cela soit encore aujourd'hui une proposition totalement
bouclée et strictement définie - nous poursuivons d'ailleurs notre réflexion -
que l'alimentation des comptes courants bloqués pourrait constituer un outil
adapté de financement de l'investissement des entreprises, dès lors
qu'interviendrait une bonification des taux de rémunération de ces comptes par
le biais de l'Etat.
Cette bonification, en réduisant le taux d'intérêt réel payé par l'entreprise,
se doublerait d'une évaluation de la portée des investissements en termes
d'emploi et de développement de nouvelles productions. Echapperait dès lors
quelque peu à la seule logique du crédit une partie du financement de
l'expansion de l'entreprise.
On pourrait également fixer des règles de distribution du portefeuille des
fonds communs de placement d'entreprise en vue d'éviter la volatilité dont j'ai
déjà parlé. Pour autant, notre position dans le débat de ce jour est une étape
de la réflexion, et nous serons sans doute amenés à en reparler de manière plus
approfondie encore lors de la discussion du projet de loi.
A cette occasion, nous aurons sans doute pu nous inspirer des enjeux des
débats antérieurs - ceux des années soixante et soixante-dix sur la
participation ou ceux qui ont entouré la loi de 1966 sur les sociétés
commerciales - et revenir encore sur la pratique.
Quant à la présente proposition de loi, pur produit d'un opportunisme
politique...
M. Jean Arthuis.
Ah !
M. Guy Fischer.
... destiné à marquer sa place dans le débat, sa nature nous conduit à son
rejet pur et simple.
M. le président.
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en
préambule, je dirai ma satisfaction et formulerai un souhait.
La satisfaction, c'est que le Sénat, en cette fin d'année 1999, aborde de
façon approfondie un des sujets qui domineront l'actualité économique et
sociale des prochaines années : l'affirmation en France d'un nouveau type de
capitalisme, que j'appellerai le « capitalisme participatif », avec des
salariés directement liés à la vie et aux résultats de l'entreprise.
Mon souhait est évidemment que le Gouvernement mette à profit ce débat pour
enrichir la réflexion en cours dans le cadre de la mission confiée à MM. de
Foucauld et Balligand.
De son côté, le Sénat n'est pas resté inactif ces dernières années : je pense
évidemment à l'excellent rapport sur l'actionnariat salarié de notre collègue
Jean Chérioux au nom de la commission des affaires sociales, travail le plus
récent qui fera date sur ce sujet, et n'aurais garde d'oublier un autre
rapport, de 1994, de nos collègues Jean Arthuis, Philippe Marini et Paul
Loridant sur la clarification indispensable des
stock-options,
ainsi que
la proposition de loi créant des fonds d'épargne retraite qui a été adoptée par
le Sénat, le 14 octobre dernier, sur l'initiative, notamment, de mon groupe
parlementaire, l'Union centriste.
La réconciliation entre l'homme et l'entreprise, son épanouissement pour et
dans l'entreprise, tel était le thème central de l'ouvrage que je publiais en
1998,
Richesse de l'homme, richesse de l'entreprise.
Cette
réconciliation passe en particulier par le développement de l'actionnariat
salarié. L'évolution des rapports sociaux en France n'a jamais été aussi
nécessaire : ce sera le premier point de mon propos. Il faut, par ailleurs,
définir quelques priorités. C'est l'objectif de la proposition de loi déposée
par mon groupe en faveur du développement du partenariat social.
Le projet d'association entre le capital et le travail, repris par le général
de Gaulle à partir de 1958, est, malgré tout, une idée ancienne. Elle remonte
au début de la révolution industrielle, dans les années 1840, lorsque naissent
le capitalisme français et la classe ouvrière dans notre pays.
Je pense en particulier aux promoteurs du catholicisme social, pour lesquels
le refus du capitalisme sauvage et la revendication de droits sociaux se
doublent d'une ambition : dépasser la lutte des classes et initier une forme de
partage du pouvoir économique entre, d'une part, les salariés qui apportent
leur force de travail et leur qualification et, d'autre part, les détenteurs du
capital, catégories toutes deux indispensables à la création de richesse et
donc au progrès technologique et économique de la nation.
Mais, avec la IIIe République, la consolidation du régime démocratique et la
conquête de nouvelles libertés politiques et de droits sociaux prendront le pas
sur cet idéal, notamment avec la reconnaissance des syndicats et du droit
d'association. Il faudra attendre la fin des années cinquante pour que soit
institué un système facultatif d'intéressement des salariés, alors que la
France commence à recevoir les dividendes des efforts de reconstruction et de
lutte contre l'inflation entrepris par les gouvernements de l'après-guerre. Il
fallait le rappeler !
Après quarante ans d'application des systèmes de participation et
d'intéressement, le bilan est intéressant, mais il prouve que beaucoup reste à
faire. Il est vrai que 5 millions de salariés bénéficient des fruits de la
participation et 3 millions de l'intéressement. Ces dispositifs constituent
avant tout un moyen de compléter des salaires qui augmentent très faiblement
depuis 1990. L'actionnariat des salariés dans leur propre entreprise reste
relativement marginal. Ainsi, 700 000 salariés sont actionnaires de leur
entreprise, soit seulement 5 % environ de la population active dans le secteur
privé. De plus, comme le note très justement dans son rapport d'information M.
Jean Chérioux, l'actionnariat salarié ne représente que 2 % de la
capitalisation boursière en France.
C'est peu par rapport à un pays comme les Etats-Unis, où la participation
financière des salariés constitue d'ailleurs plus un dispositif d'épargne en
vue de la retraite qu'un mécanisme de rémunération complémentaire. En Europe,
la Belgique, entre autres, a fait un effort particulièrement remarquable pour
développer la participation financière des salariés depuis le début des années
quatre-vingt, notamment avec une loi de 1983, dite « loi Monory
bis
»,
qui cherche à inciter les salariés à acheter des parts sociales de leur
entreprise grâce à des déductions fiscales significatives. Mais le problème
central du système d'actionnariat à la française n'est pas réellement la portée
limitée des incitations ou avantages financiers proposés aux salariés et aux
entreprises. Sa grande faiblesse réside sans doute, cela n'étonnera personne,
dans sa grande complexité, sa lourdeur, et, bien sûr, la multiplicité des
dispositifs : Qui trop embrasse, mal étreint ! A l'instar d'une grande partie
de notre législation, ce système d'actionnariat salarié ressemble, en quelque
sorte, à un mille-feuille constitué de dispositions souvent contradictoires et
économiquement contre-productives.
Or, plus que jamais, l'émergence d'un « capitalisme participatif » est
nécessaire dans notre pays pour accompagner de manière positive l'évolution
actuelle de l'économie de marché, dans un contexte de mondialisation et de
concurrence accrues. Face à l'influence grandissante des investisseurs
institutionnels étrangers, qui contrôlent plus de 40 % du capital des sociétés
françaises cotées, la création de fonds d'épargne-retraite mais aussi un
développement de l'épargne salariale peuvent constituer des moyens efficaces
pour renforcer les fonds propres des entreprises et pour stabiliser leur
capital dans la durée.
Dans cette perspective, nous devons réformer en profondeur l'ensemble de la
législation définissant les modes de participation financière des salariés et
définir des priorités : ce sera le second axe de mon propos.
L'amélioration des dispositifs existants, la clarification fiscale et la
simplification de l'ensemble sont les objectifs majeurs de la proposition de
loi qu'a déposée le groupe de l'Union centriste en faveur du partenariat
social.
La volonté de clarification inspire notre idée de créer des plans d'épargne
salariale qui, à côté de PEE destinés surtout à gérer des titres extérieurs à
l'entreprise, constitueraient un produit exclusivement composé d'actions de
l'entreprise du salarié et donc un outil privilégié de la participation du
personnel au capital et à la vie d'une société.
Nous souhaitons également améliorer certains des dispositifs existants, et
nous rejoignons là notre rapporteur. Nos deux propositions concordent en
particulier sur la nécessité de réserver aux salariés une partie des actions
émises en cas d'augmentation du capital. La plupart des partenaires sociaux
sont, eux aussi, d'accord sur le principe d'une telle mesure. Reste à trouver
un accord, notamment avec les syndicats de salariés, sur les modalités :
faut-il prévoir un rabais dégressif en fonction de la rémunération ? C'est la
question que nous nous sommes posée au sein de mon groupe. Mais des entreprises
utilisent déjà ce type de système. Ne serait-il pas plus équitable de raisonner
en termes de revenu fiscal par ménage ? Mais cela ne va pas sans poser des
problèmes pratiques pour ce qui est de l'application. Le délai d'acquisition
des actions est un autre problème. A cet égard, les syndicats souhaitent un
délai suffisamment long.
J'en viens maintenant à ce qui constitue l'un des points forts de notre
proposition de loi : la simplification et l'allégement de la taxation des
stock options
d'une part, la régulation par la transparence de ce qui
constitue une forme d'épargne de plus en plus répandue, d'autre part. Cessons
tous d'aborder ce sujet avec des préjugés d'un autre âge : les
stock
options,
qui se sont considérablement développés en France ces dernières
années, sont désormais indispensables, notamment dans les secteurs en fort
développement - les
start up
- ou en contact direct avec la concurrence
internationale. Il s'agit de motiver et de fidéliser certains salariés, mais
aussi de les récompenser de la confiance qu'ils ont placée dans l'entreprise à
son démarrage en y investissant certaines sommes. C'est la reconnaissance du
risque. Dans les faits, un tel système est actuellement réservé à des cadres
supérieurs et dirigeants. Toutefois, rien dans la loi n'interdit à l'entreprise
de distribuer des
stock options...
M. Emmanuel Hamel
Parlez français !
M. Francis Grignon.
... à l'ensemble des salariés ou à certains non-cadres, d'autant plus qu'un
récent sondage d'un hebdomadaire économique montre que 78 % des dirigeants des
PME sont aujourd'hui favorables à ce système de
stock options
pour
tous.
M. Emmanuel Hamel.
C'est de la provocation !
M. Francis Grignon.
C'est déjà le cas dans des PME du secteur de l'informatique et des nouvelles
technologies. Comment amplifier ce phénomène ? Il convient surtout de
simplifier le mode de taxation : notre système est particulièrement compliqué,
avec une double taxation au moment de la levée de l'option et à l'occasion de
la cession des titres.
La proposition de M. Jean Arthuis a le grand mérite de la simplicité et de
l'efficacité : les
stock options
ne seraient taxées que lors de leur
cession, la plus-value étant calculée par rapport au prix de souscription. La
taxation se ferait au taux de droit commun de 16 % en cas de respect d'un délai
de portage de cinq années. Dans le cas contraire, la plus-value serait taxée
comme un salaire. La commission des finances a porté un intérêt tout
particulier à ce dispositif qui, je crois, devra servir de référence à une
prochaine et utile réforme.
Mes chers collègues, nous devons absolument innover en ce domaine si nous
voulons éviter, par exemple, qu'un certain nombre de nos ingénieurs ou
chercheurs ne soient finalement attirés par des incitations financières plus
attractives dans d'autres pays européens ou, ce qui est plus grave,
outre-Atlantique. Je ne reviendrai pas sur le second volet de nos propositions
relatives à la prévention d'éventuels délits d'initiés ou à une meilleure
information sur les bénéficiaires de
stock options,
elles correspondent
globalement aux souhaits qui ont déjà été exprimés par la commission des
finances et son rapporteur M. René Trégouët, lors de l'examen du projet de loi
relatif à l'innovation et à la recherche. J'insiste néanmoins sur le fait que
l'information et la transparence sont les meilleurs outils de la régulation ;
la législation-sanction ne peut aboutir au même résultat.
En conclusion, et au risque d'être un peu trivial, mais je crois que vous me
le pardonnerez car nous sommes tous quelque part d'origine paysanne, je dirai
qu'il en va de l'argent et du capital un peu comme du fumier. En tas et
inutilisé, il sent mauvais, alors que si on l'épand et si on le mélange bien à
la terre, il fertilise et fait pousser et croître à souhait.
Il est nécessaire, maintenant, d'imaginer de nouvelles relations entre
l'homme, l'argent, l'entreprise et le travail.
Pour cela, il faut abandonner notre culture de conflit pour favoriser une
nouvelle expression collective des salariés par l'accès au capital. Si nous
voulons garder la compétitivité nécessaire pour rester dans le peloton de tête
d'un monde où le pouvoir économique est synonyme d'indépendance, de choix et de
liberté, il nous faut réconcilier un maximum d'hommes avec l'entreprise.
Je remercie les deux commissions du Sénat de l'ensemble de leur travail. Je
suis persuadé que ces propositions vont contribuer à mieux faire comprendre à
nos concitoyens que notre avenir passe d'abord par l'entreprise. Bien
évidemment, notre groupe votera sans réserve ce texte.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M.
Francis Grignon vient de dire l'essentiel s'agissant de la position de notre
groupe.
Je voudrais, à mon tour, me réjouir de la discussion des propositions de loi
relatives au partenariat social déposées, d'une part, par M. Chérioux et
plusieurs collègues et, d'autre part, par moi-même et les membres du groupe de
l'Union centriste.
Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, les relations sociales se régulaient
largement par l'inflation des salaires. Depuis le début des années
quatre-vingt-dix, nous constatons une stabilité relative des salaires et
l'inflation des actifs. Aussi, il nous paraît essentiel d'associer les salariés
à la captation de ces plus-values, de cette inflation des actifs. Nous devons
par tous les moyens possibles, imaginer l'actionnariat salarié. Tel est l'objet
de la proposition de loi de M. Chérioux et de la nôtre.
Pour ce qui nous concerne, nous avons voulu instaurer un lien étroit avec
l'actionnariat salarié proprement dit, qui tend à revisiter la loi de 1973,
laquelle n'a pas eu un succès considérable. Il convient d'actualiser les
niveaux d'abondement consentis par la société et le montant des actions auquel
le salarié peut souscrire à titre privilégié. Cela nous paraît important.
Nous allons dans le même sens. Aussi, nous voterons sans hésitation les
propositions de la commission des affaires sociales. M. Chérioux était
certainement fondé à déposer ce texte. La référence gaulliste est évidente.
Pour sa part, la démocratie chrétienne a également de solides références
s'agissant de la participation et de la mobilisation des hommes au sein de
l'entreprise. Nous ne pouvons que nous réjouir que l'entreprise ne soit plus
aujourd'hui un lieu d'affrontements, mais qu'elle soit devenue un lieu de
partenariat, qu'il nous appartient de consolider.
Les options de souscription d'actions constituent également un très bon levier
de mobilisation. Dans notre esprit, il ne s'agit pas d'un actionnariat
sélectif, réservé à quelques collaborateurs que l'employeur voudrait gratifier.
Les options de souscription d'actions doivent être offertes à l'ensemble des
salariés.
La transparence en la matière nous paraît également fondamentale. Nous ne nous
estimons pas fondés à déterminer le montant à partir duquel tel régime ne
serait plus applicable. La transparence doit être la règle. C'est pourquoi nous
avons fixé les principes qui tendent à modifier les dispositions de la loi du
24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, qui a été visée par la
commission des finances mais qui aurait pu l'être tout autant par la commission
des lois. Nous voulons que les sociétés publient le nom des principaux
bénéficiaires lorsqu'ils sont administrateurs ou quant ils exercent des
fonctions de mandataire social ou de dirigeant, et ce à l'échelon du groupe
consolidé. L'ensemble des filiales doivent faire apparaître les options de
souscription d'actions éventuellement offertes. C'est une image globale qui
doit être mise à la disposition des partenaires de l'entreprise, les salariés,
bien sûr, mais aussi les actionnaires. Cela nous paraît fondamental.
Je voudrais rappeler à notre ami M. Fischer que, dès 1994, M. Marini, M.
Loridant et moi-même avions ouvert une réflexion sur la pratique des options
d'achat et de souscription d'actions. Aujourd'hui, nous tirons les conséquences
des principes que nous avions alors énoncés.
Je voudrais souligner à quel point ce que nous avions dit à cette époque, au
nom du Sénat, est toujours d'actualité. Nous l'avions fait, mon cher collègue
Fischer, au-delà de toute considération partisane. Nous voulons faire vivre un
authentique partenariat.
J'ai remercié M. Chérioux.
Je remercie également M. Trégouët et la commission des finances. Elle a su
préserver au moins une chose de notre proposition de loi : l'intitulé.
M. René Trégouët,
rapporteur pour avis.
Beaucoup d'autre chose aussi !
M. Jean Arthuis.
Cette attitude élégante nous va droit au coeur, cher rapporteur.
Sans doute, en cette fin d'année, l'emploi du temps a-t-il été
particulièrement chargé, ce qui n'a pas facilité le dialogue.
C'est vrai que nous devrons nous prononcer sur les propositions de la
commission des finances ; je n'aurai pas la possibilité de présenter des
amendements pour tenter de rétablir certaines des dispositions de notre
texte.
La présente discussion aura au moins l'avantage de mettre en évidence les
marges de progression dont nous disposons pour améliorer le débat interne dans
notre institution.
Mais, puisque nous convergeons sur l'essentiel, nous voterons ces
dispositions.
Cependant, j'exprime le souhait, cher René Trégouët, que, la prochaine fois,
nous puissons prendre le temps d'un échange constructif, car, sur certains
points, je ne suis pas sûr que vos propositions aillent dans le sens d'une
simplification et de la clarification, et qu'il n'y ait pas à redire sur le
raccourcissement à trois ans ou sur la suppression de la décote, autant de
sujets qui justifieraient un débat qui ne sera pas possible aujourd'hui, sauf à
repousser en bloc les propositions de la commission des finances.
Le groupe de l'Union centriste reconnaît dans ces propositions l'essentiel de
sa contribution, mais il ne la reconnaît que partiellement. Puisque les députés
auront l'occasion d'examiner ce texte, madame la secrétaire d'Etat, peut-être
pourrons-nous, en deuxième lecture, encore améliorer la rédaction !
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat.
Monsieur Arthuis, vous avez quasiment dit que la position que
j'allais prendre aujourd'hui réglera ce qui, à mes yeux, est presque un léger
conflit interne.
C'est avec beaucoup de brio que tous les orateurs ont su aborder ce vaste
problème de société dans un climat d'intelligence, même si semble-t-il, la
compréhension réciproque n'a pas toujours régné au sein de la majorité
sénatoriale, et avec fougue, notamment de la part de M. Chérioux, et ce sur un
fond d'explication historique fine.
Je me félicite du large accord qui est intervenu dans cette enceinte, à
l'occasion de ce débat, entre les héritiers spirituels du général de Gaulle et
ceux de Maurice Thorez. D'ailleurs, cela ne me surpend pas puisque Maurice
Thorez a été ministre de la production dans le gouvernement du général de
Gaulle.
Pour clore ce bon moment qu'a constitué le rappel historique que vous avez
fait, je reprendrai simplement à mon compte ce que disait Maurice Thorez : «
Retroussons nos manches. »
M. Guy Fischer.
Très bien !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Monsieur Arthuis, il est vrai que vos collègues
parlementaires auront fort à faire, comme le Gouvernement.
Comme tous les orateurs, j'aborderai ce thème dans un état d'esprit
constructif, même si je ne tire pas les mêmes conclusions que MM. Chérioux et
Arthuis du bilan de la situation actuelle.
J'ai cru comprendre, voilà un instant, que la cohérence de ce texte n'était
pas parfaite... Mais c'est l'affaire du Sénat.
Le Gouvernement - peut-être est-ce surprenant pour certains d'entre vous, mais
cela ne l'est pas pour vous, monsieur Chérioux - est favorable à l'actionnariat
des salariés, comme vous, monsieur le sénateur. En même temps, le Gouvernement
- et cela ne vous surprendra pas non plus, monsieur le sénateur - est
défavorable aux propositions de loi qui ont été fusionnées dans le texte que
vous examinez aujourd'hui.
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
En effet, cela ne nous surprend pas non plus !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Pourquoi avons-nous pris ces deux positions ?
Oui, nous sommes favorables à l'actionnariat des salariés. C'est notre
conviction. Pour reprendre la formulation qu'utilisait M. Dominique
Strauss-Kahn, nous préférons « le risque à la rente ». Pour reprendre la
formulation du Premier ministre, « nous voulons construire la société du plein
emploi ».
Nous considérons que la croissance que nous avons suscitée doit d'abord se
traduire en emplois pour le plus grand nombre de nos concitoyens. Nous
considérons aussi que l'actionnariat des salariés peut permettre un meilleur
partage de la croissance. Il y a effectivement un moyen pour les salariés
d'acquérir une partie de la valeur qu'ils créent et d'être associés à la
croissance de leur entreprise.
Nous pensons aussi qu'il y a une possibilité d'ancrer en France les
entreprises françaises. En favorisant l'actionnariat salarié, les dirigeants
des entreprises peuvent aussi chercher à constituer un pôle d'actionnaires
stables pour se préserver d'actions boursières hostiles vous l'avez presque
tous rappelé.
Nous pensons enfin qu'il s'agit là d'un moyen d'associer plus étroitement les
salariés aux stratégies de leurs entreprises, voire de leur permettre de peser
sur celles-ci en faisant valoir leurs intérêts spécifiques d'actionnaires
salariés, même si - et j'y reviendrai ultérieurement, en essayant néanmoins de
ne pas trop allonger le débat - nous avons encore un énorme travail
d'explication à accomplir, puisque la moitié des actifs percevant moins de 9
000 francs par mois ne considèrent pas cette question comme prioritaire.
Cependant, au-delà des convictions, nous souhaiterions aussi vous faire
partager notre souci du concret.
Tout d'abord, mieux associer les salariés au partage de la valeur qu'ils
créent dans les entreprises est une pratique constante de ce gouvernement, qui,
pour la première fois, a enrayé le mouvement d'alourdissement des conditions
d'association des salariés à la croissance de leur entreprise.
Par la loi de finances de 1998, nous avions ainsi mis en place les bons de
souscription de parts de créateur d'entreprise, les BSPCE, afin de permettre
aux jeunes entreprises innovantes d'associer à leurs chances de succès leurs
salariés, qui partagent les risques d'échec. Ce dispositif, réservé à l'origine
aux entreprises de moins de sept ans, a été étendu par la loi de finances de
1999 aux entreprises de moins de quinze ans.
Par ailleurs, à chaque fois que le Gouvernement a ouvert le capital des
entreprises publiques, il a tenu à associer très largement les salariés à ces
opérations. Laissez-moi vous en donner deux illustrations : ce fut le cas pour
l'ouverture du capital de France Télécom, qui a permis à 75 % des salariés de
devenir actionnaires de leur entreprise et de détenir 3, 5 % de son capital ;
ce fut le cas également à Air France, où plus de 72 % des salariés sont devenus
actionnaires, faisant de cette compagnie l'entreprise française cotée dont
l'actionnariat salarié, qui représentera à terme plus de 10 % du capital, sera
le plus important.
C'est enfin ce gouvernement qui a étendu, lors des ouvertures de capital, la
participation des salariés aux opérations de gré à gré. Il en fut ainsi pour le
Crédit industriel et commercial, le CIC, et pour le Groupe des assurances
nationales, le GAN. Certains affirment d'ailleurs que l'échec de la procédure
de 1996 et la mobilisation sociale apparue à cette occasion étaient notamment
dus à l'absence de participation des salariés.
Pour répondre en quelques mots à l'intervention de M. Arthuis, je voudrais
rappeler ce que nous avons fait pour renforcer le capital des entreprises
françaises. Comme nous estimons qu'il convient de favoriser la détention du
capital des entreprises françaises par nos concitoyens, nous avons en effet
beaucoup agi.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que ceux-ci ont placé plus de 3
500 milliards de francs en contrats d'assurance-vie, ce qui représente la plus
grande partie de leur épargne. Par conséquent, dès novembre 1997, nous avons
créé des contrats d'assurance-vie investis principalement en actions, notamment
en capital-risque. Ces contrats, que l'on nomme désormais « contrats DSK »,
bénéficient d'un traitement fiscal très favorable et ont permis de lever plus
de 70 milliards de francs, dont la moitié ont été investis en actions
françaises. Le bilan de cette première mesure est donc intéressant.
L'intérêt de la commission des finances du Sénat, que relevait tout à l'heure
M. Arthuis, pour une réforme de ce que l'on appelle couramment les
stock
options
mérite d'être souligné. Là encore, je me permettrai de rappeler
quelques faits.
A l'époque de l'installation du gouvernement de M. Lionel Jospin, le régime
juridique, social et fiscal des
stock options
était assez paradoxal. Il
avait été durci en décembre 1996, sur votre propre initiative, monsieur
Arthuis.
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Dans le même temps, des abus subsistaient, et rien
n'avait été fait pour moraliser cet instrument et le rendre plus
transparent.
Qu'avons-nous fait face à cette situation ? Nous avons agi. Dès novembre 1997,
comme je l'ai indiqué tout à l'heure, nous avons créé, au profit des jeunes
entreprises innovantes, les bons de souscription de parts de créateur
d'entreprise, qui sont de véritables plans d'option pour une fiscalité
favorable, car ces entrepreneurs qui prennent des risques devaient pouvoir
associer à leurs chances de succès leurs collaborateurs qui acceptent de les
accompagner dans une entreprise dont l'avenir n'est pas assuré à 100 %. Ce
dispositif a été élargi, dans l'optique notamment de la loi sur l'innovation et
la recherche de M. Claude Allègre, dont les principales dispositions ont été
rappelées tout à l'heure.
En outre, par le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier adopté en 1998, nous avons remis en cause la
rétroactivité aberrante du durcissement social et fiscal décidé en décembre
1996. Cette mesure visait les entreprises de moins de quinze ans et, malgré le
recours formé par de nombreux membres de cette assemblée devant le Conseil
constitutionnel, ce dernier avait reconnu la spécificité des entreprises
innovantes de croissance.
Aux assises de l'innovation, en mai 1998, nous avons lancé d'immenses
chantiers pour que la science et la technologie amènent de la croissance et des
créations d'emplois et pour faire émerger de nouveaux entrepreneurs, de
nouveaux capitaux, de nouvelles technologies. Dans cette optique, nous avons
entamé une réflexion sur tous les mécanismes d'association des salariés à la
croissance.
Voilà encore des orientations et un bilan !
Certes, le texte aujourd'hui soumis au Sénat répond en partie aux critiques
qui avaient été formulées par le Gouvernement sur la proposition de loi de M.
Balladur, discutée en mai dernier à l'Assemblée nationale. En témoignent, par
exemple, l'alignement sur la durée de droit commun pour la participation ou les
plans d'épargne entreprise, les PEE, ou l'alignement de la décote sur les 20 %
prévus pour les augmentations de capital réservées dans le cadre du PEE.
Il n'en reste pas moins que les inconvénients principaux de ce texte
demeurent, et c'est pourquoi le Gouvernement y est défavorable.
Ainsi, l'obligation pour les entreprises de prévoir, lors de toute
augmentation de capital, une tranche réservée aux salariés serait à la fois
lourde et coûteuse, sans permettre d'atteindre à l'objectif visé.
Le caractère automatique et obligatoire de cette disposition est en
contradiction avec l'objectif affiché de la proposition de loi de développer «
l'esprit de la participation », et c'est peut-être la fusion des deux
propositions de loi initiales qui nous entraîne dans cette contradiction. Le
mécanisme actuel de l'offre réservée aux salariés est, en revanche, tout à la
fois plus souple et plus efficace, car il permet aux entreprises de décider du
moment et des caractéristiques du lancement d'une offre spécifique aux
salariés, et donc d'insérer au mieux l'actionnariat des salariés dans la
politique sociale de l'entreprise. Rien ne les empêche, d'ailleurs, d'organiser
simultanément une augmentation de capital de droit commun et une augmentation
de capital réservée aux salariés.
J'ajoute sur ce point qu'une augmentation de capital peut répondre à des
objectifs très différents : une augmentation de capital croisée entre deux
sociétés qui fusionnent ou prennent des participations l'une dans l'autre
doit-elle, par exemple, être soumise au même régime qu'une augmentation de
capital « classique », laquelle semble être visée par la proposition de loi
?
Les principes qui guident l'action du Gouvernement dans ce domaine sont bien
connus et inspirent, par exemple, la réflexion sur les fonds partenariaux,
menée au sein de la commission des finances de l'Assemblée nationale par Jérôme
Cahuzac. Nous souhaitons que ces fonds soient tout à la fois plus collectifs,
plus solidaires et plus centrés sur la protection des adhérents.
Je note par ailleurs qu'il est envisagé que les sociétés non cotées puissent
aussi appliquer une décote de 20 %. Or cela n'est pas souhaitable, dans la
mesure où les conditions de valorisation des sociétés non cotées peuvent
de
facto
inclure une décote importante.
Contrairement à ce que prévoyait la proposition de loi initiale de M. Jean
Arthuis, M. Chérioux préconise un relèvement du rabais de 20 % à 50 % pour les
actions incessibles pendant un délai de cinq à dix ans à compter de la
souscription. Je m'interroge sur l'intérêt, pour les actionnaires, d'accepter
un rabais aussi important et sur celui, pour les salariés dont l'épargne serait
bloquée pendant une période longue sans diversification de leur placement, en
particulier pour ceux des entreprises non cotées, de prendre un risque non
négligeable.
La proposition de loi comporte également des dispositions relatives au plan
d'épargne interentreprises.
Il est vrai que cet outil permettrait de développer l'épargne salariale au
sein des PME. Mais, là encore, il est nécessaire d'adopter une démarche
cohérente, afin d'identifier les vecteurs permettant le développement de
l'épargne salariale au sein des PME. A cet égard, il convient d'analyser plus
avant les raisons pour lesquelles assez peu de salariés des PME bénéficient à
l'heure actuelle de ces dispositifs : comme l'a souligné lui-même M. Chérioux,
le droit actuel est complexe et parfois même totalement inadapté.
Le développement de l'épargne salariale doit donc reposer sur une analyse
approfondie de la situation actuelle, en vue d'offrir aux PME un « véhicule »
qui leur soit adapté et, plus généralement, de moduler la mise en oeuvre de ces
mécanismes en fonction de l'évolution du monde de l'entreprise.
S'agissant maintenant des dispositions de la proposition de loi concernant les
droits de vote des fonds communs de placement d'entreprise, l'approche qui a
été retenue par MM. Arthuis et Chérioux doit être examinée en concertation avec
les partenaires sociaux et s'inscrire dans une reflexion plus large sur la
désignation et les pouvoirs des conseils de surveillance des FCPE.
J'observe enfin que les deux propositions de loi n'adoptaient pas la même
optique en matière de gouvernement d'entreprise, s'agissant, plus
particulièrement, de la désignation d'administrateurs ou de membres du conseil
de surveillance représentant les salariés actionnaires.
M. Arthuis, dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, distinguait la
participation à la gestion et la participation financière, soulignant que les
entreprises françaises étaient dotées de « moyens institutionnels permettant
d'alimenter le dialogue social ».
M. Jean Arthuis.
C'est exact !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Pour sa part, M. Chérioux pense qu'« il est
indispensable de donner au personnel la possibilité de peser sur le destin de
son entreprise ».
Cette différence d'analyse se retrouve dans l'insertion dans la proposition de
loi de dispositions visant à faciliter la présence des représentants des
salariés actionnaires au sein des organes de gestion de l'entreprise,
dispositif qui n'était pas prévu dans la proposition de loi n° 87 de M.
Arthuis.
Ces imperfections s'expliquent par le fait que le dépôt de la proposition de
loi est sans doute prématuré.
J'ai entendu tout à l'heure parler de calendrier. Or le chantier en question
est très vaste : la participation aux augmentations de capital n'est qu'une
facette de l'actionnariat salarié, lequel n'est lui-même qu'un volet de
l'association des salariés à la croissance de leur entreprise.
C'est donc bien une réflexion globale que le Gouvernement entend mener sur
l'ensemble des mécanismes de participation et d'association des salariés au
partage de la valeur qu'ils créent dans leur entreprise, ainsi que sur leur
articulation.
L'épargne salariale apparaît en effet aujourd'hui comme une juxtaposition de
mécanismes, sans cohérence ni logique d'ensemble. Elle prend la forme d'un
mille-feuille qui regroupe la participation, l'intéressement, le plan d'épargne
entreprise, l'actionnariat salarié, les stock options, etc. Le résultat de cet
empilement est que l'épargne salariale est aujourd'hui complexe, insuffisante
et inégalitaire.
Un débat qui porterait sur tel ou tel mécanisme pris isolément n'aurait pas de
sens : c'est à une remise à plat de l'ensemble de ces mécanismes, sans interdit
ni exclusive, qu'il faut s'attacher. Cette remise à plat est l'objet de la
mission que le Premier ministre a confiée à MM. Balligand et de Foucauld sur
l'épargne salariale, dont la mise en cohérence doit répondre au double objectif
d'association des salariés aux décisions et à la croissance de leur entreprise
et de maintien des centres de décision en France.
C'est donc une réflexion transversale qui doit être menée, portant non pas sur
tel ou tel produit, mais sur les principes communs qui conduisent à définir un
cadre renouvelé et cohérent, juste socialement et efficace économiquement, au
travers de l'affirmation de son caractère social et solidaire - diffusion
auprès de tous les salariés, abondement équitable de l'entreprise, plus grande
transparence - des modalités d'association des partenaires sociaux à la gestion
des fonds dans l'entreprise et de représentation des salariés - on a bien senti
que ce débat n'était pas tranché - d'un horizon de placement suffisamment
large, du court au long terme, pour répondre aux besoins et aux demandes des
salariés, qui peuvent être divers, et enfin de règles d'investissement sûres et
répondant à l'objectif de renforcement des fonds propres des entreprises
françaises.
La mission menée par MM. Balligand et de Foucauld achèvera ses travaux d'ici à
janvier 2000 et formulera des propositions qui pourront alors trouver une
traduction législative dans la loi sur les nouvelles régulations
économiques.
Dans l'attente de la remise de ses conclusions, le Gouvernement ne peut
qu'être défavorable à la proposition de loi examinée aujourd'hui, dont la
discussion, que j'ai suivie avec la plus grande attention, a mis en évidence
quelques divergences de fond, de forme ou d'appréciation.
Cela étant, je vous remercie chaleureusement, mesdames, messieurs les
sénateurs, pour la qualité des débats et pour l'apport important qui a
aujourd'hui été le vôtre sur un sujet qui, effectivement, n'intéresse peut-être
pas encore assez les salariés de ce pays, lesquels connaissent peut-être moins
bien les avantages de l'actionnariat salarié que les apparentes incohérences
dont il a souffert jusqu'ici.
Nous avons à conduire non seulement une réflexion de fond sur l'actionnariat,
donc sur le capital, mais aussi une réflexion socio-économique pour comprendre
pourquoi, aujourd'hui, trop peu nombreux sont les salariés à répondre à des
possibilités qui pourtant, dans un certain nombre de cas, pourraient leur être
bénéfiques.
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Chérioux,
rapporteur.
Je voudrais, au terme de cette discussion générale qui a été
fort intéressant et extrêmement nourri, dire que, quelles que soient les
positions qui ont été prises, je suis très réconforté. En effet, depuis
vingt-cinq ans que je mène le combat pour la participation, c'est la première
fois que je constate sur toutes les travées de cette assemblée non pas un
accord, mais, en tout cas, une absence d'opposition systématique quant à l'idée
de participation. Je n'ai même observé, chez nos collègues de l'opposition
sénatoriale, qu'il s'agisse de M. Autain ou de M. Fischer, aucune opposition
fondamentale sur les propositions de la commission des affaires sociales
concernant l'actionnariat. En effet, ils ont tous deux parlé de tout, sauf de
l'actionnariat salarié !
Notre ami M. Autain a dit que nous faisions un amalgame. Je constate que, si
quelqu'un fait un amalgame, c'est lui et pas nous ! En effet, parlant des
conclusions de la commission des affaires sociales, il est parti dans des
digressions sur les plans d'épargne retraite, et j'ai cru me retrouver dans le
débat du 14 octobre dernier, alors que le Sénat était amené à voter un texte
sur ce point. C'était hors sujet, et le discours de M. Autain ne comportait, en
définitive, aucun argument contre l'actionnariat salarié.
Quant à M. Fischer, j'ai été heureux de l'entendre dire qu'il envisageait
d'être constructif sur ce point, même si cela ne se traduira pas aujourd'hui
dans les faits. C'est un progrès considérable par rapport à ce que je connais
depuis vingt-cinq ans, et cela m'a profondément réconforté.
Dans son propos, M. Fischer a parlé un peu de tout : des 35 heures, des
difficultés des chômeurs et de l'histoire de la participation, qu'il a
présentée un peu à sa façon. D'ailleurs, presque tous les arguments qu'il a
invoqués à l'appui de sa position négative visaient essentiellement la
participation, mais pas du tout l'actionnariat tel que proposé aujourd'hui.
Quant à Mme la secrétaire d'Etat, elle a émis, au fond, des observations fort
bienveillantes quant à notre proposition de loi. Certes, le Gouvernement
n'accepte pas de cautionner ce texte, et je n'en suis pas trop étonné dans la
mesure où il ne vient pas de lui. Le contraire eût été surprenant ! L'argument
invoqué est qu'une étude, qui débouchera sur des mesures de portée beaucoup
plus vaste, est en cours.
Néanmoins, cette attitude m'étonne quand même quelque peu dans la mesure où il
est possible de procéder par étapes et que, par ailleurs, une telle attitude
est en contradiction avec les positions fondamentales qui étaient celles du
Premier ministre. Je me souviens en effet avoir entendu ce dernier dire ceci, à
l'Assemblée nationale, le 19 juin 1997 : « Incarnation de la souveraineté
nationale, le Parlement doit pleinement exercer son rôle éminent au sein de nos
institutions. » Or, s'il est un domaine dans lequel le Parlement a une
responsabilité majeure, c'est bien celui du pouvoir législatif. Et alors qu'une
chambre du Parlement veut exercer ce dernier - d'ailleurs, des fenêtres
parlementaires ont été créées à cette fin - le Gouvernement s'insurge : c'est
lui qui veut être l'élément moteur et initiateur dans ce domaine législatif.
J'avoue que, d'un point de vue général, je suis un peu choqué.
Sur le plan particulier, je suis encore beaucoup plus étonné ! Vous avez bien
voulu reconnaître, madame la secrétaire d'Etat, qu'un pas était fait par
rapport au débat à l'Assemblée nationale dans la mesure où cette proposition de
loi reprenait des arguments qui y avaient été invoqués par le Gouvernement.
Ce n'est d'ailleurs pas du tout cette raison qui m'a amené à inscrire cette
disposition dans le texte. Ayant assisté aux travaux du conseil supérieur de la
participation, j'ai noté que c'était l'une des préoccupations des syndicats.
Estimant que l'actionnariat ne peut progresser que grâce à une démarche
contractuelle, j'ai introduit cette mesure.
Madame la secrétaire d'Etat, vous m'avez donné acte de cette avancée, à
laquelle vous vous êtes ensuite opposée. J'avoue avoir été étonné de votre
hostilité à la réservation obligatoire d'une part de l'augmentation du capital
au personnel, prévue dans le texte.
Les bras m'en tombent ! Que la droite de cette assemblée soit opposée à cette
disposition qui ne fera guère plaisir au MEDEF, on pourrait le comprendre !
Mais si l'on veut éviter une dilution du capital et développer l'actionnariat,
il faut prévoir une telle obligation pour que, à chaque augmentation de
capital, les salariés aient la faculté d'y souscrire. Je sais bien que les
entreprises peuvent toujours procéder à des augmentations de capital réservées,
mais l'un n'empêche pas l'autre. J'ai donc été étonné par cet argument, madame
la secrétaire d'Etat, de même que par votre propos sur les PME.
Comme vous l'avez reconnu vous-même, il ne se passe pas grand-chose dans les
PME. Certaines grandes PME, notamment dans le domaine de la distribution,
pratiquent tout de même la participation. La valeur des actions est alors
calculée chaque année avec toutes les garanties possibles et imaginables.
Dans la mesure où l'on veut susciter des acquisitions supplémentaires par les
salariés, il n'est à mon avis pas mauvais de prévoir une décote. En tout cas,
cela va dans le sens de ce que peuvent souhaiter les salariés. Ce système étant
avantageux pour ces derniers, je m'étonne donc que vous vous y opposiez.
Il semble que vous n'ayez pas très bien compris un autre point, madame la
secrétaire d'Etat. Vous avez évoqué la décote éventuelle de 50 %, sous
condition d'une conservation des titres pendant dix ans, prévue par le
texte.
Cette notion de décote est souvent mal comprise. Il ne s'agit pas de verser un
complément de rémunération par ce biais. On ne peut d'ailleurs pas considérer
qu'il s'agit d'un complément de rémunération dans la mesure où le poids n'est
pas supporté par l'entreprise : c'est un sacrifice réalisé par les actionnaires
et non par l'entreprise ; ce sont les actionnaires qui acceptent une diminution
de leurs avoirs à l'occasion d'une augmentation de capital ! Prévoir une décote
supplémentaire aboutit à augmenter la part que vont détenir les salariés avec
le montant d'argent qu'ils ont versé par rapport à ce qu'ils auraient été
amenés à verser s'ils avaient souscrit dans les mêmes conditions que les autres
actionnaires. Cela se fait au détriment des actionnaires et non des sociétés,
et ce n'est donc pas un complément de rémunération.
Surtout, cette décote se justifie par le fait que, dans le mécanisme du plan
d'épargne d'entreprise, on a toujours considéré qu'il n'était peut-être pas
souhaitable, comme le soutenait la CGT, de mettre tous les oeufs dans le même
panier et d'inciter systématiquement tous les salariés à détenir des actions de
leur société. Il existe en effet un risque accru par rapport à une gestion
diversifiée, et c'est pourquoi, en vue d'y faire face et de constituer en
quelque sorte une provision, est prévue une décote, qui doit être d'autant plus
forte que la détention des titres est plus longue.
L'idée est donc de faciliter l'investissement de l'épargne salariale dans les
actions par le biais de cette décote et de préserver, dans une certaine mesure,
les salariés des risques qu'ils prennent en souscrivant des actions. Cela va,
par conséquent, tout à fait dans le sens de ce que peuvent souhaiter les
salariés, c'est-à-dire prendre le minimum de risques.
D'autres arguments ont été invoqués, que nous retrouverons sans doute à
l'occasion de la discussion des articles. Mais, au bout du compte, je n'ai pas
été convaincu.
En réalité, madame la secrétaire d'Etat, vous voulez avoir votre réforme de
l'actionnariat salarié ; c'est votre droit. Mais le Sénat a aussi le droit
d'avoir sa propre conception de la réforme, d'autant qu'il a pour lui
l'antériorité dans la mesure où il a engagé cette opération au mois de mars
dernier, alors qu'il n'était question ni dans la presse ni même dans les
déclarations gouvernementales d'une réforme de l'actionnariat salarié.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
ACTIONNARIAT SALARIÉ
Article 1er