Séance du 9 mars 2000
DIVERSES MESURES EN FAVEUR
DES COLLECTIVITÉS FORESTIÈRES
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 249,
1999-2000) de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur :
- la proposition de loi organique (n° 172, 1999-2000) de MM. Claude Huriet,
Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, André Jourdain, François Abadie,
Louis Althapé, Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Philippe Arnaud, René Ballayer,
Denis Badré, Mme Janine Bardou, MM. Jacques Baudot, Michel Bécot, Georges
Berchet, Jean Bernard, Daniel Bernadet, Roger Besse, Maurice Blin, Louis Boyer,
Dominique Braye, Henri Le Breton, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de
Broissia, Robert Calmejane, Bernard Cazeau, Auguste Cazalet, Gérard César,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, Désiré Debavelaere, Jean Delaneau, Marcel
Deneux, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Doublet, Hubert Durand-Chastel,
Daniel Eckenspieller, Jean-Paul Emin, Michel Esneu, Hubert Falco, Jean Faure,
Bernard Fournier, Serge Franchis, Yann Gaillard, Jean-Claude Gaudin, Patrice
Gélard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Giraud, Daniel Goulet, Adrien
Gouteyron, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis,
MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert,
Jean-Paul Hugot, Jean-Jacques Hyest, Alain Joyandet, Gérard Larcher, Jacques
Legendre, Jean-François Le Grand, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Roland du
Luart, Jacques Machet, Kléber Malécot, Philippe Marini, Paul Masson, Serge
Mathieu, Michel Mercier, Louis Moinard, Aymeri de Montesquiou, Georges Mouly,
Bernard Murat, Philippe Nachbar, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Joseph
Ostermann, Jacques Oudin, Lylian Payet, Michel Pelchat, Jacques Pelletier,
Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Ladislas
Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin, Victor Reux, Jean-Jacques Robert, Philippe
Richert, Jean-Pierre Schosteck, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Louis Souvet,
Martial Taugourdeau, François Trucy, Jacques Valade, André Vallet, Xavier de
Villepin, Serge Vinçon, Guy Vissac et Hubert Haenel, tendant à accorder
temporairement aux communes la libre gestion des fonds disponibles provenant de
la vente de bois chablis après les tempêtes du mois de décembre 1999 ;
- la proposition de loi organique (n° 225, 1999-2000) de M. Philippe Nachbar,
Mme Janine Bardou, MM. Christian Bonnet, James Bordas, Louis Boyer, Jean-Claude
Carle, Jean Clouet, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean Delaneau, Ambroise
Dupont, Jean-Léonce Dupont, Jean-Paul Emin, Jean-Paul Emorine, Hubert Falco,
André Ferrand, René Garrec, Louis Grillot, Jean-François Humbert, Charles
Jolibois, Jean-Philippe Lachenaud, Serge Mathieu, Michel Pelchat, Jean Pépin,
Xavier Pintat, Bernard Plasait, Guy Poirieux, Ladislas Poniatowski, André
Pourny, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Charles Revet,
Henri Revol, Louis-Ferdinand de Rocca Serra et François Trucy, proposant des
mesures exceptionnelles pour les communes forestières à la suite de la tempête
de décembre 1999.
Dans la discusison générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les hasards du calendrier ont voulu que
le Sénat se penche sur la question des communes forestières victimes des
tempêtes au moment même où le Gouvernement s'apprête à rendre publique la
partie de son plan pour la forêt consacrée aux collectivités locales.
Le parallélisme du calendrier s'accompagne, je crois, d'un diagnostic commun :
les forêts des collectivités locales ont été décimées par la tempête qui a
frappé notre pays entre le 25 et le 29 décembre dernier.
Le volume des bois couchés ou tombés - les chablis - représente en moyenne
quatre fois la récolte d'une année. Selon l'ampleur des dommages, les chablis
représentent en général entre deux et dix années de coupe, d'entretien et
d'exploitation, et jusqu'à cinquante années dans certaines petites communes,
notamment de l'est de la France.
Dans ce contexte difficile, les collectivités forestières, notamment les
communes, sont confrontées à des difficultés considérables.
Dans l'immédiat, elles doivent à la fois ramasser les bois tombés ou cassés et
écouler une quantité de bois très supérieure à leur production habituelle. A
défaut de pouvoir tout vendre, elles doivent pouvoir stocker les chablis. Au
coût du stockage s'ajoute le manque à gagner résultant d'un effondrement des
cours dont l'ordre de grandeur est de 30 % à 40 %.
Dans l'immédiat également - et paradoxalement, en quelque sorte - la vente des
chablis va procurer aux collectivités forestières des recettes importantes,
supérieures à leurs recettes habituelles et à leurs besoins budgétaires. Les
collectivités devront gérer au mieux ce « pactole » afin de ne pas tout
dépenser la première année et d'essayer d'étaler dans le temps l'utilisation
des sommes ainsi amassées.
En effet, à moyen et à long terme, et jusqu'à la reconstitution de la forêt,
la destruction des arbres se traduira par la disparition des recettes provenant
d'exploitations forestières ; ces recettes représentent parfois jusqu'à plus de
30 % des recettes courantes des communes forestières, et leur disparition se
traduira par des déséquilibres budgétaires structurels.
Devant l'ampleur de ces dégâts, le Sénat a réagi rapidement. Dès le 11
janvier, le président de la commission des finances, M. Alain Lambert, et son
rapporteur général, M. Philippe Marini, formulaient des propositions dans un
communiqué. Le 19 janvier, une proposition de loi, signée de MM. Huriet,
Delevoye, Fourcade et de nombreux sénateurs siégeant sur presque toutes les
travées de la Haute Assemblée, était déposée ; elle était bientôt suivie par la
proposition de loi de M. Nachbar et des membres du groupe des Républicains et
Indépendants. Ce sont les conclusions du rapport de la commission des finances
sur ces deux textes dont nous allons discuter ce matin. Je dois présenter les
excuses de notre collègue, M. Huriet, retenu dans son département par une
visite de M. Glavany.
Les préconisations formulées par les sénateurs répondent à trois objectifs :
encourager l'investissement forestier et la reconstitution de la forêt ;
atténuer la chute des cours pour permettre aux communes de vendre leurs chablis
à un prix raisonnable ; permettre aux communes de gérer au mieux les recettes
exceptionnelles qui résulteront de la vente des chablis afin d'alimenter leurs
budgets successifs à mesure que les déséquilibres apparaîtront.
D'après ce que le Gouvernement a déclaré ces dernières semaines, notamment par
le biais d'une circulaire interministérielle en cours d'élaboration et relative
aux communes forestières, il partage notre diagnostic et nos objectifs. Nous ne
pouvons que nous en féliciter car nombre de ces actions relèvent clairement de
la compétence du pouvoir exécutif, alors que celle du législateur n'est pas
évidente.
Mme la secrétaire d'Etat exposera mieux que moi le contenu des mesures que le
Gouvernement entend mettre en oeuvre en faveur des commmunes forestières, mais,
à ce stade, il faut se féliciter que le Gouvernement ait pu mener une
négociation avec les établissements financiers qui a conduit à la mise en
place, par décret du 1er février, de prêts bonifiés, au taux de 1,5 %, en
faveur des exploitants forestiers. Ces prêts permettent de financer la sortie
des bois abattus par la tempête ainsi que leur stockage.
Le Gouvernement, notamment le ministre de l'intérieur s'exprimant à cette
tribune, a annoncé la mise en place d'autres prêts en faveur des communes et de
leurs établissements publics qui accepteront de geler leurs coupes ou la vente
des coupes réalisées, de manière à réduire l'offre disponible et donc à
assainir le marché.
Dans un registre différent, plusieurs membres du Gouvernement ont annoncé que
les communes forestières sinistrées pourraient bénéficier de subventions de
fonctionnement lorsque la perte des ressources issues de l'exploitation
forestière conduirait à des déséquilibres budgétaires significatifs.
Cette initiative du Gouvernement est très positive, car seul le pouvoir
exécutif peut prendre des mesures qui accroissent les charges de l'Etat : c'est
l'application stricte de l'article 40 de la Constitution. En revanche, il
appartient au Parlement de veiller à ce que cette initiative ne reste pas une
simple déclaration d'intention.
C'est pourquoi, madame la secrétaire d'Etat, je souhaiterais que vous puissiez
nous préciser aujourd'hui dans quelles conditions les communes sinistrées
pourront bénéficier de telles subventions, comment elles seront calculées, qui
les attribuera, pendant quelle durée, notamment.
Nous estimons, quant à nous, que le préjudice enregistré par les communes
forestières doit faire l'objet d'évaluations approfondies et incontestables.
C'est pourquoi nous proposons, à l'article 5 de la proposition de loi dont
nous discutons, la mise en place de commissions départementales chargées de
faire l'inventaire des dégâts et d'en calculer les conséquences financières.
Nous souhaitons que les collectivités locales soient pleinement associées à cet
exercice.
Les subventions de fonctionnement permettront d'atténuer les déséquilibres
budgétaires des collectivités forestières, mais elles ne les résoudront pas
entièrement.
C'est pourquoi, pour compléter l'action du Gouvernement dans ce domaine, nous
proposons également, à l'article 3 de la proposition de loi, d'autoriser les
collectivités locales à inscrire en section de fonctionnement de leur budget
les attributions qu'elles reçoivent du fonds de compensation de la taxe sur la
valeur ajoutée, le FCTVA, lorsque ces attributions correspondent à des
investissements de reconstitution des forêts sinistrées.
Nous estimons que cette entorse aux règles d'imputation comptable des recettes
du FCTVA se justifie par l'ampleur des difficultés budgétaires que les communes
forestières rencontreront dans les années à venir. De plus, la portée limitée,
en termes de masse financière, de la mesure ne nous semble pas de nature à
détourner le FCTVA de sa vocation de soutien à l'investissement local puisque
l'assiette du fonds n'est pas étendue aux dépenses de fonctionnement.
Quoi qu'il en soit, au-delà des subventions et de l'assouplissement des règles
comptables, il nous semble que le meilleur moyen de remédier aux déséquilibres
budgétaires des collectivités forestières est d'encourager la relance de
l'économie forestière.
Notre proposition de loi comprend à cet effet deux dispositions qui reprennent
des suggestions formulées dès le 11 janvier dernier par M. le président de la
commission des finances et par M. le rapporteur général et qui ont été par la
suite reprises par le Gouvernement.
Il s'agit tout d'abord de l'application du taux réduit de TVA de 5,5 % à
l'ensemble des travaux forestiers et de sylviculture, qui a été jugée
eurocompatible par la Commission européenne. Cette disposition bénéficiera non
seulement aux collectivités locales, mais à l'ensemble du secteur forestier.
Il s'agit ensuite d'étendre le régime de remboursement du FCTVA concernant les
dépenses réelles d'équipement relatives à l'exercice en cours applicable aux
communautés de communes et aux communautés d'agglomération, non seulement aux
communes forestières, mais également à l'ensemble des collectivités victimes de
la tempête et des inondations du mois de novembre 1999.
Ces deux dispositions présentent un caractère relativement consensuel puisque
le Gouvernement a déjà fait savoir à plusieurs reprises qu'il comptait les
introduire dans le collectif budgétaire du printemps. Nous nous contentons donc
de « devancer l'appel » avec cette proposition de loi.
Avant d'en finir, je voudrais évoquer un point sur lequel les convergences
avec la Gouvernement risquent d'être un peu moins évidentes.
De quoi s'agit-il ?
Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, la vente des chablis va procurer aux
collectivités forestières des recettes importantes et exceptionnelles. Ces
recettes ne constituent pas une divine surprise ; c'est plutôt la perception
anticipée de recettes qui auraient dû intervenir au cours des années
suivantes.
Ces sommes constituent donc des « disponibilités », que les collectivités
locales doivent, comme le prévoit l'article 15 de l'ordonnance portant loi
organique du 2 janvier 1959, déposer au Trésor. Ces dépôts, il faut le
rappeler, ne sont pas rémunérés.
Les recettes provenant de la vente des chablis seront naturellement inférieurs
à ce que les collectivités auraient tiré de la vente de la même quantité de
bois si la tempête n'était pas intervenue. Il y aura donc un manque à gagner,
même s'il y a des recettes exceptionnelles.
Pour éviter un second manque à gagner, les fonds provenant de la vente des
chablis doivent pouvoir être placés plutôt que de « dormir » dans un compte non
rémunéré au Trésor public.
Jusqu'ici, notre analyse rejoint celle du Gouvernement. En effet, celui-ci
envisage, comme nous l'a indiqué le ministre de l'intérieur, d'autoriser les
collectivités locales à effectuer des placements en bons du Trésor, quitte à
inventer des coupures plus petites que celles qui sont normalement pratiquées
dans ce domaine. De cette manière, les fonds provenant de la vente des chablis
rapporteraient un intérêt aux collectivités locales, tout en restant dans le
réseau du Trésor public, ce qui permettrait d'assurer la liquidité permanente
de ce réseau selon la doctrine classique des années trente des finances
publiques.
C'est ici que nous divergeons quelque peu. En effet, le ministre des finances
peut décider des dérogations à l'obligation de dépôt des fonds libres au
Trésor, et autoriser les collectivités locales à réaliser des placements. Mais
il a également la faculté de les autoriser à se tourner vers le secteur
financier et à acheter des titres cotés ou tout autre produit financier.
Une dérogation de nature comparable existe déjà et, compte tenu du caractère
particulièrement exceptionnel de la destruction du patrimoine d'une
collectivité locale par une calamité naturelle, il nous semble que la mise en
place d'une autre dérogation pour les fonds provenant d'une telle perte de
patrimoine ne serait pas de nature à remettre en cause le principe général des
dépôts au Trésor des fonds libres. Le ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie pourrait donc décider, sans qu'une modification législative soit
nécessaire, de permettre aux collectivités locales de placer des fonds
provenant de la vente des chablis en dehors du réseau du Trésor. Mais je ne
suis pas sûr qu'il le souhaite vraiment !
(Sourires.)
C'est pourquoi nous sommes conduits à proposer une modification de l'article
15 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances. J'ai bien
conscience de ce que peut représenter une réforme de cette ordonnance, si l'on
considère que c'est probablement, de nos textes institutionnels - puisque cette
loi organique fait partie du corpus constitutionnel - le seul qui n'a pas été
modifié depuis la mise en place de la Constitution de 1958. Alors que nous
avons pris, ces dernières années, l'habitude d'aller au moins deux fois par an
à Versailles pour modifier la Constitution, jamais encore nous n'avons touché à
l'ordonnance du 2 janvier 1959, ce qui montre bien où se trouvent les
véritables règles d'organisation de nos pouvoirs publics sous la Ve
République.
Faut-il aujourd'hui modifier cette ordonnance à propos des ventes de chablis ?
En posant ainsi cette question, madame la secrétaire d'Etat, je facilite votre
tâche, puisque vous ne manquerez pas de me répondre sur ce point dans quelques
instants !
(Sourires.)
Faut-il transformer cette ordonnance en une sorte de statue de bois doré
que nous irions tous régulièrement adorer sans jamais revenir sur son texte !
(Nouveaux sourires.)
C'est peut-être un peu excessif et, sans porter
atteinte à l'ordonnance, on peut sans doute entrouvrir la porte.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Pour l'ouvrir toute grande ensuite !
M. Michel Mercier,
rapporteur.
C'est ce à quoi nous vous invitons, madame la secrétaire
d'Etat. Force est en effet de constater que cette obligation de dépôt au Trésor
des fonds libres des collectivités locales, qui est un des fondements de nos
finances publiques - Gaston Jèze l'a dit fort bien dans les années trente et
Bloch-Lainé dans son ouvrage consacré au mouvement général des fonds l'a écrit
excellemment - est de moins en moins appliquée. Les grandes collectivités
locales ont trouvé, avec les moyens que leur offre aujourd'hui le marché
financier pour la gestion de leur trésorerie, la possibilité d'échapper en
pratique à cette obligation de dépôt des fonds au Trésor.
Seules les petites collectivités, qui n'ont ni des moyens financiers
importants ni de grandes capacités d'ingénierie financière, sont tenues, en
fait, de respecter cette règle.
Je sais bien qu'il ne faut pas faire de grande réforme au détour d'un problème
particulier. Je souhaiterais néanmoins que, sur ce point aussi, vous nous
disiez clairement, madame la secrétaire d'Etat - même si la période ne s'y
prête guère, je le conçois bien - comment vous voyez dans l'avenir les
relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
En effet, il est toujours difficile, lorsque vous placez votre argent dans un
établissement, de devoir demander à votre voisin de vous aider parce que votre
banquier - c'est un banquier obligatoire qui s'appelle le Trésor - refuse
toujours de vous accorder des avances.
Pour toutes ces raisons, et surtout parce que l'ampleur des dommages subis par
les collectivités forestières appelle des réponses rapides et adaptées, la
commission des finances a adopté la présente proposition de loi dans les
conclusions qu'elle soumet maintenant à votre délibération.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà
quelques semaines, le 9 février dernier, notre assemblée débattait des
conséquences de la tempête du mois de décembre. Intervenant lors de ce débat,
j'avais à la fois dressé le bilan de la situation des communes forestières et
de la filière bois en France et présenté quelques propositions que j'ai tenu,
avec les membres du groupe des Républicains et Indépendants, à reprendre dans
la proposition de loi qui est débattue ce matin.
J'avais indiqué alors que le temps du bilan était venu. Sans reprendre les
chiffres que j'avais détaillés devant la Haute Assemblée, j'en citerai
quelques-uns pour montrer l'ampleur des difficultés que connaît aujourd'hui la
filière bois.
La forêt française a en effet perdu 115 millions de mètres cubes à ce jour,
c'est-à-dire plus de 310 millions d'arbres. J'ajoute, puisqu'on ne parle bien
que de ce que l'on connaît bien, que mon département, la Meurthe-et-Moselle, a
perdu 8 millions de mètres cubes, soit l'équivalent de dix années de
production.
Les conséquences de cette situation sont évidemment très lourdes pour
l'environnement - je n'y reviendrai pas - et pour la filière bois sur le plan
économique. Je n'oublie pas en effet, même si l'objet de notre débat
d'aujourd'hui est la situation des communes forestières, qu'il y a aussi des
professionnels qui vivent de la forêt et qui sont en grande difficulté.
Les conséquences de la tempête vont également peser très durablement sur le
budget des communes forestières qui se voient confrontées à d'immenses
difficultés tant à court qu'à moyen et à long terme.
A court terme - nous débattons de ce sujet depuis quasiment le lendemain de la
tempête du 26 décembre 1999 - les communes sont toujours confrontées à un
double problème. D'une part, il leur faut dégager les routes permettant
d'accéder aux massifs forestiers. Or, il faut le savoir, aujourd'hui, dans
l'est de la France, un certain nombre de massifs ne sont toujours pas
accessibles parce que les communes, faute de moyens tant financiers que
techniques, ne sont pas venu à bout de l'immense quantité de bois qui obstrue
les voies. D'autre part, il leur faut assurer la récolte et le stockage des
bois, et ce dans l'urgence pour certaines essences qui, nous le savons
aujourd'hui, ne peuvent se conserver très longtemps lorsqu'elles sont à
terre.
A moyen et à long terme, un autre problème s'ajoutera, dont nous mesurons
aujourd'hui les conséquences : la chute des cours du bois.
Nous avions espéré, à la fin du mois de décembre 1999 et au début du mois de
janvier 2000, que les bois chablis se vendraient dans des conditions
convenables. Nous savons aujourd'hui que ce n'est pas le cas. L'ONF le constate
jour après jour, puisqu'il est parfois obligé d'annuler des ventes publiques
organisées pour vendre les bois des forêts endommagées.
Nous constatons aujourd'hui que les cours s'effondrent, que certains essences
prestigieuses se vendent à 15 %, voire à 25 % du prix normal. Ces chiffres, je
les ai obtenus hier, par téléphone, auprès de communes qui vendent des essences
très recherchées comme l'alisier et le sycomore.
Par ailleurs, nous savons désormais que ce phénomène s'inscrit dans la durée.
Une partie des bois tombés restera à jamais dans la forêt et sera par
conséquent perdue. Il est, bien sûr, impossible d'évaluer aujourd'hui les
pertes, mais je crains qu'elles ne soient tout à fait considérables.
Enfin, à plus long terme encore, les conséquences de la tempête seront
particulièrement lourdes sur les budgets communaux.
A titre d'exemple, toujours en Meurthe-et-Moselle où les forêts publiques
communales représentent 163 000 hectares, 90 000 hectares sont à terre ou
gravement endommagés.
Certaines forêts communales, notamment de feuillus malheureusement, sont
détruites à 90 %. Cela signifie que, pour trente, quarante, voire cinquante
ans, les communes propriétaires de ces forêts ont perdu l'essentiel de leur
ressource forestière, laquelle représentait parfois jusqu'à 40 % du montant de
leur budget. C'est d'autant plus grave que ces communes vont devoir remettre en
état leurs routes et régénérer leurs forêts.
L'effort d'investissement de ces communes va se trouver compromis par une
telle situation, avec toutes les conséquences qui s'ensuivront pour les
secteurs d'activité, notamment pour le bâtiment et les travaux publics. C'est
la raison pour laquelle j'avais suggéré, voilà quelques semaines, devant le
ministre de l'intérieur et le ministre de l'agriculture qui participaient à
notre débat sur les conséquences de la tempête, un certain nombre de mesures
que j'ai tenu, avec l'ensemble de mon groupe, à reprendre dans le texte que
nous examinons aujourd'hui.
Elles s'articulent autour de trois idées que notre rapporteur vient d'évoquer
d'une manière excellente. C'est la raison pour laquelle je me contenterai d'en
rappeler les principes.
La première disposition consiste, par dérogation à l'ordonnance organique de
1959, à autoriser les communes à placer les fonds qu'elles vont retirer de la
vente des chablis. Certaines communes vont enregistrer des gains qui pourront
paraître importants. Mais cette augmentation des recettes est illusoire,
puisque, en fait, elle traduit une perte très lourde, voire quasi totale, de la
ressource.
Il importe donc que les communes puissent gérer les fonds au mieux. Or je
crois que l'on peut faire confiance aux élus, aux maires adjoints et aux
conseillers municipaux pour qu'aucune décision imprudente ne soit prise
concernant la gestion de ces fonds.
La deuxième idée vise, afin d'encourager l'investissement forestier, à déroger
aux règles prévalant en matière de fonds de compensation pour la TVA.
Dans un premier temps, j'avais envisagé d'en étendre l'application. Le
rapporteur et la commission des finances ont choisi une voie que j'approuve
entièrement, consistant à la fois à accélérer le versement de la TVA, à
modifier les règles d'imputation des travaux forestiers et à en réduire à 5,5 %
le taux, ce que le Gouvernement avait déjà annoncé et dont je ne peux que le
complimenter.
Enfin, puisque la concertation s'est opérée dès le lendemain de la tempête
entre les services de l'Etat et les élus, il me paraît important de mettre en
place, dans chaque département forestier concerné, une commission associant à
parité les services de l'Etat et les élus. La collaboration entre les services
préfectoraux, l'ONF et les communes a été exemplaire ; il convient, par
conséquent, de l'institutionnaliser. Cette commission aurait pour mission et de
faire l'inventaire du préjudice financier subi par les communes et d'informer
le Gouvernement de ce qui serait nécessaire pour remédier à ces situations.
Voilà, très simplement résumés, les trois axes du texte que mon groupe et
moi-même avons déposé. Ces mesures dérogent au droit commun, comme l'a dit
notre rapporteur. C'est d'ailleurs avec émotion que je l'ai entendu évoquer
celui que, dans une maison proche d'ici, mes professeurs présentaient comme le
pape des finances publiques. Je n'aurais jamais pensé que Gaston Jèze serait
cité dans ce débat !
Je sais que ces mesures dérogent au droit commun, aux règles de base des
finances publiques. Mais, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles
!
Les communes forestières sont en droit aujourd'hui, et leur exigence grandit
jour après jour en raison de l'ampleur de leurs difficultés et de
l'instatisfaction que font naître les mesures qui sont prises, de dire qu'après
le temps de l'émotion est venu le temps de la solidarité.
Tels sont, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les objectifs et les idées qui sous-tendent la proposition de loi
que mon groupe et moi-même avons déposée et que nous examinons aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
grande tempête du xxe siècle entraîne des dégâts qui s'affirment dans tous les
secteurs de la vie sociale et économique, pour aujourd'hui mais aussi pour une
bonne partie du début du nouveau siècle, et les chiffres sont
impressionnants.
C'est ainsi que l'EDF estime le coût global de la tempête à 10 milliards de
francs, avec 10 000 kilomètres de lignes réparées d'urgence et devant être
consolidées. Par ailleurs, la SNCF évalue à 500 millions de francs les
réparations des lignes, des voies et des bâtiments. Enfin, le million de
déclarations de sinistres sera dépassé.
La forêt et l'agriculture sont les victimes principales de cette
catastrophe.
En Bretagne, mais aussi en Meurthe-et-Moselle, des centaines de milliers de
litres de lait ont été jetés.
En Dordogne, de nombreuses plantations de noyers sont détruites.
Dans le Sud-Ouest, pruniers et fraisiculture ont subi de lourds dégâts, le
maraîchage aussi. Des élevages de volailles ont été décimés. Que l'on considère
les abris tunnels pour l'aviculture ou les serres, c'est tout un outil de
production qui a été touché. Il faudra du temps pour le reconstruire. L'effort
national s'impose.
Aujourd'hui, nous parlons de la forêt, mais il ne faut pas oublier
l'agriculture, qui, elle aussi, a besoin d'un grand effort national.
Avant de reparler du bilan, il nous faut nous interroger sur notre
responsabilité. N'avons-nous pas rendu la forêt française plus vulnérable par
une politique que bien des forestiers ont du mal à comprendre ? Depuis des
dizaines d'années, nous pratiquons en effet une politique dommageable à notre
forêt.
Dans une recherche de profit immédiat, ne pratique-t-on pas, avec la coupe à
blanc, le raccourcissement des délais pour de nouvelles coupes, la régénération
« table rase », une méthode rendant la forêt plus vulnérable aux ouragans et
aux tempêtes et compromettant son développement ?
Où sont passés la régénération naturelle, les dégagements de semis qui
protégent et valorisent le développement des essences, la régénération
protectrice et fondée sur une vie naturelle des arbres ?
Il ne faut pas oublier non plus que l'augmentation des émissions de dioxyde de
carbone résulte en premier lieu de la combustion des énergies fossiles. Mais
elle se fonde aussi sur le recul de la forêt, qui joue le rôle d'absorbateur de
dioxyde de carbone. La forêt est en effet un facteur de l'équilibre écologique
de la planète.
Toujours dans une recherche de profit immédiat, n'a-t-on pas affaibli les
forêts ancestrales de feuillus en replantants des résineux en plaine, là où la
nature ne les aurait jamais admis ? Des résineux ont été plantés de façon
inadaptée, ce qui les rend plus vulnérables aux assauts du vent. Evidemment, un
chêne a besoin du siècle pour être un très bel arbre, alors qu'un résineux, il
suffit d'attendre vingt ans pour le couper. Mais quelle différence, les
essences de résineux en plaine ne donnant qu'un bois de qualité plus que
médiocre !
Il faudra réfléchir avant de lancer la nouvelle stratégie forestière. Il
n'existe plus de forêt primaire sur le territoire national, sauf peut-être en
Corse. Notre forêt exige des interventions plus intelligentes.
Le rapport Bianco prévoit un développement de la ressource et de l'emploi,
soit plus de 6 millions de mètres cubes de bois et plus de 100 000 emplois.
La prochaine loi forestière nous permettra de donner un avis à ce propos. En
attendant, la forêt française a souffert à un point tel que, dans bien des
régions, il faudra du temps pour la relever.
Le bilan fait apparaître 27 603 000 mètres cubes de chablis pour les forêts de
collectivités. Les régions les plus touchées sont, par ordre décroissant en
valeur absolue : la Lorraine avec 13,4 millions de mètres cubes de chablis,
l'Alsace avec 3,8 millions de mètres cubes, la Champagne-Ardenne avec 3,49
millions de mètres cubes, la Franche-Comté avec 2,27 millions de mètres cubes
et l'Auvergne avec 1,067 million de mètres cubes.
En valeur relative, c'est le Poitou-Charentes qui a le plus fort pourcentage
de chablis en 1999 par rapport à la récolte de 1998 avec 25,44 %, suivi du
Limousin avec 9,90 %, de Champagne-Ardenne avec 9,63 %, de l'Ile-de-France avec
9,09 %, de la Lorraine avec 9,01 %, de la Haute-Normandie avec 6,22 % et de
l'Auvergne avec 5,04 %.
Ce ne sont pas seulement 11 000 communes forestières qui sont touchées. Les
parcs et les bois des grandes agglomérations - je pense à ceux de Paris et de
nos banlieues - sont également concernés.
En entendant défiler ces chiffres et pourcentages, n'est-ce pas l'ensemble de
la forêt française qui est touché ?
Notre inquiétude est grande. Les populations et élus des communes forestières
s'interrogent : comment faire ?
Après les intempéries, le ministre de l'agriculture a publié une brochure que
nous ne pouvons qu'approuver et qui s'intitule :
Gérer l'urgence,
sauvegarder le patrimoine, préparer l'avenir. Quelles mesures pour les communes
forestières ?
Je partage tout à fait l'analyse de M. le ministre. Trois objectifs majeurs
sont définis : assurer la mobilisation des bois, permettre le stockage et
favoriser la valorisation des bois, organiser la reconstitution des écosystèmes
forestiers ; je les approuve.
Le Gouvernement a pris des premières mesures financières pour s'engager dans
cette voie. Ses engagements portent déjà sur plus de 2 milliards de francs pour
l'exercice 2000, auxquels s'ajoute la mise en place d'une enveloppe de prêts
bonifiés de 12 milliards de francs. Ces crédits sont complétés par le
recrutement de 250 agents forestiers et l'appel « au bois » de 200 ingénieurs
et techniciens sous les drapeaux. Des aides immédiates ont été accordées pour
le déblaiement des voies forestières et des emprunts assortis d'un faible taux
d'intérêt ont été mis à disposition.
Mais, madame la secrétaire d'Etat, ces mesures sont-elles suffisantes pour
aider les communes forestières qui tirent de la forêt de 40 % à 60 % de leurs
revenus nets ? Nous ne le pensons pas.
Ces communes ont à équilibrer leur budget. Tous les bois touchés ne sont pas
exploitables : près de 30 % seront en effet impropres à la vente. La recherche
du profit en tout genre va conduire à l'affaiblissement des cours. La
conservation des bois de qualité nécessite des investissements importants.
Certaines communes vont être contraintes à vendre, sans attendre, ce qui
représente habituellement de six à sept années de récoltes. Des arbres vont
encore tomber. Les bilans définitifs seront établis en avril et en mai.
Le groupe communiste républicain et citoyen est donc conduit à s'exprimer sur
la proposition de loi rapportée par notre collègue de la commission des
finances, Michel Mercier. Nous ne pouvons qu'approuver l'article 2 prévoyant
que les dépenses réelles à prendre en compte pour le FCTVA seront celles de
l'exercice en cours lorsqu'elles portent sur les dommages dus aux inondations
et à la tempête.
L'article 3 permet l'inscription à la section de fonctionnement du budget de
la commune des attributions du fonds correspondant à des dépenses
d'investissement pour reconstitution de forêts sinistrées.
L'article 4 complète l'article 279 du code général des impôts permettant la
réduction du taux de TVA pour les travaux de sylviculture et d'exploitation de
forêts.
L'article 5 prévoit la constitution d'une commission paritaire, Etat et
collectivités territoriales, pour déterminer le montant d'une subvention
d'équilibre annuelle pour aider chaque commune à reconstituer la ressource
financière.
On peut cependant s'interroger sur l'orientation du travail de ces
commissions. En effet, il ne semble pas nécessairement souhaitable que soit
institué un principe d'équilibre automatique sans contrepartie résidant, par
exemple, dans le maintien de la vocation forestière des terrains boisés et
frappés par la tempête.
Il s'agit donc là de mesures équilibrées, efficaces et susceptibles de
permettre aux communes forestières de résoudre un problème local d'équilibre
budgétaire et un problème national de valorisation de nos richesses
forestières.
En commission des finances, j'ai émis un vote positif sur ces articles. Je
pense que, de son côté, le Gouvernement les approuve, si j'en juge par le
contenu des mesures déjà prévues par lui.
Pourquoi, mes chers collègues de la commission des finances, faire émerger un
problème qui n'a alors plus rien à voir avec la tempête ?
L'article 1er que vous proposez est à l'image de la tempête forestière : il
constitue une véritable bourrasque financière que nous ne pouvons accepter,
même si, les besoins des communes concernées rapportés au nombre des communes
touchées, les sommes en jeu ne dépassent pas, dans de nombreux cas, le million
de francs.
Si le Sénat - le Gouvernement donnant son accord - adoptait le principe de
l'article 1er - ce que je ne pense pas - les collectivités locales pourraient
alors déposer leurs disponibilités ailleurs qu'au Trésor public. L'argent
public « pur » serait transformé en argent public « de profit ». Vous comprenez
bien, chers collègues, que nous entrons alors dans un monde financier nouveau
car, très vite, de la forêt, nous passerions à tous les secteurs de la vie
économique.
Votre proposition, monsieur le rapporteur, est aussi tempête, car elle ouvre
un champ nouveau de dispersion de l'argent public et de rentabilité de
celui-ci. En ce sens, elle répond pleinement aux souhaits des établissements
bancaires privés, qui souhaitent, grâce au relâchement de quelques principes
républicains budgétaires et comptables relatifs aux collectivités locales,
faire main basse sur des mouvements financiers nouveaux issus des budgets des
collectivités locales.
Nous avons combattu l'ordonnance du 2 janvier 1959. Mais, lorsque dans
l'article 15 de cette ordonnance relative aux lois de finances, il est précisé
que : « Les collectivités territoriales de la République et les établissements
publics sont tenus de déposer au Trésor toutes leurs disponibilités », nous ne
pouvons, comme républicains, que partager ce choix politique - jacobin
peut-être - qui place au-dessus de l'argent producteur d'argent l'argent valeur
publique respectée, utilisée pour le bien de tous.
Si nous dérogions à cet article 15 de l'ordonnance, un champ nouveau se
dessinerait et, au-delà des circonstances exceptionnelles de tempête, les
exceptions se multiplieraient et l'argent des communes pourrait alimenter la
spéculation, avec toutes les conséquences des dérives prévisibles, et les élus
auraient constamment la tentation de répondre à des propositions axées sur la
rentabilité.
Quant à la question du rendement du placement des sommes déposées par les
collectivités locales, on peut souligner que les dernières émissions
d'obligations assimilables du Trésor portent aujourd'hui un intérêt de 3 % à 4
%, résultant d'ailleurs du mouvement de baisse des taux que nous avons noté en
1998 et en 1999, tandis que la dette publique est grevée d'un taux moyen de
5,58 %.
Une dernière question se pose : comment motivez-vous votre proposition ?
Première motivation : le placement des bons du Trésor représenterait une
faible rentabilité. Peut-être ! Mais allez-vous souhaiter la hausse des taux
d'intérêt, le retour de l'inflation et l'aggravation des déficits publics ?
(M. le rapporteur rit.)
J'en serais étonnée, compte tenu des
propositions que je vous entends bien souvent faire en commission des
finances.
Seconde motivation : une telle possibilité permettrait à certaines banques de
renforcer leur réseau d'implantation et de prendre pied sur le marché des
collectivités locales.
Ces deux motivations ne sont pas acceptables. Les communes n'ont pas encore
été trop gangrenées par l'argent-roi - en l'espèce, il s'agit d'un faible
argent-roi -...
M. Michel Mercier,
rapporteur.
Cela ne risque pas de leur arriver, compte tenu de ce que
vous leur accordez comme dotations !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... mais, une fois la brèche ouverte, quelles en seraient les conséquences,
monsieur le rapporteur ? Ces remarques nous conduisent à penser qu'un tel texte
pourrait faire l'objet d'un consensus dont bénéficieraient les 11 000 communes
forestières françaises et la forêt. Mais l'article 1er vient tout gâcher. S'il
devait être maintenu en l'état, nous nous verrions contraints, avec beaucoup de
regret, d'émettre un vote négatif. La forêt est noble. Elle doit être
respectée, non seulement pour s'embellir, mais aussi pour survivre. De la
forêt, l'homme a besoin et, comme l'affirmait saint Bernard, n'apprend-il pas
autant dans les bois que dans les livres ?
M. Michel Mercier,
rapporteur.
Voilà enfin une bonne référence !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Bravo pour la référence ultime !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme
vous le savez tous, les conséquences de la tempête du 26 décembre dernier sont
extrêmement lourdes pour les communes forestières. Le volume très important de
chablis nous place en effet dans une situation économique et financière
difficile, voire incertaine, car nous ignorons encore comment compenser les
pertes des prochaines années. L'initiative de mes collègues Claude Huriet et
Philippe Nachbar me semble à cet égard tout à fait excellente, et je souscris
pleinement à leurs propositions de loi respectives.
Je veux souligner l'importance que revêt pour les communes forestières la
possibilité de placer le produit des ventes de chablis hors des bons du Trésor.
En effet, nous allons vendre cette année le double, le triple - voire vingt
fois plus parfois pour certaines communes - de ce que nous aurions dû vendre
chaque année. En revanche, nous vendrons très peu ou rien les trois, quatre,
cinq ou vingt prochaines années. Cela représentera à terme, bien entendu, un
manque à gagner considérable pour les communes forestières.
La possibilité - et non l'obligation - de réaliser des placements financiers
dans le secteur privé semble à cet égard une bonne solution pour réduire la
dépendance à la solidarité nationale et pouvoir sinon rééquilibrer les budgets
de nos communes - ce serait trop beau ! - du moins les améliorer. Les
intempéries exceptionnelles que nous avons subies à la fin de l'année 1999
justifient, me semble-t-il, une dérogation aux règles financières qui
s'imposent habituellement aux collectivités locales.
Je ne reviens pas sur ce qu'a dit excellement notre rapporteur Michel Mercier,
mais je voudrais citer, pour traduire le problème général que je viens
d'exposer, un exemple que je connais bien : celui de la commune de Sapois, dans
le Jura, dont je suis maire et qui a cette année - elle n'est pas l'une des
plus sinistrées, j'allais dire gangrenées, madame Beaudeau - 2 500 mètres cubes
de chablis.
Ce volume représente à peu près les ventes de cinq années, qui auraient
rapporté, bon an mal an, 200 000 francs par an, c'est-à-dire le quart du budget
de fonctionnement annuel de ma commune. Sur cinq ans, ces recettes se seraient
élevées à 1 000 000 francs. Or je viens de vendre, et j'ai eu beaucoup de
chance, 2 000 mètres cubes pour une recette nette de 380 000 francs. En
espérant vendre les derniers 500 mètres cubes au même prix, ma commune
percevrait une recette nette complémentaire de 70 000 à 80 000 francs. C'est
donc une recette globale de 450 000 francs que je percevrai cette année, mais
pour cinq ans. Je subirai donc une perte de 550 000 francs par rapport aux
recettes perçues en situation normale. Ce n'est pas négligeable pour une petite
commune de trois cents habitants.
Vous comprendrez, madame le secrétaire d'Etat, que je cherche à faire
fructifier le plus possible les 250 000 francs que je n'espérais pas en 2000
pour compenser un peu les pertes des années futures, en utilisant les
possibilités offertes par la proposition de loi de Claude Huriet que j'ai
cosignée.
J'avais d'ailleurs espéré que l'Etat instituerait un fonds de mutualisation,
qui aurait permis à ma commune de Sapois de transférer les 250 000 francs de
trop-perçu cette année à des communes qui ont accepté de geler leurs coupes,
c'est-à-dire de ne pas vendre leur bois cette année afin de ne pas envenimer la
crise. Mais, hélas ! rien de tel n'a été proposé, d'où mon souhait de placer
cet argent pour essayer de ne pas trop dépendre, à l'avenir, de la solidarité
nationale.
Je voudrais maintenant aborder un autre sujet : la création d'aires de
stockage pour conserver les bois par aspersion.
La communauté de communes que je préside va réaliser deux de ces aires afin
d'accueillir environ 50 000 mètres cubes de bois de qualité. Ces bois ne
viendront pas, ou peu, des communes membres de la communauté, car celles-ci ne
possèdent pas, hélas ! de bois à forte valeur. Ils viendront d'autres communes
du Haut-Jura qui ont subi des dégâts considérables, en termes de quantité,
certes, mais aussi de qualité, s'agissant en particulier des épicéas, essence
de grande valeur mais très sensible aux maladies, et qu'il faut d'urgence
préserver. Il en va de même des hêtres en ce qui concerne les feuillus.
Ces communes du Haut-Jura, riches en valeur forestière, n'ont pas suffisamment
de points d'eau pour assurer l'arrosage de leurs produits, d'où l'idée, pour
résoudre ce problème, de se tourner vers le territoire de ma communauté, au nom
prédestiné puisque composé des noms de deux rivières, l'Ain et l'Anguillon, par
conséquent un territoire riche en eau.
Par solidarité, nous avons donc accepté la création d'aires de stockage. Mais,
en ma qualité de futur maître d'ouvrage, je suis dans le flou le plus complet
tant au regard du taux définitif de subvention - on m'a parlé de 80 %, mais
cela n'a rien d'officiel - qu'au regard de la TVA.
D'après des informations toujours non officielles, ma communauté de communes
pourra être assujettie à la TVA au taux actuel de 20,6 %. Cela signifie que,
pour 1 000 000 francs de travaux hors taxe, je paierai 1 206 000 francs toutes
taxes comprises. Certes, je récupérerai les 206 000 francs de TVA, mais,
d'après les renseignements que j'ai pu obtenir, l'activité de telles zones
n'étant pas pérenne, je devrai restituer au bout de trois ans, en fin
d'activité de ces zones, 17/20 de ces 206 000 francs, c'est-à-dire 170 000
francs. Dans ce cas, il faudra bien que la communauté de communes inclue ces
170 000 francs dans le coût de facturation. Ce sont les services fiscaux de mon
département qui m'ont donné ces renseignements, lesquels ont été confirmés par
la préfecture.
Le coût à la charge des communes qui auront déposé leur bois va donc être
majoré. Ne serait-il pas possible, madame le secrétaire d'Etat, pour éviter
cela, de réduire à 5,5 %, comme cela vient d'être décidé pour d'autres
activités forestières, le taux de la TVA applicable aux travaux effectués sur
ces aires ? Tel est l'objet de l'amendement que j'ai déposé à l'article 4.
Enfin, je voudrais profiter de cette occasion pour rappeler les contraintes
d'organisation du travail dans les entreprises de première transformation du
bois. Certes, il ne s'agit pas, madame le secrétaire d'Etat, de votre domaine
de compétence. J'avais alerté Mme Aubry sur ce point en lui demandant si des
dérogations pouvaient être apportées à l'application de la loi sur les 35
heures compte tenu des circonstances, qui entraînent des durées de travail
importantes, supérieures à 35 heures. Je n'ai toujours pas de réponse alors que
la situation exige que des mesures soient prises très rapidement.
Telles sont, monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les observations d'un homme de terrain sur certains problèmes
forestiers liés à la tempête et sur les excellentes propositions de mes
collègues MM. Claude Huriet et Philipe Nachbar.
J'insiste sur l'extrême urgence qu'il y a à prendre des décisions, des
décisions claires, précises et réalistes. Il faut en effet mettre un terme à
une période d'attente qui n'a que trop duré, alors que l'arrivée des beaux
jours risque de favoriser le développement très rapide des maladies du bois. Ce
serait alors une nouvelle catastrophe, au plan tant écologique qu'économique.
Une suffit amplement !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
tiens d'abord à saluer l'excellente initiative de MM. Huriet, Delevoye,
Fourcade et Jourdain, ainsi que celle de M. Nachbar, qui, en déposant les
propositions de loi organique dont nous discutons aujourd'hui, ont montré, une
fois de plus, combien le Sénat était vigilant sur le rôle qui lui est confié à
l'article 24 de la Constitution, soucieux des difficultés rencontrées par les
collectivités locales, et qu'il restait le lieu privilégié de débat sur tout ce
qui concerne ces dernières.
C'est la capacité même de notre chambre à être une force de proposition
constructive que nous démontrons aujourd'hui par l'examen de ces textes. Leur
inscription à l'ordre du jour dans le cadre de la « fenêtre parlementaire »
témoigne du fort attachement des sénateurs aux problèmes quotidiens des
collectivités locales. C'est encore la démonstration que le réalisme et la
connaissance du terrain font la qualité du travail du législateur.
Certes, la Constitution encadre strictement l'initiative législative du
Parlement ; cependant, la discussion des textes qui arrivent devant nous
aujourd'hui va permettre de poser la question de la modernisation des relations
financières entre l'Etat et les collectivités locales, modernisation que chacun
trouve indispensable.
Le groupe du RPR s'est largement associé à cette initiative législative pour
plusieurs raisons, au premier rang desquelles l'urgence qui doit nécessairement
s'attacher à la prise en considération des conséquences des tempêtes du mois de
décembre 1999.
Le dispositif contenu dans les propositions de loi qui nous sont soumises me
semble répondre au triple impératif auquel les maires des communes forestières
sont confrontés, à savoir : assurer à moyen terme l'équilibre de leurs finances
publiques, maintenir la valorisation du patrimoine et veiller, à terme, au bon
entretien du domaine. Il n'est naturellement pas question de déroger
définitivement au principe fondateur des finances publiques, qui interdit le
placement des produits des propriétés domaniales sur la place privée. Il ne
s'agit nullement en effet de spéculer avec l'argent public. Il est seulement
question d'adapter notre droit financier aux évolutions qui se sont produites
dans les vingt dernières années.
Il s'agit en outre de prendre en compte les conséquences financières qui vont
résulter pour les communes des événements du mois de décembre.
Certes, face à l'obligation imprévue de la vente des bois, les communes
forestières vont disposer d'une manne financière qui, par son ampleur, va, dans
un premier temps, largement excéder leurs besoins habituels. Par ailleurs,
cette manne sera immédiatement disponible, mais sa valeur absolue sera
largement inférieure à celle qu'elle aurait pu être sur le long terme. En
effet, compte tenu de la chute des cours du bois, de la piètre qualité des
chablis et des lourdes charges dues au déblayage, la perte financière des
communes sera très importante.
L'obligation de placement des fonds disponibles des collectivités locales au
Trésor n'est donc pas remise en cause. Il convient simplement de constater que
la libre gestion temporaire des fonds provenant exclusivement de la vente de
ces chablis est de nature à atténuer les conséquences financières
catastrophiques de la tempête de décembre 1999. Elle constituerait par là même
une mesure de bonne administration, d'anticipation et de prévisibilité.
Il n'est plus à prouver que le marché privé est plus attractif que le Trésor.
Il existe toute une série de produits financiers à très faible risque mais très
rémunérateurs.
Cette considération est à prendre en compte dans la mesure où les fonds
disponibles des collectivités sont actuellement placés sans intérêt au Trésor
et que le risque encouru resterait mesuré du fait de la diversité des produits
offerts. Le fait pour les collectivités de pouvoir tirer un meilleur parti des
fruits de leur capital, largement endommagé, pourrait compenser en partie les
pertes enregistrées.
Le dispositif dont nous discutons n'est pas complètement révolutionnaire
puisque le ministre des finances est implicitement autorisé à déroger aux
règles de placement des fonds des collectivités par l'article 15 de
l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances du 2 janvier
1959. Il convient donc d'inviter M. le ministre à mettre en oeuvre les
prérogatives que le législateur a entendu lui conférer dès la mise en place de
notre Constitution.
D'autres mesures proposées par la commission, comme l'accélération du
versement des attributions du fonds de compensation de la taxe sur la valeur
ajoutée ou encore l'imputation des attributions du FCTVA en section
d'investissement dans le budget des collectivités sinistrées, de même que la
diminution du taux de TVA sur l'ensemble des travaux forestiers sont de nature
à encourager les travaux de réparation et de reconstitution de la forêt, tâche
à laquelle chacun doit s'atteler.
De même, la proposition qui consiste à associer les collectivités à
l'évaluation des conséquences financières des dommages qui ont été causés à
leur patrimoine permettra de resserrer les liens de confiance qui existent au
niveau local entre le représentant de l'Etat et les maires. L'inscription de ce
principe de participation va dans le bon sens et constituerait un gage pour les
élus locaux.
Cependant, les communes forestières ne sont pas les seules à souffrir des
conséquences de la tempête et mon propos serait incomplet si je n'évoquais pas
plus globalement la politique forestière qui a découlé de cet événement. M. le
rapporteur a lui-même pris acte de la nécessité d'élargir le débat : force est
de constater que, sur le terrain, l'administration n'a pas toujours été en
mesure de répondre aux interrogations des maires, et ce malgré l'extrême
disponibilité et la grande compétence des préfets et des agents, que je salue
ici.
Si les fonctionnaires disposaient effectivement de circulaires, ils n'avaient
pas toujours connaissance de l'articulation pratique ou juridique des
mécanismes proposés par le Gouvernement. Les choses ont donc été longues à se
mettre en place, beaucoup trop longues.
Les blocages administratifs ont été trop nombreux et ils le demeurent. Il y a
un décalage évident entre le terrain et la structure centrale.
Les déclarations de sinistre étant faites, peu d'éléments de réponse concrets
nous sont maintenant apportés. Le montant global des enveloppes allouées par
l'Etat nous est parfois avancé, sans que jamais un dispositif prévisionnel
précis ou un véritable plan de sauvetage de la forêt nous soit soumis, et ce
bien qu'il ait été annoncé ; et cela fera bientôt trois mois que la catastrophe
s'est produite !
Que constatons-nous aujourd'hui ?
Certes, le Gouvernement a annoncé le déblocage de plusieurs milliards de
francs à destination de la filière bois, mais, sur cette somme globale mise à
disposition des collectivités et des particuliers, ce sont essentiellement des
prêts à taux bonifiés qui sont proposés.
Pour bénéficier de ces prêts, les forestiers se voient exiger par les banques
des garanties qu'ils ne pourront pas apporter. Je soulignerai par ailleurs que,
dans un premier temps, ils ne connaissent pas encore les établissements
bancaires référents. Il existe donc une évidente inadéquation entre les moyens
mis en oeuvre et les objectifs visés.
Dans la somme de 1,2 milliard de francs effectivement mobilisée pour la forêt,
je déplore l'extrême complexité du morcellement des aides publiques : celle-ci
ne manque pas d'engendrer ces blocages administratifs que je soulignais à
l'instant et qui paralysent l'intégralité de la chaîne de subvention.
Il faut donc envisager de toute urgence des aides à l'exportation et un
soutien actif des cours du bois, mais aussi dégager un volet fiscal
volontariste pour alléger les charges non seulement des communes forestières,
mais aussi des entreprises de la filière et des propriétaires afin de leur
donner les moyens de reconstituer le patrimoine perdu.
Sur le plan local, on ne peut pas passer sous silence le fait que
l'intervention des conseils généraux et des conseils régionaux a le plus
souvent permis de répondre aux situations d'urgence : c'est une nouvelle
démonstration de l'intérêt du rapprochement de la prise de décision des
administrés.
A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. L'urgence
commande.
Les bois se détériorent, s'abîment ; les insectes vont les endommager ; de
réels risques d'incendie vont apparaître tant il est évident que toutes les
forêts ne seront pas dégagées avant l'été. Les feux, notamment dans le sud de
la France, sont considérés par tous comme inévitables.
Des champignons germent et endommagent les bois dans les Landes. Ailleurs,
c'est la pourriture qui menace. D'ores et déjà, 70 millions de mètres cubes de
bois sont perdus, soit la moitié des 140 millions de mètres cubes qui ont été
endommagés. Le manque à gagner pour les communes et les propriétaires privés va
être catastrophique.
Perte financière d'une part, problèmes juridiques, d'autre part : les élus
sont confrontés à de multiples difficultés.
En cas d'accident, leur responsabilité, celle des collectivités, ne manquera
pas d'être engagée sur la base du défaut d'entretien normal. Les tribunaux sont
parfois sévères : ils pourraient arguer de la prévisibilité des incidents.
Toutes ces interrogations sont le quotidien de nos collègues maires : ils nous
interpellent, nous devons les écouter.
Je ne peux, vous le comprendrez, manquer d'évoquer à la tribune de cette
assemblée la problématique spécifique du département de la Loire. Au-delà du
simple propos sur les communes forestières, dois-je vous dire combien je
déplore que le Gouvernement n'ait à aucun moment jugé souhaitable le classement
total ou partiel de notre département en zone de catastrophe naturelle ? « Cela
ne change rien » nous a-t-on assuré, mais, si cela ne change rien, pourquoi la
procédure existe-t-elle ?
Comment puis-je faire comprendre à mes collègues, maires ruraux de communes,
forestières ou non, que « cela ne change rien », alors qu'à une dizaine de
kilomètres de là, dans le Puy-de-Dôme, la commune voisine a, elle, été classée
en zone sinistrée, et que cela change tout, notamment quant à l'écoute des
compagnies d'assurance et à la diligence avec laquelle le dossier sera traité
par l'administration ?
Dans certaines communes de mon canton, le patrimoine forestier a été anéanti à
hauteur de 80 %. Je prendrai le seul exemple de Rozier-Côtes-d'Aurec, où 600
hectares de bois répartis en 2 500 parcelles concernant quelque 500
propriétaires ont été littéralement ravagés, soit 40 000 mètres cubes de bois
d'une valeur de 10 millions de francs sur lesquels une moins-value de l'ordre
de 50 % à 100 % va être enregistrée.
Il y a donc urgence pour le Gouvernement à mettre en place le véritable plan
pluriannuel de reconstitution de la forêt qu'il a annoncé et que demandent les
maires. Il doit en délimiter les orientations. C'est le but même de notre
discussion. N'oublions pas que la forêt qui a été ravagée est le leg de deux,
trois, voire quatre générations, et qu'il a fallu attendre la fin du xixe
siècle pour que la France se bâtisse un vrai patrimoine forestier.
Nous ne devons pas oublier non plus que le temps du droit n'est pas le temps
de la forêt. Il faut anticiper. Ce plan d'envergure est une urgence absolue. Il
doit être mis en place en direction des communes, bien sûr, mais pas uniquement
; il doit aussi viser les propriétaires privés, le plus souvent non assurés,
qui ont vu anéanties des années d'effort, qui ont vu détruit ce qu'ils avaient
reçu de leur famille.
La proposition de loi organique dont nous discutons aujourd'hui me semble
être un excellent point de départ pour le plan que je réclame au Gouvernement.
Mais elle ne peut à elle seule suffire à répondre à tous les besoins qui
s'expriment dans le domaine forestier. Elle y répondra simplement en ce qui
concerne le volet domanial des collectivités locales.
Je déplore le flou qui entoure les positions gouvernementales : c'est le
moment, pour le Gouvernement, de nous prouver non plus sa capacité à réagir,
mais sa capacité à anticiper !
Certes, la situation est exceptionnelle, nous l'avons dit, mais ce caractère
ne doit pas pour autant dispenser l'Etat de l'obligation qui lui incombe de
remplir l'intégralité de ses responsabilités.
En votant les conclusions que lui soumet la commission, le Sénat adresse un
message fort en direction des communes les plus touchées par la tempête ; il
donne aussi un signal au Gouvernement. Je forme le voeu que la proposition de
loi organique, dont l'initiative revient aux membres de la majorité
sénatoriale, soit largement adoptée et qu'elle reçoive, en dehors des clivages
traditionnels, l'accueil favorable et consensuel qu'elle mérite devant
l'Assemblée nationale.
Mes chers collègues, vous le voyez, les questions restent nombreuses, et,
au-delà du dispositif que nous allons adopter - dispositif largement inspiré
par la nécessité de bonne administration des fonds publics - c'est un ensemble
de réponses que nous attendons du Gouvernement.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
En vous saluant respectueusement, je vous donne la parole, madame le
secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous
avez, à travers cette proposition de loi, soulevé un véritable problème, qui
touche l'ensemble de nos communes forestières dévastées par les tempêtes de la
fin de l'année 1999.
Ce sont environ 115 millions de mètres cubes de bois, correspondant à 110
millions d'arbres, 27 millions de mètres cubes de chablis, représentant
plusieurs années d'exploitation de la forêt française, qui ont ainsi
disparu.
Face à cette situation, le Gouvernement a immédiatement réagi et a apporté des
réponses aux situations très difficiles qu'elle a créées.
La forêt, mesdames, messieurs les sénateurs, est un facteur d'équilibre de la
planète, comme l'a fort bien rappelé Mme Beaudeau. C'est aussi un facteur
d'équilibre pour notre pays, qui a une grande tradition forestière.
Toutefois, le texte que le Sénat s'apprête à adopter ne me paraît pas adapté,
et cela pour au moins deux raisons principales.
D'abord, il traite de questions auxquelles le Gouvernement a déjà apporté, ou
est en train d'apporter des réponses. Il fait en effet de l'aide aux communes
forestières une de ses priorités essentielles ; or, comme vous le savez, un
plan national d'action en faveur de la forêt française a été adopté.
Ce programme spécifique comporte trois axes majeurs : tout d'abord, assurer la
mobilisation des bois ; ensuite, permettre le stockage et favoriser la
valorisation des bois ; enfin, organiser la reconstitution des écosystèmes
forestiers. Les communes forestières sont éligibles à l'essentiel des mesures
prises dans ce cadre.
Nous avons mis en oeuvre une aide à la réouverture des routes et pistes
forestières.
Nous avons mis en place des subventions pour la création d'aires de stockage
humide des bois.
Nous avons également prévu des prêts bonifiés à 1,5 % pour préfinancer
l'abattage et la sortie des bois, pour une enveloppe totale de 8 milliards de
francs.
Nous avons mobilisé des subventions pour la reconstitution des forêts
sinistrées, ainsi qu'une aide au transport des bois abattus.
Certes, s'agissant des aires de stockage des bois, question évoquée par M.
Jourdain, nous ne pouvons que regretter que le taux de la TVA n'ait pu être
réduit à 5,5 %. La Commission de Bruxelles ne nous a en effet autorisés à le
faire que pour les travaux forestiers à proprement parler. Sont ainsi exclus
les travaux concernant les aires de stockage.
Nous ne pouvons que le regretter, je le répète, mais c'est aussi pour cette
raison que le Gouvernement a décidé d'accorder une enveloppe de 4 milliards de
francs de prêts bonifiés pour l'aide au stockage, prêts qu'il a voulu aussi
ouverts que possible.
Les communes forestières bénéficient également, indirectement, des
dispositions mises en oeuvre dans un cadre collectif, telles que les mesures
phytosanitaires, qui représentent 100 millions de francs, l'accompagnement
technique et organisationnel - mobilisation d'ingénieurs et de techniciens -,
l'attribution de bourses de travaux forestiers ou les aides au transport de
bois, qui représentent un volume global de subvention de 700 millions de
francs.
Les communes forestières peuvent enfin, dans certains cas, avoir accès à
d'autres types d'aides prévues pour les entreprises du secteur forestier : aide
à l'acquisition de matériel d'exploitation forestière - 50 millions de francs -
ou mesures en faveur de l'emploi et de la formation.
M. Fournier s'est interrogé quant à lui sur le volet fiscal des mesures
arrêtées par le Gouvernement. Parmi ces nombreuses mesures, il en est une très
importante que vous avez tous remarquée : le passage du taux de la TVA de 20,6
% à 5,5 % pour tous les travaux d'exploitation forestière effectués au profit
d'exploitants agricoles, tels que la plantation, le débardage et l'élagage. Ce
taux s'applique également à l'abattage et au tronçonnage des arbres.
A cette mesure s'en ajoutent deux autres : d'une part, le dégrèvement
exceptionnel de taxe foncière pour les propriétaires forestiers et, d'autre
part, des déductions de charges exceptionnelles des revenus tirés de
l'exploitation forestière.
Dans son ensemble, le plan pour la forêt mobilisera plus de 2 milliards de
francs au cours de l'année 2000. A plus long terme, c'est toute la forêt
française qu'il faudra reconstituer. A cet effet, le Gouvernement a prévu un
effort considérable pour le reboisement : 6 milliards de francs de subventions
y seront consacrés sur les dix prochaines années.
Ces mesures seront aussi complétées dans les jours à venir, par voie de
circulaire, par de nouvelles dispositions qui concerneront spécifiquement les
communes forestières.
Permettez-moi d'en énoncer les grands axes.
Le premier concerne un dispositif d'aide aux communes forestières sinistrées,
dont l'objectif est d'éviter que des communes et des établissements publics de
coopération intercommunale, confrontés à la disparition de recettes
d'exploitation du fait des destructions occasionnées à leur patrimoine
forestier, soient, pendant plusieurs années, dans l'incapacité de voter leur
budget en équilibre, ce qui risquerait d'entraîner une saisine de la chambre
régionale des comptes, comme l'a justement souligné M. Nachbar.
Afin d'y parvenir, il sera donc procédé à une évaluation précise de la
situation financière des communes confrontées à la disparition de recettes
d'exploitation du fait des destructions occasionnées à leur patrimoine
forestier.
Pour ce faire, des commissions départementales présidées par le préfet et
associant les élus locaux seront chargées de cette évaluation, conformément à
la demande de M. le rapporteur.
Cette évaluation servira de base à la mise en oeuvre d'un dispositif d'aide
budgétaire aux communes forestières sinistrées.
Le deuxième axe vise à élargir les possibilités de placement budgétaires pour
les communes forestières.
Compte tenu du caractère très exceptionnel, par leur ampleur, des ventes de
chablis, les recettes tirées de ces ventes peuvent être assimilées à une
aliénation forcée du patrimoine communal. Il est donc possible de placer le
produit de ces ventes en placement budgétaire par dérogation à la règle du
dépôt des fonds libres au Trésor.
Les communes forestières sont donc autorisées à souscrire auprès du réseau des
comptables du Trésor des bons à taux fixe émis par le Trésor, à partir d'un
seuil qui a été considérablement abaissé - 1 000 euros - qui viendront
s'ajouter aux placements en bons du Trésor à taux annuel normalisé ou en
obligations assimilables du Trésor. Cela garantit aux communes des placements
sûrs, non spéculatifs, conformément aux principes républicains justement
défendus par Mme Beaudeau.
Le troisième axe concerne les communes forestières non sinistrées, pour
lesquelles ont été prévus des prêts bonifiés.
Pour assurer une meilleure régulation des cours du bois, les communes
forestières non sinistrées ainsi que les établissements publics de coopération
intercommunale sont encouragés à reporter la réalisation des coupes de bois
déjà vendues en 1999 et à reporter les coupes prévues en 2000 ou 2001,
notamment par leur document d'aménagement.
Ces communes bénéficieront de prêts bonifiés à 1,5 % décidés par le
Gouvernement dans le cadre du plan national en faveur de la forêt pour prendre
en compte le manque à gagner occasionné par ces reports de coupes ou de
ventes.
Une commission départementale
ad hoc
sera créée pour instruire les
demandes des communes, attester de la réalité du report des coupes de bois et
fixer le montant maximum des prêts bonifiés par l'Etat auquel peut prétendre
chaque collectivité.
J'ai dit tout à l'heure que cette proposition de loi me paraissait devoir être
retirée pour au moins deux raisons.
La première tient au fait que, pour l'essentiel des problèmes soulevés, le
Gouvernement a déjà apporté un certain nombre de réponses ou est en train de le
faire.
La seconde raison, c'est que cette proposition de loi contient des
dispositions qui sont, en fin de compte, beaucoup moins favorables pour les
collectivités locales que les mesures que le Gouvernement a prévues ou met déjà
en oeuvre.
En l'occurrence, ce dont les collectivités locales ont le plus besoin, c'est
de rapidité et de souplesse.
Tout d'abord, ainsi que cela a été très justement souligné par M. Jourdain,
face aux difficultés consécutives aux tempêtes de décembre, les collectivités
locales, notamment les communes forestières, ont besoin d'une action rapide.
Or, sans sous-estimer le moins du monde la volonté du Sénat de venir en aide à
ces collectivités - une volonté que, encore une fois, je comprends et partage -
il m'apparaît qu'une proposition de loi organique n'est pas forcément le
vecteur optimal pour atteindre l'objectif visé, ce que, m'a-t-il semblé,
monsieur le rapporteur, vous avez vous-même bien voulu reconnaître.
En effet, les délais inhérents à l'adoption d'un tel texte, compte tenu
notamment de la nécessité pour les deux assemblées de trouver un accord, ne
doivent pas être négligés. Cela donne à penser que les mesures préconisées,
compte tenu du calendrier législatif, ne pourraient entrer en vigueur, si elles
étaient adoptées, avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Or les communes forestières, je le répète, ont besoin d'obtenir rapidement des
réponses à leurs problèmes. C'est pourquoi le Gouvernement a pris l'engagement
- et, bien entendu, il le respectera - d'inscrire dans le collectif budgétaire
de printemps l'ensemble des mesures financières d'urgence consécutives aux
intempéries.
L'inscription de ces mesures en collectif permettra d'apporter une prompte
réponse aux besoins des collectivités locales et d'éviter les incertitudes
liées au cheminement législatif d'une proposition de loi organique.
Mais les communes forestières ont également besoin d'un régime juridique
exceptionnel caractérisé par la souplesse.
C'est encore un objectif qui ne me paraît pas susceptible d'être atteint
aisément par la voie que vous avez retenue, mesdames, messieurs les
sénateurs.
En effet, en voulant en même temps ouvrir un débat sur la modification de
l'ordonnance organique de 1959 - ce « pilier » encore intact des finances
publiques - adapter le code général des impôts dans un domaine qui fait
d'ailleurs l'objet d'un examen attentif de la part des autorités communautaires
- et nous avons vu que nous nous heurtions à leur volonté, s'agissant de la
baisse de la TVA sur les travaux relatifs aux aires de stockage - et enfin
modifier le code général des collectivités territoriales, on ne peut fournir
une réponse suffisamment souple et adaptée aux besoins des communes
forestières.
Ces communes ont besoin moins d'un débat législatif que de réponses concrètes,
de facilités immédiates dans leur gestion financière et comptable, d'une
souplesse accrue de fonctionnement. Ces facilités, cette souplesse accrue, le
Gouvernement est précisément en train de les leur apporter sans attendre.
Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, si elle
est inspirée par des considérations que je comprends parfaitement, ne me paraît
offrir ni sur le plan de la méthode ni sur le fond les réponses adaptées aux
difficultés que rencontrent les communes particulièrement touchées par les
intempéries.
Elle est, en outre, susceptible d'ouvrir un débat plus général sur l'équilibre
des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, débat que
nous ne saurions épuiser à cette seule occasion.
Voilà pourquoi je souhaite le retrait de cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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