Séance du 29 mars 2000






ATTRIBUTION
À UNE COMMISSION DES PRÉROGATIVES
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE

M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen d'une demande de la commission des finances tendant à obtenir du Sénat, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu'il confère à la commission des finances les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour recueillir des éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets de loi de finances et l'exécution des lois de finances.
Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat lors de sa séance du mardi 28 mars 2000.
La commission des lois a déclaré cette demande conforme aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958.
Je vais mettre aux voix la demande.
Pour explication de vote, la parole est, pour le groupe communiste républicain et citoyen, à Mme Beaudeau, pour cinq minutes.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mes chers collègues, la demande de la commission des finances de constituer, pour une durée d'ailleurs limitée - en l'occurrence six mois - en vertu de l'ordonnance de 1958, une commission d'enquête sur les conditions de « fabrication » de la loi de finances et sur l'exécution budgétaire me conduit, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, à formuler plusieurs observations.
Tout d'abord, dans la conception générale que la majorité du Sénat semble se faire du rôle de la Haute Assemblée, la commission des finances occupe évidemment une place toute particulière.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous faites, en quelque sorte, de la commission des finances le vecteur et le laboratoire d'idées de la commission des finances dont les principes généraux sont connus : la réduction draconienne de la dépense publique, la baisse des impôts et des prélèvements avec une attention toute particulière pour l'imposition du patrimoine, des résultats des entreprises et des revenus des contribuables les plus aisés, la réduction des déficits publics gagée par l'amoindrissement de l'intervention publique, sans un regard sur la dégradation des conditions de vie de nos concitoyens qui pourrait résulter de ce choix, la libéralisation extensive de la production, des services publics et des infrastructures, accompagnant les pires orientations imprimées à la construction européenne.
Cependant, chers collègues de la majorité sénatoriale, c'est là oublier un détail : le mouvement de la société est autrement plus complexe et moins disposé à entendre vos discours qu'il n'y paraît. Les profonds mouvements sociaux que nous venons de connaître l'ont montré. Les choix que vous avancez n'ont été développés dans aucune des luttes menées, qu'il s'agisse des personnels hospitaliers, des agents du Trésor, des agents des impôts ou des enseignants et des parents d'élèves. On peut même dire que ces luttes en sont l'antithèse.
Ensuite, je voudrais rappeler que, à l'heure actuelle, il existe de nombreux outils pour avoir connaissance de la conception et de l'exécution des lois de finances.
La révolution des technologies nouvelles et la qualité de l'information transmise par le ministère des finances lui-même nous en offrent d'ailleurs l'opportunité.
Mes chers collègues, Internet n'est pas seulement un vecteur de plus-values financières ou un pas-de-porte commercial ou publicitaire, c'est aussi, au départ, un outil de travail, d'observation, de compréhension et d'appréhension de réalités et de faits.
Dans un autre ordre d'idées, nous sommes régulièrement dépositaires des rapports de la Cour des comptes, du Comité économique et social ou encore du Commissariat général du Plan, qui, à des degrés divers, nous permettent aussi, une fois recoupées les informations, de mesurer un certain nombre d'aspects fondamentaux dans l'exécution des lois de finances.
Les directions du ministère de l'économie et des finances sont d'ailleurs tenues d'aviser et d'informer la représentation nationale quant à la mise en oeuvre et à la quantification des résultats de leurs missions.
De la même manière, vous me permettrez de trouver quelque peu étonnant que la commission des finances nous fasse aujourd'hui cette proposition alors même qu'elle a invité le Sénat à repousser, par la voie d'une motion tendant à opposer la question préalable, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la mise en place de commissions décentralisées de contrôle de la dépense publique pour l'emploi. Ces commissions, par leur activité, auraient pourtant pu avoir toute leur utilité dans la recherche d'efficacité de la dépense publique qui doit tous nous animer.
Mais cette position n'a peut-être, en fait, qu'une seule justification : le relâchement du souci sourcilleux de contrôle de la dépense publique quand cette dépense se réalise en faveur des entreprises !
S'il s'agit uniquement de justifier une doctrine, c'est-à-dire la réduction des déficits à grands coups de baisse de la dépense publique, nous ne vous suivrons bien évidemment pas !
En revanche, s'il s'agit de permettre une recherche plus fine et plus permanente de la nature des dépenses publiques, toute commission, même peut-être celle que vous nous proposez, peut nous conduire à formuler des remarques, des critiques et des propositions nouvelles.
Bref, nous ne percevons pas très bien l'utilité de cette commission, qui pourrait, à notre avis, donner lieu à des dérives et dont nous vérifierons peut-être les motivations cachées. Cela dit, l'avenir sera là pour nous éclairer, et nous ne refuserons pas de participer aux travaux de cette commission. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité demander au Sénat de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête afin de pouvoir recueillir toutes les informations nécessaires sur le fonctionnement des services de l'Etat, plus particulièrement du ministère de l'économie et des finances, dans l'élaboration et l'exécution des lois de finances.
Madame Beaudeau, la commission des finances a pour objet non pas d'empêcher l'exécutif d'accomplir la mission constitutionnelle qui lui a été fixée, mais de voir de quels outils il dispose pour mener à bien ladite mission.
Monsieur le président, mes chers collègues, notre motivation est fondée sur deux constatations.
La première concerne les conditions dans lesquelles nous avons examiné et voté le projet de loi de finances pour l'an 2000 et le projet de collectif budgétaire pour 1999, à dix jours de la fin de l'exercice. Ce dernier texte nous a été présenté avec des chiffres radicalement différents des chiffres définitifs en exécution. Cela montre que les outils dont nous disposons ne sont sans doute pas exactement adaptés ou, en tout cas, que leur utilisation ne répond pas parfaitement aux besoins. La commission des finances souhaite donc expertiser d'un peu plus près ces outils.
J'en viens à la seconde constatation : les pouvoirs des rapporteurs spéciaux, qui sont en effet très étendus et permettent des contrôles sur pièces et sur place, ne donnent cependant pas pour autant au président de la commission, au rapporteur général et à tous les commissaires la possibilité de mener complètement et globalement la mission que je viens d'expliciter. Il faut donc lever toute ambiguïté juridique sur ce sujet, afin que la commission puisse mener complètement sa mission.
J'attire d'ailleurs votre attention sur le contrôle sur pièces et sur place effectué par M. Didier Migaud, rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale, et sur les remarques qui lui ont été faites par le ministère de l'économie et des finances quant aux droits constitutionnels qui étaient ou non les siens pour accomplir sa mission, remarques dont vous pourrez prendre connaissance dans son rapport.
Par conséquent, levons toute ambiguïté, faisons en sorte que la commission des finances du Sénat dispose de toutes les prérogatives propres aux commissions d'enquête, auquel cas nous pourrons vraiment nous concentrer sur nos travaux et éviter tout juridisme inutile.
Enfin, monsieur le président, pour rassurer Mme Beaudeau, qui ne me paraît d'ailleurs pas totalement inquiète, j'ajoute que la commission des finances travaillera, comme elle a l'habitude de le faire, à l'instar de toutes les commissions d'ailleurs, de manière très pluraliste. Nous ferons donc en sorte que les rapporteurs qui seront nommés appartiennent aux différents groupes de la Haute Assemblée et que chacun puisse apporter sa contribution à ce que l'on attend, au fond, du Parlement français : qu'il remplisse la mission posée par l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui concerne le consentement à l'impôt et le suivi de son utilisation, et, en aucun cas, qu'il procède à une attaque politicienne à l'endroit de l'exécutif.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la demande de la commission des finances.

(Cette demande est adoptée.)
M. le président. Je constate que cette demande a été adoptée à l'unanimité.
En conséquence, la commission des finances se voit conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour recueillir des éléments d'information sur le fonctionnement des services de l'Etat dans l'élaboration des projets et l'exécution des lois de finances, pour une durée n'excédant pas six mois.
Le Gouvernement, notamment M. Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sera informé de la décision qui vient d'être prise par le Sénat.

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