Séance du 29 mars 2000
PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
ET DROITS DES VICTIMES
Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi
(n° 222, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les
droits des victimes. [Rapport n° 283 (1999-2000).]
Le rapport de la commission des lois porte également sur la proposition de loi
de M. Philippe Richert, qui a le même objet.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous allez examiner cet
après-midi constitue, vous le savez, le second volet de la réforme de la
justice que j'ai eu l'honneur de présenter en conseil des ministres en octobre
1997.
Vous vous en souvenez, le premier volet, qui traite de la justice au
quotidien, a déjà été réalisé pour la plus grande part avec l'adoption des deux
lois relatives à l'accès au droit, en décembre 1998, et à l'efficacité de la
procédure pénale, en juin 1999.
Le troisième volet, relatif à l'impartialité et à l'indépendance de la
justice, fait l'objet du blocage que vous savez. Je souhaite, pour ma part, que
ce dernier blocage soit levé afin que le vote sur le Conseil supérieur de la
magistrature, puis sur le projet de loi concernant l'indépendance du parquet
puisse intervenir dans les meilleurs délais.
M. Robert Badinter.
Bravo !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Mais aujourd'hui, nous avons à examiner ce projet de
loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, qui est évidemment un texte très important pour toutes les catégories
de justiciables dans la mesure où il s'appuie sur quatre grands principes que
je vais brièvement rappeler devant vous : tout d'abord, la liberté est la règle
et la détention l'exception, comme le rappellent les articles IV et VII de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; par ailleurs, une
enquête est faite pour aboutir et non pas pour durer ; ensuite, la vérité est
servie par le contradictoire et l'égalité des armes entre l'accusation et la
défense ; enfin, les évolutions juridiques internationales et européennes nous
poussent à toujours mieux protéger les libertés et les droits individuels, et
il est bien qu'il en soit ainsi.
La présentation de ce texte en première lecture étant déjà un peu loin dans
nos mémoires, je tenais à rappeler les raisons essentielles qui ont amené le
Gouvernement à déposer ce projet de loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes, le sens et la portée de ce
texte et l'importance qu'il revêt dans le schéma général de la réforme de la
justice.
Ce projet de loi aborde tous les stades de la procédure, de l'enquête au
jugement, et s'intéresse également à l'exécution des peines. Il ne s'agit donc
pas d'une énième réforme de la procédure pénale. Enquête, instruction,
détention provisoire, appel des décisions des cours d'assises, renforcement des
droits des victimes, réforme de la libération conditionnelle, chacun de ces
thèmes aurait pu faire l'objet d'autant de projets de loi qu'ils traitent de
sujets. En d'autres temps, d'ailleurs, il est probable que plusieurs textes
auraient été présentés. Mais nous avons fait le choix de regrouper toutes ces
questions touchant aux droits des justiciables dans un seul et même texte.
Le texte qui revient aujourd'hui devant vous, mesdames, messieurs les
sénateurs, s'est d'ailleurs considérablement enrichi, en raison notamment des
apports effectués par les deux assemblées au cours de la navette.
J'ai pu constater que les points d'accord entre les deux assemblées ou avec le
Gouvernement sont plus nombreux que les questions restant en débat. Tant mieux
!
Je procéderai rapidement, dans un instant, au rappel des grands choix qui
m'ont guidée dans l'élaboration du texte et qui expliquent son économie.
J'aborderai ensuite les principaux apports des débats parlementaires. Je
terminerai en évoquant les amendements qui seront soumis à votre examen.
Je voudrais, au préalable, rendre hommage à la qualité du travail
parlementaire accompli dans l'intérêt de la justice et de nos concitoyens et au
soin avec lequel la commission des lois a mesuré les enjeux et traité les
problèmes.
Je salue en particulier la qualité et la précision du rapport de M. Charles
Jolibois. Je tiens également à rendre hommage à l'engagement personnel du
président de la commission des lois, M. Jacques Larché. Nous lui sommes
redevables de nombreuses améliorations.
J'espère qu'un accord pourra être trouvé sur les quelques questions restant en
débat entre les deux assemblées.
J'en arrive à présent au rappel de l'économie du projet de loi.
J'exposerai brièvement les six axes qui ont guidé l'élaboration de ce projet
de loi et son amélioration lors des discussions.
Le premier axe, c'est la protection des libertés individuelles sans nuire à
l'efficacité de l'enquête.
Le deuxième axe, c'est l'égalité des armes entre la défense et
l'accusation.
Le troisième axe, c'est la limitation de la détention provisoire.
Le quatrième axe, c'est le renforcement des droits des victimes.
Le cinquième axe, c'est l'appel des décisions des cours d'assises.
Le sixième axe, enfin, est une innovation à laquelle nous allons, je l'espère,
procéder ensemble aujourd'hui : c'est la refonte des libérations
conditionnelles, sujet majeur dont on parle depuis très longtemps et sur lequel
je pense qu'avec votre soutien nous parviendrons à une réforme de grande
envergure.
Mme Dinah Derycke.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Protéger les libertés individuelles sans nuire à
l'efficacité de l'enquête, tel est le premier axe. C'est, évidemment,
l'équilibre, essentiel à préserver, recherché dans toute procédure pénale. Il
faut à la fois protéger les droits et libertés des personnes mises en cause
devant la justice et, en même temps, parvenir à trouver, à sanctionner et à
punir.
Des garanties supplémentaires sont apportées aux personnes placées en garde à
vue : c'est la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue,
puis à la vingtième heure et, au cours de la prolongation, à la trente-sixième
heure ; c'est la suppression de la garde à vue des simples témoins et la
notification d'un « droit au silence ».
Cela passe aussi par le suivi plus précis des délais des enquêtes
préliminaires et par le contrôle de la durée des informations judiciaires,
ainsi que par la possibilité, passé un délai de six mois après une garde à vue,
de provoquer un débat public sur la poursuite de ces enquêtes.
C'est aussi la refonte en profondeur de la procédure d'audition en qualité de
témoin assisté, qui permet à la personne entendue de bénéficier de l'assistance
de son avocat et d'avoir accès au dossier sans être mise en examen.
C'est aussi l'instauration de fenêtres de publicité, à tous les stades de la
procédure : au moment du contrôle de la durée de l'enquête préliminaire, au
moment du placement en détention provisoire et dès que la chambre d'accusation
est saisie sur une détention, sur un délai ou sur une demande d'actes, afin de
provoquer un débat contradictoire chaque fois que des dispositions importantes
pour les libertés des gens sont en cause.
Je veux souligner ici que ces garanties ne dépouillent ni l'enquêteur ni le
juge de leurs prérogatives dans la conduite de leurs investigations : choix des
mesures à prendre - perquisitions, confrontations ou autres -, choix des mises
en cause des personnes entendues, choix des qualifications et des
calendriers.
Le deuxième axe, l'égalité des armes entre la défense et l'accusation, c'est
le renforcement des droits de la défense, qu'il s'agisse des droits des mis en
cause ou de ceux des victimes, que ce soit pendant l'information judiciaire ou
durant l'audience de jugement ; c'est le renforcement du caractère
contradictoire de l'enquête, en reconnaissant un plus grand rôle à la défense
et aux victimes.
Loin de nuire à la qualité de celle-ci, cela ne peut, selon moi, que valoriser
l'action du juge d'instruction. Le pouvoir de contrôle des moments essentiels
de l'enquête, confié à un autre juge, participe de la même démarche protectrice
des libertés individuelles.
Le renforcement des droits des parties, c'est aussi le pouvoir qui leur est
donné de demander des actes tels que l'audition d'un témoin ou un transport sur
les lieux, actes qui peuvent être accomplis en présence du conseil de la partie
qui les demande.
C'est encore le cas pour les dispositions donnant au juge d'instruction un
délai d'un mois pour répondre par une décision motivée aux contestations
portant sur la prescription de l'action publique.
En ce qui concerne les mesures prises en matière de communication, ont été
votés conformes les articles qui obligent les escortes à prendre les
précautions nécessaires pour éviter la prise de photo des personnes menottées,
ou encore les dispositions qui prévoient l'appel suspensif des référés en
matière de presse, qui réglementent les communiqués du parquet et qui
instituent des fenêtres de publicité.
Le troisième axe, c'est une réforme complète de la détention provisoire.
Un accord de principe est intervenu sur la question essentielle de la
séparation des fonctions d'instruction et de placement en détention provisoire,
qui seront désormais assurées par deux juges distincts.
J'avais proposé ce double regard sur une décision extrêmement grave, bien
entendu, pour les droits et libertés individuelles, puisqu'elle concerne des
personnes qui ne sont pas encore jugées.
Il est désormais acquis que les décisions sur la détention provisoire seront
confiées à un magistrat distinct du juge d'instruction, même si le magistrat
chargé de l'enquête doit être le juge d'instruction pour les procédures les
plus complexes. Dans tous les pays, ces dossiers sont l'objet d'une procédure
adaptée à leur complexité.
Nous n'échappons pas à cette règle et je veux redire ici, comme je l'ai fait à
l'Assemblée nationale, que le Gouvernement opte clairement pour le maintien du
juge d'instruction, magistrat du siège, indépendant.
Ce magistrat chargé de la détention sera toujours un magistrat expérimenté,
président ou vice-président du tribunal.
Sont également acquises la réduction des cas permettant le placement en
détention provisoire et la limitation de la durée de la détention provisoire,
par des délais plus stricts en matière correctionnelle et par la mise en place
de délais pour la détention criminelle, ce qui est nouveau.
Je rappelle que plus de 13 000 personnes, sur un total de 52 000 détenus, sont
aujourd'hui détenues provisoirement sur décision d'un juge d'instruction, la
durée moyenne de ces détentions provisoires étant de 4,2 mois.
Le quatrième axe de ce texte, c'est le renforcement des droits des victimes
par l'amélioration de l'accueil de l'écoute et de l'indemnisation : nous
reconnaissons aux victimes, pour la première fois dans notre droit, une place
plus large dans le procès pénal, nous améliorons leur indemnisation, nous
protégeons leur dignité par la création d'une infraction en cas de diffusion
d'images qui porteraient atteinte à cette dignité.
Après la loi de juin 1998 qui, vous vous en souvenez, avait réprimé la
délinquance sexuelle et avait, là aussi pour la première fois, instauré un
chapitre protégeant les victimes, c'est donc le deuxième texte que je soumets
au Parlement contenant une partie consacrée à la protection des victimes en
tant que telles.
Le cinquième axe de ce texte, c'est l'appel des décisions des cours
d'assises.
Cette innovation majeure, réclamée depuis longtemps, a été introduite en son
principe par le Sénat, en première lecture, à l'automne dernier.
J'avais toujours dit - vous vous en souvenez, je m'étais exprimée à plusieurs
reprises devant vous - que je souhaitais cette réforme, mais qu'il me semblait
préférable de consacrer les premiers moyens à l'amélioration de la justice au
quotidien. Je suis très heureuse que les créations de postes opérées depuis
trois ans permettent d'envisager maintenant un appel pour les décisions des
cours d'assises. C'est le sens de ma démarche.
Enfin, le dernier axe de ce texte constitue une innovation de notre débat,
puisqu'il concerne le sujet majeur de la libération conditionnelle.
Par cette annonce, j'en arrive aux modifications apportées au texte, qu'elles
soient déjà intervenues ou encore en projet, sous la forme des amendements que
vous allez examiner au cours de ces débats.
Quelles ont été les modifications apportées au projet initial ?
Je rappellerai d'abord les modifications intervenues au cours des débats
parlementaires, puis je vous présenterai les amendements que j'ai l'intention
de déposer, et je vous ferai part, enfin, de mon opinion sur certains des
amendements que vous serez conduits à examiner, soit sur la proposition de
votre rapporteur, soit sur celle des membres de cette assemblée.
Les améliorations apportées par les deux assemblées ont été très importantes.
Je me plais ici à le souligner et à remercier le Sénat pour l'enrichissement
qu'il a apporté à ce texte.
M. Alain Vasselle.
On reconnaît enfin la dignité du Sénat !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Tel est, en particulier, le cas des dispositions
concernant la procédure de témoin assisté, dont l'utilisation est désormais
facilitée, et de celles qui concernent la mise en examen, qui est désormais
mieux encadrée. Les propositions du Sénat avaient été, à cet égard,
particulièrement nombreuses et précises.
Sur ces deux sujets, ce sont les initiatives du Sénat en première lecture,
reprises et complétées par des amendements de la commission des lois de
l'Assemblée nationale ou du Gouvernement, qui ont permis d'aller plus loin.
La commission des lois du Sénat vous propose d'adopter ces dispositions
conformes, sous réserve de quelques ultimes améliorations techniques, et je ne
peux, bien entendu, que m'en féliciter.
Je me réjouis aussi que votre commission approuve la nouvelle rédaction des
dispositions relatives à la diffusion de l'image d'une personne menottée ou de
l'image d'une victime portant gravement atteinte à sa dignité.
A la suite d'amendements que j'avais déposés à l'Assemblée nationale, les
contours de ces dispositions avaient été limités : seules les diffusions
d'images faites sans le consentement des intéressés pourraient être
poursuivies, et uniquement sur la plainte ou l'initiative de ces derniers. Ces
modifications répondent, me semble-t-il, aux inquiétudes qui avaient été
manifestées par les professionnels de la presse et dont j'ai tenu le plus grand
compte. Elles témoignent de la volonté du Gouvernement de ne pas porter
atteinte à la liberté d'expression.
L'instauration d'un appel des décisions de la cour d'assises et la réforme de
l'application des peines font aussi partie, dans leur principe, des acquis des
précédentes lectures. J'y reviendrai dans un instant en évoquant les
amendements soumis à votre examen.
Je commencerai par exposer les amendements du Gouvernement, sans les
détailler, bien entendu, car la discussion permettra de reprendre les arguments
développés pour leur soutien.
Je vous ferai part ensuite de mon opinion sur les amendements de votre
rapporteur, M. Jolibois, et sur ceux qui n'émanent pas de votre commission des
lois.
Parmi les amendements du Gouvernement, j'évoquerai en premier lieu la relance
des libérations conditionnelles, principale innovation, à mes yeux, de cette
deuxième lecture.
Il s'agit, vous le savez, de l'un des volets les plus importants de ma
politique pénitentiaire, qui comprend trois axes : la rénovation des
établissements pénitentiaires,...
M. Alain Vasselle.
Ils en ont besoin, sans parler des maisons d'arrêt !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... l'amélioration de la condition des détenus et le
développement des mesures alternatives à l'incarcération.
Vous avez parfaitement raison de dire, monsieur Vasselle, qu'il est important
de poursuivre l'effort, conduit par de nombreux gouvernements, de rénovation
des établissements pénitentiaires et de remplacement des plus vétustes d'entre
eux.
Les décisions prises par le Gouvernement, avec les financements correspondant,
portent sur dix établissements, si l'on compte les dernières décisions
contenues dans le collectif budgétaire que vous serez amenés à examiner dans
quelques semaines, ce qui nous permettra de remplacer des établissements
vétustes et de promouvoir l'encellulement individuel.
Au titre de l'amélioration des conditions de détention, je citerai les mesures
prises pour la dignité et l'hygiène des détenus : remise de produits de
première nécessité aux entrants, renouvelée pour les indigents, instauration
d'une troisième douche hebdomadaire obligatoire pour tous les détenus.
Au titre des alternatives à la détention, je rappellerai d'abord les
dispositions du présent projet qui ont pour objet de limiter le recours à la
détention provisoire.
Sur ce point, les dernières mesures votées par l'Assemblée nationale ont
enrichi le dispositif en prévoyant le recours au bracelet électronique, y
compris pour se substituer à la détention provisoire, ce qui n'était pas prévu
au départ.
Je précise que les premiers bracelets devraient être posés en juillet
prochain, en application de la loi votée sur la proposition de M. le sénateur
Cabanel.
Au titre des alternatives à la détention, cette fois-ci en aval, après le
prononcé de la peine, la libération conditionnelle est évidemment une mesure
primordiale. En effet, il est prouvé qu'elle constitue le moyen le plus sûr de
favoriser la réinsertion du condamné et de prévenir la récidive, toutes les
études le montrent.
En effet, hormis un tout petit nombre d'entre eux, qui font l'objet d'une
condamnation à perpétuité avec peine de sûreté incompressible, les détenus
sortent de prison. Nous devons regarder cette réalité en face, ne pas nous
voiler la face et nous interroger sur la manière de faire sortir les détenus
dans les meilleures conditions possibles, pour eux-mêmes, bien entendu, mais
aussi pour la sécurité de la société.
M. Philippe François.
Très bien !
M. Alain Vasselle.
Nous sommes d'accord !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
La libération conditionnelle est, à ce titre, la mesure
la plus intéressante. D'abord, c'est une mesure individualisée, qui fait
l'objet d'un suivi précis par les travailleurs sociaux des services
pénitentiaires d'insertion et de probation : les détenus qui bénéficient d'une
libération conditionnelle ne sont pas lâchés seuls dans la nature, il ne s'agit
pas d'une libération pure et simple, sans contrôle, comme c'est le cas lorsque
intervient un décret de grâce collective.
Or, quel constat fait-on, aujourd'hui ? Depuis vingt ans, les libérations
conditionnelles n'ont cessé de diminuer...
M. Alain Vasselle.
Parce que nous n'avons pas les moyens de les suivre !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... et le taux d'admission à cette mesure parmi les
condamnés à une peine inférieure à cinq ans est passé de 30 %, en 1970, à 14 %
en 1998.
A cela, il y a des raisons précises.
Les conditions à remplir pour que le dossier de libération conditionnelle soit
examiné - je ne parle pas de la décision elle-même - reposent essentiellement
sur l'existence de gages sérieux de réadaptation sociale, ce qui est normal,
mais avec une condition centrale, qui est de disposer d'un emploi.
Or, quand on sait les difficultés qu'il y a à trouver du travail, quand on
connaît la population pénale, qui comprend une forte proportion d'illettrés,
une forte proportion de gens qui, avant d'entrer en prison, étaient au chômage
de longue durée depuis longtemps, on voit bien que remplir cette condition est,
pour beaucoup de détenus, impossible. Par conséquent, autant il est légitime de
prévoir des gages de réinsertion sociale - c'est le sens même de la libération
conditionnelle - autant il faut en élargir les critères.
Pour inverser la tendance, j'ai pris deux décisions.
D'abord, à partir de 1998, j'ai réformé les services d'insertion et de
probation, qui, vous le savez, regroupent les travailleurs sociaux de
l'administration pénitentiaire, chargés de suivre les détenus à la fois en
prison et hors des prisons. J'ai décidé - cette réforme était, là aussi,
réfléchie depuis longtemps - de regrouper ces travailleurs sociaux pour que ce
soient les mêmes qui suivent les détenus en prison et à l'extérieur de la
prison lorsqu'ils font l'objet d'une mesure de suivi.
Je rappelle, parce que l'on n'a pas toujours ces chiffres en tête, que ; s'il
y a 52 000 détenus, 130 000 personnes, soit plus du double, sont suivies à
l'extérieur par les travailleurs sociaux de l'administration pénitentiaire.
Cette première décision a été assortie, dès 1998, des moyens nécessaires,
c'est-à-dire la création de plus de 250 postes, précisément pour faciliter
cette fusion des travailleurs sociaux dans le cadre de la réforme des services
d'insertion et de probation. En avril 1999, cette réforme est entrée en
vigueur, les moyens ayant été dégagés dans le budget de l'année précédente.
En juillet 1999, j'ai confié à une commission, présidée par M. Farge,
conseiller à la Cour de cassation, une mission de réflexion portant sur la
libération conditionnelle.
Le rapport qui m'a été remis en février de cette année, et que j'ai rendu
public, prévoit principalement deux séries de mesures.
D'une part, il préconise d'élargir les critères d'admission à la libération
conditionnelle pour permettre cet accès à la libération conditionnelle à des
détenus qui, bien sûr, sont à mi-peine - c'est la condition qui prévaut
aujoud'hui - mais dont la volonté de réinsertion sociale se manifeste non pas
seulement par l'obtention d'un emploi stable mais aussi par le suivi d'un
enseignement ou d'un stage, par l'exercice d'un emploi temporaire, par le
soutien essentiel à la vie familiale, voire par le suivi d'un traitement
médical.
D'autre part, le rapport de M. Farge propose que toutes les décisions de
libération conditionnelle soient prises par un juge ou par un tribunal, avec un
débat contradictoire, l'intervention d'un avocat et la possibilité de faire
appel. Ce sont là les trois éléments de ce que l'on nomme, d'un terme, je le
reconnais, un peu barbare, la « juridictionnalisation » des peines.
Je rappelle qu'actuellement le juge de l'application des peines est compétent
pour prendre des mesures concernant les peines inférieures à cinq ans au
travers de décisions dites d'administration judiciaire, ce qui veut dire qu'il
ne statue pas en tant que juridiction, qu'il n'y a pas d'intervention de
l'avocat et que les décisions du juge de l'application des peines ne sont pas
susceptibles d'appel. Pour les peines supérieures à cinq ans, la décision
revient au garde des sceaux, à l'issue d'un processus administratif assez
bureaucratique, lourd et compliqué. Là encore, il n'y a ni avocat ni appel
possible.
J'ai décidé de réformer le régime des libérations conditionnelles sur la base
des propositions, que je viens de rappeler, de M. Farge. Il est en effet
cohérent que ce soit un juge qui aménage ou qui modifie la peine dès lors que
c'est un juge ou un tribunal qui a décidé de cette peine, et ce en dehors de
toute intervention du pouvoir exécutif.
C'est pourquoi je vous propose un dispositif de juridictionnalisation complète
qui porte sur la totalité des peines, quelle que soit leur durée.
Ce système tient compte - je viens de le dire - des conclusions de la
commission Farge, des observations des nombreux juges de l'application des
peines que j'ai consultés, ainsi que des recommandations de la commission
Canivet. Il n'est pas très éloigné, d'ailleurs, de celui qui est décrit par
votre rapporteur, qui s'est lui-même inspiré du rapport Farge dans un
amendement qu'il vous soumettra.
La procédure proposée se décline en quelques principes.
La juridiction est saisie directement par le condamné ou par le parquet. La
décision donne lieu à un débat contradictoire dans lequel peut intervenir la
défense. Elle est susceptible d'appel, et ce pour toutes les peines.
Pour les peines égales ou inférieures à dix ans, le juge de l'application des
peines statue seul, après avis du représentant de l'administration
pénitentiaire. C'est extrêmement important, car c'est le directeur de
l'établissement, ce sont les surveillants qui connaissent le mieux les
détenus.
Les appels interjetés contre les décisions du juge de l'application des peines
prises dans ce cadre sont portés devant la chambre des appels
correctionnels.
Pour les peines supérieures à dix ans, le dispositif est plus collégial : la
décision est prise par une chambre régionale des libérations conditionnelles,
composée d'un magistrat de la cour d'appel et de deux juges de l'application
des peines du ressort de cette cour, dont le juge qui suit le condamné.
Les appels interjetés contre cette chambre sont portés devant la chambre
nationale des libérations conditionnelles, composée de magistrats de la Cour de
cassation et de deux assesseurs citoyens représentants de deux grandes
catégories d'associations, celles qui oeuvrent en faveur des victimes et celles
qui oeuvrent pour la réinsertion des condamnés.
En liaison avec cette juridictionnalisation de la libération conditionnelle,
je vous propose aussi celle des mesures par lesquelles le juge de l'application
des peines décide qu'un condamné pourra durablement sortir de prison. Pour ces
mesures, le condamné ne retournera pas en prison s'il se conduit bien. Je ne
vois donc pas pourquoi nous n'appliquerions pas le même système que pour la
libération conditionnelle proprement dite.
Toutefois, je ne propose pas de juridictionnaliser les permissions de sortir,
parce qu'elles obéissent à une autre logique que celle de la sortie durable
d'un établissement pénitentiaire.
Ce dispositif n'est pas très éloigné de celui qui a été conçu par votre
rapporteur, et je me réjouis de cette communauté de vues, qui nous permettra
certainement de progresser rapidement au cours des débats.
Le deuxième amendement déposé par le Gouvernement a trait aux décisions de la
Cour européenne des droits de l'homme.
Sur l'initiative de Jack Lang, partageant une préoccupation que M.
Dreyfus-Schmidt m'a également exprimée dans un récent courrier, l'Assemblée
nationale a adopté une disposition prévoyant la révision d'un procès dont le
déroulement aurait donné lieu à la condamnation de la France par la Cour de
Strasbourg en raison d'une violation des dispositions de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales.
L'amendement que je vous propose a pour objet de donner toute leur portée aux
dispositions que l'Assemblée nationale a votées : il sera possible, au cas de
condamnation de la France par la Cour de Strasbourg, non seulement de procéder
au réexamen au fond du dossier pénal dont le jugement à entraîné cette
condamnation, mais aussi au réexamen du pourvoi en cassation lorsque la
violation de la convention s'est produite durant cette phase de la
procédure.
J'évoquerai enfin, pour mémoire, l'amendement que je vous propose afin de
fixer clairement et sur une base réaliste la date d'entrée en vigueur de
certaines dispositions.
Il me reste à dire quelques mots sur les amendements que présente votre
rapporteur, M. Charles Jolibois.
Ces amendements portent indéniablement la marque d'une volonté constructive et
d'une grande ouverture à la discussion. Nombre d'entre eux ont pour objet de
préciser des dispositions qui, en effet, méritaient d'être plus claires.
J'insisterai plus spécialement sur l'apport essentiel à notre procédure pénale
que constitue l'appel en matière criminelle. Je retiens que, sous réserve de
quelques modifications non négligeables, dont nous reparlerons, votre
commission valide le dispositif arrêté par l'Assemblée nationale.
J'évoquerai rapidement l'enregistrement sonore des gardes à vue, auquel je ne
me suis pas opposée lorsqu'il a été débattu devant l'Assemblée nationale, et
qui a d'ailleurs été voté à l'unanimité des groupes représentés ce jour-là.
J'avais cependant tenu à exprimer des interrogations, que je veux rappeler
ici.
Cette mesure a-t-elle pour objectif de garantir la personne ? Mais alors
l'enregistrement vidéo en continu n'est-il pas seul susceptible de répondre à
ce souci ?
M. Alain Vasselle.
Pourquoi pas ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
S'agit-il de garantir les déclarations ? Mais alors se
pose la question du statut de l'enregistrement dans la procédure et apparaît le
risque que cet enregistrement se retourne contre la personne entendue.
Votre commission fait d'autres propositions. J'y reviendrai lors de la
discussion des articles, car ce débat mérite en effet d'être approfondi.
Votre rapporteur vous propose également d'apporter des modifications aux
dispositions votées par l'Assemblée nationale concernant le juge chargé de la
détention provisoire, dont il souhaite qu'il devienne le « juge des libertés ».
C'est une très belle expression, mais, je l'ai déjà dit à plusieurs reprises,
je considère que tous les magistrats sont garants des libertés individuelles.
Cette prérogative leur est d'ailleurs constitutionnellement reconnue. Je ne
souhaite donc pas que cette belle appellation de « juge des libertés » soit en
quelque sorte réservée, en l'espèce à une seule catégorie de magistrats.
Je voudrais, enfin, vous exprimer mon opposition au régime particulier proposé
pour le contrôle judiciaire des avocats, dont la décision reviendrait au
conseil de l'ordre. Je maintiens qu'il serait regrettable de créer une
catégorie particulière de justiciables. Je m'en expliquerai au cours des
débats.
Vous le voyez, les points, sinon de désaccord du moins appelant une
discussion, ne sont pas si nombreux.
J'aborde maintenant les autres amendements.
Le Sénat avait, en première lecture, adopté une série d'amendements visant à
rétablir un régime particulier pour les élus. L'Assemblée nationale a supprimé
ces dispositions ;...
M. Alain Vasselle.
Elle a eu tort !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... et j'apprécie que les mêmes amendements ne soient
pas proposés de nouveau par votre commission des lois.
Cependant, des amendements, certes différents mais procédant de la même
démarche, vous sont présentés : ils sont différents parce qu'ils ne visent pas,
comme précédemment, à instaurer une sorte de privilège de juridiction, même si
je sais que ce terme était contesté s'agissant desdits amendements ; ils
procèdent de la même démarche parce qu'ils visent à l'instauration d'un statut
particulier pour les élus.
Je ne conteste pas le fait que ces amendements traduisent l'existence de
difficultés réelles qu'il s'agissait de résoudre et je comprends et respecte
les motivations de leurs auteurs. Il me semble cependant qu'ils n'ont pas leur
place dans un texte relatif au renforcement de la présomption d'innocence.
Je crois que leur objet est étranger à celui du projet dont nous allons
débattre. Il a, en revanche, un rapport plus direct avec l'objet de la
proposition de loi que nous devons à M. Fauchon. Mais, surtout, ces amendements
soulèvent de sérieuses difficultés quant au fond, et je serai conduite, s'ils
sont maintenus, à exposer les motifs pour lesquels je suis opposée à leur
adoption.
Pour conclure, je ferai deux remarques sur les caractéristiques de ce projet
de loi.
D'abord, je dirai que nous nous soucions de sa mise en oeuvre pratique et je
soulignerai, ensuite, qu'accorder davantage de droits est bénéfique pour
tous.
S'agissant de la mise en oeuvre pratique de cet important texte, il est vrai
qu'il faut réussir la mise en oeuvre d'une réforme de cette ampleur. Nous avons
pour cela entrepris un programme de renforcement des juridictions qui se
poursuivra sur plusieurs années. Il faudra faire preuve de volonté et de
constance dans le suivi des moyens et des modalités de mise en oeuvre.
Ce n'est pas une réforme sans moyen puisque, dès l'année dernière et aussi sur
le budget de cette année, avant même que la réforme soit votée - elle ne l'est
pas encore définitivement - j'avais dégagé dans deux budgets la centaine de
postes nécessaires à la mise en place du juge de la détention provisoire.
En outre, dès 1998 - je l'ai rappelé tout à l'heure - j'ai lancé les centaines
de recrutements nécessaires pour constituer le nouveau service d'insertion et
de probation qui va gérer le suivi des personnes en libération
conditionnelle.
Nous poursuivrons cet effort dans le budget 2001 pour appliquer les nouveaux
textes.
Cette réforme se fera avec les magistrats, avec les greffiers, avec les
policiers.
Les conditions de sa mise en place sur le terrain feront l'objet d'un suivi
par un groupe de travail que je vais prochainement installer à la chancellerie
et qui réunira des chefs de cours et de juridiction, des greffiers, des avocats
et des policiers.
Je souhaite, en effet, que les difficultés pratiques, les conséquences pour
les usagers soient en permanence évaluées et les erreurs corrigées.
Seconde remarque, je crois bénéfique pour tous d'introduire davantage de
droits et de garanties aux droits et aux libertés individuelles dans le cadre
de l'enquête et de l'instruction préparatoire au procès. Non seulement ce n'est
pas dangereux, mais c'est aujourd'hui indispensable.
Pourquoi est-il aujourd'hui indispensable d'introduire davantage de droits
?
C'est indispensable, d'abord, parce que la loi proposée sait faire les
différences nécessaires. Nous maintenons, bien sûr, les distinctions entre les
faits graves et les faits qui sont plus légers. C'est ainsi que, dans les faits
de terrorisme ou de grande criminalité, l'avocat ne sera pas présent à la
première heure de la garde à vue.
C'est indispensable, ensuite, parce que la loi proposée tend à faire entrer le
droit dans les procédures de contrainte comme la garde à vue ou la détention
provisoire. Contrairement à ce que certains peuvent penser, la réaffirmation du
droit est bien accueillie par les professionnels de la procédure judiciaire car
elle les protège eux-mêmes contre les mises en cause.
C'est indispensable, parce que la loi proposée confortera l'enquête et la
procédure.
En 1957, l'introduction de la première réglementation de la garde à vue a
suscité des oppositions ; pourtant, elle apparaît indispensable aujourd'hui.
En 1983 - Robert Badinter sera le premier à s'en souvenir - l'introduction
d'une réglementation des contrôles d'identité a suscité des oppositions ;
aujourd'hui, elle est admise.
En 1993, l'introduction de l'avocat à la vingtième heure de la garde à vue,
avec des années de retard par rapport aux autres pays européens, a suscité des
oppositions ; depuis, chacun a reconnu ses avantages et l'absence de
perturbation des enquêtes.
Les avancées du projet de loi serviront aussi bien les droits des mis en cause
que l'efficacité de l'enquête, car la rapidité est l'alliée des policiers comme
des magistrats : selon la formule, le temps qui passe c'est de la vérité qui
s'enfuit, et la recherche des indices est servie par des délais précis et
exigeants.
C'est indispensable parce que je crois que le contradictoire est l'allié des
policiers pour montrer qu'il n'y a pas seulement l'aveu et la dénonciation : il
existe aussi la preuve et les indices matériels ou techniques.
En outre, la transparence par le regard extérieur, dans les gardes à vue, par
le débat entre le juge d'instruction et le juge de la détention, est une
occasion de se poser les bonnes questions et de ne pas laisser d'interrogation
sans réponse ou de doute non levé.
C'est indispensable parce que je pense que nous sommes soucieux de la
proportionnalité des moyens de contrainte, qui est à la base de la convention
européenne des droits de l'homme, parce que cela nous met aux normes des autres
pays européens et parce que nous avons intérêt à le faire avant d'y être
contraints par quelque décision retentissante de Strasbourg.
L'enquête sera plus solide parce qu'elle aura été mieux menée. Que chacun joue
son rôle : le juge d'instruction instruit, le policier enquête sous le contrôle
du juge,...
M. Hubert Haenel.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... les avocats exercent pleinement les droits de la
défense, les tribunaux jugent. De cette clarification des fonctions sortira
plus d'efficacité dans les procédures et aussi plus de droits pour tous.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement poursuit ses
réformes ; il poursuit la réforme de la justice et, dès cette année, au-delà de
la présomption d'innocence, la réforme portera sur les tribunaux de commerce,
sur le droit des sociétés, qui est dans le projet de loi « nouvelles
régulations économiques », et sur le droit de la famille.
M. Alain Vasselle.
Et la responsabilité des magistrats, ce sera quand ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Vous pouvez constater que notre volonté réformatrice
porte sur l'ensemble des champs de la justice et que la volonté de ce
gouvernement ne faiblit pas, qu'elle s'exerce au contraire sur tous les plans,
c'est-à-dire sur le plan des textes, mais aussi sur celui des moyens car, bien
entendu, il est essentiel que nous puissions permettre d'abord et avant tout
aux tribunaux mais aussi à tous les acteurs du système judiciaire d'appliquer
ces réformes et de mieux faire fonctionner la justice au quotidien.
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Vasselle.
Et la responsabilité des magistrats ? On n'ose pas en parler. C'est un sujet
politiquement sensible.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je vous répondrai tout à l'heure sur ce point, monsieur
Vasselle !
(M. Paul Girod remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat examine
aujourd'hui, en deuxième lecture, le projet de loi renforçant la protection de
la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Après deux lectures à l'Assemblée nationale et une lecture au Sénat, le projet
de loi initial a été considérablement enrichi. Il m'apparaît que ce texte
illustre déjà la constatation selon laquelle la loi demeure très souvent
l'oeuvre du Parlement et montre le caractère indispensable du dialogue qui
s'instaure entre deux chambres dans un système bicaméral.
A l'origine, le texte comportait quarante articles. Il en compte aujourd'hui
cent cinquante. Sur ces cent cinquante articles, cent quatre demeurent en
discussion.
Le projet de loi date du mois de septembre 1998. Il était inspiré, pour
partie, des travaux de la commission présidée par M. Pierre Truche. Il
comportait essentiellement : un renforcement du contrôle des mesures de garde à
vue, tout particulièrement la possibilité de demander à s'entretenir avec un
avocat dès la première heure de la mesure ; la consécration du statut de témoin
assisté afin d'éviter les mises en examen ; la création d'un juge de la
détention provisoire ; une modification très limitée des conditions permettant
le placement en détention provisoire ; l'ouverture des fameuses fenêtres de
publicité que nous avions visées dans le rapport du Sénat sur la présomption
d'innoncence, dont j'avais eu l'honneur d'être le rapporteur ; enfin, des
dispositions visant à renforcer l'information des victimes et à faciliter la
constitution des parties civiles.
Dans sa première lecture, le Sénat a donné, je pense, une nouvelle ampleur au
texte.
Tout d'abord, la réforme des cours d'assises : c'est la mise en place d'un
recours tournant en matière criminelle ; la procédure pénale qui pouvait
aboutir aux peines les plus lourdes devait bénéficier du double degré de
juridiction.
Nous avions proposé l'instauration de l'appel tournant ; il a été quelque peu
modifié par l'Assemblée nationale, mais il subsiste. Vous avez suivi, mes chers
collègues, la commission des lois lorsqu'elle vous l'a proposé, et l'Assemblée
nationale a confirmé cette initiative sénatoriale.
Une réflexion approfondie a été menée sur les mises en examen ; car il
devenait nécessaire que des indices graves ou concordants soient décelés avant
une mise en examen ; en outre, elle ne pouvait être faite sans que la personne
concernée puisse s'expliquer avec le juge.
Le régime de la détention provisoire, de tout temps dénoncé comme étant la
plus grave des atteintes à la présomption d'innocence, ne devenait possible que
dans des cas strictement nécessaires. Un juge spécial prenait dorénavant la
décision. Vous l'appeliez dans votre texte, madame le garde des sceaux, « le
juge de la détention provisoire » ; en première lecture au Sénat, la commission
des lois n'avait pas proposé de dénomination, elle fait renvoyer à un numéro du
texte, ce qui n'était pas très élégant. Il faut reconnaître que l'emploi des
termes « juge de la détention provisoire » était malheureux, s'agissant d'un
juge précisément chargé de tenter d'éviter au maximum la détention
provisoire.
Le Sénat avait décidé que, en cas d'appel, la chambre d'accusation devait se
prononcer dans les quatre jours.
Il avait élevé le seuil des peines encourues qui rendait possible la détention
provisoire et avait simplifié les règles en admettant, à l'époque, le principe
de trois ans d'emprisonnement comme étant la peine encourue pour être mis en
détention provisoire.
Le Sénat avait conforté le droit des victimes.
Enfin, toutes les dispositions concernant la responsabilité pénale des élus
locaux, qui d'ailleurs n'avaient pas été présentées par la commission et qui
avaient été adoptées par le Sénat, ont été supprimées par l'Assemblée
nationale. Elles ont d'ailleurs perdu leur raison d'être depuis l'adoption par
le Sénat de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon, qui, nous
l'espérons, sera votée par l'Assemblée nationale. Ces dispositions sont
applicables non seulement aux élus mais à l'ensemble des citoyens pour les
délits non intentionnels. En conséquence, toutes les dispositions qui avaient
été introduites par le Sénat en première lecture perdent aujourd'hui de leur
acuité et de leur nécessité.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a introduit quelques innovations
importantes, dont je cite les principales.
Elle a d'abord prévu le fameux enregistrement sonore des gardes à vue.
Elle a, en outre, accepté des conditions plus larges du statut de témoin
assisté et elle a reconnu que ce statut ne devait pas lui donner des droits
identiques à ceux de la personne mise en examen. Mais elle a, comme nous
l'avions fait, admis que la mise en examen devait obéir à des critères plus
restrictifs. En d'autres termes, nous avons déjà brossé le statut général de la
mise en examen et du témoin assisté.
S'agissant de la détention provisoire, l'Assemblée nationale a repris le titre
de « juge de la détention provisoire », que nous avions refusé. Elle a admis le
régime de placement sous surveillance électronique pour la détention
provisoire, ce qui correspondait à nos souhaits. Elle a, par ailleurs, réduit
la durée maximale de la détention provisoire à deux ans en matière
correctionnelle et à quatre ans en matière criminelle.
L'Assemblée nationale a surtout refusé de remplacer le référé-liberté par un
appel de la décision de placement dans un délai de quatre jours, solution
admise par le Sénat.
Elle a également admis la réforme de la procédure criminelle.
Elle a toutefois décidé que seul l'accusé pourrait faire appel, alors que nous
avions prévu un appel du parquet sauf en cas d'acquittement, selon une
tradition bien ancrée.
Elle a par ailleurs réduit le nombre des jurés de neuf à sept en première
instance d'assises. Seul l'appel d'assises conserverait ses neuf jurés. Les
députés entendaient ainsi marquer la différence entre les deux degrés de
juridiction : sept jurés pour le premier degré et neuf pour le second.
Enfin, elle a décidé une réforme importante de l'application des peines. Elle
a fait de ces décisions, qui sont actuellement des mesures d'administration
judiciaire, des décisions juridictionnelles. Mais elle n'a pas été au bout du
chemin vers lequel nous souhaitons vous mener aujourd'hui. La commission des
lois, en deuxième lecture, va donc vous proposer une série de dispositions.
La commission souhaite poursuivre sur la voie de la réforme amorcée par
l'Assemblée nationale au sujet de la libération conditionnelle. Le juge de
l'application des peines deviendrait compétent pour les peines inférieures ou
égales à dix ans, le pouvoir qui était confié autrefois au garde des sceaux
pour les peines au-dessus de cinq ans étant accordé à une juridiction
collégiale.
Par ailleurs, les critères de la libération conditionnelle seront précisés
pour que les dispositions ne bénéficient pas qu'aux seuls titulaires d'un
emploi. Il est déjà très difficile de trouver un emploi lorsqu'on est en
liberté. Il faut tenir compte de la difficulté supplémentaire d'en trouver un
quand on est en prison.
Enfin, la commission des lois a adopté un amendement qui exclut de ce système
les permissions de sortie. Mais cet amendement, madame le garde des sceaux,
recouvre pratiquement celui que nous avons découvert dans la liasse des
amendements du Gouvernement.
La commission des lois vous propose aussi, mes chers collègues, de mettre en
place un véritable juge des libertés.
Je connais la critique : tous les juges sont des juges de la liberté ! Mais on
conviendra facilement avec moi qu'un juge qui interprète des contrats ou un
testament est un peu moins un juge des libertés que celui qui siégera dans
chaque juridiction, qui finira par être spécialisé, qui fera une jurisprudence,
qui deviendra le plus compétent, qui recevra les demandes du juge d'instruction
et qui statuera sur toutes les questions concernant de très près la liberté des
individus.
La nouvelle qualification de ce juge nous paraît mieux correspondre à ses
fonctions, qui sont très larges, puisqu'elles couvrent l'ensemble des sujets
touchant aux libertés de la personne au sein d'une juridiction.
Le juge des libertés aurait pour mission, outre la détention provisoire, le
contrôle des perquisitions, la prolongation du maintien en zone de rétention ou
d'attente, la prolongation des gardes à vue en matière de terrorisme. Ses
fonctions seraient donc élargies et sa nouvelle dénomination rappellerait ses
fonctions, comme dans certains systèmes étrangers, notamment dans les pays
anglo-saxons où exerce le juge de l'
habeas corpus.
Ce juge sera saisi à la demande du juge d'instruction, lequel conserve ainsi
le pouvoir de demander la mesure qu'il ne peut plus prendre seul.
Dans un premier temps, la commission des lois avait suivi son rapporteur, qui
souhaitait la suppression des peines d'emprisonnement pour des délits de
presse.
L'acceptation par la commission des lois, ce matin, d'un amendement du
Gouvernement qui ne supprime les peines de prison que dans des cas beaucoup
plus limités me privera peut-être de la possibilité de plaider pour la
suppression de ces peines pour la totalité des délits de presse.
Je m'apprêtais pourtant - et je pense que j'aurais été suivi par la commission
des lois si l'on avait admis l'autre système - à proposer un amendement
maintenant les peines de prison en cas de récidive, puisque la récidive n'est
pas prévue en matière de délit de presse, de manière que les impénitents
puissent, bien qu'ils n'aient pas peur des amendes, être pris malgré tout dans
les filets de la justice.
Mes chers collègues, j'ajoute que, à la lumière des travaux de l'Assemblée
nationale, il vous sera proposé d'apporter un certain nombre de modifications
d'ordre technique et d'améliorations.
Pour la réforme de la procédure criminelle, la commission a décidé de
permettre l'appel du ministère public. Le système ne pouvait pas fonctionner
sans appel du ministère public. En effet, lorsqu'il y a plusieurs co-accusés,
si un seul d'entre eux fait appel, les autres ne sont pas traduits devant le
second degré de juridiction et il peut en résulter des différences très
choquantes.
Il nous paraît plus équilibré de permettre l'appel du ministère public sauf,
naturellement, comme je l'ai dit, en matière d'acquittement.
Nous souhaitons aussi revenir au nombre de neuf jurés dans les deux degrés de
juridiction, en première instance et en appel. Le caractère de juridiction
d'appel serait, d'après nous, suffisamment marqué par la présence obligatoire,
pour présider la cour d'assises d'appel, d'un président de chambre de la cour
d'appel.
Dans le même ordre d'idées, ce projet de loi visant à renforcer la protection
de la présomption d'innocence et les droits des victimes, comme le précise son
intitulé, et comme le prévoyait le projet Toubon, la victime pourra porter ses
intérêts civils en appel devant la chambre des appels correctionnels.
En ce qui concerne la garde à vue, la commission des lois a apprécié la
disposition imposant de noter sur le procès-verbal les heures auxquelles la
personne gardée à vue a pu s'alimenter.
En revanche, à aucun moment la commission n'a estimé devoir retenir les
dispositions peu normatives proposées par l'Assemblée nationale sur les
fouilles corporelles et le respect de la dignité humaine, qui sont
l'application de grands principes généraux de notre droit, des principes
constitutionnels souvent répétés dans les lois ordinaires.
S'agissant de l'enregistrement des interrogatoire de garde à vue, trois
positions étaient possibles : le système quelque peu laxiste et débridé
préconisé par l'Assemblée nationale ; la suppression radicale de
l'enregistrement, et le système plus encadré qui avait pour objet de contrôler
les excès et les dérives possibles du système adopté par l'Assemblée
nationale.
Après avoir admis le système encadré que j'avais proposé, la commission des
lois a décidé, ce matin, d'accepter un amendement tendant à supprimer
totalement l'enregistrement sonore de la garde à vue. Nous débattrons donc à
nouveau de cette question.
Elle propose, en outre, que les enquêtes concernant les officiers et les
agents de police judiciaire agissant en cette qualité associent l'inspection
générale des services judiciaires au service d'enquête compétent. Nous
reprenons ainsi un amendement de notre collègue M. Hubert Haenel qui avait été
adopté en première lecture.
La commission des lois a par ailleurs accepté la proposition de l'Assemblée
nationale prévoyant l'impossibilité de mettre en détention provisoire une
personne encourant moins de cinq ans d'emprisonnement pour des délits
concernant les biens, c'est-à-dire ceux qui se rattachent au livre III du code
pénal.
Elle a également accepté les durées maximales de la détention provisoire de
deux ans en matière correctionnelle et de quatre ans en matière criminelle.
Toutefois, pour certaines matières graves et complexes, elle a donné à la
chambre qui s'appellera, si nous sommes suivis, non plus « chambre d'accusation
», puisqu'il n'y a plus de mise en accusation compte tenu de la réforme de la
cour d'assises, mais « chambre de l'instruction », cette nouvelle dénomination
correspondant mieux au texte que nous adopterons, la possibilité de prolonger
la durée de la détention provisoire.
Parfois, dans des affaires graves, on bute sur une difficulté et l'on est
obligé de libérer la personne. La commission a donc proposé un système qui
permettrait, dans certains cas, de demander une dérogation à la chambre de
l'instruction en vue de prolonger la détention.
Elle a aussi accepté le système décentralisé pour la fixation des indemnités
en matière de détention provisoire injustifiée avec, éventuellement, un
appel.
Enfin, le dernier volet du travail que la commission des lois a l'honneur de
vous soumettre concerne la liberté de l'information et la présomption
d'innoncence.
A ce sujet, la commission propose de revenir à la rédaction de l'article 9-1
du code civil que vous aviez adopté en première lecture. Ce « référé
présomption d'innoncence » ne fait absolument pas double emploi avec la loi qui
protège contre la diffamation. En effet, si l'on porte cette affaire en
diffamation, la personne qui se sent lésée par une accusation dans la presse,
au lieu d'obtenir une rectification immédiate d'accusations violant la
présomption d'innocence, est confrontée à un « déballage » sur une affaire qui
est en cours d'examen en justice.
Nous vous proposons donc, mes chers collègues, de revenir à la rédaction de
l'article 9-1 du code civil que vous aviez adoptée. Ce texte prévoit une
limitation, puisque le référé présomption d'innocence pourrait être utilisé par
toute personne présentée comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête
et d'une instruction.
Cette rédaction n'est pas aussi restrictive que si le référé ne pouvait être
exercé que par l'accusé, une personne déjà poursuivie. Si le référé présomption
d'innoncence est important pour toute personne déjà mise en examen, il est
évident qu'il est encore plus important pour toute personne qui n'est pas mise
en examen.
Au terme de cette analyse, vous constatez, mes chers collègues, que ce texte
qui, au départ, prévoyait une modification du code de procédure pénale, certes
importante mais tout de même limitée, est devenu, au fil du débat
parlementaire, une véritable réforme du code de procédure pénale. Cela me
conduit à dresser un parallèle avec la réforme du code pénal qui a abouti à ce
qu'on appelle maintenant le nouveau code pénal, dont j'avais l'honneur d'être
le rapporteur, avec mon regretté collègue Marcel Rudloff. A cette occasion, le
Parlement, dans son ensemble, avait souhaité que ce code tellement important
résulte d'un consensus le plus large possible entre les deux assemblées.
En l'occurrence, il s'agit du code de procédure pénale. Jamais il n'a reçu de
modifications plus importantes que celles qui vous sont soumises aujourd'hui.
Selon moi, ces modifications sont cohérentes, correspondent à une actualisation
et une modernisation de règles dont certaines datent de 1810.
Ces règles respectent de manière équilibrée, nous le pensons, les droits des
victimes et les droits de la personne humaine en face de l'appareil judiciaire,
qui doit à la société de rester efficace et aussi rapide que possible dans ses
décisions.
Les mesures proposées paraissent aussi - vous nous l'avez dit, madame le garde
des sceaux - compatibles, dans les délais les plus brefs, avec l'espérance
d'une mise en oeuvre et des moyens budgétaires prévisibles.
Ces réformes ne bouleversent pas le système judiciaire. Il est d'ailleurs très
difficile de bouleverser de fond en comble une habitude qui est presque deux
fois séculaire !
Notre système judiciaire fonctionne avec des règles d'application du droit
pénal. J'espère qu'en suivant la commission des lois vous introduirez les
corrections indispensables pour l'an 2000.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons
aujourd'hui une étape importante de la réforme de la justice.
Je ne reviendrai pas sur les différentes péripéties qui ont accompagné notre
débat. La portée que nous donnons à ce dernier montre, à l'évidence, que nous
ne pouvions utilement nous prononcer sur le rôle du parquet et sur sa situation
à l'égard de la Chancellerie qu'après avoir acquis une vision complète de la
procédure pénale, dont nous débattons aujourd'hui.
Le travail remarquable de notre rapporteur, approuvé souvent par la commission
unanime, nous permettra peut-être - j'ose l'espérer - de réduire à néant la
présentation si fréquente qui est faite de notre attitude et qui tend à faire
croire que le Sénat serait systématiquement défavorable à quelque réforme que
ce soit.
(Applaudissements sur quelques travées du RPR.)
Cette réforme, nous l'abordons avec la volonté d'aboutir, en soulignant dès
l'abord ce qui nous paraît essentiel : nous souhaitons que règne, au sein de la
justice, parmi les hommes qui ont mission de l'exercer, un certain état
d'esprit.
Très franchement, chacun ici le sait, je me suis interrogé sur le principe
d'une organisation syndicale de la magistrature. L'expression syndicale est
fonction d'une préférence politique. Chaque juge, comme citoyen, peut prétendre
à la liberté d'expression, mais une liberté d'expression tempérée par le devoir
de réserve auquel l'astreint l'exercice de la fonction judiciaire.
Il n'est pas sûr, loin de là, que ce devoir de réserve soit toujours respecté
dans certaines prises de positions syndicales. Nous en avons eu des exemples
récents que la commission des lois, unanime - je tiens à le souligner - n'a pas
manqué de relever.
Cette déviation partielle de l'attitude des juges, ou de certains d'entre eux,
se produit au moment où ils insistent à juste titre sur l'indépendance de leur
mission, que nul n'a jamais contestée. N'y a-t-il pas là une certaine
contradiction ?
De même doit-on s'interroger sur la perception que l'opinion publique finit
par avoir du rôle de la justice, à la suite, peut-être, de certains
dysfonctionnements de l'appareil judiciaire.
J'avoue avoir été stupéfait d'entendre un haut responsable politique se
déclarer assuré qu'un de ses collègues ne manquerait pas de prouver son
innocence.
Peut-on rappeler en cet instant que le fondement d'une justice démocratique,
c'est le respect de la présomption d'innocence, que ce principe s'impose au
juge comme à quiconque et que c'est au juge, et à lui seul, d'apporter la
preuve d'une éventuelle culpabilité ?
Réformer la justice, c'est aussi rappeler aux juges certaines règles de la
déontologie qui les concernent.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Qu'ils soient indépendants, nous le voulons
tous. Mais nous voulons aussi que certains d'entre eux - qui ont peut-être
quelque peu tendance à l'oublier - réapprennent à respecter la loi.
Ce débat que nous menons sur la présomption d'innocence aura singulièrement
progressé grâce aux apports du Sénat. Le texte qui nous venait de l'Assemblée
nationale en première lecture était en effet d'une timidité relative ; notre
rapporteur vous a proposé de l'enrichir singulièrement.
L'Assemblée nationale, je le note, a retenu certaines des propositions
essentielles qui lui ont été faites par la Haute Assemblée. Je me contenterai
d'en citer deux qui constituent un progrès particulièrement important.
La première concerne l'appel des jugements de cour d'assises, qui sera
désormais possible. Nous mettons ainsi fin à ce système inacceptable qui
permettait de mettre en cause une condamnation à six mois de prison, mais qui
empêchait de contester une condamnation criminelle de très longue durée. Ce
progrès considérable, votre prédécesseur, madame la ministre, avait voulu
l'accomplir. Ce sera désormais chose faite grâce à la proposition du Sénat, et
je me félicite d'avoir vu successivement le Gouvernement et l'Assemblée
nationale s'y rallier.
La seconde proposition essentielle qui vous aura été parfaitement exposée
concerne l'extension de la procédure du témoin assisté, qui permettra de
limiter, autant que faire se peut, le recours à la mise en examen, laquelle,
même lorsqu'elle se termine par un non-lieu, laisse, vous le savez, dans une
opinion publique mal informée par certaines présentations de presse, la plus
fâcheuse des impressions.
M. Alain Vasselle.
C'est vrai !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Mes chers collègues, nous le savons,
certaines propositions de l'Assemblée nationale suscitent quelques réserves
parmi nous. Il appartiendra au Sénat de se prononcer.
J'ai noté que des syndicalistes s'insurgeaient contre elles, au nom, bien sûr,
de l'intérêt général, dont ils sont les seuls garants, comme leurs collègues
des impôts ou ceux du corps enseignant.
Il faudrait cependant que chacun se persuade que, dans son ensemble, la
réforme proposée est peut-être la dernière tentative possible d'apporter des
corrections nécessaires au principe de la procédure inquisitoire, qui est
encore, à l'heure actuelle, la base de notre système judiciaire.
Si la réforme proposée apparaissait insuffisante, n'aboutissait pas aux
résultats que nous escomptons, peut-être faudrait-il aller davantage au fond
des choses : envisager une réforme complète du rôle du parquet, supprimer
l'instruction dans sa forme actuelle...
M. Alain Vasselle.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
...et en venir à une procédure
accusatoire.
M. Alain Vasselle.
Voilà qui est pertinent !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Nous savons aussi que nous devrons sans doute
aller plus loin. Ce dont nous discutons à l'occasion de cette réforme constitue
une étape, mais ce que nous en attendons correspond-il à l'espérance profonde
et première de nos concitoyens ? Sans doute. Néanmoins, d'autres attentes
existent, qu'ils ne manquent pas d'exprimer, nous le savons bien.
Ils attendent notamment - des progrès sont possibles en la matière - une
justice plus accessible et plus immédiate. L'organisation judiciaire devrait
peut-être mieux en tenir compte qu'elle ne le fait aujourd'hui.
Mes chers collègues, comme l'a dit excellemment notre rapporteur, s'il était
besoin de souligner la nécessité du bicamérisme, de marquer le rôle que le
Sénat joue dans les débats parlementaires, l'examen de ce texte en apporterait
une fois de plus la preuve.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
du RPR.)
Madame le garde des sceaux, en première lecture, je vous avais dit qu'il était
souhaitable - en tout cas, c'était un voeu personnel - que les deux chambres du
Parlement, comme en d'autres occasions qui ont été parfaitement rappelées,
puissent tomber d'accord sur des textes de cette importance. Je crois pouvoir
dire que le rapporteur, la commission et le Sénat tout entier auront fait tout
ce qui était en leur pouvoir pour y parvenir.
(Bravo ! et applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Robert Badinter
applaudit également.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toute
démocratie s'honore de renforcer les moyens qui assurent aux citoyens le
respect des droits fondamentaux lorsqu'ils ont affaire à la justice. La
constitution de moyens de preuve ne saurait en effet s'accommoder de
comportements se fondant uniquement sur ce que l'on pourrait appeler
l'obligation de résultat. La présomption d'innocence appelait des dispositions
complémentaires afin que, dans les faits, elle existe le plus complètement
possible.
Le dispositif qui nous est soumis par le Gouvernement a déjà été, en première
lecture, amélioré par les propositions de la commission des lois, notamment en
permettant que les arrêts rendus en premier ressort par la cour d'assises
soient susceptibles de recours.
L'examen des articles qui restent en discussion sera l'occasion d'avancer plus
encore. Toutefois, il me semble qu'à certains égards on a été soit trop réservé
soit, à l'inverse, trop contraignant, allant à l'encontre des buts recherchés :
protection et efficacité.
Les conditions de garde à vue méritent attention en matière tant du respect
des droits de la personne que de l'accueil environnemental. Chacun doit se
conformer aux règles de la société et tout manquement doit être sanctionné. Il
convient pour cela que les investigations nécessaires puissent être menées le
plus rapidement possible après l'infraction.
La période de garde à vue, qui est une première privation de liberté, est
placée sous le contrôle et la surveillance du procureur de la République. C'est
à la faveur de cette mesure que la recherche des preuves matérielles pouvant
aboutir à établir la culpabilité d'une personne interpellée se révèle
optimale.
Si la possibilité pour cette dernière de s'entretenir avec un avocat dès le
début de la période de garde à vue constitue une précaution supplémentaire
quant à son information sur ses droits, elle entraîne à coup sûr un
alourdissement de la procédure. Il semblerait que les avocats aient très
largement négligé la faculté d'assistance qui leur était offerte par un texte
précédent. Que va-t-il en être maintenant ?
A l'encontre de l'objectif recherché, à savoir le raccourcissement du temps de
toute privation de liberté, ne va-t-on pas vers une prolongation de la mesure
afin que les actes prévus puissent être réalisés, en particulier ceux qui sont
pratiqués loin du lieu de l'interpellation et qui étaient effectués jusqu'alors
sur commissions rogatoires du juge d'instruction ?
La possibilité de procéder à l'enregistrement sonore des interrogatoires des
personnes gardées à vue a soulevé de vives réactions de la part des officiers
de police, qui y ont vu une suspicion de mauvais aloi. Il faut convenir que
cette approche n'est pas sans fondement.
Pourquoi faut-il jeter l'opprobre sur tout un corps pour les manquements de
quelques-uns, par ailleurs sanctionnés comme il convenait ?
La manifestation d'hier a montré que cette disposition faisait l'unanimité
contre elle. Il serait opportun de surseoir à son adoption et d'organiser
d'urgence une concertation avec les représentants de la police judiciaire,
comme vous l'avez évoqué, madame la ministre, et je vous en remercie.
En effet, au moment où l'insécurité gagne dans tous les milieux et où la
population compte sur sa police pour rétablir l'ordre, le minimum serait
d'associer celle-ci à l'élaboration des dispositions qu'elle va devoir ensuite
appliquer. Il est important qu'elle se sente soutenue et reconnue.
Alors qu'il est de bon ton dans certains microcosmes de ne voir dans les
forces de police que des instruments de répression, on doit rappeler toutes les
missions de prévention et d'accompagnement dont elles sont chargées et dont
elles s'acquittent parfaitement bien. Aussi, je regrette profondément la
campagne de dénigrement des forces de police, dont la tâche est suffisamment
difficile et qui ont besoin de sentir la confiance entière des élus et de la
population.
J'en reviens à l'enregistrement des interrogatoires. Cette disposition
constituerait bien une avancée dans la garantie des droits des interpellés dans
la mesure où il s'agirait de bandes audiovisuelles. Le son, seul, est
insatisfaisant, car une partie des éléments est occultée ; la fiabilité du
document est très amoindrie. Si l'on estime, en cas de contestation, que
l'enregistrement est destiné à vérifier l'exactitude sur le fond des propos
transcrits sur le procès-verbal d'interrogatoire, il est tout aussi important
de visualiser les conditions dans lesquelles ces propos ont été tenus.
Madame la ministre, quels moyens seront-ils dégagés afin que ces documents
audiovisuels puissent être réalisés ? Qui sera habilité à les établir ?
Le texte que nous examinons précise également les conditions matérielles dans
lesquelles doit se dérouler la garde à vue. Un environnement tenant compte de
la dignité de la personne s'impose. L'article 2
bis
B répond à ce souci
partiellement pour les temps de repos et pour la subsistance. Toutefois, rien
n'est dit sur l'état des locaux ni sur leur conformité aux normes d'hygiène
notamment. Il est prévu que le procureur de la République visite les locaux de
garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire, au moins une fois par
trimestre.
Dans le cas de constats de carences consignés lors de ces contrôles, la mise
en conformité est-elle systématiquement réalisée, madame la ministre ? Le
magistrat tient-il un état des recommandations suivies d'effet ? Des crédits
sont-ils prévus à cette fin ? Beaucoup de ces espaces ne sont pas en meilleur
état que certains univers carcéraux.
A cet égard, je suis satisfait que la commission des lois propose un
amendement visant à limiter la mise ou la prolongation en détention provisoire.
Ainsi, cette mise en détention provisoire ne serait possible que si la peine
encourue est supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement lorsqu'il est
reproché à la personne mise en examen un délit prévu par le livre III du code
pénal relatif aux atteintes aux biens et que cette personne n'a pas déjà été
condamnée à une peine privative de liberté sans sursis supérieure à un an. Cela
me semble juste.
Régulièrement sont dénoncés, çà et là, les traumatismes provoqués par les
détentions provisoires chez des sujets dont l'infraction commise apparaît comme
marginale ou occasionnelle dans leur vie. Les séquelles laissées sont alors
plus importantes que la lésion portée au bien d'autrui et la réparation
demandée.
Supprimer, comme le propose la commission des lois, par l'introduction d'un
article additionnel avant l'article 22 A, les peines d'emprisonnement ferme
pour délits de presse me paraît inopportun. Rareté du prononcé ne veut pas dire
désuétude. Ces peines restent les seules actions efficaces dont disposent les
juridictions pénales quand elles se trouvent en présence d'une personne
insolvable ou, à l'inverse, lorsque le paiement d'une amende ne gênerait en
rien une diffamation de manière constante et délibérée. Il convient de tenir
compte de ces situations.
Corrélativement à l'information et à l'aide apportées aux victimes par la
police judiciaire qui sont certes meilleures, un renforcement du dispositif est
impératif. Une écoute de qualité et la possibilité de pouvoir faire appel à des
intervenants spécialisés s'imposent. Souvent déjà lésée, bafouée ou meurtrie,
la victime a l'impression d'être incomprise et perdue face à un univers
totalement inconnu et complexe.
La recherche des raisons profondes du déclenchement de l'acte répréhensible
chez un délinquant, si elle conduit à une explication, est trop souvent
considérée comme un élément majeur d'atténuation de la responsabilité.
L'appréciation de l'intention de nuire, si importante dans la détermination des
sanctions, subit une altération. La victime qui n'a commis aucune faute doute
alors de la justice. Il convient que nous fassions en sorte que cette attitude
ne se répande pas.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'ensemble de
la majorité des membres du groupe RDSE suivra la position de la commission.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi nous revient donc en deuxième lecture. A l'approche de Pâques, je me fais
une joie de rendre à chacun témoignage pour son apport dans cette entreprise
commune vouée à une transformation profonde de la procédure pénale.
Madame la ministre, c'est à vous que revient le premier mérite. Soyez assurée
que le texte entrera dans les annales de la procédure pénale et que,
conformément à l'usage, il portera votre nom.
C'est le sort des parlementaires que d'oeuvrer, je ne dirai pas dans
l'obscurité, mais dans un relatif anonymat. Leurs amendements, sauf lorsqu'ils
ont une force de frappe médiatique sans pareille, perdent rapidement leur nom
pour devenir un amendement, n° 25 de la commission ou de M. X.
(Sourires.)
Qu'il me soit permis d'associer à cet hommage, je ne dirai pas mon ami Charles
Jolibois, vieux compagnon de route depuis si longtemps - ne jouons pas les
vieilles moustaches en cet instant ! -, mais notre excellent rapporteur.
Ainsi, les amateurs d'histoire parlementaire, dans des thèses ultérieures, ne
manqueront pas de relever que, si nous possédons enfin le double degré de
juridiction en matière criminelle, c'est non seulement le fruit d'un long
effort poursuivi depuis des décennies, mais aussi le résultat de la passion
avec laquelle notre rapporteur a en quelque sorte imposé ce progrès aux
assemblées. Donc, félicitons-le et remercions-le encore !
J'ajouterai quelques mots à votre intention, monsieur le président de la
commission, dont je n'ignore pas la modestie ; je sais que vous n'aimez être
loué que modérément. Je passerai outre en vous félicitant d'avoir oeuvré sans
cesse pour que nous allions au-delà du texte d'origine, mais aussi pour que les
points de vue des deux assemblées se rejoignent, ce qui laisse espérer que nous
achèverons heureusement ce long travail.
Qu'il me soit permis, dans cet hémicycle sénatorial, d'ajouter à cette brassée
de fleurs un collier pour nos collègues de l'Assemblée nationale. Après tout,
on n'est pas toujours si aimable avec l'Assemblée nationale au palais du
Luxembourg !
Après des débuts que je qualifierai de timides, elle s'est laissée emportée
par la créativité pour proposer des innovations importantes et résolues
permettant d'aller de l'avant, toujours plus de l'avant, comme il sied dans ce
genre d'entreprise.
C'est donc le résultat d'une coproduction législative exemplaire qui revient
en cet instant devant le Sénat.
A cet égard, je ferai remarquer l'intérêt qu'il y a à ne pas demander
l'urgence - en mon temps, je n'ai failli qu'une seule fois à cette règle - sur
un sujet difficile, dans la mesure où les textes se trouvent considérablement
améliorés au cours de la navette. C'est d'ailleurs lors de ce va-et-vient que
le Sénat joue son rôle le plus constructif. J'ai en mémoire l'exemple très
précis de grands textes économiques élaborés de la sorte entre 1983 et 1985.
En deuxième lecture, que reste-t-il en discussion dans le domaine de la
procédure pénale ?
Vous avez évoqué, madame la ministre, les progrès accomplis s'agissant des
droits des victimes.
Nous aurons à débattre de questions concernant la législation sur la presse,
mais ce n'est pas l'objet principal de ce projet de loi et, en cet instant, je
parlerai exclusivement, au nom de notre groupe, de procédure pénale.
Je vais donc m'attacher aux avancées essentielles qui restent en discussion en
les considérant successivement dans l'ordre même du déroulement du procès.
Commençons par l'enquête préliminaire et, évidemment, par la garde à vue.
A cet égard, il faut noter une innovation très importante : la présence de
l'avocat dès la première heure de garde à vue.
On sait que la présence de celui-ci lors de la garde à vue n'a pas été, au
départ, acceptée très favorablement. Or, en définitive, chacun y a gagné, et la
mesure est maintenant parfaitement intégrée. Je suis convaincu qu'il en ira de
même pour cette nouvelle avancée.
Je laisse de côté le problème du respect de la dignité humaine, non pas que ce
principe ne soit pas cher à tous les parlementaires, mais tout simplement parce
qu'il est inscrit dans les grandes déclarations, y compris la Déclaration
universelle en son article 1er, ainsi que dans des conventions internationales
qui nous lient. De surcroît, il a été consacré par le Conseil constitutionnel.
On peut le faire figurer ou non ; de toute façon, c'est un acquis sur lequel il
n'y a plus lieu de s'interroger.
La disposition qui a soulevé une vive émotion au sein, et cela se conçoit, du
corps des officiers de police et, au-delà, chez certains magistrats
particulièrement préoccupés par cette question, c'est la disposition
prescrivant l'enregistrement sonore des interrogations au cours des gardes à
vue.
Je conçois que, face à cette innovation, le corps judiciaire en général puisse
manifester quelque souci ou quelque impatience. Mais je rappelle que d'autres
Etats européens très proches pratiquent ce système sans que cela ait suscité,
au bout de quelques semaines, voire de quelques mois de tâtonnement, le moindre
problème.
Là, c'est moins l'inquiétude que la réflexion qui devrait présider au
débat.
En y réfléchissant, il m'apparaît de plus en plus que la question de
l'enregistrement sonore ou audiovisuel est en quelque sorte secondaire, que ce
qui réglerait tout naturellement le problème, c'est la présence de l'avocat
lors de l'interrogatoire mené au cours de la garde à vue. A partir du moment où
l'avocat est là, il n'est plus besoin de compliquer les choses en recourant à
des techniques d'enregistrement. Sa présence suffit ! Puisqu'il est là dès la
première heure, disons simplement que, si celui qui est placé en garde à vue le
demande, son interrogatoire aura lieu en présence d'un avocat. Il y en aura
désormais assez dans les lieux de garde à vue, grâce à la disposition que nous
prenons.
Après la garde à vue, nous passons au stade de l'instruction.
A cet égard, une avancée très importante résulte de la dissociation du pouvoir
de placement en détention et du pouvoir du juge d'instruction. La dualité des
fonctions était, en effet, le paradoxe du magistrat instructeur depuis
l'origine : Salomon et Maigret. Pendant longtemps, il fut d'ailleurs beaucoup
plus Maigret que Salomon. Quoi qu'il en soit, il y a là un progrès
indispensable, et l'on est fondé à espérer que cette dissociation entraînera
une réduction des placements en détention provisoire.
Madame la ministre, vous avez parlé de « double regard ». Je dirai plutôt
qu'il s'agit d'une double détente.
La complexité de cette procédure - l'histoire récente est pleine
d'enseignements en ce domaine - entraînera probablement une diminution du
nombre de placements en détention provisoire. Toutefois, je n'attends pas, je
le dis très franchement, une diminution très sensible du seul fait de cette
dualité.
En revanche, au fur et à mesure de mes réflexions, de plus en plus
d'interrogations me sont apparues quant à la conformité de ce double
déclenchement, procédure très complexe, aux exigences du procès équitable tel
que le définit la convention européenne. Nous aurons l'occasion d'en reparler
au cours de la discussion des articles, mais je tenais à vous faire part de
cette préoccupation.
L'autre mesure très importante permettant de limiter les détentions
provisoires, selon le voeu unanime de tous les parlementaires et, au premier
chef, du garde des sceaux, est la fixation de seuils au-dessus desquels on ne
peut placer en détention provisoire. C'est un moyen auquel on a déjà eu recours
avec succès, notamment en 1975.
Sur ce terrain, le Sénat était déjà allé plus loin que le projet, puis
l'Assemblée nationale était allée plus loin que le Sénat. Le Sénat rejoint
maintenant l'Assemblée nationale, sous une réserve qui sera précisée. Cela va
dans le bon sens. Le moment n'est pas encore venu d'entamer la discussion de
détail sur ce point, mais il est certain que l'on peut espérer de ces seuils-là
une limitation à mon avis beaucoup plus sensible que celle qui résultera de la
procédure complexe à laquelle j'ai fait allusion.
Toujours dans le cadre du déroulement de la procédure d'instruction, on a
également, et à juste titre, réduit la durée de la détention. Là aussi, cet
effet de seuil jouera en matière criminelle comme en matière correctionnelle.
On peut également en espérer une réduction sensible des détentions
provisoires.
Cela a toujours été une préoccupation essentielle. Reconnaissons que cette
espérance, après quelque quatorze textes sur la détention provisoire, et plus
de vingt années d'expérience, n'a pas toujours été récompensée. Souhaitons
qu'il n'en soit plus de même cette fois-ci ! Je veux y croire, surtout à la
lumière des dispositions concernant les seuils et les durées préfixées.
Au nombre des avancées significatives, j'ajouterai l'encadrement de la durée
des procédures d'instruction. L'exigence de délais raisonnables est nécessaire
et juste.
J'approuve également les dispositions concernant ce que je ne peux pas appeler
un « contrat de procédure » et que j'appellerai les « demandes de clôture
d'information », ainsi que la transmission obligatoire du dossier au président
de la chambre d'accusation. Tout cela est bien.
Au-delà du stade de l'instruction, nous en arrivons à celui du jugement.
Je reprends les hommages qui ont été rendus. Grâce à votre persévérance,
monsieur le rapporteur, grâce à votre compréhension, madame la ministre, nous
voici arrivés au terme d'une très longue marche.
A cet égard, madame la ministre, je me dois de rappeler que votre
prédécesseur, M. Toubon, était près d'aboutir quand des événements qui
n'avaient rien à voir avec le projet de loi sur le double degré de juridiction
criminelle ont fait que vous lui avez succédé.
(Sourires.)
Même si l'on
ne peut pas ne pas le mentionner en cet instant, il demeure que cela aura été
enfin réalisé alors que vous étiez présente à la Chancellerie.
Il reste une question qui relèverait plutôt de débats devant la conférence du
stage. Faut-il neuf ou sept jurés à la cour d'assises, statuant comme premier
degré de juridiction ? Ma foi, nous en discuterons ! Nous inclinons plutôt pour
conserver une cour d'assises à douze, et comprenant par conséquent neuf jurés
non professionnels, d'autant que ne se posent pas pour eux les mêmes questions
de recrutement que pour les magistrats professionnels.
Concernant l'appel, l'égalité des droits fait qu'on ne peut pas dénier au
ministère public le droit de faire appel d'une décision qui ne le satisfait
pas. Bien sûr, cela ne vaut pas en cas d'acquittement, pour des raisons qui
tiennent à cette sorte de bienveillance naturelle qu'éprouve le public - comme
nous tous, au demeurant - envers celui dont, sur douze personnes réunies en un
jury, après des débats, une majorité a considéré qu'il n'était pas coupable.
Renvoyer celui-là à nouveau devant une autre cour d'assises nous est apparu peu
humain. C'est pourquoi nous nous arrêterons au droit d'appel concernant la
condamnation, qui est absolument nécessaire au regard, notamment, d'une
pluralité d'accusés. Je crois que, sur ce point, il ne saurait y avoir de
discussion prolongée.
En ce qui concerne l'exécution des peines, quelle n'est pas notre satisfaction
de pouvoir saluer le progrès que constitue sa « juridictionnalisation » !
J'ai, à ce sujet, - excusez-moi de jouer ainsi les anciens ! - quelques
souvenirs précis. Après le vote de la loi de 1981 abolissant la peine de mort,
s'est posé le problème des longues peines, et beaucoup en tenaient pour des
mesures dites « de substitution », ce qui était absurde s'agissant de la peine
de mort, qu'on avait si longtemps déclarée irremplaçable. Ces mesures
consistaient tout simplement à instituer des périodes de sûreté, sur la durée
desquelles on ne cessait de surenchérir.
Le choix profond que nous faisions - ce n'est pas un pluriel de majesté, car
je pense en particulier au professeur Jacques Léauté qui avait longuement
réfléchi sur cette question, mais aussi au président Braunsweig et à M. Jéol,
qui, à la direction des affaires criminelles, y avait beaucoup travaillé -
était celui d'un régime sûr concernant les libérations conditionnelles. Or un
régime sûr ne pouvait pas, quelle que soit la conscience de tous les gardes des
sceaux, résulter de la décision d'un seul.
En effet, au-delà du fait qu'il faut un débat contradictoire, des
informations, et qu'il faut même entendre, voir, considérer celui sur le sort
duquel on va décider, après tant d'années d'emprisonnement - et c'est une
décision qui a une portée presque égale à celle qui est rendue par la cour
d'assises - la solitude du garde des sceaux, celui-ci fût-il entouré des avis
d'excellents conseillers, est angoissante et elle ne correspond pas aux
exigences d'une telle décision.
Nous avions donc élaboré un projet, que j'ai d'ailleurs la faiblesse de
considérer encore comme très bon, qui tendait à instituer un tribunal de
l'application des peines.
Mais cela se passait - pardonnez-moi si je file l'anecdote à l'italienne - en
juillet 1983. Le moins que l'on puisse dire est que l'atmosphère politique
d'alors n'était pas détendue, notamment pour la Chancellerie, qui avait vu
défiler sous ses fenêtres un important renfort de policiers que nous n'avions
pas demandé. Et c'est à ce moment-là que je déposais le projet de loi créant le
tribunal de l'application des peines, très long texte, qui avait exigé un
puissant travail.
De surcroît la fortune judiciaire a voulu qu'un crime particulièrement actroce
fût alors commis en Avignon, certains s'en souviennent peut-être, par un
permissionnaire de sortie. L'homme, un récidiviste, avait bénéficié de la part
d'un juge de l'application des peines d'une permission de sortie au moment des
vacances. J'avais adressé une circulaire recommandant la plus extrême attention
quant à la façon dont on délivrait les permissions de sortir en période de
vacances. Cette recommandation n'a manifestement pas, en l'occurrence, été
prise en compte. Et l'on s'est retrouvé avec un crime odieux, qui a reçu
l'éclat que l'on conçoit dans les médias, y compris la reproduction en première
page d'un très grand hebdomadaire d'une photo insoutenable, représentant des
empreintes sanglantes de mains sur une porte blanche.
Je n'ai pas besoin de dire quel tumulte s'est élevé à ce moment-là du côté de
certains de ceux - non point tous, je me plais à le souligner - qui se
trouvaient dans l'opposition. Dépouillant mes archives personnelles, j'ai
retrouvé l'immense panoplie des adjectifs dont j'ai été qualifié en cette
époque tendue.
J'étais prêt, tout était prêt. Mais, il faut le reconnaître, la volonté
politique a fait défaut. On m'a dit : « Ecoutez, ça va comme ça ! Assez de
mesures d'humanisation ! Assez de mesures prises en faveur de ceux que le
public considère comme ne méritant pas cet intérêt ! Vous reprendrez ce texte à
la prochaine législature. Pour l'instant, plus de tribunal de l'application des
peines ! »
Les choses ont donc perduré, sans que pour autant le principe soit contesté
ni, d'ailleurs, que la magistrature cesse d'en réclamer la mise en oeuvre et
les gardes des sceaux d'y aspirer. Par la suite, se sont posées des questions
de moyens. Curieusement, à l'époque où j'avais déposé le projet, elles ne se
posaient pas !
Aujourd'hui, nous allons enfin voir l'aboutissement de cette longue marche.
Dans la satisfaction très générale, permettez-moi de souligner la mienne, tout
à fait particulière.
J'ajoute, madame la ministre, qu'il y a dans la vie politique des « fenêtres »
- comme celles que, paraît-il, nous allons ouvrir dans la procédure
d'instruction - dans lesquelles la tension est moindre. Or nous sommes dans une
telle fenêtre en ce qui concerne la justice. Il faut en profiter, car cela peut
ne pas durer. Je pense en particulier aux progrès qui peuvent être accomplis
dans les maisons d'arrêt. Le public n'est pas communément favorable à ce genre
de progrès. Nous vivons aujourd'hui dans une période plus calme, plus heureuse.
Peut-être est-ce un changement définitif mais, songeant à l'histoire, je n'en
suis pas sûr.
En tout état de cause, l'amélioration de la conjoncture économique et de la
gestion fait que, en ce moment, les passions sécuritaires semblent moindres.
Voilà pourquoi il faut aller de l'avant, et je me réjouis qu'on réalise enfin
la juridictionnalisation de l'application des peines, sous la réserve émise à
juste titre par la commission des lois que celle-ci ne soit pas étendue aux
simples permissions de sortir, parce que, sans jeu de mots, nous n'en
sortirions pas !
Les choses étant ce qu'elles sont, au regard de l'ensemble de ce qui a été
ainsi réalisé au fil de ce long parcours législatif, la conclusion me semble
s'imposer d'elle-même ; je vous la livrerai très brièvement.
Si l'on assiste, surtout depuis une dizaine d'années, à des progrès sensibles
permettant des avancées qui n'étaient pas envisageables voilà quinze ans, cela
est lié à un fait décisif, à un fait majeur qui continuera à nous emporter
au-delà des cadres habituels de notre procédure pénale : la cause radicale de
l'amélioration constante de notre justice, de son imprégnation des principes
fondamentaux auxquels on rendait hommage jadis sans les suivre, c'est tout
simplement que les justiciables peuvent saisir la Cour européenne des droits de
l'homme. Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, que, avec le jour qui
vit l'abolition de la peine de mort, le jour le plus heureux de la fonction que
j'ai exercée fut le 6 octobre 1981, quand, avec M. Chandernagor, j'ai levé les
réserves qui interdisaient aux citoyens français et aux résidents étrangers en
France de saisir la Commission et la Cour européenne des droits de l'homme.
J'étais alors tout à fait convaincu que ce serait là l'instrument le plus
important de la transformation nécessaire de la justice française, qui
permettrait, beaucoup plus facilement que par les efforts des gardes des
sceaux, des parlements et des majorités successifs, que les choses changent en
profondeur et pour le mieux.
En effet, le fait que nous soyons tenus, à tous les niveaux, de respecter les
dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme et des
protocoles annexes et, au-delà, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg nous
amène insensiblement, mais d'une façon constante, à intégrer dans notre culture
judiciaire et dans notre pratique des principes qui, jusque-là, n'étaient pas
clairement perçus.
On ne peut plus aujourd'hui mettre de côté les principes fondamentaux et
conserver des structures qui les ignorent. Ainsi, s'agissant de la présence de
l'avocat lors de la garde à vue, je rappellerai à la Haute Assemblée l'arrêt
Allenet de Ribemont contre France du 10 février 1995. La Cour a souligné que
les prescriptions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de
l'homme garantissant la présomption d'innocence s'appliquent à tous les niveaux
d'intervention de l'autorité publique. C'est bien dans ce sens que nous allons,
et d'ailleurs le bâtonnier Pettiti, juge à l'époque, était, dans une opinion
dissidente relative à une décision de 1993, allé plus loin encore, ainsi que le
juge espagnol.
La limitation de la durée de la détention provisoire et des durées des
procédures d'instruction répondent à l'exigence du délai raisonnable de
l'article 6 de la Convention, trop souvent méconnu.
L'instauration du double degré de juridiction en matière criminelle satisfait
l'article 2 du protocole n° 7 prévoyant que « toute personne déclarée coupable
d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une
juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation ». Il
est vrai que l'on considérait que le contrôle par la chambre criminelle de la
Cour de cassation satisfaisait cette obligation. C'était, reconnaissons-le,
prendre quelques libertés d'interprétation avec le texte. Il est aujourd'hui
remédié à cette situation.
Même la juridictionnalisation de l'application des peines est dans la droite
ligne d'un arrêt Singh contre Royaume-Uni du 21 février 1996. A cette occasion,
la Cour européenne des droits de l'homme a considéré qu'une simple commission
de libération conditionnelle ayant le pouvoir de recommander la libération
conditionnelle mais non celui de la décider ne satisfait pas complètement aux
exigences de l'article 5, paragraphe 4, de la Convention européenne des droits
de l'homme, selon lequel les recours doivent être jugés par un tribunal, lors
d'une audience contradictoire et avec l'assistance d'un défenseur.
Toutes ces dispositions s'inscrivent dans la perspective européenne qui nous
emporte et qui nous permet d'aller toujours plus avant.
Enfin, j'insisterai sur l'instauration d'un nouveau cas de révision en matière
pénale. Il était réclamé depuis fort longtemps par les avocats et il a été
adopté par l'Assemblée nationale. Cela appelle quelques modifications qui sont
de l'ordre de la technique juridique et sur lesquelles nous reviendrons, mais
le principe lui-même n'est pas discutable, ce qui signifie que, là encore, nous
nous rallions à l'ensemble européen. J'indique d'ailleurs qu'un comité
d'experts du Conseil de l'Europe avait publié, dès 1992, avec l'autorisation du
Conseil des ministres, un rapport concluant à la nécessité de mettre en place
un tel mécanisme, ce qui a été fait dans un certain nombre de pays, notamment
en Norvège ou en Suisse.
En conclusion, je partage votre sentiment, monsieur le président de la
commission, et vous le savez : ce que nous faisons là constitue non pas un
aboutissement, mais un moment important dans l'évolution d'une procédure pénale
vouée à être structurellement transformée.
Un modèle européen de procédure pénale va naître. Nous devons contribuer à son
émergence, et je sais, madame la garde des sceaux, que telle a toujours été
votre conviction. Ce modèle est en marche. La Cour européenne des droits de
l'homme en pose toujours plus clairement les fondements et les juridictions
nationales, comme les législateurs nationaux, ne cessent de ce fait de
converger insensiblement. Cette évolution ne se limite pas à la seule Union
européenne, où d'autres avancées se font jour à propos de l'espace judiciaire
européen ; elle concerne toute l'Europe. C'est ce modèle qui permettra de
concilier les mérites de la procédure accusatoire avec ce que notre procédure
pénale a de meilleur, notamment des contrôles stricts beaucoup plus étendus que
dans la procédure anglo-saxonne au stade de l'instruction. C'est ce modèle qui,
demain, sera le modèle européen.
J'ajoute que, nous qui suivons de près les développements si passionnants des
juridictions pénales internationales, notamment ceux de la Cour pénale
internationale où, dans l'optique de l'élaboration du règlement de procédure,
sont représentés certains des meilleurs juristes des différents pays concernés,
nous voyons naître une sorte de symbiose entre ce qui a été si longtemps le
modèle dit « accusatoire » anglo-saxon et ce que notre droit et nos procédures
comportent d'utile et, quelquefois, de nécessaire.
Telle est la voie ouverte, et c'est parce qu'il s'inscrit dans cette voie que
ce projet de loi doit recueillir une approbation générale. L'oeuvre n'est pas
pour autant terminée, j'en suis absolument convaincu, mais franchissons
aujourd'hui cette étape. Je formule le voeu - et je sais, madame la garde des
sceaux, que nous pouvons compter sur vous sur ce point - que la France se situe
à l'avant-garde et non pas à l'arrière-garde quand il s'agit de définir la
justice pénale de demain en Europe.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen et du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le
projet de loi relatif à la présomption d'innocence et aux droits des victimes
démontre la volonté et la capacité du Parlement d'adapter et de moderniser la
procédure pénale en apportant des améliorations sensibles à un texte d'origine
gouvernementale.
A cet égard, le Sénat, cela a été répété maintes fois depuis l'entame de ce
débat, a pleinement joué son rôle constructif et irremplaçable, grâce aussi, il
faut le dire, à la navette. Je tiens ici à rendre hommage à Jacques Larché,
président de la commission des lois, et à Charles Jolibois, rapporteur, qui,
tout au long de l'examen de ce texte, a réalisé un travail remarquable.
Notre collègue Pierre Fauchon a, au cours de la première lecture, exposé avec
sa compétence habituelle la position de notre groupe. Je me bornerai donc
aujourd'hui à évoquer quelques aspects me paraissant essentiels du texte qui
nous est soumis, texte qui vise à concilier les impératifs de la défense des
libertés individuelles et ceux de la préservation de la sécurité, à permettre à
la fois rapidité de l'instruction et sérieux des investigations et à assurer
l'égalité, madame le garde des sceaux, entre accusation et défense.
Le débat fait apparaître la nécessité de nous inspirer, dans certains cas, des
exemples européens, en sachant que les mentalités et les traditions en matière
pénale des différents pays n'autorisent pas l'harmonisation pure et simple des
procédures.
C'est dans cet esprit que nous approuvons le rééquilibrage de la procédure au
profit d'un plus grand respect de la défense ; y contribuent fortement
l'instauration d'une garde à vue des personnes dans des conditions garantissant
leur dignité et leur intégrité physique, le bénéfice des conseils d'un avocat
dès la première heure et la création d'un juge de la détention provisoire ou
plutôt, pour reprendre la terminologie de la commission des lois, d'un juge des
libertés.
Un meilleur encadrement dans le temps de la détention provisoire et sa
limitation aux cas strictement nécessaires, selon la nature des crimes et des
délits, vont également dans la bonne direction. La possibilité d'appel des
verdicts des cours d'assises, introduite par le Sénat dès la première lecture,
est une disposition fondamentale. Quant à la judiciarisation de la liberté
conditionnelle, elle constitue une avancée positive.
Dans ce contexte général et à ce stade du débat, quatre dispositions
retiennent plus particulièrement l'attention de notre groupe.
Il s'agit tout d'abord du problème de l'enregistrement des interrogatoires de
garde à vue. Je conçois que l'on puisse avoir à ce propos des approches
différentes et que des cas de conscience puissent se poser. Les magistrats
instructeurs et la police judiciaire doivent pouvoir effectuer le travail
délicat qui est le leur dans des conditions d'efficacité optimale, mais nous
savons aussi que des abus peuvent se produire et se produisent lors de la garde
à vue. L'enregistrement sonore est-il une réponse infaillible ? A titre
personnel, je ne le crois pas, et je pense que l'accomplissement de la mission
difficile de mener l'instruction ne doit pas être entravé par le recours à des
techniques qui ne donnent pas toutes les garanties recherchées, surtout face à
des spécialistes chevronnés de la grande délinquance et de la criminalité.
La question des délits de presse représente un deuxième problème qui donne
lieu à controverse. Comme certains l'ont rappelé, une sensible atténuation des
peines s'impose, d'une part, parce que, prévues depuis plus d'un siècle, elles
ne sont plus appliquées en France et, d'autre part, parce que la loi de 1881
continue de servir parfois de prétexte à l'étranger pour justifier
l'emprisonnement de journalistes. Dans ces conditions, et tout en regrettant
que la proposition du rapporteur tendant à ne maintenir les peines
d'emprisonnement que dans les cas de récidive n'ait pas encore été retenue,
nous considérons que la position présentée par la commission, après adoption de
l'amendement du Gouvernement, est tout de même de nature à mieux protéger la
liberté de la presse et à l'adapter aux exigences de transparence et de
responsabilité qui, aujourd'hui, doivent constituer les fondements de la
liberté d'expression.
Le troisième aspect sur lequel nous tenons à mettre l'accent concerne la
responsabilité des élus locaux. Comme vous l'avez rappelé, madame la garde des
sceaux, celle-ci fait effectivement l'objet d'un texte spécifique, mais elle
est évoquée à juste titre dans son rapport par M. Jolibois.
La proposition de loi de notre collègue M. Fauchon, adoptée le 27 janvier
dernier par le Sénat, répond incontestablement à une préoccupation forte et
nous ne doutons pas que le texte qui sera examiné prochainement par l'Assemblée
nationale contribuera à une clarification, appelée de nos voeux dès la première
lecture du présent projet de loi sur la présomption d'innocence. Le fait que
tous ceux qui assument des responsabilités où que ce soit, et pas seulement les
élus qui ne recherchent pas de statut privilégié, inscrivent leur action dans
un cadre où les contours des infractions non intentionnelles seront mieux
précisés afin d'éviter des poursuites injustifiées constituera un progrès que
nous devons saluer. Il réduira le découragement qui, trop souvent, guette les
élus parce que présomption d'innocence et secret de l'instruction ne sont pas
toujours respectés.
Le dernier aspect que nous tenons à évoquer se rapporte à l'indemnisation des
victimes. La proposition de loi de notre collègue M. Philippe Richert aborde ce
point en particulier sous l'angle des violences urbaines. La proposition
d'indemnisation par les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions
est prise en compte et satisfaite, comme les propositions de la commission des
lois, puisque toutes les dégradations, qu'elles concernent ou non un véhicule,
y compris son incendie, pourront être indemnisées. C'est une lacune qui devait
être comblée à l'heure où les violences urbaines, fléau des temps modernes, se
multiplient.
Tout au long des débats en première et en deuxième lecture, le Sénat a eu pour
ligne de conduite de concilier efficacité de la procédure et renforcement de la
présomption d'innocence. C'est une mission particulièrement délicate car, selon
les événements, la passion peut l'emporter sur la raison et entraîner une
rupture d'équilibre préjudiciable tantôt pour les libertés individuelles,
tantôt pour les impératifs de sécurité.
La volonté du Sénat de légiférer au-delà de considérations passionnelles ou
conjoncturelles a, nous le croyons, amené celui-ci à présenter des propositions
raisonnables, qui sont tout à son honneur. C'est la raison pour laquelle notre
groupe votera les propositions présentées par la commission des lois, en
espérant qu'un accord entre les deux assemblées et avec le Gouvernement
permettra de consolider les avancées importantes et les résultats positifs qui,
d'ores et déjà, grâce en particulier au Sénat, se dégagent de nos travaux.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à
discussion générale, propos de caractère général. Aussi m'en tiendrai-je à
l'essentiel dans une intervention dont je mesure, croyez-le bien, le caractère
délicat.
« Protection et renforcement de la présomption d'innocence et des droits des
victimes », quelle enseigne plus gratifiante rêver pour un projet législatif ?
Et quelle inconscience, de prime abord, de la part d'un membre d'une assemblée
pour laquelle la défense des libertés individuelles a toujours été l'une des
raisons d'être, de se hasarder, sans en nier certains mérites, à en dénoncer
les travers ! Et d'oser les dénoncer après la conviction affichée par vous,
madame, avec cette détermination sur le fond que ne saurait celer la douceur de
votre voix...
(Sourires),
mais aussi après les solides plaidoyers de mes
amis MM. Jacques Larché et Charles Jolibois, respectivement président et
rapporteur de notre commission des lois.
Ce risque, ce vilain rôle de méchant, je l'ai mesuré, comme j'ai mesuré
l'inversion quasi sacrilège conduisant, après qu'a été entendue la défense, à
laisser la parole à l'accusation. Je l'ai mesuré et je l'assume, sachant qu'il
n'est pas de débat digne de ce nom sans voix iconoclaste ! Iconoclaste ?
Peut-être sans doute pas autant qu'on pourrait le penser.
Ayant eu l'occasion, ici même, le 15 juin dernier, de stigmatiser -
vox
clamantis in deserto
- les dangers de la présence de l'avocat dès la
première heure de la garde à vue, je n'y reviendrai pas, sinon pour souligner
et le risque qu'elle comporte pour l'efficacité de la police de proximité et
l'inégalité dont elle est porteuse entre le professionnel « abonné » à un
avocat et le délinquant occasionnel dépourvu de toute relation avec un
barreau.
Le texte dont il s'agit, fruit d'une inspiration à coup sûr généreuse, porte
témoignage du vieil adage selon lequel l'enfer est pavé de bonnes
intentions.
Dès l'abord, l'intitulé en est trompeur, qui paraît ménager autant de place
aux droits des victimes qu'à la présomption d'innocence. Quarante pages de la «
petite loi » qui nous vient de l'Assemblée nationale après une deuxième
lecture, quarante, dis-je, pour les présumés,... cinq pour les victimes...
Une association de parents d'enfants assassinés et de victimes du terrorisme
ne s'est pas trompée sur la composition de ce pâté fait de cheval et
d'alouette, et a dénoncé, le 21 mars dernier, « tant de désinvolture ».
L'objectif, répétons-le, est hautement louable. Qui ne souhaiterait que puisse
être tenu pour innocent celui qui n'a pas été reconnu coupable ?
Louable, mais, hélas ! largement illusoire dans une société médiatique où les
« fuites » sont devenues un sport largement pratiqué et où, sauf à s'en prendre
- ce qu'à Dieu ne plaise ! - à sa liberté, nul ne saurait empêcher la presse
d'évoquer telle ou telle affaire et, sans porter d'accusation, de glisser des
noms dont lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs seront nombreux à tirer une
présomption... de culpabilité.
L'exemple de la protection du secret de l'instruction est là pour nous prouver
que l'accumulation des textes visant à garantir et à sanctionner - un véritable
arsenal en l'espèce - se révèle impuissante à endiguer le flux des
indiscrétions.
Quant à l'essence même du projet de loi, elle témoigne, à nos yeux, d'une
totale indifférence aux aspirations majeures des Français, telles que les
confirment périodiquement les sondages les moins sujets à caution : aspiration
à une sécurité mieux assurée, aspiration à une justice plus diligente.
Aussi bien - et l'examen des articles en fera, au fil des heures, la
démonstration - l'on paraît s'être ingénié à multiplier les entraves tant à
l'action des fonctionnaires de police et de gendarmerie, déjà inquiets de la
raréfaction des témoins, qu'à l'action des magistrats. Ni les uns ni les autres
ne s'y sont d'ailleurs trompés.
Que « les personnes gardées à vue doivent être retenues dans des conditions
compatibles avec le respect de la dignité humaine auquel chacun a droit », qui
n'en tomberait d'accord ? Et je conviens volontiers qu'il n'était sans doute
pas inutile de rappeler ce principe.
Mais, outre qu'elle est ressentie par les enquêteurs - et je dis à M. le
président de la commission des lois que je n'ai jamais été le porte-parole
d'une organisation syndicale quelconque...
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Monsieur Bonnet, me permettez-vous de vous
interrompre ?
M. Christian Bonnet.
Volontiers !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de
l'orateur.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Mon cher collègue, je vous remercie de me
donner l'autorisation de vous interrompre.
Je ne vous ai jamais nommé, je n'ai jamais dit que vous étiez le porte-parole
d'une organisation syndicale. Si vous avez cru vous reconnaître dans les propos
que j'ai tenus, j'en suis désolé.
M. Christian Bonnet.
Je l'ai redouté, monsieur le président de la commission !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
J'ai simplement dit qu'il y avait eu une
organisation syndicale qui avait fait une pression et que, semble-il, elle
avait fait école auprès d'autres organisations syndicales qui s'étaient
manifestées, avec le succès que l'on sait, voilà quelque temps.
Je n'ai pas tenu d'autres propos...
M. Nicolas About.
Vous pensez trop fort !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
... et je n'accepte donc pas que vous ayez pu
penser un seul instant que je vous avais investi de ce rôle.
M. Christian Bonnet.
J'en prends acte et je vous en remercie.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Outre qu'elle est ressentie par les enquêteurs comme une marque de suspicion
illégitime - tant il est vrai que, comme le disait récemment le ministre de
l'intérieur, « la police française, ce n'est pas l'Inquisition espagnole ! » -
l'innovation consistant en l'enregistrement des gardes à vue, surgie d'une
improvisation en deuxième lecture au Palais-Bourbon, apparaît, même amendée
dans un premier temps par la commission des lois, déplorable.
Coûteuse en termes budgétaires, ne serait-ce qu'à travers l'acquisition
d'équipements adéquats sur tout le territoire, elle serait génératrice
d'allongements inconsidérés du parcours judiciaire pour peu qu'un magistrat -
ou, plus souvent, un avocat - en demande l'audition pour mieux cerner telle
phrase ou tel mot essentiels à ses yeux. La commission des lois en a jugé ainsi
ce matin même et on ne peut qu'espérer que le Sénat confirmera ce vote lors de
la discussion des articles.
Il serait inconséquent, dans un propos qui se veut général, d'énumérer tous
les effets pervers d'un projet de loi au titre prometteur. Mais tout autant le
serait-il de passer sous silence les principaux obstacles qu'il dresse, comme à
plaisir, à un travail diligent de celles et de ceux sur l'action desquels
repose le respect de la loi, et qui s'étonnent, crois-je savoir, de n'avoir pas
été préalablement consultés en un temps où le Premier ministre semble faire du
dialogue l'alpha et l'oméga de l'action du Gouvernement.
Des obstacles de nature à les décourager, mais aussi - prenons y garde ! - à
ouvrir la voie à des commentaires insidieux sur ce que seraient les motivations
sous-jacentes de législateurs tétanisés par les excès de zèle mal venus de
quelques boutefeux.
M. Nicolas About.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
Porte ouverte à une masse de contentieux dilatoires - telle la possiblité
d'appel de toute décision de mise en examen - exigence de la procédure d'actes
par des greffiers surchargés, obligation faite aux parquetiers de visiter
chaque trimestre tous les locaux de garde à vue, autant d'énonciations qui
trahissent une méconnaissance abyssale des réalités de ce qu'il est aujourd'hui
convenu d'appeler « le terrain » !
Pour ne prendre qu'un exemple, les rédacteurs du projet puis ceux qui l'ont
aggravé au passage ont-ils seulement pris la peine d'inventorier le nombre de
gendarmeries disséminées dans le ressort de leur tribunal et que les procureurs
devraient, quatre fois l'an, inspecter ?
Pour nous en tenir au seul domaine des possibilités matérielles,
indépendamment même du principe de dichotomie qui préside à la création d'un
juge des libertés et est loin de faire l'unanimité, comment ce juge, par
définition extérieur au dossier, pourrait-il, sans succomber à la tâche, tel le
baudet de la fable, gérer tous les dossiers que lui transmettront les cabinets
d'instruction ? Il en existe dix à Versailles, un exemple parmi d'autres.
Que d'embûches à surmonter, madame la ministre, que d'embûches, mes chers
collègues, pour des magistrats enserrés dans des délais butoirs !
Beaucoup, si conscencieux soient-ils, n'auront alors le choix, dans les
affaires les plus délicates exigeant des investigations poussées, notamment à
l'étranger, qu'entre rendre la liberté à des individus dangereux ou brader
prématurément des procédures incomplètes.
Comment ne pas demeurer interdit devant la contradiction existant, dans un
monde en voie de juridiciarisation exponentielle, entre la multiplication des
actes de procédure, facteurs inévitables de ralentissement du cheminement des
dossiers, et l'imposition de ces délais butoirs, instaurés sans doute pour
répondre à la dénonciation des lenteurs de la justice française par la Cour
europénne des droits de l'homme ?
Mais voici venu le temps de conclure ...
Tel qu'il nous est présenté, et en dépit des améliorations apportées par la
commission des lois, le projet de loi apparaît contestable sous un triple
aspect.
Contestable, il l'est en premier lieu parce qu'il conduirait la Haute
Assemblée à se renier. N'avait-elle pas fait sien le rapport de notre excellent
collègue Pierre Fauchon ? Ce rapport ne donnait-il pas pour titre à sa première
partie : « Le constat : une justice asphyxiée » ? Et ne posait-il pas un
préalable : « La mission pose en préalable à sa réflexion l'exigence d'exclure
toute réforme nouvelle sans moyens adéquats » ?
Or la réforme est là. Il faudrait, nous dit-on, pour sa mise en oeuvre,
quelques centaines de magistrats supplémentaires. Si vous avez à juste titre,
madame la ministre, rappelé les efforts dont témoignent les derniers budgets -
je vous en ai d'ailleurs rendu hommage à plusieurs reprises - il était sans
doute quelque peu présomptueux de votre part - je n'ose pas dire imprudent -
d'évoquer dans votre propos de conclusion les moyens d'application d'un projet
de loi d'une complexité aux limites de l'ingérable puisque aucune création de
postes n'est seulement esquissée.
Contestable, ce projet de loi l'est encore en ce qu'il fait bon marché du
premier des reproches que les Français adressent à la justice, à savoir sa
lenteur, en accroissant la charge de celles et ceux qui ont pour mission de la
rendre, et de la première préoccupation des Français, à savoir la sécurité des
personnes et des biens, en rognant les ailes de qui en a la charge.
Accorder paradoxalement moins d'attention à la sécurité publique qu'à ses
aspects sanitaire, alimentaire, voire sexuel, c'est contribuer à
l'affaiblissement des défenses immunitaires d'une société en proie à la montée
des violences, à l'extension des zones de non-droit et aux ravages de la
délinquance financière.
Contestable, le projet de loi l'est enfin en ce que, sourd aux recommandations
de la commission « Justice pénale et droits de l'homme », il constitue une
énième réforme partielle, si importante soit-elle, du code de la procédure
pénale.
L'on ne peut dès lors que faire sienne l'aspiration de notre éminent collègue
M. Robert Badinter, artisan majeur de la réforme du code pénal, que j'ai
entendu préconiser, face au caractère ingérable de l'accumulation des
ravaudages, l'application sans plus tarder d'un même traitement au code de
procédure pénale.
Et certains de se demander si, compte tenu du pas important accompli par votre
projet de loi, madame la ministre, vers une procédure de type accusatoire, le
moment ne serait pas venu d'aller de l'avant dans cette direction. Mais cela
est une autre histoire...
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la
commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons
aujourd'hui pour examiner en deuxième lecture le projet de loi renforçant la
protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Ce texte, qui a été examiné par nos collègues de l'Assemblée nationale, a été
enrichi par la discussion parlementaire, ce dont nous nous réjouissons tous.
Nous sommes aussi heureux de constater que l'opinion attend vivement le débat
qui est engagé cet après-midi au Sénat.
Malgré notre opposition à certaines des dispositions adoptées par l'Assemblée
nationale - j'en évoquerai deux plus particulièrement - je soulignerai, en ma
qualité d'ancien rapporteur de la commission des affaires culturelles,
l'amélioration considérable de ce projet de loi quant aux mesures relatives à
la communication. Je crois donc que, avec ce texte qui nous est proposé
aujourd'hui, avec les avancées du Sénat, la qualité des travaux de la
commission des lois, sans oublier - permettez-moi de le dire - les travaux de
la commission des affaires culturelles en première lecture, nous parviendrons à
un texte améliorant la « respiration démocratique » sur un sujet important.
En effet, les dispositions du chapitre IV du titre Ier, relatives à la
communication, ayant trouvé un équilibre relatif après les différentes
navettes, la commission des affaires culturelles n'a pas considéré comme
opportun de se saisir à nouveau de ce projet de loi en deuxième lecture.
J'interviens donc en qualité de simple orateur, membre de la commission des
affaires culturelles, et M. Haenel s'exprimera demain au nom du groupe du
RPR.
Ce projet de loi, satisfaisant sur bien des points, nous pose encore problème
sur quelques dispositions. En effet, certaines mesures, si elles étaient
adoptées en l'état, pourraient faire courir un danger non négligeable au bon
déroulement des enquêtes et de la justice même. J'en soulignerai plus
particulièrement deux.
La première concerne les conditions de la détention provisoire. L'Assemblée
nationale a introduit à l'article 15 une exemption pour les parents d'enfants
de moins de dix ans. Cette mesure n'a pas été retenue par la commission des
lois, qui proposera sa suppression, ce dont je me réjouis.
La seconde mesure qui suscite mon inquiétude et qui a été évoquée par nombre
de nos collègues a trait à l'enregistrement sonore des interrogatoires. Je me
suis réjouis, madame le garde des sceaux, de vous entendre exprimer des doutes
et des questions. Je vous soumets mes interrogations : les personnes gardées à
vue seront-elles toutes d'accord pour être enregistrées ? Rien n'est moins
sûr.
Par ailleurs, la sincérité des propos tenus par la personne gardée à vue
sera-t-elle évidente lors de l'audition de cet enregistrement ? Faute
d'enregistrement vidéo, on peut imaginer toutes les manipulations possibles.
Quelle sera l'utilisation de l'enregistrement ?
Enfin - il m'appartient de le dire après les propos tenus par M. Bonnet -
cette disposition, dans l'état actuel de ce texte, ne fait-elle pas peser sur
les services de police et de gendarmerie qui mènent l'enquête, et ce au moment
même où l'on introduit un renforcement de la présomption d'innocence, un
renforcement d'une sorte de présomption de culpabilité et un soupçon de
défiance qui n'est pas acceptable ?
Je souhaite donc que l'amendement de suppression adopté par la commission des
lois, sur l'initiative de mon collègue Hubert Haenel, soit voté par le Sénat.
Je ne pense pas qu'il soit de bonne procédure qui soulève tant de critiques.
J'en viens maintenant aux dispositions du chapitre IV du titre Ier, qui sont
consacrées à la presse. A cet égard, l'Assemblée nationale a fait preuve,
madame le garde des sceaux, d'un état d'esprit constructif qui nous réjouit.
Permettez-moi de reprendre les dispositions contenues dans ce chapitre.
Sur l'article 22 A et sur les réparations des atteintes à la présomption
d'innocence, M. le rapporteur souhaite revenir à la rédaction adoptée par le
Sénat en première lecture.
Je continue à prétendre que les organes de presse devraient pouvoir
communiquer dans le respect des deux principes qui, normalement, se complètent
naturellement : la présomption d'innocence et la liberté d'informer. Comme en
première lecture - j'ai en effet déjà eu, en première lecture, une divergence à
cet égard avec la commission des lois - je ne soutiendrai pas l'amendement de
la commission des lois sur ce sujet, et c'est donc la Haute Assemblée qui
tranchera.
S'agissant de l'article 22, qui concerne l'interdiction de publier l'image
d'une personne portant des menottes ou placée en détention provisoire ou de
réaliser un sondage portant sur la culpabilité d'une personne mise en cause, le
Sénat, sur la proposition de la commission des lois et de la commission des
affaires culturelles, a amélioré le texte de l'article et rapatrié ce dernier
dans le corps de la grande loi de 1881 sur la presse. Je ne le regrette pas.
Je regrette simplement que l'Assemblée nationale ait supprimé la disposition
relative à l'interdiction de publier des images de personnes en détention
provisoire, adoptée sur mon initiative. J'avais alors donné l'exemple de la
photo du préfet Bonnet derrière les barreaux de sa prison. Je ne pense pas que
des photos de personnes détenues derrière les barreaux d'une prison soient
acceptables. Je sais que de telles photos peuvent être prises à la prison de la
Santé : il suffit pour cela de louer à trois cents mètres de là un emplacement
et de s'équiper d'un téléobjectif. Ces photos nuisent au respect de la
présomption d'innocence. J'ai donc déposé un amendement à cet égard.
Pour ce qui concerne l'article 23, qui concerne le droit de réponse, je me
réjouis que l'Assemblée nationale ait retenu la disposition adoptée par le
Sénat quant à l'uniformisation à trois mois du délai ouvert aux personnes
souhaitant exercer le droit de réponse dans la presse écrite ou dans un service
de communication audiovisuelle.
Sur l'article 25 et les fenêtres de publicité dans la procédure pénale,
l'Assemblée nationale a maintenu l'article tel qu'il avait été adopté par le
Sénat, en y apportant toutefois une précision intéressante.
L'article 25
bis
sur la diffamation et l'article 25
ter
sur le
délai de prescription en matière d'infractions à la loi sur la presse, qui
résultaient de l'adoption par le Sénat des amendements présentés par notre
collègue Michel Charasse, ont été supprimés par l'Assemblée nationale. Pour ma
part, je ne souhaite pas que nous y revenions.
S'agissant de l'article 26, qui concerne les dispositions réprimant l'atteinte
à la dignité d'une victime d'un crime ou d'un délit, le Sénat a permis la
réintégration de ces dispositions dans la loi de 1881, ce qui constitue, à mon
avis, une bonne mesure. L'Assemblée nationale a apporté une précision
intéressante en assouplissant ces dispositions. En effet - c'est un point
important dont nous avions longuement parlé ici - l'infraction d'atteinte à la
dignité de la victime ne sera constituée que si la diffusion en question est
réalisée sans l'accord de l'intéressé. De plus - c'est une disposition
introduite par les députés - seule la victime peut engager des poursuites.
La formule retenue par l'Assemblée nationale me paraît satisfaisante. Nous ne
pourrons interdire en France des images qui peuvent être diffusées et donc vues
dans le monde entier. Ce serait un peu illusoire à l'heure d'Internet, mais
nous aurons l'occasion d'y revenir.
S'agissant de l'article 26
bis
et de la mise en mouvement de l'action
publique en raison d'infractions commises par voie de presse, le vote de
l'Assemblée nationale est cohérent avec l'article 26 qui précède, et je ne
propose donc pas que nous revenions sur ce dispositif.
L'Assemblée nationale nous a également suivis sur l'article 27, qui est
relatif à l'interdiction de publier l'identité d'un mineur, et sur le transfert
de la nouvelle infraction dans l'article 39
bis
de la loi de 1881.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je
terminerai mon propos en saluant tout particulièrement une initiative de la
commission des lois que je soutiens : elle concerne la suppression des peines
de prison en matière de délits de presse.
Le sujet intéresse bien sûr le fonctionnement non seulement de la presse
française, mais aussi de la presse d'autres pays. En effet, de nombreux pays
ont pris modèle sur la loi sur la presse du 29 juillet 1881 afin de disposer
d'une législation en la matière et de dire qu'ils appliquaient strictement le
législation française. Or, cette législation prévoit, encore aujourd'hui, des
peines de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans pour des délits de presse.
Si ces peines, qui sont absolument ou relativement obsolètes, ne sont plus
appliquées par les tribunaux français parce que les peines d'amendes semblent
mieux adaptées, beaucoup de pays se réfèrent encore à notre grande loi de 1881
et emprisonnent donc encore aujourd'hui beaucoup trop de journalistes pour
délit d'opinion. Ces sanctions, en ce qu'elles constituent un modèle,
apparaissent disproportionnées et remettent en cause la liberté d'expression en
France et dans le monde.
Je pense que nous devons y être sensibles. Je suivrai avec beaucoup de
sympathie les propositions qui seront faites par la commission des lois à cet
égard, et je salue en particulier l'effort d'une association remarquable en
tous points, Reporters sans frontières, qui se bat en ce sens.
En conclusion, madame le garde des sceaux, le texte que nous allons élaborer
devra être, nous en avons conscience, à la hauteur du véritable problème de
société qu'il entend traiter.
M'exprimant en cet instant comme membre de la commission des affaires
culturelles, je considère qu'il nous faut choisir entre le traitement
judiciaire et le traitement médiatique qui sont réservés au citoyen qui est
accusé, soupçonné, convoqué ou auditionné. L'occasion nous en a été donnée, et
le Sénat l'a saisie, à mes yeux, de façon très exemplaire et très démocratique,
dans le cadre d'un dialogue que vous avez accepté, madame le garde des sceaux,
et nous vous en remercions : avec ce texte, nous pourrons faire avancer la
démocratie légale, c'est-à-dire la démocratie réelle. N'est-ce pas notre
mission ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous
sommes réunis aujourd'hui pour examiner en deuxième lecture l'un des volets
fondamentaux de la réforme de la justice : le renforcement de la présomption
d'innocence.
Depuis son premier passage au Sénat, en juin 1999, bien des événements se sont
produits qui auraient pu jeter le voile sur une réforme pourtant essentielle
pour les justiciables.
Je pense au report du Congrès et de la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature.
Dans la mesure où le sort de ces deux textes avait été lié étroitement par le
Président de la République lui-même, on aurait pu craindre le pire.
Heureusement, tel n'a pas été le cas, et nous vous le devons pour une part,
madame le garde des sceaux.
Les parlementaires de la majorité comme de l'opposition ont fait la
démonstration que, sur un sujet aussi important que la réforme de la procédure
pénale, ils savaient dépasser leurs clivages partisans et se retrouver autour
d'un idéal commun de justice.
Certes, des divergences demeurent encore, au moment de cette deuxième lecture,
sur les dispositions qui nous reviennent de l'Assemblée nationale. Chaque
groupe apportera sa contribution sur les différents points qui restent en
discussion.
Néanmoins, comme l'a rappelé le président de la commission, le travail
parlementaire a été le résultat d'un dialogue fructueux au sein de chaque
assemblée comme entre les deux chambres. Ainsi, vingt-sept articles ont été
adoptés par le Sénat en première lecture, vingt et un l'ont été par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture et, si mes calculs sont bons, sur les cent quatre
articles qui demeurent en discussion, trente-sept font l'objet d'une
proposition d'adoption conforme par la commission des lois, tandis que la
vingtaine de propositions de suppression présentées par l'Assemblée nationale
pourrait être entérinée, si nous décidions de suivre ses conclusions.
C'est pourquoi nous regrettons la position adoptée par la commission des lois
sur des points terminologiques.
Ainsi, est-il vraiment utile de focaliser le débat sur la question de la
dénomination du juge de la détention provisoire si l'on n'en change
fondamentalement ni le rôle ni la composition ? Doit-on vraiment remettre en
débat des articles pour retenir l'appellation de « chambre de l'instruction »
plutôt que « chambre d'appel de l'instruction » ? L'adjonction ou le retrait de
l'adjectif « précis » pour les indices graves ou concordants bouleverse-t-il
réellement les conditions de mise en examen ?
Je pense que, si nous pouvions éviter, lors de la discussion, les petites
guerres de tranchées, le débat ne s'en porterait que mieux au regard des
objectifs fondamentaux du projet, que nous partageons tous ou presque ici.
Il s'agit de concilier efficacité de la procédure pénale et respect des droits
de la défense, de faire coexister, voire coïncider droits des victimes et
droits de la personne soupçonnée, de trouver un juste équilibre entre défense
sociale et garantie des libertés individuelles.
Entre ces exigences souvent antinomiques ou contradictoires, notre droit
oscille sans cesse.
Il revient au projet de loi, singulièrement enrichi par la navette
parlementaire, d'avoir eu le mérite de poser la question en termes globaux et
non plus seulement parcellaires.
C'est, en effet, l'ensemble de notre système pénal qui est passé au peigne fin
ici : de l'arrestation de l'individu à l'application de la peine, nous avons
assisté à de véritables débats de fond qui ont su bousculer les idées
préconçues et nous confronter à des questions aussi fondamentales que les
mérites et inconvénients respectifs des modèles inquisitoire et accusatoire,
avec les rôles respectifs du juge d'instruction, de l'avocat et de la police,
ou l'appréciation critique de notre conception de la peine, avec les questions
relatives à la détention provisoire, au bracelet électronique et aux
libérations conditionnelles.
Parce que ce texte est ambitieux, parce qu'il permet de faire un pas important
dans le sens d'une meilleure justice pénale - même s'il ne règle pas, loin s'en
faut, tous les problèmes - il est temps d'aboutir.
J'avoue ne pas comprendre que certains de nos collègues aient souhaité mettre
en débat de nouvelles questions. Je pense, notamment, aux propositions
relatives aux chambres régionales des comptes, qui n'ont qu'un lien bien ténu
avec le texte en discussion, d'autant que nous aurons l'occasion d'y revenir
lors de la discussion en commission des lois de la proposition de Jacques
Oudin, le 3 mai prochain - et le 11 mai en séance publique de façon bien plus
approfondie que cavalièrement au détour du présent projet de loi sur la
présomption d'innocence.
Je ne reviendrai pas sur la protection des élus locaux. Les sénateurs
communistes se sont déjà expliqués sur cette question à différentes reprises :
ils se sont toujours refusés à la morceler ainsi, au détriment d'une réflexion
de fond sur le statut de l'élu.
Présentées au cours de cette deuxième lecture, ces nouvelles questions
risquent de retarder encore un peu plus l'aboutissement de ce texte et de
rendre un peu plus hypothétique la réforme de la justice.
En ce qui concerne la garde à vue, on a beaucoup parlé de l'enregistrement
sonore des débats. Nombreux sont les syndicats de policiers qui ont
publiquement fait part de leur mécontentement, soutenus par l'association
française des magistrats instructeurs. Or, en réalité, pour avoir discuté avec
eux, je sais que leur hostilité aux dispositions du projet de loi ne vient pas
tant de la mesure elle-même que de la façon dont elle a été introduite dans le
débat.
Faut-il, pour autant, la supprimer, comme l'a décidé ce matin une majorité de
nos collègues de la commission des lois, sur un amendement de nos collègues
Hubert Haenel et Patrice Gélard ?
Pour ma part, je pense qu'une réflexion pourra être engagée sur les modalités
d'enregistrement sonore des gardes à vue, mais que le principe doit être d'ores
et déjà inscrit dans la loi. Il constitue, en effet, une avancée importante
pour le respect effectif de la présomption d'innocence et je pense que les
réticences qui s'expriment à leur encontre ne sont pas toutes fondées, même si
des questions se posent quant à la fiabilité d'un tel système.
Les auteurs de l'amendement invoquent la suspicion que cette mesure ferait
peser sur les policiers et les gendarmes. Il me semble, pour ma part, que cette
opposition est, en réalité, le résultat d'un déficit de dialogue plus qu'une
hostilité de principe à la réforme du code de procédure pénale.
Derrière ce point de focalisation s'expriment des revendications légitimes
quant aux moyens dont disposent les officiers de police judiciaire pour
accomplir leur mission : ils ont souvent le sentiment d'être des boucs
émissaires faciles des dysfonctionnements, non seulement de la justice mais
également de la société tout entière.
Je ne pense pas qu'il nous faille nous retrancher derrière l'article 2
bis
A pour éviter d'aborder de front le malaise des forces de
l'ordre.
Je n'en donnerai qu'un exemple concernant l'article 2 DA nouveau. Cet article
est excellent parce qu'il réaffirme que tout individu a droit au respect de sa
dignité humaine, y compris lorsqu'il est en état d'arrestation. Néanmoins, si
l'on se réfère à l'état de certains locaux dans lesquels s'exercent les gardes
à vue, on peut être pour le moins sceptique sur le respect de ce principe.
De manière plus générale, on est en droit de regretter que tous les lieux
d'enfermement, qu'ils soient locaux de garde à vue, prisons ou centres de
rétention, ne fassent pas toujours partie des priorités en matière
budgétaire.
C'est pourquoi nous pensons que tous ces lieux doivent être appréhendés de la
même façon, tant du point de vue des contrôles qui s'exercent sur eux que des
exigences qui s'imposent du point de vue du respect des droits de l'homme.
Tel est le sens des amendements que nous avons déposés concernant les centres
de rétention et les zones d'attente.
Cette identité de traitement, nous l'avions également recherchée du côté du
contrôle extérieur : c'est dans cet esprit que nous avions proposé d'étendre la
compétence de la commission de déontologie de la sécurité à tous les lieux où
les personnes sont privées de leur liberté, au sens de la Convention européenne
de 1987 sur la prévention de la torture et des traitements inhumains et
dégradants.
La détention provisoire est sans conteste la plus grave atteinte au principe
de la présomption d'innocence : comment accepter, en effet, qu'une personne
innocente jusqu'à preuve du contraire - c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une
juridiction, à l'issue d'un procès contradictoire et impartial, se soit
prononcée sur sa culpabilité - puisse être privée de sa liberté ? Par principe,
on ne peut l'admettre ! Ce n'est que dans des cas absolument exceptionnels,
dans le but exclusif de parvenir à la vérité, que l'on doit avoir recours à la
détention provisoire, et dans des conditions qui garantissent une décision
sereine. Or la pratique montre qu'on y a recours bien trop volontiers, bien
au-delà des pures nécessités de l'enquête.
Les dispositions du projet de loi, telles que modifiés après son passage
devant le Parlement, constituent une avancée décisive de ce point de vue : la
mise en place de conditions strictes pour le placement et la durée de la
détention provisoire sont une petite révolution, même si nous pensons que ces
conditions peuvent encore être améliorées. Nous avons d'ailleurs déposé des
amendements en ce sens.
Certes, nous regrettons que nos appels en faveur de la collégialité n'aient
pas été entendus, et le motif invoqué - le coût budgétaire - ne nous semble pas
du tout convaincant.
Néanmoins, je constate avec plaisir que cette solution a été retenue par la
commission des lois du Sénat pour la décision relative au choix de la cour
d'assises d'appel, alors que l'Assemblée nationale avait opté pour une décision
individuelle du président de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Je pense également que la procédure de comparution immédiate aurait mérité
d'être remise à plat. C'est en effet en cette matière que le respect de la
présomption d'innocence présente les plus graves dangers de se voir mis en
péril du fait du caractère parfois expéditif des procédures. On aurait pu
opportunément penser à lui appliquer les conditions restrictives de la mise en
détention provisoire !
Je souhaite m'arrêter un instant sur la question de ce que l'on appelle
communément le « bracelet électronique ».
Les sénateurs communistes prennent note du consensus qui semble se faire
autour de cette question, mais ils continuent à s'interroger sur le bien-fondé
d'une telle mesure.
Qu'il soit retenu comme moyen d'application de la peine ou comme substitut à
la détention provisoire, le placement sous surveillance électronique nous
semble en effet constituer une grave menace pour la liberté individuelle.
Depuis 1996, les parlementaires communistes ont eu plusieurs fois l'occasion
de s'exprimer sur ce sujet pour mettre en garde contre les risques de dérive
que contient en germe cette solution.
En particulier, cette solution risque d'institutionnaliser une justice à deux
vitesses : l'une pour les délinquants en col blanc, qui bénéficieraient de ce
régime, tandis que les établissements pénitentiaires seraient réservés aux
grands criminels, aux indigents et à tous ceux qui n'auraient ni les garanties
de représentation ni un bon avocat pour les réclamer. Les moyens conférés à la
rénovation du parc pénitentiaire pourraient ainsi faire long feu, si l'on n'y
prend pas garde.
Madame le garde de sceaux, vous aviez indiqué vos craintes que le placement
sous surveillance électronique ne devienne un substitut du contrôle judiciaire
plus qu'une alternative à l'emprisonnement.
J'avoue partager entièrement ces craintes.
Vous savez pourtant combien le sujet des prisons me tient à coeur. Moins que
quiconque je souhaite voir perdurer la situation de surpopulation dans les
prisons. Je commence malheureusement à être un « habitué de prisons », sans
vouloir faire de mauvais jeu de mots : depuis ma visite aux Baumettes avec le
rapporteur spécial du budget de la justice, j'ai eu l'occasion, en tant que
membre d'une commission d'enquête parlementaire créée à cet effet, de visiter
d'autres établissements avec le président de ladite commission, M. Jean-Jacques
Hyest. Je peux vous le dire, le choc est à chaque fois aussi grand : on
franchit toujours avec un certain malaise les grilles des prisons, et on les
quitte à chaque fois avec soulagement.
J'estime, pour ma part, qu'il existe d'autres alternatives à l'incarcération
que le bracelet électronique, et je pense notamment aux régimes de
semi-liberté.
Je regrette également que la question des peines de substitution ait été
absente du débat.
Le travail parlementaire a néanmoins permis qu'une réflexion de fond s'engage
sur l'application des peines.
Nous voyons ainsi d'un oeil particulièrement favorable les dispositions
adoptées en deuxième lecture par l'Assemblée nationale qui tendent à favoriser
l'insertion sociale des prisonniers par l'intervention des services
socio-éducatifs habilités.
Je note aussi les efforts réalisés par votre ministère, madame le garde des
sceaux, efforts que vous avez rappelés il y a un instant.
La judiciarisation de l'application des peines, adoptée à l'Assemblée
nationale en deuxième lecture et pour laquelle la commission des lois du Sénat
a souhaité pousser plus loin la logique, nous agrée particulièrement.
Dans la lignée du rapport Farge, l'Assemblée nationale nous propose de
supprimer le rôle du garde des sceaux en cette matière et de créer une
juridiction collégiale compétente pour les peines supérieures à dix ans.
L'appel serait porté devant une « juridiction nationale de la libération
conditionnelle », et vous nous avez informés des mesures que vous envisagez à
ce sujet, madame la ministre. Nous ne pouvons qu'approuver cette solution, qui
permettra un renforcement notable des droits de la défense.
A ce brossage des principaux axes du projet de loi, on mesure combien sont
importantes les étapes franchies, même si un long chemin reste encore à faire,
en particulier du point de vue de la prévention, dont on n'a guère parlé
jusqu'ici.
Rappelons que, si l'on veut que de véritables progrès soient réalisés en
matière de justice pénale, c'est bien plus en amont qu'il faudra agir,
notamment en direction de la petite délinquance, qui ne profitera guère des
nouvelles garanties données par le projet de loi. N'oublions pas que 90 % des
affaires ne sont pas renvoyées devant le juge d'instruction !
Il faut également insister sur le fait que le succès de la réforme dépendra
largement des efforts budgétaires qui lui seront consacrés. Nous prenons acte,
madame la ministre, de vos efforts, depuis votre arrivée au ministère, pour
dégager des moyens supplémentaires. Je pense, par exemple, à l'introduction du
droit d'appel des décisions des cours d'assises, même si les syndicats nous ont
semblé douter que le chiffre de quarante magistrats, avancé par vos services,
soit suffisant.
« Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable »,
énonce l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789.
Au-delà des proclamations généreuses, les règles de la procédure pénale
révèlent très précisément l'idée que l'Etat se fait de la liberté individuelle.
Elles en constituent le miroir impitoyable : qu'elles permettent à un coupable
de glisser au travers des mailles du filet, et on demandera de les resserrer ;
qu'elles aboutissent à priver un innocent de sa liberté, et nous tenterons de
les élargir.
M. Hubert Haenel.
Eh oui !
M. Robert Bret.
Il n'existe certainement pas de système idéal. Néanmoins, mes chers collègues,
si, avec l'adoption d'un tel projet, nous réussissons à renforcer les libertés
individuelles, alors nous aurons rempli pour partie notre mission !
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Hubert Haenel.
Ce sera le cas !
M. le président.
La parole est à M. Garrec.
M. René Garrec.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans
cette discussion générale, je ne me livrerai pas à un examen en détail du
texte, article par article. Cela ne me paraît pas opportun.
On a dit quelque part que l'on avait pris du retard. Je ne le crois pas. Je
pense que les navettes, que le travail qui s'est fait avec l'Assemblée
nationale ont permis d'améliorer le texte, et que la loi doit aussi, dans une
certaine mesure, suivre l'évolution sociale.
Et si l'on avait un retard fantastique, on l'a comblé. Aussi ai-je tout de
même été quelque peu surpris d'entendre des parlementaires de la majorité
actuelle de l'Assemblée nationale dire du Sénat - je n'y suis pas depuis
longtemps, mais ce n'est pas une raison pour ne pas être choqué ! - qu'il se
distrayait en paralysant les institutions ou qu'il amusait la galerie par des
petits effets de langage. Ce n'est pas très élégant.
Je traiterai simplement de la présomption d'innocence, en évoquant deux points
: les rapports avec la presse et l'enregistrement des interrogatoires.
La présomption d'innocence est un principe à valeur constitutionnelle. Elle
est le plus souvent confrontée au droit à l'information et à la présomption de
culpabilité.
La presse est une arme redoutablement dangereuse pour une personne désignée
comme étant coupable : que la personne soit mise en cause, cela paraîtra en
première page ; que, après, elle soit innocentée, cela fera l'objet d'un
entrefilet, et le mal sera fait.
On me permettra de citer, à cet égard, une maxime de La Bruyère, qui, bien que
datant un peu, est parfaitement claire : « Le contraire des bruits qui courent
des affaires et des personnes est souvent la vérité ».
Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en cause la liberté de la presse, mais
il faudrait tout de même qu'on ne puisse pas raconter n'importe quoi et ternir
définitivement, ce faisant, l'honneur de gens parfois injustement mis en cause.
Il convient que chacun prenne sa part de responsabilités.
Se pose, dès lors, le problème des fuites. L'on est en droit de se demander si
la presse n'est pas devenue un moyen de pression que certains magistrats
manipulent avec habileté. C'est ainsi que se bâtissent, semaine après semaine,
des « affaires » qui suscitent une curiosité publique pernicieuse et
dévalorisent, en particulier, l'image des présumés coupables dans ce pays, ce
qui est très grave.
Aujourd'hui, la mise en examen est devenue une arme politique ; celui qui en
est l'objet est au moins momentanément « grillé », si nous me permettez ce mot
facile. Qu'importe ce que révèlera l'examen !
Aux yeux du monde - c'est un adage de bon sens - il n'y pas de fumée sans
feu.
Les non-lieux ne passionnent ni la presse ni la population.
Le renforcement du statut de témoin assisté, la mise en place d'un appel des
décisions des cours d'assises, la modification du régime de la mise en examen
et l'encadrement de la détention provisoire devraient limiter de telles
atteintes à la présomption d'innocence, et c'est une très bonne chose.
Je ne dirai pas, comme M. Bonnet, que l'enfer est pavé de bonnes intentions,
car j'aurais l'air de me ranger derrière lui, ce qui n'est pas tout à fait le
cas.
Je veux saluer le travail réalisé par la commission des lois et son
remarquable président, qui voudra bien m'excuser de ne le citer qu'une fois,
alors que M. Badinter l'a fait six fois, ce qui fait que toute la charge
émotionnelle tient en cette unique citation.
S'agissant de l'enregistrement, j'aurais préféré qu'il soit audiovisuel. Cela
ne se fera pas, mais nous parviendrons certainement, un jour, à glisser vers ce
système européen cité par M. Badinter. En attendant, on est toujours dans un
système où le juge travaille et doit pouvoir travailler. Peut-être est-on allé
trop vite. Comme disait un auteur célèbre que je ne citerai pas, il fallait
peut-être donner un peu de temps au temps. Cela n'a sans doute pas été fait.
Ce matin, la commission des lois, après une réflexion longue et soutenue,
après une large discussion - M. le rapporteur l'a dit - a décidé d'abandonner
cette mesure d'enregistrement sonore des interrogatoires. La grande majorité
des membres de mon groupe et moi-même faisons confiance à notre excellent
rapporteur, M. Charles Jolibois, pour dire ce que nous pensons, tout en
espérant que vous pourrez, madame la garde des sceaux, avec l'Assemblée
nationale, faire en sorte que cette réforme, qui est presque parfaite en
l'état, le soit totalement, en attendant que l'on fasse le pas supplémentaire
auquel nous invitait M. Badinter !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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