Séance du 4 avril 2000
M. le président. Je suis saisi de dix amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 66, M. Jolibois, au nom de la commission, propose d'insérer, avant l'article 22 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :
« I. - Dans le troisième alinéa de l'article 14, les mots : "d'un emprisonnement d'un an et" sont supprimés.
« II. - Dans le premier alinéa de l'article 26, les mots : "d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 300 000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement" sont remplacés par les mots : "d'une amende de 300 000 francs".
« III. - L'article 27 est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa, les mots : "d'un emprisonnement de trois ans, et d'une amende de 300 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement" sont remplacés par les mots : "d'une amende de 300 000 francs" ;
« 2° Dans le second alinéa, les mots : "d'un emprisonnement de cinq ans et" sont supprimés.
« IV. - Dans l'article 30, les mots : "d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 300 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement" sont remplacés par les mots : "d'une amende de 300 000 francs".
« V. - Dans le premier alinéa de l'article 32, les mots : "d'un emprisonnement de six mois et" sont supprimés.
« VI. - L'article 33 est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa, les mots : "d'un emprisonnement de trois mois et d'une amende de 80 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement" sont remplacés par les mots : "d'une amende de 80 000 francs" ;
« 2° Dans le deuxième alinéa, les mots : "d'un emprisonnement de deux mois et d'une amende de 80 000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement" sont remplacés par les mots : "d'une amende de 80 000 francs".
« VII. - Dans l'article 36, les mots : "d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 300 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement" sont remplacés par les mots : "d'une amende de 300 000 francs".
« VIII. - Dans l'article 37, les mots : "d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 300 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement" sont remplacés par les mots : "d'une amende de 300 000 francs". »
Par amendement n° 169 rectifié, le Gouvernement propose d'insérer, avant l'article 22 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sont supprimées les peines d'emprisonnement encourues pour les délits prévus par les articles 32, premier alinéa, 33, deuxième alinéa, et 37 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 179, présenté par MM. Gélard, Paul Girod et Martin, et tendant :
I. - A compléter le texte proposé par l'amendement n° 169 par un II ainsi rédigé :
« II . - L'article 63 de la loi du 29 juillet 1881 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, en cas de récidive des délits prévus par les articles 32, premier alinéa, 33, deuxième alinéa, et 37 et lorsque l'infraction est commise contre la même victime, pourra également être prononcée une peine de six mois d'emprisonnement. »
« II. - En conséquence, à faire précéder le début du texte proposé par l'amendement n° 169 de la mention : "I". »
Les huit amendements suivants sont présentés par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 118 a pour objet d'insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le troisième alinéa de l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, après les mots : "sont punies", les mots : "d'un emprisonnement de six jours à un an et" sont supprimés. »
L'amendement n° 119 vise à insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "est punie", la fin du premier alinéa de l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigée : "d'une amende de 300 000 francs". »
L'amendement n° 120 tend à insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après les mots : "sera punie", la fin du premier alinéa de l'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigée : "d'une amende de 300 000 francs" ;
« II. - Dans le second alinéa du même article, après les mots : "seront punis", les mots : "d'un emprisonnement de un an à cinq ans et" sont supprimés. »
L'amendement n° 121 a pour but d'insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "sera punie", la fin de l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigée : "d'une amende de 300 000 francs". »
L'amendement n° 122 a pour objet d'insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "sera punie", la fin du premier alinéa de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigée : "d'une amende de 80 000 francs". »
L'amendement n° 123 vise à insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
« I. - Après les mots : "sera punie", la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : "d'une amende de 80 000 francs" ;
« II. - Après les mots : "sera punie", la fin du deuxième alinéa est ainsi rédigée : "d'une amende de 80 000 francs". »
L'amendement n° 124 tend à insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "sera punie", la fin de l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigée : "d'une amende de 300 000 francs". »
L'amendement n° 125 a pour but d'insérer, après l'article 27, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "sera punie", la fin de l'article 37 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigée : "d'une amende de 300 000 francs". »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 66.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement est très important car il vise à supprimer la plupart des peines de prison en matière de délits de presse. Ces peines ne sont jamais prononcées en France. Il faut dire que la loi française est d'une certaine manière, dans d'autres domaines, heureusement copiée.
Dans beaucoup d'Etats étrangers, notamment en Afrique, des journalistes sont emprisonnés. Il est donc nécessaire que notre législation ne serve plus de prétexte à ces Etats pour mener une politique répressive à l'égard de la presse. Il est vrai que l'on ne manque pas de citer en exemple la législation française quand on veut justifier, à l'étranger, un emprisonnement.
La commission avait décidé de supprimer ces peines de prison et de conserver uniquement celles qui sont prévues en cas de provocation à commettre des infractions graves ou d'appel à la haine nationale, raciale ou religieuse. Elle avait adopté un amendement à cet effet, mais elle a ensuite émis un avis favorable sur l'amendement n° 169 rectifié du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 169 rectifié.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cet amendement reprend un amendement similaire que le Gouvernement avait déposé devant l'Assemblée nationale, mais qui n'a pas été adopté pour des raisons de procédure.
Il a pour objet de supprimer les peines d'emprisonnement actuellement prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière de diffamation ou d'injures envers les particuliers et d'outrage envers les agents diplomatiques étrangers.
On sait que de telles peines ne sont quasiment jamais prononcées par les juridictions françaises.
Au demeurant, cette suppression, par son caractère symbolique, aura vertu d'exemplarité dans nombre de pays dont la législation en matière de presse reproduit celle de la loi de 1881 mais dans lesquels, à la différence de la France, les tribunaux n'hésitent pas à prononcer fréquemment des peines d'emprisonnement ferme contre des journalistes poursuivis pour de telles infractions.
Une telle modification de la loi sur la presse a ainsi été préconisée par l'association Reporters sans frontières, qui avait attiré l'attention du Gouvernement sur cette question - je les avais reçus personnellement et j'avais saisi ma collègue Catherine Trautmann - puis alerté la commission consultative des droits de l'homme.
Resteront toutefois punies de peines d'emprisonnement, en raison de leur gravité, les provocations, notamment les provocations à la haine, à la discrimination ou à la violence raciste, le négationnisme, les diffusions de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique ainsi que les diffamations ou injures racistes.
Par ailleurs, l'amendement du Gouvernement ne prévoit pas la suppression des peines d'emprisonnement pour les délits d'offense au chef de l'Etat, d'offense envers les chefs d'Etat étrangers et pour les délits de diffamations et d'injures envers les corps constitués - ainsi que, par conséquence obligée, les administrations publiques, les dépositaires de l'autorité publique - car ces modifications suscitent des difficultés particulières.
Je vous demande donc d'adopter cet amendement plutôt que les autres amendements déposés sur le même sujet, dont je partage les objectifs mais qui me semblent parfois aller trop loin.
Par exemple, je ne pense pas que soit également justifiée la suppression des peines d'emprisonnement prévues pour le délit de diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique, qui présente, de par sa nature, une gravité particulière. Il permet ainsi de sanctionner des personnes qui diffuseraient, en la sachant inexacte, une information selon laquelle l'eau du robinet de telle ou telle ville est dangereuse pour la santé, provoquant ainsi une panique chez les consommateurs.
L'amendement du Gouvernement me paraît, sur la forme, plus lisible et, sur le fond, mieux circonscrit.
Je ne suis donc pas favorable à l'amendement n° 66 de votre commission, ni aux amendements n°s 118 à 125 de M. Badinter.
M. le président. La parole est à M. Gélard, pour présenter le sous-amendement n° 179.
M. Patrice Gélard. Pour défendre ce sous-amendement, je vais vous raconter une histoire qui, rassurez-vous, sera courte.
M. Michel Charasse. C'est l'heure des histoires ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Un de nos concitoyens - également élu local, mais il pourrait ne pas l'être - fait l'objet depuis dix-huit ans de diffamations permanentes de la part d'un tiers. Ce dernier diffuse ainsi, journée après journée, des tracts, tout en colportant au téléphone des nouvelles complètement fausses, diffamant ainsi l'élu en question.
Le corbeau a été condamné sept fois, dont trois fois à 100 000 francs d'amende, qu'il n'a jamais payés. La dernière fois, le tribunal correctionnel et la cour d'appel l'ont condamné à trois mois de prison ferme. La Cour de cassation, qui a été saisie, attendra que nous ayons statué avant de se prononcer.
Quoi qu'il en soit, la vie de l'élu dont je vous parle est empoisonnée depuis dix-huit ans, sa famille est complètement traumatisée par ces attaques permanentes et il n'a pas d'autre solution que d'obtenir une peine de condamnation de prison, puisque l'auteur des diffamations est insolvable et que les trois amendes de 100 000 francs auxquelles il a été condamné ne seront jamais payées.
Voilà pourquoi le sous-amendement n° 179 prévoit que, en cas d'infractions répétées contre une victime par la même personne, des peines de prison pourront être prononcées. Ce sera le seul moyen de faire cesser ce type de comportement !
Cela étant, monsieur le président, par précaution, dans l'hypothèse où l'amendement du Gouvernement ne serait pas adopté, je dépose sans attendre un sous-amendement identique à l'amendement n° 66 de la commission. Ainsi, je me couvre des deux côtés !
M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 185, présenté par M. Gélard, et tendant à compléter le texte proposé par l'amendement n° 66 par un IX ainsi rédigé :
« IX. - L'article 63 de la loi du 29 juillet 1881 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, en cas de récidive des délits prévus par les articles 31, premier alinéa, 32, premier alinéa, 33, deuxième alinéa, et 37, et lorsque l'infraction est commise contre la même victime, pourra également être prononcée une peine de six mois d'emprisonnement. »
La parole est à M. Charasse, pour défendre les amendements n°s 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124 et 125.
M. Michel Charasse. Ces huit amendements ont le même objet.
Il s'agit, dans tous les cas, de modifier plusieurs dispositions de la loi sur la presse afin de supprimer des peines qui ne sont plus prononcées et de renforcer, en contrepartie, les amendes prévues.
Ces amendements ont été suggérés par mes collègues MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, qui ne peuvent malheureusement les défendre personnellement ce soir. Vous imaginez bien, en effet, que je ne peux être l'auteur d'amendements qui visent à alléger les peines en matière de presse ! (Sourires.)
Cela étant, il se trouve que l'amendement n° 169 rectifié du Gouvernement nous convient parfaitement. Par conséquent, je suis autorisé à retirer les amendements n°s 118 à 125, au profit de l'amendement du Gouvernement.
M. le président. Les amendements n°s 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124 et 125 sont retirés.
M. Pierre Fauchon. Quelle hécatombe !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 179 et 185 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ces sous-amendements ont reçu un avis favorable, même s'il s'agit d'un avis virtuel sur le second, qui vient d'être déposé.
M. Gélard ayant eu la courtoisie de déposer le même sous-amendement à la fois sur l'amendement du Gouvernement et sur celui de la commission, le Sénat va pouvoir se prononcer maintenant entre le texte du Gouvernement et celui de la commission, qui est beaucoup moins répressif...
M. Louis de Broissia. Tout à fait !
M. Charles Jolibois, rapporteur. ... puisqu'il ne maintient la peine de prison que sur un seul point - qui devrait recueillir l'unanimité au sein de cette assemblée -, alors que l'amendement n° 169 rectifié ne supprime pas les peines de prison en cas de délits d'offense et d'injures aux chefs d'Etat, aux corps constitués et aux personnalités diplomatiques.
Quoi qu'il en soit, la commission m'a chargé, quelles que soient mes opinions personnelles, de donner un avis favorable à l'amendement n° 169 rectifié du Gouvernement et de retirer, par voie de conséquence, l'amendement n° 66.
M. le président. L'amendement n° 66 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 185 n'a plus d'objet.
Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 179 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 179.
M. Louis de Broissia. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, vous ne vous étonnerez pas que j'intervienne sur une disposition qui touche à la liberté de la presse et à la grande loi du 29 juillet 1881.
Permettez-moi d'abord de regretter que l'amendement n° 66, qui me convenait parfaitement, ait été retiré. Mais je ne ferai pas de commentaires sur un amendement qui a été retiré.
Permettez-moi ensuite de vous dire, madame le ministre, que, s'agissant de l'amendement n° 169 rectifié, le fait que reste punie de peines d'emprisonnement la diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique est susceptible d'illustrer des comportements qui, dans des pays qui prennent exemple sur la France, demeurent relativement fâcheux.
On a parlé d'un corbeau national. Je raconterai, moi, l'histoire d'un journaliste qui vit sur un continent proche du nôtre et que je ne citerai pas. Ce journaliste est en prison parce qu'un soir il a annoncé, sur la foi d'une information qu'il avait obtenue, que le chef de l'Etat avait été victime d'un malaise en assistant à un match de football. Le lendemain, il a publié un rectificatif pour dire que son information était erronée, mais il est en prison depuis lors.
Cela ne se passe pas en France, je le sais bien, mais je tiens à dire que le fait d'introduire un élément extrêmement vague - la diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler l'ordre public - me gêne. Autant tout ce qui est propagation de la haine raciale, de la violence raciste, du négationnisme, de la discrimination m'apparaît tout à fait condamnable, autant la diffusion de fausses nouvelles est un élément qui me paraît flou, surtout à l'heure d'Internet. On a bien annoncé que le fromage d'Epoisses était atteint de listéria. Or c'était faux ! Cela a pourtant forcément troublé la paix publique dans toute le production de ce secteur.
Je considère en tout cas que cette notion est trop vague, et je regrette infiniment, je dois le dire, cette formulation.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 179, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas le sous-amendement.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 169 rectifié, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 22 A.
Article 22 A