Séance du 4 avril 2000
M. le président. Par amendement n° 150, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - La publication des noms, images et qualité des magistrats de l'ordre judiciaire, administratif et financier ayant en charge l'instruction d'une affaire est passible d'un an d'emprisonnement et de 500 000 francs d'amende. Cette disposition s'applique aux publications ou émissions étrangères vendues ou diffusées en France.
« Les magistrats qui ont facilité la divulgation des informations en cause ou qui y ont participé sont passibles des mêmes peines. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je suggère de compléter la loi de 1881 sur la presse par une disposition interdisant la publication des noms, images et qualité des magistrats des ordres judiciaire, administratif et financier qui ont en charge l'instruction d'une affaire, sous peine d'un an de prison et d'une amende de 500 000 francs.
J'avais déjà présenté cet amendement en première lecture et Mme le garde des sceaux m'avait dit qu'elle était « sensible au problème de la médiatisation excessive des juges et de la justice ». Mme le garde des sceaux continuait : « Les juges exercent leur fonction au nom du peuple français. Leur personnalité doit disparaître derrière l'exercice de cette fonction. L'intérêt n'a pas à se porter ni sur leur vie privée ni sur leurs opinions politiques ou philosophiques. Cela est essentiel, me semble-t-il, pour la sécurité de la justice et pour le bien de nos concitoyens. Par ailleurs, cette personnalisation peut parfois transformer le cours de la procédure dans un débat personnalisé qui oppose les uns et les autres, ce qui ne me paraît pas de bon aloi ».
Mme le garde des sceaux m'avait cependant dit qu'elle pensait que la mesure que je proposais était un peu sévère et avait conclu en souhaitant le retrait de mon amendement. Elle avait toutefois affirmé que la réflexion devait se poursuivre pour envisager des solutions permettant effectivement d'éviter les médiatisations excessives.
J'ai donc retiré mon amendement. J'attendais une initiative de l'Assemblée nationale, mais rien ne s'est passé.
Je constate d'ailleurs que les juges et les magistrats tiennent toujours le haut du pavé, une photo par-ci, Mme Joly chez son coiffeur, Mme Machin ailleurs. On est au courant de leur vie intime, ou à peu près.
Parallèlement lorsqu'on arrête, à Rouen, un pédophile, on n'a pas le droit de connaître son nom, lequel ne paraît pas dans le journal. Et lorsqu'on a arrêté un magistrat proxénète, comme à Bordeaux, voilà trois jours, on n'a pas donné son nom. Je ne sais pas si vous le connaissez ; mais moi, je l'ignore !
Dans certains cas, on est content d'être en photo à la une ; dans d'autres cas, en revanche, on préfère que cela ne paraisse pas. Si un maire d'une commune de 150 habitants faisait la même chose, il ferait la une des journaux ; mais là, les magistrats se protègent !
Madame le garde des sceaux et chère amie, la réflexion sur le sujet n'ayant pas beaucoup avancé, je dépose à nouveau cet amendement. Il y en a marre de ces juges qui se produisent à la une des journaux. La médiation est excessive. Ils deviennent les vedettes de certaines affaires alors qu'ils sont là pour être muets, cachés, et pour servir la loi.
M. François Autain. Il faut leur interdire la télévision !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable. Elle estime que cet amendement est contraire à une certaine forme de liberté.
M. Michel Charasse. Et au droit de réserve !
Qu'en est-il par ailleurs de l'anonymat de ceux qui violent ?
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je reconnais, monsieur le sénateur, qu'il existe des excès dans la médiatisation de certains magistrats et, plus encore, que certains magistrats sont fortement sollicités. Je ne crois pourtant pas que la réponse à ces problèmes se situe au plan pénal.
Cette réponse suppose, d'une part, une adaptation des règles sur le secret des procédures, et nous avons un début de réponse sur ce point avec les dispositions du présent projet sur les fenêtres de publicité. Elle suppose, d'autre part, des procédures disciplinaires en cas de manquement au devoir de réserve. Je ne pense donc pas que la création d'une infraction pénale en cas de divulgation de l'identité ou de l'image d'un magistrat soit la bonne réponse et votre amendement ne semble en réalité pas adapté.
Quant à l'anonymat des magistrats qui se sont rendus coupables de crimes ou de délits, en général, dans le cas de sanctions pénales, il ne dure pas très longtemps et, dans le cas de sanctions disciplinaires, surtout lorsqu'elles sont assorties de sanctions pénales, de plus en plus, on sait de qui il s'agit.
J'ajoute que j'avais proposé dans le projet de loi organique sur la responsabilité des magistrats, lequel projet est bloqué - provisoirement je l'espère - en raison du report de la loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature, que l'anonymat soit levé dans le cas de sanctions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature.
Sachant qu'en matière pénale, en général, cet anonymat n'est pas tenu, il ne faut pas non plus trop exagérer.
Ces dispositions, je l'espère, entreront rapidement en vigueur ; par ailleurs, il ne me semble pas possible de sanctionner au plan pénal la médiatisation excessive, je suis donc défavorable à l'amendement.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je maintiens cet amendement parce que je considère que les magistrats n'ont pas à se faire de publicité sur les affaires qu'ils instruisent.
J'ajoute que j'ai bien entendu les propos qu'a tenus Mme le garde des sceaux en ce qui concerne ceux qui fautent. Je constate simplement que, tant que l'affaire n'est pas arrivée devant le Conseil supérieur de la magistrature ou la juridiction de jugement, on ignore complètement les noms de ceux qui franchissent la bande jaune.
En revanche, le pauvre instituteur d'une commune de cent cinquante habitants qui est soupçonné de la moindre chose, lui, j'aime autant vous dire qu'on ne lui fait pas de cadeau et que le juge, quelquefois, se charge de faire de la publicité sur son cas.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 150, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 25.
Par amendement n° 151, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est abrogé.
« II. - Il est inséré, après le premier alinéa de l'article 32 de la même loi, un alinéa ainsi rédigé :
« Les peines sont portées à un an et 300 000 francs lorsque la diffamation est commise, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent, un juré ou un témoin à raison de sa déposition. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il y a là une disposition que j'avais déjà présentée en première lecture et qui avait été adoptée par le Sénat. En revanche, je ne comprends pas pourquoi - mais je finirai un jour par comprendre, je pense - l'Assemblée nationale ne l'a pas retenue.
Mes chers collègues, ceux d'entre vous qui ont été confrontés à ce problème savent les difficultés de procédure qui entourent la mise en oeuvre de la diffamation dans le cadre de la loi de 1881, notamment lorsqu'on exerce des responsabilités. Deux articles de la loi de 1881 traitent du sujet : les articles 31 et 32. Ces articles prévoient des peines pour la diffamation, mais ils font la distinction entre les personnes dites protégées et celles qui ne le sont pas.
La personne non protégée, c'est le citoyen de base, oserai-je dire ; et la personne protégée, c'est le citoyen qui exerce des responsabilités particulières, un élu, un ministre, un fonctionnaire, un agent de l'autorité publique, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public, etc. Or un très grand nombre de procédures engagées pour diffamation sont déclarées irrecevables par les tribunaux, d'abord parce qu'ils n'aiment pas beaucoup condamner la presse et, ensuite, parce que, lorsqu'il s'agit d'un responsable ou d'un élu, le tribunal s'efforce de faire une analyse très fine pour savoir si l'individu a été insulté ou diffamé comme personne individuelle ou comme personne protégée.
Généralement, si l'on va devant le tribunal en disant : « On m'a insulté en ma qualité de parlementaire », le tribunal répond : « Non ! on vous a insulté à titre personnel. Vous vous êtes fondé sur l'article 32, alors qu'il fallait vous fonder sur l'article 31. Irrecevable ». Si l'on dit au contraire : « On m'a insulté à titre personnel », le tribunal répond : « Non ! on vous a insulté comme parlementaire. Il ne fallait pas vous fonder sur l'article 31, il fallait vous fonder sur l'article 32. Irrecevable aussi ».
Le maintien de ce privilège de personne protégée ne se justifiant plus dans un Etat moderne, où l'on est contre les privilèges, à juste titre d'ailleurs, je propose de supprimer la distinction entre les personnes protégées et celles qui ne le sont pas, de manière que tous les citoyens, qu'ils soient responsables ou non, soient soumis à la même règle.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé cet amendement n° 151, qui vise à abroger l'article 31 de la loi de 1881 sur la presse et à regrouper tout sous l'article 32. Ainsi, les tribunaux n'auront plus d'échappatoire par la procédure pour éviter d'avoir à se prononcer sur le fond sur des faits qui sont caractérisés comme diffamatoires.
J'ajoute que, dans la plupart des cas, le tribunal commence par dire : « C'est vraiment diffamatoire, c'est vraiment scandaleux, inadmissible. Vous n'avez pas pris le bon article, allez donc vous rhabiller ! »
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'amendement a pour objet d'éviter qu'une personne ne se trompe lorsqu'elle porte plainte en ne choisissant pas le bon article. Or, le regroupement des deux incriminations dans un même article n'aura certainement pas les effets escomptés, puisqu'il faudra que le plaignant porte plainte sur le fondement de l'alinéa pertinent, dès lors que les peines ne sont pas les mêmes.
Nous retrouverons exactement les inconvénients que l'auteur de l'amendement voulait éviter.
M. Michel Charasse. Pas du tout !
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président, Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement lui non plus n'est pas favorable à cet amendement, puisque je ne pense pas qu'il permette d'atteindre les objectifs qu'il s'est fixés. Même en insérant dans le même article les diffamations contre les personnes publiques et contre les particuliers, les peines étant différentes, il s'agira toujours de deux infractions différentes. Le bon alinéa devra être visé précisément dans les actes de poursuite à peine de nullité de la procédure.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 151.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je crois que M. le rapporteur et Mme le garde des sceaux ont fait une confusion, monsieur le président, mais c'est certainement involontaire.
Pour l'instant, les personnes dites protégées relèvent de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881. Je propose de le supprimer. Il n'y a donc plus de personnes protégées.
Je procède simplement, dans l'article 32, à une distinction entre les citoyens que j'appellerai « ordinaires » - mais ce terme n'est pas méprisant dans ma bouche - et les personnes qui sont investies de responsabilités particulières.
La plainte sera déposée sur le fondement de l'article 32 et il reviendra, ensuite, au tribunal de décider si la personne est passible de l'aggravation des peines prévues à l'article 32 que j'ajoute ou de la peine simple.
Aujourd'hui, en revanche, il n'est pas possible de déposer une plainte sur le fondement des articles 31 et 32. Il faut choisir l'un ou l'autre de ces articles. C'est ainsi que 80 % des affaires sont déclarées irrecevables alors que les faits de diffamation sont caractérisés. Je me permets d'insister sur ce point.
J'ajoute que le Sénat avait adopté en première lecture cette disposition que la commission des lois avait jugée à l'époque, très bonne.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. La loi du 29 juillet 1881 est semée d'embûches et de causes de nullité qu'il faut connaître. Il faut être un spécialiste pour la manier.
M. Michel Charasse. Je suis parfaitement d'accord !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Si un plaideur, dans son assignation, ne visait pas le bon alinéa, sa plainte serait rejetée.
Par conséquent, si vous aviez voulu créer une nouvelle disposition, il aurait fallu unifier les peines mais, comme précisément on veut les aggraver pour les personnalités investies de responsabilités particulières, le spécialiste qui rédigera l'assignation devra viser le bon alinéa.
Il est aussi difficile de ne pas se tromper entre deux articles qu'entre deux alinéas. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
M. Michel Charasse. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Compte tenu des explications de M. le rapporteur, je rectifie mon amendement en supprimant le paragraphe II et la référence aux personnes protégées.
C'est plus simple. Il n'y aurait plus qu'une seule procédure pour tout le monde, il n'y aura donc plus de problème.
M. le président. Je suis donc saisi par M. Charasse d'un amendement n° 151 rectifié tendant à insérer, après l'article 25, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est abrogé. »
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement répond à une raison technique. Mais je n'ai pas dit tout à l'heure qu'il fallait supprimer le cas des personnes protégées. Selon moi, il faut le maintenir.
M. Michel Charasse. Elles ne sont plus du tout protégées, puisqu'elles perdent tout le temps !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Par conséquent, à titre personnel, puisque je n'ai pas pu consulter la commission, je maintiens l'avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 151 rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 151 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 25.
Articles 25 bis et 25 ter
M. le président.
Les articles 25
bis
et 25
ter
ont été supprimés par l'Assemblée
nationale.
Article additionnel après l'article 25 ter