Séance du 5 avril 2000
PRESTATION COMPENSATOIRE
EN MATIÈRE DE DIVORCE
Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition
de loi (n° 241, 1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la
prestation compensatoire en matière de divorce.
Rapport n° 291 (1999-2000).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi relative à la
modification du régime de la prestation compensatoire, dont l'initiative a été
prise dans votre assemblée, revient devant vous en deuxième lecture.
Les deux discussions en première lecture nous ont permis de procéder à une
analyse complète de la situation et de constater à quel point cette réforme
était nécessaire.
Les uns dénoncent les situations intolérables auxquelles conduit, en raison
des aléas de la vie économique et sociale, la quasi-impossibilité de réviser la
prestation compensatoire en l'état actuel du droit ; les autres soulignent que
nombreuses sont les femmes - car la quasi-totalité des bénéficiaires des
prestations allouées sont des femmes - qui ont sacrifié leur carrière
professionnelle à leur vie familiale.
Il s'agit, en fait, de tenir compte de ces deux réalités en adoptant un
dispositif équilibré.
J'ai souhaité, vous vous en souvenez, pouvoir bénéficier d'une réflexion
approfondie, notamment de celle qui a été menée par le groupe de travail que
j'avais installé et qui était présidé par Mme Dekeuwer-Défossez.
J'ai voulu inscrire cette réforme de la prestation compensatoire dans le cadre
plus large de la réforme du droit de la famille, Mais il m'a semblé aussi qu'il
était très important de pouvoir légiférer plus vite sur cette question, afin de
régler des situations qui ne pouvaient décidément plus perdurer. J'espère que
cette deuxième lecture au Sénat nous permettra d'avancer et que ce texte
important pourra, très bientôt, être définitivement adopté.
L'Assemblée nationale a, en première lecture, sensiblement remanié le texte
que vous avez voté pour adopter, à l'unanimité de ses membres, un mécanisme
innovant, auquel le Gouvernement adhère, sous réserve d'améliorations
techniques et d'un accompagnement fiscal.
Vous est donc proposée une architecture nouvelle, reposant sur une conception
que l'on qualifie quelquefois de « binaire » et dont l'objectif est de
favoriser l'apurement le plus rapide, voire immédiat, des relations pécuniaires
entre époux par l'octroi d'un capital, tout en préservant les intérêts de
certains créanciers, pour lesquels la rente viagère s'avère être la seule
solution équitable.
Je me réjouis que votre commission des lois adhère pleinement à ce mécanisme,
auquel elle a apporté des aménagements techniques qui recueillent, pour
l'essentiel, mon approbation. Pour autant, certains compléments sont
indispensables, notamment en ce qui concerne l'accompagnement fiscal de la
réforme.
S'agissant de la philosophie du dispositif, le principe doit être, ainsi que
l'avait déjà prévu le législateur de 1975, celui du versement de la prestation
en capital, et différents mécanismes doivent permettre la réalisation concrète
de cet objectif.
D'abord, les possibilités de verser le capital immédiatement sont élargies du
fait de la faculté désormais offerte d'un abandon de biens en pleine propriété,
dont votre assemblée avait déjà adopté le principe ; l'Assemblée nationale a
entériné cette solution.
Mais il faut aussi répondre aux préoccupations des nombreux débiteurs qui,
tout en souhaitant apurer rapidement leur dette vis-à-vis de leur ex-conjoint,
ne disposent pas de liquidités immédiates.
Vous avez ouvert la possibilité, pour le juge, au titre des garanties prévues
à l'article 277 du code civil, d'imposer au débiteur la souscription d'un
contrat garantissant le paiement de la prestation compensatoire.
Au-delà, et c'est l'innovation de l'Assemblée nationale, vous est proposée une
nouvelle formulation de l'article 276. Ce texte constitue assurément le pilier
du régime rénové de la prestation compensatoire.
Tout en respectant la finalité indemnitaire et le caractère forfaitaire de la
prestation, l'Assemblée nationale a adopté la possibilité, pour le débiteur qui
n'est pas en état de verser immédiatement l'intégralité de la prestation
compensatoire allouée à son conjoint, d'étaler le versement sur une période de
huit ans par des paiements annuels ou mensuels indexés.
Ce système me paraît réaliste. Un tel échelonnement dans le temps rendra la
charge de la prestation moins lourde pour le débiteur.
En corrolaire, les rentes temporaires sont supprimées.
Il n'est pas inutile de rappeler ici que seulement 5,6 % des femmes divorcées
en 1996 ont bénéficié d'une prestation compensatoire attribuée sous forme de
rente temporaire. Parmi elles, celles qui ont bénéficié d'une rente d'une durée
inférieure à dix ans sont largement majoritaires ; ces rentes représentent en
effet les deux tiers de l'ensemble des rentes temporaires.
Le système proposé par l'Assemblée nationale me semble donc adapté aux
situations rencontrées aujourd'hui et il permettra un apurement rapide des
relations financières entre ex-époux.
La commission des lois du Sénat s'y rallie, et je m'en félicite.
Cependant, il est aussi des situations où l'octroi d'un capital, fût-il étalé
sur huit ans, ne répondra pas aux besoins du créancier. Songeons à la détresse
dans laquelle ce mécanisme, appliqué sans exception, pourrait plonger les
femmes ayant abandonné leur propre carrière au profit de celle de leur époux et
ayant divorcé à un âge hypothéquant toute reconversion professionnelle, ou même
toute entrée dans la vie professionnelle, beaucoup de ces femmes n'ayant jamais
travaillé.
Dans ce cas, il me semble indispensable de maintenir à titre tout à fait
exceptionnel, ainsi que l'a prévu l'Assemblée nationale, la possibilité pour le
juge d'allouer une rente viagère, décision qui devra être spécialement motivée.
Votre commission des lois y ajoute une nouvelle condition tenant à
l'impossibilité pour le débiteur de verser le capital. Je souscris pleinement à
cette proposition, qui renforce encore le caractère exceptionnel de la rente
viagère.
De la distinction entre le capital et la rente viagère découlent deux régimes
distincts.
A cet égard, je ne peux souscrire à la proposition de votre commission des
lois de n'arrêter le montant de la rente qu'après fixation d'un capital
représentatif. Il s'agit là de deux logiques différentes.
En revanche, j'approuve pleinement la dualité de régime de révision proposée.
On ne peut en effet traiter de la même manière la révision d'un capital alloué
forfaitairement et celle d'une rente, en raison de l'étalement de cette
dernière dans le temps.
Il est normal que le montant du capital fixé par le juge soit intangible et
qu'il ne puisse être modifié dans son quantum. Mais pour le reste, il est
indispensable de prévoir une certaine souplesse, la situation du débiteur
pouvant considérablement évoluer en huit ans. C'est pourquoi il est prévu - et
vous approuvez pleinement cette démarche - d'autoriser le débiteur à demander
la révision des modalités de paiement de ce capital dans des cas
exceptionnels.
Quant à la rente, la question de sa révision est, comme chacun le sait,
cruciale compte tenu du contexte socio-économique que nous connaissons depuis
1975 et de la quasi-impossibilité d'obtenir actuellement cette révision.
Sans pour autant revenir au contentieux suscité par les anciennes pensions
alimentaires entre époux, la révision doit voir son domaine élargi. J'ai dit
devant votre assemblée que j'étais favorable à ce qu'un changement important
dans la situation des parties ouvre droit à la révision de la rente. C'est la
solution qui a été retenue par l'Assemblée nationale.
Je crois qu'il faut s'en tenir à ce critère, sans revenir à un caractère
d'imprévisibilité, auquel j'avais songé mais que, à la réflexion, je crois
difficile à manier.
J'en viens maintenant à la question qui soulève le plus de passion et suscite
le plus de critiques, celle de la transmissibilité de la prestation
compensatoire aux héritiers du débiteur.
Si je comprends qu'il soit difficile, notamment sur un plan psychologique,
pour les héritiers du débiteur d'avoir à s'acquitter d'une telle dette, je
tiens à rappeler qu'il faut se garder de toute solution systématique qui irait
à l'encontre des intérêts du créancier et serait contraire aux principes
applicables en matière successorale, qui sont fondés sur la transmissibilité.
Faute d'un équilibre, aucune solution ne serait viable.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Très juste
!
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le texte retenu sur ce point par l'Assemblée nationale
me semble de nature à préserver les intérêts des parties.
Les héritiers du débiteur hériteront, certes, du solde du capital, mais ils en
connaîtront exactement la charge et pourront, si nécessaire, la refuser. Car on
peut toujours refuser un héritage !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Ou l'accepter sous bénéfice d'inventaire !
M. Nicolas About.
Ce n'est pas un capital !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Quant aux rentes viagères, la déduction de plein droit
de l'éventuelle pension de réversion devrait préserver une situation équitable.
Le décès du débirentier ne doit pas, en effet, se traduire par une amélioration
de la situation financière de son ex-conjoint. Votre commission rejoint cette
analyse, et je m'en réjouis.
Enfin, dans la logique consistant à favoriser par tous les moyens le règlement
définitif de la prestation compensatoire, l'Assemblée nationale a repris, tout
en l'ajustant, votre proposition tendant à permettre la capitalisation de la
rente et a autorisé la libération anticipée du solde du capital. Il s'agit là,
je le crois, d'une disposition essentielle.
Toutefois, il me semble difficile d'ouvrir, comme vous l'aviez envisagé en
première lecture, la faculté de capitalisation dans les mêmes conditions au
débiteur et au créancier. En effet, le risque de demandes abusives de ce
dernier n'est pas à exclure.
Je me félicite donc que votre commission des lois se rallie au dispositif
proposé par l'Assemblée nationale sur la possibilité, pour le créancier, de
demander la capitalisation à condition qu'il établisse qu'une modification de
la situation du débiteur le permet.
Je crois également difficile d'isoler des événements tels que le remariage, le
concubinage notoire ou le pacte civil de solidarité comme sources, par
eux-mêmes, de révision.
Enfin, s'agissant des dispositions transitoires, votre commission des lois
s'aligne sur le texte adopté par l'Assemblée nationale, à l'exception de la
déductibilité automatique de la pension de réversion aux rentes en cours. Je
m'étais clairement prononcée, à l'Assemblée nationale, contre cette solution en
déposant un amendement sur ce point. Je persiste en effet à penser qu'elle peut
engendrer, dans certains cas, de graves difficultés pour les bénéficiaires
d'une rente fixée antérieurement, faute pour eux d'avoir pu anticiper une telle
possibilité.
Telle est donc l'architecture globale du nouveau dispositif juridique, mais
celui-ci appelle des mesures d'accompagnement fiscal, faute desquelles la
réforme ne pourrait avoir le succès escompté.
Comme vous le savez, je me suis engagée, d'abord devant vous en première
lecture, puis devant l'Assemblée nationale, à ce que des réponses adaptées
concernant l'aspect fiscal de la réforme puissent être proposées.
Il serait vain, en effet, de mettre en place un nouveau régime juridique de la
prestation compensatoire qui ne serait pas fiscalement incitatif pour le
débiteur. Nous savons tous que c'est sur ce point essentiel que le mécanisme
actuel du versement en capital a achoppé.
Certes, rien dans les textes en vigueur n'incite le débiteur à s'acquitter du
capital à bref délai. Pour autant, si la modification du régime fiscal de la
prestation compensatoire est demandée à l'unanimité, les solutions, nous le
savons, ne sont pas simples à mettre en oeuvre.
Il est nécessaire que des solutions incitant au paiement effectif du capital
soient trouvées, que ce paiement soit effectué en une seule fois ou échelonné
sur huit annuités, dans le respect des principes de neutralité fiscale et
d'égalité devant l'impôt.
La commission des lois du Sénat vous propose un mécanisme unique qui assimile
tout versement en capital, quels que soient le nombre et la périodicité des
versements effectués, dès lors qu'ils sont opérés dans la limite des huit
annuités prévues par le texte, à un revenu déductible en tant que tel par le
débiteur et imposable en conséquence pour le créancier.
Je ne suis bien sûr pas insensible à cette démarche consistant à assimiler les
annuités versées pendant plusieurs années à des versements de revenus. Je
rappelle d'ailleurs que c'est la position du Conseil d'Etat pour tout versement
en plus de trois annuités.
Cependant, je ne peux suivre la commission quand elle retient la même analyse
pour un versement unique et immédiat. En effet, permettre la déductibilité
totale d'un tel versement des revenus du débiteur constituerait une solution
sans précédent en matière fiscale et reposerait sur un artifice.
Il me semble préférable de distinguer clairement deux situations, selon la
durée de versement du capital.
Ainsi, les versements qui seraient effectués sur une durée inférieure ou égale
à douze mois donneraient lieu à un mécanisme de réduction d'impôt dans la
limite d'un plafond de 200 000 francs, somme qui correspond au montant moyen
des prestations compensatoires attribuées en capital. La réduction serait de 25
% du montant des versements effectués, dans cette limite de 200 000 francs,
soit un maximum de 50 000 francs.
Quant au créancier, qui resterait, dans ce cas, assujetti aux droits de
mutation à titre gratuit entre époux, lorsque les sommes ainsi versées
proviennent de biens propres, il bénéficie, je le rappelle, d'un abattement de
500 000 francs, soit une somme très largement supérieure au montant moyen des
prestations en capital.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
En revanche, si le versement du capital est étalé sur
une durée supérieure à douze mois, il me semble tout à fait logique d'intégrer
les sommes en jeu dans le calcul de l'impôt sur le revenu des parties : soit
une déductibilité au titre des revenus imposables du débiteur de l'intégralité
des sommes versées et, en corollaire, une déclaration par le créancier de
l'intégralité des sommes reçues. Ce mécanisme est celui qui est actuellement
applicable aux rentes.
Les avis du Gouvernement et de la commission ne divergent donc que sur un
point, à savoir le sort réservé aux versements effectués sur une période
inférieure ou égale à douze mois. Toutefois, je crois vraiment que la solution
que je vous propose est plus juste et plus équilibrée que celle de la
commission.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
On est d'accord !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
En effet, la déductibilité des revenus qu'elle prévoit
constitue une réelle incitation pour le débiteur à s'acquitter rapidement des
sommes dues, sans que, dans l'immense majorité des cas, le créancier soit
pénalisé eu égard à l'abattement fiscal dont il peut bénéficier.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je
souhaitais formuler à ce stade de la discussion. Il s'agit évidemment d'un
sujet délicat, à propos duquel nos concitoyens attendent des réponses simples,
claires et pragmatiques.
Je voudrais, pour conclure, rendre hommage à la commission des lois du Sénat
et à son rapporteur, M. Hyest, qui ont, encore une fois, fait preuve d'un
esprit extrêmement constructif et accompli un travail de grande qualité. Ils
ont été sans cesse animés du souci de parvenir, au-delà de toute polémique, à
des solutions consensuelles.
Je crois que c'est la seule démarche possible, puisque nous avons tous la
volonté d'aboutir à cette importante réforme qui concernera évidemment nombre
de nos concitoyens et concitoyennes, qui attendent ce texte avec impatience.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à lire certaines
correspondances, à voir certains reportages télévisés sur les drames et les
injustices nés de l'application de la loi sur la prestation compensatoire en
cas de divorce, il est évident que la proposition de loi de nos collègues About
et Pagès était particulièrement pertinente, puisqu'elle a permis au Sénat de se
saisir d'un problème qui « empoisonne » la vie de trop nombreuses familles.
Puis-je me permettre de rappeler que le Sénat a délibéré de cette question le
25 avril 1998 et que l'Assemblée nationale en a été saisie au début de cette
année au titre de l'ordre du jour prioritaire ? Certes, entre-temps, il nous
fut expliqué que ce problème devait être examiné dans le cadre d'un grand
projet de loi sur le droit de la famille ; le rapport que vous avez cité,
madame le garde des sceaux, va effectivement beaucoup plus loin, puisqu'il
présente notamment un certain nombre d'aspects de la réforme du divorce. J'y
reviendrai tout à l'heure.
Nous ne pouvons donc que nous féliciter de ce que le Gouvernement, prenant
conscience de l'urgence de la réforme de la prestation compensatoire, ait pris
l'initiative, au bout de deux ans, d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée
nationale notre proposition de loi, qui vise à faire en sorte que ne perdurent
pas des situations inextricables. Il a ainsi reconnu que le Sénat, s'agissant
de problèmes de société, savait être à l'écoute des besoins de nos concitoyens
et faire oeuvre de précurseur, dans ce domaine comme dans d'autres.
M. Alain Gournac.
Le Sénat n'est pas toujours une anomalie !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Nous sommes invités, mes chers collègues, à revoir la loi du
11 juillet 1975. Puis-je rappeler que cette loi sur la réforme du divorce, qui
avait constitué un pas important et difficile, avait été défendue devant le
Parlement par M. Jean Lecanuet, alors garde des sceaux ?
Sauf pour ce qui concerne le divorce pour rupture de la vie commune, procédure
qui reste peu utilisée, puisqu'elle ne concerne que 1,5 % des cas, le
législateur avait souhaité supprimer les pensions alimentaires, sources de
conflits et de demandes continuelles de modification.
En effet, le divorce met fin au devoir de secours prévu par l'article 212 du
code civil, que tous les maires connaissent, puisqu'ils le lisent aux futurs
époux : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ».
Cependant, l'article 270 du code civil ajoute : « ... l'un des époux peut être
tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est
possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de
vie respectives ».
Pour bien distinguer la prestation compensatoire de la pension alimentaire, la
loi précise qu'elle a un caractère forfaitaire et qu'elle ne peut être révisée,
même en cas de changement imprévu dans les ressources et les besoins des
parties, sauf - c'est là que gît la difficulté - si l'absence de révision
devait avoir, pour l'un des conjoints, des conséquences d'une exceptionnelle
gravité.
Enfin, les articles 274 et suivants privilégiaient le versement en capital ou,
à défaut, celui d'une rente temporaire ou viagère. On ne peut que constater
que, sinon la volonté du législateur, du moins l'évolution de la société et les
changements intervenus dans les modes de vie et les conditions économiques ont
conduit en fait les tribunaux à privilégier la rente.
En effet, selon les statistiques du ministère de la justice que vous avez
citées, madame le garde des sceaux - je regrette à ce propos qu'elles ne
concernent que l'année 1996, car il faudrait procéder à une réelle évaluation
des conséquences du dispositif que nous allons voter -moins de 14 % des
divorces prononcés en 1996 étaient assortis du versement d'une prestation
compensatoire, ce qui permet de relativiser les inquiétudes qui ont été
exprimées à propos de l'afflux de requêtes que pourrait entraîner une
modification des possibilités de révision.
Une rente mensuelle est prévue dans 67 % des cas et dans 78 % des divorces
contentieux, le versement d'un capital n'étant, hélas ! décidé que dans 20 %
des cas. Enfin, les rentes viagères représentent 31 % des rentes mensuelles, ce
pourcentage croissant avec l'âge du créancier de la prestation.
Il faut ajouter - et cette appréciation est non pas statistique, mais fondée
sur des cas concrets - qu'il existe souvent une totale discordance entre le
montant des rentes, notamment viagères, et le capital qui y correspondrait
selon les barèmes en usage, par exemple celui de la Caisse nationale de
prévoyance ou celui qui est utilisé par les notaires pour les ventes en viager.
Cela explique sans doute les difficultés qui surgissent au cours des années et
la nécessité de permettre une révision.
Il reste - et c'était toute la démarche du Sénat en première lecture - que la
jurisprudence a admis avec une extrême réticence les demandes de révision de la
prestation compensatoire, l'« exceptionnelle gravité » étant appréciée de
manière trop rigide si l'on analyse le contentieux de la révision. Il semble en
effet que le caractère forfaitaire de la prestation ait notamment conduit la
Cour de cassation à une telle interprétation restrictive.
Mais ce serait un véritable recul que de ne pas affirmer ce caractère
forfaitaire, sorte d'indemnité « pour solde de tout compte », sauf à retomber
dans l'infernal système d'une pseudo pension alimentaire.
Dès lors, le Sénat s'est attaché à assouplir les modalités de révision de la
rente et à favoriser le versement en capital de celle-ci, tout en respectant le
cadre instauré par la loi de 1975. Je ne vous rappellerai pas le détail de nos
travaux, que vous avez tous présents à la mémoire, mes chers collègues, et à
partir desquels l'Assemblée nationale a élaboré ses propres propositions.
Je dirai en préambule que, loin d'être en désaccord avec le Sénat, l'Assemblée
nationale a poussé plus loin la logique que nous avions défendue, et que ses
travaux ne remettent pas en cause nos intentions.
Tout d'abord, l'Assemblée nationale a différencié le régime de la rente de
celui du capital, en réaffirmant le principe du versement de la prestation
compensatoire sous forme de capital, avec échelonnement possible sur une durée
maximale de huit ans.
Après des débats intéressants, l'Assemblée nationale a maintenu, et je m'en
réjouis, la transmissibilité active et passive pour le capital.
Mais, et cela pourrait un peu s'apparenter à l'obligation maintenue de secours
en cas de divorce pour rupture de vie commune, l'Assemblée nationale a prévu
que, à titre exceptionnel, le juge pourrait attribuer une rente viagère en
raison non plus de la consistance des biens du débiteur, mais de l'âge ou de
l'état de santé du créancier. Bien entendu, les éléments de l'appréciation
prévus à l'article 272 du code civil continueraient à être la référence pour la
fixation du montant de cette prestation.
En ce qui concerne le régime de la rente viagère, l'Assemblée nationale a
précisé la transmission à l'hérédité sous réduction de plein droit de la
pension de réversion éventuellement versée, la rente pouvant être révisée à la
baisse ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les
besoins des parties, à la demande du débiteur ou des héritiers. L'Assemblée
nationale, comme l'avait fait le Sénat, a favorisé les demandes de
capitalisation de la rente, notamment lors de la liquidation du régime
matrimonial.
A ce sujet, il serait utile, pour les divorces contentieux, de lier la
liquidation du régime matrimonial et la fixation de la prestation
compensatoire, ce qui serait la meilleure façon de favoriser le versement en
argent ou en un des substituts prévus à l'article 275 du code civil, dont le
droit d'usage et d'habitation d'un immeuble, que le Sénat avait ajouté.
A cet égard, la démarche embryonnaire, telle qu'elle résulte des travaux de
l'Assemblée nationale, visant à établir un lien entre le versement de la
prestation compensatoire et la liquidation du régime matrimonial devrait être
accentuée. Cependant, la commission des lois ne peut qu'approuver la position
adoptée par Mme le garde des sceaux, qui ne souhaite pas, par ce texte,
remettre en cause les dispositions imposant une approche globale de la
procédure de divorce. La commission des lois propose donc au Sénat de retenir,
pour la plus grande part, les apports de l'Assemblée nationale.
En effet, le dispositif retenu conforte les principes posés par la loi du 11
juillet 1975, avec une accélération bienvenue du règlement définitif de la
prestation compensatoire, une révision possible des rentes sans retour au
régime des pensions alimentaires, et une transmissibilité logiquement
maintenue, mais dont les effets peuvent être atténués.
Un certain nombre d'autres points devront être précisés lors de l'examen des
articles, notamment en ce qui concerne les pensions de réversion, qui n'ont
d'ailleurs pas les mêmes règles en matière de régime général et de statut des
fonctionnaires. C'est l'un des points délicats que nous aurons à examiner tout
à l'heure.
C'est dire que la révision rendue possible des rentes actuelles ou,
exceptionnellement, futures, justifiée par l'importance des modifications de la
situation des ex-époux ou des héritiers du débiteur, ne doit pas être
automatique. Cela n'aurait pas de sens, s'agissant d'une dette de nature
patrimoniale et non de l'obligation de secours. Il faut insister sans cesse
pour que l'on évite de retomber dans les ornières du passé.
Mais, et ce sera le dernier point de mon intervention, je me dois de rappeler
que les propositions de réforme que nous faisons seront contrecarrées, si nous
n'y changeons rien, par le régime fiscal actuel de la prestation compensatoire,
qui défavorise les débiteurs de prestation sous forme de capital par rapport à
ceux qui versent une rente.
Cela a conduit à l'évidence, pour beaucoup d'ex-époux, à privilégier la rente.
C'est pourquoi la commission des lois avait fait des propositions en ce sens.
De son côté, le Gouvernement nous présente, comme il s'y était engagé, un
dispositif équilibré, que la commission vous proposera d'accepter à condition
de trouver une solution en matière de capitalisation, car les régimes ne
peuvent être différents pour l'avenir et pour l'immédiat.
Telles sont les conclusions que vous propose votre commission.
Du point de vue de la philosophie du droit, ou de la sociologie juridique,
comme on veut, l'exemple de l'application de la loi du 11 juillet 1975 est
intéressant et riche d'enseignements.
Qu'avait voulu le législateur ? Il s'agissait de faire en sorte que tout lien
financier soit désormais supprimé entre les ex-époux, chacun recouvrant sa
liberté, après compensation financière éventuelle.
Cependant, l'image réelle dans l'opinion restait celle de l'épouse délaissée
faisant payer à son ex-époux le « prix de la liberté ». L'augmentation du
nombre de divorces, les mariages à répétition, avec prestations compensatoires
à la clef que les médias évoquent chez certaines stars du
show-biz,
ne
sauraient faire oublier l'évolution des situations respectives des femmes et
des hommes. Je suis convaincu que le nombre de prestations compensatoires ne
pourra que diminuer en fonction de l'augmentation de l'égalité professionnelle
entre femmes et hommes...
Mme Dinah Derycke.
C'est sûr !
M. Patrice Gélard.
En effet !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... mais, il nous faut gérer le passé et le faire le mieux
possible. Quand, de surcroît, la difficulté pour la magistrature de ne pas
revenir à ce qu'elle connaît - à savoir la pension alimentaire - la fiscalité
et les conditions économiques se liguent pour favoriser la rente, il faut
vraiment modifier la loi de 1975 pour la conforter.
Toutefois, veillons, mes chers collègues, en permettant de réviser les
situations injustes, à ne pas créer de nouvelles injustices. Laissons le juge,
avec les nouveaux outils que nous allons lui donner, je l'espère, corriger les
situations aberrantes et injustes. Mais pensons aussi à toutes les femmes qui,
après de nombreuses années de mariage consacrées parfois à l'entreprise
familiale, souvent à l'éducation des enfants, se retrouvent seules et sans
avenir.
C'est dans cette perspective que nous pouvons progresser pour faire en sorte
que le débat sur la prestation compensatoire ne soit pas de nature à réveiller
les haines et les rancoeurs que tout échec d'un couple suscite. Dans ce domaine
comme en d'autres, les idées toutes faites et la passion ne sont pas la
meilleure voie pour trouver des solutions équitables, auxquelles, nous le
croyons, nous pouvons parvenir.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, permettez-moi
d'abord de remercier M. le rapporteur et la commission du travail excellent et
important qu'ils ont accompli, le souci de voir ce douloureux dossier réglé au
mieux des intérêts du couple et, surtout, des enfants ayant toujours prévalu.
Tout ce qui contribue à réduire les tensions entre les ex-conjoints profite
surtout aux enfants eux-mêmes, qui, je le rappelle, sont les victimes
immédiates et durables des conflits au sein des couples, en particulier dans le
dossier des prestations compensatoires.
Ce texte, qui est issu des propositions de loi déposées par notre ancien
collègue M. Pagès et par moi-même, a été adopté par le Sénat dès le 25 février
1998. Je constate avec plaisir que le Gouvernement a fini par se ranger aux
propositions de notre assemblée. Toutefois, je regrette, madame le ministre,
qu'il ait fallu attendre deux ans pour en arriver là. Deux ans, c'est bien
long. La situation est particulièrement difficile pour tous ceux qui se
retrouvent pris à la gorge financièrement par ce dispositif injuste. Je vous
rappelle que certains débiteurs ont été incarcérés pour non-paiement de leur
dette, qu'ils ne pouvaient plus honorer du fait de leur chômage ou d'une baisse
brutale de leurs revenus. Vous déclariez, il n'y a pas si longtemps, devant les
juges de Bordeaux, qu'il fallait « écouter le justiciable ». Je souhaite que
cette attitude préside également à nos débats d'aujourd'hui, dans un esprit de
justice mais aussi au nom de la célérité.
Depuis l'adoption de ce texte au Sénat, plusieurs avancées sont à noter. Je
tiens également à remercier l'Assemblée nationale et le rapporteur de la
commission des lois, M. Vidalies, du travail effectué. Désormais, la révision à
la baisse des prestations compensatoires, lorsqu'elles prennent la forme de
rentes viagères, sera possible sur simple demande adressée au juge, pour peu
qu'un changement notable soit intervenu dans la situation financière des
parties. On peut espérer que, enfin, le chômage, l'invalidité ou le départ à la
retraite seront des causes suffisantes pour permettre une révision du montant
de la rente.
Certes, il faut s'attendre à un afflux de demandes au sein de l'institution
judiciaire, en tout cas pendant les premières années après l'entrée en vigueur
de la loi. Je sais que cette question vous préoccupe, madame le ministre. Elle
nous préoccupe aussi. Mais reconnaissons du moins aux victimes de la loi de
1975, ou de l'application détournée qui en a été faite, leur droit légitime à
réparation.
D'autres mesures importantes ont été adoptées par l'Assemblée nationale. Elles
visent à obtenir que les juges n'aient pas d'autre solution que le versement en
capital. A l'heure actuelle, ce dernier n'est décidé, cela a été dit, que dans
20 % des cas, ce qui est notoirement insuffisant. La formule de la rente doit
être combattue puisqu'elle tend à faire perdurer, après le divorce, des liens
pécuniaires, sources de nouveaux conflits.
A ce titre, la possibilité qui est donnée au juge d'échelonner le versement du
capital sur huit ans maximum me semble particulièrement judicieuse. Je pense
néanmoins qu'il faut aller plus loin, notamment par le biais de mesures
fiscales. Le versement d'une rente viagère est actuellement déductible du
revenu imposable, alors que le versement en capital ne l'est pas. Cette
inégalité des débiteurs vis-à-vis du fisc est à l'origine du profond malentendu
qui a conduit nombre d'entre eux à choisir, j'allais dire « presque
naturellement », l'option de la rente. On le sait, les réveils furent
douloureux.
L'Etat ne peut continuer à jouer les hypocrites en maintenant ce dispositif
inique. Interpellée par les députés lors de l'examen du texte à l'Assemblée
nationale, vous aviez promis d'y réfléchir, madame le garde des sceaux. Vous
l'avez fait puisque, aujourd'hui, vos propositions répondent aux contraintes du
versement en capital, et je vous en remercie.
Oui, il est en effet impératif d'obtenir des juges la fixation d'un capital.
C'est pourquoi l'obligation qui leur est faite de motiver spécialement leur
décision lorsqu'ils choisissent d'opter malgré tout pour la rente me paraît
indispensable. Elle est de nature à rétablir le caractère très exceptionnel
d'une formule qui n'aurait jamais dû cesser d'être exceptionnelle. Il faut à
tout prix éviter de faire perdurer des liens financiers entre des individus qui
ont manifesté leur souhait de se séparer définitivement et de rompre toute
relation d'ordre affectif et matrimonial.
Il ne faut pas qu'une loi intangible enferme des individus dans une situation
de dépendance financière qui non seulement contribue à générer de nouvelles
rancoeurs, mais, surtout, les plonge dans une situation finalement assez
dégradante puisqu'elle sous-entend que l'un des deux conjoints ne sera jamais
capable de prendre son autonomie et sera toujours l'« assisté » de l'autre.
Il faut rappeler que la prestation compensatoire est bien une compensation
financière temporaire, attribuée au conjoint le plus démuni au moment du
divorce. Elle a pour objet d'éviter une baisse brutale de revenu pour celui qui
ne travaille pas ou dont les ressources sont faibles. En aucun cas elle n'a
pour but d'assurer à un ex-conjoint une situation semblable à celle qu'il
aurait connue si le mariage avait perduré.
M. François Autain.
Très bien !
M. Nicolas About.
Si l'on veut restaurer l'institution du mariage dans notre pays, il faut
cesser de croire que le mariage constitue une garantie à perpétuité d'un
certain niveau de vie.
Les mesures qui ont été adoptées par l'Assemblée nationale constituent des
avancées. Je pense néanmoins que l'on doit aller plus loin.
Ainsi, je m'inscris résolument en faveur de la fixation préalable de la rente
sous forme d'un capital. Il ne faut plus qu'une prestation compensatoire puisse
être fixée sous forme de rente sans qu'on ait conscience de ce qu'elle
représente réellement en capital. Il faut que la prestation compensatoire soit
d'abord et obligatoirement exprimée en capital.
Ce système présente de nombreux avantages.
La fixation préalable de ce capital intervient au moment même du divorce.
C'est sans doute le moment le plus adéquat qui s'offre au juge pour évaluer la
disparité réelle qui existe entre les ressources des deux conjoints. Cela
évitera de recourir à cette étrange notion d' « avenir prévisible », qui, on le
sait, a engendré tant d'injustices. Le contexte socio-économique actuel est
devenu bien trop imprévisible - je pense au chômage, à la maladie, mais aussi
aux recompositions familiales, qui bouleversent parfois brutalement les données
économiques au sein des ménages.
Ce montant initial constituera également pour le juge une référence de base,
lorsqu'il sera soumis à une demande en recapitalisation de la rente. En effet,
à défaut de capital de référence, comment va-t-on recapitaliser une rente dont
on sait qu'elle n'a plus aucun rapport, si l'on en croit l'amendement n° 63
rectifié du Gouvernement, qui indique bien qu'elle n'est pas de même nature ?
Comment va-t-on rétablir la correspondance entre cette rente nouvelle,
alimentaire, et un capital lorsque la personne, qui en a le droit, demandera la
capitalisation ?
L'existence d'un capital initial sera ainsi une garantie de justice pour les
requérants, puisque le juge prendra en compte ce capital et les sommes déjà
versées pour fixer le montant du capital restant dû. Le juge ne procédera pas
nécessairement à une simple soustraction, mais il s'agit là d'éléments de
référence qui lui permettront de faire un travail équitable.
Je tiens à préciser, toutefois, que l'adoption de ces nouvelles modalités de
calcul, destinées à mieux encadrer les décisions du juge, dans les demandes en
capitalisation de la rente, ne remet pas en cause le pouvoir souverain du juge,
notamment dans les cas d'exceptionnelle gravité. Il est des cas, il est vrai,
où l'attribution d'une rente viagère à l'un des conjoints demeure une absolue
nécessité. Je pense aux conjoints âgés, délaissés après des dizaines d'années
de mariage, qui n'ont jamais travaillé et qui se retrouvent sans ressources
après leur divorce, parfois malades, sans aucune possibilité de reconversion
professionnelle. Dans ces cas douloureux, le juge doit rester souverain dans
l'attribution ou le maintien d'une rente viagère.
Ces cas doivent néanmoins rester l'exception et faire l'objet d'une décision
spécialement motivée par le juge. Pour ma part, je fais confiance aux
magistrats dans ce domaine. Il existe d'ailleurs une jurisprudence suffisamment
importante en matière d' « exceptionnelle gravité », que l'on appellerait
désormais « situation particulièrement grave », ce qui revient pour moi
strictement au même. Les magistrats devraient donc pouvoir s'appuyer sur
vingt-cinq ans de jurisprudence de la Cour de cassation.
Ce point étant acquis, le sentiment d'humanité ne doit pas nous empêcher de
dénoncer aussi certains abus. Je veux parler, ici, des cas de cumul de
prestations compensatoires, qui sont, il faut bien le dire, parfaitement
inacceptables. Qu'un ex-conjoint conserve une rente viagère parce qu'il est
dans le besoin, soit ! Mais qu'il cumule deux, voire trois prestations
compensatoires, à l'issue de plusieurs divorces successifs, non ! Le mariage
n'est pas un placement financier ou une assurance sur la vie. On ne se marie
pas pour accéder à un niveau de vie. Personnellement, je considère déjà que le
remariage, l'état de concubinage notoire ou la conclusion d'un pacte civil de
solidarité devrait automatiquement faire cesser la dette. Je sais que M. le
rapporteur n'aime pas l'automaticité,...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
En effet, j'ai horreur de l'automaticité ! La justice ne doit
pas être automatique !
M. Nicolas About.
... mais cela permet de ne pas encombrer les tribunaux. Je réponds ainsi au
souci de Mme le ministre.
A partir du moment où le créancier vit une nouvelle union, le devoir de
secours qui l'unissait à son ex-conjoint n'a plus lieu d'être. Il est transféré
au nouveau conjoint ou concubin qui assume, de fait, la charge du nouveau
ménage. Ce principe est encore plus vrai lorsqu'il y a cumul de prestations
compensatoires.
M. René-Pierre Signé.
Pas forcément !
M. Nicolas About.
Il faut toujours garder à l'esprit que, en l'état actuel des lois, chaque
dette contractée par un individu au titre de la prestation compensatoire a des
répercussions financières importantes sur l'ensemble de la famille. En effet, à
l'heure actuelle, la dette est transmissible aux héritiers. Pour ma part, je
souhaite que l'on revienne sur le principe de la transmissibilité aux
héritiers, qui choque l'opinion et qui suscite toujours tant d'interrogations.
En effet, cette transmissibilité n'est pas acceptable car il s'agit non pas
d'une transmission de patrimoine mais du transfert par-delà la mort de
l'obligation de secours entre époux maintenue pour des raisons d'exceptionnelle
gravité après le divorce.
MM. François Autain et René-Pierre Signé.
Il a raison !
M. Nicolas About.
Je sais, monsieur le rapporteur, que vous nous proposez des dispositions
susceptibles d'atténuer l'effet de la transmission aux héritiers.
Tout d'abord, la pension de réversion que touche le créancier serait déduite ;
on l'a vu, ce n'est pas aussi simple que cela.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
En effet ! et c'est pour cela qu'il ne faut pas
supprimer...
M. Nicolas About.
Mais si !
Le deuxième dispositif que vous nous proposez permet aussi aux héritiers de
demander la capitalisation. Fort bien ! mais on a vu qu'il n'y avait pas de
capital de référence prévu aujourd'hui. Alors comment va-t-on réussir à
capitaliser la rente, qui était non pas une rente découlant d'un capital, mais
une rente estimée pour avoir une vertu alimentaire ?
Tout cela génère donc des situations invraisemblables. Ainsi, une personne qui
aurait à verser chaque mois une rente de 10 000 francs devrait rembourser un
capital de 2,5 millions de francs, ce qui ne veut plus rien dire, ce qui n'est
pas comparable au capital fixé en moyenne à 200 000 francs pour l'ensemble des
divorces au titre de la prestation compensatoire.
On aboutit donc à des distorsions considérables et à une situation
invraisemblable, parce que l'on ne veut pas du capital de référence, qui
permettrait à tout moment de fournir au juge au moins une fourchette de ce qui
est acceptable dans le cadre de la capitalisation.
Enfin, si le juge maintient la rente viagère pour les cas d'exceptionnelle
gravité ou pour les cas de situation très grave, les héritiers pourront
toujours demander la révision de la rente à la baisse en cas de changement
important dans leur situation financière ou familiale.
Mes chers collègues, comme je le disais à l'instant, il faudra aller plus loin
dans notre travail de réforme, et l'examen d'autres textes, en particulier le
projet de loi sur la réforme de la famille, nous en donnera l'occasion.
Je voudrais, en conclusion, rappeler que ce dossier comporte deux problèmes :
l'un humain, l'autre juridique.
Le premier problème est humain.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Dans les deux sens !
M. Nicolas About.
Oui ! Un premier aspect touche à la nécessité de permettre à deux époux qui se
séparent de repartir dans la vie de façon équitable par une juste répartition
du patrimoine.
M. René-Pierre Signé.
Voilà !
M. François Autain.
Très bien !
M. Nicolas About.
Un second aspect du problème humain vise les cas d'une exceptionnelle gravité
: des personnes âgées n'ayant plus les moyens de reconstruire une vie
professionnelle et de disposer de ressources, des personnes gravement
handicapées - on a cité, en commission des lois, des exemples de personnes
atteintes de sclérose en plaques - qui sont abandonnées et n'ont aucun moyen
d'existence. Il faut alors que le devoir de secours que nous rappelait M. le
rapporteur s'exerce. C'est alors non pas du tout la prestation compensatoire,
mais une rente bien supérieure à toutes les prestations compensatoires, et elle
est normale.
Mais lorsque l'ex-conjoint décède, ce devoir d'assistance disparaît, et il est
reporté sur ceux qui l'assument déjà du fait des lois existantes : ce sont bien
entendu souvent les enfants. Parfois, par chance, les enfants du premier
mariage sont aussi les héritiers.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Normalement !
M. Nicolas About.
C'est la logique ! Ces héritiers assureront donc tout naturellement le devoir
de secours non pas parce qu'ils ont hérité de leur père, mais parce qu'ils sont
les enfants de leur mère. Ils devront donc logiquement soutenir leur mère en
difficulté et subvenir à ses besoins. Mais pourquoi lier cela ? Ce n'est pas un
patrimoine qui est rétrocédé. Ne faisons pas cette erreur !
Et j'en viens ainsi au second problème, qui est juridique : c'est cette
confusion que l'on veut entretenir perpétuellement en essayant de nous faire
croire que la rente donnée dans ces situations extrêmes auxquelles je faisais
allusion est du patrimoine. Ce n'est pas vrai ! Comme je le disais tout à
l'heure, et ainsi que le Gouvernement le confirme dans les motifs de
l'amendement n° 83 rectifié, le capital et la rente ne sont pas de même nature.
S'ils ne sont pas de même nature, ils ne doivent donc pas être traités de la
même façon.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout
d'abord à féliciter le rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest, pour l'excellent
travail qu'il a accompli avec la commission des lois.
Le rapport d'Irène Théry, en mai 1998, et le groupe de travail animé par le
professeur Dekeuwer-Desfossez, en septembre 1999, nous permettent d'avoir une
vue d'ensemble de la réforme après une large concertation avec les courants de
pensée philosophiques, sociaux, religieux ou politiques, ce qui est
important.
La prestation compensatoire concernait, en 1996, 13,7 % des divorces
prononcés.
Dans 97 % des cas, cette prestation était attribuée aux femmes, jusque-là sans
activité professionnelle ou disposant de revenus inférieurs à ceux de leurs
époux.
Dans 80 % des cas, la prestation compensatoire prenait la forme d'une rente
qui était viagère pour un tiers, limitée dans le temps pour les deux tiers
restants.
La prestation compensatoire sous forme de rente viagère, versée la plupart du
temps par l'époux, concerne seulement quelques milliers de personnes. Cela ne
justifie en rien le fait qu'il faille isoler ces exemples ou les exclure de
notre législation.
Il nous appartient, en qualité de législateurs, de remédier le plus
équitablement possible aux problèmes que rencontrent les débiteurs ou leurs
héritiers.
Combien d'exemples, criants d'injustice, avons-nous reçu, mes chers collègues
? Combien de témoignages illustrent le caractère inéquitable des obligations
mises à la charge de certains débiteurs de la prestation compensatoire !
Et tout cela se produit alors même que nous venons de discuter de la parité et
que nous légiférerons bientôt sur les égalités professionnelles entre les
hommes et les femmes.
Il me paraît indigne d'un pays comme le nôtre de maintenir des situations
telles que le versement à vie d'une prestation qui visait, à l'origine, à
dédramatiser et à libéraliser les conséquences pécuniaires du divorce.
Entre 1975 et 2000, notre société a beaucoup changé. Les tâches dans le foyer
sont aujourd'hui mieux réparties. Les femmes ont de plus en plus de chances de
trouver un emploi et de se garantir un avenir indépendamment de leur époux. Les
jeunes femmes ne subissent plus les préceptes d'une éducation archaïque. Et,
dans un avenir proche, les disparités en suspens seront sûrement résorbées.
Qu'allons-nous faire avec cette prestation compensatoire ? Maintenir un
statu quo
social obsolète, ou insuffler des voies nouvelles pour placer
chacun en situation équilibrée ?
Certes, des progrès ont été apportés à la loi de 1975 par l'Assemblée
nationale, et ce à l'unanimité !
Il faut reconnaître les avantages d'une prestation compensatoire fixée par le
juge en fonction de la situation professionnelle des époux, des perspectives
d'emploi et de la durée du mariage, et le paiement échelonné sous forme de
capital sur une durée maximum de huit ans.
Il faut encourager enfin la révision en cas de changement important des
ressources du débiteur ou du créancier.
Je m'interroge, cependant, sur la notion de « changement important ».
S'agit-il de la perte d'emploi, de la diminution des revenus, de la retraite,
des charges liées à la nouvelle famille du débiteur ? Que considérera-t-on
comme changements importants ?
En revanche, je désapprouve la transmissibilité aux héritiers de la prestation
compensatoire. C'est une mesure anormale pour le débiteur, qui est freiné, au
vu de la loi, dans la possibilité de refaire sa vie s'il ne souhaite pas que
ses héritiers aient à payer les prestations qu'il doit à son ex-femme.
Nos voisins européens, pour pallier les conséquences du divorce, n'ont jamais
adopté de telles dispositions, sauf l'Espagne, où cette prestation est limitée,
révisable et n'est aucunement versée sous forme de rente viagère.
Combien avons-nous reçu, mes chers collègues, d'exemples relatant les tares de
cette transmissibilité ?
L'exemple de cette jeune fille, qui apprend à dix-sept ans qu'elle est
l'héritière, à la suite du décès de son père survenu cinq ans plus tôt, de la
prestation compensatoire qu'il versait à sa première femme, n'est-il pas le
reflet d'une situation injuste qu'il nous appartient aujourd'hui de corriger
?
M. René-Pierre Signé.
Mais si, bien sûr !
M. Jacques Pelletier.
Cette jeune personne en arrive même à s'interroger sur « l'acte répréhensible
qu'elle aurait commis pour être ainsi condamnée. »
Je citerai encore l'exemple de cet homme divorcé qui a perdu son emploi et qui
vit avec les minima vitaux, alors que son ex-femme, remariée, bénéficie d'une
situation sociale nettement supérieure à celle qu'elle avait auparavant et
intente à l'encontre de son ex-mari un procès afin qu'il honore la prestation
compensatoire qui lui est due.
A qui la justice donne-t-elle raison ? A l'ex-épouse, qui fera envoyer son
ex-mari derrière les barreaux !
M. René-Pierre Signé.
Eh oui !
M. Jacques Pelletier.
Il est de notre devoir moral de ne pas accepter dans notre législation ce type
de procédé, sauf si la personne créancière est dans une situation financière
particulièrement difficile.
Nous nous offusquons sans cesse de la désaffection des urnes lors des
consultations électorales. Mais c'est à nous de rétablir ce lien avec nos
concitoyens en prêtant une oreille attentive aux cas les plus flagrants
d'injustices ! C'est l'essence de notre mission parlementaire. Nous devons
faire en sorte que chacun, indépendamment de sa race, de sa religion et de son
statut, puisse être logé à la même enseigne que l'ensemble de nos
concitoyens.
Il nous appartient aussi, en qualité de parlementaires, de connaître les
évolutions de la société et d'y apporter en conséquence les évolutions
législatives adéquates. Allons-nous laisser dans le code civil ce genre
d'inadaptation ?
Pour conclure, je dirai que le système en place contribuait à promouvoir le
modèle de la femme au foyer maintenue dans la dépendance, sans lui donner
aucune chance d'insertion professionnelle. Quant aux débiteurs piégés, ils
perdaient nécessairement confiance dans la justice de notre pays.
C'est parce que nous avons rencontré trop de situations aberrantes que, depuis
une dizaine d'années, plusieurs propositions de réforme de la loi de 1975 ont
été déposées au Parlement et que 244 questions ont été posées aux ministres
successifs de la justice sur le sujet.
Comment peut-on permettre la transmission aux héritiers d'une condamnation à
perpétuité ?
Les amendements que j'ai déposés tendent à limiter la transmissibilité aux
héritiers de la charge de la prestation compensatoire. Ils visent à rétablir
une certaine équité. L'ancien Médiateur de la République ne peut demeurer
insensible aux nombreux cas d'iniquité dont nous avons à connaître.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la
prestation compensatoire, destinée à compenser la différence de niveaux de vie
créée par le divorce, n'est pas mise en cause dans son principe par le texte
que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture, fort heureusement. C'est
son application issue de la loi de 1975 qui doit être précisée et modifiée,
tant elle a suscité de situations iniques, notamment pour certains débirentiers
et leurs héritiers.
Trois aspects me paraissent devoir être corrigés.
Le premier est l'utilisation abusive de la compensation sous forme de rente
parfois à vie, forcément soumise aux aléas du temps et donc sujette aux
contestations, au détriment de la compensation sous forme de capital, qui a le
mérite de réparer le préjudice du divorce dans un délai raisonnable. Des
raisons fiscales ont jusqu'à présent incité les parties, en particulier le
débirentier, à choisir la rente qui, seule, est déductible des revenus.
Le versement en capital devenant désormais la règle et la rente, l'exception,
il était indispensable que la possibilité d'étaler le versement du capital sur
huit années soit accompagnée d'incitations fiscales. Le dispositif fiscal
proposé par la commission des lois est, à cet égard, excellent et permettra de
privilégier le versement en capital de la prestation compensatoire plutôt que
la rente, source de contestations à plus ou moins long terme. Je souhaite que
le Gouvernement n'oppose pas l'article 40, car la réforme en serait
fragilisée.
Le deuxième aspect à corriger est l'intangibilité de la rente viagère, due non
à la volonté du législateur, mais à une jurisprudence très restrictive, qui ne
permet pratiquement pas d'abaisser le montant d'une rente lorsque celle-ci
devient manifestement disproportionnée pour le débirentier par rapport au
crédirentier. Il n'est pas rare que, sous prétexte de compenser une différence
de niveau de vie au moment du divorce, le débirentier s'appauvrisse au fil du
temps tout en conservant l'obligation de rente à vie vis-à-vis du crédirentier,
lequel a pu s'enrichir du fait d'un remariage ou d'une situation
professionnelle améliorée. Dans ces cas, de plus en plus nombreux, les effets
sont contraires à l'esprit de la loi.
L'assouplissement des critères de révision introduit par le présent texte
facilitera les demandes de révision justifiées, la situation des deux parties
devant alors être prise en compte. Ne pourrait-on pas, d'aileurs, admettre que
le remariage du crédirentier éteint le versement de la rente, l'obligation de
secours entre époux passant
de facto
à une tierce personne ? Qu'en
pensez-vous, madame le garde des sceaux ?
Dans les dispositions transitoires, il est important que les facultés
nouvelles de révision bénéficient largement aux obligations de rente en cours,
car on peut espérer que, dans l'avenir, les rentes viagères seront
exceptionnelles compte tenu de la plus grande activité professionnelle des
femmes et de leur capacité à s'assumer en dehors de l'éducation des enfants.
L'obligation faite désormais au juge de fixer la rente par référence à un
capital constitue une garantie d'équité, qui permettra d'éviter les situations
dramatiques dont nous avons été saisis.
Le troisième aspect à corriger est la transmissibilité de l'obligation de
rente viagère aux héritiers, qui est certes un principe de droit si l'on
considère la rente viagère comme une dette, mais qui devient une injustice si
l'on considère ce qu'est réellement la rente viagère, à savoir une compensation
de la rupture du niveau de vie subie par l'une des parties au moment du
divorce.
Les héritiers, lorsqu'ils sont les enfants du couple divorcé, ont de toute
façon l'obligation de secours à leurs parents sans ressource. Pour les autres
enfants issus d'un second, voire d'un troisième mariage, il est inique qu'ils
aient à prendre en charge cette compensation de rupture d'un couple qui ne les
concerne en rien.
Sur ce point, la possibilité de révision de la rente ouverte aux héritiers
n'est pas suffisante, et la proposition de notre collègue Nicolas About tendant
à la suppression de la transmissibilité paraît plus adaptée.
Dans le cas du crédirentier sans ressource subissant la perte de la rente
viagère, des solutions de substitution sont possibles, soit par le biais de la
succession du débirentier, soit, à défaut, par d'autres moyens adaptés. Mais
pourquoi maintenir coûte que coûte ce « pousse au crime » - expression purement
symbolique ! - qu'est la transmissibilité de la rente viagère en matière de
divorce ? Notre commission n'a pas franchi ce pas, mais le statut de la rente
viagère doit-il être assimilé à une dette ?
Toute la difficulté de cette réforme de la prestation compensatoire, que le
Sénat a voulue et initiée, est d'aboutir à un juste équilibre entre les
protagonistes, tout en maintenant les objectifs de la loi de 1975 : il s'agit
de protéger, au moment du divorce, le plus faible, c'est-à-dire, dans la très
grande majorité des cas, les femmes s'investissant entièrement dans leur foyer
et l'éducation des enfants.
La pratique a montré, dans un nombre de cas minime, certes, mais réel et
douloureux, que l'équilibre entre les parties n'était pas toujours respecté. Le
pouvoir d'appréciation du juge, qui garantit un règlement au plus proche des
réalités, sera désormais mieux cadré grâce aux critères supplémentaires
apportés à la loi, avec une prise en compte plus large des situations
respectives des personnes.
Mettrez-vous les moyens supplémentaires suffisants, madame le ministre, pour
accélérer les procédures de révision qui ne manqueront pas d'augmenter en
référence aux nouvelles dispositions ?
Dans un monde mouvant, dans lequel aucune situation n'est figée sur le plan
professionnel comme sur le plan familial, dans un monde où l'évolution des
moeurs et l'allongement de la vie accroissent les occasions de divorce et
favorisent la multiplication des mariages pour une même personne, le droit de
la famille doit évoluer. La recherche de l'équilibre mettant au centre des
préoccupations la personne humaine et le droit des enfants est, à mon sens, la
bonne démarche. J'espère, madame le ministre, que vous la soutiendrez sans
réserve.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants
et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons
tous reçu, au cours des semaines passées, un courrier considérable et nous
avons rencontré, les uns ou les autres, les responsables d'une association qui
milite déjà depuis de nombreuses années en faveur de la révision de la
prestation compensatoire.
Nous n'avons pas pu rester insensibles aux arguments qui nous ont été
présentés et aux cas douloureux, difficiles et parfois inexplicables qui nous
ont été exposés. Toutefois, chose bizarre, nous n'avons pas reçu la moindre
pression de la part de créanciers, de ceux qui reçoivent la prestation
compensatoire. Ils ne se sont pas manifestés, nous ne les avons pas entendus ;
pourtant, nous connaissons tous des cas tout aussi douloureux que ceux qui nous
ont été présentés. Quoi qu'il en soit, si la prestation compensatoire était une
bonne idée, il ne faut pas oublier que l'enfer est pavé de bonnes
intentions.
Cette démarche utile visait, on l'a dit tout à l'heure, à assurer des moyens
au conjoint le plus défavorisé, pour que celui-ci redémarre dans une vie
nouvelle. Elle a toutefois connu très vite une double dérive : une dérive
judiciaire, parce que le capital est devenu l'exception et la rente la règle -
phénomène aggravé, on nous l'a dit, par le comportement des divorcés qui, pour
éviter la liquidation d'un capital, ont parfois préféré, sans faire le calcul,
payer une rente sans savoir à quoi ils s'engageaient - mais aussi dérive
sociologique, car les couples ont évolué. Nous ne sommes plus dans la situation
d'il y a vingt-cinq ans, la femme est devenue de plus en plus indépendante
financièrement au sein du foyer, alors que la rente, prenant le pas sur le
capital, a continué de s'apparenter, malgré les intentions initiales du
législateur, à l'ancienne pension alimentaire.
A partir de là, des effets pervers se sont développés. Tout d'abord, il est
devenu quasiment impossible de réviser la prestation compensatoire malgré les
changements de situation intervenus tant chez le créancier que chez le
débiteur, entraînant par là même un autre effet pervers dénoncé à maintes
reprises : même s'il avait l'intention de se remarier, celui qui paie la
prestation compensatoire en est désormais dissuadé. Quant à ses enfants, il
renoncent eux aussi à se marier, de crainte d'avoir à leur tour à verser une
prestation compensatoire à leur conjoint s'ils venaient à divorcer.
Il faut donc féliciter le Sénat d'avoir repris les deux propositions de loi de
nos collègues MM. About et Pagès, et il faut tout autant se féliciter que
l'Assemblée nationale ait jugé bon d'inscrire à son ordre du jour le texte
adopté par le Sénat et qui revient aujourd'hui devant nous.
La proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale et qui a été
amendée par la commission des lois grâce aux propositions de notre excellent
rapporteur M. Hyest permet d'éviter de nombreux écueils et contient des
solutions qui semblent équilibrées.
Ces solutions sont équitables pour l'avenir, puisque le capital devient la
règle et la rente l'exception. Quant à l'amendement qui permet au juge de
maintenir la rente, il précise bien que des conditions spécifiques doivent être
remplies pour cela.
Par ailleurs, le capital bénéficiera d'une possibilité d'échelonnement,
puisqu'il pourra être versé en huit ans ; cela permettra au débiteur de prendre
ses dispositions.
Enfin, il sera possible de bénéficier d'avantages fiscaux, ce qui répond à
l'objection soulevée tout à l'heure par notre collègue M. Durand-Chastel,
puisqu'un amendement du Gouvernement va dans ce sens.
Certes, la rente pourra être maintenue, mais seulement dans des circonstances
exceptionnelles. Elle pourra également être soumise à révision, soit à la mort
de l'époux débiteur, avec prise en compte de la pension de réversion - ce qui
n'était pas le cas - soit en cas de changement important de situation chez
l'une ou l'autre des parties.
Il sera possible à tout moment de transformer la rente en capital, tant pour
le débiteur que pour ses héritiers. Enfin, on pourra prévoir dans la rente un
terme extinctif.
Toutes ces solutions n'étaient pas prévues jusqu'à présent.
Par ailleurs, les situations actuelles pourront être améliorées : il sera
possible de réviser la rente à la baisse, de lui substituer un capital, de
déduire les pensions de réversion et de bénéficier, là encore, d'avantages
fiscaux.
Cette réforme indispensable ne résout cependant pas tous les problèmes et il
est vraisemblable que la révision de la loi sur le divorce qui nous sera
prochainement soumise nous obligera à aller plus loin.
Enfin, madame la ministre, un certain nombre d'anomalies subsistent.
J'en citerai trois.
Est-il normal que les enfants d'un couple doivent continuer à verser une
prestation compensatoire à leur parent survivant alors qu'au regard de la loi
ils sont tenus à l'obligation alimentaire ?
M. Nicolas About.
Absolument !
M. Patrice Gélard.
Est-il normal qu'en l'absence d'héritier ou en cas de refus de la succession
l'Etat n'assume pas le versement de la rente ou ne liquide pas l'actif en
faveur du créancier sous la forme d'un capital ?
M. Nicolas About.
Tout à fait !
M. Auguste Cazalet.
Très bien !
M. Pierre-René Signé.
Il a raison !
M. Patrice Gélard.
Est-il normal, même si cette situation est appelée à devenir plus rare à
l'avenir - et nous ne pourrons que nous en féliciter - qu'une mère qui a
consacré la plupart de sa vie au foyer, à l'éducation de ses enfants, et,
disons-le, au service de son conjoint, se retrouve, parvenue à un âge avancé,
abandonnée par son époux et dans l'incapacité d'exercer la moindre activité
professionnelle compte tenu de son inaptitude et de son âge ?
Ne serait-il pas normal que le conjoint, quel qu'il soit, qui vit au foyer et
se consacre à l'éducation des enfants et à la tenue de son ménage bénéficie
d'une pension de retraite qui lui permette de s'adapter à une vie nouvelle ?
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui permettra donc de mettre
fin à des abus. Certes, il en subsistera, malgré l'équilibre qu'a recherché M.
le rapporteur, un certain nombre, car il faut toujours avoir à l'esprit non
seulement la situation du créancier mais aussi celle du débiteur - et, quelle
que soit la solution choisie, la satisfaction ne sera jamais totale de part et
d'autre.
La présente proposition de loi n'en est pas moins absolument nécessaire, et
c'est la raison pour laquelle je me rallierai au texte voté par la commission
des lois, même s'il ne constitue qu'une étape : lorsque nous examinerons la
réforme de la famille et du divorce, nous serons sans nul doute contraints de
remettre en chantier le travail que nous effectuons aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, après
mon ami Patrice Gélard, je tiens à apporter ma contribution à ce débat relatif
à la réforme de la prestation compensatoire en cas de divorce.
Je constate que l'Assemblée nationale a fait un pas intéressant afin de lisser
les conséquences dommageables des dispositions actuellement en vigueur, mais il
me semble qu'elle n'est pas allée assez loin.
C'est plus particulièrement sur le volet de la transmissibilité de la
prestation aux héritiers que je veux m'exprimer.
Le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui, certes reconverti sous forme
de rente, ne supprime pas cette transmissibilité, et certains d'entre nous
pensent qu'il s'agit là d'une erreur.
Le caractère viager de la rente n'est pas remis en cause au profit d'un
tempérament temporaire, et le débat mérite, à mes yeux, d'être ouvert.
En effet, sur ce sujet, je suis convaincu qu'il ne faut pas pécher par excès
de juridisme. Nos principes généraux du droit prévoient, certes, que la dette
ne s'éteint pas avec le décès du débiteur, mais, en matière de divorce, la
question est tout autre, et c'est la principale faiblesse du texte qui nous est
présenté.
Les situations qui nous sont exposées par nos concitoyens sont parfois
ubuesques. Chacun d'entre nous a reçu de véritables appels à l'aide qui doivent
nécessairement nous interpeller.
Si l'on écarte le phénomène marginal de détournement de la loi, de l'émergence
d'une sorte de « chasseurs » ou de « chasseuses », si vous me permettez
l'expression, de prestations compensatoires, les cas d'espèce de seconds époux
ou d'enfants du second lit rendus débiteurs de la prestation due par le
de
cujus
jusqu'au décès du bénéficiaire sont chaque fois dramatiques.
Ces cas d'espèce ne sont, malheureusement, pas isolés. Ils sont suffisamment
éloquents pour qu'ils soient signalés et pour que le législateur les prenne en
compte.
Je veux évoquer l'exemple qui m'a été relaté d'un retraité de soixante-douze
ans divorcé d'un premier mariage et remarié. La première épouse, outre le fait
qu'elle bénéficiera, au décès, d'une part subséquente de la pension de
réversion - 60 % - s'est vu accorder par le juge une prestation compensatoire
de 4 000 francs, qu'elle perçoit en sus de ses revenus salariaux, qui sont de
l'ordre de 7 000 francs. J'ajoute que la première épouse vit en concubinage et
qu'elle bénéficie donc des revenus de son ami.
Si l'on adopte le dispositif de l'Assemblée nationale sans modification, l'on
maintiendra le déséquilibre actuel, et la veuve sera dans une position bien
plus précaire que la première épouse. Il y a là une injustice que je
qualifierai de flagrante.
A l'appui de ma démonstration, je rappellerai les propos du doyen Jean
Carbonnier : « La prestation compensatoire n'est pas une obligation alimentaire
prolongeant le devoir de secours : celui-ci a pris fin, et il n'est pas
question d'obliger l'un des ex-époux à entretenir l'autre indéfiniment à
travers les vicissitudes de l'existence. »
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
On est bien d'accord !
M. Bernard Fournier.
Le principe d'égalité subit ici une grave entorse qu'il convient de
corriger.
Il y a pléthore de telles situations. Si la loi n'a pas à régler les cas
particuliers, elle ne peut pas les méconnaître. Favoriser le versement de la
prestation sous forme de capital est une amélioration, mais seulement une
amélioration. Je crois en effet que cette disposition est incomplète, car elle
ignore les difficultés des populations les plus modestes, qui ne vont pas avoir
les liquidités pour solder leur dette. La limitation dans le temps de la rente,
jusqu'à concurrence d'un montant fixé par le juge, peut être, me semble-t-il,
une solution acceptable.
Il nous appartient, mes chers collègues, de faire preuve de réalisme. Il faut
légiférer pour l'avenir, tout en prenant en considération les situations
présentes. Nous ne ferons pas l'économie d'ouvertures à l'égard non seulement
des procédures pendantes mais encore des jugements devenus définitifs : la
prise en compte des sommes déjà versées par les débirentiers et l'appréciation
par le juge de la situation objective des deux parties doivent être intégrées
dans nos préoccupations.
Il ne s'agit pas, bien sûr, de mettre en difficulté des personnes - des
femmes, le plus souvent - dont les revenus sont insuffisants ; il s'agit, en
revanche, d'appréhender dans sa globalité le problème qui nous est posé.
La loi de 1975 a vieilli, et mal vieilli. La réalité de la condition féminine
a fort, heureusement, évolué. La durée de vie s'est, pour sa part, allongée.
Dans le même temps, la précarité sociale, notamment au regard de l'emploi,
s'est accrue.
Tous ces éléments sont à prendre en compte dans la réforme législative. Notre
souci est de bien légiférer, de ne pas dresser un camp contre l'autre. Il n'est
en effet pas question ici de prendre le parti des hommes divorcés contre celui
de leur première femme. De telles intentions n'auraient pas leur place ici, et
elles seraient réductrices. Seule l'équité commande nos réflexions. Nous ne
pouvons pas rédiger un texte qui serait de nouveau déséquilibré.
Nous devons aussi encadrer le pouvoir d'appréciation du juge. Rappelons que ce
n'est que par interprétation, par oeuvre créatrice jurisprudentielle, que les
prétoires ont transformé le capital prévu par la loi en rente. Quelles que
soient les motivations avancées, l'esprit de la loi de 1975 n'a pas été
respecté, et il est demandé au législateur de corriger ce que j'appellerai ces
dérives.
Nous avons le devoir d'indiquer dans quel sens le droit doit aller. Ce n'est
pas faire un mauvais procès aux magistrats que de constater parfois leur
tentation naturelle au raisonnement juridique pur.
Sur la réforme de la prestation compensatoire, c'est-à-dire sur le problème de
société du « démariage », le politique a, me semble-t-il, encore son mot à
dire. Lorsque nous parlons d'exceptionnelle gravité souverainement appréciée
par le juge, n'hésitons pas à la qualifier. Disons-le : n'abdiquons pas toute
notre latitude devant le juge. Réfléchissons sereinement pour mettre en place
une solution juridiquement cohérente et équitable.
Bien sûr, nous n'éviterons pas les cas particuliers. Nous devons cependant
tenter de viser le plus grand nombre possible.
La prestation compensatoire doit être indemnitaire et non pas alimentaire,
comme cela a été dit par plusieurs orateurs.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
On est d'accord !
M. Bernard Fournier.
Ainsi, lorsque la prestation est versée sous forme de rente et qu'il y a
demande de transformation en capital, il me semble indispensable que le juge
soit tenu de prendre en compte les sommes déjà versées.
Prenons un exemple. Lors du divorce, la prestation est estimée à 1 million de
francs et, sur une période de dix ans, le débiteur a déjà versé 500 000 francs.
Rien n'impose actuellement au juge de tenir compte de cette somme. Il peut
donc, souverainement, évaluer le capital libératoire à 800 000 francs. Cela me
semble inéquitable, voire totalement injuste.
Aussi, avec plusieurs collègues, nous demandons que soit inscrit dans la loi
que, lors de cette transformation en capital, le juge est obligé de prendre en
compte les sommes effectivement versées.
Telles sont les raisons pour lesquelles certains de mes collègues et moi-même
proposerons d'aller plus loin que le texte qui nous est soumis sur le volet de
la transmissibilité, mais aussi sur ceux de la fiscalité, de la révision ou des
dispositions transitoires.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il
aura fallu attendre deux années, presque jour pour jour, pour que l'Assemblée
nationale soit saisie, en première lecture, de la proposition de loi relative à
la prestation compensatoire en matière de divorce, après son adoption à
l'unanimité par le Sénat en 1998.
Je me félicite de la décision de la Chancellerie, qui permet, enfin, au
Parlement de poursuivre le débat concernant cette réforme, indispensable, au
lieu de le renvoyer à la réforme plus globale, concernant le droit de la
famille, qui ne devrait pas voir le jour avant 2001.
Notre seul souci, aujourd'hui, doit être de mettre un terme aux situations
douloureuses vécues par nombre de nos concitoyens, pour qui chaque mois qui
passe est une épreuve supplémentaire.
C'est donc au tour de notre Haute Assemblée d'examiner une seconde fois ce
texte, dont mon ami Robert Pagès, pour le groupe communiste républicain et
citoyen, et notre collègue Nicolas About furent, je tiens à le préciser, les
initiateurs, ici-même, en 1998.
Cela me fait dire qu'à droite comme à gauche, à l'Assemblée nationale comme au
Sénat, un certain consensus semble se dessiner pour rechercher des solutions
durables à un dossier dont les conséquences sociales, humaines et économiques
sont telles qu'on ne peut rester indifférent.
Il est si rare que les points de vue des élus, sur quelque travée que ce soit,
convergent, singulièrement quand il s'agit du droit de la famille, qu'il
convenait de le noter.
Aujourd'hui, chacun semble convaincu de la nécessité et de l'urgence qu'il y a
à moderniser les dispositions du code civil relatives à la prestation
compensatoire.
Institué par la loi de 1975 sur le divorce, ce dispositif avait pour but de
remplacer la pension alimentaire pour mettre un terme aux conflits
interminables entre les ex-époux qui en découlaient.
Si le principe qui a présidé à l'instauration de cette prestation était juste
et généreux, à savoir garantir, à une époque où le nombre des divorces
explosait, un revenu à l'épouse divorcée, souvent femme au foyer, en
compensant, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage
crée dans les conditions de vie respectives, force est de constater, après
vingt-cinq années d'application de cette loi, que les effets pervers de
celle-ci se sont rapidement fait ressentir, notamment en raison de la
persistance du chômage.
Il en est découlé des situations ubuesques dont nous avons tous eu
connaissance, à en croire les nombreux courriers que nous recevons dans nos
permanences parlementaires ainsi que les nombreux articles de presse, l'exemple
type étant celui du débirentier qui se retrouve au chômage ou à la retraite,
alors que l'ex-époux créancier voit sa situation s'améliorer, le plus souvent
par remariage.
Plus incroyables encore sont les cas où des secondes épouses ou des enfants
issus d'un second mariage se voient dans l'obligation d'entretenir la première
épouse de leur mari ou de leur père décédé.
Il en est d'autres qui, dans l'impossibilité de payer, se retrouvent en prison
pour abandon de famille !
Les difficultés sont d'autant plus criantes aujourd'hui que les hommes
condamnés voilà une vingtaine d'années, c'est-à-dire au début de l'application
de la loi de 1975, à payer une prestation compensatoire arrivent à l'âge de la
retraite et connaissent donc une diminution de leurs revenus qui ne leur permet
plus de s'acquitter de cette dette.
D'autres, condamnés sur la base de revenus qui, à l'époque, pouvaient être
confortables, se sont trouvés dans l'impossibilité de payer du fait de la crise
économique et du chômage.
Ces situations, pour la plupart invraisemblables, qui désespèrent certains de
nos concitoyens « condamnés » après un divorce à payer à vie une rente à leur
ex-épouse ou ex-époux - rente transmissible à leurs enfants - s'expliquent par
la rigidité du système en question, associée à l'interprétation restrictive
qu'en ont fait les magistrats et la jurisprudence.
C'est ainsi que cette prestation, qui, au départ, devait prendre la forme d'un
versement en capital pour régler définitivement la question financière lors
d'une séparation et rompre ainsi les liens entre les ex-époux, a été
transformée, dans 80 % des cas, par les tribubaux en rente, souvent à vie.
De plus, en raison de l'interprétation, pour le moins restrictive, qui a été
faite de l'article 273 du code civil, selon lequel la prestation « ne peut être
révisée en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des
parties, sauf si l'absence de révision devait avoir pour l'un des conjoints des
conséquences d'une exceptionnelle gravité », la rente est devenue non
révisable.
C'est ainsi que ni le chômage, ni la mise à la retraite, ni la liquidation
judiciaire n'ont été considérés comme des changements imprévus. Il n'y a guère
qu'en cas de maladie grave que les juges se montrent plus tolérants.
C'est donc au regard des incongruités de la législation de 1975 et de
l'évolution de notre société que mon groupe avait déposé, en 1998, une
proposition de loi n° 400 visant à rendre révisable la prestation
compensatoire.
Lors des débats de 1998 au Sénat, Robert Pagès avait proposé deux amendements
essentiels, l'un concernant la suppression automatique de la prestation
compensatoire en cas de remariage ou de concubinage notoire du créancier,
l'autre conférant à la prestation sous forme de rente un caractère
intransmissible.
J'aurai l'occasion d'y revenir plus en détail lors de la discussion des
articles et des amendements que j'ai déposés en ce sens.
Il est plus que temps de réformer en profondeur ce régime, lorsque l'on
constate que 120 000 couples ont divorcé en 1996, que 14 % des divorces sont
assortis d'une prestation compensatoire, versée dans 97 % des cas à l'épouse,
que, dans 67 % des cas, la prestation prend la forme d'une rente mensuelle fixe
et non d'un capital, qu'elle peut aller de 300 francs à 50 000 francs, voire
plus, qu'un tiers des rentes sont à vie, que deux tiers sont limitées dans le
temps, en majorité sur une durée inférieure à dix ans.
A l'évidence, un simple dépoussiérage ne suffit pas. Or, à regarder de près
les modifications apportées par l'Assemblée nationale, il apparaît que si la
loi devient plus juste à l'égard des futurs divorcés, elle demeure toutefois
toujours aussi injuste pour les divorcés d'hier et d'aujourd'hui. Le risque est
grand en effet d'aboutir, si le Sénat ne modifie pas le texte voté par les
députés, à la création de deux catégories de divorcés, ceux d'aujourd'hui et
ceux de demain, puisqu'ils seront, désormais, soumis à des obligations
différentes.
Ainsi, les débiteurs actuels resteront soumis à la rente à vie, alors que
celle-ci aura disparu pour les futurs divorcés, sauf « dérogation
exceptionnelle et motivée ». Ils ne pourront pas obtenir la substitution d'un
capital à la rente viagère en raison de l'âge ou de l'état de santé de leur
ex-conjointe et donc transmettront cette dette à leurs héritiers. Dans le cas,
rare, où les débirentiers pourront se libérer de la rente en versant un
capital, ils devront encore payer une somme importante puisque « les sommes
déjà versées ne sont pas prises en compte » pour évaluer le capital restant
dû.
Loin de nous l'idée de supprimer purement et simplement la prestation
compensatoire. Il est tout à fait logique que les femmes qui sacrifient leur
carrière professionnelle, soit pour éduquer leurs enfants, soit pour aider à
titre gratuit leur mari dans l'exercice de leur profession perçoivent, en cas
de divorce, une compensation pour effacer la disparité que la rupture du
mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux.
Mais je suis optimiste et je veux espérer que, dans un avenir proche, les
femmes auront véritablement accès à l'égalité professionnelle et que ce
dispositif tombera naturellement en désuétude.
Je souhaite préciser que, si les femmes sont à 97 % les bénéficiaires d'une
telle prestation, elles sont aussi de plus en plus nombreuses, en tant
qu'épouses d'hommes divorcés, à être victimes des aberrations de ce dispositif
puisqu'en cas de décès de leur mari, elles héritent de la dette et doivent à
leur tour verser la prestation à la première épouse !
Je vais, à présent, m'arrêter plus longuement sur les deux principaux écueils
de la loi de 1975 : le principe du versement en capital n'a pas été respecté ;
la révision de la prestation compensatoire s'est révélée, en pratique,
impossible.
Contrairement au principe fondateur, 84 % des prestations compensatoires sont
donc allouées sous forme de rente, contre 1,3 % sous forme de capital.
Il s'est révélé en pratique que, lorsque les juges décident du versement du
capital seul, celui-ci s'élève, en moyenne, à 377 000 francs, quand les rentes
versées fin 1998 atteignent une moyenne de 682 000 francs, soit près du double
du capital qui aurait dû être versé si ce principe avait été la règle, comme ce
devait être le cas initialement.
Il est, dans ces conditions, indispensable de rappeler le principe du
versement en capital, la rente demeurant l'exception.
Bien évidemment, en cas d'impossibilité pour le débirentier de constituer la
prestation en capital, il convient de prévoir des exceptions. Celles-ci
doivent, toutefois, être encadrées très strictement pour ne pas connaître à
nouveau les dérives du passé.
Pour inciter de leur côté les personnes qui doivent s'acquitter d'une
prestation compensatoire envers leur ex-conjoint à choisir le versement en
capital plutôt qu'une rente, il faut aller au bout de la logique et prévoir des
dispositions fiscales adaptées et attrayantes.
En effet, si la prestation compensatoire versée sous forme de rente est
déductible des impôts, celle qui est versée en capital relève du droit commun
et est donc beaucoup moins avantageuse fiscalement. J'aurai l'occasion de
revenir sur ce sujet dans la discussion des articles, puisque de nombreux
amendements relatifs à la fiscalité ont été déposés.
J'évoquerai également la possibilité de fixer le montant du capital selon un
barème national prévu par décret, afin d'éviter les distorsions quant à la
détermination de ce montant selon les juridictions.
Obliger légalement les juges à privilégier le versement de la prestation
compensatoire sous forme de capital plutôt qu'une rente viagère aura pour
avantage à la fois de rompre définitivement - et dans un délai raisonnable -
les liens entre les ex-époux et de régler par là même le problème de la
transmissibilité de cette dette, en cas de décès du débirentier, à une seconde
épouse ou à des enfants issus d'une seconde union et totalement étrangers au
premier mariage du débirentier.
La transmissibilité de cette dette aux héritiers est un autre aspect de la loi
de 1975 qu'il faut revoir tant cette mesure est choquante dans les faits et
contraire à l'idée de secours temporaire, indemnitaire et forfaitaire.
D'ailleurs, d'aucuns n'hésitent pas à évoquer l'idée que cette disposition
s'apparente à une assistance injustifiée, voire à un enrichissement sans
cause.
M. François Autain.
C'est vrai !
M. Robert Bret.
Le mariage ne doit pas être en effet considéré comme une « assurance vie »,
pour reprendre une expression consacrée, ou un « jackpot » qui donnerait droit,
au bout de un ou de deux ans, à une véritable « rente de situation ».
M. François Autain.
Très bien !
M. Robert Bret.
Les chiffres montrent en effet qu'au moment du divorce 31,5 % des créanciers
actuels avaient un emploi, que 23,4 % de ceux qui ne travaillaient pas en ont
trouvé ou retrouvé rapidement un et que 10 % de ces créanciers avaient des
revenus divers tels qu'une retraite, une rente ou des revenus immobiliers.
On peut, par ailleurs, s'interroger sur l'opportunité de conserver le délit «
d'abandon de famille » pour le débiteur qui se trouve dans l'incapacité
d'assurer le versement de la prestation.
Si le groupe de travail présidé par Mme Dekeuwer-Defossez s'interroge sur le
fait de conserver ou non une telle incrimination pour non-paiement de
prestation compensatoire, en revanche il n'apporte aucune réponse
rationnelle.
Je ferai tout à l'heure une proposition tendant à rendre caduque la prestation
compensatoire en cas de décès du débirentier.
J'en arrive à présent au caractère non révisable de la prestation
compensatoire.
Etant donné la rédaction actuelle de l'article 273 du code civil et surtout
l'interprétation qui en a été faite, la révision de ce texte s'est révélée en
pratique impossible.
Les juges et la jurisprudence n'ont en effet pas considéré la perte d'un
emploi, la précarité, la mise à la retraite, le remariage de l'époux créancier,
comme un changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties.
De même, ils n'ont pas non plus considéré que de telles situations avaient,
pour l'une des parties, des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
C'est dans ces conditions que nous avons abouti aux situations extrêmes et
inextricables que nous connaissons aujourd'hui.
Nous devons donc saisir l'occasion qui nous est présentement offerte pour
réformer plus avant la loi de 1975, en ouvrant les possibilités de révision en
la matière.
Le risque est réel dans ce cas précis de voir les tribunaux, déjà très
encombrés, assaillis de demandes de révision.
Toutefois, ce risque ne doit pas nous soustraire à notre devoir de
législateur, celui de prendre en compte les réalités sociales, économiques,
humaines de notre société pour engager les changements qui s'imposent et qui
sont attendus, en l'occurrence, par quelque 400 000 familles.
Nous proposons, quant à nous, de supprimer le versement de la prestation
compensatoire, capital ou rente, en cas de remariage, de concubinage notoire,
de conclusion d'un PACS ou en cas de décès du débiteur. Ces mesures auraient le
double avantage d'éviter de surcharger les tribunaux déjà engorgés et
d'entraîner des frais supplémentaires pour les parties.
Vous me répondrez que le décès ou le remariage entreront désormais en compte
pour une demande en révision. Certes, encore faut-il être sûr de
l'interprétation que feront les magistrats de la nouvelle notion de «
changement important » dans les ressources ou les besoins des parties, au sens
de l'article 2
ter
A.
Se contenter d'une telle disposition n'empêchera pas, par ailleurs, le passage
devant une juridiction ni le risque de surcharger les tribunaux.
Vous pourriez également me dire que les personnes créancières, pour ne pas
perdre le bénéfice de la prestation compensatoire en cas de remariage, par
exemple, comme nous le préconisons, éviteront de se remarier. Soit, mais c'est
pourtant ce même système qui existe pour les veuves de guerre bénéficiaires
d'une pension de réversion.
Enfin, le texte prévoit que la révision s'appliquera aux prestations
compensatoires attribuées avant l'entrée en vigueur de cette réforme. C'est
juste.
Toutefois, l'Assemblée nationale a introduit un article 7 qui exclut d'office
des demandes en révision de la rente les personnes dont les précédentes
demandes ont été déboutées par la justice.
Je ne suis pas du tout favorable à une telle mesure et je proposerai un
amendement pour supprimer cet article qui me paraît fort injuste.
En effet, la réforme à laquelle nous procédons vise à résoudre des situations
profondément injustes qu'a créées la loi de 1975 sans exception. Il n'a jamais
été question d'en entériner certaines pour ne régler que les demandes de
révision en cours ou à venir.
Une telle disposition revient à réduire à néant tous les efforts entrepris
depuis deux ans pour moderniser le dispositif relatif aux prestations
compensatoires. Cette réforme ne serait alors qu'un « coup d'épée dans l'eau
».
A ce propos, madame la garde des sceaux, pourrions-nous avoir une idée du
nombre de jugements ayant débouté les débirentiers d'une demande en révision
pour licenciement ou retraite ?
Le débat d'aujourd'hui est, nous en avons tous conscience, sous les feux des
projecteurs ; les centaines de milliers de personnes, dont le destin est
intimement lié aux choix que nous allons faire en la matière, nous regardent.
Nous avons le devoir de ne pas les décevoir. Ne restons donc pas au milieu du
gué.
Méfions-nous, enfin, de ne pas élaborer une loi nouvelle qui laisserait encore
trop de liberté d'interprétation aux juges et riquerait ainsi d'engendrer les
mêmes dérives que l'on a connues avec la loi de 1975.
Il faut une loi claire, précise, ambitieuse, et équitable à l'égard de tous
les divorcés.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, sur les travées socialistes ainsi que sur certaines
travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la
proposition de loi relative à la prestation compensatoire examinée en première
lecture il y a deux ans nous revient aujourd'hui, modifiée par l'Assemblée
nationale. Ce texte constitue en quelque sorte la première étape de la réforme
du droit de la famille. Il convient de la franchir rapidement si l'on considère
les situations absurdes dans lesquelles beaucoup de nos concitoyens se trouvent
plongés, du fait d'une législation injuste et inadaptée à notre société.
Madame la garde des sceaux l'a rappelé, les prestations compensatoires ne
concernent que 13,5 % des divorces, et environ un quart d'entre elles sont
versées sous forme de rente viagère.
Le problème posé par les rentes viagères est donc quantativement minoritaire.
Mais il n'en reste pas moins que les 3 300 rentes viagères qui sont attribuées
en moyenne chaque année finissent par donner un panel assez explicite des
situations douloureuses qui résultent de l'application de cette législation.
Nous en avons tous été les témoins, nous pourrions citer les passages de
lettres qui nous sont adressées ; nous pourrions témoigner pour ces personnes
reçues dans nos permanences, surendettées, qui voient leurs allocations chômage
ponctionnées, qui sont angoissées pour l'avenir de leurs enfants.
Nous pouvons multiplier à l'infini les exemples de situations proprement
ubuesques dans lesquelles le débiteur, ruiné, se voit soumis à l'obligation de
verser une rente à son ex-épouse, parfois remariée et connaissant un bien
meilleur train de vie.
Mais il est important aussi de considérer les bénéficiaires,...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Eh oui !
Mme Dinah Derycke.
... si l'on peut dire, de cette loi de 1975 qui se voulait généreuse.
Ce sont ces femmes qui ont accepté, parce que les traditions le commandaient,
parce que la société y était favorable, de cesser le travail pour « se
consacrer », comme on disait alors, à l'éducation des enfants, à leur foyer et
ne plus dépendre que des ressources de leur conjoint.
Ce sont aussi ces femmes d'artisans, de commerçants, de membres des
professions libérales qui ont non seulement quelquefois renoncé à leur propre
carrière, mais qui ont accepté souvent de travailler avec leur conjoint sans
bénéficier d'aucun statut. Ni les unes ni les autres ne peuvent compter sur une
retraite convenable, beaucoup ont vu leurs chances de retourner sur le marché
de l'emploi, balayées par la crise. Elles constituent aujourd'hui, à
soixante-dix ou soixante-quinze ans, une bonne part des bénéficiaires de rentes
viagères, ces dernières étant souvent leur unique moyen de subsistance.
Il importe donc de ne pas oublier ces femmes, car je crois que c'est important
; ces femmes affolées ont peut-être moins la possibilité de se faire entendre
du haut de cette tribune. J'en ai rencontré, comme vous, sans doute, tout au
long de ma vie, mais également dans mes permanences. Ces personnes sont
complètement perdues, par ce qui risque aujourd'hui de leur arriver ; elles se
demandent comment elles feront faire demain.
Nous devons aussi penser à ces femmes, aujourd'hui, et élaborer un texte
équilibré qui tienne compte à la fois des intérêts justes et légitimes des uns,
mais aussi des autres qui ont, comme on le disait autrefois - c'était
malheureusement vrai ! - sacrifié leur vie pour élever leurs enfants.
La loi de 1975, on le sait, partait d'une bonne intention : en finir avec le
système de la pension alimentaire, qui aboutissait à maintenir des liens
juridiques, leur vie durant, entre les ex-conjoints et donnait lieu à
d'interminables conflits en révision. Le législateur a donc donné à la
prestation compensatoire un fondement indemnitaire et prévu que son paiement
intervienne en priorité sous la forme d'un capital. En toute cohérence, il a
limité fortement les possibilités de révision, celle-ci ne pouvant intervenir
que dans les cas d'exceptionnelle gravité.
C'est parce que les tribunaux, contrairement à l'intention du législateur, ont
attribué majoritairement des rentes, et que, dans un même temps, la
jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation, a interprété de manière
très rigoureuse la limitation des possibilités de révision de ces rentes, que
le système est devenu injuste et pervers. La pratique, qui aurait dû pallier
les inconvénients de la pension alimentaire, les a conservés, voire
renforcés.
Il nous est proposé aujourd'hui de dénouer cette situation, d'une part, en
réaffirmant le principe du versement d'un capital et, d'autre part, en
assouplissant les possibilités de révision de la rente. C'est ce à quoi s'est
attaché le Sénat en première lecture.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale a souhaité approfondir cette démarche
en différenciant plus nettement le régime de la rente et celui du capital. La
rente temporaire disparaît au profit d'un versement en capital qu'il est
possible d'étaler sur huit ans, et la rente viagère devient l'exception au
principe du versement d'un capital.
L'application de la loi de 1975 nous l'a enseigné : la loi doit être
accompagnée de mesures incitatives. Réaffirmer le principe du versement en
capital ne modifierait que peu la situation actuelle si des dispositions ne
rendaient ce choix à la fois plus abordable pour les petits revenus et plus
attractif fiscalement pour - faut-il le dire ? - les revenus plus
importants.
M. François Autain.
Eh oui !
Mme Dinah Derycke.
Madame la garde des sceaux, vous vous étiez engagée à présenter en seconde
lecture un nouveau dispositif fiscal. L'amendement gouvernemental tend ainsi à
instituer une réduction d'impôts reportable correspondant à 25 % du capital
versé en une seule fois et limitée à 200 000 francs - somme dont on nous dit
qu'elle correspond à la moyenne du montant du capital généralement fixé - ou
une déduction du revenu imposable de la part annuelle du capital versé en
plusieurs annuités en cas de paiement par étalement.
Tout le monde en conviendra, cette disposition devrait être à même de faire
du versement en capital la solution la plus avantageuse fiscalement.
Plusieurs dispositions votées à l'Assemblée nationale inciteront également à
opter pour le versement de la prestation compensatoire sous forme de capital.
Je pense notamment à la possibilité pour le débiteur de verser la somme en huit
ans, les modalités de paiement étant révisables. Cette disposition découle du
constat selon lequel les rentes temporaires cumulées atteignent en moyenne, au
bout de huit ans et quatre mois, le montant du capital qui aurait été autrement
décidé. On a donc tenu compte d'une réalité, et c'est tout à fait satisfaisant.
Cette mesure, à l'évidence, met à la portée de toutes les bourses la solution
du capital, qui était autrefois inaccessible aux petits revenus.
M. Nicolas About.
Tout à fait !
Mme Dinah Derycke.
Il faut rappeler qu'il n'y a pas de prestation compensatoire s'il y a égalité
de revenus entre les conjoints. Par conséquent, nous ne visons là que des
situations où il y a une disparité entre le train de vie avant le divorce et
après.
Le rapport de la commission présidée par Mme Dekeuwer-Desfossez a fortement
insisté sur la nécessaire liaison de la fixation de la prestation compensatoire
à la liquidation du régime matrimonial. Il conviendra, lors de la réforme du
droit de la famille, de prévoir une disposition qui le permette, comme c'est
aujourd'hui le cas pour les divorces sur requête conjointe.
Cette disposition devrait nous éviter beaucoup de problèmes. Cela
constituerait en effet, M. le rapporteur l'a souligné, le meilleur moyen pour
le créancier de disposer d'un capital.
Dans l'attente de cette réforme, le texte adopté par l'Assemblée nationale
permet toutefois au créancier de saisir le juge, après la liquidation du régime
matrimonial, d'une demande de paiement immédiat du solde du capital dû ou de
capitalisation de la rente. Là aussi, il s'agit d'un dispositif avantageux qui
n'existait pas précédemment.
La possibilité de transformer à tout moment une rente viagère en capital, sur
demande du créancier ou du débiteur, me semble fondamentale, en particulier
pour les rentes viagères en cours.
Si la révision de la rente est fortement assouplie, et dans ses conditions et
dans son étendue, elle ne concernera pas pour autant tous les débirentiers,
dont beaucoup contestent surtout la forme de la prestation compensatoire. La
capitalisation de la rente viagère leur permettra de tourner définitivement la
page et de couper les derniers liens qui, souvent, empoisonnent leur quotidien.
Cette capitalisation permettra aussi, dans le cas du décès du débiteur, à ses
héritiers qui en feront la demande, de donner, en quelque sorte, solde de tout
compte.
Il a en effet été décidé en première lecture, aussi bien au Sénat, je le
rappelle, qu'à l'Assemblée nationale, que la prestation compensatoire, comme
toute dette indemnitaire, devait demeurer transmissible. Il en allait de même,
il convient de le dire également, pour les pensions alimentaires, avant la loi
de 1975, qui, par dérogation au principe d'intransmissibilité des dettes
alimentaires, continuaient d'être versées après la mort du débiteur. Il y avait
donc déjà un régime dérogatoire avant 1975.
M. Nicolas About.
C'était déjà une erreur !
Mme Dinah Derycke.
A l'avenir, les rentes viagères seront attribuées de manière exceptionnelle,
en raison de l'âge ou de l'état de santé des personnes bénéficiaires et de leur
incapacité à subvenir à leurs besoins.
Vous voyez que des verrous extrêmement sérieux ont été mis de façon qu'il n'y
ait pas de dérapages dans la pratique. Cela me semble constituer un argument en
faveur de la transmissibilité, puisqu'il s'agira précisément de personnes pour
qui la rente est un moyen de subsistance.
Toutefois, il faut noter que les magistrats auront toujours la possibilité
d'assortir la dette d'une condition suspensive, comme cela est le cas
actuellement pour les rentes versées dans le cadre des divorces sur requête
conjointe.
S'agissant des rentes en cours, qui sont aujourd'hui au coeur des injustices
et des mécontentements, je pense sincèrement qu'une dérogation à la
transmissibilité ne serait pas juste au regard du droit et de la situation des
premières épouses, qui se trouveraient automatiquement, sans examen par le
juge, privées de leur rente.
M. Patrice Gélard.
Tout à fait !
Mme Dinah Derycke.
Si un changement est intervenu dans la situation de ces dernières ou si les
héritiers ne sont manifestement pas en mesure de supporter le poids de cette
dette, des modalités de révision, plus souples et plus étendues, puisqu'elles
peuvent aller jusqu'à la suppression de la rente, permettront aux héritiers de
régler des situations pour l'heure intenables. La capitalisation, avec
possibilité de versement par abandon de biens en nature ou de paiement en huit
ans, va également dans ce sens.
Le texte de l'Assemblée nationale tend par ailleurs à ce que soit déduite de
la pension de reversion la prestation compensatoire sous forme de rente. Cette
déduction, qui sera automatique pour les prestations futures, sera décidée par
le juge pour les prestations actuellement versées. Cette distinction,
introduite par un amendement du Gouvernement, permet d'éviter des changements
de situation qui interviendraient demain de façon bien trop brutale.
Nous devons encore une fois garder à l'esprit la position difficile de
certaines ex-épouses, tout en permettant aux débiteurs de saisir la justice
pour mettre fin aux situations qui seraient iniques. Les dispositions proposées
me semblent donc satisfaisantes. Tous les membres du groupe socialiste ne
partagent pas mon point de vue - vous aurez sans doute l'occasion de le
constater, mes chers collègues, lors des votes !
Nous travaillons là sur une matière humaine, il n'est donc pas étonnant que
des divergences d'appréciation se fassent jour sur un problème qui, sans être
d'ordre philosophique, tient à la vie de chacun, à son histoire, à son vécu, à
l'histoire de ses proches ou des personnes qu'il a pu rencontrer.
Les dispositions proposées me semblent donc satisfaisantes. On ne peut
toutefois s'empêcher de redouter que de nouveaux blocages, semblables à ceux
qui ont découlé de la loi de 1975, ne se produisent. Peut-être serait-il donc
souhaitable, madame la garde des sceaux, que des instructions générales -
éventuellement par voie de circulaires - soient données afin d'inviter les
juges à accueillir favorablement les demandes de révision et de capitalisation.
Il s'agira en effet pour eux d'un changement culturel qu'il leur sera peut-être
difficile de prendre en compte immédiatement.
Cette nouvelle loi, qui améliorera considérablement les conditions
d'attribution et de versement des prestations compensatoires, coïncidera, je
l'espère, avec une baisse du nombre de celles-ci. Dans cette optique, je plaide
sans cesse en faveur de cette idée qu'il faut continuer d'oeuvrer dans le sens
d'une réduction des inégalités entre les hommes et les femmes dans le domaine
professionnel. Aujourd'hui, les 25 % d'écart salarial moyen sont finalement
répercutés à l'intérieur des foyers, le temps partiel est davantage imposé que
choisi, les difficultés restent importantes pour organiser la garde des enfants
garde qui est le plus souvent assurée par les femmes, et non par les pères des
enfants.
Ces éléments, et beaucoup d'autres, concourent encore à maintenir le fossé
entre les hommes et les femmes. La prestation compensatoire n'est qu'une façon
de le réduire en cas de séparation. Il nous appartient aujourd'hui de le
combler définitivement.
Le texte que nous examinons me paraît équilibré, raisonnable : il préserve
autant que faire se peut les intérêts des uns et des autres. Il n'y a pas, il
n'y aura jamais de solution idéale pour répondre à ce genre de situation, je le
pense sincèrement. J'estime en revanche que, s'il est très rapidement adopté,
ce texte permettra de remédier à des cas aujourd'hui dramatiques.
Personnellement, je souhaite donc que l'on puisse régler rapidement, sans
attendre plus longuement, les situations dont nous avons les uns et les autres
connaissance.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. About
applaudit également.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Au terme de la discussion générale, en deuxième
lecture, de cette proposition de loi, je note simplement que toutes les
interventions convergent pour souhaiter une réforme de la prestation
compensatoire.
Chacun a pu se faire l'écho de nombreuses situations injustes résultant de
l'application de la loi de 1975. Il est donc urgent de mettre fin à de telles
situations. Cela a été mon souci depuis longtemps.
Dès le 27 octobre 1997, j'avais indiqué, dans une communication que j'ai
présentée en conseil des ministres, que je souhaitais réformer le droit de la
famille, en particulier la prestation compensatoire. Mais je souhaitais aussi
avoir une vision globale des situations des couples et des familles avant de
présenter une réforme. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à Mme
Dekeuwer-Defossez de nous dresser un panorama.
Celle-ci a d'ailleurs fait des suggestions qui ont été très utiles pour
améliorer la proposition de loi initiale déposée par MM. About et Pagès. Il est
à cet égard remarquable de noter qu'il s'agissait d'une proposition du Sénat,
émanant d'un sénateur communiste et d'un sénateur Républicain et
Indépendant.
Comme souvent en matière juridique, les réponses à apporter à des situations
concrètes diverses consistent à rechercher l'équilibre M. Hyest l'a dit dans
son intervention. Il ne faut pas réparer des injustices anciennes ou actuelles
en les remplaçant par des injustices nouvelles ; c'est là toute la difficulté.
Nous ne devons pas remplacer un système rigide par un autre système rigide.
A cet égard, nous devons nous souvenir que la loi de 1975 était pétrie des
meilleures intentions, puisqu'elle avait pour objectif de mettre fin
définitivement aux relations entre ex-époux, souci partagé par tout le monde à
l'époque. Mais la législation n'avait pas prévu - la législation ne peut jamais
tout prévoir ! - la crise économique durable et les transformations très
rapides qu'allaient subir les familles.
Prenons garde, dans ce que nous allons faire, à ne pas créer un autre système
qui ne pourrait pas s'adapter, ou en tout cas pas suffisamment, à l'évolution
de la société. Ne créons pas non plus de règles particulières en matière de
succession ou dans le domaine du paiement des dettes. En effet, il n'y a pas de
raison, j'en suis persuadée, parce que le débiteur et le créancier ont été
mariés, de trouver des réponses différentes de celles du droit commun. C'est
une limite que je pose à notre débat ; d'ailleurs, vous l'avez approuvée - en
tout cas votre rapporteur.
La proposition de loi telle qu'elle résulte de l'Assemblée nationale et de
votre commission des lois me paraît justement éviter ces écueils que je viens
de signaler.
Ainsi, favoriser le versement d'un capital est la réponse qui doit permettre
de régler rapidement et définitivement les rapports entre les anciens époux.
Les amendements présentés par le Gouvernement pour le régime fiscal de ce
versement favoriseront le versement en capital.
Quant au versement sous forme de rente viagère, les dispositions qui en
limitent les modalités et celles qui en permettent la révision en cas de
changement important dans la situation des parties doivent permettre d'éviter
les situations les plus injustes que nous déplorons aujourd'hui.
Le fait que le juge se prononce en prenant en compte des situations concrètes
et en motivant spécialement ses décisions assurera, me semble-t-il, une
souplesse suffisante pour une adaptation à des situations très variées. Il est
vrai que tel n'est pas le cas actuellement, et ce ne serait pas le cas si
certains des amendements écartés par votre commission des lois et instituant
des automaticités étaient adoptés.
Enfin, je me félicite vraiment du fait que tous les orateurs de cet après-midi
aient été d'aussi chauds partisans de l'égalité professionnelle entre les
hommes et les femmes. Je ne doute naturellement pas un instant que vous mettrez
tous en pratique sur le terrain les excellentes dispositions que vous venez de
manifester cet après-midi !
(Applaudissements sur les travées socialistes,
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
TITRE Ier
DE LA PRESTATION COMPENSATOIRE
Article 1er A