Séance du 5 avril 2000







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Joly, pour explication de vote.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons tous été destinataires de nombreux témoignages sur les effets pervers d'une mesure qui, lorsque le législateur l'avait instaurée, était inspirée par l'équité. Ce capital devait permettre que les conditions de vie des époux divorcés se ressentent le moins possible de leur séparation.
En 1975 - il y a donc vingt-cinq ans -, c'était en général l'épouse qui, en l'absence de formation ou d'activité professionnelle, était placée dans une situation qui appelait cette compensation. Par ailleurs, le plus souvent elle était défenderesse.
Aujourd'hui, il me semble que ce sont les femmes qui le plus souvent sont à l'origine des demandes de divorce. De plus, la population féminine active est constamment en augmentation. En revanche, ce qui n'a guère évolué, ce sont les effectifs de femmes occupant des postes à responsabilité, notamment à la tête de grandes entreprises.
Cela revient à dire que l'échelle des salaires est encore en leur défaveur et que, pour l'instant, ce sont les hommes qui sont le plus souvent placés dans la situation de débiteur.
Les statistiques indiquent que la plupart des hommes divorcés contractent de nouveau un mariage. Dans le dispositif de 1975, les secondes épouses, voire leurs enfants d'un premier lit, en acceptant la succession du débiteur décédé, devenaient à leur tour serveurs de rente, et ce, dans certains cas, avec des revenus inférieurs à ceux du bénéficiaire de la prestation.
Certes, juridiquement, cette obligation appartient aux dettes de la succession ; toutefois, moralement, comment accepter que des tiers étrangers à la situation génératrice de la créance soient mobilisés pour éteindre celle-ci ? Le sentiment d'injustice me semble parfaitement fondé.
Pour le cas où le débiteur est toujours en vie, il est tout à fait essentiel de pouvoir reconsidérer l'évolution de la situation des deux parties, de fixer la limite de l'obligation de versement dans le temps afin que le capital initial ne soit pas dépassé, enfin, que soit constaté le niveau des revenus du bénéficiaire pour éviter que cette rente ne soit une source d'enrichissement.
Dans ces conditions, certains collègues de mon groupe et moi-même ne pourrons émettre un vote favorable sur ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous venons d'examiner une réforme qui constitue sans aucun doute un progrès majeur pour des centaines de milliers de personnes qui connaissent des situations humainement intolérables.
La révision possible et plus facile de la prestation compensatoire versée sous forme de rente est incontestablement un volet important de la modernisation du droit de la famille, plus particulièrement du droit du divorce.
Je suis heureux de constater que, plus de deux ans après l'examen du texte par le Sénat, le Gouvernement a pris conscience de l'urgence de la réforme de la prestation compensatoire.
Je crois que nous sommes arrivés, grâce à l'excellent travail de notre rapporteur, Jean-Jacques Hyest, à un dispositif équilibré, qui, tout en respectant les principes de la loi de 1975, ouvre des perspectives intéressantes, notamment pour les rentes attribuées avant l'entrée en vigueur de ce nouveau texte.
Je tiens également à préciser que cette proposition de loi ne rendra pas le divorce moins douloureux qu'avant : s'il est conflictuel, il le restera, mais le grand mérite de cette proposition de loi, qui privilégie le capital sur la rente, est de permettre aux époux d'en négocier le montant et, donc, de se rapprocher. Même en cas de divorce, des liens doivent subsister entre les membres d'une même famille. J'espère que cette proposition de loi contribuera à les préserver.
Le groupe de l'Union centriste votera donc la réforme de la prestation compensatoire proposée par la commission des lois. Nous sommes sûrs qu'elle permettra de remédier aux nombreuses sources d'injustices révélées au cours des ans dans l'application de la réforme de 1975.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je voudrais noter que ce débat a quelque peu dérapé à un moment donné. Nous sommes partis dans un procès dont on ne sait plus quel était l'accusé : la prestation compensatoire, le débiteur ou le créancier.
Or tel n'était pas l'enjeu. Il s'agissait, en effet, de mettre fin à des abus et à des situations intolérables. Nous l'avons fait. Tout le monde peut être satisfait, ce soir, du résultat auquel nous sommes parvenus. En effet, dorénavant, c'est le capital qui doit l'emporter. La rente sera exceptionnelle et, dans des cas très particuliers et gravissimes, ou en cas d'héritage, de mariage, de remariage, de concubinage ou de PACS, il sera possible de demander la révision de la prestation compensatoire alors que, chacun le sait, la jurisprudence jusqu'à maintenant l'interdisait.
Que de progrès accomplis en cette journée !
Je crains que, tout à l'heure, certains n'aient pas bien compris ce qu'il convenait de faire. Il n'était pas possible de donner totalement raison à un parti contre un autre. Il n'est pas possible, en vérité, de condamner la prestation compensatoire parce qu'elle fait partie, pour le moment, de notre dispositif de divorce.
Il me semble que le résultat auquel nous sommes parvenus est satisfaisant et qu'il est rationnel. Il permettra de mettre fin à toute une série de drames et aussi de situations qui ne pouvaient être regardées comme légitimement défendables.
Nous avons fait du bon travail. La navette avec l'Assemblée nationale permettra d'améliorer encore le texte. C'est la raison pour laquelle la grande majorité des membres de mon groupe émettra dans quelques instants un vote positif.
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Le texte que nous venons de discuter reste, sur de nombreux points, au milieu du gué, comme en a exprimé la crainte mon collègue Robert Bret, au cours de son intervention générale. Il laisse une trop grande marge à l'interprétation du juge.
Je note avec satisfaction que le capital prend le pas sur la rente. Mais force m'est de relever des insuffisances quant à la non-transmissibilité de la rente.
Sous le bénéfice de ces remarques, les membres de mon groupe s'abstiendront.
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Un certain malaise s'est manifesté au sein de mon groupe à un moment de la discussion et, à l'issue de celle-ci, nous éprouvons peut-être un sentiment d'inachevé.
Ce texte, qui résulte, je le rappelle, d'une initiative de notre collègue M. About, avait suscité beaucoup d'espoirs. Nous n'y avons pas forcément répondu...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si !
M. Jean Delaneau. Pas à tous, monsieur le rapporteur !
Nous n'avons pas répondu à certaines attentes très fortes parce que nous n'avons pas voulu prendre le risque, en modifiant rétroactivement les effets de la loi de 1975, de remplacer certaines détresses par d'autres détresses. Il y avait un risque d'injustice dans les mesures que nous aurions pu prendre.
Sauf à attendre hypocritement que les effets de la loi de 1975 s'éteignent, il conviendrait peut-être de réfléchir à la mise en place, pour régler ces situations humainement intolérables qu'évoquait notre collègue Machet, d'une sorte de caisse de compensation, alimentée par des moyens à définir, qui permettrait, sous le contrôle du juge, de régler des prestations que le débiteur ne serait plus en mesure de verser, afin qu'elles ne soient pas nécessairement reportées sur ses enfants.
Car on peut facilement imaginer une situation dans laquelle un débiteur est réduit à l'indigence et, par le fait même, son créancier l'est également. Dans un tel cas, que faut-il faire ? Faire appel au RMI ? A l'aide sociale ? Il faudra sans doute aller plus loin, et assez rapidement.
Cela étant, il y a dans ce texte des éléments positifs. Je pense notamment à la possibilité d'une révision plus facile. J'étais parlementaire lorsque la loi précédente a été votée, et il est bien évident que nous n'avions pas, alors, songé aux effets pervers que nous constatons maintenant.
C'est au regard de ces éléments positifs que la grande majorité des membres du groupe des Républicains et Indépendants votera le texte issu des travaux du Sénat, quelques-uns d'entre nous votant contre et quelques autres s'abstenant.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Dans sa grande majorité, le groupe socialiste votera ce texte.
Comme je l'avais indiqué lors de la discusssion générale, il n'y a pas, sur des questions de cet ordre, de solutions idéales. Il reste que nous sommes parvenus, grâce à un quasi consensus, à des solutions équilibrées, qui respectent les intérêts des uns et des autres. C'était là l'essentiel.
On l'a bien vu, le sujet a passionné, et c'est bien compréhensible, car il fait appel à des réminiscences de situations, parfois dramatiques, vécues ou rencontrées autour de soi. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'on s'interroge, qu'on puisse avoir des avis très différents.
Quoi qu'il en soit, le texte tel qu'il ressort de nos travaux va considérablement améliorer la situation de personnes qui sont en grande difficulté, du fait, disons-le, d'une certaine application qui avait été faite par les juges de la loi de 1975. Certes, tous les cas ne seront pas réglés, mais je crois qu'aucune législation ne serait susceptible de les régler, car sont aussi en jeu des problèmes d'ordre psychologique ou affectif.
Je voudrais remercier le Gouvernement dans son ensemble de l'effort réel qui, une fois n'est pas coutume, a été consenti sur le plan fiscal. Il est en effet indispensable de concrétiser le choix du capital par rapport à la rente par un dispositif fiscal attractif.
Je crois que nous avons fait oeuvre utile et j'ai bon espoir de voir ce texte, après que l'Assemblée nationale aura procédé à certains ajustements, entrer rapidement en application.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je crois que ce débat n'aurait pas dû quitter le terrain sur lequel la commission a entendu le situer. Celle-ci, notamment grâce au travail du rapporteur, a mené une réflexion juridique sur un problème difficile. Cette réflexion l'a conduite à retenir des solutions qui lui ont paru satisfaisantes. C'est pourquoi j'ai été étonné d'un certain nombre de réactions au cours du débat.
Nous avons tous, plus ou moins, fait l'objet de démarches très pressantes, auxquelles on ne peut pas rester insensible. Mais peut-être beaucoup de ceux qui ne se sont pas manifestés à nous entendaient-ils aussi que le système que nous proposons puisse voir le jour dans des conditions convenables. Introduire la passion dans un débat de ce genre ne sert jamais la cause de ceux que, par cette passion quelque peu exacerbée, on entend défendre.
Il y avait un problème de droit qui se posait et une situation qu'il fallait absolument améliorer.
Que l'amélioration ne soit pas absolue ni complète, qu'elle ne soit pas susceptible de résoudre tous les problèmes, c'est possible ! Mais, après que nous avons adopté à l'unanimité un dispositif en première lecture, après que l'Assemblée nationale l'a également adopté à l'unanimité, voilà que tout à coup les passions ressurgissent ! Nous les avons enregistrées, nous les avons prises pour ce qu'elles valaient.
S'agissant du problème de droit, je pense que nous l'avons résolu.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 53:

Nombre de votants 318
Nombre de suffrages exprimés 274
Majorité absolue des suffrages 138
Pour l'adoption 272
Contre 2

Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante-cinq, est reprise à minuit.)