Séance du 6 avril 2000
EFFETS SUR LES FINANCES PUBLIQUES
DE LA POLITIQUE DE LA FONCTION PUBLIQUE
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante
:
« M. Alain Lambert attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie sur la politique du Gouvernement à l'égard de la
fonction publique et de la réforme de l'Etat. Sur le plan budgétaire, les
dépenses liées à la fonction publique, qui s'élèvent à 675 milliards de francs,
soit environ 40 % du budget de l'Etat, ne sont pas maîtrisées. Le poste de
dépenses le plus dynamique, et aussi le plus inquiétant pour l'équilibre à
venir des finances publiques, concerne le poids des pensions qui s'établit à
plus de 160 milliards de francs. Or la moitié des fonctionnaires actuellement
en poste partira à la retraite d'ici à 2012.
« Par ailleurs, le récent rapport de la Cour des comptes sur la fonction
publique de l'Etat a mis en exergue les limites de l'Etat employeur :
méconnaissance des effectifs réels, absence de gestion prévisionnelle des
emplois, existence de crédits extrabudgétaires, infractions au droit budgétaire
et comptable, indemnités privées de base juridique, etc.
« S'agissant de la réforme de l'Etat, on peut craindre que le Gouvernement
n'ait choisi l'attentisme, les priorités qu'il affiche étant nombreuses mais
pas toujours très claires et d'une portée pratique limitée.
« Dès lors, il souhaite connaître l'effet à moyen terme - cinq ans et dix ans
- sur les finances publiques de certaines évolutions relatives à la fonction
publique : départs en retraite massifs, situation des emplois-jeunes, passage
généralisé aux trente-cinq heures.
« Par ailleurs, il demande au Gouvernement de présenter les mesures qui seront
mises en oeuvre pour remédier aux dysfonctionnements constatés en matière de
gestion des personnels.
« Enfin, il souhaite connaître les décisions qui seront prises afin de donner
un contenu concret à la réforme de l'Etat. »
La parole est à M. Lambert, auteur de la question.
M. Alain Lambert.
Ma question vise à savoir si le Gouvernement a une politique en matière de
fonction publique et de réforme de l'Etat. S'il en a une, il serait opportun et
urgent, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous la faire connaître, en prenant
devant le Sénat les engagements qui en découlent.
Si l'on s'interroge sur les chances d'avenir de la France, une question
lancinante revient : celle de la fonction publique, et donc de la réforme de
l'Etat qui lui est intimement liée.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. L'effectif des trois fonctions publiques -
fonction publique de l'Etat, fonction publique territoriale et fonction
publique hospitalière - représente plus de 5 millions de personnes. Le montant
des rémunérations, pensions et charges sociales atteint plus de 1 000 milliards
de francs pour les trois fonctions publiques confondues. Enfin, quelque 60
millions de Français attendent de leurs administrations qualité, efficacité,
accessibilité et priorité, en un mot le meilleur rapport coût-efficacité
possible.
Or, face à cet immense enjeu, la réponse du Gouvernement apparaît vague,
floue, dilatoire ; elle alimente d'ailleurs des malentendus, des blocages, des
critiques, laissant aux citoyens usagers comme aux fonctionnaires eux-mêmes une
impression de cafouillage et de gaspillage, si ce n'est de dérobade.
Alors que cette question était inscrite à l'ordre du jour du Sénat depuis
plusieurs semaines, M. le ministre de l'économie et des finances s'est vu
fixer, par ses services, une autre obligation. Il s'en est excusé tout à
l'heure, et je tiens à lui rendre hommage pour la considération qu'il témoigne
à l'égard du Parlement, ce dont je ne doutais d'ailleurs pas.
Nous sommes bien évidemment toujours heureux de vous accueillir dans cette
enceinte, monsieur le secrétaire d'Etat. Mais je constate que le point dont
nous discutons aujourd'hui ne constitue pas une priorité pour le
Gouvernement.
Votre ancien collègue M. Zuccarelli, dans le rapport intitulé
La Fonction
publique et la réforme de l'Etat,
résumait d'ailleurs ainsi la politique du
Gouvernement en la matière : « La politique conduite par le Gouvernement s'est
traduite par la mesure la plus marquante, et la plus symbolique à la fois, la
conclusion de l'accord salarial du 10 février 1998... ». Le ministre de la
fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation y
insistait avec raison : la seule mesure concrète prise par le Gouvernement en
matière de politique de la fonction publique est en effet la signature du
coûteux accord salarial du 10 février 1998.
Pour le reste, monsieur le ministre - reconnaissons-le - le tableau est sombre
: la gestion des effectifs est indigente, l'Etat employeur ignorant jusqu'au
nombre de ses agents ; la satisfaction de revendications corporatistes tient
lieu de réforme de l'Etat, et la capitulation récente du Gouvernement face à
son administration fiscale en est une éclatante illustration ; les négociations
sur un accord-cadre relatif à la réduction du temps de travail ont échoué ; les
conflits sociaux se multiplient, qu'il s'agisse des enseignants, des personnels
hospitaliers ou des agents des entreprises publiques qui, au fond, sont déçus
de l'application de cette idée magique des 35 heures.
Mon constat ne vise pas les fonctionnaires ; je les plains, au contraire, de
subir un employeur si défaillant. En effet, je mesure la haute idée qui les
habite, le plus souvent, du service qu'ils veulent rendre aux Français. Leur
courage lors des récentes catastrophes, qu'il s'agisse de la tempête ou de la
marée noire, l'a une fois de plus démontré.
Mes propos s'appuient sur deux événements récents : la publication, en janvier
dernier, du rapport de la Cour des comptes consacré à la fonction publique de
l'Etat, et l'actualité sociale, qui oriente à nouveau le Gouvernement dans une
logique dépensière, tenant lieu prétendument de politique réformatrice.
Le rapport de la Cour des comptes est accablant, monsieur le secrétaire d'Etat
: « Les documents budgétaires et comptables ne permettent pas de prendre une
vue exacte et précise des effectifs employés dans les services de l'Etat ni du
montant et de la structure des rémunérations qui leur sont allouées. »
La somme des dysfonctionnements ou irrégularités relevés est impressionnante :
contrôle défaillant des effectifs, gestion prévisionnelle des ressources
humaines quasi inexistante, emplois en surnombre ou bloqués, mises à
disposition, détachements injustifiés ou irréguliers, dépenses indemnitaires
financées sur des ressources extrabudgétaires, avantages indus sans base
juridique, flou sur les effectifs... Dois-je citer d'autres exemples ?
Je veux d'ailleurs rendre hommage au rapporteur spécial des crédits de la
fonction publique, M. Gérard Braun - vous le connaissez bien, monsieur le
secrétaire d'Etat, puisqu'il est élu d'un département qui vous est cher -, dont
le rapport élaboré à l'occasion du projet de loi de finances pour l'an 2000
devançait de quelques semaines le constat de la Cour des comptes. Je vous prie
d'ailleurs de bien vouloir excuser son absence en cet instant : il effectue,
précisément aujourd'hui, un contrôle budgétaire sur la situation, la gestion et
les rémunérations des personnels du ministère de l'emploi.
Monsieur le secrétaire d'Etat, que comptez-vous faire pour porter enfin remède
à cette situation ?
Toutes ces remarques, au-delà de leurs conséquences dommageables pour les
personnels, traduisent une absence de rigueur préjudiciable à la nécessaire
maîtrise des dépenses publiques.
Le Gouvernement a décidé, en apothéose des mouvements de grève et
manifestations diverses, d'affecter 10 milliards de francs à des dépenses
nouvelles, dont 2 milliards de francs pour l'hôpital et 1 milliard de francs
pour l'éducation nationale.
Ce dernier cas est l'aveu le plus révélateur de la politique du Gouvernement :
ce dernier s'en remet à la facilité de l'accroissement de la dépense plutôt
qu'à l'engagement de vraies réformes d'amélioration du service public. Qui ne
voit pas s'accentuer le malaise de l'éducation nationale à mesure de
l'accroissement de ses moyens ? Disons-le, monsieur le secrétaire d'Etat,
l'éducation nationale manque moins de moyens que de « bonne administration »,
et la hausse perpétuelle de ses crédits n'y changera rien !
Le secrétaire d'Etat au budget et la ministre déléguée à l'enseignement
scolaire avaient d'ailleurs reconnu, devant la commission d'enquête du Sénat,
que l'éducation nationale pouvait être réformée à moyens constants.
En réalité, le Gouvernement ne maîtrise plus les dépenses de la fonction
publique et, au fond, il renonce à les maîtriser.
J'oserai quelques chiffres : pour 2000, les dépenses de la fonction publique
sont en progression de 3,4 % par rapport à l'année dernière.
Ces dépenses représentant désormais plus de 40 % du budget de l'Etat, comment
le Gouvernement entend-il respecter le programme de stabilité qui fixe une
augmentation des charges de l'Etat de 1 % en trois ans ?
Le Gouvernement se satisfait-il du poids de l'emploi public dans notre pays ?
Je suis impatient de connaître votre sentiment sur ce point, monsieur le
secrétaire d'Etat. Une étude de l'OCDE place la France en quatrième position,
immédiatement après les pays scandinaves, en taux d'emploi public au sein de
l'emploi total. Conduire une politique à total contre-courant de tous nos
partenaires - et en même temps concurrents - européens répond-il à un objectif
? Le Gouvernement souhaite-t-il la fonctionnarisation totale de la société
française ?
Le Gouvernement a répété à maintes reprises qu'il entendait stabiliser le
nombre total de fonctionnaires, en procédant à des redéploiements d'effectifs
au bénéfice de départements ministériels sous-dotés. La capitulation dans la
réforme de l'administration fiscale vient-elle bouleverser ce programme ?
Devons-nous, en réalité, craindre une augmentation globale du nombre de
fonctionnaires ?
Au cours de l'année 2000, le coût annuel de la fonction publique de l'Etat
s'établira à 23,3 milliards de francs. Au fond, mes chers collègues, on
engloutit en une seule année la valeur de la totalité du budget de la justice
dont nous dénonçons chaque jour l'insuffisance des moyens !
M. André Dulait.
Exactement !
M. Alain Lambert.
Et le coût atteint plus de 41 milliards de francs après prise en compte de la
fonction publique territoriale, pour 10 milliards de francs, et de la fonction
publique hospitalière, pour 8 milliards de francs.
Sur trois années - 1998, 1999 et 2000 - le coût global de l'accord salarial
que M. Zuccarelli présentait comme la grande politique du Gouvernement sera de
77 milliards de francs. Au-delà de tous les discours, la seule et vraie
priorité du Gouvernement apparaît comme la rémunération des fonctionnaires.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous confirmer ce choix ?
Envisagez-vous encore de nouveaux moyens, comme le réclament d'ailleurs
certains fonc-tionnaires ?
Outre la fonction publique active, l'évaluation du coût des pensions ne manque
pas non plus d'être inquiétante. Le mur s'approche de nous à grande vitesse
!
L'évolution des charges de pension - fonctionnaires et militaires - trace une
tendance extrêmement rapide ; de 1990 à 1997, nous sommes passés, en francs
constants, de 136 milliards de francs à 164,5 milliards de francs, soit une
progression de plus de 20 %. Or, les évolutions démographiques sont très
préoccupantes. D'ici à 2010, plus de 40 % des fonctionnaires partiront à la
retraite, la moitié en 2012. Les dépenses de pension devraient s'établir à plus
de 210 milliards de francs en 2005, à plus de 260 milliards de francs en 2010,
et à plus de 320 milliards de francs en 2015. Ainsi, de 2001 à 2015, les
dépenses de pension devraient croître de 73 %. Et que faites-vous ? Rien !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
C'est un peu excessif !
M. Alain Lambert.
Le rapport Charpin prévient « qu'il faut se garder de recourir à la facilité
d'un recrutement à l'identique qui ne tiendrait pas compte de l'évolution
souhaitable des missions ». Il met en garde contre un remplacement nombre pour
nombre de chaque départ à la retraite ; en termes distingués, il met au fond en
cause le maintien des effectifs dans la fonction publique d'Etat, insistant sur
le caractère insoutenable, à terme, du poids des pensions.
Monsieur le secrétaire d'Eat, entendez-vous saisir l'occasion unique offerte
par cette perspective pour réformer l'Etat, pour réformer les retraites
publiques et pour limiter le poids des dépenses publiques ? Selon la direction
du budget, le non-remplacement total des départs à la retraite en 2000
engendrerait une économie de l'ordre de 9 milliards de francs cette année. De
2000 à 2005, à supposer que les salaires n'augmentent pas, cette économie
pourrait s'établir à 64 milliards de francs sur la même période. Le
remplacement d'un départ sur deux produirait une économie de 32 milliards de
francs de 2000 à 2005.
En outre, envisagez-vous d'engager la réforme des régimes spéciaux de
retraite, qui, je le rappelle, n'ont pas été concernés par la réforme de 1993
?
Or, devons-nous comprendre que le Premier ministre, le 21 mars dernier, nous a
annoncé en quelque sorte une non-réforme ? L'allongement de la durée de
cotisation à quarante ans, à l'évidence inévitable, est renvoyé à plus tard,
présenté comme une vague piste de réforme. La concertation et la négociation
avec les organisations syndicales garantissent apparemment à elles seules
l'avenir des retraites ! Cette proposition de réforme connaîtra-t-elle le même
sort que celle de l'administration fiscale ?
J'en viens, monsieur le secrétaire d'Etat, à deux autres motifs de
préoccupation.
Le premier concerne l'avenir des emplois-jeunes embauchés par l'Etat.
S'agit-il de futurs fonctionnaires ? L'ancien ministre de la fonction publique
a déclaré que « certains intégreront la fonction publique à l'issue de leur
contrat de cinq ans ». Combien d'entre eux seront concernés ? Selon quelles
modalités intégreront-ils la fonction publique ? Quelle estimation - votre
ministère sait en effet faire des estimations - avez-vous faite de l'impact de
leur intégration sur le budget de l'Etat ?
Ma seconde préoccupation concerne le coût du passage aux 35 heures dans la
fonction publique. Aujourd'hui, le Gouvernement est en quelque sorte acculé à
révéler ses propres contradictions : présentées comme un moyen de créer
beaucoup d'emplois dans le secteur privé, les 35 heures devraient être
appliquées dans la fonction publique à effectif constant ! Les revendications
des syndicats en matière de créations d'emploi sont d'ailleurs à l'origine de
l'échec des négociations sur la convention-cadre. Pourquoi entretenir ces
contradictions, monsieur le secrétaire d'Etat ? Pourquoi en rester à ces
atermoiements ?
Il ne sert à rien de commander des rapports si c'est pour les classer au fur
et à mesure. Or le rapport de M. Jacques Roché de février 1999 vous signale que
la durée du travail dans la fonction publique est très contrastée : entre 29
heures et 40 heures par semaine pour la seule fonction publique de l'Etat. Il
vous recommande de considérer la réduction du temps de travail comme « une
formidable occasion d'une remise à plat de l'organisation actuelle du temps de
travail dans les fonctions publiques ».
M. Alain Gournac.
Il faut du courage !
M. Alain Lambert.
Mais le Gouvernement a renoncé à mettre en oeuvre la réforme qualitative
recommandée par M. Roché, à qui vous aviez pourtant demandé un rapport. Nous
attendons aujourd'hui votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat : à quel
coût le ministère de l'économie et des finances évalue-t-il le passage des
trois fonctions publiques aux 35 heures ?
M. Alain Gournac.
Bonne question !
M. Alain Lambert.
Je terminerai par la question essentielle de la réforme de l'Etat, placée en
toile de fond dans l'ensemble de mon propos. La réforme de l'administration
fiscale était un test. Pourquoi le Gouvernement l'a-t-il abandonnée alors qu'il
pouvait se saisir des recommandations du rapporteur spécial de la commission
des finances, M. Bernard Angels ? Il suffisait de lire le rapport qu'il avait
fait approuver par la commission des finances !
Quand le Gouvernement s'apercevra-t-il enfin qu'il existe un Parlement, au
sein duquel le Sénat ne cesse de lui faire des propositions constructives ?
Quel sort, enfin, sera réservé aux orientations retenues par le comité
interministériel pour la réforme de l'Etat du 13 juillet 1999 ?
J'attends de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, à la fois des réponses
précises à toutes mes questions et vous l'imaginez bien un démenti : dites-nous
que vous ne renverrez pas les indispensables réformes à plus tard, que vous ne
renverrez pas aux générations futures le poids insupportable de l'inaction des
autorités politiques d'aujourd'hui, dont vous porteriez - je vous le dis avec
gravité - l'impardonnable responsabilité historique !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on
ne peut que se féliciter de l'initiative du président de la commission des
finances d'interroger le Gouvernement sur la nature des mesures qu'il compte
mettre en oeuvre pour remédier aux graves dysfonctionnements constatés dans la
fonction publique.
Cette question est d'autant plus d'actualité que le remplacement de deux des
principaux ministres du précédent gouvernement, MM. Sautter et Allègre,
résulte, à l'évidence, du refus manifeste des organisations syndicales
d'accepter le fait même d'ouvrir un dialogue sur la réforme de la fonction
publique.
Pour fixer les termes du débat, il convient de rappeler un certain nombre
d'éléments chiffrés.
La France compte 6 millions de fonctionnaires ou assimilés, dont 2,1 millions
ont des emplois budgétaires. Plus de 25 % de la population active est rémunérée
par le produit des impôts. La France compte 40 % de fonctionnaires de plus que
la moyenne de l'OCDE et que les Etats-Unis, et quatre fois plus que le Japon.
Et ces derniers chiffres incluent les enseignants !
Chaque fois que la population d'âge actif a augmenté de cent unités, les pays
du G7 ont créé soixante-huit emplois privés, onze emplois publics, dix-huit
chômeurs et trois inactifs ; en Allemagne, les résultats sont de trente-deux
emplois privés, dix emplois publics, trente-quatre chômeurs et vingt-quatre
inactifs ; pour la France, ce sont dix-huit emplois privés détruits, vingt-sept
emplois publics créés, quarante-cinq chômeurs et dix inactifs.
Pour 2000, les dépenses de fonction publique du budget général s'élèvent à 675
milliards de francs, soit 40,05 % du budget de l'Etat. La progression est de
22,5 milliards de francs en un an !
Trois sujets semblent devoir être étudiés : la gestion des effectifs, la
réduction du temps de travail dans la fonction publique et le dossier des
retraites.
En premier lieu, s'agissant de la gestion des effectifs, le récent conflit au
ministère de l'économie et des finances a rappelé à quel point l'Etat employeur
est aujourd'hui dépassé pour n'avoir pas voulu se réformer à temps. Chacun
garde en mémoire ce terrible aveu du ministre des finances reconnaissant son
incapacité à donner les effectifs exacts des administrations placées sous son
autorité !
L'Etat ignore également la position statutaire dans laquelle se trouvent les
fonctionnaires. A la suite d'un rapport de l'inspection générale de
l'administration et de la fonction publique, en 1996, le ministère de la
fonction publique précisait : « On ne peut pas recenser nommément les
organismes d'accueil dans lesquels sont placés les agents. »
L'Etat ne se comporte pas à l'égard de certains de ses agents comme il le
conviendrait. Il s'exonère ainsi très largement de règles qui s'imposent
pourtant aux employeurs privés.
Comment tel ingénieur technico-administratif peut-il être maintenu en contrat
à durée déterminée depuis vingt-cinq ans alors que, dans le secteur privé,
cette durée ne peut excéder dix-huit mois ?
Le caractère précaire de nombreux emplois est de plus en plus fréquent. La
principale motivation de l'Etat est ici financière : rappelons qu'un
fonctionnaire bénéficiant des dispositions statutaires légales et des avantages
s'y rattachant aura un coût annuel moyen pour l'Etat employeur de 250 000
francs ; or cette somme est divisée par deux lorsqu'il s'agit d'un
vacataire.
Il convient de dénoncer, à l'occasion de ce débat, le fait que l'Etat organise
lui-même des dérogations aux textes dont il est pourtant l'auteur. Ainsi,
l'obligation d'employer un fonctionnaire titulaire pour les postes à plein
temps et à durée indéterminée a connu tant d'exceptions et de catégories
dérogatoires que l'Etat employeur est perdu. Les agents temporaires vacataires,
les contractuels annualisés, les auxiliaires permanents ou les contractuels
payés sur fonds de vacation sont autant d'illustrations de cet épais brouillard
créé par l'Etat lui-même.
Le rapport du Commissariat général du Plan sur les adaptations nécessaires à
apporter aux trois fonctions publiques, de l'Etat, territoriale et
hospitalière, remis à la fin du mois dernier, fait d'intéressantes
recommandations que le Gouvernement serait bien inspiré de suivre.
Face à l'important renouvellement démographique que connaîtront les fonctions
publiques dans les prochaines années, il faut impérativement éviter le
remplacement poste pour poste des agents retraités l'année de leur départ, qui
se traduirait par un surcoût annuel de 115 milliards de francs.
La solution préconisée relève d'une véritable gestion des ressources humaines
: il convient d'utiliser les marges de manoeuvre créées par des départs à la
retraite plus importants pour ajuster les recrutements aux besoins des
administrations.
Afin d'assurer un meilleur pilotage de l'évolution des fonctions publiques, il
est proposé que soit mis en place un système de contrôle de gestion auprès du
Premier ministre. Par ailleurs, il pourrait être effectué des revues de
programmes régulières. Enfin, chaque administration serait dotée d'un schéma
cible à dix ans sur l'évolution des objectifs, des missions et des structures
au niveau central et local.
Il va très rapidement se poser au Gouvernement le délicat problème du devenir
des emplois-jeunes, ainsi que l'a dit tout à l'heure M. Lambert.
La nomination d'un secrétaire d'Etat à l'économie solidaire qui sera chargé de
cet encombrant fardeau ne nous rassure pas : ces jeunes, qui seront 350 000 à
la fin de l'année 2000, n'ont pour le moment aucun avenir au-delà des cinq
années de leur engagement. Or, cinq ans, c'est à la fois long et court.
Le Sénat avait manifesté son opposition à la création de ces emplois
prétendument novateurs. Mais ne s'agit-il pas plutôt, pour reprendre la phrase
de mon collègue Gérard Braun, rapporteur spécial des crédits de la fonction
publique, de donner de nouvelles appellations à d'anciens métiers ?
De quelles solutions disposera le Gouvernement à la fin de la législature,
sinon d'intégrer ces emplois-jeunes dans la fonction publique ? Et à quel coût
pour la collectivité, alors que les crédits alloués sont inscrits au projet de
budget pour 2000 pour environ 24 milliards de francs ? Et, ce que l'on se garde
bien de dire, c'est que le problème se posera également pour les collectivités
locales !
Même si je sors quelques instants du sujet, il serait intéressant que le
Gouvernement informe le Sénat de l'état du recrutement des 350 000
emplois-jeunes annoncés dans le secteur privé en 1997. Belle illustration de ce
qu'il est plus facile de décréter des emplois à durée déterminée sur fonds
publics que de convaincre des entreprises privées de la nécessité qu'il y a
pour elles de créer de tels emplois !
J'en viens, en deuxième lieu, à la réduction du temps de travail dans la
fonction publique.
En la matière, l'Etat n'applique pas non plus les règles qu'il impose au
secteur privé et il s'en exonère largement. Ainsi, dans nos hôpitaux, certains
internes travaillent jusqu'à quatre-vingts heures par semaine, alors que cette
durée ne peut excéder quarante-huit heures.
L'Etat est incapable de résister à la force d'inertie des syndicats de la
fonction publique, hostiles à toute réforme. Il se refuse à appliquer à ses
agents les règles particulièrement coercitives d'organisation du temps de
travail qu'il impose pourtant sans concertation aux entreprises privées.
La durée moyenne hebdomadaire du temps de travail dans la fonction publique
oscille entre vingt-neuf et quarante heures. S'il doit y avoir aménagement du
temps de travail, c'est pour une plus grande efficacité au service des usagers
des services publics ! Or cette efficacité ne doit pas résulter d'une
augmentation des effectifs de la fonction publique, mais d'une meilleure
gestion des horaires.
Les propositions du Gouvernement ne vont pas dans ce sens. En effet, la
réduction du temps de travail ne concernerait que les seuls agents travaillant
plus de trente-cinq heures par semaine. Aucune garantie n'est donnée à nos
compatriotes sur la meilleure qualité des prestations du service public qui
devrait en résulter. Quant à la création d'emplois, elle ne constitue pas un
objectif pour le Gouvernement. C'est sur ce dernier point que se situe,
d'ailleurs, le hiatus avec les organisations syndicales, nous le voyons très
bien à La Poste, par exemple.
Le remplacement récent de M. Emile Zuccarelli par M. Michel Sapin ne semble
pas modifier la donne : le Gouvernement reste toujours aussi discret sur la
réalité du coût de la réduction du temps de travail dans la fonction
publique.
Il convient ici de garder à l'esprit que, dans ce dossier, l'Etat joue le rôle
de l'employeur. Espérons cependant que nous n'entendrons plus le ministre de la
fonction publique, de la décentralisation et de la réforme de l'Etat déclarer
que, « en matière d'effectifs, les besoins du service public sont quasiment
illimités » !
En troisième lieu, j'évoquerai le dossier des retraites.
Les termes du débat sont bien connus : évolution démographique préoccupante et
conséquences budgétaires inquiétantes pour les finances publiques.
Le choc démographique, pour les fonctionnaires, est attendu pour l'année 2010.
D'ici à 2012, la moitié des fonctionnaires seront à la retraite, ce qui
constitue une opportunité unique d'entamer une profonde réforme de la fonction
publique.
Comme l'avait montré le rapport Charpin - un de plus, monsieur Lambert ! -,
les écarts entre les régimes de retraite du secteur privé et les régimes
spéciaux s'accentuent au bénéfice des seconds.
Il convient de rappeler ici que la réforme de 1993 n'avait concerné que les
seuls régimes des salariés du secteur privé. Un certain conservatisme des
organisations syndicales de la fonction publique avait alors bloqué toute
possibilité de réforme.
Actuellement, les fonctionnaires sont dans une situation privilégiée par
rapport aux salariés retraités du privé. Ainsi, le montant mensuel moyen des
retraites pour une carrière complète est de 8 936 francs dans le secteur privé
et de 12 314 francs dans la fonction publique.
Afin de faire rattraper leur retard aux régimes spéciaux, qui connaîtront
leurs premières difficultés dès 2005, il convient d'engager leur réforme. Le
rapport Charpin préconisait un allongement progressif de la durée de
cotisation, qui devrait être portée, en 2019, à quarante-deux annuités et demie
pour l'ensemble des régimes généraux et spéciaux.
La présentation du plan du Gouvernement pour les retraites, au mois de mars,
n'était à la hauteur ni des enjeux ni des attentes. A l'évidence, la
pusillanimité l'a emporté sur le courage. Même si le Gouvernement savait que la
durée des cotisations était au coeur du dossier, aucune décision n'a été
prise.
M. Alain Lambert.
C'est exact !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Le Premier ministre n'a fait que proposer aux fonctionnaires de réfléchir à un
alignement de leur durée de cotisation sur le régime général. Si la réponse est
négative, nous avons l'assurance qu'il ne se passera rien, alors que trois
Français sur quatre considèrent pourtant que cet alignement de l'ensemble des
régimes à quarante années de cotisation est indispensable.
Ces tergiversations ne font que reculer les nécessaires réformes et les rendre
à terme plus brutales, donc plus insupportables, tant pour les actifs que pour
les retraités.
Il est donc plus facile pour l'Etat de plafonner le quotient familial, au
mépris de toute équité fiscale, de taxer les entreprises dans des proportions
inégalées dans les pays comparables au nôtre, d'imposer des HLM sans précaution
partout en France...
M. Alain Gournac.
Ça oui !
M. Jean-Pierre Schosteck.
... que d'engager une réforme structurelle de l'administration.
M. Alain Gournac.
Il est plus facile de donner des conseils aux autres !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Un élément, parmi d'autres, nous sépare, monsieur le secrétaire d'Etat : pour
nous, le service public, c'est l'intérêt du public, et non pas l'intérêt du
service public !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Au fond, mes chers collègues, ce que je viens d'affirmer ici n'est jamais que
le lointain écho de ce que disait déjà Cicéron : « Il en est de
l'administration de l'Etat comme d'une tutelle, qui doit être gérée dans
l'intérêt des pupilles et non dans celui du tuteur. »
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
question première que l'on peut se poser est simple : la présence d'un secteur
public structuré et important est-elle un obstacle à la croissance économique
?
Cette question est sous-jacente dans la formulation de la question orale que
nous propose d'examiner aujourd'hui notre collègue M. Lambert, président de la
commission des finances.
On connaissait déjà, au demeurant, votre position de fond, monsieur Lambert -
position partagée par la majorité de notre commission - quant à l'existence
d'un fort secteur public, largement développé.
Nous n'entrerons pas dans une querelle de chiffres : ce serait, selon moi, une
habile manière de détourner le débat de son objet essentiel.
La gestion des effectifs de la fonction publique n'est pas seulement une
question de budget, de chiffres. Elle est étroitement liée à une certaine
conception de la société, aux choix que l'on peut opérer en matière
d'intervention publique dans la vie économique et sociale et, partant, aux
orientations que l'on imprime aux missions assumées par le service public dans
l'ensemble de ses composantes.
Plusieurs défis doivent être relevés, dans les années qui viennent, pour le
secteur public, et il nous semble utile d'y revenir.
Le premier est le renouvellement indispensable des cadres et des effectifs,
lié au mouvement fort important des départs en retraite qui devrait affecter -
plus ou moins, bien entendu -, selon les secteurs et les collectivités
l'ensemble de la fonction publique.
D'aucuns - et je pense ici aux auteurs du rapport récemment publié par le
Commissariat général du Plan - ont cru pouvoir déceler dans cette situation
l'opportunité de réduire de façon sensible les effectifs budgétaires, en tirant
parti des gains de productivité issus de la mobilisation croissante des
nouvelles technologies de l'information en lieu et place du travail humain.
On pourrait notamment profiter de cette situation pour liquider l'essentiel du
cadre C de la fonction publique et procéder à une
restructuration-redistribution des effectifs, sans être contraint pour autant
de geler excessivement les promotions internes ou de réduire aussi
excessivement les postes ouverts aux concours.
Une telle démarche peut vous apparaître évidemment satisfaisante, mesdames,
messieurs de la majorité, puisque vous ne cessez d'appeler de vos voeux une
réduction des effectifs de la fonction publique, corollaire d'une démarche qui,
couplée à la réduction de la dépense publique, permettrait d'atteindre le
double objectif de la réduction du déficit et de l'allégement des
prélèvements.
Cette démarche - faut-il le préciser ? - nous ne la partageons pas. Elle nous
semble, en effet, strictement marquée par une logique comptable, dont l'un des
effets, apparemment positif, serait de limiter la progression des dépenses du
titre III pour ce qui concerne les traitements et les rémunérations des agents,
mais dont un autre serait aussi d'accroître le déséquilibre que certains
craignent quant à la situation du financement des pensions, en tarissant le
nombre des fonctionnaires actifs contribuant au financement de la retraite des
fonctionnaires retraités.
Ce problème du devenir des pensions est - nous l'avons remarqué - aujourd'hui
clairement posé.
Nul doute, en effet, que notre commission des finances - en tout cas sa
majorité - partage certaines orientations présentées et visant à l'allongement
des durées de cotisations des agents du secteur public pour l'ouverture des
droits.
Plus fondamentalement, on sait aussi que notre commission s'est souvent
positionnée à l'avant-garde - si l'on peut dire ! - du combat pour
l'affaiblissement des garanties collectives des salariés et le développement de
la retraite individualisée au travers de toutes les formules possibles et
imaginables de capitalisation.
Un effet d'optique, assez étonnant, veut aujourd'hui que le développement de
la précarité de l'emploi dans le secteur privé conduise, en fait, à rendre plus
attirantes les rémunérations du secteur public.
Une bonne part de l'épargne des ménages est, en fait, potentiellement entre
les mains des agents du secteur public, et cette épargne intéresse évidemment
au plus haut point ceux qui souhaitent que notre pays se livre sans retenue à
la spéculation boursière.
Il est évident qu'une remise en cause des garanties collectives des agents du
secteur public en matière de retraite par la voie de la répartition serait une
manière de les contraindre à investir encore plus leur épargne dans les
circuits financiers.
Nous ne partageons pas, là encore, cette orientation, quand bien même elle
aurait comme caractéristique de montrer, une fois de plus, une réalité que l'on
ne saurait omettre dans le débat : le poids économique fondamental des agents
du service public.
Car le défaut essentiel de toute position tendant à remettre en question le
nombre de fonctionnaires, à laisser entendre que le secteur public est une
sorte de poids mort pour la collectivité, est bien celui-là.
L'un des moteurs de la croissance, c'est bel et bien l'existence d'un nombre
important de salariés du secteur public, dont la consommation est décisive dans
la progression générale de l'activité économique.
De la même manière, sans l'investissement public, et singulièrement celui des
collectivités locales, qui peut dire ce que serait aujourd'hui l'état de
l'emploi dans de nombreux secteurs d'activité, par exemple dans celui du
bâtiment et des travaux publics ?
Sur le strict plan des ressources mêmes de l'Etat, quel serait le niveau de
rendement de l'impôt sur le revenu sans l'existence, pour les agents du secteur
public, de rémunérations qui, sans être excessives - loin s'en faut ! -
participent de manière décisive à la constitution des revenus des ménages ?
Deux autres défis me semblent devoir être également relevés, dans les années à
venir, par les agents du secteur public et par la fonction publique de manière
générale.
Le premier défi, d'importance réelle, est celui de l'intégration des
emplois-jeunes.
Pour notre part, nous estimons que l'opportunité du départ en retraite d'un
grand nombre d'agents du secteur public dans les dix années à venir doit être
prise en compte pour permettre aux jeunes employés sous contrats emplois-jeunes
d'être en position d'intégration dans le cadre normal de la fonction
publique.
Dans chaque secteur concerné, cela passe évidemment pas une analyse la plus
fine possible des besoins et des capacités, mais il n'en demeure pas moins que,
l'utilité des postes occupés par ces jeunes étant avérée, le débouché naturel
de leur contrat actuel est constitué par l'intégration.
Je sais que, y compris dans la majorité sénatoriale, certains sont convaincus
que c'est là la voie normale pour résoudre la question.
Le second défi est celui de l'indispensable retour sur les missions de service
public. Il est d'une importance sans doute plus grande, malgré les apparences,
que le précédent. Il traverse, qu'on le veuille ou non, d'ailleurs, l'ensemble
du débat ouvert aujourd'hui sur le devenir du secteur public, comme les récents
conflits sociaux qui ont animé l'administration fiscale et l'éducation
nationale l'ont encore prouvé.
De manière générale, les agents du secteur public refusent une conception
étroite du service public qui tendrait, notamment, à en réduire la portée.
Derrière certaines des propositions formulées par M. Claude Allègre, il y
avait, en effet, le risque - je dis bien « le risque » - de voir remise en
cause l'existence de diplômes de valeur et de portée nationales ou celle d'un
enseignement technique et professionnel public.
De la même manière, prenant appui sur des comparaisons pour le moins
hasardeuses, pour des raisons d'histoire et de pratiques fiscales
particulièrement hétérogènes, une part de la réforme des services fiscaux
portait en germe la remise en question de certaines missions de ces services
dans la collecte de l'impôt comme dans le conseil aux collectivités locales ou
aux particuliers.
On peut, évidemment, toujours justifier, en dernière instance, des
suppressions de postes ou un gel des effectifs budgétaires par un
amoindrissement des missions de service public.
Pour notre part, et aussi étrange que cela puisse paraître, nous estimons
a
contrario
que le champ d'intervention des services publics est encore, en
grande part, à défricher et que l'on peut encore et toujours améliorer leur
fonctionnement comme leur efficacité.
Le point nodal de la discussion est là : devons-nous abriter derrière une
exigence de maîtrise des coûts un affaiblissement de l'efficacité du service
public ou devons-nous, sans cesse, revenir aux missions de service public pour
que notre pays se donne les moyens d'en accroître encore l'efficacité ?
Des enjeux comme la lutte contre l'exclusion, le développement de la formation
des salariés et des sans-emplois, l'éducation des jeunes, l'action contre la
fraude fiscale, la sécurité publique, la justice ou l'accès à la santé et à la
culture sont suffisamment cruciaux pour que nous repoussions, sans équivoque,
les orientations que souhaitent voir imprimer au secteur public la majorité de
la commission des finances et son président.
M. le président.
La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
question qui est aujourd'hui posée au Gouvernement est caractéristique des
ambiguïtés qui peuvent se cacher derrière une expression largement employée, ou
derrière une notion largement admise, à savoir la nécessité d'une politique de
réforme de l'Etat et, à travers elle, la nécessité d'une évolution de la
fonction publique.
Mais là où ces ambiguïtés se révèlent être des divergences entre majorité et
opposition, c'est quand on étudie dans le détail le sens que nous donnons les
uns et les autres, au mot « réforme », ou même aux mots « service public ».
Eh bien, mes chers collègues, les socialistes n'ont pas peur d'affirmer haut
et fort qu'ils sont fiers de défendre l'administration de l'Etat républicain,
c'est-à-dire la fonction publique, et qu'ils reconnaissent sans gêne la
nécessité de la réformer afin de mieux assurer son efficacité au service des
citoyens !
Regardons les choses en face : la droite considère souvent l'emploi public
comme une variable d'ajustement permettant de corriger les déséquilibres
budgétaires. Et pourtant, nous savons les ravages que cause cette conception
libérale et dépassée de la fonction publique dans certains pays !
Pour nous, « moderniser » l'Etat ne peut pas signifier purger la fonction
publique d'une partie des agents compétents, dévoués et intègres qu'elle compte
dans ses rangs. Car nous ne cesserons jamais de dire aux Français que moins de
fonctionnaires, c'est moins d'infirmiers, moins de professeurs, moins de
policiers, moins de services d'aide à l'emploi ! C'est moins de santé, moins de
savoir, moins de sécurité, et ce pour eux et pour leurs enfants, pour leur
avenir !
Ne nous berçons pas d'illusions : la logique libérale ne peut se traduire que
par la limitation des dépenses sociales, c'est-à-dire des dépenses qui
permettent de maintenir solidarité, sécurité, égalité et justice entre les
citoyens ! Derrière la logique libérale, c'est toujours la loi du plus fort qui
pointe le bout de son nez.
Face à cette conception de l'Etat, nous, socialistes, sommes fiers de
réaffirmer que les fonctionnaires sont nécessaires à la bonne marche de l'Etat.
Jamais nous n'envisagerons de déterminer leur « bon nombre » selon une logique
exclusivement comptable, car la plus grande économie serait, dans ces
conditions, de n'en employer aucun !
L'Etat a des missions à remplir ; il faut des fonctionnaires pour les assurer,
et c'est par le dialogue avec ceux-ci, ainsi qu'avec l'ensemble des Français,
que l'Etat sera modernisé, la vraie modernité étant plus que jamais synonyme de
solidarité.
En effet, qu'ils soient sociaux, comme la santé ou l'éducation, régaliens,
comme la police, la justice ou l'armée, ou industriels et commerciaux, comme
l'énergie, les transports, la Poste ou les télécommunications, les services
publics sont au coeur de notre modèle social. Ils sont tout autant un
instrument au service de la cohésion sociale et de la réussite économique qu'un
reflet de notre vie collective. Ils concernent toute la population, et ils sont
notre vie quotidienne à tous.
Nous avons tous en mémoire l'exceptionnelle efficacité d'EDF lorsqu'il s'est
agi d'effacer les conséquences des terribles tempêtes de la fin du mois de
décembre dernier.
Moins d'Etat, comme on nous le propose une fois de plus, ce serait moins
d'unité nationale, plus de fractures sociales, l'affaiblissement de notre
identité culturelle et le risque de porter atteinte à l'Etat de droit auquel
nous sommes attachés. Ce serait, en fin de compte, accroître l'incertitude et,
partant, limiter l'initiative et l'énergie créatrice des Français.
Quand on nous dit que la France serait à contre-courant de ce qui se pratique
en la matière dans les pays étrangers, gardons-nous de comparaisons simplistes.
Il n'est pas inutile de rappeler qu'en France les chiffres de l'emploi public
englobent la fonction publique d'Etat, la fonction publique territoriale, la
fonction publique hospitalière, les militaires, les agents des établissements
publics nationaux, les agents publics de La Poste et de France Télécom, les
enseignants des établissements privés sous contrat et les salariés des
établissements de santé privés à but non lucratif. Rien d'étonnant, alors, à ce
que les fonctionnaires représentent plus d'un cinquième de la population active
française !
A l'étranger, il est fréquent que les fonctions publiques hospitalière et
enseignante n'existent pas. Souvent, des organismes non publics remplissent des
missions d'intérêt général, telles des associations qui bénéficient d'emplois
aidés. On pourrait presque dire que le pays qui a le plus de fonctionnaires,
sinon au sens juridique du moins au sens fonctionnel, ce sont les Etat-Unis, où
une kyrielle d'agences fédérales et locales à statuts divers remplissent le
rôle que jouent, chez nous, nos fonctions publiques et assimilées.
Cette administration, dont nous, Français, avons tout lieu d'être fiers, n'est
pas, nous venons de l'évoquer, un corps monolithique ; elle n'est pas non plus
un corps statique.
Cette administration, qui a toujours su évoluer pour mieux rendre service aux
citoyens, a toujours su, quand il le fallait, se réformer. Et le gouvernement
de la gauche plurielle, dans lequel nous avons pleinement confiance, est plus
que jamais prêt à l'aider à se moderniser, non pas pour faire « plus moderne »,
mais pour « mieux » faire, non pas pour aboutir à « moins d'Etat », mais pour
aboutir à « mieux d'Etat ».
En effet, rénover les services publics, c'est renforcer leur légitimité.
N'oublions pas que 75 % des Français sont satisfaits de leurs services publics,
même s'ils leur reprochent parfois des dysfonctionnements auxquels il faut,
bien évidemment, porter remède.
Mieux d'Etat, cela veut dire un Etat moderne, efficace, plus transparent,
soucieux des deniers publics, capable de prendre en compte les attentes des
Français, garant d'une société rassemblée, solidaire et ouverte sur l'avenir ;
un Etat qui a besoin de services publics rénovés et de fonctionnaires
respectés, d'une meilleure évaluation des politiques et des dépenses publiques,
et de pouvoirs locaux mieux organisés.
Plus d'efficacité, c'est mieux servir les citoyens et l'intérêt général ! Pour
combattre les inégalités sociales et territoriales, le service public doit
réaffirmer ses principes fondateurs : continuité, égalité, impartialité. Pour
être à l'écoute de ses usagers, il doit adapter sa gestion et ses missions en
poursuivant la modernisation engagée par la gauche depuis 1997 :
simplification, déconcentration, évaluation. Si une réforme de l'administration
fiscale a été suspendue, le projet de réformer cette administration n'a pas été
abandonné : d'autres pistes existent, comme celle qu'à explorée notre collègue
Bernard Angels, rapporteur spécial du budget des services financiers.
Plus d'efficacité, c'est aussi dépenser mieux, c'est-à-dire dépenser
autrement, en privilégiant les dépenses d'avenir - éducation nationale,
recherche - ainsi que les dépenses de solidarité. C'est lutter contre les
gaspillages en recherchant une plus grande unité de l'action publique au niveau
local. C'est mieux définir la distribution des compétences entre l'Etat et les
collectivités locales.
Plus d'efficacité, enfin, c'est rapprocher l'Etat du citoyen. La
décentralisation, lancée par la gauche en 1982, est l'une des réformes les plus
profondes de ces vingt dernières années : elle appelle une déconcentration
vigoureuse et organisée des services déconcentrés de l'Etat, d'autant que
ceux-ci regroupent 96 % de ses agents, gèrent les deux tiers des crédits et
prennent les trois quarts des décisions administratives individuelles. Par
ailleurs, ce gouvernement s'attache à faire en sorte que l'espace français soit
mieux structuré, grâce à l'intercommunalité, et que les pays ruraux soient plus
solidaires et disposent d'un projet global de développement.
Quant au poids des pensions dans les dépenses de l'Etat, qui va s'alourdir du
fait du départ à la retraite de 40 % des fonctionnaires au cours des dix
prochaines années, eh bien ! le Gouvernement, est en train de s'y attaquer,
courageusement et résolument.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
France a construit son unité au travers de l'Etat, l'Etat républicain étant
aujourd'hui, entre autres choses, le garant de la cohésion sociale de la nation
et de l'égal acccès de tous aux grands services publics. Ces valeurs, les
Français, et, parmi eux, les agents de l'Etat, y sont profondément attachés.
Mais parce que les Français, la France et le monde changent, l'Etat doit
changer aussi, pour les accompagner et faciliter leurs mutations. C'est la
raison pour laquelle la réforme de l'Etat est une des priorités de l'action
gouvernementale.
Mais, au moment où la presse étrangère s'étonne de voir coexister en France le
dynamisme et l'efficacité économiques avec un Etat très présent, au point que
l'on commence à disserter sur les vertus d'un « modèle français »,
permettez-moi, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, de penser que l'Etat - Etat que nous essayons de rendre encore plus
apte à répondre aux attentes des citoyens - n'est pas étranger à ce dynamisme
français.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, j'ai écouté avec attention l'intéressante question et
l'intervention riche de M. Lambert, président de la commission des finances.
Je dois dire, tout d'abord, que je tiens ici, au nom du Gouvernement, à
nuancer certaines de ses affirmations et même, pour plusieurs d'entre elles, à
m'y opposer avec véhémence, comme l'ont fait, voilà quelques instants, Mme
Beaudeau, qui a eu raison, je crois, de critiquer une approche, sinon
systématiquement hostile, du moins méfiante à l'égard de la fonction publique
ou du secteur public, ou, à l'instant même, M. Demerliat qui, à juste titre, a
mis en avant ce concept de « mieux d'Etat » qu'il s'agit de promouvoir, plutôt
que, systématiquement, dans tous les domaines des trois fonctions publiques,
démolir la fonction publique, la fonction de l'Etat dans la société
française.
Par conséquent, d'emblée, je dirai, monsieur Lambert, que la position du
Gouvernement n'est, pour reprendre les termes que vous avez employés, ni «
vague », ni « floue », ni « dilatoire » dans les grandes questions qui se
posent au pays.
Je commencerai par un cadrage général relatif à la gestion des finances
publiques.
L'an dernier, nous avons respecté notre engagement de limiter la hausse des
dépenses de l'Etat à 1 % en volume hors intempéries, évidemment, avec les
conséquences financières et les décisions de solidarité que nous avons prises à
l'égard des régions touchées.
En outre, les plus-values de recettes générées par la croissance économique
que le Gouvernement a favorisée ont permis de réduire le déficit de 236
milliards de francs en loi de finances initiale pour 1999, à 206 milliards de
francs en exécution et à 206 milliards de francs en loi de finances initiale
pour 2000.
M. Alain Lambert.
Cela n'a rien à voir avec les dépenses !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Le déficit a beaucoup à voir avec les dépenses !
Pour 2000, la loi de finances initiale que le Parlement a adoptée - mais, il
est vrai, pas la majorité sénatoriale - prévoit une stabilité des dépenses en
volume. Cette modération, mesdames, messieurs les sénateurs, se poursuivra
durant les prochaines années : nous avons pris l'engagement de limiter la
croissance des dépenses à 1% en volume pour les trois prochaines années, et
nous tiendrons cet engagement de saine gestion et de rigueur.
Ainsi la dette publique pourrait-elle passer de 5 180 milliards de francs à la
fin de 1999, soit 60,3 % du produit intérieur brut, à 57,7 % en 2003, dans un
scénario de prudence, et même à moins de 57 % dans un scénario de croissance
économique plus favorable.
Voilà pour le cadrage général, qui témoigne d'une volonté politique et qui
traduit dans les faits que cette volonté politique ne s'accompagne pas
seulement de discours, mais d'une véritable action claire, nette, déterminée,
en matière de gestion des finances publiques.
Vous avez évoqué les uns et les autres, à cette tribune, les dépenses de
rémunérations de l'Etat. Elles atteignent, en loi de finances initiale 2000 - y
compris les charges de pensions - 722,3 milliards de francs, soit effectivement
45 % des dépenses de l'Etat.
Les engagements que la France a pris en matière d'évolution des dépenses
publiques et de diminution du déficit budgétaire à l'égard de ses partenaires
européens, et le souci de bonne gestion qu'impose en tout état de cause un
endettement important de l'Etat, tout comme la nécessité d'une diminution des
prélèvements obligatoires - je rappelle à cet égard le récent engagement pris,
au nom du Gouvernement, par le Premier ministre et par le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie - doivent en effet nous conduire à
examiner ces dépenses comme l'ensemble des charges de l'Etat. Cela est normal
et sain.
Je vais même surprendre certains d'entre vous en disant que le centre de
gravité de nos préoccupations doit être en effet autant l'action sur les
dépenses que l'action sur les recettes,...
M. Alain Lambert.
Surtout sur les dépenses !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
... au risque de renverser, de tourner autrement
l'approche que nous avons des finances publiques, c'est-à-dire d'insister
aujourd'hui davantage sur l'action consistant à contenir un certain nombre de
dépenses - mais dans un contexte qui ne cède en rien à la logique du président
de la commission des finances - que ne l'avait fait jusqu'à présent les
gouvernements de progrès.
M. Alain Lambert.
Cela fait trois ans que l'on paye de plus en plus d'impôts !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Telles sont les grandes lignes de notre politique
concernant les dépenses de l'Etat.
J'ajoute que la forte augmentation, dans les années à venir, du nombre des
départs à la retraite de fonctionnaires va se traduire par une augmentation de
la charge des pensions, qui doit passer de 112 milliards de francs en loi de
finances 2 000 à 182 milliards de francs en 2010, hors évolution du point de la
fonction publique, donc une évolution spontanée importante. Cette augmentation
forte peut permettre à l'Etat employeur d'assurer l'adéquation qualitative et
quantitative des moyens aux besoins de la population.
Un rapport récent du Commissariat général du Plan relatif à l'évolution des
fonctions publiques - je rappelle qu'il y en a trois - fait apparaître que 45 %
des agents de la fonction publique de l'Etat, soit 807 000 agents - j'insiste
sur ce chiffre - seront partis en retraite d'ici à 2012.
Ce phénomène, qui s'inscrit dans le mouvement général d'arrivée à l'âge de la
retraite des générations nombreuses dites du
baby-boom,
est encore plus
accentué pour les fonctionnaires de l'Etat en raison d'une structure
démographique moins homogène que celle de l'ensemble de la population
active.
A la différence de la pyramide des âges de la population française, marquée,
celle-ci, par une répartition homogène parmi les 30 ans à 50 ans, la pyramide
des âges de la fonction publique d'Etat est caractérisée par une concentration
particulièrement forte de la tranche d'âge des 45 ans à 55 ans, et c'est
l'arrivée très prochaine de cette tranche d'âge à la retraite, au cours des dix
ans à venir, qui va provoquer un renouvellement des effectifs sans
précédent.
La répartition des actifs de la fonction publique de l'Etat par tranche d'âge
montre ainsi qu'il y a environ 9 % d'agents de moins de trente ans dans la
fonction publique d'Etat, mais 26 % de plus de cinquante ans.
M. Alain Lambert.
Qu'est-ce qu'on fait ?
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Les résultats des travaux demandés par la commission
de concertation sur les retraites, sous l'égide du Commissariat général du
Plan, montrent que l'accroissement des flux des départs à la retraite, hors
PTT, est de l'ordre de plus de 26 % entre 1999 et 2003, soit 6 % de plus en
rythme annuel, pour atteindre 53 800 agents en 2003, contre seulement 42 600 en
1999.
En 2012, les flux de départs à la retraite devraient s'établir à 65 000 agents
par an. Ce sont donc près de 211 000 agents supplémentaires qui seront partis à
la retraite par rapport à la tendance assise sur le niveau attendu en 1999.
M. Alain Lambert.
Il faudra les remplacer !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Il y a donc une marge de manoeuvre, qui ne doit pas
aboutir à une sorte de procès
a priori
contre la fonction publique.
L'emploi public n'est pas entaché d'un péché originel ineffaçable. Nous en
avons besoin dans les hôpitaux, dans l'enseignement, dans la police, dans la
justice que sais-je encore ? Les besoins criants que révèlent un certain nombre
de situations locales, régionales ou nationales sont là pour montrer qu'il
convient d'utiliser ces souplesses dans le sens d'une bonne gestion des
effectifs, pour la fonction publique de l'Etat comme pour les autres fonctions
publiques, et aussi parfois, lorsque c'est nécessaire, de renforcer la présence
d'agents publics dans les secteurs qui le réclament, et, à l'évidence, il y en
a un certain nombre.
Pour les prochaines années 2001-2003, avant l'arrivée du choc démographique,
dans le contexte du passage aux 35 heures dans la fonction publique au plus
tard le 1er janvier 2002, le Gouvernement a donc décidé que les départs
définitifs de fonctionnaires en activité dans la fonction publique de l'Etat
seront globalement compensés par une augmentation des recrutements externes.
Ces remplacements, nombre pour nombre globalement, s'accompagneront de
redéploiements au profit des actions prioritaires de l'Etat - je viens de les
citer - redéploiements qui seront concomitants avec une amélioration de
l'efficacité de l'action publique dans les domaines que j'ai évoqués, en
particulier grâce à l'utilisation plus importante des nouvelles technologies de
l'information et de la communication partout dans l'administration d'Etat.
En outre, un plan de titularisation - je m'adresse là à Mme Beaudeau - sera
mis en oeuvre pour réduire l'emploi précaire. Je pense à la direction qui a été
contractuellement acceptée par La Poste dans le contrat d'objectif et de
progrès, où le passage des CDD en CDI devient systématiquement la règle ainsi
que la réduction du nombre des emplois à temps trop partiel - on pourrait
peut-être les qualifier ainsi !
Malgré la titularisation de plus de 21 000 agents depuis 1996 au titre de la
réduction de l'emploi précaire, les administrations d'Etat ont eu tendance à
faire à nouveau appel à des personnes à statut précaire du fait de besoins non
satisfaits en qualité ou en quantité, tout le monde l'a souligné.
Je veux ici rappeler qu'il convient de nous éloigner du précédent que
constituent les échecs des plans de « déprécarisation » mis en oeuvre dans le
passé. Un plan va être établi par le ministre de la fonction publique, en
concertation avec les organisations syndicales. Il doit s'accompagner de
mesures visant à éviter la reconstitution de l'emploi précaire, notamment en
termes de durée et en termes de non-renouvellement.
Je tiens à préciser qu'il ne faut pas confondre emploi précaire et emploi
contractuel, car l'Etat, tout comme les autres employeurs, a besoin de
souplesse pour faire face à des activités saisonnières ou qui ne peuvent être
satisfaites dans le cadre des corps de la fonction publique.
Le statut de la fonction publique prévoit ainsi le recrutement d'agents non
titulaires soit pour couvrir des besoins occasionnels ou saisonniers, soit
lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles de remplir
certaines fonctions spécifiques.
Cette remarque me conduit à répondre à la question de M. Schosteck concernant
les emplois-jeunes.
A cet égard, la loi de 1997 prévoit que les personnes de droit public ne
peuvent effectuer de recrutements au titre des emplois-jeunes que pour les
activités qu'elles n'assumaient pas jusqu'alors.
Il est en effet essentiel, mesdames, messieurs les sénateurs - cela doit être
dit clairement - d'éviter les effets de substitution entre emplois-jeunes et
agents publics.
M. Alain Lambert.
C'est ce que nous faisons !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement accorde donc, mesdames, messieurs les
sénateurs, une priorité absolue à la formation et à la professionnalisation de
ces jeunes, qui n'ont en général pas vocation à rester dans le secteur
public.
M. Alain Lambert.
En général !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
L'objectif est de compléter l'expérience qu'ils ont
acquise pendant cinq ans par une formation qui les prépare à un métier hors de
la fonction publique.
On constate par exemple que, dans l'éducation nationale, le taux de rupture
des contrats emplois-jeunes est proche de 50 %, ce qui montre bien la capacité
de ces jeunes à trouver un métier avant l'expiration de leur contrat
emplois-jeunes.
Pour le moyen terme, une démarche volontaire et prospective sera mise en place
afin de rechercher la meilleure efficacité de l'Etat au moindre coût et de ne
pas reconstituer le déséquilibre démographique constaté aujourd'hui : en 2015,
la moitié des salariés actuellement présents dans la fonction publique - le
chiffre est considérable et surprenant - auront plus de soixante ans, contre
plus d'un tiers seulement dans le secteur privé.
Face à de tels défis, il est essentiel de prévoir et de développer dès à
présent une culture de la gestion des personnels en améliorant les conditions
de la connaissance des effectifs et de la masse salariale des agents employés
par l'Etat.
M. Alain Lambert.
C'est un vrai travail !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Oui, c'est un vrai travail, vous avez eu raison de le
souligner tout à l'heure, monsieur Lambert.
Un effort de clarification sans précédent a été opéré ces dernières années,
notamment lors de la préparation de la loi de finances. Ainsi, dans le cas du
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, la réintégration au
budget général des recettes et des dépenses extrabudgétaires pour plus de 8
milliards de francs depuis 1998 devrait être achevée à l'occasion du vote du
prochain projet de loi de finances.
Pour les ministères de l'équipement et de l'agriculture, les contributions des
collectivités bénéficiaires des activités d'ingénierie publique - que cela est
dit en termes choisis ! - et les indemnités allouées à certains corps de
fonctionnaires à partir de ces recettes sont réintégrées en totalité dans le
projet de loi de finances pour 2000, pour un montant de 1,3 milliard de
francs.
En outre, des engagements ont été pris en matière de transparence des
rémunérations - vous les avez appelés de vos voeux. La récente circulaire -
elle date du 1er février 1999, signée par le directeur du budget et par le
directeur général de l'administration et de la fonction publique précise ou
rappelle les règles applicables à l'élaboration des textes sur la rémunération
des fonctionnaires.
Les textes de toute nature, sans exception, fondant la rémunération des
fonctionnaires doivent désormais donner lieu à publication.
Dans ce cadre, les régimes indemnitaires reposant sur des principes énoncés
dans des textes des années cinquante et, parfois, c'est vrai, juridiquement
fragiles, sont revus actuellement.
En outre, les règles de droit commun sur la fiscalisation des indemnités
seront appliquées strictement.
Enfin, la mise en oeuvre de l'aménagement et de la réduction du temps de
travail doit s'appuyer sur un état des lieux et s'accompagner d'une
réorganisation des services permettant d'améliorer la qualité du service
public.
Monsieur Lambert, vous m'avez aussi interrogé sur la traduction concrète de la
politique de réforme de l'Etat. Je récuse à cet égard le mot beaucoup trop vif,
qui a certainement dépassé votre pensée, de « capitulation » face à
l'administration fiscale.
M. Alain Lambert.
C'est ce qui a été écrit !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Il s'agit en fait de la réaffirmation par M. le
Premier ministre de la nécessité d'une méthode qui consiste essentiellement en
un dialogue, une concertation, une écoute préalable à toute réforme. Il est
nécessaire de prendre le temps de l'explication, de la discussion, de la
modification des réformes avant de les mettre en oeuvre.
M. Alain Lambert.
Cela fait trois ans que le Gouvernement en parle !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
C'est la leçon que nous tirons des différents
événements récents.
Ce chantier de la réforme de l'Etat apparaît, mesdames, messieurs les
sénateurs, comme essentiel aux yeux du Gouvernement. Le Premier ministre l'a
d'ailleurs redit il y a deux jours, devant l'Assemblée nationale.
Ce chantier va évidemment bien au-delà de la simplification des organigrammes
ministériels, de la loi sur les droits des citoyens dans leurs relations avec
les administrations. Il va bien au-delà encore de la suppression du régime
d'autorisation administrative et de l'accélération de la délivrance de
documents administratifs, notamment par l'utilisation des nouvelles
technologies de l'information et de la communication.
Le comité interministériel pour la réforme de l'Etat du 13 juillet 1999,
présidé par M. le Premier ministre, a arrêté plusieurs orientations dont la
finalité est bien de replacer l'usager au centre de l'action de l'Etat. C'est
notre conception de l'action de l'Etat, c'est notre conception du service
public.
Dans cette optique, l'action des services déconcentrés devrait être améliorée
par le renforcement de la coopération interservices au plan local et par
l'adaptation de leur organisation elle-même au tissu local, qui constitue leur
environnement.
Les modalités de cette réforme doivent être construites dans le dialogue et la
concertation avec les syndicats. Ce sera le cas dans tous les ministères. C'est
actuellement - en ce moment même ! - le cas au ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie.
Les réformes budgétaires et comptables, enfin, s'inscrivent elles aussi dans
cette démarche de simplification de la nomenclature budgétaire. La
globalisation des crédits, la systématisation des reports des crédits de
fonctionnement donnent une plus grande capacité d'arbitrage aux services
gestionnaires.
L'ensemble de ces évolutions et de cette rigueur dans la gestion des crédits
budgétaires et dans l'administration comptable de l'Etat tient bien évidemment
compte des remarques de la Cour des comptes.
Le développement de la contractualisation est également un facteur de
modernisation de la gestion publique.
En contrepartie d'un accroissement de la souplesse de gestion et d'une
meilleure visibilité de l'évolution de leurs moyens, les gestionnaires
s'engagent sur des objectifs en matière de qualité de la gestion et du service,
mais aussi d'efficacité socio-économique. Cette démarche s'accompagne
nécessairement de la mise en place d'outils de pilotage et de contrôle de la
gestion.
Un effort particulier a été entrepris en matière de transparence de l'action
publique. L'élaboration des programmes pluriannuels de modernisation, la
réforme de la présentation du projet de loi de finances et, dès cette année,
l'établissement de rapports d'activité et de comptes rendus de gestion
ministérielle dans le cadre des lois de règlement témoignent d'une volonté de
transparence des responsabilités et des objectifs en matière de politique
publique.
De tels outils - vous l'avez souligné et c'est très important - doivent
permettre de rendre compte de l'efficacité de l'utilisation de la ressource
budgétaire. C'est un objectif essentiel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous l'avons vu à l'instant, ce
Gouvernement est celui du mouvement.
(M. Lambert rit.)
L'heure est bien à la réforme solidaire et juste. L'heure est bien aux
réformes dans les fonctions publiques lorsqu'elles sont nécessaires, comme dans
toute la société française.
Nous inscrivons ces réformes dans la perspective, récemment rappelée par mon
collègue chargé de l'économie et des finances, d'une baisse du déficit et d'une
diminution des prélèvements obligatoires jusqu'aux 43,7 % sur lesquels nous
nous sommes engagés.
Cette réduction du déficit, cet allégement des prélèvements obligatoires, qui
s'accompagnent d'une rigueur dans la gestion des crédits, d'une clarté, d'une
transparence et du dialogue dans l'évolution des fonctions publiques, seront
bien la marque de notre succès et sans doute l'indice éclatant que nous avons
raison de faire confiance aux fonctionnaires de l'Etat, de compter sur eux pour
porter avec nous, dans le dialogue et la concertation, la réforme de l'Etat,
afin d'aboutir à la réforme de la société française.
(Applaudissements sur
les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. Alain Lambert.
Que Dieu vous entende !
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
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