Séance du 11 mai 2000






CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 325, 1999-2000) de M. Jean-Paul Amoudry, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi (n° 84, 1999-2000) de MM. Jacques Oudin, Jean-Paul Amoudry, Philippe Marini, Patrice Gélard, Joël Bourdin, Paul Girod et Yann Gaillard tendant à réformer les conditions d'exercice des compétences locales et les procédures applicables devant les chambres régionales des comptes.
Avis (n° 334, 1999-2000) de M. Jacques Oudin.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. « Le temps mûrit toute chose ; le temps est père de vérité. » Cette réflexion de Rabelais, qui savait, lui aussi, donner du temps au temps, illustre parfaitement, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la méthode retenue pour l'élaboration de la présente proposition de loi, dont l'objet principal est de rénover les modalités d'exercice de l'examen, par les chambres régionales des comptes, de la gestion des collectivités locales.
En effet, loin d'être un texte de circonstance, ou d'humeur, cette proposition de loi est le produit d'une réflexion approfondie et sereine, en même temps que le fruit d'un travail patient et volontaire.
J'aurai même la faiblesse de penser que la procédure retenue pour l'élaboration de cette proposition de loi, avec ses aller et retour entre la réflexion, la consultation et la concertation, est un exemple achevé de la méthode sénatoriale.
Qu'on en juge ! C'est dans la proposition de loi déposée voilà plus de trois ans, en février 1997 par nos collègues Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois que le présent texte trouve son origine.
L'objet de cette proposition de loi, qui consistait à exclure de l'examen de la gestion d'une collectivité locale par une chambre régionale des comptes « les choix de gestion qui résultent des délibérations prises par l'assemblée délibérante de cette collectivité », portait la marque d'un contexte de défiance à l'égard de certaines attitudes des juridictions financières dans la mise en oeuvre de l'examen de la gestion des collectivités locales.
Deux types de griefs étaient alors, déjà, formulés par les élus locaux. Ils demeurent d'actualité.
En premier lieu, nombre d'élus déplorent l'absence d'articulation entre le contrôle de légalité mis en oeuvre par les préfets et l'examen de la gestion des collectivités locales opéré par les chambres régionales des comptes. Cette lacune constitue, à l'évidence, un facteur d'insécurité juridique pour les élus locaux.
En second lieu, des responsables locaux contestent certaines pratiques des chambres régionales des comptes. Ce reproche vise, tout d'abord, la médiatisation excessive dont font parfois l'objet les lettres d'observations provisoires, alors même qu'elles peuvent être démenties dans la suite de la procédure, sans que le démenti en question bénéficie pour autant d'une publicité comparable.
Par ailleurs, les élus locaux contestent, à juste titre, l'absence, encore trop fréquente, de hiérarchisation des observations formulées par les chambres régionales des comptes sur la gestion des collectivités. Tout se passe comme si les juridictions financières ne mettaient l'accent que sur les seuls points négatifs sans les resituer dans l'ensemble de la gestion des collectivités. De fait, les chambres régionales des comptes, qui n'ont aucune obligation de dresser un bilan objectif de la gestion locale, s'interdisent le plus souvent de le faire.
Enfin, de nombreuses voix s'élèvent contre une dérive, réelle ou supposée, vers un contrôle de l'opportunité des choix politiques - au sens noble du terme - effectués par la collectivité locale.
Tel est le contexte de malaise qui a présidé à la prise de conscience par notre assemblée du « vécu », parfois conflictuel, de l'exercice du contrôle de gestion.
Afin de restituer toute sa sérénité à ce débat essentiel pour l'avenir de la décentralisation, le président Christian Poncelet, à l'époque président de la commission des finances, et M. Jacques Larché, président de la commission des lois, ont proposé à leurs commissions respectives, qui les ont suivis, de créer un groupe de travail commun aux deux commissions.
Pendant près d'un an, d'avril 1997 à mars 1998, le groupe de travail que j'avais l'honneur de présider et dont le rapporteur était notre excellent collègue Jacques Oudin a procédé à l'audition de tous les acteurs du contrôle financier : M. le Premier président et Mme le procureur général près la Cour des comptes, les représentants des juridictions financières, les associations d'élus locaux, les représentants du corps préfectoral, les comptables publics, les avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales et, enfin, les représentants des fonctionnaires territoriaux.
Ce travail d'information, de consultation et de concertation a débouché sur la rédaction d'un rapport d'information, dont les préconisations ont été adoptées, à l'unanimité, par les deux commissions, en juin 1998.
Aujourd'hui, nous débattons des recommandations d'ordre législatif de ce rapport d'information, dont la présente proposition représente la traduction fidèle.
Cette proposition de loi n'est donc pas le fruit de l'improvisation ou de la précipitation.
Elle ne marque pas, non plus, un recul par rapport aux principes fondateurs de la décentralisation.
Elle n'est pas davantage dictée par une quelconque tentation d'affranchir les collectivités locales du contrôle des chambres régionales des comptes.
Bien au contraire, les membres du groupe de travail et les auteurs de la présente proposition de loi sont profondément convaincus de la nécessité d'un contrôle a posteriori des actes des collectivités locales.
Ils rappellent que ce contrôle, qui s'inscrit dans le droit-fil de l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, aux termes duquel la société « a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », constitue l'un des piliers les plus anciens et les plus fondamentaux de notre démocratie.
En outre, les auteurs de la proposition de loi considèrent que le renforcement de l'autonomie et des responsabilités des collectivités locales, qui sont devenues - grâce à la décentralisation - des acteurs majeurs de la vie économique et sociale de notre pays, trouve sa contrepartie naturelle et légitime dans l'instauration du contrôle financier.
Pour nous, ce contrôle, qui participe d'une mission de régulation de la décentralisation, constitue un indéniable facteur de transparence de la gestion publique locale.
Trêve de faux procès ! Trêve de procès d'intention ! Le contrôle financier, incontestable et incontesté dans son principe, n'en demeure pas moins perfectible dans ses modalités d'exercice. Tel est précisément l'objet de la présente proposition de loi : il s'agit de normaliser les relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, afin de conférer au contrôle financier toute sa légitimité démocratique et, partant, toute son efficacité au service de la transparence de la gestion publique locale.
C'est dans cet esprit, et avec le souci de renforcer la sécurité juridique des actes des collectivités locales, que le groupe de travail avait envisagé de compléter les compétences actuelles des chambres régionales des comptes par une mission de conseil aux collectivités locales, mais cette idée, séduisante, dont la concrétisation aurait pu modifier de manière durable et bénéfique le climat des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, est apparue comme une fausse bonne idée.
Son application se serait en effet heurtée à des obstacles humains, en raison des effectifs actuels de magistrats des chambres régionales des comptes, et à des objections juridiques issues de l'impossibilité d'être à la fois « juge et partie ».
Les auteurs de la proposition de loi ont donc imaginé une solution de repli qui aurait pu consister à confier cette mission de conseil à un groupement pour l'aide à la gestion des collectivités territoriales, constitué sous la forme d'un groupement d'intérêt public. Cependant, la commission des lois, qui s'est émue, à juste titre, du risque de création d'une « structure lourde et à l'efficacité douteuse », a préféré retirer cet article des conclusions qu'elle nous soumet.
Le problème de l'amélioration de l'information de nos collectivités, afin de faire reculer l'insécurité juridique, demeure donc entier et conserve toute son acuité.
Il me semble que le Sénat serait fidèle à son « bonus constitutionnel » de représentant des collectivités territoriales de la République s'il apportait, dans le cadre des travaux de sa mission d'information sur la décentralisation, une solution satisfaisante à ce lancinant problème.
En définitive, les conclusions de la commission des lois sont animées par une double volonté : d'une part, rénover les conditions d'exercice de l'examen de la gestion des collectivités locales ; d'autre part, renforcer les garanties dont doit bénéficier la collectivité contrôlée.
L'objectif de rénovation des conditions d'exercice du contrôle financier se traduit principalement par une définition législative de l'objet et du contenu de l'examen de la gestion d'une collectivité locale.
C'est ainsi que l'article 1er du texte soumis à notre appréciation édicte un « code du bon usage » de l'examen de gestion. Il précise que l'examen de la gestion porte, d'abord et principalement, sur la régularité de cette gestion, c'est-à-dire sur la conformité des actes examinés aux lois et règlements en vigueur.
Cet examen peut également porter sur la qualité de la gestion, c'est-à-dire sur l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés, mais sans que ces objectifs, dont la définition relève de la responsabilité exclusive des élus, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations ou d'appréciations.
Cette précision législative, qui constitue une sorte de garde-fou légal, devrait permettre de prévenir tout risque de dérive vers un contrôle d'opportunité, inconciliable avec les principes démocratiques de libre administration des collectivités locales, réaffirmés par les lois fondamentales de 1982.
Par ailleurs, l'article 1er prévoit que les lettres d'observations définitives doivent prendre en compte les résultats de la procédure contradictoire avec l'ordonnateur concerné.
Enfin, les observations définitives formulées par les chambres régionales des comptes devront être replacées dans l'ensemble de la gestion examinée. Autrement dit, elles devront être hiérarchisées. C'est à cette condition qu'elles pourront remplir une utile mission d'aide à la gestion.
Second objectif de la proposition de loi, il s'agit de renforcer les garanties dont bénéficie la collectivité contrôlée.
Plusieurs des mesures qui vous sont proposées témoignent de cette volonté. Il en est ainsi de l'extension aux chambres régionales des comptes du régime de non-communication des documents préparatoires, d'ores et déjà en vigueur pour les documents préparatoires d'instruction de la Cour des comptes, ou de l'institution, à l'approche des élections locales, d'une période de neutralité de six mois, se traduisant par une suspension de l'envoi et de la publication des lettres d'observations définitives, ou encore de l'affirmation du caractère contradictoire de la procédure.
Toutes ces avancées répondent, à l'évidence, à un besoin exprimé par les élus locaux, comme en témoignent les adjonctions opérées par nos collègues députés lors de l'examen du projet de loi relatif au statut des magistrats financiers.
Mais la pièce maîtresse du dispositif proposé par le présent texte est, sans contexte, l'ouverture aux collectivités locales de la faculté de déférer au Conseil d'Etat les lettres d'observations définitives, par la voie du recours pour excès de pouvoir. Pour aboutir à ce résultat, la proposition de loi reconnaît aux lettres d'observations définitives le caractère d'actes « susceptibles de faire grief ».
Cette qualification juridique mettrait fin à un vide juridique ou juridictionnel puisque, actuellement, les lettres d'observations définitives ne constituent ni des décisions juridictionnelles ni des décisions administratives. Une telle situation, qui assimile les lettres d'observations définitives à de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours, est choquante au regard des impératifs de l'Etat de droit, notamment le respect des droits de la défense.
Par ailleurs, il est loisible d'estimer que, si les lettres d'observations définitives ne modifient pas immédiatement la situation juridique des personnes physiques ou morales concernées, elles emportent néanmoins des effets incontestables sur les conditions d'exercice de leurs mandats par les ordonnateurs, sur le déroulement des travaux de l'assemblée délibérante ou encore sur les tiers.
En outre, la qualification reconnue dans la proposition de loi parachève une évolution caractérisée, en premier lieu, par un délin inexorable, et souhaitable, des actes insusceptibles de recours et, en second lieu, par une publicité croissante des lettres d'observations définitives qui, depuis l'intervention des lois de 1990 et de 1995, doivent être communiquées à l'assemblée délibérante et aux tiers.
C'est précisément cette « externalisation » croissante des observations définitives, induite par une publicité sans cesse plus large, qui a rendu impossible le maintien de la fiction de leur caractère de simples mesures d'ordre intérieur.
En outre, la matière se caractérise par une nouvelle approche du Conseil d'Etat, comme en témoigne l'arrêt Société Métal Labor, du 22 février 2000.
En l'espèce, le Conseil d'Etat a annulé une décision juridictionnelle de la Cour des comptes au motif que l'affaire avait été précédemment évoquée dans le rapport public, dans lequel l'irrégularité des faits avait été relevée. Ce faisant, le Conseil d'Etat a reconnu que le rapport public de la Cour des comptes, auquel peuvent être assimilées les lettres d'observations définitives, n'était pas dépourvu de portée juridique.
Enfin, l'argument invoqué par certains selon lequel l'octroi aux lettres d'observations définitives de la qualité d'actes susceptibles de faire grief serait incompatible avec le principe de la libre administration des collectivités locales, ne me paraît ni déterminant ni convaincant.
L'anomalie au regard de l'autonomie locale semble constituée moins par cette qualification que par la situation actuelle, caractérisée par l'impossibilité, pour les collectivités locales, de faire valoir leur défense.
Dois-je enfin préciser que l'appel devant le Conseil d'Etat n'est pas suspensif ?
Pour être exhaustif, il m'appartient de mentionner également les dispositions qui modifient plusieurs articles du code électoral pour remplacer la démission d'office de l'ordonnateur reconnu comptable de fait par une procédure de suspension des fonctions de l'ordonnateur jusqu'à l'apurement de la situation de gestion de fait. Cette mesure tire les conséquences d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel établie le 15 mars 1999.
Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'économie et les principales orientations de la proposition de loi que nous avons l'honneur, Jacques Oudin et moi-même, de rapporter devant vous.
Comme nous espérons vous en convaincre tout au long de la discussion à venir, le texte soumis à votre appréciation prévoit un dispositif mesuré et équilibré qui devrait nous permettre d'aboutir au progrès recherché, c'est-à-dire à rendre le contrôle financier et l'examen de la gestion plus légitimes aux yeux des élus locaux et plus utiles à la gestion locale.
Il s'agit, au-delà du contrôle stricto sensu, de développer un dialogue constructif entre les chambres régionales des comptes et les élus locaux, ainsi que de favoriser l'émergence d'une culture de l'évaluation de l'action publique locale.
A mon sens, c'est à ce prix que la décentralisation et la démocratie locale pourront réaliser les nouvelles avancées qu'attend la société française au seuil du xxie siècle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la séance de cet après-midi, comme vient de le rappeler notre collègue Jean-Paul Amoudry, constitue l'aboutissement de trois années de partenariat étroit entre les deux commissions des lois et des finances, trois années pendant lesquelles, au nom de nos deux commissions, nous avons essayé de faire avancer le dossier des chambres régionales des comptes.
C'est peut-être le moment de rappeler que la Haute Assemblée a toujours été favorable à la plus grande clarté des comptes à tous les échelons, quels qu'ils soient.
J'aurai l'occasion de le redire, c'est dans cet hémicycle que des amendements ou des projets de loi ont été débattus, de façon que la Cour des comptes et l'ensemble des juridictions financières puissent jouer pleinement leur rôle dans tous les aspects de la vie publique.
Si la Cour des comptes a le rôle qu'elle a aujourd'hui dans l'examen des comptes sociaux, si les comptes des collectivités locales peuvent être mieux examinés grâce à une comptabilité plus claire, l'apport de la Haute Assemblée aura été, à cet égard, tout à fait déterminant. Je tenais à le dire, parce que personne ne pourra accuser le Sénat d'avoir mis la moindre entrave, jamais, en quoi que ce soit, à l'exercice du contrôle financier dans tous les domaines.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière pour rappeler l'historique de cette initiative. Tout a commencé en 1997, quand les présidents respectifs des commissions des lois et des finances, à l'époque MM. Jacques Larché et Christian Poncelet, ont considéré que le renforcement du contrôle financier des collectivités locales constituait - c'est toujours vrai - le corollaire indispensable de l'approfondissement de la décentralisation, qu'il fallait aller dans le sens d'un meilleur contrôle pour une meilleure décentralisation, mais que les relations avec les chambres régionales des comptes et des élus locaux ne présentaient pas toujours le degré de sérénité souhaitable.
Les deux présidents ont alors décidé la création de ce groupe de travail commun sur les chambres régionales des comptes qu'a présidé M. Amoudry et dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Nous avons rendu notre rapport en juin 1998. A l'évidence, le Sénat a pris un train de sénateurs pour nourrir sa réflexion ! (Sourires.)
Nos conclusions ont servi de fondement à l'élaboration de la présente proposition de loi, qui n'a été déposée que plusieurs mois plus tard, à l'issue de nouvelles réflexions. Vous constaterez que, bien qu'elle ait été signée par les membres du groupe de travail appartenant à la majorité sénatoriale, elle suscite toutefois des remarques convergentes de la plupart des sensibilités représentées dans cet hémicycle.
Aujourd'hui, le rapport du groupe de travail est devenu un document de référence et, avant même d'être introduites dans notre droit, ses conclusions, reprises dans la proposition de loi, ont déjà fait oeuvre utile.
Elles ont permis, en effet, d'engager un vaste débat, et j'entends par là un échange rationnel et serein, et non les invectives que nous avons les uns et les autres pu lire dans certains organes d'information ou à la suite de certaines conférences de presse.
M. Michel Charasse. Scandaleux !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je vous laisse la paternité de ce qualificatif, mon cher collègue !
M. Michel Charasse. Il va directement dans le sens de ce que vous venez de dire !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Absolument !
Ces propositions ont donc permis d'engager un vaste débat, dont le principal enseignement est la nécessité, désormais reconnue par tous, de remettre en cause le statu quo. Il y a quelques mois encore, la simple évocation d'une modification des règles applicables aux chambres régionales des comptes pouvait être assimilée à une volonté de museler les juges.
Je suis persuadé que, d'ores et déjà, il n'est plus personne pour le penser, et que ce sera d'autant plus vrai à l'issue de nos débats.
Au-delà d'un constat partagé, les différentes parties prenantes du débat ont évolué.
La Cour des comptes, d'abord, et je me permets de saluer la présence de son Premier président dans notre tribune officielle. Dès juillet 1997, c'est-à-dire quatre mois après le début des réflexions de notre groupe de travail, elle adressait aux magistrats des chambres un « texte de référence », véritable charte de déontologie fondée sur des principes proches de ceux que le groupe de travail allait retenir. C'est donc bien que nous allions dans le sens d'une amélioration de l'organisation et de meilleures procédures.
Le Gouvernement, ensuite, qui a décidé, un peu sous la pression des magistrats des chambres,...
M. Michel Charasse. « Pression » quel vilain mot !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. ... lesquels avaient déclenché un important mouvement de grève en 1999, de suivre une recommandation formulée à plusieurs reprises par des rapports sénatoriaux et de mettre en adéquation le statut des magistrats des chambres régionales des comptes avec les responsabilités qu'ils exercent.
Cette demande d'alignement des deux statuts nous paraissait d'une telle évidence que nous nous étonnions que cela n'ait pas été fait plus tôt. Un projet de loi, actuellement en navette, prévoit d'harmoniser leur statut sur celui des magistrats de tribunaux administratifs ; c'est le moins que l'on pouvait faire.
Les députés, enfin, car, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur le statut des magistrats, ils ont également repris à leur compte une proposition du Sénat en adoptant un amendement prévoyant que les lettres d'observations définitives, à l'image des rapports de la Cour des comptes, devront être publiées avec les réponses des personnes contrôlées.
Au sein même de notre assemblée, à l'occasion de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, le groupe socialiste a déposé des amendements relatifs au régime de la gestion de fait et aux conditions de l'examen de la gestion des collectivités par les chambres régionales.
L'ensemble de ces initiatives montre que le chantier ouvert par les travaux du groupe de travail de notre commission des lois et de notre commission des finances méritait non seulement d'être entrepris, mais aussi mené à son terme. Je suis persuadé que le Gouvernement en est pleinement conscient.
Dès lors, il paraît logique qu'il appartienne au Sénat, puisque celui-ci a ouvert le débat, d'apporter des réponses globales et cohérentes aux questions qu'il a conduit les uns et les autres à se poser, afin de permettre au contrôle financier des collectivités locales de s'exercer dans les meilleures conditions possibles et, surtout, dans le respect des grands principes du droit.
A ce stade, je tiens à rappeler que le Sénat est traditionnellement en pointe s'agissant du contrôle et de la transparence des comptes publics. En tant que rapporteur pour avis des crédits de la sécurité sociale, j'avais déposé un amendement à la loi du 24 juillet 1994 sans lequel la Cour des comptes ne réaliserait pas chaque année son rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale. Cela a été une grande avancée. C'est d'ailleurs l'époque où j'avais également déposé une proposition de loi de réforme constitutionnelle introduisant le Parlement dans le débat social, ce qui me paraissait être une évidence.
Plus récemment, les initiatives de la commission des finances ont conduit l'Etat à modifier la présentation de son budget, notamment en rebudgétisant des dépenses qui en avaient été extraites. Je parle bien entendu des dépenses sociales.
Il ne m'appartient pas, en tant que rapporteur pour avis, de me livrer à une présentation détaillée du texte que nous examinons aujourd'hui, d'autant qu'il a été excellemment exposé par M. Amoudry. J'insisterai simplement sur deux points.
Ma première remarque est la suivante : cette proposition de loi comporte un ensemble de mesures à la fois cohérent et mesuré, ce qui est d'ailleurs le propre des travaux du Sénat.
Cohérent, parce que les difficultés rencontrées par les uns et par les autres sont abordées et traitées en prenant en compte l'ensemble des points de vues.
Tout d'abord, il faut prendre en compte le point de vue des élus locaux, qui sont à la recherche d'une plus grande sécurité juridique de leurs actes. Dans ce but, la proposition de loi prévoit d'utiliser la grande connaissance du terrain des magistrats financiers et de leur conférer un « droit d'alerte », lorsqu'ils constateraient que certaines règles rencontrent des difficultés d'application. J'ai l'habitude de dire que les mauvaises lois et les mauvais règlements font les mauvais contrôles. Si vous voulez de bons contrôles, il est préférable de savoir sur quels textes on s'appuie. D'ailleurs, nous avons proposé que toute observation d'une chambre régionale des comptes fasse référence au texte qui aurait été méconnu, ce qui implique, de la part des uns et des autres, d'améliorer lesdits textes.
Ensuite, il convient de prendre en compte le point de vue des magistrats financiers, qui doivent pouvoir travailler dans des conditions normales, c'est-à-dire dans un cadre bien défini et sans surcharge excessive. Dans cette optique, la proposition de loi prévoit notamment de définir le contenu de l'examen de la gestion, de manière à permettre aux magistrats de savoir exactement jusqu'où ils peuvent aller sans encourir le reproche de contrôler l'opportunité des choix des élus locaux. Je pense - nous le verrons lors de l'examen des articles - que nous sommes parvenus à un bon équilibre. Je souhaite que le Gouvernement en soit également persuadé.
La propositon de loi prévoit également, en matière de jugement des comptes, de revoir le seuil de partage entre l'apurement administratif et la compétence des chambres, afin que les chambres régionales des comptes ne soient plus engorgées par le contrôle de « petits » comptes qui les détournent de leurs missions qualitatives, et même des comptes des associations foncières ; il me paraît nécessaire que la loi règle ce problème.
Enfin, il importe de prendre en compte le point de vue des personnes contrôlées, dont les droits doivent être garantis - et c'est tout à fait essentiel ; ce n'est pas parce que vous êtes un élu et que vous êtes soumis à un contrôle que vous n'avez plus de droits - à toutes les étapes de la procédure, conformément aux grands principes de notre droit. En conséquence, il est proposé de renforcer le respect des règles de procédure en faisant intervenir le commissaire du Gouvernement, la mission permanente d'inspection des chambres, le parquet de la Cour des comptes, de façon à renforcer le caractère contradictoire des procédures en ouvrant la possibilité de demander une nouvelle délibération aux chambres et de demander l'annulation des observations définitives par la voie d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat. Je sais que cette phrase est une phrase qui fâche, mais j'espère que les débats parlementaires et la navette permettront de trouver le juste milieu.
Il est également prévu de faire en sorte que les travaux des chambres ne puissent pas faire l'objet d'utilisations médiatiques ou politiques abusives - je dois faire plaisir à notre collègue Michel Charasse en disant cela - en renforçant la confidentialité des documents provisoires, en soumettant les chambres à un délai de « neutralité » de six mois avant une élection et en aménageant les règles d'inéligibilité en cas de gestion de fait, de manière à éviter que les magistrats financiers ne deviennent également juges du mandat, ce qu'ils ne souhaitent d'ailleurs pas.
Cohérent, le dispositif proposé est également mesuré, car, à l'exception d'une ou deux questions de fond telles que le contenu de l'examen de la gestion et la possibilité de recours pour excès de pouvoir, que j'évoquais voilà un instant, ce sont surtout des mesures techniques, demandées ou préconisées par diverses personnes que nous avons entendues, qui nous sont aujourd'hui soumises.
Par exemple, l'aménagement du régime de la gestion de fait est ardemment souhaité par les magistrats, qui, aujourd'hui, hésitent à déclarer certains élus comptables de fait car cela reviendrait à rendre inéligibles des personnes qui n'ont manifestement rien commis de véritablement répréhensible. Je crois d'ailleurs que cette question de la gestion de fait sera examinée à travers des amendements qui n'émanent ni du groupe de travail ni des commissions, mais qui sont fondés et dignes d'intérêt.
Au total, il s'agit bien d'un texte qui a pour objet d'améliorer les conditions dans lesquelles s'effectue le contrôle financier des collectivités locales, sachant que, à notre époque, les attentes des citoyens en matière de contrôle de la dépense publique se font de plus en plus fortes. Encore faut-il que ce contrôle s'exerce dans des conditions de parfaite clarté et en toute rigueur.
Ce constat me conduit à ma seconde remarque.
Les observations des magistrats sur la gestion des collectivités locales reflètent dans bien des cas moins une mauvaise gestion qu'une difficulté à appliquer une réglementation complexe et incertaine. Je pense que, en l'occurrence, la présence du ministre de l'intérieur dans cette enceinte n'aurait pas été tout à fait inutile.
Quoi que l'on dise ou que l'on fasse, il y aura toujours des gens pour considérer que les élus veulent réformer le fonctionnement des chambres régionales des comptes dans le dessein de « museler » les juges. J'ai fait justice de cette affirmation totalement infondée.
Pourtant, force est de constater que, en matière de gestion financière, les collectivités locales n'ont pas à rougir de leur bilan, surtout lorsqu'on le compare à celui de l'Etat. Sans vouloir polémiquer, madame le secrétaire d'Etat, je tiens à attirer votre attention sur les quelques chiffres qui suivent.
En premier lieu, les investissements des collectivités locales sont en, pourcentage du produit intérieur brut, quatre fois supérieurs à ceux de l'Etat.
En deuxième lieu, les collectivités locales se désendettent depuis 1997. Depuis 1980, la part des collectivités locales dans l'endettement public total est ainsi passée de 26 % à 12 %.
En troisième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs dépenses de fonctionnement, malgré l'effet des décisions prises par l'Etat en matière de rémunération des agents et de normes techniques.
En quatrième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs prélèvements obligatoires. Pour 1999, la Cour des comptes relève que la fiscalité locale a baissé de 0,2 point de PIB, alors que la fiscalité de l'Etat a augmenté de 1,2 point de PIB.
En cinquième lieu, les collectivités locales dégagent un excédent budgétaire, alors que l'Etat a encore un déficit important. Faut-il rappeler que, sans l'excédent des collectivités locales, la France n'aurait pas rempli les critères de convergence nécessaires pour la participation à l'euro ?
En sixième lieu, il convient de rappeler que les collectivités locales sont soumises à des règles comptables strictes, qui contrastent avec les facilités que l'Etat s'autorise, comme le remarque encore une fois la Cour des comptes dans son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances de 1999.
Ainsi, les collectivités locales n'ont pas le droit de financer des dépenses de fonctionnement par l'emprunt - c'est une bonne chose et, généralement, elles respectent cette règle - alors que la loi de finances initiale pour 2000 affichait encore un solde primaire négatif de près de 50 milliards de francs.
Dans l'ensemble, les collectivités locales sont donc bien gérées. Certes, il y a toujours des exceptions. Lorsqu'elles ne sont pas bien gérées, les chambres régionales des comptes sont là pour en tirer les conséquences. Nous notons d'ailleurs, d'année en année, des améliorations substantielles.
En revanche, les collectivités, notamment les plus petites, sont largement démunies face au caractère complexe et incertain de la réglementation qu'elles doivent appliquer. Le nombre de normes augmente sans cesse, par sédimentation plutôt que dans le cadre d'un ensemble cohérent. Il en résulte la conjonction d'une complexité accrue et de la persistance de « trous » dans la réglementation. L'instruction comptable M 14 constitue un bon exemple de complexité, surtout lorsque l'on sait que, deux ans après sa mise en application, le comité des finances a changé la nomenclature une fois de plus, ce qui est tout de même un paradoxe.
L'incapacité des élus à manipuler la M 14 expliquerait, selon certains, l'augmentation des budgets votés hors délais constatée par les chambres régionales des comptes. S'agissant des « trous » dans la réglementation, ils sont progressivement comblés par l'adoption d'amendements à l'occasion de tel ou tel texte ou par la jurisprudence, ce qui permet de résoudre des problèmes spécifiques mais n'améliore pas nécessairement la cohérence de l'ensemble.
Les magistrats des chambres régionales des comptes, comme les élus locaux, vivent quotidiennement ces difficultés. Ils sont, si je puis dire, « dans le même bateau ». Leurs intérêts sont largement communs pour élaborer ensemble un corps de doctrine, un corps de contrôle de la gestion qui donne confiance et soit productif. On peut faire du bon contrôle de la gestion et de ce bon contrôle peut sortir beaucoup de bien.
Le rapport du groupe de travail de 1998 était intitulé : Chambres régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de la démocratie locale. Il nous revient, cet après-midi, de créer les conditions d'un dialogue constructif, nécessaire à l'approfondissement et la consolidation de notre décentralisation. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, les chambres régionales des comptes symbolisent parfaitement la rupture opérée par les lois de décentralisation de 1982. La volonté de mettre fin à la tutelle administrative a, en effet, nécessité la mise en place d'institutions entièrement nouvelles répondant à deux exigences : une exigence de proximité avec les collectivités locales elles-mêmes, comme condition d'un contrôle serein ; une exigence d'indépendance vis-à-vis de l'Etat, afin de garantir pleinement le respect du principe de libre administration.
Elles sont un élément fondamental de la démocratie locale, qui donne tout son sens à l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Leur rôle est d'autant plus important que les collectivités locales sont devenues un acteur essentiel de l'économie, ce que chacun sait ici.
Qu'on en juge : leurs dépenses correspondent à plus de la moitié du budget national et leurs investissements représentent 70 % de l'investissement public total.
Pourtant, les chambres régionales des comptes rencontrent deux types de critiques.
Il y a tout d'abord une critique d'ordre statutaire qui émane des membres des chambres régionales des comptes et qui a été en partie prise en compte dans le projet de loi adopté le 3 mars dernier par l'Assemblée nationale. Nous savons néanmoins que le principe de mobilité fait problème parmi les magistrats financiers, qui y voient une possible remise en cause de leur indépendance. Nous espérons, madame la secrétaire d'Etat, que nous pourrons néanmoins en débattre prochainement.
D'autres critiques, émanant des élus, tiennent aux modalités d'exercice par les chambres régionales des comptes de leurs missions. Si le contrôle juridictionnel semble bien admis, il n'en est pas de même du contrôle administratif portant sur la gestion des collectivités locales, sur leurs établissements publics, ainsi que sur les associations dépendant financièrement d'elles.
Malgré les aménagemens opérés par les lois du 5 janvier 1988 et du 15 janvier 1990, un sondage réalisé par l'association des maires de France, en 1998, révélait que 47 % des maires souhaitaient une réforme du contrôle de gestion.
Telles sont les critiques dont les auteurs de la proposition de loi aujourd'hui en discussion voudraient se faire les relais. Qu'elles portent sur la constance du contrôle de gestion en s'interrogeant sur sa neutralité, qu'elles revendiquent un meilleur respect du principe du contradictoire ou qu'elles insistent sur la nécessité de renforcer la sécurité juridique, toutes convergent vers un seul et même constat, à savoir l'absence de dialogue confiant entre les collectivités locales et les chambres régionales des comptes.
Pour rénover ce dialogue, faut-il opérer une remise en cause des compétences des chambres régionales des comptes ? Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne le pensent pas. Ils considèrent, pour leur part, que des aménagements simples permettraient une amélioration sensible des conditions du contrôle de gestion.
De ce point de vue, notre groupe est d'accord avec les propositions tendant à instaurer un véritable « droit de réponse » des élus aux lettres d'observations par le biais de l'institution d'un délai de réponse, que ce dernier soit de un mois, comme le propose la commission des lois, ou de deux mois, comme en a décidé l'Assemblée nationale. De même, l'annexion de la réponse écrite à la lettre d'observations semble constituer une solution équitable. Enfin, les dispositions prévoyant la présentation par le ministère public de ses conclusions avant l'arrêt des observations définitives sur la gestion paraissent intéressantes.
En revanche, la remise à plat du contrôle de gestion, comme le propose la commission des lois, nous semble de nature à hypothéquer l'avenir du contrôle financier.
Je prendrai trois exemples à cet égard.
Le premier exemple porte sur le relèvement notable des seuils en deçà desquels le contrôle des chambres régionales des comptes disparaît au profit du système de l'apurement administratif.
Je ne suis pas sûre que cette restriction du champ de compétence des chambres régionales des comptes soit judicieuse, et ce d'autant que la majorité de la commission des lois a souhaité qu'une évolution pouvant aller jusqu'à 20 % du montant total des recettes - ce n'est pas rien ! - ne puisse pas remettre en cause ce seuil. Sachant que les recettes des collectivités locales ont plus tendance à croître qu'à diminuer, je doute que cette règle soit le gage d'une volonté de dialogue à l'égard des chambres régionales des comptes.
Mon deuxième exemple concerne la définition du contrôle de gestion.
Si l'on peut être sensible à la volonté de donner une définition légale au contrôle de gestion pour permettre un traitement égalitaire des contrôlés et éviter les abus d'une définition exclusivement « judiciaire », il n'est pas certain que le texte qu'il nous est proposé d'adopter ne tombe pas dans le « piège » évoqué par le groupe de travail de 1997-1998 sur les relations entre les chambres régionales des comptes et les élus, à savoir la réduction du contrôle à une simple vérification de l'application des textes, en laissant de côté tout ce qui ressortit à l'efficience et à l'efficacité.
Enfin, l'interdiction de publication de lettres d'observations définitives dans les six mois précédant une élection générale, retenue dans la proposition de loi initiale, risquait fort d'aboutir à ce que j'appellerai « un contrôle en pointillé ». On est revenu sur cette disposition, mais cela reste un problème.
On peut se demander si, eu égard aux garde-fous posés quant au respect du principe du contradictoire, cette limitation continue d'avoir un sens. De même, les exigences de transparence de la vie publique s'accommodent mal de restrictions.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont également des doutes quant à l'efficacité des solutions proposées.
S'il est louable de vouloir lutter contre la médiatisation à outrance du contrôle de gestion pour éviter qu'il ne soit détourné de son objet, on peut néanmoins être sceptique, lorsque l'on connaît les difficultés à faire respecter le secret de l'instruction, sur l'efficacité de l'interdiction de communication des documents préparatoires.
Par ailleurs, instaurer le recours pour excès de pouvoir contre les lettres d'observations définitives aboutit à juridictionnaliser le contrôle de gestion. Or, si les membres de mon groupe sont sensibles à l'argument du « droit de recours », ils ne sont pas certains que cette solution n'ait pas l'effet inverse de celui qui est recherché, à savoir rendre le contrôle de gestion plus solennel, et donc plus lourd de conséquences sur la gestion locale et le mandat des élus qu'il ne l'est actuellement.
Reste la question de la gestion de fait, sujet très sensible pour l'ensemble des élus qui se retrouvent, parfois, lourdement sanctionnés, alors qu'ils pensaient agir dans un cadre légal. La sanction de la démission d'office apparaît symptomatique d'un contrôle qui est excessif parce qu'il met en cause le mandat même des élus.
On conviendra toutefois que cette sanction n'est pas si fréquente qu'on veut bien le dire parfois : la loi de 1991 donne six mois aux élus pour régulariser et obtenir ainsi un quitus.
A notre sens, des améliorations peuvent être recherchées. Ainsi, la substitution d'une prescription de cinq ans à la prescription trentenaire actuelle nous paraît judicieuse.
De même, l'impossibilité de prononcer une déclaration de gestion de fait sur les exercices ayant fait l'objet d'un apurement définitif mérite d'être étudiée, à condition qu'elle ne concerne pas les gestions de fait volontairement dissimulées.
En revanche, le système proposé par la commission des lois ne nous sied guère, parce qu'il pourrait être considéré comme se contentant de « prendre acte » de la gestion de fait, et donc de la confusion de l'ordonnateur et du comptable.
En fin de compte, les membres du groupe communiste républicain et citoyen voient dans la délicate question de la gestion de fait une traduction de l'insécurité juridique dont souffrent les élus locaux. Ils considèrent que celle-ci ne pourra trouver de solution durable que dans le renforcement du conseil aux collectivités locales, qui pourrait être une véritable aide à la décision.
Ce besoin de conseil est particulièrement crucial dans les petites communes n'ayant les moyens ni financiers ni matériels nécessaires pour recourir à des audits extérieurs.
Les auteurs de la proposition de loi avaient envisagé le problème en proposant la création d'un groupement d'intérêt public. Celui-ci présentait pourtant, pour la commission des lois, l'inconvénient majeur d'être particulièrement lourd d'utilisation ; elle ne l'a donc pas retenu.
On sait également que le groupe de travail consacré aux relations entre les chambres régionales des comptes et les élus avait écarté l'idée de confier aux chambres régionales des comptes elles-mêmes ce rôle de conseil, eu égard au dédoublement fonctionnel qu'il entraînerait. Le Conseil d'Etat lui a récemment donné raison sur ce point.
Il faut donc absolument soit réfléchir à une réorganisation interne de la chambre régionale des comptes, de façon à bien distinguer les fonctions, à l'instar du Conseil d'Etat, soit explorer d'autres voies, qu'il s'agisse d'exploiter au mieux les possibilités données par l'intercommunalité ou de réfléchir à des services plus orientés sur le conseil dans les préfectures.
Au vu de toutes ces remarques, vous aurez compris que mon propos est relativement modéré, mais que le texte présenté par la commission des lois n'a pas convaincu les membres du groupe commmuniste républicain et citoyen. En voulant rééquilibrer le contrôle des chambres régionales des comptes, on tend à créer un nouveau déséquilibre dont personne ne sortira gagnant, ni les chambres, ni les élus, et encore moins les citoyens.
On le sait, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Je crains que la preuve ne nous en soit à nouveau donnée aujourd'hui. C'est pourquoi nous voterons contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte dont nous allons discuter recouvre bien des aspects.
Hors les aspects de procédure sur le secret des étapes intermédiaires des contrôles et la forme de publication des lettres d'observations définitives, sur lesquels j'ai le sentiment que, petit à petit, se dessine un certain consensus, le débat qui s'ouvre me semble en grande partie le résultat d'un énorme malentendu. A cet égard, je parle non pas de la gestion de fait, mais de la fameuse affaire du jugement d'opportunité. Ce malentendu était prévisible depuis la discussion, en 1987, de la loi dite « loi Galland », relative à l'amélioration de la décentralisation, loi dont j'avais eu l'honneur, à l'époque, d'être le rapporteur.
Déjà, l'aspect et le contenu des observations des chambres régionales des comptes sur la gestion des collectivités locales étaient en cause. Peut-être peut-on résumer le contexte - j'avance à pas comptés, car le sujet est délicat - en constatant que, organes juridictionnels coordonnés sans hiérarchisation par la Cour des comptes, les chambres régionales des comptes ont tout naturellement compris leur mission comme étant parallèle à celle qu'exerce la haute juridiction financière. Celle-ci, dans ses jugements mais surtout dans son rapport annuel, ne se prive pas de mettre en exergue les dysfonctionnements, les insuffisances et les erreurs des administrations de l'Etat.
Ces remarques n'atteignent toutefois que très exceptionnellement - pour ma part, je n'en ai d'ailleurs aucun souvenir précis - la gestion des ministres en tant que personnes. Leurs fautes éventuelles échappent d'ailleurs aux juridictions de droit commun puisque seule la Cour de justice de la République est compétente en ce qui les concerne. (M. Charasse s'exclame.)
Les jugements du peuple souverain sur les ministres et sur leur gestion ne s'exercent qu'à travers des élections législatives et, par conséquent, à un niveau n'ayant rien à voir avec celui où évoluent les élus des collectivités territoriales.
Il n'en va pas du tout de même lorsqu'une observation sur la gestion d'une collectivité territoriale est formulée par une chambre régionale des comptes, car, bien entendu, l'élu se sent directement concerné.
Personne, je pense, n'imagine contester le bien-fondé d'une irrégularité financière ni la transmission à la justice pénale d'une infraction délibérée.
Mais toute observation sur l'efficacité, parfois appelée « évaluation des politiques publiques », est vécue par les responsables d'une collectivité territoriale d'une manière très différente de celle dont est vécue - je n'ose pas dire « superbement ignorée » - une telle évaluation par les administrations de l'Etat et, au mieux, considérée par les ministres comme un moyen supplémentaire d'investigations sur le fonctionnement de leurs propres services.
C'était d'ailleurs dans ce dernier esprit, à savoir l'information du responsable sur le fonctionnement de ses propres services, que l'idée des observations sur la gestion des collectivités territoriales avait été admise par le législateur au moment du débat de la loi Galland précitée.
L'interprétation donnée sur le terrain en a été d'emblée différente, et certaines exagérations dans le formulé d'observations sont présentes dans toutes les mémoires, traumatisant les élus mentionnés et, bien au-delà, par vagues successives, nombre de leurs collègues.
L'élu local, contrairement au ministre, est en effet l'exécuteur de terrain d'une politique née et arrêtée par une assemblée de terrain, responsable directement à intervalles réguliers et relativement courts devant la population qu'il administre.
Encadré par un contrôle de légalité malheureusement un peu incertain, trop souvent insuffisamment conseillé sur le plan juridique - c'était l'un des aspects de la proposition d'origine - et mal assuré quant aux sécurités qui devraient être les siennes avant de passer à l'action, l'élu local accepte difficilement de voir publiquement remises en cause des décisions découlant de délibérations publiques, à la régularité non contestée sur l'instant, surtout lorsqu'il s'agit d'adéquation en termes d'efficacité entre buts et résultats.
Toute initiative, même lorsqu'elle émane d'une collectivité territoriale - c'est également vrai dans l'économie privée, dans l'économie courante - compte une part d'incertitude que seul le temps peut lever... temps dont, par définition, le juge a disposé, mais dont, au moment de la décision ni l'assemblée ni son chef n'ont évidemment la moindre mesure quant à ce qu'il révèlera. C'est là, me semble-t-il, que se trouve l'ambiguïté.
Le choix d'une politique ne peut, bien entendu, pas être remis en cause, mais l'observation sur son efficacité a, quand il s'agit d'un élu local directement en contact avec sa population, un effet tout autre que celui d'une observation sur l'efficacité du fonctionnement d'une administration de l'Etat tel que nous le connaissons. A mon sens, un avis sur le choix d'une politique est, par définition, hors sujet ; c'est d'ailleurs rarissime ; mais un tel avis, quand il se produit, crée, d'une certaine manière, même si juridiquement ce n'est pas le cas, un réel grief vis-à-vis de l'élu local, et c'est le débat d'ambiance devant lequel nous nous trouvons.
Bien entendu, j'imagine que l'argument d'opportunité ne doit pas être utilisé exclusivement par les magistrats, et j'imagine qu'il doit bien exister quelques circonstances dans lesquelles le responsable local l'invoque lui-même face à la constatation d'une irrégularité. Cela ne doit normalement pas être admis et, dans ce cas précis, j'estime tout à fait logique que les jugements, observations et autres décisions relèvent les cas dans lesquels les ordonnateurs se laissent aller à l'invoquer.
Le texte dont nous allons discuter a ses qualités et ses défauts, mais il constitue un apport à ce dialogue difficile entre la nécessaire rigueur financière qui s'impose à tous, la souplesse et le minimum de sens du risque qui sont tous les jours demandés aux élus de terrain, et la nécessité devant laquelle nous sommes de faire en sorte qu'il reste demain des candidats pour accepter de gérer le quotidien de nos concitoyens, ce qui n'est pas aussi certain qu'on veut le penser dans l'atmosphère qui est en train de se créer dans nos collectivités territoriales.
C'est dans cet esprit qu'il faut concevoir les votes qui vont intervenir, lesquels ne comportent, bien entendu, aucun jugement d'ensemble péjoratif sur l'ensemble du corps des magistrats des chambres régionales des comptes, en lesquels nous avons beaucoup de confiance et entre les mains desquels repose également toute la confiance de nos concitoyens, ni d'abandon du principe même de leur contrôle.
Toutefois, nous devons être bien conscients que l'efficacité exigée par le citoyen vis-à-vis de son élu local, qu'il voit tous les jours, comporte un certain nombre de dimensions psychologiques dont la traduction doit être opérée en termes juridiques et qui ne sont pas de même nature que celles de la juridiction un peu froide et relativement distante qu'est la Cour des comptes face aux administrations de l'Etat.
Mes chers collègues, en conclusion, je souhaite que ce débat se déroule dans la sérénité la plus complète et que nous puissions petit à petit avancer vers la dissipation d'un malentendu qui, encore une fois, me semble aujourd'hui dommageable pour tout le monde. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans cette discussion qui était attendue depuis un certain temps et qui doit beaucoup au travail effectué spontanément sur l'initiative de plusieurs de nos collègues - je pense, notamment, au groupe de travail animé par notre collègue Jacques Oudin, puis à la réflexion menée par nos commissions des lois et des finances afin d'examiner, quinze ans après, ce qui va bien et ce qui va moins bien dans le système des chambres régionales des comptes - je voudrais dire dans quel état d'esprit mon groupe aborde ce débat sur le statut des chambres et abordera demain le débat que l'on nous annonce sur le statut des magistrats des chambres.
En premier lieu, les chambres régionales des comptes font partie intégrante du bloc de la décentralisation et il ne saurait être question, de notre point de vue, de remettre en cause leur existence ; ce n'est d'ailleurs pas ce qui nous est proposé.
Je le dis avec d'autant plus de force qu'il s'est trouvé, par les hasards de la vie et des circonstances, que j'ai été, au moment de la création des chambres, l'un des inventeurs de la formule, puisque, à l'époque, je conseillais le Président de la République sur ce dossier et que j'étais, à l'Elysée, le correspondant de Gaston Defferre, lequel menait devant le Parlement les débats sur les lois de décentralisation. Nous avions réfléchi à cet organisme. Au demeurant, je ne suis pas sûr d'en avoir inventé la dénomination, qui doit être due, je pense, au président Rosenwald, qui était à l'époque premier président de la Cour des comptes ; en tout cas, madame la secrétaire d'Etat, dans une recherche en paternité, je ne suis pas clair. Par conséquent, je n'accablerai pas mon éventuel enfant, tant s'en faut ! (Sourires.)
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Il faut un test d'ADN ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Charasse. Premièrement, le principe du contrôle financier a posteriori et l'existence d'un organisme spécialisé à cet effet est, mes chers collègues, la contrepartie de la liberté locale devenue totale, notamment par la suppression des tutelles et des contrôles a priori.
Deuxièmement, avec la déconcentration, l'institution des chambres régionales des comptes est le second grand pilier qui doit assurer l'équilibre de la décentralisation afin que cette grande réforme n'entraîne pas, comme le disait le président Mitterrand, qui en est l'un des auteurs, « le rétablissement de féodalités locales contre la République et l'anéantissement de l'autorité de l'Etat au détriment de l'unité de la nation ».
Le pilier de la déconcentration, nous le savons tous, a malheureusement été trop oublié par les gouvernements successifs, et les préfets restent encore souvent bien trop démunis. Il ne saurait donc être question pour mon groupe d'ébranler cet indispensable pilier de l'équilibre de la décentralisation que sont les chambres régionales des comptes et, fidèles à l'oeuvre du président Mitterrand, de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, nous ne nous associerons naturellement jamais - mais ce n'est pas l'objet du débat - à des initiatives qui viseraient à le mettre en cause.
Dans l'esprit de ce qu'a rappelé le Président de la République de l'époque sur les principes de la République, les chambres régionales des comptes - nos collègues MM. Amoudry et Oudin le disent très bien dans leur rapport - ont reçu pour mission de faire vivre, dans le cadre de la liberté locale, les grands principes de la déclaration de 1789 en ce qui concerne, d'abord, le droit pour la société de demander des comptes à tout agent public sur son administration - à tout agent public, sauf, naturellement, comme vous le savez, aux magistrats de tous ordres, mais cela, c'est un autre débat (Sourires) - et, ensuite, le droit pour les citoyens de contrôler l'emploi des fonds publics par eux-mêmes ou par leurs représentants : ces droits se fondent sur les articles XIV et XV de cette déclaration.
Mais comment les citoyens et leurs élus peuvent-ils contrôler s'ils ne savent pas, s'ils ne sont pas informés de la réalité ? En quelque sorte, les chambres régionales sont la transposition, au niveau local, de la Cour des comptes qui, au niveau national, assiste le Parlement - dans le cadre des articles 47 et 47-1 de la Constitution, que nos rapporteurs connaissent bien - en matière de contrôle de l'exécution des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.
Remettre en cause le principe du contrôle financier local tel que l'ont voulu les lois de juillet 1982 reviendrait à priver les citoyens de leurs droits, et la République d'un organisme régulateur indispensable.
Qu'on n'attende donc pas de notre groupe qu'il s'engage un jour dans cette voie, et je me réjouis que telles ne soient pas les intentions des auteurs des propositions qui nous sont soumises.
En second lieu, il n'est pas question non plus, de notre point de vue, de remettre en cause les grands principes sur lesquels repose le fonctionnement des chambres.
D'abord, ce sont des juridictions indépendantes. Cette formation et cette indépendance garantissent aux citoyens et aux élus locaux que les comptes des collectivités seront jugés hors de toute pression politique, ou corporatiste, hors de tout ordre extérieur, hors de tout intérêt particulier, et selon une démarche où la recherche de la sincérité et de l'objectivité au regard de la rigueur de la loi prend normalement, et en principe, le pas sur toute autre considération subjective ou partisane.
Juridiction indépendante, la chambre régionale des comptes n'a pas reçu de la loi le droit de se prononcer sur l'opportunité politique des choix et des décisions des assemblées locales issues du suffrage universel ou des organes exécutifs qu'elles désignent librement.
C'est un débat difficile, que notre collègue Paul Girod vient d'aborder après nos rapporteurs. Ce n'est pas toujours clair ! Nous essayons les uns et les autres de trouver une solution, et même si, comme le disait M. Girod - c'est en tout cas ce que j'ai cru comprendre de son propos - il y a l'art et la manière de le faire, le « principe de précaution », dans ce domaine, s'impose sans doute plus qu'ailleurs.
Les chambres, en dehors des illégalités manifestes, peuvent toujours critiquer les méthodes retenues pour exécuter les décisions politiques et leur coût pour le contribuable, mais elles ne sauraient sans violer la séparation des pouvoirs, qui est inhérente à l'existence de toute juridiction indépendante, se prononcer sur des choix politiques qui ne relèvent, dans la République, que des élus et, le moment venu, des électeurs.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Absolument !
M. Michel Charasse. Le principe selon lequel « aucune section du peuple, aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale », qui figure à l'article 3 de notre Constitution comme d'ailleurs dans la déclaration de 1789, s'applique évidemment aux chambres régionales des comptes comme à toutes les autres juridictions, et la loi des 16 et 24 août 1790 aussi dans celles de ses dispositions qui sont toujours en vigueur.
Dans le domaine du contrôle financier local comme dans le domaine judiciaire en général, il ne saurait être question de rétablir les Parlements de l'Ancien Régime, même si quelques nostalgiques conçoivent quelque rancoeur de cette interdiction.
En tout cas, qu'il soit donc bien clair qu'il ne saurait être question de revenir sur les lois de 1982 en ce qu'elles ont retenu l'indépendance et son corollaire, la séparation des pouvoirs.
Le troisième grand principe est celui du débat contradictoire - c'est la règle de la juridiction - désormais bien établi mais qui, je le rappelle au passage, a nécessité quelques retouches de la part du législateur depuis 1982, car la loi avait été assez maladroite ou insuffisamment précise sur un certain nombre de points.
Les citoyens mis en cause devant toute juridiction doivent pouvoir être entendus et faire valoir leurs arguments. Le statut des chambres comporte bien la possibilité d'être entendu, oralement et par écrit, et les droits de la défense sont donc aujourd'hui bien reconnus, même s'ils méritent encore - on en parlera sans doute tout à l'heure - quelques améliorations.
De quoi s'agit-il donc, mes chers collègues, si l'on ne remet pas en cause le principe de l'existence des chambres et les grands principes de leur fonctionnement ?
D'abord, que l'on s'entende bien. Quels que soient les cris que peuvent pousser certains qui défilent sous nos fenêtres, les chambres régionales des comptes n'ont pas été instituées pour le plaisir ou le confort de ceux qui les ont intégrées, elles l'ont été pour faire respecter les lois et règlements et, avant d'accabler leurs décisions, on ferait parfois mieux de s'interroger sur les vertus ou les vices des lois et règlements que nous fabriquons les uns et les autres et que les chambres régionales des comptes ne peuvent qu'appliquer. Je fais allusion, en particulier, aux règlements que nous créons parfois nous-mêmes dans nos conseils régionaux ou généraux et qui nous sont ensuite « renvoyés dans la figure ».
Les chambres régionales des comptes n'ont pas été instituées, enfin, d'une façon immuable. Nos institutions et leurs grands principes n'interdisent pas au législateur d'apporter aux règles de fonctionnement les retouches qu'elles appellent naturellement après une quinzaine d'années de pratique.
Les magistrats financiers eux-mêmes estiment, après ces quinze années, qu'ils mériteraient d'avoir un statut calqué sur celui des tribunaux administratifs, et un processus législatif a été engagé à cet effet devant l'Assemblée nationale au travers d'un projet de loi dont nous serons prochainement saisis.
Les syndicats de ces magistrats peuvent difficilement soutenir qu'il faut de toute urgence s'occuper des problèmes de carrière et de rémunération que les quinze années de fonctionnement de ces jeunes institutions ont fait apparaître et dénier le droit au législateur qui en a la charge de répondre, lui aussi et pour ce qui le concerne, après quinze ans de jurisprudence des chambres, aux inconvénients qui ne sont pas forcément tous dus aux chambres, mais qui ont pu apparaître au fil du temps et qui peuvent mettre en cause, en persistant, le bon fonctionnement des institutions locales de la République, le droit pour le suffrage universel de se prononcer en toute connaissance de cause, la possibilité pour les élus locaux de remplir normalement leur mission et la faculté pour les citoyens de rester disponibles pour le service de la démocratie locale !
Cela signifie, en particulier, que le citoyen qui se met volontairement au service des autres et qui obtient la confiance des électeurs ne saurait se heurter à un mur de procédures, d'exigences ou de sanctions allant au-delà de l'obligation d'une gestion sincère, économe, honnête, légale et transparente de l'argent public.
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Michel Charasse. Bref, si les contrôles doivent évidemment sanctionner les manquements graves, ils doivent aussi permettre aux citoyens de connaître la vérité, à l'autorité judiciaire de disposer du matériau nécessaire pour les condamnations pénales, aux élus locaux de bénéficier de précieux conseils pour remplir leurs fonctions selon la loi et selon les instructions reçues du suffrage universel et des assemblées locales, au pays enfin d'assurer en toutes circonstances les besoins essentiels et urgents de la population et de la nation, ce qui implique qu'on tienne compte des circonstances locales liées à des catastrophes ou à des troubles et à l'obligation constitutionnelle d'assurer, quoi qu'il arrive, la continuité du service public et la sécurité des biens et des personnes.
Dans ces divers domaines, mes chers collègues, bien des points des lois de 1982 demandent des modifications et des adaptations : ne faut-il pas clarifier les textes afin d'exclure les contrôles d'opportunité, et donc la violation de la séparation des pouvoirs ? Ce n'est pas facile, notre collègue Paul Girod nous l'a dit tout à l'heure, et M. le rapporteur également. Ne faut-il pas, cependant, essayer ?
Ne faut-il pas mieux assurer encore les droits de la défense ? Ne faut-il pas fixer un délai de prescription plus raisonnable que les trente ans retenus par le Conseil d'Etat faute d'un texte approprié ? Ne faut-il pas assurer plus fortement l'indépendance de la juridiction en excluant du délibéré le commissaire du Gouvernement ? Ne faut-il pas supprimer la peine automatique d'inéligibilité des comptables de fait, puisque, depuis une récente décision du Conseil constitutionnel, notre droit financier n'est plus conforme à la Constitution ?
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Michel Charasse. Ne faut-il pas donner au gestionnaire de fait les mêmes moyens administratifs qu'au comptable public pour recouvrer les sommes indûment payées ? Ne faut-il pas veiller à ce que les activités des chambres n'interfèrent pas avec les périodes électorales ? Ne faut-il pas trancher la question de savoir si les lettres d'observation font ou non grief et si elles peuvent faire l'objet d'un appel alors que les élus locaux ne disposent pratiquement pas des moyens de faire prévaloir le droit en appel si la chambre persiste malgré les réponses de l'intéressé ? Ne faut-il pas interdire aux chambres de revenir indéfiniment sur la chose déjà jugée par elles ? Ne faut-il pas se demander si le gestionnaire de fait doit seul rembourser le débet alors qu'on pourrait poursuivre les bénéficiaires des fonds irréguliers ?
Je n'énumère pas, mes chers collègues, l'ensemble des questions qu'il faudra bien aborder dans ce débat ou dans le débat à venir pour procéder à un « toilettage » indispensable de l'oeuvre du législateur de 1982, législateur qui manquait alors cruellement et totalement d'expérience du contrôle financier local et de ses exigences - je fais appel aux souvenirs de ceux qui siégeaient au Sénat à l'époque - compte tenu des pratiques anciennes qui voulaient que le contrôle financier soit secondaire puisque les tutelles administratives réglaient presque tout en amont et que, finalement, seules « sortaient » les affaires les plus énormes dans le rapport annuel public de la Cour des comptes.
Nous aurons l'occasion d'aborder ces points, qui doivent rester essentiellement techniques, à travers la proposition de loi et les amendements des uns et des autres.
Le groupe socialiste abordera cette discussion avec un esprit ouvert et constructif, mais dans le respect des grands principes que j'ai rappelés au début de mon propos et sans négliger la nécessaire concertation avec le pouvoir exécutif, qui est lui aussi concerné par le bon fonctionnement local de la République.
Pour conclure, je voudrais dire un mot plus personnel, dont on comprendra qu'il n'engage pas mes amis politiques.
Lorsque je lis dans Les Echos de ce matin qu'un délégué syndical des magistrats des chambres aurait déclaré que la réforme proposée par notre assemblée marquait « la volonté manifeste de certains élus de soustraire leur action à tout contrôle » - ce sont les termes mêmes qui sont employés dans le journal Les Echos ...
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. C'est honteux !
M. Michel Charasse. ... je me dis que, décidément, certains magistrats de ces jeunes juridictions, qui n'ont pas encore vingt ans, n'auront pas attendu longtemps - deux cents ans, comme les autres ! - pour rejoindre la cohorte des magistrats de l'ordre judiciaire, ou de ceux d'entre eux, en tout cas, qui confondent justice et vengeance, et rêvent avec nostalgie du bon vieux temps des parlements de la monarchie. (Sourires.)
Tout cela me rappelle les propos, que nous avons dénoncés ici même, voilà six mois, d'un président de syndicat de magistrats, qui avait déclaré que, au fond, le refus du Sénat de soutenir la révision constitutionnelle tenait à la volonté des sénateurs de se protéger. Notre bureau avait protesté. Le garde des sceaux n'a rien fait de notre protestation. Mais il faut bien, au moins, que quelqu'un le remarque à cette tribune !
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Michel Charasse. Et je ne suis pas plus près d'accepter de ce monsieur ce que je n'ai pas accepté, hier, de cet autre monsieur !
MM. Jean-Pierre Schosteck et Gérard Braun. Très bien !
M. Michel Charasse. En tout cas, ce genre d'attaque basse et méprisante démontre que, comme certains dans l'ordre judiciaire, certains dans l'ordre financier ont du mal à comprendre et à accepter les règles de la République.
Car lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre les grands principes de la République dans le domaine des institutions publiques, ceux de 1789, de 1790, de 1946 et de 1958, on entend toujours, au fond, mes chers collègues, deux sortes d'avocats : ceux des corporations et des intérêts particuliers propres à ces institutions, qui viennent hurler leur égoïsme sous nos fenêtres, et ceux qui plaident au nom de la République, de ses principes et de ses institutions, et qui sont chargés de les mettre en oeuvre, entendez le Gouvernement et le Parlement, qui ne sont, dans ces domaines, les avocats de personne d'autre que de la République et qui ne sont au service d'aucun intérêt particulier.
Faut-il répondre aux basses attaques de ceux pour qui le devoir de réserve s'arrête là où commencent leurs petits intérêts ?
Mes chers collègues, je crois que ce serait s'abaisser, ne leur en déplaise, car nous ne jouons pas vraiment dans la même cour ! Mais qu'on me permette de dire que, en emboîtant le pas aux vieilles antiennes corporatistes des magistrats les plus activistes de l'ordre judiciaire - puisque Les Echos nous apprennent que les syndicats des magistrats des deux ordres, judiciaire et financier, ont fait la jonction pour nous dénier le droit de faire la loi - ceux des magistrats de ces jeunes juridictions financières qui s'acoquinent avec ceux des plus anciens tribunaux ont subitement pris un sacré « coup de vieux » !
Et pis encore : leur protestation vise, en réalité, une disposition votée par l'Assemblée nationale, dont nous aurons à connaître, qui les oblige à la mobilité tous les sept ans. Mesure sans doute de bonne gestion, donc d'économie, peut-être comparable, madame la secrétaire d'Etat, à celles que les chambres suggèrent parfois aux élus locaux ! l'arroseur arrosé, en quelque sorte !
Ces quelques mots étaient juste pour me faire plaisir et n'engagent évidemment pas ceux de mes collègues et amis du groupe socialiste qui n'ont pas pour les magistrats qui prétendent exercer la souveraineté nationale à la place du peuple et de ses élus la même irrévérence républicaine que moi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On a la même, mais on ne généralise pas !
M. Michel Charasse. Je me suis attaché à utiliser le mot « certains » parce que je savais que vous seriez en séance, cher Dreyfus-Schmidt !
Ne nous trompons pas de débat. Il s'agit, mes chers collègues, de réformer les chambres régionales des comptes pour qu'elles remplissent mieux la mission que la République leur confie pour le compte de la souveraineté nationale et à laquelle s'emploient, avec dignité, la plupart de leurs magistrats.
Il ne s'agit ni de faire plaisir aux élus locaux par un laxisme excessif ni de complaire à la poignée de magistrats excités des chambres régionales des comptes qui en demandent toujours plus pour pouvoir trancher, au final, à la place du peuple. Il s'agit d'éviter qu'à la faveur des modes et de la pensée unique on ne conduise les Français à douter d'une démocratie représentative parce que quelques petits « saints » portant le beau nom de « magistrat » sèmeraient le doute dans l'esprit civique sur le thème facile du « Tous pourris ! ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Michel Charasse. Quant au vote final du groupe sur le texte que nous examinons, il sera naturellement fonction de ce qui sortira de nos délibérations. (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, accompagnant le mouvement de décentralisation de 1982, le législateur a mis en place un contrôle juridictionnel de proximité des comptes des collectivités locales.
Ainsi, en contrepartie de la suppression de ce qu'il était convenu d'appeler la « tutelle » préfectorale a priori des actes des collectivités, et compte tenu de l'élargissement des compétences de celles-ci, une chambre régionale des comptes a été instituée dans chaque région.
Ayant pour mission de juger les comptes, d'examiner la gestion et de concourir au contrôle des actes budgétaires des collectivités et de leurs établissements publics, les juges des chambres régionales des comptes sont la traduction du principe constitutionnel consacré à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Ces juges remplissent un rôle essentiel en informant la population sur l'utilisation de l'argent public. Ils améliorent ainsi la participation des citoyens à la gestion de leur vie quotidienne.
L'objectif affiché était donc bien, dès le départ, que la démocratie locale sorte renforcée par ce dispositif.
Or, au terme de près de vingt ans, la manière dont certaines chambres exercent leurs investigations et communiquent leurs conclusions suscite aujourd'hui de vives réactions de la part des responsables locaux.
Ces derniers ne contestent pas la nécessité d'un contrôle a posteriori des collectivités locales. Les critiques formulées par les juges financiers sont parfois justifiées.
Il n'est en effet pas question de considérer que les élus, parce qu'ils détiennent leur mandat du suffrage universel, peuvent faire tout ce qu'ils veulent durant leur mandat, et ce sans contrôle.
Les chambres régionales des comptes ont effectivement mis en évidence certaines irrégularités des collectivités locales. Les sanctions sont alors légitimes.
Mais, les élus honnêtes - il ne s'agit pas ici de protéger ceux qui ne le sont pas - déplorent, à juste titre, deux tendances qui se sont fait jour.
La première tendance est celle des chambres à ne mettre en avant que ce qui ne va pas, sans relativiser l'éventuelle proportion de ce qui pose problème par rapport à l'ensemble de la gestion locale, et en faisant trop souvent abstraction du contexte dans lequel s'inscrit cette gestion. Cela fausse la perception que nos concitoyens peuvent avoir de l'engagement de leurs élus dans la gestion de leur collectivité et des difficultés qu'ils rencontrent.
Le contexte dans lequel s'exercent les mandats locaux est en effet de plus en plus complexe, nous le savons tous, mes chers collègues, du fait, notamment, de l'inflation des normes juridiques - nous en sommes d'ailleurs largement responsables...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. José Balarello. ... du fait également de l'extension croissante du champ des responsabilités des élus et de la pénalisation exagérée de notre droit.
Les collectivités sont bien souvent insuffisamment armées pour y faire face, madame la secrétaire d'Etat. C'est pourquoi, quand la gestion est bonne, il faut le reconnaître et le dire.
La seconde tendance qui inquiète les élus est celle des chambres régionales des comptes à effectuer des contrôles d'opportunité. En effet, les chambres n'ont pas à émettre d'appréciations sur le bien-fondé des choix politiques des élus, qui sont - on l'a déjà dit à cette tribune - du ressort du suffrage universel.
Par conséquent, je suis favorable à l'article 1er du texte proposé par la commission des lois, qui précise le contenu de l'examen de la gestion opéré par les chambres régionales des comptes, en supprimant le contrôle d'opportunité.
De plus, il faut avoir à l'esprit que les chambres régionales des comptes détiennent des pouvoirs exorbitants du fait des conséquences que peuvent engendrer leurs seules observations.
La réputation des élus est à la merci des observations provisoires des chambres, dont la presse fait souvent état sans les replacer dans un contexte général de gestion.
Or ce dialogue entre les élus et les chambres mériterait d'être favorisé sans être mis sur la place publique. Il ne peut être que bénéfique à la démocratie locale.
La crise des candidatures aux élections municipales, que nous observons dans tous les sondages, est révélatrice du malaise des élus, qui supportent de plus en plus difficilement d'être la cible des juridictions administratives, juridiques ou financières pour des délits non intentionnels.
Les élus sont confrontés à l'impossibilité d'avoir des services compétents mais également à la méconnaissance de règles administratives ou jurisprudentielles qui ont évolué rapidement ces dix dernières années et dont même les magistrats n'ont pas connaissance avant de les apprendre, comme les avocats, d'ailleurs - j'ai exercé cette profession pendant trente-cinq ans -, à la faveur de l'étude d'un dossier.
Aussi, si la commission des lois a supprimé les premiers articles de la proposition de loi, qui tendaient à créer le groupement d'intérêt public pour l'aide à la gestion des collectivités, considéré comme trop lourd, il n'en reste pas moins vrai que l'idée développée par notre rapporteur était bonne, car ce besoin de sécurité juridique se fait de plus en plus sentir, et il nous faudra trouver une solution, madame la secrétaire d'Etat, autre qu'individuelle et au coup par coup, car les avocats spécialisés en cette matière sont peu nombreux, voire inexistants.
Les autres articles sont approuvés par nous, car ils améliorent les procédures devant les chambres régionales et l'usage du « contradictoire », et ils interdisent la publicité des observations provisoires.
Cependant, les dispositions du titre III sur l'inéligibilité, si elles vont dans le bon sens, sont, à notre avis, trop timorées. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé deux amendements qui ont le mérite de la simplicité. Des amendements émanant d'autres groupes de la Haute Assemblée vont d'ailleurs dans le même sens.
Depuis quelque temps déjà, en effet, je me suis rendu compte de l'ignorance de presque tous, y compris les élus, sur les raisons pour lesquelles un élu déclaré comptable de fait devenait inéligible.
Tout simplement, mes chers collègues, le code électoral, dans ses articles L. 195 et L. 231 - nous en reparlerons lors de l'examen de nos amendements - a voulu éviter que les comptables receveurs municipaux ou départementaux se présentent aux élections contre le maire ou le conseiller général. C'est - pardonnez-moi l'expression - aussi bête que cela ! Ils sont énumérés entre les inspecteurs d'académie et les directeurs des postes ou les policiers et les chefs de bureau de préfecture.
Un troisième amendement déposé par mes soins a été accepté par la commission des lois.
De quoi s'agit-il ? Mes chers collègues, l'inéligibilité est une sanction grave et injustifiée, lorsqu'il n'y a pas de délit - pénal, entendons-nous bien ! - reproché au maire ou au président de conseil général ou de conseil régional.
Mais il y a plus grave pour les élus, et ce même si beaucoup n'en sont pas conscients, car ils méconnaissent les problèmes posés par le non-respect de la séparation des ordonnateurs et des comptables, vieux principe datant de frimaire ou de vendémiaire an III et des ordonnances royales de 1822, 1838 et 1862, et qui peut entraîner la responsabilité financière de l'élu et la saisie de ses biens personnels, c'est-à-dire une mise en débet, dans le cas où il est déclaré comptable de fait, et ce alors qu'il n'y a aucune malversation de sa part et que, de surcroît, la collectivité concernée a reconnu le « caractère d'utilité publique de la dépense ».
Comment, dans ce cas, peut-on saisir le patrimoine ou le salaire de l'élu concerné ?
Même les présidents des chambres régionales des comptes sont conscients - ils me l'ont dit - du « trou législatif » qui existe. Ils demandent au législateur que nous sommes d'élaborer un texte qui leur permette de ne pas ruiner certains élus locaux qui ne sont coupables d'aucune marlversation.
En effet, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la gestion de fait étant une gestion irrégulière des deniers publics, le but de l'opération de déclaration de gestion de fait est d'aboutir à une régularisation des dépenses permettant d'octroyer au comptable de fait le quitus de gestion, c'est-à-dire de lui délivrer en quelque sorte un certificat de régularisation des dépenses opérées.
Cependant, dans cette procédure de gestion de fait, déjà complexe, une étape importante, qui en constitue le point central, est la reconnaissance d'utilité publique des dépenses, qui, comme l'indique d'ailleurs M. Michel Lascombe dans la Revue française des finances publiques de juin 1999, « est sans doute l'une des étapes les plus mystérieuses ».
Afin de rationaliser et de « juridiciser » cette étape, il convient de lui rendre son rôle primordial dans la procédure, afin de donner une sécurité juridique et comptable au comptable de fait mis en cause. Car, actuellement, celui-ci peut obtenir la reconnaissence de l'utilité publique des dépenses et se voir in fine - c'est tout de même assez paradoxal ! - déclarer en débet par la chambre régionale des comptes, qui pourra refuser d'allouer certaines dépenses, c'est-à-dire en rejeter certaines, pour les laisser à la seule charge du comptable de fait, sans que l'organisme public ayant conféré et reconnu l'utilité publique des dépenses puisse le suppléer.
Dans ce cas, le comptable de fait, bien qu'ayant vu les dépenses reconnues d'utilité publique, n'aura plus comme recours qu'à demander une remise gracieuse ou à entamer des contentieux fondés sur la notion d'enrichissement sans cause ou en répétition de l'indu, ce que le droit romain désigne sous le terme d'action de in rem verso .
A moins, mes chers collègues, que ne s'impose à tous la jurisprudence initiée par l'arrêt de la Cour des comptes du 7 octobre 1993 dans le dossier de la mairie de Salon-de-Provence ! Une écriture législative me paraît toutefois souhaitable.
Je remercie donc les signataires de cette proposition de loi, qui ont fait oeuvre utile, puisqu'elle nous a permis de faire prendre en compte par tous les réalités concrètes auxquelles les élus locaux sont confrontés. Ces réalités sont largement méconnues dans le public. Mais n'est-ce pas notre faute à nous, parlementaires, et à l'Association des maires de France s'il y a un déficit de communication assez considérable en la matière ?
Au bénéfice de ces explications, le groupe des Républicains et Indépendants, qui débattra des amendements avec la plus grande ouverture d'esprit, soutiendra le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont l'examen vous est proposé est, comme l'ont rappelé MM. Amoudry et Oudin, le fruit d'un travail long et intense, auquel un certain nombre d'entre vous ont participé. Il faut le souligner, comme doit l'être toute démarché, toute action guidée par le souci d'améliorer le fonctionnement de nos institutions et donc de notre démocratie.
Dès sa prise de fonction, le Gouvernement s'est trouvé confronté à l'émergence d'un mouvement social qui affectait les chambres régionales des comptes et qui était important au regard du nombre de magistrats qui l'ont animé.
Ce mouvement trouvait son origine dans l'adoption par le Parlement, le 26 mars 1997, d'une refonte du statut des conseillers des tribunaux administratifs, qui plaçait ceux-ci dans une situation de carrière plus favorable que celle des magistrats des chambres régionales des comptes.
Légitimement, ceux-ci ont manifesté leur inquiétude devant cette distorsion d'autant plus incompréhensible que les missions et l'organisation de ces deux institutions sont très largement comparables.
Dans ces conditions, le Gouvernement s'est attaché à mettre en oeuvre la réforme du statut des conseillers des chambres régionales des comptes, qui a été adoptée en conseil des ministres le 29 décembre 1999, déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale et adoptée par celle-ci en première lecture le 30 mars dernier. M. Oudin a bien voulu souligner le caractère nécessaire et, bien sûr, positif de ce projet.
Pour autant, le Gouvernement ne s'est pas désintéressé des missions et des procédures des chambres régionales des comptes, qui font clairement partie du bloc de décentralisation, comme l'a très judicieusement rappelé M. Charasse.
C'est ainsi que, prenant en compte le souci exprimé par l'Assemblée nationale de légiférer sans délai dans le sens d'une stabilisation des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, le Gouvernement a accepté l'introduction de deux articles dans le projet de loi statutaire, comme l'a rappelé Mme Borvo.
Toutefois, et les travaux que vous avez menés en la matière l'ont bien montré, cette stabilisation des relations et des procédures, somme toute naturelle pour une institution de création récente, implique une approche globale, alors que nous sommes aujourd'hui face à des initiatives dispersées et multiples.
Dispersées, car, outre la présente proposition de loi issue du groupe de travail du Sénat, il existe une autre proposition de loi, qui émane d'un député, M. Nicolin.
Multiples, parce que, si votre proposition de loi est principalement consacrée à l'une des missions qui sont confiées aux chambres régionales des comptes, à savoir l'examen de la gestion, la plus grande part des amendements qui ont été déposés sur ce texte sont centrés sur une autre mission, qui est le jugement des comptes, au travers de la procédure de gestion de fait, dont le radicalisme des conséquences peut, effectivement, inquiéter un certain nombre d'élus.
Ces diverses initiatives méritent un examen d'ensemble afin de préserver les objectifs de clarification, de lisibilité et de stabilisation que le Gouvernement, avec la représentation nationale, a le souci d'atteindre.
C'est pourquoi il paraît préférable de les examiner dans un cadre cohérent.
Le projet de loi statutaire peut apparaître, de ce point de vue, comme le meilleur vecteur, dans la mesure où il a été élargi, je viens de l'indiquer, à des dispositions qui touchent aux procédures qui sont applicables devant les chambres régionales des comptes.
Il va de soi que toute adjonction à ce projet ne peut se concevoir qu'à la condition qu'elle ne se traduise pas par le report de l'adoption du nouveau statut, à laquelle les magistrats des chambres régionales des comptes, de la Cour des comptes, le Gouvernement et le Parlement sont attachés.
Pour autant, ne vous méprenez pas sur mes propos : il n'est pas dans l'intention du Gouvernement de reporter sine die l'examen de ces différentes initiatives.
Je voudrais, pour vous en convaincre, m'attarder sur les dispositions qui ont été adoptées dans le cadre du projet de loi statutaire car elles répondent pleinement, me semble-t-il, à un point qui figure au coeur de vos préoccupations, exprimées dans le texte qui est aujourd'hui présenté devant la Haute Assemblée.
Ces dispositions, quelles sont-elles ?
En premier lieu, les observations des chambres régionales des comptes ne peuvent être arrêtées définitivement qu'après réception des réponses écrites des personnes concernées, auxquelles est accordé à cet effet un délai de deux mois, ou, à défaut, à l'expiration de ce délai.
En second lieu, les observations définitives des chambres régionales des comptes prennent la forme d'un rapport d'observations auxquelles les personnes concernées se voient donner la possibilité de répondre par écrit sous un nouveau délai de deux mois. Dès lors que des réponses écrites sont apportées, elles sont annexées au rapport d'observations.
Ces dispositions, je tiens à le souligner, monsieur Paul Girod, pour répondre à la préoccupation que vous avez exprimée, sont d'une portée majeure en termes de démocratie puisque, d'une part, elles reviennent en quelque sorte à donner aux ordonnateurs le dernier mot et, d'autre part, elles livrent à l'électeur, au citoyen, dans un même document, le point de vue de la chambre régionale des comptes et celui de l'élu ou du dirigeant concerné, lui apportant ainsi tous les éléments pour se forger sa propre opinion.
Dans la grande majorité des cas, l'opinion du citoyen sur la gestion des collectivités locales est bonne. En effet, monsieur Oudin, vous avez raison, les collectivités locales n'ont pas à rougir de leur gestion l'Etat non plus d'ailleurs.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. C'est un peu différent !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Vous avez raison au moins sur deux points.
Tout d'abord, l'Etat doit être encore plus transparent, en dépit des progrès les plus récents qui ont été accomplis dans ce domaine. Par ailleurs, l'Etat - c'est vrai aussi - est encore lourdement déficitaire, même si sa situation s'est beaucoup améliorée au cours des trois dernières années, années de forte croissance.
L'Etat - j'en profite pour le rappeler - tient les engagements qu'il a contractés à l'égard des collectivités locales. Ainsi, le contrat de croissance et de solidarité qui a été conclu pour les années 1999-2001 leur assure-t-il des concours indexés sur une partie croissante d'une croissance elle-même de plus en plus forte.
J'en reviens au texte qui nous occupe cet après-midi et aux dispositions qui ont été adoptées lors de la première lecture du projet de loi statutaire à l'Assemblée nationale.
Vous avez pu constater que ces dispositions, qui renforcent le caractère contradictoire de la procédure, répondent à votre proposition qui forme l'article 7 et vont même au-delà, par le délai de deux mois qu'elles posent, quand cet article n'en prévoit qu'un. Elles constituent donc une forme de réponse à pas moins de six articles du texte dont nous discutons aujourd'hui, sur les quatorze qu'il comprend.
J'ajoute que l'article 5 qui est proposé a d'ores et déjà reçu application puisqu'il forme l'article 7 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
En conséquence, à l'examen de ce texte, je formulerai deux séries de réponses.
La première c'est que les dispositions législatives répondant en grande partie à des préoccupations qu'il exprime sont d'ores et déjà prises en compte ou sont en voie de l'être.
La seconde, c'est la nécessité, par souci de sécurité, de stabilité, de cohérence, d'examiner globalement les diverses initiatives existantes en ce qui concerne les procédures qui sont applicables devant les chambres régionales des comptes.
Ces initiatives doivent être examinées, débattues ensemble de manière que, même si elles ne sont pas toutes retenues, à l'issue des débats, il en naisse un ensemble cohérent et équilibré, sauf à remettre sans cesse, comme votre groupe de travail en a ressenti la nécessité, l'ouvrage sur le métier.
Pour cet ensemble de raisons, le Gouvernement souhaite le retrait de ce texte.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Ça, c'est une surprise !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier


DISPOSITIONS TENDANT À AMÉLIORER LES CONDITIONS D'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES ET À ASSURER UNE PLUS GRANDE SÉCURITÉ JURIDIQUE AUX ACTES DES COLLECTIVITÉS LOCALES

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - I. - Après le premier alinéa de l'article L. 211-8 du code des juridictions financières, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« L'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion et sur l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés par l'assemblée délibérante ou par l'organe délibérant sans que ces objectifs, dont la définition relève de la responsabilité exclusive des élus ou des délégués intercommunaux, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations.
« Les observations que la chambre régionale des comptes formule à cette occasion mentionnent les dispositions législatives ou réglementaires dont elle constate la méconnaissance. Elles prennent en compte expressément les résultats de la procédure contradictoire avec l'ordonnateur et celui qui était en fonctions au cours de l'exercice examiné ou le dirigeant ou tout autre personne nominativement ou explicitement mise en cause. L'importance relative de ces observations dans l'ensemble de la gestion de la collectivité ou de l'établissement public est évaluée. »
« II. - En conséquence, le début du dernier alinéa du même article est ainsi rédigé :
« La chambre régionale des comptes peut également... »
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. « Art. 2. - Le chapitre Ier du titre Ier de la première partie du livre II du code des juridictions financières est complété par un article L. 211-9 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-9. - Dans le cadre de la mission qui lui est confiée par l'article L. 211-8, la chambre régionale des comptes recense les difficultés auxquelles les collectivités locales ou établissements publics ont été confrontés dans l'application des dispositions législatives et réglementaires. Les constatations des chambres régionale des comptes sont insérées dans le rapport public annuel de la Cour des comptes dans les conditions fixées par les articles L. 136-2 et suivants. » - (Adopté.)