Séance du 11 mai 2000
CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 325,
1999-2000) de M. Jean-Paul Amoudry, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi (n° 84, 1999-2000) de MM.
Jacques Oudin, Jean-Paul Amoudry, Philippe Marini, Patrice Gélard, Joël
Bourdin, Paul Girod et Yann Gaillard tendant à réformer les conditions
d'exercice des compétences locales et les procédures applicables devant les
chambres régionales des comptes.
Avis (n° 334, 1999-2000) de M. Jacques Oudin.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
« Le temps
mûrit toute chose ; le temps est père de vérité. » Cette réflexion de Rabelais,
qui savait, lui aussi, donner du temps au temps, illustre parfaitement,
monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
méthode retenue pour l'élaboration de la présente proposition de loi, dont
l'objet principal est de rénover les modalités d'exercice de l'examen, par les
chambres régionales des comptes, de la gestion des collectivités locales.
En effet, loin d'être un texte de circonstance, ou d'humeur, cette proposition
de loi est le produit d'une réflexion approfondie et sereine, en même temps que
le fruit d'un travail patient et volontaire.
J'aurai même la faiblesse de penser que la procédure retenue pour
l'élaboration de cette proposition de loi, avec ses aller et retour entre la
réflexion, la consultation et la concertation, est un exemple achevé de la
méthode sénatoriale.
Qu'on en juge ! C'est dans la proposition de loi déposée voilà plus de trois
ans, en février 1997 par nos collègues Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois
que le présent texte trouve son origine.
L'objet de cette proposition de loi, qui consistait à exclure de l'examen de
la gestion d'une collectivité locale par une chambre régionale des comptes «
les choix de gestion qui résultent des délibérations prises par l'assemblée
délibérante de cette collectivité », portait la marque d'un contexte de
défiance à l'égard de certaines attitudes des juridictions financières dans la
mise en oeuvre de l'examen de la gestion des collectivités locales.
Deux types de griefs étaient alors, déjà, formulés par les élus locaux. Ils
demeurent d'actualité.
En premier lieu, nombre d'élus déplorent l'absence d'articulation entre le
contrôle de légalité mis en oeuvre par les préfets et l'examen de la gestion
des collectivités locales opéré par les chambres régionales des comptes. Cette
lacune constitue, à l'évidence, un facteur d'insécurité juridique pour les élus
locaux.
En second lieu, des responsables locaux contestent certaines pratiques des
chambres régionales des comptes. Ce reproche vise, tout d'abord, la
médiatisation excessive dont font parfois l'objet les lettres d'observations
provisoires, alors même qu'elles peuvent être démenties dans la suite de la
procédure, sans que le démenti en question bénéficie pour autant d'une
publicité comparable.
Par ailleurs, les élus locaux contestent, à juste titre, l'absence, encore
trop fréquente, de hiérarchisation des observations formulées par les chambres
régionales des comptes sur la gestion des collectivités. Tout se passe comme si
les juridictions financières ne mettaient l'accent que sur les seuls points
négatifs sans les resituer dans l'ensemble de la gestion des collectivités. De
fait, les chambres régionales des comptes, qui n'ont aucune obligation de
dresser un bilan objectif de la gestion locale, s'interdisent le plus souvent
de le faire.
Enfin, de nombreuses voix s'élèvent contre une dérive, réelle ou supposée,
vers un contrôle de l'opportunité des choix politiques - au sens noble du terme
- effectués par la collectivité locale.
Tel est le contexte de malaise qui a présidé à la prise de conscience par
notre assemblée du « vécu », parfois conflictuel, de l'exercice du contrôle de
gestion.
Afin de restituer toute sa sérénité à ce débat essentiel pour l'avenir de la
décentralisation, le président Christian Poncelet, à l'époque président de la
commission des finances, et M. Jacques Larché, président de la commission des
lois, ont proposé à leurs commissions respectives, qui les ont suivis, de créer
un groupe de travail commun aux deux commissions.
Pendant près d'un an, d'avril 1997 à mars 1998, le groupe de travail que
j'avais l'honneur de présider et dont le rapporteur était notre excellent
collègue Jacques Oudin a procédé à l'audition de tous les acteurs du contrôle
financier : M. le Premier président et Mme le procureur général près la Cour
des comptes, les représentants des juridictions financières, les associations
d'élus locaux, les représentants du corps préfectoral, les comptables publics,
les avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales et, enfin,
les représentants des fonctionnaires territoriaux.
Ce travail d'information, de consultation et de concertation a débouché sur la
rédaction d'un rapport d'information, dont les préconisations ont été adoptées,
à l'unanimité, par les deux commissions, en juin 1998.
Aujourd'hui, nous débattons des recommandations d'ordre législatif de ce
rapport d'information, dont la présente proposition représente la traduction
fidèle.
Cette proposition de loi n'est donc pas le fruit de l'improvisation ou de la
précipitation.
Elle ne marque pas, non plus, un recul par rapport aux principes fondateurs de
la décentralisation.
Elle n'est pas davantage dictée par une quelconque tentation d'affranchir les
collectivités locales du contrôle des chambres régionales des comptes.
Bien au contraire, les membres du groupe de travail et les auteurs de la
présente proposition de loi sont profondément convaincus de la nécessité d'un
contrôle
a posteriori
des actes des collectivités locales.
Ils rappellent que ce contrôle, qui s'inscrit dans le droit-fil de l'article
XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, aux
termes duquel la société « a le droit de demander compte à tout Agent public de
son administration », constitue l'un des piliers les plus anciens et les plus
fondamentaux de notre démocratie.
En outre, les auteurs de la proposition de loi considèrent que le renforcement
de l'autonomie et des responsabilités des collectivités locales, qui sont
devenues - grâce à la décentralisation - des acteurs majeurs de la vie
économique et sociale de notre pays, trouve sa contrepartie naturelle et
légitime dans l'instauration du contrôle financier.
Pour nous, ce contrôle, qui participe d'une mission de régulation de la
décentralisation, constitue un indéniable facteur de transparence de la gestion
publique locale.
Trêve de faux procès ! Trêve de procès d'intention ! Le contrôle financier,
incontestable et incontesté dans son principe, n'en demeure pas moins
perfectible dans ses modalités d'exercice. Tel est précisément l'objet de la
présente proposition de loi : il s'agit de normaliser les relations entre les
élus locaux et les chambres régionales des comptes, afin de conférer au
contrôle financier toute sa légitimité démocratique et, partant, toute son
efficacité au service de la transparence de la gestion publique locale.
C'est dans cet esprit, et avec le souci de renforcer la sécurité juridique des
actes des collectivités locales, que le groupe de travail avait envisagé de
compléter les compétences actuelles des chambres régionales des comptes par une
mission de conseil aux collectivités locales, mais cette idée, séduisante, dont
la concrétisation aurait pu modifier de manière durable et bénéfique le climat
des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, est
apparue comme une fausse bonne idée.
Son application se serait en effet heurtée à des obstacles humains, en raison
des effectifs actuels de magistrats des chambres régionales des comptes, et à
des objections juridiques issues de l'impossibilité d'être à la fois « juge et
partie ».
Les auteurs de la proposition de loi ont donc imaginé une solution de repli
qui aurait pu consister à confier cette mission de conseil à un groupement pour
l'aide à la gestion des collectivités territoriales, constitué sous la forme
d'un groupement d'intérêt public. Cependant, la commission des lois, qui s'est
émue, à juste titre, du risque de création d'une « structure lourde et à
l'efficacité douteuse », a préféré retirer cet article des conclusions qu'elle
nous soumet.
Le problème de l'amélioration de l'information de nos collectivités, afin de
faire reculer l'insécurité juridique, demeure donc entier et conserve toute son
acuité.
Il me semble que le Sénat serait fidèle à son « bonus constitutionnel » de
représentant des collectivités territoriales de la République s'il apportait,
dans le cadre des travaux de sa mission d'information sur la décentralisation,
une solution satisfaisante à ce lancinant problème.
En définitive, les conclusions de la commission des lois sont animées par une
double volonté : d'une part, rénover les conditions d'exercice de l'examen de
la gestion des collectivités locales ; d'autre part, renforcer les garanties
dont doit bénéficier la collectivité contrôlée.
L'objectif de rénovation des conditions d'exercice du contrôle financier se
traduit principalement par une définition législative de l'objet et du contenu
de l'examen de la gestion d'une collectivité locale.
C'est ainsi que l'article 1er du texte soumis à notre appréciation édicte un «
code du bon usage » de l'examen de gestion. Il précise que l'examen de la
gestion porte, d'abord et principalement, sur la régularité de cette gestion,
c'est-à-dire sur la conformité des actes examinés aux lois et règlements en
vigueur.
Cet examen peut également porter sur la qualité de la gestion, c'est-à-dire
sur l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés, mais
sans que ces objectifs, dont la définition relève de la responsabilité
exclusive des élus, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations ou
d'appréciations.
Cette précision législative, qui constitue une sorte de garde-fou légal,
devrait permettre de prévenir tout risque de dérive vers un contrôle
d'opportunité, inconciliable avec les principes démocratiques de libre
administration des collectivités locales, réaffirmés par les lois fondamentales
de 1982.
Par ailleurs, l'article 1er prévoit que les lettres d'observations définitives
doivent prendre en compte les résultats de la procédure contradictoire avec
l'ordonnateur concerné.
Enfin, les observations définitives formulées par les chambres régionales des
comptes devront être replacées dans l'ensemble de la gestion examinée.
Autrement dit, elles devront être hiérarchisées. C'est à cette condition
qu'elles pourront remplir une utile mission d'aide à la gestion.
Second objectif de la proposition de loi, il s'agit de renforcer les garanties
dont bénéficie la collectivité contrôlée.
Plusieurs des mesures qui vous sont proposées témoignent de cette volonté. Il
en est ainsi de l'extension aux chambres régionales des comptes du régime de
non-communication des documents préparatoires, d'ores et déjà en vigueur pour
les documents préparatoires d'instruction de la Cour des comptes, ou de
l'institution, à l'approche des élections locales, d'une période de neutralité
de six mois, se traduisant par une suspension de l'envoi et de la publication
des lettres d'observations définitives, ou encore de l'affirmation du caractère
contradictoire de la procédure.
Toutes ces avancées répondent, à l'évidence, à un besoin exprimé par les élus
locaux, comme en témoignent les adjonctions opérées par nos collègues députés
lors de l'examen du projet de loi relatif au statut des magistrats
financiers.
Mais la pièce maîtresse du dispositif proposé par le présent texte est, sans
contexte, l'ouverture aux collectivités locales de la faculté de déférer au
Conseil d'Etat les lettres d'observations définitives, par la voie du recours
pour excès de pouvoir. Pour aboutir à ce résultat, la proposition de loi
reconnaît aux lettres d'observations définitives le caractère d'actes «
susceptibles de faire grief ».
Cette qualification juridique mettrait fin à un vide juridique ou
juridictionnel puisque, actuellement, les lettres d'observations définitives ne
constituent ni des décisions juridictionnelles ni des décisions
administratives. Une telle situation, qui assimile les lettres d'observations
définitives à de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours,
est choquante au regard des impératifs de l'Etat de droit, notamment le respect
des droits de la défense.
Par ailleurs, il est loisible d'estimer que, si les lettres d'observations
définitives ne modifient pas immédiatement la situation juridique des personnes
physiques ou morales concernées, elles emportent néanmoins des effets
incontestables sur les conditions d'exercice de leurs mandats par les
ordonnateurs, sur le déroulement des travaux de l'assemblée délibérante ou
encore sur les tiers.
En outre, la qualification reconnue dans la proposition de loi parachève une
évolution caractérisée, en premier lieu, par un délin inexorable, et
souhaitable, des actes insusceptibles de recours et, en second lieu, par une
publicité croissante des lettres d'observations définitives qui, depuis
l'intervention des lois de 1990 et de 1995, doivent être communiquées à
l'assemblée délibérante et aux tiers.
C'est précisément cette « externalisation » croissante des observations
définitives, induite par une publicité sans cesse plus large, qui a rendu
impossible le maintien de la fiction de leur caractère de simples mesures
d'ordre intérieur.
En outre, la matière se caractérise par une nouvelle approche du Conseil
d'Etat, comme en témoigne l'arrêt Société Métal Labor, du 22 février 2000.
En l'espèce, le Conseil d'Etat a annulé une décision juridictionnelle de la
Cour des comptes au motif que l'affaire avait été précédemment évoquée dans le
rapport public, dans lequel l'irrégularité des faits avait été relevée. Ce
faisant, le Conseil d'Etat a reconnu que le rapport public de la Cour des
comptes, auquel peuvent être assimilées les lettres d'observations définitives,
n'était pas dépourvu de portée juridique.
Enfin, l'argument invoqué par certains selon lequel l'octroi aux lettres
d'observations définitives de la qualité d'actes susceptibles de faire grief
serait incompatible avec le principe de la libre administration des
collectivités locales, ne me paraît ni déterminant ni convaincant.
L'anomalie au regard de l'autonomie locale semble constituée moins par cette
qualification que par la situation actuelle, caractérisée par l'impossibilité,
pour les collectivités locales, de faire valoir leur défense.
Dois-je enfin préciser que l'appel devant le Conseil d'Etat n'est pas
suspensif ?
Pour être exhaustif, il m'appartient de mentionner également les dispositions
qui modifient plusieurs articles du code électoral pour remplacer la démission
d'office de l'ordonnateur reconnu comptable de fait par une procédure de
suspension des fonctions de l'ordonnateur jusqu'à l'apurement de la situation
de gestion de fait. Cette mesure tire les conséquences d'une jurisprudence du
Conseil constitutionnel établie le 15 mars 1999.
Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, l'économie et les principales orientations de la proposition de loi
que nous avons l'honneur, Jacques Oudin et moi-même, de rapporter devant
vous.
Comme nous espérons vous en convaincre tout au long de la discussion à venir,
le texte soumis à votre appréciation prévoit un dispositif mesuré et équilibré
qui devrait nous permettre d'aboutir au progrès recherché, c'est-à-dire à
rendre le contrôle financier et l'examen de la gestion plus légitimes aux yeux
des élus locaux et plus utiles à la gestion locale.
Il s'agit, au-delà du contrôle
stricto sensu,
de développer un
dialogue constructif entre les chambres régionales des comptes et les élus
locaux, ainsi que de favoriser l'émergence d'une culture de l'évaluation de
l'action publique locale.
A mon sens, c'est à ce prix que la décentralisation et la démocratie locale
pourront réaliser les nouvelles avancées qu'attend la société française au
seuil du xxie siècle.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la séance de cet après-midi, comme
vient de le rappeler notre collègue Jean-Paul Amoudry, constitue
l'aboutissement de trois années de partenariat étroit entre les deux
commissions des lois et des finances, trois années pendant lesquelles, au nom
de nos deux commissions, nous avons essayé de faire avancer le dossier des
chambres régionales des comptes.
C'est peut-être le moment de rappeler que la Haute Assemblée a toujours été
favorable à la plus grande clarté des comptes à tous les échelons, quels qu'ils
soient.
J'aurai l'occasion de le redire, c'est dans cet hémicycle que des amendements
ou des projets de loi ont été débattus, de façon que la Cour des comptes et
l'ensemble des juridictions financières puissent jouer pleinement leur rôle
dans tous les aspects de la vie publique.
Si la Cour des comptes a le rôle qu'elle a aujourd'hui dans l'examen des
comptes sociaux, si les comptes des collectivités locales peuvent être mieux
examinés grâce à une comptabilité plus claire, l'apport de la Haute Assemblée
aura été, à cet égard, tout à fait déterminant. Je tenais à le dire, parce que
personne ne pourra accuser le Sénat d'avoir mis la moindre entrave, jamais, en
quoi que ce soit, à l'exercice du contrôle financier dans tous les domaines.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière pour rappeler l'historique de cette
initiative. Tout a commencé en 1997, quand les présidents respectifs des
commissions des lois et des finances, à l'époque MM. Jacques Larché et
Christian Poncelet, ont considéré que le renforcement du contrôle financier des
collectivités locales constituait - c'est toujours vrai - le corollaire
indispensable de l'approfondissement de la décentralisation, qu'il fallait
aller dans le sens d'un meilleur contrôle pour une meilleure décentralisation,
mais que les relations avec les chambres régionales des comptes et des élus
locaux ne présentaient pas toujours le degré de sérénité souhaitable.
Les deux présidents ont alors décidé la création de ce groupe de travail
commun sur les chambres régionales des comptes qu'a présidé M. Amoudry et dont
j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Nous avons rendu notre rapport en juin
1998. A l'évidence, le Sénat a pris un train de sénateurs pour nourrir sa
réflexion !
(Sourires.)
Nos conclusions ont servi de fondement à l'élaboration de la présente
proposition de loi, qui n'a été déposée que plusieurs mois plus tard, à l'issue
de nouvelles réflexions. Vous constaterez que, bien qu'elle ait été signée par
les membres du groupe de travail appartenant à la majorité sénatoriale, elle
suscite toutefois des remarques convergentes de la plupart des sensibilités
représentées dans cet hémicycle.
Aujourd'hui, le rapport du groupe de travail est devenu un document de
référence et, avant même d'être introduites dans notre droit, ses conclusions,
reprises dans la proposition de loi, ont déjà fait oeuvre utile.
Elles ont permis, en effet, d'engager un vaste débat, et j'entends par là un
échange rationnel et serein, et non les invectives que nous avons les uns et
les autres pu lire dans certains organes d'information ou à la suite de
certaines conférences de presse.
M. Michel Charasse.
Scandaleux !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Je vous laisse la paternité de ce qualificatif, mon
cher collègue !
M. Michel Charasse.
Il va directement dans le sens de ce que vous venez de dire !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Absolument !
Ces propositions ont donc permis d'engager un vaste débat, dont le principal
enseignement est la nécessité, désormais reconnue par tous, de remettre en
cause le
statu quo.
Il y a quelques mois encore, la simple évocation
d'une modification des règles applicables aux chambres régionales des comptes
pouvait être assimilée à une volonté de museler les juges.
Je suis persuadé que, d'ores et déjà, il n'est plus personne pour le penser,
et que ce sera d'autant plus vrai à l'issue de nos débats.
Au-delà d'un constat partagé, les différentes parties prenantes du débat ont
évolué.
La Cour des comptes, d'abord, et je me permets de saluer la présence de son
Premier président dans notre tribune officielle. Dès juillet 1997, c'est-à-dire
quatre mois après le début des réflexions de notre groupe de travail, elle
adressait aux magistrats des chambres un « texte de référence », véritable
charte de déontologie fondée sur des principes proches de ceux que le groupe de
travail allait retenir. C'est donc bien que nous allions dans le sens d'une
amélioration de l'organisation et de meilleures procédures.
Le Gouvernement, ensuite, qui a décidé, un peu sous la pression des magistrats
des chambres,...
M. Michel Charasse.
« Pression » quel vilain mot !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
... lesquels avaient déclenché un important
mouvement de grève en 1999, de suivre une recommandation formulée à plusieurs
reprises par des rapports sénatoriaux et de mettre en adéquation le statut des
magistrats des chambres régionales des comptes avec les responsabilités qu'ils
exercent.
Cette demande d'alignement des deux statuts nous paraissait d'une telle
évidence que nous nous étonnions que cela n'ait pas été fait plus tôt. Un
projet de loi, actuellement en navette, prévoit d'harmoniser leur statut sur
celui des magistrats de tribunaux administratifs ; c'est le moins que l'on
pouvait faire.
Les députés, enfin, car, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur le
statut des magistrats, ils ont également repris à leur compte une proposition
du Sénat en adoptant un amendement prévoyant que les lettres d'observations
définitives, à l'image des rapports de la Cour des comptes, devront être
publiées avec les réponses des personnes contrôlées.
Au sein même de notre assemblée, à l'occasion de la discussion du projet de
loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, le groupe socialiste a déposé des amendements relatifs au régime de
la gestion de fait et aux conditions de l'examen de la gestion des
collectivités par les chambres régionales.
L'ensemble de ces initiatives montre que le chantier ouvert par les travaux du
groupe de travail de notre commission des lois et de notre commission des
finances méritait non seulement d'être entrepris, mais aussi mené à son terme.
Je suis persuadé que le Gouvernement en est pleinement conscient.
Dès lors, il paraît logique qu'il appartienne au Sénat, puisque celui-ci a
ouvert le débat, d'apporter des réponses globales et cohérentes aux questions
qu'il a conduit les uns et les autres à se poser, afin de permettre au contrôle
financier des collectivités locales de s'exercer dans les meilleures conditions
possibles et, surtout, dans le respect des grands principes du droit.
A ce stade, je tiens à rappeler que le Sénat est traditionnellement en pointe
s'agissant du contrôle et de la transparence des comptes publics. En tant que
rapporteur pour avis des crédits de la sécurité sociale, j'avais déposé un
amendement à la loi du 24 juillet 1994 sans lequel la Cour des comptes ne
réaliserait pas chaque année son rapport sur la loi de financement de la
sécurité sociale. Cela a été une grande avancée. C'est d'ailleurs l'époque où
j'avais également déposé une proposition de loi de réforme constitutionnelle
introduisant le Parlement dans le débat social, ce qui me paraissait être une
évidence.
Plus récemment, les initiatives de la commission des finances ont conduit
l'Etat à modifier la présentation de son budget, notamment en rebudgétisant des
dépenses qui en avaient été extraites. Je parle bien entendu des dépenses
sociales.
Il ne m'appartient pas, en tant que rapporteur pour avis, de me livrer à une
présentation détaillée du texte que nous examinons aujourd'hui, d'autant qu'il
a été excellemment exposé par M. Amoudry. J'insisterai simplement sur deux
points.
Ma première remarque est la suivante : cette proposition de loi comporte un
ensemble de mesures à la fois cohérent et mesuré, ce qui est d'ailleurs le
propre des travaux du Sénat.
Cohérent, parce que les difficultés rencontrées par les uns et par les autres
sont abordées et traitées en prenant en compte l'ensemble des points de
vues.
Tout d'abord, il faut prendre en compte le point de vue des élus locaux, qui
sont à la recherche d'une plus grande sécurité juridique de leurs actes. Dans
ce but, la proposition de loi prévoit d'utiliser la grande connaissance du
terrain des magistrats financiers et de leur conférer un « droit d'alerte »,
lorsqu'ils constateraient que certaines règles rencontrent des difficultés
d'application. J'ai l'habitude de dire que les mauvaises lois et les mauvais
règlements font les mauvais contrôles. Si vous voulez de bons contrôles, il est
préférable de savoir sur quels textes on s'appuie. D'ailleurs, nous avons
proposé que toute observation d'une chambre régionale des comptes fasse
référence au texte qui aurait été méconnu, ce qui implique, de la part des uns
et des autres, d'améliorer lesdits textes.
Ensuite, il convient de prendre en compte le point de vue des magistrats
financiers, qui doivent pouvoir travailler dans des conditions normales,
c'est-à-dire dans un cadre bien défini et sans surcharge excessive. Dans cette
optique, la proposition de loi prévoit notamment de définir le contenu de
l'examen de la gestion, de manière à permettre aux magistrats de savoir
exactement jusqu'où ils peuvent aller sans encourir le reproche de contrôler
l'opportunité des choix des élus locaux. Je pense - nous le verrons lors de
l'examen des articles - que nous sommes parvenus à un bon équilibre. Je
souhaite que le Gouvernement en soit également persuadé.
La propositon de loi prévoit également, en matière de jugement des comptes, de
revoir le seuil de partage entre l'apurement administratif et la compétence des
chambres, afin que les chambres régionales des comptes ne soient plus engorgées
par le contrôle de « petits » comptes qui les détournent de leurs missions
qualitatives, et même des comptes des associations foncières ; il me paraît
nécessaire que la loi règle ce problème.
Enfin, il importe de prendre en compte le point de vue des personnes
contrôlées, dont les droits doivent être garantis - et c'est tout à fait
essentiel ; ce n'est pas parce que vous êtes un élu et que vous êtes soumis à
un contrôle que vous n'avez plus de droits - à toutes les étapes de la
procédure, conformément aux grands principes de notre droit. En conséquence, il
est proposé de renforcer le respect des règles de procédure en faisant
intervenir le commissaire du Gouvernement, la mission permanente d'inspection
des chambres, le parquet de la Cour des comptes, de façon à renforcer le
caractère contradictoire des procédures en ouvrant la possibilité de demander
une nouvelle délibération aux chambres et de demander l'annulation des
observations définitives par la voie d'un recours pour excès de pouvoir devant
le Conseil d'Etat. Je sais que cette phrase est une phrase qui fâche, mais
j'espère que les débats parlementaires et la navette permettront de trouver le
juste milieu.
Il est également prévu de faire en sorte que les travaux des chambres ne
puissent pas faire l'objet d'utilisations médiatiques ou politiques abusives -
je dois faire plaisir à notre collègue Michel Charasse en disant cela - en
renforçant la confidentialité des documents provisoires, en soumettant les
chambres à un délai de « neutralité » de six mois avant une élection et en
aménageant les règles d'inéligibilité en cas de gestion de fait, de manière à
éviter que les magistrats financiers ne deviennent également juges du mandat,
ce qu'ils ne souhaitent d'ailleurs pas.
Cohérent, le dispositif proposé est également mesuré, car, à l'exception d'une
ou deux questions de fond telles que le contenu de l'examen de la gestion et la
possibilité de recours pour excès de pouvoir, que j'évoquais voilà un instant,
ce sont surtout des mesures techniques, demandées ou préconisées par diverses
personnes que nous avons entendues, qui nous sont aujourd'hui soumises.
Par exemple, l'aménagement du régime de la gestion de fait est ardemment
souhaité par les magistrats, qui, aujourd'hui, hésitent à déclarer certains
élus comptables de fait car cela reviendrait à rendre inéligibles des personnes
qui n'ont manifestement rien commis de véritablement répréhensible. Je crois
d'ailleurs que cette question de la gestion de fait sera examinée à travers des
amendements qui n'émanent ni du groupe de travail ni des commissions, mais qui
sont fondés et dignes d'intérêt.
Au total, il s'agit bien d'un texte qui a pour objet d'améliorer les
conditions dans lesquelles s'effectue le contrôle financier des collectivités
locales, sachant que, à notre époque, les attentes des citoyens en matière de
contrôle de la dépense publique se font de plus en plus fortes. Encore faut-il
que ce contrôle s'exerce dans des conditions de parfaite clarté et en toute
rigueur.
Ce constat me conduit à ma seconde remarque.
Les observations des magistrats sur la gestion des collectivités locales
reflètent dans bien des cas moins une mauvaise gestion qu'une difficulté à
appliquer une réglementation complexe et incertaine. Je pense que, en
l'occurrence, la présence du ministre de l'intérieur dans cette enceinte
n'aurait pas été tout à fait inutile.
Quoi que l'on dise ou que l'on fasse, il y aura toujours des gens pour
considérer que les élus veulent réformer le fonctionnement des chambres
régionales des comptes dans le dessein de « museler » les juges. J'ai fait
justice de cette affirmation totalement infondée.
Pourtant, force est de constater que, en matière de gestion financière, les
collectivités locales n'ont pas à rougir de leur bilan, surtout lorsqu'on le
compare à celui de l'Etat. Sans vouloir polémiquer, madame le secrétaire
d'Etat, je tiens à attirer votre attention sur les quelques chiffres qui
suivent.
En premier lieu, les investissements des collectivités locales sont en,
pourcentage du produit intérieur brut, quatre fois supérieurs à ceux de
l'Etat.
En deuxième lieu, les collectivités locales se désendettent depuis 1997.
Depuis 1980, la part des collectivités locales dans l'endettement public total
est ainsi passée de 26 % à 12 %.
En troisième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs dépenses de
fonctionnement, malgré l'effet des décisions prises par l'Etat en matière de
rémunération des agents et de normes techniques.
En quatrième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs prélèvements
obligatoires. Pour 1999, la Cour des comptes relève que la fiscalité locale a
baissé de 0,2 point de PIB, alors que la fiscalité de l'Etat a augmenté de 1,2
point de PIB.
En cinquième lieu, les collectivités locales dégagent un excédent budgétaire,
alors que l'Etat a encore un déficit important. Faut-il rappeler que, sans
l'excédent des collectivités locales, la France n'aurait pas rempli les
critères de convergence nécessaires pour la participation à l'euro ?
En sixième lieu, il convient de rappeler que les collectivités locales sont
soumises à des règles comptables strictes, qui contrastent avec les facilités
que l'Etat s'autorise, comme le remarque encore une fois la Cour des comptes
dans son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances de 1999.
Ainsi, les collectivités locales n'ont pas le droit de financer des dépenses
de fonctionnement par l'emprunt - c'est une bonne chose et, généralement, elles
respectent cette règle - alors que la loi de finances initiale pour 2000
affichait encore un solde primaire négatif de près de 50 milliards de
francs.
Dans l'ensemble, les collectivités locales sont donc bien gérées. Certes, il y
a toujours des exceptions. Lorsqu'elles ne sont pas bien gérées, les chambres
régionales des comptes sont là pour en tirer les conséquences. Nous notons
d'ailleurs, d'année en année, des améliorations substantielles.
En revanche, les collectivités, notamment les plus petites, sont largement
démunies face au caractère complexe et incertain de la réglementation qu'elles
doivent appliquer. Le nombre de normes augmente sans cesse, par sédimentation
plutôt que dans le cadre d'un ensemble cohérent. Il en résulte la conjonction
d'une complexité accrue et de la persistance de « trous » dans la
réglementation. L'instruction comptable M 14 constitue un bon exemple de
complexité, surtout lorsque l'on sait que, deux ans après sa mise en
application, le comité des finances a changé la nomenclature une fois de plus,
ce qui est tout de même un paradoxe.
L'incapacité des élus à manipuler la M 14 expliquerait, selon certains,
l'augmentation des budgets votés hors délais constatée par les chambres
régionales des comptes. S'agissant des « trous » dans la réglementation, ils
sont progressivement comblés par l'adoption d'amendements à l'occasion de tel
ou tel texte ou par la jurisprudence, ce qui permet de résoudre des problèmes
spécifiques mais n'améliore pas nécessairement la cohérence de l'ensemble.
Les magistrats des chambres régionales des comptes, comme les élus locaux,
vivent quotidiennement ces difficultés. Ils sont, si je puis dire, « dans le
même bateau ». Leurs intérêts sont largement communs pour élaborer ensemble un
corps de doctrine, un corps de contrôle de la gestion qui donne confiance et
soit productif. On peut faire du bon contrôle de la gestion et de ce bon
contrôle peut sortir beaucoup de bien.
Le rapport du groupe de travail de 1998 était intitulé :
Chambres
régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de
la démocratie locale.
Il nous revient, cet après-midi, de créer les
conditions d'un dialogue constructif, nécessaire à l'approfondissement et la
consolidation de notre décentralisation.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, les
chambres régionales des comptes symbolisent parfaitement la rupture opérée par
les lois de décentralisation de 1982. La volonté de mettre fin à la tutelle
administrative a, en effet, nécessité la mise en place d'institutions
entièrement nouvelles répondant à deux exigences : une exigence de proximité
avec les collectivités locales elles-mêmes, comme condition d'un contrôle
serein ; une exigence d'indépendance vis-à-vis de l'Etat, afin de garantir
pleinement le respect du principe de libre administration.
Elles sont un élément fondamental de la démocratie locale, qui donne tout son
sens à l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux
termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de
son administration ». Leur rôle est d'autant plus important que les
collectivités locales sont devenues un acteur essentiel de l'économie, ce que
chacun sait ici.
Qu'on en juge : leurs dépenses correspondent à plus de la moitié du budget
national et leurs investissements représentent 70 % de l'investissement public
total.
Pourtant, les chambres régionales des comptes rencontrent deux types de
critiques.
Il y a tout d'abord une critique d'ordre statutaire qui émane des membres des
chambres régionales des comptes et qui a été en partie prise en compte dans le
projet de loi adopté le 3 mars dernier par l'Assemblée nationale. Nous savons
néanmoins que le principe de mobilité fait problème parmi les magistrats
financiers, qui y voient une possible remise en cause de leur indépendance.
Nous espérons, madame la secrétaire d'Etat, que nous pourrons néanmoins en
débattre prochainement.
D'autres critiques, émanant des élus, tiennent aux modalités d'exercice par
les chambres régionales des comptes de leurs missions. Si le contrôle
juridictionnel semble bien admis, il n'en est pas de même du contrôle
administratif portant sur la gestion des collectivités locales, sur leurs
établissements publics, ainsi que sur les associations dépendant financièrement
d'elles.
Malgré les aménagemens opérés par les lois du 5 janvier 1988 et du 15 janvier
1990, un sondage réalisé par l'association des maires de France, en 1998,
révélait que 47 % des maires souhaitaient une réforme du contrôle de
gestion.
Telles sont les critiques dont les auteurs de la proposition de loi
aujourd'hui en discussion voudraient se faire les relais. Qu'elles portent sur
la constance du contrôle de gestion en s'interrogeant sur sa neutralité,
qu'elles revendiquent un meilleur respect du principe du contradictoire ou
qu'elles insistent sur la nécessité de renforcer la sécurité juridique, toutes
convergent vers un seul et même constat, à savoir l'absence de dialogue
confiant entre les collectivités locales et les chambres régionales des
comptes.
Pour rénover ce dialogue, faut-il opérer une remise en cause des compétences
des chambres régionales des comptes ? Les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen ne le pensent pas. Ils considèrent, pour leur part, que
des aménagements simples permettraient une amélioration sensible des conditions
du contrôle de gestion.
De ce point de vue, notre groupe est d'accord avec les propositions tendant à
instaurer un véritable « droit de réponse » des élus aux lettres d'observations
par le biais de l'institution d'un délai de réponse, que ce dernier soit de un
mois, comme le propose la commission des lois, ou de deux mois, comme en a
décidé l'Assemblée nationale. De même, l'annexion de la réponse écrite à la
lettre d'observations semble constituer une solution équitable. Enfin, les
dispositions prévoyant la présentation par le ministère public de ses
conclusions avant l'arrêt des observations définitives sur la gestion
paraissent intéressantes.
En revanche, la remise à plat du contrôle de gestion, comme le propose la
commission des lois, nous semble de nature à hypothéquer l'avenir du contrôle
financier.
Je prendrai trois exemples à cet égard.
Le premier exemple porte sur le relèvement notable des seuils en deçà desquels
le contrôle des chambres régionales des comptes disparaît au profit du système
de l'apurement administratif.
Je ne suis pas sûre que cette restriction du champ de compétence des chambres
régionales des comptes soit judicieuse, et ce d'autant que la majorité de la
commission des lois a souhaité qu'une évolution pouvant aller jusqu'à 20 % du
montant total des recettes - ce n'est pas rien ! - ne puisse pas remettre en
cause ce seuil. Sachant que les recettes des collectivités locales ont plus
tendance à croître qu'à diminuer, je doute que cette règle soit le gage d'une
volonté de dialogue à l'égard des chambres régionales des comptes.
Mon deuxième exemple concerne la définition du contrôle de gestion.
Si l'on peut être sensible à la volonté de donner une définition légale au
contrôle de gestion pour permettre un traitement égalitaire des contrôlés et
éviter les abus d'une définition exclusivement « judiciaire », il n'est pas
certain que le texte qu'il nous est proposé d'adopter ne tombe pas dans le «
piège » évoqué par le groupe de travail de 1997-1998 sur les relations entre
les chambres régionales des comptes et les élus, à savoir la réduction du
contrôle à une simple vérification de l'application des textes, en laissant de
côté tout ce qui ressortit à l'efficience et à l'efficacité.
Enfin, l'interdiction de publication de lettres d'observations définitives
dans les six mois précédant une élection générale, retenue dans la proposition
de loi initiale, risquait fort d'aboutir à ce que j'appellerai « un contrôle en
pointillé ». On est revenu sur cette disposition, mais cela reste un
problème.
On peut se demander si, eu égard aux garde-fous posés quant au respect du
principe du contradictoire, cette limitation continue d'avoir un sens. De même,
les exigences de transparence de la vie publique s'accommodent mal de
restrictions.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont également des
doutes quant à l'efficacité des solutions proposées.
S'il est louable de vouloir lutter contre la médiatisation à outrance du
contrôle de gestion pour éviter qu'il ne soit détourné de son objet, on peut
néanmoins être sceptique, lorsque l'on connaît les difficultés à faire
respecter le secret de l'instruction, sur l'efficacité de l'interdiction de
communication des documents préparatoires.
Par ailleurs, instaurer le recours pour excès de pouvoir contre les lettres
d'observations définitives aboutit à juridictionnaliser le contrôle de gestion.
Or, si les membres de mon groupe sont sensibles à l'argument du « droit de
recours », ils ne sont pas certains que cette solution n'ait pas l'effet
inverse de celui qui est recherché, à savoir rendre le contrôle de gestion plus
solennel, et donc plus lourd de conséquences sur la gestion locale et le mandat
des élus qu'il ne l'est actuellement.
Reste la question de la gestion de fait, sujet très sensible pour l'ensemble
des élus qui se retrouvent, parfois, lourdement sanctionnés, alors qu'ils
pensaient agir dans un cadre légal. La sanction de la démission d'office
apparaît symptomatique d'un contrôle qui est excessif parce qu'il met en cause
le mandat même des élus.
On conviendra toutefois que cette sanction n'est pas si fréquente qu'on veut
bien le dire parfois : la loi de 1991 donne six mois aux élus pour régulariser
et obtenir ainsi un quitus.
A notre sens, des améliorations peuvent être recherchées. Ainsi, la
substitution d'une prescription de cinq ans à la prescription trentenaire
actuelle nous paraît judicieuse.
De même, l'impossibilité de prononcer une déclaration de gestion de fait sur
les exercices ayant fait l'objet d'un apurement définitif mérite d'être
étudiée, à condition qu'elle ne concerne pas les gestions de fait
volontairement dissimulées.
En revanche, le système proposé par la commission des lois ne nous sied guère,
parce qu'il pourrait être considéré comme se contentant de « prendre acte » de
la gestion de fait, et donc de la confusion de l'ordonnateur et du
comptable.
En fin de compte, les membres du groupe communiste républicain et citoyen
voient dans la délicate question de la gestion de fait une traduction de
l'insécurité juridique dont souffrent les élus locaux. Ils considèrent que
celle-ci ne pourra trouver de solution durable que dans le renforcement du
conseil aux collectivités locales, qui pourrait être une véritable aide à la
décision.
Ce besoin de conseil est particulièrement crucial dans les petites communes
n'ayant les moyens ni financiers ni matériels nécessaires pour recourir à des
audits extérieurs.
Les auteurs de la proposition de loi avaient envisagé le problème en proposant
la création d'un groupement d'intérêt public. Celui-ci présentait pourtant,
pour la commission des lois, l'inconvénient majeur d'être particulièrement
lourd d'utilisation ; elle ne l'a donc pas retenu.
On sait également que le groupe de travail consacré aux relations entre les
chambres régionales des comptes et les élus avait écarté l'idée de confier aux
chambres régionales des comptes elles-mêmes ce rôle de conseil, eu égard au
dédoublement fonctionnel qu'il entraînerait. Le Conseil d'Etat lui a récemment
donné raison sur ce point.
Il faut donc absolument soit réfléchir à une réorganisation interne de la
chambre régionale des comptes, de façon à bien distinguer les fonctions, à
l'instar du Conseil d'Etat, soit explorer d'autres voies, qu'il s'agisse
d'exploiter au mieux les possibilités données par l'intercommunalité ou de
réfléchir à des services plus orientés sur le conseil dans les préfectures.
Au vu de toutes ces remarques, vous aurez compris que mon propos est
relativement modéré, mais que le texte présenté par la commission des lois n'a
pas convaincu les membres du groupe commmuniste républicain et citoyen. En
voulant rééquilibrer le contrôle des chambres régionales des comptes, on tend à
créer un nouveau déséquilibre dont personne ne sortira gagnant, ni les
chambres, ni les élus, et encore moins les citoyens.
On le sait, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Je crains que la preuve ne
nous en soit à nouveau donnée aujourd'hui. C'est pourquoi nous voterons contre
ce texte.
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
texte dont nous allons discuter recouvre bien des aspects.
Hors les aspects de procédure sur le secret des étapes intermédiaires des
contrôles et la forme de publication des lettres d'observations définitives,
sur lesquels j'ai le sentiment que, petit à petit, se dessine un certain
consensus, le débat qui s'ouvre me semble en grande partie le résultat d'un
énorme malentendu. A cet égard, je parle non pas de la gestion de fait, mais de
la fameuse affaire du jugement d'opportunité. Ce malentendu était prévisible
depuis la discussion, en 1987, de la loi dite « loi Galland », relative à
l'amélioration de la décentralisation, loi dont j'avais eu l'honneur, à
l'époque, d'être le rapporteur.
Déjà, l'aspect et le contenu des observations des chambres régionales des
comptes sur la gestion des collectivités locales étaient en cause. Peut-être
peut-on résumer le contexte - j'avance à pas comptés, car le sujet est délicat
- en constatant que, organes juridictionnels coordonnés sans hiérarchisation
par la Cour des comptes, les chambres régionales des comptes ont tout
naturellement compris leur mission comme étant parallèle à celle qu'exerce la
haute juridiction financière. Celle-ci, dans ses jugements mais surtout dans
son rapport annuel, ne se prive pas de mettre en exergue les
dysfonctionnements, les insuffisances et les erreurs des administrations de
l'Etat.
Ces remarques n'atteignent toutefois que très exceptionnellement - pour ma
part, je n'en ai d'ailleurs aucun souvenir précis - la gestion des ministres en
tant que personnes. Leurs fautes éventuelles échappent d'ailleurs aux
juridictions de droit commun puisque seule la Cour de justice de la République
est compétente en ce qui les concerne.
(M. Charasse s'exclame.)
Les jugements du peuple souverain sur les ministres et sur leur gestion ne
s'exercent qu'à travers des élections législatives et, par conséquent, à un
niveau n'ayant rien à voir avec celui où évoluent les élus des collectivités
territoriales.
Il n'en va pas du tout de même lorsqu'une observation sur la gestion d'une
collectivité territoriale est formulée par une chambre régionale des comptes,
car, bien entendu, l'élu se sent directement concerné.
Personne, je pense, n'imagine contester le bien-fondé d'une irrégularité
financière ni la transmission à la justice pénale d'une infraction
délibérée.
Mais toute observation sur l'efficacité, parfois appelée « évaluation des
politiques publiques », est vécue par les responsables d'une collectivité
territoriale d'une manière très différente de celle dont est vécue - je n'ose
pas dire « superbement ignorée » - une telle évaluation par les administrations
de l'Etat et, au mieux, considérée par les ministres comme un moyen
supplémentaire d'investigations sur le fonctionnement de leurs propres
services.
C'était d'ailleurs dans ce dernier esprit, à savoir l'information du
responsable sur le fonctionnement de ses propres services, que l'idée des
observations sur la gestion des collectivités territoriales avait été admise
par le législateur au moment du débat de la loi Galland précitée.
L'interprétation donnée sur le terrain en a été d'emblée différente, et
certaines exagérations dans le formulé d'observations sont présentes dans
toutes les mémoires, traumatisant les élus mentionnés et, bien au-delà, par
vagues successives, nombre de leurs collègues.
L'élu local, contrairement au ministre, est en effet l'exécuteur de terrain
d'une politique née et arrêtée par une assemblée de terrain, responsable
directement à intervalles réguliers et relativement courts devant la population
qu'il administre.
Encadré par un contrôle de légalité malheureusement un peu incertain, trop
souvent insuffisamment conseillé sur le plan juridique - c'était l'un des
aspects de la proposition d'origine - et mal assuré quant aux sécurités qui
devraient être les siennes avant de passer à l'action, l'élu local accepte
difficilement de voir publiquement remises en cause des décisions découlant de
délibérations publiques, à la régularité non contestée sur l'instant, surtout
lorsqu'il s'agit d'adéquation en termes d'efficacité entre buts et
résultats.
Toute initiative, même lorsqu'elle émane d'une collectivité territoriale -
c'est également vrai dans l'économie privée, dans l'économie courante - compte
une part d'incertitude que seul le temps peut lever... temps dont, par
définition, le juge a disposé, mais dont, au moment de la décision ni
l'assemblée ni son chef n'ont évidemment la moindre mesure quant à ce qu'il
révèlera. C'est là, me semble-t-il, que se trouve l'ambiguïté.
Le choix d'une politique ne peut, bien entendu, pas être remis en cause, mais
l'observation sur son efficacité a, quand il s'agit d'un élu local directement
en contact avec sa population, un effet tout autre que celui d'une observation
sur l'efficacité du fonctionnement d'une administration de l'Etat tel que nous
le connaissons. A mon sens, un avis sur le choix d'une politique est, par
définition, hors sujet ; c'est d'ailleurs rarissime ; mais un tel avis, quand
il se produit, crée, d'une certaine manière, même si juridiquement ce n'est pas
le cas, un réel grief vis-à-vis de l'élu local, et c'est le débat d'ambiance
devant lequel nous nous trouvons.
Bien entendu, j'imagine que l'argument d'opportunité ne doit pas être utilisé
exclusivement par les magistrats, et j'imagine qu'il doit bien exister quelques
circonstances dans lesquelles le responsable local l'invoque lui-même face à la
constatation d'une irrégularité. Cela ne doit normalement pas être admis et,
dans ce cas précis, j'estime tout à fait logique que les jugements,
observations et autres décisions relèvent les cas dans lesquels les
ordonnateurs se laissent aller à l'invoquer.
Le texte dont nous allons discuter a ses qualités et ses défauts, mais il
constitue un apport à ce dialogue difficile entre la nécessaire rigueur
financière qui s'impose à tous, la souplesse et le minimum de sens du risque
qui sont tous les jours demandés aux élus de terrain, et la nécessité devant
laquelle nous sommes de faire en sorte qu'il reste demain des candidats pour
accepter de gérer le quotidien de nos concitoyens, ce qui n'est pas aussi
certain qu'on veut le penser dans l'atmosphère qui est en train de se créer
dans nos collectivités territoriales.
C'est dans cet esprit qu'il faut concevoir les votes qui vont intervenir,
lesquels ne comportent, bien entendu, aucun jugement d'ensemble péjoratif sur
l'ensemble du corps des magistrats des chambres régionales des comptes, en
lesquels nous avons beaucoup de confiance et entre les mains desquels repose
également toute la confiance de nos concitoyens, ni d'abandon du principe même
de leur contrôle.
Toutefois, nous devons être bien conscients que l'efficacité exigée par le
citoyen vis-à-vis de son élu local, qu'il voit tous les jours, comporte un
certain nombre de dimensions psychologiques dont la traduction doit être opérée
en termes juridiques et qui ne sont pas de même nature que celles de la
juridiction un peu froide et relativement distante qu'est la Cour des comptes
face aux administrations de l'Etat.
Mes chers collègues, en conclusion, je souhaite que ce débat se déroule dans
la sérénité la plus complète et que nous puissions petit à petit avancer vers
la dissipation d'un malentendu qui, encore une fois, me semble aujourd'hui
dommageable pour tout le monde.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans
cette discussion qui était attendue depuis un certain temps et qui doit
beaucoup au travail effectué spontanément sur l'initiative de plusieurs de nos
collègues - je pense, notamment, au groupe de travail animé par notre collègue
Jacques Oudin, puis à la réflexion menée par nos commissions des lois et des
finances afin d'examiner, quinze ans après, ce qui va bien et ce qui va moins
bien dans le système des chambres régionales des comptes - je voudrais dire
dans quel état d'esprit mon groupe aborde ce débat sur le statut des chambres
et abordera demain le débat que l'on nous annonce sur le statut des magistrats
des chambres.
En premier lieu, les chambres régionales des comptes font partie intégrante du
bloc de la décentralisation et il ne saurait être question, de notre point de
vue, de remettre en cause leur existence ; ce n'est d'ailleurs pas ce qui nous
est proposé.
Je le dis avec d'autant plus de force qu'il s'est trouvé, par les hasards de
la vie et des circonstances, que j'ai été, au moment de la création des
chambres, l'un des inventeurs de la formule, puisque, à l'époque, je
conseillais le Président de la République sur ce dossier et que j'étais, à
l'Elysée, le correspondant de Gaston Defferre, lequel menait devant le
Parlement les débats sur les lois de décentralisation. Nous avions réfléchi à
cet organisme. Au demeurant, je ne suis pas sûr d'en avoir inventé la
dénomination, qui doit être due, je pense, au président Rosenwald, qui était à
l'époque premier président de la Cour des comptes ; en tout cas, madame la
secrétaire d'Etat, dans une recherche en paternité, je ne suis pas clair. Par
conséquent, je n'accablerai pas mon éventuel enfant, tant s'en faut !
(Sourires.)
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Il faut un test d'ADN !
(Nouveaux
sourires.)
M. Michel Charasse.
Premièrement, le principe du contrôle financier
a posteriori
et
l'existence d'un organisme spécialisé à cet effet est, mes chers collègues, la
contrepartie de la liberté locale devenue totale, notamment par la suppression
des tutelles et des contrôles
a priori.
Deuxièmement, avec la déconcentration, l'institution des chambres régionales
des comptes est le second grand pilier qui doit assurer l'équilibre de la
décentralisation afin que cette grande réforme n'entraîne pas, comme le disait
le président Mitterrand, qui en est l'un des auteurs, « le rétablissement de
féodalités locales contre la République et l'anéantissement de l'autorité de
l'Etat au détriment de l'unité de la nation ».
Le pilier de la déconcentration, nous le savons tous, a malheureusement été
trop oublié par les gouvernements successifs, et les préfets restent encore
souvent bien trop démunis. Il ne saurait donc être question pour mon groupe
d'ébranler cet indispensable pilier de l'équilibre de la décentralisation que
sont les chambres régionales des comptes et, fidèles à l'oeuvre du président
Mitterrand, de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, nous ne nous associerons
naturellement jamais - mais ce n'est pas l'objet du débat - à des initiatives
qui viseraient à le mettre en cause.
Dans l'esprit de ce qu'a rappelé le Président de la République de l'époque sur
les principes de la République, les chambres régionales des comptes - nos
collègues MM. Amoudry et Oudin le disent très bien dans leur rapport - ont reçu
pour mission de faire vivre, dans le cadre de la liberté locale, les grands
principes de la déclaration de 1789 en ce qui concerne, d'abord, le droit pour
la société de demander des comptes à tout agent public sur son administration -
à tout agent public, sauf, naturellement, comme vous le savez, aux magistrats
de tous ordres, mais cela, c'est un autre débat
(Sourires)
- et,
ensuite, le droit pour les citoyens de contrôler l'emploi des fonds publics par
eux-mêmes ou par leurs représentants : ces droits se fondent sur les articles
XIV et XV de cette déclaration.
Mais comment les citoyens et leurs élus peuvent-ils contrôler s'ils ne savent
pas, s'ils ne sont pas informés de la réalité ? En quelque sorte, les chambres
régionales sont la transposition, au niveau local, de la Cour des comptes qui,
au niveau national, assiste le Parlement - dans le cadre des articles 47 et
47-1 de la Constitution, que nos rapporteurs connaissent bien - en matière de
contrôle de l'exécution des lois de finances et des lois de financement de la
sécurité sociale.
Remettre en cause le principe du contrôle financier local tel que l'ont voulu
les lois de juillet 1982 reviendrait à priver les citoyens de leurs droits, et
la République d'un organisme régulateur indispensable.
Qu'on n'attende donc pas de notre groupe qu'il s'engage un jour dans cette
voie, et je me réjouis que telles ne soient pas les intentions des auteurs des
propositions qui nous sont soumises.
En second lieu, il n'est pas question non plus, de notre point de vue, de
remettre en cause les grands principes sur lesquels repose le fonctionnement
des chambres.
D'abord, ce sont des juridictions indépendantes. Cette formation et cette
indépendance garantissent aux citoyens et aux élus locaux que les comptes des
collectivités seront jugés hors de toute pression politique, ou corporatiste,
hors de tout ordre extérieur, hors de tout intérêt particulier, et selon une
démarche où la recherche de la sincérité et de l'objectivité au regard de la
rigueur de la loi prend normalement, et en principe, le pas sur toute autre
considération subjective ou partisane.
Juridiction indépendante, la chambre régionale des comptes n'a pas reçu de la
loi le droit de se prononcer sur l'opportunité politique des choix et des
décisions des assemblées locales issues du suffrage universel ou des organes
exécutifs qu'elles désignent librement.
C'est un débat difficile, que notre collègue Paul Girod vient d'aborder après
nos rapporteurs. Ce n'est pas toujours clair ! Nous essayons les uns et les
autres de trouver une solution, et même si, comme le disait M. Girod - c'est en
tout cas ce que j'ai cru comprendre de son propos - il y a l'art et la manière
de le faire, le « principe de précaution », dans ce domaine, s'impose sans
doute plus qu'ailleurs.
Les chambres, en dehors des illégalités manifestes, peuvent toujours critiquer
les méthodes retenues pour exécuter les décisions politiques et leur coût pour
le contribuable, mais elles ne sauraient sans violer la séparation des
pouvoirs, qui est inhérente à l'existence de toute juridiction indépendante, se
prononcer sur des choix politiques qui ne relèvent, dans la République, que des
élus et, le moment venu, des électeurs.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Absolument !
M. Michel Charasse.
Le principe selon lequel « aucune section du peuple, aucun individu ne peut
s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale », qui figure à l'article 3
de notre Constitution comme d'ailleurs dans la déclaration de 1789, s'applique
évidemment aux chambres régionales des comptes comme à toutes les autres
juridictions, et la loi des 16 et 24 août 1790 aussi dans celles de ses
dispositions qui sont toujours en vigueur.
Dans le domaine du contrôle financier local comme dans le domaine judiciaire
en général, il ne saurait être question de rétablir les Parlements de l'Ancien
Régime, même si quelques nostalgiques conçoivent quelque rancoeur de cette
interdiction.
En tout cas, qu'il soit donc bien clair qu'il ne saurait être question de
revenir sur les lois de 1982 en ce qu'elles ont retenu l'indépendance et son
corollaire, la séparation des pouvoirs.
Le troisième grand principe est celui du débat contradictoire - c'est la règle
de la juridiction - désormais bien établi mais qui, je le rappelle au passage,
a nécessité quelques retouches de la part du législateur depuis 1982, car la
loi avait été assez maladroite ou insuffisamment précise sur un certain nombre
de points.
Les citoyens mis en cause devant toute juridiction doivent pouvoir être
entendus et faire valoir leurs arguments. Le statut des chambres comporte bien
la possibilité d'être entendu, oralement et par écrit, et les droits de la
défense sont donc aujourd'hui bien reconnus, même s'ils méritent encore - on en
parlera sans doute tout à l'heure - quelques améliorations.
De quoi s'agit-il donc, mes chers collègues, si l'on ne remet pas en cause le
principe de l'existence des chambres et les grands principes de leur
fonctionnement ?
D'abord, que l'on s'entende bien. Quels que soient les cris que peuvent
pousser certains qui défilent sous nos fenêtres, les chambres régionales des
comptes n'ont pas été instituées pour le plaisir ou le confort de ceux qui les
ont intégrées, elles l'ont été pour faire respecter les lois et règlements et,
avant d'accabler leurs décisions, on ferait parfois mieux de s'interroger sur
les vertus ou les vices des lois et règlements que nous fabriquons les uns et
les autres et que les chambres régionales des comptes ne peuvent qu'appliquer.
Je fais allusion, en particulier, aux règlements que nous créons parfois
nous-mêmes dans nos conseils régionaux ou généraux et qui nous sont ensuite «
renvoyés dans la figure ».
Les chambres régionales des comptes n'ont pas été instituées, enfin, d'une
façon immuable. Nos institutions et leurs grands principes n'interdisent pas au
législateur d'apporter aux règles de fonctionnement les retouches qu'elles
appellent naturellement après une quinzaine d'années de pratique.
Les magistrats financiers eux-mêmes estiment, après ces quinze années, qu'ils
mériteraient d'avoir un statut calqué sur celui des tribunaux administratifs,
et un processus législatif a été engagé à cet effet devant l'Assemblée
nationale au travers d'un projet de loi dont nous serons prochainement
saisis.
Les syndicats de ces magistrats peuvent difficilement soutenir qu'il faut de
toute urgence s'occuper des problèmes de carrière et de rémunération que les
quinze années de fonctionnement de ces jeunes institutions ont fait apparaître
et dénier le droit au législateur qui en a la charge de répondre, lui aussi et
pour ce qui le concerne, après quinze ans de jurisprudence des chambres, aux
inconvénients qui ne sont pas forcément tous dus aux chambres, mais qui ont pu
apparaître au fil du temps et qui peuvent mettre en cause, en persistant, le
bon fonctionnement des institutions locales de la République, le droit pour le
suffrage universel de se prononcer en toute connaissance de cause, la
possibilité pour les élus locaux de remplir normalement leur mission et la
faculté pour les citoyens de rester disponibles pour le service de la
démocratie locale !
Cela signifie, en particulier, que le citoyen qui se met volontairement au
service des autres et qui obtient la confiance des électeurs ne saurait se
heurter à un mur de procédures, d'exigences ou de sanctions allant au-delà de
l'obligation d'une gestion sincère, économe, honnête, légale et transparente de
l'argent public.
M. René-Pierre Signé.
Bravo !
M. Michel Charasse.
Bref, si les contrôles doivent évidemment sanctionner les manquements graves,
ils doivent aussi permettre aux citoyens de connaître la vérité, à l'autorité
judiciaire de disposer du matériau nécessaire pour les condamnations pénales,
aux élus locaux de bénéficier de précieux conseils pour remplir leurs fonctions
selon la loi et selon les instructions reçues du suffrage universel et des
assemblées locales, au pays enfin d'assurer en toutes circonstances les besoins
essentiels et urgents de la population et de la nation, ce qui implique qu'on
tienne compte des circonstances locales liées à des catastrophes ou à des
troubles et à l'obligation constitutionnelle d'assurer, quoi qu'il arrive, la
continuité du service public et la sécurité des biens et des personnes.
Dans ces divers domaines, mes chers collègues, bien des points des lois de
1982 demandent des modifications et des adaptations : ne faut-il pas clarifier
les textes afin d'exclure les contrôles d'opportunité, et donc la violation de
la séparation des pouvoirs ? Ce n'est pas facile, notre collègue Paul Girod
nous l'a dit tout à l'heure, et M. le rapporteur également. Ne faut-il pas,
cependant, essayer ?
Ne faut-il pas mieux assurer encore les droits de la défense ? Ne faut-il pas
fixer un délai de prescription plus raisonnable que les trente ans retenus par
le Conseil d'Etat faute d'un texte approprié ? Ne faut-il pas assurer plus
fortement l'indépendance de la juridiction en excluant du délibéré le
commissaire du Gouvernement ? Ne faut-il pas supprimer la peine automatique
d'inéligibilité des comptables de fait, puisque, depuis une récente décision du
Conseil constitutionnel, notre droit financier n'est plus conforme à la
Constitution ?
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Tout à fait !
M. Michel Charasse.
Ne faut-il pas donner au gestionnaire de fait les mêmes moyens administratifs
qu'au comptable public pour recouvrer les sommes indûment payées ? Ne faut-il
pas veiller à ce que les activités des chambres n'interfèrent pas avec les
périodes électorales ? Ne faut-il pas trancher la question de savoir si les
lettres d'observation font ou non grief et si elles peuvent faire l'objet d'un
appel alors que les élus locaux ne disposent pratiquement pas des moyens de
faire prévaloir le droit en appel si la chambre persiste malgré les réponses de
l'intéressé ? Ne faut-il pas interdire aux chambres de revenir indéfiniment sur
la chose déjà jugée par elles ? Ne faut-il pas se demander si le gestionnaire
de fait doit seul rembourser le débet alors qu'on pourrait poursuivre les
bénéficiaires des fonds irréguliers ?
Je n'énumère pas, mes chers collègues, l'ensemble des questions qu'il faudra
bien aborder dans ce débat ou dans le débat à venir pour procéder à un «
toilettage » indispensable de l'oeuvre du législateur de 1982, législateur qui
manquait alors cruellement et totalement d'expérience du contrôle financier
local et de ses exigences - je fais appel aux souvenirs de ceux qui siégeaient
au Sénat à l'époque - compte tenu des pratiques anciennes qui voulaient que le
contrôle financier soit secondaire puisque les tutelles administratives
réglaient presque tout en amont et que, finalement, seules « sortaient » les
affaires les plus énormes dans le rapport annuel public de la Cour des
comptes.
Nous aurons l'occasion d'aborder ces points, qui doivent rester
essentiellement techniques, à travers la proposition de loi et les amendements
des uns et des autres.
Le groupe socialiste abordera cette discussion avec un esprit ouvert et
constructif, mais dans le respect des grands principes que j'ai rappelés au
début de mon propos et sans négliger la nécessaire concertation avec le pouvoir
exécutif, qui est lui aussi concerné par le bon fonctionnement local de la
République.
Pour conclure, je voudrais dire un mot plus personnel, dont on comprendra
qu'il n'engage pas mes amis politiques.
Lorsque je lis dans
Les Echos
de ce matin qu'un délégué syndical des
magistrats des chambres aurait déclaré que la réforme proposée par notre
assemblée marquait « la volonté manifeste de certains élus de soustraire leur
action à tout contrôle » - ce sont les termes mêmes qui sont employés dans le
journal
Les Echos
...
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
C'est honteux !
M. Michel Charasse.
... je me dis que, décidément, certains magistrats de ces jeunes juridictions,
qui n'ont pas encore vingt ans, n'auront pas attendu longtemps - deux cents
ans, comme les autres ! - pour rejoindre la cohorte des magistrats de l'ordre
judiciaire, ou de ceux d'entre eux, en tout cas, qui confondent justice et
vengeance, et rêvent avec nostalgie du bon vieux temps des parlements de la
monarchie.
(Sourires.)
Tout cela me rappelle les propos, que nous avons dénoncés ici même, voilà six
mois, d'un président de syndicat de magistrats, qui avait déclaré que, au fond,
le refus du Sénat de soutenir la révision constitutionnelle tenait à la volonté
des sénateurs de se protéger. Notre bureau avait protesté. Le garde des sceaux
n'a rien fait de notre protestation. Mais il faut bien, au moins, que quelqu'un
le remarque à cette tribune !
M. René-Pierre Signé.
Bravo !
M. Michel Charasse.
Et je ne suis pas plus près d'accepter de ce monsieur ce que je n'ai pas
accepté, hier, de cet autre monsieur !
MM. Jean-Pierre Schosteck et Gérard Braun.
Très bien !
M. Michel Charasse.
En tout cas, ce genre d'attaque basse et méprisante démontre que, comme
certains dans l'ordre judiciaire, certains dans l'ordre financier ont du mal à
comprendre et à accepter les règles de la République.
Car lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre les grands principes de la République
dans le domaine des institutions publiques, ceux de 1789, de 1790, de 1946 et
de 1958, on entend toujours, au fond, mes chers collègues, deux sortes
d'avocats : ceux des corporations et des intérêts particuliers propres à ces
institutions, qui viennent hurler leur égoïsme sous nos fenêtres, et ceux qui
plaident au nom de la République, de ses principes et de ses institutions, et
qui sont chargés de les mettre en oeuvre, entendez le Gouvernement et le
Parlement, qui ne sont, dans ces domaines, les avocats de personne d'autre que
de la République et qui ne sont au service d'aucun intérêt particulier.
Faut-il répondre aux basses attaques de ceux pour qui le devoir de réserve
s'arrête là où commencent leurs petits intérêts ?
Mes chers collègues, je crois que ce serait s'abaisser, ne leur en déplaise,
car nous ne jouons pas vraiment dans la même cour ! Mais qu'on me permette de
dire que, en emboîtant le pas aux vieilles antiennes corporatistes des
magistrats les plus activistes de l'ordre judiciaire - puisque
Les Echos
nous apprennent que les syndicats des magistrats des deux ordres, judiciaire et
financier, ont fait la jonction pour nous dénier le droit de faire la loi -
ceux des magistrats de ces jeunes juridictions financières qui s'acoquinent
avec ceux des plus anciens tribunaux ont subitement pris un sacré « coup de
vieux » !
Et pis encore : leur protestation vise, en réalité, une disposition votée par
l'Assemblée nationale, dont nous aurons à connaître, qui les oblige à la
mobilité tous les sept ans. Mesure sans doute de bonne gestion, donc
d'économie, peut-être comparable, madame la secrétaire d'Etat, à celles que les
chambres suggèrent parfois aux élus locaux ! l'arroseur arrosé, en quelque
sorte !
Ces quelques mots étaient juste pour me faire plaisir et n'engagent évidemment
pas ceux de mes collègues et amis du groupe socialiste qui n'ont pas pour les
magistrats qui prétendent exercer la souveraineté nationale à la place du
peuple et de ses élus la même irrévérence républicaine que moi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On a la même, mais on ne généralise pas !
M. Michel Charasse.
Je me suis attaché à utiliser le mot « certains » parce que je savais que vous
seriez en séance, cher Dreyfus-Schmidt !
Ne nous trompons pas de débat. Il s'agit, mes chers collègues, de réformer les
chambres régionales des comptes pour qu'elles remplissent mieux la mission que
la République leur confie pour le compte de la souveraineté nationale et à
laquelle s'emploient, avec dignité, la plupart de leurs magistrats.
Il ne s'agit ni de faire plaisir aux élus locaux par un laxisme excessif ni de
complaire à la poignée de magistrats excités des chambres régionales des
comptes qui en demandent toujours plus pour pouvoir trancher, au final, à la
place du peuple. Il s'agit d'éviter qu'à la faveur des modes et de la pensée
unique on ne conduise les Français à douter d'une démocratie représentative
parce que quelques petits « saints » portant le beau nom de « magistrat »
sèmeraient le doute dans l'esprit civique sur le thème facile du « Tous pourris
! ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Quant au vote final du groupe sur le texte que nous examinons, il sera
naturellement fonction de ce qui sortira de nos délibérations.
(Très bien !
et applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
accompagnant le mouvement de décentralisation de 1982, le législateur a mis en
place un contrôle juridictionnel de proximité des comptes des collectivités
locales.
Ainsi, en contrepartie de la suppression de ce qu'il était convenu d'appeler
la « tutelle » préfectorale
a priori
des actes des collectivités, et
compte tenu de l'élargissement des compétences de celles-ci, une chambre
régionale des comptes a été instituée dans chaque région.
Ayant pour mission de juger les comptes, d'examiner la gestion et de concourir
au contrôle des actes budgétaires des collectivités et de leurs établissements
publics, les juges des chambres régionales des comptes sont la traduction du
principe constitutionnel consacré à l'article 15 de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, selon lequel « la société a le droit de demander
compte à tout agent public de son administration ».
Ces juges remplissent un rôle essentiel en informant la population sur
l'utilisation de l'argent public. Ils améliorent ainsi la participation des
citoyens à la gestion de leur vie quotidienne.
L'objectif affiché était donc bien, dès le départ, que la démocratie locale
sorte renforcée par ce dispositif.
Or, au terme de près de vingt ans, la manière dont certaines chambres exercent
leurs investigations et communiquent leurs conclusions suscite aujourd'hui de
vives réactions de la part des responsables locaux.
Ces derniers ne contestent pas la nécessité d'un contrôle
a posteriori
des collectivités locales. Les critiques formulées par les juges financiers
sont parfois justifiées.
Il n'est en effet pas question de considérer que les élus, parce qu'ils
détiennent leur mandat du suffrage universel, peuvent faire tout ce qu'ils
veulent durant leur mandat, et ce sans contrôle.
Les chambres régionales des comptes ont effectivement mis en évidence
certaines irrégularités des collectivités locales. Les sanctions sont alors
légitimes.
Mais, les élus honnêtes - il ne s'agit pas ici de protéger ceux qui ne le sont
pas - déplorent, à juste titre, deux tendances qui se sont fait jour.
La première tendance est celle des chambres à ne mettre en avant que ce qui ne
va pas, sans relativiser l'éventuelle proportion de ce qui pose problème par
rapport à l'ensemble de la gestion locale, et en faisant trop souvent
abstraction du contexte dans lequel s'inscrit cette gestion. Cela fausse la
perception que nos concitoyens peuvent avoir de l'engagement de leurs élus dans
la gestion de leur collectivité et des difficultés qu'ils rencontrent.
Le contexte dans lequel s'exercent les mandats locaux est en effet de plus en
plus complexe, nous le savons tous, mes chers collègues, du fait, notamment, de
l'inflation des normes juridiques - nous en sommes d'ailleurs largement
responsables...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. José Balarello.
... du fait également de l'extension croissante du champ des responsabilités
des élus et de la pénalisation exagérée de notre droit.
Les collectivités sont bien souvent insuffisamment armées pour y faire face,
madame la secrétaire d'Etat. C'est pourquoi, quand la gestion est bonne, il
faut le reconnaître et le dire.
La seconde tendance qui inquiète les élus est celle des chambres régionales
des comptes à effectuer des contrôles d'opportunité. En effet, les chambres
n'ont pas à émettre d'appréciations sur le bien-fondé des choix politiques des
élus, qui sont - on l'a déjà dit à cette tribune - du ressort du suffrage
universel.
Par conséquent, je suis favorable à l'article 1er du texte proposé par la
commission des lois, qui précise le contenu de l'examen de la gestion opéré par
les chambres régionales des comptes, en supprimant le contrôle
d'opportunité.
De plus, il faut avoir à l'esprit que les chambres régionales des comptes
détiennent des pouvoirs exorbitants du fait des conséquences que peuvent
engendrer leurs seules observations.
La réputation des élus est à la merci des observations provisoires des
chambres, dont la presse fait souvent état sans les replacer dans un contexte
général de gestion.
Or ce dialogue entre les élus et les chambres mériterait d'être favorisé sans
être mis sur la place publique. Il ne peut être que bénéfique à la démocratie
locale.
La crise des candidatures aux élections municipales, que nous observons dans
tous les sondages, est révélatrice du malaise des élus, qui supportent de plus
en plus difficilement d'être la cible des juridictions administratives,
juridiques ou financières pour des délits non intentionnels.
Les élus sont confrontés à l'impossibilité d'avoir des services compétents
mais également à la méconnaissance de règles administratives ou
jurisprudentielles qui ont évolué rapidement ces dix dernières années et dont
même les magistrats n'ont pas connaissance avant de les apprendre, comme les
avocats, d'ailleurs - j'ai exercé cette profession pendant trente-cinq ans -, à
la faveur de l'étude d'un dossier.
Aussi, si la commission des lois a supprimé les premiers articles de la
proposition de loi, qui tendaient à créer le groupement d'intérêt public pour
l'aide à la gestion des collectivités, considéré comme trop lourd, il n'en
reste pas moins vrai que l'idée développée par notre rapporteur était bonne,
car ce besoin de sécurité juridique se fait de plus en plus sentir, et il nous
faudra trouver une solution, madame la secrétaire d'Etat, autre qu'individuelle
et au coup par coup, car les avocats spécialisés en cette matière sont peu
nombreux, voire inexistants.
Les autres articles sont approuvés par nous, car ils améliorent les procédures
devant les chambres régionales et l'usage du « contradictoire », et ils
interdisent la publicité des observations provisoires.
Cependant, les dispositions du titre III sur l'inéligibilité, si elles vont
dans le bon sens, sont, à notre avis, trop timorées. C'est la raison pour
laquelle nous avons déposé deux amendements qui ont le mérite de la simplicité.
Des amendements émanant d'autres groupes de la Haute Assemblée vont d'ailleurs
dans le même sens.
Depuis quelque temps déjà, en effet, je me suis rendu compte de l'ignorance de
presque tous, y compris les élus, sur les raisons pour lesquelles un élu
déclaré comptable de fait devenait inéligible.
Tout simplement, mes chers collègues, le code électoral, dans ses articles L.
195 et L. 231 - nous en reparlerons lors de l'examen de nos amendements - a
voulu éviter que les comptables receveurs municipaux ou départementaux se
présentent aux élections contre le maire ou le conseiller général. C'est -
pardonnez-moi l'expression - aussi bête que cela ! Ils sont énumérés entre les
inspecteurs d'académie et les directeurs des postes ou les policiers et les
chefs de bureau de préfecture.
Un troisième amendement déposé par mes soins a été accepté par la commission
des lois.
De quoi s'agit-il ? Mes chers collègues, l'inéligibilité est une sanction
grave et injustifiée, lorsqu'il n'y a pas de délit - pénal, entendons-nous bien
! - reproché au maire ou au président de conseil général ou de conseil
régional.
Mais il y a plus grave pour les élus, et ce même si beaucoup n'en sont pas
conscients, car ils méconnaissent les problèmes posés par le non-respect de la
séparation des ordonnateurs et des comptables, vieux principe datant de
frimaire ou de vendémiaire an III et des ordonnances royales de 1822, 1838 et
1862, et qui peut entraîner la responsabilité financière de l'élu et la saisie
de ses biens personnels, c'est-à-dire une mise en débet, dans le cas où il est
déclaré comptable de fait, et ce alors qu'il n'y a aucune malversation de sa
part et que, de surcroît, la collectivité concernée a reconnu le « caractère
d'utilité publique de la dépense ».
Comment, dans ce cas, peut-on saisir le patrimoine ou le salaire de l'élu
concerné ?
Même les présidents des chambres régionales des comptes sont conscients - ils
me l'ont dit - du « trou législatif » qui existe. Ils demandent au législateur
que nous sommes d'élaborer un texte qui leur permette de ne pas ruiner certains
élus locaux qui ne sont coupables d'aucune marlversation.
En effet, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la gestion de fait
étant une gestion irrégulière des deniers publics, le but de l'opération de
déclaration de gestion de fait est d'aboutir à une régularisation des dépenses
permettant d'octroyer au comptable de fait le quitus de gestion, c'est-à-dire
de lui délivrer en quelque sorte un certificat de régularisation des dépenses
opérées.
Cependant, dans cette procédure de gestion de fait, déjà complexe, une étape
importante, qui en constitue le point central, est la reconnaissance d'utilité
publique des dépenses, qui, comme l'indique d'ailleurs M. Michel Lascombe dans
la
Revue française des finances publiques
de juin 1999, « est sans doute
l'une des étapes les plus mystérieuses ».
Afin de rationaliser et de « juridiciser » cette étape, il convient de lui
rendre son rôle primordial dans la procédure, afin de donner une sécurité
juridique et comptable au comptable de fait mis en cause. Car, actuellement,
celui-ci peut obtenir la reconnaissence de l'utilité publique des dépenses et
se voir
in fine
- c'est tout de même assez paradoxal ! - déclarer en
débet par la chambre régionale des comptes, qui pourra refuser d'allouer
certaines dépenses, c'est-à-dire en rejeter certaines, pour les laisser à la
seule charge du comptable de fait, sans que l'organisme public ayant conféré et
reconnu l'utilité publique des dépenses puisse le suppléer.
Dans ce cas, le comptable de fait, bien qu'ayant vu les dépenses reconnues
d'utilité publique, n'aura plus comme recours qu'à demander une remise
gracieuse ou à entamer des contentieux fondés sur la notion d'enrichissement
sans cause ou en répétition de l'indu, ce que le droit romain désigne sous le
terme d'action
de in rem verso
.
A moins, mes chers collègues, que ne s'impose à tous la jurisprudence initiée
par l'arrêt de la Cour des comptes du 7 octobre 1993 dans le dossier de la
mairie de Salon-de-Provence ! Une écriture législative me paraît toutefois
souhaitable.
Je remercie donc les signataires de cette proposition de loi, qui ont fait
oeuvre utile, puisqu'elle nous a permis de faire prendre en compte par tous les
réalités concrètes auxquelles les élus locaux sont confrontés. Ces réalités
sont largement méconnues dans le public. Mais n'est-ce pas notre faute à nous,
parlementaires, et à l'Association des maires de France s'il y a un déficit de
communication assez considérable en la matière ?
Au bénéfice de ces explications, le groupe des Républicains et Indépendants,
qui débattra des amendements avec la plus grande ouverture d'esprit, soutiendra
le texte qui nous est proposé.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, le texte dont l'examen vous est proposé est, comme l'ont rappelé
MM. Amoudry et Oudin, le fruit d'un travail long et intense, auquel un certain
nombre d'entre vous ont participé. Il faut le souligner, comme doit l'être
toute démarché, toute action guidée par le souci d'améliorer le fonctionnement
de nos institutions et donc de notre démocratie.
Dès sa prise de fonction, le Gouvernement s'est trouvé confronté à l'émergence
d'un mouvement social qui affectait les chambres régionales des comptes et qui
était important au regard du nombre de magistrats qui l'ont animé.
Ce mouvement trouvait son origine dans l'adoption par le Parlement, le 26 mars
1997, d'une refonte du statut des conseillers des tribunaux administratifs, qui
plaçait ceux-ci dans une situation de carrière plus favorable que celle des
magistrats des chambres régionales des comptes.
Légitimement, ceux-ci ont manifesté leur inquiétude devant cette distorsion
d'autant plus incompréhensible que les missions et l'organisation de ces deux
institutions sont très largement comparables.
Dans ces conditions, le Gouvernement s'est attaché à mettre en oeuvre la
réforme du statut des conseillers des chambres régionales des comptes, qui a
été adoptée en conseil des ministres le 29 décembre 1999, déposée sur le bureau
de l'Assemblée nationale et adoptée par celle-ci en première lecture le 30 mars
dernier. M. Oudin a bien voulu souligner le caractère nécessaire et, bien sûr,
positif de ce projet.
Pour autant, le Gouvernement ne s'est pas désintéressé des missions et des
procédures des chambres régionales des comptes, qui font clairement partie du
bloc de décentralisation, comme l'a très judicieusement rappelé M. Charasse.
C'est ainsi que, prenant en compte le souci exprimé par l'Assemblée nationale
de légiférer sans délai dans le sens d'une stabilisation des relations entre
les élus locaux et les chambres régionales des comptes, le Gouvernement a
accepté l'introduction de deux articles dans le projet de loi statutaire, comme
l'a rappelé Mme Borvo.
Toutefois, et les travaux que vous avez menés en la matière l'ont bien montré,
cette stabilisation des relations et des procédures, somme toute naturelle pour
une institution de création récente, implique une approche globale, alors que
nous sommes aujourd'hui face à des initiatives dispersées et multiples.
Dispersées, car, outre la présente proposition de loi issue du groupe de
travail du Sénat, il existe une autre proposition de loi, qui émane d'un
député, M. Nicolin.
Multiples, parce que, si votre proposition de loi est principalement consacrée
à l'une des missions qui sont confiées aux chambres régionales des comptes, à
savoir l'examen de la gestion, la plus grande part des amendements qui ont été
déposés sur ce texte sont centrés sur une autre mission, qui est le jugement
des comptes, au travers de la procédure de gestion de fait, dont le radicalisme
des conséquences peut, effectivement, inquiéter un certain nombre d'élus.
Ces diverses initiatives méritent un examen d'ensemble afin de préserver les
objectifs de clarification, de lisibilité et de stabilisation que le
Gouvernement, avec la représentation nationale, a le souci d'atteindre.
C'est pourquoi il paraît préférable de les examiner dans un cadre cohérent.
Le projet de loi statutaire peut apparaître, de ce point de vue, comme le
meilleur vecteur, dans la mesure où il a été élargi, je viens de l'indiquer, à
des dispositions qui touchent aux procédures qui sont applicables devant les
chambres régionales des comptes.
Il va de soi que toute adjonction à ce projet ne peut se concevoir qu'à la
condition qu'elle ne se traduise pas par le report de l'adoption du nouveau
statut, à laquelle les magistrats des chambres régionales des comptes, de la
Cour des comptes, le Gouvernement et le Parlement sont attachés.
Pour autant, ne vous méprenez pas sur mes propos : il n'est pas dans
l'intention du Gouvernement de reporter
sine die
l'examen de ces
différentes initiatives.
Je voudrais, pour vous en convaincre, m'attarder sur les dispositions qui ont
été adoptées dans le cadre du projet de loi statutaire car elles répondent
pleinement, me semble-t-il, à un point qui figure au coeur de vos
préoccupations, exprimées dans le texte qui est aujourd'hui présenté devant la
Haute Assemblée.
Ces dispositions, quelles sont-elles ?
En premier lieu, les observations des chambres régionales des comptes ne
peuvent être arrêtées définitivement qu'après réception des réponses écrites
des personnes concernées, auxquelles est accordé à cet effet un délai de deux
mois, ou, à défaut, à l'expiration de ce délai.
En second lieu, les observations définitives des chambres régionales des
comptes prennent la forme d'un rapport d'observations auxquelles les personnes
concernées se voient donner la possibilité de répondre par écrit sous un
nouveau délai de deux mois. Dès lors que des réponses écrites sont apportées,
elles sont annexées au rapport d'observations.
Ces dispositions, je tiens à le souligner, monsieur Paul Girod, pour répondre
à la préoccupation que vous avez exprimée, sont d'une portée majeure en termes
de démocratie puisque, d'une part, elles reviennent en quelque sorte à donner
aux ordonnateurs le dernier mot et, d'autre part, elles livrent à l'électeur,
au citoyen, dans un même document, le point de vue de la chambre régionale des
comptes et celui de l'élu ou du dirigeant concerné, lui apportant ainsi tous
les éléments pour se forger sa propre opinion.
Dans la grande majorité des cas, l'opinion du citoyen sur la gestion des
collectivités locales est bonne. En effet, monsieur Oudin, vous avez raison,
les collectivités locales n'ont pas à rougir de leur gestion l'Etat non plus
d'ailleurs.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
C'est un peu différent !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Vous avez raison au moins sur deux points.
Tout d'abord, l'Etat doit être encore plus transparent, en dépit des progrès
les plus récents qui ont été accomplis dans ce domaine. Par ailleurs, l'Etat -
c'est vrai aussi - est encore lourdement déficitaire, même si sa situation
s'est beaucoup améliorée au cours des trois dernières années, années de forte
croissance.
L'Etat - j'en profite pour le rappeler - tient les engagements qu'il a
contractés à l'égard des collectivités locales. Ainsi, le contrat de croissance
et de solidarité qui a été conclu pour les années 1999-2001 leur assure-t-il
des concours indexés sur une partie croissante d'une croissance elle-même de
plus en plus forte.
J'en reviens au texte qui nous occupe cet après-midi et aux dispositions qui
ont été adoptées lors de la première lecture du projet de loi statutaire à
l'Assemblée nationale.
Vous avez pu constater que ces dispositions, qui renforcent le caractère
contradictoire de la procédure, répondent à votre proposition qui forme
l'article 7 et vont même au-delà, par le délai de deux mois qu'elles posent,
quand cet article n'en prévoit qu'un. Elles constituent donc une forme de
réponse à pas moins de six articles du texte dont nous discutons aujourd'hui,
sur les quatorze qu'il comprend.
J'ajoute que l'article 5 qui est proposé a d'ores et déjà reçu application
puisqu'il forme l'article 7 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations.
En conséquence, à l'examen de ce texte, je formulerai deux séries de
réponses.
La première c'est que les dispositions législatives répondant en grande partie
à des préoccupations qu'il exprime sont d'ores et déjà prises en compte ou sont
en voie de l'être.
La seconde, c'est la nécessité, par souci de sécurité, de stabilité, de
cohérence, d'examiner globalement les diverses initiatives existantes en ce qui
concerne les procédures qui sont applicables devant les chambres régionales des
comptes.
Ces initiatives doivent être examinées, débattues ensemble de manière que,
même si elles ne sont pas toutes retenues, à l'issue des débats, il en naisse
un ensemble cohérent et équilibré, sauf à remettre sans cesse, comme votre
groupe de travail en a ressenti la nécessité, l'ouvrage sur le métier.
Pour cet ensemble de raisons, le Gouvernement souhaite le retrait de ce
texte.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Ça, c'est une surprise !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DISPOSITIONS TENDANT À AMÉLIORER LES CONDITIONS D'EXERCICE DES COMPÉTENCES
LOCALES ET À ASSURER UNE PLUS GRANDE SÉCURITÉ JURIDIQUE AUX ACTES DES
COLLECTIVITÉS LOCALES
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - I. - Après le premier alinéa de l'article L. 211-8 du code des
juridictions financières, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« L'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion et sur
l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés par
l'assemblée délibérante ou par l'organe délibérant sans que ces objectifs, dont
la définition relève de la responsabilité exclusive des élus ou des délégués
intercommunaux, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations.
« Les observations que la chambre régionale des comptes formule à cette
occasion mentionnent les dispositions législatives ou réglementaires dont elle
constate la méconnaissance. Elles prennent en compte expressément les résultats
de la procédure contradictoire avec l'ordonnateur et celui qui était en
fonctions au cours de l'exercice examiné ou le dirigeant ou tout autre personne
nominativement ou explicitement mise en cause. L'importance relative de ces
observations dans l'ensemble de la gestion de la collectivité ou de
l'établissement public est évaluée. »
« II. - En conséquence, le début du dernier alinéa du même article est ainsi
rédigé :
« La chambre régionale des comptes peut également... »
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - Le chapitre Ier du titre Ier de la première partie du livre II du
code des juridictions financières est complété par un article L. 211-9 ainsi
rédigé :
«
Art. L. 211-9.
- Dans le cadre de la mission qui lui est confiée par
l'article L. 211-8, la chambre régionale des comptes recense les difficultés
auxquelles les collectivités locales ou établissements publics ont été
confrontés dans l'application des dispositions législatives et réglementaires.
Les constatations des chambres régionale des comptes sont insérées dans le
rapport public annuel de la Cour des comptes dans les conditions fixées par les
articles L. 136-2 et suivants. » -
(Adopté.)