Séance du 11 mai 2000
M. le président. « Art. 10. - Au début du 11° de l'article L. 195 du code électoral, sont insérés les mots : "Sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article L. 205,". »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Balarello et les membres du groupe des Républicains et Indépendants.
L'amendement n° 17 est déposé par MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à rédiger comme suit cet article :
« Dans le 11° de l'article L. 195 du code électoral, après les mots : "agents et comptables de tout ordre", sont insérés les mots : "agissant en qualité de fonctionnaire". »
La parole est à M. Balarello, pour présenter l'amendement n° 1.
M. José Balarello. Cet amendement vise les problèmes relatifs à l'inégilibité des élus au conseil général lorsque ces derniers sont déclarés comptables de fait.
L'article 195 du code électoral prévoit dix-neuf catégories de personnes ne pouvant être élues membres du conseil général. Entre le dixième alinéa, qui concerne les inspecteurs d'académie, les inspecteurs de l'enseignement primaire, et le douzième alinéa, qui vise les directeurs départementaux et inspecteurs principaux des postes et télécommunications, figurent les agents et comptables de tout ordre, employés à l'assiette, à la perception et au recouvrement des contributions directes et indirectes, etc. On assimile donc les comptables de fait à ces agents et comptables. C'est la raison pour laquelle je propose, par l'amendement n° 1, d'ajouter les mots : « agissant en qualité de fonctionnaire ».
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 17. M. Michel Charasse. Monsieur le président, cet amendements n°s 18 à 21 ont tous le même objet, et je les défendrai donc ensemble.
Aux termes du code des juridictions financières et du code électoral, l'élu définitivement déclaré comptable de fait est inéligible.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure dans la discussion générale, cette sanction a, en fait, un caractère automatique ; or, le Conseil constitutionnel, voilà dix-huit mois, a remis en cause, à propos d'un texte étendant à la Nouvelle-Calédonie des dispositions du droit français relatives au droit des sociétés, et notamment aux faillites, le principe de l'automaticité de telles sanctions, en considérant qu'il ne pouvait y avoir perte des droits civiques sans une décision de justice.
Les amendements que je présente ont pour objet de supprimer cette sanction automatique. La question qui se pose est bien évidemment de savoir s'il ne va pas en résulter une inégalité entre le comptable public ou patent qui est, en tout état de cause, inéligible et le comptable de fait, qui, devient inéligible dans la mesure où il est déclaré comptable.
Je tiens à dire que leur situation n'est pas du tout la même : le comptable public, lui, prête serment devant la chambre régionale des comptes ; le comptable de fait, non. Le comptable public, lui, dispose de moyens de poursuivre le recouvrement des sommes indues ; le comptable de fait, non. Le comptable public, lui, a la possibilité d'adhérer à un organisme de caution mutuelle qui le couvre jusqu'à hauteur de la moitié ou d'un peu plus en cas de débet ; le comptable de fait, non. De surcroît, le gestionnaire de fait n'est comptable que pour la brève période pendant laquelle il a été déclaré tel, et, généralement, lorsque la sanction d'inéligibilité est appliquée, il y a beau temps qu'il ne l'est plus, puisque ses activités de comptable ont cessé. Dans ce cas, la sanction frappe donc a posteriori une période de deux, trois, quatre, cinq ou six mois, période pendant laquelle l'intéressé a été, quelquefois à son corps défendant et sans s'en rendre compte, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, un comptable de fait.
Par conséquent, le principe d'égalité n'est, à mon avis, pas rompu puisque les comptables sont dans une situation différente.
J'ajoute - ce n'est pas moindre - que, pour son métier de comptable public, l'intéressé est rémunéré par l'Etat, alors que, pour son métier de comptable de fait, l'intéressé n'est qu'emm... par tout un tas de personnes, dont la chambre régionale des comptes et quelques autres ! Il n'y a donc pas vraiment d'égalité entre les deux catégories.
Tous ces amendements ont donc le même objet. Ils visent, comme l'amendement n° 1 de M. Balarello, à dire que l'inéligibilité ne concerne que le comptable patent, donc public, et que, dans tous les autres cas, il n'y a pas d'inéligibilité pour l'ordonnateur qui s'est érigé en comptable de fait, sauf, bien entendu - mais c'est le tribunal judiciaire qui le dira - s'il y a eu des malversations entraînant une inégibilité au titre des peines prévues pour les condamnés dans le cadre du code électoral.
Monsieur le président, j'ai défendu en bloc tous mes amendements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 1 et 17 ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. En ce qui concerne l'amendement n° 1 - mais cet avis constitue également une réponse aux amendements que vient de présenter M. Charasse -, il tend à ne rendre inéligible aux assemblées locales que les seuls comptables exerçant en qualité de fonctionnaires. Dans son esprit, cet amendement a le même objet que le texte adopté par la commission des lois, qui vise à préciser les règles d'inéligibilité applicables aux ordonnateurs reconnus comptables de fait.
Toutefois, la commission des lois, conformément aux recommandations du groupe de travail, a retenu une procédure de suspension de ses fonctions de l'ordonnateur reconnu comptable de fait jusqu'à la régularisation de sa situation.
Le bien-fondé de cette procécure est admis par les magistrats financiers eux-mêmes, lesquels ont regretté, devant le groupe de travail, que le juge des comptes soit conduit à être également le juge du mandat.
C'est pourquoi le texte de la commission des lois précise, à l'article L. 195 du code électoral, que l'inéligibilité des comptables exerçant dans le département est applicable sous réserve des dispositions relatives à la suspension des fonctions d'ordonnateur insérées par la commission à l'article L. 205.
Le dispositif de la commission paraît donc de nature à satisfaire l'objet de l'amendement, lequel, en revanche, introduit dans l'énoncé des règles générales d'éligibilité une différence de traitement entre les comptables selon qu'ils sont fonctionnaires ou non. La commission des lois s'est néanmoins ralliée à cette proposition.
Je précise que, si les amendements n°s 1 et 17 étaient adoptés, ils rendraient sans objet les articles 11, 13 et 14 de la proposition de loi dans le texte proposé par la commission des lois. Ces articles devraient alors faire l'objet des coordinations prévues.
La commission émet donc un avis favorable sur les amendements n°s 1 et 17.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1 et 17 ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Comme les orateurs précédents, je m'exprimerai globalement sur les amendements n°s 1, 17 et suivants.
Il faut examiner de manière globale la question des conséquences de la gestion de fait ; en effet, dans le droit existant, l'équilibre du régime est sinon fragile, du moins ténu.
L'article 195 du code électoral prévoit l'égalité de traitement au regard de la possibilité de se faire élire, entre d'une part, un citoyen exerçant la profession de comptable public et, d'autre part, un élu s'étant ingéré momentanément dans les mêmes fonctions de comptable.
D'un côté, le comptable public ne peut se présenter à une élection dans le ressort de son territoire professionnel dans le délai de six mois, non pas parce qu'il aurait agi en contradiction avec les lois et règlements mais tout simplement parce que pèse a priori sur lui le soupçon d'avoir utilisé ses fonctions pour se concilier les électeurs.
D'un autre côté, cette incompatibilité est appliquée à un élu qui a été jugé comptable de fait, c'est-à-dire qu'il a utilisé ses fonctions d'ordonnateur pour distraire de la caisse publique une partie des deniers de la collectivité qu'il administre.
Supprimer cette incompatibilité pour le comptable de fait pose une vraie question de rupture d'équilibre qu'il importe de considérer.
Les dispositions de l'article L. 205 du code électoral, que la commission propose également de modifier à l'article suivant, comportent, j'en conviens, des imperfections. En effet, pour éviter l'effet brutal et immédiat d'une démission d'office, elles permettent qu'un élu qui a été jugé comptable de fait soit maintenu dans ses fonctions électives s'il reçoit quitus dans le délai de six mois de l'expiration du délai de production du compte. Mais si une nouvelle élection intervenait dans les six mois, il ne pourrait pas se représenter.
Nous pensons que des améliorations et des corrections peuvent être apportées sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs posé par notre droit financier. Nous souhaitons donc, nous aussi, remédier à la rigueur, effectivement excessive, de certaines des conséquences de la gestion de fait en matière électorale.
J'en profite, si vous m'y autorisez, monsieur le président, pour récapituler les engagements que j'ai pris devant vous.
J'ai pris ainsi l'engagement d'introduire dans le projet de loi statutaire qui sera prochainement soumis à la Haute Assemblée une disposition relative à la délibération de reconnaissance de l'utilité publique, qui satisfera l'amendement n° 11 de M. Charasse.
J'ai proposé à votre assemblée de réexaminer dans le cadre de l'article 32 de ce projet de loi statutaire les propositions relatives aux missions des chambres régionales des comptes en matière d'examen de la gestion, notamment en ce qui concerne les réponses écrites des ordonnateurs aux observations définitives.
S'agissant enfin de l'apurement administratif, j'ai indiqué que le groupe de travail commun à la Cour des comptes et au ministère des finances proposera un système, durable je l'espère.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les deux amendements identiques n°s 1 et 17.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 1 et 17.
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. L'explication de Mme le secrétaire d'Etat contient des éléments positifs, et je l'en remercie, puisqu'elle nous a dit en réalité qu'elle prendrait en compte les travaux qui se sont déroulés cet après-midi au Sénat.
Cela étant, lorsqu'on nous dit qu'il y aurait rupture de traitement entre le comptable public et le comptable de fait, je réponds qu'il faut revenir au code électoral ! Qu'a voulu le législateur en adoptant les articles L. 194 et suivants concernant les conseils généraux ? Il en est d'ailleurs de même pour les conseils municipaux, et c'est pourquoi nous avons déposé, avec Michel Charasse, un certain nombre d'amendements visant aussi ces derniers. Le législateur a, dans les deux cas, souhaité rendre inéligibles un certain nombre de personnes : les préfets, les magistrats du siège et du parquet, les membres des tribunaux d'instance et de grande instance, les officiers, les fonctionnaires des corps actifs de police, les ingénieurs des Ponts et Chaussées - tous les élus cantonaux le savent ! - mais aussi les ingénieurs des Postes et Télécommunications, etc. Bref, ces articles contiennent une nomenclature de dix-neuf professions.
Cela n'a toutefois, rien à voir avec la différence de traitement entre le comptable public et celui qui serait devenu comptable public à la suite d'une gestion de fait !
En réalité, là où le bât blesse, c'est précisément parce que la jurisprudence qui a été établie pour l'application de ces dispositions est le fruit de je ne sais quel esprit tortueux - et je suis mesuré : j'allais dire « tordu » - dans la mesure où l'article L. 195 a été appliqué à la gestion de fait.
Je crois, madame le secrétaire d'Etat, qu'il faut que vous purgiez ce problème de façon définitive, comme nous le ferons pour les élections municipales dans quelques instants.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 1 et 17, acceptés par la commission et repoussés par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 10 est ainsi rédigé.
Article 11