Séance du 29 mai 2000







M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mes collègues du groupe socialiste ayant balayé de manière assez exhaustive l'ensemble du texte, mon propos portera essentiellement sur les enjeux et l'économie du numérique hertzien.
Force est de constater que, dans le domaine de l'audiovisuel en particulier et des communications en général, nous baignons dans l'incertitude. Les évolutions technologiques sont constantes et personne n'est en mesure de dire ce que sera la télévision dans dix ans. De ce fait, il nous est également difficile de mesurer l'impact économique et culturel du numérique terrestre. A cet égard, notre réflexion manque sérieusement de dimension européenne et de positionnement par rapport aux Etats-Unis.
Il est absolument indispensable que le dispositif retenu pour le numérique terrestre soit équilibré et largement ouvert. Nous ne devons pas fermer a priori les portes aux évolutions actuellement envisageables. Je pense en particulier à la portabilité, c'est-à-dire à la possibilité de déplacer le téléviseur, que les propositions de la majorité sénatoriale, contrairement à celles de l'Assemblée nationale, n'envisagent pas. Elle présente un intérêt certain pour le téléspectateur, mais elle a en contrepartie le désavantage d'exiger plus de puissance et, par voie de conséquence, de réduire les fréquences utilisables. A plus long terme, c'est même la réception à partir de tout moyen de transport qui pourra être développée.
Notre dispositif législatif ne peut donc se présenter que comme un socle évolutif. Aussi le rapport gouvernemental prévu à l'article 22 ter sur l'initiative du Sénat et portant sur le passage à la diffusion numérique terrestre quatre ans après l'entrée en vigueur de ce texte participe tout à fait de cette démarche pragmatique, par étapes successives, que le contexte technologique nous impose.
Lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, Mme Catherine Trautmann avait évoqué une étude quantitative en cours destinée à préparer la mise en oeuvre du numérique hertzien et la répartition de la ressource par le CSA, dont les résultats devaient être disponibles avant l'adoption définitive de la loi. Etes-vous en mesure, madame la ministre, de nous donner d'ores et déjà des éléments d'information supplémentaires ?
Ce qui fait défaut, par ailleurs, dans ce contexte d'incertitudes, et même si le texte actuel tend à un équilibre, c'est une approche globale entre le câble, le satellite et le numérique hertzien, et plus largement entre numérique hertzien, convergence des télécoms et informatique. Ainsi ne voit-on pas pour l'instant la place faite à l'Internet sur le numérique terrestre. Or développer l'interactivité par ce biais ne pourra que populariser les nouvelles technologies de l'information et de la communication. N'oublions pas que seuls quelques millions de Français sont branchés sur le web. Mais je ne doute pas que le futur projet de loi sur la société de l'information viendra clarifier cette situation.
Des questions techniques restent cependant en suspens, et non des moindres. L'article 22 decies prévoit la planification des fréquences pour la fin de cette année. Or le CSA estime que le délai nécessaire pour assurer la planification de la télévision numérique terrestre sur l'ensemble du territoire ne peut, du fait notamment de la coordination internationale, être inférieur à trois ans. En outre, elle nécessite un réaménagement du spectre analogique, auquel devraient pouvoir prendre part tous les acteurs concernés.
L'interopérabilité des terminaux, qui nécessite de choisir une norme standardisée, est un enjeu majeur non seulement pour les industriels, mais aussi pour le téléspectateur. De cette question dépend notamment la réalisation d'un guide électronique des programmes indispensable pour se repérer dans l'offre télévisuelle numérique.
Par ailleurs, le développement de la télévision numérique hertzienne ne doit pas être, tout comme l'accès aux hauts débits pour l'Internet, une nouvelle source d'inégalité. Parce qu'elle relève de l'aménagement du territoire et doit permettre l'égal accès des citoyens aux NTIC, la couverture de l'ensemble du territoire national est une mission d'intérêt général.
Actuellement, l'Agence nationale des fréquences prévoit quatre multiplex couvrant 80 % de la population et deux autres n'en couvrant que 60 %. Afin de réaliser cette couverture, les études prévoient de trois à quatre années de travaux pour équiper les stations principales de diffusion de TDF, soit seulement 2 % des émetteurs en service. Et la première année, avec trente points hauts aménagés, c'est la moitié de la population qui sera couverte. Pour le reste de la population, il est envisagé d'assurer la couverture des zones d'ombre grâce au satellite. Mais, dans ce cas de figure, à qui incombera le coût de la complémentarité ? Et est-ce possible ?
Les industriels souhaiteraient que soit d'ores et déjà fixée une date pour le basculement définitif de l'analogique au numérique. Cela s'avère prématuré, puisque celle-ci dépend totalement du taux d'équipement des ménages. Certains estiment que les téléviseurs numériques ne seront vendus au prix de l'analogique que lorsque les téléviseurs mixtes, analogique/numérique, prévus dans un premier temps, auront disparu du marché. En Grande-Bretagne, le prix de vente actuel des téléviseurs numériques avoisine les 10 000 francs.
Or c'est bien de la conjonction de trois facteurs : taux de couverture du territoire, niveau d'équipement des foyers en récepteurs ou décodeurs numériques et attractivité de l'offre numérique terrestre, que dépend la réussite de la migration vers le numérique hertzien. C'est pourquoi toute notre démarche consiste à défendre le pluralisme, que ce soit à travers l'attribution par service, et non par multiplex, qui défavorise les nouveaux entrants, ou l'ouverture aux programmes de proximité et aux télévisions associatives. Nous sommes convaincus que, pour être attractif, le numérique herzien doit laisser une large place aux oeuvres originales et ne pas multiplier les chaînes de rediffusion.
Enfin, chacun s'accorde à dire que le dispositif anticoncentration appliqué à la télévision analogique et limitant à 49 % la part de capital que peut détenir une même personne dans une société titulaire d'une autorisation en hertzien est inapproprié au numérique, mais le groupe socialiste ne partage pas l'analyse selon laquelle l'augmentation des canaux de diffusion suffit, à elle seule, à garantir le pluralisme.
A l'inverse, appliquer le seuil de 49 % à chaque service diffusé est beaucoup trop contraignant.
C'est pourquoi nous proposons une solution médiane pour aménager la règle anticoncentration, tout en conservant l'objectif initial de celle-ci. Avec notre amendement, dont Mme Pourtaud a parlé précédemment, celle-ci s'applique uniquement aux groupes détenant plusieurs autorisations numériques, et seulement si l'ensemble de leurs services dépasse un bassin d'audience global de 30 millions d'habitants. Sinon, seule l'autorisation en simulcast est soumise à la règle des 49 %. Il s'agit là d'une disposition équilibrée qui devrait rallier de nombreux suffrages.
Voilà, pour l'essentiel, les points sur lesquels je souhaitais insister. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure où je monte à cette tribune, tout a été dit, mais tout reste à dire.
M. Michel Pelchat. Tout reste à faire !
M. Henri Weber. Je prends donc la parole, mais je serai bref. (Sourires.)
Notre secteur de l'audiovisuel se trouve aujourd'hui confronté à trois défis majeurs.
Premier défi : réussir le passage de la télévision analogique à la télévision numérique de terre. Notre rapporteur a eu raison d'y insister, ce n'est ni facile ni acquis d'avance ; notre collègue Serge Lagauche vient de le rappeler à nouvau.
Deuxième défi : doter notre pays d'une industrie de programmes télévisuels dynamique, à l'image de celle qui existe désormais au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. Henri Weber. Passé de six chaînes à trente-six chaînes et plus, c'est très bien, mais encore faut-il pouvoir fournir ces nouveaux supports en programmes divers et de qualité.
Troisième défi : favoriser le développement de l'Internet en assurant en même temps la sécurité des individus et le respect du droit sur le réseau.
Je me bornerai à évoquer, dans les quelques minutes que je me suis moi-même imparties, les deux premiers objectifs, me réservant d'aborder le troisième dans le débat sur les amendements.
S'agissant du passage au numérique hertzien, le projet de loi que vous nous proposez, madame la ministre, nous semble en effet, pour reprendre votre propre expression, pertinent et équilibré.
D'une part, il s'efforce de mobiliser les grands diffuseurs existants capables de proposer une offre attractive aux téléspectateurs et d'accélérer leur migration vers la télévision numérique de terre.
Le groupe France Télévision se voit attribuer neuf ou dix canaux supplémentaires au titre de ses missions de service public ; TF1, Canal Plus, M6, en obtiendront entre deux et cinq chacun.
Ces grandes entreprises de l'audiovisuel savent pertinemment que l'avenir est non plus à la diffusion analogique mais au numérique interactif.
Elles n'ont pas besoin, monsieur le rapporteur, qu'on leur déroule un tapis rouge pour s'engager dans cette voie, ni qu'on leur promette un multiplexe entier.
Votre projet de loi leur fait une large place, madame la ministre, et ne complique pas inutilement leur redéploiement. Nous proposerons plusieurs amendements pour simplifier celui-ci ; je pense notamment à celui que vient d'évoquer Serge Lagauche après Danièle Pourtaud, et qui est relatif aux mesures anticoncentration. En effet, il ne nous semble pas nécessaire d'imposer la clause de 49 % maximum relative à la détention du capital à toutes les filiales thématiques des chaînes qui sont déjà elles-mêmes soumises à cette obligation. Cette clause pourrait intervenir seulement à partir d'un certain seuil d'audience. Nos collègues ayant traité du sujet, je n'y reviens pas.
Le pessimisme de M. le rapporteur au sujet de l'incitation de nos grands diffuseurs historiques à s'engager dans le numérique hertzien nous semble donc infondé.
Au demeurant, si mobiliser les opérateurs existants est un objectif important, ce n'est pas le seul.
Votre projet de loi, vous l'avez rappelé, vise aussi un autre objectif, tout aussi essentiel : favoriser l'arrivée de nouvaux entrants à l'occasion de cette multiplication des chaînes. Les candidatures de qualité ne manquent pas.
Il s'agit à mes yeux d'un objectif décisif : l'une des raisons de la crise de l'industrie française de la production, sur laquelle je vais revenir moi aussi dans un instant, est en effet la structure oligopolistique du marché de l'audiovisuel. Tant qu'il y aura, d'un côté, quatre ou cinq diffuseurs et, de l'autre, des centaines de PME de la production, les premiers imposeront leur loi aux seconds, qui ne pourront pas véritablement se développer.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. Henri Weber. L'entrée de NRJ, de Pathé, d'AB Production, du groupe Lagardère et de bien d'autres qui, aujourd'hui, soumissionnent, mais aussi des chaînes associatives et régionales augmentera le pluralisme de notre télévision, créera les conditions d'un second marché des oeuvres, améliorera le rapport des forces entre producteurs et diffuseurs dans un sens un peu moins défavorable aux premiers.
Le rapport de la commission des affaires culturelles ne tient pas suffisamment compte de ce second impératif. Il se laisse obnubiler par le premier, or le second est au moins aussi important.
C'est pourquoi la solution qui consiste à attribuer les nouvelles fréquences par services et non par multiplexe, sur appel d'offres du CSA, préconisée par votre projet de loi et votée par l'Assemblée nationale, nous semble préférable à celle que proposait le Sénat en première lecture et à laquelle M. le rapporteur souhaite revenir.
J'en viens au second point qui me semble autrement plus préoccupant : le sous-financement de notre production audiovisuelle et ses conséquences.
Vous connaissez les chiffres ; ils ont été présentés et longuement commentés lors du colloque organisé ici même, en novembre 1999, par notre collègue Pelchat et par moi-même.
La télévision généraliste française - publique et privée - dispose de deux à trois fois moins de recettes que celle de nos grands voisins les plus proches. Or seule la télévision généraliste finance la production télévisuelle ; la télévision payante finance le sport et le cinéma, mais peu la production des oeuvres télévisuelles elles-mêmes.
Aux chiffres qui ont été rappelés par notre rapporteur et par les orateurs qui m'ont précédé, j'ajouterai ceux qui suivent, moins connus, mais tout aussi parlants : les productions de stocks - c'est-à-dire les films de fiction, d'animation et les documentaires - ont dégagé en 1998 un bénéfice de 40 millions de francs sur 3 milliards et demi de chiffre d'affaires, soit 1 %. Plus personne ne veut investir dans ce secteur de la production télévisuelle : les grandes entreprises audiovisuelles se séparent de leur branche de production de télévision. Après UGC, il y eut Gaumont et AB-Productions les sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle, les SOFICA, les banques et la bourse se détournent de ce secteur.
Il en résulte une stagnation, voire une baisse de la production audiovisuelle au cours de ces dernières années. La France est devenue le plus petit producteur européen d'oeuvres de fiction, loin derrière la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne et même l'Italie. Je ne m'en tiens qu'au quantitatif, car il y aurait aussi beaucoup à dire sur les conséquences de ce sous-financement en matière de prise de risque et de créativité. Je n'y reviens pas, car je me suis déjà longuement exprimé sur ce sujet en première lecture.
Or les programmes sont le coeur de la société de l'information. L'augmentation des crédits budgétaires, consentie pour cette année et promise pour 2001, à savoir 2,5 milliards de francs au titre de la compensation intégrale des exonérations de redevance, est substantielle. Elle doit être saluée car elle nous change de ce que nous avons connu pendant toute une période de paupérisation délibérée du service public de l'audiovisuel à des fins de privatisation.
Je ne sous-estime nullement cette mesure que je salue après les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune. Mais est-elle suffisante ? Je me permets d'en douter. Voilà qui, à terme, posera un problème. La représentation nationale peut-elle dire que la télévision constitue un instrument d'éducation populaire, d'intégration sociale et d'affirmation identitaire sans équivalent et continuer à la sous-financer de façon systématique ?
Lorsque l'on compare les fonds investis dans l'éducation nationale dans toutes les formations, qui s'élèvent à près de 400 milliards de francs, avec ceux qui sont consacrés à cet instrument prétendument sans égal par son efficacité et ses conséquences qu'est l'audiovisuel, on ne peut que constater une contradiction flagrante entre le propos et l'application en termes de financement.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. Henri Weber. Madame la ministre, vous avez confirmé l'attribution d'une dotation supplémentaire d'un milliard de francs pour assurer la transition au numérique hertzien. Nous saluons ces décisions, mais je rappellerai, après notre collègue M. Pelchat notamment, qu'en Grande-Bretagne le Gouvernement, qui n'est pas spécialement porté à l'augmentation des prélèvements obligatoires, s'est engagé à accroître la redevance de 2 milliards de francs pendant cinq ans pour financer l'essor du numérique hertzien et le développement audiovisuel. En Allemagne, cet engagement est de 3 milliards de francs par an.
En ce qui nous concerne, compte tenu du retard considérable que nous accusons déjà sur ces deux pays en matière de financement de l'audiovisuel public, allons-nous nous contenter d'une dotation exceptionnelle d'un milliard de francs ?
La rationalisation de la gestion rendue plus facile du fait de la constitution du groupe France Télévision en holding et de la désignation de son président pour cinq ans peut permettre, sans doute, de réduire certains faux frais et de consacrer plus de moyens au financement de la production.
Mais on sera encore assez loin du compte ! Le Gouvernement, engagé dans une politique justifiée et courageuse de réduction des prélèvements obligatoires, n'est pas disposé à augmenter la redevance. Dès lors, une question se pose, madame la ministre : comment allez-vous financer les implications de votre bon projet de loi ? Comment allons-nous remédier au sous-financement chronique de nos industries de programme ?
Nous sommes ici quelques-uns à avoir assisté aux états généraux de la création audiovisuelle qui se sont tenus en avril dernier et à avoir entendu les demandes émanant de tous les acteurs de cette industrie, à savoir augmenter jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires les obligations de financement de la production imposées aux diffuseurs - on peut se demander si le chiffre est raisonnable ; en tout cas la perspective de l'augmentation me semble l'être - et renforcer la fluidité des droits.
C'est sans doute une bonne piste. La constitution d'un véritable marché des oeuvres audiovisuelles grâce à l'entrée de nouveaux acteurs et le développement d'un marché de seconde diffusion en constitue une autre.
Sur toutes ces questions et sur quelques autres, notre groupe a déposé des amendements. Nous espérons qu'il en sera tenu compte. En tout état de cause, nous voterons votre projet de loi, madame la ministre, sauf, bien entendu, si la droite sénatoriale, selon une tradition désormais bien établie, le dénature. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues permettez-moi, avant d'aborder le sujet du débat d'aujourd'hui, à savoir la télévision, les dernières technologies, le peuple et la/les création(s) artistique(s), plus généralement les programmes et leur pluralisme, d'évoquer quelques faits significatifs dont je ne dissimulerai pas la dimension affective.
Je ne peux pas, en effet, ne pas me souvenir, madame la ministre, de nos premières rencontres alors qu'au ministère vous étiez à la direction des maisons de la culture, exigeante et ouverte parce que exigeante.
Je ne peux pas non plus ne pas me souvenir de la jeune directrice de la maison de la culture de Grenoble, vous savez, au temps où était fustigé à travers la honteuse expression « debarcalder » la politique Dubedout-Gilman de mettre des statues en ville, notamment un Calder devant la nouvelle gare.
Je ne peux pas non plus ne pas me souvenir de l'ensemble intercontemporain où vous avez ensuite collaboré avec Pierre Boulez, celui qui dit : « L'histoire n'est pas ce qu'on subit mais ce qu'on agit », et encore : « L'histoire faite par les grands compositeurs est non pas une histoire conservatrice mais, au contraire, une histoire de destruction tout en chérissant l'objet qu'on détruit ».
Je ne peux pas non plus ne pas me souvenir de votre compagnonnage ultérieur avec Patrice Chéreau aux Amandiers de Nanterre. Quel bonheur théâtral avec Koltès et Genet et Heiner Müller - « L'herbe même il faut la faucher afin qu'elle reste verte » - et Platonov avec les élèves de l'Ecole et Hamlet en Avignon et l'étonnante réussite de Lucio Scilla de Mozart. Tout cela, c'était l'équation de Chéreau : « Théâtre, Cinéma, Ecole ».
Je ne peux pas non plus ne pas me souvenir enfin de votre attachement à Avignon, singulièrement à la maison Jean Vilar et à Paul Puaux le digne militant, le grondeur affectueux, le plébéien, l'irrespectueux dans notre monde si consensuel, mou, flou, si mode...
On va peut-être dire que ce n'est pas l'ordre du jour que je déplisse parlant ainsi. Allons donc ! Ce sont ceux qui se contentent de survoler le réel qui peuvent parler comme cela. Les autres savent que c'est, au contraire, le profond ordre du jour, même avec l'environnement des dernières technologies.
Ce survol de ce que sont les primevères de votre responsabilité ministérielle d'aujourd'hui, madame la ministre, et dont j'ai le plaisir fier d'avoir été un peu - puis-je ajouter : plus qu'un peu ? - complice, m'évoque de récents propos de Gracq : « Outre leur langue maternelle, les collégiens apprenaient jadis une seule langue, le latin, moins une langue morte que le stimulus artistique incomparable d'une langue entièrement filtrée par une littérature. Ils apprennent aujourd'hui l'anglais et ils l'apprennent comme un espéranto qui a réussi, c'est-à-dire comme le chemin le plus court et le plus commode de la communication triviale, comme un ouvre-boîte, un passe-partout universel, grand écart qui ne peut pas être sans conséquences. »
Vous m'avez compris : je récuse l'espéranto, ouvre-boîte et passe-partout, et je pétitionne pour l'artisanat supérieur de Boulez, de Chéreau et de Vilar, qui ne sont pas séparables de l'audiovisuel, à l'ère de la radiotélévision et de ses nouveaux alentours multi-techniques, c'est-à-dire - et je cite Valéry et sa fulgurante prémonition dans La Conquête de l'ubiquité : « Il faut s'attendre que de si grandes nouveautés transforment toute la technique des arts, agissent par là sur l'invention elle-même, aillent peut-être jusqu'à modifier merveilleusement la notion même de l'art. »
Ces approches, madame la ministre, toute votre vie au service de la culture et de la création en témoigne, de même, ajouterai-je, que vos premiers actes et vos premières déclarations, qu'il s'agisse des cahiers des charges des chaînes publiques, de votre intervention au cours du colloque qui a préfacé le festival de Cannes, de FIP-Nantes, de la publicité sur Internet, de l'intangibilité du droit d'auteur, des codes de bonne conduite et des missions d'intérêt général, du budget de Média dit « Plus », ou encore de la carte UGC, dont la symbolique dépasse, et de beaucoup, l'exploitation cinématographique et dont les auteurs, dans un monde provisoirement sans synthèse, ont voulu faire un référent.
Oui, à propos de la carte UGC, j'ai bien noté votre remarque philosophique selon laquelle « nous avons toujours besoin d'un plus petit que soi ».
Ces approches, actes et déclarations me donnent l'impression - et je suis, de jour en jour, plus convaincu - que vous environnez justement la loi dont nous allons continuer de débattre de pratiques de responsabilité publique que, pour ma part, j'attends.
Votre prédécesseur, Catherine Trautmann, malgré une volonté forte que j'ai appréciée à Birmingham, au moment où l'AMI fut battue, grâce à la France, puis à Seattle, où l'OMC fut grippée - et la France n'y fut pas pour rien ! - n'avait pas pu faire passer ces idées parce que les « plus grands que soi », les AOL, Time Warner et consorts européens, étaient encore considérés comme « fatalement fatals », selon les déclarations ahurissantes d'un Alain Minc - « Le marché est naturel comme la marée » - ou d'Alain Madelin : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle ».
Oui, nous avons toujours besoin d'un « plus petit que soi », et je souhaiterais m'arrêter sur cette expression, dont vous dites qu'elle est votre credo, car, si j'y applaudis, je ne voudrais pas qu'elle soit sollicitée par d'autres.
Je m'explique.
Actuellement, est devenu courant le mot d'ordre de « diversité culturelle ». Hormis les Dupont-Lajoie de tous les pays, qui n'y souscrirait pas ? Pourtant, j'ai un questionnement à ce propos, que le rapport du groupe de travail du Commissariat général du Plan intitulé Médias : promouvoir la diversité culturelle ne fait que confirmer.
Monique Dagnaud - chacun connaît la qualité de ses travaux - met en cause la notion d'exception culturelle, qu'elle identifie à une défense radicale et protectionniste de la culture française. Elle y voit le « signe d'une maladresse », d'une pratique « vieillotte, dépassée, voire inacceptable pour de nouvelles générations ». Elle continue : « En revanche, un discours sur la valorisation des identités et la diversité des appartenances culturelles correspond davantage à la sensibilité de l'époque, à celle des couches diplômées et à celle des jeunes. »
Cela m'inspire deux réflexions.
Premièrement, l'identité culturelle, pour moi, n'est pas l'apologie des différences qui, chacun le sait bien, débouche en général sur des différences indifférentes aux autres, sur - et je ne me lasserai pas de le répéter - ce qu'exprimait si fortement Marc Bloch : « Quel pauvre coeur que celui qui ne serait pas autorisé à avoir plus d'une tendresse ! ». Je me reconnais mieux, pour ma part, dans une autre philosophie, celle qui est exposée par Jean-Luc Nancy, qui parle de mêlée, de croisement, d'une halte, d'un noeud, d'un commerce, d'un concours, d'une déliaison, d'une circulation, d'un étoilement. « Faire droit aux identités sans rien céder à leur délire, à leur présomption d'être substantielle, voilà toute la tâche », écrit-il.
Peut-être le maire d'Aubervilliers que je suis, qui vit au milieu d'une population comptant plus de 30 % de migrants, a-t-il, en la matière, quelque vécu, qui a nourri sa réflexion.
Et la manifestation festive RN 2000 qui a réuni hier près de 100 000 personnes - couches diplômées, jeunes, et tous les autres, qui sont aussi à considérer - entre la porte de la Villette et l'aéroport du Bourget disait bien que « le geste de culture est un geste de mêlée. C'est affronter, confronter, transformer, déformer, détourner, développer, recomposer, combiner, bricoler ! » Dans la promenade mélangée qui occupa sept kilomètres pendant douze heures, personne n'a confondu la distinction et le fondement. « C'est tout l'enjeu philosophique, éthique et politique de ce qui se trame autour des identités ou des sujets de toutes les espèces. »
Jean-Luc Nancy me ravit ! « La mêlée n'est pas accidentelle, elle est d'origine, elle n'est pas contingente, elle est nécessaire, elle n'est pas, elle arrive toujours. » Voilà, magnifiquement dite et résolue, la question de l'altérité, question centrale, toujours blessée, voire torturée par notre monde moderne, dont pourtant ce devrait être le sens. Aller de l'un à l'autre, de l'autre à l'un.
Dans Le Fou d'Elsa, Aragon écrit des habitants de Grenade :
« Les voilà comme des graines dans la paume andalouse si bien
« Mêlés que le Maure a les cheveux jaunes son frère a la nuit sur sa peau qui peut dire
« Où commence le Juif ou l'Espagnol et pas même à son Dieu tu ne peux le reconnaître.
« Combien de nous sont les mulets de deux croyances. »
Un peu plus loin, Aragon ajoutait : « C'est le dernier jour de se donner la main. » Et si c'était le premier ?
La maladresse serait de ne pas le percevoir, et ce serait gravement dommage au moment de la prise de pilotage par la France, pour six mois, du devenir européen.
Cela me conduit à ma deuxième réflexion.
L'exception culturelle n'a jamais été une notion frileuse : c'est une notion ouverte. C'est l'affirmation que la culture, l'esprit ne sont pas des marchandises comme les autres et, à ce titre, revendiquent et méritent un statut libéré des règles non naturelles de rentabilité.
A travers l'exception culturelle a percé - et la France, notamment avec ses artistes, y est pour beaucoup - un nouveau droit de l'homme, l'esprit - et j'y ajoute le vivant - récusant le règne absolu de l'argent.
Ce nouveau droit contribue à ouvrir un nouvel espace public où peuvent s'épanouir les responsabilités publiques que j'ai évoquées précédemment et qui sont désormais en chemin, notamment depuis Seattle.
C'est là un vrai travail. Par curiosité, je me suis reporté à l'histoire du festival de Cannes. Le 4 avril 1951, à l'occasion de la présentation de Los Olvidados de Buñuel, Octavio Paz écrivait, tel un échantillon, un morceau, un éclat de l'avenir que nous contribuons à faire aujourd'hui « L'art, quand il est libre, est témoignage, conscience. L'oeuvre de Bunuel nous montre ce que peuvent le talent créateur et la conscience artistique lorsque rien, excepté leur propre liberté, ne les contraint ou ne les dicte. »
Bien évidemment, toujours cela se construit, notamment à l'école, qui a besoin d'une alphabétisation de l'image, de toutes les images, d'un rapport vivant à l'art, d'une présence essentielle de l'artiste à l'école. Oui, à l'école, il faut éveiller les regards avec la conscience de ce que le fond du débat est l'avenir du regard, avec, en son coeur, pour tous et d'abord pour les enfants, le troublant tumulte de l'histoire pluraliste des images, cinéma et télévision, contribuant à créer l'espace où le « je » peut advenir. J'ai dit le « je », non le « moi », un « je » mêlé aux autres, un « je » à la recherche d'un pluriel.
Donc, diversité culturelle : oui, c'est l'objectif. Exception culturelle : oui aussi, c'est le moyen.
Il faut sortir de la comptabilité de court terme, de la pensée économiste et utilitariste, qui refroidit tout et blesse l'accès au sens, aux valeurs et au plaisir d'apprendre, de savoir et de créer, à la radio et à la télévision comme ailleurs.
Lors de la première présentation de ce projet de loi, madame la ministre, j'ai fait état d'une proposition de loi que j'ai déposée sur le bureau de notre assemblée qui a été préparée par les Etats généraux de la culture. Il en ressort que la première grande mesure d'une loi sur le service public - je ne dis pas « secteur public » - de l'audiovisuel devrait être l'abrogation de la loi Léotard, qui, depuis treize ans, « formate » cette belle chose qu'est la télévision, cette belle invention humaine qui est devenue cardinale dans la vie sociale, humaine et culturelle de notre société.
Il s'agit en effet d'un besoin essentiel, d'un droit universel, d'un rapport social entre une société et son imaginaire. Or, loin d'être maîtrisée par les autorités publiques, la télévision est pilotée par de grandes sociétés privées qui se transnationalisent, qui vampirisent et marginalisent le secteur public, tout en conduisant à une standardisation des programmes.
Il est donc temps de mettre au jour et en oeuvre, dans un audiovisuel en mutation, une responsabilité publique et sociale à tous les niveaux, local, régional, national, européen et international, avec en son coeur les enjeux de civilisation que sont le pluralisme des idées, des expressions et des esthétiques, l'exception culturelle, la liberté de création et de recherche, l'indépendance de l'information et l'égalité de tous les citoyens.
L'enjeu social et culturel de la télévision mérite un véritable « code de la route » de l'imaginaire des peuples.
Comme l'échéance de la responsabilité particulière de la France en Europe est toute proche, je me permets de lire l'article de cette proposition de loi concernant l'Europe :
« La France prend l'initiative de proposer une politique industrielle européenne d'investissement pour la production de programmes audiovisuels et logiciels, dont le montant doit atteindre, dans un délai de cinq ans, 1 % du PIB consolidé des pays membres de l'Union européenne.
« Cette politique participe au soutien de l'innovation, de la création et de la recherche dans les secteurs de la communication audiovisuelle publique et privée.
« La France propose que 10 % de la programmation des chaînes européennes soient réservés à des programmes européens autres que celui du pays diffuseur.
« La France est à l'initiative de négociations permettant la mise en place d'un fonds de garantie européen pour la création audiovisuelle.
« La France est à l'initiative de négociations afin de permettre la création d'un fonds de soutien à l'exportation et à la distribution de programmes audiovisuels européens en Europe et dans le monde, notamment en direction des pays de l'Europe centrale et des pays en voie de développement.
« Les coopérations audiovisuelles nationales et européennes seront renforcées en direction des pays de l'Europe centrale, de l'Europe de l'Est et de l'ensemble des pays en voie de développement. »
La France doit favoriser avec courage, ajouterai-je aujourd'hui, l'invention d'opérateurs publics transnationaux.
Sans doute, quand on connaît les démarches culturelles de M. Prodi, quand on constate que l'Europe ne connaît que l'impulsion du grand marché, quand on voit l'absence d'impulsion politique européenne, peut-on penser que le travail va être difficile. Raison de plus pour contribuer - et la culture comme l'audiovisuel sont des pistes constructives - à créer une société civile européenne qui ne soit pas « coincée » entre un marché autorégulateur et des organes politiques déléguant leurs responsabilités internationales à la Commission européenne ou à l'OMC.
Il y a, pour ne considérer que culture et audiovisuel, au-delà du colloque de Cannes réservé aux professionnels, une initiative à prendre avec tous les partenaires intéressés en les appelant à prendre ensemble leurs responsabilités, en tout cas, une réunion d'information à organiser, qui vous permettrait, madame la ministre, de réitérer certains de vos propos de Cannes, que M. le Premier ministre a vigoureusement soutenus.
Bien sûr, je devrais aussi revenir sur les nouvelles technologies ; je préfère d'ailleurs parler des « dernières technologies ». Je le ferai à ma manière, c'est-à-dire comme citoyen d'une communauté de communes de la région parisienne, Aubervilliers, Epinay, Pierrefitte, Saint-Denis et Villetaneuse, où tout concourt à s'en préoccuper sans s'enfermer cependant dans des lendemains numériques qui chanteraient.
Mais tout de même ! C'est à Aubervilliers qu'il y a le Métafort, cette multidisciplinaire fabrique de projets multimédias. C'est de Métafort qu'est parti le projet Prismes, qui se veut l'accompagnateur de l'industrie et de la formation, ces enjeux décisifs du xxie siècle avec les nouvelles technologies, et que soutient maintenant très fortement la région Ile-de-France.
C'est à Saint-Denis, à Saint-Ouen, à Epinay, à Stains et à Aubervilliers que se trouve la plus grande concentration de studios pour l'audiovisuel et le cinéma en Europe et que s'est créé un pôle audiovisuel dont les dernières technologies sont parties prenantes, et parties d'avenir.
C'est à Epinay que s'est déroulée récemment la première session des « industries du rêve », avec un colloque de qualité sur le numérique.
C'est à Aubervilliers, siège des Etats généraux de la culture, que se prépare une rencontre internationale qui aura lieu ici-même, au Sénat, le 9 décembre prochain, sur les nouvelles techniques, l'esprit, le vivant et l'humanité, qui dépasse la société.
C'est cette semaine que j'ai un rendez-vous de travail avec plusieurs des réalisateurs de la série tournée en numérique et animée par Pierre Chevalier, responsable de l'unité de programme consacrée aux fictions de la Sept-Arte ; l'ordre du jour de cette rencontre comprendra la réflexion sur le rapport entre outil et pensée.
C'est au parc de La Courneuve, en 2004, que, sur décision du Premier ministre, en accord avec le président du conseil général du 93, va se tenir une exposition internationale sur l'image.
Que de chantiers qui allient experts et experts du quotidien !
Je vous transmettrai à chaque fois, madame le ministre, le résultat de ces confrontations de désirs et d'espérances dans les espaces modifiés par les nouvelles technologies. J'espère que vous tiendrez à participer à plusieurs d'entre elles.
Arrivant à ma conclusion, j'ai bien conscience de n'avoir traité que d'une question, mais qui pour moi est capitale, la grande question du sens dans l'audiovisuel. Et rien ne change ce sens avec les nouvelles technologies, je dirai même qu'il en accroît, et la dimension, et le rôle.
Pour terminer, j'évoquerai un courrier que j'ai adressé à M. le Premier ministre à propos d'un rassemblement mondial de la culture qui pourrait avoir lieu à Paris. Comme vous le savez, à Nouméa un appel a été lancé par Mme Tjibaou et M. Paul Vergès. Cet appel rejoint profondément la démarche de notre pays et, singulièrement de votre gouvernement, quant à la sauvegarde de la diversité au moment où la mondialisation, encore dominée par les grandes affaires internationales, tend à uniformiser tout ce qui est humain.
Cet appel de Nouméa m'a été adressé par Mme Tjibaou et M. Paul Vergès et je leur ai tout de suite fait savoir la grande complicité que ce mouvement des états généraux, que j'anime et qui regroupe des milliers d'artistes, avait avec leur préoccupation.
J'ai rencontré M. Paul Vergès à l'occasion d'un de ses passages à Paris, et je sais qu'il a transmis son beau texte aux différentes autorités françaises. Nous sommes convenus de solliciter le Gouvernement pour contribuer à donner à ce document une audience internationale.
Il me semble qu'il serait opportun - mais pas au sens opportuniste, au sens du devoir dicté par la société en mouvement - que, fin 2000 ou peut-être début 2001, il y ait ici, à Paris, sur initiative gouvernementale ou, plus précisément, sur initiative de votre ministère, madame la ministre, une réunion symbolique, un peu comme il y eu un Rio de l'environnement, mais qui, là, travaillerait sur toutes les cultures de la « pomme ronde » qu'est le monde, selon Claudel. Je crois qu'il y a, à cet égard, un grand travail à accomplir qui, loin de nous éloigner de ce projet de loi, lui donnerait au contraire de nouveaux pilotis.
Au moment où je parle, une initiative du Gouvernement, donc de la France, apparaîtrait comme la manifestation d'une volonté d'apporter une réponse à l'obligation qui nous est faite de « civiliser les nouveaux nouveaux mondes issus de l'oeuvre civilisatrice », pour reprendre une expression de l'ethnologue Georges Balandier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - M. Pelchat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà près de trois ans que ce projet de loi a été annoncé, un an qu'il est en discussion. Si l'on s'en tenait à ces chiffres, d'aucuns pourraient croire qu'il s'agit de la grande réforme de l'audiovisuel, la réforme pour les vingt ans qui viennent. Or, malheureusement, ce n'est pas le cas. Entre l'annonce du texte par le Gouvernement et sa discussion au Parlement, les choses ne se sont pas déroulées aussi facilement. Le texte aura eu raison de votre prédécesseur, et il vous faut, madame la ministre, beaucoup d'abnégation pour accepter de reprendre en cours de route un texte, certes, malheureux, mais, surtout, en l'état, dépassé et ignorant les réalités financières du secteur.
Mon collègue M. Claude Belot avait en première lecture, parfaitement analysé la situation de l'audiovisuel français. Il avait plaidé pour un secteur public fort. Or le Gouvernement n'apporte pas suffisamment de moyens pour répondre à cette exigence. Par ailleurs, la question du financement du numérique terrestre n'a pas été résolue de manière satisfaisante.
Il avait, également, appelé à une dynamisation de la production d'oeuvres audiovisuelles françaises et souhaité le développement de leur exportation. Là encore, le projet de loi est bien timide.
Enfin, il avait insisté sur l'indispensable encouragement aux télévisions de proximité. Bien que cela corresponde à une attente forte de nos concitoyens, le Gouvernement n'a pas été très réceptif à ce discours. C'est pourquoi nous avons déposé des amendements sur ce sujet, espérant trouver auprès de vous, madame la ministre, une oreille plus attentive.
Deux questions animeront les débats au cours de l'examen des articles. La première concerne le dégroupage de la boucle locale. La Commission européenne en demande instamment l'ouverture à la concurrence avant la fin de l'année. En effet, dans une recommandation faite aux Etats membres, la Commission a souhaité qu'ils fournissent un accès dégroupé à la boucle locale d'ici au 31 décembre 2000, « dans des conditions transparentes, loyales et non discriminatoires ».
Nous comptions sur l'examen au Sénat du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques pour traiter de cette question et nous nous étions engagés à soutenir vigoureusement ses dispositions. Malheureusement, la discussion de ce texte semble avoir été repoussée à l'automne. Certains laissent entendre que le texte serait même purement et simplement abandonné. Peut-être nous en direz-vous plus à ce sujet.
Ce projet de loi nous donne aujourd'hui l'occasion d'agir et ainsi d'oeuvrer concrètement pour la convergence des médias.
L'autre question touche à la responsabilité des hébergeurs de sites sur l'Internet. Le texte issu de l'Assemblée nationale n'est pas satisfaisant. J'aurai l'occasion d'y revenir en défendant plusieurs sous-amendements.
Quoi qu'il en soit, ces deux thèmes illustrent une tendance observée depuis la première lecture : ce projet de loi manque tellement de ligne directrice que le Parlement a pu y greffer des sujets connexes. Cela témoigne, s'il en était besoin, qu'on ne peut plus envisager l'audiovisuel uniquement sous l'angle de la télévision.
Le Parlement a même ajouté un sujet qui est devenu une véritable épine dans le pied du Gouvernement, je veux, bien sûr, parler du contrôle sur la gestion des sociétés de perception et de répartition des droits.
Je ne reviendrai pas sur le reste des dispositions du projet de loi. Je formulerai simplement une réserve concernant le numérique hertzien. On ne cesse de nous dire que la France est en retard en ce domaine et qu'il faut en hâte procéder aux ajustements législatifs pour s'engager dans cette voie. Je crois que nous n'avons pas pris suffisamment conscience des implications économiques du numérique hertzien.
En ce qui concerne la technologie, la filiale de l'opérateur historique des télécommunications, la maîtrise parfaitement. Pour autant, cela ne suffit pas. Une fois les canaux disponibles, il faudra créer des contenus. Si la priorité n'est pas donnée au développement d'une véritable industrie de programmes français et européens, le numérique hertzien sera le vecteur de produits de mauvaise qualité - en provenance des Etats-Unis ou d'autres pays - et se rangera parmi les plus beaux échecs des ces dernières années, à côté du D2 Mac Paquet et du plan Câble.
Vous l'aurez compris, madame la ministre, ce texte, dont vous assumez le difficile héritage, ne m'enthousiasme pas. Cependant, je le voterai tel qu'il sera amendé par le Sénat, car il est grand temps d'en finir pour commencer à réfléchir vraiment et sérieusement aux défis de l'audiovisuel de demain. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, à la fin de cette discussion générale, je voudrais à mon tour dire quelques mots sur le numérique de terre car, et nous en avons tous bien conscience, c'est sans doute l'essentiel de ce qui restera du projet de loi dont nous poursuivons aujourd'hui l'examen.
Que Mme Pourtaud me permette de lui dire que le texte adopté par le Sénat en première lecture n'a pas été imposé. Il a été, comme les autres, voté, et la position que nous avons adoptée a au moins eu le mérite de lancer le débat, mais j'y reviendrai.
Le régime juridique élaboré par Mme Trautmann et adopté par l'Assemblée nationale procède manifestement d'un objectif majeur et, au demeurant, parfaitement légitime : diversifier le paysage audiovisuel, vous l'avez d'ailleurs tout à l'heure rappelé dans votre propos liminaire. Tout le reste est accessoire, rajouts et compromis correspondant à d'autres objectifs, à d'autres nécessités.
Mme Trautmann a notamment évoqué la nécessité d'inciter les opérateurs existants, dont l'implication sera essentielle pour un déploiement rapide du numérique de terre, à migrer sans délai vers ce nouveau mode de diffusion. Vous avez en quelque sorte défini un fondement unique sur lequel vous avez bâti un système, non sans prendre accessoirement en considération quelques contingences de nature économique.
Nous nous sommes donné la peine de réfléchir, de chercher à comprendre la problématique du numérique de terre, d'aller au-delà de ce que j'appellerai l'axiome de la diversité, si séduisant qu'il puisse être, surtout si vous l'accompagnez de quelques considérations optimistes sur l'implication des opérateurs.
Le rapporteur vous a indiqué le sens de notre réflexion et nos doutes sur l'efficacité de vos mécanismes. Nous verrons, dans la discussion des articles, les effets en chaîne d'un système entièrement lié à la nécessité de pallier les inconvénients d'un postulat de départ appliqué de façon mécanique. Ne nous dites pas que le Sénat a fait de même à partir d'une autre axiome. Notre intention n'est pas de passer d'un système à un autre, ni d'opposer à l'ordre « linéaire » du Gouvernement, qui veut mettre en ligne le plus grand nombre possible de services, un ordre « profond », inspiré par l'idée de constituer une sorte de masse, aussi dense que possible.
Je serais tenté de reprendre les termes d'un ancien débat de stratèges, dont le capitaine de Gaulle moquait, dans Le Fil de l'épée, le caractère artificiel et l'issue dangereuse, avant de mettre en évidence les conditions essentielles du succès : saisir les circonstances, s'y adapter, les exploiter.
Nous ne sommes pas, quant à nous, partis d'un postulat. Nous avons observé le développement accéléré de l'ensemble des moyens de diffusion et nous avons cherché à identifier les conditions de l'émergence d'un nouveau marché. Nous avons observé les intérêts et les stratégies des opérateurs privés, les perspectives et les moyens du secteur public, les implications des données techniques. Nos conclusions ont été prudentes, ce sont celles du rapporteur : le lancement du numérique de terre est un projet dont la viabilité économique est encore incertaine.
Nous avons cependant considéré que l'intérêt public, dont le rapporteur a rappelé les différentes dimensions, justifiait amplement le lancement de l'opération.
Nous avons alors tenté de repérer quelques conditions du succès, et notre démarche a été pragmatique. Nous avons en particulier constaté le rôle essentiel de l'ensemblier, distributeur des multiplexes numériques. Nous avons constaté que peu d'opérateurs avaient l'expérience et la dimension nécessaires pour assurer cette fonction et nous avons cherché à concilier, en fonction de cette donnée incontournable, l'efficacité économique et l'efficacité sociale.
Nous avons donc prévu d'accorder aux opérateurs traditionnels un accès préférentiel aux fréquences, dans le cadre d'un régime juridique garantissant la présence, dans les multiplexes, de services indépendants de l'opérateur du multiplexe. J'observe d'ailleurs que vous tendiez vous-même à ce résultat, en proposant à l'Assemblée nationale d'attribuer jusqu'à six canaux, c'est-à-dire un multiplexe, aux opérateurs traditionnels. Vous avez simplement oublié au passage que c'est l'exercice de la fonction de distributeur qui justifie la présence forte des opérateurs traditionnels et vous avez confié cette fonction au CSA, dont les mérites sont multiples, mais dont les capacités d'entrepreneur n'avaient pas encore été mises en évidence.
Qu'est-ce qu'un entrepreneur, me direz-vous ? C'est quelqu'un qui prend un risque et qui en assume les conséquences. Le CSA prendra les risques... pour les opérateurs qui voudront bien les assumer. C'est ce que nous reprochons à votre dispositif.
Lors de votre audition par notre commission, vous avez admis qu'il pourrait ne pas y avoir pléthore de candidats aux fréquences numériques de terre. Cela se comprend, dans ces conditions !
Pour résumer notre débat, je dirai que vous êtes partie de la diversité, hélas ! en risquant d'aboutir à la confusion. Nous sommes, au Sénat, partis de l'observation pour aboutir à la diversité dans la cohérence économique.
Je ne veux bien entendu pas dire, madame la ministre, que le régime juridique que nous allons proposer au Sénat de rétablir dans le projet de loi offre toutes les garanties de succès au lancement du numérique de terre. Ce ne serait pas vrai. Le succès sera l'affaire des opérateurs, nous nous contentons de leur offrir un cadre juridique favorable, sans rien renier des exigences du service public et de l'intérêt public.
Je ne dirai pas non plus, a contrario, que votre système aboutira nécessairement à l'échec. Je crains néanmoins qu'il ne fasse long feu, que les opérateurs ne se dérobent et que le lancement du numérique de terre ne soit retardé de dix ans. Nous verrons.
Mais peut-être se trouvera-t-il en assez grand nombre des opérateurs assez hardis pour tenter d'emprunter le parcours d'obstacles que vous leur proposez, assez florissants pour ne pas en craindre les difficultés. Peut-être le CSA sera-t-il touché par la grâce entrepreneuriale, comme on dit maintenant. Peut-être même, et ce serait sans doute plus sûr, accepterez-vous nos amendements ? Rêvons encore, il en est temps, quelques instants.
J'aimerais conclure ces réflexions purement méthodologiques en évoquant le cas du service public.
Dans notre esprit, le lancement du numérique de terre est un moyen de donner un souffle nouveau à l'audiovisuel public. L'évolution générale de la communication audiovisuelle risque de le marginaliser, la perte prochaine de la possibilité de négocier la diffusion satellitaire de ses programmes va obérer ses chances de développement dans les nouvelles technologies.
C'est pourquoi nous avons souhaité réserver deux multiplexes à France Télévision, et nous avons prévu, dans l'esprit de pragmatisme qui nous anime, que ces multiplexes seraient composés de services gratuits ou payants, en fonction des besoins, des moyens et des perspectives.
De son côté, le Gouvernement s'est refusé à fixer dans la loi le nombre de canaux numériques attribués à France Télévision. Cette prudence, nous semble-t-il, madame la ministre, n'est pas sans lien avec la fragilité des perspectives financières de l'audiovisuel public.
M. Alain Joyandet. Très bien !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission. La loi de finances de 2000 a, certes, consenti un effort important, avec l'augmentation de plus de 11 % des ressources publiques du secteur.
Mais les remboursements d'exonération, mes chers collègues, atteindront leur plafond en 2001, quand le numérique de terre commencera - au mieux - à peine à poindre. Les perspectives de rendement de la redevance s'amenuisent à législation constante et vous n'évoquez, madame la ministre, aucun projet dans ce domaine. Les recettes de publicité diminuent, alors que les coûts des programmes de France 2 et de France 3 continuent de croître à un rythme soutenu.
Cela ne vous empêche pas d'afficher une préférence sans partage pour la création de chaînes thématiques numériques gratuites. Combien y en aura-t-il ? Une douzaine, semble-t-il. Comment les financerez-vous ? Vous annoncez, avec un certain optimisme, une dotation budgétaire d'un milliard de francs pour lancer les chaînes publiques numériques. Mais d'où viendront les ressources nécessaires au financement des coûts de fonctionnement ? Organisez-vous la diminution du coût de la grille des programmes de France 2 et de France 3 ? Quel sera l'évolution des chaînes généralistes, qui sont la principale raison d'être, la légitimité même, du service public ? Savez-vous aujourd'hui combien de lièvres - j'ose à peine employer cette métaphore après le débat qui a eu lieu dans cette enceinte - vous prévoyez de chasser ensemble ? Que d'incertitudes, que d'arbitrages en attente, que de difficultés !
Au terme de ce propos, il me revient, madame la ministre, une citation de Benjamin Constant. Je ne la reproduirai pas telle qu'elle car elle serait par trop polémique ; je n'en retiendrai que l'esprit. Dans une de ses oeuvres, intitulée De l'esprit de conquête et de l'usurpation,...
M. Michel Charasse. Oh là là !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission. ... il affirme que certains axiomes paraissent clairs parce qu'ils sont courts. On pourrait dire cela de l'axiome de gratuité et de l'axiome de diversité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce ne sont pas des axiomes !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission. On s'en empare parce qu'ils évitent de réfléchir. On les répète parce qu'on peut ainsi donner l'impression de les comprendre.
En lançant le débat sur le numérique, nous avons voulu éviter que notre pays passe à côté d'une chance que lui ouvre une technologie nouvelle.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission. En maintenant notre position, nous voulons éviter de nous en tenir, en quelque sorte, au charme des mots. Nous voulons regarder les choses de près, en prenant en compte aussi bien les réalités technologiques que les réalités économiques. Tel est l'esprit dans lequel la commission a travaillé, et c'est pourquoi elle maintiendra, sur ce point essentiel du texte que nous allons examiner dans quelques instants, ses positions. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, avec votre permission, je prendrai le temps de répondre aux interventions, suggestions et analyses qui ont été formulées, en soulignant la richesse de ces apports. D'ailleurs, le Gouvernement, et je l'ai moi-même rappelé dans mon propos introductif, a bien noté le travail très fructueux effectué par la Haute Assemblée dès la première lecture. De son côté, je crois que l'Assemblée nationale a fait également progesser ce texte.
Pour placer notre débat sur un terrain peut-être plus optimiste que celui qui ressort de certains interventions, je dirai d'abord que, si nous divergeons sur certains moyens, nous convergeons sur plusieurs objectifs tout à fait essentiels pour ce qui occupe aujourd'hui, dans la vie de notre pays et de notre société, une place absolument centrale dans le binôme culture et communication.
Le premier point de convergence, c'est la nécessité d'un service public audiovisuel fort. J'ai même entendu évoquer le regret que le secteur public, en particulier dans sa nouvelle organisation en holding, n'ait pas pu être encore plus large que ce à quoi nous sommes arrivés. C'est, je crois, reconnaître que nous avons tous une conscience forte de l'importance du secteur public.
Le deuxième point de convergence, c'est l'objectif : diversité culturelle, diversité dans nos frontières, diversité au-delà de nos frontières. Je rejoins, dans l'analyse qu'il a faite de la diversité culturelle, les propos tenus par M. Ralite. Il s'agit, bien sûr, non pas d'un constat, d'une photographie des différences, mais d'une diversité se construisant, se projetant dans l'avenir, c'est-à-dire une diversité porteuse de création.
Le troisième point de convergence, c'est l'enjeu du passage de l'analogique au numérique. Il s'agit, évidemment, d'un point tout à fait central, qui nous pose d'ailleurs deux problèmes : un enjeu de temps, puisque nous sommes tous conscients de la nécessité que ce passage s'effectue aussi rapidement que possible, mais aussi, ne l'oublions pas, un enjeu primordial de contenu.
Aussi, je m'efforcerai d'organiser mon propos sur les thèmes suivants : le service public, la production audiovisuelle, la régulation du secteur, le numérique terrestre et les nouvelles technologies en général, notamment l'Internet.
Cette énumération signifie, pour moi, qu'il s'agit d'une loi qui n'est ni dépassée ni en retard, contrairement à ce que peut craindre M. Hérisson. Certes, son élaboration a été longue. Certes, l'évolution toujours plus rapide des nouvelles technologies oblige à une adaptation rapide. Cependant, je crois sincèrement que cette loi organise un cadre pertinent au développement de l'audiovisuel et, plus largement, des communications.
Je voudrais que ensemble - Parlement, Gouvernement, acteurs de la société de la communication - nous considérions cette évolution ultrarapide des technologies non seulement comme un mouvement à encadrer, mais également comme une chance pour l'avenir, qu'il s'agisse du développement économique, de notre capacité créative ou de l'accès démocratique aux ressources de la communication.
Bien sûr, nous devons en même temps être bien conscients des difficultés des réponses à formuler. Pour ma part, je suis convaincue, monsieur le président de la commission, qu'une loi comme celle-ci a effectivement peu de chance de régir l'avenir du secteur définitivement pour les vingt ans à venir. Toutefois, il est fondamental qu'elle soit posée dès maintenant pour nous faire entrer pleinement dans ces évolutions.
En ce qui concerne le service public, M. le rapporteur et M. Joyandet ont en fait posé deux séries de questions. Je ne reviendrai pas sur le problème du périmètre de la holding. Le Gouvernement s'est beaucoup exprimé sur ce sujet. Certes, il y a eu une variation, mais ce que réunira la nouvelle holding est véritablement au coeur de la mission du service public, sous réserve, comme je l'ai dit tout à l'heure, que Arte puisse être étroitement liée au projet de la holding, notamment pour le développement des nouvelles chaînes.
S'agissant toujours du périmètre, M. Trégouët a beaucoup insisté sur le sort qui sera réservé à La Cinquième. Monsieur le sénateur, la création de la holding n'a pas pour conséquence de fondre les chaînes du service public dans un ensemble informe et non identifiable. Au contraire, les missions spécifiques de chacune d'entre elles sont inscrites dans le projet de loi, et le contrat d'objectifs et de moyens permettra de préciser la responsabilité éditoriale de chaque chaîne. Chaque entreprise gardera son autonomie de proposition et d'action dans l'optique d'une stratégie commune. Bien entendu, nous comptons en particulier maintenir résolument la ligne éditoriale et le comité d'orientation de programme de La Cinquième dont l'avenir, vous l'avez souligné, est déterminant pour notre système éducatif au sens le plus large, de l'âge scolaire jusqu'à la fin de la vie. Il s'agit là d'un instrument dont nous devons veiller à ce qu'il se développe pleinement.
Au-delà du problème du périmètre de la holding, vous êtes nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à avoir soulevé la question du financement du service public. Voilà plus d'une décennie, nous avions déjà les mêmes préoccupations. Le Gouvernement auquel j'ai eu l'honneur d'appartenir à l'époque avait d'ailleurs engagé un redressement de ce financement, que ce soit par le relèvement de la redevance ou par l'amorce de la restitution des exonérations.
A propos de ces moyens financiers, je voudrais dire à M. le rapporteur et à d'autres intervenants que l'engagement du Gouvernement à soutenir le financement du service public me paraît devoir au moins être souligné comme un très grand pas en avant.
Certes, vous l'avez évoqué, la baisse de la publicité constitue une ponction sur les ressources du secteur public. Je veux cependant rappeler qu'il y a là une attente fondamentale de l'ensemble de nos publics, si l'on veut réellement atténuer la pression de la course à l'audience sur les chaînes publiques. Nous ne pouvions pas ne pas prendre la mesure de cette nécessité dans un paysage extraordinairement compétitif. Nous savons que l'appel à la ressource publicitaire est le levier majeur de la recherche de l'audience, et donc l'un des éléments pouvant détourner de ses missions spécifiques le service public audiovisuel.
A côté de la charge nouvelle que constitue la baisse de publicité, les moyens généraux de fonctionnement - il faut tout de même le souligner - augmentent : le remboursement intégral des exonérations de redevance, un engagement capitalistique très fort, avec une dotation d'un milliard de francs. A notre sens, les moyens sont donnés à France Télévision d'accompagner réellement le développement de ses missions. D'ailleurs, l'entreprise travaille déjà dans ces perspectives.
Je voudrais dire à M. Joyandet qu'il ne s'agit pas d'un « petit » milliard de francs. S'il est bien employé, je suis convaincue qu'il permettra au service public de s'engager très résolument dans les développements que nous attendons de lui !
M. Alain Joyandet. Rien que la diffusion du numérique coûtera 1,5 milliard de francs.
M. Michel Charasse. A moins de un milliard de francs, t'as plus rien ! (Sourires.)
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Je ne pense pas non plus que nous puissions partager votre vision pessimiste de la privatisation d'une des chaînes du service public. Ce n'est ni le projet du Gouvernement ni l'attente des Français. Je pense d'ailleurs que vous exprimez là une crainte, et non une proposition. (M. Joyandet fait un signe d'assentiment.) En tout cas, cette hypothèse est tout à fait exclue de la réflexion du Gouvernement.
J'ajoute que ce ne serait qu'une fausse solution. En effet, il n'a jamais été question pour le Gouvernement de donner au secteur public audiovisuel la géographie, l'ampleur et le poids économique de l'ensemble des opérateurs privés. En revanche, nous avons toujours défendu l'existence d'un secteur public fort, ayant les moyens de ses missions, à côté d'un secteur privé de plus en plus multiforme, de manière à offrir une alternative. Nous ne cherchons pas à nous enfermer dans un équilibre rigoureux des forces économiques. Nous nous donnons les moyens de doter le secteur public audiovisuel de la capacité de remplir pleinement sa mission. Ce projet de loi comme les engagements financiers du Gouvernement y contribuent, me semble-t-il, très largement.
Il reste - M. Weber l'a indiqué à juste titre - que la question de l'évolution du financement du service public et celle du dynamisme de la recherche restent posées.
Vous appeliez, monsieur le sénateur, à une prise de conscience. Soyez sûr qu'elle est acquise au sein du Gouvernement. Cela suppose aussi que, politiquement, l'ensemble de la communauté nationale attache à cet enjeu le prix qu'il faut. Et, comme vous l'avez indiqué, les débats, lorsque nous raisonnons en termes globaux de dépenses publiques, ne vont pas toujours dans le sens que nous pourrions souhaiter.
En tout cas, pour ma part, je m'attacherai à ce sujet extrêmement important pour l'avenir de l'installation du service public dans une dynamique lui permettant à chaque moment de son propre développement comme de celui de la concurrence d'exister avec des armes fortes.
M. Pelchat a également posé ce problème, en s'interrogeant sur le contexte européen. Cette question du financement des télévisions publiques est une interrogation très forte d'un certain nombre de nos partenaires en Europe, comme j'ai eu l'occasion de le constater lors des premières réunions européennes auxquelles j'ai participé. Vous le savez, la France assumera bientôt la présidence de l'Union européenne. Nous organiserons les 19 et 20 juillet, à Lille, un colloque sur ce thème, dans le cadre de la présidence française, afin de mieux analyser à la fois les autres dipositifs de financement et les réponses que nous pouvons apporter ensemble aux préoccupations de la Commission européenne.
Au-delà des questions de structure, de financement du service public, se pose aussi le problème des nominations des présidents des chaînes, problème qui a été soulevé par M. Joyandet.
Effectivement, le Gouvernement n'a pas retenu le retour à une pratique maintenant ancienne de désignation des présidents des chaînes publiques par l'Etat. Pourquoi ? Précisément parce qu'il y a des acquis sur lesquels le Gouvernement n'entend pas revenir, parce que les entreprises publiques de communication ne sont pas des entreprises comme les autres et que les Français sont fortement attachés à l'indépendance de leurs radios et de leurs télévisions publiques.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. C'est une partie du mandat de confiance des Français en faveur de l'ensemble de notre audiovisuel public.
Le Gouvernement, sur ce point, n'a pas de nostalgie dans la mesure où, comme vous le savez bien, il est très difficile de lever le soupçon sur ce type de nomination. Les nominations ont souvent fait l'objet, par le passé, d'arrière-pensées politiques. Je crois qu'il n'est pas mauvais de se débarrasser aussi durablement que possible de ce soupçon.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'ORTF est bien morte !
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Au coeur de nos préoccupations à tous figure également la production audiovisuelle.
Le constat que nous partageons tous, et c'est une vraie inquiétude, est que notre système de production audiovisuelle est aujourd'hui relativement faible si on le compare à celui des pays voisins, encore que comparaison ne vaille pas toujours raison.
Je rappelle que la constitution même de notre appareil de production est très différente puisque, en France, on trouve un tissu industriel beaucoup plus émietté de sociétés de production. Ce sont souvent des microsociétés à l'existence parfois précaire, beaucoup plus nombreuses en France que dans les autres pays.
A côté de cet émiettement, nous avons, en France, des diffuseurs forts, la production n'ayant en effet de sens que dans la mesure où elle trouve son débouché chez les diffuseurs. A titre d'exemple, TF1 représente à lui seul plus de 56 % du marché publicitaire, plus de 34 % de l'audience ; cette position représente sans doute une forte capacité d'investissement, mais elle peut aussi faire émerger de facto un modèle de grille et d'émissions qui inspire, je crois, la ligne éditoriale de l'ensemble des entreprises de production. Compte tenu de cette spécificité, le contexte français n'est pas simple à organiser, et la situation française ne peut être en tous points comparée à celle de nos voisins européens.
Les états généraux, que vous êtes nombreux à avoir évoqués, ont posé ce problème, dans toute sa lumière. Il me paraît fondamental - je tiens à le redire ici - de faire évoluer les aides à la production et, si possible, la structuration du secteur de la production.
C'est un sujet de concertation approfondie que j'ai confié au CNC et au SGTI, cette concertation ayant été engagée sur l'initiative de Catherine Trautmann dès le lendemain des états généraux. Je recevrai moi-même toutes les organisations de la production audiovisuelle au ministère le 15 juin prochain, afin de tirer avec elles les premiers enseignements de leurs travaux et d'explorer les améliorations envisageables.
Il est clair que le développement des nouvelles technologies nous fait obligation de vitaliser l'appareil de production de notre pays.
Vous l'avez dit tout à l'heure, notre culture, notre histoire nous donnent un devoir de présence forte dans les contenus, et soyez assurés que c'est l'une des grandes orientations de l'action que je compte mener dans ce ministère.
J'aurais pu citer de nouveau toutes les mesures qui, dans le projet de loi, contribuent au renforcement de cette capacité de production, comme l'exclusion des ports de coproduction dans la comptabilisation des obligations au titre de la production indépendante - cette question a été posée tant par M. le rapporteur que par M. Weber - le remboursement intégral des exonérations de redevance, la diminution des écrans publicitaires et donc le formidable appel d'air du numérique. Je rappelle que le CSA devra prendre en compte, parmi les différents critères d'attribution des fréquences, la place de la création originale dans les projets des candidats. Ce problème de la production trouvera donc là un espace nouveau et un véritable terrain de développement.
Monsieur le rapporteur, vous avez quasiment qualifié notre dispositif d'« économie administrée imposée aux entreprises privées ». Je considère que ce dispositif, engagé par les précédentes lois sur la communication, laisse une large place à la régulation concertée confiée à une autorité indépendante, le CSA ; il ne peut être question pour autant, si nous sommes bien d'accord sur les objectifs techniques, économiques et culturels, de laisser libre cours au marché dans ses dimensions les plus libérales. Je ne pense d'ailleurs pas que ce soit votre approche.
C'est bien cet encadrement que vise le projet de loi, puisqu'il donne au CSA toute une série d'instruments lui permettant de s'interroger et de porter des appréciations en fonction des contenus, afin d'éviter, ainsi que vous le souhaitez, des programmes uniformes, éloignés de nos principes et de nos grands objectifs de diversité culturelle. Nous sommes donc forcément au croisement du marché de la libre initiative privée et de la loi, du règlement et de la régulation.
Je fais d'ailleurs confiance au CSA pour examiner les candidatures fondées sur des projets industriellement et économiquement étayés, tout comme je fais confiance aux opérateurs qui feront acte de candidature pour bien mesurer les risques et les chances de succès d'une telle opération.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le problème de la couverture nationale en numérique terrestre. Vous avez employé les termes de « fracture sociale », alors que nous, nous parlons d'égalité d'accès. Le Premier ministre l'a dit : « Veillons à ce qu'une richesse nouvelle ne soit pas source d'un privilège nouveau » ; c'est donc une préoccupation très forte du Gouvernement.
Néanmoins, il n'est pas envisageable de réaliser aisément, comme vous semblez le penser, une couverture à 100 % - même si nous recherchons une couverture maximale - compte tenu de données essentiellement économiques.
A mon sens, la réponse s'inscrit également dans la complémentarité des modes de diffusion - câble, satellite - notamment pour les zones difficiles à couvrir par le réseau hertzien. Je me souviens d'ailleurs que ce débat sur la couverture « égalitaire » du territoire était très présent dès l'apparition des premières chaînes privées dans le paysage audivisuel français, avec la création de la Cinq et de M 6,...
M. Michel Charasse. Les collectivités ont payé !
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. ... et que nous avions longuement recherché, à l'époque, le juste niveau d'exigence à l'égard des opérateurs ainsi que le juste niveau des obligations qui pouvaient leur être imposées.
Nous avions alors - très largement, je dois le dire - dû reconnaître que, là aussi, les logiques physiques et géographiques mais aussi économiques ne permettaient pas d'aller jusqu'à une couverture à 100 %. Et, nous l'avons constaté, la montée en charge de ces chaînes sur le territoire s'est faite progressivement.
Le problème, demain, sera tout de même plus facile à résoudre grâce aux nouvelles technologies, et nous n'aurons pas à passer par des seuils de couverture aussi limités que lors du développement du réseau hertzien analogique et de l'implantation de ces chaînes. Il n'empêche que je ne crois pas possible d'affirmer aujourd'hui que l'objectif imposé aux candidats opérateurs serait une couverture totale.
Nous reviendrons au cours du débat sur la problématique engendrée par la couverture du numérique sur tout le territoire et sur l'égal accès de tous à des connexions à haut débit, problème évoqué, notamment, par MM. Trégouët et Pelchat. C'est un enjeu majeur qui mérite évidemment une discussion plus ample, mais tel n'est pas l'objet direct de ce projet de loi.
Je crois que ce sont les usages qui commandent les développements en matière de télécommunications. Nous devons donc fixer des objectifs liés aux usages, notamment en commençant par favoriser la connexion des lieux publics, et des grands établissements culturels - je pense aux écoles et aux bibliothèques - à l'Internet. Ainsi, c'est une de nos priorités que de favoriser la connexion des lieux culturels dits « médias », même si c'est évidemment, là aussi, un chemin qu'il faut prendre le temps de parcourir et qui suppose de se donner certains moyens.
Je voudrais maintenant évoquer un dossier où nous ne disposons pas aujourd'hui - il faut le reconnaître - de tous les éléments, je veux parler de l'appréhension de l'ensemble des données économiques du développement du numérique terrestre.
Cette nécessité de procéder à des études économiques plus abouties que celles qui ont été engagées à ce jour est, je crois, reconnue par tous, et en tout cas par le Gouvernement. J'ai donc fait procéder à une comparaison raisonnée des hypothèses et des études économiques réalisées, notamment par les différents opérateurs, sur les données de base de l'économie prévisionnelle du numérique de terre, en particulier pour ce qui concerne les coûts de diffusion, le prix, le rythme d'équipement des ménages, l'élasticité du marché publicitaire ou les possibilités ouvertes par une extension de l'offre par abonnement.
Les plans prévisionnels, établis à partir d'hypothèses qui nous semblent raisonnables, conduisent à penser que le financement d'un nombre suffisant de chaînes gratuites est possible, ainsi qu'un équilibre, à échéance de quelques années, d'une offre payante élargie. Les délais d'arrivée au point d'équilibre dépendent, bien sûr, du rythme d'équipement numérique des ménages, mais celui-ci devrait être encouragé par l'existence d'une offre gratuite suffisante. L'offre gratuite joue donc un rôle majeur, et il faut la soutenir. C'est le rôle, en particulier, du service public de l'audiovisuel.
Le processus serait également accéléré si les opérateurs de bouquets payants préfinançaient les décodeurs. C'est un choix stratégique qui leur appartient, mais je crois, pour ma part, qu'ils sont suffisamment concernés par le développement du numérique - en dehors duquel leur avenir se restreindrait singulièrement - pour qu'ils apportent dans ce domaine un certain nombre de contributions.
En tout cas, ces deux considérations confirment la nécessité d'un partage relativement équilibré entre chaînes payantes et offre gratuite, une offre gratuite dans la logique du service public, une offre gratuite comme déclencheur de l'équipement des ménages, une offre gratuite comme moteur de l'investissement des opérateurs privés dans les nouvelles chaînes.
Mme Pourtaud a très bien exposé - et de façon plus développée que je ne l'avais fait - le fondement du choix politique qui a présidé à l'élaboration de ce projet de loi.
En ce qui concerne la répartition des fréquences du numérique par canal et non par multiplexe, je ne veux pas prolonger ce débat, mais je voudrais, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous ne considériez pas le mouvement fait par le Gouvernement sur ce sujet à partir de la formule proposée initialement par votre Haute Assemblée comme un retour en arrière.
Je crois que nous avons tous bien mesuré les avantages et les limites de l'attribution par multiplexe, de même que les avantages et les limites de l'attribution canal par canal. La solution préconisée par le Gouvernement se veut au juste milieu de ces deux systèmes. C'est, à mon sens, celle qui nous donne la meilleure garantie d'un investissement sérieux dans des programmes nouveaux, mais aussi du maintien du pluralisme qui, pour nous, est absolument décisif non seulement dans le paysage audiovisuel français, mais également dans la confrontation avec nos concurrents - vous êtes plusieurs à l'avoir souligné - avec l'arrivée de sources de contenus extérieurs de plus en plus nombreuses.
La formule qui a été choisie, avec un certain nombre d'attributions prioritaires garantissant au service public et aux sociétés existantes leur juste place dans ce paysage, mais aussi la possibilité d'attribuer des canaux par appels à candidature et suivant des critères très précis à des opérateurs nouveaux, est pour nous tous la seule voie susceptible de garantir cette ouverture du paysage.
Je crois véritablement que nous ne pouvons pas, au début du xxie siècle, envisager de bâtir uniquement notre audiovisuel et ses développements fondamentaux sur la ressource très forte et précieuse que représentent les opérateurs existants. Nous avons besoin de pluralisme, nous avons besoin de diversification.
J'ai déjà répondu, madame Pourtaud, à votre interrogation sur l'étude économique, mais je souhaite m'attarder sur l'amendement que vous avez annoncé concernant le seuil de 49 %. Nous y reviendrons plus précisément tout à l'heure à l'occasion de l'examen des articles, mais je comprends votre interrogation sur ce point : nous devons réfléchir, vous l'avez dit, à une ressource qui n'a en effet plus la même rareté, aujourd'hui et encore moins demain, que lorsque les seuils ont été définis, mais nous ne devons en même temps rien relâcher de notre vigilance en ce qui concerne les formidables mouvements de concentration qui sont à l'oeuvre dans l'un des secteurs les plus porteurs pour l'économie de demain. C'est donc une question très lourde qui est posée ici.
Enfin, vous avez évoqué, madame, le contrôle des sociétés d'auteurs. J'y reviendrai, là aussi, au moment de l'examen des articles. Je veux simplement dire que, pour moi, ce point est doublement important, du point de vue tant de notre histoire que de notre conviction de la légitimité des droits d'auteur et de leur juste rémunération.
C'est également un problème tout à fait important du point de vue de l'exigence, aujourd'hui incontournable, de transparence et de contrôle de la gestion de tout organisme qui manie des fonds considérables.
Nous reviendrons très largement sur l'Internet à l'occasion de l'examen de l'article 1er. Par conséquent, avec votre permission, je n'en traiterai pas maintenant, même si cela a été un thème fort de vos interventions.
Je voudrais, à l'invitation de M. Ralite, terminer par l'évocation de l'enjeu fondamental, à savoir la capacité de notre pays à prendre toute sa responsabilité dans l'élaboration des nouveaux contenus de la société de la communication et de l'information.
Vous avez souligné, monsieur le sénateur, combien cette question est cruciale pour un ministre de la culture et de la communication. Sachez qu'elle l'est pour l'ensemble du Gouvernement, que je représente ici. Il en a, je crois, donné la preuve, lors de la rédaction de ce projet de loi, par le biais à la fois des critères d'attribution des fréquences numériques terrestres, du cadre fixé à l'intervention du CSA et de la définition des missions de service public.
Cet enjeu dépasse de très loin celui des supports et, de ce point de vue, je trouve que la question de la convergence, qui est une problématique d'ordre technologique, économique et industrielle, risque souvent d'être un faux nez permettant d'éviter de traiter à fond, et au moins en même temps, le problème des contenus.
Dans l'univers numérique qui se dessine sur l'Internet, ce sera la capacité à produire des programmes originaux qui déterminera la force de notre système de communication. C'est elle que le Gouvernement cherche à préserver et à favoriser au travers de ce projet de loi.
M. Henri Weber. Très bien !
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Je suis heureuse que mon adage selon lequel on a toujours besoin d'un plus petit que soi vous ait séduit, monsieur Ralite. J'ajoute simplement que les petits ne doivent pas, tels les Indiens dans les réserves, être cantonnés dans une position absolument marginale et symbolique. C'est pourquoi je me suis préoccupée de l'apparition d'une initiative commerciale, dont certaines inspirations sont parfaitement légitimes - extension du public du cinéma - mais dont les effets peuvent être de restreindre, voire d'éliminer un secteur indépendant qui est essentiel pour la production, la distribution et la diffusion des films.
Pour conclure, je voudrais dire à M. Gouteyron que j'aborde notre discussion avec confiance, mais aussi avec fierté. Ce n'est pas un fardeau pour moi de reprendre ce texte, même si, comme je l'ai dit tout à l'heure, son cheminement a été long et difficile. Je crains d'ailleurs que mes successeurs n'aient à reprendre ce sujet avec vous ou avec ceux qui vous succéderont dans cette enceinte, car nous sommes véritablement à la croisée de formidables bouleversements technologiques et économiques.
Quoi qu'il en soit, au-delà des étapes successives de l'élaboration de cette loi et de celles qui viendront peut-être demain - nous aurons un prochain rendez-vous sur la société de l'information - nous ne devons pas perdre de vue, les uns et les autres, les enjeux fondamentaux. Il n'est pas trop tôt pour commencer à y apporter des réponses si, chacun dans notre rôle, nous les traitons de manière responsable et sans rien abolir de nos ambitions démocratiques ni de nos ambitions en matière de modernité et de soutien au développement économique et social. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission. Monsieur le président, la commission devant se réunir pour achever l'examen des amendements, je suggère que nous abordions la discussion des articles à la reprise.
M. le président. Le Gouvernement est-il d'accord ?
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Tout à fait, monsieur le président.
M. le président. Nous allons donc interrompre maintenant nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)