Séance du 30 mai 2000
M. le président. La parole est à M. Legendre, auteur de la question n° 739, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question a été posée au lendemain de la tenue à Paris du salon Expolangues.
A cette occasion, les spécialistes de l'enseignement des langues ont constaté, une fois de plus, la prédominance écrasante de l'enseignement de l'anglais dans l'enseignement des langues vivantes en France. Cette prédominance a des effets négatifs puisque des langues aussi importantes que l'allemand, l'italien, le russe, le portugais ou l'arabe sont délaissées. Des enseignants spécialistes de ces langues ne trouvent plus la possibilité de les enseigner.
Cette situation n'est pas nouvelle. Elle avait été dénoncée, il y a cinq ans déjà, dans le rapport d'une mission d'information du Sénat que j'avais à l'époque constituée. Ce rapport avait émis des conclusions, adoptées à l'unanimité, qui insistaient sur la nécessité de maintenir une véritable diversité de l'enseignement des langues étrangères en France.
Tout au contraire, le ministère de l'éducation nationale - je dirai les ministres successifs de l'éducation nationale, qu'ils soient de droite ou de gauche - arguant de la pression des familles, mais également pour des raisons de facilités de gestion, a tenu à réduire l'offre réelle de langues en définissant des seuils de fermeture et d'ouverture de classe de plus en plus sévères.
Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que je tienne à poser de nouveau la question de l'enseignement des langues étrangères en France. Je l'aurais posée à M. Allègre, je la pose à son successeur et à vous-même, car il me semble que cette question n'est pas une question secondaire.
En effet, à travers l'enseignement des langues, c'est la diversité culturelle que nous défendons ou à laquelle nous portons tort, c'est la capacité de la France et des Français de dialoguer avec des pays partenaires que nous entretenons, sauf à nous en remettre au truchement d'une langue internationale, l'anglais. Et ne nous étonnons pas, alors, si cela a également des conséquences sur le statut international de la langue française !
Je serais donc très heureux, monsieur le ministre, de connaître les orientations du nouveau ministre de l'éducation nationale sur ce point. Sachez que nous aurons de nombreux rendez-vous, cette année, avec le problème de l'enseignement des langues et que nous ne manquerons pas de poser et de reposer la question.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel. Monsieur le sénateur, nous connaissons votre intérêt soutenu pour ces questions et tout autant le rapport auquel vous vous référez.
M. Jack Lang, malheureusement empêché, et qui vous présente ses regrets, m'a chargé de vous donner connaissance de la réponse qu'il a préparée à votre intention.
Monsieur le sénateur, comme vous, je constate une position de prédominance de l'enseignement de l'anglais et, dans une moindre mesure, de l'espagnol au collège et au lycée. Il ne s'agit pas pour autant d'une situation d'hégémonie.
Actuellement, la prédominance de l'anglais n'est pas le produit d'une volonté résolue du ministre de l'éducation nationale ; elle correspond, assez logiquement à la fois au statut acquis par la langue anglaise dans les échanges internationaux et, il faut bien en convenir, à la forte demande des parents d'élèves.
Ainsi, pour la présente année scolaire 1999-2000, près de 5 400 000 élèves du second degré, collèges, lycées et lycées professionnels, en France métropolitaine et dans les DOM, ont bénéficié d'un enseignement de l'anglais en langue vivante I, en langue vivante II, en langue vivante III ou encore en enseignement renforcé.
Selon les mêmes critères, l'espagnol vient en effet en second choix, avec près de 1 900 000 élèves qui l'étudient, principalement, d'ailleurs, en langue vivante II.
Près de 1 100 000 élèves étudient l'allemand, dans une égale répartition entre la langue vivante I et la langue vivante II. Ce ne sont pas des chiffres dérisoires, vous en conviendrez.
La quatrième langue vivante la plus étudiée en France, l'italien, concerne 210 000 élèves, les autres langues, le russe et le portugais, étant respectivement enseignées à 15 000 et 10 000 élèves, et la langue arabe à 6 000 élèves seulement, malheureusement.
Pour réelles que soient les disparités en ce domaine, elles ne signifient pas, pour autant, l'« écrasement », ni même la relégation, au sein de l'éducation nationale de l'enseignement des autres langues.
Au demeurant, le Gouvernement est animé par une ferme volonté de développer l'étude et la pratique des langues vivantes étrangères à tous les niveaux de notre système d'enseignement.
Déjà, des mesures ont été prises pour améliorer le dispositif d'enseignement des langues tant au collège qu'au lycée.
Il a été demandé à chaque recteur d'établir dans son académie, en fonction de la spécificité de celle-ci, une carte des langues. Elle doit permettre de mieux équilibrer l'offre de l'enseignement des langues étrangères autres que l'anglais et l'espagnol. Cette disposition, qui rationalise et harmonise l'offre de formation au niveau des bassins d'enseignement, introduit également la garantie d'une meilleure continuité pour la poursuite au lycée de l'étude des langues commencée au collège. La mise en oeuvre d'une carte académique des langues ne peut que faciliter le choix, en classe de quatrième, de diverses langues comme l'allemand, l'italien, le russe ou le portugais.
Cette disposition vise, en outre, à préserver une offre diversifiée dans le cadre de la langue vivante III.
Je veux également mentionner les efforts actuellement entrepris dans l'enseignement professionnel pour installer une diversification plus grande de l'éventail des langues vivantes étrangères qui y sont présentes, non seulement au titre de la langue vivante I mais encore au titre de la seconde langue.
De plus, l'information à destination des parents et des élèves sur l'offre académique et sur l'utilité de chacune des langues proposées se verra renforcée par un travail avec l'Office national d'information sur les enseignements et les professions, contribuant ainsi à donner toute leur efficacité aux mesures énoncées.
Parallèlement, j'entends poursuivre et développer singulièrement l'effort entrepris pour l'enseignement des langues étrangères dans les écoles maternelles et élémentaires du premier degré. Déjà très significative, la progression du nombre d'élèves concernés se fera encore plus sensible dès la rentrée prochaine.
En 1994-1995, 800 000 élèves du premier degré avaient suivi des cours de langue en France métropolitaine et dans les DOM.
En 1998-1999, ce sont près de 2 millions d'élèves qui les ont suivies dans 36 500 écoles, soit 28,6 % des élèves du premier degré. Certes, là encore, l'anglais prédomine dans toutes les académies, sauf dans deux : celle de Strasbourg, où l'enseignement de l'allemand a été introduit dès 1972, et celle de Nancy-Metz. Sur le plan national, la part de l'allemand est d'ailleurs en légère augmentation.
L'espagnol reste plus étudié dans les académies de Toulouse et Bordeaux, l'italien dans les académies de Corse, Grenoble et Nice, confirmant ainsi que la proximité d'un pays étranger incite à choisir l'étude de la langue de ce pays, surtout si elle se double d'une proximité culturelle.
La prochaine présidence française de l'Union européenne sera justement une heureuse occasion d'engager une nouvelle phase d'échanges et de propositions autour, notamment, de l'enseignement des langues européennes. Je souhaite, en particulier, que nous puissions développer avec nos partenaires l'enseignement des langues latines, qui sont pour nous des langues soeurs.
J'évoquerai d'ailleurs cette question, dès demain matin, avec mon homologue portugais qui me fait l'honneur de me rendre visite. Le Portugal, vous le savez, s'apprête, lui, à quitter la présidence européenne.
L'allemand, dont la situation, monsieur le sénateur, paraît vous préoccuper, ne sera pas oublié pour autant. Je veillerai notamment à redonner un véritable élan à la politique d'échanges linguistiques et culturels dans le cadre de l'Office franco-allemand pour la jeunesse.
L'année 2001, déclarée « année européenne des langues », devra donc logiquement nous conduire à l'enseignement de l'ensemble des langues et cultures étrangères, dans leur diversité, au sein de notre système éducatif.
M. Jacques Legendre. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, je veux tout d'abord saluer un progrès : M. Lang précise que la prédominance de l'anglais est non pas de son fait, mais résulte de la pression et de la volonté des familles. C'est un progrès par rapport aux propos pour le moins imprudents de son prédécesseur, M. Allègre, qui nous expliquait que l'anglais n'était pas une langue étrangère, ce qui risquait d'avoir des effets fort démobilisateurs quant à la place respective du français et de l'anglais dans ce pays et quant à l'enseignement des langues étrangères. Il faut le dire et le reconnaître.
J'ai essayé d'être objectif, monsieur le ministre. Je crois que beaucoup de ministres de l'éducation, dans le passé, tant de droite que de gauche, n'ont pas été suffisamment attentifs à ce problème.
Vous avez, ensuite, fait le bilan de la situation. Bien sûr, fort heureusement, on enseigne encore largement les langues en France et l'offre de langues est variée. Il n'empêche que l'évolution n'est pas celle que nous souhaitions quand nous remettions ce rapport au Sénat - adopté à l'unanimité, je le répète - en 1994. Nous indiquions déjà qu'il y avait lieu de corriger des choses.
Or, au lieu de s'améliorer, depuis la remise de ce rapport, les choses ont continué à évoluer vers la concentration vers l'anglais première langue et l'espagnol deuxième langue, avec des effets négatifs, par exemple, sur le dialogue franco-allemand. La construction européenne, qui est largement conduite par la France et par l'Allemagne, allons-nous la mener en dialoguant entre nous en anglais ? On en arrive à cela, et vous le savez !
Je veux noter aussi la place tout à fait mineure faite aux langues de pays qui vont entrer dans l'Union européenne et qui sont des pays importants, comme la Pologne. Je suis l'élu d'une région où des centaines de milliers d'habitants sont d'origine polonaise et où l'on n'enseigne pas le polonais. Est-ce bien raisonnable ?
Vous avez relevé, monsieur le ministre, en le déplorant, le faible niveau de l'enseignement de l'arabe en France.
Il faut se dire que, si l'arabe doit être enseigné, c'est dans l'école de la République, et pas ailleurs ni par d'autres moyens ni l'arabe est une langue de culture.
Le président Bouteflika déclarait récemment qu'il se préoccuperait de l'enseignement du français en Algérie quand nous nous préoccuperions davantage de l'enseignement de l'arabe en France ; j'aurais quelque difficulté à lui donner tort. Il y a, de ce point de vue, une certaine part de réciprocité qui est logique.
Je crois que le problème demeure, monsieur le ministre, et que nous devons donc avoir sur ce problème difficile de l'enseignement des langues et de ses implications un vrai débat national. Aussi, je souhaiterais que le ministre de l'éducation accepte qu'un débat puisse se tenir, entre autres sur ce thème, au Parlement.
J'ajoute que l'année 2000 et l'année 2001 seront marquées par des événements qui justifient un tel débat.
En 2000, durant l'été, dans quelques semaines donc, se tiendra à Paris le congrès international de l'association des professeurs de langue vivante. Ils vont nous interpeller, et nous serons peut-être un peu mal placés pour nous justifier, car il y a chez nous la théorie de l'apprentissage des langues et la pratique de l'apprentissage des langues.
En 2001, le Conseil de l'Europe organise l'Année européenne des langues ; j'en serai d'ailleurs le rapporteur. Quelle place le ministère français de l'éducation nationale prendra-t-il dans ce débat qui concerne quelque quarante pays ?
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite, en vous remerciant encore de votre réponse, que le ministère de l'éducation nationale accepte qu'un débat un peu approfondi ait lieu au Parlement sur une question qui est importante. En effet, au travers de l'apprentissage des langues vivantes dans ce pays, apparaît notre volonté de contribuer réellement à maintenir un monde et une Europe qui soient marqués par la diversité culturelle, et donc par la diversité linguistique.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. Je crois, monsieur le sénateur, que l'on ne peut que partager votre inquiétude et entendre l'alerte que vous sonnez à propos du poids excessif de l'usage de l'anglais et du besoin de l'apprendre.
Nous le ferons avec modération : humanistes et universalistes sur toutes les travées, nous avons en effet toujours plaisir à ouvrir nos esprits, notamment à une langue aussi parlée que l'anglais. Cependant, vous avez raison de dire que si cette ouverture devait se faire au prix d'une uniformisation des langues et des cultures, ce serait tout à fait dramatique.
Je me permets d'attirer votre attention sur le fait que, dans ce domaine, la France tient son rang. A cet égard, les chiffres que j'ai évoqués tout à l'heure montrent le développement de l'enseignement des langues dans notre pays. Il est juste qu'il en soit ainsi car, de par notre position et notre rayonnement, nous sommes au carrefour de nombreuses civilisations et de nombreuses langues.
Comme vous, monsieur le sénateur, le ministre de l'éducation nationale a déploré que l'arabe ne soit pas davantage et mieux enseigné, d'autant qu'il s'agit d'une langue de culture et de voisinage : les pays du nord de la Méditerranée sont l'environnement géographique, culturel, spontané et certainement le plus naturel de la France. En outre, plusieurs millions de nos concitoyens français ont reçu cette langue en héritage. Il est donc juste que la France en profite. Vous avez bien raison de dire que c'est à l'école républicaine que l'arabe doit être enseigné.
La France tient sa place et la tiendra dans les débats à venir. D'une certaine manière, ses actes sont en accord avec ses principes, même si nous devons toujours vouloir faire mieux, et ne pas capituler devant l'uniformisation par l'anglais.
Monsieur le sénateur, vous avez dit que vous comme la Haute Assemblée restiez et resteriez très vigilants sur cette question. C'est nécessaire, me semble-t-il.
CONSÉQUENCES DU DÉVELOPPEMENT
DU CRÉDIT À LA CONSOMMATION