Séance du 13 juin 2000






LOI D'ORIENTATION POUR L'OUTRE-MER

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'outre-mer (n° 342, 1999-2000). [Rapport n° 393 (1999-2000), avis n°s 403, 401, 394 (1999-2000) et rapport d'information n° 361 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui et qui a été adopté par l'Assemblée nationale le 11 mai dernier est la concrétisation d'un engagement pris par le Gouvernement à l'automne 1998. Il est le résultat d'une intense concertation conduite, d'abord, par l'élaboration de plusieurs rapports sur lesquels le Gouvernement s'est appuyé : le rapport Mossé sur les questions de développement économique, le rapport Fragonard sur les questions sociales et d'insertion et le rapport élaboré à la demande du Premier ministre par le député Michel Tamaya et votre collègue Claude Lise.
Pour ce dernier rapport, ce sont près de mille deux cents personnes qui ont été consultées. Les assemblées de chaque département ont été saisies à deux reprises. Les sociétés locales dans leurs différentes composantes - économiques, associatives - se sont exprimées. Les propositions ont été nombreuses : plus de deux cents ont été reçues au secrétariat d'Etat.
Ce projet de loi exprime la volonté du Gouvernement de marquer une nouvelle étape pour les départements d'outre-mer. Cette étape est, à mes yeux, un tournant sans précédent depuis la loi de départementalisation de 1946. Celle-ci répondait à une exigence d'égalité : à l'époque, l'assimilation - c'est le mot qui revient dans les débats - était recherchée pour rattraper les retards de l'outre-mer par rapport à la métropole, une assimilation qui appelait déjà, selon les propos de Gaston Monnerville à l'Assemblée constituante, « des aménagements pour ces départements lointains », afin de tenir compte de leur identité dans la République.
D'autres grandes figures se sont exprimées dans les débats de 1946 : Raymond Vergès, Léopold Bissol et Aimé Césaire, le rapporteur, jeune député qui concluait en appelant à « cette fraternité agissante aux termes de laquelle il y aura une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse ».
Ainsi, plus de cinquante ans après, il s'agit de renouveler le pacte républicain avec l'outre-mer en tenant compte des acquis indéniables de la départementalisation.
Les défis sont nombreux : économiques, sociaux, culturels, politiques. Les attentes sont fortes dans les sociétés locales, même si elles sont parfois contradictoires. Elles s'expriment dans une double demande de développement et de responsabilité. Au travers de ce débat, nous devons nous efforcer d'y répondre. Les rapports de vos commissions, que je tiens à remercier pour la qualité de leur travail, permettront d'y contribuer.
Le premier défi est celui de l'emploi. Nous connaissons les données. D'abord, le taux de chômage est trois fois plus important qu'en métropole. Sur les douze derniers mois, on constate une tendance à la baisse du nombre des demandeurs d'emploi, mais beaucoup moins prononcée qu'en métropole. Parallèlement, le pourcentage d'allocataires du RMI est cinq fois supérieur à celui que connaît la métropole et il reste, lui, en progression.
A l'énoncé de ces simples pourcentages, on pourrait craindre que les sociétés d'outre-mer ne s'enfoncent dans le mal-développement et l'assistance. Il faut toutefois apporter des nuances, qui sont autant d'éléments d'analyse.
Nos départements d'outre-mer font preuve, en effet, d'un réel dynamisme : leur taux de croissance est supérieur à celui de la métropole. Cependant, ils doivent absorber une jeunesse proportionnellement plus nombreuse. Quant au RMI, il vient, comme l'a souligné le rapport Fragonard, compenser pour partie une moindre couverture par l'assurance chômage.
On connaît les handicaps structurels des économies d'outre-mer : l'éloignement qui accroît les charges du transport, l'étroitesse des marchés, le coût du travail plus élevé que dans les pays voisins... Mais, trop souvent, on oublie de parler des atouts : la formation des jeunes, la qualité des services publics, l'esprit d'initiative des entrepreneurs, la vitalité de la démocratie, l'appartenance à la France et à l'Europe... Comment valoriser ces atouts plutôt que de se complaire dans la litanie des retards ?
Il y a, d'abord, l'indispensable solidarité de la France et de l'Europe. Elle sera effective avec les contrats de plan et les fonds structurels pour la période 2000-2006. Au total, pour ces sept ans, les départements d'outre-mer bénéficieront de près de 30 milliards de francs de l'Etat et de l'Europe, soit une augmentation de plus de 50 % par rapport à la période précédente. A ces crédits s'ajouteront ceux des collectivités territoriales. Il y a là un véritable levier pour le développement.
Je suis pleinement conscient de la nécessité de bien utiliser ces crédits, de veiller à une dépense efficace. C'est dans cette direction que plusieurs dispositions ont été proposées par votre commission des lois et que nous travaillerons avec les élus locaux, lesquels se sont pleinement engagés dans la préparation des contrats de plan et des documents de programmation à l'échelon européen. Je veux aussi saluer l'effort des administrations d'Etat qui, sur le terrain, travaillent au développement et au respect de l'état de droit.
Les orientations principales du projet de loi d'orientation visent à accompagner l'effort d'investissement des collectivités publiques. Je veux les rappeller, sans entrer dans les détails puisque nous les examinerons article par article, en insistant sur quatre points.
Le premier concerne l'abaissement du coût du travail.
Celui-ci sera abaissé dans les départements d'outre-mer par une exonération à 100 % des cotisations patronales de sécurité sociale dans la limite de 1,3 SMIC. Seront concernées 95 % des entreprises, c'est-à-dire toutes celles du secteur dit exposé, quel que soit leur effectif, et toutes celles qui comprennent moins de onze salariés, quel que soit leur secteur d'activité.
Ainsi, seront couverts 115 000 salariés, contre 44 000 aujourd'hui au titre de la loi du 25 juillet 1994. S'y ajouteront tous les employeurs et travailleurs indépendants, soit 55 000 personnes.
Ce dispositif est aussi simple que notre droit social le permet. Il contribuera notamment à développer les petites et moyennes entreprises et à leur permettre de concrétiser leur potentiel de création d'emplois qui est aujourd'hui grevé par la concurrence du travail dissimulé. Un dispositif progressif permettra d'atténuer les effets de seuil qui resteront limités par le fait que la très grande majorité des entreprises d'outre-mer ont un effectif moyen inférieur à deux salariés.
Jamais aucun Gouvernement n'était allé aussi loin dans la lutte contre le chômage et contre le travail dissimulé.
Le dispositif que je vous propose d'adopter représente un engagement financier de l'Etat quatre fois supérieur à celui qui est en vigueur depuis 1994, soit, à lui seul, un coût de 3,5 milliards de francs. Il ne sera pas limité dans le temps, pas plus qu'il ne sera financé, comme c'était le cas précédemment, par une majoration de la TVA outre-mer, c'est-à-dire par un impôt sur la consommation.
Le deuxième point concerne la lutte contre le chômage des jeunes.
Le projet de loi d'orientation prévoit deux grandes mesures en faveur de l'emploi des jeunes.
D'une part, le projet initiative-jeune, qui permettra d'octroyer une aide d'un montant pouvant atteindre 50 000 francs par projet aux jeunes de moins de trente ans qui créeront ou reprendront une entreprises ou qui poursuivront une formation professionnelle hors de leur département.
D'autre part, le congé solidarité, qui fait appel à la solidarité entre les générations et qui mettra en oeuvre un système de préretraites contre embauches de jeunes en contrats à durée indéterminée. Il sera ouvert, sous certaines conditions, aux salariés de plus de cinquante-cinq ans dans les entreprises qui seront passées effectivement aux 35 heures. Ce dispositif pourra être financé jusqu'à 60 % par l'Etat, jusqu'à 15 % par les entreprises et jusqu'à 25 % par les collectivités locales.
Il s'agit, ensuite, de lutter contre l'exclusion, et ce sera mon troisième point.
Le projet de loi d'orientation vise à réinsérer sur le marché du travail ceux qui en sont aujourd'hui exclus. Deux mesures principales doivent être mises en exergue.
D'une part, l'allocation de retour à l'activité, qui a pour objet de favoriser la réinsertion professionnelle des bénéficiaires de minima sociaux qui, pendant deux ans, pourront cumuler celle-ci avec les revenus tirés d'une activité rémunérée en entreprise ou chez un particulier.
D'autre part, le titre de travail simplifié, qui se substituera au chèque emploi-services et permettra d'alléger considérablement les formalités d'embauche.
Bien évidemment, et afin que ces dispositions produisent leur plein effet, le Gouvernement a prévu des mesures de contrôle et de maîtrise des dispositifs actuels, notamment en ce qui concerne le revenu minimum d'insertion.
Enfin, et c'est le quatrième point de ce volet économique et social, le Gouvernement a choisi de reprendre le chemin de l'égalité sociale.
Des revendications très fortes se sont exprimées dans ce sens, notamment à la Réunion. L'alignement du RMI à échéance de trois ans a été décidé, à l'issue du débat à l'Assemblée nationale.
Pour autant, le Gouvernement n'entend pas réduire les crédits pour le logement et l'insertion qui résultaient en inscriptions budgétaires du différentiel avec la métropole, c'est-à-dire quelque 860 millions de francs en 2000. Le Gouvernement les rétablira au titre des budgets ultérieurs. Il a également prévu un alignement des barèmes de l'allocation logement.
Je veux également vous préciser, s'agissant de l'organisation des transports dans les trois départements français d'Amérique, que le Gouvernement a choisi de ne pas légiférer par ordonnances afin de poursuivre la concertation avec les collectivités locales et les transporteurs. Je déposerai un amendement permettant que les autorisations et conventions en vigueur soient prorogées pendant un délai de dix-huit mois, délai nécessaire à l'élaboration d'un dispositif légistalif prenant en compte les particularismes de l'organisation des transports interurbains dans les départements d'outre-mer.
Ce même amendement prévoira également une modification des règles de répartition du FIRT le fonds d'investissement routier des transports : 3 % de son montant seront ainsi affectés aux transports urbains dans les Antilles-Guyane afin de permettre leur fonctionnement.
Le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, et c'est son deuxième grand axe, reconnaît la place des départements d'outre-mer dans la République. A plusieurs égards, il permet d'engager cette « voie de la responsabilité » que MM. Lise et Tamaya appelaient de leurs voeux.
C'est, en premier lieu, par la valorisation des identités d'outre-mer, notamment des langues en usage dans cette partie du territoire national. L'accès à la culture, aux échanges et aux productions culturelles sera développé. Une attention toute particulière sera portée aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui offrent des perspectives de développement et d'échanges qu'il faut explorer.
C'est également en consolidant l'insertion des départements d'outre-mer dans leur environnement régional que la France tout entière pourra améliorer son rayonnement international. La coopération avec les Etats qui sont proches des départements et des régions d'outre-mer sera désormais possible et sera très largement de la responsabilité des élus locaux. Je sais que votre commission des lois a approuvé ces propositions, en les enrichissant, et je m'en félicite.
De plus, l'approfondissement de la décentralisation ouvre la voie au transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, en matière de routes nationales, de gestion et de conservation des ressources biologiques ou de gestion de l'eau. L'Etat sera au côté des collectivités territoriales, notamment du point de vue financier, mais également sur le plan technique, pour les aider à exercer leurs missions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces dispositions ont retenu une écoute favorable de vos commissions, qui ont souvent cherché à les améliorer. Il faut toutefois, sur le plan financier, se garder du « toujours plus ». Au total, l'effort consenti en faveur de l'outre-mer dépasse les 5 milliards de francs, sans contrepartie au niveau budgétaire. C'est donc un engagement financier qui, vous le comprendrez, ne peut être augmenté.
Enfin, je rappelle à votre assemblée que le volet « aide fiscale à l'investissement », s'il ne figure pas dans le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui, fera l'objet de propositions d'amélioration de la part du Gouvernement avant la fin de cette année.
Le Premier ministre est soucieux qu'une réflexion soit préalablement menée afin de recueillir les aspirations des milieux économiques de l'outre-mer. Un groupe de travail associant les partenaires professionnels et les représentants des ministères concernés s'est déjà réuni à deux reprises. Je vous confirme l'engagement du Gouvernement : le nouveau dispositif, destiné à répondre aux principales critiques formulées à l'encontre du régime issu de la loi de 1986, dite loi Pons, tout en consolidant le principe de l'aide fiscale à l'investissement outre-mer, sera présenté au Parlement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2001. Il permettra ainsi de conjuguer les dispositions de la loi d'orientation et les mesures visant à améliorer les capacités de financements des projets outre-mer.
J'en viens aux articles 38 et 39 du projet de loi, qui sont, à mes yeux, porteurs de réformes essentielles pour l'avenir de la Réunion, d'une part, et des trois départements français d'Amérique, d'autre part.
S'agissant de l'article 38 et du projet de création d'un deuxième département à la Réunion, votre commission des lois, tout en considérant - ce qui figure d'ailleurs dans l'exposé des motifs du projet de loi d'orientation - qu'un tel projet « pourrait être justifié par des considérations relatives à l'évolution démographique ou à l'aménagement du territoire », propose sa suppression au motif qu'une telle réforme « ne devrait être envisagée que si elle rencontrait l'accord unanime des élus réunionnais ». La commission des lois considère également que cette réforme devrait recueillir l'adhésion de la population ; deux sondages récents indiquent qu'elle n'y est pas majoritairement favorable.
Depuis vingt ans, les principaux élus de la Réunion se sont prononcés à un moment ou à un autre en faveur de la bidépartementalisation. J'y vois d'abord leur souci de se rapprocher du modèle régional métropolitain et de prendre en compte les déséquilibres existants à la Réunion entre le nord et le sud de ce département.
S'il est exact qu'en mars dernier le conseil régional et le conseil général ont, chacun à une courte majorité, émis un avis défavorable, la vérité oblige, là encore, à relever que ces votes portaient davantage sur les modalités que sur le principe même de la bidépartementalisation.
Le Gouvernement a tenu compte de ces votes en proposant de nouvelles limites territoriales pour les deux futurs départements. L'article 38 du projet de loi, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, affirme le principe de la création d'un second département avant la fin de la législature et renvoie à un texte ultérieur le soin d'en définir les modalités précises, ce qui laisse la place à la concertation.
Je dois rappeler que treize des vingt-quatre maires et sept des huit parlementaires que compte la Réunion se sont prononcés en faveur de la bidépartementalisation. Le Gouvernement est, pour sa part, convaincu du bien-fondé d'une telle réforme, laquelle a été approuvée à deux reprises par le Président de la République, notamment à l'occasion d'un déplacement à Saint-Denis, le 3 décembre 1999.
Quant à la consultation des populations, elle ne peut pas s'imposer, s'agissant d'un alignement sur le droit commun ou d'un rapprochement de ce dernier. Les formations politiques pourront, bien sûr, défendre le bien-fondé de leurs positions à l'occasion des échéances électorales régulières.
Cette bidépartementalisation proposée pour la Réunion marque déjà le souci du Gouvernement de parvenir à une évolution différenciée pour les autres départements d'outre-mer. J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises : le temps du « moule unique » a vécu. Il faut imaginer des formules propres à chaque territoire. C'est ce qui a été fait en 1985, dans des circonstances différentes, pour l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, et certaines dispositions du présent projet de loi permettront de compléter les mesures qui s'y appliquent. C'est ce qui est en cours pour Mayotte, avec la consultation prévue pour le 2 juillet prochain.
S'agissant des territoires d'outre-mer, qui relèvent de l'article 74 de la Constitution, la révision constitutionnelle que vous avez adoptée a permis de doter la Nouvelle-Calédonie d'un titre spécifique dans notre loi fondamentale. Une démarche identique a été lancée pour la Polynésie française. La concertation débute aussi à Wallis-et-Futuna sur les modifications du statut, qui date de près de quarante ans.
Ainsi, l'architecture de notre droit de l'outre-mer s'en trouve profondément modifiée. Certains juristes regretteront l'ordonnancement traditionnel des jardins à la française. Mais n'est-il pas du devoir du législateur que d'anticiper les évolutions, de leur donner un cadre souple plutôt que de devoir subir le poids d'événements douloureux ?
Le Gouvernement auquel j'appartiens reconnaît donc aux collectivités d'outre-mer le droit à l'évolution statutaire dans la République.
Il s'agit bien d'un droit et non d'une obligation. Autrement dit, nous devons respecter la volonté, là où elle s'exprime, de ceux qui veulent rester dans le cadre de l'article 73 de la Constitution. En tout cas, c'est, à la Réunion, un point qui ne fait pas litige entre toutes les forces politiques qui se sont exprimées sur la bidépartementalisation : il y a en effet, à la Réunion, unanimité pour rester dans le cadre de l'article 73 de la Constitution.
Dans les trois autres départements que sont la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, les évolutions souhaitées doivent faire l'objet d'un débat, qui doit se dérouler dans un cadre démocratique, transparent et organisé. Le temps n'est plus aux décisions imposées depuis Paris. Je ne crois pas non plus qu'une simple déclaration, fût-elle de trois présidents de région, suffise à enclencher des évolutions statutaires.
L'article 39 du projet de loi définit donc une méthode, celle du congrès, c'est-à-dire de la réunion de deux assemblées procédant dans chaque département d'outre-mer du suffrage universel. On ne peut reprocher à ce gouvernement d'avoir maintenu sur le même territoire deux légitimités démocratiques. Je vous rappelle que, en 1982, le projet de loi établissant l'assemblée unique n'a pas été accepté par le Conseil constitutionnel. Et ce sont bien les parlementaires de droite qui, à l'époque, avaient saisi ce dernier pour aboutir à ce que l'assemblée unique ne se mette pas en place. On ne peut donc demander aujourd'hui au Gouvernement de modifier unilatéralement cette situation qui résulte, à la lettre, d'une impasse juridique.
La commission des lois et le groupe du RPR proposent non pas de modifier l'article 39 mais purement et simplement de le supprimer. On peut s'interroger sur leurs raisons.
Au groupe du RPR, je voudrais rappeler les déclarations du Président de la République, dans son discours prononcé à la Martinique le 11 mars 2000 : L'évolution des règles statutaires est « dans la nature des choses » ; la politique de l'outre-mer ne peut plus « être appliquée de façon uniforme » ; « toute modification statutaire substantielle [doit être] explicitement approuvée par les populations concernées. »
A la commission des lois, je voudrais montrer le formidable paradoxe qu'il y a à considérer, comme l'écrit son excellent rapporteur, M. Balarello, que cet article 39 ne serait pas « à la hauteur des fortes espérances qu'il a suscitées parmi les populations des départements d'outre-mer » et à proposer simultanément sa suppression, ce qui revient justement à interdire aux populations d'outre-mer de pouvoir s'exprimer.
En fait, comme l'ont souhaité tous les élus d'outre-mer, comme le propose le Gouvernement, comme l'a, semble-t-il, approuvé le Président de la République, comme l'a voté l'Assemblée nationale, la question est aujourd'hui de savoir, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous acceptez ou non que les populations des départements d'outre-mer puissent être consultées sur tout projet visant à les faire sortir du cadre départemental actuel.
Si la réponse du Sénat est négative, alors toute démarche d'évolution statutaire dont l'initiative viendrait de l'outre-mer serait bloquée. Mais si, comme je l'espère, vous considérez, dans l'inspiration du préambule de la constitution de 1946, que ce droit doit être reconnu aux populations de toutes les collectivités d'outre-mer, alors nous pourrons discuter sereinement des modalités d'application de l'article 39, et nous tomberons rapidement d'accord pour constater qu'elles en découlent de façon logique.
Comment imaginer, en effet, qu'une consultation des populations puisse se dérouler sans que celles-ci aient été préalablement informées des tenants et des aboutissants des projets d'évolution ? Il s'agit là d'une exigence morale et d'une obligation constitutionnelle, car toute consultation - le Conseil constitutionnel vient de le rappeler à propos de Mayotte - fût-elle pour avis, doit être claire et loyale.
C'est à dessein que j'évoque « des » projets institutionnels et non « un » seul projet institutionnel, car telle est bien la réalité du débat dans les départements français d'Amérique. Je ne doute d'ailleurs pas que les sénateurs de chacun de ces départements auront le souci de l'exposer à la tribune et de l'enrichir, et je ne manquerai pas de leur répondre en fin de discussion générale.
Pour les départements d'outre-mer, il n'y a pas plus de modèle unique à promouvoir que de pensée unique à imposer. Le fait que certaines positions puissent s'exprimer de façon plus bruyante que d'autres, trouvant par là davantage d'échos à Paris, ne peut changer cette réalité.
Pour sa part, le Gouvernement souhaite laisser à chaque département d'outre-mer la possibilité de débattre de son avenir. Mais il juge nécessaire que ce débat se déroule dans un cadre organisé par la loi, car, à défaut, nous prendrions le risque qu'il ait lieu ailleurs.
C'est pourquoi le Gouvernement a repris la proposition de congrès de MM. Lise et Tamaya, qui repose sur deux constats.
Tout d'abord, les deux parlementaires ont relevé que, dans les trois départements français d'Amérique, cette pratique avait commencé d'être mise en oeuvre : en Guyane, à plusieurs reprises, et ce depuis 1994 ; en Martinique, où les deux présidents d'exécutif ont rendu public un échange de courriers par lesquels ils proposaient la réunion de leurs deux assemblées pour débattre de l'évolution institutionnelle ; en Guadeloupe, enfin, où votre collègue présidente de la région, Mme Michaux-Chevry, a également proposé une démarche analogue à son homologue du conseil général.
Il s'agit donc non pas d'innover mais plutôt de confirmer une démarche. Certains diront qu'il n'y avait pas besoin de la loi pour ce faire. J'ai la faiblesse de penser tout de même que la loi conforte la démarche d'évolution et, en tout cas, lui donne toutes les garanties démocratiques.
MM. Lise et Tamaya ont donc souhaité donner aux assemblées locales des départements d'outre-mer un pouvoir d'initiative en matière d'évolution statutaire, alors que, aujourd'hui, leur capacité de proposition reste limitée à la simple adaptation des lois et des règlements.
Votre vote sur l'article 39 du projet de loi ne sera donc pas dissociable de ces interrogations fondamentales : mesdames, messieurs les sénateurs, acceptez-vous le principe même de l'évolution institutionnelle des départements d'outre-mer ? Acceptez-vous que cette évolution provienne d'un débat mené à l'échelon local et conduit devant l'ensemble de la population qui sera, à un moment, appelée à se prononcer ? Les évolutions qui sont intervenues - je pense aux plus récentes que nous avons eues à examiner ici - procèdent d'un consensus local. Tel a d'ailleurs été le cas en Nouvelle-Calédonie au travers de l'accord de Nouméa et de sa traduction sur le plan juridique.
Je me suis attardé sur l'aspect institutionnel parce que l'article 38 sur la bidépartementalisation de la Réunion et l'article 39 sur le congrès ont retenu l'attention de la commission des lois.
Certes, tout ne se réduit pas au débat institutionnel, et ce projet de loi a bien d'autres ambitions. Mais il serait dommageable que l'outre-mer, qui a besoin de mesures urgentes, fasse les frais de nos querelles partisanes dans l'Hexagone.
Je souhaite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce débat, qui est retransmis dans nos départements d'outre-mer, montre que les sentiments qui nous unissent sont plus forts et que nous voulons écrire une nouvelle page de notre histoire commune avec l'outre-mer, une page où se renforce le modèle républicain qui nous rassemble. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE. - M. Hoeffel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est aujourd'hui saisi d'un projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 11 mai 2000.
La commission des lois du Sénat, qui a toujours porté un intérêt marqué à l'outre-mer, a tenu pour sa part à préparer l'examen de cet important texte en effectuant deux missions sur place.
Le projet de loi d'orientation répond à un double objectif : d'une part, répondre aux handicaps structurels qui freinent le développement économique des départements d'outre-mer aujourd'hui affectés, comme M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé, d'un chômage trois fois supérieur à celui de la métropole en dépit d'une croissance plus rapide ; d'autre part, approfondir la décentralisation et ouvrir le débat sur les questions institutionnelles.
C'est la raison pour laquelle le premier volet est économique et social et vise à favoriser la création d'emplois dans les départements d'outre-mer grâce à l'amélioration de la compétitivité des entreprises et à des mesures destinées aux jeunes et au renforcement de la lutte contre les exclusions.
Outre diverses dispositions destinées à garantir une meilleure reconnaissance de l'identité culturelle des départements d'outre-mer, le deuxième volet du projet de loi, de caractère institutionnel, tend à favoriser l'insertion de ces territoires dans l'environnement régional en rendant possible la coopération décentralisée des régions ou des départements avec les Etats voisins et à transférer des compétences et des ressources nouvelles aux collectivités territoriales. Enfin, il prévoit la création d'un second département à la Réunion et la mise en place, dans les régions d'outre-mer monodépartementales, d'un congrès réunissant le conseil général et le conseil régional et chargé de débattre de propositions d'évolution statutaire.
Ces dispositions, de natures très diverses, relèvent des compétences de plusieurs commissions permanentes du Sénat. Aussi, si la commission des lois est saisie au fond, les commissions des affaires culturelles, des affaires économiques et des affaires sociales sont saisies pour avis.
La commission des lois s'en remettra à l'appréciation des commissions saisies pour avis dans les domaines qui relèvent de leurs compétences et concentrera ses observations sur les dispositions de nature institutionnelle.
Par ailleurs, sur l'initiative de son président, M. Jacques Larché, elle a décidé de saisir de ce projet de loi d'orientation la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la commission des lois a dressé un bilan approfondi de la situation actuelle des départements d'outre-mer dans le compte rendu établi à la suite de ses deux récentes missions dans ces départements. Je vous renvoie donc, sur ce point, aux développements figurant dans le rapport d'information présentant le compte rendu de ces missions, qui vient d'être publié.
Nous en rappellerons simplement quelques données essentielles.
Nous avons constaté, tout d'abord, une grande diversité, qui s'explique par des réalités géographiques et des héritages historiques différents. Ainsi, la situation de la Guyane, immense territoire de 90 000 kilomètres carrés placé au sein du continent sud-américain et presque entièrement couvert par la forêt équatoriale - mais où est implanté le centre spatial de Kourou -, se distingue profondément de celle de la Martinique ou de la Guadeloupe, petites îles fortement peuplées placées au coeur de l'archipel caraïbe, ou encore de celle de la Réunion, dans le sud-ouest de l'océan Indien.
Nous avons également constaté sur place une situation économique et sociale préoccupante. En effet, malgré une croissance du produit intérieur brut sensiblement supérieure à celle que connaît la métropole, les créations d'emplois y sont insuffisantes pour faire face à un accroissement démographique en moyenne quatre fois plus rapide qu'en métropole. Il en résulte un chômage très élevé, qui atteint environ 30 % de la population active et frappe tout particulièrement la jeunesse.
En outre, 15 % environ de la population des départements d'outre-mer relèvent aujourd'hui du RMI, contre 3 % en métropole.
Certes, le niveau de vie y est très supérieur à celui des pays environnants, mais cette situation est largement imputable aux transferts publics assurés par la métropole, qui peuvent être évalués entre 35 % et 50 % du PIB.
Les économies des départements d'outre-mer sont donc marquées par une forte dépendance à l'égard de ces transferts publics, d'autant que leur développement est handicapé par une compétitivité insuffisante par rapport à leur environnement géographique, le coût du travail y étant généralement de cinq à six fois inférieur.
Le cadre juridique commun des départements d'outre-mer est défini par les articles 73 de la Constitution et 299-2 du traité d'Amsterdam.
La Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion relèvent aujourd'hui du statut de département d'outre-mer, issu de la loi de départementalisation du 19 mars 1946 et défini par l'article 73 de la Constitution.
Par ailleurs, les départements d'outre-mer français sont intégrés à l'Union européenne, au sein de laquelle ils constituent, au regard du droit communautaire, des régions ultrapériphériques au sens de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam.
Le statut constitutionnel des départements d'outre-mer est actuellement défini par l'article 73 de la Constitution, aux termes duquel « le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière ».
En application du principe dit de l'« assimilation législative », les lois métropolitaines sont applicables de plein droit dans les départements d'outre-mer, de même que dans la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, sans qu'une mention expresse d'extension ne soit nécessaire, à la différence des territoires d'outre-mer, de la Nouvelle-Calédonie ou de la collectivité territoriale de Mayotte, qui sont, pour leur part, soumis au principe dit de la « spécialité législative ».
Les départements d'outre-mer constituent donc des départements de droit commun, sous réserve des mesures d'adaptation prévues par l'article 73 de la Constitution, dont la jurisprudence du Conseil constitutionnel a toutefois limité la portée. Celui-ci a en effet notamment considéré, dans une décision du 2 décembre 1982, que « le statut des départements d'outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d'outre-mer ; que ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d'outre-mer une "organisation particulière", prévue par l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d'outre-mer ».
Comme vous l'avez rappelé à l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat, ce raisonnement avait alors conduit le Conseil constitutionnel à refuser la mise en place dans les départements d'outre-mer d'une assemblée unique, qui lui était apparue aller au-delà des mesures d'adaptation autorisées par l'article 73 de la Constitution.
En application de cette jurisprudence, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion constituent, depuis 1982, des régions monodépartementales dotées de deux assemblées distinctes, toutes deux élues au suffrage universel.
Les départements d'outre-mer bénéficient, par ailleurs, du statut de région ultrapériphérique défini par l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, qui s'est substitué à l'ancien article 227-2 du traité de Rome et dont il importe de rappeler la rédaction dans la mesure où de nombreux orateurs y feront sans doute allusion dans ce débat : « Les dispositions du présent traité sont applicables aux départements français d'outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries. »
C'est ainsi que les DOM bénéficient de régimes d'aides communautaires spécifiques et de crédits considérables au titre des fonds structurels européens.
Le montant des crédits ainsi alloués aux départements français d'outre-mer atteindra plus de 23 milliards de francs pour la période 2000-2006, auxquels viendront s'ajouter les fonds de concours de l'Etat et des collectivités locales.
Cependant, n'excluant pas une réforme constitutionnelle, la commission des lois, dans le cadre de ses réflexions sur une éventuelle évolution statutaire des DOM, a jugé important de comparer leur statut avec celui des Açores, de Madère et des Canaries, qui bénéficient, au regard du droit communautaire, du même régime juridique particulier aux régions ultrapériphériques.
Les archipels portugais des Açores et de Madère bénéficient de statuts particuliers d'autonomie fondés sur l'article 6 de la Constitution portugaise, aux termes duquel : « Les archipels des Açores et de Madère constituent des régions autonomes dotées de statuts politiques et administratifs et d'organes de gouvernement qui leur sont propres. »
Madère, comme je l'indique dans mon rapport écrit, a des compétences législatives et des compétences au niveau des relations internationales.
Par ailleurs, les îles Canaries, possession espagnole, constituent une « communauté autonome » reconnue par l'article 143 de la Constitution espagnole, au même titre que les autres régions espagnoles.
On constate que les régions ultrapériphériques espagnoles et portugaises jouissent d'une beaucoup plus large autonomie que les départements d'outre-mer français, ce qui ne les empêche pas de bénéficier de l'intégration européenne et des fonds correspondants.
Après ces quelques précisions, revenons au projet de loi d'orientation qui nous est soumis.
Avant d'en présenter les dispositions, il n'est pas inutile de rappeler les principales propositions formulées dans les différents rapports préparatoires qui ont servi de base à son élaboration.
Au cours de plusieurs mois de préparation, comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a chargé plusieurs personnalités de lui remettre des rapports sur différentes questions intéressant les départements d'outre-mer.
Le premier de ces rapports a été remis en février 1999 par Mme Eliane Mossé, économiste, qui s'est penchée sur les possibilités de réforme du régime de surrémunérations dans la fonction publique de l'Etat, ainsi que sur les moyens de parvenir à une utilisation plus efficace des fonds structurels communautaires.
Un deuxième rapport vous a été remis, monsieur le secrétaire d'Etat, par M. Bertrand Fragonard, conseiller-maître à la Cour des comptes, qui était chargé de réfléchir aux mesures susceptibles de permettre une amélioration de la situation de l'emploi dans les départements d'outre-mer.
Le troisième rapport établi dans la perspective de la préparation du projet de loi d'orientation émane de MM. Claude Lise, notre collègue sénateur de la Martinique, et Michel Tamaya, député de la Réunion, à qui le Premier ministre avait demandé de réfléchir à un approfondissement de la décentralisation dans les départements d'outre-mer, en limitant toutefois le champ de cette réflexion au double cadre juridique résultant de l'article 73 de la Constitution et de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, ce qui constitue la principale difficulté de l'exercice, car elle exclut toute révision de la Constitution du 4 octobre 1958.
Ce rapport, remis au Premier ministre en juin 1999, propose un accroissement des responsabilités locales par le transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, départements et régions.
Les deux parlementaires préconisent, en outre, une clarification des compétences entre la région et le département, en recentrant les compétences de la région sur la planification et les aides économiques et en renforçant celles du département dans les domaines social, éducatif et culturel.
Ils formulent également diverses propositions tendant à une amélioration du système fiscal.
Enfin, estimant ne pouvoir envisager dans l'immédiat, en l'absence de modification de l'article 73 de la Constitution, des changements institutionnels tels que la mise en place d'une assemblée unique - ce qu'avait refusé en 1982 le Conseil constitutionnel - MM. Lise et Tamaya proposent d'ouvrir la perspective d'une évolution institutionnelle par la mise en place d'une nouvelle institution et non d'une troisième assemblée, le Congrès, réunion non permanente des deux assemblées délibérantes, le conseil général et le conseil régional.
Le projet de loi qui nous est soumis reprend l'essentiel de ces propositions.
Signalons enfin, pour être exhaustifs, que le Gouvernement a reçu deux autres rapports qu'il avait demandés à MM. Seners et Thuau, de portée géographique plus limitée, concernant respectivement les « îles du Nord » rattachées à la Guadeloupe - Saint-Barthélémy et Saint-Martin - et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Examinons maintenant le projet de loi proprement dit.
Le projet de loi d'orientation reprend diverses propositions formulées dans le cadre de ces rapports préparatoires.
Outre un article préambule affirmant notamment la priorité donnée au développement des activités économiques, de l'aménagement du territoire et de l'emploi dans les départements d'outre-mer, il comprend des dispositions tendant à une meilleure reconnaissance de l'identité culturelle, un volet consacré au transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales et un titre relatif à l'évolution institutionnelle.
S'inspirant largement du rapport Fragonard, le titre Ier, intitulé « Du développement économique et de l'emploi », institue des dispositifs d'allégement de charges sociales en faveur des entreprises des départements d'outre-mer.
Le titre II, intitulé « De l'égalité sociale et de la lutte contre l'exclusion », comprend plusieurs dispositions relatives au RMI.
L'Assemblée nationale a inséré au sein de ce titre II un article additionnel supprimant la prime d'éloignement profitant aux fonctionnaires nommés outre-mer qui, je le rappelle, est différente de la surrémunération.
Le titre III, intitulé « Du droit au logement », comprend deux articles, dont l'un, l'article 16, prévoit la création dans les départementes d'outre-mer d'un fonds régional d'aménagement foncier et urbain.
La commission des lois s'en remettra à l'appréciation de nos deux commissions saisies pour avis - la commission des affaires sociales et la commission des affaires économiques - sur les dispositions des titres Ier, II et III, à l'exception toutefois de quelques articles, dont l'article 12 bis, qui concerne la fonction publique.
Le titre IV, intitulé « Du développement de la culture et des identités outre-mer », comporte diverses dispositions importantes dont le rapporteur de la commission des affaires culturelles, saisie pour avis sur l'ensemble des dispositions de ce titre qui relèvent de sa compétence, traitera.
Le titre V, intitulé « De l'action internationale de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion dans leur environnement régional », est à rattacher au domaine institutionnel. Il comporte deux articles qui ont pour objet de transférer aux départements et aux régions d'outre-mer de nouvelles compétences dans ce domaine, afin de favoriser le développement de la coopération régionale décentralisée et de permettre une meilleure insertion des territoires concernés dans leur environnement régional.
C'est ainsi que les conseils généraux et régionaux pourront adresser au Gouvernement des propositions en vue de conclure des accords de coopération régionale. Ce titre est très important, car il répond à une demande très forte des décideurs locaux. Signalons simplement qu'un président de conseil général ou régional pourra recevoir un pouvoir des autorités de la République l'autorisant à négocier et signer des accords internationaux avec les Etats ou organismes régionaux voisins.
Le rapport de la commission des lois énumère toutes les possibilités dans ce domaine, qui comprend également les négociations avec l'Union européenne.
Par ailleurs, seront mis en place quatre fonds de coopération régionale, un par département.
Enfin, l'Assemblée nationale a prévu la possibilité pour un conseil régional de recourir aux sociétés d'économie mixte locales pour la mise en oeuvre des actions engagées en matière de coopération régionale, et ce même sur le sol d'Etats étrangers voisins, ce qui m'apparaît être une excellente chose.
Le titre VI, intitulé « De l'approfondissement de la décentralisation », contient quatre chapitres.
Le chapitre Ier généralise la consultation obligatoire des conseils généraux et régionaux d'outre-mer sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret comportant des dispositions d'adaptation de leur régime législatif et de leur organisation administrative ainsi que sur les propositions d'actes communautaires pris en application de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam.
L'Assemblée nationale a complété l'article 24 par une disposition prévoyant la consultation des conseils régionaux d'outre-mer par l'Autorité de régulation des télécommunications avant toute décision d'attribution d'autorisations pour des réseaux ou services locaux ou interrégionaux.
Elle a, en outre inséré, dans le chapitre Ier du titre VI deux article additionnels prévoyant la consultation des conseils régionaux sur les projets d'attribution ou de renouvellement des concessions portuaires et aéroportuaires concernant ces régions et l'établissement par le Gouvernement d'un rapport biannuel relatif aux échanges aériens, maritimes et en matière de télécommunications dans les départements d'outre-mer.
Le chapitre II du titre VI est consacré au transfert de compétences actuellement exercées par l'Etat.
Il prévoit le transfert au profit des régions d'outre-mer de compétences nouvelles concernant notamment les routes nationales, l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, ainsi que l'élaboration d'un plan énergétique régional pluriannuel. On trouvera le détail de ce transfert dans mon rapport écrit.
Les attributions du département sont, pour leur part, renforcées à travers la création d'un office de l'eau.
Par ailleurs, afin de prendre en compte les spécificités des « îles du nord » et leur éloignement de leur département de rattachement, la Guadeloupe, l'article 32 prévoit la possibilité pour les communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy d'exercer, sur leur demande et par convention avec la collectivité territoriale concernée, des compétences relevant normalement du département ou de la région dans différents domaines.
Le chapitre III du titre VI comporte plusieurs dispositions relatives aux finances locales, qui tendent notamment à permettre aux collectivités territoriales des départements d'outre-mer de bénéficier de nouvelles ressources. Le détail figure dans mon rapport écrit ; six articles du projet de loi sont consacrés à ces ressources.
S'agissant des perspectives d'évolution institutionnelle des départements d'outre-mer, le projet de loi d'orientation se limite à prévoir, d'une part, la création d'un deuxième département à la Réunion et, d'autre part, l'institution dans les régions d'outre-mer monodépartementales d'un congrés réunissant le conseil général et le conseil régional, et ayant vocation à délibérer de toute proposition d'évolution institutionnelle. C'est la concrétisation du rapport Lise-Tamaya.
Ce rapport - vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat - a prévu de créer dans ces trois départements, puisque la Réunion veut rester un département français - il n'y a aucun souci à avoir à cet égard, elle en a la volonté très ferme - un congrès devant permettre d'initier un éventuel processus d'évolution statutaire.
Le congrès serait composé des conseillers généraux et des conseillers régionaux. Il pourrait être réuni à la demande du conseil général ou du conseil régional.
Le titre VIII concerne non plus les départements d'outre-mer mais la collectivité territoriale à statut particulier de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Enfin, le titre IX, intitulé « De la transparence et de l'évaluation des politiques publiques », comprend un article unique qui tend à créer une commission des comptes économiques et sociaux des départements d'outre-mer et de suivi de la loi d'orientation, l'Assemblée nationale ayant décidé d'étendre le champ de cet article à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Quel est mes chers collègues, l'avis de la commission des lois sur ce texte ?
Au vu de l'analyse de ces éléments, et comme a pu le constater le rapporteur au cours des deux récentes missions de la commission des lois, la situation de l'emploi constitue aujourd'hui le problème majeur des départements d'outre-mer.
Une priorité absolue doit donc être donnée aux actions susceptibles de réduire le chômage massif qui frappe aujourd'hui la jeunesse de ces départements, sauf à risquer une explosion sociale d'ici à quelques années.
Or, aucune évolution institutionnelle, quelque légitime qu'elle puisse être, ne peut en elle-même apporter une réponse à cette préoccupation.
C'est pourquoi la commission des lois approuve l'accent mis par le projet de loi sur les mesures destinées à favoriser la création d'emplois. En particulier, les mesures d'exonération de charges sociales proposées pour réduire le coût du travail dans les départements d'outre-mer et améliorer leur compétitivité par rapport aux pays environnants et dans les secteurs exportateurs lui paraissent aller dans le bon sens, même si l'on peut regretter la complexité de certains dispositifs envisagés, qui peut en faire craindre le détournement dans certains cas.
S'agissant plus précisément de la définition des modalités techniques à retenir pour les mesures à instituer, la commission des lois s'en remet aux commissions des affaires sociales et des affaires économiques et du Plan, saisies pour avis.
Je tiens cependant à souligner - c'est une lacune du projet, monsieur le secrétaire d'Etat - la nécessité d'encourager le développement des secteurs d'activité à haute valeur ajoutée, notamment ceux qui font appel aux technologies nouvelles, car ce sont les seuls secteurs dans lesquels les économies domiennes peuvent être compétitives dans leur zone géographique.
Par ailleurs, la commission des lois souligne l'obligation de veiller à une utilisation efficace des fonds publics alloués aux départements d'outre-mer, qu'il s'agisse des fonds d'origine nationale ou des fonds d'origine européenne. En effet, si le volume considérable des crédits publics qui seront disponibles pour les départements d'outre-mer au cours des sept prochaines années constitue indéniablement un atout essentiel pour le développement de ces départements, encore faut-il que ces crédits puissent être utilisés rapidement et le plus efficacement possible, dès leur déblocage par Bruxelles - j'insiste sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat - sans que le transit par Bercy n'en retarde le paiement, car nous savons tous ici que ce retard est quelquefois artificiel.
Or, tel n'est pas le cas aujourd'hui, puisqu'on déplore, en particulier, des difficultés dans la gestion des crédits communautaires et une sous-consommation de ces crédits, faute de trésorerie au niveau des collectivités locales, qui ne peuvent faire l'avance.
Afin de remédier à cette situation, la commission proposera de consacrer dans la loi l'existence d'une commission du suivi de l'utilisation des fonds structurels européens, instance de concertation et de contrôle qui serait coprésidée par le préfet et par les présidents du conseil régional et du conseil général, et qui réunirait l'ensemble des interlocuteurs concernés afin d'assurer un suivi efficace de la mobilisation de ces fonds.
Au terme de leurs déplacements dans les départements d'outre-mer, les membres des deux missions constituées par la commission des lois du Sénat ont été unanimes à constater la très grande diversité des situations locales. Selon l'expression que j'ai déjà utilisée, le « cousu main » semble s'imposer en la matière, mais je pense que vous en êtes convaincu, monsieur le secrétaire d'Etat.
Cette préoccupation est d'ailleurs présente dans l'opinion exprimée par le Président de la République, M. Jacques Chirac, dans un discours prononcé en Martinique le 11 mars 2000 : « Ma conviction est que les statuts uniformes ont vécu et que chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte un statut sur mesure ».
Or, à cet égard, le volet institutionnel du projet de loi d'orientation apparaît insuffisant pour les départements de la Guyane et des Antilles et ne peut être considéré que comme une simple étape dans la perspective d'évolutions plus substantielles.
Certes, la commission des lois approuve les dispositions qui vont dans le sens d'un renforcement des responsabilités exercées à l'échelon local et d'un approfondissement de la décentralisation.
Tel est le cas, en particulier, des nouvelles compétences conférées aux départements et aux régions d'outre-mer afin de favoriser le développement de la coopération régionale décentralisée et de permettre une meilleure insertion des départements d'outre-mer dans leur environnement géographique.
Tel est également le cas du transfert aux régions d'outre-mer de certaines compétences exercées actuellement par l'Etat.
Cependant, ces aménagements, bien qu'importants, n'ouvrent pas réellement la voie à une véritable évolution différenciée, et les élus d'outre-mer que nous avons rencontrés se méfient à juste titre - mais n'en va-t-il pas de même en métropole ? - des tendances autoritaires et centralisatrices des représentants de l'Etat, même s'ils sont de grande valeur, qui interpréteront stricto sensu la loi, limitée quant à elle par la Constitution.
Force est de constater que les deux seules dispositions du projet de loi qui ouvrent la perspective d'une évolution institutionnelle substantielle, qu'il s'agisse de la bidépartementalisation de la Réunion ou de la création d'un congrès dans les départements français d'Amérique, font toutes les deux l'objet de vives controverses.
La commission des lois considère que la création d'un second département à la Réunion, qui pourrait être justifiée par des considérations relatives à l'évolution démographique ou à l'aménagement du territoire, ne devrait être envisagée que si elle rencontrait l'accord unanime des élus réunionnais.
Or, tel n'est pas le cas, et vous l'avez d'ailleurs reconnu, monsieur le secrétaire d'Etat.
En effet, si la majorité des parlementaires de l'île s'est prononcée en faveur de la création d'un second département, en revanche, le conseil régional comme le conseil général ont émis un avis défavorable sur l'avant-projet de loi soumis à la concertation par le Gouvernement.
Cette réforme ne devrait pas non plus être envisagée sans l'adhésion de la population. Or, la population réunionnaise, consultée par sondages, a montré sa vive hostilité à ce projet : 32 % seulement des habitants y seraient favorables.
En outre, on peut douter qu'elle puisse constituer un moteur du développement et créer des emplois, alors même qu'elle aurait un coût important pour les finances publiques sans création d'investissements productifs en contrepartie.
La commission des lois vous proposera donc, mes chers collègues, d'adopter un amendement de suppression de l'article 38, qui tend à la création d'un second département à la Réunion.
En ce qui concerne la création du congrès, prévue par l'article 39 du projet, votre rapporteur a considéré, lors de l'examen du rapport en commission, qu'elle aurait pu constituer un moyen d'ouvrir la perspective d'une nécessaire évolution institutionnelle, dans la mesure où elle aurait permis au Gouvernement d'avoir un interlocuteur représentatif des populations concernées et de créer un lieu de concertation ayant un fondement légal, où toutes les opinions auraient pu s'exprimer et une majorité d'idées se dégager en faveur d'un statut, statut ensuite soumis à consultation.
Cette proposition lui paraissait donc mériter un examen attentif, quitte à envisager d'en modifier les modalités, notamment l'appellation de « congrès », source de confusion avec le Congrès du Parlement se réunissant à Versailles, voire avec le Congrès américain, ou encore avec l'un des principaux partis de l'Inde, comme me l'a rappelé M. le président de la commission des lois.
Cependant, la commission des lois constate que le projet de création du congrès est très loin de faire l'unanimité ; il a notamment suscité l'avis défavorable de six des huit assemblées locales concernées.
Elle constate, en outre, que la procédure envisagée serait particulièrement lourde.
Elle considère donc que cette procédure risque d'être difficile à faire fonctionner et qu'elle aboutirait, de fait, à la création d'une troisième assemblée locale dont le rôle serait ambigu. Elle s'interroge, par ailleurs, sur sa constitutionnalité.
Aussi proposera-t-elle un amendement de suppression de l'article 39 du projet de loi prévoyant la création d'un congrès dans les régions d'outre-mer monodépartementales. Bien évidemment, cela ne concerne pas la Réunion, qui, je l'ai dit, désire rester département français.
S'agissant des autres dispositions du projet de loi, nous proposerons un certain nombre d'amendements tendant à des aménagements ponctuels qui seront présentés au fil de l'examen des articles.
La commission des lois tient cependant à aborder les perspectives d'avenir, la loi d'orientation ne constituant, à ses yeux, qu'une simple loi d'étape, même si, au regard de l'article 73 de la Constitution, nous avons le sentiment que le Gouvernement est allé à l'extrême limite de ce qui était juridiquement possible.
Aussi, tout en soulignant la nécessité de préserver les acquis de la départementalisation et le bénéfice de l'intégration au sein de l'Union européenne et des fonds correspondants, la commission des lois considère que les obstacles juridiques constitués par l'article 73 de la Constitution et l'article 299-2 du traité d'Amsterdam ne doivent pas s'opposer définitivement à toute évolution du statut de département d'outre-mer vers une autonomie accrue, à laquelle aspirent les populations de Guyane et des Antilles françaises.
En particulier, une renégociation de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam devrait pouvoir être, le cas échéant, envisagée rapidement afin que ce texte définissant le statut des régions ultrapériphériques vise non plus une catégorie juridique, à savoir les départements d'outre-mer français, mais les entités géographiques correspondantes, comme, par exemple, la Martinique, ainsi qu'il le fait déjà pour les territoires espagnols et portugais des Canaries, des Açores et de Madère.
Le président de la commission des lois songe également aux possibilités offertes par l'article 72 de la Constitution.
Au terme de cet examen d'ensemble, le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, annoncé de longue date, précédé d'une large concertation et de plusieurs rapports préparatoires, s'il semble positif pour ce qui concerne les perspectives économiques et sociales, n'apparaît pas, au regard des évolutions institutionnelles, à la hauteur des espérances qu'il a suscitées parmi les populations des départements d'outre-mer.
En effet, même si un grand nombre de mesures prévues recueillent son approbation, la commission des lois ne peut que regretter, à la lumière du constat établi au cours de ses récentes missions, qu'il s'agisse davantage d'un texte portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer que d'une grande réforme permettant de proposer aux élus et aux populations des départements français de la zone Guyane-Caraïbes plusieurs voies, qui vont des propositions du député Léon Bertrand en faveur de la création d'un deuxième département en Guyane, jusqu'à une large autonomie nécessitant éventuellement une réforme constitutionnelle, objet, pour la Guyane, de la proposition de loi constitutionnelle rédigée par notre collègue Georges Othily en mars 2000 et, pour les Antilles et la Guyane, de la déclaration de Basse-terre des trois présidents de région du 1er décembre 1999.
Encore faudra-t-il que chacun en apprécie les conséquences exactes et prenne ses responsabilités devant l'histoire et les populations concernées !
Au bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous soumettra, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi d'orientation pour l'outre-mer. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui comprend deux volets bien distincts, et d'abord le volet institutionnel, à l'évidence le plus controversé et qui a quelque peu occulté l'importance du second volet, le volet économique et social.
Cette focalisation sur les questions institutionnelles peut paraître paradoxale. Notre excellent collègue José Balarello, rapporteur de la commission des lois, a en effet souligné avec pertinence la priorité à donner au développement économique et à l'emploi.
« Une priorité absolue - écrit-il dans son rapport - doit donc être donnée aux actions susceptibles de réduire le chômage massif qui frappe aujourd'hui la jeunesse de ces départements, sauf à risquer une explosion sociale d'ici à quelques années. Or, aucune évolution institutionnelle, quelque légitime qu'elle puisse être, ne peut en elle-même apporter une réponse à cette préoccupation. »
La commission des affaires sociales ne peut bien évidemment que partager cette analyse. Elle observe à cet égard que le volet social de ce projet de loi a suscité beaucoup d'attentes, mais aussi beaucoup d'inquiétudes. La commission a d'ailleurs pu les apprécier très concrètement sur le terrain lors de la mission d'information qu'elle a effectuée en Guyane, l'été dernier.
Beaucoup d'attentes tout d'abord.
Annoncé en octobre 1998, ce projet de loi a immédiatement été l'occasion pour les acteurs locaux de formuler des propositions pour favoriser le développement des économies domiennes et, surtout, pour contribuer à lutter contre le fléau qu'est le chômage. Tous insistaient sur l'urgence à mieux prendre en compte les spécificités domiennes pour relancer la création d'emplois.
En effet, rien n'est plus urgent que la création de nouveaux emplois et la lutte contre un chômage qui mine les sociétés ultra-marines et qui explique largement les tensions qu'elles connaissent.
Les chiffres sont en effet plus qu'inquiétants. En mars, près de 210 000 personnes étaient au chômage dans les départements d'outre-mer, soit plus de 30 % de la population active. Le léger frémissement à la baisse du nombre de demandeurs d'emploi - moins 2,8 % en un an - reste très en retrait par rapport aux résultats enregistrés en métropole - moins 15 % sur la même période.
Certes, on connaît les causes de ce chômage très spécifique aux départements d'outre-mer - le poids de la démographie, le coût élevé du travail, la faiblesse des qualifications, les contraintes de l'éloignement, l'étroitesse des marchés locaux - mais on en voit surtout les conséquences : il contribue à une inquiétante détérioration du climat social.
Les conflits du travail se caractérisent par leur durée et leur intensité et se traduisent fréquemment par la quasi-paralysie des économies locales. Les partenaires sociaux, quant à eux, n'arrivent guère à rétablir, dans ces conditions, un dialogue social constructif.
Le chômage alimente également une montée de la précarité et de l'exclusion. Pour s'en tenir au seul RMI, 127 000 foyers en étaient bénéficiaires en décembre 1999. Cela concerne 16 % de la population contre 3,3 % en métropole. Cela représente aussi une augmentation de 7 % du nombre total d'allocataires en 1999. Au-delà de ces statistiques brutes, c'est bien la cohésion sociale qui est menacée.
Dans ces conditions, face à cette urgence sociale, ce projet de loi d'orientation ne pouvait que susciter des attentes fortes de la part de nos compatriotes d'outre-mer. Je crains, hélas ! qu'il ne suscite aujourd'hui plutôt des inquiétudes ou, tout du moins, des interrogations. Si celles-ci se sont très largement focalisées autour des questions institutionnelles, elles n'en ont pas moins touché le domaine social.
Annoncé voilà près de deux ans, le projet de loi n'arrive qu'aujourd'hui en discussion au Parlement. On aurait pu espérer que la lenteur de sa gestion ait permis à la concertation de se dérouler au mieux. C'est loin d'être évident.
Certes, trois rapports intéressants ont été rédigés. Le rapport Mossé était consacré au développement économique. Le rapport de notre collègue Claude Lise et du député Michel Tamaya abordait principalement les questions institutionnelles. Le rapport Fragonard concernait avant tout la question de l'emploi.
Certes, les assemblées locales ont été consultées à deux reprises. Mais cette phase de diagnostic et de concertation, si chère au Gouvernement, semble aujourd'hui déboucher sur une phase de décision quelque peu décevante.
Sur les huit assemblées locales consultées, seules deux ont en effet donné un avis positif sur ce projet de loi. Cette absence de consensus local témoigne des imperfections du texte qui nous est soumis aujourd'hui.
Pour s'en tenir au domaine social, je crois devoir insister sur certaines insuffisances générales manifestes du texte qui nous est proposé. Elles m'ont d'ailleurs largement été confirmées lors de la très large consultation des élus et des forces socio-économiques des départements d'outre-mer que j'ai réalisée à l'occasion de la préparation de ce projet de loi.
La première insuffisance tient au souci trop évident d'un affichage ambitieux. Le texte en est alors réduit à n'être qu'un simple support à des effets d'annonce.
Je n'entrerai pas ici dans le débat un peu spécieux sur les avantages comparés des lois d'orientation, des lois de programme et des lois de programmation, car ce qui importe avant tout c'est la capacité de la législation à résoudre les problèmes concrets qui se posent sur le terrain.
J'observe simplement que cet intitulé « loi d'orientation » semble quelque peu en décalage avec le contenu du projet. Nombre de ses dispositions relèvent en effet souvent bien plus du règlement, voire de la circulaire, que de la loi. C'est pourquoi il ressemble parfois plus à un catalogue de différentes mesures qu'au cadre structuré d'une politique claire.
Cette volonté d'affichage d'un effort présenté comme « sans précédent » se retrouve également dans les incertitudes entourant le coût du dispositif.
Vous annonciez, monsieur le secrétaire d'Etat, un coût budgétaire de 3,5 milliards de francs pour le seul article 2 du projet de loi. Mais, sur la base des données fournies par l'étude d'impact actualisée, on ne retrouve, pour l'ensemble du volet social de ce texte, qu'un coût net de 2,7 milliards de francs pour l'ensemble des finances publiques - budget de l'Etat mais aussi finances sociales qui sont largement mises à contribution et qui ne bénéficient pas toujours d'une compensation budgétaire de leur effort. En définitive, si l'on raisonne en coût net, c'est-à-dire si l'on ne retient que l'effort supplémentaire réellement consenti par rapport aux dispositifs actuels, ce coût ne représentera à terme que simplement l'équivalent de 6 % des crédits budgétaires de 2000 en faveur des départements d'outre-mer.
La deuxième insuffisance tient au périmètre trop restreint du projet de loi.
Les sociétés domiennes sont des sociétés dynamiques. On sait ainsi que le rythme de la croissance économique y est plus élevé qu'en métropole depuis dix ans. Leur développement économique viendra donc prioritairement des acteurs locaux et, au premier chef, des entreprises. Mais ceux-ci n'en nécessitent pas moins un accompagnement de la part de la métropole.
Ce soutien aurait dû prendre une triple forme : d'abord, un plan de rattrapage pour remettre à niveau les équipements et les services collectifs qui restent la condition nécessaire à la création d'un environnement économique et social favorable ; la commission a pu constater combien un tel rattrapage était nécessaire, notamment sur le plan sanitaire, en Guyane ; ensuite, la mise en place d'un dispositif de soutien aux investissements qui devrait prendre la forme d'une défiscalisation dans le prolongement de la loi « Pons » il est en effet prioritaire de réamorcer les flux de capitaux vers l'outre-mer, dont la capacité d'investissement reste faible ; enfin, des mécanismes d'aide à l'emploi adaptés au contexte particulier de l'outre-mer et, plus encore, de chaque département d'outre-mer, tant ceux-ci connaissent des situations particulières.
Or, force est de constater que seul ce troisième volet est abordé par le présent projet de loi, le soutien aux investissements étant reporté au mieux au projet de loi de finances pour 2001 et l'exigence d'un rattrapage ayant mystérieusement disparu du discours gouvernemental, celui-ci s'en remettant largement aux contrats de plan et aux actions communautaires.
La troisième insuffisance est aussi évidente. Il s'agit, en matière sociale, d'un projet qui nous semble inabouti.
Je reconnais que, dans ce domaine, les orientations du Gouvernement vont dans un sens que ne pourra qu'apprécier notre assemblée : l'abaissement du coût du travail, l'incitation à la reprise d'activité, le soutien à la création d'entreprise, la recherche de l'égalité sociale, sont autant de pistes auxquelles la commission des affaires sociales attache traditionnellement une grande importance.
Je ne peux donc que partager ces orientations et vous savoir gré, monsieur le secrétaire d'Etat, de les avoir reprises à votre compte. Je constate ainsi avec satisfaction qu'il a été choisi de pérenniser les principaux dispositifs de la loi « Perben » et même de les amplifier.
Dès lors, on ne peut que déplorer que vous n'en ayez pas tiré toutes les conséquences et que vous ayez choisi de vous arrêter au milieu du gué. L'urgence sociale imposait pourtant d'agir vite et fort. Ce projet aurait pu être plus ambitieux. Je crains que son impact ne soit trop faible pour répondre au défi de l'emploi outre-mer.
Pour justifier mon propos, je pense qu'il est nécessaire d'examiner plus en détail les principales mesures de ce projet de loi. Si vous le voulez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, je reprendrai la présentation en quatre axes que vous aviez retenue devant notre commission.
Premier axe : l'amélioration de la compétitivité des entreprises et la baisse du coût du travail.
L'article 2 met en place un dispositif pérenne d'exonération de cotisations sociales patronales. Ce dispositif est certes plus avantageux que le dispositif « Perben » : les exonérations sont plus élevées et les salariés concernés sont plus nombreux. Mais il me semble qu'il aurait fallu être plus ambitieux, qu'il s'agisse du montant de l'exonération, du seuil d'effectif à partir duquel elle s'applique ou des secteurs d'activités concernés. Cela a certes un coût, mais il est sans doute souhaitable de consentir un effort plus élevé aujourd'hui que de devoir en faire plus encore demain.
Le dispositif d'exonération des cotisations sociales des employeurs et travailleurs indépendants va dans le bon sens, hormis une tentative hasardeuse de mise en place d'un recouvrement unique de ces cotisations qui a cependant été abandonné à l'Assemblée nationale. A ce propos, plutôt que d'avancer de manière autoritaire dans le sens d'un recouvrement unifié, il me paraît préférable de favoriser une plus grande coordination dans le respect des compétences de chaque caisse et dans le souci d'une amélioration tangible du service rendu à l'usager.
L'aide spécifique à la création d'emplois dans les entreprises exportatrices, prévue à l'article 7, n'est que la reprise dans la loi d'un dispositif existant même s'il devrait être plus avantageux. Il aurait cependant gagné à être accompagné par des possibilités de soutien technique ou logistique à ces entreprises.
En revanche, le système d'apurement des dettes sociales et fiscales des entreprises prévu par les articles 5 et 6 me semble poser plus de problèmes qu'il n'en résout. L'instauration d'un abandon de ces dettes me semble être l'exemple même de la « fausse bonne idée ». J'y reviendrai.
Le deuxième axe concerne la création d'emplois pour les jeunes.
Le système de « parrainage » prévu par l'article 8 risque d'avoir, il faut le dire, une portée limitée. Il aurait sans doute mieux valu chercher à favoriser l'insertion professionnelle des jeunes par le développement des formations en alternance qui connaissent de graves difficultés outre-mer.
Le projet initiative-jeune de l'article 9 est plus intéressant. Il prévoit l'attribution d'une aide financière pour les jeunes qui créent ou reprennent une entreprise, ou bien partent en formation hors de leur département d'origine. Il méritait toutefois d'être précisé. J'aurai plusieurs propositions à vous soumettre sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat.
Le mécanisme du congé solidarité introduit à l'Assemblée nationale s'apparente à un système de préretraite contre embauche. Si ces systèmes semblent désormais inadaptés en métropole, ils sont, en revanche, plus appropriés dans les départements d'outre-mer - je pense, notamment, à la Réunion - en raison de leur structure démographique. Il semble, cependant, qu'il ne soit destiné à s'appliquer que dans un seul département.
Le troisième axe de ce projet de loi vise à renforcer la lutte contre les exclusions.
Le titre de travail simplifié, institué par l'article 10, peut être un bon outil pour lutter contre le travail dissimulé, à condition que son utilisation ne soit pas trop dissuasive pour les entreprises.
La création de l'allocation de retour à l'activité, l'ARA, à l'article 13 constitue un mécanisme dit « d'intéressement » intéressant. Il aurait pourtant été possible d'aller plus loin.
Quant au renforcement du volet insertion du RMI, il constitue à bien des égards un pari fondé sur l'efficacité des agences départementales d'insertion.
S'agissant du quatrième volet, l'égalité sociale, le compromis adopté à l'Assemblée nationale sur un alignement en trois ans du RMI me semble être un bon compromis. Il importe, toutefois, de prendre en compte ses conséquences pour les départements qui vont voir leurs crédits d'insertion augmenter rapidement.
L'alignement de l'allocation de parent isolé en sept ans aurait pu paraître timide. Toutefois, dans la mesure où cet alignement ne s'inscrit pas dans le cadre d'une rénovation de la politique familiale, un alignement plus rapide serait sans doute prématuré, nous semble-t-il.
Enfin, et pour être exhaustif, ce projet de loi vise également à étendre l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon de certaines dispositions sociales importantes : le principe de compensation par l'Etat de toute exonération de cotisations sociales, la loi de 1975 sur les handicapés ou l'assurance invalidité.
Vous le voyez, mes chers collègues, les mesures proposées restent en retrait par rapport aux réponses fortes qu'attendent aujourd'hui nos compatriotes d'outre-mer. Votre commission des affaires sociales a donc choisi d'adopter une démarche pragmatique visant à amplifier la portée du texte proposé par le Gouvernement.
Dans la mesure où la dégradation de la situation de l'emploi tient avant tout à la montée du chômage et à la progression de l'exclusion, il nous a semblé prioritaire de cibler l'effort sur la création d'emplois, principalement en faveur des jeunes, et l'amélioration de l'insertion.
S'agissant de la création d'emplois, il importe d'abord d'amplifier la baisse du coût du travail par la baisse des charges sociales pour favoriser l'activité. La commission des affaires sociales a ainsi souhaité étendre le champ des exonérations de cotisations sociales prévues à l'article 2. Cela passe à la fois par une majoration à 1,5 SMIC du plafond auquel s'applique ces exonérations, par leur extension aux entreprises de vingt salariés au moins - pour les dix premiers salaires - et par leur extension à de nouveaux secteurs particulièrement importants pour le développement de l'outre-mer, tel le bâtiment et les travaux publics, la formation professionnelle, le transport aérien et maritime régional.
Il est également nécessaire de cibler l'effort sur les entreprises exportatrices du fait de l'étroitesse des marchés locaux. La commission des affaires sociales souhaite, pour ces entreprises, étendre les exonérations de cotisations sociales pour les salaires jusqu'au plafond de la sécurité sociale et leur permettre de bénéficier d'une aide au projet.
Mais il faut aussi favoriser la formation et l'insertion professionnelle des jeunes. Dans cette perspective, la commission propose de réserver prioritairement les contrats d'accès à l'emploi aux jeunes rencontrant des difficultés d'insertion professionnelle, d'étendre le champ des aides à la formation prévues par le projet initiative-jeune, d'ouvrir les possibilités de « parrainage » et, compte tenu de la spécificité des départements d'outre-mer, d'étendre le champ des activités ouvertes aux emplois-jeunes à la coopération régionale et à l'aide humanitaire.
La création d'entreprises reste également une condition indispensable du développement. C'est pourquoi la commission a souhaité permettre aux jeunes de mieux accéder aux dispositifs d'aide à la création d'entreprises.
Si la création d'emplois est une priorité, l'insertion et le retour à l'activité des personnes les plus éloignées de l'emploi en est une autre si l'on ne veut pas laisser se développer une logique nocive d'assistance.
Aussi, votre commission vous propose de mettre en place, parallèlement à l'ARA, l'allocation de retour à l'activité, des conventions de retour à l'emploi permettant aux bénéficiaires du RMI depuis plus d'un an de reprendre une activité professionnelle au travers d'un contrat d'accès à l'emploi à mi-temps tout en continuant à percevoir l'allocation de RMI pendant la durée de la convention.
Elle a également souhaité faciliter les possibilités offertes pour bénéficier du congé-solidarité et de l'allocation de retour à l'activité afin de permettre à ces dispositifs de jouer à plein.
Elle suggère par ailleurs de recentrer les contrats d'accès à l'emploi sur les jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion professionnelle.
Elle propose enfin de garantir une progression satisfaisante des crédits d'insertion départementaux sans fragiliser plus encore les finances des collectivités locales en assurant la prise en charge par l'Etat des charges supplémentaires liées aux conséquences de l'alignement du RMI.
Ces propositions permettront, je le crois, d'enrichir substantiellement le présent projet de loi, qui, dans sa rédaction actuelle, est loin d'être à la hauteur des enjeux de l'outre-mer. Il ne saurait donc en l'état fonder le « modèle original de développement » que le Président de la République appelait de ses voeux voici quelques semaines. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Huchon, rapporteur pour avis.
M. Jean Huchon, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer a été partiellement soumis pour avis à la commission des affaires économiques.
Ce texte très attendu fait suite à la parution d'un certain nombre de rapports dressant un bilan jugé alarmant de la situation des départements d'outre-mer. On citera en particulier le rapport déjà évoqué de nos collègues Claude Lise et Michel Tamaya remis en juin 1999 au Gouvernement, ainsi que celui de la commissaire générale du Plan Eliane Mossé, publié en mars 1999.
Après l'avoir annoncé dès l'automne 1998, le Gouvernement s'était enfin engagé à le déposer à la suite d'un voyage du Premier ministre aux Antilles à la fin du mois d'octobre 1999.
Le Président de la République a lui-même manifesté, dans une allocution prononcée en Martinique en mars dernier, l'attention qu'il porte à la définition d'un modèle original de développement pour l'avenir des départements d'outre-mer. A cette occasion, il a souligné la nécessité de faire preuve de pragmatisme dans cette démarche. « Toutes les propositions, dès lors qu'elles ne mettent pas en cause notre République et ses valeurs, sont recevables et légitimes », a-t-il insisté.
Il est vrai que la situation économique des départements d'outre-mer est aujourd'hui dégradée. Elle a pu même être qualifiée d'explosive par notre collègue Rodolphe Désiré, dans son dernier avis sur les départements d'outre-mer, adopté par la commission à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2000. Le chômage, qui touche en moyenne 30 % de la population active, condamne une part importante de la population à vivre des minima sociaux. Le caractère massif des transferts publics, qui représentaient en 1994 entre les trois quarts et les trois cinquièmes du PIB de ces départements, ne suffit pas à rétablir la situation et souligne a contrario la dépendance à l'égard de la métropole qui caractérise en bien des points l'économie des DOM. Témoignent également de cette dépendance l'importance des importations en provenance de métropole, la primauté des liaisons maritimes et aériennes vers celle-ci et la part prépondérante du tourisme métropolitain.
Cette situation alarmante est en partie imputable à l'existence de handicaps structurels au développement, notamment l'éloignement, l'insularité, l'étroitesse des marchés qui prive de débouchés les productions locales, l'absence de ressources énergétiques, mais également la concurrence des Etats voisins, qui offrent des régimes fiscaux et sociaux souvent plus avantageux ou tout au moins dérogatoires du droit commun.
Ces handicaps structurels appellent, à l'évidence, des mesures de compensation particulières. L'article 299-2 du traité instituant la Communauté européenne reconnaît ainsi aux départements d'outre-mer le statut de régions ultrapériphériques qui légitime les aides et avantages susceptibles de leur être accordés, tant dans le cadre national que dans le cadre européen.
En outre, la forte croissance démographique dans les départements d'outre-mer, qui est incontestablement un atout en vue d'une croissance de long terme, rend nécessaires des politiques appropriées en termes d'aménagement du territoire, de logement social ou même d'assainissement de l'eau.
Si le projet de loi soumis à notre examen présente le développement économique comme l'une de ses priorités, il comporte également d'autres volets qui tentent de répondre aux aspirations de la population des départements d'outre-mer : un volet politique et institutionnel qui fait l'objet d'un examen au fond par notre collègue José Balarello, au nom de la commission des lois ; un volet social qui a été examiné par notre collègue Jean-Louis Lorrain, au nom de la commission des affaires sociales saisie pour avis ; enfin, notre collègue Victor Reux a étudié les aspects culturels, au nom de la commission des affaires culturelles.
La commission des affaires économiques a examiné, dans le cadre de son rapport pour avis, un certain nombre d'articles.
L'article 1er, qui ne présente pas de réelle portée normative, constitue une introduction au projet de loi en rappelant que le développement économique de l'outre-mer constitue une priorité nationale.
L'article 7 bis, inséré par l'Assemblée nationale, impose à la conférence paritaire des transports de chaque département d'outre-mer de remettre chaque année un rapport au Gouvernement, assorti de propositions visant à réduire le coût des transports outre-mer.
Prévue par la loi Perben du 25 juillet 1994, cette instance paritaire devait réunir des représentants des transporteurs et des collectivités publiques afin de favoriser une concertation indispensable pour améliorer les règles de fonctionnement de ce secteur. Il semblerait pourtant que les conférences paritaires des transports n'aient pas été mises en place dans les départements d'outre-mer. Ce retard est d'autant plus regrettable que le Gouvernement a récemment invoqué le défaut de concertation avec les acteurs concernés pour justifier le fait qu'il n'a pas pris, dans les délais impartis par le Parlement dans la loi d'habilitation du 25 octobre 1999, l'ordonnance relative à l'adaptation aux départements d'outre-mer de la législation sur les transports intérieurs.
Votre rapporteur pour avis recommande donc la mise en place urgente des conférences paritaires des transports et ne peut que souhaiter de mieux associer les transporteurs à l'élaboration de la réforme.
L'article 7 ter, inséré par l'Assemblée nationale, impose qu'une date limite de consommation soit mentionnée sur les produits agroalimentaires provenant du surplus communautaire et destinés à la consommation humaine.
L'article 7 quater étend la compétence de la chambre de commerce, de l'industrie et des métiers de Saint-Pierre-et-Miquelon au secteur agricole afin de prendre en compte le développement d'une activité agricole et d'élevage.
L'article 9 bis étend le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles aux dommages causés par certains cyclones particulièrement violents.
Les dégâts causés par les vents des cyclones sont, au même titre que ceux causés par les tempêtes, en théorie couverts par de classiques contrats d'assurance dommages aux biens. Dans la pratique, les compagnies d'assurances ont mis en place des restrictions à l'assurance de ce risque. L'inclusion des cyclones dans le régime d'assurance des catastrophes naturelles, lequel prohibe toute restriction dans la couverture du risque, garantira aux populations des départements d'outre-mer une meilleure indemnisation de ce sinistre. Votre rapporteur pour avis est favorable à cette disposition dans la mesure où elle est l'expression de la solidarité nationale à l'égard de ces départements.
L'article 9 ter renforce le dispositif prévu à l'article 28-1 de la loi Royer, du 27 décembre 1973, qui tend à limiter la concentration des entreprises de la distribution alimentaire dans les départements d'outre-mer. Du fait de leur insularité, ces derniers représentent en effet des marchés captifs, particulièrement exposés au risque de formation de monopoles. Votre rapporteur pour avis est favorable au renforcement du dispositif de lutte contre la concentration dans la distribution outre-mer, qui constitue une mesure attendue.
L'article 9 quinquies impose au Gouvernement de publier, avant la discussion de la loi de finances de l'année qui suit celle de la présente loi, un rapport sur l'évolution du dispositif d'incitation à l'investissement outre-mer. Ce rapport devra formuler des propositions d'amélioration de ce dispositif qui repose essentiellement sur des mesures de défiscalisation. C'est ce que l'on appelle le dispositif « Pons », qui est quelque peu tombé en désuétude.
L'article 16 instaure dans chaque département d'outre-mer un fonds régional d'aménagement foncier et urbain, le FRAFU, destiné à améliorer la maîtrise foncière et à faciliter la construction de logements sociaux. Cette institution fonctionne, me semble-t-il, dans l'île de la Réunion. Chargé de coordonner les interventions financières des différentes collectivités publiques, chaque FRAFU sera géré par une institution financière.
L'article 28 modifie et complète la rédaction de l'article L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales relatif aux schémas d'aménagement régional, les SAR.
Institués par une loi du 2 août 1984, ceux-ci permettent aux régions d'outre-mer de déterminer les orientations en matière de développement, de mise en valeur du territoire et de protection de l'environnement. Les modifications apportées par l'article 28 permettent d'intégrer dans les SAR les orientations concernant le développement durable. En outre, le projet introduit une clause de réexamen obligatoire de ces schémas tous les dix ans. Même s'il est parfois permis de douter de l'efficacité des schémas d'aménagement régional, on ne peut que soutenir le renforcement de cet instrument qui s'inscrit dans une politique d'aménagement durable du territoire pour les départements d'outre-mer.
L'article 29 rend obligatoires l'élaboration, l'adoption et la mise en oeuvre d'un plan énergétique régional par les régions d'outre-mer, alors qu'il ne s'agissait jusqu'à présent que d'une faculté. De plus, ce plan énergétique devra respecter le cadre défini par la programmation nationale pluriannuelle instaurée par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité, ainsi que par le schéma de services collectifs de l'énergie issu de la loi du 25 juin 1999 relative à l'aménagement du territoire.
Compte tenu de l'insuffisance des ressources énergétiques des départements d'outre-mer, qui constitue un problème central pour le développement de ces derniers, votre rapporteur pour avis est très favorable à cette disposition.
L'article 30 instaure dans chaque département d'outre-mer un office de l'eau chargé de doter les départements d'une véritable politique de l'eau, qui est particulièrement nécessaire, leur caractère insulaire expliquant la relative rareté de la ressource hydraulique. A la différence de la métropole, aucune agence de bassin, pourtant prévue par la loi du 16 décembre 1964, n'a été mise en place dans les DOM. L'instauration d'offices de l'eau comble cette lacune.
L'article 35 bis instaure, en Guadeloupe, une redevance communale des mines sur les sites géothermiques.
Votre rapporteur regrette que ce projet de loi n'introduise pas de véritables ruptures avec le régime actuel applicable dans les départements d'outre-mer. La plupart des dispositions examinées par la commission des affaires économiques se contentent d'amender, de compléter, voire de reconnaître des dispositifs existants. Le contenu économique du projet de loi n'est pas à la hauteur de l'objectif affiché à l'article 1er. Si certaines dispositions, telles que celles qui sont relatives aux régime de défiscalisation issu de la loi Pons, dressent des perspectives intéressantes, encore faudrait-il qu'il y soit donné suite.
Enfin, votre rapporteur - c'est son avis personnel - espère que les décrets d'application rendus nécessaires pour l'entrée en vigueur de la loi sortiront dans les meilleurs délais. Je déplore en effet que ne soit pas encore publiée l'intégralité des décrets d'application de la loi du 30 décembre 1996 relative aux cinquante pas géométriques. Mais je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, que tous les espoirs sont permis. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Reux, rapporteur pour avis.
M. Victor Reux, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles a souhaité émettre un avis sur le titre IV du projet de loi d'orientation sur l'outre-mer, dont les dispositions entrent directement dans son champ de compétences.
A titre liminaire, je voudrais souligner la portée particulièrement modeste des six articles de ce titre IV, qui est consacré au développement de la culture et des identités ultramarines. A l'exception de l'article 17, qui autorise la création d'un IUFM de plein exercice en Guyane, les autres dispositions peuvent être qualifiées de disparates ; elles ont un caractère plus déclaratif que véritablement normatif et ne modifient guère le cadre législatif régissant le développement culturel et l'organisation du système d'enseignement outre-mer.
Ces dispositions sont notamment en retrait par rapport aux propositions formulées dans le récent rapport de mission remis voilà juste un an au Premier ministre par notre collègue Claude Lise et M. Michel Tamaya, député de la Réunion.
Pour m'en tenir d'abord au premier volet - l'adaptation de la politique éducative dans les départements d'outre-mer - outre l'article 17, déjà mentionné, l'article 18 tend à valoriser les langues régionales des départements d'outre-mer et l'article 18 bis, introduit par l'Assemblée nationale, vise à créer une commission d'adaptation des programmes scolaires.
Ces quelques mesures, dont nous détaillerons les modalités, sont, je le crois, loin de répondre aux problèmes et aux besoins constatés en matière d'éducation dans nos départements d'outre-mer, qui avaient d'ailleurs suscité la mise en place d'un plan de rattrapage pour la Guyane à l'automne 1996 et d'un plan pluriannuel de développement pour l'ensemble de ces départements, à l'automne 1997.
Avant d'aborder les articles qui justifient la saisine de la commission des affaires culturelles, j'évoquerai très rapidement les caractéristiques générales du système scolaire des départements d'outre-mer, plus spécifiquement de la Guyane, en reprenant, d'ailleurs, certaines des observations effectuées par la commission d'enquête du Sénat sur la situation et la gestion des personnels des écoles et des établissements d'enseignement du second degré, qui, sous la conduite du président Adrien Gouteyron, s'est déplacée, notamment aux Antilles et en Guyane au printemps 1999.
Première constatation : les effectifs scolarisés outre-mer connaissent une évolution inverse de celle de la métropole. Dans le premier degré, comme dans l'enseignement secondaire, ces effectifs enregistrent une forte croissance qui est appelée à se poursuivre. La population scolaire en Guyane devrait ainsi passer de 50 000 à 100 000 élèves d'ici à 2012, en raison, notamment, d'une immigration incontrôlée.
D'une manière générale, on peut également constater dans ces départements un taux de scolarisation inférieur à celui de la métropole, qu'il s'agisse de la préscolarisation, du second cycle du second degré au-delà de l'obligation de scolarité ou de l'accès au baccalauréat, ainsi que de moindres performances du système scolaire tenant sans doute, jusqu'à une époque récente, à la faiblesse de l'encadrement des élèves.
S'agissant de l'académie de Guyane, qui est confrontée à des problèmes spécifiques, il faut rappeler que l'obligation de scolariser environ 10 % d'élèves supplémentaires chaque année du fait de l'immigration, dont de nombreux enfants non francophones, et les conditions de vie et de travail des enseignants très difficiles en forêt et sur les fleuves sont à l'origine d'un taux de rotation très rapide des personnels qui sont le plus souvent jeunes, inexpérimentés et non guyanais.
Cette situation se traduit par des niveaux de formation particulièrement bas, que je résumerai en deux chiffres : 60 % de la population est dépourvue de tout diplôme et 40 % des jeunes Guyanais ne disposent d'aucune qualification professionnelle.
Dans le premier degré, les élèves d'origine étrangère représentent près d'un tiers des effectifs et seulement les deux tiers des enfants de trois ans sont scolarisés. Le corps enseignant se caractérise par un taux d'absentéisme important et par une forte mobilité des personnels, en majorité antillais, qui aspirent à revenir rapidement dans leur département d'origine.
Dans le second degré, la moitié des élèves ne sont pas francophones et les collèges doivent mettre en place des classes d'alphabétisation pour accueillir des primo-arrivants de tous âges.
S'agissant des enseignants, j'ajouterai que l'académie est très déficitaire en titulaires qui demandent immédiatement une autre affectation et doit donc recourir de manière permanente et massive à des personnels locaux à statut précaire, contractuels ou maîtres auxiliaires.
Bref, le maintien d'un noyau suffisamment large d'enseignants guyanais apparaît indispensable pour assurer le fonctionnement des écoles et des établissements qui est trop souvent perturbé par ces « enseignants de passage ».
J'ajouterai que les enseignants affectés en Guyane bénéficient d'une surrémunération de 40 % de leur traitement, d'une indemnité d'éloignement susceptible d'être remise en cause par l'article 12 bis du projet de loi, d'une indemnité d'isolement de l'ordre de 7 500 francs pour ceux qui sont nommés dans les neuf communes du fleuve Maroni et d'un large remboursement de leurs frais de transport.
Le maintien de ce dispositif indemnitaire est apparu particulièrement nécessaire à la commission pour conforter des vocations pédagogiques incertaines dans les écoles et les établissements de Maripasoula, d'Apatou, voire de villages encore plus isolés.
La création d'un IUFM de plein exercice à Cayenne, destiné à développer une filière de formation de professeurs guyannais, apparaît donc pleinement justifiée, un tel institut ayant vocation à proposer une formation spécifique adaptée aux conditions d'enseignement dans le premier degré et à initier les enseignants venus d'ailleurs à la diversité linguistique et culturelle du département.
Comme vous le savez, la Guyane est dotée, depuis le début de 1997, d'une académie et d'un recteur ; elle ne possède pas d'université de plein exercice et ne dispose que d'une antenne de l'IUFM des Antilles-Guyane, dont le siège est en Guadeloupe.
Cette antenne de Guyane a accueilli 183 élèves en 1999, dont 178 professeurs des écoles, 85 % des places étant occupées par des étudiants d'origine antillaise. Ces effectifs doivent être rapprochés des quelque 550 étudiants inscrits à l'institut d'études supérieures de la Guyane, les autres formations supérieures se limitant à quatre sections de techniciens accueillant 120 élèves et à un IUT implanté à Kourou recevant 78 étudiants, dont seulement un tiers de Guyanais.
J'ajouterai que cet effort de formation est voué à l'échec s'il n'est pas accompagné de conditions matérielles décentes pour les enseignants, tant en termes de logement que d'incitations financières, ainsi que d'une coopération avec les Etats frontaliers de la Guyane qui doit être amplifiée pour contrôler l'immigration.
S'agissant du problème de la reconnaissance des langues et cultures régionales d'outre-mer, les auteurs du projet de loi ont considéré, je crois à juste titre, que l'amélioration de la maîtrise du français était liée à la reconnaissance de ces langues ; celle-ci s'inscrit dans la démarche du Gouvernement, laquelle s'est traduite par la signature de la charte du Conseil de l'Europe sur les langues régionales et minoritaires. Je rappelle que cette charte n'a pas encore été ratifiée par le Parlement, le Conseil constitutionnel ayant estimé qu'une telle ratification supposait une révision constitutionnelle préalable.
Afin de renforcer l'usage de ces langues régionales prévu par l'article 18, notamment des créoles, l'Assemblée nationale a ajouté que ces langues entraient dans le champ d'application de la loi Deixonne du 11 janvier 1951 relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux, loi qui visait à l'origine le breton, le basque, le catalan et la langue occitane, le corse ayant été ajouté en 1974, le tahitien en 1981 et les quatre langues mélanésiennes en 1992 pour la Nouvelle-Calédonie.
Je rappelle que Bernard Poignant, dans son rapport sur les langues et cultures régionales, insistait sur le fait que les créoles étaient les langues maternelles les plus répandues sur le territoire de la République et seraient utilisés par environ un million de locuteurs des DOM.
La commission des affaires culturelles a donc estimé qu'une prise en compte de la langue créole, notamment dans les petites classes, serait susceptible de lutter plus efficacement contre l'échec scolaire et pourrait être un atout pour l'apprentissage des autres langues. Cette idée est partagée par des linguistes éminents, comme le professeur Hagège. Elle tient toutefois à rappeler que l'enseignement des langues régionales dans l'éducation nationale reste fondé sur le volontariat des familles et des maîtres, dans le respect de la cohérence du service public pour chaque niveau d'enseignement.
Un demi-siècle après la loi de 1951, la commission des affaires culturelles a donc jugé légitime d'accorder leur juste place aux langues régionales ultramarines en les alignant sur le droit commun de la métropole, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Elle a cependant souhaité que cette consécration ne se réalise pas au détriment de l'apprentissage et de la maîtrise du français, qui reste la langue de la République, et n'encourage pas un repliement identitaire qui serait préjudiciable à l'unité de la nation, au rayonnement culturel et économique des DOM et au développement de la francophonie.
S'agissant de l'adaptation des programmes scolaires aux spécificités ultramarines, le projet de loi ne prévoyait aucune disposition particulière. Je rappellerai toutefois que deux instructions récentes de l'éducation nationale, en date du 16 février dernier, permettent déjà d'adapter les programmes d'histoire et de géographie dans les départements concernés et introduisent, en outre, des aménagements aux programmes nationaux pour tous les élèves, afin de tenir compte de la contribution de l'histoire et de la culture de l'outre-mer au patrimoine national.
L'Assemblée nationale a souhaité aller plus loin en ce domaine en proposant, contre l'avis du Gouvernement, que, dans chaque DOM, une commission ad hoc ait pour mission d'adapter les programmes d'enseignement et les méthodes pédagogiques aux spécificités de chaque département.
Votre commission a constaté qu'une telle proposition est de nature à porter atteinte au caractère national des programmes et à leur mode d'élaboration, qui sont fixés par les articles 4 à 6 de la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 et qui tendent en fait à assurer une égalité de chances pour tous les élèves de la République.
Plutôt que de créer une nouvelle structure dotée d'une véritable mission d'adaptation des programmes, votre commission vous proposera que le conseil de l'éducation nationale qui existe dans chaque DOM et qui comprend notamment des élus locaux ait la faculté de rendre tout avis sur les programmes et d'émettre toute proposition en vue de l'adaptation de ceux-ci aux spécificités locales.
J'en arrive maintenant à la présentation des dispositions qui, outre l'article 18 relatif à la reconnaissance des langues régionales, constituent le volet « culture » du projet de loi d'orientation.
Le principe d'égalité devant la culture proclamé par le préambule de la Constitution de 1946 n'a, à l'évidence, pas le même sens en métropole que dans les départements d'outre-mer.
Pour ces départements, il s'agit non seulement de surmonter les handicaps qu'ils rencontrent pour accéder à la culture dans les mêmes conditions qu'en métropole, mais aussi de trouver une voie pour l'expression de leurs identités, cet aspect prenant désormais une acuité particulière, comme l'a souligné le rapport de MM. Claude Lise et Michel Tamaya.
Bien que, dans ce domaine, l'initiative revienne aux collectivités locales et que l'essentiel des mesures proposées par le rapport ne relève pas du domaine de la loi, force est de constater que le projet de loi d'orientation ne répond que très imparfaitement sur ce point aux aspirations des départements d'outre-mer.
Outre les nouvelles compétences reconnues à ces départements en matière diplomatique, qui permettront d'intensifier les actions internationales de coopération culturelle, il n'est prévu dans le projet de loi qu'une mesure, pour le moins symbolique, pour répondre à ces attentes : il s'agit de l'article 21, qui pose le principe d'une compensation, pour le calcul du soutien financier automatique dont peuvent bénéficier les entreprises de production cinématographiques établies dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon, de l'absence d'assujettissement de leurs salles à la taxe spéciale sur les places de cinéma.
Bien que souhaitée depuis longtemps par les entreprises de production, l'effet à attendre de cette mesure est en réalité très limité, et cela pour deux raisons. En premier lieu, ces entreprises bénéficient d'ores et déjà du dispositif de soutien automatique au titre des entrées réalisées en métropole, dont le nombre est, par définition, beaucoup plus important que celles qui sont enregistrées outre-mer. En second lieu, les entreprises établies outre-mer sont peu nombreuses et ne produisent quasiment pas de longs-métrages.
Si l'on peut approuver la volonté du Gouvernement de remédier à l'insuffisance de l'expression des identités ultramarines, la commission des affaires culturelles s'est demandée s'il s'agissait là du vecteur le plus pertinent. Le cinéma est, en effet, un média coûteux, qui exige, en raison de l'exiguïté de ces départements comme de la concentration des industries techniques propre à ce secteur, de recourir aux ressources de la métropole.
A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, ne pensez-vous pas qu'une réponse plus adéquate à la volonté des DOM de trouver une voie d'expression culturelle résiderait dans un effort de rééquilibrage territorial des dépenses culturelles de l'Etat vers ces départements, conjugué à une intensification des collaborations avec les collectivités locales, dont les actions en ce domaine ne peuvent égaler celles des collectivités de métropole, en raison de leur situation financière fragile ? Un effort s'impose. Le Gouvernement est-il prêt, monsieur le ministre, à l'accomplir ?
Lors des débats à l'Assemblée constituante de la loi de 1946, le président Gaston Monnerville plaidait pour l'assimilation des DOM au territoire métropolitain, en rappelant qu'ils constituaient des foyers de culture française dans des zones où celle-ci était peu présente, qu'il s'agisse du continent américain ou de l'océan Indien, aspirant ainsi à une plus large présence de la culture française dans cette partie de la République.
Cette préoccupation garde, je crois, encore aujourd'hui, toute son actualité, qu'il s'agisse de renforcer l'assimilation des départements d'outre-mer à la nation ou de contribuer au rayonnement culturel international de la France.
A cet égard, les actions destinées à remédier aux handicaps que rencontrent les habitants des départements d'outre-mer pour accéder à la culture dans des conditions comparables à celles de la métropole revêtent une importance fondamendale. Parmi ces handicaps nombreux, l'éloignement géographique est sans doute le plus pénalisant. Il se traduit par un renchérissement des prix des biens culturels, livres, presse ou encore multimédia, mais également par les difficultés rencontrées pour bénéficier des ressources culturelles de la métropole.
Au-delà de cette donnée physique, ces départements souffrent à l'évidence d'une situation économique et sociale très dégradée, situation qui aggrave sans aucun doute les inégalités culturelles imputables à l'insularité.
Ces constats d'ordre économique et géographique imposent à l'évidence qu'une attention particulière soit accordée aux actions destinées à promouvoir une égalité culturelle.
Or, bien que l'insularité les place au coeur de tous les débats relatifs à l'environnement socioculturel, la situation financière très fragile des collectivités locales ne leur permet guère, à la différence de celles de la métropole, de prendre une part déterminante dans la politique culturelle. Cette situation a pour corollaire un sous-équipement culturel ; les déficits les plus marqués concernent les institutions culturelles de proximité, dont le rôle en matière de médiation culturelle est pourtant essentiel, qu'il s'agisse des bibliothèques ou des écoles de musique, ce qui se traduit mécaniquement par la faiblesse des relations entre ces dernières et les établissements scolaires.
A l'évidence, un effort doit être consenti pour rapprocher en matière culturelle les DOM de la métropole.
Le projet de loi propose à ce titre deux mesures.
En premier lieu, l'article 19 prévoit des mesures tendant, en matière de biens culturels, à la réduction des écarts de prix entre les DOM et la métropole. Cependant, le contenu de ces mesures, dont la nécessité avait été soulignée par MM. Lise et Tamaya, n'est pas précisé, à l'exception de celle qui est relative au livre. Le projet de loi apparaît donc bien timide et l'engagement de l'Etat pour le moint limité : le financement de ces mesures, mises en place « progressivement », incombe, en effet, à l'Etat mais aussi aux collectivités territoriales, dont les ressources sont cependant très limitées. On ne saurait être plus prudent.
Ces mesures sont, je crois, pourtant nécessaires ; elles doivent prendre la forme de compensations financières destinées à tenir compte de l'éloignement, mais également porter directement sur les tarifs d'acheminement des biens et des personnes, qui, bien souvent, faute de concurrence, sont très élevés. En ce domaine, les responsabilités de l'Etat sont éminentes.
A cet égard, je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, attirer votre attention sur les conditions d'accès à Internet. En raison de leur éloignement, et je pense en particulier au cas de Saint-Pierre-et-Miquelon, des difficultés existent de par les surcoûts imposés par les liaisons satellitaires, qui rendent plus onéreuses les connexions. Si je ne méconnais pas les conditions particulières d'exploitation du réseau de télécommunications dans ce territoire en raison de la faible dimension du marché local, je souligne l'intérêt que pourrait avoir une mesure de compensation adaptée.
Une seule mesure concrète est prévue par le projet de loi : l'extension aux départemetns d'outre-mer, à compter du 1er janvier 2002, de la loi du 10 août 1981 relative au prix unique du livre. Sur ce point, on regrettera que ne figure pas dans le texte du projet de loi l'essentiel, à savoir l'engagement du Gouvernement de compenser le coût de cette légitime mesure d'équité.
Faute d'une telle mesure, dont les modalités devraient être étudiées dès le début de l'été par une mission mandatée par le Gouvernement, il y a fort à craindre, en effet, que l'équilibre financier, déjà très précaire, des libraires d'outre-mer ne soit gravement menacé et que les effets économiques induits par cette mesure d'équité n'annulent le bénéfice culturel à en attendre.
Je soulignerai que, toutefois, la réduction des écarts de prix ne peut à elle seule suffire à favoriser l'égal accès à la culture dans la mesure où demeurent des inégalités de revenus. Nous savons bien que le montant de la consommation culturelle des ménages est directement liée à leur niveau de revenus. C'est à la collectivité, en particulier à l'Etat au travers d'un soutien spécifique apporté aux équipements culturels et éducatifs de proximité - je pense en particulier aux bibliothèques -, de compenser l'insularité mais également les difficultés économiques et sociales. Il s'agit là d'une priorité si l'on veut éviter la spirale de l'exclusion ; je pense notamment à l'accès aux nouvelles technologies de la communication, dont l'apprentissage est désormais fondamental et constitue pour ces territoires éloignés de la République une chance de développement mais aussi d'ouverture vers l'extérieur.
La seconde mesure que prévoit le projet de loi d'orientation afin de rapprocher physiquement, en quelque sorte, les DOM de la métropole est la création d'un fonds destiné à promouvoir les échanges éducatifs, culturels ou sportifs de ces départements vers la métropole ou les pays situés dans leur environnement régional. Il s'agit là, monsieur le secrétaire d'Etat, d'une bonne mesure, pragmatique, qui vient conforter les nombreuses initiatives prises en ce domaine par les collectivités territoriales, conscientes de l'importance de l'ouverture des DOM vers l'extérieur. C'est un soutien bienvenu, même s'il faudra veiller à ce que l'effort financier promis par le Gouvernement se concrétise de manière durable.
En conclusion, je ne pourrai que regretter à nouveau le caractère disparate des dispositions du projet de loi. De portée modeste, elles ne répondent qu'imparfaitement aux aspirations des DOM. L'égalité éducative et culturelle reste à conquérir.
Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles vous propose de donner un avis favorable à l'adoption du titre IV du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke, au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer est un texte important, parce qu'il contient des réformes institutionnelles essentielles, mais aussi parce qu'il tend à mettre en oeuvre tout un dispositif économique et social visant à promouvoir le développement durable et à compenser des retards accumulés dans différents domaines.
Mais, alors que la situation des femmes par rapport aux hommes est encore plus inégalitaire outre-mer qu'en métropole, ce texte ne contient aucune disposition spécifique en direction des femmes, si l'on excepte une revalorisation de l'allocation de parent isolé, à l'article 14.
Non ciblées, les dispositions prévues par le projet de loi risquent de ne pas profiter à part égale aux femmes.
C'est pourquoi M. le président de la commission des lois a souhaité saisir la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Je m'en félicite et je l'en remercie.
Si des inégalités entre les hommes et les femmes existent en métropole, elles sont encore plus prégnantes outre-mer, bien que les déséquilibres soient moins accusés que par le passé. Les chiffres sont parlants, même si, et je tiens à le souligner, il n'existe que très peu de statistiques sexuées. Cette lacune en dit peut-être plus long encore sur la prise en considération des femmes. Permettez-moi néanmoins, mes chers collègues, de citer quelques chiffres.
Les femmes sont placées dans une situation plus précaire face à l'emploi. Ainsi, un tiers des femmes âgées de vingt-cinq à trente ans sont au chômage, contre un quart des hommes. De même, les femmes représentent 57,8 % des titulaires de contrats emploi-solidarité et 55 % des titulaires de contrats emplois consolidés.
Cette situation précaire est aggravée par le fait que la charge de famille repose principalement sur la mère, a fortiori dans les familles monoparentales, particulièrement nombreuses dans les départements d'outre-mer. Aussi la délégation se félicite-t-elle de la revalorisation de l'API, l'allocation au parent isolé, tout en déplorant que l'alignement prévu sur la métropole soit aussi long à intervenir.
Toutefois, est-il nécessaire de le souligner, si l'augmentation de l'allocation au parent isolé ainsi que du revenu minimum d'insertion permet de soulager les femmes dans leurs conditions d'existence, leur avenir doit d'abord passer par un accès égalitaire à l'emploi et aux formations de qualité.
Les inégalités entre les hommes et les femmes en outre-mer sont accentuées par des comportements masculins d'ordre culturel, qui font une grande place à la violence et laissent les femmes démunies et ignorantes de leurs droits.
Il est particulièrement regrettable, à cet égard, de constater que les déléguées régionales aux droits des femmes ne sont pas employées à temps plein outre-mer et que le poste de la Guyane est resté vacant pendant sept ans !
L'exemple de la contraception illustre pourtant l'urgente nécessité de mieux informer les femmes d'outre-mer.
L'accès à la contraception est, en effet, très difficile et particulièrement critique pour les adolescentes. Les grossesses des mineures sont trois fois plus nombreuses aux Antilles qu'en métropole, quatre fois plus à la Réunion et dix fois plus en Guyane. Le taux global des interruptions volontaires de grossesse rapportées aux naissances, qui s'établit pour la France entière à 27,40 %, est, respectivement, de 29,60 % en Guyane, de 34,40 % à la Martinique, de 34,70 % à la Réunion et de 72,80 % à la Guadeloupe. Ces chiffres montrent que l'information en direction des femmes est encore plus indispensable outre-mer qu'en métropole. On peut, à ce propos, s'interroger sur la logique qui a conduit à mettre à la charge du seul secrétariat d'Etat chargé des départements et territoires d'outre-mer, lequel a dû prélever quelque 2,6 millions de francs sur son propre budget, l'extension à l'outre-mer de la dernière campagne d'information sur la contraception.
C'est peut-être la même logique qui a failli laisser à l'écart l'outre-mer dans l'enquête qui est actuellement menée par les services du secrétariat d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle sur les violences subies par les femmes.
Dans tous les domaines, et plus encore dans celui des droits des femmes, nous devons avoir ce que nous pourrions appeler le « réflexe de l'outre-mer ».
En conséquence, il est apparu nécessaire à la délégation de faire trois recommandations, qui, nous l'espérons, seront reprises sous forme d'amendements.
La première consiste à faire figurer la recherche de l'égalité entre les hommes et les femmes parmi les objectifs affichés à l'article 1er du texte.
La deuxième est de faire apparaître, dans le rapport d'évaluation que la future commission des comptes économiques et sociaux des départements d'outre-mer devra remettre chaque année au Gouvernement sur la mise en oeuvre de la loi, l'impact des mesures prévues sur la population féminine.
La troisième est d'inciter l'Etat à mieux prendre en compte, dans les politiques qu'il met en oeuvre, la situation spécifique des femmes d'outre-mer et d'attirer l'attention du Gouvernement sur l'impérieuse nécessité de renforcer, outre-mer, les moyens des centres d'information sur les droits des femmes.
J'ajouterai, pour conclure, qu'en ma qualité de présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes j'ai assisté la semaine dernière à l'assemblée générale extraordinaire de l'ONU sur les droits des femmes.
Cette assemblée, dont les travaux se sont terminés vendredi, avait un double objectif : d'une part, faire le point sur la mise en oeuvre concrète du protocole arrêté à la conférence de Pékin voilà cinq ans, d'autre part, permettre des avancées dans le domaine des droits des femmes.
Je peux vous dire que l'action menée par la France pour promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes a été très remarquée et appréciée à la tribune de l'ONU et que l'image que nous donnerons sur cette question essentielle dans nos départements d'outre-mer est extrêmement importante pour l'ensemble des pays environnants.
Je souhaite que nos travaux enrichissent le présent projet de loi en ce sens. (Applaudissements.)
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, à ce stade de la discussion générale, vous me permettrez de répondre très brièvement aux rapporteurs des commissions, non pas sur chacune des observations qu'ils ont formulées, observations souvent pertinentes et sur lesquelles nous reviendrons lors de l'examen des articles, mais plutôt sur la philosophie générale de leur réflexion.
Ainsi, les rapporteurs ont marqué un intérêt positif pour les mesures économiques, sociales et culturelles, même s'ils souhaitent les améliorer, alors que, dans le domaine institutionnel, domaine controversé, le rapporteur de la commission des lois n'ayant pas souhaité ou n'ayant pu entraîner la commission à modifier les dispositions proposées, ladite commission a finalement décidé d'en demander la suppression - je pense à l'article 38 ou à l'article 39.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Permettez-moi de relever deux contradictions qui apparaissent d'ores et déjà, selon moi, dans ce débat.
Monsieur Balarello, vous nous avez dit : « Le Gouvernement est allé aussi loin que possible dans le cadre de l'article 73 ». Je voudrais vous rappeler ce que le Président de la République, a déclaré en substance, en novembre 1997 - M. Othily peut en témoigner - au cours, d'une visite en Guyane, où je l'accompagnais : « Nous ne sommes pas allés au bout de l'article 73 de la Constitution, relatif aux départements d'outre-mer. Explorons donc cette voie. »
C'est ce que le Gouvernement se propose de faire par l'institution du congrès, qui, je le rappelle, n'est pas une troisième assemblée mais est bien la réunion des deux assemblées existantes - le Gouvernement ne tranche pas sur les légitimités démocratiques -, réunion appelée à faire des propositions institutionnelles. Autrement dit, cette réunion n'a pas un caractère permanent : elle est une instance de proposition.
Nous restons bien, selon nous, dans le cadre de l'article 73 en prévoyant la possibilité de réunir les deux assemblées en congrès. Supprimer cette possibilité conduit à créer le vide, et le vide ne peut pas générer des évolutions institutionnelles, sauf par des voies externes à la démocratie.
Le Sénat s'enferme donc aujourd'hui dans une contradiction fondamentale, à défaut de faire d'autres propositions qui auraient pu être retenues.
M. Balarello nous confesse qu'il existe d'autres propositions. Il y a celles qui pourraient découler de la déclaration de Basse-Terre, déclaration d'une page, qui reste tout de même très limitée. Il y a aussi la proposition de nature constitutionnelle du sénateur Othily et celle, de nature législative, du député Bertrand, concernant la Guyane. Mais à quel niveau ces propositions peuvent-elles être prises en compte ? Faut-il qu'elles le soient au niveau du Gouvernement ? Ce débat ne peut-il pas s'instituer au niveau des sociétés locales ? Ce serait vraiment la reconnaissance de la capacité de l'outre-mer de décider !
Monsieur Balarello, tout en proposant de supprimer l'article 39, vous suggérez que le Gouvernement profite de la présidence française pour demander la rediscussion de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam. Or cet article 299-2 a été véritablement arraché tant par le gouvernement précédent que par celui-ci, au cours des négociations européennes, puisqu'il reconnaît que les régions ultrapériphériques justifiant de cette notion d'adaptation telle qu'elle figure dans l'article 73 de la Constitution. Mais cette adaptation est fortement encadrée puisqu'une majorité qualifiée des pays membres est requise.
Depuis le traité de Rome, nos départements d'outre-mer sont reconnus comme faisant partie de l'Europe : ils y sont dénommés « départements d'outre-mer français ». Ils ont été ultérieurement rejoints par Madère et les Açores, d'une part, les Canaries, d'autre part, avec l'entrée du Portugal et de l'Espagne.
Monsieur Balarello, ce n'est pas parce qu'il sera fait mention, dans l'article 299-2, de la Martinique, de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Réunion que nous aurons résolu le problème !
En effet, l'Europe entretient deux types de relations avec ce que j'appellerai les « territoires extérieurs » au continent européen.
Il y a, d'un côté, les relations avec les régions ultrapériphériques qui ont des handicaps et qui nécessitent des adaptations, mais qui sont fondamentalement intégrées aux politiques communes, qu'il s'agisse de l'union douanière, de la libre circulation des personnes et des capitaux ou d'autres.
Il y a, d'un autre côté, les relations avec les pays et territoires d'outre-mer. M. Reux sait bien que c'est la motivation principale qui a entraîné l'évolution statutaire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces pays et territoires d'outre-mer ne sont pas liés par les politiques communes.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Si !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Ainsi, en particulier Saint-Pierre-et-Miquelon n'est pas liée par la politique commune relative à la pêche.
C'est également la situation, du Groënland - pour des raisons semblables - de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie.
Par conséquent, monsieur Balarello, ce n'est pas en mentionnant, dans l'article 299-2, nos quatre départements d'outre-mer que nous leur permettront d'avancer. Il ne faut pas transférer le problème à l'échelon européen parce que, à cet échelon, des contraintes qui tiennent aux politiques communes nous sont imposées.
C'est pourquoi, à mon avis, la position adoptée aujourd'hui par le Sénat, qui revient à vouloir supprimer toute possibilité d'évolution à la Réunion - puisqu'il s'agit de maintenir le statu quo - et toute possibilité d'évolution organisée dans les trois autres départements d'outre-mer, conduit à bloquer toute perspective de prise en compte des aspirations locales, à privilégier une démarche passant par une décision du Gouvernement, ne s'appuyant pas clairement sur un consensus local.
Or modifier la Constitution - et vous allez bientôt être soumis à cet exercice - ne peut passer que par un consensus local. Nous l'avons fait pour la Nouvelle-Calédonie - et je rappelle que 95 % des parlementaires ont approuvé le projet - parce qu'il y avait bien un consensus local. Faute d'un tel consensus, les controverses s'installent et les évolutions ne se produisent pas !
Voilà pourquoi la démarche qui vous est proposée a été choisie. Elle est effectivement sur le « fil » constitutionnel, mais le Conseil constitutionnel, qui a admis pour Mayotte qu'il y ait consultation des populations, doit, à mon avis, reconnaître que le pacte républicain qui lie les ensembles territoriaux de l'outre-mer implique que leurs populations puissent être consultées.
J'en viens à la deuxième contradiction, et je m'adresserai plus particulièrement à M. Lorrain, qui a marqué son intérêt, comme MM. Reux et Huchon, pour les mesures à caractère économique et social mais qui a eu la tentation de nous inviter à faire plus.
Evidemment, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer souhaite toujours faire plus. Mais cela a évidemment un coût pour les finances publiques. J'ai évalué rapidemment le coût des mesures que proposera M. Lorrain à travers ses amendements. Passer de 1,3 fois le smic à 1,5 fois le smic, compenser la prise en compte du RMI pour les départements, passer aux dix premiers salariés des entreprises de vingt salariés, étendre le dispositif des préretraites : tout cela représente à peu près un milliard de francs.
Je confirme d'ailleurs à M. Lorrain que l'ensemble des mesures d'exonération représentent 3,5 milliards de francs, dont 800 millions de francs au titre du dispositif Perben et 2,7 milliards de francs au titre du présent projet de loi.
Dès lors, pourquoi ne pas ajouter un milliard de francs ? Certes, mais il est un moment où la question des contreparties doit être posée. Et je sais le Sénat très soucieux de l'équilibre des finances de l'Etat, ainsi qu'il le montre à chaque discussion budgétaire.
Pour ma part, je ne vois que deux contreparties possibles. Il faut oser les proposer aussi.
La première est celle qui a été instituée par le gouvernement de M. Balladur et qui consiste à ajouter deux points de TVA. Cela représente précisément un milliard de francs. Une telle mesure revient évidemment à renchérir le coût de la consommation outre-mer pour financer ces dispositifs par un effet de redistribution, mais toute autre mesure est fictive.
Ces deux points de TVA supplémentaires ont été finalement annulés par le gouvernement Juppé du fait de leur généralisatin à l'ensemble du pays.
Quoi qu'il en soit, il faut être cohérent : si l'on veut dépenser un milliard de francs de plus, on ne peut les trouver qu'avec deux points de TVA !
Mais une autre contrepartie, non directement financière celle-ci, est également envisageable.
Aujourd'hui, le Gouvernement fait confiance aux entrepreneurs. Il a passé avec eux un pacte de confiance. Certains dans cette assemblée, qui sont proches du Gouvernement, réclament des contrôles. Le Gouvernement n'est pas favorable à des contrôles. Certains demandent aussi que les mesures ne concernent que de vrais contrats de travail, des contrats à durée indéterminée, et non des emplois précaires ou à temps partiel.
Autrement dit, monsieur Lorrain, en dehors des contreparties financières, on peut aussi imaginer des contreparties législatives et réglementaires.
Je souhaite que le Sénat intègre ces données à sa réflexion.
La solidarité nationale s'exprime à hauteur d'un certain montant. On peut toujours souhaiter plus, mais il faut que les solutions mises en oeuvre soient authentiquement créatrices d'emplois, qu'elles permettent vraiment de donner du travail, qu'elles ne servent pas seulement à exonérer les résultats des entreprises. C'est pourquoi nous avons considéré que les entreprises qui devaient être exonérées étaient celles des secteurs exposées ou les petites entreprises, car ce sont elles qui sont à la fois ouvertes à la compétition et susceptibles de créer des emplois. Il y a d'autres entreprises qui vivent simplement de la consommation, qui ne créeront pas un emploi de plus. Doivent-elles vraiment profiter de l'exonération de charges patronales ?
C'est une règle du type « donnant-donnant » qui doit s'appliquer : ce que donne la collectivité nationale contre l'engagement des entreprises d'assumer une prise en charge effective de ce problème dominant qu'est celui de l'emploi.
Telles sont les deux contradictions essentielles que, à ce stade de la discussion, je tenais à souligner. Nous y reviendrons, bien sûr, tout au long de la discussion des articles, mais il m'appartenait, compte tenu du travail de qualité réalisé par les commissions du Sénat, d'insister d'ores et déjà sur ces deux points.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Votre intervention comportait, monsieur le secrétaire d'Etat, deux volets.
Je n'insisterai guère sur le second, qui a été marqué par une certaine démagogie : c'est en effet le mot qu'inspire vos réponses aux questions financières qui ont été soulevées, surtout si l'on se souvient que le Gouvernement auquel vous appartenez n'hésite pas, dans certaines circonstances, à inventer des dépenses nouvelles. Lorsque, par exemple, le premier geste d'un certain ministre de l'éducation nationale a été de supprimer d'un trait de plume six heures de cours d'une catégorie d'enseignants, vous ne vous êtes pas tellement préoccupés du coût que cela pouvait représenter !
Mais je préfère évoquer les choses sérieuses, c'est-à-dire le volet institutionnel.
J'ai été, personnellement, favorable à l'adoption de l'article 39. Je n'y reviendrai pas. Mon vote sera pour l'essentiel conforme à celui de mes amis. Cela dit, c'est une mesure extraordinairement limitée, qui n'apporte aucune solution concrète. Elle ne vise qu'à ouvrir la discussion. Si le congrès est rétabli par l'Assemblée nationale, la discussion s'engagera. Nous verrons alors si elle a quelque utilité !
Selon vous, monsieur le secrétaire d'Etat, et c'est là le point essentiel, on peut aller très loin dans l'évolution du statut des départements d'outre-mer.
Le statut des départements d'outre-mer est caractérisé par deux éléments : premièrement, la loi métropolitaine y est immédiatement applicable, sauf si l'on prévoit expressément le contraire ; deuxièmement, les seules mesures qui sont permises par la Constitution sont des mesures d'adaptation. Or nous connaissons la position du Conseil constitutionnel - qui fut là peut-être mieux inspiré qu'il ne l'a été d'autres fois - sur les mesures d'adaptation. C'est ainsi que la création d'une assemblée unique ne peut pas être considérée comme une adaptation. On voit donc tout de suite la limite considérable qui est posée en matière d'adaptation.
Mais venons-en aux possibilités prévues par la Constitution. Ces possibilités existent à condition de sortir du statut de département d'outre-mer. Et il n'est pas besoin de réformer la Constitution pour cela ! L'article 72 de la Constitution dispose en effet : « Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. » Or, en l'état actuel des choses, nous ne pouvons pas supprimer la notion de département d'outre-mer. Pourquoi ? Peut-être parce qu'une certaine valeur affective s'y attache...
Le département d'outre-mer a été une très grande idée en 1945. Mais cinquante ans ont passé et le département d'outre-mer, avec les conséquences juridiques qui en découlent, n'est plus une entité qui correspond à l'évolution des pays et aux besoins des peuples d'outre-mer. D'ailleurs, un certain nombre d'entre eux n'ont pas hésité à le dire.
Mais nous ne pouvons pas renoncer à la notion de département d'outre-mer, car nous perdrions alors immédiatement les crédits européens qui leur sont alloués. Il faut donc modifier sur ce point les dispositions du traité d'Amsterdam et dire que les crédits européens, comme ils bénéficient aux Açores, à Madère et aux Canaries, peuvent être accordés non pas au département d'outre-mer de Guyane mais à la Guyane, non pas au département d'outre-mer de Martinique mais à la Martinique, non pas au département d'outre-mer de Guadeloupe mais à la Guadeloupe.
A ce moment-là, une fois que l'on aura sauvé, en quelque sorte, cette manne européenne à laquelle il n'y a pas lieu de renoncer, on fera ce que l'on entend, et ce sans modifier la Constitution. On créera peut-être la collectivité territoriale de la Guyane, collectivité de la République. Il ne faut pas perdre cette occasion ; elle se présentera inévitablement, même si ce n'est pas maintenant.
Nous avons trop manqué, au nom de notre histoire, d'opérations de décolonisation. Nous avons manqué la décolonisation de l'Indochine, celle de l'Algérie. Il faut veiller à ne pas manquer une évolution nécessaire des départements d'outre-mer, d'autant que nous avons tous la preuve de l'attachement profond de ces populations à une certaine idée de la France, à une vie commune avec la France. Il suffit de se rendre sur place, de consulter les sondages et de lire ce qui s'écrit pour se rendre compte que ces populations, même si elles évoluent de manière considérable, entendent demeurer françaises, sous une certaine forme.
Il n'est pas besoin de reproduire à l'identique le système du département français, comme nous l'avons fait pendant cinquante ans en outre-mer. Ce fut une très grande idée, mais elle a épuisé ses vertus. Il faut avoir l'intelligence d'en trouver une autre. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. José Balarello, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello, rapporteur. M. le président de la commission des lois a exprimé de façon remarquable ce que je voulais dire à M. le secrétaire d'Etat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'avoue n'avoir pas compris votre réponse, qui manquait d'objectivité, permettez-moi de vous le dire.
En effet, je n'ai pas tenu d'autres propos que ceux de M. le président de la commission des lois : pour que les départements d'outre-mer actuels puissent continuer de bénéficier des fonds structurels européens nonobstant une éventuelle évolution de leur statut, encore faudrait-il que le Gouvernement obtienne la modification du traité d'Amsterdam en substituant aux termes « départements français d'outre-mer » les termes « Guadeloupe, Réunion, Martinique et Guyane ». Je ne vous ai rien dit d'autre, monsieur le secrétaire d'Etat ! Or vous me répondez que cela n'est pas possible.
M. le président de la commission des lois vous a indiqué quelle était sa position. Croyez bien que tant le président de la commission des lois que les rapporteurs ont pris conscience de l'importance de ce texte non seulement pour la République, mais également pour les populations des départements d'outre-mer. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes attachés à faire preuve d'une objectivité que je me permettrai de qualifier de « remarquable ». (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Lorrain, rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez bien voulu reconnaître, un peu timidement, je dois le dire, que nous n'allions pas vers le « toujours plus ». Je ne crois pas, en effet, qu'il faille nous faire ce procès, car cela ne correspond pas à la réalité.
Si nous nous étions laissés aller à la démagogie, de façon trop simpliste, nous aurions pu demander une exonération totale de charges pour l'ensemble des entreprises, ou la création de zones franches. Par ailleurs, vous savez, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'alignement complet et immédiat du RMI fera l'objet de demandes de la part de certains de nos collègues.
Nous avons proposé des exonérations visant des situations délicates, où il est possible de créer des emplois.
Vous avez demandé, à juste titre, une contrepartie. Mais la diminution du coût du travail pour l'entreprise, laquelle deviendra peut-être plus compétitive dans une zone où elle se trouve en difficulté face à des concurrents bénéficiant d'un coût du travail nettement inférieur, représente à mon sens une contrepartie positive.
En ce qui concerne la création d'emplois, vous savez comme moi qu'il s'agit, là aussi, d'une contrepartie importante pour l'économie locale, qui a des effets positifs sur la machine économique.
En revanche, et nous y viendrons sans doute au cours des débats, la commission des affaires sociales n'a pas retenu la possibilité d'un abandon de la dette sociale et fiscale des entreprises, se bornant à préconiser un apurement de celle-ci.
Je crois donc que c'est avec un réel esprit de responsabilité que nous avons avancé ces propositions. Si nous laissions aller les choses, dans cinq ans, le coût du dispositif serait peut-être très supérieur à un milliard de francs.
Mais je pense que nous aurons l'occasion de préciser nos choix dans la suite du débat.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Monsieur le secrétaire d'Etat, je reprendrai, dans un propos que j'espère court, à peu près tous les thèmes qui ont été évoqués par vous-même et par nos excellents rapporteurs.
Voilà trois années, nous était annoncée la discussion imminente d'une loi de programme pour l'outre-mer. Nous en étions demandeurs, comme tous ceux qui mesurent, par le bon sens, l'évolution très prompte des réalités dans ces départements français assujettis à l'insularité, à l'éloignement autant qu'à leur diversité, et davantage encore à l'isolement, au sein d'un vaste environnement, lui-même frappé par la mondialisation.
Voilà pourquoi nous souhaitions, nous attendions, nous espérions cette loi de programme promise, répondant aux aspirations impatientes et compréhensibles de nos concitoyens des départements d'outre-mer : une loi de programme à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et institutionnels tels que les définissait le Président de la République dans son discours fondateur, prononcé à la Martinique le 11 mars dernier, par lequel il souhaitait « un statut sur mesure » pour chacun des départements d'outre-mer. Il ajoutait : « On mesure bien l'étendue du champ des réflexions, allant du maintien de la départementalisation jusqu'à l'autonomie régionale, [...] aucune de ces démarches ne gêne, aucune de ces approches ne choque [...]. »
Qu'en est-il du projet de loi qui nous est soumis ?
La déception qu'il suscite en nous est à la hauteur de l'espoir que nous fondions sur lui !
Croyez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il n'y a dans mon propos aucune acrimonie à votre égard. Nous vous avons soutenu, sans ambages, dans d'autres circonstances, et pour d'autres projets, qu'il s'agisse de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française ou, plus récemment, de Mayotte. Nous mesurons l'ampleur du sujet dons nous débattons aujourd'hui, autant que l'urgence qu'il requiert, que nous avons d'ailleurs nous-mêmes demandée.
Mais cette urgence fut quelque peu contrariée par la lente gestation de votre projet de loi. Nous ne contestons pas votre effort de concertation, s'appuyant sur quatre rapports établis à la demande du Gouvernement et sur la consultation, à deux reprises, des assemblées locales. Toutefois, reconnaissons que diagnostic et consultation n'ont abouti qu'à une phase de décision édulcorée et donc profondément décevante. La méthode employée n'a pas répondu à votre attente, ni bien sûr à la nôtre !
Votre projet s'est peu à peu situé au carrefour des intérêts et des sentiments ; il est davantage en butte à la contradiction des fantasmes et à la dure réalité des choses telles qu'elles sont, comme l'aurait dit le général de Gaulle. En voulant faire plaisir à tout le monde, on ne répond à personne ! Sur les huit assemblées locales consultées, seules deux ont émis un avis positif sur votre projet.
Au fil des mois, ce projet s'est rétréci comme une peau de chagrin et particulièrement son volet, pourtant capital, d'une réforme institutionnelle. Pour répondre à votre choix intime, et justifié, de rompre comme il est souhaitable avec une vision uniforme de l'outre-mer, vous voici obligé de confier à l'avenir une évolution statutaire dans chaque département. C'est au plus, et je m'excuse de le dire, l'aveu d'un échec que de remettre à demain ce qui réclame aujourd'hui l'urgence.
C'est ainsi que l'ambition d'une loi de programme s'est réduite à la timidité d'une loi d'orientation, orientation d'ailleurs si sinueuse que, comme l'indique notre excellent rapporteur de la commission des lois José Ballarello, le projet qui nous est soumis ressemble davantage à un texte « portant diverses propositions relatives à l'outre-mer ».
J'ai employé le terme « timidité », parce que je le crois fondé. Mais je comprends qu'il vous choque, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous avez, en effet, fait valoir l'ampleur « sans précédent » des financements marquant, dites-vous, une « étape historique » dont chacun ici doit avoir pleinement conscience. Dont acte : 37 milliards de francs, certes, sur une période de sept ans, que vous comparez, un peu insidieusement, aux 19,7 milliards de francs de la période précédente. Ces 37 milliards de francs se décomposent ainsi : 5 milliards de francs de crédits d'Etat dans le cadre des contrats de plan, 9 milliards de francs pour les collectivités locales et 23 milliards de francs au titre des fonds structurels européens.
Ce sont donc ces derniers qui constituent l'essentiel de la manne financière de votre projet. Ils pèsent donc profondément sur son avenir, si nous le considérons, avec vous, comme une loi d'étape.
Ils pèsent d'abord sur le plan institutionnel, car le traité d'Amsterdam les applique - et vous avez évoqué cette question tout à l'heure - en tant que « mesures spécifiques » aux « départements français ». La question a également été évoquée par le président de la commission des lois. Avec une juste sagesse, notre collègue José Balarello remarque qu'il ne conviendrait pas que certains obstacles juridiques, éventuels, entre l'article 73 de notre Constitution et l'article 299.2 concerné du traité d'Amsterdam s'opposent définitivement à toute évolution du statut de département d'outre-mer vers une autonomie accrue, à laquelle aspirent les populations concernées, et que vous souhaitez vous-même pour l'avenir. L'article 72 de la Constitution, qui a été évoqué tout à l'heure, était effectivement une voie que l'on aurait pu explorer. Ne serait-il pas opportun, aujourd'hui, d'envisager une meilleure adaptation du texte d'Amsterdam, afin de mieux coordonner les entités juridiques et géographiques de ces régions ultrapériphériques ? En effet, les perspectives d'évolution envisageables pour les départements français d'outre-mer ne devront pas remettre en cause leur intégration au sein de l'Union européenne, pas plus que leur aptitude aux fonds correspondants.
Cette question, monsieur le secrétaire d'Etat, ne vous a, certes, pas échappé, vous l'avez dit tout à l'heure. A-t-elle pesé sur la timidité du volet institutionnel de votre projet de loi ? Il faudra bien, cependant, la regarder en face !
Il ne vous a pas échappé non plus, j'en suis persuadé, que l'on puisse déplorer les difficultés de gestion de ces crédits ou leur sous-consommation, cela a été évoqué par notre collègue M. Balarello - puisqu'ils constituent l'atout vital du développement économique envisagé. C'est pourquoi nous soutiendrons la proposition de notre commission des lois - de consacrer de manière législative une commission de la mobilisation et du suivi de ces fonds structurels.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne l'ignorez pas : on ne peut prédire avec exactitude l'évolution de l'Union européenne au cours des sept prochaines années ; on peut simplement dire que les fonds structurels seront de plus en plus sollicités par ceux qui en sont aujourd'hui privés.
L'impératif des besoins pourrait bien commander un jour des révisions déchirantes à l'égard des gestionnaires médiocres ou des projets dépourvus de sagacité. Rien n'est jamais acquis définitivement, et nous serons soumis aux examens de passage !
C'est pourquoi nous approuvons les réserves pertinentes du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, notre collègue Jean-Louis Lorrain, à l'égard du volet économique et social de votre projet de loi, qu'il a qualifié de timoré.
Certes, vous rendez implicitement hommage aux lois Pons et Perben, que vous avez pourtant si souvent critiquées. Mais mettant fin à l'une, la loi Pons, vous la remplacez par quoi ? Par un groupe de travail qui doit réfléchir ultérieurement ! Quant à l'autre loi, vous la modernisez, certes, et, compte tenu, dites-vous, de « l'expérience acquise et des résultats », vous la prolongez sans limitation dans le temps, preuve que sa conception n'était pas si mauvaise.
MM. Edmond Lauret, Serge Vinçon et Josselin de Rohan. Très bien !
M. Lucien Lanier. Vous privilégiez, enfin, l'assistance, rebaptisée « solidarité », de préférence à l'impulsion qui aurait exigé des mesures de plus grande ampleur.
Vous engagez un effort considérable en matière d'exonération des charges sociales, mais par un dispositif complexe - je vous l'avais d'ailleurs fait observer en commission des lois - et fragmentaire.
A titre d'exemple, vous exonérez totalement les entreprises de moins de dix salariés. Bien ! Mais au-delà de ce seuil, c'est un lissage compliqué de dégressivité de l'aide, qui deviendra, à mon avis, un frein à l'emploi, une incitation au travail camouflé.
Autre exemple : le moratoire sur les dettes sociales ne deviendra-t-il pas une aubaine d'amnistie, considérée comme une injustice par ceux qui auront accompli leur devoir ?
Enfin, par la réduction de la marge entre le RMI et le SMIC, n'incitez-vous pas les RMIstes à le rester par apport d'un travail clandestin leur apportant un revenu supérieur au SMIC ?
Nous ne prenons que ces quelques exemples - les rapporteurs vous en ont donné d'autres - espérant que leur gestion ne vous sera pas un jour reprochée. Nous regrettons que rien ne soit envisagé pour la taxe professionnelle. Nous regrettons la réserve marquant certains secteurs pourtant essentiels dans ce dispositif, tels le bâtiment et des travaux publics ou les transports aérien et maritime.
Nous regrettons aussi le manque d'ampleur de la baisse du coût du travail et, surtout, le manque d'effort concernant les entreprises exportatrices. Car, en définitive, si vous cherchez à doper la production et l'emploi, ce qui est indispensable, nous le reconnaissons, encore faut-il doper une politique de débouchés au-delà de l'insuffisant marché intérieur. C'est l'un des points qui ne me semblent pas très bien traités dans votre projet de loi.
Bref, nous reconnaissons l'urgence absolue des mesures qu'il faut prendre, le bien-fondé d'un effort sans précédent, mais en souhaitant qu'une part de cet effort ne disparaisse pas dans le gouffre d'une assistance immédiate et hâtive sans profit pour l'avenir.
Par ailleurs, l'urgence de l'économique et du social, la crainte d'un consensus introuvable vous ont fait en rabattre, hélas ! sur les réflexions institutionnelles. Vous préconisez, et nous aussi, des statuts différenciés et adaptés, comme le souhaite le Président de la République. Où sont-ils dans votre projet ? Où apparaît l'indice d'une réflexion porteuse d'avenir ? Comment rompre avec un traitement uniforme si l'on occulte identités et aspirations ?
Vous excipez qu'en l'absence d'une modification de l'article 73 de la Constitution rien ne peut être envisagé dans l'immédiat. Vous l'avez d'ailleurs indiqué dans votre intervention à l'Assemblée nationale.
Nous permettez-vous de vous dire qu'une réflexion générale et cohérente, respectant l'unité de la République, aurait au moins permis de tirer les conséquences juridiques et constitutionnelles de la fin des catégories uniformes ? Mais cette réflexion n'a pas eu lieu.
En effet, il ne s'agit pas de définir une politique au coup par coup, exigeant des modifications peut-être bonnes mais ponctuelles de notre Constitution, il s'agit d'établir une nouvelle construction juridique, lisible et cohérente, à partir de laquelle pourraient alors s'établir des statuts organiques adaptés, et surtout conformes aux voeux des populations concernées.
Or vous nous proposez une démarche inverse, afin de combler le vide du volet institutionnel, à savoir la création de deux départements à la Réunion et l'idée d'un « congrès », cadre permettant, dites-vous, un « débat local, démocratique et transparent » entre les assemblées régionales et départementales.
Nous permettez-vous de vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette méthode consistant à réformer au coup par coup s'avérera contraire à toute recherche des statuts différenciés et sur mesure que nous souhaitons tous ? Elle crispera les options diverses, au lieu de les concrétiser clairement. Elle sera source de débats plus polémiques que fructueux, et sera l'addition d'intérêts particuliers, qui n'a jamais fait l'intérêt général. Et cela parce que votre loi ne leur offre pas les bases de réflexions juridiques, cohérentes et claires, respectant les principes de la République, et non ceux de l'aventure.
La mention d'un deuxième département à la Réunion aurait pu faire l'objet d'un consensus si la méthode pour l'obtenir avait été plus prudente et mieux préparée. Je donne quelques exemples : son échéance subitement avancée de 2004 au 1er janvier 2002 ; les transformations brutales de son découpage ; l'absence d'études sérieuses de son coût risquant de s'opposer à des priorités économiques combien plus urgentes ; la transformation de votre texte initial, raccourci pour renvoyer à plus tard les modalités d'une réforme dont l'échéance est pourtant brusquement avancée.
Tout cela relève d'une improvisation qui, loin d'offrir à l'île un meilleur équilibre de ses chances économiques, risque d'aboutir à la désunion, voire à la discorde, sans compter, bien sûr, les intérêts immédiats sous-jacents.
Vous voulez le consensus, vous aurez les désaccords ! Vous voulez le partage, vous cherchez la partition !
Une telle réforme se devait d'être soutenue par un accord sinon unanime, du moins largement majoritaire de ceux qu'il concerne. Or tel n'est pas le cas. Le conseil général comme le conseil régional de la Réunion ont émis un avis défavorable et la population consultée, par plusieurs sondages différents, a montré, en majorité, sa vive hostilité au projet.
Dès lors, monsieur le secrétaire d'Etat, soyez conscient de ce que vous souhaitez. Vous voulez une volonté locale qui rassemble le plus grand nombre, alors ne demandez pas à la loi de passer en force un projet de bidépartementalisation contre l'avis du plus grand nombre. (Applaudissements sur plusieurs travées du RPR. - M. Huchon applaudit également.) Avec lui, nous disons non à l'improvisation.
Notre réponse est la même concernant le projet de congrès, dont, je me permets de le dire, l'appellation fort peu heureuse risque de susciter des tentations de grandeur infondée.
La logique de votre idée repose sur trois orientations. La première, très logique, consiste à orienter la réflexion vers une assemblée unique dans chaque département et à avoir, à terme, un interlocuteur représentatif des populations concernées. Soit ! Mais prenez-vous la bonne voie pour y parvenir ?
Est-il besoin de consacrer par la loi la réunion commune du conseil général et du conseil régional pour délibérer en commun de toutes propositions relatives à l'évolution institutionnelle ? Que je sache, ces assemblées sont adultes et libres, et certaines d'entre elles ont déjà constitué des commissions mixtes, de leur propre chef, et elles sont d'autant plus capables de réfléchir, en commun, à leur avenir, fût-il, si cela paraît souhaitable, leur fusion.
Or vous imposez, implicitement, la naissance d'une troisième assemblée, consultative locale, dont rien ne dit qu'elle puisse devenir le creuset d'ententes harmonieuses. Dépourvue de pouvoir de décision, son rôle ambigu la condamne à une procédure particulièrement lourde par laquelle, délibérant, individuellement, sur les propositions du congrès, le conseil général et le conseil régional transmettront leurs propositions au Premier ministre, ainsi placé en première ligne pour résoudre des propositions potentiellement contradictoires, et obligé de les arbitrer sans appel.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Lucien Lanier. Nous souhaitons bien du plaisir à ce rôle ingrat, voire impossible qui en résultera ! Que de contentieux en perspective. Sans compter sur le saisine, évidente, du Conseil constitutionnel à l'égard de l'article 39.
Nous craignons, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'engagiez la présente orientation dans l'inextricable et dans des difficultés d'application.
Bien sûr, tout aurait été différent si votre voeu avait été exaucé « avec pour fondement une volonté locale qui rassemble le plus grand nombre, et qui transcende les clivages politiques traditionnels ».
Or nous en sommes bien loin : six des assemblées locales concernées ont émis un avis défavorable. Deux seulement y ont été favorables. J'ajoute que le 30 mars dernier, le Conseil d'Etat, consulté, s'est montré plus que sévère dans ses conclusions.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande d'être en accord avec vous-même : un tel manque de consensus vous empêche honnêtement de faire passer en force votre idée de congrès, comme l'idée précédente de deux départements à la Réunion. Honnêtement, vous ne le pouvez pas !
Je doute cependant que, au stade où nous en sommes, vous puissiez me répondre positivement. C'est dommage, car nous sommes convaincus de l'urgence des mesures économiques et sociales qui doivent impérativement être prises ; nous en acceptons certaines et, entre autres mesures, celles qui concernent Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais nous ne pouvons admettre que, en totale contradiction avec vos principes et vos propos, vous nous entraîniez à imposer de manière régalienne, par la loi, deux mesures que récuse la plus grande majorité de ceux qu'elles concernent. Le mouvement ne se prouve pas par une marche oblique ou forcée.
Dès lors, ce n'est plus une loi d'orientation, c'est une loi orientée ! C'est plus qu'un aveu de faiblesse, ce peut être un constat d'échec.
Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, les membres du groupe du RPR du Sénat, à leur grand regret, croyez-le bien, ne pourront accepter ni la bidépartementalisation de la Réunion ni la confuse idée du congrès.
De vos réponses dépendra leur vote. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste. - M. Othily applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, prévu depuis plusieurs années, le débat sur le projet de loi d'orientation examiné aujourd'hui au Sénat est le premier grand débat sur l'outre-mer depuis le débat sur la loi de départementalisation du 19 mars 1946, qui a érigé en départements français les « quatre vieilles colonies ». C'est dire combien il est attendu par les populations des départements d'outre-mer.
Si, depuis cinquante ans, la départementalisation conçue comme un modèle unique a permis des avancées incontestables, elle apparaît aujourd'hui à bout de souffle.
La situation appelle des réponses neuves et novatrices.
Les sociétés domiennes subissent, comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'Etat, un « mal-développement » de plus en plus criant, avec des taux de chômage évalués entre 30 % et 40 % selon les régions, et une misère qui conduit à toutes formes de déviances sociales. L'économie artificielle et dépendante se fonde essentiellement sur le recyclage des fonds publics nationaux ou européens.
La loi d'orientation proposée aujourd'hui est-elle à même de réparer ces maux et de satisfaire aux aspirations de responsabilisation et d'autodétermination des populations concernées ? Répond-elle à la question que posent les peuples d'outre-mer depuis des années, celle du respect de leur diversité et de leur participation aux choix de développement ?
On peut en douter au regard du manque d'ambition du texte qui nous est proposé, notamment en ce qui concerne le volet institutionnel. Il n'est pas à la hauteur des enjeux et des attentes exprimées.
Convaincu comme vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que « le moule unique » a vécu, je considère comme très regrettable que soit si peu prises en compte la diversité des situations et la nécessité d'avoir des approches et des réponses différenciées de ces départements. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point durant le débat.
Parmi les avancées attendues de ce projet de loi, on peut se féliciter de l'affirmation des compétences en matière internationale des départements d'outre-mer. C'est un premier pas pour une ouverture et une intégration régionale réelle renforçant leurs atouts géographiques.
Cette intégration régionale est indispensable pour un développement autonome, notamment pour l'établissement de coopérations mutuellement avantageuses, pour la possibilité de transferts de technologie avec les pays voisins.
Ces départements peuvent d'ailleurs permettre des solidarités porteuses pour le développement de la francophonie, que ce soit dans les Caraïbes, dans l'océan Indien ou en Amérique du Sud. Il faut donc donner aux départements d'outre-mer les moyens d'un plus grand rayonnement au niveau régional, véritable atout pour la France comme pour les pays concernés.
Dans le domaine du contrôle des flux migratoires, il est également nécessaire pour les départements d'outre-mer de pouvoir coopérer avec les pays voisins pour trouver des solutions à long terme. Tel est notamment le cas en Guyane. Sans doute faudrait-il aller plus loin encore dans le sens de l'affirmation de leurs compétences en ce domaine.
Le volet socio-économique du projet de loi prévoit une augmentation notable des moyens de l'Etat pour une relance des départements d'outre-mer et des mesures qui s'inscrivent dans la volonté de créer des emplois et de dynamiser une croissance économique valorisant les potentiels régionaux. Nous les soutenons.
Mais comment ce projet de loi pourrait-il prétendre à l'instauration de l'égalité sociale alors qu'il laisse encore trois ans avant l'alignement du RMI sur celui de la métropole, et que l'alignement de l'allocation de parent isolé sur le niveau métropolitain est prévu sur sept ans ? Ces délais ne sont pas admissibles, alors même qu'existent dans ces régions des surrémunérations qui rendent encore plus intolérable un RMI « au rabais ». Comme vous nous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, cela représente un coût : 1 milliard de francs.
Parallèlement, nous pensons, comme vous l'avez précisé par anticipation, que les aides, exonérations fiscales et autres mesures tendant à la création d'entreprises et d'emplois doivent faire l'objet de contrôles afin de garantir leur contribution effective au développement d'emplois stables et à une croissance durable. Nous déposerons des amendements en ce sens.
La reconnaissance des identités culturelles de ces territoires est à privilégier, dans un contexte de globalisation où l'uniformisation culturelle devient la règle.
Or, si des avancées ont été obtenues, notamment en ce qui concerne la valorisation des langues régionales, le projet de loi paraît limité sur ce point au regard de l'enjeu en termes de moyens financiers mis à disposition pour la promotion des cultures ultramarines. Les efforts en ce sens doivent être poursuivis et intensifiés.
Enfin, le volet institutionnel, particulièrement complexe, constitue une question fondamentale pour l'avenir des départements d'outre-mer. Les propositions en la matière sont très insuffisantes et sont loin de celles qui sont formulées par les différents rapports, que ce soit le rapport de MM. Lise et Tamaya ou celui de la commission des lois, qui s'est rendue sur place récemment.
La déception est grande aujourd'hui, après l'examen du texte par l'Assemblée nationale et l'absence de réponses adéquates à la profonde crise structurelle frappant l'ensemble des sociétés domiennes.
Si les aspirations à l'affirmation des identités et à la responsabilisation se développent partout dans les départements d'outre-mer, elles se déclinent différemment.
Pour la Réunion, la proposition de bidépartementalisation votée par l'Assemblée nationale n'a pas été retenue par la commission des lois du Sénat. C'est mon collègue Paul Vergès qui évoquera cette question.
En ce qui concerne les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, les exigences en matière d'émancipation et d'autodétermination sont particulièrement fortes. La déclaration de Basse-Terre de décembre 1999 proposant un « statut de région d'outre-mer nouveau dans le cadre de la République française et de l'Union européenne » et signée, dans la diversité de leurs appartenances politiques, par les trois présidents de région de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique manifeste l'urgence d'une véritable réforme pour faire face à la crise structurelle grave que connaît la société de ces régions et pour amorcer un nouveau type de développement autocentré.
Les nombreuses critiques émises sur le projet de loi à l'issue de son passage à l'Assemblée nationale témoignent de la déception éprouvée au regard du manque d'ambition sur cette question. Les prérogatives du congrès ont ainsi été sensiblement réduites par rapport à ce que prévoyait l'avant-projet et les propositions du rapport de MM. Lise et Tamaya.
Cette instance, telle qu'elle se présente à la suite de l'étude du texte par l'Assemblée nationale, est qualifiée par de nombreux élus domiens de simple « chambre d'enregistrement » sans pouvoirs.
On est très loin des besoins, comme des attentes de ceux qui voyaient dans cet organe un premier outil - insuffisant, mais à développer - visant à la mise en place d'un réel pouvoir de décision et de participation des population locales.
Or, la commission des lois du Sénat a même rejeté cette disposition, ne faisant aucune proposition de rechange.
Le risque est grand, aujourd'hui, de voir cette déception se transformer en colère et en explosion sociale au sein de populations qui sont dans l'attente d'un projet ambitieux et de véritables réformes pour le développement de leurs territoires.
Alors que la départementalisation montre ses limites, ne fallait-il pas, pour trouver des solutions adéquates, aller vers des modifications statutaires et non pas s'inscrire simplement dans l'optique de l'article 73 de la Constitution et dans le cadre rigide de la seule départementalisation ?
N'est-ce pas aux populations elles-mêmes qu'il convient de décider des voies à suivre ? Elles revendiquent pour cela l'application du principe de base de l'autodétermination. Et nous défendons ce droit imprescriptible.
Ayant participé à la mission de la commission des lois en septembre dernier en Guyane et aux Antilles, je suis revenu convaincu de l'urgence de travailler à la mise en place de réformes qui permettront une plus large autonomie de chacune de ces régions dans le cadre républicain, avec l'objectif d'un développement endogène de leurs territoires. Comment ces populations pourront-elles accepter une telle frilosité à l'égard d'éventuelles évolutions institutionnelles à l'heure où le Gouvernement débat avec l'assemblée territoriale corse sur ce sujet et alors que la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie ont obtenu des avancées statutaires importantes ?
Parallèlement, prenons l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, qui conforte la spécificité du régime applicable aux départements d'outre-mer. Cet article est à considérer, et je vous ai bien entendu, monsieur le secrétaire d'Etat ; mais pour l'instant, tel qu'il est proposé, il est imprécis. N'est-il pas nécessaire de lui donner du contenu, un contenu allant dans le sens d'une augmentation des possibilités d'adaptation et de dérogations pour les départements d'outre-mer et d'une affirmation de compétences, de règles et de débouchés spécifiques pour ces régions, dans un souci d'efficacité ?
La France, pendant sa présidence de l'Union européenne, pourrait faire des propositions auprès de ses partenaires en ce sens.
Mes chers collègues, ce projet de loi devait être un rendez-vous important, pour ne pas dire historique, avec les populations domiennes ; il devait leur permettre de sortir d'un immobilisme conduisant à l'impasse, d'un enfoncement périlleux.
Certains voient en lui un premier pas, une étape. Mais peut-on même le considérer comme une étape, si on lui enlève, comme le propose la commission de lois du Sénat, le peu de substance de son volet institutionnel, déjà très insuffisant ?
Le manque d'ambition de ce projet de loi, le manque de réponses adaptées au regard des urgences sociales et politiques et des attentes exprimées ne risquent-ils pas d'amener les populations domiennes à revendiquer dans la rue ces changements ?
Or, attendre d'en arriver là pour devoir ensuite légiférer dans l'urgence n'est sûrement pas la solution la meilleure !
Nous avons une grande responsabilité vis-à-vis des populations domiennes, populations qui souhaitent rester françaises. Il serait dangereux pour l'avenir de laisser se développer dans les départements d'outre-mer une colère et un mécontentement déjà très perceptibles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous appelons le Gouvernement à bien considérer la mesure de cet enjeu et à prendre date pour qu'un nouveau débat, inévitable, permette prochainement d'aller beaucoup plus loin que ce qui nous est proposé aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Larifla applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est dans la nature des choses qu'un pays comme la Guyane puisse disposer d'une certaine autonomie compte tenu de ses particularités, disait le général de Gaulle, voilà déjà un certain nombre d'années.
Les lois de décentralisation adoptées en 1982 visaient à apporter une forme d'autonomie aux régions d'outre-mer afin de réduire le déséquilibre structurel qui les séparait de la France métropolitaine.
Lorsqu'en 1946 Aimé Césaire, alors jeune député, rapportait devant la représentation nationale la proposition de loi tendant à créer une catégorie de départements, on pensait qu'une telle réforme allait être source de solutions satisfaisantes pour assurer un développement réel et durable.
La départementalisation a certes apporté des solutions aux problèmes sanitaires et sociaux, mais elle a asphyxié l'économie des départements d'outre-mer.
Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous présentez un projet de loi d'orientation visant à assurer aux départements d'outre-mer un développement réel et variable.
Je ne pense pas que les dispositions contenues dans ce projet de loi, à savoir l'apurement des dettes des entreprises, l'exonération à 100 % des cotisations sociales patronales de sécurité sociale pour certaines entreprises et des dispositions fiscales améliorées, soient de nature à développer l'emploi et l'économie dans les départements d'outre-mer.
Des discussions ont été engagées avec les membres de votre cabinet en vue de l'élaboration d'un texte présentant les mesures les plus intéressantes pour le développement de la Guyane.
Votre projet de loi prévoit un congrès, disposition qui ne semble pas faire l'unanimité. Nous avons expérimenté en Guyane une forme de congrès, organe qui consulte les deux assemblées. Mais ce sont là des étapes. Je rappelle les étapes précédentes : la loi de départementalisation de 1946, puis l'article 73 de la Constitution relatif au régime législatif et à l'organisation administrative des départements d'outre-mer, puis le décret d'avril 1960 donnant la possibilité aux départements de saisir le Premier ministre pour toute mesure d'adaptation en ce qui concerne la loi ou les règlements. Par ailleurs, l'article L. 43-33 du code général des collectivités territoriales prévoit que les collectivités régionales peuvent faire des propositions en saisissant le Premier ministre, qui peut apporter des précisions quant au fond, après un mois.
Le congrès serait peut-être une étape, et je n'y suis a priori pas opposé. Mais ses modalités de consultation pourraient ne pas être conformes à la Constitution. Je vois mal un président de région convoquer des membres d'une assemblée départementale ou un président de conseil général convoquer des membres du conseil régional ! Je vois mal aussi des élus dont l'élection a eu lieu au scrutin majoritaire se retrouver avec d'autres, qui ont été élus à la proportionnelle pour discuter ensemble parce que la loi aurait prévu la création d'un congrès.
Bref, le débat qui va s'instaurer et l'examen des amendements successifs permettront peut-être de trouver une solution. Nous devons, en tout cas, nous fier à la sagesse des sénateurs pour ce faire.
Les dispositions que vous nous proposez sur le plan social et sur le plan fiscal ne pourront pas être remises en cause, en tout cas pas par le sénateur de la Guyane que je suis. Elles vont en effet dans le sens de l'amélioration de la situation des entreprises d'outre-mer, et singulièrement de Guyane.
Mais comme nous sommes dans une autre logique, en Guyane, celle du pacte de développement, je préfère laisser le temps de parole qui me reste à mon collègue de la Réunion, qui exposera peut-être plus en détail les améliorations qu'il pense pouvoir apporter au texte que vous nous proposez.
Nous espérons simplement que les discussions engagées en Guyane se poursuivront au cours de cette seconde quinzaine, afin que vous et moi puissions ici, au Sénat, discuter de ce que souhaitent plus de 86 % des élus de Guyane, à savoir que notre pays connaisse, au sein de la République, un développement réel et durable.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir me préciser ici, devant la représentation nationale, que vous avez bien l'intention de travailler encore, en coopération avec les élus de Guyane, à l'élaboration d'un projet de loi qui pourra même aboutir à une révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer qui est soumis à l'examen de notre Haute Assemblée est, de toute évidence, un projet important.
Il suffit, pour s'en convaincre, de constater la diversité des sujets abordés, l'ampleur des mesures proposées, l'originalité de l'approche de certaines questions, avec, en regard, le niveau de l'engagement budgétaire de l'Etat.
Pour autant, il ne saurait apporter des réponses à la totalité des problèmes, tant structurels que conjoncturels, qui se posent dans les DOM.
Ceux qui font semblant de s'en étonner savent d'ailleurs fort bien ce qu'il faut penser des panacées, pour avoir parfois prétendu en détenir !
Nos compatriotes d'outre-mer ne s'y trompent pas, croyez-moi ! Ils n'attendent de remèdes miracles ni contre le mal-développement qu'ils subissent ni contre le mal-être qu'ils éprouvent.
Ils ont vu passer, pendant des décennies, trop de lois qui promettaient de transformer radicalement leur situation ; ils ont vu appliquer trop de plans, trop de programmes, trop de dispositifs censés favoriser le développement économique et l'emploi, pour n'avoir pas beaucoup gagné en lucidité et en réalisme.
C'est d'ailleurs pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à partager deux convictions importantes. La première, c'est qu'il n'est pas possible de concevoir depuis Paris les mesures les mieux adaptées aux réalités de territoires situés aussi loin et aux prises avec des problèmes dont les aspects, souvent très spécifiques, trouvent naturellement leur explication dans l'histoire et la géographie.
La seconde conviction, c'est qu'on ne peut s'attaquer au mal-développement des DOM par la seule mise en oeuvre de mesures d'ordres économique et social. Il est indispensable d'y associer des mesures visant à répondre à une demande fondamentale des acteurs locaux : la demande de responsabilité.
Celle-ci traduit, d'abord, la volonté de conférer un maximum d'efficacité aux politiques publiques.
Mais cette demande de responsabilité répond également, et surtout, à une volonté d'affirmation de leur personnalité propre, qui passe évidemment par une pleine reconnaissance de leur identité. A une volonté, donc, d'en finir avec ce mal-être qu'évoque toute une littérature et qui, s'il vient pour une part du mal-développement, vient surtout du sentiment lancinant d'être dépossédé de soi-même et de n'avoir aucune maîtrise de son propre devenir.
Eh bien ! mes chers collègues, le mérite principal du projet de loi d'orientation est précisément d'avoir été élaboré sur la base de ces deux convictions.
Il s'agit là d'une orientation politique fondamentale qui a été fixée, dès le départ, par le Premier ministre et à laquelle vous avez apporté, monsieur le secrétaire d'Etat, je peux en témoigner, une précieuse contribution.
Pour la première fois, on a vu un gouvernement admettre que, pour amorcer le moindre changement dans la situation des DOM, il est absolument indispensable de changer de méthode et de conception.
Et le changement de méthode a effectivement été mis en oeuvre. Nous n'avons pas assisté, comme nous y étions habitués, à un semblant de consultation portant sur un projet entièrement conçu et rédigé à Paris par des hauts fonctionnaires. Nous avons vu, au contraire, s'engager une véritable et très large consultation de toutes les forces vives des quatre DOM, notamment par l'intermédiaire - fait sans précédent ! - d'une mission parlementaire confiée par le Premier ministre à deux parlementaires d'outre-mer.
Et ce n'est qu'après des mois de dialogue et de concertation que l'avis officiel des assemblées locales a été recueilli.
On peut considérer, par conséquent, que ce projet de loi d'orientation a été, pour une part relativement importante, inspiré par les forces vives des départements concernés.
Il aurait d'ailleurs pu l'être davantage si le caractère innovant de la procédure n'avait quelque peu pris de court nombre de ceux qui l'appelaient de leurs voeux, ce qui s'est traduit, dans bien des cas, par le recueil tardif, voire hors délai, de nombre de propositions intéressantes.
Il aurait pu l'être davantage également si le déroulement de la consultation n'avait pas été, notamment dans les DFA, sérieusement perturbé par d'habiles manoeuvres politiciennes de diversion.
Ce changement de méthode est, bien entendu, déjà révélateur, à lui seul, d'un changement de conception dans l'abord des problèmes des DOM.
Mais ce changement de conception s'affirme davantage encore dans la volonté affichée par le Gouvernement de répondre concrètement aux aspirations qu'il perçoit partout en faveur d'une responsabilité locale accrue et d'une meilleure insertion régionale, de se prononcer aussi, clairement, pour la possibilité d'évolutions institutionnelles différenciées, tenant compte de la situation particulière de chaque DOM et des souhaits exprimés par sa population.
Il y a là une position qui tranche nettement avec toutes les formes de dérobades auxquelles on était habitué dans ce domaine, mais également avec une vision erronée de départements d'outre-mer aux réalités uniformes.
Le changement de conception s'affirme, enfin, également dans le parti qui a été pris, dans une même loi, de ne pas dissocier artificiellement problèmes économiques et problèmes institutionnels.
Il s'agit là d'une rupture radicale et salutaire avec le vieux discours selon lequel les questions institutionnelles relèvent de préoccupations purement politiques, voire idéologiques, et qu'elles font toujours peser, ne serait-ce que par leur seule évocation, les plus lourdes menaces sur l'activité économique.
Ce discours est devenu, à vrai dire, plutôt inaudible dans les trois DFA.
Et lorsque j'observe ce qui se passe en Martinique, je constate que de plus en plus nombreux sont les chefs d'entreprise qui se montrent extrêmement critiques à l'égard de l'actuel système institutionnel, un système dont l'incapacité à prendre en compte un certain nombre de réalités locales et régionales, dont le peu de souplesse et la grande complexité apparaissent comme autant de facteurs défavorables à l'initiative locale et aux contraintes d'une économie moderne.
Il est vrai que, si l'on veut voir jusqu'à quelles perversions peut conduire l'obsession jacobine de l'uniformité, il n'est que de se rendre dans les DOM et d'y observer la réalité que recouvre l'appellation de région monodépartementale, d'y étudier toutes les complications entraînées par la coexistence de deux exécutifs sur un même territoire, d'en évaluer le coût financier et d'en mesurer les conséquences sur l'activité économique.
On ne peut manquer, dès lors, de s'interroger sur le singulier aveuglement des élus qui, en 1982 - certains ne devraient pas l'oublier ! - préférèrent faire intervenir le Conseil constitutionnel pour obtenir un dispositif aussi aberrant, plutôt que d'accepter la seule solution logique qui s'imposait et que proposait le Gouvernement de l'époque, celle de l'assemblée unique, que certains semblent découvrir aujourd'hui.
Et l'on en vient, naturellement, à souhaiter que l'histoire ne se répète pas !
Les conditions dans lesquelles le volet institutionnel du projet de loi d'orientation est attaqué ne sont, hélas ! pas très rassurantes à cet égard.
Et s'il m'apparaît, après les avoir entendus, que certains collègues ont eu une sorte d'illumination sur les questions institutionnelles - elle est un peu tardive, mais c'est toujours ça ! -, il me semble que, pour autant, ils ne sont pas à l'abri de nouvelles formes d'aveuglement dans le débat actuel.
Que contient donc ce volet institutionnel ?
Tout d'abord, un certain nombre de dispositions qui tendent à conférer des compétences nouvelles aux collectivités locales dans l'action internationale.
Elles revêtent, selon moi, une grande importance, et je suis heureux que le Gouvernement ait suivi les propositions que Michel Tamaya et moi-même avions formulées sur ce point.
Ces dispositions vont en effet contribuer à ancrer de façon beaucoup plus forte chacun de nos départements dans son environnement géographique naturel.
J'ai déjà souligné l'attente qui existe chez nous à cet égard. Mais il faut savoir qu'il existe aussi une attente de nos voisins. S'ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter que nous jouions le rôle de facilitateurs d'échanges entre eux et la France - et du même coup l'Europe ! - ils ont tous beaucoup de mal à accepter que nous ne puissions entretenir des liens avec eux que par des intermédiaires.
La coopération régionale, jusqu'ici balbutiante, va enfin pouvoir prendre une autre dimension. De nouvelles perspectives de développement vont ainsi s'ouvrir pour les DOM ; fondées sur une vision nouvelle et moderne des atouts que constituent leur positionnement géographique et leur capacité à constituer de véritables pôles de compétences dans certains domaines.
J'ajoute que ces mesures constituent, à elles seules, une sorte de brèche dans la culture jacobine dominante et un signe important, parmi d'autres, d'une évolution dans la conception des rapports entre la France et nos départements.
Je me contenterai de les compléter, monsieur le secrétaire d'Etat, par un amendement tendant à instituer une instance de concertation des politiques de coopération régionale dans la zone Antilles-Guyane.
Le volet institutionnel prévoit, par ailleurs, d'autres transferts de compétences, essentiellement aux collectivités régionales. Ils concernent les routes nationales, l'exploitation des ressources naturelles de la mer et de son sous-sol, l'élaboration et la mise en oeuvre des programmes de prospection et de valorisation des ressources locales en énergies renouvelables.
Les collectivités départementales, elles, se voient rattacher les futurs offices de l'eau. Et l'on comprendra, évidemment, que je puisse regretter qu'elles n'aient pas été destinataires d'autres transferts, notamment dans le domaine du logement, comme cela était proposé dans le rapport de mission au Premier ministre.
Sur tout ce que je viens d'évoquer, l'on note, à vrai dire, très peu de réactions négatives, d'autant que, dès le départ, deux articles du volet institutionnel ont focalisé l'attention et suscité tellement de controverses que tout le reste du projet de loi d'orientation en a été plus ou moins occulté.
Il s'agit, d'une part, de l'article 38, qui concerne une disposition spécifique à la Réunion - la création dans cette île d'un second département - sur laquelle je laisserai volontiers argumenter mon collègue Paul Vergès.
Il s'agit, d'autre part, de l'article 39, sur lequel je tiens d'autant plus à m'exprimer que je revendique l'idée qui est à la base de son élaboration.
Que propose donc cet article de si incongru ou de si inquiétant pour qu'il ait pu concentrer sur lui un tel tir de barrage, dont on n'a d'ailleurs certainement pas fini d'entendre les dernières salves aujourd'hui, pour qu'il ait inspiré un tel florilège de raisonnements approximatifs et d'arguments contradictoires, pour qu'il ait pu, aux Antilles notamment, mobiliser un tel front du refus où on retrouve, bizarrement associés, les indépendantistes au grand complet, la plupart des défenseurs inconditionnels du statu quo - il en reste encore ! - un certain nombre de partisans d'une évolution institutionnelle plus ou moins radicale, mais également de vrais-faux autonomistes qui semblent s'être fait une spécialité des discours à géométrie variable : appel à Basse-Terre, mais signature ici des amendements qui dénoncent les autonomistes et les indépendantistes à la Réunion ?
Qu'y a-t-il, dans cet article 39, pour qu'on ait pu lui reprocher d'être sans intérêt, mais également de porter atteinte à la Constitution, d'avoir pour objet de freiner toute évolution institutionnelle, mais aussi d'être une porte dangereusement ouverte sur l'autonomie, voire l'indépendance ? Car on a entendu cela !
Eh bien, la cause de tout ce bruit et de toute cette fureur, c'est tout simplement la proposition qui est faite, en réponse à des aspirations dont on ne peut nier l'importance dans les DFA, d'inscrire dans la loi une méthode d'évolution institutionnelle de ces départements !
Une méthode parfaitement démocratique et transparente - c'est peut-être ce qu'elle a de gênant pour certains !
Une méthode qui ne laisse à personne d'autre qu'aux populations intéressées la faculté de se prononcer sur leur avenir et qui garantit aux DFA la possibilité de changer de statut indépendamment les uns des autres.
La procédure prévue assure une maîtrise locale de l'initiative par le biais du congrès, qui n'est rien d'autre que la réunion en assemblée plénière des élus du conseil général et du conseil régional, lorsqu'il s'agit de débattre des questions institutionnelles.
Une instance, donc, on ne peut plus représentative des citoyens concernés et qu'on ne peut sérieusement assimiler à une troisième assemblée. Elle n'a, en effet, ni caractère permanent, ni services propres, ni pouvoir décisionnel.
La procédure prévue assure également la maîtrise locale de la décision finale par la mise en oeuvre d'une consultation de la population concernée.
Il va de soi, évidemment, que rien ne peut obliger un gouvernement à prendre en compte une proposition élaborée dans les formes requises et avalisée, comme l'a souhaité le Conseil d'Etat - parce qu'il n'a pas souhaité autre chose - par les deux assemblées locales.
Mais à ceux qui me font cette objection - et qui se contentent de répéter inlassablement qu'ils veulent obtenir un changement de statut - je pose, à mon tour, la question : qu'est-ce qui peut obliger un gouvernement à prendre en compte une proposition élaborée autrement ?
Pour ma part, je reste persuadé qu'il sera bien difficile à un pouvoir politique, quel qu'il soit, de traiter par le mépris une proposition émanant d'une instance représentative et reconnue par la loi.
Le vrai problème, en réalité - et il a malheureusement échappé à nos collègues de la commission des lois, je le regrette - c'est aujourd'hui de prendre clairement position sur la question suivante : toute éventuelle évolution statutaire dans un DOM doit-elle s'opérer selon des voies réellement démocratiques ou doit-elle être l'affaire de minorités agissantes s'octroyant le droit de parler, de négocier et de décider à la place du peuple ?
Il est clair que ceux qui ont décidé d'opter pour la seconde solution ne peuvent que combattre la procédure prévue par l'article 39.
Et si l'on voit des élus qui, naguère, critiquèrent avec virulence le Conseil constitutionnel à propos de ses interprétations très restrictives de l'article 73 en arriver aujourd'hui à solliciter la saisine de cet organisme, il ne faut pas s'en étonner.
Au-delà du ridicule de ce rôle de gardiens sourcilleux de la Constitution qu'ils se donnent - mais gardiens à la vigilance sélective évidemment, selon les moments et selon ce qui les intéresse - ils poursuivent un but précis : plus que le congrès, qu'ils mettent en avant comme un leurre, ce qu'ils veulent à tout prix faire censurer, c'est la procédure de consultation des populations concernées qui y est associée.
Il reste évidemment que chacun, dans cette affaire, devra, le moment venu, assumer pleinement ses responsabilités.
Si j'ai estimé devoir m'étendre sur le volet institutionnel, et plus particulièrement sur l'article 39, c'est, bien entendu, uniquement parce qu'il m'est apparu que des mises au point s'avéraient nécessaires sur cette partie du projet de loi.
Cependant, je sais bien que c'est sur le volet économique et social que les attentes sont les plus fortes dans les quatre départements d'outre-mer, où malgré un rythme de croissance plus élevé qu'en métropole, le chômage et l'exclusion demeurent des préoccupations majeures.
Dans le temps qui me reste, il n'est évidemment pas question pour moi de procéder à une étude détaillée de tous les articles concernés mais de résumer à grands traits l'analyse que j'en fais.
En ce qui concerne tout d'abord le train de mesures économiques présenté, je crois qu'il importe de souligner son ampleur sans précédent.
Ainsi, le dispositif d'exonération de charges sociales patronales dépasse-t-il très largement, comme cela a été rappelé, celui qui figure dans la loi « Perben », d'abord par sa durée, ensuite par le niveau des exonérations, enfin par le nombre d'entreprises concernées.
En effet, de nouveaux secteurs sont couverts tels le tourisme, les nouvelles technologies de l'information et de la communication et, dans une certaine mesure, le bâtiment et les travaux publics. Ils viennent fort heureusement s'ajouter à ceux de l'industrie, de l'hôtellerie, de la restauration, de la presse, de la production audiovisuelle, de la pêche et de l'agriculture.
Mais, en réalité, c'est l'immense majorité des entreprises qui va bénéficier des mesures annoncées puisque, en dehors des secteurs précédents, elles s'appliquent à toutes les entreprises de moins de onze salariés. Or, et quoi que l'on ait pu entendre à ce sujet, il faut savoir que dans les départements d'outre-mer 95 % des entreprises comptent moins de dix salariés, la moyenne étant de deux salariés par entreprise.
C'est d'ailleurs de toute évidence dans ce secteur des petites entreprises que l'on peut escompter obtenir globalement le plus d'embauches. Je pense, à ce propos, aux besoins importants qui existent dans le secteur artisanal mais que des charges sociales trop lourdes empêchent de satisfaire.
Le coût de toutes ces mesures est, il faut le souligner, environ trois fois plus élevé que celui des mesures « Perben ». Il est par ailleurs entièrement supporté, on l'a dit, par le budget de l'Etat, ce qui n'était pas le cas des précédentes.
On est évidemment toujours tenté de proposer d'aller plus loin. Pour ma part, j'ai bien compris que nous touchions aux limites de l'enveloppe disponible ; aussi je me contenterai, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous proposer d'améliorer le dispositif pour les entreprises du secteur des nouvelles technologies de l'information et des communications que nous avons le plus grand intérêt à promouvoir dans nos départements.
Le volet économique contient d'autres dispositifs correspondant souvent à des besoins fortement exprimés par les acteurs locaux, tels ceux qui concernent la création d'entreprises indépendantes, notamment pour les jeunes chômeurs, ou visant à étendre les exonérations bénéficiant aux exploitants agricoles, ou encore à favoriser les exportations.
Il est complété par quelques autres mesures originales, toujours destinées à favoriser l'emploi, parmi lesquelles il faut souligner tout particulièrement l'intérêt du projet initiative-jeune.
Enfin, il prend en compte, comme nous l'avions vivement recommandé Michel Tamaya et moi-même, le problème des entreprises se trouvant en situation d'endettement lourd, en particulier en ce qui concerne leurs charges sociales et fiscales - elles sont extrêmement nombreuses, vous le savez.
Sur ce point, je déposerai, monsieur le secrétaire d'Etat, deux amendements visant l'arrêt des pénalités, majorations et intérêts de retard pendant la période de suspension des poursuites.
En ce qui concerne le volet social, je considère comme vous, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il n'était plus possible de renvoyer indéfiniment l'alignement du RMI. Le délai actuellement proposé de trois ans m'apparaît raisonnable pour amortir les éventuels effets pervers de la mesure.
Je me félicite en tout cas que, parallèlement, ait été prévu un intéressant dispositif destiné à encourager le retour à l'activité des RMistes. J'attire toutefois votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les conséquences qu'entraînera l'augmentation de l'allocation du RMI pour les budgets des conseils généraux. J'y reviendrai d'ailleurs au cours des débats.
Le projet de loi d'orientation contient encore diverses mesures intéressantes dans le domaine culturel et dans celui de l'habitat et du logement social, sur lesquelles j'interviendrai également dans la discussion des articles.
Enfin, des mesures sont prévues visant à améliorer les finances des collectivités locales. Je me félicite à cet égard du pouvoir conféré aux conseils généraux de fixer les taux du droit de consommation sur les tabacs et de prélever une partie des recettes.
Cependant, il faut bien avouer que, dans l'ensemble, ces mesures se révèlent insuffisantes lorsque l'on connaît la situation des collectivités locales des DOM et les responsabilités qu'elles assument. Il faudra donc trouver tôt ou tard d'autres dispositifs susceptibles de venir compléter ceux qui sont prévus dans l'actuel projet de loi.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce que je tenais à dire sur un projet de loi particulièrement dense et au travers duquel le Gouvernement a vraiment eu à coeur de s'attaquer à un grand nombre de problèmes et de répondre à beaucoup d'attentes.
Il ne pouvait, évidemment, être question de régler toutes les problèmes dans le cadre de la seule loi d'orientation. D'autres textes viendront, bien entendu, la compléter.
Celui qui m'apparaît le plus urgent concerne le volet relatif au financement de l'investissement. J'ai donc noté avec satisfaction l'engagement pris par le Gouvernement de faire voter un dispositif, actuellement en voie d'élaboration, au plus tard au moment de l'adoption de la prochaine loi de finances.
En définitive, ce qu'il me paraît essentiel de retenir de ce texte, au-delà de tout ce qu'il apporte pour redynamiser le tissu économique, favoriser l'emploi, corriger certaines inégalités et apporter d'indispensables améliorations sociales, c'est qu'il marque une rupture dans la manière d'appréhender les réalités des départements d'outre-mer.
Abandonnant définitivement une vision réductrice, passéiste et pessimiste de ces départements, il prend une autre orientation, et c'est en cela que son appellation prend tout son sens !
Il dégage l'accès à une autre voie : celle de la responsabilité. Une voie sur laquelle chacun des peuples concernés peut s'engager en choisissant le parcours et le pas qui s'accordent à ses plus profondes aspirations.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe socialiste et apparentés ne peut que voter ce texte. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Vergès applaudit également.)

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