Séance du 13 juin 2000
LOI D'ORIENTATION POUR L'OUTRE-MER
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'outre-mer (n° 342,
1999-2000). [Rapport n° 393 (1999-2000), avis n°s 403, 401, 394 (1999-2000) et
rapport d'information n° 361 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui et
qui a été adopté par l'Assemblée nationale le 11 mai dernier est la
concrétisation d'un engagement pris par le Gouvernement à l'automne 1998. Il
est le résultat d'une intense concertation conduite, d'abord, par l'élaboration
de plusieurs rapports sur lesquels le Gouvernement s'est appuyé : le rapport
Mossé sur les questions de développement économique, le rapport Fragonard sur
les questions sociales et d'insertion et le rapport élaboré à la demande du
Premier ministre par le député Michel Tamaya et votre collègue Claude Lise.
Pour ce dernier rapport, ce sont près de mille deux cents personnes qui ont
été consultées. Les assemblées de chaque département ont été saisies à deux
reprises. Les sociétés locales dans leurs différentes composantes -
économiques, associatives - se sont exprimées. Les propositions ont été
nombreuses : plus de deux cents ont été reçues au secrétariat d'Etat.
Ce projet de loi exprime la volonté du Gouvernement de marquer une nouvelle
étape pour les départements d'outre-mer. Cette étape est, à mes yeux, un
tournant sans précédent depuis la loi de départementalisation de 1946. Celle-ci
répondait à une exigence d'égalité : à l'époque, l'assimilation - c'est le mot
qui revient dans les débats - était recherchée pour rattraper les retards de
l'outre-mer par rapport à la métropole, une assimilation qui appelait déjà,
selon les propos de Gaston Monnerville à l'Assemblée constituante, « des
aménagements pour ces départements lointains », afin de tenir compte de leur
identité dans la République.
D'autres grandes figures se sont exprimées dans les débats de 1946 : Raymond
Vergès, Léopold Bissol et Aimé Césaire, le rapporteur, jeune député qui
concluait en appelant à « cette fraternité agissante aux termes de laquelle il
y aura une France plus que jamais unie et diverse, multiple et harmonieuse
».
Ainsi, plus de cinquante ans après, il s'agit de renouveler le pacte
républicain avec l'outre-mer en tenant compte des acquis indéniables de la
départementalisation.
Les défis sont nombreux : économiques, sociaux, culturels, politiques. Les
attentes sont fortes dans les sociétés locales, même si elles sont parfois
contradictoires. Elles s'expriment dans une double demande de développement et
de responsabilité. Au travers de ce débat, nous devons nous efforcer d'y
répondre. Les rapports de vos commissions, que je tiens à remercier pour la
qualité de leur travail, permettront d'y contribuer.
Le premier défi est celui de l'emploi. Nous connaissons les données. D'abord,
le taux de chômage est trois fois plus important qu'en métropole. Sur les douze
derniers mois, on constate une tendance à la baisse du nombre des demandeurs
d'emploi, mais beaucoup moins prononcée qu'en métropole. Parallèlement, le
pourcentage d'allocataires du RMI est cinq fois supérieur à celui que connaît
la métropole et il reste, lui, en progression.
A l'énoncé de ces simples pourcentages, on pourrait craindre que les sociétés
d'outre-mer ne s'enfoncent dans le mal-développement et l'assistance. Il faut
toutefois apporter des nuances, qui sont autant d'éléments d'analyse.
Nos départements d'outre-mer font preuve, en effet, d'un réel dynamisme : leur
taux de croissance est supérieur à celui de la métropole. Cependant, ils
doivent absorber une jeunesse proportionnellement plus nombreuse. Quant au RMI,
il vient, comme l'a souligné le rapport Fragonard, compenser pour partie une
moindre couverture par l'assurance chômage.
On connaît les handicaps structurels des économies d'outre-mer : l'éloignement
qui accroît les charges du transport, l'étroitesse des marchés, le coût du
travail plus élevé que dans les pays voisins... Mais, trop souvent, on oublie
de parler des atouts : la formation des jeunes, la qualité des services
publics, l'esprit d'initiative des entrepreneurs, la vitalité de la démocratie,
l'appartenance à la France et à l'Europe... Comment valoriser ces atouts plutôt
que de se complaire dans la litanie des retards ?
Il y a, d'abord, l'indispensable solidarité de la France et de l'Europe. Elle
sera effective avec les contrats de plan et les fonds structurels pour la
période 2000-2006. Au total, pour ces sept ans, les départements d'outre-mer
bénéficieront de près de 30 milliards de francs de l'Etat et de l'Europe, soit
une augmentation de plus de 50 % par rapport à la période précédente. A ces
crédits s'ajouteront ceux des collectivités territoriales. Il y a là un
véritable levier pour le développement.
Je suis pleinement conscient de la nécessité de bien utiliser ces crédits, de
veiller à une dépense efficace. C'est dans cette direction que plusieurs
dispositions ont été proposées par votre commission des lois et que nous
travaillerons avec les élus locaux, lesquels se sont pleinement engagés dans la
préparation des contrats de plan et des documents de programmation à l'échelon
européen. Je veux aussi saluer l'effort des administrations d'Etat qui, sur le
terrain, travaillent au développement et au respect de l'état de droit.
Les orientations principales du projet de loi d'orientation visent à
accompagner l'effort d'investissement des collectivités publiques. Je veux les
rappeller, sans entrer dans les détails puisque nous les examinerons article
par article, en insistant sur quatre points.
Le premier concerne l'abaissement du coût du travail.
Celui-ci sera abaissé dans les départements d'outre-mer par une exonération à
100 % des cotisations patronales de sécurité sociale dans la limite de 1,3
SMIC. Seront concernées 95 % des entreprises, c'est-à-dire toutes celles du
secteur dit exposé, quel que soit leur effectif, et toutes celles qui
comprennent moins de onze salariés, quel que soit leur secteur d'activité.
Ainsi, seront couverts 115 000 salariés, contre 44 000 aujourd'hui au titre de
la loi du 25 juillet 1994. S'y ajouteront tous les employeurs et travailleurs
indépendants, soit 55 000 personnes.
Ce dispositif est aussi simple que notre droit social le permet. Il
contribuera notamment à développer les petites et moyennes entreprises et à
leur permettre de concrétiser leur potentiel de création d'emplois qui est
aujourd'hui grevé par la concurrence du travail dissimulé. Un dispositif
progressif permettra d'atténuer les effets de seuil qui resteront limités par
le fait que la très grande majorité des entreprises d'outre-mer ont un effectif
moyen inférieur à deux salariés.
Jamais aucun Gouvernement n'était allé aussi loin dans la lutte contre le
chômage et contre le travail dissimulé.
Le dispositif que je vous propose d'adopter représente un engagement financier
de l'Etat quatre fois supérieur à celui qui est en vigueur depuis 1994, soit, à
lui seul, un coût de 3,5 milliards de francs. Il ne sera pas limité dans le
temps, pas plus qu'il ne sera financé, comme c'était le cas précédemment, par
une majoration de la TVA outre-mer, c'est-à-dire par un impôt sur la
consommation.
Le deuxième point concerne la lutte contre le chômage des jeunes.
Le projet de loi d'orientation prévoit deux grandes mesures en faveur de
l'emploi des jeunes.
D'une part, le projet initiative-jeune, qui permettra d'octroyer une aide d'un
montant pouvant atteindre 50 000 francs par projet aux jeunes de moins de
trente ans qui créeront ou reprendront une entreprises ou qui poursuivront une
formation professionnelle hors de leur département.
D'autre part, le congé solidarité, qui fait appel à la solidarité entre les
générations et qui mettra en oeuvre un système de préretraites contre embauches
de jeunes en contrats à durée indéterminée. Il sera ouvert, sous certaines
conditions, aux salariés de plus de cinquante-cinq ans dans les entreprises qui
seront passées effectivement aux 35 heures. Ce dispositif pourra être financé
jusqu'à 60 % par l'Etat, jusqu'à 15 % par les entreprises et jusqu'à 25 % par
les collectivités locales.
Il s'agit, ensuite, de lutter contre l'exclusion, et ce sera mon troisième
point.
Le projet de loi d'orientation vise à réinsérer sur le marché du travail ceux
qui en sont aujourd'hui exclus. Deux mesures principales doivent être mises en
exergue.
D'une part, l'allocation de retour à l'activité, qui a pour objet de favoriser
la réinsertion professionnelle des bénéficiaires de minima sociaux qui, pendant
deux ans, pourront cumuler celle-ci avec les revenus tirés d'une activité
rémunérée en entreprise ou chez un particulier.
D'autre part, le titre de travail simplifié, qui se substituera au chèque
emploi-services et permettra d'alléger considérablement les formalités
d'embauche.
Bien évidemment, et afin que ces dispositions produisent leur plein effet, le
Gouvernement a prévu des mesures de contrôle et de maîtrise des dispositifs
actuels, notamment en ce qui concerne le revenu minimum d'insertion.
Enfin, et c'est le quatrième point de ce volet économique et social, le
Gouvernement a choisi de reprendre le chemin de l'égalité sociale.
Des revendications très fortes se sont exprimées dans ce sens, notamment à la
Réunion. L'alignement du RMI à échéance de trois ans a été décidé, à l'issue du
débat à l'Assemblée nationale.
Pour autant, le Gouvernement n'entend pas réduire les crédits pour le logement
et l'insertion qui résultaient en inscriptions budgétaires du différentiel avec
la métropole, c'est-à-dire quelque 860 millions de francs en 2000. Le
Gouvernement les rétablira au titre des budgets ultérieurs. Il a également
prévu un alignement des barèmes de l'allocation logement.
Je veux également vous préciser, s'agissant de l'organisation des transports
dans les trois départements français d'Amérique, que le Gouvernement a choisi
de ne pas légiférer par ordonnances afin de poursuivre la concertation avec les
collectivités locales et les transporteurs. Je déposerai un amendement
permettant que les autorisations et conventions en vigueur soient prorogées
pendant un délai de dix-huit mois, délai nécessaire à l'élaboration d'un
dispositif légistalif prenant en compte les particularismes de l'organisation
des transports interurbains dans les départements d'outre-mer.
Ce même amendement prévoira également une modification des règles de
répartition du FIRT le fonds d'investissement routier des transports : 3 % de
son montant seront ainsi affectés aux transports urbains dans les
Antilles-Guyane afin de permettre leur fonctionnement.
Le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, et c'est son deuxième grand
axe, reconnaît la place des départements d'outre-mer dans la République. A
plusieurs égards, il permet d'engager cette « voie de la responsabilité » que
MM. Lise et Tamaya appelaient de leurs voeux.
C'est, en premier lieu, par la valorisation des identités d'outre-mer,
notamment des langues en usage dans cette partie du territoire national.
L'accès à la culture, aux échanges et aux productions culturelles sera
développé. Une attention toute particulière sera portée aux nouvelles
technologies de l'information et de la communication, qui offrent des
perspectives de développement et d'échanges qu'il faut explorer.
C'est également en consolidant l'insertion des départements d'outre-mer dans
leur environnement régional que la France tout entière pourra améliorer son
rayonnement international. La coopération avec les Etats qui sont proches des
départements et des régions d'outre-mer sera désormais possible et sera très
largement de la responsabilité des élus locaux. Je sais que votre commission
des lois a approuvé ces propositions, en les enrichissant, et je m'en
félicite.
De plus, l'approfondissement de la décentralisation ouvre la voie au transfert
de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, en matière de routes
nationales, de gestion et de conservation des ressources biologiques ou de
gestion de l'eau. L'Etat sera au côté des collectivités territoriales,
notamment du point de vue financier, mais également sur le plan technique, pour
les aider à exercer leurs missions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces dispositions ont retenu une écoute
favorable de vos commissions, qui ont souvent cherché à les améliorer. Il faut
toutefois, sur le plan financier, se garder du « toujours plus ». Au total,
l'effort consenti en faveur de l'outre-mer dépasse les 5 milliards de francs,
sans contrepartie au niveau budgétaire. C'est donc un engagement financier qui,
vous le comprendrez, ne peut être augmenté.
Enfin, je rappelle à votre assemblée que le volet « aide fiscale à
l'investissement », s'il ne figure pas dans le projet de loi qui vous est
présenté aujourd'hui, fera l'objet de propositions d'amélioration de la part du
Gouvernement avant la fin de cette année.
Le Premier ministre est soucieux qu'une réflexion soit préalablement menée
afin de recueillir les aspirations des milieux économiques de l'outre-mer. Un
groupe de travail associant les partenaires professionnels et les représentants
des ministères concernés s'est déjà réuni à deux reprises. Je vous confirme
l'engagement du Gouvernement : le nouveau dispositif, destiné à répondre aux
principales critiques formulées à l'encontre du régime issu de la loi de 1986,
dite loi Pons, tout en consolidant le principe de l'aide fiscale à
l'investissement outre-mer, sera présenté au Parlement dans le cadre du projet
de loi de finances pour 2001. Il permettra ainsi de conjuguer les dispositions
de la loi d'orientation et les mesures visant à améliorer les capacités de
financements des projets outre-mer.
J'en viens aux articles 38 et 39 du projet de loi, qui sont, à mes yeux,
porteurs de réformes essentielles pour l'avenir de la Réunion, d'une part, et
des trois départements français d'Amérique, d'autre part.
S'agissant de l'article 38 et du projet de création d'un deuxième département
à la Réunion, votre commission des lois, tout en considérant - ce qui figure
d'ailleurs dans l'exposé des motifs du projet de loi d'orientation - qu'un tel
projet « pourrait être justifié par des considérations relatives à l'évolution
démographique ou à l'aménagement du territoire », propose sa suppression au
motif qu'une telle réforme « ne devrait être envisagée que si elle rencontrait
l'accord unanime des élus réunionnais ». La commission des lois considère
également que cette réforme devrait recueillir l'adhésion de la population ;
deux sondages récents indiquent qu'elle n'y est pas majoritairement
favorable.
Depuis vingt ans, les principaux élus de la Réunion se sont prononcés à un
moment ou à un autre en faveur de la bidépartementalisation. J'y vois d'abord
leur souci de se rapprocher du modèle régional métropolitain et de prendre en
compte les déséquilibres existants à la Réunion entre le nord et le sud de ce
département.
S'il est exact qu'en mars dernier le conseil régional et le conseil général
ont, chacun à une courte majorité, émis un avis défavorable, la vérité oblige,
là encore, à relever que ces votes portaient davantage sur les modalités que
sur le principe même de la bidépartementalisation.
Le Gouvernement a tenu compte de ces votes en proposant de nouvelles limites
territoriales pour les deux futurs départements. L'article 38 du projet de loi,
tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, affirme le principe de la
création d'un second département avant la fin de la législature et renvoie à un
texte ultérieur le soin d'en définir les modalités précises, ce qui laisse la
place à la concertation.
Je dois rappeler que treize des vingt-quatre maires et sept des huit
parlementaires que compte la Réunion se sont prononcés en faveur de la
bidépartementalisation. Le Gouvernement est, pour sa part, convaincu du
bien-fondé d'une telle réforme, laquelle a été approuvée à deux reprises par le
Président de la République, notamment à l'occasion d'un déplacement à
Saint-Denis, le 3 décembre 1999.
Quant à la consultation des populations, elle ne peut pas s'imposer,
s'agissant d'un alignement sur le droit commun ou d'un rapprochement de ce
dernier. Les formations politiques pourront, bien sûr, défendre le bien-fondé
de leurs positions à l'occasion des échéances électorales régulières.
Cette bidépartementalisation proposée pour la Réunion marque déjà le souci du
Gouvernement de parvenir à une évolution différenciée pour les autres
départements d'outre-mer. J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises :
le temps du « moule unique » a vécu. Il faut imaginer des formules propres à
chaque territoire. C'est ce qui a été fait en 1985, dans des circonstances
différentes, pour l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, et certaines
dispositions du présent projet de loi permettront de compléter les mesures qui
s'y appliquent. C'est ce qui est en cours pour Mayotte, avec la consultation
prévue pour le 2 juillet prochain.
S'agissant des territoires d'outre-mer, qui relèvent de l'article 74 de la
Constitution, la révision constitutionnelle que vous avez adoptée a permis de
doter la Nouvelle-Calédonie d'un titre spécifique dans notre loi fondamentale.
Une démarche identique a été lancée pour la Polynésie française. La
concertation débute aussi à Wallis-et-Futuna sur les modifications du statut,
qui date de près de quarante ans.
Ainsi, l'architecture de notre droit de l'outre-mer s'en trouve profondément
modifiée. Certains juristes regretteront l'ordonnancement traditionnel des
jardins à la française. Mais n'est-il pas du devoir du législateur que
d'anticiper les évolutions, de leur donner un cadre souple plutôt que de devoir
subir le poids d'événements douloureux ?
Le Gouvernement auquel j'appartiens reconnaît donc aux collectivités
d'outre-mer le droit à l'évolution statutaire dans la République.
Il s'agit bien d'un droit et non d'une obligation. Autrement dit, nous devons
respecter la volonté, là où elle s'exprime, de ceux qui veulent rester dans le
cadre de l'article 73 de la Constitution. En tout cas, c'est, à la Réunion, un
point qui ne fait pas litige entre toutes les forces politiques qui se sont
exprimées sur la bidépartementalisation : il y a en effet, à la Réunion,
unanimité pour rester dans le cadre de l'article 73 de la Constitution.
Dans les trois autres départements que sont la Martinique, la Guadeloupe et la
Guyane, les évolutions souhaitées doivent faire l'objet d'un débat, qui doit se
dérouler dans un cadre démocratique, transparent et organisé. Le temps n'est
plus aux décisions imposées depuis Paris. Je ne crois pas non plus qu'une
simple déclaration, fût-elle de trois présidents de région, suffise à
enclencher des évolutions statutaires.
L'article 39 du projet de loi définit donc une méthode, celle du congrès,
c'est-à-dire de la réunion de deux assemblées procédant dans chaque département
d'outre-mer du suffrage universel. On ne peut reprocher à ce gouvernement
d'avoir maintenu sur le même territoire deux légitimités démocratiques. Je vous
rappelle que, en 1982, le projet de loi établissant l'assemblée unique n'a pas
été accepté par le Conseil constitutionnel. Et ce sont bien les parlementaires
de droite qui, à l'époque, avaient saisi ce dernier pour aboutir à ce que
l'assemblée unique ne se mette pas en place. On ne peut donc demander
aujourd'hui au Gouvernement de modifier unilatéralement cette situation qui
résulte, à la lettre, d'une impasse juridique.
La commission des lois et le groupe du RPR proposent non pas de modifier
l'article 39 mais purement et simplement de le supprimer. On peut s'interroger
sur leurs raisons.
Au groupe du RPR, je voudrais rappeler les déclarations du Président de la
République, dans son discours prononcé à la Martinique le 11 mars 2000 :
L'évolution des règles statutaires est « dans la nature des choses » ; la
politique de l'outre-mer ne peut plus « être appliquée de façon uniforme » ; «
toute modification statutaire substantielle [doit être] explicitement approuvée
par les populations concernées. »
A la commission des lois, je voudrais montrer le formidable paradoxe qu'il y a
à considérer, comme l'écrit son excellent rapporteur, M. Balarello, que cet
article 39 ne serait pas « à la hauteur des fortes espérances qu'il a suscitées
parmi les populations des départements d'outre-mer » et à proposer
simultanément sa suppression, ce qui revient justement à interdire aux
populations d'outre-mer de pouvoir s'exprimer.
En fait, comme l'ont souhaité tous les élus d'outre-mer, comme le propose le
Gouvernement, comme l'a, semble-t-il, approuvé le Président de la République,
comme l'a voté l'Assemblée nationale, la question est aujourd'hui de savoir,
mesdames, messieurs les sénateurs, si vous acceptez ou non que les populations
des départements d'outre-mer puissent être consultées sur tout projet visant à
les faire sortir du cadre départemental actuel.
Si la réponse du Sénat est négative, alors toute démarche d'évolution
statutaire dont l'initiative viendrait de l'outre-mer serait bloquée. Mais si,
comme je l'espère, vous considérez, dans l'inspiration du préambule de la
constitution de 1946, que ce droit doit être reconnu aux populations de toutes
les collectivités d'outre-mer, alors nous pourrons discuter sereinement des
modalités d'application de l'article 39, et nous tomberons rapidement d'accord
pour constater qu'elles en découlent de façon logique.
Comment imaginer, en effet, qu'une consultation des populations puisse se
dérouler sans que celles-ci aient été préalablement informées des tenants et
des aboutissants des projets d'évolution ? Il s'agit là d'une exigence morale
et d'une obligation constitutionnelle, car toute consultation - le Conseil
constitutionnel vient de le rappeler à propos de Mayotte - fût-elle pour avis,
doit être claire et loyale.
C'est à dessein que j'évoque « des » projets institutionnels et non « un »
seul projet institutionnel, car telle est bien la réalité du débat dans les
départements français d'Amérique. Je ne doute d'ailleurs pas que les sénateurs
de chacun de ces départements auront le souci de l'exposer à la tribune et de
l'enrichir, et je ne manquerai pas de leur répondre en fin de discussion
générale.
Pour les départements d'outre-mer, il n'y a pas plus de modèle unique à
promouvoir que de pensée unique à imposer. Le fait que certaines positions
puissent s'exprimer de façon plus bruyante que d'autres, trouvant par là
davantage d'échos à Paris, ne peut changer cette réalité.
Pour sa part, le Gouvernement souhaite laisser à chaque département
d'outre-mer la possibilité de débattre de son avenir. Mais il juge nécessaire
que ce débat se déroule dans un cadre organisé par la loi, car, à défaut, nous
prendrions le risque qu'il ait lieu ailleurs.
C'est pourquoi le Gouvernement a repris la proposition de congrès de MM. Lise
et Tamaya, qui repose sur deux constats.
Tout d'abord, les deux parlementaires ont relevé que, dans les trois
départements français d'Amérique, cette pratique avait commencé d'être mise en
oeuvre : en Guyane, à plusieurs reprises, et ce depuis 1994 ; en Martinique, où
les deux présidents d'exécutif ont rendu public un échange de courriers par
lesquels ils proposaient la réunion de leurs deux assemblées pour débattre de
l'évolution institutionnelle ; en Guadeloupe, enfin, où votre collègue
présidente de la région, Mme Michaux-Chevry, a également proposé une démarche
analogue à son homologue du conseil général.
Il s'agit donc non pas d'innover mais plutôt de confirmer une démarche.
Certains diront qu'il n'y avait pas besoin de la loi pour ce faire. J'ai la
faiblesse de penser tout de même que la loi conforte la démarche d'évolution
et, en tout cas, lui donne toutes les garanties démocratiques.
MM. Lise et Tamaya ont donc souhaité donner aux assemblées locales des
départements d'outre-mer un pouvoir d'initiative en matière d'évolution
statutaire, alors que, aujourd'hui, leur capacité de proposition reste limitée
à la simple adaptation des lois et des règlements.
Votre vote sur l'article 39 du projet de loi ne sera donc pas dissociable de
ces interrogations fondamentales : mesdames, messieurs les sénateurs,
acceptez-vous le principe même de l'évolution institutionnelle des départements
d'outre-mer ? Acceptez-vous que cette évolution provienne d'un débat mené à
l'échelon local et conduit devant l'ensemble de la population qui sera, à un
moment, appelée à se prononcer ? Les évolutions qui sont intervenues - je pense
aux plus récentes que nous avons eues à examiner ici - procèdent d'un consensus
local. Tel a d'ailleurs été le cas en Nouvelle-Calédonie au travers de l'accord
de Nouméa et de sa traduction sur le plan juridique.
Je me suis attardé sur l'aspect institutionnel parce que l'article 38 sur la
bidépartementalisation de la Réunion et l'article 39 sur le congrès ont retenu
l'attention de la commission des lois.
Certes, tout ne se réduit pas au débat institutionnel, et ce projet de loi a
bien d'autres ambitions. Mais il serait dommageable que l'outre-mer, qui a
besoin de mesures urgentes, fasse les frais de nos querelles partisanes dans
l'Hexagone.
Je souhaite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce débat, qui est
retransmis dans nos départements d'outre-mer, montre que les sentiments qui
nous unissent sont plus forts et que nous voulons écrire une nouvelle page de
notre histoire commune avec l'outre-mer, une page où se renforce le modèle
républicain qui nous rassemble.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE. - M.
Hoeffel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est
aujourd'hui saisi d'un projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, adopté par
l'Assemblée nationale en première lecture le 11 mai 2000.
La commission des lois du Sénat, qui a toujours porté un intérêt marqué à
l'outre-mer, a tenu pour sa part à préparer l'examen de cet important texte en
effectuant deux missions sur place.
Le projet de loi d'orientation répond à un double objectif : d'une part,
répondre aux handicaps structurels qui freinent le développement économique des
départements d'outre-mer aujourd'hui affectés, comme M. le secrétaire d'Etat
l'a rappelé, d'un chômage trois fois supérieur à celui de la métropole en dépit
d'une croissance plus rapide ; d'autre part, approfondir la décentralisation et
ouvrir le débat sur les questions institutionnelles.
C'est la raison pour laquelle le premier volet est économique et social et
vise à favoriser la création d'emplois dans les départements d'outre-mer grâce
à l'amélioration de la compétitivité des entreprises et à des mesures destinées
aux jeunes et au renforcement de la lutte contre les exclusions.
Outre diverses dispositions destinées à garantir une meilleure reconnaissance
de l'identité culturelle des départements d'outre-mer, le deuxième volet du
projet de loi, de caractère institutionnel, tend à favoriser l'insertion de ces
territoires dans l'environnement régional en rendant possible la coopération
décentralisée des régions ou des départements avec les Etats voisins et à
transférer des compétences et des ressources nouvelles aux collectivités
territoriales. Enfin, il prévoit la création d'un second département à la
Réunion et la mise en place, dans les régions d'outre-mer monodépartementales,
d'un congrès réunissant le conseil général et le conseil régional et chargé de
débattre de propositions d'évolution statutaire.
Ces dispositions, de natures très diverses, relèvent des compétences de
plusieurs commissions permanentes du Sénat. Aussi, si la commission des lois
est saisie au fond, les commissions des affaires culturelles, des affaires
économiques et des affaires sociales sont saisies pour avis.
La commission des lois s'en remettra à l'appréciation des commissions saisies
pour avis dans les domaines qui relèvent de leurs compétences et concentrera
ses observations sur les dispositions de nature institutionnelle.
Par ailleurs, sur l'initiative de son président, M. Jacques Larché, elle a
décidé de saisir de ce projet de loi d'orientation la délégation aux droits des
femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la commission des lois a dressé un
bilan approfondi de la situation actuelle des départements d'outre-mer dans le
compte rendu établi à la suite de ses deux récentes missions dans ces
départements. Je vous renvoie donc, sur ce point, aux développements figurant
dans le rapport d'information présentant le compte rendu de ces missions, qui
vient d'être publié.
Nous en rappellerons simplement quelques données essentielles.
Nous avons constaté, tout d'abord, une grande diversité, qui s'explique par
des réalités géographiques et des héritages historiques différents. Ainsi, la
situation de la Guyane, immense territoire de 90 000 kilomètres carrés placé au
sein du continent sud-américain et presque entièrement couvert par la forêt
équatoriale - mais où est implanté le centre spatial de Kourou -, se distingue
profondément de celle de la Martinique ou de la Guadeloupe, petites îles
fortement peuplées placées au coeur de l'archipel caraïbe, ou encore de celle
de la Réunion, dans le sud-ouest de l'océan Indien.
Nous avons également constaté sur place une situation économique et sociale
préoccupante. En effet, malgré une croissance du produit intérieur brut
sensiblement supérieure à celle que connaît la métropole, les créations
d'emplois y sont insuffisantes pour faire face à un accroissement démographique
en moyenne quatre fois plus rapide qu'en métropole. Il en résulte un chômage
très élevé, qui atteint environ 30 % de la population active et frappe tout
particulièrement la jeunesse.
En outre, 15 % environ de la population des départements d'outre-mer relèvent
aujourd'hui du RMI, contre 3 % en métropole.
Certes, le niveau de vie y est très supérieur à celui des pays environnants,
mais cette situation est largement imputable aux transferts publics assurés par
la métropole, qui peuvent être évalués entre 35 % et 50 % du PIB.
Les économies des départements d'outre-mer sont donc marquées par une forte
dépendance à l'égard de ces transferts publics, d'autant que leur développement
est handicapé par une compétitivité insuffisante par rapport à leur
environnement géographique, le coût du travail y étant généralement de cinq à
six fois inférieur.
Le cadre juridique commun des départements d'outre-mer est défini par les
articles 73 de la Constitution et 299-2 du traité d'Amsterdam.
La Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion relèvent aujourd'hui du
statut de département d'outre-mer, issu de la loi de départementalisation du 19
mars 1946 et défini par l'article 73 de la Constitution.
Par ailleurs, les départements d'outre-mer français sont intégrés à l'Union
européenne, au sein de laquelle ils constituent, au regard du droit
communautaire, des régions ultrapériphériques au sens de l'article 299-2 du
traité d'Amsterdam.
Le statut constitutionnel des départements d'outre-mer est actuellement défini
par l'article 73 de la Constitution, aux termes duquel « le régime législatif
et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire
l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière
».
En application du principe dit de l'« assimilation législative », les lois
métropolitaines sont applicables de plein droit dans les départements
d'outre-mer, de même que dans la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon, sans qu'une mention expresse d'extension ne soit
nécessaire, à la différence des territoires d'outre-mer, de la
Nouvelle-Calédonie ou de la collectivité territoriale de Mayotte, qui sont,
pour leur part, soumis au principe dit de la « spécialité législative ».
Les départements d'outre-mer constituent donc des départements de droit
commun, sous réserve des mesures d'adaptation prévues par l'article 73 de la
Constitution, dont la jurisprudence du Conseil constitutionnel a toutefois
limité la portée. Celui-ci a en effet notamment considéré, dans une décision du
2 décembre 1982, que « le statut des départements d'outre-mer doit être le même
que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures
d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces
départements d'outre-mer ; que ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de
conférer aux départements d'outre-mer une "organisation particulière", prévue
par l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d'outre-mer
».
Comme vous l'avez rappelé à l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat, ce
raisonnement avait alors conduit le Conseil constitutionnel à refuser la mise
en place dans les départements d'outre-mer d'une assemblée unique, qui lui
était apparue aller au-delà des mesures d'adaptation autorisées par l'article
73 de la Constitution.
En application de cette jurisprudence, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique
et la Réunion constituent, depuis 1982, des régions monodépartementales dotées
de deux assemblées distinctes, toutes deux élues au suffrage universel.
Les départements d'outre-mer bénéficient, par ailleurs, du statut de région
ultrapériphérique défini par l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, qui s'est
substitué à l'ancien article 227-2 du traité de Rome et dont il importe de
rappeler la rédaction dans la mesure où de nombreux orateurs y feront sans
doute allusion dans ce débat : « Les dispositions du présent traité sont
applicables aux départements français d'outre-mer, aux Açores, à Madère et aux
îles Canaries. »
C'est ainsi que les DOM bénéficient de régimes d'aides communautaires
spécifiques et de crédits considérables au titre des fonds structurels
européens.
Le montant des crédits ainsi alloués aux départements français d'outre-mer
atteindra plus de 23 milliards de francs pour la période 2000-2006, auxquels
viendront s'ajouter les fonds de concours de l'Etat et des collectivités
locales.
Cependant, n'excluant pas une réforme constitutionnelle, la commission des
lois, dans le cadre de ses réflexions sur une éventuelle évolution statutaire
des DOM, a jugé important de comparer leur statut avec celui des Açores, de
Madère et des Canaries, qui bénéficient, au regard du droit communautaire, du
même régime juridique particulier aux régions ultrapériphériques.
Les archipels portugais des Açores et de Madère bénéficient de statuts
particuliers d'autonomie fondés sur l'article 6 de la Constitution portugaise,
aux termes duquel : « Les archipels des Açores et de Madère constituent des
régions autonomes dotées de statuts politiques et administratifs et d'organes
de gouvernement qui leur sont propres. »
Madère, comme je l'indique dans mon rapport écrit, a des compétences
législatives et des compétences au niveau des relations internationales.
Par ailleurs, les îles Canaries, possession espagnole, constituent une «
communauté autonome » reconnue par l'article 143 de la Constitution espagnole,
au même titre que les autres régions espagnoles.
On constate que les régions ultrapériphériques espagnoles et portugaises
jouissent d'une beaucoup plus large autonomie que les départements d'outre-mer
français, ce qui ne les empêche pas de bénéficier de l'intégration européenne
et des fonds correspondants.
Après ces quelques précisions, revenons au projet de loi d'orientation qui
nous est soumis.
Avant d'en présenter les dispositions, il n'est pas inutile de rappeler les
principales propositions formulées dans les différents rapports préparatoires
qui ont servi de base à son élaboration.
Au cours de plusieurs mois de préparation, comme vous l'avez indiqué, monsieur
le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a chargé plusieurs personnalités de lui
remettre des rapports sur différentes questions intéressant les départements
d'outre-mer.
Le premier de ces rapports a été remis en février 1999 par Mme Eliane Mossé,
économiste, qui s'est penchée sur les possibilités de réforme du régime de
surrémunérations dans la fonction publique de l'Etat, ainsi que sur les moyens
de parvenir à une utilisation plus efficace des fonds structurels
communautaires.
Un deuxième rapport vous a été remis, monsieur le secrétaire d'Etat, par M.
Bertrand Fragonard, conseiller-maître à la Cour des comptes, qui était chargé
de réfléchir aux mesures susceptibles de permettre une amélioration de la
situation de l'emploi dans les départements d'outre-mer.
Le troisième rapport établi dans la perspective de la préparation du projet de
loi d'orientation émane de MM. Claude Lise, notre collègue sénateur de la
Martinique, et Michel Tamaya, député de la Réunion, à qui le Premier ministre
avait demandé de réfléchir à un approfondissement de la décentralisation dans
les départements d'outre-mer, en limitant toutefois le champ de cette réflexion
au double cadre juridique résultant de l'article 73 de la Constitution et de
l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, ce qui constitue la principale
difficulté de l'exercice, car elle exclut toute révision de la Constitution du
4 octobre 1958.
Ce rapport, remis au Premier ministre en juin 1999, propose un accroissement
des responsabilités locales par le transfert de nouvelles compétences aux
collectivités territoriales, départements et régions.
Les deux parlementaires préconisent, en outre, une clarification des
compétences entre la région et le département, en recentrant les compétences de
la région sur la planification et les aides économiques et en renforçant celles
du département dans les domaines social, éducatif et culturel.
Ils formulent également diverses propositions tendant à une amélioration du
système fiscal.
Enfin, estimant ne pouvoir envisager dans l'immédiat, en l'absence de
modification de l'article 73 de la Constitution, des changements
institutionnels tels que la mise en place d'une assemblée unique - ce qu'avait
refusé en 1982 le Conseil constitutionnel - MM. Lise et Tamaya proposent
d'ouvrir la perspective d'une évolution institutionnelle par la mise en place
d'une nouvelle institution et non d'une troisième assemblée, le Congrès,
réunion non permanente des deux assemblées délibérantes, le conseil général et
le conseil régional.
Le projet de loi qui nous est soumis reprend l'essentiel de ces
propositions.
Signalons enfin, pour être exhaustifs, que le Gouvernement a reçu deux autres
rapports qu'il avait demandés à MM. Seners et Thuau, de portée géographique
plus limitée, concernant respectivement les « îles du Nord » rattachées à la
Guadeloupe - Saint-Barthélémy et Saint-Martin - et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Examinons maintenant le projet de loi proprement dit.
Le projet de loi d'orientation reprend diverses propositions formulées dans le
cadre de ces rapports préparatoires.
Outre un article préambule affirmant notamment la priorité donnée au
développement des activités économiques, de l'aménagement du territoire et de
l'emploi dans les départements d'outre-mer, il comprend des dispositions
tendant à une meilleure reconnaissance de l'identité culturelle, un volet
consacré au transfert de nouvelles compétences aux collectivités territoriales
et un titre relatif à l'évolution institutionnelle.
S'inspirant largement du rapport Fragonard, le titre Ier, intitulé « Du
développement économique et de l'emploi », institue des dispositifs
d'allégement de charges sociales en faveur des entreprises des départements
d'outre-mer.
Le titre II, intitulé « De l'égalité sociale et de la lutte contre l'exclusion
», comprend plusieurs dispositions relatives au RMI.
L'Assemblée nationale a inséré au sein de ce titre II un article additionnel
supprimant la prime d'éloignement profitant aux fonctionnaires nommés outre-mer
qui, je le rappelle, est différente de la surrémunération.
Le titre III, intitulé « Du droit au logement », comprend deux articles, dont
l'un, l'article 16, prévoit la création dans les départementes d'outre-mer d'un
fonds régional d'aménagement foncier et urbain.
La commission des lois s'en remettra à l'appréciation de nos deux commissions
saisies pour avis - la commission des affaires sociales et la commission des
affaires économiques - sur les dispositions des titres Ier, II et III, à
l'exception toutefois de quelques articles, dont l'article 12
bis,
qui
concerne la fonction publique.
Le titre IV, intitulé « Du développement de la culture et des identités
outre-mer », comporte diverses dispositions importantes dont le rapporteur de
la commission des affaires culturelles, saisie pour avis sur l'ensemble des
dispositions de ce titre qui relèvent de sa compétence, traitera.
Le titre V, intitulé « De l'action internationale de la Guadeloupe, de la
Guyane, de la Martinique et de la Réunion dans leur environnement régional »,
est à rattacher au domaine institutionnel. Il comporte deux articles qui ont
pour objet de transférer aux départements et aux régions d'outre-mer de
nouvelles compétences dans ce domaine, afin de favoriser le développement de la
coopération régionale décentralisée et de permettre une meilleure insertion des
territoires concernés dans leur environnement régional.
C'est ainsi que les conseils généraux et régionaux pourront adresser au
Gouvernement des propositions en vue de conclure des accords de coopération
régionale. Ce titre est très important, car il répond à une demande très forte
des décideurs locaux. Signalons simplement qu'un président de conseil général
ou régional pourra recevoir un pouvoir des autorités de la République
l'autorisant à négocier et signer des accords internationaux avec les Etats ou
organismes régionaux voisins.
Le rapport de la commission des lois énumère toutes les possibilités dans ce
domaine, qui comprend également les négociations avec l'Union européenne.
Par ailleurs, seront mis en place quatre fonds de coopération régionale, un
par département.
Enfin, l'Assemblée nationale a prévu la possibilité pour un conseil régional
de recourir aux sociétés d'économie mixte locales pour la mise en oeuvre des
actions engagées en matière de coopération régionale, et ce même sur le sol
d'Etats étrangers voisins, ce qui m'apparaît être une excellente chose.
Le titre VI, intitulé « De l'approfondissement de la décentralisation »,
contient quatre chapitres.
Le chapitre Ier généralise la consultation obligatoire des conseils généraux
et régionaux d'outre-mer sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret
comportant des dispositions d'adaptation de leur régime législatif et de leur
organisation administrative ainsi que sur les propositions d'actes
communautaires pris en application de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam.
L'Assemblée nationale a complété l'article 24 par une disposition prévoyant la
consultation des conseils régionaux d'outre-mer par l'Autorité de régulation
des télécommunications avant toute décision d'attribution d'autorisations pour
des réseaux ou services locaux ou interrégionaux.
Elle a, en outre inséré, dans le chapitre Ier du titre VI deux article
additionnels prévoyant la consultation des conseils régionaux sur les projets
d'attribution ou de renouvellement des concessions portuaires et aéroportuaires
concernant ces régions et l'établissement par le Gouvernement d'un rapport
biannuel relatif aux échanges aériens, maritimes et en matière de
télécommunications dans les départements d'outre-mer.
Le chapitre II du titre VI est consacré au transfert de compétences
actuellement exercées par l'Etat.
Il prévoit le transfert au profit des régions d'outre-mer de compétences
nouvelles concernant notamment les routes nationales, l'exploration et
l'exploitation des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, ainsi
que l'élaboration d'un plan énergétique régional pluriannuel. On trouvera le
détail de ce transfert dans mon rapport écrit.
Les attributions du département sont, pour leur part, renforcées à travers la
création d'un office de l'eau.
Par ailleurs, afin de prendre en compte les spécificités des « îles du nord »
et leur éloignement de leur département de rattachement, la Guadeloupe,
l'article 32 prévoit la possibilité pour les communes de Saint-Martin et de
Saint-Barthélemy d'exercer, sur leur demande et par convention avec la
collectivité territoriale concernée, des compétences relevant normalement du
département ou de la région dans différents domaines.
Le chapitre III du titre VI comporte plusieurs dispositions relatives aux
finances locales, qui tendent notamment à permettre aux collectivités
territoriales des départements d'outre-mer de bénéficier de nouvelles
ressources. Le détail figure dans mon rapport écrit ; six articles du projet de
loi sont consacrés à ces ressources.
S'agissant des perspectives d'évolution institutionnelle des départements
d'outre-mer, le projet de loi d'orientation se limite à prévoir, d'une part, la
création d'un deuxième département à la Réunion et, d'autre part, l'institution
dans les régions d'outre-mer monodépartementales d'un congrés réunissant le
conseil général et le conseil régional, et ayant vocation à délibérer de toute
proposition d'évolution institutionnelle. C'est la concrétisation du rapport
Lise-Tamaya.
Ce rapport - vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat - a prévu de créer
dans ces trois départements, puisque la Réunion veut rester un département
français - il n'y a aucun souci à avoir à cet égard, elle en a la volonté très
ferme - un congrès devant permettre d'initier un éventuel processus d'évolution
statutaire.
Le congrès serait composé des conseillers généraux et des conseillers
régionaux. Il pourrait être réuni à la demande du conseil général ou du conseil
régional.
Le titre VIII concerne non plus les départements d'outre-mer mais la
collectivité territoriale à statut particulier de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Enfin, le titre IX, intitulé « De la transparence et de l'évaluation des
politiques publiques », comprend un article unique qui tend à créer une
commission des comptes économiques et sociaux des départements d'outre-mer et
de suivi de la loi d'orientation, l'Assemblée nationale ayant décidé d'étendre
le champ de cet article à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Quel est mes chers collègues, l'avis de la commission des lois sur ce texte
?
Au vu de l'analyse de ces éléments, et comme a pu le constater le rapporteur
au cours des deux récentes missions de la commission des lois, la situation de
l'emploi constitue aujourd'hui le problème majeur des départements
d'outre-mer.
Une priorité absolue doit donc être donnée aux actions susceptibles de réduire
le chômage massif qui frappe aujourd'hui la jeunesse de ces départements, sauf
à risquer une explosion sociale d'ici à quelques années.
Or, aucune évolution institutionnelle, quelque légitime qu'elle puisse être,
ne peut en elle-même apporter une réponse à cette préoccupation.
C'est pourquoi la commission des lois approuve l'accent mis par le projet de
loi sur les mesures destinées à favoriser la création d'emplois. En
particulier, les mesures d'exonération de charges sociales proposées pour
réduire le coût du travail dans les départements d'outre-mer et améliorer leur
compétitivité par rapport aux pays environnants et dans les secteurs
exportateurs lui paraissent aller dans le bon sens, même si l'on peut regretter
la complexité de certains dispositifs envisagés, qui peut en faire craindre le
détournement dans certains cas.
S'agissant plus précisément de la définition des modalités techniques à
retenir pour les mesures à instituer, la commission des lois s'en remet aux
commissions des affaires sociales et des affaires économiques et du Plan,
saisies pour avis.
Je tiens cependant à souligner - c'est une lacune du projet, monsieur le
secrétaire d'Etat - la nécessité d'encourager le développement des secteurs
d'activité à haute valeur ajoutée, notamment ceux qui font appel aux
technologies nouvelles, car ce sont les seuls secteurs dans lesquels les
économies domiennes peuvent être compétitives dans leur zone géographique.
Par ailleurs, la commission des lois souligne l'obligation de veiller à une
utilisation efficace des fonds publics alloués aux départements d'outre-mer,
qu'il s'agisse des fonds d'origine nationale ou des fonds d'origine européenne.
En effet, si le volume considérable des crédits publics qui seront disponibles
pour les départements d'outre-mer au cours des sept prochaines années constitue
indéniablement un atout essentiel pour le développement de ces départements,
encore faut-il que ces crédits puissent être utilisés rapidement et le plus
efficacement possible, dès leur déblocage par Bruxelles - j'insiste sur ce
point, monsieur le secrétaire d'Etat - sans que le transit par Bercy n'en
retarde le paiement, car nous savons tous ici que ce retard est quelquefois
artificiel.
Or, tel n'est pas le cas aujourd'hui, puisqu'on déplore, en particulier, des
difficultés dans la gestion des crédits communautaires et une sous-consommation
de ces crédits, faute de trésorerie au niveau des collectivités locales, qui ne
peuvent faire l'avance.
Afin de remédier à cette situation, la commission proposera de consacrer dans
la loi l'existence d'une commission du suivi de l'utilisation des fonds
structurels européens, instance de concertation et de contrôle qui serait
coprésidée par le préfet et par les présidents du conseil régional et du
conseil général, et qui réunirait l'ensemble des interlocuteurs concernés afin
d'assurer un suivi efficace de la mobilisation de ces fonds.
Au terme de leurs déplacements dans les départements d'outre-mer, les membres
des deux missions constituées par la commission des lois du Sénat ont été
unanimes à constater la très grande diversité des situations locales. Selon
l'expression que j'ai déjà utilisée, le « cousu main » semble s'imposer en la
matière, mais je pense que vous en êtes convaincu, monsieur le secrétaire
d'Etat.
Cette préoccupation est d'ailleurs présente dans l'opinion exprimée par le
Président de la République, M. Jacques Chirac, dans un discours prononcé en
Martinique le 11 mars 2000 : « Ma conviction est que les statuts uniformes ont
vécu et que chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le
souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte un statut sur
mesure ».
Or, à cet égard, le volet institutionnel du projet de loi d'orientation
apparaît insuffisant pour les départements de la Guyane et des Antilles et ne
peut être considéré que comme une simple étape dans la perspective d'évolutions
plus substantielles.
Certes, la commission des lois approuve les dispositions qui vont dans le sens
d'un renforcement des responsabilités exercées à l'échelon local et d'un
approfondissement de la décentralisation.
Tel est le cas, en particulier, des nouvelles compétences conférées aux
départements et aux régions d'outre-mer afin de favoriser le développement de
la coopération régionale décentralisée et de permettre une meilleure insertion
des départements d'outre-mer dans leur environnement géographique.
Tel est également le cas du transfert aux régions d'outre-mer de certaines
compétences exercées actuellement par l'Etat.
Cependant, ces aménagements, bien qu'importants, n'ouvrent pas réellement la
voie à une véritable évolution différenciée, et les élus d'outre-mer que nous
avons rencontrés se méfient à juste titre - mais n'en va-t-il pas de même en
métropole ? - des tendances autoritaires et centralisatrices des représentants
de l'Etat, même s'ils sont de grande valeur, qui interpréteront
stricto
sensu
la loi, limitée quant à elle par la Constitution.
Force est de constater que les deux seules dispositions du projet de loi qui
ouvrent la perspective d'une évolution institutionnelle substantielle, qu'il
s'agisse de la bidépartementalisation de la Réunion ou de la création d'un
congrès dans les départements français d'Amérique, font toutes les deux l'objet
de vives controverses.
La commission des lois considère que la création d'un second département à la
Réunion, qui pourrait être justifiée par des considérations relatives à
l'évolution démographique ou à l'aménagement du territoire, ne devrait être
envisagée que si elle rencontrait l'accord unanime des élus réunionnais.
Or, tel n'est pas le cas, et vous l'avez d'ailleurs reconnu, monsieur le
secrétaire d'Etat.
En effet, si la majorité des parlementaires de l'île s'est prononcée en faveur
de la création d'un second département, en revanche, le conseil régional comme
le conseil général ont émis un avis défavorable sur l'avant-projet de loi
soumis à la concertation par le Gouvernement.
Cette réforme ne devrait pas non plus être envisagée sans l'adhésion de la
population. Or, la population réunionnaise, consultée par sondages, a montré sa
vive hostilité à ce projet : 32 % seulement des habitants y seraient
favorables.
En outre, on peut douter qu'elle puisse constituer un moteur du développement
et créer des emplois, alors même qu'elle aurait un coût important pour les
finances publiques sans création d'investissements productifs en
contrepartie.
La commission des lois vous proposera donc, mes chers collègues, d'adopter un
amendement de suppression de l'article 38, qui tend à la création d'un second
département à la Réunion.
En ce qui concerne la création du congrès, prévue par l'article 39 du projet,
votre rapporteur a considéré, lors de l'examen du rapport en commission,
qu'elle aurait pu constituer un moyen d'ouvrir la perspective d'une nécessaire
évolution institutionnelle, dans la mesure où elle aurait permis au
Gouvernement d'avoir un interlocuteur représentatif des populations concernées
et de créer un lieu de concertation ayant un fondement légal, où toutes les
opinions auraient pu s'exprimer et une majorité d'idées se dégager en faveur
d'un statut, statut ensuite soumis à consultation.
Cette proposition lui paraissait donc mériter un examen attentif, quitte à
envisager d'en modifier les modalités, notamment l'appellation de « congrès »,
source de confusion avec le Congrès du Parlement se réunissant à Versailles,
voire avec le Congrès américain, ou encore avec l'un des principaux partis de
l'Inde, comme me l'a rappelé M. le président de la commission des lois.
Cependant, la commission des lois constate que le projet de création du
congrès est très loin de faire l'unanimité ; il a notamment suscité l'avis
défavorable de six des huit assemblées locales concernées.
Elle constate, en outre, que la procédure envisagée serait particulièrement
lourde.
Elle considère donc que cette procédure risque d'être difficile à faire
fonctionner et qu'elle aboutirait, de fait, à la création d'une troisième
assemblée locale dont le rôle serait ambigu. Elle s'interroge, par ailleurs,
sur sa constitutionnalité.
Aussi proposera-t-elle un amendement de suppression de l'article 39 du projet
de loi prévoyant la création d'un congrès dans les régions d'outre-mer
monodépartementales. Bien évidemment, cela ne concerne pas la Réunion, qui, je
l'ai dit, désire rester département français.
S'agissant des autres dispositions du projet de loi, nous proposerons un
certain nombre d'amendements tendant à des aménagements ponctuels qui seront
présentés au fil de l'examen des articles.
La commission des lois tient cependant à aborder les perspectives d'avenir, la
loi d'orientation ne constituant, à ses yeux, qu'une simple loi d'étape, même
si, au regard de l'article 73 de la Constitution, nous avons le sentiment que
le Gouvernement est allé à l'extrême limite de ce qui était juridiquement
possible.
Aussi, tout en soulignant la nécessité de préserver les acquis de la
départementalisation et le bénéfice de l'intégration au sein de l'Union
européenne et des fonds correspondants, la commission des lois considère que
les obstacles juridiques constitués par l'article 73 de la Constitution et
l'article 299-2 du traité d'Amsterdam ne doivent pas s'opposer définitivement à
toute évolution du statut de département d'outre-mer vers une autonomie accrue,
à laquelle aspirent les populations de Guyane et des Antilles françaises.
En particulier, une renégociation de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam
devrait pouvoir être, le cas échéant, envisagée rapidement afin que ce texte
définissant le statut des régions ultrapériphériques vise non plus une
catégorie juridique, à savoir les départements d'outre-mer français, mais les
entités géographiques correspondantes, comme, par exemple, la Martinique, ainsi
qu'il le fait déjà pour les territoires espagnols et portugais des Canaries,
des Açores et de Madère.
Le président de la commission des lois songe également aux possibilités
offertes par l'article 72 de la Constitution.
Au terme de cet examen d'ensemble, le projet de loi d'orientation pour
l'outre-mer, annoncé de longue date, précédé d'une large concertation et de
plusieurs rapports préparatoires, s'il semble positif pour ce qui concerne les
perspectives économiques et sociales, n'apparaît pas, au regard des évolutions
institutionnelles, à la hauteur des espérances qu'il a suscitées parmi les
populations des départements d'outre-mer.
En effet, même si un grand nombre de mesures prévues recueillent son
approbation, la commission des lois ne peut que regretter, à la lumière du
constat établi au cours de ses récentes missions, qu'il s'agisse davantage d'un
texte portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer que d'une grande
réforme permettant de proposer aux élus et aux populations des départements
français de la zone Guyane-Caraïbes plusieurs voies, qui vont des propositions
du député Léon Bertrand en faveur de la création d'un deuxième département en
Guyane, jusqu'à une large autonomie nécessitant éventuellement une réforme
constitutionnelle, objet, pour la Guyane, de la proposition de loi
constitutionnelle rédigée par notre collègue Georges Othily en mars 2000 et,
pour les Antilles et la Guyane, de la déclaration de Basse-terre des trois
présidents de région du 1er décembre 1999.
Encore faudra-t-il que chacun en apprécie les conséquences exactes et prenne
ses responsabilités devant l'histoire et les populations concernées !
Au bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve de l'adoption
des amendements qu'elle vous soumettra, la commission des lois vous propose,
mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi d'orientation pour
l'outre-mer.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi
que nous examinons aujourd'hui comprend deux volets bien distincts, et d'abord
le volet institutionnel, à l'évidence le plus controversé et qui a quelque peu
occulté l'importance du second volet, le volet économique et social.
Cette focalisation sur les questions institutionnelles peut paraître
paradoxale. Notre excellent collègue José Balarello, rapporteur de la
commission des lois, a en effet souligné avec pertinence la priorité à donner
au développement économique et à l'emploi.
« Une priorité absolue - écrit-il dans son rapport - doit donc être donnée aux
actions susceptibles de réduire le chômage massif qui frappe aujourd'hui la
jeunesse de ces départements, sauf à risquer une explosion sociale d'ici à
quelques années. Or, aucune évolution institutionnelle, quelque légitime
qu'elle puisse être, ne peut en elle-même apporter une réponse à cette
préoccupation. »
La commission des affaires sociales ne peut bien évidemment que partager cette
analyse. Elle observe à cet égard que le volet social de ce projet de loi a
suscité beaucoup d'attentes, mais aussi beaucoup d'inquiétudes. La commission a
d'ailleurs pu les apprécier très concrètement sur le terrain lors de la mission
d'information qu'elle a effectuée en Guyane, l'été dernier.
Beaucoup d'attentes tout d'abord.
Annoncé en octobre 1998, ce projet de loi a immédiatement été l'occasion pour
les acteurs locaux de formuler des propositions pour favoriser le développement
des économies domiennes et, surtout, pour contribuer à lutter contre le fléau
qu'est le chômage. Tous insistaient sur l'urgence à mieux prendre en compte les
spécificités domiennes pour relancer la création d'emplois.
En effet, rien n'est plus urgent que la création de nouveaux emplois et la
lutte contre un chômage qui mine les sociétés ultra-marines et qui explique
largement les tensions qu'elles connaissent.
Les chiffres sont en effet plus qu'inquiétants. En mars, près de 210 000
personnes étaient au chômage dans les départements d'outre-mer, soit plus de 30
% de la population active. Le léger frémissement à la baisse du nombre de
demandeurs d'emploi - moins 2,8 % en un an - reste très en retrait par rapport
aux résultats enregistrés en métropole - moins 15 % sur la même période.
Certes, on connaît les causes de ce chômage très spécifique aux départements
d'outre-mer - le poids de la démographie, le coût élevé du travail, la
faiblesse des qualifications, les contraintes de l'éloignement, l'étroitesse
des marchés locaux - mais on en voit surtout les conséquences : il contribue à
une inquiétante détérioration du climat social.
Les conflits du travail se caractérisent par leur durée et leur intensité et
se traduisent fréquemment par la quasi-paralysie des économies locales. Les
partenaires sociaux, quant à eux, n'arrivent guère à rétablir, dans ces
conditions, un dialogue social constructif.
Le chômage alimente également une montée de la précarité et de l'exclusion.
Pour s'en tenir au seul RMI, 127 000 foyers en étaient bénéficiaires en
décembre 1999. Cela concerne 16 % de la population contre 3,3 % en métropole.
Cela représente aussi une augmentation de 7 % du nombre total d'allocataires en
1999. Au-delà de ces statistiques brutes, c'est bien la cohésion sociale qui
est menacée.
Dans ces conditions, face à cette urgence sociale, ce projet de loi
d'orientation ne pouvait que susciter des attentes fortes de la part de nos
compatriotes d'outre-mer. Je crains, hélas ! qu'il ne suscite aujourd'hui
plutôt des inquiétudes ou, tout du moins, des interrogations. Si celles-ci se
sont très largement focalisées autour des questions institutionnelles, elles
n'en ont pas moins touché le domaine social.
Annoncé voilà près de deux ans, le projet de loi n'arrive qu'aujourd'hui en
discussion au Parlement. On aurait pu espérer que la lenteur de sa gestion ait
permis à la concertation de se dérouler au mieux. C'est loin d'être évident.
Certes, trois rapports intéressants ont été rédigés. Le rapport Mossé était
consacré au développement économique. Le rapport de notre collègue Claude Lise
et du député Michel Tamaya abordait principalement les questions
institutionnelles. Le rapport Fragonard concernait avant tout la question de
l'emploi.
Certes, les assemblées locales ont été consultées à deux reprises. Mais cette
phase de diagnostic et de concertation, si chère au Gouvernement, semble
aujourd'hui déboucher sur une phase de décision quelque peu décevante.
Sur les huit assemblées locales consultées, seules deux ont en effet donné un
avis positif sur ce projet de loi. Cette absence de consensus local témoigne
des imperfections du texte qui nous est soumis aujourd'hui.
Pour s'en tenir au domaine social, je crois devoir insister sur certaines
insuffisances générales manifestes du texte qui nous est proposé. Elles m'ont
d'ailleurs largement été confirmées lors de la très large consultation des élus
et des forces socio-économiques des départements d'outre-mer que j'ai réalisée
à l'occasion de la préparation de ce projet de loi.
La première insuffisance tient au souci trop évident d'un affichage ambitieux.
Le texte en est alors réduit à n'être qu'un simple support à des effets
d'annonce.
Je n'entrerai pas ici dans le débat un peu spécieux sur les avantages comparés
des lois d'orientation, des lois de programme et des lois de programmation, car
ce qui importe avant tout c'est la capacité de la législation à résoudre les
problèmes concrets qui se posent sur le terrain.
J'observe simplement que cet intitulé « loi d'orientation » semble quelque peu
en décalage avec le contenu du projet. Nombre de ses dispositions relèvent en
effet souvent bien plus du règlement, voire de la circulaire, que de la loi.
C'est pourquoi il ressemble parfois plus à un catalogue de différentes mesures
qu'au cadre structuré d'une politique claire.
Cette volonté d'affichage d'un effort présenté comme « sans précédent » se
retrouve également dans les incertitudes entourant le coût du dispositif.
Vous annonciez, monsieur le secrétaire d'Etat, un coût budgétaire de 3,5
milliards de francs pour le seul article 2 du projet de loi. Mais, sur la base
des données fournies par l'étude d'impact actualisée, on ne retrouve, pour
l'ensemble du volet social de ce texte, qu'un coût net de 2,7 milliards de
francs pour l'ensemble des finances publiques - budget de l'Etat mais aussi
finances sociales qui sont largement mises à contribution et qui ne bénéficient
pas toujours d'une compensation budgétaire de leur effort. En définitive, si
l'on raisonne en coût net, c'est-à-dire si l'on ne retient que l'effort
supplémentaire réellement consenti par rapport aux dispositifs actuels, ce coût
ne représentera à terme que simplement l'équivalent de 6 % des crédits
budgétaires de 2000 en faveur des départements d'outre-mer.
La deuxième insuffisance tient au périmètre trop restreint du projet de
loi.
Les sociétés domiennes sont des sociétés dynamiques. On sait ainsi que le
rythme de la croissance économique y est plus élevé qu'en métropole depuis dix
ans. Leur développement économique viendra donc prioritairement des acteurs
locaux et, au premier chef, des entreprises. Mais ceux-ci n'en nécessitent pas
moins un accompagnement de la part de la métropole.
Ce soutien aurait dû prendre une triple forme : d'abord, un plan de rattrapage
pour remettre à niveau les équipements et les services collectifs qui restent
la condition nécessaire à la création d'un environnement économique et social
favorable ; la commission a pu constater combien un tel rattrapage était
nécessaire, notamment sur le plan sanitaire, en Guyane ; ensuite, la mise en
place d'un dispositif de soutien aux investissements qui devrait prendre la
forme d'une défiscalisation dans le prolongement de la loi « Pons » il est en
effet prioritaire de réamorcer les flux de capitaux vers l'outre-mer, dont la
capacité d'investissement reste faible ; enfin, des mécanismes d'aide à
l'emploi adaptés au contexte particulier de l'outre-mer et, plus encore, de
chaque département d'outre-mer, tant ceux-ci connaissent des situations
particulières.
Or, force est de constater que seul ce troisième volet est abordé par le
présent projet de loi, le soutien aux investissements étant reporté au mieux au
projet de loi de finances pour 2001 et l'exigence d'un rattrapage ayant
mystérieusement disparu du discours gouvernemental, celui-ci s'en remettant
largement aux contrats de plan et aux actions communautaires.
La troisième insuffisance est aussi évidente. Il s'agit, en matière sociale,
d'un projet qui nous semble inabouti.
Je reconnais que, dans ce domaine, les orientations du Gouvernement vont dans
un sens que ne pourra qu'apprécier notre assemblée : l'abaissement du coût du
travail, l'incitation à la reprise d'activité, le soutien à la création
d'entreprise, la recherche de l'égalité sociale, sont autant de pistes
auxquelles la commission des affaires sociales attache traditionnellement une
grande importance.
Je ne peux donc que partager ces orientations et vous savoir gré, monsieur le
secrétaire d'Etat, de les avoir reprises à votre compte. Je constate ainsi avec
satisfaction qu'il a été choisi de pérenniser les principaux dispositifs de la
loi « Perben » et même de les amplifier.
Dès lors, on ne peut que déplorer que vous n'en ayez pas tiré toutes les
conséquences et que vous ayez choisi de vous arrêter au milieu du gué.
L'urgence sociale imposait pourtant d'agir vite et fort. Ce projet aurait pu
être plus ambitieux. Je crains que son impact ne soit trop faible pour répondre
au défi de l'emploi outre-mer.
Pour justifier mon propos, je pense qu'il est nécessaire d'examiner plus en
détail les principales mesures de ce projet de loi. Si vous le voulez bien,
monsieur le secrétaire d'Etat, je reprendrai la présentation en quatre axes que
vous aviez retenue devant notre commission.
Premier axe : l'amélioration de la compétitivité des entreprises et la baisse
du coût du travail.
L'article 2 met en place un dispositif pérenne d'exonération de cotisations
sociales patronales. Ce dispositif est certes plus avantageux que le dispositif
« Perben » : les exonérations sont plus élevées et les salariés concernés sont
plus nombreux. Mais il me semble qu'il aurait fallu être plus ambitieux, qu'il
s'agisse du montant de l'exonération, du seuil d'effectif à partir duquel elle
s'applique ou des secteurs d'activités concernés. Cela a certes un coût, mais
il est sans doute souhaitable de consentir un effort plus élevé aujourd'hui que
de devoir en faire plus encore demain.
Le dispositif d'exonération des cotisations sociales des employeurs et
travailleurs indépendants va dans le bon sens, hormis une tentative hasardeuse
de mise en place d'un recouvrement unique de ces cotisations qui a cependant
été abandonné à l'Assemblée nationale. A ce propos, plutôt que d'avancer de
manière autoritaire dans le sens d'un recouvrement unifié, il me paraît
préférable de favoriser une plus grande coordination dans le respect des
compétences de chaque caisse et dans le souci d'une amélioration tangible du
service rendu à l'usager.
L'aide spécifique à la création d'emplois dans les entreprises exportatrices,
prévue à l'article 7, n'est que la reprise dans la loi d'un dispositif existant
même s'il devrait être plus avantageux. Il aurait cependant gagné à être
accompagné par des possibilités de soutien technique ou logistique à ces
entreprises.
En revanche, le système d'apurement des dettes sociales et fiscales des
entreprises prévu par les articles 5 et 6 me semble poser plus de problèmes
qu'il n'en résout. L'instauration d'un abandon de ces dettes me semble être
l'exemple même de la « fausse bonne idée ». J'y reviendrai.
Le deuxième axe concerne la création d'emplois pour les jeunes.
Le système de « parrainage » prévu par l'article 8 risque d'avoir, il faut le
dire, une portée limitée. Il aurait sans doute mieux valu chercher à favoriser
l'insertion professionnelle des jeunes par le développement des formations en
alternance qui connaissent de graves difficultés outre-mer.
Le projet initiative-jeune de l'article 9 est plus intéressant. Il prévoit
l'attribution d'une aide financière pour les jeunes qui créent ou reprennent
une entreprise, ou bien partent en formation hors de leur département
d'origine. Il méritait toutefois d'être précisé. J'aurai plusieurs propositions
à vous soumettre sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat.
Le mécanisme du congé solidarité introduit à l'Assemblée nationale s'apparente
à un système de préretraite contre embauche. Si ces systèmes semblent désormais
inadaptés en métropole, ils sont, en revanche, plus appropriés dans les
départements d'outre-mer - je pense, notamment, à la Réunion - en raison de
leur structure démographique. Il semble, cependant, qu'il ne soit destiné à
s'appliquer que dans un seul département.
Le troisième axe de ce projet de loi vise à renforcer la lutte contre les
exclusions.
Le titre de travail simplifié, institué par l'article 10, peut être un bon
outil pour lutter contre le travail dissimulé, à condition que son utilisation
ne soit pas trop dissuasive pour les entreprises.
La création de l'allocation de retour à l'activité, l'ARA, à l'article 13
constitue un mécanisme dit « d'intéressement » intéressant. Il aurait pourtant
été possible d'aller plus loin.
Quant au renforcement du volet insertion du RMI, il constitue à bien des
égards un pari fondé sur l'efficacité des agences départementales
d'insertion.
S'agissant du quatrième volet, l'égalité sociale, le compromis adopté à
l'Assemblée nationale sur un alignement en trois ans du RMI me semble être un
bon compromis. Il importe, toutefois, de prendre en compte ses conséquences
pour les départements qui vont voir leurs crédits d'insertion augmenter
rapidement.
L'alignement de l'allocation de parent isolé en sept ans aurait pu paraître
timide. Toutefois, dans la mesure où cet alignement ne s'inscrit pas dans le
cadre d'une rénovation de la politique familiale, un alignement plus rapide
serait sans doute prématuré, nous semble-t-il.
Enfin, et pour être exhaustif, ce projet de loi vise également à étendre
l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon de certaines dispositions sociales
importantes : le principe de compensation par l'Etat de toute exonération de
cotisations sociales, la loi de 1975 sur les handicapés ou l'assurance
invalidité.
Vous le voyez, mes chers collègues, les mesures proposées restent en retrait
par rapport aux réponses fortes qu'attendent aujourd'hui nos compatriotes
d'outre-mer. Votre commission des affaires sociales a donc choisi d'adopter une
démarche pragmatique visant à amplifier la portée du texte proposé par le
Gouvernement.
Dans la mesure où la dégradation de la situation de l'emploi tient avant tout
à la montée du chômage et à la progression de l'exclusion, il nous a semblé
prioritaire de cibler l'effort sur la création d'emplois, principalement en
faveur des jeunes, et l'amélioration de l'insertion.
S'agissant de la création d'emplois, il importe d'abord d'amplifier la baisse
du coût du travail par la baisse des charges sociales pour favoriser
l'activité. La commission des affaires sociales a ainsi souhaité étendre le
champ des exonérations de cotisations sociales prévues à l'article 2. Cela
passe à la fois par une majoration à 1,5 SMIC du plafond auquel s'applique ces
exonérations, par leur extension aux entreprises de vingt salariés au moins -
pour les dix premiers salaires - et par leur extension à de nouveaux secteurs
particulièrement importants pour le développement de l'outre-mer, tel le
bâtiment et les travaux publics, la formation professionnelle, le transport
aérien et maritime régional.
Il est également nécessaire de cibler l'effort sur les entreprises
exportatrices du fait de l'étroitesse des marchés locaux. La commission des
affaires sociales souhaite, pour ces entreprises, étendre les exonérations de
cotisations sociales pour les salaires jusqu'au plafond de la sécurité sociale
et leur permettre de bénéficier d'une aide au projet.
Mais il faut aussi favoriser la formation et l'insertion professionnelle des
jeunes. Dans cette perspective, la commission propose de réserver
prioritairement les contrats d'accès à l'emploi aux jeunes rencontrant des
difficultés d'insertion professionnelle, d'étendre le champ des aides à la
formation prévues par le projet initiative-jeune, d'ouvrir les possibilités de
« parrainage » et, compte tenu de la spécificité des départements d'outre-mer,
d'étendre le champ des activités ouvertes aux emplois-jeunes à la coopération
régionale et à l'aide humanitaire.
La création d'entreprises reste également une condition indispensable du
développement. C'est pourquoi la commission a souhaité permettre aux jeunes de
mieux accéder aux dispositifs d'aide à la création d'entreprises.
Si la création d'emplois est une priorité, l'insertion et le retour à
l'activité des personnes les plus éloignées de l'emploi en est une autre si
l'on ne veut pas laisser se développer une logique nocive d'assistance.
Aussi, votre commission vous propose de mettre en place, parallèlement à
l'ARA, l'allocation de retour à l'activité, des conventions de retour à
l'emploi permettant aux bénéficiaires du RMI depuis plus d'un an de reprendre
une activité professionnelle au travers d'un contrat d'accès à l'emploi à
mi-temps tout en continuant à percevoir l'allocation de RMI pendant la durée de
la convention.
Elle a également souhaité faciliter les possibilités offertes pour bénéficier
du congé-solidarité et de l'allocation de retour à l'activité afin de permettre
à ces dispositifs de jouer à plein.
Elle suggère par ailleurs de recentrer les contrats d'accès à l'emploi sur les
jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion
professionnelle.
Elle propose enfin de garantir une progression satisfaisante des crédits
d'insertion départementaux sans fragiliser plus encore les finances des
collectivités locales en assurant la prise en charge par l'Etat des charges
supplémentaires liées aux conséquences de l'alignement du RMI.
Ces propositions permettront, je le crois, d'enrichir substantiellement le
présent projet de loi, qui, dans sa rédaction actuelle, est loin d'être à la
hauteur des enjeux de l'outre-mer. Il ne saurait donc en l'état fonder le «
modèle original de développement » que le Président de la République appelait
de ses voeux voici quelques semaines.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon, rapporteur pour avis.
M. Jean Huchon,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi d'orientation pour l'outre-mer a été partiellement soumis pour
avis à la commission des affaires économiques.
Ce texte très attendu fait suite à la parution d'un certain nombre de rapports
dressant un bilan jugé alarmant de la situation des départements d'outre-mer.
On citera en particulier le rapport déjà évoqué de nos collègues Claude Lise et
Michel Tamaya remis en juin 1999 au Gouvernement, ainsi que celui de la
commissaire générale du Plan Eliane Mossé, publié en mars 1999.
Après l'avoir annoncé dès l'automne 1998, le Gouvernement s'était enfin engagé
à le déposer à la suite d'un voyage du Premier ministre aux Antilles à la fin
du mois d'octobre 1999.
Le Président de la République a lui-même manifesté, dans une allocution
prononcée en Martinique en mars dernier, l'attention qu'il porte à la
définition d'un modèle original de développement pour l'avenir des départements
d'outre-mer. A cette occasion, il a souligné la nécessité de faire preuve de
pragmatisme dans cette démarche. « Toutes les propositions, dès lors qu'elles
ne mettent pas en cause notre République et ses valeurs, sont recevables et
légitimes », a-t-il insisté.
Il est vrai que la situation économique des départements d'outre-mer est
aujourd'hui dégradée. Elle a pu même être qualifiée d'explosive par notre
collègue Rodolphe Désiré, dans son dernier avis sur les départements
d'outre-mer, adopté par la commission à l'occasion de l'examen de la loi de
finances pour 2000. Le chômage, qui touche en moyenne 30 % de la population
active, condamne une part importante de la population à vivre des minima
sociaux. Le caractère massif des transferts publics, qui représentaient en 1994
entre les trois quarts et les trois cinquièmes du PIB de ces départements, ne
suffit pas à rétablir la situation et souligne
a contrario
la dépendance
à l'égard de la métropole qui caractérise en bien des points l'économie des
DOM. Témoignent également de cette dépendance l'importance des importations en
provenance de métropole, la primauté des liaisons maritimes et aériennes vers
celle-ci et la part prépondérante du tourisme métropolitain.
Cette situation alarmante est en partie imputable à l'existence de handicaps
structurels au développement, notamment l'éloignement, l'insularité,
l'étroitesse des marchés qui prive de débouchés les productions locales,
l'absence de ressources énergétiques, mais également la concurrence des Etats
voisins, qui offrent des régimes fiscaux et sociaux souvent plus avantageux ou
tout au moins dérogatoires du droit commun.
Ces handicaps structurels appellent, à l'évidence, des mesures de compensation
particulières. L'article 299-2 du traité instituant la Communauté européenne
reconnaît ainsi aux départements d'outre-mer le statut de régions
ultrapériphériques qui légitime les aides et avantages susceptibles de leur
être accordés, tant dans le cadre national que dans le cadre européen.
En outre, la forte croissance démographique dans les départements d'outre-mer,
qui est incontestablement un atout en vue d'une croissance de long terme, rend
nécessaires des politiques appropriées en termes d'aménagement du territoire,
de logement social ou même d'assainissement de l'eau.
Si le projet de loi soumis à notre examen présente le développement économique
comme l'une de ses priorités, il comporte également d'autres volets qui tentent
de répondre aux aspirations de la population des départements d'outre-mer : un
volet politique et institutionnel qui fait l'objet d'un examen au fond par
notre collègue José Balarello, au nom de la commission des lois ; un volet
social qui a été examiné par notre collègue Jean-Louis Lorrain, au nom de la
commission des affaires sociales saisie pour avis ; enfin, notre collègue
Victor Reux a étudié les aspects culturels, au nom de la commission des
affaires culturelles.
La commission des affaires économiques a examiné, dans le cadre de son rapport
pour avis, un certain nombre d'articles.
L'article 1er, qui ne présente pas de réelle portée normative, constitue une
introduction au projet de loi en rappelant que le développement économique de
l'outre-mer constitue une priorité nationale.
L'article 7
bis,
inséré par l'Assemblée nationale, impose à la
conférence paritaire des transports de chaque département d'outre-mer de
remettre chaque année un rapport au Gouvernement, assorti de propositions
visant à réduire le coût des transports outre-mer.
Prévue par la loi Perben du 25 juillet 1994, cette instance paritaire devait
réunir des représentants des transporteurs et des collectivités publiques afin
de favoriser une concertation indispensable pour améliorer les règles de
fonctionnement de ce secteur. Il semblerait pourtant que les conférences
paritaires des transports n'aient pas été mises en place dans les départements
d'outre-mer. Ce retard est d'autant plus regrettable que le Gouvernement a
récemment invoqué le défaut de concertation avec les acteurs concernés pour
justifier le fait qu'il n'a pas pris, dans les délais impartis par le Parlement
dans la loi d'habilitation du 25 octobre 1999, l'ordonnance relative à
l'adaptation aux départements d'outre-mer de la législation sur les transports
intérieurs.
Votre rapporteur pour avis recommande donc la mise en place urgente des
conférences paritaires des transports et ne peut que souhaiter de mieux
associer les transporteurs à l'élaboration de la réforme.
L'article 7
ter,
inséré par l'Assemblée nationale, impose qu'une date
limite de consommation soit mentionnée sur les produits agroalimentaires
provenant du surplus communautaire et destinés à la consommation humaine.
L'article 7
quater
étend la compétence de la chambre de commerce, de
l'industrie et des métiers de Saint-Pierre-et-Miquelon au secteur agricole afin
de prendre en compte le développement d'une activité agricole et d'élevage.
L'article 9
bis
étend le régime d'indemnisation des catastrophes
naturelles aux dommages causés par certains cyclones particulièrement
violents.
Les dégâts causés par les vents des cyclones sont, au même titre que ceux
causés par les tempêtes, en théorie couverts par de classiques contrats
d'assurance dommages aux biens. Dans la pratique, les compagnies d'assurances
ont mis en place des restrictions à l'assurance de ce risque. L'inclusion des
cyclones dans le régime d'assurance des catastrophes naturelles, lequel prohibe
toute restriction dans la couverture du risque, garantira aux populations des
départements d'outre-mer une meilleure indemnisation de ce sinistre. Votre
rapporteur pour avis est favorable à cette disposition dans la mesure où elle
est l'expression de la solidarité nationale à l'égard de ces départements.
L'article 9
ter
renforce le dispositif prévu à l'article 28-1 de la loi
Royer, du 27 décembre 1973, qui tend à limiter la concentration des entreprises
de la distribution alimentaire dans les départements d'outre-mer. Du fait de
leur insularité, ces derniers représentent en effet des marchés captifs,
particulièrement exposés au risque de formation de monopoles. Votre rapporteur
pour avis est favorable au renforcement du dispositif de lutte contre la
concentration dans la distribution outre-mer, qui constitue une mesure
attendue.
L'article 9
quinquies
impose au Gouvernement de publier, avant la
discussion de la loi de finances de l'année qui suit celle de la présente loi,
un rapport sur l'évolution du dispositif d'incitation à l'investissement
outre-mer. Ce rapport devra formuler des propositions d'amélioration de ce
dispositif qui repose essentiellement sur des mesures de défiscalisation. C'est
ce que l'on appelle le dispositif « Pons », qui est quelque peu tombé en
désuétude.
L'article 16 instaure dans chaque département d'outre-mer un fonds régional
d'aménagement foncier et urbain, le FRAFU, destiné à améliorer la maîtrise
foncière et à faciliter la construction de logements sociaux. Cette institution
fonctionne, me semble-t-il, dans l'île de la Réunion. Chargé de coordonner les
interventions financières des différentes collectivités publiques, chaque FRAFU
sera géré par une institution financière.
L'article 28 modifie et complète la rédaction de l'article L. 4433-7 du code
général des collectivités territoriales relatif aux schémas d'aménagement
régional, les SAR.
Institués par une loi du 2 août 1984, ceux-ci permettent aux régions
d'outre-mer de déterminer les orientations en matière de développement, de mise
en valeur du territoire et de protection de l'environnement. Les modifications
apportées par l'article 28 permettent d'intégrer dans les SAR les orientations
concernant le développement durable. En outre, le projet introduit une clause
de réexamen obligatoire de ces schémas tous les dix ans. Même s'il est parfois
permis de douter de l'efficacité des schémas d'aménagement régional, on ne peut
que soutenir le renforcement de cet instrument qui s'inscrit dans une politique
d'aménagement durable du territoire pour les départements d'outre-mer.
L'article 29 rend obligatoires l'élaboration, l'adoption et la mise en oeuvre
d'un plan énergétique régional par les régions d'outre-mer, alors qu'il ne
s'agissait jusqu'à présent que d'une faculté. De plus, ce plan énergétique
devra respecter le cadre défini par la programmation nationale pluriannuelle
instaurée par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation du service
public de l'électricité, ainsi que par le schéma de services collectifs de
l'énergie issu de la loi du 25 juin 1999 relative à l'aménagement du
territoire.
Compte tenu de l'insuffisance des ressources énergétiques des départements
d'outre-mer, qui constitue un problème central pour le développement de ces
derniers, votre rapporteur pour avis est très favorable à cette disposition.
L'article 30 instaure dans chaque département d'outre-mer un office de l'eau
chargé de doter les départements d'une véritable politique de l'eau, qui est
particulièrement nécessaire, leur caractère insulaire expliquant la relative
rareté de la ressource hydraulique. A la différence de la métropole, aucune
agence de bassin, pourtant prévue par la loi du 16 décembre 1964, n'a été mise
en place dans les DOM. L'instauration d'offices de l'eau comble cette
lacune.
L'article 35
bis
instaure, en Guadeloupe, une redevance communale des
mines sur les sites géothermiques.
Votre rapporteur regrette que ce projet de loi n'introduise pas de véritables
ruptures avec le régime actuel applicable dans les départements d'outre-mer. La
plupart des dispositions examinées par la commission des affaires économiques
se contentent d'amender, de compléter, voire de reconnaître des dispositifs
existants. Le contenu économique du projet de loi n'est pas à la hauteur de
l'objectif affiché à l'article 1er. Si certaines dispositions, telles que
celles qui sont relatives aux régime de défiscalisation issu de la loi Pons,
dressent des perspectives intéressantes, encore faudrait-il qu'il y soit donné
suite.
Enfin, votre rapporteur - c'est son avis personnel - espère que les décrets
d'application rendus nécessaires pour l'entrée en vigueur de la loi sortiront
dans les meilleurs délais. Je déplore en effet que ne soit pas encore publiée
l'intégralité des décrets d'application de la loi du 30 décembre 1996 relative
aux cinquante pas géométriques. Mais je crois, monsieur le secrétaire d'Etat,
que tous les espoirs sont permis.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Reux, rapporteur pour avis.
M. Victor Reux,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission
des affaires culturelles a souhaité émettre un avis sur le titre IV du projet
de loi d'orientation sur l'outre-mer, dont les dispositions entrent directement
dans son champ de compétences.
A titre liminaire, je voudrais souligner la portée particulièrement modeste
des six articles de ce titre IV, qui est consacré au développement de la
culture et des identités ultramarines. A l'exception de l'article 17, qui
autorise la création d'un IUFM de plein exercice en Guyane, les autres
dispositions peuvent être qualifiées de disparates ; elles ont un caractère
plus déclaratif que véritablement normatif et ne modifient guère le cadre
législatif régissant le développement culturel et l'organisation du système
d'enseignement outre-mer.
Ces dispositions sont notamment en retrait par rapport aux propositions
formulées dans le récent rapport de mission remis voilà juste un an au Premier
ministre par notre collègue Claude Lise et M. Michel Tamaya, député de la
Réunion.
Pour m'en tenir d'abord au premier volet - l'adaptation de la politique
éducative dans les départements d'outre-mer - outre l'article 17, déjà
mentionné, l'article 18 tend à valoriser les langues régionales des
départements d'outre-mer et l'article 18
bis,
introduit par l'Assemblée
nationale, vise à créer une commission d'adaptation des programmes
scolaires.
Ces quelques mesures, dont nous détaillerons les modalités, sont, je le crois,
loin de répondre aux problèmes et aux besoins constatés en matière d'éducation
dans nos départements d'outre-mer, qui avaient d'ailleurs suscité la mise en
place d'un plan de rattrapage pour la Guyane à l'automne 1996 et d'un plan
pluriannuel de développement pour l'ensemble de ces départements, à l'automne
1997.
Avant d'aborder les articles qui justifient la saisine de la commission des
affaires culturelles, j'évoquerai très rapidement les caractéristiques
générales du système scolaire des départements d'outre-mer, plus spécifiquement
de la Guyane, en reprenant, d'ailleurs, certaines des observations effectuées
par la commission d'enquête du Sénat sur la situation et la gestion des
personnels des écoles et des établissements d'enseignement du second degré,
qui, sous la conduite du président Adrien Gouteyron, s'est déplacée, notamment
aux Antilles et en Guyane au printemps 1999.
Première constatation : les effectifs scolarisés outre-mer connaissent une
évolution inverse de celle de la métropole. Dans le premier degré, comme dans
l'enseignement secondaire, ces effectifs enregistrent une forte croissance qui
est appelée à se poursuivre. La population scolaire en Guyane devrait ainsi
passer de 50 000 à 100 000 élèves d'ici à 2012, en raison, notamment, d'une
immigration incontrôlée.
D'une manière générale, on peut également constater dans ces départements un
taux de scolarisation inférieur à celui de la métropole, qu'il s'agisse de la
préscolarisation, du second cycle du second degré au-delà de l'obligation de
scolarité ou de l'accès au baccalauréat, ainsi que de moindres performances du
système scolaire tenant sans doute, jusqu'à une époque récente, à la faiblesse
de l'encadrement des élèves.
S'agissant de l'académie de Guyane, qui est confrontée à des problèmes
spécifiques, il faut rappeler que l'obligation de scolariser environ 10 %
d'élèves supplémentaires chaque année du fait de l'immigration, dont de
nombreux enfants non francophones, et les conditions de vie et de travail des
enseignants très difficiles en forêt et sur les fleuves sont à l'origine d'un
taux de rotation très rapide des personnels qui sont le plus souvent jeunes,
inexpérimentés et non guyanais.
Cette situation se traduit par des niveaux de formation particulièrement bas,
que je résumerai en deux chiffres : 60 % de la population est dépourvue de tout
diplôme et 40 % des jeunes Guyanais ne disposent d'aucune qualification
professionnelle.
Dans le premier degré, les élèves d'origine étrangère représentent près d'un
tiers des effectifs et seulement les deux tiers des enfants de trois ans sont
scolarisés. Le corps enseignant se caractérise par un taux d'absentéisme
important et par une forte mobilité des personnels, en majorité antillais, qui
aspirent à revenir rapidement dans leur département d'origine.
Dans le second degré, la moitié des élèves ne sont pas francophones et les
collèges doivent mettre en place des classes d'alphabétisation pour accueillir
des primo-arrivants de tous âges.
S'agissant des enseignants, j'ajouterai que l'académie est très déficitaire en
titulaires qui demandent immédiatement une autre affectation et doit donc
recourir de manière permanente et massive à des personnels locaux à statut
précaire, contractuels ou maîtres auxiliaires.
Bref, le maintien d'un noyau suffisamment large d'enseignants guyanais
apparaît indispensable pour assurer le fonctionnement des écoles et des
établissements qui est trop souvent perturbé par ces « enseignants de passage
».
J'ajouterai que les enseignants affectés en Guyane bénéficient d'une
surrémunération de 40 % de leur traitement, d'une indemnité d'éloignement
susceptible d'être remise en cause par l'article 12
bis
du projet de
loi, d'une indemnité d'isolement de l'ordre de 7 500 francs pour ceux qui sont
nommés dans les neuf communes du fleuve Maroni et d'un large remboursement de
leurs frais de transport.
Le maintien de ce dispositif indemnitaire est apparu particulièrement
nécessaire à la commission pour conforter des vocations pédagogiques
incertaines dans les écoles et les établissements de Maripasoula, d'Apatou,
voire de villages encore plus isolés.
La création d'un IUFM de plein exercice à Cayenne, destiné à développer une
filière de formation de professeurs guyannais, apparaît donc pleinement
justifiée, un tel institut ayant vocation à proposer une formation spécifique
adaptée aux conditions d'enseignement dans le premier degré et à initier les
enseignants venus d'ailleurs à la diversité linguistique et culturelle du
département.
Comme vous le savez, la Guyane est dotée, depuis le début de 1997, d'une
académie et d'un recteur ; elle ne possède pas d'université de plein exercice
et ne dispose que d'une antenne de l'IUFM des Antilles-Guyane, dont le siège
est en Guadeloupe.
Cette antenne de Guyane a accueilli 183 élèves en 1999, dont 178 professeurs
des écoles, 85 % des places étant occupées par des étudiants d'origine
antillaise. Ces effectifs doivent être rapprochés des quelque 550 étudiants
inscrits à l'institut d'études supérieures de la Guyane, les autres formations
supérieures se limitant à quatre sections de techniciens accueillant 120 élèves
et à un IUT implanté à Kourou recevant 78 étudiants, dont seulement un tiers de
Guyanais.
J'ajouterai que cet effort de formation est voué à l'échec s'il n'est pas
accompagné de conditions matérielles décentes pour les enseignants, tant en
termes de logement que d'incitations financières, ainsi que d'une coopération
avec les Etats frontaliers de la Guyane qui doit être amplifiée pour contrôler
l'immigration.
S'agissant du problème de la reconnaissance des langues et cultures régionales
d'outre-mer, les auteurs du projet de loi ont considéré, je crois à juste
titre, que l'amélioration de la maîtrise du français était liée à la
reconnaissance de ces langues ; celle-ci s'inscrit dans la démarche du
Gouvernement, laquelle s'est traduite par la signature de la charte du Conseil
de l'Europe sur les langues régionales et minoritaires. Je rappelle que cette
charte n'a pas encore été ratifiée par le Parlement, le Conseil constitutionnel
ayant estimé qu'une telle ratification supposait une révision constitutionnelle
préalable.
Afin de renforcer l'usage de ces langues régionales prévu par l'article 18,
notamment des créoles, l'Assemblée nationale a ajouté que ces langues entraient
dans le champ d'application de la loi Deixonne du 11 janvier 1951 relative à
l'enseignement des langues et dialectes locaux, loi qui visait à l'origine le
breton, le basque, le catalan et la langue occitane, le corse ayant été ajouté
en 1974, le tahitien en 1981 et les quatre langues mélanésiennes en 1992 pour
la Nouvelle-Calédonie.
Je rappelle que Bernard Poignant, dans son rapport sur les langues et cultures
régionales, insistait sur le fait que les créoles étaient les langues
maternelles les plus répandues sur le territoire de la République et seraient
utilisés par environ un million de locuteurs des DOM.
La commission des affaires culturelles a donc estimé qu'une prise en compte de
la langue créole, notamment dans les petites classes, serait susceptible de
lutter plus efficacement contre l'échec scolaire et pourrait être un atout pour
l'apprentissage des autres langues. Cette idée est partagée par des linguistes
éminents, comme le professeur Hagège. Elle tient toutefois à rappeler que
l'enseignement des langues régionales dans l'éducation nationale reste fondé
sur le volontariat des familles et des maîtres, dans le respect de la cohérence
du service public pour chaque niveau d'enseignement.
Un demi-siècle après la loi de 1951, la commission des affaires culturelles a
donc jugé légitime d'accorder leur juste place aux langues régionales
ultramarines en les alignant sur le droit commun de la métropole, de la
Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.
Elle a cependant souhaité que cette consécration ne se réalise pas au
détriment de l'apprentissage et de la maîtrise du français, qui reste la langue
de la République, et n'encourage pas un repliement identitaire qui serait
préjudiciable à l'unité de la nation, au rayonnement culturel et économique des
DOM et au développement de la francophonie.
S'agissant de l'adaptation des programmes scolaires aux spécificités
ultramarines, le projet de loi ne prévoyait aucune disposition particulière. Je
rappellerai toutefois que deux instructions récentes de l'éducation nationale,
en date du 16 février dernier, permettent déjà d'adapter les programmes
d'histoire et de géographie dans les départements concernés et introduisent, en
outre, des aménagements aux programmes nationaux pour tous les élèves, afin de
tenir compte de la contribution de l'histoire et de la culture de l'outre-mer
au patrimoine national.
L'Assemblée nationale a souhaité aller plus loin en ce domaine en proposant,
contre l'avis du Gouvernement, que, dans chaque DOM, une commission
ad
hoc
ait pour mission d'adapter les programmes d'enseignement et les
méthodes pédagogiques aux spécificités de chaque département.
Votre commission a constaté qu'une telle proposition est de nature à porter
atteinte au caractère national des programmes et à leur mode d'élaboration, qui
sont fixés par les articles 4 à 6 de la loi d'orientation sur l'éducation de
1989 et qui tendent en fait à assurer une égalité de chances pour tous les
élèves de la République.
Plutôt que de créer une nouvelle structure dotée d'une véritable mission
d'adaptation des programmes, votre commission vous proposera que le conseil de
l'éducation nationale qui existe dans chaque DOM et qui comprend notamment des
élus locaux ait la faculté de rendre tout avis sur les programmes et d'émettre
toute proposition en vue de l'adaptation de ceux-ci aux spécificités
locales.
J'en arrive maintenant à la présentation des dispositions qui, outre l'article
18 relatif à la reconnaissance des langues régionales, constituent le volet «
culture » du projet de loi d'orientation.
Le principe d'égalité devant la culture proclamé par le préambule de la
Constitution de 1946 n'a, à l'évidence, pas le même sens en métropole que dans
les départements d'outre-mer.
Pour ces départements, il s'agit non seulement de surmonter les handicaps
qu'ils rencontrent pour accéder à la culture dans les mêmes conditions qu'en
métropole, mais aussi de trouver une voie pour l'expression de leurs identités,
cet aspect prenant désormais une acuité particulière, comme l'a souligné le
rapport de MM. Claude Lise et Michel Tamaya.
Bien que, dans ce domaine, l'initiative revienne aux collectivités locales et
que l'essentiel des mesures proposées par le rapport ne relève pas du domaine
de la loi, force est de constater que le projet de loi d'orientation ne répond
que très imparfaitement sur ce point aux aspirations des départements
d'outre-mer.
Outre les nouvelles compétences reconnues à ces départements en matière
diplomatique, qui permettront d'intensifier les actions internationales de
coopération culturelle, il n'est prévu dans le projet de loi qu'une mesure,
pour le moins symbolique, pour répondre à ces attentes : il s'agit de l'article
21, qui pose le principe d'une compensation, pour le calcul du soutien
financier automatique dont peuvent bénéficier les entreprises de production
cinématographiques établies dans les départements d'outre-mer et à
Saint-Pierre-et-Miquelon, de l'absence d'assujettissement de leurs salles à la
taxe spéciale sur les places de cinéma.
Bien que souhaitée depuis longtemps par les entreprises de production, l'effet
à attendre de cette mesure est en réalité très limité, et cela pour deux
raisons. En premier lieu, ces entreprises bénéficient d'ores et déjà du
dispositif de soutien automatique au titre des entrées réalisées en métropole,
dont le nombre est, par définition, beaucoup plus important que celles qui sont
enregistrées outre-mer. En second lieu, les entreprises établies outre-mer sont
peu nombreuses et ne produisent quasiment pas de longs-métrages.
Si l'on peut approuver la volonté du Gouvernement de remédier à l'insuffisance
de l'expression des identités ultramarines, la commission des affaires
culturelles s'est demandée s'il s'agissait là du vecteur le plus pertinent. Le
cinéma est, en effet, un média coûteux, qui exige, en raison de l'exiguïté de
ces départements comme de la concentration des industries techniques propre à
ce secteur, de recourir aux ressources de la métropole.
A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, ne pensez-vous pas qu'une réponse
plus adéquate à la volonté des DOM de trouver une voie d'expression culturelle
résiderait dans un effort de rééquilibrage territorial des dépenses culturelles
de l'Etat vers ces départements, conjugué à une intensification des
collaborations avec les collectivités locales, dont les actions en ce domaine
ne peuvent égaler celles des collectivités de métropole, en raison de leur
situation financière fragile ? Un effort s'impose. Le Gouvernement est-il prêt,
monsieur le ministre, à l'accomplir ?
Lors des débats à l'Assemblée constituante de la loi de 1946, le président
Gaston Monnerville plaidait pour l'assimilation des DOM au territoire
métropolitain, en rappelant qu'ils constituaient des foyers de culture
française dans des zones où celle-ci était peu présente, qu'il s'agisse du
continent américain ou de l'océan Indien, aspirant ainsi à une plus large
présence de la culture française dans cette partie de la République.
Cette préoccupation garde, je crois, encore aujourd'hui, toute son actualité,
qu'il s'agisse de renforcer l'assimilation des départements d'outre-mer à la
nation ou de contribuer au rayonnement culturel international de la France.
A cet égard, les actions destinées à remédier aux handicaps que rencontrent
les habitants des départements d'outre-mer pour accéder à la culture dans des
conditions comparables à celles de la métropole revêtent une importance
fondamendale. Parmi ces handicaps nombreux, l'éloignement géographique est sans
doute le plus pénalisant. Il se traduit par un renchérissement des prix des
biens culturels, livres, presse ou encore multimédia, mais également par les
difficultés rencontrées pour bénéficier des ressources culturelles de la
métropole.
Au-delà de cette donnée physique, ces départements souffrent à l'évidence
d'une situation économique et sociale très dégradée, situation qui aggrave sans
aucun doute les inégalités culturelles imputables à l'insularité.
Ces constats d'ordre économique et géographique imposent à l'évidence qu'une
attention particulière soit accordée aux actions destinées à promouvoir une
égalité culturelle.
Or, bien que l'insularité les place au coeur de tous les débats relatifs à
l'environnement socioculturel, la situation financière très fragile des
collectivités locales ne leur permet guère, à la différence de celles de la
métropole, de prendre une part déterminante dans la politique culturelle. Cette
situation a pour corollaire un sous-équipement culturel ; les déficits les plus
marqués concernent les institutions culturelles de proximité, dont le rôle en
matière de médiation culturelle est pourtant essentiel, qu'il s'agisse des
bibliothèques ou des écoles de musique, ce qui se traduit mécaniquement par la
faiblesse des relations entre ces dernières et les établissements scolaires.
A l'évidence, un effort doit être consenti pour rapprocher en matière
culturelle les DOM de la métropole.
Le projet de loi propose à ce titre deux mesures.
En premier lieu, l'article 19 prévoit des mesures tendant, en matière de biens
culturels, à la réduction des écarts de prix entre les DOM et la métropole.
Cependant, le contenu de ces mesures, dont la nécessité avait été soulignée par
MM. Lise et Tamaya, n'est pas précisé, à l'exception de celle qui est relative
au livre. Le projet de loi apparaît donc bien timide et l'engagement de l'Etat
pour le moint limité : le financement de ces mesures, mises en place «
progressivement », incombe, en effet, à l'Etat mais aussi aux collectivités
territoriales, dont les ressources sont cependant très limitées. On ne saurait
être plus prudent.
Ces mesures sont, je crois, pourtant nécessaires ; elles doivent prendre la
forme de compensations financières destinées à tenir compte de l'éloignement,
mais également porter directement sur les tarifs d'acheminement des biens et
des personnes, qui, bien souvent, faute de concurrence, sont très élevés. En ce
domaine, les responsabilités de l'Etat sont éminentes.
A cet égard, je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, attirer votre
attention sur les conditions d'accès à Internet. En raison de leur éloignement,
et je pense en particulier au cas de Saint-Pierre-et-Miquelon, des difficultés
existent de par les surcoûts imposés par les liaisons satellitaires, qui
rendent plus onéreuses les connexions. Si je ne méconnais pas les conditions
particulières d'exploitation du réseau de télécommunications dans ce territoire
en raison de la faible dimension du marché local, je souligne l'intérêt que
pourrait avoir une mesure de compensation adaptée.
Une seule mesure concrète est prévue par le projet de loi : l'extension aux
départemetns d'outre-mer, à compter du 1er janvier 2002, de la loi du 10 août
1981 relative au prix unique du livre. Sur ce point, on regrettera que ne
figure pas dans le texte du projet de loi l'essentiel, à savoir l'engagement du
Gouvernement de compenser le coût de cette légitime mesure d'équité.
Faute d'une telle mesure, dont les modalités devraient être étudiées dès le
début de l'été par une mission mandatée par le Gouvernement, il y a fort à
craindre, en effet, que l'équilibre financier, déjà très précaire, des
libraires d'outre-mer ne soit gravement menacé et que les effets économiques
induits par cette mesure d'équité n'annulent le bénéfice culturel à en
attendre.
Je soulignerai que, toutefois, la réduction des écarts de prix ne peut à elle
seule suffire à favoriser l'égal accès à la culture dans la mesure où demeurent
des inégalités de revenus. Nous savons bien que le montant de la consommation
culturelle des ménages est directement liée à leur niveau de revenus. C'est à
la collectivité, en particulier à l'Etat au travers d'un soutien spécifique
apporté aux équipements culturels et éducatifs de proximité - je pense en
particulier aux bibliothèques -, de compenser l'insularité mais également les
difficultés économiques et sociales. Il s'agit là d'une priorité si l'on veut
éviter la spirale de l'exclusion ; je pense notamment à l'accès aux nouvelles
technologies de la communication, dont l'apprentissage est désormais
fondamental et constitue pour ces territoires éloignés de la République une
chance de développement mais aussi d'ouverture vers l'extérieur.
La seconde mesure que prévoit le projet de loi d'orientation afin de
rapprocher physiquement, en quelque sorte, les DOM de la métropole est la
création d'un fonds destiné à promouvoir les échanges éducatifs, culturels ou
sportifs de ces départements vers la métropole ou les pays situés dans leur
environnement régional. Il s'agit là, monsieur le secrétaire d'Etat, d'une
bonne mesure, pragmatique, qui vient conforter les nombreuses initiatives
prises en ce domaine par les collectivités territoriales, conscientes de
l'importance de l'ouverture des DOM vers l'extérieur. C'est un soutien
bienvenu, même s'il faudra veiller à ce que l'effort financier promis par le
Gouvernement se concrétise de manière durable.
En conclusion, je ne pourrai que regretter à nouveau le caractère disparate
des dispositions du projet de loi. De portée modeste, elles ne répondent
qu'imparfaitement aux aspirations des DOM. L'égalité éducative et culturelle
reste à conquérir.
Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption des amendements
que je vous soumettrai, mes chers collègues, la commission des affaires
culturelles vous propose de donner un avis favorable à l'adoption du titre IV
du projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke,
au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des
chances entre les hommes et les femmes.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation pour
l'outre-mer est un texte important, parce qu'il contient des réformes
institutionnelles essentielles, mais aussi parce qu'il tend à mettre en oeuvre
tout un dispositif économique et social visant à promouvoir le développement
durable et à compenser des retards accumulés dans différents domaines.
Mais, alors que la situation des femmes par rapport aux hommes est encore plus
inégalitaire outre-mer qu'en métropole, ce texte ne contient aucune disposition
spécifique en direction des femmes, si l'on excepte une revalorisation de
l'allocation de parent isolé, à l'article 14.
Non ciblées, les dispositions prévues par le projet de loi risquent de ne pas
profiter à part égale aux femmes.
C'est pourquoi M. le président de la commission des lois a souhaité saisir la
délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et
les femmes. Je m'en félicite et je l'en remercie.
Si des inégalités entre les hommes et les femmes existent en métropole, elles
sont encore plus prégnantes outre-mer, bien que les déséquilibres soient moins
accusés que par le passé. Les chiffres sont parlants, même si, et je tiens à le
souligner, il n'existe que très peu de statistiques sexuées. Cette lacune en
dit peut-être plus long encore sur la prise en considération des femmes.
Permettez-moi néanmoins, mes chers collègues, de citer quelques chiffres.
Les femmes sont placées dans une situation plus précaire face à l'emploi.
Ainsi, un tiers des femmes âgées de vingt-cinq à trente ans sont au chômage,
contre un quart des hommes. De même, les femmes représentent 57,8 % des
titulaires de contrats emploi-solidarité et 55 % des titulaires de contrats
emplois consolidés.
Cette situation précaire est aggravée par le fait que la charge de famille
repose principalement sur la mère,
a fortiori
dans les familles
monoparentales, particulièrement nombreuses dans les départements d'outre-mer.
Aussi la délégation se félicite-t-elle de la revalorisation de l'API,
l'allocation au parent isolé, tout en déplorant que l'alignement prévu sur la
métropole soit aussi long à intervenir.
Toutefois, est-il nécessaire de le souligner, si l'augmentation de
l'allocation au parent isolé ainsi que du revenu minimum d'insertion permet de
soulager les femmes dans leurs conditions d'existence, leur avenir doit d'abord
passer par un accès égalitaire à l'emploi et aux formations de qualité.
Les inégalités entre les hommes et les femmes en outre-mer sont accentuées par
des comportements masculins d'ordre culturel, qui font une grande place à la
violence et laissent les femmes démunies et ignorantes de leurs droits.
Il est particulièrement regrettable, à cet égard, de constater que les
déléguées régionales aux droits des femmes ne sont pas employées à temps plein
outre-mer et que le poste de la Guyane est resté vacant pendant sept ans !
L'exemple de la contraception illustre pourtant l'urgente nécessité de mieux
informer les femmes d'outre-mer.
L'accès à la contraception est, en effet, très difficile et particulièrement
critique pour les adolescentes. Les grossesses des mineures sont trois fois
plus nombreuses aux Antilles qu'en métropole, quatre fois plus à la Réunion et
dix fois plus en Guyane. Le taux global des interruptions volontaires de
grossesse rapportées aux naissances, qui s'établit pour la France entière à
27,40 %, est, respectivement, de 29,60 % en Guyane, de 34,40 % à la Martinique,
de 34,70 % à la Réunion et de 72,80 % à la Guadeloupe. Ces chiffres montrent
que l'information en direction des femmes est encore plus indispensable
outre-mer qu'en métropole. On peut, à ce propos, s'interroger sur la logique
qui a conduit à mettre à la charge du seul secrétariat d'Etat chargé des
départements et territoires d'outre-mer, lequel a dû prélever quelque 2,6
millions de francs sur son propre budget, l'extension à l'outre-mer de la
dernière campagne d'information sur la contraception.
C'est peut-être la même logique qui a failli laisser à l'écart l'outre-mer
dans l'enquête qui est actuellement menée par les services du secrétariat
d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle sur les
violences subies par les femmes.
Dans tous les domaines, et plus encore dans celui des droits des femmes, nous
devons avoir ce que nous pourrions appeler le « réflexe de l'outre-mer ».
En conséquence, il est apparu nécessaire à la délégation de faire trois
recommandations, qui, nous l'espérons, seront reprises sous forme
d'amendements.
La première consiste à faire figurer la recherche de l'égalité entre les
hommes et les femmes parmi les objectifs affichés à l'article 1er du texte.
La deuxième est de faire apparaître, dans le rapport d'évaluation que la
future commission des comptes économiques et sociaux des départements
d'outre-mer devra remettre chaque année au Gouvernement sur la mise en oeuvre
de la loi, l'impact des mesures prévues sur la population féminine.
La troisième est d'inciter l'Etat à mieux prendre en compte, dans les
politiques qu'il met en oeuvre, la situation spécifique des femmes d'outre-mer
et d'attirer l'attention du Gouvernement sur l'impérieuse nécessité de
renforcer, outre-mer, les moyens des centres d'information sur les droits des
femmes.
J'ajouterai, pour conclure, qu'en ma qualité de présidente de la délégation du
Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes j'ai assisté la semaine dernière à l'assemblée générale extraordinaire
de l'ONU sur les droits des femmes.
Cette assemblée, dont les travaux se sont terminés vendredi, avait un double
objectif : d'une part, faire le point sur la mise en oeuvre concrète du
protocole arrêté à la conférence de Pékin voilà cinq ans, d'autre part,
permettre des avancées dans le domaine des droits des femmes.
Je peux vous dire que l'action menée par la France pour promouvoir l'égalité
entre les hommes et les femmes a été très remarquée et appréciée à la tribune
de l'ONU et que l'image que nous donnerons sur cette question essentielle dans
nos départements d'outre-mer est extrêmement importante pour l'ensemble des
pays environnants.
Je souhaite que nos travaux enrichissent le présent projet de loi en ce sens.
(Applaudissements.)
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, à ce stade de la discussion
générale, vous me permettrez de répondre très brièvement aux rapporteurs des
commissions, non pas sur chacune des observations qu'ils ont formulées,
observations souvent pertinentes et sur lesquelles nous reviendrons lors de
l'examen des articles, mais plutôt sur la philosophie générale de leur
réflexion.
Ainsi, les rapporteurs ont marqué un intérêt positif pour les mesures
économiques, sociales et culturelles, même s'ils souhaitent les améliorer,
alors que, dans le domaine institutionnel, domaine controversé, le rapporteur
de la commission des lois n'ayant pas souhaité ou n'ayant pu entraîner la
commission à modifier les dispositions proposées, ladite commission a
finalement décidé d'en demander la suppression - je pense à l'article 38 ou à
l'article 39.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Permettez-moi de relever deux contradictions qui
apparaissent d'ores et déjà, selon moi, dans ce débat.
Monsieur Balarello, vous nous avez dit : « Le Gouvernement est allé aussi loin
que possible dans le cadre de l'article 73 ». Je voudrais vous rappeler ce que
le Président de la République, a déclaré en substance, en novembre 1997 - M.
Othily peut en témoigner - au cours, d'une visite en Guyane, où je
l'accompagnais : « Nous ne sommes pas allés au bout de l'article 73 de la
Constitution, relatif aux départements d'outre-mer. Explorons donc cette voie.
»
C'est ce que le Gouvernement se propose de faire par l'institution du congrès,
qui, je le rappelle, n'est pas une troisième assemblée mais est bien la réunion
des deux assemblées existantes - le Gouvernement ne tranche pas sur les
légitimités démocratiques -, réunion appelée à faire des propositions
institutionnelles. Autrement dit, cette réunion n'a pas un caractère permanent
: elle est une instance de proposition.
Nous restons bien, selon nous, dans le cadre de l'article 73 en prévoyant la
possibilité de réunir les deux assemblées en congrès. Supprimer cette
possibilité conduit à créer le vide, et le vide ne peut pas générer des
évolutions institutionnelles, sauf par des voies externes à la démocratie.
Le Sénat s'enferme donc aujourd'hui dans une contradiction fondamentale, à
défaut de faire d'autres propositions qui auraient pu être retenues.
M. Balarello nous confesse qu'il existe d'autres propositions. Il y a celles
qui pourraient découler de la déclaration de Basse-Terre, déclaration d'une
page, qui reste tout de même très limitée. Il y a aussi la proposition de
nature constitutionnelle du sénateur Othily et celle, de nature législative, du
député Bertrand, concernant la Guyane. Mais à quel niveau ces propositions
peuvent-elles être prises en compte ? Faut-il qu'elles le soient au niveau du
Gouvernement ? Ce débat ne peut-il pas s'instituer au niveau des sociétés
locales ? Ce serait vraiment la reconnaissance de la capacité de l'outre-mer de
décider !
Monsieur Balarello, tout en proposant de supprimer l'article 39, vous suggérez
que le Gouvernement profite de la présidence française pour demander la
rediscussion de l'article 299-2 du traité d'Amsterdam. Or cet article 299-2 a
été véritablement arraché tant par le gouvernement précédent que par celui-ci,
au cours des négociations européennes, puisqu'il reconnaît que les régions
ultrapériphériques justifiant de cette notion d'adaptation telle qu'elle figure
dans l'article 73 de la Constitution. Mais cette adaptation est fortement
encadrée puisqu'une majorité qualifiée des pays membres est requise.
Depuis le traité de Rome, nos départements d'outre-mer sont reconnus comme
faisant partie de l'Europe : ils y sont dénommés « départements d'outre-mer
français ». Ils ont été ultérieurement rejoints par Madère et les Açores, d'une
part, les Canaries, d'autre part, avec l'entrée du Portugal et de l'Espagne.
Monsieur Balarello, ce n'est pas parce qu'il sera fait mention, dans l'article
299-2, de la Martinique, de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Réunion que
nous aurons résolu le problème !
En effet, l'Europe entretient deux types de relations avec ce que j'appellerai
les « territoires extérieurs » au continent européen.
Il y a, d'un côté, les relations avec les régions ultrapériphériques qui ont
des handicaps et qui nécessitent des adaptations, mais qui sont
fondamentalement intégrées aux politiques communes, qu'il s'agisse de l'union
douanière, de la libre circulation des personnes et des capitaux ou
d'autres.
Il y a, d'un autre côté, les relations avec les pays et territoires
d'outre-mer. M. Reux sait bien que c'est la motivation principale qui a
entraîné l'évolution statutaire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces pays et
territoires d'outre-mer ne sont pas liés par les politiques communes.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Si !
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Ainsi, en particulier Saint-Pierre-et-Miquelon n'est
pas liée par la politique commune relative à la pêche.
C'est également la situation, du Groënland - pour des raisons semblables - de
la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie.
Par conséquent, monsieur Balarello, ce n'est pas en mentionnant, dans
l'article 299-2, nos quatre départements d'outre-mer que nous leur permettront
d'avancer. Il ne faut pas transférer le problème à l'échelon européen parce
que, à cet échelon, des contraintes qui tiennent aux politiques communes nous
sont imposées.
C'est pourquoi, à mon avis, la position adoptée aujourd'hui par le Sénat, qui
revient à vouloir supprimer toute possibilité d'évolution à la Réunion -
puisqu'il s'agit de maintenir le
statu quo
- et toute possibilité
d'évolution organisée dans les trois autres départements d'outre-mer, conduit à
bloquer toute perspective de prise en compte des aspirations locales, à
privilégier une démarche passant par une décision du Gouvernement, ne
s'appuyant pas clairement sur un consensus local.
Or modifier la Constitution - et vous allez bientôt être soumis à cet exercice
- ne peut passer que par un consensus local. Nous l'avons fait pour la
Nouvelle-Calédonie - et je rappelle que 95 % des parlementaires ont approuvé le
projet - parce qu'il y avait bien un consensus local. Faute d'un tel consensus,
les controverses s'installent et les évolutions ne se produisent pas !
Voilà pourquoi la démarche qui vous est proposée a été choisie. Elle est
effectivement sur le « fil » constitutionnel, mais le Conseil constitutionnel,
qui a admis pour Mayotte qu'il y ait consultation des populations, doit, à mon
avis, reconnaître que le pacte républicain qui lie les ensembles territoriaux
de l'outre-mer implique que leurs populations puissent être consultées.
J'en viens à la deuxième contradiction, et je m'adresserai plus
particulièrement à M. Lorrain, qui a marqué son intérêt, comme MM. Reux et
Huchon, pour les mesures à caractère économique et social mais qui a eu la
tentation de nous inviter à faire plus.
Evidemment, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer souhaite toujours faire plus.
Mais cela a évidemment un coût pour les finances publiques. J'ai évalué
rapidemment le coût des mesures que proposera M. Lorrain à travers ses
amendements. Passer de 1,3 fois le smic à 1,5 fois le smic, compenser la prise
en compte du RMI pour les départements, passer aux dix premiers salariés des
entreprises de vingt salariés, étendre le dispositif des préretraites : tout
cela représente à peu près un milliard de francs.
Je confirme d'ailleurs à M. Lorrain que l'ensemble des mesures d'exonération
représentent 3,5 milliards de francs, dont 800 millions de francs au titre du
dispositif Perben et 2,7 milliards de francs au titre du présent projet de
loi.
Dès lors, pourquoi ne pas ajouter un milliard de francs ? Certes, mais il est
un moment où la question des contreparties doit être posée. Et je sais le Sénat
très soucieux de l'équilibre des finances de l'Etat, ainsi qu'il le montre à
chaque discussion budgétaire.
Pour ma part, je ne vois que deux contreparties possibles. Il faut oser les
proposer aussi.
La première est celle qui a été instituée par le gouvernement de M. Balladur
et qui consiste à ajouter deux points de TVA. Cela représente précisément un
milliard de francs. Une telle mesure revient évidemment à renchérir le coût de
la consommation outre-mer pour financer ces dispositifs par un effet de
redistribution, mais toute autre mesure est fictive.
Ces deux points de TVA supplémentaires ont été finalement annulés par le
gouvernement Juppé du fait de leur généralisatin à l'ensemble du pays.
Quoi qu'il en soit, il faut être cohérent : si l'on veut dépenser un milliard
de francs de plus, on ne peut les trouver qu'avec deux points de TVA !
Mais une autre contrepartie, non directement financière celle-ci, est
également envisageable.
Aujourd'hui, le Gouvernement fait confiance aux entrepreneurs. Il a passé avec
eux un pacte de confiance. Certains dans cette assemblée, qui sont proches du
Gouvernement, réclament des contrôles. Le Gouvernement n'est pas favorable à
des contrôles. Certains demandent aussi que les mesures ne concernent que de
vrais contrats de travail, des contrats à durée indéterminée, et non des
emplois précaires ou à temps partiel.
Autrement dit, monsieur Lorrain, en dehors des contreparties financières, on
peut aussi imaginer des contreparties législatives et réglementaires.
Je souhaite que le Sénat intègre ces données à sa réflexion.
La solidarité nationale s'exprime à hauteur d'un certain montant. On peut
toujours souhaiter plus, mais il faut que les solutions mises en oeuvre soient
authentiquement créatrices d'emplois, qu'elles permettent vraiment de donner du
travail, qu'elles ne servent pas seulement à exonérer les résultats des
entreprises. C'est pourquoi nous avons considéré que les entreprises qui
devaient être exonérées étaient celles des secteurs exposées ou les petites
entreprises, car ce sont elles qui sont à la fois ouvertes à la compétition et
susceptibles de créer des emplois. Il y a d'autres entreprises qui vivent
simplement de la consommation, qui ne créeront pas un emploi de plus.
Doivent-elles vraiment profiter de l'exonération de charges patronales ?
C'est une règle du type « donnant-donnant » qui doit s'appliquer : ce que
donne la collectivité nationale contre l'engagement des entreprises d'assumer
une prise en charge effective de ce problème dominant qu'est celui de
l'emploi.
Telles sont les deux contradictions essentielles que, à ce stade de la
discussion, je tenais à souligner. Nous y reviendrons, bien sûr, tout au long
de la discussion des articles, mais il m'appartenait, compte tenu du travail de
qualité réalisé par les commissions du Sénat, d'insister d'ores et déjà sur ces
deux points.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Votre intervention comportait,
monsieur le secrétaire d'Etat, deux volets.
Je n'insisterai guère sur le second, qui a été marqué par une certaine
démagogie : c'est en effet le mot qu'inspire vos réponses aux questions
financières qui ont été soulevées, surtout si l'on se souvient que le
Gouvernement auquel vous appartenez n'hésite pas, dans certaines circonstances,
à inventer des dépenses nouvelles. Lorsque, par exemple, le premier geste d'un
certain ministre de l'éducation nationale a été de supprimer d'un trait de
plume six heures de cours d'une catégorie d'enseignants, vous ne vous êtes pas
tellement préoccupés du coût que cela pouvait représenter !
Mais je préfère évoquer les choses sérieuses, c'est-à-dire le volet
institutionnel.
J'ai été, personnellement, favorable à l'adoption de l'article 39. Je n'y
reviendrai pas. Mon vote sera pour l'essentiel conforme à celui de mes amis.
Cela dit, c'est une mesure extraordinairement limitée, qui n'apporte aucune
solution concrète. Elle ne vise qu'à ouvrir la discussion. Si le congrès est
rétabli par l'Assemblée nationale, la discussion s'engagera. Nous verrons alors
si elle a quelque utilité !
Selon vous, monsieur le secrétaire d'Etat, et c'est là le point essentiel, on
peut aller très loin dans l'évolution du statut des départements
d'outre-mer.
Le statut des départements d'outre-mer est caractérisé par deux éléments :
premièrement, la loi métropolitaine y est immédiatement applicable, sauf si
l'on prévoit expressément le contraire ; deuxièmement, les seules mesures qui
sont permises par la Constitution sont des mesures d'adaptation. Or nous
connaissons la position du Conseil constitutionnel - qui fut là peut-être mieux
inspiré qu'il ne l'a été d'autres fois - sur les mesures d'adaptation. C'est
ainsi que la création d'une assemblée unique ne peut pas être considérée comme
une adaptation. On voit donc tout de suite la limite considérable qui est posée
en matière d'adaptation.
Mais venons-en aux possibilités prévues par la Constitution. Ces possibilités
existent à condition de sortir du statut de département d'outre-mer. Et il
n'est pas besoin de réformer la Constitution pour cela ! L'article 72 de la
Constitution dispose en effet : « Toute autre collectivité territoriale est
créée par la loi. » Or, en l'état actuel des choses, nous ne pouvons pas
supprimer la notion de département d'outre-mer. Pourquoi ? Peut-être parce
qu'une certaine valeur affective s'y attache...
Le département d'outre-mer a été une très grande idée en 1945. Mais cinquante
ans ont passé et le département d'outre-mer, avec les conséquences juridiques
qui en découlent, n'est plus une entité qui correspond à l'évolution des pays
et aux besoins des peuples d'outre-mer. D'ailleurs, un certain nombre d'entre
eux n'ont pas hésité à le dire.
Mais nous ne pouvons pas renoncer à la notion de département d'outre-mer, car
nous perdrions alors immédiatement les crédits européens qui leur sont alloués.
Il faut donc modifier sur ce point les dispositions du traité d'Amsterdam et
dire que les crédits européens, comme ils bénéficient aux Açores, à Madère et
aux Canaries, peuvent être accordés non pas au département d'outre-mer de
Guyane mais à la Guyane, non pas au département d'outre-mer de Martinique mais
à la Martinique, non pas au département d'outre-mer de Guadeloupe mais à la
Guadeloupe.
A ce moment-là, une fois que l'on aura sauvé, en quelque sorte, cette manne
européenne à laquelle il n'y a pas lieu de renoncer, on fera ce que l'on
entend, et ce sans modifier la Constitution. On créera peut-être la
collectivité territoriale de la Guyane, collectivité de la République. Il ne
faut pas perdre cette occasion ; elle se présentera inévitablement, même si ce
n'est pas maintenant.
Nous avons trop manqué, au nom de notre histoire, d'opérations de
décolonisation. Nous avons manqué la décolonisation de l'Indochine, celle de
l'Algérie. Il faut veiller à ne pas manquer une évolution nécessaire des
départements d'outre-mer, d'autant que nous avons tous la preuve de
l'attachement profond de ces populations à une certaine idée de la France, à
une vie commune avec la France. Il suffit de se rendre sur place, de consulter
les sondages et de lire ce qui s'écrit pour se rendre compte que ces
populations, même si elles évoluent de manière considérable, entendent demeurer
françaises, sous une certaine forme.
Il n'est pas besoin de reproduire à l'identique le système du département
français, comme nous l'avons fait pendant cinquante ans en outre-mer. Ce fut
une très grande idée, mais elle a épuisé ses vertus. Il faut avoir
l'intelligence d'en trouver une autre.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. José Balarello,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. José Balarello,
rapporteur.
M. le président de la commission des lois a exprimé de façon
remarquable ce que je voulais dire à M. le secrétaire d'Etat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'avoue n'avoir pas compris votre réponse, qui
manquait d'objectivité, permettez-moi de vous le dire.
En effet, je n'ai pas tenu d'autres propos que ceux de M. le président de la
commission des lois : pour que les départements d'outre-mer actuels puissent
continuer de bénéficier des fonds structurels européens nonobstant une
éventuelle évolution de leur statut, encore faudrait-il que le Gouvernement
obtienne la modification du traité d'Amsterdam en substituant aux termes «
départements français d'outre-mer » les termes « Guadeloupe, Réunion,
Martinique et Guyane ». Je ne vous ai rien dit d'autre, monsieur le secrétaire
d'Etat ! Or vous me répondez que cela n'est pas possible.
M. le président de la commission des lois vous a indiqué quelle était sa
position. Croyez bien que tant le président de la commission des lois que les
rapporteurs ont pris conscience de l'importance de ce texte non seulement pour
la République, mais également pour les populations des départements
d'outre-mer. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes attachés à faire
preuve d'une objectivité que je me permettrai de qualifier de « remarquable
».
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Lorrain, rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur pour avis.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez bien voulu
reconnaître, un peu timidement, je dois le dire, que nous n'allions pas vers le
« toujours plus ». Je ne crois pas, en effet, qu'il faille nous faire ce
procès, car cela ne correspond pas à la réalité.
Si nous nous étions laissés aller à la démagogie, de façon trop simpliste,
nous aurions pu demander une exonération totale de charges pour l'ensemble des
entreprises, ou la création de zones franches. Par ailleurs, vous savez,
monsieur le secrétaire d'Etat, que l'alignement complet et immédiat du RMI fera
l'objet de demandes de la part de certains de nos collègues.
Nous avons proposé des exonérations visant des situations délicates, où il est
possible de créer des emplois.
Vous avez demandé, à juste titre, une contrepartie. Mais la diminution du coût
du travail pour l'entreprise, laquelle deviendra peut-être plus compétitive
dans une zone où elle se trouve en difficulté face à des concurrents
bénéficiant d'un coût du travail nettement inférieur, représente à mon sens une
contrepartie positive.
En ce qui concerne la création d'emplois, vous savez comme moi qu'il s'agit,
là aussi, d'une contrepartie importante pour l'économie locale, qui a des
effets positifs sur la machine économique.
En revanche, et nous y viendrons sans doute au cours des débats, la commission
des affaires sociales n'a pas retenu la possibilité d'un abandon de la dette
sociale et fiscale des entreprises, se bornant à préconiser un apurement de
celle-ci.
Je crois donc que c'est avec un réel esprit de responsabilité que nous avons
avancé ces propositions. Si nous laissions aller les choses, dans cinq ans, le
coût du dispositif serait peut-être très supérieur à un milliard de francs.
Mais je pense que nous aurons l'occasion de préciser nos choix dans la suite
du débat.
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 23 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je reprendrai, dans un propos que j'espère
court, à peu près tous les thèmes qui ont été évoqués par vous-même et par nos
excellents rapporteurs.
Voilà trois années, nous était annoncée la discussion imminente d'une loi de
programme pour l'outre-mer. Nous en étions demandeurs, comme tous ceux qui
mesurent, par le bon sens, l'évolution très prompte des réalités dans ces
départements français assujettis à l'insularité, à l'éloignement autant qu'à
leur diversité, et davantage encore à l'isolement, au sein d'un vaste
environnement, lui-même frappé par la mondialisation.
Voilà pourquoi nous souhaitions, nous attendions, nous espérions cette loi de
programme promise, répondant aux aspirations impatientes et compréhensibles de
nos concitoyens des départements d'outre-mer : une loi de programme à la
hauteur des enjeux économiques, sociaux et institutionnels tels que les
définissait le Président de la République dans son discours fondateur, prononcé
à la Martinique le 11 mars dernier, par lequel il souhaitait « un statut sur
mesure » pour chacun des départements d'outre-mer. Il ajoutait : « On mesure
bien l'étendue du champ des réflexions, allant du maintien de la
départementalisation jusqu'à l'autonomie régionale, [...] aucune de ces
démarches ne gêne, aucune de ces approches ne choque [...]. »
Qu'en est-il du projet de loi qui nous est soumis ?
La déception qu'il suscite en nous est à la hauteur de l'espoir que nous
fondions sur lui !
Croyez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il n'y a dans mon propos aucune
acrimonie à votre égard. Nous vous avons soutenu, sans ambages, dans d'autres
circonstances, et pour d'autres projets, qu'il s'agisse de la
Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française ou, plus récemment, de Mayotte.
Nous mesurons l'ampleur du sujet dons nous débattons aujourd'hui, autant que
l'urgence qu'il requiert, que nous avons d'ailleurs nous-mêmes demandée.
Mais cette urgence fut quelque peu contrariée par la lente gestation de votre
projet de loi. Nous ne contestons pas votre effort de concertation, s'appuyant
sur quatre rapports établis à la demande du Gouvernement et sur la
consultation, à deux reprises, des assemblées locales. Toutefois, reconnaissons
que diagnostic et consultation n'ont abouti qu'à une phase de décision
édulcorée et donc profondément décevante. La méthode employée n'a pas répondu à
votre attente, ni bien sûr à la nôtre !
Votre projet s'est peu à peu situé au carrefour des intérêts et des sentiments
; il est davantage en butte à la contradiction des fantasmes et à la dure
réalité des choses telles qu'elles sont, comme l'aurait dit le général de
Gaulle. En voulant faire plaisir à tout le monde, on ne répond à personne ! Sur
les huit assemblées locales consultées, seules deux ont émis un avis positif
sur votre projet.
Au fil des mois, ce projet s'est rétréci comme une peau de chagrin et
particulièrement son volet, pourtant capital, d'une réforme institutionnelle.
Pour répondre à votre choix intime, et justifié, de rompre comme il est
souhaitable avec une vision uniforme de l'outre-mer, vous voici obligé de
confier à l'avenir une évolution statutaire dans chaque département. C'est au
plus, et je m'excuse de le dire, l'aveu d'un échec que de remettre à demain ce
qui réclame aujourd'hui l'urgence.
C'est ainsi que l'ambition d'une loi de programme s'est réduite à la timidité
d'une loi d'orientation, orientation d'ailleurs si sinueuse que, comme
l'indique notre excellent rapporteur de la commission des lois José Ballarello,
le projet qui nous est soumis ressemble davantage à un texte « portant diverses
propositions relatives à l'outre-mer ».
J'ai employé le terme « timidité », parce que je le crois fondé. Mais je
comprends qu'il vous choque, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous avez, en
effet, fait valoir l'ampleur « sans précédent » des financements marquant,
dites-vous, une « étape historique » dont chacun ici doit avoir pleinement
conscience. Dont acte : 37 milliards de francs, certes, sur une période de sept
ans, que vous comparez, un peu insidieusement, aux 19,7 milliards de francs de
la période précédente. Ces 37 milliards de francs se décomposent ainsi : 5
milliards de francs de crédits d'Etat dans le cadre des contrats de plan, 9
milliards de francs pour les collectivités locales et 23 milliards de francs au
titre des fonds structurels européens.
Ce sont donc ces derniers qui constituent l'essentiel de la manne financière
de votre projet. Ils pèsent donc profondément sur son avenir, si nous le
considérons, avec vous, comme une loi d'étape.
Ils pèsent d'abord sur le plan institutionnel, car le traité d'Amsterdam les
applique - et vous avez évoqué cette question tout à l'heure - en tant que «
mesures spécifiques » aux « départements français ». La question a également
été évoquée par le président de la commission des lois. Avec une juste sagesse,
notre collègue José Balarello remarque qu'il ne conviendrait pas que certains
obstacles juridiques, éventuels, entre l'article 73 de notre Constitution et
l'article 299.2 concerné du traité d'Amsterdam s'opposent définitivement à
toute évolution du statut de département d'outre-mer vers une autonomie accrue,
à laquelle aspirent les populations concernées, et que vous souhaitez vous-même
pour l'avenir. L'article 72 de la Constitution, qui a été évoqué tout à
l'heure, était effectivement une voie que l'on aurait pu explorer. Ne serait-il
pas opportun, aujourd'hui, d'envisager une meilleure adaptation du texte
d'Amsterdam, afin de mieux coordonner les entités juridiques et géographiques
de ces régions ultrapériphériques ? En effet, les perspectives d'évolution
envisageables pour les départements français d'outre-mer ne devront pas
remettre en cause leur intégration au sein de l'Union européenne, pas plus que
leur aptitude aux fonds correspondants.
Cette question, monsieur le secrétaire d'Etat, ne vous a, certes, pas échappé,
vous l'avez dit tout à l'heure. A-t-elle pesé sur la timidité du volet
institutionnel de votre projet de loi ? Il faudra bien, cependant, la regarder
en face !
Il ne vous a pas échappé non plus, j'en suis persuadé, que l'on puisse
déplorer les difficultés de gestion de ces crédits ou leur sous-consommation,
cela a été évoqué par notre collègue M. Balarello - puisqu'ils constituent
l'atout vital du développement économique envisagé. C'est pourquoi nous
soutiendrons la proposition de notre commission des lois - de consacrer de
manière législative une commission de la mobilisation et du suivi de ces fonds
structurels.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne l'ignorez pas : on ne peut
prédire avec exactitude l'évolution de l'Union européenne au cours des sept
prochaines années ; on peut simplement dire que les fonds structurels seront de
plus en plus sollicités par ceux qui en sont aujourd'hui privés.
L'impératif des besoins pourrait bien commander un jour des révisions
déchirantes à l'égard des gestionnaires médiocres ou des projets dépourvus de
sagacité. Rien n'est jamais acquis définitivement, et nous serons soumis aux
examens de passage !
C'est pourquoi nous approuvons les réserves pertinentes du rapporteur pour
avis de la commission des affaires sociales, notre collègue Jean-Louis Lorrain,
à l'égard du volet économique et social de votre projet de loi, qu'il a
qualifié de timoré.
Certes, vous rendez implicitement hommage aux lois Pons et Perben, que vous
avez pourtant si souvent critiquées. Mais mettant fin à l'une, la loi Pons,
vous la remplacez par quoi ? Par un groupe de travail qui doit réfléchir
ultérieurement ! Quant à l'autre loi, vous la modernisez, certes, et, compte
tenu, dites-vous, de « l'expérience acquise et des résultats », vous la
prolongez sans limitation dans le temps, preuve que sa conception n'était pas
si mauvaise.
MM. Edmond Lauret, Serge Vinçon et Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Lucien Lanier.
Vous privilégiez, enfin, l'assistance, rebaptisée « solidarité », de
préférence à l'impulsion qui aurait exigé des mesures de plus grande
ampleur.
Vous engagez un effort considérable en matière d'exonération des charges
sociales, mais par un dispositif complexe - je vous l'avais d'ailleurs fait
observer en commission des lois - et fragmentaire.
A titre d'exemple, vous exonérez totalement les entreprises de moins de dix
salariés. Bien ! Mais au-delà de ce seuil, c'est un lissage compliqué de
dégressivité de l'aide, qui deviendra, à mon avis, un frein à l'emploi, une
incitation au travail camouflé.
Autre exemple : le moratoire sur les dettes sociales ne deviendra-t-il pas une
aubaine d'amnistie, considérée comme une injustice par ceux qui auront accompli
leur devoir ?
Enfin, par la réduction de la marge entre le RMI et le SMIC, n'incitez-vous
pas les RMIstes à le rester par apport d'un travail clandestin leur apportant
un revenu supérieur au SMIC ?
Nous ne prenons que ces quelques exemples - les rapporteurs vous en ont donné
d'autres - espérant que leur gestion ne vous sera pas un jour reprochée. Nous
regrettons que rien ne soit envisagé pour la taxe professionnelle. Nous
regrettons la réserve marquant certains secteurs pourtant essentiels dans ce
dispositif, tels le bâtiment et des travaux publics ou les transports aérien et
maritime.
Nous regrettons aussi le manque d'ampleur de la baisse du coût du travail et,
surtout, le manque d'effort concernant les entreprises exportatrices. Car, en
définitive, si vous cherchez à doper la production et l'emploi, ce qui est
indispensable, nous le reconnaissons, encore faut-il doper une politique de
débouchés au-delà de l'insuffisant marché intérieur. C'est l'un des points qui
ne me semblent pas très bien traités dans votre projet de loi.
Bref, nous reconnaissons l'urgence absolue des mesures qu'il faut prendre, le
bien-fondé d'un effort sans précédent, mais en souhaitant qu'une part de cet
effort ne disparaisse pas dans le gouffre d'une assistance immédiate et hâtive
sans profit pour l'avenir.
Par ailleurs, l'urgence de l'économique et du social, la crainte d'un
consensus introuvable vous ont fait en rabattre, hélas ! sur les réflexions
institutionnelles. Vous préconisez, et nous aussi, des statuts différenciés et
adaptés, comme le souhaite le Président de la République. Où sont-ils dans
votre projet ? Où apparaît l'indice d'une réflexion porteuse d'avenir ? Comment
rompre avec un traitement uniforme si l'on occulte identités et aspirations
?
Vous excipez qu'en l'absence d'une modification de l'article 73 de la
Constitution rien ne peut être envisagé dans l'immédiat. Vous l'avez d'ailleurs
indiqué dans votre intervention à l'Assemblée nationale.
Nous permettez-vous de vous dire qu'une réflexion générale et cohérente,
respectant l'unité de la République, aurait au moins permis de tirer les
conséquences juridiques et constitutionnelles de la fin des catégories
uniformes ? Mais cette réflexion n'a pas eu lieu.
En effet, il ne s'agit pas de définir une politique au coup par coup, exigeant
des modifications peut-être bonnes mais ponctuelles de notre Constitution, il
s'agit d'établir une nouvelle construction juridique, lisible et cohérente, à
partir de laquelle pourraient alors s'établir des statuts organiques adaptés,
et surtout conformes aux voeux des populations concernées.
Or vous nous proposez une démarche inverse, afin de combler le vide du volet
institutionnel, à savoir la création de deux départements à la Réunion et
l'idée d'un « congrès », cadre permettant, dites-vous, un « débat local,
démocratique et transparent » entre les assemblées régionales et
départementales.
Nous permettez-vous de vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette
méthode consistant à réformer au coup par coup s'avérera contraire à toute
recherche des statuts différenciés et sur mesure que nous souhaitons tous ?
Elle crispera les options diverses, au lieu de les concrétiser clairement. Elle
sera source de débats plus polémiques que fructueux, et sera l'addition
d'intérêts particuliers, qui n'a jamais fait l'intérêt général. Et cela parce
que votre loi ne leur offre pas les bases de réflexions juridiques, cohérentes
et claires, respectant les principes de la République, et non ceux de
l'aventure.
La mention d'un deuxième département à la Réunion aurait pu faire l'objet d'un
consensus si la méthode pour l'obtenir avait été plus prudente et mieux
préparée. Je donne quelques exemples : son échéance subitement avancée de 2004
au 1er janvier 2002 ; les transformations brutales de son découpage ; l'absence
d'études sérieuses de son coût risquant de s'opposer à des priorités
économiques combien plus urgentes ; la transformation de votre texte initial,
raccourci pour renvoyer à plus tard les modalités d'une réforme dont l'échéance
est pourtant brusquement avancée.
Tout cela relève d'une improvisation qui, loin d'offrir à l'île un meilleur
équilibre de ses chances économiques, risque d'aboutir à la désunion, voire à
la discorde, sans compter, bien sûr, les intérêts immédiats sous-jacents.
Vous voulez le consensus, vous aurez les désaccords ! Vous voulez le partage,
vous cherchez la partition !
Une telle réforme se devait d'être soutenue par un accord sinon unanime, du
moins largement majoritaire de ceux qu'il concerne. Or tel n'est pas le cas. Le
conseil général comme le conseil régional de la Réunion ont émis un avis
défavorable et la population consultée, par plusieurs sondages différents, a
montré, en majorité, sa vive hostilité au projet.
Dès lors, monsieur le secrétaire d'Etat, soyez conscient de ce que vous
souhaitez. Vous voulez une volonté locale qui rassemble le plus grand nombre,
alors ne demandez pas à la loi de passer en force un projet de
bidépartementalisation contre l'avis du plus grand nombre.
(Applaudissements
sur plusieurs travées du RPR. - M. Huchon applaudit également.)
Avec lui,
nous disons non à l'improvisation.
Notre réponse est la même concernant le projet de congrès, dont, je me permets
de le dire, l'appellation fort peu heureuse risque de susciter des tentations
de grandeur infondée.
La logique de votre idée repose sur trois orientations. La première, très
logique, consiste à orienter la réflexion vers une assemblée unique dans chaque
département et à avoir, à terme, un interlocuteur représentatif des populations
concernées. Soit ! Mais prenez-vous la bonne voie pour y parvenir ?
Est-il besoin de consacrer par la loi la réunion commune du conseil général et
du conseil régional pour délibérer en commun de toutes propositions relatives à
l'évolution institutionnelle ? Que je sache, ces assemblées sont adultes et
libres, et certaines d'entre elles ont déjà constitué des commissions mixtes,
de leur propre chef, et elles sont d'autant plus capables de réfléchir, en
commun, à leur avenir, fût-il, si cela paraît souhaitable, leur fusion.
Or vous imposez, implicitement, la naissance d'une troisième assemblée,
consultative locale, dont rien ne dit qu'elle puisse devenir le creuset
d'ententes harmonieuses. Dépourvue de pouvoir de décision, son rôle ambigu la
condamne à une procédure particulièrement lourde par laquelle, délibérant,
individuellement, sur les propositions du congrès, le conseil général et le
conseil régional transmettront leurs propositions au Premier ministre, ainsi
placé en première ligne pour résoudre des propositions potentiellement
contradictoires, et obligé de les arbitrer sans appel.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Lucien Lanier.
Nous souhaitons bien du plaisir à ce rôle ingrat, voire impossible qui en
résultera ! Que de contentieux en perspective. Sans compter sur le saisine,
évidente, du Conseil constitutionnel à l'égard de l'article 39.
Nous craignons, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'engagiez la présente
orientation dans l'inextricable et dans des difficultés d'application.
Bien sûr, tout aurait été différent si votre voeu avait été exaucé « avec pour
fondement une volonté locale qui rassemble le plus grand nombre, et qui
transcende les clivages politiques traditionnels ».
Or nous en sommes bien loin : six des assemblées locales concernées ont émis
un avis défavorable. Deux seulement y ont été favorables. J'ajoute que le 30
mars dernier, le Conseil d'Etat, consulté, s'est montré plus que sévère dans
ses conclusions.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande d'être en accord avec vous-même
: un tel manque de consensus vous empêche honnêtement de faire passer en force
votre idée de congrès, comme l'idée précédente de deux départements à la
Réunion. Honnêtement, vous ne le pouvez pas !
Je doute cependant que, au stade où nous en sommes, vous puissiez me répondre
positivement. C'est dommage, car nous sommes convaincus de l'urgence des
mesures économiques et sociales qui doivent impérativement être prises ; nous
en acceptons certaines et, entre autres mesures, celles qui concernent
Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais nous ne pouvons
admettre que, en totale contradiction avec vos principes et vos propos, vous
nous entraîniez à imposer de manière régalienne, par la loi, deux mesures que
récuse la plus grande majorité de ceux qu'elles concernent. Le mouvement ne se
prouve pas par une marche oblique ou forcée.
Dès lors, ce n'est plus une loi d'orientation, c'est une loi orientée ! C'est
plus qu'un aveu de faiblesse, ce peut être un constat d'échec.
Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, les membres du groupe du RPR du
Sénat, à leur grand regret, croyez-le bien, ne pourront accepter ni la
bidépartementalisation de la Réunion ni la confuse idée du congrès.
De vos réponses dépendra leur vote.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et de l'Union centriste. - M. Othily applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
prévu depuis plusieurs années, le débat sur le projet de loi d'orientation
examiné aujourd'hui au Sénat est le premier grand débat sur l'outre-mer depuis
le débat sur la loi de départementalisation du 19 mars 1946, qui a érigé en
départements français les « quatre vieilles colonies ». C'est dire combien il
est attendu par les populations des départements d'outre-mer.
Si, depuis cinquante ans, la départementalisation conçue comme un modèle
unique a permis des avancées incontestables, elle apparaît aujourd'hui à bout
de souffle.
La situation appelle des réponses neuves et novatrices.
Les sociétés domiennes subissent, comme vous l'avez indiqué, monsieur le
secrétaire d'Etat, un « mal-développement » de plus en plus criant, avec des
taux de chômage évalués entre 30 % et 40 % selon les régions, et une misère qui
conduit à toutes formes de déviances sociales. L'économie artificielle et
dépendante se fonde essentiellement sur le recyclage des fonds publics
nationaux ou européens.
La loi d'orientation proposée aujourd'hui est-elle à même de réparer ces maux
et de satisfaire aux aspirations de responsabilisation et d'autodétermination
des populations concernées ? Répond-elle à la question que posent les peuples
d'outre-mer depuis des années, celle du respect de leur diversité et de leur
participation aux choix de développement ?
On peut en douter au regard du manque d'ambition du texte qui nous est
proposé, notamment en ce qui concerne le volet institutionnel. Il n'est pas à
la hauteur des enjeux et des attentes exprimées.
Convaincu comme vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que « le moule unique » a
vécu, je considère comme très regrettable que soit si peu prises en compte la
diversité des situations et la nécessité d'avoir des approches et des réponses
différenciées de ces départements. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point
durant le débat.
Parmi les avancées attendues de ce projet de loi, on peut se féliciter de
l'affirmation des compétences en matière internationale des départements
d'outre-mer. C'est un premier pas pour une ouverture et une intégration
régionale réelle renforçant leurs atouts géographiques.
Cette intégration régionale est indispensable pour un développement autonome,
notamment pour l'établissement de coopérations mutuellement avantageuses, pour
la possibilité de transferts de technologie avec les pays voisins.
Ces départements peuvent d'ailleurs permettre des solidarités porteuses pour
le développement de la francophonie, que ce soit dans les Caraïbes, dans
l'océan Indien ou en Amérique du Sud. Il faut donc donner aux départements
d'outre-mer les moyens d'un plus grand rayonnement au niveau régional,
véritable atout pour la France comme pour les pays concernés.
Dans le domaine du contrôle des flux migratoires, il est également nécessaire
pour les départements d'outre-mer de pouvoir coopérer avec les pays voisins
pour trouver des solutions à long terme. Tel est notamment le cas en Guyane.
Sans doute faudrait-il aller plus loin encore dans le sens de l'affirmation de
leurs compétences en ce domaine.
Le volet socio-économique du projet de loi prévoit une augmentation notable
des moyens de l'Etat pour une relance des départements d'outre-mer et des
mesures qui s'inscrivent dans la volonté de créer des emplois et de dynamiser
une croissance économique valorisant les potentiels régionaux. Nous les
soutenons.
Mais comment ce projet de loi pourrait-il prétendre à l'instauration de
l'égalité sociale alors qu'il laisse encore trois ans avant l'alignement du RMI
sur celui de la métropole, et que l'alignement de l'allocation de parent isolé
sur le niveau métropolitain est prévu sur sept ans ? Ces délais ne sont pas
admissibles, alors même qu'existent dans ces régions des surrémunérations qui
rendent encore plus intolérable un RMI « au rabais ». Comme vous nous l'avez
dit, monsieur le secrétaire d'Etat, cela représente un coût : 1 milliard de
francs.
Parallèlement, nous pensons, comme vous l'avez précisé par anticipation, que
les aides, exonérations fiscales et autres mesures tendant à la création
d'entreprises et d'emplois doivent faire l'objet de contrôles afin de garantir
leur contribution effective au développement d'emplois stables et à une
croissance durable. Nous déposerons des amendements en ce sens.
La reconnaissance des identités culturelles de ces territoires est à
privilégier, dans un contexte de globalisation où l'uniformisation culturelle
devient la règle.
Or, si des avancées ont été obtenues, notamment en ce qui concerne la
valorisation des langues régionales, le projet de loi paraît limité sur ce
point au regard de l'enjeu en termes de moyens financiers mis à disposition
pour la promotion des cultures ultramarines. Les efforts en ce sens doivent
être poursuivis et intensifiés.
Enfin, le volet institutionnel, particulièrement complexe, constitue une
question fondamentale pour l'avenir des départements d'outre-mer. Les
propositions en la matière sont très insuffisantes et sont loin de celles qui
sont formulées par les différents rapports, que ce soit le rapport de MM. Lise
et Tamaya ou celui de la commission des lois, qui s'est rendue sur place
récemment.
La déception est grande aujourd'hui, après l'examen du texte par l'Assemblée
nationale et l'absence de réponses adéquates à la profonde crise structurelle
frappant l'ensemble des sociétés domiennes.
Si les aspirations à l'affirmation des identités et à la responsabilisation se
développent partout dans les départements d'outre-mer, elles se déclinent
différemment.
Pour la Réunion, la proposition de bidépartementalisation votée par
l'Assemblée nationale n'a pas été retenue par la commission des lois du Sénat.
C'est mon collègue Paul Vergès qui évoquera cette question.
En ce qui concerne les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de
la Guyane, les exigences en matière d'émancipation et d'autodétermination sont
particulièrement fortes. La déclaration de Basse-Terre de décembre 1999
proposant un « statut de région d'outre-mer nouveau dans le cadre de la
République française et de l'Union européenne » et signée, dans la diversité de
leurs appartenances politiques, par les trois présidents de région de la
Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique manifeste l'urgence d'une
véritable réforme pour faire face à la crise structurelle grave que connaît la
société de ces régions et pour amorcer un nouveau type de développement
autocentré.
Les nombreuses critiques émises sur le projet de loi à l'issue de son passage
à l'Assemblée nationale témoignent de la déception éprouvée au regard du manque
d'ambition sur cette question. Les prérogatives du congrès ont ainsi été
sensiblement réduites par rapport à ce que prévoyait l'avant-projet et les
propositions du rapport de MM. Lise et Tamaya.
Cette instance, telle qu'elle se présente à la suite de l'étude du texte par
l'Assemblée nationale, est qualifiée par de nombreux élus domiens de simple «
chambre d'enregistrement » sans pouvoirs.
On est très loin des besoins, comme des attentes de ceux qui voyaient dans cet
organe un premier outil - insuffisant, mais à développer - visant à la mise en
place d'un réel pouvoir de décision et de participation des population
locales.
Or, la commission des lois du Sénat a même rejeté cette disposition, ne
faisant aucune proposition de rechange.
Le risque est grand, aujourd'hui, de voir cette déception se transformer en
colère et en explosion sociale au sein de populations qui sont dans l'attente
d'un projet ambitieux et de véritables réformes pour le développement de leurs
territoires.
Alors que la départementalisation montre ses limites, ne fallait-il pas, pour
trouver des solutions adéquates, aller vers des modifications statutaires et
non pas s'inscrire simplement dans l'optique de l'article 73 de la Constitution
et dans le cadre rigide de la seule départementalisation ?
N'est-ce pas aux populations elles-mêmes qu'il convient de décider des voies à
suivre ? Elles revendiquent pour cela l'application du principe de base de
l'autodétermination. Et nous défendons ce droit imprescriptible.
Ayant participé à la mission de la commission des lois en septembre dernier en
Guyane et aux Antilles, je suis revenu convaincu de l'urgence de travailler à
la mise en place de réformes qui permettront une plus large autonomie de
chacune de ces régions dans le cadre républicain, avec l'objectif d'un
développement endogène de leurs territoires. Comment ces populations
pourront-elles accepter une telle frilosité à l'égard d'éventuelles évolutions
institutionnelles à l'heure où le Gouvernement débat avec l'assemblée
territoriale corse sur ce sujet et alors que la Polynésie et la
Nouvelle-Calédonie ont obtenu des avancées statutaires importantes ?
Parallèlement, prenons l'article 299-2 du traité d'Amsterdam, qui conforte la
spécificité du régime applicable aux départements d'outre-mer. Cet article est
à considérer, et je vous ai bien entendu, monsieur le secrétaire d'Etat ; mais
pour l'instant, tel qu'il est proposé, il est imprécis. N'est-il pas nécessaire
de lui donner du contenu, un contenu allant dans le sens d'une augmentation des
possibilités d'adaptation et de dérogations pour les départements d'outre-mer
et d'une affirmation de compétences, de règles et de débouchés spécifiques pour
ces régions, dans un souci d'efficacité ?
La France, pendant sa présidence de l'Union européenne, pourrait faire des
propositions auprès de ses partenaires en ce sens.
Mes chers collègues, ce projet de loi devait être un rendez-vous important,
pour ne pas dire historique, avec les populations domiennes ; il devait leur
permettre de sortir d'un immobilisme conduisant à l'impasse, d'un enfoncement
périlleux.
Certains voient en lui un premier pas, une étape. Mais peut-on même le
considérer comme une étape, si on lui enlève, comme le propose la commission de
lois du Sénat, le peu de substance de son volet institutionnel, déjà très
insuffisant ?
Le manque d'ambition de ce projet de loi, le manque de réponses adaptées au
regard des urgences sociales et politiques et des attentes exprimées ne
risquent-ils pas d'amener les populations domiennes à revendiquer dans la rue
ces changements ?
Or, attendre d'en arriver là pour devoir ensuite légiférer dans l'urgence
n'est sûrement pas la solution la meilleure !
Nous avons une grande responsabilité vis-à-vis des populations domiennes,
populations qui souhaitent rester françaises. Il serait dangereux pour l'avenir
de laisser se développer dans les départements d'outre-mer une colère et un
mécontentement déjà très perceptibles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous appelons le Gouvernement à bien considérer
la mesure de cet enjeu et à prendre date pour qu'un nouveau débat, inévitable,
permette prochainement d'aller beaucoup plus loin que ce qui nous est proposé
aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.
- M. Larifla applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
est dans la nature des choses qu'un pays comme la Guyane puisse disposer d'une
certaine autonomie compte tenu de ses particularités, disait le général de
Gaulle, voilà déjà un certain nombre d'années.
Les lois de décentralisation adoptées en 1982 visaient à apporter une forme
d'autonomie aux régions d'outre-mer afin de réduire le déséquilibre structurel
qui les séparait de la France métropolitaine.
Lorsqu'en 1946 Aimé Césaire, alors jeune député, rapportait devant la
représentation nationale la proposition de loi tendant à créer une catégorie de
départements, on pensait qu'une telle réforme allait être source de solutions
satisfaisantes pour assurer un développement réel et durable.
La départementalisation a certes apporté des solutions aux problèmes
sanitaires et sociaux, mais elle a asphyxié l'économie des départements
d'outre-mer.
Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous présentez un projet de
loi d'orientation visant à assurer aux départements d'outre-mer un
développement réel et variable.
Je ne pense pas que les dispositions contenues dans ce projet de loi, à savoir
l'apurement des dettes des entreprises, l'exonération à 100 % des cotisations
sociales patronales de sécurité sociale pour certaines entreprises et des
dispositions fiscales améliorées, soient de nature à développer l'emploi et
l'économie dans les départements d'outre-mer.
Des discussions ont été engagées avec les membres de votre cabinet en vue de
l'élaboration d'un texte présentant les mesures les plus intéressantes pour le
développement de la Guyane.
Votre projet de loi prévoit un congrès, disposition qui ne semble pas faire
l'unanimité. Nous avons expérimenté en Guyane une forme de congrès, organe qui
consulte les deux assemblées. Mais ce sont là des étapes. Je rappelle les
étapes précédentes : la loi de départementalisation de 1946, puis l'article 73
de la Constitution relatif au régime législatif et à l'organisation
administrative des départements d'outre-mer, puis le décret d'avril 1960
donnant la possibilité aux départements de saisir le Premier ministre pour
toute mesure d'adaptation en ce qui concerne la loi ou les règlements. Par
ailleurs, l'article L. 43-33 du code général des collectivités territoriales
prévoit que les collectivités régionales peuvent faire des propositions en
saisissant le Premier ministre, qui peut apporter des précisions quant au fond,
après un mois.
Le congrès serait peut-être une étape, et je n'y suis
a priori
pas
opposé. Mais ses modalités de consultation pourraient ne pas être conformes à
la Constitution. Je vois mal un président de région convoquer des membres d'une
assemblée départementale ou un président de conseil général convoquer des
membres du conseil régional ! Je vois mal aussi des élus dont l'élection a eu
lieu au scrutin majoritaire se retrouver avec d'autres, qui ont été élus à la
proportionnelle pour discuter ensemble parce que la loi aurait prévu la
création d'un congrès.
Bref, le débat qui va s'instaurer et l'examen des amendements successifs
permettront peut-être de trouver une solution. Nous devons, en tout cas, nous
fier à la sagesse des sénateurs pour ce faire.
Les dispositions que vous nous proposez sur le plan social et sur le plan
fiscal ne pourront pas être remises en cause, en tout cas pas par le sénateur
de la Guyane que je suis. Elles vont en effet dans le sens de l'amélioration de
la situation des entreprises d'outre-mer, et singulièrement de Guyane.
Mais comme nous sommes dans une autre logique, en Guyane, celle du pacte de
développement, je préfère laisser le temps de parole qui me reste à mon
collègue de la Réunion, qui exposera peut-être plus en détail les améliorations
qu'il pense pouvoir apporter au texte que vous nous proposez.
Nous espérons simplement que les discussions engagées en Guyane se
poursuivront au cours de cette seconde quinzaine, afin que vous et moi
puissions ici, au Sénat, discuter de ce que souhaitent plus de 86 % des élus de
Guyane, à savoir que notre pays connaisse, au sein de la République, un
développement réel et durable.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir me préciser ici,
devant la représentation nationale, que vous avez bien l'intention de
travailler encore, en coopération avec les élus de Guyane, à l'élaboration d'un
projet de loi qui pourra même aboutir à une révision constitutionnelle.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi d'orientation pour l'outre-mer qui est soumis à l'examen de notre
Haute Assemblée est, de toute évidence, un projet important.
Il suffit, pour s'en convaincre, de constater la diversité des sujets abordés,
l'ampleur des mesures proposées, l'originalité de l'approche de certaines
questions, avec, en regard, le niveau de l'engagement budgétaire de l'Etat.
Pour autant, il ne saurait apporter des réponses à la totalité des problèmes,
tant structurels que conjoncturels, qui se posent dans les DOM.
Ceux qui font semblant de s'en étonner savent d'ailleurs fort bien ce qu'il
faut penser des panacées, pour avoir parfois prétendu en détenir !
Nos compatriotes d'outre-mer ne s'y trompent pas, croyez-moi ! Ils n'attendent
de remèdes miracles ni contre le mal-développement qu'ils subissent ni contre
le mal-être qu'ils éprouvent.
Ils ont vu passer, pendant des décennies, trop de lois qui promettaient de
transformer radicalement leur situation ; ils ont vu appliquer trop de plans,
trop de programmes, trop de dispositifs censés favoriser le développement
économique et l'emploi, pour n'avoir pas beaucoup gagné en lucidité et en
réalisme.
C'est d'ailleurs pourquoi ils sont de plus en plus nombreux à partager deux
convictions importantes. La première, c'est qu'il n'est pas possible de
concevoir depuis Paris les mesures les mieux adaptées aux réalités de
territoires situés aussi loin et aux prises avec des problèmes dont les
aspects, souvent très spécifiques, trouvent naturellement leur explication dans
l'histoire et la géographie.
La seconde conviction, c'est qu'on ne peut s'attaquer au mal-développement des
DOM par la seule mise en oeuvre de mesures d'ordres économique et social. Il
est indispensable d'y associer des mesures visant à répondre à une demande
fondamentale des acteurs locaux : la demande de responsabilité.
Celle-ci traduit, d'abord, la volonté de conférer un maximum d'efficacité aux
politiques publiques.
Mais cette demande de responsabilité répond également, et surtout, à une
volonté d'affirmation de leur personnalité propre, qui passe évidemment par une
pleine reconnaissance de leur identité. A une volonté, donc, d'en finir avec ce
mal-être qu'évoque toute une littérature et qui, s'il vient pour une part du
mal-développement, vient surtout du sentiment lancinant d'être dépossédé de
soi-même et de n'avoir aucune maîtrise de son propre devenir.
Eh bien ! mes chers collègues, le mérite principal du projet de loi
d'orientation est précisément d'avoir été élaboré sur la base de ces deux
convictions.
Il s'agit là d'une orientation politique fondamentale qui a été fixée, dès le
départ, par le Premier ministre et à laquelle vous avez apporté, monsieur le
secrétaire d'Etat, je peux en témoigner, une précieuse contribution.
Pour la première fois, on a vu un gouvernement admettre que, pour amorcer le
moindre changement dans la situation des DOM, il est absolument indispensable
de changer de méthode et de conception.
Et le changement de méthode a effectivement été mis en oeuvre. Nous n'avons
pas assisté, comme nous y étions habitués, à un semblant de consultation
portant sur un projet entièrement conçu et rédigé à Paris par des hauts
fonctionnaires. Nous avons vu, au contraire, s'engager une véritable et très
large consultation de toutes les forces vives des quatre DOM, notamment par
l'intermédiaire - fait sans précédent ! - d'une mission parlementaire confiée
par le Premier ministre à deux parlementaires d'outre-mer.
Et ce n'est qu'après des mois de dialogue et de concertation que l'avis
officiel des assemblées locales a été recueilli.
On peut considérer, par conséquent, que ce projet de loi d'orientation a été,
pour une part relativement importante, inspiré par les forces vives des
départements concernés.
Il aurait d'ailleurs pu l'être davantage si le caractère innovant de la
procédure n'avait quelque peu pris de court nombre de ceux qui l'appelaient de
leurs voeux, ce qui s'est traduit, dans bien des cas, par le recueil tardif,
voire hors délai, de nombre de propositions intéressantes.
Il aurait pu l'être davantage également si le déroulement de la consultation
n'avait pas été, notamment dans les DFA, sérieusement perturbé par d'habiles
manoeuvres politiciennes de diversion.
Ce changement de méthode est, bien entendu, déjà révélateur, à lui seul, d'un
changement de conception dans l'abord des problèmes des DOM.
Mais ce changement de conception s'affirme davantage encore dans la volonté
affichée par le Gouvernement de répondre concrètement aux aspirations qu'il
perçoit partout en faveur d'une responsabilité locale accrue et d'une meilleure
insertion régionale, de se prononcer aussi, clairement, pour la possibilité
d'évolutions institutionnelles différenciées, tenant compte de la situation
particulière de chaque DOM et des souhaits exprimés par sa population.
Il y a là une position qui tranche nettement avec toutes les formes de
dérobades auxquelles on était habitué dans ce domaine, mais également avec une
vision erronée de départements d'outre-mer aux réalités uniformes.
Le changement de conception s'affirme, enfin, également dans le parti qui a
été pris, dans une même loi, de ne pas dissocier artificiellement problèmes
économiques et problèmes institutionnels.
Il s'agit là d'une rupture radicale et salutaire avec le vieux discours selon
lequel les questions institutionnelles relèvent de préoccupations purement
politiques, voire idéologiques, et qu'elles font toujours peser, ne serait-ce
que par leur seule évocation, les plus lourdes menaces sur l'activité
économique.
Ce discours est devenu, à vrai dire, plutôt inaudible dans les trois DFA.
Et lorsque j'observe ce qui se passe en Martinique, je constate que de plus en
plus nombreux sont les chefs d'entreprise qui se montrent extrêmement critiques
à l'égard de l'actuel système institutionnel, un système dont l'incapacité à
prendre en compte un certain nombre de réalités locales et régionales, dont le
peu de souplesse et la grande complexité apparaissent comme autant de facteurs
défavorables à l'initiative locale et aux contraintes d'une économie
moderne.
Il est vrai que, si l'on veut voir jusqu'à quelles perversions peut conduire
l'obsession jacobine de l'uniformité, il n'est que de se rendre dans les DOM et
d'y observer la réalité que recouvre l'appellation de région
monodépartementale, d'y étudier toutes les complications entraînées par la
coexistence de deux exécutifs sur un même territoire, d'en évaluer le coût
financier et d'en mesurer les conséquences sur l'activité économique.
On ne peut manquer, dès lors, de s'interroger sur le singulier aveuglement des
élus qui, en 1982 - certains ne devraient pas l'oublier ! - préférèrent faire
intervenir le Conseil constitutionnel pour obtenir un dispositif aussi
aberrant, plutôt que d'accepter la seule solution logique qui s'imposait et que
proposait le Gouvernement de l'époque, celle de l'assemblée unique, que
certains semblent découvrir aujourd'hui.
Et l'on en vient, naturellement, à souhaiter que l'histoire ne se répète pas
!
Les conditions dans lesquelles le volet institutionnel du projet de loi
d'orientation est attaqué ne sont, hélas ! pas très rassurantes à cet égard.
Et s'il m'apparaît, après les avoir entendus, que certains collègues ont eu
une sorte d'illumination sur les questions institutionnelles - elle est un peu
tardive, mais c'est toujours ça ! -, il me semble que, pour autant, ils ne sont
pas à l'abri de nouvelles formes d'aveuglement dans le débat actuel.
Que contient donc ce volet institutionnel ?
Tout d'abord, un certain nombre de dispositions qui tendent à conférer des
compétences nouvelles aux collectivités locales dans l'action
internationale.
Elles revêtent, selon moi, une grande importance, et je suis heureux que le
Gouvernement ait suivi les propositions que Michel Tamaya et moi-même avions
formulées sur ce point.
Ces dispositions vont en effet contribuer à ancrer de façon beaucoup plus
forte chacun de nos départements dans son environnement géographique
naturel.
J'ai déjà souligné l'attente qui existe chez nous à cet égard. Mais il faut
savoir qu'il existe aussi une attente de nos voisins. S'ils sont de plus en
plus nombreux à souhaiter que nous jouions le rôle de facilitateurs d'échanges
entre eux et la France - et du même coup l'Europe ! - ils ont tous beaucoup de
mal à accepter que nous ne puissions entretenir des liens avec eux que par des
intermédiaires.
La coopération régionale, jusqu'ici balbutiante, va enfin pouvoir prendre une
autre dimension. De nouvelles perspectives de développement vont ainsi s'ouvrir
pour les DOM ; fondées sur une vision nouvelle et moderne des atouts que
constituent leur positionnement géographique et leur capacité à constituer de
véritables pôles de compétences dans certains domaines.
J'ajoute que ces mesures constituent, à elles seules, une sorte de brèche dans
la culture jacobine dominante et un signe important, parmi d'autres, d'une
évolution dans la conception des rapports entre la France et nos
départements.
Je me contenterai de les compléter, monsieur le secrétaire d'Etat, par un
amendement tendant à instituer une instance de concertation des politiques de
coopération régionale dans la zone Antilles-Guyane.
Le volet institutionnel prévoit, par ailleurs, d'autres transferts de
compétences, essentiellement aux collectivités régionales. Ils concernent les
routes nationales, l'exploitation des ressources naturelles de la mer et de son
sous-sol, l'élaboration et la mise en oeuvre des programmes de prospection et
de valorisation des ressources locales en énergies renouvelables.
Les collectivités départementales, elles, se voient rattacher les futurs
offices de l'eau. Et l'on comprendra, évidemment, que je puisse regretter
qu'elles n'aient pas été destinataires d'autres transferts, notamment dans le
domaine du logement, comme cela était proposé dans le rapport de mission au
Premier ministre.
Sur tout ce que je viens d'évoquer, l'on note, à vrai dire, très peu de
réactions négatives, d'autant que, dès le départ, deux articles du volet
institutionnel ont focalisé l'attention et suscité tellement de controverses
que tout le reste du projet de loi d'orientation en a été plus ou moins
occulté.
Il s'agit, d'une part, de l'article 38, qui concerne une disposition
spécifique à la Réunion - la création dans cette île d'un second département -
sur laquelle je laisserai volontiers argumenter mon collègue Paul Vergès.
Il s'agit, d'autre part, de l'article 39, sur lequel je tiens d'autant plus à
m'exprimer que je revendique l'idée qui est à la base de son élaboration.
Que propose donc cet article de si incongru ou de si inquiétant pour qu'il ait
pu concentrer sur lui un tel tir de barrage, dont on n'a d'ailleurs
certainement pas fini d'entendre les dernières salves aujourd'hui, pour qu'il
ait inspiré un tel florilège de raisonnements approximatifs et d'arguments
contradictoires, pour qu'il ait pu, aux Antilles notamment, mobiliser un tel
front du refus où on retrouve, bizarrement associés, les indépendantistes au
grand complet, la plupart des défenseurs inconditionnels du
statu quo
-
il en reste encore ! - un certain nombre de partisans d'une évolution
institutionnelle plus ou moins radicale, mais également de vrais-faux
autonomistes qui semblent s'être fait une spécialité des discours à géométrie
variable : appel à Basse-Terre, mais signature ici des amendements qui
dénoncent les autonomistes et les indépendantistes à la Réunion ?
Qu'y a-t-il, dans cet article 39, pour qu'on ait pu lui reprocher d'être sans
intérêt, mais également de porter atteinte à la Constitution, d'avoir pour
objet de freiner toute évolution institutionnelle, mais aussi d'être une porte
dangereusement ouverte sur l'autonomie, voire l'indépendance ? Car on a entendu
cela !
Eh bien, la cause de tout ce bruit et de toute cette fureur, c'est tout
simplement la proposition qui est faite, en réponse à des aspirations dont on
ne peut nier l'importance dans les DFA, d'inscrire dans la loi une méthode
d'évolution institutionnelle de ces départements !
Une méthode parfaitement démocratique et transparente - c'est peut-être ce
qu'elle a de gênant pour certains !
Une méthode qui ne laisse à personne d'autre qu'aux populations intéressées la
faculté de se prononcer sur leur avenir et qui garantit aux DFA la possibilité
de changer de statut indépendamment les uns des autres.
La procédure prévue assure une maîtrise locale de l'initiative par le biais du
congrès, qui n'est rien d'autre que la réunion en assemblée plénière des élus
du conseil général et du conseil régional, lorsqu'il s'agit de débattre des
questions institutionnelles.
Une instance, donc, on ne peut plus représentative des citoyens concernés et
qu'on ne peut sérieusement assimiler à une troisième assemblée. Elle n'a, en
effet, ni caractère permanent, ni services propres, ni pouvoir décisionnel.
La procédure prévue assure également la maîtrise locale de la décision finale
par la mise en oeuvre d'une consultation de la population concernée.
Il va de soi, évidemment, que rien ne peut obliger un gouvernement à prendre
en compte une proposition élaborée dans les formes requises et avalisée, comme
l'a souhaité le Conseil d'Etat - parce qu'il n'a pas souhaité autre chose - par
les deux assemblées locales.
Mais à ceux qui me font cette objection - et qui se contentent de répéter
inlassablement qu'ils veulent obtenir un changement de statut - je pose, à mon
tour, la question : qu'est-ce qui peut obliger un gouvernement à prendre en
compte une proposition élaborée autrement ?
Pour ma part, je reste persuadé qu'il sera bien difficile à un pouvoir
politique, quel qu'il soit, de traiter par le mépris une proposition émanant
d'une instance représentative et reconnue par la loi.
Le vrai problème, en réalité - et il a malheureusement échappé à nos collègues
de la commission des lois, je le regrette - c'est aujourd'hui de prendre
clairement position sur la question suivante : toute éventuelle évolution
statutaire dans un DOM doit-elle s'opérer selon des voies réellement
démocratiques ou doit-elle être l'affaire de minorités agissantes s'octroyant
le droit de parler, de négocier et de décider à la place du peuple ?
Il est clair que ceux qui ont décidé d'opter pour la seconde solution ne
peuvent que combattre la procédure prévue par l'article 39.
Et si l'on voit des élus qui, naguère, critiquèrent avec virulence le Conseil
constitutionnel à propos de ses interprétations très restrictives de l'article
73 en arriver aujourd'hui à solliciter la saisine de cet organisme, il ne faut
pas s'en étonner.
Au-delà du ridicule de ce rôle de gardiens sourcilleux de la Constitution
qu'ils se donnent - mais gardiens à la vigilance sélective évidemment, selon
les moments et selon ce qui les intéresse - ils poursuivent un but précis :
plus que le congrès, qu'ils mettent en avant comme un leurre, ce qu'ils veulent
à tout prix faire censurer, c'est la procédure de consultation des populations
concernées qui y est associée.
Il reste évidemment que chacun, dans cette affaire, devra, le moment venu,
assumer pleinement ses responsabilités.
Si j'ai estimé devoir m'étendre sur le volet institutionnel, et plus
particulièrement sur l'article 39, c'est, bien entendu, uniquement parce qu'il
m'est apparu que des mises au point s'avéraient nécessaires sur cette partie du
projet de loi.
Cependant, je sais bien que c'est sur le volet économique et social que les
attentes sont les plus fortes dans les quatre départements d'outre-mer, où
malgré un rythme de croissance plus élevé qu'en métropole, le chômage et
l'exclusion demeurent des préoccupations majeures.
Dans le temps qui me reste, il n'est évidemment pas question pour moi de
procéder à une étude détaillée de tous les articles concernés mais de résumer à
grands traits l'analyse que j'en fais.
En ce qui concerne tout d'abord le train de mesures économiques présenté, je
crois qu'il importe de souligner son ampleur sans précédent.
Ainsi, le dispositif d'exonération de charges sociales patronales dépasse-t-il
très largement, comme cela a été rappelé, celui qui figure dans la loi « Perben
», d'abord par sa durée, ensuite par le niveau des exonérations, enfin par le
nombre d'entreprises concernées.
En effet, de nouveaux secteurs sont couverts tels le tourisme, les nouvelles
technologies de l'information et de la communication et, dans une certaine
mesure, le bâtiment et les travaux publics. Ils viennent fort heureusement
s'ajouter à ceux de l'industrie, de l'hôtellerie, de la restauration, de la
presse, de la production audiovisuelle, de la pêche et de l'agriculture.
Mais, en réalité, c'est l'immense majorité des entreprises qui va bénéficier
des mesures annoncées puisque, en dehors des secteurs précédents, elles
s'appliquent à toutes les entreprises de moins de onze salariés. Or, et quoi
que l'on ait pu entendre à ce sujet, il faut savoir que dans les départements
d'outre-mer 95 % des entreprises comptent moins de dix salariés, la moyenne
étant de deux salariés par entreprise.
C'est d'ailleurs de toute évidence dans ce secteur des petites entreprises que
l'on peut escompter obtenir globalement le plus d'embauches. Je pense, à ce
propos, aux besoins importants qui existent dans le secteur artisanal mais que
des charges sociales trop lourdes empêchent de satisfaire.
Le coût de toutes ces mesures est, il faut le souligner, environ trois fois
plus élevé que celui des mesures « Perben ». Il est par ailleurs entièrement
supporté, on l'a dit, par le budget de l'Etat, ce qui n'était pas le cas des
précédentes.
On est évidemment toujours tenté de proposer d'aller plus loin. Pour ma part,
j'ai bien compris que nous touchions aux limites de l'enveloppe disponible ;
aussi je me contenterai, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous proposer
d'améliorer le dispositif pour les entreprises du secteur des nouvelles
technologies de l'information et des communications que nous avons le plus
grand intérêt à promouvoir dans nos départements.
Le volet économique contient d'autres dispositifs correspondant souvent à des
besoins fortement exprimés par les acteurs locaux, tels ceux qui concernent la
création d'entreprises indépendantes, notamment pour les jeunes chômeurs, ou
visant à étendre les exonérations bénéficiant aux exploitants agricoles, ou
encore à favoriser les exportations.
Il est complété par quelques autres mesures originales, toujours destinées à
favoriser l'emploi, parmi lesquelles il faut souligner tout particulièrement
l'intérêt du projet initiative-jeune.
Enfin, il prend en compte, comme nous l'avions vivement recommandé Michel
Tamaya et moi-même, le problème des entreprises se trouvant en situation
d'endettement lourd, en particulier en ce qui concerne leurs charges sociales
et fiscales - elles sont extrêmement nombreuses, vous le savez.
Sur ce point, je déposerai, monsieur le secrétaire d'Etat, deux amendements
visant l'arrêt des pénalités, majorations et intérêts de retard pendant la
période de suspension des poursuites.
En ce qui concerne le volet social, je considère comme vous, monsieur le
secrétaire d'Etat, qu'il n'était plus possible de renvoyer indéfiniment
l'alignement du RMI. Le délai actuellement proposé de trois ans m'apparaît
raisonnable pour amortir les éventuels effets pervers de la mesure.
Je me félicite en tout cas que, parallèlement, ait été prévu un intéressant
dispositif destiné à encourager le retour à l'activité des RMistes. J'attire
toutefois votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les conséquences
qu'entraînera l'augmentation de l'allocation du RMI pour les budgets des
conseils généraux. J'y reviendrai d'ailleurs au cours des débats.
Le projet de loi d'orientation contient encore diverses mesures intéressantes
dans le domaine culturel et dans celui de l'habitat et du logement social, sur
lesquelles j'interviendrai également dans la discussion des articles.
Enfin, des mesures sont prévues visant à améliorer les finances des
collectivités locales. Je me félicite à cet égard du pouvoir conféré aux
conseils généraux de fixer les taux du droit de consommation sur les tabacs et
de prélever une partie des recettes.
Cependant, il faut bien avouer que, dans l'ensemble, ces mesures se révèlent
insuffisantes lorsque l'on connaît la situation des collectivités locales des
DOM et les responsabilités qu'elles assument. Il faudra donc trouver tôt ou
tard d'autres dispositifs susceptibles de venir compléter ceux qui sont prévus
dans l'actuel projet de loi.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce que je tenais à
dire sur un projet de loi particulièrement dense et au travers duquel le
Gouvernement a vraiment eu à coeur de s'attaquer à un grand nombre de problèmes
et de répondre à beaucoup d'attentes.
Il ne pouvait, évidemment, être question de régler toutes les problèmes dans
le cadre de la seule loi d'orientation. D'autres textes viendront, bien
entendu, la compléter.
Celui qui m'apparaît le plus urgent concerne le volet relatif au financement
de l'investissement. J'ai donc noté avec satisfaction l'engagement pris par le
Gouvernement de faire voter un dispositif, actuellement en voie d'élaboration,
au plus tard au moment de l'adoption de la prochaine loi de finances.
En définitive, ce qu'il me paraît essentiel de retenir de ce texte, au-delà de
tout ce qu'il apporte pour redynamiser le tissu économique, favoriser l'emploi,
corriger certaines inégalités et apporter d'indispensables améliorations
sociales, c'est qu'il marque une rupture dans la manière d'appréhender les
réalités des départements d'outre-mer.
Abandonnant définitivement une vision réductrice, passéiste et pessimiste de
ces départements, il prend une autre orientation, et c'est en cela que son
appellation prend tout son sens !
Il dégage l'accès à une autre voie : celle de la responsabilité. Une voie sur
laquelle chacun des peuples concernés peut s'engager en choisissant le parcours
et le pas qui s'accordent à ses plus profondes aspirations.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe socialiste et apparentés ne peut que
voter ce texte.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Vergès
applaudit également.)
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