SEANCE DU 17 OCTOBRE 2000
M. le président.
« Art. 16
bis.
- Dans la dernière phrase de l'article 65-3-4 du décret
du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière de chèques et relatif aux
cartes de paiement, les mots : "dix ans" sont remplacés par les mots : "cinq
ans" et, à la fin de la même phrase, sont insérés les mots : ", sauf en cas de
fraude manifeste, où il est porté à dix ans". »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 181, M. Marini, au nom de la commission des finances,
propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 365, MM. Goulet, Cornu, Courtois, Cazalet, Francis Giraud et
Murat proposent :
I. - De compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... Les dispositions du I ci-dessus s'appliquent aux interdictions
d'émissions de chèques en cours. »
II. - En conséquence, de faire précéder cet article par la mention : « I ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 181.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La commission des finances a débattu assez longuement de ce
point à deux reprises.
Il convient de rappeler que cet article 16
bis
, que nous proposons de
supprimer, a été introduit par voie d'amendement à l'Assemblée nationale et
qu'il vise à réduire de dix à cinq ans la durée maximale de l'interdit bancaire
sauf dans le cas de fraude manifeste.
Nous nous sommes beaucoup interrogés, car l'intention généreuse de l'Assemblée
nationale ne nous a pas échappé, mais nous avons voulu prendre en compte
l'ensemble des données du problème.
Tout d'abord, le critère de fraude manifeste ne nous semble pas d'une netteté
absolue et il appartiendrait à la jurisprudence de le dégager progressivement
de différents cas d'espèce.
De plus, nous nous sommes interrogés sur les intérêts légitimes des
professions du commerce qui sont les premières concernées par ce que l'on
appelle les chèques en bois. Ce sont en effet les premières victimes d'un acte
qui s'apparente dans une certain mesure, voire dans une large mesure, à un
vol.
La commission a donc examiné avec une grande attention cet article 16
bis,
introduit par l'Assemblée nationale.
Nous avons d'abord envisagé une formule intermédiaire mais, finalement, nous
nous sommes décidés en faveur du
statu quo
, c'est-à-dire de la
suppression pure et simple de l'article voté par l'Assemblée nationale.
Il faut rappeler que la personne qui a signé un chèque sans provision peut, à
tout moment, sortir du fichier de la Banque de France et recouvrer ainsi le
droit de recevoir de nouvelles formules de chèques, à condition de rembourser
le montant des impayés et de régler une pénalité à l'Etat. Il est donc faux de
dire qu'une personne frappée d'interdit bancaire demeure dans son statut de
pestiféré social pendant dix ans. Il lui est en effet possible - mais peut-être
faut-il travailler encore en ce sens, madame la secrétaire d'Etat - de sortir
du fichier des interdits bancaires si elle rétablit honnêtement sa situation,
règle ses dettes.
C'est à la lumière de l'ensemble de ces considérations, mes chers collègues,
que la commission propose la suppression de l'article 16
bis.
M. le président.
La parole est à M. Goulet, pour présenter l'amendement n° 365.
M. Daniel Goulet.
Mes collègues et moi-même, nous proposons de modifier l'article 16
bis
pour en accroître l'efficacité. Je note cependant que, si l'amendement n° 181
est adopté, le nôtre n'aura plus d'objet.
Monsieur le rapporteur, nous avons pris en considération un autre aspect de la
réflexion de la commission des finances et je comprends qu'elle ait longuement
délibéré sur ce point.
Cet article pose un problème de conscience et c'est ce qui a motivé nos
collègues de l'Assemblée nationale, comme nous-mêmes, à oeuvrer en faveur de la
réinsertion sociale de personnes qui ont des problèmes financiers afin qu'elles
ne glissent pas dans la spirale de l'exclusion dans laquelle elles sont
engagées, quelquefois malgré elles. J'ajoute que ce texte ne vise en réalité
que les porteurs de petits chèques et non ceux dont la fraude est manifeste.
Je tiens à préciser que cet article 16
bis
et notre amendement
s'inscrivent dans le sens de notre histoire législative, puisque nous avons
voté la dépénalisation des chèques impayés.
Ce faisant, nous avons contribué à augmenter le nombre des interdits
bancaires. Mais la majeure partie des personnes frappées d'interdit bancaire
l'est pour n'avoir pas payé les timbres-amende, c'est à dire une pénalité
accessoire. Je le dis parce que je ne voudrais pas qu'on puisse considérer que
nous n'avons pas réfléchi au fait que les commerçants qui n'ont pas été réglés
de leurs créances pourraient être pénalisés. Cela n'a pas du tout échappé à
notre réflexion.
A cela s'ajoute le fait que l'histoire des relations cambiaires conduira
inévitablement à la disparition du chèque comme moyen de paiement, surtout s'il
devient payant. Nous pensons en effet que la carte de crédit prévaudra.
Voilà pourquoi, nous en sommes désolés, monsieur le rapporteur, nous ne
pouvons pas accepter la suppression de cet article.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 365 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ainsi que M. Daniel Goulet l'a constaté, nos démarches ne
sont pas strictement identiques, comme en témoignent les dispositifs que nous
proposons, bien qu'ils s'inspirent des mêmes principes et des mêmes
orientations, en particulier du même besoin de solidarité.
Mais la commission des finances tient à faire remarquer que le critère de la
fraude manifeste serait d'un maniement délicat : il faudrait porter une
appréciation sur les faits, qui se ferait vraisemblablement devant le juge
pénal. En adoptant cet article, ne risquons-nous pas de nous engager dans la
voie de la « repénalisation » des chèques sans provision ? A cet égard, nous
pouvons nous demander si, avec de bonnes intentions, on ne risque pas de
détériorer encore la situation de certains émetteurs de chèques sans
provision.
La question est particulièrement délicate. Aussi, mon cher collègue, la
commission des finances, tout en partageant, je le répète, vos orientations, et
après avoir, dans un premier temps, envisagé un dispositif proche de celui que
vous proposez, a estimé qu'il serait préférable de maintenir le
statu
quo
juridique, de ne pas prendre de risques nouveaux de pénalisation et
d'indiquer au pouvoir réglementaire les moyens susceptibles de faciliter ou de
simplifier la sortie du fichier pour ceux qui peuvent régulariser leur
situation.
Enfin, dans ce domaine, même si la lutte contre l'exclusion doit être une
motivation forte, il ne faut pas oublier les intérêts légitimes des professions
commerciales. Je songe en particulier au commerce de proximité situé dans les
quartiers difficiles, dans les zones déprimées, par exemple rurales, qui
souffre le plus de l'insuffisance, d'une part, du niveau de vie et, d'autre
part, des capacités financières des acheteurs.
C'est bien dans les zones les plus difficiles que les risques de chèques sans
provision sont les plus grands. Avec un dispositif susceptible de pénaliser le
commerce, ne va-t-on pas alimenter le cercle vicieux qui conduit à la
disparition des commerces dans ces zones difficiles ?
(Mme le secrétaire d'Etat marque son étonnement.)
Madame le secrétaire d'Etat, vous semblez sceptique, mais les commerçants ont
besoin d'une certaine stabilité, d'une certaine visibilité de la relation
commerciale pour maintenir leur présence et, éventuellement, la développer.
Pour toutes ces raisons, la commission ne peut pas émettre un avis favorable
sur l'amendement que vous avez fort brillamment présenté, mon cher collègue.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 181 et 365 ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
C'est un débat difficile ! L'article 16
bis
n'est pas dû à une initiative du Gouvernement, il résulte d'une proposition de
l'Assemblée nationale. Tout un chacun s'accorde en effet à reconnaître que la
durée maximale de l'interdiction bancaire, qui était fixée à dix ans, est très
longue, surtout si le fait générateur résulte de situations difficiles. Mais,
pour compenser cette réduction du délai, l'Assemblée nationale a introduit la
notion de fraude manifeste.
J'admets qu'il soit délicat d'apprécier la fraude manifeste d'autant plus que
l'article 16
bis
ne précise pas qui va en juger.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle cependant que vous avez
institué, à la fin de la semaine dernière, le service bancaire de base, ce qui
change quelque peu les données du débat. Il faut en effet savoir qu'au-delà des
interdits bancaires qui ont émis des chèques sans provision, que les
commerçants qualifient généralement de « chèques en bois », plus de 2 millions
de personnes ne disposent pas de moyens de paiement en France. Elles ne sont
pas interdits bancaires, mais les banques leur refusent le droit d'émettre des
chèques par prudence, pour une prudence que vous avez jugée parfois
excessive.
Cela étant, il me semble que cinq ans c'est énorme eu égard aux interdits
concernant les autres types d'actes délictueux qui sont généralement frappés de
deux ans ou de trois ans d'interdiction.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que l'interdit bancaire peut se
racheter en payant le chèque en question et les pénalités. Après ce débat à
l'Assemblée nationale et au Sénat, le Gouvernement se doit d'ouvrir à nouveau
le dossier des pénalités payées à l'Etat. Il me semble en effet que celles-ci
sont trop lourdes pour un chèque sans provision signé quelques jours avant le
versement du salaire ou du RMI.
Au détour de la loi de finances, nous avons déjà discuté de cette question
avec vos collègues de l'Assemblée nationale, nous allons étudier la possibilité
de revoir la politique des pénalités. C'est indispensable et je m'y engage, au
nom du Gouvernement. Celui-ci travaille d'ailleurs déjà depuis plusieurs
semaines sur ce dossier, sur le cas des pénalités infligées à des personnes qui
attendent impatiemment que leur salaire soit versé sur leur compte.
Il me semble par ailleurs, monsieur le rapporteur, que ce qui vous a choqué le
plus c'est la notion de fraude manifeste. De ce fait, compte tenu de
l'engagement que j'ai pris, ne serait-il pas plus sage de supprimer la phrase
relative à la fraude manifeste et de s'en tenir aux cinq ans comme le demandent
vos collègues ? Il conviendrait dès lors de sous-amender l'amendement n°
365.
En bref, monsieur le président, je suis défavorable à l'amendement de
suppression n° 181 de la commission des finances et favorable à l'amendement n°
365, sous réserve d'un sous-amendement qui consisterait à supprimer la phrase
qui a posé trop de problèmes à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Faisons le point.
La commission propose la suppression de l'article 16
bis.
Le groupe du
RPR, par un amendement défendu par M. Goulet, propose de modifier cet article.
A mon avis, l'apport de cet amendement, qui se situe dans la logique de
l'article 16
bis
, est essentiellement technique. Il vise à instituer un
traitement plus favorable des interdits bancaires existant au moment de
l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. C'est plutôt une disposition de
transition qui vient se greffer sur l'article voté à l'Assemblée nationale.
Si l'on voulait suivre Mme le secrétaire d'Etat, il faudrait compléter cet
amendement pour supprimer l'expression « fraude manifeste ». Mais, alors,
posons la question de fond : est-ce un bon message à donner à l'ensemble des
catégories sociales concernées ?
Madame le secrétaire d'Etat, vous nous dites envisager - je crois que c'est
tout à fait justifié - de réduire ou supprimer, dans la prochaine loi de
finances, la pénalité libératoire versée au bénéfice de l'Etat. Mais si tel
doit être le cas, je comprends mal l'intérêt de réduire le délai de dix à cinq
ans, puisqu'on va pouvoir sortir de la liste des interdits en acquittant une
pénalité moindre, voire sans pénalité, dès lors que l'on paie sa dette. Certes,
dix ans, c'est long, mais si l'on peut sortir de la liste sans pénalité ou avec
une pénalité très faible, l'inscription sur la liste des interdits pendant dix
ans prend un caractère assez théorique !
La commission préférait que l'on s'en tienne au délai de dix ans, mais qu'il
soit possible de sortir plus commodément du statut d'interdit bancaire.
Pour l'instant, je ne suis pas en mesure de prendre une autre position que
celle qu'elle a prise après une longue délibération et en toute connaissance de
cause.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, peut-être la commission des finances pourrait-elle
accepter de déposer un sous-amendement à l'amendement n° 365 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La commission demande une courte suspension de séance,
monsieur le président.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le rapporteur.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinq, est reprise à dix heures dix.)