SEANCE DU 17 OCTOBRE 2000
M. le président.
« Art. 27 A. - Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article
10 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des
prix et de la concurrence, après les mots : "progrès économique", sont insérés
les mots : ", y compris par la création ou le maintien d'emplois, ". »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 139, M. Hérisson, au nom de la commission des affaires
économiques, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 482, le Gouvernement propose, au début de l'article 27 A, de
remplacer les mots : « Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa de
l'article 10 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la
liberté des prix et de la concurrence » par les mots : « Dans la première
phrase du 2° de l'article L. 420-4 du code de commerce ».
La parole est à M. Hérisson, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement
n° 139.
M. Pierre Hérisson,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan.
Cet amendement supprime la possibilité, introduite en première lecture à
l'Assemblée nationale, d'autoriser des pratiques anticoncurrentielles, en
particulier des ententes, au motif qu'elles contribueraient à créer ou à
maintenir des emplois. Une telle dérogation pourrait conduire à l'invocation
abusive de l'argument de l'emploi pour masquer de réelles pratiques
anticoncurrentielles. Il est d'ailleurs difficile d'évaluer le nombre d'emplois
créés ou préservés par une entente.
En proposant la suppression de cet article, je défends une position qui a déjà
été celle du Sénat, sur proposition de la commission des affaires économiques,
lors du débat sur la loi Galland.
Au surplus, cet article est redondant avec des dispositions qui figurent déjà
dans le code de commerce.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat, pour défendre l'amendement n° 482 et
donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 139.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
L'amendement n° 482 est un amendement de
codification.
Pour ce qui est de l'amendement n° 139, je ne peux pas y être favorable. Même
si les pratiques anticoncurrentielles sont le plus souvent destructrices
d'emplois, on peut cependant admettre que les entreprises présentent des
éléments sur ce point au conseil, qui pourra les utiliser dans l'appréciation
du bilan qu'il sera en charge de faire pour décider ou non de l'exemption.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 139 et 482 ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je souhaite tout d'abord, alors que s'ouvre le débat sur le
droit de la concurrence, dire que la commission des finances a été
particulièrement heureuse des conditions de travail en commun, de la bonne
coordination et de la bonne coopération avec la commission des affaires
économiques et du Plan.
Nous avons, en amont, traité tous ces sujets, chacun, bien entendu, avec ses
propres éléments d'analyse et sa sensibilité. Comme on le verra, dans la
quasi-totalité des cas, nous avons adopté des positions communes, car nous
avons pris soin d'essayer de nous convaincre mutuellement, et nous y sommes
souvent parvenus.
L'amendement n° 139 vise à une simplification. La notion de progrès
économique, telle qu'elle va être appréciée, recouvre notamment, nous
semble-t-il, celle de l'emploi : il n'y a pas de progrès économique sans
amélioration de la situation de l'emploi. L'Assemblée nationale a donc rédigé
un texte redondant.
Voilà pourquoi la commission des finances est favorable à la suppression de
l'article.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 139.
M. Bernard Dussaut.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut.
Nous ne comprenons pas qu'on veuille supprimer cet article, qui donne une
définition large de la notion de « progrès économique » en ce qu'il énonce que
la création ou le maintien d'emplois serait l'une des formes possibles de ce
progrès économique, en autorisant, pour cela, certaines pratiques
anticoncurrentielles.
Cette disposition est d'ailleurs appréciée par la fédération nationale des
producteurs de légumes, ainsi que par l'assemblée permanente des chambres
d'agriculture. On ne peut pas être contre toute mesure favorisant l'emploi.
Nous voterons donc contre la suppression demandée par la commission des
affaires économiques.
M. Michel Souplet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet.
Monsieur le rapporteur, vous voudrez bien m'en excuser, mais, même si c'est
redondant, cela ne me choque pas. Tous les jours, on entend à la télévision des
choses totalement redondantes. On appelle cela de la publicité. Cela finit par
entrer dans les crânes, et ce n'est pas mauvais.
C'est vrai, nous abordons le droit de la concurrence, à l'élaboration duquel
nous sommes tout à fait favorables, surtout s'il permet de remédier aux abus
que nous constatons actuellement tout au long de la chaîne qui va du producteur
au consommateur et dans laquelle, nous le savons bien, les producteurs de
matières premières alimentaires sont les premières victimes. S'il n'y a pas
moyen de les protéger à un moment donné, cela devient catastrophique.
Aujourd'hui, on veut supprimer un article dont les organisations de
l'agroalimentaire ont obtenu l'adoption à l'Assemblée nationale. Cet article,
nous y sommes attachés. En effet, il ne reste plus dans le commerce alimentaire
que quatre grands groupes de grandes surfaces, qui s'entendent entre eux comme
larrons en foire. S'il n'y a pas, face à cette concentration de la demande, une
concentration de l'offre de produits, il y aura en permanence une pression
extrême qui s'exercera sur les producteurs, qui sont le premier maillon de la
chaîne. Cela, je ne peux l'accepter, et voilà pourquoi je voterai contre la
suppression du texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
M. Bernard Dussaut.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je tiens à dire à mon excellent collègue et ami Michel
Souplet que je ne peux, bien entendu, qu'adhérer aux considérations générales
qu'il vient de développer. Il est évident que nous allons nous efforcer, à
l'occasion de l'examen de ce texte, de mettre en place des dispositifs
équilibrés permettant de défendre ceux qui doivent être défendus. Il s'agit
bien de faire en sorte que nos marchés fonctionnent mieux, que nos producteurs,
nos petits producteurs en particulier, soient confortés dans l'exercice
raisonnable et honnête de leur métier.
Je tiens toutefois à appeler l'attention de notre collègue sur le fait, qu'il
connaît bien, que la création ou le maintien de l'emploi n'est le monopole
d'aucune branche, d'aucune activité professionnelle. D'ailleurs, nous savons
bien les uns et les autres que, lorsqu'il s'agit, par exemple, d'implanter de
nouvelles surfaces commerciales, l'argument de la création d'emploi est le
premier à être invoqué par les grands distributeurs.
J'appelle également son attention sur le fait que l'impact sur l'emploi
variera selon les régions. Il ne sera pas le même dans l'Oise ou dans le
Finistère. Il dépendra aussi beaucoup des productions, des filières. De plus,
j'y reviens, quantitativement, la balance penchera plus souvent du côté de la
distribution que du côté de la production.
Cher collègue et ami, l'emploi, nous le défendons tous ; les producteurs, nous
les défendons tous ; mais nous essayons de faire une loi qui soit autant que
possible une bonne loi, qui soit comprise, qui puisse être appliquée tant par
l'administration que par les juges. Et, de ce point de vue, la proposition de
la commission des affaires économiques me paraît bonne.
M. Pierre Hérisson,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hérisson, rapporteur pour avis.
M. Pierre Hérisson,
rapporteur pour avis.
Monsieur Souplet, nous avons longuement débattu de
ce problème en commission des affaires économiques et je comprends tout à fait
le fondement de votre intervention, d'autant que j'ai reçu les mêmes avis du
monde agricole.
Il faudrait pouvoir adopter la solution que vous avez proposée tout à l'heure,
tout en en interdisant l'accès à la grande distribution.
Vous avez vous-même rappelé qu'il ne restait que quatre grands distributeurs.
Je vous laisse le soin d'imaginer quelles possibilités vous leur ouvririez en
maintenant votre position.
Aujourd'hui, ce sont les grands distributeurs qui sont porteurs en matière de
création d'emplois. On ne peut pas sous-estimer cette donnée.
L'ordonnance de 1986 avait augmenté leurs possibilités en validant la notion
de progrès économique.
L'Assemblée nationale a proposé de préciser que le progrès économique peut
résulter du maintien de l'emploi ou de créations d'emplois. Je crois qu'il ne
faut pas en ajouter encore !
La sagesse nous conduit à ne pas adopter une telle disposition, qui serait
beaucoup trop dangereuse. Elle pourrait être utilisée d'une manière raisonnable
par les producteurs mais ce ne serait pas le cas pour tout le monde. Alors il
ne faut surtout pas l'inscrire dans une loi.
M. Bernard Joly.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
S'il est vrai que nous devons être très attentifs aux créations d'emplois,
nous devons également être attentifs aux suppressions d'emplois qui découlent,
notamment en milieu rural, de l'installation de grandes surfaces.
Tant que nous n'aurons pas apporté de solution au problème soulevé, nous
aurons de graves problèmes.
Je soutiens donc la proposition de M. Souplet.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 139, accepté par la commission et repoussé
par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 482.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 27 A, modifié.
(L'article 27 A est adopté.)
Article 27 B