SEANCE DU 17 OCTOBRE 2000


M. le président. Par amendement n° 461, Mme Terrade, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud et les membres du groupe communautaire républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 48, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le premier alinéa du I de l'article L. 461-1 du code du commerce, après les mots : " de la concurrence ", sont insérés les mots " et des concentrations ".
« II. - En conséquence, les mots : " Conseil de la concurrence et des concentrations ", remplacent les mots : " Conseil de la concurrence " dans les lois et règlements en vigueur ainsi que dans l'ensemble du présent projet de loi.
« III. - Le premier alinéa de l'article L. 462-1 du même code est complété par les mots : " et la concentration ".
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. La question du domaine d'investigation du Conseil de la concurrence est, à notre avis, assez fondamentale.
Quand bien même cette autorité est apparemment appelée à jouer un nouveau rôle de par les dispositions préconisées dans le présent projet de loi et par l'expérience récente - citons le cas de la carte d'abonnement UGC ou encore les questions tarifaires en matière de télécommunications - il nous semble qu'elle ne peut se cantonner de manière exclusive à la seule interrogation sur la défense et la protection des droits du consommateur.
La régulation en matière de concurrence et de pratiques commerciales ne se définit pas, de notre point de vue, que sous l'angle du droit de la consommation, quand bien même cela est une nécessité et s'avère tout à fait légitime.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de rappeler ici que des questions comme la sécurité alimentaire, le respect des appellations contrôlées ou la protection du choix du consommateur sont des questions fondamentales, que l'actualité récente a mis en exergue.
Les consommateurs, vous le savez bien, sont aussi assez souvent salariés et, comme tels, directement concernés par toutes les implications économiques et sociales que peut entraîner une concentration commerciale.
Notre amendement vise donc à étendre le champ d'investigation du conseil de la concurrence en y incluant l'appréciation qu'il peut porter sur une situation donnée en prenant en compte des phénomènes de concentration.
Cette précision, qui de prime abord peut paraître purement rédactionnelle, est donc fondamentalement justifiée par la nécessité de donner au Conseil de la concurrence la possibilité d'appréhender son action dans une définition plus systémique et, par voie de conséquence, plus proche des implications réelles posées par les pratiques commerciales en cours dans notre pays.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. La commission a pris l'initiative de plusieurs amendements pour renforcer les attributions du Conseil de la concurrence en matière de contrôle des concentrations.
Nous estimons en effet, comme Mme Beaudeau, que ce domaine des concentrations est bien l'un des domaines de compétence importants du Conseil de la concurrence.
Toutefois, nous pensons aussi que la notion de contrôle des concentrations est déjà comprise dans l'appellation globale de « Conseil de la concurrence », le concept de concurrence ayant vocation à englober bien des notions. Cet amendement ne nous semble donc vraiment pas nécessaire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je pense, moi aussi, qu'il vaut mieux garder l'appellation actuelle : il n'y a aucune raison de rebaptiser le Conseil de la concurrence « Conseil de la concurrence et des concentrations ». Ainsi, le contrôle des concentrations est l'un des éléments de la politique de la concurrence, c'est évident ; les concentrations font partie de la concurrence, c'est sûr. Il y a donc redondance dans le nom proposé pour le conseil. D'ailleurs, un pays européen qui avait adopté une telle appellation vient de supprimer toute référence aux concentrations.
J'ajouterai que, en outre, le ministre ou les ministres doivent intervenir dans certains cas de concentration, puisque d'autres types de sujets, comme l'emploi par exemple, doivent être abordés ; vous l'avez dit dans l'une de vos interventions liminaires, madame le sénateur. Un conseil de la concurrence et des concentrations ne pourrait pas, lui, prendre en compte les suppressions d'emplois qui pourraient être liées à une concentration. D'autres interventions que celle du Conseil de la concurrence sont donc nécessaires. Je souhaiterais par conséquent, madame Beaudeau, que vous retiriez votre amendement ; la gestion des concentrations intéresse certes la concurrence, mais elle va bien au-delà.
M. le président. L'amendement n° 461 est-il maintenu ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, monsieur le président, car les opérations de concentration ne sont appréciées aujourd'hui qu'en partant des règles de concurrence, c'est-à-dire des règles du marché.
S'il est effectivement positif que des considérations liées à la protection du consommateur viennent équiliber la liberté laissée aux actionnaires, la régulation économique ne peut s'en satisfaire et laisser à l'écart, par exemple, les questions d'emplois, mais aussi les question d'aménagement du territoire et de cohérence du tissu productif. Nous maintenons donc notre proposition d'étendre le rôle du Conseil de la concurrence, qui devra de notre point de vue se prononcer sur des critères beaucoup plus vastes, englobant ces impératifs.
M. le président. Personne ne demande la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° 461, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 462, Mme Terrade, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 48, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 321-4 du code du travail, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L.... - Dans les entreprises employant au moins cinquante salariés et dont le bénéfice d'exploitation rapporté aux fonds propres est supérieur à un taux fixé par un arrêté ministériel, la mise en oeuvre d'un plan de licenciement collectif pour motif économique est soumise à l'autorisation préalable de l'autorité administrative compétente qui s'assure que chaque salarié concerné a bénéficié d'au moins trois propositions de reclassement interne ou externe équivalent à l'emploi précédemment occupé ».
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, cet amendement porte sur une question d'ores et déjà largement posée dans la jurisprudence sociale en matière de droit du licenciement.
Il n'aura échappé à personne, évidemment, que ce qui motive quant au fond cette proposition est directement lié à ce qui a pu constituer l'origine première du texte, c'est-à-dire ce que l'on a appelé l'affaire Michelin.
La question essentielle que posait cette affaire, au-delà de ce que l'on peut appeler une réaction morale de tout un chacun était assez claire : qu'est-ce qui doit primer, en matière économique, dès lors qu'une entreprise réalise des profits et qu'elle procède à un certain nombre de choix stratégiques essentiels ?
Est-ce la bonification constante de la valeur des titres ou des parts sociales - et, dans le cas de Michelin, qui est une société en commandite, je ne sais si la formulation est adéquate -, fût-ce au détriment de la progression des fonds propres, de l'investissement et de l'emploi ?
Ou bien est-ce le développement de l'activité, la création d'emplois, le rélèvement des rémunérations ? Par cet amendement, nous voulons renforcer la qualité du code du travail sur un point essentiel. Il s'agit en effet de répondre par les moyens les plus appropriés aux dérives que nous avons constatées dans l'affaire Michelin, mais qui peuvent être encore observées au sein d'autres entreprises. Je rappelle que, dans le cas de Michelin, la publication des résultats d'exploitation et l'augmentation sensible de la valeur de l'action s'étaient accompagnées de la publication d'un plan social portant sur 7 500 suppressions de postes, au demeurant constituées, pour l'essentiel, par une « optimisation » des possibilités offertes à travers les mises en retraite anticipée.
Nous concevons que les entreprises soient attentives aux contraintes qu'elles rencontrent du fait de la « mondialisation » ou de la concurrence. Mais doivent-elles, pour autant, oublier, dans leur analyse et leurs décisions stratégiques, leurs obligations au regard de la collectivité ?
Nous ne le pensons pas. Il y a là une problématique éthique qui traverse d'ailleurs ce débat depuis le début : la régulation économique doit-elle être laissée à la seule appréciation des agents économiques ou bien doit-elle s'accompagner d'une régulation encore plus précise, qui devrait être fournie par le politique - et donc par la puissance publique - en ce qu'elle est porteuse de l'intérêt général dont la loi est par nature dépositaire ?
Nous proposons donc que, à compter de la promulgation de la présente loi, le code du travail prévoie expressément l'obligation de reclassement pour les salariés des entreprises où un plan social fait suite à la constatation d'une profitabilité sensible et que cette obligation de reclassement soit associée à une démarche obligatoire d'accord de l'autorité administrative compétente - en l'occurrence la direction départementale du travail - quant à la mise en oeuvre du plan social proprement dit.
Notre amendement procède à l'interprétation et à la généralisation d'une part importante de la jurisprudence observée en ce domaine et qui a conduit au rejet pur et simple du plan social dans un nombre non négligeable d'entreprises.
L'inscription dans la loi de cette disposition permettrait de pallier le risque de progression du contentieux juridique provenant d'une multiplication des conflits liés à la mise en oeuvre de plans sociaux.
Elle permettrait aussi au projet de loi de retrouver quelque peu la source même de son inspiration et de se rapprocher, par conséquent, de ce qui a motivé son inscription à l'ordre du jour.
A ceux qui seraient tentés de nous dire que cet amendement trouverait davantage sa place dans le projet de loi sur la modernisation sociale, je répondrai que le « remplissage » du calendrier parlementaire est tel que ce texte ne sera probablement pas adopté avant le printemps prochain.
Notre amendement est donc pleinement justifié et permet concrètement de répondre à certaines urgences du moment.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Monsieur le président, c'est un avis franchement défavorable pour un grand nombre de raisons Mme Beaudeau comprendra que je ne les développe pas en cet instant, car nous avons assez souvent ce type de dialogue.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Les raisons du Gouvernement sont sans doute différentes de celles de M. le rapporteur, mais je crains de devoir également émettre un avis défavorable sur cet amendement.
Madame Beaudeau, des plans de licenciement comme ceux que vous évoquez peuvent intervenir presque à tout moment de la vie des entreprises, sans avoir nécessairement un lien direct avec une opération de concentration.
Par ailleurs, le contrôle d'une concentration est effectué le plus souvent là où il y a une forte addition de parts de marché, c'est-à-dire des redondances industrielles ou commerciales, et donc des risques pour l'emploi. Le résultat du contrôle est alors la cession des activités redondantes à un tiers qui sera capable de les développer pour devenir un concurrent viable, pérenne et fort. Par conséquent, le contrôle des concentrations exerce en tant que tel, dans ce cas de figure, un effet positif sur l'emploi.
Enfin, je vois une contradiction entre l'argumentaire auquel vous avez eu recours tout à l'heure et la défense du présent amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 462, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)


Article 48