SEANCE DU 31 OCTOBRE 2000
ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
AU SUFFRAGE UNIVERSEL
Adoption d'un projet de loi organique
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique (n° 16,
2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 62-1292 du 6
novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage
universel. (Rapport n° 47 2000-2001.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi organique qui vous est
aujourd'hui soumis en première lecture vise à apporter des modifications
techniques à la loi organique du 6 novembre 1962 relative à l'élection du
Président de la République à la suite des observations faites par le Conseil
constitutionnel à l'issue de l'élection présidentielle des 23 avril et 7 mai
1995.
Ce projet, préparé par le Gouvernement, a pris en compte, dans un souci de
clarification et de simplification de l'organisation et du contrôle de
l'élection présidentielle, la plupart des observations du Conseil
constitutionnel. Il vise également à adapter les dispositions de la loi
organique de 1962 aux évolutions du droit électoral.
Parallèlement, je vous informe que le Gouvernement prépare un projet de décret
modifiant le décret de 1964, afin de tenir également compte des observations à
caractère réglementaire du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de
l'audiovisuel.
Le projet de loi organique a donc pour objectif premier de tenir compte des
observations du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel, dans ses observations publiées au
Journal
officiel
du 15 décembre 1995 et complétées le 22 juin 2000, a soulevé la
question du rattachement départemental, dans la procédure de présentation des
candidats, des membres de l'Assemblée de Corse et des conseillers régionaux qui
seront bientôt élus dans le cadre d'une circonscription régionale.
Le projet de loi prévoit de transposer à l'élection du président de la
République les modalités de répartition départementale prévues par le code
électoral pour la composition du collège électoral sénatorial, que le Parlement
a validées en votant la réforme du mode d'élection des conseillers régionaux
par la loi du 19 janvier 1999. Ces dispositions, immédiatement applicables pour
l'Assemblée de Corse, ne seront, bien sûr, mises en oeuvre qu'à partir de 2004
ou avant cette date dans le cas, peu probable, d'un renouvellement anticipé.
L'Assemblée nationale a par ailleurs, avec l'accord du Gouvernement, souhaité
étendre à de nouvelles catégories d'élus la possibilité de présenter un
candidat à l'élection présidentielle. Ainsi, les maires délégués des communes
associées, les maires des arrondissements de Marseille et Lyon - ceux de Paris
disposant déjà de cette possibilité au titre de leur appartenance au Conseil de
Paris - les présidents des organes délibérants des communautés urbaines,
d'agglomération et de communes, ainsi que les représentants français au
Parlement européen, devraient se voir attribuer ce droit de présentation d'un
candidat et, par là même, reconnaître leur rôle dans la vie démocratique de
notre pays au même titre que d'autres élus.
Le projet de loi organique qui vous est soumis aujourd'hui prévoit, par
ailleurs, plusieurs améliorations du cadre financier de l'élection
présidentielle. Ainsi, la dissolution de l'association de financement et la
cessation des fonctions des mandataires financiers sont reportés de trois mois
après le dépôt des comptes à un mois après la publication des décisions du
Conseil constitutionnel. Cette mesure permettra d'améliorer les conditions de
clôture des comptes de campagne et de règlement des relations financières entre
le candidat et son mandataire puisqu'elle permettra de connaître le solde du
compte de campagne une fois arrêté le montant du remboursement forfaitaire
accordé par l'Etat.
L'interdiction, introduite dans ce projet de texte, des prêts et avances
remboursables des personnes physiques résulte, de même, de la volonté de
renforcer la transparence des modes de financement des candidats à la
magistrature suprême. Le contrôle des prêts et avances remboursables se révèle,
en effet, souvent délicat et peut être source de critique lorsque les montants
en jeu sont d'une grande ampleur. Dans le même esprit, il convient de supprimer
toute référence dans la loi organique à des dons de personnes morales,
interdits depuis la loi organique du 19 janvier 1995.
A la demande du Conseil constitutionnel, le Gouvernement propose dans ce texte
d'inscrire dans les comptes de campagne les frais d'expertise comptable liés à
leur établissement. Ces dépenses, prévues par l'article L. 52-12 du code
électoral, applicable à l'élection présidentielle, s'imposent, en effet, aux
candidats, et peuvent représenter des montants importants restant à leur
charge.
En matière d'investigation, il est judicieux de permettre à tous les
rapporteurs adjoints de la haute juridiction d'avoir accès, grâce à la levée du
secret professionnel des agents des administrations financières, aux
informations fiscales et bancaires lors de leur contrôle des comptes des
candidats.
Compte tenu des particularités de l'élection présidentielle, qui se déroule
dans un cadre national et dont la campagne peut faire l'objet d'initiatives
locales difficilement maîtrisables par le candidat, le Conseil constitutionnel
a souhaité que ses pouvoirs soient étendus à l'appréciation du remboursement
des frais de campagne. Pour les mêmes raisons, le Conseil constitutionnel a
souhaité se voir reconnaître une possibilité de moduler les sanctions
financières applicables au candidat en cas de dépassement du plafond du compte
de campagne.
L'Assemblée nationale a considéré que les deux mesures proposées par le
Gouvernement risquaient de remettre en cause l'équilibre des règles de
sanctions applicables entre les différentes élections et d'atténuer de façon
trop sensible le régime de sanctions en vigueur en cas de non-respect des
obligations en matière de financement de la campagne. Nous aurons l'occasion de
revenir sur ces dispositions lors de la discussion des articles.
Outre la prise en compte des observations du Conseil constitutionnel, ce
projet de loi organique a pour objet de mettre à jour le droit applicable à
l'élection du Président de la République.
Le Gouvernement propose de modifier la loi organique de 1962 pour contribuer à
son amélioration technique. Il convient ainsi d'actualiser les références au
code électoral pour rendre applicables à l'élection présidentielle les textes
votés récemment en matière électorale, notamment l'inscription d'office des
jeunes de dix-huit ans sur les listes électorales.
La conversion en euros des montants fixés par la loi organique est utile, car
l'élection présidentielle de 2002 se déroulera sous le régime de la monnaie
unique européenne, et l'ordonnance récente du 19 septembre 2000 portant
adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans
les textes législatifs ne peut s'appliquer aux textes ayant valeur de loi
organique.
Enfin, je conclurai sur la dernière mesure prévue dans ce projet de loi
organique : la modification du plafond de remboursement des dépenses
électorales.
Fixé en 1988 à 25 %, mais porté à 36 % par un dispositif transitoire valable
pour la seule élection de 1995, le plafond des dépenses remboursables pour un
candidat ayant obtenu plus de 5 % des suffrages est inférieur de moitié à celui
de toutes les autres élections. Il convient donc, dans un souci d'harmonisation
du droit et pour appliquer le même régime à toutes les élections, de supprimer
cette minoration, qui n'a aucune raison légitime de subsister, et donc de
porter ce taux à 50 % pour tous les candidats ayant obtenu plus de 5 % des
suffrages.
La prochaine élection présidentielle se déroulera, en effet, pour la première
fois sous le régime de l'interdiction totale des dons des entreprises et, plus
généralement, des personnes morales autres que les partis politiques. Si le
taux de remboursement par l'Etat était maintenu à 25 %, il serait alors
inférieur à celui qui a été pratiqué en 1995, alors même que des dons
d'entreprises avaient pu être recueillis à l'occasion de cette élection.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre commission des lois, sous l'égide de
son rapporteur, M. Bonnet, a adopté un certain nombre d'amendements tendant
sensiblement à revenir au texte initial du Gouvernement. Nous en reparlerons
bien évidemment au cours de la discussion des articles, et je ne veux pas en
préjuger.
Quoi qu'il en soit, ce projet de loi organique relatif à l'élection du
Président de la République est, vous le constatez, un projet technique,
reflétant le souci de garantir la transparence et la régularité de l'élection.
Ce texte permettra d'aborder la prochaine échéance présidentielle, je l'espère,
dans les meilleures conditions.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi
organique que nous examinons aujourd'hui vise, pour l'essentiel, à donner suite
aux recommandations faites par le Conseil constitutionnel au mois de juin
dernier à propos de l'élection présidentielle, dont il est chargé de contrôler
la régularité. Le Gouvernement en a profité pour procéder à deux aménagements
bienvenus, et l'Assemblée nationale, pour sa part, a formulé diverses
observations qui ont fait l'objet d'un examen attentif.
Pour la clarté de l'exposé, je vous propose, mes chers collègues, d'évoquer
en premier lieu les points qui ne posent pas problème, puis d'examiner ceux à
propos desquels il est apparu à votre commission souhaitable de marquer ou son
accord ou ses réserves.
Commençons par ce qui a semblé à la commission, comme à l'Assemblée nationale,
aller de soi.
Ainsi en va-t-il de la recommandation du Conseil constitutionnel concernant le
rattachement au département au titre duquel ils participent à l'élection des
sénateurs, des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de
Corse.
De même va de soi la suppression de toute évocation des personnes morales dès
lors que la loi de 1995 leur a interdit de participer au financement de la
campagne ; la suppression des prêts et avances remboursables aux candidats qui
pourraient s'analyser en des dons déguisés, mesure qui ne souffre aucune
réserve ; l'inscription des frais d'expertise comptable dans les comptes de
campagne, afin de permettre aux candidats de bénéficier de leur remboursement
par l'Etat des frais de campagne.
De même, la prolongation de la durée des fonctions des associations de
financement et de mandataires financiers jusquà un mois après la décision du
Conseil constitutionnel sur les comptes de campagne présentera-t-elle
l'avantage de donner au Conseil constitutionnel le temps nécessaire à un
travail dont on imagine sans peine à quel point il peut se révéler complexe.
Délier du secret profesionnel auquel sont ordinairement tenus les agents de
l'administration des finances vis-à-vis des membres du Conseil constitutionnel
et des rapporteurs adjoints est une disposition qui méritait d'être inscrite
dans un texte législatif.
L'élection présidentielle à venir ayant lieu en 2002, adapter les plafonds de
dépenses en euros paraissait s'imposer.
Toutes ces mesures étaient souhaitées par le Conseil constitutionnel et n'ont
soulevé aucune difficulté, ni devant l'Assemblé nationale ni au sein de la
commission des lois.
Le Gouvernement, je l'ai dit voilà quelques instants, a proposé de son côté
deux mesures.
L'une concerne l'actualisation des dispositions du code électoral applicables
à l'élection présidentielle.
Certaines mesures législatives se devaient en effet de figurer dans le présent
projet de loi organique, telle l'inscription sur les listes électorales,
abusivement qualifiée d'office, des jeunes de dix-huit ans, issue d'une loi de
1997.
L'autre mesure proposée par le Gouvernement vise à majorer le taux maximum de
remboursement forfaitaire des dépenses électorales pour les candidats ayant
recueilli au moins 5 % des suffrages exprimés, afin de l'aligner sur le taux
applicable aux autres scrutins politiques, soit 50 % du plafond des dépenses
électorales.
La commission des lois a marqué son accord, comme l'avait fait l'Assemblée
nationale, sur ces deux propositions gouvernementales.
Venons-en maintenant, si vous le voulez bien, aux amendements introduits par
l'Assemblée nationale.
Cette dernière a, en premier lieu, étendu la liste des élus habilités à
présenter un candidat.
Ainsi serait ouvert un droit de présentation aux ressortissants français
membres du Parlement européen, aux maires d'arrondissement de Lyon et de
Marseille, par analogie avec ceux de Paris, qui sont déjà habilités, en leur
qualité de conseillers de Paris - vous l'avez rappelé, M. le ministre -, aux
maires délégués des communes associées pour les quelques fusions de communes
qui existent encore et aux présidents des organes délibérants de certains
établissements publics de coopération intercommunale, à savoir les communautés
urbaines, les communautés d'agglomération et les communautés de communes.
La commission des lois a marqué son accord sur cette proposition, se
contentant d'ajouter, s'agissant des ressortissants français membres du
Parlement européen, une précision qui lui est apparue souhaitable, à savoir que
les ressortissants français devraient être « élus en France ».
En second lieu, l'Assemblée nationale a voté, à la faveur d'un glissement
d'articles du code électoral, du L.O. 127 au L. 44, l'abaissement de
vingt-trois à dix-huit ans de l'âge d'éligibilité du Président de la
République.
La commission, estimant que la dignité même du travail parlementaire s'en
trouverait gravement affectée, vous propose la suppression de cette
adjonction.
Plus sérieuse est apparue la réserve marquée par nos collègues députés à
l'endroit de l'instauration d'un pouvoir d'appréciation du Conseil sur les
conséquences financières pour un candidat du non-respect de la législation sur
les comptes de campagne.
Le Conseil, dans les recommandations formulées le 22 juin dernier, a pris soin
de limiter ce pouvoir d'appréciation aux cas « où la méconnaissance des
dispositions serait non intentionnelle ou de portée très réduite ».
L'Assemblée nationale, peu sensible à l'argument touchant la complexité d'un
scrutin applicable à l'ensemble du territoire national et où, dès lors, un
candidat n'est pas toujours en mesure de maîtriser telle ou telle initiative
prise à son insu et non pas de son plein gré a adopté un amendement de
suppression de cette marge de souplesse. Votre commission des lois, après en
avoir largement débattu, a estimé devoir la rétablir, tout en réduisant encore
la marge par la substitution de la conjonction « et », plus contraignante, à
celle, disjonctive, « ou », la méconnaissance des dispositions régissant la
matière devant être, de ce fait, non intentionnelle « et » de portée très
réduite.
Le quatrième amendement adopté par l'Assemblée nationale vise à permettre un
réexamen des comptes de campagne dans un délai de trois ans après approbation
par le Conseil constitutionnel lorsque des faits de nature à modifier la
décision apparaîtraient à l'occasion d'une procédure judiciaire.
Bien des arguments pourraient être développés à l'encontre de l'ouverture
d'une telle possibilité, mais un seul suffit, car il est dirimant : elle serait
inconstitutionnelle.
Vous vous êtes interrogée - le mot est faible - sur la constitutionnalité,
lors du débat à l'Assemblée nationale, d'une telle disposition.
La commission des lois a estimé, d'une façon plus brutale - et M. Badinter
n'était pas le dernier, expert qu'il est en la matière, à l'avoir jugée telle -
qu'elle serait inconstitutionnelle. L'article 62 de la Constitution dispose en
effet que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles
d'aucun recours. »
M. Michel Charasse.
M. Montebourg s'en fout !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Et d'ajouter : « Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à
toutes les autorités administratives juridictionnelles. » Or, c'est à
l'occasion d'une procédure judiciaire que l'on pourrait éventuellement, à en
croire l'Assemblée nationale, remettre en cause des comptes de campagne arrêtés
par le Conseil constitutionnel.
Aussi bien votre commission des lois a-t-elle estimé inutile d'exposer le
législateur à paraître ignorer un article aussi net de la Constitution aux yeux
des sages du Palais Royal, automatiquement saisis - on le sait - de toute loi
organique.
Telles sont, monsieur le président, mes chers collègues, les conclusions qu'il
m'incombait d'expliciter devant vous au nom de la commission.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
m'exprimerai que très brièvement, ce projet de loi organique étant en tous
points satisfaisant, du moins dans la rédaction proposée par le
Gouvernement.
Le dépôt en était nécessaire, pour tenir compte à la fois des observations du
Conseil constitutionnel et de la récente révision de la Constitution portant à
cinq ans le mandat présidentiel. Par ailleurs, il était bon d'harmoniser les
dispositions applicables à l'élection du Président de la République avec celles
qui sont déjà applicables à l'élection des députés.
Par conséquent, monsieur le rapporteur, mon groupe approuve totalement vos
conclusions et vous présente toutes ses félicitations pour le travail que vous
avez accompli et la réflexion que vous avez menée.
Je ferai toutefois quelques petites remarques de détail.
La première tient à la proposition, formulée à l'Assemblée nationale, visant à
abaisser à dix-huit ans l'âge d'éligibilité du Président de la République.
Cette mesure relève de la seule démagogie, et, entre nous soit dit, quelle
catastrophe si elle était adoptée ! Que ferait-on ensuite de ces présidents de
la République trop jeunes ?
M. Michel Charasse.
Un gâteux, ce n'est pas mieux !
(Sourires.)
M. Patrice Gélard.
C'est vrai. Mais ce qui m'inquiète surtout, c'est de savoir ce qu'on en ferait
après.
M. Michel Charasse.
On lui changera les couches et on le langera !
(Nouveaux sourires.)
M. le président.
Laissez l'orateur s'exprimer !
M. Patrice Gélard.
J'en viens à ma deuxième remarque.
Je n'étais pas tout à fait d'accord avec la position soutenue par notre
rapporteur tendant à reconnaître le droit pour les présidents des communautés
urbaines, des communautés de communes ou d'agglomération d'être parrains pour
l'élection présidentielle. Ces présidents étant généralement déjà maires, ils
sont déjà, dans une certaine mesure, susceptibles de présenter un candidat. Par
ailleurs, la situation de ces établissements publics est la même que celle des
syndicats de communes ou des syndicats intercommunaux à vocation multiple ; ce
ne sont pas encore des collectivités territoriales. Il y a là quelque chose qui
me gêne. Cela dit, nous n'en faisons pas une affaire de principe et nous nous
rallierons aux conclusions de la commission des lois.
Pour ne pas allonger le débat, j'aborderai brièvement deux autres points
seulement.
Tout d'abord, les dispositions relatives au Conseil constitutionnel telles
qu'elles nous sont soumises me font craindre une certaine méfiance de la part
de l'Assemblée nationale ou de certains de ses membres à l'égard de la haute
institution.
Il ne me semble pas bon de mettre en cause le Conseil constitutionnel dans
cette affaire. Jusqu'à preuve du contraire, c'est l'un des piliers garantissant
le fonctionnement équilibré de nos institutions. C'est la raison pour laquelle
je suis tout à fait favorable au maintien du texte original du Gouvernement
quant au pouvoir d'appréciation du Conseil constitutionnel sur les conséquences
financières d'un dépassement des comptes.
Il serait souhaitable, d'ailleurs, que le Gouvernement étende ces dispositions
aux autres élections parce que le couperet des sanctions est parfois trop
abrupt. Il faudrait éviter que les tribunaux ne prononcent une interdiction
d'éligibilité pour les cas situés à la marge. Je pense à ce qui est arrivé à M.
Jack Lang à une époque. Le fait qui lui était imputé ne justifiait pas une
interdiction d'éligibilité. Il faudrait, monsieur le ministre, remettre
l'ouvrage sur le métier pour tenir compte des manquements non intentionnels et
de portée limitée.
Je suis également en parfait accord avec les conclusions de M. le rapporteur
en ce qui concerne l'inconstitutionnalité de la proposition formulée par
l'Assemblée nationale sous forme d'amendement, tendant au réexamen des
décisions du Conseil constitutionnel. Il est évident que celui-ci
sanctionnerait brutalement un texte comportant une telle disposition.
En conclusion, je dois faire part de l'assentiment de mon groupe, qui votera
le texte proposé par la commission dans son ensemble.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
discussion du projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la
République me conduit à formuler deux remarques : l'une concerne
l'environnement dans lequel s'insère le projet de loi, l'autre est relative au
contenu du texte.
En premier lieu, si l'on se réfère au contexte dans lequel nous avons à
débattre, on ne peut qu'être frappé par le décalage qui existe entre, d'une
part, ce qui préoccupe les Français s'agissant des institutions et, d'autre
part, l'ambition du projet de loi lui-même, qualifié de projet de loi technique
par M. le ministre.
Le projet de loi organique est en effet un ensemble de dispositions assez
disparates qui ont pour objet, pour l'essentiel, de mettre en oeuvre les
observations formulées par le Conseil constitutionnel à l'issue de l'élection
présidentielle de 1995.
L'intention est louable, sans nul doute, mais, intervenant relativement tard
et dans la foulée du référendum de septembre sur le quinquennat présidentiel,
elle ne fait que souligner l'absence de débat sur les questions
institutionnelles essentielles et particulièrement sur la question du
rééquilibrage des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement.
L'assourdissant silence qui règne autour de l'indispensable rénovation de la
démocratie parlementaire est d'autant moins tolérable que, comme l'a rappelé
mon collègue Jacques Brunhes à l'Assemblée nationale, nous n'avons pas besoin
de réforme constitutionnelle pour faire avancer les choses : réforme du mode de
scrutin, réduction des mandats - y compris celui des sénateurs ! - véritable
initiative des lois, contrôle renforcé du Parlement, notamment en matière
européenne pour que la transposition des directives ne puisse plus jamais être
opérée par voie d'ordonnance, mise en place d'un statut de l'opposition, tout
cela peut être fait au niveau législatif, voire à celui du règlement des
assemblées parlementaires. Il fallait que cela fût dit !
Une autre question ne peut logiquement être écartée du débat sur l'élection du
Président de la République. Il serait étrange qu'elle n'y prenne pas place
alors qu'elle est au coeur des débats post-référendum ; je veux parler du
calendrier électoral qui va être retenu pour les élections présidentielles et
législatives de 2002.
Vous connaissez sur ce point, mes chers collègues, la position des
parlementaires communistes : ils ne sont pas favorables à une inversion des
calendriers, qui amènerait les Français à élire le Président avant les
députés.
Au-delà du fait que tout changement anticipé serait perçu comme une
manipulation électoraliste, il est nécessaire que les Français sachent bien
qu'un tel changement induirait nécessairement une présidentialisation du
régime, laquelle renforcerait le déséquilibre existant.
C'est contre une telle logique de renforcement du pouvoir présidentiel
personnel que les sénateurs communistes veulent à nouveau mettre en garde.
J'en viens maintenant à l'objet même du projet de loi organique.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyens sont totalement en
phase avec les dispositions visant à donner à l'élection présidentielle à la
fois plus de transparence financière et un caractère plus démocratique.
Je pense en particulier à l'élargissement des catégories d'élus habilités à
présenter des candidats à la présidence.
Outre celles qui permettent de respecter l'exigence de rattachement
territorial - je pense aux élus de l'Assemblée de Corse et aux élus au
Parlement européen - les dispositions proposées permettent de prendre acte des
évolutions du cadre institutionnel et, en particulier, de l'émergence des
acteurs de la décentralisation.
Je fais évidemment référence d'abord aux maires délégués des communes
associées et aux maires d'arrondissement de Lyon ou de Marseille, mais je pense
également aux acteurs de l'intercommunalité : les présidents des communautés
urbaines, des communautés d'agglomération et des communautés de communes.
Quant à l'abaissement de l'âge d'éligibilité du Président de la République à
dix-huit ans, nous ne pouvons évidemment qu'y être favorables tant il nous
semble partie intégrante de la citoyenneté : comment revendiquer une meilleure
conscience civique des jeunes si, parallèlement, on ne leur fait pas
suffisamment confiance pour leur confier des responsabilités ?
Dans cette optique, il nous semble nécessaire de procéder à une uniformisation
de l'ensemble des mandats électifs afin de poser la règle selon laquelle l'âge
requis pour être candidat correspond à l'âge de la majorité.
On comprend les difficultés de certains sénateurs à adhérer à l'amendement
adopté par l'Assemblée nationale lorsqu'on sait que l'âge requis pour être
candidat au Sénat est de trente-cinq ans !
M. Patrice Gélard.
Et les députés, vingt-trois.
M. Robert Bret.
C'est pourquoi je propose l'uniformisation de l'ensemble des mandats
électifs.
N'en déplaise à mon collègue Gélard, je clôturerai mon propos par quelques
remarques visant à rappeler la réticence des parlementaires communistes à toute
extension du rôle du Conseil constitutionnel.
En effet, nous ne considérons pas comme bon pour la démocratie qu'une
institution dont les membres ne sont pas issus du suffrage universel soient
juges des décisions prises par les élus de la nation.
On sait bien par ailleurs que les décisions de la haute instance, qui ne sont
pas susceptibles de recours, ne sont jamais une simple application de la
Constitution mais résultent d'une interprétation constructive.
Je vous renvoie notamment aux écrits du professeur Troper, professeur de
philosophie du droit, sur la question du pouvoir d'interprétation du juge
constitutionnel.
S'agissant de son rôle électoral, on sait qu'il donne d'autant moins
satisfaction à ceux qui le remplissent qu'il s'agit d'un pouvoir strictement
encadré.
Le récent ouvrage d'un ancien membre du Conseil, M. Jacques Robert, est riche
d'enseignements à ce propos ; il montre comment ses membres ressentent mal ces
contraintes vécues comme autant d'entraves.
Nous pensons, pour notre part, que son rôle doit se borner, spécialement en ce
domaine, à une application mécanique de la loi.
C'est la raison pour laquelle nous sommes plus que réservés sur l'octroi au
juge de l'élection présidentielle du pouvoir d'apprécier le montant de la somme
à reverser au Trésor en cas de dépassement du plafond de dépenses électorales
par un candidat. Le fait qu'il s'agisse d'une faute ni intentionnelle ni grave
- c'est vraiment l'obsession du Sénat en ce moment ! - ne change rien à
l'affaire : il faut maintenir l'automaticité de la sanction, seul garant de son
caractère objectif. Octroyer un pouvoir d'appréciation au juge constitutionnel
risquerait de jeter un soupçon de partialité sur les décisions rendues.
Pour les mêmes raisons, nous n'approuvons pas non plus les dispositions
adoptées par l'Assemblée nationale concernant la possibilité de réexamen des
comptes de campagne dans les trois ans, sur signalement du parquet.
Au-delà du risque de fragilisation des mandats électoraux, il nous semble que
nous risquons de créer une ambiguïté entre les fonctions du juge pénal et
celles du juge de l'élection, puisque ce réexamen interviendrait à l'issue
d'une procédure judiciaire. Cette confusion des rôles ne nous semble pas
bienvenue et ne servirait pas la haute instance elle-même.
Ces réserves faites et, dans la mesure où certaines d'entre elles devraient
être prises en compte, le groupe des sénateurs communistes républicains et
citoyens votera le projet de loi organique relatif à l'élection du président de
la République.
M. le président.
La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que
nous examinons aujourd'hui tend à apporter des modifications techniques à la
loi organique du 6 novembre 1962, relative à l'élection du Président de la
République.
En effet, ce projet de loi s'attache principalement à prendre en compte les
observations formulées par le Conseil constitutionnel, chargé du contrôle de la
régularité de l'élection du Président de la République et, plus
particulièrement, de ses remarques faites après l'élection de 1995.
Le Conseil constitutionnel préconisait en effet de modifier le décret du 14
mars 1964 et la loi organique du 6 novembre 1962, afin de rendre plus
transparentes les modalités de financement de la campagne électorale et de
clarifier les règles d'organisation de l'élection présidentielle.
Monsieur le ministre, vous avez signalé à l'Assemblée nationale, en présentant
le projet de loi organique dont nous débattons aujourd'hui, que le Gouvernement
s'apprêtait parallèlement à modifier le décret de 1964.
On ne peut donc que se féliciter de la volonté gouvernementale d'améliorer
l'organisation juridique de l'élection présidentielle, d'un point de vue tant
réglementaire que législatif.
En fait, mes chers collègues, le texte du projet de loi organique tel que l'a
rédigé le Gouvernement n'appelle de notre part que peu de commentaires.
Les dispositions concernant la présentation des candidats et le financement
des campagnes électorales ne peuvent qu'être approuvées puisqu'elles vont dans
le sens de la volonté exprimée par le législateur en 1988, 1993 et 1995
d'instituer plus de transparence et plus d'équité entre les candidats.
Malheureusement, son examen par l'Assemblée nationale a engendré des
modifications susbtantielles, critiquables à tous égards.
Premièrement, l'Assemblée nationale a tout d'abord refusé le pouvoir
d'appréciation reconnu au Conseil constitutionnel par le texte gouvernemental :
juger, c'est pourtant interpréter ! Lorsqu'un candidat dépasse le plafond du
compte de campagne, le Conseil constitutionnel a désiré, à bon droit, avoir un
pouvoir d'appréciation. Comment pourrait-on le lui refuser ? Le législateur a
été particulièrement rigoureux, il faut bien le reconnaître. Pour juguler
l'augmentation du coût des campagnes, il est ainsi intervenu à plusieurs
reprises. Si notre ambition était louable, elle a abouti, en pratique, à des
situations inéquitables. Il apparaît donc opportun de donner au Conseil
constitutionnel ce pouvoir.
D'aucuns affirmeront que le Conseil constitutionnel n'est pas réellement une
juridiction, ne pouvant prétendre aux prérogatives d'un tel organe ; mais, si
la Constitution ne le qualifie pas ainsi, la procédure applicable devant lui
rappelle la procédure juridictionnelle.
En fait, le caractère politique du Conseil constitutionnel, objet de longues
controverses au début de la Ve République, n'est plus à l'ordre du jour. Le
débat qui s'est tenu à l'Assemblée nationale confirme d'ailleurs ce constat.
Ses compétences juridiques ne le protègent pourtant pas de critiques acerbes.
Après diverses alternances politiques, le Conseil constitutionnel a cependant
fait ses preuves, c'est un fait. Il apparaît aujourd'hui comme l'une des
institutions les plus importantes de notre système juridique, puisqu'il est le
gardien de notre Constitution.
Pour cette raison, la « bonne foi » doit impérativement être appréciée par le
Conseil constitutionnel comme elle l'est par d'autres juges.
Le caractère mécanique des sanctions ne grandit d'ailleurs pas notre système
juridictionnel. Aussi la rédaction préconisée par la commission des lois du
Sénat doit-elle être saluée, car elle améliore encore la disposition
initiale.
Deuxièmement, les amendements votés par l'Assemblée nationale sont tout aussi
critiquables.
S'agissant, tout d'abord, de l'éligibilité du Président de la République à
dix-huit ans, elle prête simplement à sourire. Qui, à l'âge de dix-huit ans,
peut songer à se faire élire Président de la République, étant donné le rôle
prépondérant des partis politiques dans une telle élection ? Qui peut croire
qu'une personne de dix-huit ans pourra être promue candidat ? C'est une
disposition strictement démagogique. Le rapporteur à l'Assemblée nationale
parlait, pour sa part, de modernisation de la démocratie. Au risque de paraître
rétrograde, j'affirme haut et fort qu'une mission comme la présidence de la
République, c'est-à-dire l'exercice de la plus haute magistrature, exige
l'expérience et la responsabilité.
(M. Gélard applaudit.)
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Très
bien !
M. Bernard Joly.
En fait, la population française aspire à élire non pas un président
particulièrement jeune, mais un président qui décide en osant être prospectif.
Les Français se désintéressent de plus en plus de la chose publique et une
telle disposition - l'abaissement de l'âge d'éligibilité - ne fera qu'amplifier
ce sentiment d'insatisfaction. C'est une réforme que l'on pourrait qualifier de
« gadget ».
L'intérêt général exige, en effet, l'élection de femmes et d'hommes qui ne
découvriront pas le droit de vote en même temps que celui de se faire élire.
Cette réforme préconisée par l'Assemblée nationale doit, par conséquent, être
rejetée : elle est inopportune et présenterait un bien faible degré
d'efficacité.
Quant à la possibilité, pour le Conseil constitutionnel, de réexaminer les
comptes, modification décidée par l'Assemblée nationale au cours du débat en
séance publique, on ne peut que la refuser.
Rappelons le principe. L'article 62 de la Constitution dispose : « Les
décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours.
Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives
et juridictionnelles. »
Est-il dès lors envisageable, pour le Conseil constitutionnel, de réexaminer
une affaire déjà jugée ? La tradition veut qu'une juridiction ne se prononce
pas deux fois sur les mêmes faits : c'est l'autorité de la chose jugée.
Au demeurant, le législateur ne doit pas légiférer dans un contexte politique
particulier. Or nous sommes bien, aujourd'hui, dans un tel contexte, et le
Parlement ne se grandirait pas en votant une telle disposition.
On doit surtout rappeler que seule une révision constitutionnelle peut
permettre d'envisager une réforme de ce type.
Plus généralement, à l'Assemblée nationale, un certain nombre de nos collègues
députés ont rappelé au Premier ministre son souhait de voir aboutir, après
l'adoption du quinquennat, une réforme de nos institutions.
La Constitution de la Ve République, qui a instauré en 1958 un régime
parlementaire rationalisé, a évolué en 1962 avec l'élection du Président de la
République au suffrage universel direct, sans oublier le fait majoritaire, ce
qui permet au Président de légiférer et de décider dans le domaine
réglementaire, sans aucune limite.
Chacun sait que la cohabitation ne modifie pas l'équilibre des pouvoirs en
faveur du Parlement, le Gouvernement exerçant alors les compétences de
l'article 20 de la Constitution en s'appuyant sur une majorité soumise.
Si la démocratie exige des contre-pouvoirs, le Parlement apparaît souvent
comme trop timide à l'égard du Gouvernement et comme l'Assemblée nationale trop
soumise. Sans qu'il soit nécessaire de modifier la Constitution, le Parlement
pourrait jouer un rôle plus actif au sein des pouvoirs publics. L'Assemblée
nationale ne joue malheureusement pas le jeu, préférant être un allié docile de
l'exécutif. Cela étant, le Sénat dispose malgré tout, de par la Constitution et
de par son règlement, d'armes efficaces à l'encontre de l'exécutif, lui
permettant d'être un réel contre-pouvoir, une instance de contrôle qui n'est
pas simplement vouée à accepter les
desiderata
du Gouvernement :
l'article 88-4, les questions orales avec débat, les questions européennes sont
autant de moyens juridiques qu'il peut utiliser pour se faire entendre.
Au demeurant, monsieur le ministre, il suffit de dénombrer les textes déposés
sur le bureau des assemblées qui sont marqués du sceau de l'urgence pour douter
de la volonté gouvernementale de rehausser la situation du Parlement.
Sous le bénéfice des remarques que j'ai formulées, dans sa grande majorité, le
groupe du RDSE votera le texte tel qu'il est proposé par la commission des lois
de notre assemblée. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage au travail effectué
par son rapporteur et par son président : il permettra au Sénat d'adopter des
dispositions nuancées, qui ne peuvent qu'être aprouvées par la majorité d'entre
nous.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe
socialiste approuve, lui aussi, les finalités de ce texte, qui traduit pour
l'essentiel des recommandations du Conseil constitutionnel, sur la base de sa
riche expérience en matière d'organisation de l'élection présidentielle et de
régularité du scrutin.
Outre la prise en compte de ces observations, dans un souci de clarification
et de simplification, le projet contient diverses adaptations de notre droit
électoral.
Le ministre et le rapporteur ayant excellement présenté l'ensemble des
dispositions du texte, je ne ferai qu'évoquer brièvement celles qui appellent
quelques réserves de la part de mon groupe, ou simplement de ma part.
(Sourires.)
Globalement, la préférence du groupe socialiste va au projet de loi initial -
à l'exception d'un point, qui n'est d'ailleurs pas tiré des observations du
Conseil constitutionnel et sur lequel je reviendrai tout à l'heure - plutôt
qu'au texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
Celle-ci a, en effet, adopté un certain nombre de modifications auxquelles
nous ne souscrivons pas. Elle a maintenu l'automaticité du reversement de
l'intégralité du montant du dépassement en cas de dépassement des plafonds de
dépenses. Notre groupe a déposé un amendement, qui est d'ailleurs identique à
celui de la commission, tendant à rétablir le pouvoir du Conseil
constitutionnel de fixer, dans la limite du montant du dépassement constaté, la
somme que le candidat doit reverser au Trésor public.
S'agissant du remboursement forfaitaire des dépenses de campagne, la
commission des lois propose de rétablir la marge d'appréciation offerte par le
projet de loi initial au Conseil constitutionnel en cas de méconnaissance de la
législation concernant les comptes de campagne, mais en l'encadrant plus
strictement puisqu'elle prévoit de rendre cumulatives les deux conditions
caractérisant la méconnaissance de ces règles : il faut que cette
méconnaissance soit à la fois non intentionnelle et de portée très réduite.
Le groupe socialiste adhère à cette solution. Pour ma part, je défendrai, à
titre personnel, un sous-amendement à ce sujet. Il me paraît préférable, en
effet, que le texte soit prudent dans sa rédaction.
Bien sûr, nous proposons, nous aussi, la suppression de cet horrible article 3
bis
qui institue une procédure de réexamen des comptes de campagne déjà
approuvés par le Conseil constitutionnel et qui est tout à fait contraire à
l'article 62 de la Constitution.
Enfin, nous suggérons la suppression d'une disposition qui figurait déjà dans
le projet de loi initial, monsieur le ministre, mais qui ne fait pas suite à
une recommandation du Conseil constitutionnel et qui tend à porter du quart à
la moitié du plafond des dépenses électorales le montant des remboursements
forfaitaires par l'Etat des dépenses des candidats ayant obtenu plus de 5% des
suffrages exprimés.
En commission des lois, mon collègue et ami Robert Badinter a très bien
expliqué que cette mesure, s'ajoutant à des plafonds de dépenses excessivement
importants, à savoir 95 millions de francs pour chaque candidat et 126 millions
de francs pour les candidats figurant au second tour, nous conduirait à des
dérives un peu préoccupantes.
Je précise au passage que Robert Badinter regrette de ne pas être présent ce
matin : il parcourt le monde à la recherche d'approbations pour la ratification
du traité instituant la cour pénale internationale. Il agit donc utilement et,
à ma connaissance, n'est pas en train de fêter Halloween....
(Sourires.)
Robert Badinter a fait valoir non seulement que des plafonds de dépenses aussi
élevés permettent à des conseils en communication d'établir des budgets de
campagne excessifs, comportant des dépenses inutiles, sans que les électeurs
s'en trouvent nécessairement véritablement informés - ce qui nous conduit, soit
dit entre parenthèses, à l'américanisation des campagnes - mais qu'en outre la
fixation du montant maximum du financement public des campagnes à 50 % du
plafond des dépenses électorales conduirait à une augmentation substantielle de
la participation des contribuables à ces dépenses et permettrait à certains de
financer, par exemple, une campagne xénophobe de grande ampleur.
Sur le reste du dispositif, nous n'avons pas de remarques particulières à
formuler et les mesures proposées vont dans le bon sens, qu'il s'agisse du
report de la date de dissolution de l'association de financement, de
l'inscription des frais d'expertise comptable au compte de campagne des
candidats, de la levée du secret professionnel auquel sont astreints les agents
des administrations fiscales ou de l'élargissement à de nouvelles catégories
d'élus de la possibilité de parrainer un candidat.
Bien sûr, il y l'affaire de l'abaissement de vingt-trois à dix-huit ans de
l'âge d'éligibilité du Président de la République, proposition qui émane
d'ailleurs de l'Assemblée nationale et non pas du Gouvernement, et que la
commission des lois nous propose de supprimer.
Ecoutez, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a bien le droit de
s'amuser !
(Sourires.)
Nous l'avons bien fait, nous, la semaine
dernière, avec la proposition de loi constitutionnelle du président
Poncelet.
L'Assemblée nationale sait certainement que l'éligibilité à dix-huit ans pour
la présidence de la République ne verra jamais le jour, comme nous savons que
la proposition du président Poncelet, auquel me lie, par ailleurs, une amitié
indéfectible, ne verra sans doute jamais vétitablement le jour !
M. Pierre Fauchon,
vice-président de la commission.
La comparaison relève aussi de
l'amusement !
M. Michel Charasse.
Laissons quand même aux assemblées la part qui peut revenir aux chansonniers !
(
Nouveaux sourires.
)
Cela dit, je comprends que la commission des lois propose la suppression de
cette disposition inutile ; je risque même de la voter...
Je me réjouis, monsieur le président, mes chers collègues, qu'un consensus se
dégage sur ce texte relatif à l'élection du Président de la République et,
surtout dans la période actuelle, qu'un consensus se dégage pour suivre
l'esprit et les suggestions du Conseil constitutionnel. Ce sera pour nous une
façon de rendre hommage au travail d'une institution avec laquelle il nous
arrive souvent d'être en désaccord juridique, mais qui est entièrement inspirée
- et sa jurisprudence depuis 1958 le montre - par le souci de rester dans son
rôle - contrairement à tant d'institutions juridictionnelles qui rêvent d'en
sortir et qui en sortent parfois -, de respecter le suffrage universel, les
grands principes de la République et la lettre même de nos institutions.
Evidemment, le travail du Conseil constitutionnel n'est pas très « moderne ».
Il ne l'est pas en ce sens qu'il ne suit pas les modes. C'est ce qui explique
sans doute les philippiques dont il fait l'objet depuis quelque temps de la
part de gens qui sont prêts à tout brader pourvu qu'ils plastronnent à la une
des journaux.
Pour eux, en quelque sorte, la mort de la République vaut bien un bref orgasme
médiatique, pourvu qu'on trouve un partenaire complaisant. Et, de ce point de
vue,
Le Monde
est toujours là pour les jouissances contre nature...
(Sourires. - M. Gélard applaudit.)
Connaissant la mauvaise foi de certains, j'imagine qu'ils ont en réserve les
propos que François Mitterrand a pu tenir sur le Conseil constitutionnel dans
les années soixante. Je les ai en mémoire, et Daniel Vaillant aussi, puisque
nous étions tous deux, à l'époque déjà, compagnons de François Mitterrand. Nous
savons donc tous deux que jamais il n'a procédé à des mises en cause
personnelles, touchant à l'honneur et à la probité des membres de
l'institution. Les critiques étaient juridiques, elles étaient politiques,
elles n'étaient jamais personnelles.
Ah ! monsieur le ministre, s'il y avait encore quelques grands principes dans
cette République, cela mériterait sans doute des poursuites pénales, sur
l'initiative du parquet de Paris. Mais bon, ne rêvons pas ! Pas tout à la fois
!
Je précise que les observations que je viens de formuler sont, naturellement,
strictement personnelles - je le dis pour ma collègue Dinah Derycke, qui a
l'air de s'inquiéter - et qu'elles ne sauraient engager mon groupe, du moins en
tant qu'organisation. A titre individuel, au sein du groupe, on aurait des
surprises...
Bref, nous voterons le texte, monsieur le ministre.
(Applaudissements sur
les travées socialistes. - M. le vice-président de la commission applaudit
également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er