SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000
MODERNISATION DU STATUT
DES SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE LOCALES
Adoption des conclusions rectifiées modifiées
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 77,
2000-2001) de M. Paul Girod, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi (n° 455, 1999-2000) de MM.
Jean Bizet, Paul Blanc, Gérard Braun, Robert Bret, Michel Caldaguès,
Marcel-Pierre Cléach, Charles Descours, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Guy
Fischer, Thierry Foucaud, Paul Girod, Georges Gruillot, Alain Journet,
Jean-Paul Hugot, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Roland du Luart, Jean-Luc
Miraux, Roland Muzeau, Jacques Peyrat, Jean-François Picheral, Jean-Marie
Poirier, Jack Ralite, André Rouvière, Jean-Pierre Schosteck, Mme Odette Terrade
et M. Paul Vergès tendant à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte
locales.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sociétés
d'économie mixte sont, dans notre paysage institutionnel et dans la pratique de
la gestion des collectivités locales, une réalité qui a pris beaucoup
d'importance même si, leur origine étant lointaine, la progression a été tout à
fait étalée dans le temps.
Le premier texte autorisant la participation des collectivités territoriales à
des sociétés est la loi Strauss du 12 avril 1906. Mais c'est après la guerre de
1914-1918, déjà dans un contexte de difficultés particulières, que les
décrets-loi Poincaré du 26 novembre et du 28 décembre 1926 ont réellement
marqué le point de départ de l'économie mixte locale ; le dispositif était fort
encadré puisque la participation au capital des collectivités locales était, à
l'époque, limitée à 40 % et qu'un décret en Conseil d'Etat était nécessaire
pour voir éclore ces sociétés.
Après la Seconde Guerre mondiale, le décret du 20 mai 1955 avait porté la
possibilité de participation des collectivités locales à 65 %. Mais c'est la
loi de 1983, adoptée à l'unanimité par le Parlement, qui a permis l'éclosion
des sociétés d'économie mixte locales telles que nous les connaissons, dans
lesquelles les collectivités territoriales sont autorisées à prendre jusqu'à 80
% du capital. Il faut au minimum un actionnaire privé, les actionnaires
minoritaires devant par ailleurs posséder 20 % au moins du capital, et les
collectivités territoriales devant, en tout état de cause, être majoritaires
avec un minimum de 51 %.
Depuis la loi de 1983, les sociétés d'économie mixte locales ont largement
proliféré. De 524 à l'époque, leur nombre est passé à 1 255. Il en est
certaines, d'ailleurs, qui n'avaient rien de local, tel Air Inter, ce qui
prouve que même l'Etat peut trouver son intérêt à se servir de la formule.
Actuellement, les sociétés d'économie mixte locales emploient 60 000 personnes
en équivalent temps plein, ce qui n'est pas négligeable. Leur chiffre
d'affaires s'élève à 74,9 milliards de francs, si l'on inclut les sociétés
d'autoroute, qui sont des sociétés d'économie mixte à caractère au minimum «
interlocal » - c'est le moins que l'on puisse dire, sinon une autoroute
n'aurait pas grand intérêt ! - et à plus de 40 milliards de francs si l'on
prend en compte, dans l'état actuel des choses, les sociétés d'économie mixte
locales
stricto sensu.
C'est dire leur utilité.
Les sociétés d'économie mixte locales se répartissent, dans l'état actuel des
pratiques de gestion, entre sociétés de services, sociétés d'aménagement et
sociétés immobilières gérant une part non négligeable du parc locatif social.
C'est par conséquent l'un des instruments importants pour lesquels il est utile
que la législation puisse s'adapter au fur et à mesure de l'évolution des
choses. Or, depuis 1983, bien des changements sont intervenus.
C'est ainsi, tout d'abord, que la judiciarisation, à certains égards
excessive, fait actuellement régner un certain nombre d'inquiétudes dans le
milieu des élus locaux : à chaque fois que ces derniers sont amenés à prendre
en mains les rênes d'une société de droit commun - et les mandataires de
collectivités territoriales siégeant au sein d'une société d'économie mixte
sont évidemment obligés de le faire - ils peuvent être suspectés de prises
illégales d'intérêts. Cela fait donc partie des considérations que nous devons
avoir présentes à l'esprit. Même si, pour l'instant, la jurisprudence écarte la
mise en jugement d'élus dans cette situation, on ne peut jamais savoir ce qui
peut arriver. Il faut, en tout cas, au moins clarifier la situation des
mandataires des collectivités territoriales qui sont dans ce cas de figure.
L'évolution des besoins en matière financière a été grande et certaines
opacités sont apparues. En matière financière, les sociétés d'économie mixte
d'aménagement et de logement avaient besoin de disposer d'une capacité
d'avances et de subventions des collectivités territoriales. La nécessité était
telle que le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains
l'a prise en compte : le problème va être réglé aujourd'hui même à l'Assemblée
nationale par le vote, en dernière lecture, du projet de loi relatif à la
solidarité et au renouvellement urbains, et nous n'avons donc pas à discuter de
ce point dans le cadre de la proposition de loi examinée ce matin.
D'autres anomalies sont apparues. Ainsi, assez curieusement, les biens créés
par une société d'aménagement supportent la TVA lorsqu'ils intègrent le
patrimoine public de la commune, alors qu'il n'en aurait pas été de même si ces
biens avaient été créés directement par la collectivité en régie. C'est donc un
point sur lequel il faut probablement se pencher.
Un dernier point important concerne la coopération internationale.
Les sociétés d'économie mixte ont connu en Europe, hors de nos frontières, un
développement tout à fait remarquable, et ce dans des conditions parfois
beaucoup plus souples que les nôtres : dans nombre de pays, en particulier en
Allemagne, les sociétés d'économie mixte sont en réalité des sociétés
d'économie locale dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent
détenir jusqu'à 100 % de participation au capital. Cette comparaison pourrait
d'ailleurs, à la limite, nous amener à nous interroger sur la nature de la
participation des collectivités locales au capital des sociétés d'économie
mixte ; cela ne fait pas l'objet de l'actuelle proposition de loi, mais
peut-être ce problème reviendra-t-il en discussion, ne serait-ce qu'au vu de ce
qui se passe à l'extérieur.
Toujours est-il que des problèmes de coopération de sociétés d'économie mixte
locale respectivement françaises et étrangères existent ; ils ont été
partiellement résolus dans la mesure où un article du projet de loi relatif à
la solidarité et au renouvellement urbains a prévu qu'une telle coopération
peut se mettre en place entre sociétés d'économie mixte locale d'Etats
limitrophes. Cette précision a d'ailleurs été adoptée, semble-t-il, parce que
l'article l'incluant est venu en discussion immédiatement après un article
prévoyant des POS transfrontaliers. Or, il est évident que les POS sont
forcément appliqués à des Etats limitrophes.
Toutefois, en matière de services, une coopération pourrait également s'avérer
utile entre des sociétés d'économie mixte d'Etats qui ne sont pas limitrophes,
telles la France et la Suède, par exemple. C'est pourquoi cet aspect a été
envisagé dans une proposition de loi qui, au départ, avait été déposée - je le
souligne - devant les deux assemblées, le même jour, dans les mêmes termes et
signée par tous les groupes politiques, ce qui prouve à quel point la
préoccupation traversait les clivages partisans.
Parmi les dispositions figurant dans la proposition de loi initiale, un
certain nombre ont été d'avance satisfaites par la loi relative à la solidarité
et au renouvellement urbains, et, par conséquent, la commission ne les a pas
prises en compte dans le texte qu'elle a élaboré ; d'autres ont été retenues ;
enfin, certaines ont été écartées par la commission des lois.
S'agissant de ce dernier point, la commission a notamment écarté une
disposition prévoyant qu'une société d'économie mixte détenue très
majoritairement par une collectivité territoriale pouvait échapper en matière
de délégation de service public et sans subdélégation aux procédures de la loi
Sapin au moment de son renouvellement.
Compte tenu de la réglementation européenne et de la décision du Conseil
constitutionnel de 1993, cette disposition a été écartée par la commission des
lois comme a été écartée la création d'un conseil supérieur de l'économie mixte
locale, la multiplication des structures n'étant pas forcément l'idée la
meilleure en la matière, encore que l'on puisse regretter de perdre à cet égard
la possibilité de disposer de comparaisons établies par un organisme
indépendant entre ce qui se passe en France et ce qui se passe dans le reste de
l'Union européenne, les éclairages émanant d'une fédération forcément un peu
lobbyiste dans son comportement étant par nature un peu différent de ceux
d'observateurs extérieurs intéressés au développement des sociétés d'économie
mixte. C'est ainsi, par exemple, que nous disposons sur la question d'un
document extrêmement intéressant conçu et diffusé par la fédération nationale
des sociétés d'économie mixte et par une grande banque d'origine française mais
aujourd'hui de statut belge, en l'espèce Dexia, qui connaît bien la question.
Peut-être aurions-nous besoin d'un lieu d'observation plus neutre !
La proposition de loi qui est soumise à votre examen, mes chers collègues,
comporte un certain nombre de dispositions.
La première ouvre aux collectivités territoriales la possibilité de détenir
des comptes courants au sein des sociétés d'économie mixte, de manière à leur
permettre la souplesse de gestion dont disposent les sociétés de droit privé,
afin de ne pas les envoyer au combat de la concurrence avec, comme le dit
l'expression populaire, les mains liées dans le dos.
La deuxième disposition, contenue dans l'article 2, donne aux collectivités
territoriales la possibilité de récupérer la TVA sur la partie des réalisations
effectuées par une société d'économie mixte d'aménagement en matière de réseaux
revenant dans le domaine public de la commune.
La troisième disposition a trait à la protection des élus et tend à consacrer
dans la loi la jurisprudence actuelle, selon laquelle le statut de mandataire
conféré à un élu ne peut permettre à quiconque, de ce seul fait, de le
poursuivre en matière de prise illégale d'intérêts.
En matière de transparence de la gestion des sociétés d'économie mixte - car,
dans ce domaine aussi, il est nécessaire de renforcer la clarté que nos
concitoyens appelent à raison de leurs voeux - il est prévu toute une série de
dispositions sur l'examen des rapports de délégataires des sociétés
d'aménagement, de telle manière que les contrats passés entre les collectivités
territoriales et les sociétés d'économie mixte auxquelles elles participent
soient le plus transparents possible.
Une disposition de souplesse a été envisagée pour les sociétés qui sont créées
pour exercer une délégation de service public mais qui n'ont évidemment pas les
références antérieures de capacité de gestion du service public en question.
C'est toujours, au demeurant, ce qui se passe lorsqu'une SEM est créée pour
exercer une délégation de service public : n'ayant pas d'ancienneté, elle ne
peut pas concourir et elle est écartée de l'appel d'offres mis en place par la
collectivité territoriale, parce que trop récente.
Il nous a semblé que cette pratique était un peu illogique, mais il est vrai
que nous ne pouvions prévoir une dérogation aux dispositions de la loi Sapin
pour les seules sociétés d'économie mixte : je vous renvoie, à cet égard, à la
décision du Conseil constitutionnel de 1993, dont je parlais tout à l'heure.
Par conséquent, cette disposition a été prévue pour que toutes les sociétés
puissent concourir. Ce n'est pas pour autant qu'elles échapperont aux
difficultés de la mise en concurrence pour les phases ultérieures de
l'attribution de la délégation !
La commission des lois a également prévu la possibilité pour des SEM, sous
réserve d'un accord préalable entre les Etats, de conduire une coopération avec
des sociétés de même nature situées à l'étranger.
Nous avons considéré, à cet égard, qu'il n'était pas nécessaire que les pays
soient limitrophes, et ce pour deux raisons. La première, c'est parce que l'on
peut très bien concevoir que des sociétés de services informatiques ou des
sociétés culturelles aient besoin d'avoir des implantations dans des Etats non
limitrophes pour être pleinement efficaces. La seconde, surtout, c'est que, si
l'on maintenait la notion d'Etats limitrophes, on écarterait toute possibilité
de création de SEM transfrontalières pour les départements et territoires
d'outre-mer, qui n'ont pas de pays frontaliers limitrophes. En effet, par
définition, les eaux internationales s'interposent entre la frontière de notre
territoire ou de notre département d'outre-mer et le premier pays qui se
profile à l'horizon, hormis quelques cas particuliers comme la Guyane, j'en
donne bien volontiers acte à notre ami M. Othily.
Enfin, ont été prévues un certain nombre de dispositions pour le retour des
biens mis à disposition d'une SEM en situation de liquidation judiciaire, pour
qu'une collectivité territoriale ne se trouve pas « dépouillée », allais-je
dire, à l'occasion d'une mise en liquidation qui peut toujours malheureusement
se produire. N'avons-nous pas récemment connu quelques incidents à la suite
desquels les collectivités se sont trouvées un peu « frustrées » ?
Telle est, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, l'économie du
texte qui vous est aujourd'hui soumis. Celui-ci a fait l'objet d'une
délibération en commission des lois la semaine dernière et, s'il ne reprend pas
exactement les termes des deux propositions de loi initiales dont nous étions
saisis au départ, il nous semble cependant constituer un compromis efficace,
heureux et surtout prospectif pour permettre à nos sociétés d'économie mixte de
continuer d'assurer avec bonheur la part de service public qui leur est
déléguée par les collectivités territoriales qui les ont créées.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui est
aujourd'hui soumis à votre assemblée...
M. Paul Girod
rapporteur.
Non ! La proposition de loi ! Nous n'avons pas la prétention
de présenter un projet !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur : nous
débattons aujourd'hui de ce texte dans le cadre des séances réservées aux
initiatives parlementaires. Mais je vous dirai tout à l'heure pourquoi j'ai
commis ce lapsus.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Oh, je le sais bien !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
La proposition de loi qui est aujourd'hui soumise à
votre assemblée vise à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte
locales.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage
voutre souci d'adapter le régime juridique des sociétés d'économie mixte
locale, qui reste organisé à ce jour par la loi du 7 juillet 1983.
Le Gouvernement avait lui-même - c'est pourquoi je trébuchais à l'instant,
monsieur le rapporteur - commencé à réfléchir dès 1997 sur ce sujet et entamé
l'élaboration d'un projet de loi relatif aux interventions économiques des
collectivités locales, lequel comportait un volet relatif aux sociétés
d'économie mixte locales. Toutefois, ce projet de loi n'a pu aboutir, en raison
principalement d'une absence de consensus suffisant sur la question du partage
des compétences en matière d'intervention économique entre les différents
niveaux de collectivités locales.
Le Gouvernement a, en conséquence, pris les mesures nécessaires pour que les
collectivités locales puissent assurer dans une meilleure sécurité juridique
leurs interventions économiques, conformément à nos engagements à l'égard de la
Commission européenne. Cette question n'entre donc pas dans le cadre de nos
discussions d'aujourd'hui.
S'agissant des dispositions relatives aux sociétés d'économie mixte locales,
le Gouvernement a choisi par ailleurs d'insérer dans le projet de loi sur la
solidarité et le renouvellement urbains les mesures relatives aux sociétés
d'économie mixte oeuvrant dans le domaine du logement social et de
l'aménagement. Ces dispositions doivent être adoptées en dernière lecture
aujourd'hui même par l'Assemblée nationale.
Il reste cependant à prendre, je le reconnais bien volontiers, monsieur le
rapporteur, quelques mesures nécessaires à une bonne adaptation du régime
juridique des sociétés d'économie mixte locale.
J'ai bien compris que tel était l'objet de cette proposition de loi, et vous
pouvez être convaincu que le Gouvernement n'y est pas défavorable dans son
principe, puisqu'il avait lui-même pris l'initiative de réfléchir sur ce sujet.
Et je me réjouis, encore une fois, que l'espace d'initiative parlementaire qui
nous est offert ce matin nous permette d'approfondir ce thème.
Je pense que nous aurons, lors de la discussion des articles, quelques
échanges sur la conception même de l'économie mixte qui peut découler de
l'adoption de telle ou telle disposition.
Je saisis cette occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, pour replacer
l'économie mixte dans son contexte historique, car nous pourrons en tirer
quelques leçons. Rassurez-vous, je ne remonterai pas au début du siècle ni au
gouvernement Poincaré, à compter duquel on peut dater, je crois, l'émergence
des fondations juridiques de l'économie mixte. Cependant, dans l'eprit même de
la loi du 7 juillet 1983, les sociétés d'économie mixte locales ont pour
caractéristique d'associer des personnes privées et publiques pour réaliser des
opérations d'aménagement ou de construction, pour exploiter des services
publics à caractère industriel ou commercial, ou encore pour exercer toute
autre activité d'intérêt général. Il s'agit donc bien d'associer des capitaux
privés et publics pour mieux financer et mettre en oeuvre des actions
publiques, afin que les collectivités puissent les assumer alors qu'elles
pourraient difficilement le faire par leurs propres moyens.
Les sociétés d'économie mixte locales restent régies par la loi du 7 juillet
1983, dont les dispositions sont codifiées dans le titre II du livre V de la
première partie du code général des collectivités territoriales. Cette loi,
adoptée - chacun s'en souvient - dans le grand élan de décentralisation du
début des années quatre-vingt, est à l'origine de l'essor considérable des
sociétés d'économie mixte locales, qui représentent aujourd'hui près de 1 400
sociétés, employant environ 50 000 personnes, et dont le champ d'intervention
couvre les secteurs de l'aménagement et de la construction mais aussi, de façon
très variée, celui de la gestion des services publics.
Conçues comme un instrument destiné à permettre aux collectivités
territoriales d'exercer pleinement leurs compétences dans le respect tant du
principe de la liberté du commerce et de l'industrie que de l'intérêt général,
les SEM locales apportent une contribution appréciée par tous au développement
local en autorisant d'utiles synergies entre les projets et les moyens des
collectivités locales et des entreprises privées.
Néanmoins - et chacun, je pense, en conviendra - le recours à une SEM locale
n'est pas sans présenter des risques pour les finances locales, et certaines
expériences récentes ont démontré que des opérations mal maîtrisées pouvaient
conduire les collectivités actionnaires ou garantes à des sinistres financiers
importants.
La gestion par les collectivités locales de ce type de sociétés exige donc la
définition d'un cadre juridique précis de nature à permettre à tous les acteurs
de l'économie mixte d'avoir une claire appréhension des responsabilités
encourues.
Or il s'avère à l'expérience que le droit de l'économie mixte, tel qu'il
résulte de la loi de 1983, présente certaines insuffisances auxquelles une
jurisprudence peu abondante et parfois contradictoire n'a pas pu porter
totalement remède. C'est ce qu'a rappelé très clairement à l'instant M. Paul
Girod dans son rapport.
Les ambiguïtés relevées portent essentiellement sur les relations
contractuelles et financières entre les collectivités locales et les SEM
locales, sur le droit des sociétés appliqué à l'économie mixte et sur le statut
des administrateurs mandataires des collectivités actionnaires.
Ces ambiguïtés méritent d'être relevées puis corrigées, dans un souci de plus
grande sécurité juridique pour les collectivités locales et les SEM locales et
afin de faciliter l'exercice du contrôle des organes délibérants des
collectivités intéressées et du contrôle de légalité du représentant de
l'Etat.
Avant d'en venir plus précisément au contenu du texte en discussion, je
voudrais saluer, au nom de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, le
travail de très grande qualité fait une nouvelle fois par votre commission et
par son rapporteur, M. Paul Girod, pour tenir compte, d'une part, de ce que le
Gouvernement a déjà inséré dans le projet de loi de solidarité et de
renouvellement urbains et, d'autre part, des contraintes, notamment d'ordre
constitutionnel - vous en avez rappelé au moins une, monsieur le rapporteur -
qui s'imposent à nous.
Toutefois, et parce que le Gouvernement partage votre souci d'adapter le
régime juridique des SEM locales, je ne vous cacherai pas que nous aurons, sur
quelques sujets au moins, certaines divergences d'appréciation.
En premier lieu, l'article 1er de la proposition de loi porte sur les concours
financiers des collectivités territoriales aux sociétés d'économie mixte.
Le Gouvernement convient avec vous que les SEM ont besoin de marges de
manoeuvre financières et qu'à cet égard l'interdiction des avances en compte
courant d'associés soulève quelques difficultés.
Cependant - nous y reviendrons, bien sûr, plus en détail, lors de la
discussion des amendements - le Gouvernement reste très attaché à la
préservation de la mixité du capital des SEM, et donc à la règle de détention
de 80 % au maximum du capital par les collectivités publiques et de 20 % par
les partenaires privés.
En l'état du texte proposé par la commission, il y aurait, à nos yeux, un
risque de contournement de cette règle, dans la mesure où son respect ne serait
exigé qu'au moment de la consolidation des avances en compte courant d'associés
et alors même que cette consolidation s'imposera à l'échéance de la période
fixée par les collectivités actionnaires. Certaines pourraient - je dis bien «
pourraient » - de ce fait, être confrontées à des difficultés
insurmontables.
Pour cette même raison, le Gouvernement proposera une disposition spécifique
relative aux organismes détenus majoritairement par des capitaux publics, afin
de garder à la part minimale de 20 % sa réalité de capital privé.
En deuxième lieu, il apparaît possible de renforcer encore les dispositions
favorisant la transparence sur les décisions et la gestion des SEM locales à
l'égard des assemblées délibérantes des collectivités locales, d'une part, du
contrôle de légalité du représentant de l'Etat, d'autre part.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s'agit pas de multiplier les
contrôles, mais bien de mieux prévenir certains risques financiers, parfois
malheureusement lourds de conséquences pour les budgets des collectivités
locales concernées.
Des illustrations nous ont été données au milieu des années quatre-vingt-dix,
période au cours de laquelle plusieurs SEM ont dû être liquidées après avoir
pris des engagements financiers démesurés. Plusieurs budgets communaux - nous
en connaissons tous - ont dû en supporter la charge, soit du fait des appels en
garantie, soit du fait de leurs responsabilités d'actionnaire.
M. le président.
C'est vrai !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie, monsieur le président, de m'apporter
votre soutien dans ma démonstration !
Dans ces cas, mesdames, messieurs les sénateurs, il est apparu clairement que
les assemblées délibérantes des collectivités étaient insuffisamment informées
des engagements financiers pris par leurs satellites.
Des amendements aux articles 1er et 3 et une disposition nouvelle vous seront
proposés afin de favoriser la transparence des actes des sociétés d'économie
mixte locales.
En troisième lieu, un amendement vous sera proposé à l'article 2, relatif au
fonds de compensation pour la TVA.
Je ne crois pas, monsieur le rapporteur, que nous ayons un réel désaccord sur
la possibilité pour les collectivités locales de bénéficier de ce fonds, dans
la mesure où il n'y a pas, par ailleurs, de mécanisme de récupération de la
TVA.
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est un remboursement !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Mais, en l'état - nous y reviendrons plus en détail
tout à l'heure - la disposition de la proposition de loi n'évite pas ce risque.
Vous comprendrez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous en
débattions.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Absolument !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Enfin, le Gouvernement est très sensible à votre grand
souci de sécurité juridique, mais, en la matière, le législateur doit bien
mesurer l'efficacité de son intervention, et, sur les articles 4 et 5, je vous
inviterai tout à l'heure à faire preuve d'une grande prudence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je n'irai pas plus loin dans mon propos.
L'objet de nos travaux de ce matin est bien de trouver les moyens de favoriser
l'efficacité d'intervention des sociétés d'économie mixte au mieux des intérêts
des collectivités locales.
Le Gouvernement est favorable aux motifs qui ont conduit à l'élaboration de ce
texte. Il les partage et les a d'ailleurs déjà en partie inclus dans le projet
de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, ainsi que, je me plais à
le souligner, dans la loi d'orientation pour l'outre-mer.
En effet, si vous me permettez cette courte référence à mes attributions
ministérielles directes, les sociétés d'économie mixte sont des outils très
utiles au développement économique outre-mer. La loi d'orientation comporte
pour elles quelques avancées, notamment, monsieur le rapporteur, en matière de
coopération internationale dans l'espace régional.
En accord avec l'esprit de ce texte, le Gouvernement est cependant vigilant -
vous le comprendrez aisément - sur les dispositions qu'il contient, et ce
jusque dans les détails. La modernisation de l'économie mixte doit en effet
reposer sur des bases juridiques et financières solides.
Je ne doute pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que le travail législatif
dont vous avez pris l'initiative permette d'aller dans ce sens.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une
loi vieille de dix-sept ans, cela devient de plus en plus rare ! En effet, ces
lois, nous les modifions régulièrement, à tel point d'ailleurs que nous
n'attendons pas toujours de voir les effets des modifications pour les modifier
à nouveau. Je ne veux pas citer d'exemple, mais il est vrai qu'aussi bien le
Gouvernement que les parlementaires - il n'y a pas de raison qu'ils se privent
de ce plaisir ! - ont un véritable appétit à légiférer.
Les dispositions de la loi de 1983 sur les SEM méritaient toutefois d'être
modernisées, car un certain nombre de problèmes se posaient - certains, M. le
rapporteur l'a dit, ont été résolus par la jurisprudence - notamment en matière
de transparence, de concours des collectivités locales et même de délégation de
service public.
Une modification de la loi était donc nécessaire, et il faut féliciter les
auteurs de cette proposition de loi de l'avoir déposée - je note d'ailleurs
qu'ils siègent sur toutes nos travées, ce qui prouve bien que la question de la
modernisation se pose dans toutes les SEM.
Comme l'ont rappelé M. le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur, qu'il faut,
une fois de plus, féliciter pour l'excellence de ses travaux, les domaines de
prédilection des SEM sont
grosso modo
, pour moitié, l'aménagement et le
logement - c'est le domaine traditionnel - et, pour moitié, depuis la loi de
1983, les services. C'est vrai, c'est une évolution, le champs ouverts aux SEM
sont de plus en plus vastes. Dans son rapport, M. Girod note que
l'environnement, le tourisme, le développement économique et les transports
sont les secteurs les plus importants.
Je rappelle que les SEM sont à la fois des sociétés commerciales, d'un certain
point de vue, qu'elles doivent donc se conformer aux dispositions qui les
régissent, et des sociétés à capital public. Si le taux de participation des
collectivités territoriales devenait tellement majoritaire qu'il n'y aurait
plus de capital privé, ces sociétés changeraient de nature. Ce ne seraient plus
des sociétés d'économie mixte, elles deviendraient des sortes d'établissements
publics d'une nouvelle forme. Il faut donc veiller à ce que ce soient vraiment
des sociétés d'économie mixte.
S'agissant des contrôles, il est vrai que l'on peut améliorer le contrôle des
collectivités et le contrôle de légalité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il faut aussi que les organes de contrôle,
commissaires aux comptes ou autres, fassent bien leur travail. Cela vaut pour
toutes les sociétés.
Et si, parfois, les collectivités locales ne tiennent pas compte des
observations des commissaires aux comptes, c'est bien dommage. Nous avons
connu, dans les années passées, des catastrophes nombreuses en matière de SEM.
Il y a donc lieu d'améliorer avant tout la transparence.
Les propositions faites par la commission des lois qui visent à une
clarification du régime juridique des SEM ne peuvent qu'être approuvées.
Certaines dispositions de la proposition de loi ont été reportées puisqu'elles
figurent dans le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement
urbains. En fait, on vise le même objectif.
La commission a souhaité préciser les dispositions relatives aux concours
financiers des collectivités locales aux SEM, soit en leur qualité
d'actionnaire, soit en leur qualité de cocontractant, ainsi que les conditions
dans lesquelles l'apport en compte courant d'associés peut être accordé. Ces
précisions seront utiles, sous réserve - M. le secrétaire d'Etat l'a indiqué -
que l'on évite de dépasser le seuil de 80 %.
J'ai vu réagir le président du comité des finances locales, M. Jean-Pierre
Fourcade, lorsque l'on a évoqué le FCTVA ; il nous dira sans doute tout à
l'heure ce qu'il en pense.
(M. Jean-Pierre Fourcade opine.)
Il était indispensable que le statut des élus mandataires au sein des SEM soit
clarifié, notamment pour éviter les prises illégales d'intérêt.
Reste le titre III, relatif aux délégations de service public. Si l'on
comprend l'intention des auteurs de la proposition de loi, il faut veiller au
respect des règles constitutionnelles, de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, qui n'aurait pu que censurer la disposition telle qu'elle
était proposée - à condition, bien entendu, qu'un recours fût introduit ! C'est
tellement clair que nous ne pouvons pas faire en sorte que les SEM échappent au
dispositif de la loi Sapin. De ce point de vue, la commission des lois, presque
unanime, a été extrêmement ferme.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les observations que je souhaitais faire sur ce texte important,
qui, je l'espère, sera adopté rapidement pour permettre la modernisation du
statut des sociétés d'économie mixte locales.
Le groupe de l'Union centriste soutiendra, bien entendu, les propositions de
la commission des lois.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, je
n'insisterai pas sur les commentaires qui ont accompagné la présentation de
cette proposition de loi, que j'ai cosignée. Je me contenterai de rappeler
l'importance des SEM, en m'intéressant plus particulièrement à celles dont la
vocation est le logement social.
Monsieur le secrétaire d'Etat, même si je suis bien conscient que ce n'est pas
là l'objet du présent texte, j'aimerais me projeter un peu dans un futur, que
je souhaite proche, au regard de la modernisation du statut des SEM locales.
Nous sommes tous d'accord pour reconnaître l'importance des SEM en matière de
décentralisation, d'aménagement du territoire. Elles sont aujourd'hui un outil
indispensable, irremplaçable. La progression de leur nombre depuis 1983 - M. le
rapporteur l'a souligné - témoigne, à elle seule, de leur intérêt pour les
collectivités territoriales, qui en ont besoin pour réaliser les aménagements
qu'elles décident.
Depuis quelques années, nous sommes nombreux à nous interroger sur la
nécessité d'adapter le statut des sociétés d'économie mixte aux exigences de la
transparence. Et si nous sommes quasiment unanimes à réclamer cette
transparence, nous voulons également de la souplesse - ce n'est pas
contradictoire - pour pouvoir, bien sûr en toute légalité, être
opérationnels.
Le droit européen intervient aussi sur le plan des responsabilités. Le texte
dont nous discutons aujourd'hui est un premier pas ; il sera suivi par
d'autres. J'évoquerai d'ailleurs dans un instant un deuxième pas que je
souhaite voir franchi.
Le besoin de réforme, personne ne le conteste. Tous les groupes politiques
sont d'accord pour apporter leur pierre à la modernisation du statut des SEM
locales afin d'éclairer et tranquilliser les élus sur ce qui est légalement
possible, notamment sur les aides que les collectivités peuvent apporter aux
SEM.
Nous savons que la création ou la réhabilitation de logements sociaux,
notamment en zones rurales, sont des opérations très difficiles. Il s'agit
souvent de petites opérations qui ne présentent pas d'intérêt financier pour
les SEM. En revanche, elles présentent un intérêt pour les collectivités, car
elles leur permettent de maintenir leur population, voire de l'accroître.
Des SEM peuvent réaliser des opérations de réhabilitation d'un patrimoine
vieillissant, obsolète, dans les villages, les communes elles-mêmes ne le
pourraient pas. Mais celles-ci doivent participer en apportant le terrain, les
bâtiments, parfois en réalisant les voies et réseaux divers. Nous nous rendons
compte que ce qui empêche souvent la concrétisation de telles opérations, c'est
l'obtention des prêts. Monsieur le secrétaire d'Etat, bien que cela n'entre pas
dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi, je souhaiterais que l'on
puisse envisager un peu plus de souplesse en la matière.
Pour les logements sociaux, c'est la Caisse des dépôts et consignations qui a
le quasi-monopole de l'octroi des prêts, et nous nous heurtons à des
difficultés. Alors que les conseils d'administration des SEM ont mis sur pied
des opérations dont les prêts sont garantis à 100 % par les collectivités, dont
les projets ont été acceptés par le représentant du Gouvernement dans le
département, la Caisse des dépôts et consignations, estimant que l'opération ne
sera pas équilibrée, n'accorde pas les prêts. Il y a là un abus de pouvoir.
Pour ma part, je l'ai vécu récemment dans le Gard.
Ne pourrait-on pas envisager un assouplissement des règles de fonctionnement
des SEM afin que d'autres organismes prêteurs apportent leur concours, dans de
meilleurs conditions, bien sûr, que la Caisse des dépôts et consignations ?
Nous aurions ainsi plusieurs possibilités pour une même opération.
Nous savons très bien que l'équilibre à long terme est souvent apprécié eu
égard à des éléments peu importants, si bien qu'il faut très peu de chose pour
que l'opération soit jugée équilibrée ou pas. Je souhaiterais donc que, dans le
domaine social, les collectivités locales soient aidées à cet égard, monsieur
le secrétaire d'Etat, et que vous envisagiez de déposer un projet de loi pour
traiter ce problème très important. Telle est ma suggestion !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
prends la parole pour apporter le soutien de mon groupe à la proposition de loi
qu'a excellemment rapportée notre collègue Paul Girod.
Mon expérience des sociétés d'économie mixte est courte mais triste, puisque
j'ai dû en liquider une qui se trouvait en faillite à la suite d'une opération
d'aménagement urbain mal conçue, mal dirigée et mal conduite.
Mais lorsque j'ai étudié cette proposition de loi, j'y ai trouvé un certain
nombre de motifs de satisfaction. Les dispositions visant à apporter des
précisions s'agissant des conventions devant exister entre les collectivités
qui engagent l'opération et les sociétés d'économie mixte notamment me
paraissent bienvenues. La transparence me semble avoir également fait des
progrès. Je me suis rallié à cette proposition de loi, compte tenu aussi du
nombre des SEM, de l'effectif de leurs salariés et de l'importance de leur
chiffre d'affaires.
Par ailleurs, comme l'a dit très justement Paul Girod, du fait des nouvelles
responsabilités que devront assumer les collectivités locales en matière
d'environnement mais aussi de transports collectifs - secteur appelé à beaucoup
se développer - d'accueil des entreprises et d'amélioration de la qualité de
vie, il est certain qu'il fallait donner aux SEM un statut qui soit un peu plus
large et un peu plus libéral que celui de 1983.
Dans le texte figuraient toutefois trois points qui me laissaient perplexe.
Le premier - qu'a immédiatement corrigé la commission des lois, ce dont je la
remercie - touchait au problème de l'exonération de l'application des
dispositions de la loi Sapin relatives aux délégations de service public. Je
crois que ce dispositif, qui allait beaucoup trop loin, même si on l'avait
assorti de conditions particulières, constituait une erreur et mettait à mal un
très grand principe, sur lequel je conclurai, celui de la liberté de choix
laissée aux collectivités territoriales sur leurs interventions.
L'article 10 de la proposition de loi me paraissait tout à fait choquant parce
qu'il organisait un système de « tunnels » vers les SEM, alors que la loi Sapin
impose aux maires, nous le savons bien, un certain nombre de formalités pour
déléguer des services publics. La commission des lois a heureusement corrigé
cet article. Bravo ! J'espère que personne n'insistera.
J'ai également été quelque peu choqué par la disposition prévoyant que le
conseil municipal devait émettre un vote sur le rapport du délégataire. Je sais
que cette procédure est obligatoire pour les rapports de concessions en matière
d'eau potable, par exemple. Mais mon expérience des conseils municipaux - qui
ne remonte qu'à une trentaine d'années ! - montre que ce rapport du délégataire
ne sert que de
substratum
au rapport du maire adjoint ou du conseiller
municipal représentant la collectivité dans la société. Je salue donc comme un
progrès - et j'espère que le Gouvernement en tirera la conséquence en
généralisant le dispositif - le fait que la prise d'acte remplace le vote.
Il est normal que le conseil municipal soit tenu très régulièrement informé de
l'évolution des opérations des SEM, mais le principe du vote sur le rapport du
délégataire constituait une absurdité. La prise d'acte, en revanche, me semble
tout à fait convenable.
Il reste les problèmes financiers, sur lesquels j'ai été interrogé en ma
qualité de président du comité des finances locales.
Je suis d'accord avec la proposition tendant à permettre les avances en compte
courant d'associé. C'est bien le moins ! Sinon ce n'est pas la peine d'opter
pour le régime de la société commerciale : autant s'en tenir à gérer
l'établissement public.
Mais je sais bien qu'un certain nombre de fonctionnaires, notamment des
administrations centrales, sont tellement attachés à la notion d'établissement
public qu'ils n'ont pas encore intégré le fait que beaucoup d'opérations, en
France, sont faites par des sociétés commerciales et que, dans l'Union
européenne, ce phénomène ne fera que se développer. Il suffit de lire le
journal pour voir les concentrations, les modifications.
Si nous persistons dans cette voie, si nous continuons à théoriser sur la
primauté de l'établissement public, nous courrons des risques. De puissantes
sociétés se créent en Europe et dans le monde entier - je pense à Vivendi et à
son accord avec Universal. Elles se fondent sur des structures soumises au
droit commercial, et j'espère que le droit commercial européen va se
développer.
Pour ce qui est du fonds de compensation pour la TVA, monsieur le secrétaire
d'Etat, vos propos m'ont fait sursauter quand, tout à l'heure, vous avez repris
la vieille tradition du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
consistant à dire que l'Etat est assez généreux pour octroyer aux collectivités
territoriales quelques bénéfices.
Non !
Il faut remonter à l'origine. Quand la TVA a été généralisée à l'ensemble des
opérations - cela se passait en 1975 - il a été décidé que les collectivités
locales seraient remboursées de la TVA versée sur les travaux qu'elles
réalisent. La question s'est alors posée de savoir comment.
Après de longs débats, le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Poniatowski
- j'exerçais quant à moi d'autres responsabilités - a décidé qu'il était
impossible de procéder à un remboursement factuel. A l'époque, les services
nous avaient expliqué que c'était impossible. Je reconnais qu'ils ont changé
d'avis par la suite et que certains textes, pour certaines opérations,
notamment en matière de politique de la ville, autorisent désormais les
remboursements directs.
Tout le monde peut se tromper, tout le monde peut changer d'avis, même
l'administration française ! C'est un bon précédent.
Nous devons saluer ce revirement.
Il n'en demeure pas moins que, en 1975, il a été décidé d'englober la totalité
d'un certain nombre de comptes communaux, départementaux ou régionaux et de
procéder aux remboursements globalement, avec un décalage de deux ans. Cela
implique que le partage en trésorerie qui en découle pour les collectivités
locales est non pas un bénéfice, mais une charge.
Les sommes qui seraient remboursées par le fonds de compensation font l'objet
d'une inscription budgétaire au titre de crédits évaluatifs et non pas des
crédits limitatifs. Le fait qu'il s'agisse de crédits évaluatifs et non pas de
crédits limitatifs montre bien qu'il s'agit de remboursements dont personne
n'est capable de connaître avec exactitude le montant en début d'année,
lorsqu'on établit le budget.
C'est la raison pour laquelle je crois qu'il ne faut plus parler de bénéfice.
Il faut dire au contraire qu'il est normal que les collectivités locales, quand
elles font directement des travaux, peuvent accéder au fonds de compensation.
Le remboursement de la TVA, c'est une pratique courante pour les sociétés
privées, donc quand il y a délégation de service public à une société
privée.
Dans ce cas-là, tout le monde trouve que c'est normal. Pourquoi serait-ce
anormal pour les sociétés d'économie mixte locales ?
Le remboursement direct par le fonds de compensation pour la TVA, c'est bien,
cela nous permettra de gérer dans des conditions satisfaisantes.
Avant de conclure, je souhaite rappeler le principe majeur qui est à la base
de la décentralisation, principe que le Conseil constitutionnel s'efforce,
vaille que vaille, texte après texte, de faire respecter : la liberté laissée à
toute collectivité territoriale, petite ou grande, commune, département, région
ou nouvelle communauté, pour réaliser ses interventions. Le développement des
communautés est si rapide à l'heure actuelle que le paysage de la France sera
bientôt transformé, avec des communautés de communes, des communautés
d'agglomération et des communautés urbaines.
L'important, c'est de laisser à chaque organe exécutif d'une collectivité,
sous le contrôle de son organe législatif, le choix pour réaliser ses
interventions. On ne peut pas guider ce choix par des considérations
organicistes, par le fait que, si on passe par une SEM, on pourra récupérer les
fonds plus vite, que les capitaux seront rémunérés, alors que, si on passe par
une société privée, on s'expose aux risques inhérents au contrôle de légalité.
L'important, c'est que les garanties juridiques et financières données à toutes
les collectivités de base pour réaliser les opérations soient solides et
claires.
Le texte qui nous est proposé va plus loin que la loi de 1983. Il apporte des
garanties, notamment par la description des dispositions qui doivent figurer
dans les textes et dans les avenants. Cela va dans le bon sens et donne un
corps de doctrine parfaitement clair.
Quand une collectivité décide de faire une concession de service public pour
gérer ses parcs de stationnement ou telle ou telle de ses activités, il faut
qu'elle ait le choix. Elle peut le faire soit en régie directe, en fonction des
avantages, des inconvénients et des garanties offertes, soit dans le cadre
d'une société d'économie mixte ou encore d'une délégation de service public à
une entreprise privée.
C'est cette liberté de choix laissée aux collectivités, qu'elles soient
petites ou grandes, rassemblées ou non, qui me paraît être essentielle et
constituer le fond du débat.
Le texte qui résulte des travaux de la commission des lois me convient très
bien, et c'est à l'aune de ce principe essentiel qu'est la liberté de choix que
j'examinerai les amendements du Gouvernement.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
sociétés d'économie mixte sont régies par une loi votée le 7 juillet 1983 -
dans le sillage des lois de décentralisation - qui en a fait les entreprises
des collectivités locales.
Ce statut repose sur deux principes : l'alignement sur le droit des sociétés
anonymes et l'affirmation du contrôle des collectivités locales sur celles-ci,
puisqu'elles en sont à la fois les actionnaires majoritaires et les principaux
clients.
Dans cet esprit, il est précisé dans l'exposé des motifs de la loi de 1983
qu'une « assimilation aussi poussée que possible des sociétés d'économie mixte
avec le droit commun des sociétés commerciales a été recherchée tout en
conservant le souci d'assurer la prééminence des collectivités territoriales
dans la gestion. »
Il y est également écrit que « le renforcement de l'autonomie des
collectivités locales, fondé sur le respect des principes de liberté et de
responsabilité, conduit naturellement à reconnaître aux sociétés d'économie
mixte une plus grande souplesse de leur statut et dans leurs interventions. Il
en résulte que les responsables élus des collectivités locales disposeront de
l'ensemble des pouvoirs de gestion sur ces sociétés. »
En deux mots, chacun a bien compris qu'il s'agissait à la fois de liberté et
de responsabilité.
Dans le contexte de la décentralisation, ces principes sont à la source d'un
essor sans précédent - qui a été relevé par mes prédécesseurs à cette tribune -
de l'économie mixte locale, introduite dans notre pays par les décrets-lois
Poincaré en 1926.
Fruit d'une concertation approfondie entre l'administration et la Fédération
nationale des sociétés d'économie mixte, et adoptée à l'unanimité par le
Parlement, la loi du 7 juillet 1983 a permis aux collectivités locales de
travailler avec leurs sociétés d'économie mixte en toute sûreté juridique et
avec la capacité d'obtenir, dans la réalisation de leurs projets ou la gestion
de leurs services publics, la meilleure performance économique possible.
De fait, un certain nombre d'années après, le bilan de cette loi est celui de
la réussite manifeste d'un instrument juridique correspondant à un réel besoin
des élus locaux, en dehors de toute idéologie ou attache partisane. C'est ainsi
que plus de 800 SEM et 30 000 emplois nouveaux ont été créés depuis 1983, ce
qui porte leur nombre à près de 1 300 sociétés et plus de 56 000 emplois.
Néanmoins, depuis 1993, notamment, les SEM se heurtent à un faisceau
concordant de difficultés économiques, juridiques et administratives qui
contrecarrent les missions d'intérêt général qu'elles remplissent à la demande
des collectivités, et qui, par leur accumulation, tendent à remettre en cause
leur statut.
Tout d'abord, la crise de l'immobilier a frappé de plein fouet les SEM
d'aménagement, qui représentent, à elles seules, un quart de ces sociétés.
Par ailleurs, quelques cas de SEM mal gérées et mal contrôlées - je dis bien «
quelques cas » et non « de nombreux cas », comme certains l'ont affirmé - ont
jeté le doute sur l'ensemble, doute attisé par le climat de suspicion à l'égard
des élus de la République.
Enfin, et surtout, l'évolution juridique de l'économie mixte locale a créé
progressivement une contradiction entre le droit et la volonté du
législateur.
Je pense, tout d'abord, à l'évolution jurisprudentielle. En effet, le Conseil
d'Etat a estimé, dans deux arrêts rendus - préfet des Alpes-de-Haute-Provence
du 17 janvier 1994 et commune de Villenave-d'Ornon du 6 novembre 1995 -, que si
les collectivités locales pouvaient participer librement à toute opération sur
le capital des SEM, il leur était interdit, en revanche, d'accorder des
concours financiers à leur société, en dehors du régime des aides directes et
indirectes aux entreprises privées fixé par les lois de 1982.
Je pense, ensuite, à la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », qui a
soumis les SEM au même titre que les sociétés fermières ou concessionnaires de
services publics, mais contrairement aux établissements publics, à un régime de
mise en concurrence pour les délégations de service public. Cette disposition a
placé les collectivités locales dans une situation absurde qui les oblige à
mettre en compétition des sociétés dont elles sont les actionnaires
majoritaires, qui sont constituées expressément pour exploiter le service qui
fait l'objet de l'appel d'offres, mais qui, quelques semaines après leur
création, n'offrent naturellement aucune des garanties professionnelles exigées
par la loi.
En somme, l'évolution du droit depuis 1993 a eu pour effet simultané
d'interdire aux collectivités locales de soutenir financièrement les SEM dont
elles sont devenues les actionnaires majoritaires, mais diminués et
irresponsables, et de placer ces entreprises publiques dans une situation plus
défavorable que celle des entreprises privées intervenant dans le même secteur
d'activité, puisque ces dernières sont leurs concurrentes dans les appels
d'offres pour les délégations de service public.
Or, qu'il s'agisse du régime des relations financières avec les collectivités
locales ou du droit à la concurrence, les SEM devraient être considérées telles
que les définissent sans ambiguïté le droit communautaire et le Conseil d'Etat
lui-même dans un avis rendu le 10 novembre 1993, à savoir comme « des
entreprises publiques locales ».
Ce sont en effet des entreprises, en raison de leurs règles de fonctionnement,
qui sont identiques à celles des sociétés commerciales.
Elles sont publiques parce que leur capital l'est majoritairement et que leurs
missions sont d'intérêt général.
Elles sont enfin locales par leur enracinement dans un territoire.
Une clarification juridique, respectueuse des principes établis par le
législateur en 1983 et limitée à un toilettage du statut, est devenue
indispensable et urgente.
La proposition de loi de notre collègue Jean Bizet, que j'ai eu l'honneur de
cosigner, arrive, de ce point de vue, à point nommé.
J'aimerais, à titre personnel, saluer la convergence de vues sur les
différentes travées de cette assemblée, puisque la présente proposition de loi
a été cosignée par onze sénateurs du RPR, neuf sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen, quatre sénateurs du groupe des Républicains et
Indépendants, trois sénateurs du groupe socialiste et un sénateur radical. Ce
fait est suffisamment original pour être souligné.
Je me félicite, par ailleurs, que le Sénat ait souhaité inscrire ce texte en
priorité dans son ordre du jour réservé du mois de novembre.
La qualité des travaux - cela devient un truisme - de notre rapporteur Paul
Girod, que je tiens à saluer, et de la commission des lois dans son ensemble
permet d'aboutir aujourd'hui à la discussion d'un texte équilibré et de bonne
facture.
Le texte des conclusions de la commission des lois tient compte des évolutions
intervenues dans la loi relative à la solidarité et au renouvellement
urbains.
Il modernise, sans nul doute, les relations financières entre les SEM et les
collectivités locales en permettant à ces dernières de verser, pour une durée
limitée, des avances en comptes courants d'associés. Il précise, pour assurer
la transparence, que ces avances devront avoir un objet précis.
Ce texte précise également le statut des élus mandataires au sein des SEM afin
de prévenir les risques pénaux que ces derniers encourent par rapport à la
prise illégale d'intérêts.
Il n'a pas été omis non plus de parfaire ce qui était approximatif à l'article
1er
quater
de la loi dite « SRU » pour le développement des SEM
transfrontalières.
Toutes ces dispositions, si elles étaient adoptées, seraient de nature à
contribuer à la relance des SEM, en plein doute aujourd'hui, d'autant que -
dois-je rappeler ? -, depuis ces dernières années, on assiste à un coup d'arrêt
brutal du développement de ces sociétés, leur nombre ayant chuté de 1 325 à 1
255 en trois ans.
Un point retient tout de même encore mon attention.
L'apparition de nouveaux territoires de développement requiert des
collectivités et des intercommunalités des compétences et des outils qu'elles
ne possédaient pas jusqu'alors. Pour les SEM, cette évolution peut favoriser
l'émergence d'un nouveau métier dont elles maîtrisent le savoir-faire, celui,
en quelque sorte, d'« ensemblier » du développement local, de gestionnaire de
territoires.
La mise en oeuvre de partenariats opérationnels entre collectivités et
entreprises, tournés vers le développement local, passe naturellement par
l'économie mixte, qui offre à la fois la souplesse et l'encadrement nécessaires
à la réussite de cette association.
Sur le terrain, la société d'économie mixte peut constituer le chaînon
manquant permettant d'assurer la fédération des collectivités ou de leurs
groupements et des acteurs du développement économique.
Dans ce domaine, comme dans les champs ouverts par l'environnement ou les
nouvelles technologies, les SEM peuvent favoriser la coopération entre le
public et le privé dans la durée et sur des objectifs concrets.
C'est le sens de l'amendement que je défendrai tout à l'heure. Les SEM, dont
l'activité est liée au développement économique local, ne peuvent, à l'heure
actuelle, effectuer certaines missions d'intérêt général propices à la création
d'emplois au motif qu'elles ne peuvent recevoir de subventions de la part des
collectivités concernées. Il est urgent d'apporter une réponse à ce problème de
première importance, puisqu'il s'agit d'emplois qui ne seraient pas créés faute
de volonté politique de tout mettre en oeuvre pour aider les entreprises qui
démarrent, seules vraies créatrices d'emplois à l'heure actuelle. Enfin, il me
semble qu'à vouloir surajouter les mesures d'encadrement et de contrôle qui
pèsent sur les entreprises privées, d'une part, et sur les organismes publics,
d'autre part, on stérilise cette formule originale qui se veut performante.
La méfiance que l'on constate ici où là tient peut-être, me semble-t-il, à
l'ambiguité de l'expression « économie mixte », qui recouvre d'autres concepts
sans doute plus macroéconomiques. On serait peut-être bien inspiré d'étudier
une appellation plus adaptée, qui pourrait être, mais ce n'est qu'une
proposition, « société d'économie locale ».
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une piste
supplémentaire de réflexion prospective sur ce sujet qui intéresse tous les
gestionnaires de collectivité territoriale.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
cette proposition de loi, dont le groupe communiste républicain et citoyen est
signataire, tend à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte qui sont
régies par la loi du 7 juillet 1983, cela a été rappelé.
Or, en vingt ans, le paysage socio-juridico-économique a changé. Les
évolutions juridiques, notamment juridictionnelles, en matière d'interventions
économiques des collectivités locales ont modifié de nombreuses données pour
les SEM.
Passant d'un climat dans lequel les collectivités territoriales avaient
interdiction d'intervenir dans le domaine économique à un assouplissement
progressif, puis à un fléchissement, libéralisant de nombreuses aides aux
entreprises, souvent sous couvert d'aides à l'emploi, on constate que la
non-évolution de leur statut a mis les SEM en porte à faux par rapport aux
entreprises privées.
L'exposé des motifs de la proposition souligne que « l'évolution du droit a eu
simultanément pour effet d'interdire aux collectivités locales de soutenir
financièrement les SEM, dont elles sont, de par la loi, les actionnaires
majoritaires, tout en plaçant ces entreprises publiques locales dans une
situation d'inégalité par rapport aux entreprises privées bénéficiant de toutes
les possibilités d'aides financières de leurs actionnaires ».
Au-delà des relations financières entre les collectivités locales et les SEM,
le droit à la concurrence est également faussé.
Toutes ces raisons rendent une modernisation du statut des SEM nécessaire et
urgente.
La présente proposition de loi a été préparée dans la collégialité et la
pluralité qui existent au sein de la Fédération nationale des sociétés
d'économie mixte. Le sujet a suscité deux projets gouvernementaux qui n'ont pu
voir le jour du fait des aléas de la vie politique, l'un de M. Perben en 1997,
l'autre de M. Zuccarelli en 1999. Je remarque que les amendements présentés par
le Gouvernement reprennent un peu de ce dernier projet de loi.
La réforme des SEM est voulue et partagée par de nombreux élus. En témoigne le
dépôt simultané de la présente proposition, à l'Assemblée nationale avec comme
premier signataire le député socialiste M. Georges Lemoine, et au Sénat le
sénateur du RPR M. Jean Bizet.
Nous pouvons nous féliciter du travail mais aussi de la réflexion menés en
commun, et insister sur le rôle primordial joué par la Fédération nationale des
sociétés d'économie mixte, son président, son vice-président et son directeur
ainsi, bien sûr, que son personnel.
Qu'il me soit permis de revenir quelques instants sur les indicateurs
économiques qui témoignent de la vitalité des SEM.
Les SEM, ce sont 60 000 emplois, soit 30 000 emplois de plus qu'en 1983, et
près de 1 600 emplois-jeunes. Ce sont aussi 11,5 milliards de francs de
capitalisation, 75 milliards de francs de chiffres d'affaires, 30 milliards de
francs d'investissements en aménagement et un parc de 517 000 logements, étant
précisé que 12 000 logements sont mis en chantier chaque année.
Les SEM jouent un rôle significatif dans la bonne marche de certains services
publics puisqu'elles gèrent 30 % de l'ensemble du réseau des transports publics
et 20 % du parc national de stationnement.
Les SEM ont su développer des réalisations impliquant les métiers de
l'environnement et des nouvelles technologies. Elles sont également de plus en
plus présentes dans les secteurs de la culture.
Tous ces éléments témoignent du poids que représentent les SEM dans l'économie
nationale, en dépit d'évolutions juridiques et économiques qui ne leur ont pas
toujours été favorables.
C'est pourquoi il est temps de clarifier les relations entre collectivités
locales et SEM.
Les conclusions de la commission des lois présentées par notre collègue Paul
Girod recueillent notre accord.
Il paraît logique de ne pas débattre des articles 3 et 4 de la proposition
initiale relatifs aux relations financières entre les collectivités
territoriales et les SEM d'aménagement ou immobilières, dans la mesure où des
dispositions quasiment identiques ont été adoptées dans la loi relative à la
solidarité et au renouvellement urbains.
Pour le reste, la proposition de loi conserve, et c'est ce qui importe le plus
au groupe communiste républicain et citoyen, l'objectif consistant à rendre aux
collectivités locales leurs pleines responsabilités d'actionnaire majoritaire,
en particulier en matière de concours financiers nécessaires à la société, en
autorisant les apports en compte courant sous couvert d'une convention et d'une
délibération de leurs assemblées délibérantes.
Cette proposition vise également à rétablir la sécurité juridique des élus
mandataires des collectivités locales dans les SEM. Ainsi est écarté le risque
de voir ces derniers poursuivis pour prise illégale d'intérêts du seul fait des
fonctions qui leur ont été attribuées par la collectivité.
Il est également proposé d'admettre une dérogation à l'application de la loi
sur les délégations de service public au bénéfice de certaines SEM répondant à
des critères précis.
Mon ami Robert Bret m'a rapporté les débats qui se sont déroulés en commission
des lois sur la légalité de ces mesures, notamment au regard de la
réglementation européenne. En effet, le droit européen interdit formellement
les aides de l'Etat aux entreprises lorsque ces aides seraient susceptibles de
fausser la concurrence. L'Etat s'entend là au sens de nation et comprend, par
conséquent, les collectivités locales.
Toutefois, plusieurs arguments peuvent être avancés pour considérer ces
mesures comme compatibles avec le droit européen.
D'abord, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé en 1999 qu'une
société dans laquelle une collectivité publique détient une majorité renforcée
et qui est habilitée à gérer directement un service public n'est pas en
situation de concurrence puisqu'elle constitue un simple prolongement de la
collectivité, au même titre qu'un établissement public.
D'autre part, le régime de mise en concurrence pour les délégations de
services publics met en compétition des sociétés d'économie mixte créées de
fraîche date et des entreprises déjà bien implantées, avec lesquelles elles ne
peuvent évidemment pas rivaliser. L'article 5 du texte présenté par la
commission des lois ne favorise donc pas les SEM au risque de fausser la
concurrence, mais leur permet plutôt d'y participer. Il ne s'agit là que d'un
traitement différencié, justifié par des situations elle-mêmes différentes.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler au nom du groupe
communiste républicain et citoyen, qui considère, comme d'autres collègues qui
se sont exprimés ce matin, que la modernisation du statut des SEM est bien
d'actualité.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Picheral.
M. Jean-François Picheral.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes donc invités à discuter une proposition de loi dont la nécessité,
ce débat en témoigne, n'est contestée par personne.
Le projet de loi préparé par M. Zuccarelli n'ayant pu aboutir, une initiative
parlementaire était nécessaire.
La volonté de légiférer sur certaines matière abordées dans ce texte s'est
déjà manifestée lors de l'examen du projet de loi relatif à la solidarité et au
renouvellement urbains, qui a vu l'introduction, avec l'accord du Gouvernement,
de quelques dispositions utiles.
Ce consensus pour moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales a
parfois des racines profondes. Aujourd'hui comme en 1983, lorsque le Parlement
avait adopté à l'unanimité le statut des SEM, il s'appuie sur des réalités.
En effet, le droit des interventions économiques et de l'économie mixte
présente des insuffisances. Trop complexe et trop rigide, il n'est plus adapté
aux besoins des entreprises, aux demandes des collectivités territoriales et
aux contraintes communautaires. Les élus locaux sont amenés à intervenir en
marge de la légalité, ce qui les expose à un risque juridique et financier.
Comme la décentralisation, l'économie mixte locale a été fondée en 1983 sur
des principes de liberté et de responsabilité, qui sont la traduction directe
du principe de libre administration des collectivités territoriales établi par
les articles 34 et 72 de la Constitution, et sur la volonté de doter les
collectivités des moyens d'action les plus efficaces au service du bien
commun.
Que s'est-il passé depuis 1983 ?
Les sociétés d'économie mixte ont répondu à l'ambition du législateur, au-delà
même de ses espérances. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 1 300 sociétés, plus
de 60 000 salariés, 70 milliards de francs de chiffre d'affaires. A l'actif de
ces entreprises, on compte les réalisations les plus exemplaires de la
décentralisation, dans tous les domaines : logement social, renouvellement
urbain, développement économique, transports collectifs, etc.
Paradoxalement, cette évolution a entravé le développement de l'économie mixte
locale dès lors qu'elle s'est confrontée aux grands défis qui mobilisent nos
collectivités territoriales : l'intercommunalité, le développement économique
et la modernisation des services publics.
L'économie mixte n'est pas une idée nouvelle, mais nous pensons qu'elle est
une idée d'avenir.
Aujourd'hui, plus encore qu'en 1983, toutes les collectivités locales ont
besoin de moyens d'action qui réunissent la maîtrise politique, l'efficacité
économique et l'utilité sociale pour résoudre les problèmes complexes qui leur
sont posés.
Aujourd'hui comme en 1983, la société d'économie mixte est souvent la seule
réponse opérationnelle à cette complexité qui pousse, dans presque tous les
domaines de l'action publique, à conjuguer les compétences et les ressources, à
gérer des partenariats entre des acteurs qui ne partagent ni la même culture ni
la même logique dans l'action.
Nous pensons que la modernisation du statut des SEM doit revenir aux principes
qui avaient guidé le législateur de 1983. Permettez-moi de vous les rappeler,
tels que Gaston Defferre les avait exposés ici même, en avril 1983 :
« Les SEM auront le droit d'exercer toutes les compétences d'intérêt général
autres qu'administratives dévolues aux collectivités territoriales. Elles
deviendront ainsi un instrument permanent d'action à la disposition des élus...
En ce qui concerne la forme de ces sociétés, la société anonyme a été retenue
car c'est la plus répandue et la plus souple... Enfin, nous tirons la
conséquence de la plus grande responsabilité des élus en renforçant leur
contrôle sur ces sociétés. »
C'est dans cette optique que le groupe socialiste examinera cette proposition
de loi, qui apporte des réponses utiles et concrètes aux attentes des élus à
l'égard de nos SEM, entreprises des collectivités locales, qu'il s'agisse de
rétablir un régime de relations clarifiées et surtout mieux maîtrisées entre
les collectivités territoriales et les sociétés d'économie mixte locales, de
renforcer la transparence de ces relations en rendant notamment obligatoire
l'approbation par la collectivité des rapports d'activité présentés par la SEM
ou de renforcer la protection des élus locaux administrateurs de SEM ou de
regard de la prise illégale d'intérêt.
Je tiens à souligner la grande qualité du rapport de notre collègue Paul
Girod. Les travaux de notre commission des lois ont utilement précisé et
amélioré la proposition de loi initiale, tant sur le fond que sur la forme.
Le Gouvernement, qui aborde ce texte dans un esprit d'ouverture et de
dialogue, ce dont je me félicite, nous propose un certain nombre d'amendements
; la plupart d'entre eux sont susceptibles d'améliorer encore le texte présenté
par le rapporteur. Ces amendements s'inscrivent en tout cas dans la philosophie
de la proposition de loi.
Tout en renforçant le rôle de collectivités territoriales actionnaires, qui
pourraient notamment intervenir sous forme d'avances en compte courant
d'associé, ils organisent une information plus complète de l'assemblée
délibérante et un contrôle renforcé de celle-ci. Introduire plus de
transparence et un meilleur contrôle des collectivités territoriales me paraît
très utile.
Ils imposent en outre le respect d'une proportion de 80 % de fonds publics et
de 20 % de fonds privés en ce qui concerne tant la participation au capital que
les avances en compte courant. Cette précaution est utile si l'on veut se
prémunir contre d'éventuels dérapages et protéger les finances locales.
Notons par ailleurs qu'un certain nombre de dispositions figurant dans la
proposition de loi initiale ont déjà été prises en compte dans le projet de loi
relatif à la solidarité et au renouvellement urbain, en voie d'adoption
définitive. Il s'agit, d'une part, de l'octroi par les collectivités
territoriales aux sociétés d'économie mixte locales qui interviennent dans le
domaine du logement social de subventions et prêts pour la construction et pour
la gestion de ces logements et, d'autre part, de l'organisation des conditions
de financement des opérations d'aménagement par les collectivités territoriales
lorsqu'elles en confient la réalisation à des tiers.
Le toilettage du statut des SEM locales auquel nous allons procéder est tout à
fait indispensable pour que ces sociétés puissent conserver leur place dans le
développement local. Ce toilettage est également urgent : c'est pourquoi je
vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de faire en sorte que cette
proposition de loi soit inscrite à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée
nationale, de manière que nos collectivités territoriales disposent au plus tôt
d'un outil complet et adapté leur permettant de jouer pleinement leur rôle au
service du développement local.
(Applaudissements.)
M. le président.
Il me semble que Gaston Defferre avait aussi souhaité la création des chambres
régionales des comptes. S'il revenait, il serait assez surpris de voir comment
cela marche !
(Sourires.)
M. Jean-François Picheral.
Il va falloir que nous nous en occupions aussi, monsieur le président !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, avant de répondre aux différents intervenants, je tiens à saluer la
contibution positive de l'ensemble des groupes de votre assemblée à ce débat,
résultat d'une initiative parlementaire tout à fait heureuse et de grande
qualité.
M. Hyest a rappelé la nécessité de conforter les règles de mixité du capital ;
j'y reviendrai lors de la discussion des articles.
J'ai également noté son approbation de l'instauration de contrôles plus
étroits, même s'il considère - et je le reconnais avec lui - que les contrôles,
y compris ceux des commissaires aux comptes - ainsi, peut-être, que ceux des
chambres régionales des comptes, monsieur le président ! - peuvent parfois
avoir leur faiblesse.
Monsieur Rouvière, vous avez insisté sur le besoin de moderniser le statut
juridique des sociétés d'économie mixte tout en apportant davantage de sécurité
juridique à leur action et à celle des élus mandataires. Les amendements que le
Gouvernement présentera dans quelques instants vont bien dans ce sens.
Vous avez rappelé l'importance de l'activité des sociétés d'économie mixte
pour le logement social. La loi SRU va bien dans ce sens. Elle apportera - et
c'est, je crois, le souhait de plusieurs des sénateurs qui se sont exprimés ce
matin - d'importantes souplesses pour les sociétés d'économie mixte de ce
secteur.
Vous avez également fait une proposition pour que les possibilités de prêts
soient davantage ouvertes, afin d'éviter, peut-être, ce que vous avez appelé le
quasi-monopole de la Caisse des dépôts et consignations. Je pense que vous
faisiez surtout référence aux prêts bonifiés qui, vous le savez, répondent à
des règles très particulières, faute de quoi ils ne seraient d'ailleurs pas
conformes aux règles de la concurrence.
Les cas où des refus ont pu être essuyés sont sans doute rares. On peut
supposer, mais cela reste à vérifier qu'ils sont liés à des risques financiers
très particuliers. En tout état de cause, je demanderai aux services du
ministère de l'intérieur de se rapprocher de ceux du ministère des finances
pour examiner ces quelques cas particuliers.
M. Fourcade a bien voulu nous faire part de son expérience. J'ai compris
qu'elle avait été douloureuse. Cette expérience conforte, me semble-t-il, les
dispositions de cette proposition de loi, qui visent à instaurer plus de
transparence dans les actes des sociétés d'économie mixte et à permettre un
meilleur contrôle à la fois des assemblées délibérantes et des représentants de
l'Etat.
S'agissant du FCTVA, j'ai bien entendu votre souci de neutralité. C'est bien
celui que le Gouvernement entend défendre, même si, visiblement, nous ne
parvenons pas encore tout à fait à nous entendre sur les modalités.
La neutralité en la matière consiste à faire en sorte que le mode d'action
choisi par la collectivité, qu'il s'agisse de travaux en régie ou de recours à
un prestataire extérieur, qui peut éventuellement être une SEM, ne modifie pas
la TVA perçue. Mais vous êtes un fin connaisseur de ces règles fiscales,
monsieur le sénateur. Je pense d'ailleurs qu'elles remontent au temps où le
ministère des finances se trouvait rue de Rivoli ! Il faut, en effet, parvenir
à concilier la complexité de ces règles fiscales avec celles du FCTVA, afin de
prévenir - ce que d'ailleurs personne ne contestera -, toute double
récupération de la TVA, qui peut être possible dans certains cas ; nous y
reviendrons tout à l'heure.
M. Schosteck a fait un très utile rappel des évolutions jurisprudentielles,
qui ont d'ailleurs justifié plusieurs dispositions de cette proposition de loi.
Il a également souligné l'intérêt de l'action des SEM pour l'exercice de
certaines compétences des collectivités, mais aussi pour leur groupement. Ce
point est essentiel. Il a, à cette occasion, élargi le débat aux modes
d'intervention économique. Je n'ignore pas le lien avec les actions des SEM.
Mais ces questions restent distinctes. Elles n'entrent pas dans le champ du
texte qui est examiné aujourd'hui, et nous pouvons le regretter.
M. Foucaud a rappelé les aléas des textes qui ont été initialement présentés.
Il a notamment souligné, à juste titre, l'importance des règles communautaires
qui encadrent désormais l'action économique des collectivités locales. Le
Gouvernement partage cette analyse. Pour moderniser le statut des SEM, nous
devons tirer d'utiles enseignements de l'évolution de ces règles
communautaires.
Enfin, M. Picheral a très clairement exposé les domaines d'action multiples
des sociétés d'économie mixte et a indiqué en quoi ce mode d'intervention était
porteur d'avenir. C'est bien le sens que le Gouvernement souhaite donner à ce
débat. Mais, vous l'avez rappelé, ce mode d'intervention ne peut se développer
que dans le cadre de règles juridiques précises, notamment en ce qui concerne
la nécessaire transparence des actes des SEM. Or, nous ne pouvons progresser
dans ce domaine que collectivement.
J'ai bien noté le soutien que vous apportez aux initiatives du Gouvernement -
cela ne me surprend pas - afin d'accroître la transparence et la protection des
finances locales.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
CONCOURS FINANCIERS
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
AUX SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE LOCALES
Article 1er