SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 1, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et
apparentés proposent d'ajouter, avant l'article 1er, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 149 du code de
procédure pénale, les mots : "décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement
devenue définitive" sont remplacés par les mots : "décision devenue définitive
de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou constatant la prescription". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'ai été suffisamment précis lors de la discussion générale pour me permettre
d'être bref dans la présentation de mes amendements.
Cet amendement vise à préciser que, lorsqu'il y a une décision constatant la
prescription, l'intéressé a droit à une réparation intégrale.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Cette question est importante et elle a déjà été longuement
évoquée lors de la discussion du texte sur la présomption d'innocence.
A l'époque, toute récente, le Gouvernement considérait que la prescription
était l'un des cas qui justifiait que l'on n'indemnise pas une personne placée
en détention provisoire. J'ai, pour ma part, défendu l'idée selon laquelle une
personne placée en détention pour une infraction prescrite devait être
indemnisée. J'ai été suivi, et la prescription a été retirée de la liste des
exceptions à l'indemnisation.
Cela signifie que le système du code de procédure pénale consiste à poser un
principe, l'indemnisation, et à prévoir des exceptions : si l'on n'entre pas
dans un des cas d'exception, on a le droit à l'indemnisation !
Par conséquent, monsieur Dreyfus-Schmidt, lorsque vous demandez que l'on
réintroduise la prescription, vous changez la totalité du mode de raisonnement
juridique qui a été adopté à la fois par le code et par nous.
En fait, cher collègue, sur le fond, nous sommes complètement d'accord. C'est
sur la conception de la règle juridique que nous divergeons. Selon moi, cette
règle doit être cartésienne. Il ne faut pas oublier que le droit français est
un droit court parce que c'est un droit fondé sur le raisonnement : si l'on
abandonne ce système de raisonnement, on va tomber dans un droit qui peut
parfois être plus plaisant, comme le droit anglo-saxon ou d'autres droits plus
longs, plus explicatifs mais où, d'un article à l'autre, les explications sont
différentes, ce qui provoque des erreurs et exige un difficile travail
d'interprétation.
Notre système est à la fois plus clair et plus simple : l'indemnisation est la
règle, laquelle connaît quelques exceptions expressément prévues.
Je ne sais d'ailleurs pas à quoi vous faites allusion quand vous dites que ce
système aurait déjà suscité des difficultés.
Bien sûr, il y a eu un changement puisque, dorénavant, la prescription ne
figure plus dans les exceptions. Mais c'est précisément ce changement qui va
conduire les magistrats, lorsque quelqu'un aura été détenu alors que ce qu'on
lui reprochait était prescrit, à admettre que le préjudice ainsi subi doit être
réparé.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Cet amendement montre la volonté tout à fait légitime
de M. Dreyfus-Schmidt d'aller au fond des choses et de rendre la loi aussi
explicite que possible. Il ne fait toutefois pas de doute dans l'esprit du
Gouvernement, ni dans celui du Parlement - et les débats qui ont eu lieu au
Sénat lors du vote de la loi le prouvent - qu'une indemnisation, ou une
réparation, est due si une personne bénéficie d'un non-lieu ou d'une relaxe en
raison de la prescription de l'action publique.
La circulaire d'information qui sera spécialement adressée aux premiers
présidents des cours d'appel, compétents à partir du 16 décembre prochain pour
statuer sur les demandes d'indemnisation, le mentionnera de la façon la plus
claire possible, en rappelant notamment qu'au cours des débats le Parlement a
refusé d'adopter des dispositions qui prévoyaient qu'aucune indemnisation
n'était due en cas de prescription, pour ne finalement retenir que les trois
hypothèses du trouble mental, de l'amnistie ou de la personne qui se laisse
volontairement accuser à tort.
Cette circulaire pourra également faire état des débats qui ont lieu ce soir
et qui, grâce à la discussion de l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt, rendent
les choses encore plus claires, en tout cas je l'espère.
D'un point de vue juridique, il est inutile de distinguer les décisions de
relaxe, de non-lieu ou d'acquittement de celles qui constatent la prescription.
Il peut, certes, arriver que des juridictions aient prononcé des décisions qui
se bornaient à constater la prescription ; mais, aux termes du code de
procédure pénale - qui ne mentionne nulle part de telles décisions - ces
juridictions auraient dû ensuite soit déclarer qu'il n'y avait pas lieu de
poursuivre, soit relaxer le prévenu des fins de la poursuite, soit acquitter
l'accusé.
Si le texte de l'article 149 du code de procédure pénale était précisé dans le
sens que souhaite M. Dreyfus-Schmidt, il en résulterait au demeurant des
interprétations
a contrario
. Par exemple, si des poursuites sont
annulées parce qu'elles ont été engagées devant une juridiction incompétente,
devra-t-on estimer que la détention provisoire de la personne irrégulièrement
poursuivie ne donne pas lieu à indemnisation ? Et que se passera-t-il si
l'action publique est éteinte en raison de l'autorité de la chose jugée, parce
que la personne a déjà été poursuivie - et condamnée ou relaxée - pour les
mêmes faits ? Je pourrais multiplier les exemples.
Dans ces conditions, compte tenu des précisions qui seront apportées dans la
circulaire à venir - et quand on s'exprime devant le Sénat, cela a valeur
d'engagement, monsieur le sénateur - après la parution du décret d'application
qui est actuellement en cours de signature, j'espère que vous serez
suffisamment convaincu par cette argumentation, monsieur Dreyfus-Schmidt, pour
retirer votre amendement. En effet, il me déplairait, parce que, au fond, je
vous comprends, de dire que le Gouvernement y est défavorable.
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, l'amendement est-il maintenu ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Madame la garde des sceaux, je vous remercie d'avoir précisé que, dans
certains cas, très rares bien sûr, il y a prescription sans qu'intervienne
formellement une décision de non-lieu, d'acquittement ou de relaxe. Vous dites
que, dans ce cas-là, il y a erreur et que le président de la cour d'appel ou la
commission nationale doivent faire comme s'il y avait eu une décision de
non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Pour vous, en tout état de cause, dans
le cas de prescription, la réparation intégrale - nous y reviendrons tout à
l'heure - est due.
Si c'est bien ce que vous avez voulu dire, je retire mon amendement.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
C'est bien ce que j'ai voulu dire !
M. le président.
L'amendement n° 1 est retiré.
Article 1er