SEANCE DU 4 DECEMBRE 2000
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et
la solidarité : I - Emploi.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Gérard Braun,
en remplacement de M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial de la commission
des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la
nation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je
tiens à vous présenter les excuses de M. Ostermann, qui, à cause d'un
empêchement majeur de dernière heure, n'a pu être présent aujourd'hui et m'a
demandé de le remplacer, ce que je fais bien volontiers.
Les crédits de l'emploi et de la formation professionnelle sur lesquels nous
sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui s'élèvent à 111,83 milliards de
francs, dont 90 % de crédits d'intervention, alors qu'ils s'établissaient à
122,07 milliards de francs en 2000. Cette diminution de 1,9 %, après une
progression de 2,3 % l'année dernière, montre que le budget de l'emploi, en
raison de l'amélioration conjoncturelle du marché du travail, ne constitue plus
une priorité pour le Gouvernement.
Sans m'appesantir sur les données chiffrées, pour lesquelles je me permets de
vous renvoyer au rapport écrit, je souhaiterais vous faire part des quatre
observations que m'inspirent les dotations allouées à l'emploi pour 2001 et qui
constituent autant de questions que j'adresse à Mme la ministre.
Première observation : le budget de l'emploi ne retrace plus l'ensemble des
crédits alloués à la politique de l'emploi.
Alors que la réduction du temps de travail est présentée par le Gouvernement
comme sa principale mesure en faveur de l'emploi, le coût des 35 heures, soit
85 milliards de francs en 2001 - c'est-à-dire plus que les investissements
civils de l'Etat, qui s'établiront à 78 milliards de francs l'année prochaine -
n'apparaît pas dans le budget de l'emploi.
Il est en effet supporté par le fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, dont nous avions dénoncé
l'année dernière la grande complexité en parlant d'« usine à gaz », ces propos
étant du reste plus que jamais d'actualité. Il convient, en outre, de rappeler
que le FOREC n'a pour l'instant qu'une existence virtuelle, la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2000 qui l'a créé étant toujours, sur
ce point comme sur beaucoup d'autres, privée de décrets d'application. Le
Gouvernement rétorquera sans doute qu'il n'y est pour rien et que les décrets
sont en cours d'examen au Conseil d'Etat. Quand cet examen sera-t-il terminé et
quand les décrets seront-ils publiés ?
Je rappellerai que, l'année dernière, le budget de l'emploi versait une
subvention au FOREC tandis que les crédits alloués à la loi Robien y étaient
inscrits. Or, pour 2001, la subvention du budget de l'Etat est supprimée et les
dotations de la loi Robien sont affectées au FOREC.
En fait, seuls 280 millions de francs seront inscrits en 2001 au budget de
l'emploi au titre des aides au conseil dans le cadre des 35 heures, ces crédits
devant notamment servir à aider les petites et moyennes entreprises à réduire
le temps de travail de leurs salariés. Le budget de l'emploi supportera donc
seulement 0,3 % du coût total des 35 heures !
Cette débudgétisation massive, dont l'objectif mal dissimulé est de limiter la
progression des dépenses de l'Etat, se traduit par l'illisibilité du coût de la
politique de l'emploi en France. En effet, le coût de la réduction du temps de
travail comme celui des allégements du coût du travail n'ont plus aucune
signification à la lecture du budget de l'emploi, alors que ce sont précisément
ces mesures qui, au cours des dernières années, ont été à l'origine de la très
forte croissance de ce budget, aujourd'hui le deuxième budget civil après celui
de l'éducation nationale.
Ainsi, je considère que le budget de l'emploi n'est plus sincère et que le
véritable coût de la politique de l'emploi doit prendre en compte non seulement
les dotations du ministère, mais aussi celles du FOREC, soit un total de près
de 200 milliards de francs.
Deuxième observation : l'amélioration de la situation de l'emploi connaît de
réelles limites.
Il convient de se réjouir de la nette amélioration du marché du travail, le
taux de chômage étant passé de 12,6 % de la population active au milieu de
l'année 1997 à 9,6 % au milieu de cette année. Toutefois, le Gouvernement
aurait bien tort de se vanter de cette embellie du marché de l'emploi et
devrait faire preuve d'humilité quand il évoque la perspective du plein-emploi,
sur laquelle il est, du reste, beaucoup moins disert depuis quelque temps.
Cette réelle amélioration de l'emploi est en effet fragile et tient uniquement
à la bonne tenue de la conjoncture.
Sans entrer dans le détail, je rappellerai simplement que le chômage français
reste à un niveau élevé : 9,6 % contre 9 % dans la zone euro, 8,3 % dans
l'Union européenne, 2,5 % aux Pays-Bas, 4,1 % aux Etats-Unis. En outre,
l'amélioration de la situation de l'emploi est inégale, les femmes, les jeunes,
les non-diplômés ou peu diplômés, les salariés précaires, les chômeurs de
longue durée continuant d'être touchés plus sévèrement que la moyenne nationale
par le chômage.
Surtout, la possibilité d'enregistrer un recul important du chômage se heurte
au niveau élevé du chômage structurel dans notre pays. La Caisse des dépôts et
consignations a évalué à 8 % de la population active en France le taux de
chômage structurel, alors qu'il est de 3 % aux Etats-Unis, si bien que la
progression de l'emploi actuellement observée, au-delà de facteurs
conjoncturels, ne pourrait guère faire baisser le chômage sous le taux de 8
%.
Les pénuries de main-d'oeuvre constatées dans certains secteurs confirmeraient
cette analyse, ce phénomène étant du reste accentué par la loi sur les 35
heures, qui pénalise l'environnement économique des entreprises et réduit le
nombre d'heures travaillées tout en rendant plus difficile le recours aux
heures supplémentaires.
Enfin, l'incitation au travail reste trop faible et le coût du travail trop
élevé. Il existe en effet un phénomène dit de « trappe à inactivité » qui
dissuade certaines personnes de chercher du travail en raison de gains de
revenus trop faibles, voire nuls, par rapport au montant des minima sociaux
dont elles peuvent bénéficier : il est financièrement plus intéressant pour
certains de rester au chômage.
Plutôt que de porter atteinte aux principes de la contribution sociale
généralisée, il aurait été bien plus souhaitable que le Gouvernement accorde
davantage d'attention aux propositions du Sénat, qu'il s'agisse de la
proposition de loi présentée en son temps par le président Christian Poncelet
ou de celle de nos collègues Alain Lambert et Philippe Marini, qui tend à
instituer un revenu minimum d'activité, le RMA, permettant de rompre le cercle
vicieux de l'assistance et de promouvoir l'insertion par l'activité dans le
secteur marchand.
Madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur cette
proposition de loi ? Je vous interroge solennellement sur ce point, car vos
services ont laissé cette question sans réponse dans le questionnaire
budgétaire... Rompre avec la logique purement quantitative du RMI, qui a
clairement montré qu'elle était un échec, est indispensable pour promouvoir
l'emploi et en finir avec le cercle vicieux de l'exclusion.
Troisième observation : seule la conjoncture permet au Gouvernement de dégager
des économies sur les crédits de l'emploi.
Le Gouvernement se targue de réaliser des économies sur les crédits de
l'emploi, mais cette situation résulte en réalité de la seule amélioration de
la conjoncture, comme le montre la forte baisse des flux d'entrée dans les
dispositifs de la politique de l'emploi : ainsi, le nombre de contrats
initiative-emploi a diminué de 41 % depuis 1997, celui des contrats emploi
consolidé de 47 %, celui de contrats emploi-solidarité de plus de 48 %.
Dès lors, il est logique que des économies apparaissent, mais, faute de
réformes structurelles susceptibles de faire reculer le montant du budget de
l'emploi, ces crédits ne manqueraient pas de connaître une vive expansion en
cas de retournement conjoncturel et de reprise du chômage.
Les députés de la majorité plurielle s'en sont d'ailleurs eux-mêmes émus
lorsque votre projet de budget a été examiné à l'Assemblée nationale. La
discussion a porté sur les flux d'entrée prévus dans les dispositifs de
contrats aidés, trop faibles selon nos collègues députés. Leur inquiétude
provient problablement de ce qu'il sont dubitatifs devant l'optimisme affiché
par le Gouvernement sur les perspectives de croissance, et donc d'emploi !
Quatrième observation : les échéances se rapprochent pour les
emplois-jeunes.
En 2001, le coût des emplois-jeunes s'accroît, une fois encore, de 3,1 %, mais
à un rythme moins rapide qu'en 1999 et 2000 en raison du ralentissement de la
montée en charge du dispositif : 22 milliards de francs sont inscrit au budget
de l'emploi en 2001 pour les emplois-jeunes. Toutefois, il convient de garder à
l'esprit que ce budget ne regroupe pas l'ensemble des crédits destinés au
financement des emplois-jeunes, les budgets de l'éducation nationale, de
l'intérieur, de la justice et de l'outre-mer étant également sollicités. Le
coût total des emplois-jeunes en 2001 s'élèvera donc à 24,6 milliards de
francs.
A la fin du mois d'août dernier, ils étaient 263 800, le Gouvernement
escomptant le recrutement de 280 000 jeunes à la fin de cette année.
En réalité, pourtant, on ne connaît pas vraiment le nombre d'emplois-jeunes.
Le Gouvernement, en effet, fausse la présentation des chiffres : il insiste sur
les conventions signées, tout en expliquant que les jeunes occupant leur poste
sont moins nombreux en raison du délai existant entre le moment de la signature
et celui de la prise de fonction effective. Il peut ainsi afficher de
nombreuses créations d'emplois, même si elles restent artificielles, tout en
limitant le montant des crédits inscrits au budget.
C'est ainsi qu'il peut continuer d'afficher son objectif initial de porter le
nombre de jeunes embauchés à 350 000 d'ici à la fin de l'année 2001, alors même
que les crédits budgétés s'avéreront très insuffisants. En effet, le coût en
année pleine de 350 000 emplois-jeunes s'établirait à environ 37 milliard de
francs pour le seul budget de l'Etat, soit un montant bien supérieur aux
dotations prévues.
Cela tient aussi au fait que le Gouvernement réalise de très importants
reports de crédits sur le chapitre budgétaire concerné : 1,13 milliard de
francs en 1997 2,57 milliards de francs en 1998, 1,21 milliard de francs en
1999. Par ailleurs, au 10 octobre 2000, ces crédits n'étaient consommés qu'à
hauteur de 64 %, ce qui laisse présager de nouveaux reports sur 2001.
Or la question de l'avenir de ces jeunes est très préoccupante en raison des
interrogations qu'il ne manque pas de susciter.
Notre collègue Alain Gournac, au sein d'un groupe de travail constitué par
notre commission des affaires sociales, a récemment établi un rapport très
intéressant qui dresse le bilan à mi-parcours des emplois-jeunes.
Ce rapport met parfaitement en lumière les limites d'un dispositif né d'un
volontarisme gouvernemental consistant à créer, à marche forcée et de manière
artificielle, autant d'emplois dans le secteur non marchand : inadéquation ou
qualité médiocre de la formation proposée, incertitudes pesant sur le statut
juridique, effets pervers pour l'économie, en particulier existence d'une
concurrence déloyale à l'égard du secteur privé, ou encore ambiguïté des
missions effectivement exercées.
Ces préoccupations semblent, du reste, partagées par le Gouvernement, qui a
organisé une réunion interministérielle sur la pérennisation des
emplois-jeunes.
Eu égard aux objections qu'elle formule sur ces sujets essentiels, qui me
paraissent appeler des réponses de votre part, madame la ministre, la
commission des finances a décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits de
l'emploi pour 2001.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour le travail et
l'emploi.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues,
les crédits du ministère de l'emploi devraient s'élever à 111,8 milliards de
francs en 2001.
Compte tenu des différents transferts de charges au fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, seuls les
crédits relatifs à l'aide au conseil, soit 280 millions de francs, devraient,
en fait, comme une ombre, subsister dans le projet de loi de finances, pour
rappeler le passage des crédits relatifs à la réduction du temps de travail
dans un autre budget, celui de la sécurité sociale.
A structure constante, on observe un léger repli - de 1,9 % - des crédits du
ministère de l'emploi : ils s'établisent à 119,7 milliards de francs en 2001,
contre 122 milliards de francs en 2000.
Cette relative stabilité de l'enveloppe budgétaire ne doit pas dissimuler la
poursuite de l'évolution du budget de l'emploi au bénéfice des priorités du
Gouvernement, au premier rang desquelles on retrouve les emplois-jeunes. Par
ailleurs, on observe de nombreuses diminutions de crédits qui tirent les
conséquences de la baisse du chômage.
Cette baisse du chômage est importante et générale. La dernière enquête
trimestrielle de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des
études et des statistiques, estime à 492 000 le nombre d'emplois créés entre le
1er octobre 1999 et le 30 septembre 2000, soit une hausse de 3,5 % en un an.
Avec 119 000 emplois créés, le troisième trimestre semble confirmer la
poursuite de la baisse du chômage. Le taux de chômage était revenu à 9,4 % de
la population active à la fin du mois d'octobre.
Ce faisant, la France se rapproche du taux de chômage de la zone euro, qui
était de 9 % en septembre dernier.
Cette comparaison avec nos voisins européens nous apporte au moins deux
enseignements.
Premièrement, elle « tord le cou » à l'idée selon laquelle les 35 heures et
les emplois-jeunes seraient à eux seuls à l'origine de la baisse du taux de
chômage français. Si ces deux dispositifs ont créé des emplois - c'est surtout
le cas des emplois-jeunes - ils ont aussi coûté très cher et tout laisse penser
que, compte tenu des performances de nos partenaires européens, ces crédits
budgétaires énormes auraient eu, en termes de créations d'emplois, un rendement
tout aussi fort s'ils avaient été utilisés à d'autres fins.
Deuxièmement, la politique de l'emploi du Gouvernement apparaît comme
fortement décalée par rapport au cycle conjoncturel. Les principales
dispositions - 35 heures, emplois-jeunes - constituent des outils de gestion
d'un déséquilibre défavorable à l'offre de travail - les chômeurs - alors que,
de toute évidence, les tensions concernent aujourd'hui davantage la demande de
travail - les entreprises - comme en témoigne un taux d'utilisation des
capacités de production supérieur à 80 %.
L'urgence aurait dû conduire, depuis plusieurs mois, à relancer la formation
professionnelle, à assouplir le dispositif de recours aux heures
supplémentaires et à encourager véritablement la reprise d'entreprises.
L'inadaptation de notre politique de l'emploi aggrave les risques de pénurie
de main-d'oeuvre. Le Sénat aura l'occasion d'examiner cette question la semaine
prochaine, lors de la discussion de la proposition de loi déposée par notre
collègue Alain Gournas à laquelle se sont associés les présidents de groupe de
la majorité sénatoriale, et qui doit permettre de faire face aux pénuries de
main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance
économique.
Concernant les 35 heures, le récent débat sur le projet de loi de financement
de la sécurité sociale a été l'occasion d'examiner l'étendue des dépenses
engagées dans ce dispositif.
Les dépenses du FOREC se sont élevées, en 2000, à 67 milliards de francs ;
elles devraient atteindre 85 milliards de francs en 2001. Je ne peux que
rappeler les conclusions de notre collègue Charles Descours, rapporteur du
projet de loi de financement de la sécurité sociale au nom de la commission des
affaires sociales, qui a dénoncé le « bricolage financier permanent » et le
financement des 35 heures à travers la « vendange des excédents de la branche
famille et du fonds de solidarité vieillesse ».
L'ensemble des accords de réduction du temps de travail signés depuis juin
1998 prévoit, au total, de créer ou préserver 218 000 emplois, dont 115 000
dans le cadre de conventions bénéficiant d'aides de l'Etat.
Comme le reconnaît la DARES, il convient de souligner que les créations ou les
maintiens d'emplois ne peuvent être interprétés comme des créations nettes. Il
faut, en effet, tenir compte de l'évolution des effectifs qui se serait
produite en l'absence de réduction du temps de travail. Par ailleurs, des
emplois créés peuvent s'avérer non pérennes si l'équilibre économique des
entreprises n'est pas assuré. Enfin, la concurrence et la redistribution des
activités entre les entreprises signataires et les autres peuvent conduire à
des résultats nets globalement différents de ceux qui sont observés dans le
seul champ des entreprises conventionnées.
Ces quelques éléments m'amènent à formuler la conclusion suivante : si l'on
connaît à peu près le coût des 35 heures, le plus grand flou demeure quant aux
résultats de cette mesure en termes de créations d'emplois. Tout donne à penser
que le Gouvernement entretient la confusion en attribuant aux 35 heures des
créations d'emplois qui relèvent plus du retour de la croissance générale en
Europe et des allégements de charges sociales mis en place depuis 1993.
Le programme « nouveaux services - nouveaux emplois », qui constitue la
deuxième priorité du Gouvernement, se présente sous un jour un peu différent.
La loi du 16 octobre 1997 vise à aider à la création d'activités d'utilité
sociale dans les domaines de la culture, du sport, du secteur social, de
l'éducation ou de la police, à travers l'embauche de jeunes.
L'enveloppe consacrée au programme « emplois-jeunes » dans le projet de budget
pour 2001 s'élève à 22 milliards de francs.
Vous considérez, madame le ministre, que, à la fin de 2001, 350 000 jeunes
auront été recrutés dans le cadre de ce dispositif. C'est du moins ce que vous
avez déclaré devant la commission des affaires sociales.
En fait, il convient de distinguer entre le nombre de jeunes qui seront passés
dans le dispositif entre octobre 1997 et décembre 2001 et le nombre de jeunes
effectivement en poste à la fin de 2001. Compte tenu de la dotation budgétaire
et du montant des reports, le nombre de jeunes effectivement en fonction à la
fin de l'an prochain ne devrait pas dépasser 250 000.
Le Gouvernement a donné peu d'indications sur l'avenir du dispositif. Les
associations pourraient continuer à percevoir de manière temporaire et
dégressive des aides, au terme des cinq ans de contrat, afin de favoriser la
pérennisation des postes. En revanche, les collectivités locales ne devraient
pas recevoir d'aides supplémentaires, sauf peut-être celles qui sont
confrontées à des problèmes de quartiers difficiles.
La commission des affaires sociales a mené son propre travail de réflexion
concernant le bilan et l'avenir du programme « emplois-jeunes ».
S'agissant de la sortie du dispositif, le rapporteur de cette mission
d'information, notre collègue Alain Gournac, a suggéré de mieux associer les
entreprises à la professionnalisation des emplois-jeunes et de favoriser leur
insertion professionnelle par le développement du tutorat-référent. Il a
préconisé une régionalisation du dispositif. Il a proposé le développement du
multisalariat en temps partagé. Il a également insisté sur la nécessité de
favoriser la création ou la reprise d'entreprises par les jeunes.
Ces propositions, qui ont été largement saluées, constituent une bonne
illustration de l'attitude constructive du Sénat.
Elles n'en mettent pas moins en évidence les hésitations du Gouvernement, qui
peine à définir de nouvelles frontières pour la politique de l'emploi hors des
35 heures et des emplois-jeunes.
Ce nouveau souffle est pourtant indispensable, car la baisse du chômage
modifie les attentes. Certes, le budget pour 2001 tient compte, dans une
certaine mesure, de cette nouvelle situation. On observe une baisse de 9,3 %
des crédits consacrés à l'insertion de publics en difficulté, crédits qui
s'établiront à 23 milliards de francs en 2001.
Ces baisses de crédits se retrouvent dans l'évolution du nombre d'entrées dans
chaque dispositif.
Le nombre d'entrées en stages d'insertion et de formation à l'emploi, les
SIFE, baissera de plus de 18 %, s'établissant à 90 000. Le nombre d'entrées en
CES devrait baisser de 27 % pour revenir à 260 000 en 2001, contre 331 000 en
2000.
De même, on devrait assister à une baisse de 62 % du nombre des nouveaux
bénéficiaires des allocations spéciales du Fonds national pour l'emploi, le
FNE. En fait, seuls les contrats emplois consolidés devraient bénéficier de
crédits en hausse de 4,7 %, pour un montant de 5,57 milliards de francs en
2001.
Le débat à l'Assemblée nationale a néanmoins montré l'inquiétude des
rapporteurs de la majorité, MM. Gérard Bapt et Jean-Claude Boulard, devant
cette évolution. M. Gérard Bapt, en particulier, a proposé la mise en place
d'un « parcours individualisé, concrétisé par une convention individuelle
d'engagement et utilisant les instruments disponibles », afin de permettre une
prise en charge globale des personnes les plus éloignées de l'emploi.
Cette inquiétude des rapporteurs de l'Assemblée nationale est légitime. Elle
traduit un sentiment partagé par votre rapporteur pour avis, selon lequel ce
projet de budget ne va pas assez loin dans « l'activation des dépenses passives
».
Bien sûr, il comporte quelques dispositions en ce sens. Je pense en
particulier à l'augmentation de 8,7 % des moyens affectés à l'ANPE, qui
devraient passer de 6,4 milliards de francs en 2000 à 6,9 milliards de francs
en 2001 et permettre la création de 433 nouveaux postes budgétaires. De même,
les moyens de l'Association nationale pour la formation professionnelle des
adultes, l'AFPA, devraient augmenter de près de 4 %, pour s'établir à 4,9
milliards de francs, et la collaboration renforcée entre ces deux acteurs
essentiels du service public de l'emploi devrait se poursuivre.
Mais je constate que ce projet de budget ne prend pas véritablement la mesure
des changements intervenus sur le marché du travail ni de ceux qui sont
consécutifs à l'adoption d'une nouvelle convention d'assurance chômage.
Cette nouvelle convention d'assurance chômage constitue une avancée décisive
dans la lutte contre le chômage structurel. Elle devrait se traduire, dès le
1er janvier 2001, par une baisse des cotisations sociales de 0,38 point.
Je rappellerai que la nouvelle convention d'assurance chômage prévoit, par
ailleurs, d'affecter des moyens importants, près de 6 milliards de francs, à la
mise en place de parcours individualisés définis dans le cadre du nouveau «
projet d'action personnalisée », le PAP.
Ces moyens serviront à améliorer les formations des chômeurs indemnisés, à
favoriser leur mobilité et à inciter les entreprises à les recruter.
Aujourd'hui, nous constatons que le Gouvernement n'a pas prévu de fournir un
effort comparable en faveur des chômeurs non indemnisés.
Il y a, certes, le programme TRACE - trajet d'accès à l'emploi -, dont les
crédits augmentent de 8,4 %, passant à plus de 501 millions de francs. Mais ce
que je regrette, de concert avec le rapporteur spécial de la commission des
finances de l'Assemblée nationale, c'est que le projet de budget ne présente
pas un programme TRACE à destination des adultes qui, à partir d'outils
existants comme le contrat de qualification adulte, ou à travers des
dispositifs nouveaux, aurait pu constituer une vraie politique de lutte contre
le chômage structurel.
Concernant la « clarification » des relations financières entre l'Etat et
l'UNEDIC, vous savez que les partenaires sociaux ont accepté de rétrocéder à
l'Etat 15 milliards de francs en deux ans : 7 milliards de francs en 2001 et 8
milliards de francs en 2002. Par ailleurs, le régime d'assurance chômage ne
recevra pas en 2002 la subvention de 5 milliards de francs prévue pour
financer une partie du remboursement de prêts contractés dans les « mauvaises
années ». Enfin, l'Etat ne devrait plus, à terme, participer au financement de
l'allocation de formation reclassement, ou AFR, ce qui devrait représenter un
transfert de charges évalué à 10 milliards de francs.
M. le président.
Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Louis Souvet,
rapporteur pour avis.
J'ai presque terminé, monsieur le président.
Au total, la nouvelle convention d'assurance chômage se traduira donc par un
effort financier du régime d'assurance chômage correspondant à 30 milliards de
francs.
En conclusion, et après avoir à nouveau rappelé le caractère inadapté de la
politique de l'emploi menée par le Gouvernement aux nouveaux enjeux de la
croissance, la commission des affaires sociales vous proposera, mes chers
collègues, de rejeter les crédits consacrés au travail et à l'emploi dans le
projet de budget pour 2001. Concernant les quatre articles rattachés, elle vous
proposera de supprimer l'article 58.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la formation
professionnelle.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers
collègues, les crédits budgétaires de la formation professionnelle pour 2001
atteindront 34,3 milliards de francs, en diminution de 0,3 % par rapport à
cette année. Le projet de budget de la formation professionnelle doit, en
première analyse, s'interpréter comme un budget de continuité.
Or le contexte dans lequel il intervient est résolument nouveau. La reprise
importante de l'emploi se traduit en effet par l'apparition de réelles
difficultés de recrutement dans certains secteurs, mais aussi par le maintien
d'une exclusion durable de l'emploi pour de trop nombreuses personnes.
Dans ce nouveau contexte, la commission des affaires sociales en a la ferme
conviction, la politique de formation professionnelle a un rôle important à
jouer.
Ainsi, il importe prioritairement d'adapter l'offre de formation au marché du
travail pour limiter les tensions que celui-ci connaît actuellement. En outre,
dans cette conjoncture plus favorable, une réelle formation des personnes les
plus éloignées de l'emploi, qu'elles soient jeunes ou moins jeunes, chômeurs ou
entrant pour la première fois dans la vie active, pourrait sans conteste
faciliter leur insertion durable dans le monde professionnel.
Mais cette dynamique vertueuse tarde à se mettre en place, en raison de trois
obstacles principaux.
Premièrement, la reprise de l'emploi se fait parfois au détriment de la
formation. De nombreuses personnes préfèrent en effet refuser des offres de
formation ou arrêter des programmes en cours pour trouver directement un
emploi. Ces démarches, bien compréhensibles, risquent néanmoins de se révéler à
« courte vue » en cas de retournement de la conjoncture. La formation doit être
en effet un investissement de long terme.
Deuxièmement, l'effort global de la nation en faveur de la formation tend
aujourd'hui à marquer le pas. Les dépenses globales de formation ont, certes,
augmenté de 2 % en 1998, pour atteindre 143 milliards de francs, mais celles-ci
ne représentent plus que 1,67 % du PIB, en décroissance continue depuis
1993.
Troisièmement, la nécessaire réforme en profondeur de notre système de
formation professionnelle, sans cesse annoncée, est toujours reportée. Le
projet de loi de modernisation sociale, qui ne devrait pas pouvoir être adopté
avant la fin de l'année prochaine ouvre certes quelques pistes intéressantes
avec la réforme du financement de l'apprentissage et celle de la validation des
acquis de l'expérience, mais le projet de loi visant à instituer un droit
individuel à la formation tout au long de la vie reste dans les limbes. Seules
interviennent ponctuellement, de manière désordonnée mais avec une constance
remarquable, des mesures que j'avais qualifiées l'an passé de « malthusiennes
», avec la réduction des aides à l'alternance et des ponctions opérés sur les
fonds de la formation professionnelle, notamment.
Dans ces conditions, on ne peut que se féliciter de ce que les partenaires
sociaux aient pris l'initiative d'engager une négociation nationale afin de
réformer la formation professionnelle.
C'est donc dans ce contexte finalement en demi-teinte pour la formation qu'il
nous faut replacer le projet de budget que nous examinons aujourd'hui.
Or, face à ces enjeux importants, le projet de budget proposé est un énième
dispositif de transition avant une réforme dont la perspective se fait sans
cesse plus lointaine. Plus grave, les mesures que votre commission avait
dénoncées les années passées se retrouvent à nouveau dans ce projet de
budget.
Ainsi, les formations en alternance sont fragilisées, les actions de l'Etat en
faveur de la formation professionnelle manquent de cohérence d'ensemble et les
fonds de la formation professionnelle sont encore mis à contribution.
J'articulerai mon propos sur ces trois points.
Le poste le plus lourd du budget reste celui du financement des formations par
alternance. Les crédits consacrés à l'alternance s'élèvent à 13,1 milliards de
francs, en progression de 7 %.
Cette progression est cependant en trompe-l'oeil et ne peut laisser croire que
le Gouvernement fait du développement de l'alternance une réelle priorité.
L'apprentissage constitue quantitativement le principal volet des formations
en alternance ; près de 10 milliards de francs y seront consacrés en 2001. Je
rappelle que l'Etat assure un peu moins de la moitié du financement de
l'apprentissage, le reste relevant des entreprises, des régions, mais aussi des
crédits européens.
Le projet de budget est fondé sur la perspective de 230 000 entrées dans le
dispositif, soit un simple retour au niveau constaté en 1999. Mais il prévoit
surtout, dans son article 57, la suppression de la prime à l'embauche des
apprentis dans les entreprises de plus de vingt salariés, afin d'économiser 83
millions de francs.
Une telle décision ne fait que s'inscrire dans le prolongement des mesures
restrictives visant à limiter l'attractivité de l'apprentissage. Déjà, la loi
de finances pour 1999 avait opéré un « recentrage » des primes sur les jeunes
ayant les niveaux de qualification les plus faibles.
La commission des affaires sociales ne peut que déplorer ce nouveau mauvais
coup porté à la prime d'apprentissage. Il risque, en effet, d'amoindrir
considérablement l'attrait d'un dispositif pourtant très apprécié par les
entreprises concernées, qui recrutent près de 30 % des effectifs
d'apprentis.
La commission ne peut, bien évidemment, accepter une telle disposition, que
l'Assemblée nationale avait d'ailleurs elle-même initialement rejetée, avant de
l'accepter, légèrement modifiée, à l'occasion d'une seconde délibération
demandée par le Gouvernement. Elle vous proposera donc un amendement de
suppression de cet article.
S'agissant des autres formations en alternance, le projet de budget se révèle
tout aussi restrictif.
Or, après deux années de hausse sensible des entrées en alternance, l'année
1999 a été marquée par un net ralentissement des embauches pour le contrat de
qualification et par un recul sensible du contrat d'adaptation.
Le projet de budget risque d'accentuer cette tendance en prévoyant non
seulement une diminution de 2 000 personnes pour les entrées en contrat de
qualification, mais aussi et surtout la suppression de la prime des contrats de
qualification en faveur des jeunes, pour réaliser une économie de 152 millions
de francs.
La commission des affaires sociales estime qu'une telle mesure pourrait porter
un coup fatal à un dispositif utile, mais encore fragile. Les dernières études
sur le contrat de qualification montrent en effet que, après un démarrage
relativement lent, celui-ci atteint son régime de croisière, avec 118 000
jeunes embauchés en 1999. Elles soulignent également que ces contrats
permettent d'assurer non seulement une formation aux jeunes les plus en
difficulté, mais aussi une qualification reconnue et une insertion durable dans
le monde du travail.
Aussi, je persiste à croire que ce serait une erreur grave que de vouloir
s'entêter dans la voie initialement envisagée.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis.
J'en viens maintenant aux « autres actions de
formation à la charge de l'Etat », qui constituent le second volet de ce projet
de budget.
Ces actions sont très diverses, mais témoignent, en définitive, d'un pilotage
à très court terme des crédits de la formation professionnelle, sans réel souci
de cohérence d'ensemble ou d'anticipation.
Je prendrai quatre exemples.
Premier exemple, le programme national de formation professionnelle, qui a
pour vocation de mettre en oeuvre diverses mesures en faveur des publics les
plus en difficulté - illettrés, détenus, réfugiés - mais aussi d'assurer la
formation des militants syndicaux ou de subventionner certains organismes de
formation. Au total, 1,3 milliard de francs y seront consacrés en 2001, soit
une augmentation de 3,7 %.
J'insiste sur la nature pour le moins diversifiée de ce programme. Sa
cohérence est loin d'être évidente. Aussi, je ne peux que souhaiter que le
débat budgétaire puisse être chaque année l'occasion d'un réel examen de ce
programme et d'une définition concertée de ses priorités.
Deuxième exemple, la politique contractuelle de formation des salariés. C'est
un dispositif très intéressant, bien intégré dans le dialogue social, qui vise
à anticiper les besoins de compétences et à développer l'effort de formation
continue des entreprises. Or, malgré tout son intérêt, les crédits inscrits au
titre de ce dispositif diminuent de 15 %. Le Gouvernement donne ici, une fois
encore, la preuve du peu de cas qu'il fait du dialogue social.
Troisième exemple, le financement de l'allocation formation reclassement,
l'AFR. Je vous rappelle que l'Etat verse chaque année à l'UNEDIC une
contribution destinée à prendre en charge une partie de l'AFR, 41 %
précisément, afin de participer à la rémunération des demandeurs d'emploi
entrant en formation. En 1999, 180 000 chômeurs en ont ainsi bénéficié.
En 2001, la participation de l'Etat diminuera de 1 milliard de francs, pour
atteindre 1,5 milliard de francs, l'Etat anticipant la suppression à compter du
1er juillet 2001 de la contribution prévue par la nouvelle convention
UNEDIC.
Il reste que, à partir de cette date, la nature de la participation de l'Etat
au financement de la formation des chômeurs n'est ni définie ni budgétisée. Il
semble bien qu'il faille voir là l'amorce d'un désengagement de l'Etat au
regard d'une responsabilité qui lui appartient pourtant directement au titre de
la solidarité nationale. C'est regrettable.
Dernier et quatrième exemple, l'Association nationale pour la formation
professionnelle des adultes, l'AFPA. La subvention de fonctionnement de l'Etat
augmentera de 4,2 % en 2001, pour atteindre 4,5 milliards de francs. Cette
augmentation s'inscrit dans le cadre du contrat de progrès 1999-2003, qui
prévoit notamment, un recentrage de l'AFPA au bénéfice des personnes les plus
en difficulté.
L'exécution du contrat de progrès apparaît aujourd'hui satisfaisante, même si
l'on peut parfois constater un très léger décrochage par rapport aux objectifs
fixés.
Cependant, l'AFPA est maintenant confrontée à un nouveau contexte, caractérisé
par la reprise de l'emploi et par la nouvelle convention UNEDIC. Il va lui
falloir s'adapter de nouveau.
Il est donc nécessaire de réviser le contrat de progrès, pour partie caduc,
afin de prendre en compte ces deux évolutions. Ce serait aussi l'occasion de
réfléchir à une meilleure décentralisation de l'Association, décentralisation
qui reste encore le parent pauvre de la réforme de l'AFPA. Il serait ainsi
utile d'étudier « une réorganisation territoriale de l'AFPA en agences
régionales placées sous la responsabilité des régions », comme le proposait
récemment la mission commune d'information du Sénat sur la décentralisation.
Je souhaiterais enfin revenir sur l'importante question des prélèvements
opérés par l'Etat sur les fonds de la formation professionnelle.
De 1996 à 2000, plus de 4 milliards de francs auront été prélevés sur les
fonds disponibles en matière de formation, qu'il s'agisse des fonds finançant
l'alternance ou des fonds finançant le congé individuel de formation ou le
capital de temps de formation.
Le projet de budget pour 2001 se situe, sur ce point, dans la continuité de
ses prédécesseurs. Un nouveau prélèvement de 150 millions de francs est en
effet prévu sur les disponibilités du comité paritaire du congé individuel de
formation, le COPACIF, fonds national habilité à recueillir les excédents
financiers des organismes collecteurs paritaires agréés, les OCPA, au titre du
congé individuel de formation et du capital de temps de formation.
Cette année, cependant, un tel prélèvement n'a pas à être autorisé par une
disposition législative spécifique, car la loi de finances pour 2000 a prévu,
en son article 131, que les excédents du COPACIF peuvent « exceptionnellement
concourir aux actions de l'Etat en matière de formation professionnelle ».
En ce domaine, l'exception est devenue la règle. Je le regrette très vivement,
d'autant plus vivement que les conséquences de ces prélèvements successifs sont
graves pour le développement de la formation professionnelle que prétend
vouloir favoriser le Gouvernement.
Ainsi, la situation financière de l'association de gestion du fonds des
formations en alternance, l'AGEFAL, et du COPACIF est très préoccupante. Selon
les dernières projections, leurs trésoreries devraient être nulles, voire
déficitaires à la fin de l'année 2001.
Dans ces conditions, il est à craindre que les flux d'entrées en formation par
alternance ne se restreignent, car les OCPA ne seront plus en mesure de
garantir leur financement, compte tenu de la situation de trésorerie de
l'AGEFAL, qui est chargée de la mutualisation des fonds de l'alternance.
Il en va de même pour le congé individuel de formation. A l'heure actuelle,
seule la moitié des demandes, soit 30 000 environ, peut être effectivement
financée. Les prélèvements opérés sur le COPACIF ne font alors qu'amplifier
cette contrainte. En 2000, 5 000 demandes ne pourront être satisfaites à cause
de la ponction de 500 millions de francs sur les excédents du COPACIF. En 2001,
ce seront encore 1 500 demandes supplémentaires qui ne pourront aboutir.
Ainsi, au moment où le Gouvernement clame haut et fort son souci de mettre en
place un droit individuel à la formation tout au long de la vie, sa politique
strictement comptable de la formation professionnelle se résume en réalité à
l'érection de nouveaux obstacles au développement du congé individuel de
formation.
M. le président.
Il vous faut conclure, madame le rapporteur pour avis !
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis.
Au total, l'examen des crédits montre bien que la
formation professionnelle n'est pas réellement une priorité du Gouvernement :
les réformes sont retardées ; les aides en faveur du développement de
l'alternance sont supprimées ; les fonds de la formation professionnelle sont
siphonnés.
Aussi, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable à
l'adoption des crédits relatifs à la formation professionnelle. Elle vous
proposera également d'adopter un amendement de suppression de l'article 57 qui
leur est rattaché.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 20 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des
présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix
minutes, temps que je vous invite à respecter rigoureusement, mes chers
collègues.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum
pour quarante minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je ne
reviendrai pas sur les observations et sur les analyses pertinentes de nos
excellents rapporteurs. Comme eux, je constate l'illisibilité des coûts de la
politique de l'emploi menée aujourd'hui par le Gouvernement, alors que je
croyais qu'il avait fait de la transparence un de ses mots d'ordre.
La réduction du temps de travail est présentée par le Gouvernement lui-même
comme sa principale mesure en faveur de l'emploi. Or son coût n'apparaît pas
dans le budget de l'Etat. Pourquoi une débudgétisation de dotations aussi
considérable ?
A cette illisibilité des coûts s'ajoute un grand flou.
Il suffit d'avoir entendu ces dernières semaines les déclarations quelque peu
divergentes du Gouvernement pour comprendre sa difficulté à dessiner les
contours d'une politique de l'emploi.
Les choses, bien entendu, ne sont jamais simples, ni les solutions assurées.
Il faut toutefois sortir de l'attentisme et prendre des décisions.
Or le Gouvernement semble moins à l'aise aujourd'hui avec ses deux dispositifs
phares que sont les 35 heures et les emplois-jeunes qu'il ne l'a été hier.
En 1997, il fallait coûte que coûte faire réduire le chômage, créer des
emplois, tenir des promesses quelque peu intenables.
L'urgence était telle que quiconque s'interrogeait sur les moyens préconisés
avait nécessairement tort. S'opposer aux 35 heures ou aux emplois-jeunes aurait
été une erreur. S'interroger, comme l'a fait la majorité sénatoriale, sur la
méthode utilisée était en revanche, et dans les deux cas, faire preuve d'esprit
de responsabilité.
Le pays gagnerait beaucoup, madame le ministre, à ce que votre gouvernement
dise la vérité aux Françaises et aux Français. Les 35 heures et les
emplois-jeunes ont contribué à la baisse du chômage, c'est un fait.
M. Claude Estier.
Quand même !
M. Alain Gournac.
Mais, de grâce, présentez-les comme ils doivent l'être ! Donnez-les pour ce
qu'ils sont, à savoir une simple contribution à cette baisse du chômage.
Que les Français sachent que le facteur déterminant, le facteur qui joue le
rôle essentiel dans cette baisse du chômage, c'est le retour de la
croissance.
M. Jean Delaneau.
Eh oui !
M. Alain Gournac.
Nos éminents collègues l'ont rappelé avec force dans leurs excellents rapports
: avec un taux de chômage de 9,5 % de la population active, la France se
rapproche du taux de chômage de la zone euro, qui était de 9 % en septembre
dernier.
A moins de vouloir faire croire à nos concitoyens que nos 35 heures et nos
emplois-jeunes sont à l'origine également des performances de nos voisins
européens, je ne vois pas comment on pourrait continuer à aller chercher des
explications là où elles ne se trouvent pas !
Près de 500 000 emplois ont été créés en un an entre le 1er septembre 1999 et
le 30 septembre 2000. C'est, de toute évidence, au fort développement
économique que nous devons ces milliers de créations d'emplois.
Ces deux dispositifs - les 35 heures et les emplois-jeunes - se concevaient
hier, lorsque l'offre de travail était insuffisante. Il aurait fallu toutefois
les concevoir mieux, c'est-à-dire avec souplesse pour les 35 heures et prudence
pour les emplois-jeunes.
Si votre gouvernement, madame le ministre, avait écouté la majorité
sénatoriale, il ne se trouverait pas aujourd'hui en porte-à-faux avec ces deux
dispositifs.
Le contexte a, en effet, changé...
M. Guy Fischer.
Ah, ça !
M. Alain Gournac.
... et les tensions, comme l'a rappelé le rapporteur de notre commission des
affaires sociales, Louis Souvet,...
M. Gérard Delfau.
Un peu de modestie !
M. Alain Gournac.
... concernent aujourd'hui davantage la demande de travail : 79 % des
entreprises de moins de vingt salariés éprouvent des difficultés de recrutement
de main-d'oeuvre qualifiée ; on est au-dessus de 85 % pour les autres
entreprises.
M. Jean-Claude Carle.
C'est tout à fait exact !
M. Alain Gournac.
Ces difficultés touchent désormais tous les secteurs, c'est-à-dire non
seulement les professions traditionnellement concernées, à savoir le bâtiment
et les travaux publics, la restauration, la métallurgie, mais également les
secteurs de l'agroalimentaire, du commerce, de l'informatique, de la chimie, de
l'habillement, du textile, de l'immobilier, et je pourrais continuer
l'énumération.
M. Gérard Delfau.
Pas trop tout de même !
M. Alain Gournac.
Tous les secteurs souffrent plus ou moins du manque de personnel compétent.
M. Guy Fischer.
Parce que vous aviez taillé dans le vif !
M. Alain Gournac.
Qu'après des années de récession économique nos entreprises aient du mal à
recruter des secrétaires et des technico-commerciaux n'est pas très glorieux.
Est-il acceptable qu'elles aient du mal à étoffer leurs forces de vente face à
la concurrence ?
Même les bassins d'emploi où le niveau de chômage reste élevé connaissent des
pénuries de main-d'oeuvre.
Les causes sont bien entendu multiples, depuis l'inadaptation du système de
formation jusqu'à la croissance des nouveaux métiers, en passant par la
mobilité transfrontalière.
Devant ces difficultés, il serait temps de mettre en place une politique pour
l'emploi ambitieuse.
Il est tout d'abord impératif d'abaisser le coût du travail. C'est une
nécessité pour les entreprises, pour la défense de leur compétitivité. C'est
aussi, madame le ministre, une recommandation de la Commission européenne.
M. Guy Fischer.
Toujours plus !
M. Alain Gournac.
Il faut lever l'obstacle à la poursuite de la croissance que constitue, pour
les entreprises, la limitation du recours aux heures supplémentaires mise en
place par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction du temps de
travail. Nous y reviendrons plus longuement lors d'une prochaine discussion.
Il faut également relancer la formation professionnelle en insistant sur les
métiers touchés par la pénurie de main-d'oeuvre.
Il faut généraliser le tutorat afin que les salariés en retraite ou en
préretraite à cinquante-six ans et demi puissent transmettre aux plus jeunes
leur savoir et les leçons de leur expérience.
M. Jean-Claude Carle.
C'est vrai !
M. Alain Gournac.
Il faut mettre en place un programme ambitieux d'aide à la création et à la
reprise d'entreprises. Leur transmission est un problème crucial pour le
devenir de notre tissu économique.
M. André Jourdain.
Très juste !
M. Alain Gournac.
Il faut également favoriser la professionnalisation des jeunes, notamment de
ceux qui sortent, ou, plus exactement, qui sont appelés à sortir du programme
emplois-jeunes.
Ce programme est le deuxième dispositif phare du Gouvernement. Il a rencontré
un succès incontestable auprès de nos jeunes, mais l'objectif de 350 000 jeunes
n'est pas encore atteint.
M. Jean-Claude Carle.
Il s'agissait de 700 000 jeunes !
M. Alain Gournac.
A ce jour, en effet, seuls 240 000 jeunes sont effectivement en poste.
M. Jean-Claude Carle.
C'est vrai !
M. Alain Gournac.
Le Gouvernement nous annonce cependant que l'objectif serait atteint à la fin
de 2001.
Compte tenu de l'aide forfaitaire de l'Etat de 98 043 francs par an et par
poste et de l'enveloppe de 22 milliards de francs inscrite au budget pour 2001,
votre objectif est, en réalité, inférieur à 300 000 jeunes.
Comme vous l'avez reconnu devant notre commission des affaires sociales,
madame le ministre, le nombre de 350 000 correspond au nombre des jeunes passés
par le dispositif. Il ne s'agit pas d'un nombre de postes effectivement pourvus
!
Les objectifs fixés par le Gouvernement ne seront donc pas atteints à la fin
de 2001, ce qui n'enlève rien aux mérites de ce programme.
M. Claude Estier.
Ah ! Tout de même !
M. Jean Chérioux.
Voilà qui prouve que M. Gournac est objectif !
M. Alain Gournac.
Oui, les jeunes sont généralement satisfaits.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Ils le disent !
M. Alain Gournac.
Ils le sont, madame le ministre, mais ils aimeraient une satisfaction durable,
et je les comprends. Nous les comprenons tous ici !
Or, s'agissant de leur avenir, ils sont très inquiets. Et ils ont tout lieu de
l'être ! En effet, leur contrat est un contrat de cinq ans non renouvelable.
Ils sont inquiets, mais nous le sommes tout autant car nous savons que le taux
de sortie du dispositif et faible : 16,2 % en moyenne, hors éducation nationale
et police nationale.
Si l'effet quantitatif de ce programme est indéniable, l'imprévoyance du
Gouvernement l'est aussi. Pourtant, ce n'est pas faute de l'avoir mis en garde
! La majorité sénatoriale avait, lors de l'examen du projet de loi, souligné
les écueils d'une réflexion enfermée, emmurée dans le quantitatif. Elle avait
mis le doigt sur l'absence de réelle formation, sur les insuffisances du cadre
juridique...
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Alain Gournac.
... sur le caractère surprenant, voire saugrenu, de certaines activités.
En 1999, M. Louis Souvet, rapporteur pour avis, s'était déjà inquiété, lors de
l'examen des crédits du budget pour 2000, du manque d'intérêt du Gouvernement
pour ces questions fort préoccupantes.
Le disposition phare de votre politique de l'emploi exprime une évidente
générosité dans laquelle nous nous reconnaissons également, mais elle trahit,
tout comme votre loi relative aux 35 heures, la méfiance du Gouvernement à
l'égard du monde de l'entreprise.
Au fond, vous avez quelque réticence idéologique à admettre que les
entreprises sont les forces vives de l'économie d'un pays et que c'est d'elles
et de leur bonne santé qu'il faut attendre des améliorations significatives en
matière d'emploi.
La baisse actuelle du chômage est de nature conjoncturelle. La croissance
permet des créations d'emplois jusqu'au seuil de 8 % de chômage, mais notre
pays a besoin de réformes profondes pour pouvoir faire baisser le niveau du
chômage structurel.
Je ferme la parenthèse et je reviens sur le bilan des emplois-jeunes. Il ne
pourra, bien entendu, être définitivement établi qu'à la fin du programme, mais
ce n'est pas être rabat-joie que de constater que la voie est étroite pour
réussir la sortie avec succès.
Avec succès, c'est-à-dire en tenant dans une main ferme les deux exigences
suivantes : d'une part, assurer l'avenir professionnel des jeunes entrés dans
le dispositif au-delà de la fin de leur contrat sans pour autant défavoriser
les nouvelles générations entrant sur le marché du travail et, d'autre part,
maîtriser la charge budgétaire. Or le coût de celle-ci est élevé.
Notre commission des affaires sociales, reprenant un souhait légitime, a
demandé une évaluation par le CODEF, le comité départemental de la formation
professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi.
J'ai beaucoup parlé de passerelles, madame le ministre, mais vous ne m'avez
pas entendu. Nous devons revenir sur le multisalariat, sur l'approche avec les
fédérations professionnelles...
M. le président.
Monsieur Gournac, il faut conclure !
M. Alain Gournac.
Je conclus, monsieur le président.
Je vous rappelle, madame le ministre, que le Gouvernement n'a pas souhaité
inscrire à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale la proposition
de loi de notre collègue André Jourdain, ici présent.
Notre commission suggérait aussi l'étude d'un système de prime dégressive à
l'embauche des emplois-jeunes par les entreprises.
Ces propositions, madame le ministre, sont des propositions constructives, qui
témoignent du souci du Sénat, d'une manière générale, pour l'emploi des jeunes
et, d'une manière plus particulière, pour le devenir des emplois-jeunes.
Il faut une politique de l'emploi ambitieuse si nous voulons désormais nous
attaquer au chômage structurel. A la lecture de votre budget, je ne vois pas la
volonté du Gouvernement de s'y attaquer. C'est pourquoi, partageant les
analyses et les observations de nos rapporteurs, je ne peux voter les crédits
consacrés au travail et à l'emploi dans le projet de budget pour 2001.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier.
On avait compris !
M. le président.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je
concentrerai mon intervention sur la formation professionnelle, et plus
particulièrement sur l'apprentissage : je voudrais témoigner ici pour une voie
de formation encore injustement traitée dans notre pays.
Première réflexion : la situation de l'apprentissage est dévalorisée.
L'apprentissage a longtemps été une voie de formation dénigrée, voire
méprisée. Elle reste aujourd'hui dévalorisée. Le simple refus, par les
transports scolaires, de véhiculer les jeunes en apprentissage témoigne de ce
statut dévalué.
La comparaison avec l'enseignement professionnel est tout à fait révélatrice.
On compte 804 000 élèves en lycée professionnel contre 363 000 apprentis, soit
plus du double. Les sommes consacrées divergent également fortement. Les
crédits de l'enseignement professionnel s'élèveront à plus de 40 milliards de
francs en 2001. La dotation de l'Etat pour l'apprentissage sera, quant à elle,
de 10 milliards de francs, soit quatre fois moins. L'ensemble des sommes
consacrées à l'apprentissage par l'Etat, par les régions et par le fonds
spécial atteint 15 milliards de francs, soit moins de 40 % des crédits
consacrés à l'enseignement professionnel.
Autre constat : les difficultés de l'emploi ont conduit à relancer
l'apprentissage.
La crise économique et la montée du chômage ont cependant montré les limites
d'un système éducatif trop monolithique, souvent coupé des réalités du monde du
travail, hélas ! Ces limites se traduisent aujourd'hui par la coexistence
paradoxale d'un taux de chômage encore élevé et de pénuries de main-d'oeuvre
croissantes.
On a ainsi redécouvert les vertus de l'apprentissage. Cette voie de formation
épouse les besoins de l'économie. Elle permet d'adapter parfaitement l'offre à
la demande d'emplois. Elle va directement à la racine de l'emploi : c'est
chaque entreprise, en fonction de son métier et de ses besoins, qui forme le
jeune à l'emploi et lui transmet son savoir-faire. Cette méthode permet de
répondre à une demande que l'enseignement professionnel, déconnecté du monde de
l'entreprise, n'est pas capable de satisfaire.
Les chambres de métiers ont ainsi créé 1,2 million d'emplois en dix ans,
tandis que la grande industrie supprimait dans le même temps 800 000 postes.
Je reviens d'un stage très enrichissant que j'ai effectué, à votre demande,
monsieur le président, à la chambre de métiers de Meurthe-et-Moselle à la fin
du mois d'octobre dernier. Je tiens d'abord à témoigner, ici, du savoir-faire,
du dévouement et de la qualité remarquable des actions menées par les chambres
de métiers, qui sont pourtant injustement ignorées et délaissées.
Pour faire face à cette situation, nous avons pris depuis 1986 des mesures
incitatives pour relancer l'apprentissage.
Le résultat ne s'est pas fait attendre : on comptait 363 000 jeunes en
apprentissage au mois de septembre 1998, contre 220 000 en 1992, soit une
croissance de près de 70 % en six ans. Cette envolée s'est, en outre,
accompagnée d'une revalorisation notable de l'image de cette filière.
Mais cette évolution est récente et reste encore très fragile. Les effectifs
d'apprentis atteignent à peine le quart des effectifs étudiants, alors qu'en
Allemagne on comptait 1,5 million d'apprentis en 1990 : 45 % des dix-sept -
dix-huit ans suivaient cette filière, contre 38 % celle de l'enseignement
général. L'effort doit donc être poursuivi et approfondi.
Autre réflexion, le Gouvernement ne va guère dans ce sens et fragilise
l'apprentissage.
Sa politique de l'apprentissage est marquée, depuis trois ans, par un relatif
désengagement financier et par une action à courte vue, sans perspective.
Depuis trois ans, le nombre de nouveaux contrats d'apprentissage financés
diminue. Il est passé de 240 000 en 1998 à 230 000 en 1999, soit une baisse de
4,2 %. Il a été ramené à 220 000 cette année, soit à nouveau une baisse de plus
de 4 %.
Il augmentera l'année prochaine, mais de 10 000 seulement. En fait, il revient
simplement au niveau de 1999. Roger Fauroux, lorsqu'il présidait la commission
de réflexion sur l'école, estimait qu'il « fallait parvenir à un million
d'apprentis d'ici à l'an 2000 ». On est encore bien loin du compte !
Voilà deux ans, la loi de finances pour 1999 a réservé le paiement de la prime
à l'embauche aux seuls apprentis détenant un faible niveau de qualification.
Cette mesure nuit doublement à l'apprentissage : elle en réduit l'attrait pour
les entreprises et, en le concentrant sur les formations de faible niveau, elle
porte par définition atteinte à son image.
Enfin, cette année, le Gouvernement s'en prend une nouvelle fois à
l'apprentissage, en réservant l'aide à l'embauche aux employeurs occupant au
plus dix salariés et en la supprimant pour les jeunes recrutés en contrat de
qualification.
Le Gouvernement justifie cette mesure, inscrite à l'article 57 du projet de
loi, par la baisse du chômage des jeunes. Mais cette diminution, dont je me
réjouis par ailleurs, ne signifie en rien que les besoins de formation
diminuent : l'apparition d'une pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs
en témoigne amplement.
Le Gouvernement n'a pas de politique de l'apprentissage. Il navigue à courte
vue, il supprime telle aide par-ci, il en diminue telle autre par-là, au gré de
la conjoncture économique et de l'emploi.
Or, il faut le savoir, l'Etat ne finance que la moitié des sommes consacrées à
l'apprentissage. En effet, les régions et les entreprises contribuent pour plus
de 8 milliards de francs à son financement. Or, que fait le Gouvernement ? Il
alourdit encore leur contribution avec le passage aux 35 heures !
Les régions vont devoir débourser chacune plusieurs millions de francs pour
financer la réduction du temps de travail dans les centres de formation
d'apprentis, les CFA. Ce transfert de charges - permettez-moi de vous le dire
respectueusement, madame le ministre - est inadmissible.
Quant aux entreprises, elles vont devoir payer des heures supplémentaires aux
apprentis, et cela me conduit à formuler ma dernière réflexion.
Le Gouvernement a fait le choix idéologique d'un apprentissage
a minima.
Il préfère privilégier, encore et toujours, l'enseignement
professionnel.
Les mesures récentes en témoignent. Un ministère délégué à l'enseignement a
été créé en début d'année. Une réforme importante vient d'être mise en place et
des moyens supplémentaires importants ont été débloqués : 2 485 emplois
nouveaux de professeurs en lycées professionnels sont créés ; plus de 500
millions de francs supplémentaires viendront financer les innovations
pédagogiques et revaloriser le traitement des professeurs.
Dans le même temps, rien - je dis bien « rien » - n'est fait pour améliorer la
compensation du coût du temps passé par le maître d'apprentissage à la
formation de l'apprenti.
Avec une telle politique, vous ne viendrez à bout ni des pénuries de
main-d'oeuvre ni du chômage des jeunes. Il est temps de faire de
l'apprentissage une voie de formation à part entière.
M. Jean-Claude Carle.
Très bien !
M. Jean Boyer.
Cela passe : premièrement, par la poursuite de la revalorisation culturelle de
l'apprentissage ; deuxièmement, par une meilleure information et orientation
des jeunes ; troisièmement, par l'aménagement de filières complètes permettant
d'atteindre des qualifications de haut niveau et par la multiplication des
passerelles - j'insiste sur ce point - entre les différentes formations ;
quatrièmement, par une meilleure compensation du temps passé par le maître
d'apprentissage à la formation de l'apprenti.
Puissiez-vous, madame le ministre - je vous le demande respectueusement -
mettre ces réformes en oeuvre !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec un peu
moins de 112 milliards de francs, le budget de l'emploi demeure l'un des trois
budgets prioritaires de la nation, et il faut souligner d'entrée de jeu que la
spectaculaire décrue du chômage n'a pas conduit le Gouvernement à baisser la
garde. C'est un choix politique que je veux porter au crédit de M. le Premier
ministre. En d'autres temps, d'autres chefs du gouvernement auraient agi
autrement.
Si, en masse, le budget demeure à peu près l'équivalent de celui de l'an
passé, l'affectation des sommes connaît, elle, de sensibles évolutions, et cela
est de bonne méthode. Il aurait été curieux que la forte croissance des offres
sur le marché du travail ne se traduise pas par une modification de
l'investissement public. Evidemment, ces redéploiements peuvent poser problème
et susciter des questions ; je les évoquerai chemin faisant.
Mais, avant d'entrer dans le détail, saluons votre politique de plein emploi
et vos succès sur le front du chômage, madame le ministre. C'est à partir de ce
constat que se développent mes interrogations, ou même mes inquiétudes.
Les moyens financiers attribués à vos services, à l'ANPE et à l'AFPA,
s'accroissent de façon significative, et c'est heureux, dans la mesure où la
mise en place des 35 heures a fortement mobilisé l'activité de votre
ministère.
Les services déconcentrés du travail ont particulièrement souffert d'une
gestion complexe et excessivement centralisée du dossier de l'aménagement et de
la réduction du temps de travail, l'ARTT, depuis deux ans.
J'espère que la marge budgétaire retrouvée, prolongeant l'effet positif de
votre arrivée, permettra aux directions départementales du travail de reprendre
souffle.
Je sais bien que les 35 heures vont encore mobiliser vos services l'an
prochain. Il faudrait pourtant, madame le ministre, permettez-moi de vous le
dire, qu'un coup de frein soit donné à la « culture de guichetier », à la
gestion par trop administrative du budget qui s'est développée dans les
services déconcentrés, sous la pression du chômage et en raison des
orientations nationales arrêtées depuis une quinzaine d'années.
Il faut retrouver l'esprit d'administration de « mission » qui fit les beaux
jours du ministère au début des années quatre-vingt, alors que fleurissaient
les initiatives décentralisées et que la mode était au développement endogène,
au développement local.
Sans naïveté, à partir de ma double expérience de maire et de président des
comités de bassin d'emploi pendant dix ans, permettez-moi de vous dire qu'il
est temps de revenir à une conception moins « macro » des politiques de
l'emploi.
Vous pourrez, pour cela, prendre appui sur l'ANPE, dont la mutation est
remarquable. Ce service public de l'emploi a su s'adapter, et il méritait bien
la confiance que lui a renouvelée Mme Aubry dans son bras de fer justifié avec
le MEDEF et la CFDT.
Je voudrais dire, au passage, que les partenaires sociaux ne peuvent prétendre
se substituer aux élus de la nation - à chacun son rôle ! - d'autant que leurs
divisions et la faiblesse de leur représentativité affaiblissent leur
légitimité.
En revanche, veillons, nous, Parlement, et veillez, vous, Gouvernement, à ne
pas corseter par la loi, le règlement et les circulaires une activité
économique qui échappe évidemment à des classifications rigides. A chacun son
rôle, en somme, dirai-je une nouvelle fois !
Plus concrètement, qu'en sera-t-il de la mission de l'ANPE dans le contrat de
retour à l'emploi appelé PARE - plan d'aide au retour à l'emploi - qui suscite
encore bien des inquiétudes ?
Permettez-moi à présent d'en venir à l'un des rares points noirs de votre
ministère : le fossé qui s'est creusé avec le corps des inspecteurs du
travail.
Ces derniers éprouvent un sentiment d'abandon. Ils s'estiment mal soutenus
dans leur mission de « magistrats du social », défavorisés dans le reprofilage
de leur carrière, et le conflit malheureux en cours avec l'un de leurs leaders
syndicaux achève de dégrader les relations.
J'avais, au printemps, vainement alerté Mme Aubry à ce sujet. Votre
nomination, madame la ministre, a déjà détendu l'atmosphère, et je sais que
vous faites tout pour restaurer un climat de dialogue. C'est nécessaire, car,
reconnaissons-le, la tâche des inspecteurs du travail est ingrate dans un
contexte de déréglementation du marché du travail et d'affaiblissement
syndical. Ils sont les contrepoids indispensables de la puissance publique et
les garants des droits des salariés face au vent du libéralisme économique. Ils
méritent notre aide.
Précisément, ne serait-il pas temps, en extrapolant ce sujet, de réexaminer la
question du temps partiel et de mieux encadrer les contrats à durée déterminée,
qui prolifèrent dans la grande distribution, essentiellement au détriment des
femmes ?
Voilà des firmes multinationales en position d'oligopole et qui en profitent
pour exploiter leur personnel ! Jusqu'ici, le taux élevé de chômage
décourageait de prendre des iniatives pour contrecarrer cette tendance, mais, à
présent, le moment n'est-il pas venu de faire quelque chose ?
J'ai dit que j'approuvais les redéploiements de crédits, et pourtant un choix
m'inquiète, celui qui consiste à baisser de presque 10 % le financement des
actions en faveur des publics en difficulté - chômeurs de plus de cinquante
ans, femmes seules, jeunes de moins de vingt-cinq ans.
Tous les élus locaux et toutes les assistantes sociales vous diront - vous le
savez, d'ailleurs ! - l'importance des contrats initiative-emploi, CIE,
emploi-solidarité, CES, ou emploi consolidé, CEC, sans oublier les stages dits
de « remobilisation ». Ils sont un outil irremplaçable de cohésion sociale.
Jusqu'ici, malgré la montée en puissance des 35 heures, leur financement avait
été préservé. Qu'en sera-t-il demain ?
Venons-en maintenant au sujet le plus délicat, celui du passage aux 35 heures
dans les entreprises de moins de vingt salariés en 2002. Je ferai mes
observations, là encore, à partir de mon expérience de maire et de président
d'une maison des entreprises fondée en 1986.
Le 1er janvier 2002 commence, pour ces TPE - il faut insister sur le « T » -,
c'est-à-dire les très petites entreprises, une période de transition durant
laquelle s'appliqueront diverses mesures alourdissant le coût du travail et
imposant sa réorganisation au sein d'une unité dépourvue de toute souplesse en
raison de sa petite taille. Certes, quelques entreprises ont sauté le pas, mais
la grande masse hésite.
Paradoxalement, la croissance économique aggrave la situation, en créant des
risques de pénurie de main-d'oeuvre - sans doute moins, d'ailleurs, qu'on ne le
dit, et que ne le disait, voilà quelques instants, l'un de nos collègues.
Les obstacles sont redoutables. Le chef d'entreprise - artisan, petit
commerçant, médecin - doit intégrer une diversité de paramètres qui
bouleversent l'équilibre de sa structure et de ses coûts de production. Quant
au personnel, en général peu enclin au changement, souvent dépourvu de culture
syndicale, peu familier avec la formation professionnelle continue, il voit
arriver cette échéance avec beaucoup d'appréhension.
Je n'en déduis pas, évidemment, qu'il faut interrompre l'application de la
loi, mais simplement qu'il est urgent de prendre les précautions nécessaires
pour franchir sans trop de mal ce cap.
S'agissant du contingent d'heures supplémentaires, du seuil d'obligation
d'embauche et du lien entre recrutement et obtention des aides, envisagez-vous
un régime assoupli pour les entreprises de moins de vingt salariés, ou pour
celles de moins de dix - la barre n'est pas aisée à placer, mais le seuil
psychologique existe en termes d'encadrement et de moyens financiers ?
Je voudrais souligner un point crucial : l'absence du syndicalisme à ce niveau
d'entreprises.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Eh oui !
M. Gérard Delfau.
Comment y suppléer dans le cadre de la négociation : par le recours au
mandataire syndical, en faisant appel au délégué du personnel ? Mais encore
faudrait-il qu'il existât.
Je suggère, pour ma part, que soit expérimentée une extension du délégué de
site, procédure créée par les lois Auroux et qui pourrait retrouver vie sous
forme d'un délégué de zone d'emploi, désigné par chaque organisation syndicale
volontaire et s'inscrivant dans l'actuelle mise en place des pays. La rencontre
entre la législation sur l'aménagement du territoire - la loi Voynet - et la
territorialisation de l'effort en faveur de l'emploi serait une bonne nouvelle
et représenterait une économie de moyens.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Delfau !
M. Gérard Delfau.
Une dernière interrogation, puisque le temps presse ! Le passage aux 35 heures
a une dimension technique nécessitant une pratique fine du code du travail.
Faute de pouvoir attendre que ces connaissances se généralisent au sein des
TPE, celles-ci ont besoin d'un professionnel, d'un spécialiste pour les
accompagner dans cette démarche, et pas seulement pour élaborer la méthode et
le calendrier de mise en oeuvre. Mais cela a un coût pour la collectivité.
J'aurais voulu parler encore de l'exceptionnelle réussite sur mon bassin
d'emploi du programme communautaire ADAPT, consacré à la mise en réseau de
jeunes chefs d'entreprise, copiloté par la direction départementale du travail
et la DATAR, animé par ma Maison des entreprises, avec l'appui du conseil
général, du conseil régional et de la chambre des métiers. Grâce à ce
programme, j'ai vu émerger une nouvelle génération de chefs d'entreprise, en
phase avec leur époque et capables d'échanges et d'entraide, à la façon des «
districts » italiens. C'est une avancée considérable sur un territoire dont le
taux de chômage est le double de la moyenne nationale.
Or l'on me dit que le programme qui lui succède, appelé « Equal », ne
permettra pas la poursuite de ce type d'initiative. Ce serait consternant !
J'aurais eu d'autres sujets à traiter. Je ne le puis dans le cadre de cette
discussion, mais nous trouverons d'autres occasions.
Il me reste, madame la ministre, à confirmer l'appui des sénateurs radicaux à
votre projet de budget, à vous renouveler leur confiance et à souhaiter un
grand succès au Gouvernement dans sa politique de plein emploi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant
d'aborder les principales lignes budgétaires du projet de budget pour 2001 du
ministère de l'emploi et de la solidarité, examinons le contexte social
actuel.
Le taux de chômage a significativement diminué, passant, en un an, de 11,1 % à
9,5 %. Le nombre de demandeurs d'emploi continue à baisser. Cette baisse touche
toutes les catégories, même les plus fragiles : les chômeurs de moins de
vingt-cinq ans, les RMIstes et les chômeurs de longue durée.
Mais pour quels emplois ? La moitié des salariés du secteur privé, soit
environ sept millions de personnes, perçoivent des salaires inférieurs à 1,3
SMIC ! L'emploi précaire explose : d'une année sur l'autre, on compte 103 000
postes d'intérim supplémentaires et 83 000 contrats à durée déterminée de
plus.
Les résultats pour l'emploi sont très contrastés : on continue à dépenser
beaucoup d'argent public pour aider à créer des emplois précaires, fragiles,
qui tirent vers le bas les salaires et la demande de qualification.
Il convient donc de mener, d'une manière renouvelée, une politique de retour
au plein emploi et de création de vrais emplois, et non de développer encore un
peu plus la précarité, comme nous y incite la majorité sénatoriale. Nous avons
le devoir de consolider la croissance et d'assurer une juste répartition de ses
effets.
C'est au regard de cette situation et des obligations qu'elle entraîne qu'il
faut, à mon sens, examiner le projet de budget.
Les crédits s'élèvent à 111,83 milliards de francs, soit une baisse de 1,9 %
par rapport à l'exercice 2000, en ne tenant pas compte des 85 milliards de
francs de crédits de compensation d'allégements de cotisations sociales
désormais pris en charge par le fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC.
Je comprends, madame la ministre, qu'en raison d'une croissance soutenue les
crédits d'accompagnement des restructurations économiques soient allégés à
hauteur de 1,5 milliard de francs. Mais, lorsque l'on entend le groupe
informatique Bull annoncer une « accélération » des restructurations, avec à la
clé un nouveau plan de suppression de 1 800 postes, on prend conscience de ce
que la croissance n'évite pas les licenciements massifs et on devine que
l'argent public sera de nouveau mis à contribution. J'admets que l'on escompte
réaliser des économies sur le financement des préretraites et des préretraites
progressives, à condition que la contribution des entreprises au financement du
retrait de l'activité soit accrue.
Je comprends le recentrage de la politique de l'emploi au profit des personnes
les plus éloignées du marché du travail, afin de faire bénéficier les chômeurs
de longue durée, les bénéficiaires des minima sociaux et les personnes
handicapées de dispositifs spécifiques. Je note d'ailleurs avec intérêt que les
crédits consacrés aux handicapés progressent de 4,6 %, ce qui devrait permettre
de créer 500 places supplémentaires en ateliers protégés et 1 500 en centres
d'aide par le travail.
Cependant, au-delà de la baisse programmée des crédits qui leur sont affectés
pour 2001, je m'interroge très fortement sur l'efficacité des dispositifs
existants, comme les CES, les CIE et les CEC.
C'est pourquoi je ne fais pas mienne l'idée de créer un dispositif semblable à
celui des emplois-jeunes à l'intention des adultes. Pourtant, il y a grand
besoin de dispositifs particuliers s'adressant à des publics particuliers qui
cumulent souvent plusieurs handicaps, qu'il s'agisse de difficultés
psychologiques ou de problèmes de formation, de santé, de logement, etc.
Plus le chômage recule, plus la situation des laissés-pour-compte de la
reprise devient insupportable. Mais les dispositifs existants me semblent
toujours frappés de la même tare, car la philosophie qui les sous-tend tient en
un slogan : a baisser le coût du travail.
Consacrer quelque 130 milliards de francs en 2001 - combien d'argent a été
dépensé depuis 1993, depuis que la précarité est subventionnée ? - aux
allégements des cotisations sociales pesant sur le travail ou aux contrats
d'aide à la création d'emplois non soumis aux normes du code du travail
représente un effort financier considérable, mais à qui profite-t-il ? Les
salariés ne reçoivent qu'une faible contrepartie, et les conséquences sur leur
vie sont lourdes !
Les exonérations de charges au bénéfice des entreprises incitent, en fait, ces
dernières à embaucher à temps partiel et à bas salaire. Comment, dans ces
conditions, peut-on continuer à regretter, comme le fait notre collègue M. le
rapporteur spécial de la commission des finances, « que l'incitation au travail
en France reste trop faible, et le coût du travail trop élevé », alors que les
interventions publiques au nom de l'emploi entraînent une baisse des charges
supportées par l'employeur, qu'il soit privé ou public ?
Comment peut-on continuer à soutenir - je cite toujours le même auteur - que «
ce phénomène, connu sous le nom de "trappe à inactivité", dissuade certaines
personnes de chercher du travail en raison de gains de revenus trop faibles,
voire nuls, par rapport aux montants des minima sociaux dont elles peuvent
bénéficier » ? Les chômeurs vont-il devoir remercier nos collègues de la droite
libérale de les mettre en garde contre le principal danger qui les guetterait,
à savoir celui de tomber dans une « trappe à inactivité » ? C'est étonnant, et
cela revient à ignorer la triste réalité.
En effet, travailler ne met pas automatiquement à l'abri de la pauvreté : en
France, 1,3 million de salariés se trouvaient ainsi, en 1996, en dessous du
seuil de pauvreté, selon les résultats d'une étude publiée ce mois-ci par
l'INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques. Il
s'agit là de la pauvreté laborieuse, des «
working poor
», notion
importée des Etats-Unis dans les années soixante-dix. Ce phénomène touche plus
tardivement la France, où ces salariés représentent 6 % de la population
active.
Ce seul pourcentage suffit à mettre à bas le mythe des chômeurs se contentant
de calculer leur intérêt pécuniaire et préférant rester « payés à ne rien faire
» plutôt que de retravailler pour un bas salaire. Le total des actifs vivant
au-dessous du seuil de pauvreté, en comptant les 515 000 chômeurs pauvres non
pris en compte par l'étude de l'INSEE, s'élève à 1 820 000. Avec les conjoints
et les enfants, ce sont 3,5 millions de personnes en France qui sont concernées
par la pauvreté laborieuse.
Ces actifs touchent des salaires inférieurs aux revenus d'assistance dont ils
pourraient bénéficier s'ils ne travaillaient pas. Une minorité seulement de la
population raisonne donc en fonction d'un gain immédiat.
La reprise d'un tel emploi à faible salaire, après une période de chômage ou
de RMI, s'explique aussi, outre l'apport d'un statut social lié au travail, par
le fait que le chômeur espère toujours qu'il débouchera sur un « vrai travail
», un emploi stable et normalement rémunéré.
Nous sommes loin, mes chers collègues, de cette provocation que constitue
l'information parue cette semaine dans la revue
Capital
, selon laquelle
Liliane Bettencourt, tête de liste des grandes fortunes, s'enrichit de quelque
4 millions de francs par heure : à la fin de mon intervention, cette personne
aura gagné 733 000 francs de plus !
M. Guy Fischer.
Eh oui !
M. Roland Muzeau.
En fait, sauf à vouloir les culpabiliser, le comportement des chômeurs face à
l'emploi ne peut être envisagé indépendamment de l'état du marché du travail et
de la nature des postes proposés. Nombre de jeunes n'ont jamais connu la
stabilité, enchaînant les « petits boulots » avec l'espoir qu'ils se
transforment en emploi fixe. Au lieu d'une « trappe à inactivité », ils se
rendent compte, avec le temps, qu'ils sont tombés dans une « trappe à précarité
». Très révoltés contre les pratiques des employeurs, certains décident parfois
de ne plus accepter de travail précaire, ne misant plus que sur d'hypothétiques
contrats à durée indéterminée, seuls susceptibles de leur apporter une
stabilité.
Je me félicite, madame la ministre, du renforcement des moyens de l'ANPE,
notamment en termes de postes d'inspecteur et de contrôleur du travail. Mais il
faudra faire plus encore. Cela permettra de s'attaquer aux abus mais ne réglera
pas le fond du problème. Plutôt que de contribuer au développement d'emplois ne
permettant pas à leurs titulaires de vivre, les pouvoirs publics doivent au
contraire pénaliser ou rendre illégal le recours massif à la précarité. Sinon,
l'objectif du plein emploi pourrait bien n'être qu'un miroir aux alouettes.
Il s'agit maintenant de mettre en oeuvre les priorités de la gauche plurielle
: pénaliser financièrement le recours aux emplois précaires, développer la
reconnaissance des droits des salariés, contrôler davantage l'utilisation des
dotations publiques aux entreprises et mettre en place des fonds décentralisés,
orientés en priorité vers le financement de la formation, de la création
d'emplois et des investissements dans les PME-PMI.
J'ai bien pris note, madame la ministre, de vos engagements relatifs à la
future loi de modernisation sociale et devant permettre le passage à un emploi
stable. Nous aurons donc l'occasion d'aborder de nouveau ce sujet.
J'ai également relevé que vous nous avez donné l'assurance que sera menée à
terme, dans le respect du calendrier prévu, la mise en oeuvre des 35 heures
pour tous les salariés, je m'en félicite.
Reste la question de l'avenir des emplois-jeunes : je suis de ceux qui
tiennent à ce que ce dispositif aboutisse à une réussite. Il a permis de
répondre à une forte attente des jeunes et doit donc être mené à son terme. A
chacun de ces jeunes, il s'agit de garantir un débouché professionnel qui ne
soit pas « hors norme » au regard du code du travail. Cela vaut pour l'Etat,
qui doit donner des signes forts.
Je terminerai mon intervention en évoquant la formation professionnelle, dont
l'importance est unanimement reconnue. Pourtant, le montant de la dotation au
financement de l'AFR, l'allocation de formation-reclassement, diminue, passant
de 2,5 milliards de francs à 1,5 milliard de francs. Est-ce une façon
d'anticiper l'application de la future convention relative à l'UNEDIC, que le
groupe communiste républicain et citoyen conteste et qui semble devoir être
agréée par le Gouvernement, malgré son caractère dangereux et pour le moins
ambigu ?
Cette convention, si elle prévoit d'importantes baisses de cotisations
patronales, ne permettra d'accroître que très peu la proportion de chômeurs
indemnisés et ne débouchera pas sur une amélioration du montant des
allocations. Je crains fort que nous ne demeurions enfermés dans la même
logique libérale, se fondant sur l'idée fallacieuse qu'un chômeur ne veut pas
retravailler et qu'il faut sans répit baisser le coût du travail. L'agrément ne
risque-t-il pas d'être compris par le MEDEF comme la validation de sa démarche
de « refondation sociale » ?
Il apparaît pourtant crucial d'élaborer des mesures reposant sur l'incitation
et la promotion plutôt que sur la contrainte et la sanction, des mesures
permettant d'assurer le retour à l'emploi en donnant à chacun le droit à la
formation tout au long de sa vie. Face à des pénuries de main-d'oeuvre se
manifestant dans certains secteurs comme l'informatique, le bâtiment et les
services, une formation qualifiante permettrait d'anticiper les besoins.
Faire progresser le montant des dotations à l'AFPA est une bonne chose ; nous
attendons néanmoins la réforme annoncée, qui tarde à venir. J'espère que cette
attente sera compensée par un renforcement des investissements de l'Etat et des
autres partenaires, les responsabilités de chacun étant clarifiées, afin que la
formation professionnelle corresponde aux besoins de l'économie nationale et
des salariés.
Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, sur le fondement des remarques
que je viens de faire, le groupe communiste républicain et citoyen rejettera
les amendements de la droite sénatoriale et s'abstiendra sur ce projet de
budget contrasté.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de
budget de l'emploi et du travail pour 2001 présente une originalité dont nous
ne pouvons que nous réjouir et qu'il s'agit de bien mesurer : il accompagne
l'emploi plutôt qu'il n'accompagne le chômage. Il faut mettre en perspective
cette évolution et les réponses spécifiques et nouvelles qu'elle appelle.
La décrue du chômage est due à plusieurs facteurs : la croissance, l'action
des dispositifs de lutte contre le chômage, une politique volontariste - que
symbolisent notamment les emplois-jeunes - et des réformes structurelles visant
le financement de la protection sociale, l'ensemble de ces paramètres étant
conjugué par le Gouvernement.
Parmi les dispositifs de cette politique qui met la croissance au service de
l'emploi, il faut citer les 35 heures. Je sais qu'il y a polémique sur ce
sujet, mais les résultats sont là sur le plan de la création d'emplois. Le
dialogue social a été relancé dans l'entreprise, ce qui a permis à ses acteurs
d'acquérir une meilleure connaissance mutuelle et de mettre en oeuvre une
réorganisation profonde et efficace.
Cette décrue du chômage, qui s'est déroulée de manière presque ininterrompue,
profite à tous les demandeurs d'emploi, qu'il s'agisse des chômeurs de longue
durée, des jeunes ou des femmes. Par ailleurs, en ce qui concerne les personnes
âgées de plus de cinquante-cinq ans, l'INSEE a constaté un arrêt de la baisse
d'activité.
Par la confiance qu'elle redonne aux ménages et par les ressources accrues
qu'elle procure à ceux qui sortent du chômage, cette amélioration de la
situation de l'emploi entretient la croissance.
Faut-il pour autant penser que nous sommes entrés dans un cercle vertueux ?
Soyons prudents : c'est la perspective qui a changé et qui semble indiquer que
nous allons vers le plein emploi.
Toutefois, nombre de nos concitoyens sont encore victimes du chômage ou ont
peur de le devenir. Cette angoisse touche leurs proches, ainsi que les
responsables politiques et socio-économiques, en particulier dans certains
bassins d'emplois. De fait, ce sont les personnes les plus en difficulté et les
plus fragiles qui ont le moins de chances de retrouver un emploi grâce à la
seule croissance. C'est le noyau dur du chômage qui apparaît maintenant, de
façon problématique.
Comment allons-nous nous y prendre pour nous attaquer à ce chômage-là ?
Chacun s'accorde à dire que les moyens de lutte de demain ne devront pas être
les mêmes que ceux d'hier. Il faut, pour aider les chômeurs les plus en
difficulté, prendre des mesures spécifiques d'accompagnement et d'insertion qui
soient appliquées de manière de plus en plus individualisée ; il faut aller
vers du « sur-mesure ». On peut, on doit réussir. En effet, les chances que les
dispositifs d'insertion puissent maintenant remplir leur fonction sont réelles
: le marché du travail est plus accueillant, ce qui est une condition
nécessaire mais non suffisante. Il existe même des pénuries de
main-d'oeuvre.
Ce budget doit permettre à chacun d'accéder aux emplois que créent l'économie
et de nouveaux besoins. Il s'agit, en fait, d'« accrocher » les victimes du
chômage à la croissance.
Si ce choix répond évidemment aux aspirations légitimes de nos concitoyens, je
suis convaincue qu'il représente davantage : c'est la condition grâce à
laquelle la croissance sera durable, parce qu'une économie solide au service de
la société se fonde non pas sur l'exclusion, mais sur la participation de tous
à la création des richesses, et ce avec un statut et dans des conditions de
travail sécurisées, avec des salaires décents et des compétences
professionnelles reconnues. J'y reviendrai.
Auparavant, je veux souligner que ce projet de budget comporte des
redéploiements révélateurs de cette volonté d'accompagner l'emploi plutôt que
le chômage.
La diminution de certaines dépenses nous est proposée. Ainsi, l'amélioration
de la situation permet de poursuivre la baisse des dotations accompagnant les
restructurations : nous voyons que le montant de l'aide publique au chômage
partiel, par exemple, passe à 150 millions de francs, alors qu'il était encore
de 686 millions en 1998.
Une baisse sensible des dotations apparaît également dans le domaine des
préretraites progressives, dont le dispositif avait été profondément remanié en
1997.
Des moyens accrus sont donc dégagés. Avant de les évoquer, je voudrais marquer
ma perplexité s'agissant du cas particulier des contrats emploi-solidarité, les
CES.
On constate en effet une réduction de la dotation affectée au financement des
CES, ce qui ne peut manquer de nous interpeller. Son montant régresse d'un peu
plus de 9 milliards de francs à 6,5 milliards de francs. Cette diminution a été
décidée parce que le nombre d'entrées prévues dans le dispositif est en
diminution.
Parallèlement, madame la ministre, vous avez la volonté de restreindre le
bénéfice de cette mesure aux publics qui en ont réellement besoin dans le cadre
de leur parcours d'insertion dans le monde du travail. Cela est d'ailleurs
conforme aux dispositions de 1998, qui exigent que, pour obtenir le
renouvellement des CES, les employeurs mettent en oeuvre un dispositif
d'accompagnement et de formation. Je souscris à cette démarche, qui tend à
mieux accompagner les publics concernés, mais cette diminution des dotations
inquiète les acteurs de l'insertion.
M. Gérard Delfau.
Oui !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Ils ne doivent pas se trouver dans l'embarras alors que l'on attend beaucoup
d'eux. En fait, nous sommes face à une transition dans ce dispositif. Madame la
ministre, pourriez-vous préciser comment vous entendez appréhender cette
transition ?
Dans ce projet de loi de finances, plusieurs mesures seront déterminantes pour
vaincre le noyau dur du chômage. Elles permettront de mener des actions plus
individualisées qui prendront en charge, dans la durée, le parcours de chaque
personne.
Les contrats emplois consolidés, les CEC, qui offrent une possibilité
d'insertion sur cinq ans, concernent 69 % des chômeurs de longue durée. C'est
le signe d'un resserrement sur les publics prioritaires. Il est bon que leur
dotation soit en hausse.
L'attention aux publics prioritaires se lit également dans les crédits
consacrés aux contrats initiative-emploi, les CIE. Ceux-ci sont stabilisés,
alors qu'ils étaient en baisse depuis 1998.
Dans le cadre du programme TRACE, le projet de budget pour 2001 prévoit un
effort important pour soutenir les missions locales et les permanences
d'accueil, d'information et d'orientation, les PAIO. Le programme TRACE,
institué par la loi de lutte contre les exclusions, est exemplaire par le
parcours individualisé qu'il met en oeuvre. Maintenons donc ce dispositif et
donnons-lui plus d'ampleur.
Concernant l'effort financier qui est fait pour les missions locales, auquel
je souscris, je voudrais souligner que ces missions ont besoin d'indications
stabilisées en ce qui concerne les dotations qu'elles attendent, en particulier
pour le FSE. Certaines ont en effet des difficultés à établir leur budget par
manque d'informations précises, et ce flou pèse sur la bonne mise en oeuvre de
leur activité.
Pour les emplois-jeunes, la dotation est en légère hausse. L'effort de
professionnalisation doit être renforcé. La question de la pérennisation lui
est étroitement liée et devient aiguë.
Madame la ministre, vous avez déjà été interpellée sur ce sujet ; vous avez
dressé un tableau de ceux qui sont déjà solvabilisés ou qui vont l'être. Mais
vous avez reconnu que des problèmes se posaient, notamment pour les jeunes qui
n'avaient pas le niveau bac + 3 et qui sont dans l'éducation nationale.
Avez-vous progressé dans la recherche d'une solution ?
Sur un autre plan, on peut noter l'effort qui est fait pour améliorer les
moyens en personnels du ministère de l'emploi. Les crédits sont en hausse de
8,4 %. Ils permettront une revalorisation indemnitaire et une régularisation
d'agents précaires, ce qui correspond à des objectifs plus généraux de la part
du Gouvernement. Des emplois sont créés, notamment d'inspecteur et de
contrôleur du travail. Cela montre que le Gouvernement est conscient des
besoins. Peut-être faut-il même aller plus loin !
La mise en oeuvre négociée de la réduction du temps de travail a débouché sur
de nouvelles conditions de travail, qui nécessitent une vigilance accrue. C'est
aussi le cas du travail de nuit, qu'il s'agisse de celui des hommes ou de celui
des femmes. Il faut que les salariés soient et se sachent protégés dans leurs
droits.
Parmi les efforts importants réalisés, soulignons l'augmentation de la
subvention à l'ANPE. Depuis 1997, elle aura progressé de 30 %. Ce sont 4,7
millions de demandeurs qui ont fréquenté l'agence cette année et 3,3 millions
d'offres d'emploi qui y ont transité, contre 700 000 il y a dix ans. Ces
chiffres révèlent un effort d'efficacité qui est payant, puisqu'il recueille la
confiance des entreprises.
L'effort en faveur de l'ANPE apparaît d'autant plus nécessaire que les
personnes qui ne parviennent pas à retrouver un emploi sont précisément celles
qui ont le plus besoin d'un accompagnement personnalisé et d'une formation.
Cela souligne l'intérêt des nouveaux liens avec l'AFPA dont ont bénéficié, en
1999, 96 500 chômeurs.
Je dirai maintenant quelques mots de la formation professionnelle. J'ai
conscience qu'il s'agit, dans ce domaine, d'un budget de transition. Pour
autant, on ne peut négliger aucune des dimensions de cette grande question.
Dans la perspective qui nous intéresse, pour pérenniser une croissance riche
en emplois, il est important de mettre en oeuvre l'ambition d'une formation
tout au long de la vie.
Je pense qu'il faut accentuer notre action en ce sens. Il le faut d'autant
plus que davantage de personnes auront besoin d'une prise en charge
individuelle plus longue et poussée plus loin dans l'entreprise. Nous espérons
qu'il en sera question dans le cadre de la future loi de modernisation sociale
! Il faudra permettre des cheminements et renforcer l'articulation des
différents mécanismes d'insertion dans le travail. Il le faut d'autant plus que
les évolutions rapides des technologies de l'information « casseront »
professionnellement ceux qui n'auront pas bénéficié de cette formation
continue.
Avec la croissance, d'une part, et un fort noyau dur du chômage, d'autre part,
il est par ailleurs important de maintenir les structures d'insertion. Elles
retrouvent leur rôle et elles permettent d'éviter l'écueil de l'enfermement sur
des publics en difficulté. Comme l'écrivait récemment Jean-Michel Belorgey, «
ce n'est pas le moment de lever le pied ». Il faut travailler sur les
situations particulières et mettre en place des itinéraires transitionnels.
Ainsi, les plans locaux d'insertion par l'économique constituent un apport
important dans cette démarche, en complément de ces structures d'insertion.
De plus, il paraît déterminant de développer significativement la gestion
prévisionnelle de l'emploi, notamment dans les petites et très petites
entreprises. Cela représente un véritable chantier.
Alors que la baisse du chômage se confirme, il faut, madame la ministre,
franchir une troisième étape : il s'agit de rendre le travail plus attractif, à
la fois plus valorisé et plus valorisant. Cela signifie concrètement préparer
une amélioration du pouvoir d'achat individuel et une sécurisation des
conditions de travail.
Il est important d'y penser dès maintenant, pour deux raisons essentielles. En
effet, la crise a imposé des sacrifices mettant les salariés en position de
faiblesse. Il serait malsain de pérenniser cette situation, alors même qu'il y
a des tensions sur le marché de l'emploi et que celles-ci peuvent se résoudre
par une amélioration des conditions de travail.
De plus, il faut porter loin la dynamique de la croissance. Cette dernière ne
doit pas être seulement encouragée pour elle-même ou pour développer les seuls
profits, mais elle doit l'être aussi en faveur des salariés, afin de leur
fournir du pouvoir d'achat individuel. Il faut ici souligner que la diminution
du chômage permet déjà une augmentation de la masse salariale, donc du pouvoir
d'achat collectif.
Qu'il faille agir pour développer l'attractivité du travail, même les
instances professionnelles en ont conscience. Si des secteurs tels que
l'hôtellerie-restauration ou le bâtiment se heurtent à des difficultés pour
trouver de la main-d'oeuvre, c'est parce que les salaires sont faibles pour des
horaires qui, eux, ne le sont pas, avec des conditions de travail
particulièrement pénibles.
Il faut, en particulier, lutter contre le travail précaire, encore trop
important. On constatait, en mars dernier, une augmentation de 11 % des
travailleurs précaires. Ils représentent 10 % de la population active.
Par ailleurs, le volume du travail intérimaire augmente, en particulier dans
la construction et dans le tertiaire.
Bien qu'il ne soit pas très important chez les cadres, on note là aussi une
augmentation de l'intérim. Ces progressions sont d'autant plus frappantes que,
comme le notait la direction de l'animation de la recherche, des études et des
statistiques, la DARES, les tensions sur le marché du travail, d'une part, la
souplesse introduite par de nombreux accords sur les 35 heures, d'autre part,
devraient concurrencer le recours au travail temporaire. Cette tendance semble,
en fait, correspondre à un processus d'externalisation sur lequel nous devons
nous interroger.
Pour y faire face, je crois qu'il est nécessaire d'avancer, et je rejoins sur
ce point notre collègue Gérard Delfau sur la notion du dialogue social organisé
par site.
En effet, dans un bassin d'emploi, ce sont les entreprises pilotes qui sont
privilégiées en termes de dialogue social et de syndicalisation. Sur ce plan,
les salariés des entreprises sous-traitantes ou les intérimaires sont des
laissés-pour-compte. Quelle est, madame la ministre, votre réflexion à ce sujet
?
M. Gérard Delfau.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Par ailleurs, il faut être vigilant pour que ne s'aggrave pas le phénomène des
travailleurs pauvres. On nous cite souvent les pays anglo-saxons comme modèles.
Mais, là-bas, à mesure que la courbe du chômage diminue, celle de la pauvreté
augmente. Il serait tragique que cette tendance se développe en France et gagne
toute l'Europe !
Fondamentalement, il faut veiller à mettre les travailleurs en situation de
faire valoir leurs droits. C'est un aspect important de l'accès à l'emploi.
M. le président.
Veuillez conclure, madame Dieulangard !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je conclus, monsieur le président.
L'amélioration des moyens de la médecine du travail doit participer de cette
politique globale. Toute cette politique doit tendre à s'insérer dans les
objectifs communautaires qui visent à améliorer qualitativement l'emploi. Nous
touchons au coeur de l'Agenda social européen, qui sera proposé sous l'égide de
la France, la semaine prochaine, au sommet européen de Nice.
La décrue du chômage est due, certes, à l'action du Gouvernement et à la
croissance. Au moins, sur ce dernier aspect, il y a unanimité. L'objectif du
Gouvernement est une croissance durable et riche en emplois.
Je crois que cette dernière résulte aussi de la qualité des emplois : il faut
des emplois stables, offrant un pouvoir d'achat suffisant, permettant
l'expression des salariés, faisant appel aux meilleures qualifications
possibles.
Madame la ministre, votre budget pour l'emploi fait cheminer notre pays vers
ces objectifs, et les sénateurs socialistes le soutiennent avec conviction.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, si l'on ne
peut que se féliciter de voir le budget de l'emploi en baisse de 1,9 % cette
année, on peut également regretter que cette diminution ne soit pas plus
importante. En effet, la croissance exceptionnelle que notre pays connaît
actuellement a permis à elle seule de réduire considérablement le chômage, ce
qui aurait dû, logiquement, vous conduire, madame le ministre, à réduire
fortement votre budget.
Malheureusement, vous n'avez cherché à diminuer que les financements les plus
justifiés, ceux de l'apprentissage et de la formation en alternance. En effet,
la suppression des aides à l'embauche pour les contrats de qualification est
totalement aberrante au regard du pourcentage du chômage des jeunes, hélas
encore très élevé en France. En outre, cette mesure va encore affaiblir une
filière déjà peu valorisée et accroître la pénurie de main-d'oeuvre dont
souffrent certains secteurs d'activité.
Permettez-moi de vous le dire, madame le ministre, je ne comprends pas votre
refus de donner un élan pourtant indispensable à ces filières
d'apprentissage.
De même, vous diminuez considérablement les crédits du comité paritaire du
congé individuel de formation, le COPACIF, destinés à financer le congé
individuel de formation, alors que ce type de formation constitue pour beaucoup
de salariés, notamment les autodidactes, le seul moyen de se reconvertir ou de
faire valider des acquis professionnels lorsqu'ils n'ont pas de diplômes.
Enfin, il serait grand temps de privilégier l'insertion professionnelle des
jeunes dans le secteur privé, car si le chômage diminue globalement, l'accès au
premier emploi pour les jeunes, y compris pour les plus diplômés, reste encore
difficile. Pourquoi ne pas mettre en place un contrat de première expérience
professionnelle pour ces jeunes, afin de lever les freins à leur embauche ?
M. Jean Delaneau.
Bonne idée !
M. André Jourdain.
Vous préférez privilégier les emplois-jeunes et les coûteuses 35 heures, deux
mesures à contre-courant de la croissance économique actuelle. Le coût de la
réduction du temps de travail, que vous avez cherché à dissimuler au sein du
FOREC, est en effet évalué à 85 milliards de francs et nous empêche à plus d'un
titre de profiter pleinement de cette conjoncture économique favorable.
En effet, en dehors de son coût, l'application de cette loi entraîne un nombre
considérable de problèmes d'organisation, et donc une perte de productivité
pour certaines entreprises. Nous voyons bien, sur le terrain, que ce texte
n'est pas adapté à la diversité des situations. En touchant aux horaires, vous
touchez toute l'organisation de l'entreprise, notamment celle qui repose sur
l'utilisation des machines, avec le système, par exemple, du travail par
poste.
En effet, sur un cas bien précis - il ne s'agit pas d'une objection théorique,
comme vous me l'avez reproché en commission des affaires sociales - je voudrais
vous donner un exemple des difficultés techniques en dehors des difficultés
financières, de l'application de la loi : une entreprise, que je connais très
bien, emploie vingt-cinq salariés. Passer aux 35 heures signifie perdre
vingt-cinq fois quatre heures, soit cent heures par semaine. Il faudrait
trouver trois salariés supplémentaires pour faire ces cent heures perdues !
Or cette entreprise n'arrive pas à trouver ces trois salariés et, même si elle
les trouvait, il lui serait impossible de les utiliser sur des postes liés aux
machines de fabrication car, par synergie, ces machines doivent obligatoirement
tourner en même temps. Alors, cette société envisage, contrainte et forcée, de
faire deux équipes avec des horaires décalés, mais combien d'heures l'unique
contremaître ou l'unique chef d'atelier sera-t-il obligé de faire ?
Cette loi a pour effet de renforcer les entreprises dont la taille permet
d'absorber les 35 heures, mais elle fragilise les PME moyennes qui n'ont pas
cette marge de manoeuvre. Pour celles-ci, la loi induit des rigidités
supplémentaires, et donc, à terme, des destructions d'emplois. Parallèlement,
elle creuse des inégalités en faisant apparaître deux catégories de salariés
selon qu'ils travaillent ou non dans des entreprises qui tirent profit de la
réduction du temps de travail.
De plus, l'application de la loi provoque des tensions salariales : les
entreprises ont du mal à maintenir la politique de modération salariale qui
devait accompagner la réduction du temps de travail. Cet exemple illustre bien
les conséquences des 35 heures : baisse de la productivité, pénurie de
main-d'oeuvre et augmentation du coût du travail constituent désormais le
cercle vicieux auquel sont confrontés des pans entiers de l'économie.
Vous comprendrez, dès lors, qu'un assouplissement de la loi est indispensable.
C'est d'ailleurs l'avis de M. Fabius. J'attends de connaître le vôtre sur cette
question !
Au lieu de cette loi relative aux 35 heures, pourquoi ne pas avoir privilégié
l'abaissement des charges, en particulier salariales ? Cela aurait permis une
augmentation des salaires nets sans coût supplémentaire pour les entreprises.
Les salariés souhaitaient et souhaitent toujours plus de salaire plutôt que
plus de temps libre.
J'aimerais maintenant vous rappeler la question que je vous avais posée en
commission des affaires sociales au sujet de ma proposition de loi, adoptée par
le Sénat, sur le multisalariat.
Cette proposition a pour objet de permettre aux salariés qui le désirent de
travailler à temps partagé dans plusieurs entreprises. Cette pratique existe
dans les faits. Elle présente de nombreux avantages, tant pour les salariés que
pour les employeurs : pour les premiers, il s'agit d'un rapport plus autonome
au monde du travail, auquel s'ajoute une répartition des risques de perte de
leur emploi ; pour les entreprises, le multisalariat offre un accès à des
compétences indispensables, mais qui ne justifient pas un emploi à temps
plein.
C'est donc à la fois un atout pour le développement des entreprises ainsi
qu'un important vivier d'emplois pour les salariés, à condition qu'ils ne
soient pas assimilés à un temps partiel multiple, forme totalement inadaptée à
leur statut.
Il convient donc aujourd'hui d'apporter une reconnaissance juridique à ces «
multisalariés » objet, je le souligne, de ma proposition de loi. C'est pourquoi
je souhaite connaître vos intentions en la matière, madame le ministre, et
savoir, notamment, si cette proposition de loi a une chance d'être inscrite à
l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Enfin, je me permets de vous rappeler une suggestion présentée par le groupe
de travail présidé par notre collègue Alain Gournac sur le bilan à mi-parcours
des emplois-jeunes et reprise par la commission des affaires sociales. Il
s'agirait de proposer à des jeunes dont on est certain que leurs emplois ne
seront pas pérennisés dans le secteur public de travailler en temps partagé et
en multisalariat, à la fois dans le secteur public où ils exercent actuellement
et dans le secteur privé.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. André Jourdain.
Cela permettrait d'assurer une bonne insertion professionnelle dans ce
secteur.
Ce que je vous propose, madame le ministre, s'inspire d'abord du terrain,
d'une ancienne expérience de président de comité pour l'emploi.
M. Gérard Delfau.
Excellente présidence !
M. le président.
Quel compliment !
M. Gérard Delfau.
Mérité !
M. André Jourdain.
Ma proposition émane aussi d'une conception qui en appelle à l'esprit
d'initiative et au sens des responsabilités, du côté aussi bien des employeurs
que des salariés, et qui s'oppose à la philosophie du « tout Etat » et de
l'assistance.
C'est pour cette raison, monsieur le président, madame le ministre, mes chers
collègues, que je ne voterai pas les crédits relatifs au budget du travail, de
l'emploi et de la formation.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Madame le ministre, le budget de l'emploi que vous nous présentez pour 2001
est en légère diminution. Rien de plus normal, si c'était vrai, puisque la
conjoncture va mieux. Malheureusement, c'est une fois de plus un trompe-l'oeil,
car ce budget ne tient pas compte du gouffre financier des 35 heures.
En réalité, loin de diminuer, ce budget augmente considérablement, si l'on
tient compte des sommes consacrées à la compensation du coût de la réduction du
temps de travail qui sont camouflées dans les « tuyauteries » monstrueuses du
FOREC.
Ces aides passent, d'une année sur l'autre, de 67 milliards de francs à 85
milliards de francs. Elles atteindront 105 milliards de francs en régime de
croisière.
Par ailleurs, les frais de structure de votre ministère continuent
d'augmenter, avec la création de 135 emplois supplémentaires après les 130
nouveaux de cette année.
Ce budget ne marque pas un tournant. Il s'inscrit, au contraire, dans la
continuité de l'inflation budgétaire des années antérieures : les dépenses
consacrées à l'emploi ont augmenté de plus de 50 % depuis cinq ans.
On se demande pour quel résultat, puisque l'amélioration de l'emploi n'est pas
la conséquence des dispositifs Aubry I et Aubry II, et ne sera sans doute pas
la conséquence des dispositifs de Mme Guigou : c'est la conséquence de la
croissance économique et du dynamisme de nos entreprises.
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Aussi !
M. Jean-Claude Carle.
Les entreprises ont d'autant plus de mérite que les contraintes qui pèsent sur
elles n'ont jamais été aussi fortes.
M. Guy Fischer.
On ne leur a jamais autant donné !
M. Roland Muzeau.
On ne leur a jamais fait autant de cadeaux !
M. Jean-Claude Carle.
L'OCDE et la Commission européenne ont pointé les graves problèmes structurels
qui continuent de se poser dans notre pays : la pression fiscale confiscatoire,
le poids exccessif de l'administration, la panne de la formation continue, les
ratés dans la lutte contre le chômage de longue durée, l'avenir incertain des
emplois-jeunes...
Or ce budget n'amorce aucune des réformes indispensables pour remédier à ces
maux. Il privilégie les dépenses courantes à l'investissement matériel ou
immatériel, comme c'est d'ailleurs le cas de cette loi de finances dont nous
débattons.
Vous ne profitez pas de l'amélioration de la conjoncture pour engager les
indispensables réformes de structure.
Vous augmentez encore et toujours ce qu'on appelle les « aides » à
l'emploi.
On connaît leur efficacité contre le chômage : en 1989, l'Etat y consacrait
environ 80 milliards de francs. En 1997, le rapport Novelli a évalué ces aides
à environ 150 milliards de francs. Entre-temps, le chômage avait augmenté de un
million de personnes ! Malgré cette inefficacité, vous avez continué sur cette
voie. Vos deux mesures phares montrent aujourd'hui leurs limites. Les
emplois-jeunes seront dans quelques mois la voie de garage que nous avons
dénoncée depuis l'origine. Les aides aux 35 heures compensent à peine
l'augmentation du coût du travail. Qui plus est, j'y reviendrai dans quelques
instants, les entreprises ne trouvent pas aujourd'hui le personnel qualifié
dont elles ont besoin.
M. Jean Boyer.
C'est vrai !
M. Jean-Claude Carle.
Aujourd'hui, vous êtes en train de gâcher la croissance. Notre pays ne profite
pas comme il le devrait de la bonne conjoncture économique.
Les 35 heures augmentent les pénuries de main-d'oeuvre et gaspillent
inutilement des sommes qui auraient pu être consacrées à la formation des
chômeurs dans les domaines qui connaissent des difficultés croissantes de
recrutement : je pense en particulier à l'informatique, aux métiers de bouche,
au bâtiment et aux travaux publics, à l'industrie et aux transports.
Ces pénuries apparaissent alors que le taux de chômage reste encore élevé dans
notre pays - 9,6 % - et dépasse d'un point et demi la moyenne de l'Union
européenne.
Soyons clairs : nous n'avons jamais été opposés à l'aménagement du temps de
travail. En revanche, nous sommes persuadés qu'il est absurde et
contre-productif d'imposer un moule unique à des entreprises qui ont des
métiers, des tailles et des modes d'organisation différents.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Claude Carle.
Alors que les besoins de chaque entreprise nécessitent du sur-mesure, vous
imposez le prêt-à-porter, le même modèle à tous.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Claude Carle.
Vous faites la même erreur que vos collègues de l'éducation nationale, qui
cherchent à tout prix à mettre les élèves sous la même toise. Le résultat n'est
pas fameux là non plus : l'échec scolaire demeure élevé et le taux de chômage
des jeunes reste bien supérieur à la moyenne nationale.
A l'heure de la société de l'information et de l'économie de services, la
globalisation et l'instantanéité de l'information exigent des entreprises
réactivité et souplesse. Vous imposez aux PME un carcan insurmontable, votre
collègue Laurent Fabius en est bien conscient. Mais, malgré la multiplication
des signaux d'alarme, vous ne faites rien pour leur faciliter la tâche.
Les emplois-jeunes sont une autre source d'inquiétude. Notre collègue Alain
Gournac en a dressé le bilan à mi-parcours. Il a parfaitement montré les
défauts du système : l'accès tardif et souvent inadapté des jeunes à la
formation ; l'existence d'effets pervers et de concurrence déloyale avec le
secteur marchand ; l'absence totale de contenu de ces « emplois » ; enfin,
l'incertitude grandissante sur l'avenir du dispositif.
La concomitance d'un chômage des jeunes encore élevé et des pénuries de
main-d'oeuvre s'explique également par un défaut propre à notre pays : la
valorisation excessive de l'intelligence abstraite au détriment de
l'intelligence de la main.
Notre système d'orientation, fondé sur une orientation par échecs successifs,
est à repenser totalement. Notre système d'éducation donne encore trop la
priorité à l'enseignement général de type scolaire et continue de dénigrer les
formations en alternance.
Alors que nous avions relancé l'apprentissage en 1986, puis en 1996, depuis
trois ans, vous remettez en cause ces acquis encore fragiles.
En 1999, vous avez limité la prime à l'embauche aux apprentis de niveau 5.
Cette année, vous persistez dans cette voie en la réservant aux employeurs
occupant au plus dix salariés et en la supprimant pour les jeunes recrutés en
contrat de qualification.
Au moment où les formations en alternance devenaient la filière de la
réussite, vous faites tout pour en refaire la voie de l'échec. Il est vrai que
vous êtes sous la pression de certains corporatismes, qui constituent une
grande partie de votre base électorale !
Depuis plusieurs mois, vous nous promettez une réforme de la formation
professionnelle. Quand donc déposerez-vous le projet de loi ?
J'en viens aux aides proprement dites aux entreprises. Elles sont nombreuses,
mais inadaptées et tout aussi inefficaces les unes que les autres.
En réalité, les entreprises ne demandent pas des aides en tant que telles.
C'est toujours le parcours du combattant pour les obtenir et, quand elles sont
accordées, il s'écoule plusieurs mois avant qu'elles ne soient versées. De deux
choses l'une : ou l'entreprise a passé le cap, et l'aide n'était donc pas
primordiale, ou elle ne l'a pas passé, et l'aide est alors totalement
inopérante.
Ce qu'il faut, ce sont des mesures simples, bien ciblées, en petit nombre et
faciles à mettre en oeuvre.
La première aide, c'est la baisse du coût du travail. Il faut baisser les
charges qui pèsent sur les salaires
(M. Gournac applaudit),
en
particulier sur la tranche des premiers 5 000 francs. Cela créera beaucoup plus
d'emplois que les 35 heures, et ce sera infiniment moins cher et beaucoup plus
pérenne !
Il faut, ensuite, alléger les contraintes administratives, juridiques et
fiscales trop lourdes qui pèsent sur les entreprises, en particulier les
PME.
Un chef d'entreprise passe plus de 30 % de son temps à essayer de s'y
retrouver dans le maquis des aides, déclarations et autres impositions.
Voulez-vous aussi que la France détienne des records dans ce domaine ?
Mais cela nécessite une autre approche, une autre vision de l'entreprise et de
l'entrepreneur. Or vous n'avez toujours pas surmonté votre méfiance instinctive
à l'égard des entreprises.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Claude Carle.
Le Gouvernement vit encore sur la vision dépassée de l'entreprise comme champ
d'affrontement social et de l'entrepreneur comme personnage suspect : s'il
échoue, on le fustige ; s'il réussit, on le suspecte de s'être enrichi
frauduleusement.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
Mais peut-être est-ce aussi la conséquence de la représentation politique
dans notre pays ! La majorité actuelle est largement issue de la fonction
publique. Cette monoculture parlementaire contribue peut-être à cette inertie
idéologique !
Vous devriez vous inspirer de l'initiative du président Poncelet, qui propose
aux sénateurs des stages d'immersion en entreprise ; je vous assure que c'est
infiniment profitable.
M. Guy Fischer.
C'est suspect !
M. Alain Gournac.
C'est très bien !
M. Jean-Claude Carle.
Il est temps, aujourd'hui, de passer d'une attitude de méfiance à une attitude
de confiance à l'égard de tous ceux qui contribuent à créer des richesses, et
donc de l'emploi dans notre pays. Rien ne changera véritablement tant que cette
étape culturelle ne sera pas franchie ! Ce que je dis, ce n'est pas de
l'ultra-libéralisme, c'est tout simplement du bons sens.
Il est urgent également de transformer une indemnisation passive du chômage en
une incitation active au retour à l'emploi. Ce n'est pas ce qu'a fait votre
prédécesseur, Mme Aubry, qui, pendant plus de six mois, s'est opposée à la
nouvelle convention d'assurance chômage, qui allait dans ce sens !
Toute votre politique, madame le ministre, est à l'opposé de ce qu'il faudrait
faire.
Au lieu d'inciter les jeunes à faire des études longues qui débouchent très
souvent sur une voie de garage ou de leur offrir des emplois sans avenir,
proposons-leur des parcours plus interactifs entre l'école et l'entreprise afin
de mieux les former et de mieux les aider à réussir à s'insérer sur le marché
du travail.
Au lieu de maintenir des aides passives aux effets de seuil pervers,
transformons ces aides en aides actives, propices au retour à l'emploi.
Au lieu de vouloir sans cesse s'immiscer dans la vie des entreprises et les
mettre toutes sous la même toise, créons les conditions favorables à leur
développement en réalisant les axes de communication structurants dont elles
ont besoin, en formant le personnel qualifié qui leur fait défaut et en
construisant les logements nécessaires à l'accueil des salariés.
Passons, en définitive, je le répète, d'une attitude de méfiance à une
attitude de confiance envers celles et ceux qui créent des richesse et donc de
l'emploi.
Votre politique de l'emploi est donc diamétralement opposée à celle que nous
suggérons. En conséquence, le groupe des Républicains et Indépendants votera
contre votre budget, madame le ministre.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai présenté à votre commission des
affaires sociales le projet de budget du ministère de l'emploi et de la
solidarité pour 2001. Je vais m'efforcer, aujourd'hui, de répondre aussi
précisément que possible à vos questions. Celles-ci s'ordonnent autour de trois
thèmes : l'évolution de la situation de l'emploi, en particulier les effets de
la réduction du temps de travail ; les conditions d'utilisation des crédits du
ministère pour les politiques en faveur de l'emploi, enfin, la formation
professionnelle.
Je commencerai donc par répondre aux questions concernant l'évolution de la
situation de l'emploi.
M. Braun et M. Souvet ont indiqué que la baisse du chômage était importante et
générale. Ils ont toutefois relativisé la performance de l'économie française
en la comparant aux résultats obtenus par les autres pays européens.
Je suis tout à fait d'accord pour comparer les résultats que nous obtenons à
ceux de nos partenaires européens. Mais, s'il est vrai que la France bénéficie,
comme les autres pays européens, d'une conjoncture économique plus favorable,
il est également vrai que notre pays sait mieux utiliser cette conjoncture que
les autres, puisque le taux de croissance est plus élevé en France que chez nos
principaux partenaires et que, surtout, la diminution du chômage y est plus
rapide.
Selon les dernières données statistiques européennes, en effet, en France, le
taux de chômage a baissé de 1,6 point en un an, alors que, sur la même période,
la baisse a été deux fois moins élevée en Grande-Bretagne et en Italie et trois
fois moins élevée en Allemagne et aux Pays-Bas.
Ces chiffres montrent bien que, dans une conjoncture tout aussi favorable,
nous avons mis en oeuvre une politique qui a engendré de meilleurs
résultats.
Il faut noter également que cette année est une année record en matière de
création d'emplois, avec la création de 500 000 emplois : on n'avait pas vu
cela depuis cent ans !
En outre, la croissance en emplois est devenue beaucoup plus intensive depuis
1997 et elle est plus intensive en France que dans les autres pays comparables,
en particulier l'Allemagne et l'Italie.
Je veux souligner aussi - cela a été peu noté - que, si la baisse touche
toutes les catégories de chômeurs, elle concerne plus spécialement les jeunes,
les chômeurs de longue durée et les chômeurs de très longue durée. Les
dernières statistiques du mois d'octobre montrent en effet que, pour la
catégorie des chômeurs depuis plus de deux ans, cette baisse a été de 27 %
cette année et qu'elle ne cesse de s'accélérer depuis quelques mois.
Ajoutons que les licenciements économiques ont diminué de 40 % depuis 1997.
Bien sûr, nous avons bénéficié de la croissance, mais on ne peut nier que nous
sommes pour quelque chose dans ces bons résultats. On se souvient que nous
avons été élus contre une politique qui, justement, massacrait la croissance :
je veux parler de la politique menée successivement par les gouvernements
Balladur et Juppé.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
C'est parce que nous avons toujours mené notre politique que nous avons réussi
à faire repartir la croissance.
M. André Jourdain.
Vous le croyez vraiment ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Eh oui, et les Français le
croient avec nous !
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux.
On verra !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous persistez à nier
l'évidence ! Mais ce sont bien vos politiques, faites de prélèvements fiscaux
et de restrictions budgétaires, qui ont fait s'effondrer la croissance, déjà
faible il faut le dire !
M. Alain Gournac.
C'est faux en ce qui concerne la période 1986-1988 !
M. Jean Delaneau.
Et Bérégovoy !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si nous avons, en effet,
bénéficié d'une bonne conjoncture - bonne conjoncture que nous avons contribué
à renforcer, n'est-ce pas -, ce sont nos politiques qui ont contribué à la
création d'emplois, puisque 261 000 emplois-jeunes ont été créés et que la
réduction de la durée du travail qui, comme vous le savez, a donné lieu à 42
805 accords concernant 4 607 585 salariés, a permis la création de 251 915
emplois. Compte tenu des accès directs, on peut estimer à environ 270 000 les
emplois créés.
En ce qui concerne la réduction de la durée du travail, je dirai d'abord à M.
Jourdain que le Gouvernement, dans la mise en oeuvre de sa politique, entend
respecter la loi en vigueur, et qu'aucun membre du Gouvernement n'a jamais pris
position en faveur d'une révision de cette loi.
Le processus des 35 heures est maintenant suffisamment engagé pour que nous
puissions y porter un regard objectif, quelles que soient les différences qui
nous opposent : vous êtes contre les 35 heures, nous sommes pour, mais je crois
que nous pouvons considérer objectivement ce qui s'est passé ces dernières
années.
Le premier fait objectif est cette amélioration spectaculaire de la situation
de l'emploi, qui n'a absolument pas été anticipée par les différents instituts
de conjoncture. Une étude récente de la DARES, la direction de l'animation de
la recherche, des études et des statistiques, montre ainsi une corrélation
certaine entre l'amélioration de la situation de l'emploi et la diffusion des
35 heures dans l'économie. Les 35 heures sont l'un des facteurs essentiels du
niveau exceptionnel de créations d'emplois en 2000 !
J'observe, à cet égard, qu'il y a quelque contradiction à dénier toute
responsabilité à la réduction de la durée du temps de travail dans la
diminution du chômage et, dans le même souffle, à imputer aux 35 heures la
cause exclusive des prétendues pénuries d'emplois !
(« Très bien ! » sur les
travées socialistes.)
Je dis bien « prétendues » pénuries d'emplois, parce
que, quand l'on compte encore 2 215 000 chômeurs, je trouve indécent de parler
de pénurie d'emplois !
M. André Jourdain.
C'est pourtant la réalité !
M. Alain Gournac.
Allez voir les chefs d'entreprise !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vais vous répondre sur ce
point, ne craignez rien !
Les 35 heures participent de façon importante à la réduction du chômage. Elles
n'en sont pas la seule cause, mais elles se combinent avec des réductions de
charges sociales qui diminuent considérablement le coût du travail pour les
entreprises.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Bien des craintes s'étaient
exprimées quant aux effets néfastes que pourrait avoir la réduction du temps de
travail. J'observe qu'ils ne se sont pas produits. Le taux de marge et le taux
de profit des entreprises qui sont passées aux 35 heures n'ont pas été
affectés, car elles se sont réorganisées. Les pressions inflationnistes restent
très limitées et exclusivement liées aux variations des prix du pétrole et des
matières premières. Les prétendues pénuries d'emploi sont sectorielles et liées
soit aux conditions de travail et aux rémunérations, soit à des problèmes de
formation dans des qualifications pointues et évolutives.
Je ne suis, quant à moi, pas choquée que l'amélioration de la situation de
l'emploi conduise des branches et des entreprises à réfléchir sur les
conditions de travail qu'elles offrent et sur la nécessité de les améliorer
pour rester attractives auprès des salariés. L'amélioration de l'emploi doit
être un moteur à la résorption de la précarité, à la remise en cause des
discriminations et à l'amélioration des conditions de travail.
Nous disposons désormais, sur les tensions sectorielles, d'études de l'ANPE,
de la DARES et de l'INSEE. Pour ses sondages, l'INSEE a interrogé les chefs
d'entreprises. Ces sondages reflètent donc l'opinion de ces derniers, qui,
comme toujours en période de croissance, craignent des difficultés de
recrutement. Mais cette crainte n'est pas le fait des 35 heures : à chaque
reprise de croissance et de diminution du chômage, les chefs d'entreprise
l'éprouvent, et ce pour une raison bien simple. En effet, dès que le chômage
diminue, les demandeurs d'emploi peuvent se permettre d'être un peu plus
exigeants, notamment en matière de salaires et d'horaires. Et ce sont dans les
secteurs où les horaires sont plus élevés et les salaires plus bas que se
manifestent traditionnellement ces réactions.
Si l'étude de l'INSEE reflète bien les réactions des chefs d'entreprise, les
études de la DARES et de l'ANPE montrent, quant à elles, que des tensions
sectorielles en matière d'embauche existent - il ne s'agit pas, bien
évidemment, de les nier -, mais qu'elles sont concentrées sur quelques métiers,
l'informatique, par exemple, ou sur quelques secteurs, le bâtiment et les
travaux publics, l'hôtellerie. On peut toutefois observer une détente pour les
informaticiens puisque l'alerte ayant été donnée, des mesures ont été
prises.
En tout cas, l'étude de la DARES a souligné l'absence de corrélation entre les
tensions sur le recrutement et l'introduction des 35 heures dans ces secteurs ;
elle a montré que ces tensions sont, en fait, liées au contexte des bassins
d'emploi. Les mêmes professions peuvent d'ailleurs faire l'objet de tensions
dans un bassin d'emploi et pas dans un autre, tout dépend de la mobilité
professionnelle dans le bassin.
Il est inutile de vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que j'ai bien
évidemment demandé à mes services, mais aussi aux syndicats et aux
organisations professionnelles, de m'indiquer très précisément les problèmes
observées secteur par secteur, de façon que nous puissions aider les
entreprises qui éprouvent des problèmes d'embauche à mieux faire face à leurs
besoins de recrutement.
En tout cas, l'amélioration des conditions de l'emploi doit être l'occasion de
résorber la précarité et de faire progresser les conditions de travail.
M. Muzeau a beaucoup insisté sur une nécessaire politique contre la
précarité.
Monsieur le sénateur, la résorption de la précarité sera l'objet d'une action
volontariste du Gouvernement. En effet, si le recours aux différentes formes de
travail précaire peut être ligitime lorsqu'il y a surcroît occasionnel
d'activité ou lorsqu'il faut remplacer un salarié absent, nous ne pouvons
accepter, comme vous l'avez souligné, que des entreprises utilisent l'emploi
précaire comme un mode de gestion normal d'emplois permanents. C'est encore
moins acceptable dans un contexte de croissance retrouvée et d'amélioration de
la situation de l'emploi.
C'est pourquoi le Gouvernement a fait, et fera encore plus, de la lutte contre
la précarité une de ses priorités en renforçant le contrôle assuré par
l'inspection du travail.
Comme vous le savez, le projet de loi de modernisation sociale permettra
également de mieux protéger les salariés en situation précaire et de faciliter
le passage vers un emploi stable.
J'en viens maintenant au financement des 35 heures, sur lequel M. Braun a axé
une partie de son intervention, considérant que la création du FOREC portait
atteinte à la sincérité des comptes publics. J'ai déjà eu l'occasion de
m'expliquer longuement sur cette question, tant lors des débats sur le projet
de loi de financement de la sécurité sociale que devant la commission des
affaires sociales. Mais, puisque M. Braun le souhaite, j'y reviens.
J'observe, tout d'abord, que la création de ce fonds permet d'avoir une idée
précise et complète des exonérations de charges générales dont bénéficient les
entreprises. C'est d'ailleurs pour cela que le Gouvernement propose de
transférer au FOREC, l'an prochain, le financement des exonérations de charges
générales qui restaient sur le budget « emploi » du ministère.
En ce qui concerne le reproche de défaut de sincérité, je dois dire que je ne
le comprends pas. Les dépenses du FOREC compensent pour la sécurité sociale la
perte de recettes liée aux exonérations de charges décidées au bénéfice des
entreprises et des salariés. Il ne s'agit donc pas, à proprement parler, de
dépenses de l'Etat au même titre que les crédits dont nous parlerons tout à
l'heure : il s'agit de l'individualisation, dans un compte particulier, donc
transparent, des modalités de compensation de pertes de recettes pour la
sécurité sociale.
Je suis, en revanche, tout à fait prête à considérer avec M. Braun que la
politique de l'emploi a une ampleur qui dépasse les seuls crédits ouverts au
budget du ministère de l'emploi et de la solidarité et que son coût consolidé
doit prendre en compte les allégements de charges décidés par les gouvernements
Balladur, Juppé et Jospin. Je conviens également bien volontiers que les
allégements de charges réalisés par le gouvernement actuel sont très supérieurs
à ceux qui ont été consentis par ses prédécesseurs.
M. Guy Fischer.
Eh oui !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Tout le monde le reconnaît !
M. Gérard Braun,
rapporteur spécial.
La conjoncture est meilleure !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En effet, l'allégement du coût
du travail lié au nouveau barème applicable dans le cadre des 35 heures
représente 21 500 francs par an, soit 26 % du salaire au niveau du SMIC, alors
que la « ristourne Juppé » représente un allégement de 15 030 francs au niveau
du SMIC, soit 18,2 % du salaire ; l'avantage supplémentaire lié aux 35 heures,
soit 6 470 francs, équivaut ainsi à près d'un mois de salaire au niveau du
SMIC.
Je précise à M. Jourdain que les accords de réduction du temps de travail
s'accompagnent d'une annualisation de la durée du travail, ainsi que d'une
modulation des horaires, ce qui signifie que les machines peuvent être
utilisées plus longtemps.
M. André Jourdain.
Pas pendant les périodes de congés !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
D'ailleurs, les entreprises
passées aux 35 heures tendent à réaliser plus de gains de productivité.
J'ajoute que, globalement, la productivité horaire restait, au début de l'année
2000, sur le rythme d'une croissance élevée, de l'ordre de 2,5 % par an.
M. André Jourdain.
C'est de la théorie !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Non, les chiffres sont là :
c'est une réalité, mais vous ne voulez pas la regarder en face !
Une étude de la DARES que j'ai mentionnée précédemment montre, en outre, qu'il
n'existe pas de corrélation entre des entreprises passées aux 35 heures et les
entreprises qui ont des difficultés de recrutement.
J'en arrive aux conditions d'utilisation des crédits du ministère pour les
politiques en faveur de l'emploi.
Sur ce point, M. Delfau a mis l'accent sur la nécessité d'une approche « micro
», et non plus « macro », pour le traitement de l'emploi et les actions de
retour à l'emploi. Monsieur le sénateur, je partage entièrement votre
analyse.
J'ai l'intention d'intégrer cette approche dans le dispositif opérationnel que
je vais mettre en place afin de traiter les tensions sectorielles du marché du
travail, les difficultés de recrutement dans certains bassins d'emploi - le
travail avec les professionnels concernés a déjà commencé, notamment dans le
BTP et dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants - et afin de préparer
l'ANPE à la lourde tâche qui va être la sienne du fait de la généralisation du
suivi personnalisé pour tous les chômeurs.
C'est, me semble-t-il, l'efficacité de l'action du service public de l'Etat
qu'il faut renforcer pour s'attaquer au noyau dur du chômage, comme le souhaite
aussi Mme Dieulangard, qui a tenu tout à l'heure de forts propos à ce sujet.
Je souhaite, en outre, privilégier une approche des actions et des moyens de
lutte contre les exclusions à partir du terrain. Il n'est pas nécessaire de
multiplier encore les dispositifs en francs de l'emploi : il convient plutôt
d'étendre les ressorts de l'action publique pour réussir le retour à l'emploi
sans compter sur le seul effet spontané de la croissance.
Bien entendu, il nous faut également améliorer les dispositifs d'insertion.
Mme Dieulangard a insisté sur ce point et j'y reviendrai tout à l'heure.
Plusieurs orateurs ont fait part de leurs préoccupations en ce qui concerne
l'avenir des emplois-jeunes. M. Braun, en particulier, s'est appuyé sur le très
bon rapport que M. Alain Gournac a établi récemment dans le cadre d'un groupe
de travail.
M. Gournac, qui a d'abord eu le mérite de reconnaître le succès incontestable
du programme des emplois-jeunes, a également insisté sur plusieurs points,
notamment sur la régionalisation. C'est effectivement par son animation à
l'échelon régional que le programme s'est développé, et c'est par une
mobilisation de tous les acteurs à ce niveau qu'il se pérennisera le mieux.
De manière plus générale, c'est bien le développement d'activités qui doit
être privilégié. De ce point de vue, je partage votre intérêt, monsieur
Gournac, pour l'aide à la création d'entreprise par les jeunes.
Dans votre rapport, vous soulignez également que des accords ont déjà été
passés avec plusieurs employeurs du secteur privé, par exemple avec le groupe
Accor, dans l'hôtellerie, pour prolonger l'insertion des jeunes qui ont
bénéficié d'une première expérience professionnelle grâce à ce programme.
Des programmes de tutorat, qui concernent les jeunes souhaitant postuler pour
un nouvel emploi dans une entreprise privée, sont en cours. Je précise que ce
dispositif intéressant existe déjà à travers le parrainage mis en place par les
missions locales, avec l'appui du fonds d'action sociale. Je vois là une piste
très prometteuse.
Le Gouvernement considère qu'il est indispensable de donner aux jeunes des
perspectives à l'issue de leur contrat de cinq ans. Il faut également définir
les conditions du maintien au-delà de cinq ans de l'aide de l'Etat pour les
emplois créés, lorsqu'ils ont fait la preuve de leur utilité et qu'ils
répondent à des besoins nouveaux.
Mais, je veux aussi vous livrer quelques éléments chiffrés sur les
emplois-jeunes, puisque M. Braun m'a interrogée à ce sujet.
Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le rapporteur spécial, qu'il faudrait
37 milliards de francs pour les emplois-jeunes, alors que nous leur avons «
seulement » consacré 22 milliards de francs : une paille, n'est-ce pas ?
M. Gérard Braun,
rapporteur spécial.
Par rapport à 37 milliards, cela fait une grosse
différence !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Pourquoi « seulement » 22
milliards de francs ? D'abord, ce chiffre de 37 milliards de francs correspond
au coût de 350 000 emplois-jeunes occupés sur l'année complète.
Notre objectif est d'atteindre 350 000 jeunes embauchés dans le cadre de ce
dispositif, je l'ai déjà dit devant la commission des affaires sociales, mais
ce nombre comprend ceux qui sont déjà partis - comment ne pas s'en féliciter
pour eux ? - vers des emplois offerts sur le marché du travail. Le dispositif
n'a pas été conçu pour que la même personne conserve son emploi-jeune jusqu'à
sa préretraite ! Les emplois-jeunes sont des sas de préparation à l'emploi tels
que, le plus vite possible - et tant mieux si c'est avant l'échéance des cinq
ans ! - les jeunes puissent entrer véritablement sur le marché du travail.
Vous devriez donc vous réjouir que, ayant pris l'engagement d'embaucher 350
000 emplois-jeunes - engagement que nous allons tenir - nous voyions une partie
de ces jeunes déjà intégrés dans le marché du travail.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? On dénombre 261 000 emplois-jeunes créés et
281 000 jeunes embauchés à ce titre, y compris, je le disais, ceux qui sont
partis. Nous visons une soixantaine de milliers d'embauches supplémentaires
pour atteindre ou approcher le chiffre de 350 000.
J'en viens à l'avenir des emplois-jeunes, sujet en effet extrêmement important
et sur lequel le Gouvernement prendra très bientôt des décisions.
J'ai indiqué à votre commission des affaires sociales que le maintien de la
participation de l'Etat au financement de postes occupés par des emplois-jeunes
dépendrait du degré de solvabilisation de ces derniers.
D'ores et déjà, 55 % des emplois-jeunes créés dans les associations sont
solvabilisés, et ce pourcentage devrait encore augmenter d'ici à la fin de
l'année prochaine. Pour les emplois-jeunes non encore solvabilisés, le
Gouvernement n'exclut pas de prolonger, de manière dégressive, l'aide qu'il
verse aux associations.
Pour les collectivités locales, le problème se pose en termes différents : la
plupart d'entre elles ont prévu des débouchés pour les jeunes qu'elles
emploient. Des mécanismes spécifiques seront peut-être nécessaires pour
certaines communes pauvres ou modestes ; nous y travaillons.
Pour ce qui est des ministères ayant créé des emplois-jeunes, nous menons
actuellement un travail avec l'éducation nationale, où l'on compte environ 65
000 de ces emplois. Une partie de ces jeunes sont d'ailleurs déjà intégrés, ou
sont en passe de l'être, dans des emplois qui ont été nouvellement identifiés,
tels des emplois de documentaliste. Mais nous réfléchissons actuellement avec
ce ministère à d'autres débouchés pour ces jeunes, qu'il s'agisse d'emplois
publics ou d'embauche dans les entreprises.
S'agissant du ministère de l'intérieur, les emplois-jeunes - au nombre de 16
000 au total - s'intègrent très facilement dans les postes d'adjoint de
sécurité.
Je pense qu'il en sera de même au ministère de la justice, où les effectifs
sont d'ailleurs beaucoup moins importants : 2 000 jeunes sont concernés.
Le Gouvernement n'est pas en retard dans sa réflexion sur l'avenir des
emplois-jeunes, d'autant que la majorité d'entre eux ont été recrutés au cours
du deuxième semestre de 1998 et qu'ils peuvent demeurer dans le dispositif au
moins jusqu'au milieu de 2003. Il faut cependant dès maintenant se préoccuper
de prévoir les formations nécessaires.
Précisément, je ne partage pas la sévérité de votre appréciation, monsieur
Braun, quant aux insuffisances de la formation, pas plus que je ne partage
votre jugement sur l'utilité des emplois-jeunes.
Les emplois-jeunes permettent de répondre à des besoins nouveaux dans les
associations, les collectivités et au sein de l'Etat.
Pour ce qui est de l'effort de professionnalisation, près de 2 milliards de
francs sont mobilisés en faveur du financement des actions, comme j'ai déjà eu
l'occasion de le dire devant votre commission des affaires sociales. Par
exemple, des filières universitaires spécifiques ont été ouvertes aux
aides-éducateurs pour les préparer à des diplômes universitaires de
technologie, où à des diplômes d'études universitaires scientifiques et
techniques dans les secteurs de l'informatique et de la communication. Des
accords-cadres ont, en outre, été passés avec mon ministère et celui de la
jeunesse et des sports pour offrir des débouchés et des formations dans le
secteur social et dans le secteur du sport et de l'animation.
De la même façon, les organismes paritaires collecteurs de fonds de la
formation professionnelle ont signé des accords-cadres nationaux avec l'Etat
pour le développement de la formation professionnelle des emplois-jeunes. Cet
effort porte notamment sur l'accès à des bilans de compétences et à des modules
spécifiques de formation visant à la professionnalisation de ces jeunes. Le
Gouvernement va présenter à la Commission européenne une demande de financement
à ce titre de 700 millions de francs dans le cadre de la programmation
2000-2006 du Fonds social européen, objectif 3.
A cela s'ajoutent les interventions des conseils régionaux, qui ont répondu
positivement et selon des modalités diverses à l'invitation qui leur a été
adressée de participer à la formation des jeunes. Certains conseils généraux et
communes ont également dégagé, à cette fin, des crédits spécifiques.
Je crois, par conséquent, que le problème n'est pas tant celui du financement
- les financements sont là ou seront là lorsque nous en aurons besoin - que
celui de l'efficacité sur le terrain, de la coordination des efforts de l'Etat,
des collectivités locales et, naturellement, de l'Europe. C'est ce problème-là
que je vais dorénavant m'employer à résoudre.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'évolution des sommes consacrées par le
Gouvernement aux dispositifs aidés, en particulier aux contrats
emploi-solidarité.
Permettez-moi de dire d'abord que j'ai observé, chez les orateurs de la
majorité sénatoriale, une certaine contradiction.
Si M. Braun considère que les économies faites sur les crédits de l'emploi
sont de simples économies de constatation liées à la bonne tenue de la
conjoncture, M. Souvet, lui, s'inquiète de la diminution trop rapide des
dispositifs aidés, et en particulier des contrats emploi-solidarité. Je note
que la critique faite l'an dernier par la Haute Assemblée au budget du
ministère était exactement inverse, puisque vous considériez, alors, que les
crédits ne diminuaient pas malgré l'amélioration de la situation de l'emploi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faudrait savoir !
La position du Gouvernement, elle, est cohérente. Notre démarche constante a
été de recentrer les dispositifs aidés en faveur de ceux qui en ont le plus
besoin. Nous n'avons pas hésité à supprimer les outils qui créent des effets
d'aubaine importants, comme les exonérations Madelin ou, en 2001, les aides au
passage à temps partiel dans le cadre des restructurations d'entreprises. Nous
n'avons pas hésité non plus à recadrer les dispositifs, notamment par la loi
d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. L'objet de ces
dispositions n'est pas de moins aider, c'est de mieux aider en concentrant les
moyens sur les réelles nécessités.
MM. Muzeau et Delfau, ainsi que Mme Dieulangard, notamment, ont souligné la
diminution du nombre de contrats emploi-solidarité pour s'inquiéter de la
gestion de cette diminution. C'est là une vraie question.
Cette baisse, je l'ai dit, s'explique par la politique de recentrage sur les
publics prioritaires, dont la proportion est d'ailleurs passée de 55 % en 1997
à 82 % en septembre 2000.
A cela s'ajoute, pour 2001, le fait que l'amélioration de la situation
économique touche maintenant toutes les couches sociales de la population, y
compris celles qui éprouvent les plus grandes difficultés. Bien sûr, ce recul
de l'exclusion se traduit avec un décalage, en touchant d'abord seulement une
partie des populations concernées.
Il se manifeste tout de même par une diminution, cette année, du nombre
d'allocataires du revenu minimum d'insertion, le RMI. Pour la première fois
depuis la création du RMI, nous enregistrons une diminution du nombre
d'allocataires,...
MM. Gérard Delfau et Guy Fischer.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... alors même que les mesures
d'intéressement ont un effet mécanique sur l'augmentation des statistiques.
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce résultat est d'autant plus
remarquable.
Nous constatons aussi, depuis quelques mois, une baisse du chômage dans les
quartiers qui concentrent toutes les difficultés.
Les 260 000 contrats emploi-solidarité prévus en 2001 constituent, du point de
vue du Gouvernement, un volant suffisant qui pourra être adapté - j'insiste sur
ce point - en fonction des besoins locaux par les services déconcentrés du
ministère, monsieur Delfau, dans le cadre de la globalisation du programme de
lutte contre le chômage de longue durée.
Ce volume doit également s'apprécier en prenant en compte la progression
continue du nombre des bénéficiaires des contrats emplois consolidés, avec
encore 50 000 entrées supplémentaires l'année prochaine.
Mme Dieulangard et M. Muzeau ont, à juste raison, insisté sur l'apport du
programme TRACE à la lutte contre le chômage, notamment en direction des jeunes
qui ont le plus de difficulté à accéder à l'emploi.
Ce programme d'accompagnement personnalisé vers l'emploi, d'une durée maximale
de dix-huit mois, en faveur de jeunes qui sont spécialement confrontés à de
graves difficultés sociales et familiales ou qui n'ont pas reçu, dans le
système éducatif, une formation suffisante, me paraît extrêmement utile. La
montée en charge du dispositif a été, il est vrai, moins rapide que ce qui
avait été initialement prévu, en raison des délais nécessaires au recrutement
des opérateurs externes ainsi qu'à la sensibilisation des jeunes.
Cela étant, je veux souligner que les crédits prévus pour ce dispositif sont
en forte progression. En effet, une augmentation de 10,7 millions de francs est
prévue pour la création de quarante postes dans le réseau des PAIO, les
permanences d'accueil, d'information et d'orientation, et des missions locales.
Nous avons également prévu 9 millions de francs pour les opérateurs
externes.
Cette augmentation des moyens est évidemment le corollaire de la mise en
oeuvre du protocole signé le 20 avril dernier avec M. Raffarin, président de
l'Association des régions de France, et M. Destot, président du Conseil
national des missions locales, lors des assises nationales des missions locales
et des PAIO.
Sur les autres moyens de lutte contre le chômage, notamment les moyens du
service public, je remercie les différents orateurs de la majorité sénatoriale
comme de la gauche qui ont souligné la forte progression des moyens affectés à
l'Agence nationale pour l'emploi : ils passeront de 6,4 milliards de francs en
2000 à 6,9 milliards de francs en 2001 et permettront ainsi la création de
quatre cent dix nouveaux postes budgétaires.
Comme vous le savez, cette augmentation des moyens de l'ANPE vise
essentiellement à permettre d'offrir un nouveau départ aux jeunes qui entrent
dans leur sixième mois de chômage, aux adultes qui entrent dans leur douzième
mois de chômage, ainsi qu'aux publics qui sont menacés d'exclusion.
Il n'est par conséquent pas exact de dire que le Gouvernement n'aurait pas
prévu de fournir un effort en faveur des chômeurs non indemnisés comparable à
celui que les partenaires sociaux souhaitent mettre en oeuvre pour les chômeurs
indemnisés.
S'agissant de la nouvelle convention d'assurance chômage, vous savez que le
Gouvernement a présenté jeudi dernier au Conseil supérieur de l'emploi le
rapport prévu par la loi - c'est un document précis - en réponse aux
observations et aux questions des partenaires sociaux.
Les projets d'actions personnalisés que les partenaires sociaux envisagent de
créer dans le cadre de cette nouvelle convention visent à introduire, pour les
nouveaux chômeurs, des prestations individualisées d'accompagnement pilotées
par l'ANPE, et seulement par l'ANPE.
Il va de soi que les prestations offertes aux chômeurs du régime de solidarité
seront toujours d'une qualité au moins équivalente à ces prestations financées
par le régime d'assurance chômage.
Ainsi, depuis le lancement du programme Nouveaux départs, en octobre 1998,
plus de 1,7 million de chômeurs du régime de solidarité ont reçu une offre
adaptée à leur situation, après un diagnostic individualisé. Pour près de 1
million d'entre eux, cette offre a pris la forme d'un appui pour relancer la
recherche d'emploi : 400 000 ont bénéficié d'un accompagnement personnalisé
vers un emploi ; 200 000, d'un accès à la formation ; pour 140 000, enfin,
l'accompagnement a été complété par un appui social.
Les résultats obtenus en matière de chômage de longue durée sont positifs,
puisque, je le disais tout à l'heure, il a diminué de 27 % en un an.
Permettez-moi quelques remarques complémentaires sur le grave sujet des
travailleurs pauvres. Le SMIC a progressé de 3,2 % en juillet dernier, ce qui
le porte à 7 100 francs mensuels ; et, grâce à la réduction négociée du temps
de travail, le pouvoir d'achat des salariés sera maintenu au SMIC.
Par ailleurs, la suppression de la contribution sociale généralisée jusqu'à
1,4 SMIC, mesure adoptée, en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale dans le
cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001,
conduira en trois ans à revaloriser de près de 10 % le revenu net des salariés
rémunérés au SMIC, leur donnant l'équivalent d'un treizième mois.
Indépendamment de ces dispositions, qui ont été décidées au mois de juillet ou
dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale - donc récemment - je rappelle que, depuis juin 1997, le SMIC a
progressé de 10,8 %, alors que les prix n'ont augmenté, au cours de la même
période, que d'environ 3,5 %, et que le gain de pouvoir d'achat du SMIC a été
presque deux fois plus élevé entre 1997 et 2000 qu'entre 1993 et 1996.
Je tiens également à répondre à la proposition du Sénat concernant le revenu
minimum d'activité. Il est vrai que le Gouvernement l'a repoussée, lors de la
première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il
s'agissait de substituer au mécanisme de ristourne dégressive de CSG et de CRDS
proposé par le Gouvernement un système de complément de revenu d'activité,
s'inspirant des mécanismes d'impôt négatif en vigueur dans plusieurs pays
anglo-saxons.
Ces deux propositions ont en commun de favoriser le retour à l'activité
professionnelle des bénéficiaires de minima sociaux, mais le Gouvernement a
estimé que la proposition du Sénat comportait trois inconvénients majeurs.
D'abord, elle se traduirait par un alourdissement des dépenses sociales, alors
que le Gouvernement souhaitait intégrer une mesure en faveur des bas revenus
d'activité dans son plan d'ensemble de baisse des impôts. Le Gouvernement va
ainsi diminuer de 24 milliards de francs les impôts supportés par ceux qui
perçoivent les plus faibles revenus, alors que la majorité sénatoriale
proposait, curieusement, d'alourdir les dépenses sociales d'autant, mais je
n'insiste pas.
Le deuxième inconvénient de la proposition sénatoriale réside dans le fait que
les mécanismes d'impôt négatif créent de véritables trappes à bas salaires.
Comment ne pas voir, en effet, que les employeurs seront incités à créer des
emplois précaires à durée réduite s'ils sont assurés que l'Etat complétera les
faibles revenus d'activité tirés de ces emplois ?
La proposition du Gouvernement ne s'expose pas à ce reproche, puisque la
réduction dégressive de CSG et de CRDS est proratisée en fonction de la durée
hebdomadaire du travail : à salaire horaire égal, elle sera pour un salarié à
mi-temps deux fois moindre que pour un salarié à temps complet. Elle ne crée
donc pas d'incitation à la multiplication des emplois à durée réduite.
Enfin, troisième inconvénient, le mécanisme d'impôt négatif a le défaut
essentiel d'être « aveugle ». Il importe, au contraire, d'accompagner les
personnes privées d'emploi, et d'abord les bénéficiaires de minima sociaux,
dans des trajectoires personnalisées qui puissent inclure des bilans de
compétences, des mesures d'accompagnement, afin qu'elles reviennent vers le
marché du travail, toutes choses que les mécanismes du type impôt négatif ne
permettent pas.
Tel est le sens des mesures d'intéressement, d'incitation et de retour à
l'emploi prises pour les RMIstes que nous avons mises en oeuvre.
Le Gouvernement réfléchit à de nouvelles dispositions pour faciliter la
réinsertion, sujet en effet très important.
Concernant la formation professionnelle, je concentrerai mes réponses sur
quelques sujets évoqués par Mme Bocandé.
J'aborderai d'abord la formation en alternance et, en premier lieu, la
professionnalisation des jeunes.
L'effort de l'Etat en matière de contrats d'apprentissage et de qualification
se poursuit. Il est inexact de soutenir, comme le fait M. Jean Boyer, que les
contrats d'apprentissage ont diminué. Ils ont, au contraire, augmenté de 3,25 %
en 1998, de 4,4 % en 1999 et, sur les dix premiers mois de l'année 2000, de 3,6
%.
Afin d'accompagner la progression du nombre de ces contrats, qui s'est
confirmée, j'ai souhaité que les cohortes d'entrées en contrats d'apprentissage
et de qualification soient portées respectivement à 230 000 et 123 000, au lieu
de 220 000 et 121 000 en 2000.
L'augmentation importante de cette ligne budgétaire m'a conduite à revoir,
dans le contexte de croissance actuel, certaines des primes incitatives pour
les entreprises. Je pense à celles qui sont liées à la signature des
contrats.
Le Gouvernement a proposé que les aides forfaitaires à l'embauche introduites
au plus fort de la crise, dans le cadre des mesures d'urgence, soient
supprimées s'agissant de l'apprentissage, exception faite pour les très petites
entreprises, de dix salariés et moins. D'ailleurs, à l'Assemblée nationale, ce
seuil a été porté à vingt salariés. En conséquence, près de 80 % des
entreprises accueillant des apprentis bénéficieront de primes à l'embauche.
J'ajoute que les aides à la formation relatives au contrat d'apprentissage et
les exonérations de charges sociales liées à la fois aux contrats
d'apprentissage et de qualification sont, bien sûr, maintenues, et 13 milliards
de francs sont ainsi affectés aux formations professionnelles en alternance
dans le budget, dont 8 milliards de francs d'exonérations de charges
sociales.
S'agissant, ensuite, des prélèvements de trésorerie sur les organismes
paritaires, il faut noter que les fonds du congé individuel de formation gérés
par le FONGECIF, le fonds de gestion du congé individuel de formation,
résultent d'un versement des entreprises correspondant à 0,2 % de la masse
salariale. Ces prélèvements successifs opérés ces dernières années sur les
fonds mutualisés par les entreprises résultent des excédents de trésorerie de
ce fonds. Le prélèvement de 150 millions de francs sur le COPACIF, le comité
paritaire du congé individuel de formation, prévu au budget pour 2001
correspond aux prévisions de trésorerie du fonds à la fin de l'année 2001.
Il faut également noter qu'en 1999 et 2000 le FONGECIF disposait d'une
trésorerie confortable ; malgré cela, beaucoup de demandes de financement ont
été refusées, parce que le comité paritaire a porté une appréciation négative
sur les projets déposés.
Contrairement à ce qu'a affirmé Mme Bocandé, il ne devrait pas y avoir
d'incidence sur la gestion du congé individuel, puisque le montant de ce
prélèvement correspond aux perspectives de trésorerie de fin d'année 2001 du
COPACIF. Je note que, malgré une trésorerie relativement abondante ces deux
dernières années, les commissions paritaires du FONGECIF ont refusé de nombreux
projets. Ces refus résultent non seulement de l'insuffisance de financement,
mais aussi de la qualité des projets qui ont été présentés.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur pour avis.
Nous en reparlerons !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je voudrais également rappeler
que le projet relatif au financement de l'apprentissage sera débattu dans le
cadre du projet de loi de modernisation sociale, au début de l'année prochaine.
Ce projet permettra d'introduire plus de transparence et moins d'inégalités
dans la répartition des moyens.
Par ailleurs, sur la formation des demandeurs d'emploi, Mme Bocandé a fait
état de la baisse des crédits affectés à la formation des demandeurs d'emploi
de longue durée. Cette orientation tient compte de la diminution très rapide du
nombre de chômeurs de longue durée, que j'ai évoquée tout à l'heure.
Toutefois, l'Etat ne peut se désengager de ces formations. En effet, une
rénovation du système de formation des demandeurs d'emploi apparaît aujourd'hui
comme une composante essentielle du droit individuel à la formation tout au
long de la vie. Des fonctions de conseil et de prescription ont commencé à se
construire au sein du service public de l'emploi, par le rapprochement entre
l'AFPA et l'ANPE. Il convient de consolider ce rapprochement.
Il est d'autant plus urgent de se saisir de ce dossier que les dispositifs de
formation des demandeurs d'emploi sont toujours peu adaptés pour répondre aux
besoins de recrutement que rencontrent les entreprises dans certains secteurs,
nous en avons déjà parlé.
Le contrat de qualification adulte est, je crois, une excellente réponse à ces
difficultés de recrutement. L'article 59 rattaché au présent budget en proroge
la période d'expérimentation jusqu'au 30 juin 2002. J'espère que les
partenaires sociaux se saisiront de cette opportunité pour négocier les
modalités d'une pérennisation de ces contrats, comme les y invitait la loi
d'orientation relative à la lutte contre les exclusions !
J'en viens à la politique contractuelle. Les engagements de développement de
la formation professionnelle et les contrats d'études prospectives constituent
deux volets importants de la politique de contractualisation entre l'Etat, les
branches professionnelles et les entreprises.
La réduction des crédits sera largement compensée par la contribution
qu'apportent désormais les crédits du Fonds social européen dans la conduite de
cette politique contractuelle. Les priorités définies dans le cadre de la
programmation du FSE sont en effet largement concordantes avec celles que nous
avons tracées, en lien avec les partenaires sociaux, pour la politique
contractuelle.
L'action du Gouvernement a permis de construire les premières étapes de la
réforme de la formation professionnelle autour de sujets dont il avait la
maîtrise. Je viens d'en mentionner quelques-uns. Nous poursuivrons cette action
avec le projet de loi de modernisation sociale, qui est déposé au Parlement.
Je dirai quelques mots sur l'insertion. Mme Dieulangard se demande comment
nous allons nous y prendre s'agissant de la situation transitoire du
dispositif. Nous devons nous attaquer, en effet, à un problème plus difficile
qu'avant, dans le domaine de l'insertion professionnelle, car les exclus du
marché du travail sont de plus en plus les chômeurs les plus en difficulté.
Avant de renforcer, de recentrer nos dispositifs pour les mois à venir - parce
que nous aurons à établir le programme français dans le cadre du programme
d'action communautaire -, j'ai le souci de faire tourner à plein les programmes
en place avec le concours des professionnels de l'insertion, des grandes
associations de lutte contre l'exclusion.
Le programme EDEN va pleinement se déployer en matière de création
d'entreprises par les jeunes chômeurs. Les comités départementaux d'insertion
par l'économique sont maintenant tous en place. Ce sont des lieux de synthèse
et de coordination. Je vais m'employer à écouter et recevoir les grandes
associations pour examiner comment adapter les instruments d'accompagnement de
parcours d'insertion à la réalité d'aujourd'hui, qui est différente, en effet,
de celle que nous connaissions voilà deux ou trois ans.
Je terminerai par quelques mots sur les personnels du ministère, et d'abord
sur les inspecteurs du travail. M. Delfau les a mentionnés et je crois qu'il
faut leur rendre hommage pour le travail qu'ils réalisent.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il faut souligner que, grâce à
la réforme du corps, entrée en vigueur le 1er août dernier, ils bénéficient
d'une revalorisation sensible et d'un déroulement de carrière beaucoup plus
satisfaisant.
Les inspecteurs du travail jouent un rôle évidemment très particulier en
matière de santé au travail pour lutter, notamment, contre les risques liés à
l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme bovine. C'est pourquoi, en application du
plan annoncé le 14 novembre dernier par M. le Premier ministre, le Gouvernement
a déposé un amendement afin de créer vingt-cinq postes d'inspecteur du travail
et cinq postes de médecin-inspecteur.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Gérard Delfau.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En conclusion, je souhaite
remercier vos rapporteurs, Mme Bocandé, M. Braun et M. Souvet, pour leurs
rapports. Leurs analyses sont intéressantes, même si, chacun a pu s'en rendre
compte ce matin, nous n'avons pas le même point de vue.
L'action conduite par le Gouvernement a permis, dans une conjoncture porteuse,
de réduire fortement le chômage et de remettre sur le chemin de l'emploi des
personnes qui se considéraient il y a encore peu comme définitivement
exclues.
Le budget que je vous présente nous donne les moyens nécessaires à la
poursuite de l'amélioration de la situation de l'emploi et à une plus grande
solidarité avec les exclus. Je vous demande donc de le voter et je remercie les
porte-parole du groupe socialiste, Mme Dieulangard, du groupe communiste
républicain et citoyen, M. Muzeau, et du groupe du RDSE, M. Delfau, d'avoir
apporté leur approbation à ce budget.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C et concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.
ÉTAT B
M. le président. « Titre III : 874 384 357 francs. »