SEANCE DU 7 DECEMBRE 2000
M. le président.
La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade.
Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux.
Le Gouvernement a engagé une vaste réforme de la justice qui s'est traduite
par l'adoption de lois importantes. Je pense, en particulier, à la loi du 18
décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des
conflits et à la récente loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes.
Dans ce cadre, les avocats sont amenés à jouer un rôle de plus en plus
important et, du fait des difficultés économiques engendrées par les dernières
années de crise, un nombre important de nos concitoyens ont recours à l'aide
juridictionnelle.
De nouveaux moyens importants ont été alloués pour la justice, dont le budget
a été augmenté de plus de 17 % en quatre ans, ce qui constitue un effort sans
précédent depuis vingt ans. Le Parlement a d'ailleurs soutenu cet effort.
Cependant, certaines difficultés demeurent. Je veux parler ici de la situation
des avocats, qui ont entamé un mouvement de protestation et qui, dans ce cadre,
ont appelé à la grève. Ils entendent ainsi exprimer le malaise né d'une
insuffisante indemnisation de l'aide juridictionnelle.
Si l'aide juridictionnelle est non pas une rémunération mais une indemnisation
des frais, aujourd'hui, il faut bien le reconnaître, son montant ne couvre plus
les charges courantes inhérentes à une procédure judiciaire. Les avocats
réclament le doublement immédiat des indemnités qui leur sont versées par
l'Etat pour assister en justice les plus démunis de nos concitoyens.
Ma conviction est totale : il est du devoir de la République de permettre aux
plus pauvres d'accéder à la justice, et je sais, madame la garde des sceaux,
que vous travaillez en ce sens.
Vous avez engagé des négociations avec les représentants des avocats. Je crois
savoir que plusieurs réunions de travail ont eu lieu avec l'ensemble des
représentants nationaux des barreaux.
Alors que ces négociations semblaient sur le point d'aboutir à un accord,
elles viennent d'être suspendues. La détermination des avocats de voir aboutir
leurs revendications reste entière.
Pouvez-vous nous dire, madame la garde des sceaux, où en sont les discussions
avec les avocats et quelles solutions vous envisagez de proposer pour mettre
fin au conflit ?
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le sénateur, les
avocats ont effectivement entamé une série de grèves, la plupart du temps des
grèves du zèle, car ils n'ont pas déserté les juridictions, les prétoires. Par
ailleurs, une manifestation a rassemblé un certain nombre d'entre eux sur la
place Vendôme il y a quelque temps.
Le mouvement ne date pas d'hier.
M. Alain Joyandet.
De 1997 !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Il s'explique d'ailleurs par le fait que, lorsque l'on
sort de crises économiques - le Premier ministre l'a dit fort justement - on a
à gérer tous les stigmates de la crise sociale, qui demeurent. Et dans un
contexte de reprise, il est encore plus difficile de dire à quelqu'un qu'on ne
peut pas le défendre parce que le cabinet connaît un déséquilibre financier.
Certains avocats travaillent dans des zones particulièrement difficiles. Je
pense aux barreaux de Bobigny, de Créteil, d'Evry, de Marseille, dans lesquels
jusqu'à 80 % des affaires qu'ils traitent relèvent de l'aide juridictionnelle.
Cela pose un vrai problème.
C'est Henri Nallet qui, en 1991, a voulu que l'on passe d'un système
d'assistance juridique gratuite à un système d'indemnisation des avocats, avec
l'idée que se crée, à l'intérieur des barreaux, une solidarité entre ceux qui
avaient beaucoup d'affaires bien rémunérées et ceux qui assuraient l'aide
juridictionnelle, alors gratuite. Il fallait éviter que, systématiquement, les
jeunes avocats se voient confier les affaires relevant de l'aide gratuite pour
« se faire la main ». Ce n'était acceptable ni pour les avocats ni pour les
justiciables.
Mais, dix ans après, le système n'est plus adapté à la réalité, en raison de
la différence très forte qui existe entre les barreaux. Ainsi, à Paris, où l'on
compte 13 000 avocats - presque la moitié du nombre total d'avocats en France -
quantité de jugements relèvent du droit des affaires. Nombre d'avocats ne vont
jamais plaider parce que leur cabinet s'occupe de transactions, de négociations
commerciales, etc. Et puis, il y a les barreaux dans lesquels la plupart des
affaires relèvent du droit de la famille, ou sont de petites affaires pénales
pour lesquelles on recourt à l'aide juridictionnelle.
Compte tenu de cette situation, j'ai fait deux proposition.
D'abord, j'ai proposé de remettre tout le système à plat. En effet, on aura
beau augmenter l'unité de valeur, qui détermine le barème, c'est-à-dire ce que
touche l'avocat pour un divorce, pour un problème de logement, pour une
reconduite à la frontière, pour une audience correctionnelle, etc., on ne
réglera pas le problème du déséquilibre entre les barreaux, non plus que celui
de la lourdeur de la gestion.
J'ai demandé à Paul Bouchet, président d'ATD-quart monde, qui était à
l'origine avec Henri Nallet, des dispositions de 1991, de remettre tout le
système à plat pour déboucher sur une loi qui vous sera proposée et qui
appellera sans doute un budget extrêmement important.
Les avocats veulent absolument que cela se passe avant mars 2002, comme s'ils
craignaient qu'en mars 2002 ceux qui pourraient éventuellement nous succéder ne
mettent pas en oeuvre cette volonté !
(Rires et vives exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants,
du RPR et de l'Union centriste.)
Je ne le crois pas car, sur l'ensemble des bancs de l'Assemblée nationale
comme sur l'ensemble des travées du Sénat, les avocats sont soutenus. Je ne
comprends donc pas leurs inquiétudes.
Mais, en attendant, que faire au titre des mesures d'urgence ?
Nous avons proposé, pour les affaires les plus difficiles, pour les arrêtés
d'expulsion, les affaires en correctionnelle qui concernent les gens les plus
en difficulté - vous êtes sans doute nombreux à avoir vu comment se passaient
les comparutions immédiates ! - de doubler les indemnités, conformément aux
demandes.
Pour d'autres affaires, nous avons proposé un échelonnement de l'augmentation
de 25 % à 30 % entre 2001 et 2002, c'est-à-dire une augmentation par palier,
pour finir, en 2002, par cette loi qui, bien évidemment, en 2003 au plus tard,
appellera un budget beaucoup plus important.
Par conséquent, les résultats d'une négociation qui, lundi soir, avaient été
qualifiés par les avocats d'« avancées très significatives », sont devenus
insuffisants hier, pour des raisons, je vous le dis très franchement, que je
n'ai pas bien comprises.
Cela étant, peu importe : ce qui me gêne dans cette affaire, monsieur le
sénateur, c'est qu'il faut absolument que le décret concernant les nouvelles
mesures paraisse. En effet, nous avons prévu un budget pour financer toutes les
dispositions que nous avons proposées, s'agissant notamment de la présence d'un
avocat dès la première heure de garde à vue et du remboursement des frais de
déplacement, qui n'étaient d'ailleurs jamais pris en compte auparavant, mais il
faut que ce décret soit pris. Or, tant que les avocats ne m'auront pas rendu
leur avis, je ne pourrai pas le transmettre au Conseil d'Etat.
Pour ma part, je reste persuadée que, en dépit des difficultés réelles que
rencontrent nombre d'avocats, un apport supplémentaire du Gouvernement, qui
consistera en la prise en compte de l'inégalité géographique, doit nous
permettre de sortir sereinement et par le haut d'une négociation dont chacun
comprend la portée sur le fond, mais qu'il faut accompagner par des mesures
budgétaires, que j'ai obtenues pour une large part.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
PÉNURIE DE MAIN-D'OEUVRE
DANS CERTAINS SECTEURS D'ACTIVITÉ