SEANCE DU 7 DECEMBRE 2000
M. Maurice Blin,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation pour l'exposé d'ensemble et les dépenses
en capital.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le budget qui nous est proposé ce soir comporte un certain nombre
d'éléments positifs qu'il convient de souligner.
La professionnalisation qui a été engagée en 1996 se poursuit. C'est une
révolution, le mot n'est pas trop fort. L'orientation européenne de notre
politique de défense se confirme. La force européenne de réaction rapide
devrait voir le jour en 2003. Le calendrier paraît un peu serré. Il s'agit,
vous le savez, de soixante mille hommes envoyés loin du territoire national
pendant un an. C'est aussi une révolution.
La coopération européenne en matière d'armement se poursuit également. Je
citerai rapidement le missile Météor, préféré par les Anglais à son concurrent
américain, mais aussi les frégates Horizon et la défection de la
Grande-Bretagne, les hélicoptères NH 90 et Tigre, et les hésitations
allemandes. L'organisation conjointe de coopération en matière d'armement,
l'OCCAR, se voit confier pour la première fois des responsabilités en matière
de recherche. Enfin, le nouvel avion de transport futur, l'A 400 M est doté,
dans le collectif que nous examinerons bientôt, de 20 milliards de francs sur
les 40 milliards de francs que coûte l'ensemble du programme. Cela est tout à
fait positif.
En revanche - c'est un détail, mais il a son importance - j'ai constaté que,
dans le cadre du programme de simulation qui remplace les expérimentations en
vraie grandeur du Pacifique et qui est confié à la direction des applications
militaires du Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, il y a avait une
diminution de crédits sur ce projet sensible qu'est le laser Mégajoule.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus sur ce sujet ?
Enfin, d'autres points sont intéressants. Le niveau d'activité de nos forces
se redresse. Les crédits consacrés à l'espace remontent après une chute
sensible en 2000. Le litige sur les M 51 entre la Direction générale pour
l'armement, la DGA, et AEDS est en voie de règlement, semble-t-il. La réduction
du coût d'intervention de la DGA est en bonne voie : il s'agissait, vous vous
le rappelez, de réaliser une économie de 30 % en six ans et l'on devrait
atteindre bientôt une baisse de 23 %, à condition, soulignons-le, qu'il ne
s'agisse pas d'un simple étalement des programmes, car cet étalement coûte
beaucoup plus cher qu'on ne le pense. Les crédits pour le renseignement
augmentent : Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, Direction
de renseignement militaire, la DRM, Direction de la surveillance du territoire,
la DST. L'association de la Direction des constructions navales, la DCN, avec
Thomson est opportune. Malheureusement, comment ne pas le dire, la situation du
GIAT, reste critique : sa recapitalisation aura coûté, aujourd'hui, 18
milliards de francs, soit à peu près le prix d'un porte-avions nucléaire.
Enfin, les moyens de la gendarmerie sont accrus.
Pour toutes ces raisons, certains ont pu parler d'un budget « globalement »
positif. En réalité, mes chers collègues, si l'on rapproche - c'est le rôle de
la commission des finances - les ambitions formulées, à savoir la création
d'une armée professionnelle et la mise en place d'une défense proprement
européenne, et, en face, les moyens financiers qui leur sont affectés, la
situation, je regrette de le dire, est loin d'être satisfaisante.
Je vous citerai quelques chiffres, mais je n'en abuserai pas.
Rapportées au PIB, les dépenses militaires représentaient, en 1996, 2,41 % ;
elles s'élèvent aujourd'hui à 1,96 %, et ont connu en dix ans, une chute de 15
% en francs constants. Dans le présent budget, les budgets civils augmentent de
0,4 % en francs constants. Le budget militaire régresse de 0,72 %, toujours en
francs constants.
Depuis 1990, la relation titre III-titre V s'est très exactement inversée :
les crédits d'équipement ont régressé de 57 % à 43 % et, inversement, les
crédits en personnels sont passés de 44 % à 57 %.
Enfin, et ce n'est pas le moindre, les crédits de recherche hors budget civil
de recherche et de développement technologique, le BCRD, régresseront l'année
prochaine de 4,5 %, alors - faut-il le rappeler ? - qu'ils augmentent aux
Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Dès lors, mes chers collègues, nous sommes confrontés à deux paradoxes. D'une
part, dans une armée professionnelle, en bonne logique, la part de l'équipement
devrait augmenter. Or, aujourd'hui, elle diminue.
D'autre part, alors que la croissance et les ressources fiscales augmentent,
le budget des armées, je regrette de le dire, paraît étriqué : il stagne ou il
régresse.
Face aux crédits consacrés à la fonction publique civile, la fonction
militaire, disons-le, n'est décidément pas prioritaire. Pourquoi ? C'est une
question que nous devons vous poser, monsieur le ministre, ainsi qu'à beaucoup
d'autres.
Je laisserai à mon collègue François Trucy le soin de traiter le titre III et
m'attacherai au titre V.
Je me contenterai de formuler une observation. Une armée professionnelle
supportera demain de plein fouet la concurrence de la société civile, en
particulier en matière d'emploi : elle doit attirer les meilleurs, s'assurer de
leur fidélité, prévoir leur renouvellement. La nôtre en sera-t-elle capable ?
Ce sera le grand défi de la prochaine loi de programmation. A l'heure où nous
sommes, il n'est pas du tout sûr qu'il soit relevé.
Enfin, la chute des crédits du titre V se poursuit : dans la loi de
programmation initiale, ils s'élevaient à 90,3 milliards de francs ; après la
révision des programmes, ils ont été ramenés à 86,9 milliards de francs -
c'était en 1998. Puis vint « l'encoche » de 1999 : le Sénat, souvenez-vous en,
avait alors voté le budget sous une condition, à savoir l'engagement du
Gouvernement de maintenir les crédits à 85 milliards de francs, soit, en francs
constants d'aujourd'hui, 86,9 milliards de francs en 2001. Or, l'an prochain,
les autorisations de programme ne s'élèveront qu'à 83,4 milliards de francs et
les crédits de paiement à 82,7 milliards de francs.
Vous nous objecterez, monsieur le ministre - vous l'avez dit et vous l'avez
écrit - qu'il ne faut proposer que des crédits susceptibles d'être consommés.
C'est le bon sens même ! Or la Cour des comptes a relevé en 1999, dernier
budget connu, que nous avions voté 86 milliards de francs, mais que seuls 69
milliards de francs, hors BCRD et dotation au CEA, avaient été consommés.
Pourquoi ? Nous voudrions savoir ce qu'il en très exactement car, à ce rythme,
à la fin de l'année 2002, il y aurait un an et demi de retard sur la
programmation initiale.
Tout cela se paye d'un retard dans l'exécution des programmes ; le rapport au
Parlement sur l'exécution de la loi de programmation d'octobre 2000 en
témoigne. Je citerai quelques exemples.
Fin 2001, 294 Rafale devraient être livrés : fin 1999, 49 ont été commandés et
un seul a été livré. Il est prévu 406 chars Leclerc : fin 1999, 310 ont été
commandés et 186 livrés dont 17, les premiers, sont impropres à l'activité
militaire et sans doute voués à la « cannibalisation ». En matière
d'hélicoptères, nous devrons avoir 95 NH 90 : 27 sont commandés et pas un seul
livré. Quant aux Tigre, nous en prévoyons 120 : fin 1999, 80 ont été commandés
et aucun n'a été livré.
Il s'ensuit un vieillissement inquiétant du matériel et surtout une rupture,
certaine maintenant, à prévoir en matière d'équipement entre 2005 et 2012.
Le Rafale, faut-il le dire, aura nécessité seize ans pour naître. Or le coût
de ce retard est impressionnant. Aujourd'hui se fait jour un décalage entre
l'appareil tel qu'il fut conçu voilà presque deux décennies et la demande qui
s'exprime à son endroit et que l'on ne pourra satisfaire qu'en modernisant
l'avion. A quel coût ?
Le porte-avions
Charles-de-Gaulle
aura connu, lui aussi, de longues
années de mûrissement. Il supporte aujourd'hui une avarie grave. Monsieur le
ministre, quels effets cette avarie risque-t-elle d'avoir sur sa présence à la
mer ?
Certains Transall - pas tous, mais beaucoup d'entre eux - ont près de quarante
ans d'âge. Les hélicoptères Puma sont presque à bout de souffle. On retrouvera
cette rupture au niveau des frégates Horizon et du véhicule blindé de combat
d'infanterie, le VBCI. Dans le même temps - je me l'explique mal, monsieur le
ministre, mais vous allez nous éclairer - les crédits d'entretien diminuent.
Vous nous direz que la structure intégrée de maintien en conditions
opérationnelles des matériels aéronautiques de la défense, la SIMMAD, a été
mise en place. Le soutien à la flotte l'accompagne. Mais leurs effets ne seront
sensibles que dans deux ans. Qu'en sera-t-il d'ici là ? Par conséquent, la
disponibilité des matériels n'est pas ce qu'elle devrait être ; elle régresse
pour certains d'entre eux.
Enfin, et ce sera mon dernier point, l'écart se creuse entre la France et la
Grande-Bretagne. Je vous renvoie sur ce point à mon rapport écrit. Je ne
prendrai qu'un simple exemple, celui de la marine : en 1999, ses crédits ont
été amputés, comme d'ailleurs ceux de l'espace, pour financer le lancement de
l'hélicoptère NH 90.
Certes, en 2001, les autorisations de programme repassent de 19 milliards de
francs à 22 milliards de francs. Mais il est bien tard, comme les chiffres en
témoignent.
S'agissant des bâtiments de défense aérienne, la France disposera demain de
deux frégates Horizon, alors qu'au même moment la Grande-Bretagne aura douze
bâtiments éauivalents. Et ces frégates Horizon ne seront mises en service actif
qu'au début de 2006.
Quant aux bâtiments de surface, si les chiffres qui m'ont été soumis sont
exacts - et je crois qu'ils le sont - la France en aura huit et la
Grande-Bretagne vingt-huit.
Ce décalage se retrouve dans la différence entre les crédits d'équipements
assumés par chacun des pays. L'année prochaine, la Grande-Bretagne consacrera
100 milliards de francs à ses équipements militaires ; la France, 82 milliards
de francs. Et j'ose à peine parler de l'Allemagne, qui dépassera difficilement
les 40 milliards de francs.
Je conclurai sur cinq questions :
Premièrement, pourquoi, monsieur le ministre, la défense est-elle aussi
médiocrement traitée ?
Deuxièmement, pouvons-nous prendre le risque de laisser se creuser l'écart
entre la France et la Grande-Bretagne, laquelle manifeste ouvertement sa
volonté de dominer demain la défense européenne ? Et ce risque est aggravé par
le déclin de l'effort de l'Allemagne en matière d'armement.
Troisièmement, comment espérer que l'Europe acquière jamais son autonomie face
aux Etats-Unis quand ceux-ci dépensent en équipement 36 000 dollars par soldat,
soit très exactement trois fois plus qu'elle ?
Quatrièmement, qu'en sera-t-il de la loi de programmation 2003-2008, années
non plus de développement, comme c'est aujourd'hui le cas, mais de fabrication
des équipements ? Verra-t-elle seulement le jour ? Chacun sait que le ministère
des finances n'y est pas fondamentalement favorable, c'est le moins qu'on
puisse dire. Le Parlement devrait être associé à sa préparation.
Monsieur le ministre, je vous livre une idée ; elle vaut ce qu'elle vaut, mais
je crois qu'elle a son prix : je suggère que le titre V, c'est-à-dire
l'investissement en matériel, soit « sanctuarisé ». Ce n'est qu'à ce prix qu'il
cessera de servir, comme ce fut le cas depuis de nombreuses années - et cela a
précédé votre venue au ministère, je le sais bien - de variable d'ajustement du
budget général.
Cinquièmement, ne peut-on craindre - et cette question est sans doute la plus
délicate de toutes - que l'armée professionnelle, faute de recrutement et
d'équipement en nombre et en qualité suffisants, tant en hommes qu'en matériel,
ne se vide pour ainsi dire de l'intérieur sous l'effet d'une sorte d'hémorragie
silencieuse ? Bien évidemment, les militaires ne manifestent pas. Ils ne
descendent pas dans les rues mais ils souffrent et se taisent. Leur manière de
ne pas se satisfaire de la situation qui leur est faite sera de rester le long
du chemin. Les jeunes ne rejoindront pas cette armée qui a longtemps représenté
pour eux une destination d'élite.
Telles sont, monsieur le ministre, les graves questions que la commission des
finances, après l'étude attentive de votre budget, a été conduite à se poser.
C'est parce qu'elles sont aujourd'hui sans réponses qu'elle ne peut, mes chers
collègues, pas plus que l'année dernière - et cette décision peut coûter - vous
en recommander l'adoption.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Trucy, rapporteur spécial.
M. François Trucy,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation pour les dépenses ordinaires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dépenses
ordinaires du budget de la défense proposé pour 2001 s'élèveront à 105,5
milliards de francs, dont 85 milliards de francs de rémunérations et de charges
sociales. Les effectifs budgétaires s'établiront à moins de 450 000 emplois
budgétaires.
Cela représente une progression de 0,9 % en francs courants, à rapprocher des
2,3 % accordés aux dépenses de fonctionnement des budgets civils et du taux
d'inflation prévu, soit déjà 1,6 % en 2000. Par conséquent, le budget est en
régression en francs constants.
Je souhaite, monsieur le ministre, saluer à mon tour, après M. Blin et sans
doute avant d'autres rapporteurs, l'ampleur, la portée et la réussite de la
considérable réforme administrative conduite par vous et, en partie, par votre
prédécesseur, au titre de la professionnalisation de nos armées.
Vous vous êtes totalement investi dans cette réforme exceptionnelle. Mais il
est possible d'être un bon ministre et d'avoir un mauvais budget.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Eh oui !
M. François Trucy,
rapporteur spécial.
Les observations que je formulerai vous irriteront
sans aucun doute. J'espère cependant que vous leur prêterez attention.
Mon analyse critique conduira en effet à mesurer les limites et les risques
inhérents à la situation atteinte aujourd'hui.
Selon le Gouvernement, le projet de budget militaire pour 2001, dans son titre
III, garantit « globalement » la réussite du modèle de professionnalisation
arrêté en 1996 et intégré dans la loi de programmation.
En réalité, le niveau des effectifs atteint aujourd'hui se rapproche de la
prévision mais son coût est beaucoup plus élevé que prévu. La réforme me paraît
reposer, en outre, sur des déséquilibres catégoriels qui risquent de
s'accroître, au détriment de la professionnalisation.
La réduction des effectifs pèse d'abord plus lourdement que prévu sur les
officiers et les sous-officiers.
Ainsi, pour les deux exercices 2000 et 2001, pour 6 658 suppressions d'emplois
envisagées, 7 402 ont été effectivement réalisées. Comme, parallèlement, la
part relative des militaires du rang s'est accrue plus que prévu - 1 600
créations effectives contre 15 600 prévues - on risque d'évoluer vers un
sous-encadrement et vers une détérioration de la qualité des effectifs,
contraire aux objectifs affirmés de la loi de programmation.
Cette diminution du nombre des sous-officiers s'accompagne, en outre, d'un
rajeunissement des cadres, que votre ministère présente comme « conforme aux
normes d'une armée professionnelle », mais qui repose, nous le savons, sur des
considérations purement budgétaires, dès lors que le rajeunissement coûte moins
cher.
Cela posera, assez rapidement, le problème de la coexistence de cadres
militaires rajeunis avec des personnels civils plus anciens, parce que non
soumis à des impératifs de mobilité et de départ précoce.
Ensuite, le recrutement des militaires du rang, enjeu essentiel et principale
difficulté des armées professionnalisées, suscite aujourd'hui de réelles
inquiétudes.
Plusieurs facteurs pèseront rapidement sur le volume et la qualité du
recrutement au sein des armées, et surtout sur la capacité de celles-ci à «
conserver », à fidéliser leur ressource : la reprise économique et celle du
marché du travail, l'application des 35 heures sur le marché privé et sa
transposition à la fonction publique civile, en regard des lourdes contraintes
propres au métier militaire, et l'insuffisance évidente, en l'état actuel, des
« avantages annexes » "tels qu'on les définit" proposés, en particulier pour ce
qui concerne les capacités, les aides au logement et les avantages familiaux,
lesquels sont très en retard.
Enfin, les prévisions faites en matière de recrutement de personnels civils
sont clairement infirmées par la réalité.
Sur les 3 867 emplois nouveaux prévus sur 2000-2001 par la loi de
programmation, l'armée a dû accepter d'en supprimer 651. Le déficit en
personnels civils prend désormais une ampleur inquiétante. Il oblige, en
particulier, à faire assumer une part croissante des tâches civiles par les
personnels militaires, ce qui est dissuasif pour le recrutement, va à
l'encontre de la notion de « professionnalisation » et compromet le
renouvellement des contrats.
Au total, le projet de loi de finances pour 2001 accentue la réduction
d'effectifs prévue par la loi de programmation militaire. De fait, monsieur le
ministre, certains secteurs, comme le service de santé, les ingénieurs de
l'armement, les informaticiens et les atomiciens connaissent aujourd'hui des
difficultés de recrutement réellement préoccupantes. Je sais que vous avez
prévu des mesures pour les deux premières catégories. Mais seront-elles
suffisantes pour enrayer la tendance ?
Deuxièmement, la progression des dépenses de rémunérations et de charges
sociales depuis 1996 se poursuit dans le budget pour 2001. Ce n'est pas une
critique ; c'est une constatation. Mais elle a des conséquences.
De fait, le niveau d'exécution du titre III, depuis 1995, est systématiquement
supérieur au montant des crédits inscrits en loi de finances initiale.
Avec près de 85 milliards de francs, les dépenses de rémunérations et de
charges sociales pour 2001 représentent désormais plus de 80 % du titre III,
soit près de la moitié du budget militaire.
En exécution, de 1996 à 1999, les dépenses de rémunérations auront progressé
de plus de 8 %, celles des charges sociales de près de 17 %, tandis que les
crédits de fonctionnement courant auront diminué de 20 %.
Certes, plusieurs facteurs, de nature différente et indépendants de votre
volonté, concourent à cette évolution.
Toutefois, il est clair que l'incidence financière de la professionnalisation
n'a jamais été évaluée à sa juste mesure et qu'il faut tenir compte de cette
notion pour la future loi de programmation.
Si la professionnalisation s'accompagne d'une baisse des effectifs, les
professionnels, même moins nombreux que les appelés, coûtent beaucoup plus
cher.
Surtout, ce qui nous paraît grave, c'est que cette progression des dépenses de
rémunérations et de charges sociales se fait à enveloppe fermée, au détriment
des crédits de fonctionnement courant et d'entretien, et donc
in fine
de
la capacité opérationnelle des armées françaises.
La diminution de 20 % en trois ans des dépenses d'entretien et de
fonctionnement courant se traduit - je vous prie de le croire car je l'ai
constaté sur place au cours des différentes visites que j'ai effectuées sur le
terrain - par l'incapacité d'entretenir le matériel de façon correcte, par
l'insuffisance croissante des pièces de rechanges, et
in fine
par la
détérioration constante de la capacité opérationnelle de l'armée française :
chars Leclerc, hélicoptères, bâtiments de la marine nationale immobilisés.
Il est de notoriété publique que, pendant la première moitié de l'actuelle loi
de programmation, les crédits de fonctionnement ont chaque année servi de
variable d'ajustement au sein du titre III - M. Blin en parlait dans les mêmes
termes - et ont financé la hausse des crédits de rémunérations et de charges
sociales.
Certes, il faut vous en donner acte, cette tendance est partiellement enrayée
depuis la loi de finances initiale pour 2000, mais nous serons particulièrement
attentifs aux conditions d'exécution budgétaire définitive, qui, nous devons le
reconnaître, s'écartent quasiment chaque année des prévisions initiales. Dans
ce domaine, la très faible reprise ainsi amorcée ne suffit en aucun cas à
pallier les effets du retard accumulé depuis trois ans et l'augmentation des
crédits affichée pour 2001 n'améliore pas sensiblement les moyens.
Ainsi, la dotation « carburants », qui s'élève à 2 970 millions de francs,
soit une hausse de près de 700 millions de francs, dans le projet de loi de
finances est fondée sur des hypothèses d'ores et déjà dépassées : baril de
pétrole à 20 dollars et dollar à 6,50 francs, soit une sous-estimation de plus
de 70 % du prix du baril actuel exprimé en francs ; cela impliquera
nécessairement d'importants abondements en cours d'exercice.
N'avez-vous pas dû, en 2000, obtenir près de 900 millions de francs de crédits
supplémentaires ? Dans ce domaine, ce n'est plus de la prévision, le ministère
joue l'impasse. Le prix du pétrole ne reviendra sans doute jamais plus au
niveau que nous avons connu, l'OPEP, l'Organisation des pays exportateurs de
pétrole, y veille.
De même, les crédits consacrés aux activités des forces restent modestes et,
surtout, inférieurs aux besoins.
L'amélioration annoncée ne permettra pas de combler les écarts - désormais
importants - avec l'armée britannique - M. Blin a suffisamment insisté sur ce
point mais nous travaillons tous en termes de comparaisons et quand on parle de
l'Europe, il faut bien faire des comparaisons - 81 jours de sortie en moyenne
pour l'armée de terre française, contre 110 à 150 jours pour les Britanniques ;
90 jours de sortie en mer, contre 150 ; 181 heures de vol pour les pilotes de
combat, contre 211.
En tout état de cause, l'effort promis à ce titre ne fera-t-il pas long feu,
dans la mesure où le dispositif nouveau annoncé pour 200 millions de francs
l'est « à titre non reconductible » à hauteur de 150 millions de francs ?
S'agissant de l'« externalisation », on pourra s'étonner du fait que cette
démarche, pourtant qualifiée de « prometteuse », semble déjà marquer le pas :
216 milions de francs de mesures nouvelles en 2000, la moitié seulement - 104
millions de francs - en 2001. En outre, ces « mesures nouvelles » n'en sont pas
véritablement à nos yeux puisqu'elles sont gagées par des gels d'emplois
militaires pour un montant équivalent. Il paraît en tout cas souhaitable - et
vous l'avez certainement demandé, monsieur le ministre - avant de poursuivre
cette expérience, d'ailleurs plus avancée chez nos partenaires allemand et
britannique, de procéder à une analyse comparative détaillée des fonctions
ainsi exercées, et de s'assurer de la sécurité juridique et financière des
activités sous-traitées. Ces éléments permettront sans doute de définir une
politique d'externalisation véritable et pérenne.
Au total, il est impossible de conclure, dans ce budget, à une réelle
amélioration des moyens de fonctionnement et d'entretien. Les retards accumulés
depuis 1996 persistent. Il en résulte que cette évolution risque de
disqualifier cette réussite « globale » de la professionnalisation française,
que nous reconnaissons. Je rappellerai à nouveau qu'en 1999 le montant des
moyens de fonctionnement par militaire français était deux fois moindre qu'au
Royaume-Uni et, M. Blin l'a dit, près de trois fois inférieur au niveau
américain.
Je souhaiterais, en conclusion, vous faire part de mes interrogations sur la
charge croissante des missions de service public assurées quasiment sans
relâche par nos militaires et sur l'insuffisance de la prévision budgétaire
pour les OPEX, les opérations extérieures.
Opération POLMAR, plan de lutte contre les pollutions marines - 180 millions
de francs - et suites du naufrage de l'
Erika
, opération ORSEC,
organisation des secours - 75 millions de francs - liée aux tempêtes de la fin
décembre 1999, naufrage de l'
Ievoli Sun
voilà quelques semaines, ces
missions finissent nécessairement par s'effectuer au détriment des tâches
strictement militaires et ne nous paraissent pas conformes, à ce niveau-là, à
la notion d'armée professionnelle.
L'armée rend incontestablement des services. Elle le fait dans de parfaites
conditions et avec une immense bonne volonté, mais ce n'est tout de même pas sa
première tâche. En tout état de cause, ces sommes doivent faire l'objet d'un
remboursement spécifique. Monsieur le ministre, sera-t-il effectué ? Elles ne
doivent pas trop obérer ni la formation, ni l'entraînement, ni les conditions
de vie familiale des militaires.
Enfin, à quoi rime, dans ce budget de la défense, de faire systématiquement
l'impasse - je suis un peu brutal dans mon expression - sur l'essentiel des
crédits destinés aux opérations extérieures ?
Pour le titre III, le surcoût lié à ces opérations a été, en 1999, de 4 563
millions de francs ; en 2000, il est estimé à 3 368 millions de francs. En
2000, vous avez dû dégager 2 016 millions de francs dans le collectif.
Ne pas inscrire un crédit au moins provisoire pour des opérations dont
plusieurs sont maintenues depuis des années et que l'on connait pas coeur,
d'une part, fait prendre au budget de la défense le risque des incertitudes de
toute loi de finances rectificative - c'est toujours un pari - et, d'autre
part, ne donne pas à ce budget un visage sincère.
Au total, monsieur le ministre, si nous saluons très sincèrement la
performance accomplie avec la professionnalisation, par vous et par votre
entourage, nous avons néanmoins le sentiment d'arriver, en fin de
programmation, à un niveau d'effectifs inférieur à la prévision, un peu plus
jeunes, moins « civilisés » - en ce sens qu'ils ont moins de tâches civiles que
prévu et pourtant plus coûteux. Mais ce n'est pas le plus grave.
Ces effectifs ne disposent pas de moyens de fonctionnement à la hauteur,
précisément, d'une armée professionnelle ; nous espérons vous en avoir
convaincu.
A l'heure où la défense européenne a franchi, grâce à vous notamment, des
étapes considérables, nous ne souhaitons pas voir nos armées rester sur le bord
du chemin, et nous ne voulons pas voir la professionnalisation, unanimement
décidée, marquer le pas. C'est la raison pour laquelle la majorité de la
commission des finances a décidé de proposer au Sénat le rejet des crédits
inscrits au titre III du budget de la défense.
Si vous le permettez, j'ajouterai un mot pour conclure, en soulignant que,
pour le Gouvernement, il n'était pas vraiment très difficile de « boucler »
financièrement le budget pour 2001. Dans ces conditions, alors que des sommes
considérables sont affectées à des objectifs au caractère politique bien
précis, il était possible de donner au titre III de ce budget de la défense
quelques moyens supplémentaires qui auraient effacé les critiques que je viens
de formuler. Il n'en a rien été. C'est dommage, grand dommage !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. de Villepin, rapporteur pour avis.
M. Xavier de Villepin,
en remplacement de M. Jean Faure, rapporteur pour avis de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour le nucléaire,
l'espace et les services communs.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir
excuser notre collègue Jean Faure qui, retenu, m'a demandé de le suppléer ce
soir.
Sur l'ensemble très divers des crédits du nucléaire, de l'espace et des
services communs, je m'en tiendrai à quatre observations principales.
Dans le domaine spatial, nous sommes préoccupés par la poursuite des
programmes d'observation Hélios II et de télécommunications Syracuse III.
Intégralement supporté par la France, faute de partenaire, leur financement
sera-t-il assuré au cours des prochaines années, de manière à disposer aux
échéances prévues des capacités correspondantes ?
Nous nous interrogeons aussi sur le degré réel d'engagement de l'Allemagne et
de l'Italie dans les programmes d'observation radar qu'elles proposent de
mettre à la disposition de l'Union européenne. Dans quelles conditions et à
quelle échéance pourrait fonctionner un système européen autonome et complet
d'observation spatiale, organisé autour d'Hélios II et des équipements radars
italiens et allemands ?
S'agissant de la délégation générale pour l'armement, nous regrettons les
difficultés persistantes de consommation des crédits d'équipement. Etes-vous
parvenu, monsieur le ministre, à en identifier toutes les causes, et comment
peut-on rapidement améliorer la situation ?
Une deuxième inquiétude concerne les dotations d'études en amont, qui ont
diminué de 25 % depuis 1996 et qui seront simplement stabilisées en 2001. Il
est indispensable d'inverser cette évolution qui nous rétrograde par rapport au
Royaume-Uni et creuse l'écart, déjà considérable, avec les Etats-Unis.
Enfin, nous prenons acte de la lente évolution de la direction des
constructions navales, la DCN, et de la constitution d'une société que vous
connaissez tous, mes chers collègues, et qui a pour nom Thalès. Peut-on
cependant espérer voir la DCN enfin dotée, en 2001, d'un statut plus adapté,
lui permettant de conserver son rang dans la compétition commerciale
internationale ?
Notre troisième observation concerne le service de santé des armées, dont la
commission des affaires étrangères a souligné, en 1999, dans un rapport
d'information, la situation difficile. Une prise de conscience semble enfin
s'être opérée, avec un début de revalorisation de la carrière des médecins
militaires.
Ces mesures sont malheureusement tardives et insuffisantes. Le sous-effectif
en médecins s'aggrave, le recrutement sur titres est un échec, les départs de
médecins militaires vers le secteur civil s'amplifient et la condition des
personnels n'a pas suivi l'augmentation de la charge de travail, due,
notamment, aux missions extérieures. C'est une action beaucoup plus vigoureuse
qu'il faudra mener si nous voulons conserver dans nos armées un soutien médical
de haute qualité, qui demeure une spécificité française.
Enfin, je terminerai par la dissuasion nucléaire. Avec 15,6 milliards de
francs, les crédits consacrés au nucléaire enregistrent une nouvelle diminution
et atteignent leur niveau historiquement le plus bas.
Nous souhaiterions des précisions sur l'accord intervenu avec les industriels
sur le programme M51. Quel sera son surcoût pour la défense par rapport aux
montants définis en 1998 ?
Nous constatons avec inquiétude que les crédits du nucléaire diminuent
sensiblement plus vite que ne le prévoyait la loi de programmation.
Nous redoutons les conséquences, non visibles aujourd'hui, de cette érosion,
qui n'a pas affecté les grands programmes mais qui pèse sur le financement de
la recherche et la préparation de l'avenir.
Dans un domaine aussi complexe et sensible, il ne faudrait pas que cette
tendance se prolonge, sous peine d'affecter insidieusement la qualité de nos
capacités scientifiques et technologiques.
D'autre part, la période 2003-2008 exigera une remontée des crédits du
nucléaire pour la réalisation d'équipements majeurs, en particulier pour les
moyens de simulation. Nous pensons que la forte décrue opérée depuis 1997 ne
nous place pas dans une situation optimale pour aborder la phase suivante de
l'adaptation de l'outil de dissuasion. C'est pourquoi, tout en reconnaissant
que les objectifs de modernisation définis en 1996 ne sont pas remis en cause,
la commission demeurera extrêmement vigilante sur le sort qui sera réservé au
financement de la dissuasion nucléaire dans la prochaine loi de programmation
militaire.
En conclusion, malgré quelques motifs de satisfaction, les crédits relevant du
nucléaire, de l'espace et des services communs souffrent du non-respect, pour
la deuxième année consécutive, des engagements de stabilisation des crédits
d'équipement pris en 1998, alors même que se renouvellent des opérations aussi
contestables que la ponction sur le titre V, au titre du budget civil de
recherche et développement.
Pour cet ensemble de raisons, la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées a émis un avis défavorable sur ce projet de
budget.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Masson, rapporteur pour avis.
M. Paul Masson,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées pour la section « Gendarmerie ».
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le bref temps qui
m'est imparti, je voudrais aller à l'essentiel.
Je ne remplirais pas, ici, mon rôle de rapporteur pour avis de la gendarmerie
si je ne vous disais pas ce soir qu'il y a dans l'arme une mauvaise humeur
indéniable - même si nous n'en percevez pas, monsieur le ministre, et c'est
normal, directement les effets -, voire un certain malaise. Je fais cette
constatation sans la moindre humeur et sans la moindre polémique, mais je vous
dois la vérité, tout au moins celle que je ressens.
Le premier sujet de préoccupation de l'arme concerne la répartition des
effectifs et leur évolution à terme. Il faut apprécier ce problème au regard de
l'accroissement des missions confiées à la gendarmerie depuis de nombreuses
années.
L'arme se trouve de plus en plus impliquée, vous le savez parfaitement,
monsieur le ministre, dans la sécurité des zones périurbaines. Aujourd'hui, les
brigades en zones périurbaines ne réunissent que 39 % des effectifs, mais elles
supportent la moitié du total des crimes et délits concernés par la
gendarmerie. Ces chiffres nous donnent la mesure de l'effort qui reste à faire
pour renforcer ces unités !
C'est un problème difficile, mais ce déséquilibre ne fera que croître, et nous
ne pouvons pas passer à côté de cette très grave question d'effectifs.
On ne peut pas laisser croire que les seuls gendarmes adjoints permettront, à
terme, de répondre à cette urgence ! Il faudra créer des postes de
professionnels, et nous nous réjouissons, à cet égard, de la création de 1 500
emplois d'officiers, prévue sur trois ans.
Quelle sera l'orientation de la future loi de programmation ? Vous ne pourrez
pas transiger sur ce point essentiel, même avec le ministère de l'économie et
des finances !
La deuxième observation que je me permets de formuler ce soir a trait aux
conditions actuelles d'exercice des missions de la gendarmerie.
Pour comprendre les raisons de l'inquiétude de l'arme, il faut considérer que
la charge de travail de certaines gendarmeries va à l'encontre de l'évolution
générale de la société dans ce domaine. L'évolution de la condition de la
gendarmerie, telle qu'elle est perçue dans les unités, dans les brigades, va
ainsi à rebours des tendances de la société.
Les personnels comme les familles s'en aperçoivent, et ils supportent de moins
en moins bien, il faut le dire, les perturbations que le travail provoque sur
la vie familiale.
Il n'est pas question d'appliquer la loi sur les 35 heures, qui n'est pas
compatible avec le statut militaire, mais ces sujétions méritent de ne pas
rester sans contrepartie. Il y va, je le crois, du caractère attractif du
métier pour la génération à venir.
L'obtention d'une indemnité pour charge de travail a-t-elle une chance de se
concrétiser dans un délai relativement rapproché ?
En troisième lieu, les divers besoins que je viens d'évoquer doivent
s'apprécier dans un contexte de profonde transformation, dans les dix ans, des
missions confiées à la gendarmerie. L'arme aura, en 2007 ou en 2010, des
missions très différentes de celles qu'elle connaît aujourd'hui. L'implication
croissante de la gendarmerie dans les zones périurbaines, en particulier,
suppose non seulement un renforcement, mais aussi une adaptation considérable
des méthodes d'action.
Dans cette perspective, les conditions de recrutement et de formation des
fonctionnaires doivent naturellement retenir toute notre attention.
Inspirée par la volonté de rapprocher davantage la gendarmerie de la société,
au contact de laquelle elle évolue, la réforme du recrutement des officiers,
qui sera mise en oeuvre dès l'année prochaine, va dans le sens d'une
diversification souhaitable de l'origine des cadres de l'arme.
Cette mutation profonde et, je crois, nécessaire, ne doit cependant pas
affaiblir le lien que la gendarmerie a avec l'institution militaire, qui
constitue l'un de ses atouts essentiels. Au moment où des voix s'élèvent, dans
notre pays mais aussi dans certaines enceintes européennes, pour contester le
caractère militaire des forces de sécurité, il nous paraît indispensable de
réaffirmer tout l'intérêt, pour notre pays, de la spécificité du statut de la
gendarmerie.
Je suis persuadé que vous pourrez, monsieur le ministre, dissiper ce soir les
inquiétudes qui se sont manifestées à cet égard, ainsi que les rumeurs qui se
multiplient sur ce thème dans certains syndicats de police.
Sans doute les crédits réservés à la gendarmerie progressent-ils de 2,6 % au
sein du budget de la défense.
Sans doute les besoins seront-ils satisfaits en matière de fonctionnement.
Il convient cependant de rappeler qu'il ne s'agit que d'un rattrapage tout à
fait justifié, après les dotations notamment insuffisantes des derniers budgets
de la gendarmerie. Mais, monsieur le ministre, le budget de la défense forme un
tout ! L'insuffisance manifeste des moyens des autres armées, exprimée avec
force par mes excellents collègues rapporteurs, nous conduit à proposer, au nom
de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le
rejet global de votre budget.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon, rapporteur pour avis.
M. Serge Vinçon,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées, pour la section « Forces terrestres ».
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget des forces
terrestres pour 2001 présente des caractéristiques très proches de celui de
l'an passé.
Nous regrettons, tout d'abord, la remise en cause, pour la deuxième année
consécutive, des engagements pris en 1998. Les dotations d'équipement de
l'armée de terre sont nettement inférieures au niveau défini après la « revue
de programmes », l'écart s'élevant à 1 milliard de francs pour les crédits de
paiement et à 800 millions de francs pour les autorisations de programme.
Cette nouvelle érosion du titre V risque d'entraîner retards et surcoûts,
alors que, par ailleurs, l'insuffisance persiste en matière de crédits
d'études, d'infrastructures ou d'entretien programmé des matériels.
La disponibilité opérationnelle des matériels majeurs de l'armée de terre
s'est gravement détériorée et se situe dix à quinze points au-dessous du niveau
acceptable. Cette situation exigera un vigoureux effort de remise à niveau.
Ma deuxième observation porte sur le titre III, dont le niveau ne permet pas
de lever toutes les contraintes qui pèsent sur le fonctionnement d'une armée en
profonde restructuration et fortement sollicitée, tant à l'extérieur que sur le
territoire national.
Certes, la diminution des crédits de fonctionnement se ralentit quelque peu.
Mais les crédits supplémentaires destinés aux produits pétroliers se fondent
sur des prix inférieurs de 40 % aux cours actuels, alors que ceux qui sont
prévus pour des actions nouvelles de sous-traitance ne font que compenser des
suppressions de postes d'appelés ou de civils.
Seules deux mesures permettent réellement de dégager des moyens nouveaux :
l'une pour les frais de transport des compagnies tournantes outre-mer, l'autre
pour relever de sept jours le taux d'activité des forces terrestres.
Ces mesures sont bienvenues, mais ne permettent pas de remédier aux nombreuses
insuffisances que j'avais déjà soulignées l'an passé. En matière d'activités,
nous sommes encore loin de l'objectif de 100 jours, lui-même inférieur aux taux
constatés chez les Américains ou chez les Britanniques. Cela a déjà été dit.
Les crédits de fonctionnement demeurent également insuffisants pour
l'entretien immobilier, les dépenses liées au dispositif de recrutement et de
reconversion, l'informatique courante des unités et les surcoûts liés à la
transition, par exemple les frais de formation des personnels civils ou ceux de
gardiennage d'emprises libérées par les formations.
Ma troisième observation porte sur le rythme d'activités de l'armée de terre,
qui a atteint un sommet au début de cette année 2000. Ce que l'on a appelé la «
surchauffe » s'est atténuée, mais elle a fortement pesé sur la charge de
travail des personnels.
Tout indique que la durée moyenne de travail des militaires de l'armée de
terre dépasse très largement, évidemment, celle qui est en vigueur, dans le
milieu civil.
S'agissant des conditions de vie et de travail des personnels de l'armée de
terre, la commission estime que les contraintes inhérentes à la condition
militaire doivent impérativement être prises en compte, en considérant à la
fois la réalité du rythme d'activité et la nécessité d'éviter une grande
différence entre l'évolution sociale de l'environnement civil et celle du
milieu militaire. Or, nous ne trouvons dans ce budget aucune traduction
concrète d'une amélioration de la condition militaire.
Cette réalité ne pourra pas rester sans reconnaissance, sous une forme ou sous
une autre. Aux yeux de la commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées, une amélioration du régime indemnitaire ou la mise en place
de mesures de compensation est indispensable, faute de quoi nous risquerions de
connaître des difficultés de recrutement ainsi qu'une dégradation du moral et
de la motivation dans les formations.
Je conclurai en remarquant que ce budget pour 2001 confirme un évident recul
de la défense dans l'ordre des priorités gouvernementales, au moment même où la
contrainte budgétaire générale s'avère moins forte et permet certaines marges
de manoeuvre.
Ces arbitrages financiers défavorables à la défense se trouvent être en
contradiction avec nos ambitions justement affichées de renforecment des
capacités européennes de défense. Il est désormais clair que les moyens
budgétaires ne sont pas à la mesure du rôle d'entraînement que prétendait jouer
notre pays.
A quelques mois de l'élaboration de la prochaine loi de programmation
militaire, cette tendance est inquiétante, car elle porte en germe un
affaiblissement relatif de nos capacités militaires, notamment par rapport au
Royaume-Uni.
L'érosion du budget de l'armée de terre pour 2001 traduit le fléchissement
imposé à notre effort de défense malgré l'amélioration des finances publiques.
C'est dans ce contexte que la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées a émis un avis défavorable sur ce budget des forces
terrestres.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait, rapporteur pour avis.
M. Bernard Plasait,
en remplacement de M. Jean-Claude Gaudin, rapporteur pour avis de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la
section « Air ».
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, M. Jean-Claude Gaudin, empêché, m'a demandé de le suppléer, ce que
je fais bien volontiers.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Sans l'accent !
(Sourires.)
M. Bernard Plasait,
rapporteur pour avis.
Le présent projet de budget de l'armée de l'air
pour 2001 consacre son passage à l'armée professionnelle.
Dans ce contexte, la dotation de fontionnement permet, cette année, de
répondre aux exigences de la professionnalisation et de l'activité
opérationnelle de l'armée de l'air. Les crédits d'équipement, en revanche, en
s'inscrivant dans la continuité des dotations contraintes, ne permettent pas de
rattraper les encoches du passé et de préparer l'avenir dans de bonnes
conditions. D'ores et déjà, le « contrat » de modèle d'armée de l'air prévu
pour 2015 ne sera atteint, sur le plan qualitatif, qu'à hauteur de 50 %.
Avec 15,7 milliards de francs, soit un niveau analogue à celui de l'an passé,
les crédits de fonctionnement permettent d'honorer les échéances définies par
la loi de programmation.
La professionnalisation est désormais accomplie : avec 68 600 hommes en 2001,
l'armée de l'air recrutera 433 volontaires, 1 466 militaires techniciens de
l'air et 159 civils afin de compenser la diminution prévue de 3 348 postes.
Dans un marché du travail de nouveau concurrentiel, le recrutement doit être
l'un des éléments d'une véritable politique de ressources humaines, afin
d'attirer, au sein de l'armée de l'air, des personnels de qualité.
Le recrutement dans certaines filières proposées par l'armée de l'air demeure
cependant, à ce jour, déficitaire, faute d'une revalorisation attendue depuis
l'an passé. Je pense, en particulier, à la situation des commandos de l'air, à
ce jour non résolue, et à l'hémorragie des informaticiens que connaît
actuellement notre armée.
Monsieur le ministre, comment sera-t-il possible de résoudre ces problèmes
d'effectifs, qui risquent, à terme, d'affecter d'une certaine façon le
fonctionnement de l'armée de l'air ?
La professionnalisation implique le développement de l'externalisation de
fonctions non opérationnelles, pour laquelle le projet de budget 2001 prévoit
105 millions de francs. Monsieur le ministre, quelles seront, selon vous, les
mesures qui permettront d'étendre l'expérience conduite sur la base de
Varennes-sur-Allier, sans nécessairement entraîner de surcoût ?
Par ailleurs, la dotation attribuée au fonctionnement courant, qui représente
10,8 % du titre III, devrait permettre à nos pilotes de combat d'atteindre le
seuil des 180 heures de vol annuel correspondant à la norme OTAN et de
participer davantage aux exercices interalliés.
Je rappelle, par ailleurs, monsieur le ministre, que l'augmentation de 29 %
consentie cette année en faveur de la dotation des carburants aéronautiques ne
permettra pas, du fait de la sous-évaluation de ses bases de calcul, de couvrir
la totalité de notre activité aérienne.
Les crédits d'équipement, avec 18,5 milliards de francs, sont, pour leur part,
inférieurs de près de 2 milliards de francs à l'annuité définie dans la loi de
programmation ajustée par la revue de programmes. Dans cette enveloppe très
serrée, la priorité est accordée aux programmes majeurs présentés dans mon
rapport écrit. Je me bornerai à évoquer deux éléments importants pour l'armée
de l'air : le Rafale et l'A400M.
Douze avions Rafale seront commandés cette année et permettront de constituer
le premier escadron en 2005. Dont acte.
Il reste que l'accumulation des retards que ce programme a subis au cours des
dix dernières années, sans affecter la qualité opérationnelle de l'appareil,
complique ses chances à l'exportation. L'enjeu semble porter aujourd'hui sur
l'éventuelle participation de l'Etat au développement d'un standard spécifique
à l'exportation.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer l'état de vos réflexions
sur ce sujet ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
J'aimerais aussi connaître les vôtres !
M. Bernard Plasait,
rapporteur pour avis.
Bien qu'indépendante du présent projet de budget,
il faut se féliciter de l'ouverture de 20 milliards de francs d'autorisations
de programme par le collectif budgétaire actuellement en cours de discussion,
qui permettra à l'armée de l'air d'honorer sa première commande d'A400M au
printemps 2001.
Cependant, au-delà de ce geste, qui témoigne clairement de notre volonté de
participer activement à l'Europe de la défense et à la réalisation d'une
capacité de projection essentielle pour l'avenir, l'armée de l'air devra
contribuer, sur ses propres autorisations de programme, à hauteur de quelque
cinq milliards de francs. Ce prélèvement ne risque-t-il pas d'affecter sa
capacité d'engagements futurs ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un
contexte stratégique où l'arme aérienne revêt une importance cruciale, dont nos
partenaires Britanniques ont d'ailleurs déjà tiré, pour leur part, les
conséquences financières appropriées, nous aurions apprécié que le projet de
budget « Air » pour 2000 montre plus d'ambition pour compenser les contraintes
passées.
C'est dans cet esprit que la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées s'est déclarée défavorable à l'adoption des crédits de la
défense pour 2001.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendant, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. André Boyer, rapporteur pour avis.
M. André Boyer,
rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées, pour la section « Marine ».
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, pour 2001, le budget de la marine
s'élèvera à 33,4 milliards de francs, en augmentation de 1,3 % par rapport à
2000, en raison essentiellement de la hausse des crédits du titre V, qui
enregistreront une progression significative de 16,3 % en autorisations de
programme, pour atteindre 21,9 milliards de francs, et de 3,2 % en crédits de
paiement, pour atteindre 20,75 milliards de francs.
Le niveau des crédits du titre III - 12,7 milliards de francs - paraît
satisfaire aux besoins de la marine, malgré une légère diminution à structure
constante.
En 2001, les crédits de personnel resteront prépondérants dans le titre III -
78,6 % - et permettront d'accompagner la professionnalisation. Plus de 3 400
postes seront supprimés, portant l'effectif total à 55 300 personnes. La marine
sera totalement professionnalisée et aura rejoint son nouveau format à la fin
de l'année prochaine.
Pour compenser partiellement la baisse du nombre d'appelés et d'officiers
mariniers, plusieurs catégories de personnels voient leurs effectifs augmenter.
La marine fera notamment apppel à 427 civils supplémentaires.
En la matière, pourtant, elle doit faire face à des difficultés persistantes.
Le déficit du recrutement s'élève à 10 % des effectifs, sans que sa résorption
paraisse possible à brève échéance. Pour pallier le manque d'environ 900
civils, la marine a cherché à recruter par concours et à développer la
sous-traitance, en gageant 188 postes vacants d'ouvriers et 40 postes
d'appelés, ce qui porte à 127 millions de francs les crédits dévolus à la
sous-traitance.
Dans ce domaine, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer comment et
dans quels délais vous pensez pouvoir résorber le déficit en personnels civils
et dans quelle mesure la sous-traitance doit encore se développer dans les
armées ?
Au sein des crédits du titre III, je souhaite attirer votre attention sur le
niveau des crédits destinés aux produits pétroliers, car ceux-ci conditionnent
largement le niveau d'activité de nos bâtiments, et donc le bon entraînement de
la marine.
Je constate avec satisfaction que, en 2000, à l'occasion de deux lois de
finances rectificatives, des moyens supplémentaires ont été dégagés à hauteur
de 85 millions et 90 millions de francs pour garantir un taux moyen de 90 jours
de mer.
En 2001, en raison de la hausse des prix du pétrole et du cours du dollar, ces
crédits doivent progresser de 30,5 % par rapport à la dotation initiale du
budget de 2000, atteignant 485 millions de francs. Cette dotation risque
pourtant d'être insuffisante. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rassurer
sur ce point, alors que la remonté du taux d'activité de nos forces est, je
n'en doute pas, l'un de vos objectifs pour 2001 ?
La progression significative des crédits du titre V, tout en restant assez
nettement en dessous des prévisions de la revue de programmes, est par ailleurs
un élément encourageant de ce budget. Il faut souligner qu'au cours de l'année
2000 devraient être commandés plus de bâtiments que durant toute la décennie
précédente. C'est dire le poids financier à venir du renouvellement de notre
flotte de surface ; avec les frégates antiaériennes Horizon, les nouveaux
transports de chalands de débarquement et, vraisemblablement, dans la prochaine
loi de programmation militaire, les frégates multimission.
Pour faire face à l'ensemble de ces programmes, la marine devra utiliser
toutes ses marges de manoeuvre. La gestion de 2001 des crédits du titre V sera
d'autant plus tendue que, lors du dernier collectif budgétaire, plus d'un
milliard de francs de crédits de paiement a été supprimés.
Je souhaite donc savoir, monsieur le ministre, si l'évolution à la hausse des
crédits du titre V est appelée à se poursuivre, permettant à la marine de
réaliser en temps voulu le « modèle 2015 ».
Pouvez-vous également nous confirmer que deux transports de chalands de
débarquement seront bien commandés d'ici à la fin de l'année et nous préciser
comment se répartira la charge de travail entre la DCN et les Chantiers de
l'Atlantique ?
Enfin, monsieur le ministre, vous comprendrez que je ne puisse passer sous
silence l'accident qui a affecté une hélice du
Charles-de-Gaulle,
obligeant celui-ci à interrompre sa traversée de longue durée. Cet
événement nous laisse particulièrement inquiets, en raison des interrogations
qu'il fait peser sur nos capacités opérationnelles. La France se retrouve en
effet sans porte-avions pour la première fois depuis cinquante ans. Qu'en
est-il réellement ? Une solution peut-elle être trouvée au manque d'hélices de
rechange ? Quelles en seraient exactement les conséquences opérationnelles ?
Des négligences ont-elles été commises et quelles mesures avez-vous prises pour
faire toute la lumière sur cette affaire ? Nous serons particulièrement
attentifs, monsieur le ministre, aux informations que vous nous apporterez.
Pour conclure ce bref commentaire du projet de budget pour 2001 qui nous est
présenté, j'ajouterai que le niveau des crédits du titre III me paraît
satisfaisant et que la remontée des crédits du titre V est encourageante. Ces
derniers restent néanmoins inférieurs aux prévisions de la revue de programme,
comme pour les autres armées ; c'est d'ailleurs la raison qui a conduit la
majorité des membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées à proposer au Sénat de rejeter les crédits du ministère de la
défense.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
la majorité des membres de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées a découvert le projet de budget de la défense pour 2001
avec déception.
Certes, le titre III, en permettant la poursuite de la professionnalisation
dans des conditions satisfaisantes, répond à l'une des ambitions majeures de la
programmation en cours. Par ailleurs, en relevant le montant des dotations de
fonctionnement, excessivement réduit les années passées, il permet la reprise
de l'activité des forces et donc de leur entraînement.
Mais l'inquiétude naît de l'analyse du titre V. Comme l'an passé, le projet de
loi de finances ne respecte pas les engagements souscrits par le Gouvernement
lors de la revue de programme, à savoir, en contrepartie des économies que
celle-ci permettait, la garantie d'une ressource annuelle de 85 milliards de
francs, valeur 1998, pour l'équipement des forces. Une fois actualisée, cette
somme correspondrait en 2000 à 86,9 milliards de francs. Or nous en sommes
aujourd'hui à 82,2 milliards de francs hors budget civil de recherche et de
développement technologique.
Le fait que les armées ne consomment pas la totalité des crédits qui leur sont
accordés pose un vrai problème de fond. La représentation nationale est dans
l'attente d'une explication précise non seulement sur les causes de cette
situation, mais aussi sur ses conséquences physiques pour notre équipement
militaire. Nous souhaiterions vivement que la construction de la prochaine loi
de programmation nous donne les moyens d'appréhender plus clairement cet aspect
des programmes d'équipement.
Certes, les crédits d'équipement pour 2001 permettront d'honorer les commandes
et d'assurer le bon déroulement des programmes majeurs. Je pense cependant que,
au-delà de ces impératifs, il eût été opportun d'augmenter certaines dotations
d'équipement, ne serait-ce, par exemple, que pour maintenir ou développer le
financement des activités de recherche qui conditionnent l'avenir de notre
équipement et de nos industries de défense, ou encore pour abonder les crédits
d'entretien des matériels, dont l'insuffisance conduit à des taux
d'indisponibilité des matériels trop souvent supérieurs à la norme
acceptable.
Le risque que fait encourir le présent projet de budget de la défense - il en
allait d'ailleurs de même de celui de l'an passé - est qu'il va inévitablement
conduire Bercy à considérer les dotations affectées à l'équipement des armées
en loi de finances initiale comme la référence de base pour la prochaine loi de
programmation militaire. Chacun sait pourtant ici que cette prochaine loi, si
on la veut cohérente avec le modèle d'armée 2015, devra mobiliser beaucoup plus
de ressources financières et qu'elle ne souffrira pas les régulations
habituelles. Il s'agira, en effet, d'une loi de fabrication pour des programmes
arrivés à maturité, qui devra prendre en compte le développement de certaines
capacités clés, liées notamment aux enjeux de défense européenne.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
budget pour 2001, hors pensions, fait désormais passer, je le souligne, la part
de la défense en dessous du seuil symbolique de 2 % du PIB. Je ne crois pas,
d'une façon générale, qu'il soit sage de considérer comme secondaires les
efforts budgétaires consentis pour la défense et la sécurité internationale. Je
suis de ceux qui plaident pour une gestion rigoureuse des finances publiques,
mais gardons-nous cependant d'exercer notre vertu financière sur les seuls
crédits de défense, et ce pour deux raisons : d'abord, parce que leur incidence
sur l'activité économique et l'emploi est loin d'être négligeable ; ensuite,
parce que si nous raisonnons à plus long terme, il n'est jamais inutile de
financer comme il convient tout ce qui concourt à favoriser, en Europe d'abord,
mais aussi à sa périphérie voire au-delà, le retour de la paix, de la stabilité
et donc du développement. Aujourd'hui, notre outil de défense, tant national
qu'européen, ne sert pas d'autres objectifs.
C'est pour cet ensemble de raisons que la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées a émis un avis défavorable à l'adoption des
crédits de défense pour 2001.
Par-delà ces données purement budgétaires, je ne voudrais pas omettre de
rappeler le progrès considérable réalisé, sous présidence française et dans un
délai très court, dans la mise en place d'une défense européenne. Je me
limiterai, sur cette question, à trois observations.
La première concerne la relation France-OTAN. On se rappelle que, en 1996, une
esquisse de rapprochement entre la France et l'OTAN n'avait pu aller jusqu'à
son terme, du fait de l'opposition de certains alliés à un meilleur partage des
responsabilités entre l'Europe et les Etats-Unis au sein des grands
commandements de l'Organisation. C'était au temps du développement d'une
identité européenne de défense dans l'alliance. La création d'une capacité
européenne de défense autonome et crédible, désormais extérieure à l'OTAN, mais
qui lui sera liée par diverses modalités de coopération, notamment en ce qui
concerne la planification opérationnelle, constitue-t-elle ou non une
innovation de nature à relancer la réflexion sur notre position spécifique dans
l'organisation atlantique ? Plus généralement, monsieur le ministre, comment
réagissez-vous aux inquiétudes exprimées par M. Cohen, le secrétaire d'Etat
américain à la défense, et certains de nos alliés européens quant aux risques
d'affaiblissement de l'OTAN au cas où l'Union devrait se doter de ses propres
capacités de planification ?
La deuxième observation concerne le mécanisme de suivi et d'évaluation, dont
l'objet est de permettre de vérifier la mise en oeuvre concrète des engagements
de capacités souscrits par les pays membres au profit de la force européenne. A
ce titre, il constituera un élément important de la crédibilité des décisions
prises à Bruxelles le 20 novembre dernier. Je vous serais reconnaissant,
monsieur le ministre, de bien vouloir nous préciser le contenu de ce mécanisme,
l'autorité qui aura la charge de le conduire et, enfin, l'influence,
indicative, incitative ou contraignante des conclusions auxquelles il permettra
d'aboutir.
Ma troisième et dernière observation a déjà été formulée par M. Maurice Blin :
elle concerne les efforts budgétaires comparés de notre pays et de la
Grande-Bretagne. Sur ce point, nous ne sommes pas suffisamment informés par vos
services, monsieur le ministre. Il apparaît cependant clairement que la
Grande-Bretagne, en conformité d'ailleurs avec son implication récente mais
résolue en faveur de la défense européenne, a, depuis plusieurs années, engagé
un effort financier très significatif au profit tant du fonctionnement que de
l'équipement de ses forces. On évalue ainsi à quelque 15 milliards de francs
par an l'écart entre les dépenses d'équipement respectives de nos armées, à
l'avantage des Britanniques. Si cette comparaison me paraît essentielle, c'est
que l'installation d'un décalage durable et croissant de capacités entre nos
deux pays aurait des conséquences opérationnelles et politiques
considérables.
En effet, il hypothéquerait la possibilité, pour la France, de prétendre au
rôle de nation-cadre dans une coalition européenne chargée de la gestion d'une
crise de quelque intensité, alors même que cette ambition guide notre effort
d'équipement depuis des années.
En outre, il y va de la cohérence de notre engagement politique constant pour
la défense européenne, qu'il est essentiel, ne serait-ce qu'à l'intention de
nos partenaires britanniques et allemands, de traduire dans les faits. Vous
nous indiquerez, monsieur le ministre, si cet élément guide les réflexions sur
les objectifs et les moyens de notre prochaine loi de programmation militaire.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 29 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 23 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 13 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 14 minutes.
Je rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents,
aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le temps prévu pour le Gouvernement est de cinquante-cinq
minutes au maximum.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
budget, comme ceux des années précédentes, suscite des réactions mitigées parmi
les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, même si les motifs
de satisfaction prennent le dessus sur les interrogations et les
préventions.
La part des richesses nationales consacrée à l'effort de défense est plus
conforme que par le passé à l'environnement mondial, à ses menaces et aux
possibilités du pays, ainsi qu'à la prise en compte d'autres priorités,
notamment sociales et économiques.
Il est maintenant communément admis que, à un peu plus de 2 % du PIB, l'effort
de défense d'un pays comme la France, dans le contexte mondial actuel, se situe
à un niveau pertinent.
Cela étant, établir un tel projet de budget demeure un exercice rude,
comportant des contradictions difficiles à surmonter. Si le sort réservé cette
année au titre III est plus favorable, les pressions et sujets d'inquiétude
perdurent pour le titre V.
La professionnalisation complète de nos forces armées, dont le bien-fondé ne
nous paraît toujours pas évident, coûte plus cher que ce qui avait été annoncé
initialement, et si le tableau de marche établi pour sa montée en puissance est
globalement respecté, c'est aussi grâce au retard important qui pénalise
l'embauche, elle aussi programmée, des personnels civils. Ce déficit sensible
n'est pas sans conséquences fâcheuses pour le fonctionnement de certains
services.
Cela étant, les critiques exprimées par nos collègues de la droit sénatoriale
sont à votre avis parfaitement excessives.
Le budget pour 2001 respecte à peu près la loi de programmation militaire,
préparée par le Président de la République et par le Gouvernement et approuvée
par la droite sénatoriale. Rappelons que les deux précédentes lois de
programmation militaire s'étaient « volatilisées », elles n'avaient pas été
respectées, ce qui, à l'époque, n'avait occasionné aucune remarque de ladite
droite sénatoriale.
Beaucoup ici vont voter contre ce projet de budget réclamant une hausse
substantielle des dépenses, arguant de l'existence de la croissance. Mais les
mêmes demandaient, il y a quelques jours, une baisse importante des impôts, du
fait de ladite croissance, et une baisse générale des dépenses publiques. C'est
le refrain libéral bien connu. J'avoue que nous avons un peu de mal à nous y
retrouver dans ce dédale d'incohérence.
Il n'est pas certain que l'opinion publique française accepterait une forte
hausse des dépenses militaires.
Ce constat présente certes des aspects positifs. Les Français ressentent bien
qu'il n'y a plus de menace militaire globale prévisible, ils voient bien que la
politique extérieure suivie par le Gouvernement s'efforce d'aller vers un monde
plus équilibré et plus apaisé, et ils partagent, dans leur grande majorité, les
idéaux de paix.
Mais ce constat présente également des aspects négatifs. On peut sentir de
nouveaux relâchements dans le lien entre l'armée et la nation. Par ailleurs,
trop de discours lénifiants sur l'Europe de la défense ont pu laisser croire à
certains de nos compatriotes que l'Europe, tel un esprit bienfaisant planant
au-dessus de nos têtes, allait s'occuper aussi de notre sécurité et de notre
défense et qu'il suffirait de s'en remettre à ce bon génie.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l'opinion publique a besoin
d'explications sur ce sujet, nos compatriotes doivent saisir la portée des
accords nouvellement conclus dans ce domaine.
Nous sommes à un carrefour. A nous de nous engager dans la bonne voie. Il y a
quelques années, même les plus optimistes pouvaient douter d'y parvenir,
tellement « l'otanisation » paraissait insurmontable.
Il faut apprécier à leur juste valeur les efforts et l'intelligence politique
déployés par le Gouvernement et par vous-même, monsieur le ministre, pour faire
évoluer certains de nos partenaires européens, pour leur faire accepter
d'entrer dans un processus de défense autonome et pour parvenir au récent
accord de Bruxelles.
Il y aura certainement encore des obstacles à surmonter pour bien ancrer ce
processus. Les réactions des conservateurs britanniques au lendemain de la
conférence de Bruxelles en témoignent. Leur leader, William Hague, a déclaré :
« Tous les soldats connaissent le sens du mot demi-tour. Et il est temps que
Tony Blair fasse demi-tour avant qu'il ne fasse de gros dégâts à l'OTAN ».
Quant à Lady Margaret Thatcher, toujours en pleine forme, sortant de sa
semi-retraite, elle s'en va dire dans les médias : « C'est un cas de folie
monumentale qui menace notre sécurité dans le but de satisfaire une vanité
publique... les plans du Gouvernement visant à créer une nouvelle armée
européenne n'ont aucun sens militaire ni pour la Grande-Bretagne, dont les
forces sont déjà réduites, ni pour l'Europe, qui a encore moins de chance de
devenir une puissance militaire, ni pour l'OTAN, que ce projet menace de
diviser et de détruire ».
Puisse cette chère Maggy avoir raison sur ce dernier point, serais-je tenté
d'ajouter.
Pour mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, l'OTAN, seule
organisation politico-militaire à avoir survécu à la menace qui avait présidé à
sa création, n'a plus beaucoup de légitimité.
Pis, le processus de ses élargissements successifs porte en lui des facteurs
de graves tensions avec la Russie.
L'adhésion de la Pologne à l'OTAN a été mal prise par Moscou. L'adhésion des
pays baltes, qui considèrent que leur admission future dans l'Union européenne
est à mettre en parallèle avec leur entrée dans l'OTAN, serait considérée par
les Russes comme une provocation. Quant à l'éventualité de l'adhésion à l'OTAN
de l'Ukraine, qui est le coeur historique de la Russie et son principal
débouché maritime en eau toujours libre, elle serait considérée comme une
déclaration de guerre !
Sans faire de l'angélisme, il me semble que la création entre les pays de
l'Union européenne d'une force et de moyens mis au service d'une politique de
prévention et de gestion de crises pourrait être une alternative à l'adhésion à
l'OTAN de pays ex-soviétiques ou ex-membres du pacte de Varsovie.
Nous tenons là une possibilité de décrisper les relations avec la Russie. Il
serait vain de vouloir construire ou reconstruire dans la stabilité au-delà des
frontières de l'actuelle Union européenne en faisant l'impasse sur la nécessité
de relations de confiance avec la Russie, la confiance n'excluant pas la
franchise, et encore moins la fermeté le moment venu.
Pour l'heure, la Russie recommence à percevoir l'Occident comme une menace et
se rapproche de la Chine et de l'Iran, entre autres.
L'attitude américaine et celle de l'OTAN sont pour beaucoup dans cette spirale
orientale dans laquelle la Russie est entrée. Ce n'est pas de l'intérêt de la
France et des Européens de laisser se développer une telle évolution.
Outre-Atlantique, certains milieux, notamment républicains, préconisent une
attitude dure à l'égard de la Russie, comptant sur de nouvelles tensions pour
souder les Européens autour du leadership américain.
Nous savons bien que les Américains, même les plus modérés, font toujours le
même rêve : continuer à dominer l'Europe. S'ils acceptent la création d'un
pilier européen de défense, c'est pour alléger leur facture, mais ils ne
veulent pas partager le pouvoir.
Tant que, pour les pays de l'Est européen, l'alternative sera « ou l'OTAN ou
rien », nous pousserons la Russie à se raidir et à regarder vers l'Est.
Un autre élément nouveau vient perturber les relations internationales : le
NMD, le projet américain de bouclier antimissiles, sensé protéger les
Etats-Unis d'attaques balistiques provenant, disent-ils, « d'Etats voyous ».
Pour l'heure, ce projet d'interception par coup direct d'un missile balistique
intercontinental est loin d'être techniquement au point. Mais il pourrait
l'être un jour prochain même si - c'est la vieille histoire de l'épée et du
bouclier - des progrès pourraient également être faits côté missile assaillant
au niveau des leurres, de la variation de trajectoire et de vitesse, voire de
l'autodéfense. Tout cela s'appelle la relance de la course aux armements !
Le problème du NMD n'est pas technique, il est hautement politique.
Remettant en cause le traité ABM, ce projet aurait des répercussions
désastreuses sabotant tous les efforts consentis ces dernières années dans les
enceintes internationales en faveur de la limitation et de l'interdiction
d'armements.
Dans ce contexte, que va devenir le traité de non-prolifération nucléaire ?
Que va devenir le récent et fragile traité sur l'interdiction des essais
nucléaires ?
Comment, dans de telles conditions, discuter avec l'Inde et le Pakistan pour
les conduire à s'inscrire dans une logique de désescalade nucléaire ?
Ne pousse-t-on pas l'Iran, la Corée du Nord ou d'autres encore à accentuer
leurs efforts - et ceux de leurs alliés russes et chinois - pour se doter d'une
capacité balistique nucléaire ?
Ne pousse-t-on pas la Chine et la Russie à se lancer éventuellement dans
l'aventure de la dissémination nucléaire en rétorsion au projet américain ?
Ce projet poussera inévitablement la Chine à accentuer ses efforts pour se
doter d'une capacité de frappe nucléaire capable de saturer un éventuel
bouclier américain.
Beaucoup de grandes nations, dont la nôtre, ont manifesté leur opposition à ce
projet, et je ne doute pas que notre gouvernement mettra à profit le répit
accordé par le président Clinton avant toute prise de décision pour rassembler
un front uni de nations afin de contraindre les Américains à reculer.
Les négociations en vue du futur accord START III, auxquelles nous souhaitons
que la France participe, peuvent constituer une occasion.
A ce propos, monsieur le ministre, nous espérons voir, un jour prochain, la
France prendre des initiatives pour relancer un processus de réduction des
arsenaux nucléaires qui s'essouffle.
Nous souhaitons que s'engage au Parlement un grand débat sur cette
question.
Le temps qui m'est imparti ne me permettra d'aborder que ces quelques grands
sujets, et je le regrette.
Je voudrais tout de même mentionner également la situation préoccupante de nos
industries de défense, tant dans le privé, où la restructuration d'EADS induit
des suppressions d'emplois, soulève des interrogations quant à la différence de
traitement commercial entre le Rafale et l'Eurofighter, que dans le public, où
l'avenir immédiat du GIAT, de la DCN et de la SNPE appelle des dispositions
concrètes et un effort particulier, ne serait-ce que pour que soient respectés
les plans de charge initialement prévus.
Tout en saluant les points forts de ce budget et les décisions qui viennent
d'être prises, notamment celle de lancer l'A 400 M, tout en approuvant la
logique qui se dégage de l'accord de Bruxelles, mais en regrettant les choix
encore trop marqués par les orientations inspirées par le Président de la
République en 1996, notre groupe s'abstiendra.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Auban.
M. Bertrand Auban.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi de finances pour 2001 qui nous est soumis traduit, en ce qui concerne les
crédits de la défense, les objectifs et les priorités gouvernementales. Ces
priorités concernent la professionnalisation et la modernisation de l'outil de
défense, le renforcement des moyens affectés à la sécurité des Français, le
développement de la coopération européenne, et, enfin, la rénovation des
structures, avec la recherche d'une meilleure adéquation des dotations
budgétaires aux besoins nouveaux.
Cela doit être réalisé dans le cadre d'une stricte maîtrise des dépenses
publiques.
Certains de nos collègues se plaisent à critiquer votre budget. Bien entendu,
il n'est pas parfait - j'en conviens ! - mais le rejeter globalement n'est pas
faire oeuvre utile.
En effet, ce budget est né sous la contrainte, une contrainte acceptée par les
plus hautes autorités de l'Etat et par une majorité de Français puisqu'il
s'agit du respect des engagements pris par la France dans le cadre du pacte de
stabilité budgétaire européen lors de l'institution de la monnaie unique.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé récemment que « les règles européennes
de stabilité budgétaire fixent l'augmentation maximale du budget de l'Etat au
montant de l'inflation augmenté de 0,3 %. Dans cette perspective, la
progression de 0,9 % des crédits du budget de la défense, loin de représenter
un désarmement budgétaire, constitue un effort notable. Quant à imaginer une
diminution des budgets civils au profit du budget militaire, il est de la
responsabilité de chacun d'envisager une telle évolution ; tel n'est pas le
choix du Gouvernement. »
Il s'agit donc d'un budget de continuité et de respect des engagements pris,
notamment dans la loi de programmation militaire. Certes, il y a encore un
décalage entre la programmation et la réalité des lois des finances. Toutefois,
je vous invite à regarder ce qui s'est passé avec les programmations
précédentes. Vous constaterez ainsi que l'actuelle loi de programmation est
mieux respectée que les autres.
Je souhaite apporter au débat quelques considérations sur le dossier des
industries de défense en France et en Europe. D'abord, il convient de constater
que le développement de la coopération entre les Etats européens permet de
créer une dynamique qui aura des conséquences en matière de choix d'armement.
En outre, ce processus devrait aboutir à une plus grande homogénéité des forces
de l'Union européenne et à la nécessaire réduction des coûts.
J'ai eu récemment l'occasion d'évoquer devant vous la question fondamentale de
la mise en cohérence des politiques d'acquisition d'équipements militaires. En
effet, des programmes que nous qualifierons de « fédérateurs » sont très
importants pour donner une impulsion déterminante à la construction
européenne.
Ainsi, l'Airbus de transport militaire, l'A 400 M, est un projet fédérateur au
niveau européen ; il revêt une très grande importance pour notre tissu
industriel et pour l'Europe de la défense.
Ce programme a besoin, pour son lancement, de 20 milliards de francs, qui
seront inscrits dans la prochaine loi de finances rectificative. Ce moment est
attendu avec une certaine impatience.
Ce programme majeur, destiné à remplacer les flottes vieillissantes de C-130
Hercules et C 160 Transall, préfigure une nouvelle donne européenne. Au niveau
industriel, il permet d'affronter les défis technologiques issus de la nouvelle
situation stratégique. Au niveau politique et stratégique, il pose les jalons
d'une future mutualisation des forces et des moyens par la construction d'un
commandement européen du transport militaire.
L'objectif qui nous intéresse est bien entendu le maintien d'une industrie de
défense forte et compétitive, capable d'être en concurrence avec les meilleures
du monde.
Pour satisfaire pleinement aux besoins définis lors de la conférence
d'engagement, qui a eu lieu à Bruxelles le 21 novembre dernier, il faudra
réellement intensifier la coopération européenne aussi bien dans le domaine de
la recherche que dans celui de la production industrielle d'armements.
Nous savons déjà que la France ne pourra pas tout faire toute seule et qu'il
est nécessaire d'avancer vers une européanisation de tous les secteurs de la
défense. Toutefois, la France doit maintenir son effort dans un certain nombre
de domaines essentiels : le nucléaire, le spatial, la recherche-développement.
Elle doit assurer sa place au sein de la défense européenne. Là, elle est
maître d'oeuvre et elle entend le rester.
Pour cela, il me semble primordial de garder une politique de
recherche-développement forte et ambitieuse. En Europe, seules la France et la
Grande-Bretagne font un réel effort dans ce domaine. Il ne faudrait pas, à
l'avenir, que la Grande-Bretagne seule ait à assurer une part croissante de
cette tâche. Nous avons des responsabilités politiques, industrielles,
stratégiques, que nous devons assumer et qui passent par une augmentation des
dépenses en recherche-développement. Je sais, monsieur le ministre, que vous
partagez cette analyse.
Or, si les crédits d'équipement sont globalement positifs, j'éprouve quelques
inquiétudes devant la baisse constatée des crédits destinés aux études. Les
dotations affectées à la recherche de défense ne sont pas encore à la hauteur
des défis actuels.
Nous savons que les restructurations ne vont pas s'arrêter aux portes des
industries qui s'occupent de l'armement terrestre. Je considère positivement
l'annonce faite par GIAT et Renault véhicules industriels de créer une société
commune pour les véhicules blindés à roues.
Le plan de restructuration en cours dans le GIAT doit placer ce groupe en
situation de pouvoir affronter la concurrence extérieure. Les sacrifices ont
été importants : d'un effectif de 17 500 personnes on est passé à 7 800
actuellement.
La direction du GIAT mise sur d'importants contrats à l'exportation pour
doubler le carnet de commandes. Nous ne pouvons que l'encourager dans cette
voie.
Toutefois, des incertitudes demeurent.
Quelles possibilités d'alliance ou de partenariat s'offrent au GIAT ? Après
l'arrêt du programme Trigat, et dans la mesure où le besoin opérationnel
existe, quelles sont les possibilités de développer un autre programme ?
Comment faire coexister l'industrie mécanique allemande, qui possède plusieurs
grands groupes, l'industrie britannique, intégrée dans British Aerospace, et
l'industrie française ?
Peut-on aller, en Europe, vers une harmonisation des calendriers des besoins
pour l'armement terrestre ?
Monsieur le ministre, selon la presse, vous avez manifesté votre volonté
d'ouvrir le dossier de la restructuration des chantiers navals. Ouvrir n'est
pas le mot exact, puisque vous vous occupez depuis déjà pas mal de temps de ce
délicat dossier. Cependant, il est vrai qu'en annonçant à la fin du mois
d'octobre que le ministère de la défense « réfléchissait à une réorganisation
du secteur » la délégation générale pour l'armement a pu laisser libre cours à
diverses interprétations. Le moment est venu, monsieur le ministre, de nous
faire part de vos réflexions et de vos propositions en la matière.
Je considère que le domaine naval constitue l'une des clés nécessaires à la
réussite de la construction industrielle européenne. L'idée d'un « Airbus naval
» peut paraître séduisante, à condition toutefois de bien la définir pour
savoir si elle peut s'appliquer à l'industrie navale européenne.
Je souhaite saluer l'accord intervenu entre la DGA et les industriels sur le
financement de la poursuite du développement du missile M 51. Le maître
d'oeuvre de ce programme est la société European Aeronautic Defense and Space
Company ; nous trouvons aussi d'autres entreprises, pour la propulsion,
notamment la Société nationale d'étude et de construction des moteurs
d'aviation et la Société nationale des poudres et explosifs. Il reste à espérer
que le contrat sera bientôt notifié.
Avant de terminer cette intervention, je voudrais également évoquer birèvement
deux dossiers qui concernent la Haute-Garonne, toujours présente à mon
esprit.
Le premier concerne la pérennité du centre d'essais aéronautique de Toulouse,
le CEAT, sur laquelle j'attire votre attention.
Le projet de plan stratégique de la direction des centres d'essais et
expertises envisage le transfert en région parisienne de l'activité « matériaux
» du CEAT. Dans votre réponse du 27 juin 2000, vous m'aviez indiqué que les
activités de ce centre en matière de matériaux et structures, de compatibilité
électromagnétique, de systèmes de conditionnement d'air et de qualité des
logiciels avaient été reconnues comme pôle d'excellence.
J'ajoute que l'activité « matériaux » constitue un tout indissociable de
l'activité « structures ». L'expérience et le savoir-faire acquis en ces
matières depuis vingt-cinq ans par le CEAT, dont la performance est reconnue en
France en Europe, doivent être préservés. C'est pourquoi je souhaite que la
Direction des centres d'essais et expertises révise son projet de transfert
afin que l'activité matériaux reste au CEAT.
Le second dossier concerne le projet de création de l'Autorité européenne pour
la sécurité aérienne.
La Haute-Garonne possède une vocation toute naturelle à accueillir cette
autorité par l'importance unique en Europe de son pôle aéronautique et spatial.
La présence du constructeur EADS, de la société européenne AIC, le lancement
prochain du programme A3 XX, le tissu économique, scientifique et industriel
sont autant d'atouts et d'éléments favorables à l'action de cette nouvelle
autorité communautaire. Sa présence pourrait générer une activité
supplémentaire pour le CEAT. C'est pourquoi, même si ce dossier relève des
ministres européens des transports, je souhaite connaître votre analyse sur la
candidature de la Haute-Garonne à l'implantation de cette Autorité européenne
pour la sécurité aérienne.
Le secteur de l'industrie de défense dispose aujourd'hui des moyens de son
développement. La politique du Gouvernement, votre politique, monsieur le
ministre, a oeuvré depuis 1997 pour faciliter les grandes alliances
industrielles, pour accompagner et soutenir la montée en puissance de
l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement et pour obtenir
la signature, par six pays européens en juillet 2000, de l'accord-cadre pour
l'harmonisation et la modification des règles applicables aux industries de
défense.
Cette politique mérite notre approbation. Le groupe socialiste votera le
budget qui permettra de la poursuivre.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré devant la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées que les crédits de la défense
étaient au rendez-vous. Il n'en est rien. En effet, si le budget augmente en
volume, passant de 187,4 milliards de francs à 188,9 milliards de francs, il
diminue en réalité en francs constants et ne représente que 1,96 % du produit
intérieur brut de la nation.
L'engagement pris en 1998 par le Premier ministre, à l'issue de la revue de
programmes, de maintenir à un niveau constant les crédits de la défense de 1999
à 2002 n'est pas respecté cette année encore. Il était pourtant la contrepartie
d'une révision à la baisse de la loi de programmation militaire.
Au total, le budget baissera de 0,4 %, et ce malgré les plus-values en
recettes fiscales enregistrées au cours des années 1999 et 2000. Nous
regrettons fortement que les armées, qui ont pourtant engagé avec un courage
exemplaire une réforme structurelle sans précédent, ne profitent pas des fruits
de la croissance. Comment croire alors qu'elles figurent parmi les priorités du
Gouvernement ?
Force est de constater que plusieurs de nos alliés se donnent les moyens de
mener une politique de défense ambitieuse, le cas le plus révélateur étant le
Royaume-Uni, qui, sous gouvernement Blair, met l'accent tant sur la recherche
que sur la modernisation de l'équipement, et est en passe de dominer l'Europe
militaire. Son budget est ainsi passé de 22 milliards de livres en 2000 à 23
milliards de livres en 2001, soit l'équivalent de 254 milliards de francs.
Alors que les forces françaises et britanniques sont équivalentes, la Royal
Air Force risque de supplanter l'armée de l'air d'ici à dix ans parce que nous
n'assumons pas financièrement nos choix politiques. Tirant les enseignements
des conflits récents, les Britanniques ont alloué 40 % des dotations
budgétaires en équipement à la Royal Air Force et ont déjà commandé aux
Américains vingt-cinq C 130 qui seront livrés à partir de 2001.
Nous le savons pertinemment, l'armée de l'air accusera une réduction majeure
de sa capacité de transport à partir de 2005 sous l'effet des retraits de
service de vingt-sept Transall.
Si aucun crédit n'apparaît dans le projet de loi de finances pour 2001 pour le
programme d'avion de transport futur A 400 M, nous nous réjouissons, en
revanche, que le Gouvernement ait inscrit 15 milliards de francs
d'autorisations de programme au titre du collectif budgétaire 2000, enveloppe
qui a été concédée par Bercy et qui devrait être complétée par une autre de 5
milliards de francs émanant du ministère de la défense. Nous souhaitons
vivement que ces engagements soient tenus et, par là-même, que la totalité des
autorisations de programme soit disponible dès le premier trimestre de l'année
2001, date de la signature du contrat, qui marquera un pas important dans la
défense européenne.
En ce qui concerne la marine, alors que les performances des frégates Horizon
sont très élevées, le Gouvernement répugne à les doter d'une défense
antimissiles balistiques. Il sait pourtant qu'elle est déjà à l'étude pour les
futures frégates britanniques T45.
Alors que le Royaume-Uni planifie la construction de deux porte-avions, la
question du deuxième porte-avions français se trouve reportée à la prochaine
loi de programmation. Connaissant déjà les périodes d'indisponibilité du
Charles-de-Gaulle
, il est impossible que la France puisse aligner un
groupe aéronaval. Outre la mise en péril de notre souveraineté, cela ne
risque-t-il pas d'anéantir, à terme, les efforts entrepris dans le domaine du
groupe aérien naval, à savoir les avions Rafale et les frégates Horizon ?
Les arbitrages financiers du Gouvernement signent l'affaiblissement de nos
capacités militaires par rapport à celles de nos alliés.
Les crédits de fonctionnement du titre III baissent de 0,4 % en francs
constants par rapport à la loi de finances 2000.
Des crédits supplémentaires ont été dégagés pour l'actualisation des produits
pétroliers et ils constituent l'essentiel des augmentations consenties au titre
III. Mais, comme l'ont souligné tous les chefs d'état-major, cette majoration
se fonde sur des prix inférieurs à 40 % aux cours actuels. Si nous voulons que
les armées assurent leur nombre de jours d'activité, des besoins
supplémentaires seront à couvrir en cours de gestion.
Le problème majeur réside dans l'entretien programmé des matériels auquel les
armées ne pourront faire face. En baisse de 4 % par rapport au budget
précédent, il met à mal la capacité de notre dispositif de défense.
Quelques exemples suffisent. Le taux de disponibilité des matériels est
actuellement de 65 % pour les blindés, de 55 % pour les hélicoptères de
l'aviation légère de l'armée de terre et de 67 % pour les Mirage 2000. La
marine accuse, quant à elle, 35 % d'indisponibilité de sa flotte.
Par ailleurs, les crédits de fonctionnement du titre III ne permettent pas,
comme je l'ai souligné tout à l'heure, d'améliorer de façon convenable les
conditions de vie et de travail des personnels, notamment celles de l'armée de
terre. Or, monsieur le ministre, si l'on veut réussir la professionnalisation
dans la durée et compte tenu de l'environnement social dans le secteur privé
avec l'effet des 35 heures, il faut faire un effort dans ce domaine.
Les crédits d'équipement du titre V se situent toujours sous la barre des
annuités de 85,9 milliards de francs fixées en 1998, puisqu'ils s'élèvent à
83,4 milliards de francs et accusent une baisse de 0,3 % par rapport au budget
2000.
Pour 2001, les autorisations de programme diminuent de 3,1 % et l'armée de
terre enregistre son plus bas niveau depuis 25 ans avec 19 % de diminution.
Cette dotation insuffisante aura des conséquences néfastes. En effet, la
passation des commandes globales s'annonce extrêmement délicate pour 2001 et
risque de se faire au détriment d'un certain nombre de programmes. Au-delà,
elle obère la réalisation, dans les délais, du modèle 2015 prévu par la
programmation.
Quant aux crédits de paiement, ils ne permettent pas de rattraper les retards
enregistrés en début d'exécution de la loi ; ils contribuent au contraire à les
amplifier.
En conséquence, le maintien de la capacité opérationnelle de nos matériels
n'est pas assuré.
En analysant les budgets des différentes armées, nous constatons que leurs
crédits d'équipement sont tous insuffisants.
S'agissant de l'armée de terre, ils sont en retrait par rapport au budget 2000
et ne lui permettent pas de se doter des moyens nécessaires aux missions qui
lui sont confiées. Nous pensons notamment à la protection individuelle du
combattant et au renfort des capacités de transport aéromobile lors
d'opérations extérieures.
En ce qui concerne la marine, seuls les programmes majeurs reçoivent une
enveloppe correspondant aux besoins. Sachant qu'une vingtaine de bâtiments a
été désarmée depuis 1996, nous estimons que la situation de la flotte est
préoccupante. Il est par conséquent nécessaire d'insister sur cette fragilité
qui rend la marine d'autant plus sensible aux aléas de gestion.
Les crédits du titre V permettront à l'armée de l'air de commander et de payer
les programmes tels que les a prévus la revue de programmes, mais ils
accuseront un retard par rapport à l'objectif fixé dans la loi de
programmation. Ainsi, en 2015, l'armée de l'air ne bénéficiera que de 50 % des
Rafale, ce qui compromet par ailleurs les chances de cet appareil à
l'exportation.
Comme l'a souligné son chef d'état-major, l'armée de l'air va passer d'une loi
de développement de programmes à une loi d'équipement qui demandera un effort
beaucoup plus important sur le titre V, notamment pour la fabrication des
Rafale et des A 400 M.
Quant à la gendarmerie, ses dépenses d'investissement du titre V accusent une
baisse de 2,5 %. Elle pourra difficilement acquérir des moyens de transport en
nombres suffisants.
Nous allons entamer la cinquième année d'exécution de la loi de programmation
1997-2002.
En examinant son déroulement, nous constatons que le titre V a le plus souvent
servi de variable d'ajustement au budget de l'Etat.
En 1998, ses crédits ont accusé une baisse de 9,9 % par rapport à 1997, et ce
après des amputations s'élevant à 12,5 milliards de francs. En 2000, ils
enregistraient une baisse de 4,4 %.
Ce n'est pas sans porter atteinte au plan de charges des industries de défense
et à leurs investissements à long terme ; cela limite aussi les emplois dans
les bassins fort malmenés. Ce n'est pas M. Lepeltier, maire de Bourges, qui me
contredira.
Seul le budget de la défense pour l'année 1999 était conforme à la loi de
programmation militaire. Il a, hélas ! enregistré 12 milliards de francs
d'annulations dans le collectif budgétaire de 2000. Ainsi, non seulement le
Gouvernement ne respecte pas une loi pourtant votée par le Parlement, ni les
engagements qu'il a pris au moment de la revue de programmes, mais il aggrave
la situation des armées en annulant, gelant ou reportant ses crédits lorsque le
budget de l'Etat rencontre des difficultés. Il s'agit non pas de hasards
répétés, mais bien d'un choix politique de Bercy contre les intérêts de la
défense et, j'en suis convaincu, contre votre propre action. La gestion tendue
des crédits d'équipement est génératrice de retards, d'allongements de la durée
des programmes et donc de renchérissement significatif de leur coût.
A titre d'exemple, nous pouvons citer, d'une part, les modernisations
successives du Super-Etendard, qui auront coûté 12 % du prix du Rafale, soit 5
milliards de francs, d'autre part, les reports successifs du porte-avions
Charles-de-Gaulle
qui sont à l'origine de surcoûts et, qui sait ? de
réajustements, voire d'avaries.
Malgré une aisance incontestable, nous notons le manque de volontarisme
budgétaire du Gouvernement pour ce qui concerne la défense nationale et
estimons que le budget 2001 signera le déclin durable de nos armées si aucune
relance des dépenses n'est engagée.
De ce fait, le modèle d'armées 2015 se trouve compromis et les difficultés
d'élaboration de la prochaine loi de programmation sont d'ores et déjà
imaginables.
Par ailleurs, la précarité des moyens mis à la disposition des armées
contraste avec nos ambitions politiques européennes.
C'est ainsi que, si nous nous sommes félicités de la mise en place de
l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l'OCCAR, nous
déplorons que seuls 9 % des crédits de paiement afférents aux dépenses
françaises d'équipement soient mobilisés à ce titre en 2001.
De même, la mise en place de la force européenne repose en partie sur la
convergence des choix budgétaires des pays membres. Or, nous l'avons vu,
l'écart se creuse entre le Royaume-Uni et la France.
Malgré notre volonté affichée, nous ne pourrons, en conséquence, jouer notre
rôle de puissance majeure au sein de l'Union européenne.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR votera contre ce projet de budget.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu de
Haute-Savoie, avec mon collègue Jean-Claude Carle, j'ai été invité il y a
quelque temps à visiter l'usine Marcel Dassault d'Argonay, une commune de notre
département, où sont fabriqués des équipements et des systèmes de commande de
vol.
J'y suis allé la tête pleine d'images d'Epinal,
a priori
comme : « Le
Rafale est un superbe avion, mais il coûte beaucoup trop cher ! »
Or, au terme de cette visite, après avoir discuté avec les gens qui
travaillent au sein de cette usine, ma vision des choses a changé, et, en tant
que membre de la commission des affaires économiques, j'ai décidé de
m'intéresser aux aspects économiques de notre défense et de m'interroger :
l'aéronautique militaire a-t-elle un avenir dans notre pays ?
Le Rafale est né du choix fait par le Gouvernement français et l'armée de
l'air en 1985 de quitter le consortium de conception d'un avion européen et de
réaliser un avion polyvalent français.
En 1988, le programme Rafale lancé, les premières livraisons devant avoir lieu
en 1998.
Les industriels, voulant avancer la date de livraison de deux ans, pour bien
asseoir leur avance technologique, notamment à l'exportation, acceptent, fait
unique dans l'histoire de l'aéronautique, de financer 25 % du coût du
développement, ce qui représente actuellement 12 miliards de francs.
Le calendrier était donc le suivant : 1996, premières livraisons ; 2000, 137
avions, pour aboutir, par la suite, à un total de 294 appareils. Ce programme
permettait le renouvellement naturel de notre flotte atteinte peu à peu de
vieillissement et nous ofrrait en même temps l'occasion de creuser un réel
écart technologique avec nos concurrents.
Monsieur le ministre, nous sommes à la fin de l'année 2000. Depuis 1986, cinq
appareils Rafale ont été livrés, un point c'est tout !
Que s'est-il donc passé ?
La réponse est simple : d'année en année, de lois de programmation militaire
en lois de finances rectificatives, les gouvernements successifs ont, de façon
systématique, puisé dans les budgets de la défense et retardé le programme
Rafale.
En douze ans, le programme Rafale a été retardé de neuf ans.
Que reproche-t-on au Rafale ? Ses qualités, ses capacités ? Certainement pas
!
Le Rafale n'a pas de problèmes techniques. C'est un avion de nouvelle
génération qui intègre les technologies les plus complexes et les plus
pointues. Surtout, il est polyvalent, c'est-à-dire capable d'exécuter à lui
seul les missions de plusieurs avions.
Ainsi, pendant la guerre du Kosovo, nous avons envoyé sept types d'appareils.
Si la guerre du Kosovo avait lieu aujourd'hui, nous n'enverrions qu'un seul
type d'appareil : le Rafale, précisément parce qu'il est polyvalent.
A ma connaissance, l'Eurofighter a une seule définition air-air.
Quant au JSF américain, ce n'est, pour l'instant, qu'un concept.
Autre reproche entendu au sujet du Rafale : il serait budgétivore.
Alors, laissons parler les chiffres !
Le total du coût du programme est de 150 milliards de francs hors taxes sur
trente ans, ce qui inclut les dépenses de développement, la mise en place de la
fabrication, les 294 avions prévus, les matériels, les simulateurs, etc.
Ce chiffre est quasiment définitif aujourd'hui car les prix sont arrêtés. Cela
représente 5 milliards de francs par an, c'est-à-dire 5,8 % du budget
d'investissement de la défense. Trouvez-vous cela « budgétivore », monsieur le
ministre ?
Bien sûr, il y a eu une augmentation du coût du fait des retards accumulés et
des améliorations demandées par nos armées au fil des progrès scientifiques et
des avancées de nos concurrents. Mais j'ai cru comprendre que, après une
négociation, les industriels avaient accepté une baisse des coûts de série.
Nous sommes donc à enveloppe constante.
Le Rafale est-il plus cher que l'Eurofighter ?
J'ai voulu analyser les chiffres officiels, je me suis renseigné, j'ai posé
des questions. Je vous livre les conclusions : le coût de développement de
l'Eurofighter est environ trois fois plus important que celui du Rafale ; le
prix de série de l'Eurofighter est supérieur à celui du Rafale.
Alors, dernière question : le Rafale génère-t-il moins d'emplois en France que
l'Eurofighter ?
Là, nous sommes au coeur du paradoxe !
Le Rafale est un avion français, fabriqué en France, avec un moteur français
et une électronique de bord française. Il induit des centaines de
sous-traitants et des milliers d'emplois.
Au contraire, l'Eurofighter est intégralement fabriqué hors de France. Il ne
génère aucun emploi dans notre pays.
Ce tour d'horizon étant fait, la conclusion est claire : nous avons - tout le
monde en convient - une industrie aéronautique performante, vivier d'emplois et
de matière grise et un avion tout à fait remarquable ; nous avons donc là un
potentiel incroyable d'exportation, de rentrée de devises et de création de
richesse pour notre pays.
Dès lors, réapparaît la question fondamentale, cruciale que je posais au début
de mon propos : quel est l'avenir de notre industrie aéronautique ?
J'ai appris que le président Clinton avait mis en place une commission, la
Blue ribbon commission,
qui a pour objet de déterminer les actions
prioritaires, les développements essentiels qui permettront aux Etats-Unis de
conforter leur
leadership
dans le monde.
La conclusion est simple : le domaine aéronautique et spatial figure au
premier rang, bien avant l'informatique, car il réunit à lui seul dix-sept des
hautes technologies de demain et assurera la suprématie dans les conflits du
futur.
La maîtrise de l'air et de l'espace est donc primordiale.
Les gouvernements des pays industrialisés ont parfaitement intégré ce
paramètre. Ils soutiennent massivement leur industrie aéronautique et spatiale
à l'intérieur de leurs frontières comme à l'exportation. Monsieur le ministre,
il s'agit là d'une vraie guerre économique.
Et nous, que faisons-nous ? Que fait notre gouvernement pour soutenir les
exportations du Rafale ?
Si le premier client du Rafale ne répond pas présent, que vont donc penser les
clients étrangers ? Car ils sont là, eux : de nombreux pays manifestent en
effet leur intérêt pour cet avion.
Monsieur le ministre, je vous le demande : y a-t-il une volonté nationale ? Y
a-t-il une ambition pour notre pays en matière d'exportation aéronautique ?
Ou bien deviendrons-nous, dans les dix années qui viennent, des
sous-traitants, une nation
has been
dans ce domaine ? Et que deviendra
cette usine exceptionnelle, fleuron technologique de la Haute-Savoie ?
Des centaines de salariés de ce département, des milliers de salariés de notre
pays attendent une réponse. Ils sont inquiets, monsieur le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il est un
domaine dans lequel un large consensus peut et doit se dégager, c'est bien
celui de la défense, tant il y va des intérêts essentiels de la nation.
Aussi, au-delà de toute considération politique, le souhait de tout
parlementaire est-il de pouvoir voter le budget de la défense.
Or force est de constater que le souhaitable n'est aujourd'hui plus possible.
Et, croyez-le bien, monsieur le ministre, je le regrette vivement, car c'est la
crédibilité même de notre pays qui est là en question.
C'est d'ailleurs le souci majeur qui a animé la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat tout au long de ses
travaux, conduits par son président, notre éminent collègue Xavier de
Villepin.
En se gardant de tout catastrophisme, comme de toute polémique inutile, tous
les rapporteurs ont mis en évidence les graves inquiétudes qui pèsent sur
l'avenir de notre outil de défense.
En effet, ces dernières années, des choix importants ont été faits en la
matière, au premier rang desquels celui de la professionnalisation de nos
armées.
Pour que ces choix soient réellement opérants, il fallait bien évidemment que
les moyens budgétaires nécessaires y soient affectés. Dans cet esprit, et nous
le savions tous, la professionnalisation devait certes conduire à la réduction
du format de nos armées, mais sans pour autant entamer notre potentiel de
défense, bien au contraire !
Cependant, nous sommes aujourd'hui clairement dans l'impasse. Si les dépenses
de rémunérations et de fonctionnement s'accélérent, ce qui est logique, le
budget militaire dans son ensemble poursuit sa baisse et le projet de budget
pour 2001 s'insère malheureusement dans une tendance longue de réduction des
dépenses militaires.
Ainsi, de 1990 à 2000, en loi de finances initiale, le budget de la défense,
hors pensions, est resté quasiment identique en francs courants.
La part du budget militaire dans le PIB national décroît passant de 2,4 % en
1996 à 1,96 % en 2001 ; il s'établit désormais sensiblement en deçà du taux
britannique. De fait, en 1999, la part des dépenses militaires dans le PIB est
de 2,19 % pour la France et de 2,47 % pour le Royaume-Uni. Quant à la part des
seules dépenses d'équipement militaire, elle représente respectivement 0,64 %
et 0,79 % des PIB des deux pays en 2000.
En outre, cette évolution générale recouvre un important « effet de ciseaux »
entre dépenses ordinaires et dépenses d'équipement.
En 1990, les dépenses ordinaires, hors pensions, s'élevaient à 87 milliards de
francs et les dépenses d'équipement à 102 milliards de francs. En 2000, la
situation est presque exactement inverse, avec 105 milliards de francs de
dépenses de fonctionnement et 83 milliards de francs de dépenses
d'équipement.
Cela signifie, d'une part, que les dépenses de fonctionnement ne progressent
qu'en raison des rémunérations et des charges sociales, au détriment, en
particulier, de l'entretien programmé du matériel et, d'autre part, que notre
effort militaire régresse dangereusement.
Je ne reprendrai pas le détail des programmes annulés, reportés ou allongés ;
ils sont, hélas ! fort nombreux. J'insisterai simplement sur l'insuffisance des
crédits alloués au Commissariat à l'énergie atomique, qui diminuent de 4 % par
rapport à l'an dernier. Et nous déplorons la diminution de moitié des crédits
consacrés au « programme de simulation » qui se substituera aux essais
nucléaires.
Bien entendu, on ne peut que se réjouir de la forte augmentation des crédits
affectés à l'espace, même s'il faut bien se rendre à l'évidence : le chemin à
parcourir sera encore long avant que les armées européennes, et en particulier
la nôtre, ne soient plus dépendantes, en opérations, des moyens d'observation
américains.
Dans le même esprit, nous regrettons la faiblesse des moyens consacrés aux
programmes de télécommunications militaires.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, et même si le tableau n'est pas
complètement noir, comme l'a montré avec une grande objectivité notre excellent
collègue Paul Masson, concernant les moyens attribués à la gendarmerie, on est
bien loin du compte.
On peut certes espérer que le budget de 2002 sera meilleur, même si l'on a du
mal à comprendre que nos armées n'aient pas pu bénéficier, dès cette année, des
surplus budgétaires dégagés par la croissance.
A ce propos, ayant écouté M. Bécart avec beaucoup d'attention, j'aimerais
qu'il me laisse un jour lui expliquer qu'un libéral refuse la défense publique
mal placée, mais donne en revanche à l'Etat tous les moyens d'accomplir ses
missions régaliennes.
Je tiens à attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les conséquences
qu'aura inévitablement le budget de 2001 sur la politique européenne de
défense.
En effet, la politique européenne de défense et de sécurité a franchi, il y a
un an, au sommet d'Helsinki, une étape décisive avec l'adoption du projet de
mise en place d'une « force de réaction rapide » propre à l'Union européenne,
confirmant ainsi la décision franco-britannique de Saint-Malo, prise en
décembre 1998.
Parallèlement, le choix du missile air-air Meteor par le Royaume-Uni et la
décision, confirmée au salon de Farnborough, en juillet 2000, de choisir comme
futur avion de transport européen l'Airbus A 400 M ont contribué à conforter la
consolidation de la coopération européenne en matière d'armement.
De nombreux points sensibles et stratégiques restent toutefois à définir avant
que puisse être concrètement mise en oeuvre la force européenne.
Surtout, les conditions et même le succès de la mise en place de la force
européenne paraissent étroitement dépendants d'un degré minimum de convergence
des choix budgétaires des pays membres.
Or dans ce domaine, la divergence s'accroît entre la France et le Royaume-Uni,
d'un côté, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, de l'autre, mais surtout, et
cela me paraît plus grave, entre le Royaume-Uni et la France.
Cette dernière tendance, récente, mais qui se confirme, pourrait bien, à
terme, réduire à peu de chose la volonté affichée par la France de se poser en
leader
de la défense européenne.
On peut même d'ores et déjà considérer, sans forcer le trait, me semble-t-il,
que le Royaume-Uni est militairement et industriellement en voie de dominer
l'Europe de la défense. C'est la raison pour laquelle nous sommes déçus. Cette
évolution nous préoccupe. Notre situation militaire risque d'infirmer le
discours volontariste tenu par la France dans les enceintes européennes et
internationales. En outre, elle pourrait, à terme, compromettre notre position
de membre du Conseil de sécurité.
Votre talent, votre savoir-faire, monsieur le ministre, ne pourront pas
dissimuler le fait que votre budget n'assume pas les choix politiques. C'est
pourquoi nous ne pouvons que le rejeter.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je parlerai
de l'importance de la recherche dans un budget militaire.
Vous connaissez, monsieur le ministre, l'importance de la partie recherche du
budget de la défense de nos amis américains. Il est nettement plus élevé que
celui des pays européens. Même quand leur budget militaire diminue, ils
augmentent leur budget recherche. Je crains que votre budget ne porte pas la
marque du caractère stratégique que revêt de plus en plus la recherche en
matière de stratégie militaire, y compris la recherche très en amont, du point
de vue de la défense nationale et de la défense européenne.
On vient d'évoquer l'européanisation progressive de notre structure de
défense, monsieur le ministre. C'est un élément très positif. Mais il nous faut
le sursaut qui a été promis à Lisbonne, et en particulier un financement massif
de la recherche européenne. C'est capital ! Désormais, nous en avons les moyens
puisque l'on a ponctionné plus de 500 milliards de francs sur le secteur des
technologies de l'information et de la communication, secteur fondamental pour
le développement économique en Europe. Cet argent n'est pas encore totalement
disponible. Il convient de s'interroger par des débats parlementaires dans
chacun des pays concernés sur son affectation. A cet égard, le Sénat pourrait
vous apporter son aide, monsieur le ministre.
L'ensemble des parlements européens devraient avoir un sursaut en la matière
et développer massivement des recherches militaires duales. En effet, non
seulement les Etats-Unis augmentent leur effort de recherche militaire, mais
ils l'utilisent massivement pour développer leur potentiel dans l'industrie
stratégique. Ainsi, vous le savez, monsieur le ministre, les Américains
consacrent plus de 30 milliards de dollars à leurs programmes statiaux, ceci de
façon duale.
Dans ces domaines tout à fait stratégiques, en particulier la
télécommunication spatiale, nous sommes sous la dépendance totale du programme
de positionnement géographique, le GPS, sous contrôle du Pentagone. Le projet
Galiléo mérite d'être soutenu avec force car c'est le seul qui puisse nous
éviter de tomber sous la dépendance à la fois civile et militaire des
Etats-Unis.
Par ailleurs le Centre national d'études spatiales, le CNES, a déjà pris une
option sur une bande de fréquences, la bande L 5. En matière de fréquences,
vous connaissez les difficultés rencontrées avec le programme Skybridge pour
l'obtention d'une bande de fréquences correspondantes. Les Etats-Unis ont aussi
déposé une demande sur la bande de fréquences L 5 qui est nécessaire pour le
fonctionnement du projet Galiléo.
Monsieur le ministre, je vous demande instamment de faire en sorte que non
seulement la France, mais également l'ensemble des pays de l'Europe et des pays
associés à l'Europe puissent agir et soient extrêmement vigilants à cet égard
dans le cadre des structures de concertation, qu'il s'agisse de l'IETF ou de
l'Union internationale des télécommunications.
Par ailleurs, l'Europe devrait financer, à partir de Bruxelles, un programme
massif de recherche duale, ce qui nous permettrait de ne pas être accusés par
l'Organisation mondiale du commerce lorsque nous voulons financer nos
industries stratégiques, alors que les Américains le font systématiquement par
les recherches duales du DOD.
Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen sera très attentif
à vos réponses sur ces questions, monsieur le ministre.
M. le président.
La parole est à M. Roujas.
M. Gérard Roujas.
En préambule à mon intervention, permettez-moi de vous adresser, monsieur le
ministre, mes plus vives félicitations pour les décisions qui ont été prises
lors du conseil des ministres européens de la défense, que vous présidiez,
concernant la mise en oeuvre d'une force européenne de réaction rapide.
Plus nous avancerons vers une Europe de la défense, plus nous pourrons
maîtriser la part des dépenses militaires dans le budget de la France. Je ne
pense pas, à la différence de nombreux orateurs des groupes de la majorité du
Sénat, qu'un budget est forcément mauvais s'il n'augmente pas. Nous pourrons
ainsi consacrer plus de moyens à l'organisation de la sécurité intérieure, donc
à la gendarmerie.
Le Gouvernement a fait de la sécurité sa deuxième priorité, immédiatement
après la lutte pour l'emploi. C'est ainsi que le budget de la gendarmerie pour
l'année 2001 progresse. Les chiffres ont été présentés par M. le rapporteur
pour avis ; aussi me limiterai-je à souligner quelques aspects qui me semblent
particulièrement importants.
La sécurité intérieure apparaît, à l'aube du xxie siècle, comme un défi majeur
posé à toutes les sociétés modernes. Il s'agit, d'une part, bien entendu, de la
question du maintien de l'ordre public, et, d'autre part - c'est à mes yeux le
plus important - d'une question de justice sociale. En effet, la délinquance ne
pèse pas de la même façon sur tous les citoyens. Les plus pauvres d'entre eux
sont souvent aussi les plus démunis face à la violence.
Pour nous socialistes, l'égal accès de tous à la sécurité doit être la pierre
angulaire de toute politique en matière de sécurité intérieure. Voilà pourquoi
nous soutenons les mesures qui ont été prises par le Gouvernement :
renforcement de la proximité des services de sécurité ; renforcement de leur
présence dans les zones sensibles ; modernisation des moyens ; enfin,
revalorisation des conditions de travail et de vie des gendarmes.
La gendarmerie mérite qu'un effort soutenu soit accompli pour rendre son
action encore plus efficace. Elle doit pouvoir s'adapter aux évolutions de la
société et aux nouvelles formes de criminalité. Aujourd'hui, on demande aux
hommes et aux structures de la gendarmerie des efforts d'adaptation constants.
Pour cela, il faut des moyens.
Votre projet de budget, monsieur le ministre, permet de poursuivre et
d'amplifier la progression des ressources constatée depuis 1997 : 23 milliards
de francs pour 2001 pour les seuls crédits de fonctionnement, soit une
progression de presque 7 %.
Si l'on prend les crédits de fonctionnement des formations, ceux-ci passent de
1,62 milliard de francs à 1,95 milliard de francs, soit une augmentation de
plus de 20 %.
Au passage, permettez-moi de souligner que la qualité de la formation dans la
gendarmerie est aujourd'hui reconnue par tous.
Quant au redéploiement des forces de sécurité, il semble se dérouler
convenablement. Il s'agit de redéployer les moyens de la gendarmerie vers les
zones périurbaines, tout en maintenant le maillage cantonal de l'implantation
des brigades.
En tant qu'élu rural, je suis très attaché à cette présence. Nos concitoyens
ne comprendraient d'ailleurs pas que, pour apporter une plus grande sécurité à
une zone périurbaine, on dégarnisse une zone rurale. Je tiens à souligner que
telle n'est pas votre politique ni celle du Gouvernement, et je m'en
réjouis.
Cela dit, je soulignerai quelques inquiétudes et apporterai une modeste
contribution au débat.
La première concerne le recrutement des gendarmes adjoints. Pourrons-nous
atteindre les objectifs fixés de 11 000 adjoints en 2001 et de 16 000 en 2002 ?
Ne serait-il pas possible de lancer une campagne publicitaire efficace, comme
vous l'avez fait pour l'armée de l'air, campagne qui a donné, selon mes
sources, d'excellents résultats ?
Ma deuxième inquiétude porte sur les conditions de travail et de vie des
gendarmes. Je me souviens qu'il n'y a pas si longtemps les brigades, dépourvues
d'équipements de base, faisaient souvent appel aux communes pour les
photocopies, par exemple. Fort heureusement, la situation a évolué depuis, et
vous n'y êtes pas pour rien.
Dès le début de l'année 2000, vous avez pris plusieurs mesures qui vont dans
le bon sens et portent leurs fruits. Dans nos brigades, on reconnaît
aujourd'hui être bien doté, notamment en véhicules.
Peut-être faudrait-il réexaminer le problème de l'équipement informatique, qui
évolue très rapidement, en ayant plutôt recours au système de location qu'à
l'achat. Le renouvellement du matériel serait ainsi permanent. Dans ce domaine,
il faut aussi tendre, me semble-t-il, vers l'objectif d'un ordinateur par
gendarme.
Pour autant, le malaise n'est pas totalement dissipé. Nous avons vu, ici ou
là, quelques signes d'impatience et même une sorte de « coordination des femmes
de gendarmes » qui revendique par voie de presse. Il est difficile de ne pas
comprendre cette impatience.
Alors même que la société, dans son ensemble, tend vers la diminution du temps
de travail - les 35 heures, etc. - comment pourrait-on demander aux gendarmes
de travailler toujours plus ? Il s'agit là d'un problème difficile que vous
vous attachez à résoudre.
Je souhaite aborder rapidement la question de l'immobilier.
Il me semble que le plan-cadre, qui a plus de trente ans, devrait être
actualisé et mieux adapté aux réalités du terrain.
Qu'en est-il, par exemple, des locaux de garde à vue spécifiques équipés en
audiovisuel ?
En ce qui concerne les futures gendarmeries, ne serait-il pas souhaitable de
prévoir quelques petits logements pour les gendarmes adjoints ? Ainsi
pourrait-on diminuer le nombre de logements extérieurs qui, outre leur coût,
pose souvent des problèmes d'organisation du travail et des permanences. C'est
ainsi que, dans une brigade de mon département, sur trente gendarmes ou
adjoints, dix-huit sont logés à l'extérieur.
Le dernier point que je souhaite traiter concerne le recentrage des missions
des gendarmes. Je crois que nous devrions réfléchir aux moyens d'éviter le
recours à la gendarmerie pour remplir certains missions, telles que la
délivrance de procurations pour les élections ou encore l'obligation, pour la
gendarmerie, d'émettre un avis systématique chaque fois qu'un maire prend un
arrêté municipal lors de manifestations sur la voie publique ou autre.
Ainsi, nous déchargerions nos brigades d'un travail administratif lourd pour
permettre un recentrage des missions essentielles que sont la sécurité publique
et le service de proximité.
En conclusion, je souhaite réaffirmer le soutien des élus aux personnels de la
gendarmerie et rendre hommage à leur engagement sans faille, en toute
circonstance, au service du pays.
Je souhaite aussi affirmer le soutien plein et entier du groupe socialiste
pour l'action que vous avez engagée, monsieur le ministre, en faveur d'une
gendarmerie compétente, efficace, présente sur le terrain. Sans aucune
hésitation, nous voterons le projet de budget que vous nous proposez.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Del Picchia.
M. Robert Del Picchia.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons
entendu beaucoup de chiffres ce soir et, à cette heure avancée de la nuit, je
me bornerai à formuler quelques remarques et à poser quelques questions.
Les dépenses d'équipement diminuent. Cela remet en cause des commandes
futures. Il y a dans ce contexte, monsieur le ministre, une conséquence que
l'on n'évoque que rarement, celle des répercussions sociales. En effet,
l'industrie de la défense représente de nombreux emplois. Les commandes
militaires en génèrent, tout en apportant à nos armées l'équipement
nécessaire.
Votre Gouvernement, qui se donne parmi ses objectifs prioritaires, et c'est
louable, la lutte contre le chômage, devrait peut-être méditer sur une
utilisation rationnelle de ses finances et permettre ces commandes qui
maintiennent et créent des emplois.
Monsieur le ministre, j'ai relevé que les crédits alloués au Commissariat à
l'énergie atomique diminuent de 4 %. C'est beaucoup et cela peut susciter aussi
des interrogations.
Et puis, il est un point à éclaircir, monsieur le ministre. La construction du
laser Mégajoule se poursuit, mais les besoins financiers iront croissant au
cours de la prochaine loi de programmation. Cela va exiger un redressement des
crédits affectés au nucléaire.
Vous diminuerez également de moitié, l'an prochain, les crédits consacrés au
programme de simulation et vous ne lui accorderez que 856 millions de francs.
Avec la commission de la défense, nous avons visité le site. Nous avons été
impressionnés par cette réalisation tout à fait à la pointe de la recherche
militaire. Nous avons été convaincus de son sérieux et des promesses qu'elle
représente pour l'avenir.
Certes, ce ne sont pas des critères de décision, mais diminuer ce budget dans
des proportions aussi importantes nous conduit à nous poser des questions :
quel est le sens de cette réduction que nous a annoncée M. le rapporteur ?
Souhaite-t-on arrêter le programme ? Nous sommes perplexes sur l'avenir. Mais
peut-être allez-vous nous rassurer, monsieur le ministre.
Dans ce domaine de la recherche, nous sommes également étonnés d'une dérive
budgétaire du financement du budget civil de recherche et de développement
technologique. On continue à opérer des prélèvements sur le titre VI du budget
de la défense. Est-ce conforme à la loi ? On prévoit 1 250 millions de francs
pour 2001, me semble-t-il. Cela nécessite peut-être aussi quelques
explications.
Une question que nous nous posons aussi, monsieur le ministre, toujours dans
le domaine de la recherche, concerne ces crédits que la défense transfère au
Centre national d'études spatiales. Ce prélèvement est exclu par la loi de
programmation, mais là n'est pas mon interrogation. Ma question est la suivante
: cela sert-il la défense ? En clair, y a-t-il des retombées, si je puis dire,
sans jeu de mots, pour nos armées ? Dans l'affirmative, quelles sont-elles ?
J'aimerais à présent vous parler du Kosovo et des opérations extérieures,
monsieur le ministre.
Pouvez-vous nous expliquer comment sont financées les opérations extérieures ?
Elles sont de plus en plus nombreuses : il y a de plus en plus de militaires
français en opération à l'étranger, pour de bonnes raisons, certes, que nous ne
discutons pas, mais cela représente un surcoût annuel dont le financement nous
paraît un peu opaque.
Gérés dans les divers chapitres, les surcoûts, si j'ai bien compris, sont
régularisés en fin d'année et intégrés dans la loi de finances rectificative.
Mais ce que je ne comprends pas ce sont les appellations Opex ordinaire et Opex
extraordinaire.
Classe-t-on vraiment les opérations extérieures ? Si oui, comment
expliquez-vous alors que les opérations au Kosovo soient payées sur le budget
de la défense ? Elles sont pourtant prévisibles ! Tout le monde sait qu'elles
vont durer plusieurs années. L'armée de terre construit même ses installations
en dur ou semi-dur.
Dès lors, pourquoi n'impute-t-on pas ces dépenses sur le budget ordinaire,
alors que l'on sait qu'elles existeront encore l'année prochaine et peut-être
l'année suivante ? Cela allégerait d'autant votre budget, monsieur le
ministre.
A ce propos, pouvez-vous nous dire ce que vous prévoyez ou à combien se sont
élevés ou s'élèveront cette année les remboursements ONU ou OTAN, autant
qu'elle existe, monsieur Bécart.
Monsieur le ministre, si je pose ces questions critiques sur votre budget, je
me dois, en revanche, de reconnaître deux grands succès. Le premier, c'est la
professionnalisation. Le second, que vous avez accompli avec le Président de la
République, c'est la défense européenne. C'est d'ailleurs peut-être ce qui va
sauver le succès de la présidence française à Nice, car c'est un résultat très
positif déjà acquis, les autres étant encore suspendus à bien des
incertitudes.
Mais le corps de réaction rapide, la défense européenne, cela va aussi coûter
de l'argent. Ces nouvelles dépenses ne sont pas encore bien évaluées mais elles
seront prises sur le budget de la défense, et ce aux dépens des autres
utilisation du budget.
Il y a là, peut-être, une raison supplémentaire de renforcer ce budget, d'être
attentif aux efforts budgétaires. Puis il y aura aussi le financement de
l'état-major européen, qu'il faudra, je suppose, financer directement. Par quel
budget ?
Monsieur le ministre, avant d'en terminer, j'en viens, car je ne peux exclure
ce point de mon intervention, au
Charles-de-Gaulle
. Je ne vous
interrogerai pas une nouvelle fois sur les raisons de l'absence de décision
pour un second porte-avions. Je ne vous questionnerai pas sur les différentes
avaries inhérentes, semble-t-il, à la trop longue durée de la construction.
J'évoquerai le dernier incident.
Passe encore le défaut de fabrication qui semble bien être à l'origine des
problèmes de l'hélice perdue. Mais l'affaire devient rocambolesque, et c'est
grave pour le nom que porte ce fleuron de la flotte française et qui est plus
que chahuté par la presse de façon irrespectueuse !
A moins que l'affaire ne soit plus sérieuse. Mais là, on manque peut-être
d'explications. Avouez, monsieur le ministre, que l'incendie qui s'est produit
dans les locaux de la société chargée de la construction de ces hélices est
plus qu'innoportun.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Il n'y a pas d'incendie opportun, de toute façon
!
M. Robert Del Picchia.
Il devient suspect lorsqu'un représentant syndical déclare sur une station de
radio qu'il y a peut-être eu sabotage. Sans doute nous donnerez-vous des
précisions à cet égard.
Trois questions se posent, monsieur le ministre. Une enquête est-elle menée
sur ce point ? Combien de temps dureront les réparations ? Quel sera le retard
pour les missions ?
Pour conclure sur ce budget pour 2001, monsieur le ministre, malgré vos
efforts - vous n'êtes pas en cause - vous jonglez certainement entre la rigueur
de Bercy et la rigueur politique, qui quelquefois est difficile à appliquer.
Ce budget, en apparence à peu près équilibré, est en réalité préoccupant en
raison des tendances de dérive des crédits d'équipement, ce qui pose un
problème de financement. Tous les stratèges savent qu'en ce début du troisième
millénaire - c'est peut-être regrettable mais c'est ainsi - la question du
poids des capacités de défense d'un pays est non plus : « Combien de divisions
? » mais : « Combien de milliards ? ».
Pour toutes ces raisons, afin de vous encourager sur cette voie et de vous
permettre de convaincre Bercy du bien-fondé de votre démarche, après avoir voté
votre budget voilà deux ans, je suivrai cette année l'avis défavorable émis par
la commission des finances sur l'ensemble des crédits de votre ministère
inscrits dans le projet de loi de finances pour 2001.
(Applaudissements sur
les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. André Boyer.
M. André Boyer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget du
ministère de la défense pour 2001 doit d'ores et déjà être analysé au regard
des progrès de l'Europe de la défense. Cela paraît une évidence au moment où
s'ouvre le sommet de Nice.
Cette évolution majeure est d'autant plus importante qu'il est probable que,
dans l'avenir, nos armées interviendront fréquemment dans ce cadre, que les
forces mises à la disposition de l'Europe représentent une part très importante
des capacités de projection et de commandement de notre pays, et que les
engagements souscrits devront être remplis aussi bien en quantité qu'en qualité
pour que la France y tienne sa place. Ce nouveau contexte entraînera une
évolution de nos forces et de leur emploi, et une adaptation de notre outil
industriel.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je centrerai mon intervention sur la
construction de la défense européenne et, à propos de notre industrie de
défense, sur l'avenir de la DCN.
S'agissant de la construction de l'Europe de la défense, tout d'abord,
plusieurs questions se posent : quelles sont exactement les contributions des
différents pays et comment se coordonnent-elles entre elles ? Quelle en sera
l'organisation opérationnelle ? Comment s'harmoniseront les efforts de défense
?
Lors de la conférence d'engagement des capacités, qui s'est tenue voilà deux
semaines environ, les pays européens se sont engagés à constituer un réservoir
de forces de 100 000 hommes, 400 avions de combat et 100 bâtiments permettant
de projeter une force européenne de 60 000 hommes déployable en soixante jours
pendant un an. Chaque pays a alors fourni une première évaluation de ce qu'il
mettrait à la disposition de l'Europe. La France a proposé 12 000 hommes, 12
bâtiments et 75 avions ; le Royaume-Uni, 12 500 hommes, 18 bâtiments et 72
avions de combat ; l'Allemagne, au moins 13 500 hommes au titre de l'armée de
terre, ces trois pays fournissant l'apport le plus important. Mais les premiers
chiffres des différentes participations doivent être confirmés, car ils doivent
réellement correspondre à des troupes projetables et équipées de moyens
modernes. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser où en sont les
différents pays de l'Union ?
Par ailleurs, si beaucoup de pays ont annoncé qu'ils mettraient des capacités
à la disposition de l'Europe, celles-ci ne sont pas toujours disponibles en
permanence. Je prendrai l'exemple des capacités aéronavales. La France devrait
mettre à la disposition de l'Europe le porte-avions
Charles-de-Gaulle,
avec son groupe aérien et une escorte. L'Italie et l'Espagne feront de même
en apportant à l'Europe un porte-aéronefs chacune, le
Giuseppe Garibaldi
et le
Principe de Asturias.
Le Royaume-Uni apportera, pour sa part
un porte-aéronefs et un porte-hélicoptères. Or seul le Royaume-Uni, qui possède
trois porte-aéronefs - dont un en réserve ou en réparation - aura la
possibilité d'en mettre un, en permanence, à la disposition de l'Europe. La
France, elle, n'a pour l'instant qu'un seul porte-avions, disposant, il est
vrai, de capacités militaires assez nettement supérieures. Elle ne pourra le
mettre à la disposition de l'Europe que pour une période de six mois en
moyenne, quand il sera enfin en service. Il s'agit donc d'une disponibilité
partielle, limitée par les périodes d'entretien et de relève ou de repos des
équipages. Dès lors, comment les pays européens pourront-ils être assurés de
disposer en permanence des moyens aéronavals indispensables à toute opération
de projection de forces ?
Des solutions concrètes, monsieur le ministre, ont-elles été envisagées pour
résoudre cette difficulté ? Une coordination des périodes de disponibilité
entre les différentes marines est-elle envisagée ? Un effort concerté
d'équipement est-il à l'étude ?
A cet égard, l'Italie a très récemment annoncé la construction d'un
porte-aéronefs amphibie de 22 000 tonnes, pouvant embarquer des avions Harrier
à décollage court et atterrissage vertical ayant pour mission d'appuyer un
débarquement. Sa livraison étant prévue en 2007, l'Italie devrait donc disposer
de deux porte-aéronefs à la fin de la décennie. De même, le Royaume-Uni a
entamé la modernisation de ses moyens aéronavals, en admettant récemment au
service actif le porte-hélicoptères
HMS Ocean
et en poursuivant un
programme de construction de deux porte-avions de 40 000 tonnes pour 2012-2015.
La France devrait, elle, mettre en chantier deux nouveaux transports - TCD - de
chalands de débarquement d'environ 20 000 tonnes ayant une capacité
porte-hélicoptères, mais ne pouvant pas, bien entendu, mettre en oeuvre
l'aviation embarquée du
Charles-de-Gaulle,
ce qui souligne à nouveau la
nécessité de mettre en chantier un second porte-avions, outil indispensable de
la projection de force et de puissance.
L'existence de certaines lacunes conduit, en outre, logiquement, à
s'interroger sur le niveau de l'effort consenti par chaque pays de l'Union
européenne pour sa défense. Or de fortes divergences apparaissent. Le
Royaume-Uni consacre 2,5 % de sa richesse nationale à sa défense, la France
environ 2 % et tous les autres pays 1 % ou moins. Il y a là un défi très
important et difficile à relever. Si un critère de convergence en pourcentage
du PIB ne semble pas avoir été retenu, où en est-on, monsieur le ministre, de
l'élaboration de mécanismes incitatifs et d'indicateurs de cohérence ?
L'exemple des capacités aéronavales et de transport tactique maritime conduit
enfin à s'interroger sur le niveau de la coopération militaire en Europe.
L'Europe de la défense consiste pour l'instant à mettre à disposition des
forces nationales et à organiser progressivement une coordination
opérationnelle des fonctions dites « douces », correspondant au transport et à
la logistique. A cet égard, qu'en est-il des réflexions sur un commandement
européen du transport tactique maritime auquel participeraient les Pays-Bas, la
Belgique et la France ? D'autres pays européens seraient-ils prêts à y
participer comme en matière de transport aérien ? Pourra-t-on définir un type
identique de bâtiment ? Ce premier pas important ne devrait-il pas conduire à
une mutualisation des fonctions « dures », c'est-à-dire de combat ? Alors que
se constitue une force de projection européenne, il sera inévitable de
s'accorder sur les équipements les plus utiles à la réussite des opérations.
Par ailleurs, le nouveau contexte européen aura, à l'évidence, une influence
directe sur l'organisation de l'industrie navale militaire, à l'image de
l'évolution rapide de l'industrie aéronautique, et posant la question de
l'avenir de la DCN. Je formulerai à cet égard une inquiétude et une
interrogation.
L'inquiétude tout d'abord : aujourd'hui, la DCN doit impérativement trouver
des marchés à l'exportation pour maintenir un niveau suffisant d'activité,
pallier la forte diminution, depuis dix ans, des commandes de l'Etat et réussir
sa réforme. Elle s'y emploie activement en matière de frégates ou de
sous-marins, et souvent avec succès. Toutefois, les récents contrats, conclus
avec Singapour pour des frégates de type La Fayette et avec le Pakistan pour
des sous-marins diesel de type Agosta, prévoient un seul bâtiment construit en
France, les autres étant construits dans le pays client, ce qui entraîne
d'importants transferts de technologie. La DCN prend ainsi le risque de se
créer de nouveaux concurrents capables, à terme, de fabriquer du matériel de
très haute technicité. Ces transferts de technologie, nous le savons, sont
inévitables. Ils sont devenus le lot commun des exportations d'armements, tout
client exigeant le plus de contreparties possibles pour ses industriels.
Néanmoins, cette stratégie d'exportation ne pourra être pérenne que si un
effort suffisant est consenti en matière de recherche et développement pour
perfectionner les équipements ou en développer de nouveaux, afin de maintenir
le savoir-faire et l'avance technologique de la DCN. Mais je ne suis
malheureusement pas sûr que ce soit le cas aujourd'hui, alors que la recherche
militaire dispose de peu de crédits. Sa compétitivité est également intimement
liée aux progrès de productivité qu'elle sera capable de réaliser et qui
tardent pour l'instant à se concrétiser. J'ajouterai que ces progrès de
productivité sont aussi très attendus de son principal client, la Marine
nationale, pour laquelle ils sont la clef de la réalisation du « modèle 2015
».
Enfin, l'avenir de la DCN ne peut désormais se comprendre que dans le cadre
d'une restructuration de la construction navale militaire européenne. Dans
cette restructuration, quelle sera la place de la DCN ? Avec quel statut :
public ou privé ? A ce propos, où en sont les négociations avec Thomson-CSF,
qui marqueront la première étape, à l'échelon national, de ces restructurations
? Les Chantiers de l'Atlantique y seront-ils associés afin de constituer une
société française duale permettant d'associer des savoir-faire de tout premier
plan aussi bien civils que militaires ?
En Europe, les industriels du secteur sont, selon les pays, privés ou publics,
et parfois en voie de privatisation ; certains ont, en outre, une activité qui
n'est pas exclusivement militaire. Dès lors, des alliances peuvent-elles être
envisagées avec le constructeur espagnol Bazan avec qui la DCN coopère sur le
sous-marin Scorpène déjà vendu au Chili ou avec l'Italien Fincantieri qui
participe aux programmes Horizon ? D'autres rapprochements sont-ils possibles
avec Bae Systems ou avec le groupe germano-suédois HDW qui est notre concurrent
direct en matière de sous-marin ?
A l'heure où l'on construit un avion de transport militaire européen, l'A
400-M, ne peut-on pas concevoir, monsieur le ministre, mes chers collègues,
qu'un industriel européen construise un jour un TCD ou une frégate européenne,
réalisant sur les flots ce qu'Airbus a réussi dans les airs ?
(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de
la gendarmerie pour 2001 est un bon budget. Au demeurant, l'analyse objective
de notre rapporteur - dans son rapport écrit... - en souligne les points forts,
qui concrétisent clairement la volonté du gouvernement de Lionel Jospin de
continuer à donner une réelle priorité aux questions de sécurité.
Avec un montant de crédits de 23,77 milliards de francs, le projet de budget
de la gendarmerie pour 2001 progresse de 2,6 %, ce qui prolonge et conforte
l'augmentation de 2,3 % de l'an dernier. Cela permet à notre rapporteur
d'écrire, dans son introduction : « Le projet de budget de la gendarmerie pour
2001 permettra de répondre dans une large mesure aux exigences liées au
fonctionnement courant des unités. »
Ce budget permettra, je le rappelle, la création de postes d'officiers, de
sous-officiers et de volontaires, afin de compenser largement la diminution du
nombre d'appelés.
En outre, les traitements seront revalorisés. L'enveloppe pour la réserve
progresse. L'aide aux collectivités pour la création de logements et de
casernes augmente. La fidélisation, contrairement à certains pronostics, est
une réussite.
Bref, monsieur le ministre, toutes ces analyses sont positives. Vous devez en
être félicité et remercié.
On pourrait donc logiquement s'attendre à une large satisfaction des
gendarmes, de leurs familles et des élus. Hélas ! il n'en est rien. Le malaise
- qu'il ne faut cependant pas exagérer - des uns et des autres est toutefois
une réalité, et le mouvement des femmes de gendarmes en est la manifestation,
qui s'est concrétisée sous la forme de la création d'une association régie par
la loi de 1901.
A l'heure où le dialogue s'instaure dans presque tous les secteurs de la
société, cette initiative ne doit pas être condamnée, dans la mesure, bien sûr,
où son action s'inscrit dans ses buts initiaux, à savoir assistance aux
familles en difficulté, réflexion et information sur les problèmes vécus ou
subis par les gendarmes et leurs familles.
Plusieurs hypothèses sont avancées sur l'origine de ce malaise : mobilité
jugée parfois excessive, généralisation des 35 heures en dehors de la
gendarmerie, multiplication et complexité des missions.
Sans méconnaître la réalité de chacun de ces constats, je m'attarderai sur
deux problèmes dont l'importance n'est pas toujours appréhendée.
Le premier réside dans le non-remplacement des gendarmes absents, dont le
nombre a tendance à progresser en raison des congés, des maladies, des stages,
des missions à l'étranger. Ces absences sont d'autant plus pénalisantes que la
brigade a un effectif plus réduit, et c'est le monde rural qui vit le plus mal
cette situation, car certaines de ses brigades n'ont jamais un effectif au
complet.
Dans ces conditions, les présents assument leur travail ainsi que celui des
absents, et personne n'est content, même pas ceux qui sont absents, car ils
savent qu'ils pénalisent involontairement leurs collègues. Cette situation
endémique dans le monde rural est pour beaucup dans le malaise actuel.
Monsieur le ministre, permettez-moi à cet égard de reprendre une suggestion
que j'ai déjà formulée dans le passé mais qui n'a pas retenu votre attention :
pourquoi ne mettez-vous pas en place, au niveau soit des départements soit des
régions, des brigades que l'on pourrait qualifier de « volantes », dont les
membres auraient comme fonction, entre autres, de remplacer les absents ?
Où prendre les effectifs, me direz-vous ? Peut-être - et c'est une autre
suggestion - dans les effectifs que l'on affecte aux missions internationales !
Là aussi, la progression est assez inquiétante : je suis d'accord pour la
participation au maintien de la paix dans le monde, à condition toutefois que
ce ne soit pas au détriment de nos brigades territoriales !
Le deuxième problème que je souhaite évoquer intéresse les gendarmes et les
élus ruraux.
Monsieur le ministre, les populations rurales changent, elles subissent de
plus en plus des mouvements de populations à problème. Pour l'instant - mais
pour l'instant seulement - il s'agit de ce que l'on pourrait appeler des
nuisances en continu émanant de jeunes enfants : ils insultent, ils menacent,
ils pénètrent dans les jardins voire dans les domiciles, ils détruisent,
volent, perturbent. Quant aux parents, ils ont généralement abdiqué.
Les élus sont alors harcelés de pétitions et de réclamations, hélas !
justifiées. Ils font appel aux gendarmes, qui avouent souvent leur impuissance.
La prévention est de plus en plus absente dans le monde rural, monsieur le
ministre ! Les gendarmes n'ont plus le temps d'y faire face.
Des actions de prévention sont menées, certes timidement, en milieu urbain et
périurbain, et c'est bien. Mais, depuis des années, la prévention dans le monde
rural est pénalisée : la brigade est jugée, notée sur ses interventions
constatées, sur ses résultats tangibles, et celle dans laquelle il ne se passe
rien est qualifiée d'inutile. Rien n'est plus faux ! Un tel raisonnement
condamne la prévention, car celle-ci exige la présence de brigades, certes,
mais également de gendarmes !
Mes réflexions n'enlèvent rien aux qualités de votre budget, monsieur le
ministre. Après avoir procédé à une analyse objective - dans son rapport écrit,
je le répète - notre rapporteur et la majorité de la commission des affaires
étrangères ont apporté une conclusion qui, elle, est non pas objective mais
politique et en totale contradiction avec l'analyse qui précède. Cette attitude
ne permet pas d'atténuer le malaise que notre rapporteur déplore !
Le budget de la gendarmerie est un bon budget, mais, par son vote, la majorité
de notre assemblée le rejette. C'est que la plupart des gendarmes, hélas !
retiendront. Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, votre vote
n'aidera pas cette arme, dont vous souhaitez pourtant, dites-vous, le bon
fonctionnement ! Sur l'ensemble du budget de la défense, je me contenterai de
souligner certains points. Ce budget répond aux besoins de nos armées. Il
permet de concrétiser les orientations de la loi de programmation corrigée par
la revue des programmes. Il consolide la professionnalisation de nos forces. Il
renforce les moyens de fonctionnement et modernise les équipements.
Par ailleurs, l'Europe de la défense réalise des progrès certains. L'Union
européenne a décidé de se doter, à terme, des moyens nécessaires pour être un
acteur politique majeur et assumer pleinement son rôle sur la scène
internationale. En un temps très court, elle a pris des mesures décisives
auxquelles, monsieur le ministre, vous n'êtes pas étranger. Votre action en
faveur de la défense européenne mérite notre soutien, voire celui de la
totalité des membres de notre assemblée.
Monsieur le ministre, votre budget est cohérent avec les orientations que vous
avez définies. Il répond aux objectifs de notre défense nationale. Le groupe
socialiste votera donc les crédits affectés à votre ministère pour 2001 !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hethener.
M. Alain Hethener.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui
nous préoccupe ce soir est de la plus haute importance. En effet, la question,
sous-jacente, est de savoir si nous serons encore en mesure, dans dix ans, dans
vingt ans, de défendre nos intérêts vitaux sans recourir à une quelconque aide
internationale. Qui le sait aujourd'hui ?
A l'analyse du budget pour 2001, la réponse n'est pas si aisée. En effet, il
semblerait que le Premier minisstre n'ait pas la fibre militaire : grâce à
toute l'importance que le Premier ministre accorde à ces questions, le budget
de la défense vient de passer du deuxième rang au troisième rang, ce qui est en
soi novateur puisque, à la différence de la France, les Etats-Unis, le
Royaume-Uni et l'Allemagne ont décidé d'accroître leurs budgets depuis quelques
années.
J'en déduis que le Premier ministre est plus subtil que ses collègues pour
estimer que l'armée française pourra réaliser ses objectifs avec un budget en
baisse. En effet, quand le Gouvernement laisse croire que la France peut tenir
son rang et jouer un rôle clé dans les crises à venir, les Américains, qui,
eux, voient leur budget de la défense passer de 290 milliards de dollars à plus
de 310 milliards de dollars, soit une hausse de plus de 7 %, déclarent que «
c'est un bon début pour stopper le "déclin des forces militaires" et qu'il
manque toujours 30 milliards de dollars par an pour permettre une modernisation
». De plus, ils concluent en estimant qu'il s'agit d'un budget d'attente. En
France, le Gouvernement nous propose un budget d'avenir, mais malheureusement
en baisse.
C'est en tout cas ce qui ressort de l'analyse des données chiffrées : le titre
V, qui concerne les équipements - et dont le précédent Gouvernement avait
prévu, à travers la loi de programmation militaire votée en 1996, qu'il devait
se situer au moins au-dessus de 86 milliards de francs -, atteindra tout juste
les 83 milliards de francs. En outre, il est en baisse de 0,3 % par rapport au
budget de 2000.
Quant au titre III, il est en baisse de 0,4 % en francs constants, comme l'ont
indiqué certains des orateurs qui m'ont précédé.
A la lumière de ce budget, nous pouvons donc dire que notre pays n'assume pas
financièrement ses choix politiques. Aucun crédit n'est inscrit dans le budget
pour l'avion de transport futur, alors que l'armée de l'air n'est pas en mesure
de faire face au vieillissement de son parc de Transall. La Royal Air Force
sera sans doute dans dix ans plus performante que l'armée de l'air française,
alors qu'aujourd'hui elles sont de force comparable.
Avec la question du second porte-avions, c'est toute la problématique de notre
capacité à projeter nos forces qui se pose. En effet, le porte-avions
Charles-de-Gaulle
n'est opérationnel que pendant les deux tiers de
l'année.
Que sommes-nous capables de proposer à nos partenaires au sein de l'OTAN ?
Sommes-nous vraiment crédibles en affichant une incapacité à projeter nos
forces pendant quatre mois de l'année ? Le porte-avions, qui est l'instrument
de souveraineté par excellence et de projection de puissance, ne peut et ne
doit pas rester inutilisable le tiers de l'année.
C'est avec de telles carences que nous risquons de voir, monsieur le ministre,
notre siège au Conseil de sécurité des Nations unies être remis en cause par
d'autres Etats qui, eux, se seront donné les moyens de leurs ambitions.
Mon intervention ne se veut pas exhaustive, monsieur le ministre. C'est la
raison pour laquelle je vais conclure. Mais, au moment où les avions Rafale
promis à nos armées se font attendre, au moment où notre porte-avions cale et,
enfin, au moment où le Gouvernement décide de ne pas suivre le mouvement de
hausses budgétaires décidé par nos partenaires, il convient de s'interroger sur
le rôle que nous pourrons jouer à l'avenir dans l'OTAN : il semblerait qu'à
force de renoncements sur nombre de points nous risquons d'avoir un strapontin
dans les différentes institutions chargées de la sécurité européenne.
Pour conclure définitivement, je dirai, après M. Blin, que ce budget comprend
quelques points positifs, notamment en ce qui concerne la gendarmerie ; mais je
pense que le budget global n'est pas à la hauteur de nos ambitions et ne permet
sûrement pas à la France d'assurer à l'avenir la place qui doit être la sienne
au sein de la défense européenne et dans le monde.
(Applaudissements sur les
travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen des
crédits de la défense me plonge dans la perplexité.
Je ne fais pas allusion à la complexité de leur présentation, mais au décalage
qui subsiste toujours par rapport à l'évolution géopolitique. En effet, tout le
monde s'accorde à affirmer que la construction européenne rend impossible un
conflit armé au sein de l'Union. La dilution de la menace militaire directe, ou
plutôt son changement de nature, réduit fortement les risques d'un conflit
frontal sur notre continent.
De deux choses l'une : soit notre effort bugétaire est largement insuffisant
pour une défense tous azimuts dans la mesure où il ne permet pas à notre nation
de prendre seule en charge un conflit dont la nature est, de plus, aujourd'hui
mal définie ; soit les crédits sont mal orientés et certaines lignes
budgétaires sont inutiles, car les conflits sont aujourd'hui devenus avant tout
économiques et diplomatiques.
Nos offensives doivent donc aussi se traduire par le développement de
l'influence culturelle française et européenne. C'est ainsi qu'avant-hier, lors
du débat sur les crédits des affaires étrangères, je suggérais, devant un
auditoire aujourd'hui pas encore converti, le transfert de quelques milliards
de francs du budget de la défense, ce qui ne l'aurait pas profondément
affaibli, sur celui des affaires étrangères, ce qui l'aurait grandement
renforcé.
Vous l'aurez compris, je suis favorable à un plus grand ciblage du budget de
la défense. Les zones d'action prioritaires sont presque exclusivement
l'Europe, la Méditerranée et l'Afrique.
Je conçois qu'il soit très difficile de réorienter des programmes qui
s'étalent parfois sur quelques dizaines d'années. Mais construiriez-vous
aujourd'hui le porte-avions
Charles-de-Gaulle ?
Son utilisation est sans doute tout à fait nécessaire dans un conflit du type
de celui des Balkans, mais ne faudrait-il pas aujourd'hui « penser Europe »
dans la conception et le financement d'une force aéronavale ? Son
sistership,
s'il est indispensable, ne doit-il pas s'inscrire dans cette
stratégie ?
De toute façon, nous ne pouvons utiliser nos forces sans l'accord et le
concours de nos alliés européens. C'est pourquoi, Européen convaincu, je me
félicite, comme M. le président de Villepin, des progrès réalisés par les
gouvernements et les industriels de l'armement dans la mise en place d'une
défense européenne.
Dans un autre domaine, tenant compte de l'évolution radicale des problèmes de
défense, vous avez modulé la livraison des chars Leclerc, considérant
certainement aussi que la perspective d'un choc frontal en Europe centrale
appartenait au passé.
Je comprends que de telles décisions soient très difficiles à prendre, car
elles atteignent notre fierté nationale, au regard de notre glorieux passé
militaire. Je suis cependant convaincu qu'il faut avoir le courage de sacrifier
certaines lignes de crédits pour pouvoir en renforcer d'autres. S'il en va
autrement, nous subirons un éparpillement des dépenses qui nous conduira à un
système d'armes « échantillons » et interdira toute efficacité et tout concept
global de notre défense.
La gendarmerie est l'une de mes préoccupations majeures, dans votre budget.
Tous les citoyens reconnaissent que les gendarmes allient la rigueur militaire
à la connaissance profonde de la société. Votre projet de budget pour 2001
donne-t-il aux gendarmes les moyens de remplir efficacement leurs missions en
France ?
La progression des effectifs dans les années à venir sera-t-elle suffisante
pour faire face aux problèmes de sécurité intérieure grandissants auxquels nous
serons confrontés ?
Au-delà de la question des effectifs, la gendarmerie doit répondre à des
doutes qui affectent son moral et son efficacité.
Pour ce qui est de son moral, je constate que les 35 heures sont à l'origine
d'un malaise, en raison des comparaisons spontanées avec les autres
fonctionnaires, notamment avec la police. Les gendarmes ont l'habitude de
servir, mais ils ne comprennent pas pourquoi ils seraient affligés d'un statut
aussi particulier.
Les redéploiements ont souvent réduit la présence et l'efficacité de la
gendarmerie dans les campagnes, à l'intérieur d'un même département. Il est
évident, par ailleurs, que les gendarmes adjoints sont moins opérationnels, du
fait d'une expérience moindre. C'est une erreur de prendre le risque d'une plus
grande insécurité dans nos campagnes.
Il faut également apporter un soin particulier au quotidien des gendarmes.
Mais les crédits prévus pour 2001, en dérisoire progression, sont largement
insuffisants pour moderniser les équipements bureautiques, fournir les hommes
en armes performantes, les munir de gilets de protection pour qu'ils assurent
mieux la sécurité des citoyens et, hélas ! aujourd'hui, leur propre
sécurité.
En conclusion, face à ce budget, je suis soucieux et, comme beaucoup d'autres
membres du groupe du Rassemblement démocratique social et européen, je
souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez apaiser les inquiétudes dont
j'ai fait état.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et sur certaines
travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je souhaite énoncer les principes qui guident ce budget de la
défense de 2001, tout en répondant aux interventions très nombreuses et de
grande qualité qui ont nourri le débat jusqu'à présent.
Comme plusieurs orateurs l'ont souligné, à la suite du président de la
commission des affaires étrangères, M. de Villepin, notre pays est engagé dans
une rénovation profonde de son outil de défense lui permettant d'assurer sa
sécurité dans des conditions nouvelles, de remplir ses engagements
internationaux et d'assurer la pérennité de son rayonnement en Europe et dans
le monde.
Depuis mon arrivée à la tête de ce ministère, j'ai oeuvré à cette
transformation et à l'application de la loi de programmation qui la soutient.
Cet effort, mené dans la durée et conjugué à l'engagement exemplaire des
personnels militaires et civils de la défense, permet à notre pays de disposer
d'un outil militaire adapté aux défis d'aujourd'hui.
Notre nouveau modèle d'armée nous permet en effet de faire face efficacement
aux crises qui secouent la communauté des nations, et je veux remercier ceux
des orateurs qui, dans leur intervention, ont partagé cette analyse. J'appelle
toutefois leur attention sur le fait que, si nous connaissons aujourd'hui
certaines menaces, si nous pouvons prévoir l'occurrence de certaines crises
dans les prochaines années, nous avons, en même temps, la responsabilité
d'anticiper des types de risques qui apparaissent aujourd'hui lointains, mais
auxquels on ne peut réagir qu'en prenant ses précautions très longtemps à
l'avance.
Notre pays, je le souligne, prend ses responsabilités - bien plus que d'autres
! - pour faire respecter la légalité internationale, et il a, pour cela, créé
un outil militaire efficace et adapté. L'effort accompli nous permet
aujourd'hui de jouer un rôle important dans les progrès décisifs opérés par
l'Europe pour prendre en main sa propre sécurité - j'y reviendrai. C'est en
tout cas dans cette perspective que s'inscrit le budget qui vous est
aujourd'hui soumis.
Voilà maintenant deux semaines, j'ai pu, avec satisfaction, vous exposer les
résultats importants auxquels nous sommes parvenus, pendant la présidence
française de l'Union européenne, en matière de défense. L'Europe est en effet
en train de se doter d'un outil commun : une force de réaction rapide appuyée
sur de véritables capacités stratégiques lui permettant, dans les années qui
viennent, de décider seule et pour l'essentiel, d'agir seule. Je ne reprends
pas la description de cet outil ; nous en avons parlé récemment dans ce débat
qui a été fort riche.
Pendant la présidence française, une étape cruciale aura été franchie sur la
voie de la constitution d'une capacité européenne d'action militaire au service
de notre politique commune de sécurité et de défense.
Nous pouvons, je crois, assumer avec une certaine fierté le rôle joué par
notre pays dans ce qui sera, si nous nous en donnons les moyens, un grand
succès pour l'Europe.
Cet engagement de la France n'a été rendu possible que grâce à l'intense
effort d'adaptation de son outil militaire que nous menons depuis 1996. J'y
trouve, comme bien d'autres, la confirmation de la pertinence du choix de
modèle d'armée qui a été fait en 1996 sur la base du Livre blanc de 1994. C'est
grâce au choix d'une armée professionnelle, adaptable, projetable, bien
entraînée et bien équipée que la France peut tenir sa place en Europe.
La perspective européenne dans laquelle s'inscrit ce budget est aussi une
perspective industrielle. L'Europe est en train de se doter d'une base
technique et industrielle forte et compétitive, élément indispensable pour
soutenir l'autonomie stratégique de la défense de notre continent.
Depuis maintenant trois ans, ce Gouvernement a encouragé la restructuration de
l'offre technologique et industrielle de l'Europe et rationalisé la demande
grâce à une plus grande coopération entre les Etats.
Je veux rappeler les lancements de programmes conjoints entre Européens qui
ont marqué ces deux dernières années : le Tigre, en 1999 ; l'hélicoptère de
transport NH 90 cette année, étant précisé, monsieur Blin, qu'il n'a jamais été
question qu'il soit livré cette année puisque c'est cette année que nous avons
conclu la commande ; toujours en 2000, la commande des frégates
franco-italiennes Horizon et de leurs systèmes d'armes trinationales PAAMS,
avec les Britanniques enfin, l'engagement de sept pays de l'Union européenne et
de nos partenaires turcs dans le projet A 400 M d'avion de transport, dont la
commande devrait intervenir en 2001. L'entente de cinq pays pour un missile
air-air de nouvelle génération commun au Rafale et à l'Eurofighter, le Meteor
constitue un autre projet majeur.
De même, ainsi que l'a mentionné M. de Villepin en présentant le rapport de M.
Jean Faure, la combinaison du projet franco-italien et de la décision allemande
de lancer des satellites d'observation radar pour les besoins interalliés
complétera les capacités européennes en matière de renseignement, jugées
prioritaires par les Etats européens lors du sommet d'Helsinki.
La question a été posée de la fermeté des décisions italienne et allemande.
Pour m'entretenir fréquemment avec mes homologues italiens et allemands, qui
souhaitent tous deux ardemment que la France partage cet effort avec ses
partenaires non pas sous la forme d'un engagement financier mais sous celle
d'un partenariat technique et opérationnel, je crois pouvoir dire que leur
détermination est tout à fait réelle.
Au-delà de ces différents programmes, nous sommes en train de faire monter
progressivement le rythme d'activité de l'OCCAR, l'organisation conjointe de
coopération en matière d'armement, qui regroupe les quatre plus gros acheteurs
européens. C'est, assurément, la voie d'avenir non seulement pour les
acquisitions, mais aussi, comme le faisait justement remarquer M. Laffitte tout
à l'heure, pour un début de coopération européenne en matière de recherche et
d'études prospectives.
Dans le même temps que la demande s'est fortement rassemblée, nous avons
restructuré l'offre dans des domaines importants de l'industrie de défense
européenne. Nous avons en effet joué, avec nos principaux partenaires, un rôle
important dans la constitution de grands groupes européens capables d'affronter
la concurrence mondiale.
Le groupe EADS, désormais constitué, a renforcé ses partenariats avec les
industries britanniques et italiennes. Thomson-CSF a affermi son positionnement
européen par son rapprochement avec le groupe britannique Racal. C'est sur la
base de cette consolidation qu'il a choisi le nouveau nom de Thales aujourd'hui
même.
Nous avons signé, à six pays européens, un accord cadre pour harmoniser les
règles applicables aux industries de défense, qui permettra de réaliser des
synergies entre les industries nationales.
Dans le domaine de l'industrie navale de défense, la réforme de la DCN
constitue un axe majeur de la politique de modernisation du ministère. Cette
réforme, sur laquelle plusieurs orateurs m'ont interrogé, a pour objectif de
restaurer la compétitivité de la DCN, afin qu'elle continue de répondre aux
besoins de la marine nationale et qu'elle occupe, sur le marché mondial, la
place que ses savoir-faire lui permettent d'espérer.
Je veux d'ailleurs faire observer, à cet égard, que, compte tenu des commandes
en cours de conclusion et de celles qui vont bientôt être signées - j'y
reviendrai - le chiffre d'affaires de la DCN au titre de la marine nationale
devrait connaître une augmentation substantielle au cours des prochaines
années.
Pour développer leurs atouts sur le marché international, l'Etat, propriétaire
de la DCN, et le groupe Thales, s'appuyant sur des partenariats éprouvés de
longue date, ont décidé de constituer une société commune de commercialisation
et de maîtrise d'oeuvre industrielle en ce qui concerne les navires armés ou
leurs systèmes de combat en vue de leur exportation.
Les discussions relatives à la constitution de cette société commune ont
abouti. Leur traduction législative est incluse, ce soir même, dans un
amendement au projet de loi de finances rectificative actuellement en
discussion à l'Assemblée nationale et dont vous serez saisis dans quelques
jours.
Ces évolutions, vous le voyez, sont importantes : elles engagent l'avenir à
long terme de nos capacités industrielles de défense ; elles confirment aussi,
je l'ai dit, la pertinence de notre modèle d'armée, qui a fondé l'actuelle loi
de programmation militaire.
Le budget pour 2001 qui est soumis aujourd'hui au Sénat permettra à notre pays
de poursuivre dans de bonnes conditions l'adaptation de son outil militaire. Le
montant des crédits dont disposera le ministère de la défense sera de près de
189 milliards de francs. Contrairement à ce que pouvaient laisser croire des
propos que j'ai entendus mais que je n'ai pas compris, il est en augmentation -
et non en réduction - de 0,55 % par rapport aux chiffres de la loi de finances
initiale de 2000.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, en bons praticiens budgétaires
que vous êtes, que l'augmentation des moyens effectivement disponibles sera, en
pratique, de 1 %, compte tenu, d'une part, d'une économie de l'ordre de 500
millions de francs résultant de la baisse d'un point du taux de la TVA
applicable à la majeure partie des achats courants et des équipements, et,
d'autre part, d'une réduction de 250 millions de francs du transfert opéré au
profit du budget civil de recherche et de développement. Il s'agit donc bien
d'un budget en augmentation.
Par conséquent, l'effort de la France en matière de défense demeure à un
niveau élevé. La baisse relative du ratio de la dépense consacrée à la défense
sur le PIB s'explique par la croissance exceptionnellement rapide du PIB et non
par une réduction du numérateur. Cette dépense est en croissance incontestable.
Nous avons connu des temps où, comme le dénominateur stagnait, il était
naturellement moins difficile de maintenir ce ratio, mais je pense que personne
ici ne souhaite le retour à cette période.
Je voudrais aussi répondre brièvement aux propos tenus par plusieurs orateurs
de l'opposition sur les conséquences qui résulteraient, pour l'Europe de la
défense, de la comparaison entre notre budget d'investissement et celui du
Royaume-Uni. Au fil de ce raisonnement, les treize autres nations de l'Union
européenne ont d'ailleurs quasiment disparu.
Avez-vous remarqué, mesdames et messieurs les orateurs de l'opposition, que
cette construction politique se fait à quinze et que si nous avions la courte
vue ou la maladresse de prétendre, contre toute rationalité, nous arroger un
leadership
de principe dans cette construction, celle-ci n'aurait tout
simplement jamais vu le jour ?
Il nous faut donc sortir d'un provincialisme légèrement attardé, qui consiste
à penser qu'il doit forcément y avoir un chef. J'ai souvent entendu ce
raisonnement, décalé, me semble-t-il, par rapport à la réalité et qui
présuppose, au fond, que nous construirions seuls l'Europe et que le rôle des
quatorze autres Etats serait simplement d'écouter nos leçons. Or l'Europe ne
s'est jamais construite ainsi.
Je crois que cette attitude relève d'une « infirmité » de la pensée et que les
nations qui consacrent moins de moyens que nous au budget d'investissement de
leurs armées ne seront pas des « nains » dans l'Europe de la défense. Nous
écouterons leurs avis, nous aurons le souci d'une véritable cohésion de
l'Europe de la défense, et je souhaiterais donc que nos partenaires européens
n'aient pas le sentiment, à la lecture de nos débats de ce soir, que, pour une
grande partie de notre représentation nationale, il existe une hiérarchie
acquise d'avance, et que nous serions engagés avec nos amis britaniques dans
une dispute pour le
leadership
, laissant derrière tous les autres pays,
ce qui, soit dit au passage, contredirait les propos parfois tenus par ceux-là
mêmes que j'évoquais sur l'importance du couple franco-allemand.
Chacun sait, en effet, que le budget d'investissement du ministère allemand de
la défense est,
grosso modo
, équivalent à la moitié du nôtre. Or
personne ici, je le suppose, ne prétend reconnaître à l'Allemagne, dans
l'Europe de la défense, une influence qui serait moitié moindre que la
nôtre.
En revanche, les observations relatives à la nécessité de disposer
d'indicateurs de cohérence rejoignent l'appréciation du Gouvernement, et se
rattachent à un courant de réflexion qui a souvent réuni les ministres de la
défense de l'Union européenne. Une première étape peut être franchie dans ce
sens, par la tenue des engagements pris à Bruxelles lors de la conférence
d'engagement de capacités quant au comblement des déficiences de l'Europe de la
défense. Il en a été peu parlé, mais il existe bien entendu des déficiences par
rapport au catalogue de forces optimal que nous avons défini ensemble.
Cela étant, cela signifie que lorsque les Européens ont défini ce catalogue de
forces nécessaires, ils ne se sont pas autocensurés. Ils n'ont pas cherché à
définir l'objectif simplement en fonction de leurs possibilités du moment ; ils
ont cherché quels étaient les moyens à déployer pour assurer la crédibilité et
la solidité de la force de réaction rapide que nous voulions construire
ensemble.
Par ailleurs, ces déficiences, qui naturellement existaient déjà auparavant
mais que personne ne soulignait, notamment au sein de l'alliance, sont
maintenant devenues un objet d'engagement public et positif des Européens entre
eux. Il n'existe pas encore, et cela ne surprendra personne, de mécanisme
impératif d'encadrement des budgets de défense, mais un engagement politique
public a au moins été pris, soumis au regard des opinions publiques et des
parlements européens, mais plus encore à l'analyse critique de certains de nos
partenaires, notamment de nos amis américains. Apparaît donc un début de
processus de mobilisation des Européens pour que leurs budgets de défense
soient cohérents avec les engagements publics qu'ils viennent de prendre.
J'en viens maintenant aux titres budgétaires.
Le titre III passe de 105 milliards de francs à 105,5 milliards de francs,
alors que les effectifs globaux diminuent de près de 6 %, ce qui signifie que,
par rapport à ceux-ci, les crédits vont croître de façon substantielle.
Les effectifs budgétaires du ministère de la défense s'établissent pour 2001 à
446 143 postes, avec la suppression de 39 657 postes budgétaires d'appelé et la
création nette de 11 791 emplois professionnels civils ou militaires.
Le format des armées prévu par la loi de programmation est donc, à l'unité
près, parfaitement respecté, monsieur Trucy. Nous sommes en train de relever le
double défi que présentait la professionnalisation : diminuer de façon ordonnée
le format des armées tout en attirant de nouvelles compétences.
Nous continuerons également à assurer le départ de cadres, sur la base du
volontariat, grâce à un important travail de reconversion et aux pécules. La
dotation de 627 millions de francs pour 2001 permettra, à elle seule, d'assurer
le départ volontaire, dans de bonnes conditions, de plus de deux mille cadres.
Dans le cas des officiers, la réduction des effectifs sera d'ailleurs moins
importante que prévu, car nous tenons compte des besoins grandissants qui se
font jour dans certains domaines, en particulier dans les structures
internationales. Ainsi, un orateur a demandé tout à l'heure quelle serait notre
contribution à l'état-major européen : elle sera de l'ordre d'une vingtaine
d'officiers, et nous nous sommes donné les moyens de la financer.
Dans le même temps, le recrutement des militaires du rang engagés continue à
s'effectuer à un rythme soutenu. En 2001, 7 700 emplois seront créés, et nous
aurons ainsi atteint à raison de 83 % l'objectif fixé par la loi de
programmation.
La montée en puissance des volontaires se poursuivra, avec 7 000 postes
nouveaux en 2001. Les créations d'emplois civils qui ont été mentionnés, à
juste titre, par plusieurs orateurs, sont également importantes. Au titre du
projet de budget pour 2001, ce sont 3 014 postes de fonctionnaire civil qui
seront créés. En outre, s'agissant des emplois d'ouvrier d'Etat, j'ai obtenu du
Gouvernement l'autorisation d'ouvrir au recrutement 250 postes dans les
spécialités les plus rares.
Mais je voudrais souligner que nous procéderons, du point de vue des postes à
pourvoir, à 6 500 recrutements effectifs de fonctionnaires civils. Nous allons
donc connaître une remontée du taux d'emplois pourvus.
Par ailleurs, nous poursuivons la politique d'externalisation. A cet égard, il
a été observé que la croissance des crédits affectés à l'externalisation était
moins importante que celle qui a été observée pendant l'année 2000, ce qui est
tout à fait logique : nous avions décidé, en 2000, d'ouvrir un plus grand
nombre de postes à l'externalisation ; d'autres le seront en 2001, mais ils
seront moins nombreux, d'où un effort à consentir moins important.
J'ai toujours souligné, notamment au fil du dialogue social au sein du
ministère, que ces opérations d'externalisation devraient être réversibles. Il
existe une charte de l'externalisation publique dans le ministère qui précise
dans quelles limites, selon quelles procédures et avec quel accompagnement
social se pratique l'externalisation. Pour répondre à la question posée par M.
Plasait, j'indique que l'expérience de Varennes-sur-Allier permet une économie
de l'ordre de 20 % par rapport au coût qu'auraient représenté les rémunérations
d'agents titulaires. Par conséquent, nous pouvons poursuivre cette expérience,
mais elle reste ponctuelle et devra donner lieu à une évaluation attentive
avant que nous ne décidions de l'étendre.
Notre effort porte également sur les mesures indemnitaires. Elles feront
l'objet d'un nouveau rattrapage de 200 millions de francs, après celui qui a
été opéré en 2000, ce qui nous rapprochera beaucoup du niveau de ressources
nécessaire. Plusieurs dispositions indemnitaires sont prévues en faveur des
diverses catégories dans le projet de budget pour 2001, pour un total de 86,5
millions de francs. Elles concernent en particulier les personnels du service
de santé des armées, à propos desquels plusieurs orateurs m'ont interrogé, et
consistent en un plan d'amélioration sur deux ans de l'avancement des médecins,
ainsi qu'en une compensation nettement plus substantielle des gardes
hospitalières, de manière à instaurer l'équité entre la situation des médecins
militaires servant en hôpital et celle des médecins hospitaliers civils.
La gendarmerie est également concernée. Conformément aux engagements que j'ai
pris au printemps dernier dans le cadre de la concertation, les orientations
gouvernementales se traduisent - plusieurs orateurs l'ont fait remarquer,
notamment MM. Roujas et Rouvière - par une augmentation du budget de la
gendarmerie, dont la zone de responsabilité accueillera, dans les dix ans à
venir, au moins 80 % de la croissance de la population du pays, qu'il s'agisse
de zones périurbaines ou de certaines zones purement rurales dont la population
tend à augmenter lentement, ainsi que cela a été relevé notamment par M.
Masson.
C'est ce constat qui oriente les travaux préparatoires de la loi de
programmation militaire. Dans cette optique, il est exact que nous devons
étudier particulièrement le format de la gendarmerie, au regard à la fois de la
population croissante dont elle devra assurer la sécurité et de la complexité
grandissante des missions qui lui sont confiées. Par conséquent, vos
préoccupations et recommandations sont bien prises en compte dans les
réflexions en cours.
Comme cela a été relevé par plusieurs orateurs, les effectifs de la
gendarmerie seront renforcés au cours des années 2000, 2001 et 2002. Ainsi, le
projet de budget pour 2001 prévoit d'ouvrir 1 050 postes budgétaires de
sous-officier, dont 500 auront été pourvus par anticipation à la fin de
l'exercice 2000, ainsi que cinquante postes de gendarme d'autoroute, pour tenir
compte de l'accroissement du linéaire. S'ajoute à ces chiffres le renfort de 3
750 gendarmes adjoints volontaires, qui permettra notamment de soutenir les
effectifs implantés dans les zones périurbaines des départements sensibles,
lesquelles bénéficient de 700 militaires supplémentaires, sans que cela se
fasse au détriment du réseau rural, dont plusieurs orateurs, notamment M.
Rouvière, ont rappelé l'importance, qui ne fait à mes yeux aucun doute.
Afin de répondre de façon plus détaillée à la question du remplacement ou de
la permanence que posait M. Rouvière, je voudrais souligner que, lors de la
répartition des 500 postes supplémentaires dont nous bénéficions pour 2000, la
direction générale de la gendarmerie m'a recommandé - ce qui m'a un peu surpris
au départ, puisque j'étais, bien sûr,
a priori
soucieux de donner la
priorité au secteur périurbain - de créer des PSIG, des pelotons de
surveillance et d'intervention de la gendarmerie donc des formations
interbrigades, dans la plupart des compagnies de zone rurale. Celles-ci
n'étaient pas prioritaires numériquement, mais il convenait précisément
d'assurer la permanence et l'équilibrage entre les petites brigades dispersées
lorsque apparaît une charge de travail particulière. C'est de cette façon que
nous sommes en train de réorganiser le secteur rural : soixante pelotons de
surveillance et d'intervention supplémentaires assureront ce travail de
complémentarité.
Certains intervenants ont aussi fait remarquer que l'intégration des
volontaires doit être la meilleure possible. A cet égard, je tiens à souligner
qu'il ne faut pas comparer les capacités opérationnelles des volontaires avec
celles de sous-officiers professionnels. Il faut d'abord les comparer avec les
capacités opérationnelles des gendarmes auxiliaires appelés qu'ils sont en
train de remplacer.
Or, non seulement les gendarmes adjoints serviront plus longtemps, non
seulement ils auront un temps de formation supplémentaire par rapport aux
gendarmes auxiliaires appelés, mais ils bénéficieront aussi d'un encadrement
durable dans les brigades et d'une habilitation judiciaire qui sera supérieure
à celle des auxiliaires. La capacité opérationnelle apportée par ces jeunes
sera donc un progrès sur le plan qualitatif.
Je voudrais rappeler ici l'esprit qui a présidé à la réforme du recrutement et
de la formation des officiers de gendarmerie.
Comme l'ont souligné plusieurs orateurs, notamment M. Masson, il s'agit bien
de diversifier le recrutement et de l'adapter au mieux aux exigences d'un
métier de plus en plus complexe. Il s'agit également d'affirmer très
clairement, par les modalités de cette nouvelle formation, l'ancrage de la
gendarmerie au sein de la commuauté militaire.
M. Paul Masson.
Très bien !
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Les moyens de fonctionnement de la gendarmerie
ont fait l'objet, dès 2000, d'une augmentation de 350 millions de francs, vous
le savez, qui est portée dans le budget pour 2001 à 450 millions de francs,
hors rémunérations.
Les crédits pour 2001 permettront par ailleurs la poursuite d'une action en
faveur des infrastructures par la construction de 680 unités de logements au
titre des collectivités locales. S'y ajouteront 787 unités de logements qui
seront mises en chantier par l'Etat.
Des problèmes se posent quant aux délais de paiement des loyers de la
gendarmerie aux collectivités locales. J'ai demandé une évaluation précise de
la situation, de manière à apporter aux problèmes constatés des solutions,
étant un financement inscrit au collectif de fin d'année. Je m'engage à donner
connaissance aux deux commissions concernées des problèmes que nous aurons
relevés et des solutions que nous leur apporterons.
Plus globalement, le projet de budget pour 2001 prévoit un redressement de
l'ensemble des crédits de fonctionnement, qui a été noté à juste titre par
plusieurs orateurs, y compris par ceux qui prétendaient que ce redressement
était insuffisant.
Cette augmentation est indispensable pour bien insérer nos forces dans des
dispositifs interalliés. Nous inscrivons donc un crédit supplémentaire de 200
millions de francs, qui permettra de faire passer le taux d'activité de l'armée
de terre de soixante-treize jours d'entraînement par an en 2000 à quatre-vingts
jours en 2001, le taux d'activité de la marine passant de quatre-vingt-neuf
jours à quatre-vingt-quatorze jours à la mer. L'armée de l'air, enfin, dont les
taux sont déjà aux normes de l'alliance - cent quatre-vingts heures par an pour
les pilotes de combat - sera en mesure de développer les exercices interalliés
pour renforcer son interopérabilité.
MM. Gaudin et André Boyer ont mentionné, à juste titre, pour la section «
Marine », l'effet sur l'activité des armées de la hausse du prix des
carburants.
Le Gouvernement a pris la mesure du problème et il a apporté des réponses.
Avec les 500 millions de francs proposés ce jour même à l'Assemblée nationale
en loi de finances rectificative qui s'ajoutent aux 350 millions de francs déjà
votés lors du collectif budgétaire du printemps dernier, ce sont donc 850
millions de francs qui auront été ajoutés cette année aux dotations initiales.
Pour 2001, 700 millions de francs supplémentaires ont déjà été provisionnés
dans le projet de budget.
Certains orateurs ont relevé que, par rapport à une hypothèse haute du coût du
baril et du cours du dollar, nous ne serions pas encore à l'optimum. Certes,
mais il n'est pas nécessairement de bonne gestion financière de faire le pari
le plus pessimiste. Il sera d'ailleurs tout à fait possible de procéder à des
ajustements, sans doute avec des dotations moins importantes que cette année,
lors des lois de finances rectificatives de 2001.
S'agissant des équipements, la réalisation de la loi de programmation se
poursuit. La revue de programmes a permis de réaliser cette mise en oeuvre
cohérente dans un contexte d'optimisation de la gestion des crédits et
d'amélioration des méthodes.
Je souligne à cet égard que rares sont les programmes prévus sur l'ensemble
des six années de la loi de programmation militaire qui n'auront pas fait
l'objet de commandes avant la fin de l'année 2001, soit un an avant la fin de
la période couverte. A la fin de l'année 2002, la loi, en crédits de paiement,
aura été réalisée à plus de 95 % de son inscription initiale, ce qui constitue
un niveau rarement atteint au cours des précédentes décennies. Je n'insiste pas
davantage.
Les dotations des titres V et VI permettront donc de financer dans de bonnes
conditions l'annuité 2001 de la loi de programmation militaire.
Les autorisations de programme s'élèvent à 84,75 milliards de francs, dont
1,25 milliard de francs au titre de la recherche spatiale duale. En citant ces
chiffres, je réponds à la question sur l'avantage pour la défense d'apporter
des crédits au CNES. Il est clair que l'ensemble de l'activité de recherche
générale du CNES profite à la défense.
Ces autorisations de programme vont permettre de poursuivre la politique de
commandes pluriannuelles que nous développons avec succès depuis trois ans,
depuis trois ans seulement, dirais-je. Le montant de ces commandes
pluriannuelles atteint déjà plus de 60 milliards de francs à la fin de l'année
2000.
Les crédits de paiement inscrits aux titres V et VI s'élèvent à 83,5 milliards
de francs, dont 1,25 milliard de francs pour la recherche spatiale duale. Mais,
compte tenu de l'impact de la baisse de la TVA, cela donne un accroissement des
moyens disponibles de 0,5 % en francs constants, donc de 1,7 % en francs
courants, ce qui permettra de financer les engagements pris.
Je voudrais souligner à ce propos que nous allons faire un effort sur
l'entretien programmé. Mais les rapporteurs qui ont étudié de près ce dossier
savent bien que les difficultés liées à l'entretien programmé ne sont pas
principalement dues à des insuffisances de crédits et qu'elles résultent de la
nouvelle organisation. Cette nouvelle organisation - complexe, il est vrai - a
entraîné des bouleversements des chaînes d'entretien, mais elle est elle-même
la conséquence de la restructuration des armées.
Nous avons arrêté des décisions pour reprendre l'accélération du traitement de
ces opérations de maintenance. Nous avons créé le service d'entretien de la
flotte et la structure intégrée de maintenance des matériels aéronautiques.
L'armée de terre, de son côté, prend des mesures de redressement qui devraient
permettre d'améliorer le taux de disponibilité des matériels dont M. de
Villepin a rappelé l'importance, que je confirme.
Je voudrais maintenant insister, en ce qui concerne la réalisation de la loi
de programmation, sur un point qui a été peu relevé par les intervenants de
l'opposition, ce qui explique que je me permette d'insister quelque peu : la
première façon de réaliser une loi de programmation, c'est de passer les
commandes, de souscrire les engagements. Je vous rappellerai donc les chiffres
de ces engagements par rapport à un objectif de 86,87 milliards ou 88 milliards
de francs annuels.
Les engagements ont été de 78 milliards de francs en 1995 et de 61 milliards
de francs en 1996, tout compris. Un petit détail « clochait » dans
l'intervention de M. Blin ! Il a en effet comparé une inscription budgétaire de
86 milliards de francs avec une réalisation de 69 milliards de francs, en
oubliant au passage les 9 milliards de francs de réalisation correspondant aux
services rendus par le CNES et le CEA !
Mais revenons-en aux engagements : ils ont été de 78 milliards de francs en
1995 et de 61 milliards de francs en 1996, ils sont remontés à 80 milliards de
francs en 1997 et en 1998, et ils ont atteint 86 milliards de francs de 1999.
C'est la première année que les engagements, les souscriptions de commandes du
ministère de la défense sont équivalents aux autorisations de programme. Il ne
faut pas omettre de le rappeler !
Enfin, pour ce qui est de l'année 2000, sans trop préjuger le chiffre
définitif, je peux néanmoins dire qu'il sera, à coup sûr, supérieur aux 86
milliards de francs de l'année 1999, donc supérieur aux crédits inscrits.
Nous mobilisons le stock d'autorisations de programme anciennes. C'est notre
façon de mettre effectivement en oeuvre la loi d'orientation de programmation
militaire.
Comme la plupart des intervenants de l'opposition l'avaient quelque peu perdu
de vue, il me paraissait judicieux, pour l'équilibre du débat, de le souligner
par ce bref rappel du passé.
Après cette petite rectification de méthode sur l'appréciation portée par M.
Blin, j'indique que, si l'on additionne les paiements de commandes et les
transferts au CEA, parce qu'il faut bien aussi rémunérer le Commissariat, nous
allons passer, en exécution, de 77 milliards de francs environ au titre des
années 1998 et 1999 à plus de 78 milliards de francs - j'espère même à près de
79 milliards de francs - au titre de l'année 2000 pour 83 milliards de francs
de crédits de paiement sur l'ensemble de l'année. Nous serons donc arrivés à 95
% de réalisation pour le budget d'équipement du ministère de la défense.
Ces chiffres confirment l'appréciation positive de la Cour des comptes. Les
orateurs qui ont cité la Cour des comptes ont pourtant omis de dire, et c'est
fâcheux, que la Cour des comptes avait fait observer que, depuis 1998, le
ministère de la défense consommait ses crédits d'équipement mieux que la
moyenne des ministères civils.
L'accent a également été mis sur l'obtention de gains de productivité au sein
de la délégation générale pour l'armement qui conduit l'essentiel des
opérations d'équipement du ministère.
On peut dresser un bilan aux cinq sixièmes de la loi de programmation.
Concernant les moyens aériens : pour l'armée de l'air et la marine, 48 Rafale
ont été commandés et 11 livrés, c'est certain. En revanche, je ne comprends pas
comment on peut aujourd'hui, à la tribune du Sénat, avancer le nombre de Rafale
qui seront commandés et livrés d'ici à 2015. Ces affirmations procèdent d'un
don de divination devant lequel je m'incline, bien qu'avec quelque
circonspection.
Par ailleurs, 41 Mirage 2000 D ont été livrés et 37 Mirage 2000 de défense
aérienne ont été transformés en Mirage 2000-5 pour l'armée de l'air. C'est une
façon de répondre à M. Hérisson que le plan de charge de l'entreprise à
laquelle sa dernière visite l'a conduit à s'intéresser est ainsi largement
assuré pour les prochaines années.
Les Super Etendard de la marine ont reçu des capacités complémentaires : 36
avions sont livrés.
S'agissant des hélicoptères, 27 NH 90 et 80 Tigre sont en commandes fermes
alors que deux hélicoptères équipés du système de surveillance Horizon, très
utile en période opérationnelle, ont été livrés.
La modernisation de la flotte de la marine se poursuit comme prévu. Ainsi,
trois frégates Lafayette auront été livrées pendant ces quatre dernières
années, et la dernière frégate de ce type sera livrée en 2001. Deux frégates
spécialisées Horizon sont commandées et la modernisation de treize chasseurs
2000 de type Eridan est prévue. La réalisation d'un bâtiment océanographique de
nouvelle génération a été lancée. Par ailleurs, 300 torpilles MU 90 sont
commandées.
S'agissant du programme du nouveau transport de chalands de débarquement, les
TCD, la DGA, maître d'ouvrage du programme, et la DCN ont conclu, à la fin du
mois dernier, un accord sur les conditions de sa réalisation. Le contrat
entrera en vigueur, comme je l'avais indiqué au début de cette année, dans le
courant du mois de décembre, c'est-à-dire avec plus de six mois d'avance sur le
calendrier initial. Cela permettra, chacun le conçoit, de renforcer l'activité
de la DCN de Brest dès le début 2001.
Les deux navires dont la DCN assure la maîtrise d'oeuvre industrielle seront
réalisés, monsieur André Boyer, dans le cadre d'un partenariat entre la DCN et
les Chantiers de l'Atlantique, en s'appuyant sur les domaines d'excellence
respectifs de ces deux entreprises. Ce partenariat, dans lequel la charge de
travail sera répartie schématiquement par moitié en valeur, permet donc de
disposer d'un produit compétitif susceptible, après bien sûr avoir satisfait
aux besoins de la marine, de s'imposer sur le marché international.
Comme l'a souligné M. André Boyer, plus de bâtiments de la marine nationale
auront été commandés dans la seule année 2000 que durant toute la décennie
précédente. Puisque cela n'avait pas été souligné dans un certain nombre
d'interventions qui visaient à justifier les votes négatifs, il me semble qu'il
faut rappeler cette information au Sénat.
J'en reviens au
Charles-de-Gaulle.
Le premier commentaire qu'il m'est
possible de faire en toute responsabilité, à l'instant où je vous parle, sur le
grave dysfonctionnement que nous venons de constater, à la suite de la rupture
d'une hélice, c'est que ce bâtiment, réalisé sur quatorze années, est une
collection d'ambitions technologiques.
Lorsque l'on porte une appréciation sur l'atteinte de l'ensemble des
objectifs, il faut garder à l'esprit que c'est un prototype dans un grand
nombre de domaines, et que des défis technologiques ont été relevés, dont
certains représentaient probablement la limite des capacités des entreprises
sollicitées.
Une déficience a été constatée sur un élément essentiel du bateau, c'est
pourquoi beaucoup ici, comme moi-même, sont choqués. Cette déficience contraste
avec la tradition de fiabilité et de sécurité de la DCN pour l'ensemble des
bâtiments de la marine nationale, qu'il s'agisse des bâtiments de surface ou
des sous-marins.
Il y a donc manifestement lieu de mener une enquête pour chercher les causes
de cette anomalie grave, tant elle contraste avec la fiabilité habituelle des
réalisations de la DCN.
Une enquête a été engagée par l'inspecteur de la DGA. Les résultats me seront
communiqués le 21 décembre prochain.
Une organisation syndicale a exprimé son appréciation sur ce grave incident en
sous-entendant détenir des éléments d'information nouveaux, semble-t-il. Cette
organisation syndicale fait partie de celles avec lesquelles le ministère et
moi-même entretenons des relations loyales et constructives ; nous nous parlons
toujours avec beaucoup de franchise. Si elle a en sa possession des
informations qu'elle serait seule à détenir et qui seraient de nature à
faciliter l'enquête entreprise par le ministère, je ne peux que lui être
reconnaissant de transmettre les éléments objectifs en sa possession à
l'autorité d'enquête.
Enfin, dernière observation sur ce point, je voudrais souligner que les
nouveaux rapports de responsabilité que j'ai instaurés entre la délégation
générale pour l'armement et la direction des constructions navales seront
probablement de nature à éviter les difficultés dans la répartition des
responsabilités qui sont certainement pour une part à l'origine de l'incident
que nous avons dû déplorer. Les dispositions que j'ai prises quant à la
réorganisation de la DCN offriront sans doute à l'avenir de meilleures
garanties que le système antérieur, qui entraînait quelques confusions de
responsabilité...
Quant à la date de remise en service du
Charles-de-Gaulle
si, après les
investigations qui sont en cours sur le bâtiment, il se confirme que seul le
remplacement de l'hélice défectueuse est nécessaire et que le système de
propulsion ne comporte aucune autre avarie, le bâtiment sera de nouveau
opérationnel dans les trois mois ou trois mois et demi, et le programme
pourrait être achevé au cours de l'année 2000. En revanche, le programme
opérationnel serait bien évidemment perturbé si d'autres avaries étaient
décelées.
M. Paul Masson,
rapporteur pour avis.
Quelle hélice ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Celle qui conviendra après l'examen réalisé sur
l'hélice actuelle. La question de l'hélice, monsieur Masson, est délicate.
Je rappelle à ce sujet que l'organisme de réception au sein de la DCN avait
refusé plusieurs modèles d'hélice proposés antérieurement par la fonderie. Nous
serons donc particulièrement attentifs sur ce point.
J'en reviens à la satisfaction des besoins des armées en équipements.
S'agissant des moyens terrestres, la rénovation de soixante AMX 10 RC a été
commandée ; celle de vingt exemplaires sera réalisée en 2001. Par ailleurs, dix
radars Cobra de contrebatterie ont été commandés ; un sera livré en 2001 et
quatre en 2002.
De 1998 à 2001, 267 chars Leclerc ont été ou seront livrés. Les 52 derniers
chars seront commandés d'ici à la fin 2001. En fin de période de programmation,
l'armée de terre en possédera 320, l'objectif étant de 406 en 2015. Douze
dépanneurs Leclerc seront livrés d'ici à 2002 ; la première livraison est
intervenue en 1999. La commande du véhicule de combat de l'infanterie, qui est
une voie de l'avenir, vient d'être notifiée à GIAT Industries et porte sur
soixante-cinq véhicules sur un objectif de sept cents devant équiper l'armée de
terre à partir de 2005, en partenariat - c'est une première pour GIAT
Industries - avec Renault véhicules industriels.
Je passe rapidement sur les multiples commandes de missiles, mais chacun a pu
constater, dans les circonstances opérationnelles récentes, à quels point ces
missiles étaient impératifs pour la crédibilité et pour la sécurité de nos
forces.
Je voudrais également mentionner la dissuasion, évoquée par plusieurs
orateurs, pour laquelle prévalent la continuité des financements et le maintien
des deux fonctions de cette dissuasion.
Alors que les deux premiers sous-marins nucléaires lanceurs d'engins ont été
livrés, la commande du quatrième sous-marin nucléaire lance-engins de nouvelle
génération a été passée à la fin du mois de juillet ; la construction du
troisième se poursuit.
De même, les travaux concernant le missile air-sol moyenne portée amélioré se
poursuivent selon le calendrier fixé.
Quant au missile M 51, qui a suscité beaucoup d'inquiétudes, l'accord avec
l'industriel est acquis. Comme je m'y étais engagé, les intérêts de l'Etat
auront été préservés et l'industriel aura finalement accepté de s'insérer dans
le programme.
Je rappelle que, pour la conclusion de la nouvelle tranche de réalisation du M
51, les premières demandes de l'industriel étaient supérieures de 7 milliards
de francs à l'évaluation des services, mais que, dans l'accord finalement
conclu, l'augmentation demandée, justifiée par des prestations complémentaires,
est de l'ordre du milliard de francs sur huit ans.
J'ai aussi entendu certains orateurs affirmer que les crédits de la simulation
feraient l'objet d'un abattement de 50 % au sein du projet de loi de finances
pour 2001. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous avoue mon incompréhension
face à une telle affirmation, d'autant que les crédits de la simulation, qui
ont été de 1,834 milliard de francs en 1999 et de 1,845 milliards de francs en
2000, seront de 2,16 milliards de francs en 2001, soit une augmentation de
pratiquement 10 % sur deux ans. Il y a donc eu, me semble-t-il, une confusion
dans l'analyse des documents.
S'agissant du domaine essentiel de la communication et du renseignements,
notre pays dispose de capacités uniques en Europe tant dans le domaine de
l'observation et des télécommunications par satellite que dans celui des
systèmes d'information et de communication.
Nous avons pris la décision de doter Hélios II d'une capacité de très haute
résolution. Il sera, bien sûr, un outil pour toute l'Europe. Nous avons notifié
le contrat pour un premier satellite de télécommunication, dit successeur de
Syracuse II, qui viendra consolider notre position. Plusieurs orateurs ont bien
voulu noter que les moyens prévus dans le budget permettront de poursuivre cet
effort.
Certains de ces systèmes d'information et de communication ont été utilisés
avec succès lors des opérations du Kosovo, je pense à la station projetable du
système Hélios ou au système de conduite des opérations aériennes. Je souligne
aussi l'efficacité des moyens de transmission de l'armée de terre qui ont été
commandés et celle des moyens de transmissions de la gendarmerie nationale avec
le système Rubis.
Globalement, les crédits inscrits au titre V du budget 2001 permettront de
conforter la modernisation des équipements de nos forces.
J'en viens aux crédits de la recherche.
Ils seront stables en 2001. En effet, les crédits de paiement pour les études
amont et les programmes de recherche, qui s'élèvent à 4,5 milliards de francs,
sont équivalents à ceux de 1999 et de 2000. Aux sénateurs qui ont, à juste
titre d'ailleurs, fait des comparaisons à l'échelle européenne, je répondrai
que notre pays fournit, avec cette somme, au moins 25 % des crédits de
recherche militaire de l'ensemble de l'Europe, alors que le PIB de la France
représente moins de 17 % du PIB européen !
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Premier ministre
a demandé au ministère de la défense de préparer, sur la base des travaux en
cours de réalisation par les états-majors, un projet de loi de programmation
militaire. Celle-ci doit, sans interruption, prendre le relais de l'actuelle
loi en respectant la cohérence du modèle d'armée 2015 que nous soutenons tous.
Lorsque ces travaux seront achevés, je présenterai ce projet au Gouvernement et
au Président de la République.
Cette loi doit viser à consolider la professionnalisation, à dégager les
moyens de développer l'entraînement des forces et à accroître la disponibilité
des matériels. Elle doit comporter une programmation physique en matériels
livrés, et financière, en crédits, de chacun des systèmes de force composant
notre outil de défense. Elle doit, dans sa procédure d'élaboration et dans son
fond, être en cohérence avec l'Europe de la défense qui monte en puissance.
Le Parlement doit contribuer à la réflexion commune sur cette loi. C'est pour
cela que, dans les tout prochains jours, votre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées recevra un document préparatoire
lui permettant de développer sa propre réflexion, de faire des propositions et
de livrer ses suggestions et ses recommandations avant que le Gouvernement
mette la dernière main au projet de loi.
Pour sa part, le Gouvernement attache la plus grande importance à cette
contribution parlementaire, conscient qu'il est de l'ampleur de l'effort
consenti par nos concitoyens pour la défense et de l'intérêt majeur, pour notre
démocratie, d'associer les représentants de la nation à la détermination des
objectifs de sa défense.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère
de la défense et figurant aux articles 33 et 34.
Article 33