SEANCE DU 8 DECEMBRE 2000
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
les charges communes et les comptes spéciaux du Trésor.
La parole est à M. de Rocca Serra, rapporteur spécial.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation, pour les charges communes.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget des
charges communes pour 2001 s'élève à 721 milliards de francs. Ces crédits nets
des dégrèvements et des remboursements, qui s'élèvent à 366 milliards de
francs, et des recettes d'ordre, soit 18 milliards de francs, s'établissent à
335 milliards de francs, soit une diminution de 4,9 % par rapport à 2000. Ils
représentent 19,7 % des dépenses du budget général.
Le budget des charges communes subit traditionnellement d'importants
transferts de crédits. Le projet de budget pour 2001 n'échappe pas à la règle,
puisque 23,60 milliards de francs font l'objet de transferts entre sections
budgétaires, même s'ils concernent beaucoup moins de chapitres que l'année
dernière.
Je souhaiterais maintenant, mes chers collègues, vous faire part des trois
observations que m'inspirent les dotations allouées au budget des charges
communes pour 2001.
Première observation : le budget des charges communes reste encore trop peu
lisible.
Ce budget présente un caractère paradoxal, puisqu'il est relativement méconnu
alors qu'il représente plus de 40 % du budget général, tout en abordant des
thèmes très variés.
Il présente également un caractère hétéroclite puisqu'il comprend les crédits
destinés à l'ensemble des services de l'Etat ou à plusieurs d'entre eux qui ne
peuvent être inscrits dans le budget d'un ministère particulier.
L'année dernière, le budget des charges communes avait fait l'objet d'un
effort indéniable de clarification, grâce aux modifications de structure
consécutives à la suppression de quarante-quatre chapitres budgétaires.
Toutefois, il continue de souffrir d'un manque évident de lisibilité accentué
par les incertitudes pesant sur l'évaluation de certaines dotations ; trois
exemples au moins illustrent le caractère extrêmement vague de la budgétisation
initiale de certains crédits.
Premier exemple : les dépenses éventuelles et accidentelles qui constituent,
en réalité, comme je l'avais montré dans mon rapport d'information de juillet
dernier, une réserve de crédits à l'utilisation aléatoire destinée à faire face
aux besoins du moment, sans souci particulier pour les dispositions de
l'ordonnance portant loi organique de 1959. Or, pour 2001, ces dotations
diminuent, sans la moindre justification, de 690 millions de francs, alors
qu'elles avaient crû de plus de 260 % l'année dernière : pouvez-vous, monsieur
le secrétaire d'Etat, nous donner des explications claires sur ce point ?
Deuxième exemple : les dépenses de garantie, dont la difficulté de prévision
permet au Gouvernement de moduler les crédits en fonction de ses propres
contraintes. Par ailleurs, elles évoluent de façon erratique depuis de
nombreuses années, comme le souligne régulièrement la Cour des comptes.
Enfin, troisième exemple, il convient de s'interroger sur la provision de 3,25
milliards de francs que le Gouvernement a constituée au titre des mesures
générales intéressant la fonction publique : ce « magot » lui a en fait servi à
financer la hausse de 0,5 % du point de la fonction publique dans le cadre des
négociations salariales qu'il conduit avec les syndicats de fonctionnaires. Il
est hautement critiquable de voir le Gouvernement utiliser une telle dotation
de façon totalement arbitraire.
J'en viens à ma deuxième observation : le budget des charges communes est
extrêmement contraint.
La grande majorité des dépenses inscrites au budget des charges communes
correspond, le plus souvent, à des dépenses de constatation, ce qui lui donne
un caractère extrêmement contraint dont le Parlement est le plus souvent obligé
de prendre acte.
C'est le cas, par exemple, de la charge budgétaire de la dette, qui connaît du
reste une évolution beaucoup plus défavorable que l'année dernière, puisqu'elle
s'alourdit en raison de la remontée des taux d'intérêt, s'établissant à près de
240 milliards de francs, en hausse de 2,1 %, alors qu'elle avait diminué de 1 %
en 2000.
La dette grossissant des déficits budgétaires successifs, eux-mêmes engendrés
par un niveau trop élevé de la dépense publique, il est urgent d'en réduire le
niveau, d'autant que la norme de progression des dépenses retenue par le
Gouvernement pour les années 2001 à 2003 résulte essentiellement de la dérive
spontanée de la charge de la dette.
Les dépenses en atténuation de recettes, en particulier les remboursements et
dégrèvements d'impôts, présentent également un caractère très contraint. Bien
qu'elles représentent environ 367 milliards de francs, soit la moitié du budget
des charges communes, leur montant résulte essentiellement de mesures
législatives votées dans le passé, comme la réforme de la taxe professionnelle,
la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, des mesures de
baisse du taux de la TVA ou encore des mesures relatives à la fiscalité
pétrolière.
Enfin, les dépenses de fonction publique inscrites au budget des charges
communes, même si elles ne concernent que 62 milliards de francs sur 710
milliards de francs, soit 8,7 % du total, sont, par nature, peu sujettes à de
réelles inflexions.
Troisième observation : il convient de suivre avec vigilance la mise en oeuvre
des mesures annoncées par le Gouvernement visant à améliorer la connaissance de
la situation budgétaire et financière de l'Etat.
L'année dernière, j'avais insisté sur le fait que le « hors-bilan » ou « dette
publique invisible » constituait un obstacle important dans la connaissance
exacte par la représentation nationale et les citoyens de l'état réel de la
situation financière et budgétaire de l'Etat. Or le Gouvernement a annoncé des
mesures visant à améliorer cette connaissance.
Une réforme de la comptabilité de l'Etat est en cours. Elle poursuit quatre
objectifs : doter l'Etat d'un système comptable plus proche du droit commun ;
intégrer dans les comptes une information économique plus pertinente ; soutenir
une démarche de performance dans la gestion des services publics ; assurer un
meilleur suivi et une plus grande lisibilité des engagements de l'Etat à moyen
et long terme.
Le compte général de l'administration des finances pour 1999 est ainsi enrichi
d'éléments patrimoniaux grâce à l'introduction d'éléments exprimés en termes de
bilans et de comptes de résultat.
Ainsi, s'agissant des engagements à moyen et long terme de l'Etat, trois
secteurs d'intervention ont été retenus : les retraites des fonctionnaires de
l'Etat des régimes spéciaux, à propos desquelles je regrette vivement qu'aucune
indication chiffrée ne figure dans l'annexe du compte général de
l'administration des finances, seule une méthodologie étant précisée les
engagements de l'Etat en matière d'épargne-logement, estimés à 50 milliards de
francs ; les garanties accordées par l'Etat aux entreprises, soit 247 milliards
de francs ; enfin, les garanties à l'exportation passant par l'intermédiaire de
la COFACE, la compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, pour
534 milliards de francs. Cela représente un total de 831 milliards de francs,
hors pensions publiques.
Mes chers collègues, s'il faut se réjouir de l'engagement de réformes
comptables, la mission d'information, pour laquelle la commission des finances
était dotée des prérogatives des commissions d'enquête, a bien montré que la
transparence des comptes de l'Etat dépendait non pas tant des instruments
techniques que des changements d'habitudes et d'attitudes.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les principales observations et remarques que suscite de notre part
le budget des charges communes pour 2001, que la commission des finances
propose au Sénat d'adopter.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant, rapporteur spécial.
M. Paul Loridant,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation, pour les comptes spéciaux du Trésor.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous
sommes réunis, pour l'une des deux dernières fois peut-être, pour examiner
l'impressionnant patchwork que constituent les comptes spéciaux du Trésor.
Pour l'une des dernières fois peut-être, puisque le destin des comptes sera
certainement examiné à l'occasion de la réforme de l'ordonnance organique du 2
janvier 1959. Le texte de la proposition de loi de M. Didier Migaud, rapporteur
général de l'Assemblée nationale, comporte déjà la suppression des comptes
d'affectation spéciale.
Voilà qui m'amène à vous poser ma première question, monsieur le secrétaire
d'Etat : êtes-vous favorable à cette suppression ?
J'aurais tendance à penser que non puisque vous proposez, dans le projet de
loi de finances pour 2001, la création d'un nouveau compte, le compte UMTS,
destiné à recueillir les redevances pour les licences de téléphone mobile. Mais
je n'oublie pas que le Gouvernement a témoigné à plusieurs reprises de sa
volonté de réduire le champ d'intervention des affectations de recettes.
Pour ma part, je ne suis pas défavorable à ces procédures dès lors qu'elles
permettent, notamment, de retracer dans le budget de l'Etat des opérations qui,
sans elles, pourraient lui échapper. Et d'ailleurs, monsieur le secrétaire
d'Etat, nous pourrions réfléchir utilement à la création d'un compte
d'affectation spéciale pour retracer les opérations du FOREC, le fonds de
financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale.
Mais, si les comptes d'affectation spéciale ont leur utilité, il faudra sans
doute en rénover le régime.
Avec les comptes spéciaux du Trésor, le Parlement est aux prises avec des
sortes d'icebergs budgétaires. Il voit la partie émergée du dispositif, enfin
celle que veulent bien lui dévoiler les gouvernements. Il est tenu dans
l'ignorance des soubassements.
Ces soubassements sont les très importants reports de crédits, qui
atteignaient plus de 15 milliards de francs au titre de l'exercice 1998 et qui
interviennent chaque année. Ils sont tout à fait excessifs. Ils proviennent en
grande partie d'une pratique abusive des contrôleurs financiers qui conditionne
l'engagement des autorisations de programme à l'ouverture de la totalité des
crédits de paiement en loi de finances. Cette condition, qui n'est pas exigée
pour l'exécution du budget général, ne repose, selon moi, sur aucun fondement
légal puisque la seule condition posée par l'ordonnance organique de 1959 à
l'utilisation des crédits porte sur la disponibilité des recettes.
Non seulement elle engendre des reports, mais encore elle dénature la portée
du vote du Parlement : ce dernier est ainsi appelé à se prononcer sur des
crédits qui, en grande partie, ne seront pas consommés alors qu'il se trouve
sans pouvoir sur les crédits reportés, qui seront, eux, utilisés
Nous devrons corriger cela de la même manière que devront être corrigés les
dispositifs qui permettent au Gouvernement de gérer les comptes comme il
l'entend, sans avoir à se soucier de l'intervention du Parlement.
Je veux parler ici, d'abord, de la faculté offerte au ministre chargé des
finances de majorer les crédits des comptes d'affectation spéciale en cas de
plus-values de recettes. Cette faculté donne beaucoup de marges au pilotage
budgétaire, marges qui sont parfois utilisées avec excès.
Mais surtout, cette faculté est totalement attentatoire au principe de
l'universalité budgétaire. Des crédits sont ouverts sans autorisation du
Parlement, et la rigueur des évaluations initiales de recettes s'en ressent
aussitôt.
Il faudra aussi rationaliser le traitement de certaines opérations, en
particulier le statut budgétaire des transports au découvert du Trésor. Il est
évidemment peu satisfaisant de ne pas budgéter les pertes sur avances et prêts,
alors que ces dernières opérations sont, elles, inscrites au budget. Nous
verrons cela en son temps.
Comprenez, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous puissions nourrir quelque
scepticisme en abordant cette discussion.
D'un mot, je dirai que ces comptes seront, cette année, très utiles au
Gouvernement puisqu'ils contribueront à réduire de manière importante le
déficit budgétaire de plus de 9 milliards de francs. Mais cette donnée dépend
beaucoup de l'exactitude des prévisions portant sur les comptes d'avances et
sur les comptes de prêts, qui sont évidemment incertaines.
Qu'en sera-t-il de l'exécution ? Je crois ne pas exagérer en affirmant que nul
ici n'est capable de le dire exactement. Et l'exemple du fonds national de
solidarité pour l'eau, créé l'an dernier après de multiples discussions, sur
l'initiative du ministre de l'environnement, est éloquent. En effet, seulement
17 % de ses crédits d'investissement auraient été consommés. Nous n'avions,
semble-t-il, pas eu tort de nous opposer à une innovation qui nous semblait
précipitée, qui minore en fin de compte les moyens des agences de l'eau et qui
fait peser un risque analogue sur le fonds national pour le développement des
adductions d'eau.
Quant aux comptes retraçant certaines des opérations patrimoniales de l'Etat,
leur devenir effectif laisse perplexe. Je voudrais aller un peu au fond des
choses à leur sujet.
J'évoquerai d'abord le compte n° 902-24, qui affecte les produits de cessions
de titres publics à des emplois d'ordre patrimonial. Je note que, d'ores et
déjà, le cumul des opérations prévues pour les années 2000 et 2001 est
inférieur à ce qui avait été prévu en loi de finances. Est-ce en raison des
dépenses anticipées en 1999 ?
Comment ferez-vous, à l'avenir, pour couvrir les besoins de financement des
entreprises publiques, dont certaines connaissent un déficit structurel ?
Beaucoup de cessions sont déjà intervenues, et le secteur public abrite de
moins en moins de pépites ! Quelle sera la formule employée à l'avenir pour
réduire l'endettement du secteur public, qui dépasse aujourd'hui les 500
milliards de francs ?
L'avenir du système de défaisance du Crédit lyonnais appelle également des
clarifications.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous confirmer le chiffrage par la Cour
des comptes du coût des défaisances financières ? D'autres mauvaises surprises
sont-elles à redouter ? Quel sera l'avenir des établissements en charge de la
défaisance du Crédit lyonnais : l'établissement public de financement et de
restructuration, l'EPFR, et le consortium de réalisation, ou CDR ? Faut-il
maintenir ces structures et comment comptez-vous gérer l'extinction de la
mission du CDR ?
Ce sont là, beaucoup de questions, je vous l'accorde, mais, hélas ! je n'en ai
pas tout à fait fini !
(Sourires.)
La Haute Assemblée s'est opposée à la création du fonds de provisionnement des
charges de retraite et de désendettement de l'Etat, qui fait l'objet d'un
nouveau compte patrimonial, le compte n° 902-33. Bref, je dirai que ce rejet
s'est notamment fondé sur l'absence de garantie résultant des incertitudes du
statut du fonds de réserve des retraites, le FRR.
En l'état actuel des choses, il semblerait que le FRR affecte ses moyens à la
souscription d'emprunts publics, notamment de bons du Trésor. Dans ces
conditions, on n'est pas en mesure de distinguer clairement les mérites
particuliers d'une affectation des recettes des redevances UMTS au FRR plutôt
qu'au désendettement de l'Etat.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous indiquer comment le
Gouvernement compte doter ce fonds de toutes les garanties nécessaires à une
gestion dynamique de ses ressources ? Pouvez-vous nous dire comment il entend
sanctuariser celles-ci, pour couper court à toutes les tentations de les
affecter à d'autres usages moins orthodoxes ?
Je voudrais enfin obtenir de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques
informations sur les conditions de la gestion de la Caisse d'amortissement de
la dette publique, la CADEP. Des annonces ont été faites - nous l'avons lu dans
la presse financière - concernant la création d'une agence de la dette qui
regrouperait les moyens de France Trésor et de professionnels de marché.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous le dis très sereinement, mais très
fermement, en mon nom mais aussi, je le crois, au nom de la commission des
finances, puisque son président lui-même n'a pas été informé du pourquoi et du
comment de la création de cette agence : vous devez absolument - et cela
s'adresse, à travers vous, à tout le Gouvernement - des informations au
Parlement non seulement sur le statut de cette agence,...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation,
et Yves Fréville.
Très bien !
M. Paul Loridant,
rapporteur spécial.
... mais aussi sur l'impact budgétaire que pourrait
avoir le recrutement de ces « professionnels de marché », ainsi que sur les
liens qui devraient exister entre cette agence et la CADEP.
Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les observations que je voulais faire en qualité de rapporteur
spécial pour les comptes spéciaux du Trésor, lesquels représentent un volume
important de dépenses de ce budget, et, je le répète, contribuent à la
diminution du déficit budgétaire. La commission des finances propose l'adoption
de ces comptes spéciaux, mais cela ne retire rien, monsieur le secrétaire
d'Etat, aux importantes questions que je vous ai posées.
(Applaudissements.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe de l'Union centriste 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Je vous rappelle que le temps programmé pour le Gouvernement est au maximum de
25 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
budget des charges communes, c'est le budget de la dette, et le budget de la
dette, c'est le prix à payer pour le passé. Ici, point de belles promesses pour
l'avenir, mais le simple enregistrement du coût de la dette financière, après
un petit détour par les budgets des divers ministères pour y « glaner » la
dette viagère, c'est-à-dire les pensions.
Au total, cela fait 460 milliards de francs, soit un quart du budget général,
avec une augmentation annuelle de l'ordre de 10 milliards de francs, soit le
quart, là aussi, de la marge de manoeuvre. Et je ne fais pas figurer dans cet
inventaire l'amortissement de la dette, qui atteindra cette année près de 350
milliards de francs...
En attendant le jour où il sera possible d'évoquer la dette viagère à
l'occasion de la discussion du budget des charges communes, je me contenterai,
monsieur le secrétaire d'Etat, de poser quelques questions sur la politique de
gestion de la dette financière.
Cette dette, qui atteint un stock de 4 500 milliards de francs, suppose une
gestion active : une telle gestion est effectivement mise en oeuvre, et je m'en
félicite. Mais cette gestion doit aussi être contrôlée par le Parlement, et
c'est dans cet esprit que je formulerai quelques observations et
interrogations.
La première observation a déjà été faite lors de la discussion générale du
projet de loi de finances : la charge de la dette reprend sa marche en avant.
Certains s'étaient un peu vite réjouis de la stabilisation de la charge nette
de la dette en 1999 au niveau de 1998. Ce n'était qu'une embellie, obtenue
grâce à une très forte baisse conjoncturelle des taux à court terme, qui
contrebalançait de façon provisoire la hausse du volume de la dette engendrée
par l'accumulation des déficits. Aujourd'hui, la progression reprend : la
charge nette est évaluée pour 2001 à 240 milliards de francs, c'est-à-dire à 12
milliards de francs de plus en deux ans, avec un taux d'intérêt moyen encore
très élevé, de 5,4 %.
Je ferai deux remarques à ce sujet.
D'abord, la baisse du taux moyen de la dette va progressivement cesser : les
émissions se font à des taux voisins de 5,5 % pour les OAT, les obligations
assimilables du Trésor, et un peu moins pour les BTF, les bons du Trésor à taux
fixe, mais la marge avec le coût moyen disparaît ; par conséquent, l'effet
volume va jouer à plein.
Faisons une hypothèse favorable pour le budget 2002 : 150 milliards de francs
de déficit à 5 %, cela représente 7,5 milliards de francs de charge de la dette
qui viennent s'ajouter mécaniquement à ce qui existe aujourd'hui.
Ensuite, le taux moyen d'intérêt est supérieur au taux de croissance de notre
économie, ce que signifie que l'effet boule de neige n'a pas tout à fait cessé.
Il faut que notre solde budgétaire stabilisant soit supérieur à zéro, qu'il
atteigne 50 milliards de francs ; c'est à peu près le cas aujourd'hui. Mais,
avec 50 milliards de francs de solde stabilisateur, on ne diminue pas la part
de la dette dans le PIB.
Ma deuxième observation concerne la structure du capital de la dette, lequel
continue à croître fortement, mais avec des variations qu'il est intéressant de
noter. Si l'on compare la situation résumée des opérations du Trésor, la SROT,
du 30 septembre 1999 à celle du 30 septembre 2000, on constate que la dette a
globalement augmenté de 200 milliards de francs. Cela est assez étonnant dans
la mesure où la dette négociable, elle, n'a augmenté que de 170 milliards de
francs et où, dans le même temps, les dépôts des correspondants du Trésor ont
diminué de 50 milliards de francs, essentiellement du fait de la diminution des
dépôts des chèques postaux. Autrement dit, le total de la dette négociable et
des dépôts des correspondants du Trésor n'a augmenté que de 120 milliards de
francs. D'où viennent les 80 milliards de francs qui permettent d'atteindre le
chiffre que j'indiquais tout à l'heure ? Tout simplement d'un « dégonflement »
à hauteur de 75 milliards de francs du compte du Trésor auprès de la Banque de
France et des prises en pension de titres d'Etat.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, si, en un an, il a été possible de «
dégonfler » d'un tel montant les titres en pension et le compte de la Banque de
France, c'est parce que vous aviez une trésorie pléthorique, constatée à la
mi-1999. C'est là, bien sûr, la conséquence - à moins que vous ne me disiez le
contraire - de l'accumulation de la « cagnotte », qui ne vous a pas fait
réduire le programme de placement des titres l'année dernière. L'Etat a donc
placé un peu trop d'argent, et vous êtes obligé de « dégonfler » ses encaisses
!
J'en arrive à mes interrogations sur la politique de gestion de la dette.
D'abord, dans le prolongement des propos de M. le rapporteur spécial des
comptes du Trésor, je me demande quel sens il faut donner à la politique dite «
d'allégement de l'encours de la dette », dont le coup d'envoi a été donné par
M. le ministre des finances dans son discours du 11 juillet de cette année. M.
Fabius s'exprimait ainsi : « J'ai demandé à France Trésor de procéder à un
allégement de l'encours de la dette sous forme d'opérations de rachats d'un
montant de 10 milliards d'euros », c'est-à-dire à peu près 65 milliards de
francs. Somme énorme ! Ce programme a été respecté puisque, à fin novembre, 47
milliards de francs avaient été effectivement rachetés.
Il s'agit, bien entendu, non pas d'une réduction du stock de la dette totale,
qui dépend du déficit, mais d'une réduction indirecte d'un programme de
financement brut qui, lui, n'a pas été modifié.
Mais cette politique de rachats peut s'inscrire dans une autre perspective :
la modification de la structure de la dette de manière - je reprends la formule
utilisée dans les explications qui accompagnent le budget des charges communes
- à « minimiser le coût de la dette ».
Or c'est là un nouvel objectif. En tout cas, il n'était pas aussi apparent
dans le passé qu'il l'est aujourd'hui.
J'aimerais obtenir de vous quelques explications à ce sujet, monsieur le
secrétaire d'Etat. S'agit-il d'accroître l'offre de titres courts et moyens -
bons du Trésor sur formule et bons à taux annuel normalisé - en intervenant de
façon prioritaire sur la partie courte et moyenne de la courbe des taux, où les
taux sont normalement plus bas que sur la partie longue, même si cette courbe
s'est considérablement aplatie au cours des années récentes ? Si c'est le cas,
il y a changement de doctrine de la part du Trésor !
Pour le contribuable, émettre au coût le plus faible est un objectif très
sympathique, que j'approuve bien entendu, mais c'est un nouvel objectif pour
l'agence de la dette qui le mettra en oeuvre, et il présentera probablement
certains risques, car il conduira à un raccourcissement de la durée moyenne de
la dette. On s'éloigne quelque peu, me semble-t-il, de la doctrine antérieure
suivant laquelle la France calquait la structure de sa dette sur ses besoins de
trésorerie et sur ses besoins à long terme, et se refusait à jouer sur la
courbe des taux.
Sans doute l'euro a-t-il réduit les contraintes qui pesaient sur le Trésor, ce
qui permet une politique plus active ; mais je me souviens de certaines
expériences très cuisantes que le Trésor américain a connues au début des
années quatre-vint-dix, lorsqu'il avait basculé une partie de la dette sur les
taux courts.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ai-je bien compris votre politique ? Comment
procéderez-vous pour réduire le coût de la dette ?
Dans le droit-fil des questions posées par M. le rapporteur spécial pour les
comptes spéciaux du Trésor, je souhaite savoir quel est l'impact réel sur la
gestion de la dette de la création de ce nouveau compte d'affectation spéciale
de provisionnement des charges de retraites et de désendettement de l'Etat,
financé, à hauteur de 32 milliards de francs, par des recettes provenant de la
vente des licences UMTS.
Nous le savons très bien, le seul amortissement de la dette doit atteindre 358
milliards de francs et représente aujourd'hui près des deux tiers du besoin de
financement, donc du recours à l'emprunt, pour 2001. Mais de quelle manière la
CADEP, qui est dotée de 14 milliards de francs et le FRR, qui est, lui, doté de
18 milliards de francs, vont-ils participer à la couverture de ce besoin de
financement ?
La CADEP, quant à elle, peut agir de deux façons. Elle peut soit acheter des
titres supplémentaires sur le marché, qui s'ajouteront aux amortissements
normaux, soit se substituer à l'Etat et prendre à sa charge une partie des 358
milliards de francs. C'est un problème d'ordre technique et, finalement, ce
choix n'a pas en soi d'importance. Dans les deux cas, en effet, la dette sera
réduite de 14 milliards de francs ; seule sa structure sera différente.
En tout cas, monsieur le secrétaire d'Etat, je n'ai pas compris le tableau de
financement du Trésor pour 2001, dans lequel les 14 milliards de francs de la
CADEP figurent en négatif. C'est là un mystère que j'aimerais voir éclairci.
Quant au fonds de réserve des retraites, il va naturellement intervenir en
souscrivant des bons du Trésor.
M. le président.
Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Yves Fréville.
Finalement, la dette sera diminuée de 34 milliards de francs. Il n'y a donc
pas de provisionnement séparé en vue de couvrir les retraites ; il y a tout
simplement diminution de la dette à due concurrence.
En conclusion, les membres du groupe de l'Union centriste doivent-ils voter ce
budget des charges communes ? Dans une certaine mesure, le poids excessif de la
dette résulte de l'insuffisante réduction du déficit budgétaire, et nous
devrions logiquement, pour voir baisser la charge de la dette, réduire le
déficit de 30 milliards de francs par an. Vous ne le faites pas. Au mieux, vous
stabilisez cette dette. En sens inverse, les crédits de la dette étant
évaluatifs, nous pouvons considérer que la prévision qui en est faite est
satisfaisante. Je pense donc qu'il est important pour l'opposition de soutenir
le crédit de notre pays sur les marchés financiers. C'est le sens, et le seul,
que je donnerai à ce vote favorable.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
prends la parole, cette fois au nom du groupe communiste républicain et
citoyen. Mon intervention portera pour l'essentiel sur le budget des charges
communes.
Ce budget, comme à son habitude, représente un ensemble consistant de dépenses
publiques, même si l'orthodoxie budgétaire la plus rigoureuse pourrait, à
terme, conduire à un reprofilage de son contenu.
L'examen des 721,2 milliards de francs de crédits engagés suscite, de ma part,
deux observations essentielles.
On ne peut, en effet, guère discuter de la pertinence des dépenses du chapitre
15-01, qui couvre les frais de dégrèvement de nos impôts et taxes. Son
augmentation résulte, pour une part, de la simple mécanique qui associe à la
progression globale des recettes fiscales de l'Etat celle des charges
d'atténuation de recettes.
On relèvera, en revanche, avec intérêt qu'une avancée se produit sur le
chapitre 33-91 « prestations et versements obligatoires », qui enregistre,
enfin, la budgétisation, dans chacun des départements ministériels, des charges
de pensions.
Dans le même temps, nous sommes attentifs au fait que le budget des charges
communes enregistre un accroissement du chapitre 46-90, représentatif des
versements à divers organismes sociaux, accroissement dû, entre autres, à la
prise en charge des mesures de correction du régime de retraite agricole dont
nous avons débattu hier, lors de l'examen du BAPSA, le budget annexe des
prestations sociales agricoles, et de l'article 50, notamment.
Même si les sommes en jeu permettent de donner quelque consistance à cet
article, nous pensons que la budgétisation effective de ces sommes, outre leur
majoration en vue de réduire les profondes distorsions du régime de retraite
concerné, est une priorité de court terme.
J'en viens maintenant à la question fondamentale, je veux parler de la dette
publique, qui constitue, avec des engagements de plus de 250 milliards de
francs en dette négociable et un peu plus de 6,6 milliards de francs en dette
non négociable, l'essentiel du budget des charges communes.
L'encours de la dette publique demeure particulièrement significatif. Il
dépasse, en effet, 608 milliards d'euros, selon les éléments en notre
possession. Cette dette négociable est aujourd'hui assortie d'un taux d'intérêt
moyen de 5,1 %, supérieur, donc, à la progression du produit intérieur brut en
valeur.
On soulignera, de ce point de vue, un certain nombre de données
importantes.
Tout d'abord, le mouvement de progression de l'encours de la dette négociable
dans l'ensemble de la dette continue, et l'on peut s'en féliciter.
Pour autant, on constate également une sensible montée en puissance du coût
des OAT indexées.
En effet, les crédits ouverts sur cette ligne de dette encore relativement
réduite en termes d'encours augmentent de manière très sensible, passant de
3,068 milliards de francs à 3,959 milliards de francs, soit une progression
proche de 30 points.
Si le produit a été conçu, à l'origine, par la loi de 1998 portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier pour assurer un minimum de
sécurité aux épargnants et aux investisseurs participant aux émissions, il n'en
demeure pas moins que la progression du coût de la formule est significative et
pourrait être rapprochée d'autres dépenses publiques qui, elles, ne connaissent
pas la même indexation.
S'agissant, de manière plus générale, du coût de la dette publique, on
constatera, une fois de plus, que celle-ci constitue le second poste de
dépenses du budget et qu'elle contribue, malgré l'amélioration de la situation,
à « rigidifier » un peu plus ce budget.
Ainsi, à la fin du mois d'octobre 1999, la dette représentait 17,2 points des
dépenses civiles ordinaires. A la fin du mois d'octobre 2000, cette part est
passée à 18,2 points.
On peut escompter que la charge de la dette s'allège dans les deux derniers
mois de l'année, mais la progression est réelle.
Certes, l'apurement de titres parvenus à maturité assortis d'un taux élevé est
sans doute pour partie responsable de cette situation.
Cependant, la persistance d'un taux d'intérêt encore élevé constitue bel et
bien le problème essentiel, l'effet boule de neige de la dette sur la situation
des comptes publics n'ayant pas totalement disparu, malgré un niveau de
rendement de nos recettes fiscales tout à fait inédit et une gestion serrée,
parfois trop, d'ailleurs, des dépenses.
Telles sont les quelques observations que je comptais formuler à propos de
l'examen des crédits du budget des charges communes.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, je m'efforcerai de répondre avec concision, mais
précision aux intervenants, notamment aux rapporteurs spéciaux. Ils
m'excuseront toutefois de ne pas être exhaustif et d'aller à l'essentiel.
M. de Rocca Serra a souligné le caractère quelque peu hétéroclite du
rassemblement de ces crédits dans le budget des charges communes. Mais c'est la
loi du genre, et, s'il est vrai que la présentation de crédits destinés à
l'ensemble des services de l'Etat ou à plusieurs d'entre eux, ne facilite pas
la lecture du document, il n'en demeure pas moins que l'exercice nous est
imposé par la nature même de ces crédits.
Il faut, monsieur le rapporteur spécial, que vous teniez compte des efforts
entrepris par le Gouvernement pour clarifier la présentation au Parlement des
comptes de ces charges communes, objectif essentiel dans une démocratie.
Tout d'abord, en loi de finances initiale pour 2000, le budget des charges
communes est passé de quatre-vingt-un à quarante chapitres ; vous l'avez
d'ailleurs indiqué, et je vous en remercie. Ensuite, nous avons proposé de
transférer les cotisations patronales au titre du régime d'assurance maladie
sur les chapitres des différentes sections budgétaires qui supportent
effectivement la dépense. Ainsi 23,6 milliards de francs ont fait l'objet d'un
tel transfert. Cela facilite la lisibilité du « coût complet » des personnels
employés par chacun des ministères.
Vous avez également évoqué la question de l'agrégat des garanties et des
autres dépenses en atténuation de recettes. Cet agrégat complexe concerne non
seulement les crédits d'un chapitre destiné à financer les risques auxquels
l'Etat a accepté d'accorder sa garantie, mais aussi les deux chapitres où sont
inscrites les dépenses correspondant aux décharges de responsabilité et remises
de débet et aux frais de poursuites et contentieux, ainsi que les credits
prévus sur un troisième chapitre, qui sont ajustés aux besoins de financement
des garanties afférentes au commerce extérieur - l'assurance prospection et la
garantie du risque économique.
En ce qui concerne la provision pour revalorisation salariale, une mesure
d'ajustement de 3,02 milliards de francs la porte à 3,25 milliards de francs,
au chapitre 31-94 des charges communes.
Le processus d'élaboration des mesures de revalorisation salariale, qui débute
par une rencontre entre le ministre de la fonction publique et les
organisations représentatives - c'est d'actualité, puisque cette rencontre a eu
lieu le 21 novembre - devrait conduire à des décisions dans le courant du
premier trimestre de l'année prochaine. C'est pourquoi nous parlons de «
provisions », car nous ne savons pas encore quel sera, au terme de cette
concertation sociale, le montant qu'il conviendra d'inscrire dans les textes
financiers. Il est donc trop tôt, aujourd'hui, pour évaluer le coût des
revalorisations, qui trouveront leur plein effet, d'ailleurs, à partir du 1er
janvier 2002.
Vous m'avez tous également interrogé sur la dette. Le collectif budgétaire
inscrira plus de 1 milliard de francs d'économies sur le service de la dette.
Ce bon résultat est dû à trois phénomènes.
Tout d'abord, nous bénéficions d'un taux d'intérêt à long terme modéré, on l'a
souligné. Ensuite, nous avons vraiment mené une gestion plus active de la dette
avec, notamment, la création de l'agence de la dette. Enfin, nous bénéficions
de l'inversion de la spirale de la dette engagée en 1999, mouvement qui est à
mettre à l'actif du Gouvernement.
Le poids de la dette publique, comme chacun le sait ici, atteignait, en 1997,
près de 60 % du PIB - 59,7 %, exactement - et ce poids diminue, puisqu'il sera
réduit pour passer à un peu plus de 57 % seulement en 2001. C'est l'un des
résultats de la gestion budgétaire et financière du Gouvernement.
La charge de la dette, qui avait presque triplé depuis vingt ans avec, en
particulier, une hausse de vingt points - vingt points, mesdames, messieurs les
sénateurs ! - entre 1993 et 1997, a commencé à diminuer. C'est notre action qui
est à l'origine de ce résultat, et nous en voyons, aujourd'hui, les heureux
effets sur la charge du service de la dette.
Monsieur Loridant, la suppression des comptes spéciaux est un sujet délicat.
Vous l'avez abordé avec beaucoup de courage et de clarté. Vous avez dit que les
comptes spéciaux avaient leur utilité. Je note, d'ailleurs, que la proposition
de loi organique déposée à l'Assemblée nationale ne prévoit pas la suppression
de ces comptes spéciaux du Trésor, elle en interdit seulement la création de
nouveaux.
Quant à la création du compte d'affectation des ressources UMTS au FRR et à la
CADEP, elle nous a été conseillée par le Conseil d'Etat, pour des raisons de
régularité juridique. Je tire d'ailleurs de votre intervention détaillée que
nous aurons, devant la Haute Assemblée, une discussion approfondie sur ce
point,
(M. Pierre Laffitte marque sa satisfaction)
lorsque nous débattrons de la
réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux
lois de finances. Nul doute que les spécialistes que vous êtes mais également
d'autres sénateurs prendront toute leur part à ce débat.
Puisque j'aborde la question de l'utilisation du produit des licences UMTS, je
veux rappeler ici, devant le Sénat, comme je l'avais d'ailleurs fait lors de
l'examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2001 devant
l'Assemblée nationale, que les quatre licences de téléphonie mobile de
troisième génération seront attribuées en 2001 selon une procédure retenue par
le Gouvernement, mais qui a été proposée par l'Autorité de régulation des
télécommunications. M. Laffitte, qui est un spécialiste de ces questions, ne me
contredira pas.
Nous avons publié cette procédure longue, qui, je l'ai déjà dit, sera soumise
à la sagacité et aux remarques du Parlement, à l'Assemblée nationale et au
Sénat. Cette procédure a été définie le 18 août dernier au
Journal
officiel
.
Il s'agit, je résume, d'une utilisation temporaire pendant quinze ans du
domaine public hertzien, qui est un bien rare et non cessible. Le produit
global a été fixé à 130 milliards de francs, soit 32,5 milliards de francs par
licence. J'ai décidé d'affecter ce produit, d'une part, au financement du FRR,
dont je viens de parler, pour 102 milliards de francs, soit 78,5 %, et, d'autre
part - et c'est bien naturel - au désendettement de l'Etat - M. Fréville en
sera satisfait - c'est-à-dire à la CADEP, pour 28 milliards de francs, soit
21,5 %.
Le présent projet de loi de finances comporte un article 23 qui, par
dérogation au code du domaine de l'Etat, précise le rythme des versements : 25
% en 2001 et 25 % en 2002, répartis entre le FRR - 18,5 milliards de francs -
et la CADEP - 14 milliards de francs - et 50 % versés au FRR de 2003 à 2016.
Par ailleurs, nous procédons à la création d'un compte d'affectation spéciale
destiné à recevoir ces recettes et à les reverser exclusivement au FRR et à la
CADEP, après avoir modifié les recettes de cette dernière caisse.
Ces précisions et ces chiffres témoignent, je crois, de la sagesse de la voie
prise par le Gouvernement français si j'établis une comparaison avec ce qui se
passe - nous y reviendrons cet après-midi lors de l'examen des crédits
concernant l'industrie - dans plusieurs autres pays européens. Ces derniers
connaissent peut-être des difficultés que notre pondération nous évitera en
cette matière.
M. Loridant a posé également une question sur l'avenir et la manière dont le
Gouvernement envisage d'assurer le financement des deux pôles majeurs de
besoins financiers que constituent l'EPFR et la société RFF, Réseau férré de
France, et qui nécessiteront des dotations budgétaires importantes et
durables.
Les recettes propres de l'EPFR proviennent des versements effectués par le CDR
au titre de la clause participative. Le CDR devrait verser 8,2 milliards de
francs à l'EPFR en 2000 et ses versements ultérieurs dépendront de ses recettes
de cession et de sa situation de trésorerie. Le niveau des dotations de l'Etat
restera donc déterminant pour l'évolution de l'endettement et des coûts de
portage de l'EPRF.
S'agissant de RFF, l'amélioration de la rentabilité et de la productivité du
système ferroviaire permettra d'accroître la capacité d'autofinancement de RFF,
j'en suis certain. La contribution de l'Etat sous forme de dotations en capital
et de subventions restera toutefois substantielle dans les prochaines années.
Au cours des dernières années, la gestion des participations de l'Etat a
permis, tout en accompagnant le développement du secteur public industriel et
financier - et de quelle manière ! un certain nombre d'entreprises ont pris
vraiment leur envol au cours des dernières années - de financer des dotations
budgétaires à l'EPFR et à RFF ainsi qu'à d'autres entreprises publiques. Les
recettes de cessions d'actifs pourraient, à l'avenir - c'est une loi quasi
physique - devenir insuffisantes. Dans ce cas, l'Etat respectera ses
engagements et les assumera à l'égard de ces deux structures en faisant appel à
des ressources budgétaires classiques.
Nous aurons l'occasion de revenir en détail sur l'Agence de la dette et sur la
création du compte de commerce dont vous avez parlé. Ma collègue Florence Parly
évoquera bien sûr cette question devant le Sénat lors de l'examen du projet de
loi de finances rectificative. Celui-ci comportera un article en ce sens. Vous
aurez donc le temps de l'examiner. J'espère qu'il constituera un moment
privilégié du débat, car il s'agit d'un point essentiel pour l'avenir des
finances publiques et, surtout, pour le contrôle du Parlement sur les finances
publiques et sur la dette. Ce débat sera mené dans la transparence.
En juillet dernier, le Gouvernement a annoncé la création de l'Agence de la
dette. Je peux d'ores et déjà confirmer à MM. Loridant et Fréville que cette
agence sera rattachée directement au directeur du Trésor. Cette décision répond
à la nécessité de se doter d'une structure dédiée à la gestion de la dette qui
disposera des moyens financiers et humains pour gérer la dette publique, non
pas de manière passive, mais de manière dynamique, active, économe, notamment à
travers la mise en place d'un portefeuille de contrats d'échanges de taux.
Le dispositif que vous proposera Mme Parly ne constitue d'ailleurs pas une
originalité française. Il s'inscrit dans un mouvement européen. En effet, aux
Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Allemagne, des agences de ce type sont en
voie d'être créées ou ont d'ores et déjà été instituées.
L'Agence de la dette ne sera pas une structure autonome. Elle sera un service
à compétence nationale, rattaché directement au directeur du Trésor et placé
sous l'autorité d'un chef de service. Elle assumera des missions de gestion de
la dette : gestion opérationnelle - émissions, adjudication, rachat et
amortissement - tenue de la trésorerie de l'Etat et des relations avec les
correspondants du Trésor, communication et relations dans le domaine des
marchés de taux d'intérêt avec les investisseurs, les intermédiaires
financiers, les émetteurs gestionnaires de dette publique. Elle assumera,
enfin, une mission d'analyse monétaire portant sur les évolutions de marchés de
taux.
Elle disposera, pour la mise en oeuvre de ces missions, d'une autonomie
fonctionnelle, même si elle ne sera pas un organisme autonome. Ses effectifs en
feront une agence extrêmement légère. En effet, compte tenu des quelques
spécialistes des marchés qui sont actuellement en voie de recrutement
prévisionnel, les effectifs passeront de vingt à une trentaine de personnes.
La mise en place de cette agence interviendra avant la fin de l'année, bien
sûr après examen des textes d'organisation par le comité technique paritaire
central et après examen par le Parlement du fondement et de la justification de
la création de cette agence. Par ailleurs, cette agence sera soumise à un audit
annuel obligatoire.
M. Fréville a fait, lui aussi, une longue intervention, très technique et
d'ailleurs passionnante sur la dette. J'ai déjà répondu sur un certain nombre
de points de son intervention. Je me permettrai de rappeler quelques chiffres
que je viens d'évoquer, spécialement à l'intention de M. Fréville qui, je le
sais, est un spécialiste.
La dette publique baissera pour la troisième année consécutive. Elle devrait
être autour de 57 points du PIB en 2001. En dix ans, de 1981 à 1992 - je l'ai
dit voilà quelques instants - on était passé de 20 points à 40 points. En cinq
ans, entre 1993 et 1997, on avait augmenté à nouveau de 20 points du PIB,
passant de 40 points à 60 points.
Le budget de l'Etat est en excédent primaire depuis l'année 2000. Cet excédent
primaire sera de plus de 50 milliards de francs en 2001. Je pense que vous
noterez les efforts d'assainissement et de rigueur de gestion que cela
représente. Ils constituent un signal politique et traduisent la volonté du
Gouvernement, exprimée à plusieurs reprises par M. Laurent Fabius au Parlement,
tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, d'une gestion rigoureuse et saine des
finances publiques, gestion qui converge d'ailleurs avec celle de nos
principaux partenaires, et donc d'une gestion de qualité.
L'avenir du compte d'affectation spéciale « Produits de cessions » a fait
l'objet d'une grande part de votre intervention. Il est vrai qu'il reste encore
de lourds passifs au sein du secteur public. Ayons l'honnêteté de le
reconnaître. Pour les couvrir mais surtout pour les réduire, nous avons engagé
une action sur les structures : réforme du CDR, qui a conduit depuis 1997 à
réduire de 20 milliards de francs la charge estimée du CDR - maîtrise de
l'endettement de RFF dont je viens de parler, amélioration de l'équilibre entre
les charges et les recettes de cet établissement, opérations de gestion
dynamique des actifs du secteur public qui sont, je crois, à l'honneur du
Gouvernement et qui marqueront d'une pierre blanche la gestion publique dans le
domaine des entreprises publiques. La gestion dynamique des actifs du secteur
public permet aujourd'hui de couvrir ces passifs. Nous avons diminué de moitié
- 60 milliards de francs - la dette de l'EPFR, au titre du sauvetage du Crédit
Lyonnais. Ce n'est pas rien d'obtenir des résultats de cet ordre, de cette
nature et de cette ampleur. Au-delà, le recours à des recettes budgétaires
pourra toujours servir - je l'ai dit tout à l'heure en conclusion de ma réponse
à M. Loridant - à couvrir ces passifs, qui sont évidemment ceux de l'Etat. La
dette de l'EPFR a d'ailleurs été comptabilisée non pas par le gouvernement
précédent mais par le gouvernement actuel dans la dette de l'Etat, au sein de
la dette des APU, les administrations publiques.
Il y a donc une volonté d'objectivité, de transparence et de clarté, qui doit
être remarquée par le Sénat. En effet, c'est pour le Gouvernement et
certainement pour l'ensemble des sénateurs, quelles que soient les travées sur
lesquelles ils siègent, l'occasion de souligner avec quel soin nous voulons,
les uns et les autres, établir une relation démocratique de contrôle, de
transparence et de clarté entre le Gouvernement et le Parlement. C'est la
condition d'une gestion dynamique et démocratique des finances publiques. C'est
certainement ce que le Sénat aura à coeur de soutenir. En effet, les efforts
réels du Gouvernement vont en ce sens. Je pense que vous devez les remarquer,
mesdames, messieurs les sénateurs.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
CHARGES COMMUNES