SEANCE DU 11 DECEMBRE 2000
Par amendement n° II-88, MM. Fournier, Vial, Murat, Darcos, Schosteck, Rispat,
Ginésy, Neuwirth, Karoutchi et André proposent de réduire ces crédits de 1 500
000 000 francs.
En conséquence, de porter le montant des mesures nouvelles à moins de 1 434
253 000 francs.
La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Cet amendement lance un appel au Gouvernement sur l'urgence qu'il y a de
répondre aux attentes des avocats, face au douloureux problème posé par le
manque de crédits alloués à l'aide juridictionnelle, qu'il convient de
multiplier par deux.
Les règles contraignantes de l'ordonnance de 1959, portant loi organique
relative aux lois de finances, limitent le pouvoir d'intervention du Parlement
sur les dépenses inscrites au budget de l'Etat et interdisent formellement que
soit exprimée notre volonté de voir le Gouvernement augmenter ces crédits par
redéploiement. Nous savons que notre démarche est irrecevable au regard de
l'article 40 de la Constitution, mais aujourd'hui il y a urgence, et il s'agit
du fonctionnement de l'institution judiciaire.
En utilisant la procédure de la réduction indicative de crédits, les auteurs
de l'amendement souhaitent que le Gouvernement abonde les crédits de l'aide
juridictionnelle, à hauteur d'un doublement des moyens qui lui sont aujourd'hui
alloués.
Le total des crédits inscrits pour 2001 au chapitre budgétaire 46-12 s'élève à
1 543 620 243 francs, dont un montant de services votés de 1 440 920 243
francs. Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de porter le total
des crédits alloués à l'aide juridique à 3 milliards de francs.
Il revient au Gouvernement de décider de prendre en compte ou non notre
proposition d'abondement des crédits de l'aide juridique.
Il s'agit d'un choix politique qu'il est évidemment seul à assumer. Ou bien il
a la volonté de trouver une issue à la crise et il doit s'en donner les moyens
budgétaires ; ou bien ce choix ne figure pas parmi ses priorités et il doit en
assumer les conséquences en termes de fonctionnement de la justice.
A des arguments de forme ou de procédure, il convient, après avoir rappelé les
limites de la procédure utilisée, d'opposer des arguments de fond.
Le problème de l'aide juridictionnelle et le blocage de l'institution
judiciaire valent mieux que des querelles inintéressantes et de longs discours
sur les modalités d'exercice du droit d'amendement par les parlementaires.
Limiter la discussion à ces arguments de forme serait, à l'évidence, une
manoeuvre dilatoire pour éluder le débat de fond. Ce ne serait pas compris, ni
par le Sénat, ni par la profession. Ce que nous souhaitons obtenir, c'est une
réponse claire du Gouvernement sur les initiatives qu'il compte prendre pour
résoudre ce grave problème.
La Convention européenne des droits de l'homme, dans son article 6 paragraphe
1, pose l'obligation d'assurer l'effectivité du droit à un procès équitable en
mettant en place un système d'aide judiciaire. Or, les conditions actuelles
d'indemnisation des services d'un défenseur ne sont pas dignes d'une
république, de notre République.
L'aide juridictionnelle ne satisfait personne : ni le justiciable, ni le
défenseur. Les critiques que l'on peut formuler sur le dispositif en place sont
de plusieurs ordres : elles tiennent d'abord aux conditions draconiennes
d'admission au titre de l'aide juridictionnelle pour le justiciable ; elles
tiennent surtout au fait que ce sont les avocats qui en supportent le poids
réel.
Ce n'est pas à la profession d'avocat de supporter la charge qui incombe à la
solidarité nationale. Je citerai deux chiffres : il y avait 349 000
bénéficiaires de l'aide juridictionnelle en 1991 ; on en dénombre 704 000
aujourd'hui.
Les avocats perçoivent une indemnisation calculée sur la base d'une unité
moyenne de valeur - UV - de 144 francs, qui varie en fonction des
procédures.
Pour un dossier pénal, soit quatre UV, l'avocat perçoit 568 francs : est-ce
encore supportable ? Quels professionnels assuraient un travail de qualité pour
une journée à ce tarif ?
Il faut, ici, saluer toute une profession qui pendant des années a fait preuve
d'un sens citoyen et d'un esprit civique hors du commun pour oeuvrer à la
garantie des droits.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il est vrai que la droite n'avait rien fait !
M. Bernard Fournier.
L'aide juridictionnelle n'a pas été réévaluée et il n'est pas rare qu'elle
représente jusqu'à 40 % de la clientèle d'un cabinet, vous le savez, mes chers
collègues.
L'indemnisation ne tient pas compte du temps passé, l'unité de valeur est
dérisoire et la colère des barreaux est compréhensible.
L'urgence est telle que les avocats ont besoin d'un signe excessivement fort
du Gouvernement. Leur grève est, pour le Gouvernement, moins handicapante sur
le plan électoral que celle des agents SNCF qui paralysent le rail aux périodes
de pointe, mais elle n'est pas pour autant illégitime.
C'est le sens de l'amendement que nous demandons au Sénat de bien vouloir
examiner.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Hubert Haenel,
rapporteur spécial.
Nous partageons tous le souci exprimé par les auteurs
de cet amendement. Cependant, chacun sait que les dispositions de l'ordonnance
de 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ne nous permettent
pas de modifier en quoi que ce soit l'ordonnancement des crédits. Il est
nécessaire de procéder à une réforme en profondeur de l'aide juridictionnelle.
Aussi, je demande aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je laisserai aux auteurs de cet amendement le soin de
se déterminer sur son maintien.
Je crois avoir largement répondu sur la réforme de fond et sur les mesures
immédiates. Je n'ai rien à ajouter à cet égard, sinon que je ne peux être
favorable à ce type d'amendement.
M. le président.
Monsieur Fournier, l'amendement n° II-88 est-il maintenu ?
M. Bernard Fournier.
Nous avons entendu l'appel de la commission : nous retirons notre
amendement.
M. le président.
L'amendement n° II-88 est retiré.
Je vais mettre aux voix les crédits figurant au titre IV.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Je voudrais insister auprès de Mme le garde des sceaux sur une question qui a
été débattue lors de la première partie de la loi de finances et qui rejoint
les préoccupations que vient d'exposer notre collègue Bernard Fournier.
Sur la proposition de l'un de nos collègues, le Sénat a adopté, lors de
l'examen de la première partie de la loi de finances, un amendement visant à
appliquer le taux réduit de TVA aux honoraires d'avocat lorsqu'il s'agit de
prestations concernant des personnes physiques. Madame le ministre, je
souhaiterais connaître votre position sur ce point.
Je rappelle qu'il s'agit d'une mesure qui doit s'apprécier au regard des
directives communautaires en vigueur. Je rappelle, par ailleurs, que
l'importance de la fiscalité indirecte sur ce type de prestations est
aujourd'hui de nature à restreindre l'accès au droit de personnes de condition
modeste ou moyenne dont les revenus se situent à des niveaux légèrement
supérieurs à ceux qui sont retenus pour l'éligibilité à l'aide
juridictionnelle.
Le débat sur l'aide juridictionnelle est indispensable. Cependant, il faut
aussi s'interroger sur tous ces justiciables qui n'entreront pas dans le
créneau défini par les mesures les plus sociales et qui seraient bien sûr
directement concernés par une mesure comme celle que le Sénat a adoptée lors de
l'examen de la première partie de la loi de finances.
A l'occasion de l'examen des crédits dont nous débattons à l'instant, je
souhaitais rappeler le vote émis alors par le Sénat. Je serais heureux de
connaître l'avis de Mme le ministre sur cette question. Je précise, en outre,
que la préoccupation exprimée en l'occurrence par le Sénat est largement
partagée sur nos différentes travées.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Enfin partagée !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Il s'agit d'une question qui est souvent posée. Si nous
avons augmenté les plafonds de 4,2 %, c'est précisément pour prendre en compte
le fait qu'un certain nombre de personnes qui ne bénéficient pas de l'aide
juridictionnelle et sont assujettis à une TVA forte - puisque vous n'avez pas
prononcé le mot, je le prononce - ce qui leur crée une difficulté
supplémentaire. En effet, si les entrepreneurs récupèrent la TVA, cette faculté
n'est pas accordée aux personnes physiques.
Sur le plan européen, ce dossier n'a pas abouti. J'ai rencontré plusieurs
délégations représentant les avocats de France. Ceux-ci se sont entretenus avec
leurs homologues espagnols et italiens, afin que cette question soit posée à
l'échelon européen et que l'on puisse formuler une proposition.
Cela étant dit, il faudra prendre en compte le manque de recettes qui
résultera d'un abaissement du taux de TVA. Je pense que le Sénat en débattra au
moment de la discussion budgétaire et étudiera la possibilité d'avancer à
partir de recettes moindres.
Je suis persuadée que la question de la taxation des prestations de services
va au-delà de la profession d'avocat qui nous préoccupe aujourd'hui. Il s'agit
d'un dossier difficile. Il faut parvenir à un accord à l'échelon européen. Cela
me paraît possible dans les deux ans à venir.
M. Philippe Marini.
C'est une question de volonté !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Surtout d'argent !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre IV.
(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
état C
M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 2 747 000 000 francs ;