SEANCE DU 16 JANVIER 2001


M. le président. La parole est à M. Delfau, auteur de la question n° 963, adressée à M. le ministre de la recherche.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je voudrais appeler votre attention sur la faiblesse des moyens financiers que mobilise notre pays pour la recherche fondamentale concernant les maladies rares.
Ces maladies, dont les mécanismes demeurent inconnus et qui frappent un nombre peu important de personnes - en comparaison, du moins, du cancer ou du sida - n'intéressent pas les grands laboratoires privés, en raison du marché étroit qu'elles représentent.
Les associations de bénévoles qui s'y consacrent, et auxquelles je veux rendre hommage en cet instant, avec l'appui de chercheurs et de médecins, se sentent « orphelines », pour reprendre une terminologie souvent utilisée. Or ces malades se comptent par dizaines de milliers. Ils souffrent, et parfois meurent, dans l'impuissance médicale presque totale. Eux-mêmes et leurs proches éprouvent un vif sentiment d'injustice, et parfois même d'abandon.
Il apparaît donc urgent que les pouvoirs publics inventent un mécanisme d'incitation à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée, et y consacrent une part, fût-elle minime, du budget de l'Etat. Il serait en ce sens utile, sans doute, qu'un fonds spécial fût créé, avec des partenaires apportant des fonds privés, afin de remédier à cette situation vécue comme une mise à l'écart de la solidarité nationale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Monsieur le sénateur, je comprends le sentiment d'injustice, voire d'abandon, que peuvent ressentir les personnes frappées de ces maladies rares et leurs familles.
La recherche sur les maladies rares doit, comme vous le soulignez, bénéficier plus particulièrement de la solidarité nationale et, à ce titre, faire l'objet d'un effort croissant de l'Etat.
A travers des choix budgétaires, vous le savez, le Gouvernement donne la priorité aux sciences du vivant et de la santé. En 2000, la part consacrée à la recherche dans ce domaine atteint 14,7 milliards de francs, dont 8,6 milliards de francs consacrés à la recherche biomédicale. Cela permettra à l'INSERM, qui a un budget dont les autorisations de programme progresseront de 16 % en 2001, de mieux doter ses unités de recherche impliquées dans les recherches sur ces maladies rares, au moins une cinquantaine d'entre elles sur 250 au total.
Le ministère de la recherche a lancé, en 2000, un appel à propositions de projets scientifiques nouveaux et consacrés aux maladies rares, ou dites orphelines, avec l'AFM et l'INSERM. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que cet appel d'offres sera bien sûr reconduit en 2001. L'AFM, l'INSERM et le ministère apportent chacun 2 millions de francs, soit 6 millions de francs au total. Cependant, nous savons qu'il faut sans doute multiplier ce chiffre par trois ou quatre si l'on inclut le salaire des personnels et les infrastructures.
Le développement de la recherche sur le génome que le ministère soutient fortement, et dont le budget s'accroît en 2001 - les crédits accordés à la génomique à partir du Fonds national de la science seront portés de 330 millions de francs en 2000 à 450 millions de francs en 2001, soit une augmentation de plus de 36 % - profite également aux maladies rares. Ainsi, le Centre national de génotypage de la génopole d'Evry exerce un rôle majeur dans la caractérisation génétique de beaucoup de ces maladies rares. Le Centre national de séquençage d'Evry y est également associé. Plusieurs génopoles en régions sont, elles aussi, impliquées dans des programmes de génétique humaine.
Le Centre national de séquençage prépare, dans le cadre du programme de génomique, une librairie exhaustive d'ADN complémentaires humains, c'est-à-dire des gènes présents dans le génome humain. Il s'agit d'un outil indispensable pour la poursuite des travaux de génomique et de post-génomique chez l'homme, particulièrement approprié à la recherche sur les maladies rares.
Un aspect essentiel de la recherche sur les maladies rares concerne la constitution et le maintien des bioressources, c'est-à-dire de matériels biologiques bien caractérisés, issus des patients. La direction de la technologie du ministère de la recherche lance en 2001, conjointement avec l'INSERM, un programme important d'aide au développement de telles banques.
Par ailleurs, la révision prochaine, qui sera soumise au Parlement, des lois relatives à la bioéthique est susceptible de favoriser la recherche sur la mise au point, dans des conditions soigneusement encadrées, de thérapies à partir de cellules embryonnaires humaines. Dans le cadre de l'action concertée incitative du ministère de la recherche intitulée « Biologie du développement », les programmes de recherche de ce domaine seront soutenus. C'est là une chance de mettre en place une recherche dont les perspectives d'application thérapeutique, pour beaucoup de maladies rares, sont prometteuses.
Ajoutons enfin que le vote par le Parlement européen, en 1999, d'une directive sur les « médicaments orphelins » donne la possibilité aux industriels de développer des médicaments destinés au traitement de maladies rares.
L'ensemble des ces mesures devrait permettre un essor des recherches sur les maladies rares, dont les retombées, en termes diagnostiques, mais aussi thérapeutiques, sont aujourd'hui envisageables.
Nous continuerons d'agir très activement dans ce sens, en concertation avec les associations caritatives et les bénévoles, et à l'écoute de leurs préoccupations, et sommes prêts à lancer de nouveaux projets en commun.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, vous avez répondu avec beaucoup de précision et, permettez-moi de le dire, de coeur à une question dont le contenu financier n'épuise évidemment pas, et de loin, la portée.
Vous avez évoqué les sommes considérables qui sont allouées par l'Etat aux sciences du vivant. Vous avez mentionné ensuite le projet plus spécifique financé conjointement par l'Etat, l'AFM et l'INSERM et vous avez fait part de sommes qui, sans être négligeables, ne sont qu'une amorce, d'autant que l'AFM, dont je salue au passage l'action très remarquable, a elle-même un champ d'investigation qui n'épuise pas celui des maladies rares.
A ce sujet, je veux souligner la qualité du travail qui est accompli par l'association Alliance des maladies rares, regroupant des associations de bénévoles dans un organisme commun pour rendre plus cohérente la démarche et pour la porter auprès des pouvoirs publics. Encore une fois, cette action est particulièrement remarquable.
Cependant, au bout de tout cela, reste une question à laquelle vous n'avez pas forcément de réponse immédiate, monsieur le ministre, mais que je pose de nouveau avec force : où sont les laboratoires privés dans cette recherche fondamentale ? Il est tout de même stupéfiant et, du point de vue de la morale, peu compréhensible que seules les maladies frappant un grand nombre de personnes fassent l'objet d'une recherche privée et que nous n'arrivions pas à mettre au point un mécanisme incitatif qui entraîne un minimum d'implication des structures qui, d'une certaine façon, jouent un rôle essentiel, à l'échelon mondial, en ce qui concerne la santé humaine.
Il y a là, du point de vue de l'éthique et de l'efficacité, quelque chose qui n'est pas supportable pour les démocrates de toute la planète, et c'est sur ce point que je voulais insister ce matin. Ce que le Parlement européen vient de voter constitue peut-être une ouverture, permettant d'aboutir à un début de processus en ce sens. J'avoue que je suis mal renseigné sur les conséquences de ce dossier et je serais très heureux si vos services pouvaient m'aider à compléter cette information.
Par ailleurs, j'ai bien noté, et c'est très important même si cela est moins spectaculaire, l'effort que vous soutenez actuellement dans le domaine des banques de données et des bioressources. De nombreuses associations de bénévoles ont vu que la recherche fondamentale débutait par la collecte de ces informations, ce qui est tout à fait porteur pour l'avenir.
Enfin, dans le cadre de la discussion au Parlement des lois relatives à la bioéthique, nous serons bien sûr très soucieux de veiller à ce que ce domaine de développement de la recherche fondamentale concernant ces maladies peu connues soit non pas entravé mais facilité par les dispositions législatives que nous prendrons.
Merci en tout cas de votre réponse et du travail que vous faites ! Je tenais à le dire de nouveau à la fin de cette intervention.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je voudrais remercier M. Delfau des paroles qu'il a bien voulu prononcer. La recherche sur les maladies rares et leur traitement est effectivement un impératif éthique et un problème de solidarité. La santé doit exister au bénéfice de tous.
Je souhaite, comme vous, monsieur le sénateur, que la recherche privée prenne une place plus importante face à ces problèmes qui sont considérables. Les réseaux de recherche et d'innovation technologique que le ministère de la recherche a créés sont un des moyens d'attirer la recherche privée vers un effort accru. Ils associent recherche publique et recherche privée. Ainsi, dans le réseau GenHomme, qui, comme vous le savez, est consacré à la génomique humaine, la recherche privée est en quelque sorte tirée vers le haut par la recherche publique pour consentir davantage d'efforts et pour réaliser des synergies.
Je voudrais terminer sur une note d'espoir face à ces problèmes si douloureux. Les thérapies géniques sont au tout début de leur première réussite, qui a été réalisée en France à l'hôpital Necker par le professeur Fischer, lequel a réussi à guérir des « enfants bulles » par la thérapie génique. La thérapie cellulaire commence à donner des résultats significatifs, notamment pour le traitement d'une maladie rare, la maladie de Huntington, qui a pu être traitée par la greffe de cellules d'origine foetale à l'hôpital Henri-Mondor par l'équipe de Marc Peschanski.
Je pense donc que dans les années à venir, en ce qui concerne tant la thérapie génique que la thérapie cellulaire, on fera des progrès tout à fait considérables pour le traitement de ces maladies rares. Le fait d'apporter à celles-ci une solution constitue, je le répète, un impératif éthique et un impératif de solidarité nationale.

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