SEANCE DU 23 JANVIER 2001
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Démission d'un membre d'une commission et candidatures
(p.
1
).
3.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
2
).
Discussion générale
(suite) :
MM. René Garrec, Gérard Larcher,
Jean-Patrick Courtois, Jean-Pierre Schosteck.
4.
Modification de l'ordre du jour
(p.
3
).
5.
Nomination de membres de commissions
(p.
4
).
6.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
5
).
Discussion générale
(suite) :
M. Philippe Marini.
Suspension et reprise de la séance (p. 6 )
7.
Rappel au règlement
(p.
7
).
MM. Jean-Jacques Hyest, le président.
8.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
8
).
Discussion générale
(suite) :
MM. Roger Karoutchi, Patrick Lassourd,
Gérard Cornu, Dominique Braye.
9.
Renvoi de la suite de la discussion
(p.
9
).
MM. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement ;
Jacques-Richard Delong, Jacques Larché, président de la commission des lois ;
Guy Allouche, le président.
Rejet de deux motions d'ordre.
10.
Transmission d'un projet de loi organique
(p.
10
).
11.
Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle
(p.
11
).
12.
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
12
).
13.
Dépôt d'un rapport
(p.
13
).
14.
Ordre du jour
(p.
14
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉMISSION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION ET CANDIDATURES
M. le président.
J'ai reçu avis de la démission de M. René-Georges Laurin, comme membre de la
commission des lois, et de la place laissée vacante par M. Xavier Dugoin depuis
le 17 janvier 2001 à la commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats
proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
3
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Garrec.
M. René Garrec.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'avais
l'intention d'intervenir uniquement sur l'aspect formel du texte qui nous est
soumis. Mais ce matin, sur le chemin du Sénat, je me disais que je devais
manquer de bon sens : en effet, après avoir passé vingt-quatre ans de ma vie au
Conseil d'Etat, je ne comprends toujours pas la question juridique, à tel point
que j'en suis arrivé à me demander si je n'étais pas complètement « nunuche »
!
Par conséquent, avant d'en venir au propos que j'avais préparé, je voudrais
réfléchir tout haut avec vous sur la légitimité juridique et politique de la
réforme qui nous est soumise.
Monsieur le ministre, j'avoue ne pas comprendre la position juridique du
Gouvernement. Ce n'est pas grave ! Retraité du Conseil d'Etat depuis le 25
décembre dernier, je ne suis donc plus un élément perturbateur de ce système,
et, si je dis des bêtises ici, la maison dans laquelle j'ai vécu très heureux
pendant de longues années ne m'en voudra sûrement pas !
(Sourires.)
Réfléchissant au problème qui nous est soumis, je me disais que la politique
ressemblait un peu à un système biologique : cela vit, cela vieillit, cela
meurt. Mais ma définition de la politique serait plutôt la suivante : en
politique, on durcit sur certains points, on pourrit sur d'autres, on ne mûrit
jamais ; mais cela n'engage que moi !
Ayant finalement considéré que les liens avec la biologie n'étaient pas tout à
fait établis, je me suis demandé pourquoi cette partie juridique appelait tant
de réflexions, et même tant d'incompréhensions entre d'éminents professeurs
d'université, dont au moins un - le doyen Gélard - est présent ici.
Il me semblait que le système d'élection du Président de la République, prévu
par la Constitution de 1958, avait connu deux phases : tout d'abord, jusqu'en
1962, l'élection du Président de la République par les parlementaires réunis à
Versailles, qui impliquait que l'Assemblée nationale soit élue d'abord.
Ensuite, à partir de 1962, l'élection du Président de la République au suffrage
universel direct, qui a donné la primauté à ce dernier. Certes, l'Assemblée
nationale est également élue au suffrage universel, mais il y a des
circonscriptions. Par conséquent, il me semblait que la priorité des choses
voulait que l'on s'intéresse d'abord à la Présidence de la République.
Mais quel est l'esprit de la Constitution ? Je voudrais m'arrêter quelques
secondes sur ce point.
En effet, lorsque l'on étudie la légalité d'un décret ou d'une circulaire - et
les choses sont encore plus difficiles si la circulaire est interprétative,
donc nulle de droit - et que l'on recherche un peu de clarté, on se réfère
automatiquement aux travaux préparatoires de la loi.
Mais comment se référer aux travaux préparatoires de la Constitution sinon en
réfléchissant à l'esprit de ceux qui l'ont écrite, qui en ont été à l'origine,
et donc à ce que pensaient le général de Gaulle et l'éminent juriste qu'était
Michel Debré ? Or, je n'ai pas trouvé dans les écrits de ces deux personnalités
éminentes... Je ne suis toujours pas dans mon propos, monsieur le président,
mais je continue un peu, parce que je tiens à m'expliquer sur mon
incompréhension.
M. le président.
Vous disposez d'un temps de parole de quinze minutes.
M. René Garrec.
Pas plus ? Quinze minutes, c'est peu, car cela m'oblige à parler très vite : à
la limite du subliminal !
(Sourires.)
Je dois dire que, après réflexion, je ne comprends pas le problème juridique
; et je pense que, malheureusement, il n'y a aucune légitimité juridique à
cette réforme.
En effet, la Constitution est ainsi faite que le Président de la République
peut mourir, comme c'est déjà arrivé ; on ne peut pas garantir par la
Constitution qu'un président de la République en exercice ne mourra pas !
D'ailleurs, c'est dommage : cela prouve la limite de nos pouvoirs !
(Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo.
Ça, c'est vrai !
M. René Garrec.
On ne peut donc pas garantir à un président de la République qu'il vivra le
temps de son mandat.
Par ailleurs, on ne peut pas obliger le Président de la République à rester
s'il n'est pas content. Il faut le laisser partir ; donc, il peut s'en
aller.
M. Serge Vinçon.
Cela peut arriver !
M. René Garrec.
Cela peut effectivement arriver ! Enfin, le Président de la République peut en
avoir assez de discuter avec une Assemblée nationale qui n'est pas de son avis,
et il peut donc la dissoudre. On ne peut pas l'en empêcher ! Ça, c'est la
Constitution !
Je ne vois donc pas où est la légitimité juridique.
Mais je ne trouve pas plus de légitimité politique à la proposition du Premier
ministre.
Une phrase d'un éminent juriste, M. Dominique Chagnollaud, auditionné
récemment par la commission des lois, me semble résumer, à elle seule, le débat
sur la modification du calendrier qui nous réunit aujourd'hui. « Derrière un
habillage institutionnel, il y a surtout un débat d'opportunité. » Le terme «
opportunité » est-il encore bien approprié aujourd'hui ? Je ne le crois pas,
car l'opportunité me semble avoir laissé la place à une convenance personnelle,
parfaitement légitime d'ailleurs, d'un homme que je ne citerai pas tout de
suite, qui ne s'est pas encore déclaré candidat à la Présidence de la
République, mais qui me paraît carré dans les
starting-blocks
...
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher.
C'est qui ?
M. René Garrec.
La suite de mon propos vous le dira peut-être !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Plusieurs sénateurs du RPR.
Des noms !
M. René Garrec.
Comment pourrait-on analyser autrement le revirement opéré par le Premier
ministre ? Et c'est la réponse à votre question légitime, mes chers collègues
!
(Rires sur les travées du RPR.)
Lors de son intervention télévisée du 19
octobre dernier, il déclarait ceci : « Toute initiative de ma part serait
interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. »
M. Alain Gournac.
Oh !
M. René Garrec.
« Moi, j'en resterai là, et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse
pour que des initiatives puissent être prises. » Je suis totalement d'accord
avec ce propos.
Comme l'a mentionné, à plusieurs reprises, le Président de la République, «
les Français n'aiment pas que l'on modifie les règles du jeu juste avant de
jouer ». Même les enfants n'aiment pas ça !
(Rires sur certaines travées du RPR.)
« Ils soupçonnent immédiatement les
acteurs de vouloir tricher, d'avoir des arrière-pensées politiques
personnelles. »
Aujourd'hui, c'est effectivement ainsi que la proposition d'inversion du
calendrier électoral de 2002 est perçue par nos concitoyens.
En effet, selon un sondage IFOP réalisé à la fin du mois de novembre 2000,
plus de la moitié des Français qualifient de « manoeuvre politique » la
proposition d'inversion du calendrier soutenue par le Premier ministre.
Une telle modification du calendrier à quelques mois des échéances et les
débats politico-politiques qu'elle suscite donnent non seulement le sentiment
aux Français de « calculs électoraux » - les gens méchants auraient parlé de «
magouilles électorales », mais je n'en fais pas partie !
(Rires sur les travées du RPR)
- mais également discréditent la classe
politique dans son ensemble.
M. Alain Gournac.
Ça, oui !
M. René Garrec.
Or, mes chers collègues, je vais vous faire une confidence : elle n'en a
vraiment pas besoin !
M. Christian Bonnet.
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Ça, c'est
bien vrai !
M. René Garrec.
Il faut le dire ! Je profite de l'absence de la gauche pour le dire,...
M. Robert Bret.
D'une partie de la gauche !
M. René Garrec.
Excusez-moi, mon cher collègue ! Merci d'être là !
(Rires sur les travées
du RPR.)
Mais je vous citerai d'ailleurs tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo.
Nous sommes effectivement là !
M. René Garrec.
Avec votre présence, madame, la parité est respectée !
(Nouveaux rires sur
les mêmes travées.)
Il faut dire les choses comme elles sont : nos concitoyens ne se sentent pas
concernés. Ils s'intéressent aux retraites, à un tas de choses ; mais là, ils
s'interrogent à juste titre sur les intérêts non avoués des hommes politiques
dans cette opération.
S'agissant de l'« esquisse de consensus pour que des initiatives puissent être
prises », je n'ai pas perçu le début de la moindre ébauche de consensus.
Peut-être est-ce de la maladresse de ma part ! Monsieur le ministre de
l'intérieur, vous avez tenu des propos un peu similaires à l'Assemblée
nationale, le 20 octobre 2000, en soulignant que, « dans l'hypothèse où un très
large accord sur l'inversion des échéances électorales apparaîtrait, le
Gouvernement serait disponible pour en débattre ». Par conséquent, peut-être
pourrez-vous nous éclairer sur le sens des termes « consensus » et « large
accord ».
Essayant de suivre les propos des personnes éminentes qui nous représentent,
j'ai noté que Mme Guigou estimait, le 25 septembre 2000, qu'« il ne fallait pas
changer les règles du jeu juste avant l'élection, car chaque fois que cela se
produit on peut être accusé de vouloir trafiquer » et qu'en conséquence « il ne
serait pas opportun de changer le calendrier ».
J'ajoute que les membres du parti communiste - je tiens à remercier ceux qui
sont aujourd'hui présents dans cette enceinte
(Rires sur les travées du RPR)
-
ainsi que les Verts, que l'on peut toujours, je pense, qualifier
d'acteurs de la gauche plurielle, sont opposés à un changement de calendrier
électoral.
Aussi, il semble que nous n'ayons pas la même notion du consensus, puisque les
avis divergent au sein de la majorité plurielle, comme, malheureusement, un peu
aussi dans l'opposition.
M. Robert Bret.
Un peu beaucoup !
Mme Nicole Borvo.
Voilà ! Chacun ses problèmes !
(Marques d'approbation sur les travées du
RPR.)
M. René Garrec.
Mais je constate que vous avez fait un pas en avant, ma chère collègue, même
si, nous, nous avons fait un pas en arrière !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Pis encore - et là mon incompréhension grandit ! - c'est le Premier ministre,
M. Jospin, candidat sans doute, qui a changé de position. Ainsi, le 26 novembre
dernier, lors du congrès du parti socialiste, qui est, en gros, à la règle de
droit ce que
Le Monde
est au
Journal officiel
(Nouveaux rires
sur les mêmes travées)
, il a plaidé pour le report des législatives après
la présidentielle. Il a avancé, pour ce faire, les arguments de « clarté » et
de « respect de la portée de chaque élection ».
Ce revirement à cinq semaines d'intervalle - c'est une fois le cycle lunaire -
au mépris de l'opinion de ses partenaires, que je considère avec respect, n'est
autre que la marque semble-t-il - je m'avance peut-être ! - d'un calcul
personnel - les gens méchants pourraient dire « politicien », ce qui, dans le
cas précis, est d'ailleurs une tautologie.
A compter de cette annonce, la course était lancée. Le débat parlementaire a
commencé : à peine un mois entre le dépôt, le 5 décembre, des différentes
propositions de loi, en particulier de celle qui nous intéresse, modifiant la
date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, et l'examen par les
députés en séance publique, les 19 et 20 décembre. Je souligne, par ailleurs,
que le texte est discuté selon la procédure de l'urgence.
Permettez-moi, à cet égard, de citer Lyautey, militaire très compétent qui a
beaucoup fait pour la France au Maroc et qui est considéré, tant dans les
annales militaires que dans celles de la République, comme un homme éminent : «
Il n'y a pas de problème urgent, il n'y a que des gens pressés. »
J'ai volontairement choisi un militaire, qui plus est ayant servi dans
l'infanterie, où, dit-on, la tête n'est pas indispensable ; il faut deux bras
pour porter un fusil, deux jambes pour marcher et deux oreilles pour porter le
képi et recevoir les ordres !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher.
Il ne faut pas dire du mal des fantassins !
M. René Garrec.
Nous discutons donc de ce texte selon la procédure de l'urgence, alors que -
je le constate - le Gouvernement montre beaucoup moins d'empressement pour des
réformes très attendues, toujours remises à demain ; celle des retraites, qui
me concerne plus particulièrement depuis le 25 décembre dernier ; celle du
droit de la famille, qui me concerne également en tant que père de famille ;
celle du statut de l'élu, qui, aux dires des maires de ma région, n'avance pas
; et bien d'autres réformes encore.
Ainsi, il paraît que les fonctionnaires ne sont pas contents, que des tas de
gens protestent, même s'il est vrai que c'est là la vie de tous les jours, que
cela s'est produit sous tous les gouvernements. Il n'empêche : bien d'autres
réformes étaient urgentes.
Et puis, il y a la considération qui est due au Sénat.
(Ah ! sur les
travées du RPR.)
Il nous faut bien parler du Sénat, car, si nous ne le
faisons, qui le fera ?
(Rires sur les mêmes travées.)
On a dit pis que pendre du Sénat, surtout au travers de propos qui ont été
reproduits récemment dans la presse - il n'y a plus de censure, tout va mal !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement a imposé l'inscription du présent texte à notre ordre du jour.
Il a obligé notre excellent rapporteur, M. Christian Bonnet, à présenter le
même jour son rapport en commission et dans l'hémicycle.
(Exclamations
indignées sur les travées du RPR.)
Certes, il en était capable !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Gérard Larcher.
La preuve !
M. René Garrec.
Mais, tout de même, au fond, c'est désobligeant !
Dans ce contexte, éclairés que nous sommes par le traumatisme qu'a subi notre
éminent collègue, comment le Premier ministre peut-il, d'un côté, souhaiter «
que le printemps 2002 ne soit pas un printemps de confusion et de choix de
convenance », en appeler à « l'esprit des institutions de la Ve République » -
je l'ai dit, si je comprends que l'on puisse parler d'esprit pour une loi, je
ne comprends pas qu'on puisse le faire pour une constitution - et, de l'autre,
tout mettre en oeuvre pour que le débat parlementaire soit tronqué et
précipité, et donc démontrer que le changement de calendrier électoral est
effectivement une initiative purement politicienne ?
Alors, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
(Rires sur les
travées du RPR.)
Il ne s'agit pas, pour moi, de balayer d'un revers de main
et sans débat la question de l'inversion de l'ordre des élections législatives
et présidentielle en 2002. On peut trouver des éléments discutables, au sens
étymologique du terme, donc amenant à une discussion qui peut même être
approfondie sur le sujet.
D'ailleurs, les avis des constitutionnalistes ont été clairs : il n'y en a pas
un qui ressemble à l'autre. Voilà qui permettait un long et vaste débat qui
aurait fait progresser la science politique et le droit constitutionnel ! Je
regrette que ce débat intéressant pour la République n'ait pas eu lieu.
En l'occurrence, nous assistons, une fois encore, à des manoeuvres
électoralistes - je suis désolé d'avoir à le dire, mais cela y ressemble
tellement ! - menées plus particulièrement par le parti socialiste, qui se
place clairement dans une logique de campagne électorale.
Les trois années du Gouvernement de M. Jospin ont été très chargées en ce
domaine. Il y a eu la limitation du cumul des mandats - ce n'est pas forcément
mauvais, mais encore faut-il l'appliquer ! Il y a eu la parité, il y a eu
l'élection des sénateurs.
Je relève au passage que le président de l'Assemblée nationale a déclaré que
le Sénat ne devait pas se mêler des élections à l'Assemblée nationale, car il
est de tradition que chaque assemblée garde sa liberté en ce domaine. Je
constate tout de même que l'Assemblée nationale s'est bougrement mêlée des
nôtres !
Au travers de ces différents textes, les objectifs sont les mêmes. Ils sont
politiques. Ils ont été poursuivis avec une grande constance. On les retrouve
encore aujourd'hui.
Il s'agit de renforcer l'hégémonie du parti socialiste. Si j'étais socialiste,
je ferais peut-être la même chose : encore faut-il ne pas trop le montrer, ou
bien alors l'admettre. On veut transformer le jeu politique pour se donner de
meilleures chances de conserver le pouvoir après l'avoir conquis
démocratiquement - c'est vrai de tous les partis, mais là, c'est
particulièrement flagrant.
A chaque fois, le discours officiel et les leçons de bonne conduite politique
serinées par le Gouvernement visent à cacher une arrière-pensée électoraliste
que même ici, malgré ce qu'on a dit ailleurs du Sénat, nous avons tous comprise
et que nous avons estimé devoir dénoncer.
Voilà quelques jours, notre éminent collègue Michel Charasse, citant une
anecdote tout à fait passionnante, a dit : « Ce n'est pas une banale loi
électorale, c'est une question d'ordre constitutionnel qui touche au
fonctionnement de nos institutions ; il faut savoir comment on veut gouverner
la France. » Je crois qu'il avait raison.
M. Bret, que je citerai de façon plus synthétique, a dit, pour sa part : «
C'est une réforme constitutionnelle et c'est une belle manoeuvre. »
Ayant ainsi rendu à César ce qui était à César, j'en reviens à mon propos.
Combien de fois n'avons-nous pas entendu le Gouvernement accuser le Sénat de
l'avoir empêché d'aller plus loin dans le projet visant à lutter contre le
cumul des mandats ? Or, aujourd'hui on entend la ministre de l'emploi et de la
solidarité, candidate à la mairie d'Avignon, annoncer sans sourciller qu'en cas
de victoire elle assumera ses fonctions de ministre et de maire. Si ce n'est
pas là du cumul, je ne comprends plus rien !
Alerté par l'utilisation de ces méthodes pour le moins curieuses - j'avais
écrit dans mon discours « sournoises », mais j'ai rayé parce que ce n'était pas
convenable - et à répétition, je m'interroge très sérieusement et objectivement
- j'espère que l'on n'en doute pas ! - sur les motivations du Premier ministre
lorsqu'il demande au Parlement de se prononcer, dans des conditions de
précipitation que j'ai rappelées tout à l'heure, sur la proposition de loi
relative à l'inversion du calendrier électoral.
Je me suis demandé pourquoi un petit nombre de collègues de l'opposition
nationale étaient favorables à l'inversion du calendrier. Je crois qu'ils
devraient réfléchir avant la deuxième lecture à l'Assemblée nationale !
Nous sommes en présence d'une proposition de loi organique, qui peut donc être
adoptée, faute d'accord avec le Sénat, à la majorité de l'Assemblée nationale,
et qui n'est pas passée par le filtre du Conseil d'Etat, ce que je déplore.
Il serait regrettable que ce calendrier, qui a été fortement compacté - c'est
pratiquement une sculpture de César, il n'y a plus de place ! - aboutisse à un
agrégat de voix si curieux et si contraire, me semble-t-il, à l'esprit de nos
institutions. On joue peut-être à l'apprenti sorcier. En tout cas, les
électeurs jugeront.
En ce qui me concerne, convaincu par la qualité du rapport de notre collègue
Christian Bonnet, par l'intelligence de sa proposition, je suivrai l'avis de la
commission des lois.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
m'attacherai pas, ce matin, à faire l'exégèse de la Constitution pour savoir si
le texte qui nous est présenté en respecte l'esprit et la lettre. Sur le sujet,
le moment venu, le Conseil constitutionnel tranchera.
Je ne m'appesantirai pas non plus sur les arrière-pensées quelque peu
triviales qui semblent avoir guidé, en l'espèce, le Gouvernement. L'opinion est
maintenant bien informée et l'histoire tranchera finalement par le vote des
Français, l'an prochain.
Je ne me permettrai pas, enfin comme certains l'ont fait, d'interpréter la
Constitution, en me référant au prétendu esprit gaullien de celle-ci.
Je me contenterai de citer très largement - il ne m'en voudra pas - un «
gaulliste éclairé », un « gaulliste averti », dirai-je, qui a donné longuement
au Sénat son avis sur le caractère douteux et très probablement politicien de
toute velléité de prolonger un mandat électoral.
Cet « avis gaullien » est d'autant plus intéressant qu'il émane d'une
éminente personnalité du groupe socialiste. Je ne vous dirai son nom que tout à
l'heure, après vous avoir fait part de ses réflexions tout à fait pertinentes
sur le sujet.
Ce « gaulliste averti » que je vais avoir maintenant l'honneur de citer, en
espérant le faire avec le même souffle que lui alors, s'exprimait au printemps
1994, à cette tribune, à propos de la prolongation de la durée des mandats
municipaux.
Sans trahir en rien sa pensée, je me contenterai simplement de citer les
passages les plus clairvoyants et d'adapter les propos tenus dans ces
circonstances à la réforme que nous avons à examiner aujourd'hui : quand vous
entendrez les mots : « Lionel Jospin », c'était Jacques Chirac ; quand vous
entendrez « RPR », c'était « parti socialiste », et inversement.
Je commence la citation : « Dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et
partisanes, ce projet de loi » - entendez, aujourd'hui, la proposition de loi
organique - « est un modèle du genre. (...)
« Selon le Gouvernement, ce texte ne se fonde que sur des impératifs
exclusivement juridiques, qui découlent du calendrier de la préparation de
l'élection présidentielle.
« Je m'empresse d'ajouter - ce que vous n'avouerez pas, monsieur le ministre
d'Etat - qu'il est d'abord et avant tout le produit d'arrière-pensées
politiques, et qu'il vous aura fallu des mois de tractations et de marchandages
pour arriver au résultat que vous nous présentez. (...)
« Monsieur le ministre, vous avez la réputation, qui n'est d'ailleurs pas
usurpée - et, dans ma bouche, n'y voyez aucune connotation péjorative - d'être
un habile manoeuvrier. (...)
« Ne vous étonnez pas, dès lors, que notre suspicion soit fondée et légitime.
J'ajoute d'ailleurs que nous ne sommes pas les seuls à penser cela.
« De façon on ne peut plus catégorique et péremptoire, vous déclarez qu'il n'y
a pas d'autre solution possible. (...)
« Pourtant, ces autres hypothèses existent, mais ils feignent de ne pas
s'apercevoir qu'ils maquillent une manoeuvre politique sous un habillage
juridique méticuleux.
« Une fois de plus, le Gouvernement entonne le même refrain, quel que soit le
sujet ou le projet : il n'y pas d'autre politique possible, il n'y a pas
d'autre solution envisageable ! (...)
« Admettre le report ou le non-report, comme vous l'avez fait depuis 1993 » -
entendez depuis 1997 - « c'est déjà reconnaître qu'il existe d'autres
possibilités et que s'est d'abord exprimée une préoccupation politicienne avant
ce qui est devenu pour vous une nécessité juridique.
« Si le Gouvernement était si sûr de son bon droit, celui de l'impératif
juridique, pourquoi a-t-il laissé s'engager des négociations, des tractations
au sein de la majorité ?
« Si telle était la réalité, monsieur le ministre d'Etat, connaissant l'estime
et l'amitié que vous portez à certains responsables de la majorité, on vous
aurait certainement entendu leur dire : "Désolé, chers amis, il n'y a rien à
négocier, c'est la loi !"...
« Monsieur le ministre d'Etat, tout cela démontre l'inanité de vos remarques
sur les motivations exclusivement juridiques de ce projet de loi.
« Il est encore plus grave de constater une fois encore que, lorsque la gauche
est au pouvoir, notamment avec le parti socialiste aux commandes » - vous
faites l'inversion - « elle se sert des institutions bien plus qu'elle ne les
sert ». (...)
« ... que les lois sont faites sur mesure non dans l'intérêt supérieur du
pays, mais pour servir des ambitions personnelles. (...)
« En la circonstance, pour arranger les affaires intérieures de la majorité,
dont l'union n'est qu'un vernis qui se craquelle chaque jour un peu plus,...
vous n'hésitez pas à "triturer" les rendez-vous des Français avec la
démocratie, et ce au nom de la tradition républicaine. Hélas ! pour vous, c'est
justement la tradition républicaine qui impose le respect des échéances
électorales et politiques ! (...)
« En fait, ce projet de loi » - entendez cette proposition de loi organique -
« ne vise qu'à satisfaire l'appétit de pouvoir et les ambitions d'un homme : M.
Jacques Chirac » - entendez M. Lionel Jospin. (...)
« Oui, j'affirme que c'est un projet pour les convenances personnelles de "M.
le Premier ministre", qui, sans jamais rien concéder, ne souhaite pas faire
deux campagnes électorales successives.
« Mais qu'il choisisse ! Qu'il crédibilise davantage sa volonté d'être
candidat à l'Elysée ! C'est légitime, on le comprend. (...)
« Quelqu'un d'autre "à gauche" disputerait-il à "M. Jospin" son siège et son
leadership
dans la "majorité » ? (...)
« En vérité, si "M. Jospin" ne veut pas faire deux campagnes, c'est au moins
pour deux raisons.
« D'abord, il veut négocier au prix le plus élevé le siège de premier
magistrat pour le cas où il entrerait à l'Elysée. D'ici là, gare à celui qui
entravera son chemin. Je ne cite personne, mais vous savez à qui je pense.
(...) »
« Ensuite, parce que son entrée à l'Elysée est loin d'être évidente, "M.
Jospin" ne veut pas tout perdre : conserver sa circonscription de
"Cintegabelle" serait sa consolation » (...)
« Vous auriez déclaré » - je cite encore - « de façon tonitruante, toujours
avec la même assurance et la même certitude, qu'aucun impératif ne nécessitait
le report des élections "législatives", qu'après un examen minutieux les
contraintes techniques, juridiques pouvaient être surmontées et ne
constituaient aucunement un argument déterminant en faveur d'une modification
du calendrier électoral. »
Les propos suivants, au regard du texte de 1994, sont très intéressants : «
Dans une démocratie vivante, la vie politique est rythmée par le calendrier
électoral. Vous affirmez que la concomitance des deux scrutins est de nature à
brouiller le débat essentiel, et j'ajoute, sans être mathématicien, que
l'inversion des facteurs ne change pas l'équation.
« Pourquoi feindre d'oublier que, dans notre système institutionnel, la durée
inégale des mandats électifs amène immanquablement ce type de coïncidence, de
télescopage ? Et si le Conseil constitutionnel, comme l'a rappelé M. le
"ministre" a, à plusieurs reprises, validé les reports et modifications du
calendrier électoral, c'est parce qu'il a toujours tenu compte de ces éléments
incontournables.
« Vous-même, dans votre exposé des motifs, que dites-vous, "monsieur le
ministre" ? : "La succession à des dates rapprochées de deux consultations de
nature très différente ne peut qu'être nuisible à la clarté de l'expression du
suffrage universel par les effets d'influences réciproques ainsi induits." Quel
aveu ! (...)
« Vous avouez, parce que vous reconnaissez que c'est bien l'élection
présidentielle qui a des effets d'influence sur les élections "législatives" et
non l'inverse.
« C'est l'un des signes les plus manifestes de la faiblesse de votre
argumentation, c'est là que le bât blesse. Vous voulez doubler la mise
électorale : vous pensez qu'en reportant les élections "législatives" l'onde de
choc de l'élection présidentielle sera telle que "la gauche" touchera le gros
lot à ces élections "législatives" ! » (...)
« Si, avec un tel pari, nous ne connaissons pas encore le vainqueur, nous
savons déjà qui sera la grande perdante » : la démocratie.
M. Daniel Goulet.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
« Vous faites disparaître un grand moment civique, les élections
"législatives", derrière l'autre grand moment civique, l'élection
présidentielle... (...)
« En effet, après le matraquage de la campagne présidentielle, les Français
n'auront ni le temps ni la possibilité, et encore moins l'envie, de
s'intéresser aux élections "législatives", alors que chacun sait qu'ils leur
accordent une place privilégiée... (...)
« Vous auriez pu trouver, monsieur le "ministre", un autre argument que celui
sur lequel vous avez bâti votre démonstration. La faiblesse de votre
argumentation est patente, évidente. Etonnez-vous, après cela, que votre projet
n'emporte pas notre conviction !
« Sans pour autant approuver l'idée de report des élections "législatives",
mais pour vous prouver, si besoin est, que vos motivations sont d'ordre
politique, voire politicien, je vais me placer, un instant, sur votre
terrain.
« Supposons qu'il soit nécessaire de reporter les élections "législatives". Il
existe d'autres solutions, plus conformes aux règles et principes en vigueur !
Vous avez déclaré que le Conseil constitutionnel a validé, à plusieurs
reprises, le report des élections pour des circonstances exceptionnelles. » Il
n'a jamais été saisi sur ce point précis. « Il n'y a donc pas de jurisprudence,
et l'insécurité juridique dont certains ont fait état n'est que pure
spéculation intellectuelle.
« S'il avait voulu respecter le calendrier électoral, le Gouvernement aurait
pu proposer la tenue des élections législatives » à la mi-mars 2001.
Réduire de deux ou trois semaines le mandat législatif aurait été plus
judicieux. « Même le Conseil d'Etat aurait admis que nécessité fait loi et qu'à
titre exceptionnel le Gouvernement était fondé à agir ainsi. (...)
« Ajouterai-je que cette solution, acceptable par tous, n'aurait fait l'objet
d'aucun recours devant le Conseil constitutionnel ? » (...)
« Voilà, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, deux autres solutions
possibles, réalisables, conformes à l'esprit et à la lettre de la Constitution
et préservant l'intérêt général. D'ailleurs, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il
pas voulu les retenir et encore moins les explorer » s'il n'était animé
d'aucune arrière-pensée politique ?
« S'il est un sujet qui se prête à une concertation élargie, c'est bien
celui-là. Or, vous ne l'avez pas voulue, et pour cause ! Vous portez ainsi un
coup préjudiciable au bon déroulement de notre vie démocratique... » (...)
« Vous savez également que votre "proposition" de loi engendrera des
difficultés insurmontables au moment où il faudra faire la part de ce qui
relève de la campagne présidentielle de ce qui a trait aux élections
"législatives". (...) D'ailleurs, nous reviendrons sur ce point lors de
l'examen des amendements », ajoutait l'auteur de ces lignes.
« Au terme de ce propos, mes chers collègues, je veux réaffirmer que ce ne
sont que des préoccupations politiciennes et des considérations purement
tactiques qui motivent le texte qui nous est présenté. (...)
« Il espère tirer profit aux "législatives" de la dynamique de la victoire de
l'un des siens à l'élection présidentielle. (...)
« Oui, vos actes contredisent vos pensées. Votre proposition de loi mériterait
de s'intituler : "Citoyens, prenez garde, une élection peut en cacher une
autre".
« On sait d'expérience que l'année de l'élection présidentielle politise tous
les autres événements. En fixant les "élections législatives" quelques jours
après l'élection présidentielle, votre calcul est purement politicien. C'est
une habileté manoeuvrière.
« On ne peut même pas dire que vous apportez une mauvaise solution à un vrai
problème. La seule contrainte n'était pas insurmontable, loin s'en faut, et
c'est parce que ce dossier est indéfendable, monsieur le "ministre", qu'en la
circonstance, permettez-moi de vous le dire, vous êtes un mauvais avocat. Même
pour des causes perdues d'avance, vous nous avez habitués à plaider avec
davantage de brio. (...)
«Vous ne semblez plus, depuis quelque temps, avoir emprunté le chemin de la
victoire. Si vous étiez si confiants, vous n'auriez pas eu besoin de recourir à
de telles manipulations. Les insuccès et les reculs » - quelle pertinence ! - «
toujours plus évidents du Gouvernement ne vous qualifient pas pour être sûrs et
dominateurs comme vous l'êtes.
« S'il est une manipulation que vous ne pourrez pas accomplir, c'est celle de
contrarier la volonté d'une majorité de Français qui s'opposent et s'opposeront
davantage à votre politique. Plus nombreux sont, chaque jour, celles et ceux
qui mesurent les conséquences et les méfaits de votre gestion. (...)
« Vous voulez, monsieur le "ministre", nous tendre un piège. Pénétrez-vous de
cette idée : plus vous finassez, plus vous nous stimulez.
« Avec d'autres, nous saurons tirer tous les avantages de ces mesures néfastes
que représentent aussi bien cette modification du calendrier électoral que
l'ensemble de votre politique. »
Je termine là cette longue citation, mais je pourrais continuer.
J'ajoute cependant que ce discours, dont on peut lire le texte original dans
le
Journal officiel
du Sénat relatant les débats de la séance du 7 juin
1994, aux pages 2239 à 2243, avait été salué par des bravos et des
applaudissements sur les travées socialistes et communistes. Mais qui a
prononcé, en 1994, cette diatribe si pertinente pour le dossier dont nous
discutons aujourd'hui ?
Eh bien, ce n'est autre que notre collègue Guy Allouche, auquel je me permets
d'adresser mes félicitations pour la magnifique facture prophétique de son
texte d'alors, un texte aujourd'hui quasi septennal qui m'a interdit toute
oeuvre originale.
(Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
J'ai simplement remplacé, notamment, les
mots « municipales » par « législatives », « ministre d'Etat » par « ministre
», « Chirac » par « Jospin », « RPR » par « parti socialiste » et « Paris » par
« Cintegabelle » !
A l'évidence, mes chers collègues, tout cela pourrait nous amener à une autre
théorie sur la relativité.
(Sourires.)
Mais nous ne nous sommes pas
écartés de la réalité du débat qui nous rassemble aujourd'hui : tout cela,
c'est du bricolage pour élection, et c'est inacceptable.
Voilà pourquoi les membres du groupe du Rassemblement pour la République,
s'appuyant sur les réflexions de notre collègue socialiste M. Guy Allouche,
diront : « non » à l'inversion du calendrier électoral.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat
organisé aujourd'hui me paraît empreint d'un opportunisme politique sans
précédent.
En effet, nous sommes réunis pour nous prononcer sur la proposition de loi
organique visant à inverser le calendrier électoral de 2002 en prolongeant les
pouvoirs de l'Assemblée nationale jusqu'au troisième mardi de juin 2002, au
lieu du premier mardi d'avril, afin que la prochaine élection présidentielle
ait lieu avant les élections législatives.
Je me suis interrogé. Dans un Etat de droit, la pratique est-elle de changer
les règles électorales aussi près de l'échéance ? La réponse est non. Pourquoi
vouloir inverser le calendrier électoral ? Existe-t-il une justification
d'ordre constitutionnel qui m'aurait échappé ? La réponse est encore non,
surtout après l'excellent exposé de notre collègue René Garrec.
Afin de tenter de donner quelque noblesse à ce qui n'est rien d'autre qu'une
manoeuvre électorale, les partisans du vote de cette loi organique se réfèrent
à l'esprit des institutions, qui commanderait, dit-on, de commencer par
l'élection présidentielle pour continuer par les élections législatives.
Le vote de cette loi organique ne se justifie nullement. J'irai même plus loin
: cette proposition de loi n'est qu'une pure mesure de convenance politique, et
ce à trois égards : elle ne dispose d'aucun fondement constitutionnel ; elle
remet en cause la nature même de nos institutions ; elle n'a pour unique but
que d'arranger le calendrier électoral en faveur du Premier ministre et du
parti socialiste !
Je tiens, tout d'abord, à rappeler le profond respect que j'attache à la
constitution de la Ve République.
Les valeurs définies par la Constitution se placent à la tête des valeurs
juridiques normatives. Il en résulte que tous les organes législatifs et
exécutifs de notre pays, tous les citoyens, toutes les personnes physiques et
morales qui séjournent sur le territoire de notre pays, toutes les communautés
humaines doivent les respecter.
Je pense qu'il est important de rappeler à certains l'intangibilité de la loi
fondamentale et l'importance qu'il y a à protéger de manière impérative ses
dispositions dans la mesure où la proposition de loi organique qui nous est
aujourd'hui soumise ne dispose d'aucun fondement constitutionnel.
Il n'est écrit nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle
doit avoir lieu avant les élections législatives. Chaque élection doit
intervenir lorsque son échéance naturelle survient. Les élections législatives
doivent avoir lieu aux dates définies à l'article L.O. 121 du code électoral,
c'est-à-dire dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la
cinquième année qui suit l'élection, comme c'est le cas depuis 1958.
A ce propos, je tiens à souligner que les élections législatives ont déjà
précédé l'élection présidentielle à trois reprises, et ce de manière tout à
fait normale : premièrement, les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection
présidentielle le 21 décembre 1958, soit un mois après la naissance de la Ve
République ; deuxièmement, les 23 et 30 juin 1968, pour une élection
présidentielle les 1er et 15 juin 1969 ; troisièmement, les 4 et 11 mars 1973,
pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai 1974.
Que les élections législatives interviennent avant l'élection présidentielle
s'est donc déjà produit durant la Ve République. Cette situation est tout à
fait normale, d'autant qu'aucun événement dans la vie politique de notre pays
n'est intervenu. Il n'y a, en la circonstance, aucun caractère exceptionnel qui
nécessiterait, contrairement à ce que le Premier ministre a affirmé dans son
discours devant l'Assemblée nationale, le 19 décembre dernier, de « rétablir le
calendrier normal quand il est encore temps ».
Je relève, à ce propos, que les expressions employées par le Premier ministre,
parlant de « rétablissement » ou disant encore « si le calendrier électoral est
remis sur pieds », sont révélatrices d'un véritable jugement de valeur qui vise
à nous faire croire qu'il existe un problème dans le calendrier électoral. En
l'espèce, il n'est pas nécessaire de revenir à une situation qui existait
auparavant, il s'agit d'appréhender une situation à venir.
Je le répète, les élections législatives sont déjà intervenues avant
l'élection présidentielle, et ce à trois reprises. C'est une situation normale.
En conséquence, la proposition de loi organique qui nous est soumise
aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la Constitution, qui ne définit, ni
en pratique, ni en théorie, l'ordre des élections.
En outre, cette proposition de loi organique est inutile et touche le coeur
même de nos principes constitutionnels.
Il est, en effet, parfaitement inutile de modifier le calendrier électoral,
puisque celui-ci est, en réalité, commandé par des éléments d'ordre
constitutionnel que la loi organique ne peut en aucun cas modifier : droit de
dissolution, démission ou décès du Président de la République.
Si cette proposition de loi organique est adoptée et que le Président de la
République dissout l'Assemblée nationale, démissionne, ou décède quelque temps
après son élection, que se passera-t-il ? Le calendrier électoral sera de
nouveau modifié.
Le débat nous conduit donc à nous interroger sur le droit de dissolution
auquel le Gouvernement s'en prend, oubliant qu'il est inscrit dans l'article 12
de la Constitution.
Affirmer qu'en cas de dissolution les élections législatives auraient lieu
après l'élection présidentielle reviendrait à faire dire à la Constitution ce
qu'elle ne dit pas.
En effet, la Constitution précise qu'en cas de dissolution les élections
législatives doivent, en vertu de l'article 12, obligatoirement intervenir dans
un délai de vingt jours au moins et quarante jours au plus à compter de la date
de la dissolution. Cet article détermine le moment auquel les nouvelles
élections législatives doivent avoir lieu. En conséquence, la loi organique ne
peut pas changer le moment des élections législatives sans porter gravement
atteinte à la Constitution.
Si le Gouvernement veut, dans le cas où l'élection présidentielle et les
élections législatives auraient lieu la même année, que l'élection
présidentielle précède les élections législatives, cela est possible, mais
seulement à condition d'intégrer ce principe dans notre Constitution. Or, si
nous le faisons, se posera un autre problème, celui de l'incompatibilité de ce
principe avec le droit de dissolution. Les élections législatives doivent, je
le rappelle, en vertu de l'article 12 de la Constitution, intervenir dans un
délai de vingt jours au moins et de quarante jours au plus à compter de la date
de la dissolution. Le droit de dissolution est donc susceptible de changer le
calendrier électoral à tout instant.
L'intégration de ce principe dans notre Constitution serait également
incompatible avec le droit qu'a le Président de démissionner et avec
l'éventualité de son décès. Ce serait complètement surréaliste, puisqu'il
faudrait interdire la mort du Président, sa démission et son droit de dissoudre
l'Assemblée nationale !
La proposition de loi organique ne peut en aucun cas constituer une garantie
de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances électorales. Personne ne peut
programmer à sa guise le calendrier électoral, c'est absurde !
Maintenant, admettons la théorie selon laquelle l'élection présidentielle doit
intervenir avant les élections législatives. Pour que cette théorie soit
applicable, deux mesures seraient à mettre en oeuvre.
Il faudrait tout d'abord supprimer l'article 12 de la Constitution, qui
prévoit le droit de dissolution. En effet, le maintien de ce droit permettant
au Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale, les élections
législatives balaieraient alors l'inversion.
Il faudrait ensuite élire, en même temps que le Président de la République, un
vice-président, comme cela se fait dans d'autres pays, de façon à assurer la
présidence jusqu'au terme du mandat électoral du Président en cas de démission
ou de décès de celui-ci. Mais cela ne correspond en aucun cas à la Constitution
de 1958 ; ça, c'est une autre République !
De surcroît, cette proposition de loi organique porte atteinte aux pouvoirs
propres du Président de la République à travers son atteinte au droit de
dissolution. Je tiens à rappeler l'alinéa 1er de l'article 12 de notre
Constitution : « Le Président de la République peut, après consultation du
Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de
l'Assemblée nationale. »
Cet article est très clair. Il fait du droit de dissolution une prérogative
personnelle du Président de la République. Il revient donc à ce dernier de
décider discrétionnairement s'il doit ou non faire usage de ce droit, dont
l'exercice n'est subordonné à aucune condition de fond il est subordonné
seulement à des conditions de forme, mais elles sont pratiquement
négligeables.
Quant à la forme, le Président de la République doit, avant de prononcer la
dissolution, consulter le Premier ministre, le président du Sénat et celui de
l'Assemblée nationale, mais il n'est nullement tenu de suivre leur avis.
S'agissant du pouvoir propre du Président, le décret de dissolution n'a pas à
être contresigné par le Premier ministre. Ce qui caractérise le droit de
dissolution prévu par l'article 12, c'est qu'il constitue pour le Président de
la République un pouvoir propre et effectif, une prérogative personnelle. Or
cette proposition de loi organique occulte totalement cette prérogative
présidentielle.
Le Président de la République dispose du droit de fixer le calendrier
électoral. Ce droit découle purement et simplement de son droit de dissolution.
En conséquence, cette proposition de loi organique remet en cause une
prérogative personnelle du Président de la République, c'est totalement
inconstitutionnel !
Les élections législatives doivent précéder l'élection présidentielle en 2002
en raison de la dissolution survenue en 1997. La proposition de loi organique
visant à inverser cet ordre constitue un report sans précédent dans l'histoire
de la Ve République, qui aura pour conséquence la prolongation du mandat des
députés sortants. Est-il logique que les députés prennent eux-mêmes la décision
de proroger leur propre mandat ? Un événement particulier est-il survenu pour
justifier que soit prise une telle mesure ? N'y a-t-il pas ici une atteinte
flagrante à la démocratie ? N'en déplaise à certains, admettre ce principe
ouvre la porte à de multiples abus.
L'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique pour fixer « la
durée des pouvoirs de chaque assemblée. » Il n'autorise en aucun cas à faire
varier les différentes législatures en fonction des
desiderata
de ses
membres ! La loi organique fixe une durée invariable du mandat législatif, et
non variable comme le dispose l'objet de la proposition de loi que nous
étudions aujourd'hui.
Par ailleurs, comme l'a brillamment démontré M. Louis Favoreu lors de son
audition devant la commission des lois mardi 9 janvier dernier, la réforme
entreprise va à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si le Conseil constitutionnel a accordé des reports de dates d'élections, par
des décisions intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles et en 1996,
celles-ci concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. En
conséquence, les enseignements que l'on peut tirer de ces décisions
s'appliquent
a fortiori
à la prorogation du mandat de l'Assemblée
nationale.
Or le Conseil constitutionnel a, chaque fois, validé la démarche en la
subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère
exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle
justification. Les motifs retenus par le Conseil constitutionnel ont été, par
exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité
de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec
une réforme du statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux
informés des conséquences de leur choix. Cette jurisprudence étant bien entendu
transposable au cas d'une élection nationale, le Conseil constitutionnel serait
donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification
proposée.
En outre, l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel, dans ses
recommandations du 23 juillet 2000, aurait donné par avance une justification à
l'inversion du calendrier est récusée par M. Louis Favoreu, qui estime que la
seule préoccupation du Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date
limite de présentation des candidats, peut être parfaitement satisfaite par une
fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une
clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit,
pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Le vote de cette proposition de loi organique ne dispose d'aucun fondement
constitutionnel, contrairement à ce que ses partisans veulent essayer de nous
faire croire. Elle ne repose que sur des arguments inconstitutionnels :
suppression du droit de dissolution et de démission du Président de la
République, sans oublier l'interdiction de son décès, mais encore atteinte aux
pouvoirs propres du Président de la République et prorogation sans aucune
justification du mandat des députés sortants. D'ailleurs, évoquer l'esprit d'un
texte pour justifier son bien-fondé, c'est avouer que sa lettre est muette sur
le point débattu.
Outre les arguments inconstitutionnels sur lesquels cette proposition de loi
organique est fondée, celle-ci soulève un problème grave, qui touche à la
nature même de notre régime.
Afin de comprendre les raisons pour lesquelles cette proposition de loi
organique porte atteinte à la nature même de notre régime, je tiens à rappeler
sa nature sous la Ve République.
Le régime de la Ve République présente un caractère mixte, à la fois
parlementaire et présidentiel : les emprunts au régime parlementaire sont
d'autant plus nombreux que c'est un tel régime que les constituants ont voulu
établir. Ils ont donc inscrit dans l'article 49 de la Constitution, ainsi alors
qu'ils étaient tenus par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, la règle
fondamentale du régime parlementaire en prévoyant que le Gouvernement était
responsable devant l'Assemblée nationale. Ils ont fait du Gouvernement un
organe collégial et solidaire. Ils ont organisé sa collaboration constante avec
les assemblées sur le plan législatif. Ils ont soumis le Président de la
République à l'obligation du contreseing pour certaines de ses décisions. Ils
lui ont attribué un pouvoir propre, le droit de dissolution, qui est tout à
fait significatif puisqu'on ne le trouve jamais dans un pouvoir présidentiel.
Ainsi, il existe des éléments incontestables de rattachement de la Ve
République au régime parlementaire.
Mais la Ve République a également réalisé des emprunts au régime
présidentiel.
La Constitution a nettement séparé mandat parlementaire et fonctions
ministérielles, et la révision de 1962, en faisant du Président l'élu direct
des électeurs, lui a assuré une autorité peu compatible avec le rôle qui est
celui du chef de l'Etat dans les régimes parlementaires contemporains.
Mais l'essentiel réside dans le fait que le Président de la République s'est
saisi de la plénitude du pouvoir, qu'il fixe les objectifs que le Premier
ministre est chargé de réaliser, qu'il contrôle les moyens que ce dernier
emploi, à cet effet, qu'il s'est attribué le premier rôle et qu'aucun titulaire
de la fonction n'y a renoncé.
Il faut ajouter que le Président de la République, s'il y a convergence
d'orientation politique entre la majorité et lui-même, peut choisir le Premier
ministre librement, qu'il participe au choix des ministres, leur adresse ses
instructions, qu'il convoque le Conseil des ministres, s'adresse à la nation,
prend des décisions et engage l'Etat, au moins dans certains domaines et,
notamment, dans celui de la politique étrangère, indépendamment du
Gouvernement. On est là très loin du régime parlementaire. Alors que celui-ci
associe constamment autorité et responsabilité, sous la Ve République, le
Gouvernement responsable ne dispose pas du pouvoir ultime et le Président qui
en dispose est irresponsable.
La Ve République participe donc à la fois d'un régime parlementaire et d'un
régime présidentiel. Elle possède un caractère mixte.
La question que pose cette proposition de loi organique est donc de savoir si
l'on souhaite mettre fin à la Ve République pour créer une nouvelle République.
Pour ma part, je pense que nous disposons de bonnes institutions qui ont
démontré leur valeur depuis 1958. Or quelles seraient les conséquences de cette
proposition de loi organique si ce n'est une modification de la nature du
régime de la Ve République ?
Dans son audition par la commission des lois, le mardi 9 janvier dernier, M.
Pierre Pactet a montré que cette proposition de loi organique conduirait à la
présidentialisation de notre régime. En effet, se prononçant contre un
changement de régime, il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un
régime présidentiel, puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de
l'inversion du calendrier électoral, rappelant ensuite que le régime
présidentiel ne fonctionnait que dans un seul pays, les Etats-Unis.
De même, pour certains membres de la majorité plurielle, la conséquence serait
une présidentialisation du régime de la Ve République. Les opposants au vote de
cette proposition de loi organique, membres de la majorité plurielle, affirment
que vouloir volontairement modifier le calendrier électoral en faisant passer
l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à
conférer un caractère mineur aux élections législatives au profit de l'élection
présidentielle, mise sur un piédestal. La démocratie s'en trouverait alors
gravement compromise.
En effet, l'élection présidentielle pousse à la bipolarisation de la vie
politique. Chacun s'organise autour de personnalités dites présidentiables.
Faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives
conduirait à la bipolarisation de l'élection des députés jusqu'alors épargnée
par ce jeu politique. Les députés, choisis en fonction de leur proximité avec
le Président, se verraient relégués à un rôle d'auxiliaire du pouvoir exécutif
disposant de l'essentiel des pouvoirs, ce qu'ils trouvent inquiétant pour la
démocratie.
D'autres membres de la majorité plurielle, favorables à la présidentialisation
du régime, sont partisans du vote de cette proposition de loi dans la mesure où
elle permettait de maintenir le temps fort que constitue l'élection
présidentielle. En maintenant les élections législatives avant l'élection
présidentielle, ils redoutent un second tour qui opposerait deux candidats,
dont l'un serait, s'il était élu, soutenu par une majorité au sein de
l'Assemblée nationale, tandis que l'autre serait
a priori
« empêché »
par une majorité hostile. Cela conduirait à diminuer le prestige de l'élection
présidentielle et à accepter par avance que les députés prennent le pas sur le
Président de la République.
Cette proposition de loi organique touche donc à la nature même de notre
régime, qui a jusqu'à présent bien fonctionné, en permettant la stabilité des
institutions et de l'exercice des pouvoirs. Je ne puis affirmer fermement
qu'elle conduira vers une présidentialisation du régime. Ce que je puis
affirmer, c'est que les institutions de la Ve République seront affectées d'une
manière ou d'une autre. Comme l'a parfaitement souligné M. Louis Favoreu lors
de son audition devant la commission des lois, il est préférable de toucher le
moins possible aux institutions, car les conséquences de telles réformes sont
difficiles à prévoir. Gardons-nous de prendre ce risque. Les institutions de la
Ve République sont bonnes et précieuses.
Maintenant, poussons le raisonnement plus loin. L'unique défaut que je relève
dans le régime de la Ve République est le risque de cohabitation. Les partisans
de la proposition de loi organique que nous étudions aujourd'hui nous affirment
que celle-ci permettra à l'avenir d'éviter la cohabitation. Je n'en crois rien.
Si l'on veut établir une garantie absolue contre la cohabitation, il est
nécessaire de changer de constitution.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois.
Deux options s'ouvrent alors à nous : bâtir une constitution calquée sur le
modèle de la IIIe République, confinant le Président de la République dans un
rôle secondaire, et revenant à un régime purement parlementaire, ou bien bâtir
une constitution sur le modèle américain en instituant un régime présidentiel,
ce qui implique la suppression du poste de Premier ministre, du droit de
dissolution et de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée
nationale.
Nous connaissons tous les dérives qu'a connues le régime parlementaire de la
IIIe République. Quant au régime présidentiel, je m'interroge sur la façon dont
serait résolu un conflit qui pourrait survenir entre le Président de la
République et l'Assemblée nationale.
Il s'agit bien de l'un des enjeux de cette proposition de loi organique : la
modification de la nature même de notre régime politique !
Ne nous y laissons pas prendre : cette proposition de loi organique, outre le
fait qu'elle méprise la Constitution de 1958 et porte atteinte à la nature même
de nos institutions, n'est qu'une pure magouille politique. N'ayons pas peur
des mots ! Derrière un argument institutionnel se cache la véritable raison
d'être de cette proposition de loi organique : une pure mesure de convenance au
service de l'ambition électorale du Premier ministre et du parti socialiste.
Cette proposition de loi organique n'est que le fruit d'un pur calcul
politicien. Le Premier ministre déclarait le 19 octobre dernier : « Toute
initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne. Moi, j'en resterai là. », c'est-à-dire au calendrier prévu. Cette
déclaration m'interpelle. Pourquoi, tout d'abord, le Premier ministre et son
gouvernement tiennent-ils tellement à cette réforme, alors qu'ils s'étaient
prononcés contre quelques mois auparavant ? Pourquoi ce revirement ? Et
maintenant, pourquoi le Premier ministre intervient-il, en soutenant, comme il
l'a fait dans son discours du 19 décembre dernier, cette proposition de loi
organique ?
Lors de sa déclaration, le Premier ministre affirmait : « Il a donc été
proposé de rétablir le calendrier normal quand il était encore temps. Je
partage cette conviction. » Pourquoi le Premier ministre a-t-il changé d'avis ?
Qu'a-t-il bien pu se passer dans son esprit ? Je m'interroge. Est-ce pour un
motif d'intérêt général que le Premier ministre a soudainement trouvé mieux de
faire passer les élections législatives avant l'élection présidentielle ? Je ne
crois pas. Serait-ce pour un motif d'ordre institutionnel ? Non, je vous l'ai
démontré tout à l'heure. Un événement important dans notre vie politique,
susceptible d'amener à changer le calendrier électoral, est-il survenu ? La
réponse est encore non. Cette initiative peut-elle être interprétée de façon
politique, voire politicienne - je reprends l'expression même du Premier
ministre ? Oui, simplement parce qu'elle constitue bel et bien une basse
manoeuvre de politique politicienne.
A ce propos, je ne comprends pas comment M. Jospin, qui rappelait récemment
qu'il n'avait pas approuvé la Constitution soumise à référendum en 1958, ose
maintenant s'ériger en prétendu défenseur de celle-ci. C'est quand même
paradoxal !
M. Patrick Lassourd.
Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois.
Si la réforme vise réellement un but légitime d'ordre institutionnel, pourquoi
n'a-t-elle pas été proposée plus tôt ?
Cela fait presque quatre ans que le Gouvernement socialiste est en place. Il
savait, depuis 1997, que les prochaines élections législatives se tiendraient
avant l'élection présidentielle. Il a eu largement le temps de réfléchir à la
nécessité d'organiser un débat sur l'avenir de nos institutions, loin des
contingences électorales. C'est avec intérêt que nous aurions participé au
débat, afin de déterminer si nos institutions devaient évoluer et, si oui, dans
quel sens.
Comme par hasard, le Gouvernement n'avait jamais évoqué le sujet. Et puis,
voilà quelques semaines, le Premier ministre a soudain été pris d'une
illumination. Il annonce « comme un cheveu sur la soupe », qu'il serait bon que
l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Comme l'affirmait, mardi 9 janvier dernier, M. Louis Favoreu, dont je partage
la conviction, le droit doit encadrer la vie politique et la réforme des
institutions ne doit pas être utilisée pour réaliser des « coups politiques
».
Nous ne sommes pas dupes de ce type de manoeuvres électorales. Les Français
sont intelligents et voient clairement le subterfuge. Le résultat de l'adoption
de cette loi organique, si elle est votée, sera d'assurer tranquillement au
Premier ministre qu'il sera le candidat du parti socialiste au premier tour de
l'élection présidentielle.
Il est, certes, bien plus facile d'adapter les règles du jeu à sa façon pour
s'assurer les plus grandes chances de succès aux élections.
Je tiens par ailleurs à saluer le grand courage politique dont a fait preuve
le Gouvernement en la matière ! Je remarque qu'il n'a pas pris la
responsabilité de déposer un projet de loi, évitant ainsi un examen du texte
par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres, sous la
présidence du Président de la République.
De plus, un projet de loi aurait comporté un exposé des motifs clair
permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est
absolument pas le cas de la proposition de loi organique qui nous est soumise,
dont les motifs avancés demeurent diffus, qu'il s'agisse du respect d'une
logique institutionnelle de la Ve République ou de la mise en cohérence avec la
réforme du quinquennat. A ce propos, M. Louis Favoreu a estimé que le Conseil
constitutionnel pourrait être conduit à émettre de sérieuses réserves sur le
texte après avoir exercé un contrôle des motifs, considérant qu'on ne pouvait
pas modifier une loi organique sans justification précise.
Le 19 décembre dernier, le Premier ministre déclarait à propos d'une réflexion
plus large sur l'avenir de nos institutions : « Ce débat, nous ne pourrons pas,
aujourd'hui, le mener à terme. Il devra être repris et approfondi, justement en
2002, afin que puisse être conduite une réforme positive de nos institutions.
»
Cette déclaration m'inspire deux remarques.
La première est que le Premier ministre avoue lui-même qu'un vrai débat sur
l'avenir de nos institutions ne peut être mené correctement aujourd'hui, car
nous ne disposons pas du temps nécessaire.
En tout état de cause, si la question de la réforme de la Constitution doit se
poser, elle doit être étudiée dans le calme et la sérénité. Il est nécessaire
d'entamer un grand débat national au cours duquel nous prendrons le temps
d'analyser en profondeur les différentes questions étudiées afin d'apporter les
réponses les plus cohérentes dans l'intérêt du fonctionnement de nos
institutions.
La seconde réflexion que m'inspire cette déclaration repose sur le cynisme qui
consiste à proposer l'ouverture d'un débat en 2002, c'est-à-dire après les
élections. Comme par hasard, me direz-vous !
C'est tout de même paradoxal ! Soit il fallait ouvrir le débat voilà quatre
ans, soit il fallait attendre la fin des échéances électorales de 2002, mais en
tout cas, ne pas poser la question aujourd'hui, en nous soumettant cette
proposition de loi organique.
Et quand le Premier ministre ajoute : « Mais il n'est pas interdit d'amorcer
dès maintenant cette réflexion », je réponds que l'avenir de nos institutions,
compte tenu de l'importance du thème, mérite bien mieux qu'une amorce de
réflexion, et qu'un véritable débat doit être organisé en profondeur et dans la
sérénité.
En conclusion, je dirai qu'il ne faut pas s'y laisser prendre. Cette
proposition de loi organique n'est qu'une pure réforme de convenance. Derrière
son habillage institutionnel, elle n'a d'autres inspirations que des
arrière-pensées politiciennes.
Non seulement elle n'est pas conforme à nos institutions, contrairement à ce
que ses partisans prétendent, mais en outre cette proposition de loi organique
remet en cause la nature même de notre régime politique.
Ainsi, à titre personnel, et pour permettre aux députés nouvellement élus de
pouvoir parrainer en toute connaissance de cause et dans un délai satisfaisant
la candidature de leur choix à l'élection présidentielle, je voterai les
amendements proposés par notre excellent rapporteur, dont l'exposé magistral
m'a convaincu.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici
donc engagés une fois de plus dans un de ces débats truqués et tronqués dont
notre vie politique est, hélas ! trop friande et auxquels nous, hommes
politiques, sommes trop prompts peut-être à nous y soumettre, donnant
l'impression que nous nous en satisfaisons, sous l'oeil mi-éberlué,
mi-goguenard de nos concitoyens, qui, eux, voient parfaitement combien ces
débats sont éloignés de leurs préoccupations quotidiennes.
Nous étions, voilà peu, un certain nombre à mettre en garde contre les risques
que courraient notre vie politique, notre démocratie et la Ve République, pour
avoir voulu ouvrir, en quelque sorte, la boîte de Pandore de la réforme des
institutions, au prétexte fallacieux de vouloir paraître moderne !
Voter le quinquennat, même si on pouvait y trouver quelques bonnes raisons,
c'était le premier temps de la valse. Nous voici invités à traiter du deuxième
temps, qui viserait, nous dit-on, à rétablir une logique, en fait une
pseudo-logique dans la séquence des élections. Quel sera le troisième temps et
les éventuels suivants ?
Personne ne semble pouvoir sérieusement le dire, puisque, à l'évidence, toutes
ces réformes ne sont initiées qu'au petit bonheur la chance, au gré des
circonstances, des rumeurs, des suppositions sur les avantages électoraux que
tel ou tel croit pouvoir en espérer ! Décidément, plus ça change et plus c'est
la même chose !
Il me revient en effet ce propos d'André Malraux dans le discours qu'il avait
prononcé au palais des Sports le 15 décembre 1965 : « Je n'ai rien contre les
politiciens. Ils ne sont pas particuliers à la Ve République, ils ont peu
changé depuis la Grèce. En gros, ils forment, depuis des siècles, un club des
négociateurs. Aux objectifs historiques - donc à long terme - ils substituent
toujours l'objectif immédiat, c'est-à-dire, dans les temps modernes, électoral.
»
Et c'est bien de cela, mes chers collègues, qu'il s'agit, comme l'a d'ailleurs
remarqué Jean-Patrick Courtois à l'instant !
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée
nationale, M. le Premier ministre, sans doute trop affairé par les lourdes
obligations de sa charge, ne s'était pas aperçu du caractère, qu'il a qualifié
de fortuit, du calendrier électoral qui veut que, en effet, nous devrions
d'abord élire les députés, puis le Président de la République. Ce calendrier,
qu'il considère comme aberrant, résulte, avoue-t-il, de deux aléas dont on a du
mal à comprendre qu'il ne se soit pas aperçu plus tôt : M. Jospin se souvient,
en effet, soudain que le président Pompidou est mort en 1974 et que la dernière
dissolution est intervenue il y a trois ans et demi !
Pourquoi ne nous en a-t-il rien dit lors du débat du printemps dernier sur le
quinquennat ? Ou bien il ne s'en était pas aperçu et ce serait bien léger, je
ne lui ferai pas l'offense de l'imaginer ; ou bien il ne pensait pas, à
l'époque, avoir besoin d'un stratagème visant à changer la règle du jeu ; ou
bien, pire encore, il y avait déjà pensé, mais il le cachait, se réservant
d'attendre un moment plus propice pour mieux masquer la turpitude et la rendre
plus digeste à une opinion publique qui risquait d'être sceptique.
Dans l'une ou l'autre hypothèse, c'est bien d'une réforme de circonstance
qu'il s'agit et, comme toujours, c'est la vie démocratique qui en souffre !
Je ne suis pas le seul à penser de la sorte. Nos collègues communistes et
socialistes, en commission des lois, la semaine dernière, n'ont pas souhaité
débattre d'un texte qui nous était soumis au motif que, selon eux, il
s'agissait d'un texte de circonstances, ce qui était toujours mauvais. Sur le
principe, commme ils ont raison ! Cela devrait donc les inciter à nous
rejoindre pour rejeter ce projet - je crois que certains d'entre eux y sont
déjà prêts - exclusivement motivé par des considérations électorales, donc de
circonstances !
Tout, en effet, conduit à penser que ce débat est inspiré par une monumentale
hypocrisie.
Le débat est improvisé puisqu'il a été ajouté bien tardivement à l'ordre du
jour. Il est évidemment bâclé puisque - il semble d'ailleurs que cela devienne
une habitude sur les sujets importants - le Gouvernement a, une fois de plus,
décrété l'urgence.
Le débat sur les institutions a eu lieu à l'Assemblée nationale dans un
pseudo-préalable à la discussion du calendrier électoral, lui-même fictif. Mon
collègue et ami Patrick Devedjian avait d'ailleurs relevé que, dans
L'Hebdo
des socialistes
, on pouvait lire, le 8 décembre dernier, l'analyse suivante
: « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il serait difficile d'engager un
débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des
échéances nationales. » Tiens, tiens ! Ledit débat institutionnel du matin
n'était en fait qu'une tentative grossière et du reste avortée pour mieux faire
passer la petite manoeuvre électorale de l'après-midi.
Nous avons donc entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la
logique de la Constitution et le respect des principes établis par le général
de Gaulle.
Il est dommage qu'à l'affirmation de ces principes correspondent étroitement
les intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer.
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne
pouvait prévoir à seize mois de distance le résultat des élections, certes !
Mais les socialistes, eux, font quand même des prévisions.
La Revue
socialiste
de novembre dernier écrit : « Une lecture attentive des trois
précédents scrutins depuis 1997 met en évidence un rétrécissement de la base
électorale de la gauche plurielle et un recul sensible de ses résultats
électoraux ».
Il paraît qu'un proverbe chinois dit qu'il est toujours difficile de prévoir,
surtout l'avenir !
(Sourires.)
Au Gouvernement, notons que vous avez eu
le courage de vous attaquer à cette difficulté mais que vous avez eu aussi la
duplicité de tenter de mettre des garanties de vote vôté d'autant que, lors des
prochaines législatives, vous pourrez difficilement compter, cette fois-ci, sur
le maintien de l'extrême droite au second tour, cependant que la coalition
hétéroclite de la gauche plurielle se fragilise au point de devoir chercher,
ailleurs, des renforts inattendus.
Votre inquiétude est d'autant plus grande d'ailleurs que, depuis 1978, aucune
assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne
soit son tour d'être battue.
M. Jean-Patrick Courtois.
Elle le sera !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les
élections législatives, à se poser dès le lendemain en candidat susceptible de
l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
On pourrait dire bien sûr - et je suis certain que l'on ne manquera pas de le
relever - qu'à droite notre candidat pourrait courir les mêmes risques. Eh
bien, non ! et, à gauche, vous avez bien compris que ce n'est pas la même
chose, puisque ce ne serait pas le bilan de notre candidat qui aurait été ainsi
condamné. Il n'a malheureusement pas conduit la politique au quotidien depuis
1997.
M. Emmanuelli a d'ailleurs déclaré avec une grande franchise, le 27 novembre :
« Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas
vraiment favorable au candidat de la gauche » et M. Cambadélis venant à sa
rescousse d'ajouter : « On lève aussi l'hypothèque du centre. C'est un élément
secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir toujours en tête
: soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains que cela n'induise
une crise assez forte au sein de la droite au vu de la réaction du RPR, soit
elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du centre aux élections
présidentielles se réduit à néant. »
Je n'invente rien ! On trouvera ces fortes paroles écrites dans le marbre de
L'Hebdo des socialistes
du 8 décembre.
Il est ainsi évident que les socialistes ne font pas de politique
politicienne, n'est-ce pas ?
Le 19 octobre, il y a donc trois mois seulement, le Premier ministre en
personne condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral ; « Toute
initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne. Moi, j'en resterai là. » Eh bien, il n'en est pas resté là !
Dès lors, pourquoi reprocher à l'opposition d'analyser les choses comme le
Premier ministre l'a fait lui-même, il y a fort peu de temps ? S'il a compris
que son attitude ne pouvait qu'être comprise que comme politicienne, nous le
comprenons aussi bien que lui !
La vraie question est de savoir pourquoi ce Premier ministre qui affirme
toujours qu'il « fait ce qu'il dit » rompt aujourd'hui avec cette règle et fait
le contraire de ce qu'il avait dit !
La gauche, en effet, s'est toujours plainte d'une prise de décision sans
débat. Craignant l'excès de pouvoir présidentiel, elle pense que des élections
législatives préalables renforcent les pouvoirs du Parlement, que le
quinquennat réduit encore. La gauche a toujours tenu ce discours. Ainsi, M.
Jospin rappelait : « Je n'ai pas voté les institutions de la Ve République, ni
en 1958 ni en 1962. Je ne suis pas présidentialiste aujourd'hui. » Or il n'en
considère pas moins désormais que l'élection présidentielle doit structurer la
vie politique française. Quelle conversion ! Il nous offre le joli paradoxe de
vouloir renforcer le pouvoir du Président de la République contre son avis !
L'inversion du calendrier présenterait un second paradoxe. Alors que la
gauche, qui aura gouverné pendant cinq ans, s'affirme fière de son bilan,
l'examen de celui-ci serait occulté par le débat présidentiel. Car, s'il
succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de
socialisme n'aura plus guère de sens. Voilà qui est singulier...
Ainsi, les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu
l'esprit de la Ve République, prétendent lui rendre hommage en « rétablissant
la clarté institutionnelle et démocratique » parce que l'élection
présidentielle serait « l'élection directrice ». Cette affirmation doit être
pour le moins nuancée, surtout en période de cohabitation. Or celle-ci n'est
pas un accident : elle aura occupé neuf années sur vingt et une, et aura eu
lieu trois fois en trois mandats présidentiels !
Si les élections législatives se déroulent avant la présidentielle, les
candidats demanderont son soutien, dans chaque camp, au candidat présidentiel
le plus crédible. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger
son camp.
Il est faux de prétendre que l'ordre des deux élections obéirait à une
tradition constitutionnelle. Les législatives ont précédé les présidentielles à
trois reprises : les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle
qui s'est déroulée le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois plus tard, et cela
à la naissance de la Ve République ; les 23 et 30 juin 1968, avant l'élection
présidentielle des 1er et 15 juin 1969, soit un écart de moins d'un an ; en
1974, l'élection présidentielle, qui est intervenue quatorze mois après des
élections législatives, n'était évidemment par prévue mais on observera que le
président Giscard d'Estaing n'avait pas cru devoir dissoudre l'Assemblée pour
assurer la prééminence de son programme sur celui des partis qui composaient sa
majorité préalablement élue.
On objectera que, parmi ces trois précédents, la première élection
présidentielle n'a pas eu lieu au suffrage universel. Cet argument est sans
valeur car, en 1958, l'influence des partis était encore beaucoup plus forte
qu'aujourd'hui. S'agissant du second cas, pourrait-on valablement soutenir que
onze mois de délai sont convenables, mais que six semaines ne le sont pas ? Il
faudrait alors définir le délai admissible !
Le Président tient sa prééminence de la Constitution. Or cette dernière ne
fixe aucun ordre dans les élections. Les socialistes veulent, en réalité,
ajouter à la Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont
jamais fait débat depuis 1958.
Chacune des élections prochaines vient à son échéance naturelle. Il n'y a rien
à rétablir. Les législatives viennent à l'échéance fixée par l'article LO 121
du code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi
d'avril de la cinquième année qui suit l'élection. Il en est ainsi depuis 1958,
et il n'y a donc rien à rétablir.
La date de l'élection présidentielle est fixée depuis la mort du président
Pompidou, soit depuis vingt-six ans. Les deux élections viennent donc à un
moment parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Il se trouve qu'elles
ont lieu la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce
qu'affirme le Gouvernement. S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection
présidentielle qu'il lui faut modifier. Et, s'il ne le fait pas, c'est parce
qu'il n'a pas de majorité constitutionnelle pour cela. Vous pouviez le faire à
l'occasion de la réforme du quinquennat : vous ne l'avez pas demandé !
En définitive, le Gouvernement ne s'en prend à la date légitime et
traditionnelle des élections législatives que parce qu'il n'a pas de majorité
pour modifier la date de la présidentielle, date qu'il prétend illégitime. Il
s'agit donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement conteste en fait que les deux élections aient lieu la même
année ; or cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui impliquait
un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002. Votre proposition revient
en réalité à contester le droit de dissolution. Implicitement, le Gouvernement
et sa majorité contestent les conséquences de la dissolution de 1997, comme si
le terme normal de la législature n'avait pas été envisagé à ce moment-là.
Or l'effet le plus évident de cette dissolution est bien le renouvellement de
l'Assemblée nationale en 2002 !
Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu
et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant
les législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de dissoudre. Il
n'y a donc aucun hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral, qui
dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi organique
: la dissolution, la démission du Président ou sa mort.
Si le Président démissionne ou meurt dans les six mois suivant l'élection
législative, le calendrier est à nouveau renversé. Vouloir que, en cas de
dissolution, les élections législatives soient renvoyées après la
présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi organique ne
peut pas faire. Malgré le vote de votre loi, les élections législatives
pourraient avoir lieu avant la présidentielle. Il suffirait, par exemple, que
votre majorité n'en soit plus une et que le Président soit conduit à dissoudre
à nouveau. C'est donc la dissolution qui est la matrice du calendrier.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous
entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais
d'autres dissolutions ne manqueront pas de survenir. Le président Mitterrand,
notamment, en a usé à deux reprises. L'article 12 dispose que, en cas de
dissolution, les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante
jours au plus tard après la dissolution. La Constitution est claire : on ne
peut pas changer la date de ces élections par une simple loi organique.
Le Gouvernement soutient que, quand les deux élections ont lieu la même année,
la présidentielle doit précéder les législatives. Le seul moyen de pérenniser
ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors
incompatible avec le droit de dissolution. Il faudrait donc supprimer ce
dernier, interdire la démission du Président de la République - voire sa mort !
- quand elle suit des élections législatives. Ou alors il faudrait instituer un
vice-président ; ce serait quand même changer fondamentalement la Constitution
!
L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un
bouleversement profond de la Constitution. C'est donc bien, encore une fois,
compte tenu du contexte dans lequel elle nous est présentée, une loi de
circonstance qu'on nous demande de voter.
Ce report des élections législatives est sans précédent sous la Ve République.
Il a pour effet de proroger au-delà de cinq ans le mandat des députés sortants.
Le Conseil constitutionnel l'a, certes, déjà accepté, mais uniquement pour des
élus locaux, la décision étant prise par le Parlement. Tel n'est pas le cas en
l'occurrence, puisque des élus prorogeraient leur propre mandat, ce qui
constituerait tout de même un précédent important pour une démocratie !
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer
« la durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Mais il ne permet pas de faire
varier la durée de chaque législature au gré de ceux qui la composent.
Ce qui est moralement le plus choquant, c'est bien cette prorogation par les
députés eux-mêmes de leur propre mandat, d'autant plus discutable qu'aucun
événement imprévu n'est survenu : on savait très bien en 1997 que les
législatives auraient lieu en 2002.
MM. Alain Gournac et Louis de Broissia.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Encadrée par la Constitution, la loi organique a l'obligation d'assurer une
durée juridiquement stable à la législature.
Le Conseil constitutionnel a également estimé, dans sa décision du 6 juillet
1994, que la mesure de prorogation devait demeurer exceptionnelle. Or le
rapprochement des élections présidentielle et législatives n'a, en principe,
rien d'exceptionnel.
C'est donc bien, je le répète, d'une loi de circonstance qu'il s'agit mais,
lorsqu'on évoque les problèmes constitutionnels, il n'est jamais inutile de les
restituer dans un cadre historique.
Nous savons tous que la IVe République avait mis en évidence l'inefficacité
spectaculaire du régime parlementaire, ce qui avait permis de montrer que seule
la haute administration avait pu maintenir le pays quand la durée de vie
moyenne des gouvernements n'était que de sept ou huit mois. Il fallait donc à
la France un régime qui puisse, à travers la personnalisation du Président de
la République, imposer une politique propre à redresser le pays.
A Bayeux, le général de Gaulle avait bien montré le chemin. Il fallait pour
cela, certes, écarter encore les réticences des professeurs de droit auteurs de
la Constitution de la IVe République.
Notons bien que la Constitution dont nous parlons aujourd'hui n'est pas celle
qui a été écrite en 1958, et ce n'est pas non plus l'esprit de la Constitution
dont on nous parle aujourd'hui. René Garrec, notamment, a démontré que personne
ne pouvait vraiment savoir de quoi l'on parlait. Cette Constitution n'est pas
celle qui a été pratiquée. En réalité, elle n'a duré que de 1962 à 1986.
Une nouvelle lecture en a été révélée en 1986, lorsque François Mitterrand,
bloqué par la première cohabitation, s'est demandé quels étaient ses pouvoirs :
gardien de la Constitution, maintien de la République, surtout en période de
troubles, nomination des hauts fonctionnaires et des ambassadeurs - et donc
chef de la politique étrangère - et chef des armées.
Le président Mitterrand a appliqué
stricto sensu
la lettre de la
Constitution. L'affaire des ordonnances pouvait juridiquement donner lieu à
deux interprétations différentes.
Pascal Clément, à la tribune de l'Assemblée nationale, l'a justement rappelé,
« la pratique gaullienne était bien différente. Même si elle ne suivait pas la
lettre, tout le monde en France était soulagé de voir un grand homme prendre la
situation en main, sortir de la guerre d'Algérie et imposer le suffrage
universel à une classe politique qui n'en voulait pas, menant la France vers la
stabilité. »
Ce n'est qu'au discours de Verdun-sur-le-Doubs, qui eut lieu juste avant les
élections législatives de 1978, que s'ouvrit une alternative. Le président
Giscard d'Estaing déclara alors que, si sa majorité perdait, il resterait à
l'Elysée. Tout était dit ! Une autre pratique de la Ve République était alors
envisagée. Les élections furent gagnées, mais il fut facile par la suite à
François Mitterrand de s'appuyer sur cette déclaration.
Compte tenu de la réforme de 1962, la cohabitation dénaturait la
République.
Nous sommes donc bien loin de la pratique de la Ve République première
manière, et reconnaissons qu'il est vraiment singulier que les socialistes
feignent aujourd'hui de paraître nostalgiques de cette première pratique.
J'ai indiqué au début de mon propos que nous en étions en quelque sorte au
deuxième étage de la fusée « Réforme des institutions », sans savoir d'ailleurs
s'il y en aurait d'autres.
Il s'agit bien de savoir, après l'instauration du quinquennat, quel est
l'avenir de la Ve République, surtout après plusieurs cohabitations.
Les socialistes et leurs alliés de circonstance nous proposent aujourd'hui
d'inverser, disent-ils, le calendrier électoral en prétendant, avec une
duplicité certaine, que c'est le rétablir ! Mais, si c'est le rétablir, alors
c'est que vous souhaitez bien revenir à la pratique de la Ve République,
première version. Dites-le clairement !
En réalité, l'« obscure clarté qui tombe des étoiles » signifie que c'est pour
vous une affaire d'intérêts purement conjoncturels. C'est un coup politique, et
là, en effet, vous vous situez bien dans l'héritage dont M. le Premier ministre
avait pourtant prétendu vouloir faire l'inventaire.
Je le redis parce que c'est totalement évident : on a institué le quinquennat
sans véritablement s'interroger sur ses conséquences. C'était logique ! Cette
réforme n'a pas été pensée par les socialistes, elle a été improvisée !
M. Jospin n'en avait pas dit un mot dans son discours de politique générale,
en indigne héritier de François Mitterrand, lui qui semblait faire la fine
bouche sur le passif successoral. Il en a toutefois décidé uniquement pour des
raisons politiciennes, et c'est le même processus qui nous est aujourd'hui
proposé pour le calendrier électoral.
Quelle sera, mes chers collègues, l'astuce suivante ? Réfléchissons-y : cela
nous permettra peut-être d'avoir, le moment venu, une analyse plus élaborée
encore. Et la réflexion n'est-elle pas une qualité que l'on reconnaît en
général au Sénat ? C'est bien pourquoi, d'ailleurs, il convenait de
s'interroger sur la « doctrine ».
La commission des lois a donc consulté, conformément à son devoir, et aussi
selon son « appétence », un certain nombre d'éminents professeurs de droit
constitutionnel.
Leurs opinions sur le sujet sont, comme il est habituel, diverses mais, comme
il est plus surprenant, quelque peu nuancées, et cela amène - pour sa plus
grande confusion - l'ancien étudiant en droit que je suis à formuler
l'irrévérencieuse contestation de certaines affirmations qui, me semble-t-il -
mais je peux me tromper ! -, est écrite en filigrane dans leur analyse.
M. René Rémond, membre de l'Académie française, président de la Fondation
nationale des sciences politiques, après s'être félicité de l'étendue de la
consultation organisée par le Sénat, a d'abord rappelé - pour, comme nous, le
regretter - le manque de débat qui a précédé le texte limitant la durée du
mandat présidentiel. Il a expliqué ensuite qu'il souhaitait inscrire sa
réflexion dans le long terme, indiquant par là même que l'opportunité d'une
réforme du calendrier à un peu plus d'un an des échéances électorales pouvait
susciter des soupçons de manipulation. Ah, ah ? Me voilà donc validé dans mes
réserves !
M. Rémond a rappelé que le postulat d'intangibilité des règles électorales peu
avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires,
s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité - tenez-vous
bien ! - les réformes des modes de scrutin intervenues en 1927, ainsi que -
tenez-vous encore mieux ! - l'adoption de la loi sur les apparentements, en
1951.
Quand j'ai lu cela, m'est revenue - pardon d'être un peu pédant - cette
formule latine :
horresco referens
. Reconnaissons qu'il s'agit d'une
référence peu honorable ! Je me demande même s'il ne s'agit pas d'une façon
très pudique, convenable, de laisser entendre qu'en effet il n'est pas
illégitime d'avoir des soupçons. C'est ce que j'appelle la « lecture en
filigrane ».
M. Rémond a en outre estimé opportun le choix du mois de juin comme date des
élections législatives, précisant que les facteurs habituels d'abstention tels
que ponts et départs en vacances lui paraissaient moins fréquents à cette
période qu'à d'autres...
Mes chers collègues, comme un certain nombre d'entre vous, je suis maire et
j'ai donc la charge d'organiser les élections : il ne m'est jamais apparu que
le mois de juin était la meilleure période pour obtenir une participation
massive des électeurs ! C'est le mois, par exemple, des voyages organisés par
les clubs du troisième âge...
M. Gérard Cornu.
Et les pêcheurs à la ligne !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Je parlais de filigrane et, en effet, M. René Rémond a relevé que qualifier la
modification du calendrier électoral d' « inversion » ou de « rétablissement »
était révélateur d'un certain jugement de valeur. Eh oui, les mots ont un sens
!
M. Rémond a aussi noté l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant
les effets d'une telle réforme sur le résultat du scrutin. Il a dès lors
souhaité que les « supputations » diverses n'occultent pas l'objet de la
proposition de loi.
Il a ensuite abordé ce qui lui semblait l'essentiel, à savoir les conséquences
d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonctions
présidentielles et législatives. J'oserai ici être irrévérencieux, car, j'ai
beau chercher, je ne vois pas ce qui peut susciter son optimisme !
M. Rémond me surprend également quand il parle de dissolution de convenance
s'agissant de celle de 1997. Toute dissolution, hors celle qui interviendrait
au cours d'une crise majeure - événement heureusement rare - n'est-elle pas,
d'une manière ou d'une autre, de convenance ? En faire le reproche, c'est
remettre en cause le principe même de la dissolution. Pourquoi alors ne pas le
dire clairement ?
M. Rémond a encore précisé que le calendrier actuel accentuait
l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la
renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale,
ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, ceci ayant été largement avalisé par
la suite par les citoyens.
J'observerai qu'on ne voit pas vraiment en quoi on renforcerait ainsi la
fonction présidentielle car les citoyens peuvent parfaitement élire par la
suite une assemblée non conforme aux voeux du Président nouvellement élu afin,
en quelque sorte, de ne pas mettre, comme le dit la sagesse populaire, « tous
leurs oeufs dans le même panier ».
M. Rémond, paradoxalement, a d'ailleurs reconnu que l'adoption du quinquennat
lui semblait avoir eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
C'est M. Guy Carcassonne, professeur à l'université Paris-X et chroniqueur
bien connu, qui a ensuite tenté de nous éclairer.
Il a indiqué tout d'abord qu'il était convaincu depuis 1997 de l'utilité de
l'inversion du calendrier électoral de 2002 qu'à l'inverse du Premier ministre
il avait donc prévue.
Il a affirmé que, de son point de vue, le rétablissement du calendrier était à
la fois constitutionnellement possible et institutionnellement
indispensable.
Il a indiqué qu'à plusieurs reprises des mandats électifs avaient pu être
prorogés avec l'assentiment du Conseil constitutionnel, celui-ci exerçant un
contrôle sur les objectifs justifiant une telle opération. Il a toutefois
observé que le mandat des députés n'avait jamais été modifié sous la Ve
République et que la présente proposition de loi organique n'était pas
contraire à la Constitution.
Il a néanmoins reconnu que le rétablissement envisagé du calendrier électoral
pour 2002 ne pouvait constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur
des échéances électorales ; il a estimé cette opération indispensable, le
calendrier actuel constituant, selon lui, une incongruité politique au regard
du fonctionnement institutionnel de la Ve République caractérisé par le fait
majoritaire.
Il a observé que l'élection présidentielle intervenue en 1958 après les
législatives ne pouvait être citée comme contre-exemple dans la mesure où il ne
s'agissait pas d'une élection au suffrage universel et où l'autorité du
président élu, le général de Gaulle, était incontestée. On peut s'interroger
sur la valeur d'un élément
intuitu personae
dans le débat
constitutionnel !
Il a évoqué les périodes de 1974 à 1995 au cours desquelles le Président de la
République n'a pas sollicité le renouvellement de l'Assemblée nationale par le
biais d'une dissolution. C'est ainsi que les gouvernements de MM. Raymond Barre
et Alain Juppé s'étaient, selon lui, heurtés à une sorte de dislocation de leur
majorité.
M. Carcassonne a estimé que le seul moyen d'assurer la solidité du pacte
majoritaire était de faire suivre l'élection présidentielle par les élections
législatives.
Certes, mais à condition que le résultat des élections législatives soit
conforme aux voeux du Président nouvellement élu : s'il ne l'est pas, tout ce
beau raisonnement tombe à l'eau !
M. Carcassonne a d'ailleurs conclu son propos en estimant que le calendrier
électoral n'était pas de nature à infléchir la nature du régime vers un modèle
de type plutôt présidentiel ou plutôt parlementaire et qu'il était également
sans effet sur l'importance du rôle joué par le Parlement dans le schéma
institutionnel. Il a observé que les périodes ayant suivi les élections
législatives de 1973 et de 1993, lesquelles avaient précédé l'élection
présidentielle, ne s'étaient pas caractérisées par une revalorisation du rôle
du Parlement.
Dans ces conditions, à quoi sert-il d'inverser le calendrier électoral ?
En réponse à une question de notre collègue Henri de Richemont, qui lui
demandait si l'inversion du calendrier électoral n'avait pas pour seul objet
d'éviter les dissensions au sein de la majorité gouvernementale, le professeur
Carcassonne a estimé que pareils objectifs suffisaient à justifier la
mesure.
Mais alors, mes chers collègues, ne se trouve-t-on pas dans ces conditions
devant la dissolution de convenance que critiquait le professeur Rémond ?
M. Patrick Lassourd.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
M. Didier Maus, professeur à l'université Paris-I et codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel
, a indiqué pour sa part « que
si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie
politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ».
Il a cependant regretté que les problèmes liés au calendrier électoral n'aient
pu être réglés deux ans avant les élections de 2002 - encore quelqu'un qui,
contrairement au Gouvernement, s'était aperçu de ces problèmes -, le
télescopage des calendriers n'ayant pas été évoqué plus en amont, notamment au
moment des débats parlementaires relatifs au quinquennat, bien qu'il ait
indiqué qu'une modification du calendrier électoral s'avérait de toute façon
indispensable, indépendamment des débats sur la durée du mandat
présidentiel.
Bien qu'il ait signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ans ne
pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, de 1974, de
1981 ou de 1988, il a estimé que, contrairement au cas présent où le
télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun
des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.
On peut de même s'interroger sur la pertinence absolue de l'argument qui
consiste à indiquer - ce qui est évidemment juste - que le Président de la
République est l'élément pilote de la vie politique et qu'il faut assurer sa
prééminence. Il convient donc d'éviter ce que M. Maus appelle une incohérence
constitutionnelle, et donc permettre que la majorité parlementaire soit un
fidèle soutien du Président de la République. Toutefois, M. Maus, pas plus que
les autres tenants de cette théorie, ne fournit le moyen d'être assuré que le
peuple en décidera bien ainsi !
Je parlais tout à l'heure de ce qui me semblait être écrit en filigrane. M.
Maus en a fourni une illustration lorsqu'il a pointé la difficulté de
dénomination de cette opération. Il a relevé plusieurs expressions employées
pour qualifier cette modification de la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale, évoquant tour à tour l'inversion, le rétablissement, la
modification, la remise en cause et l'aménagement. Il a constaté - comme il a
raison ! - que chaque mot était une arme, que l'inversion révélait une
connotation péjorative tandis que le rétablissement relevait d'un vocabulaire
erroné puisqu'il s'agissait non pas de revenir à une situation antérieure mais
d'appréhender une situation à venir. Il a marqué sa préférence pour le terme «
aménagement », estimant qu'il reflétait une plus grande neutralité dans le
choix du vocabulaire.
On me pardonnera, mais j'y vois pour ma part la reconnaissance implicite de la
combinaison - la
combinazione
, comme disent si bien les Florentins.
M. Maus a fait valoir que le calendrier pour 2002 issu du texte adopté par
l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier tour
de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour le 5
mai, le mandat du Président de la République Jacques Chirac expirant le
vendredi 17 mai.
Il a estimé que les élections législatives ne pourraient avoir lieu que les 2
et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt de candidatures serait en
conséquence fixée le 6 mai, le lendemain de l'élection présidentielle, et que
la campagne législative débuterait le 13 mai avant la prise de fonctions du
nouveau Président. Il en a déduit que ce délai serait beaucoup trop court pour
que le Président de la République puisse façonner une majorité et faire en
sorte que les différents camps se positionnent face à lui. Il a rappelé que
cette logique avait prévalu en 1981 et en 1988, le Président prenant
l'initiative de dissoudre l'Assemblée nationale. Tout ceci est donc de surcroît
incohérent !
Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code
électoral et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les
9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la
campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette
solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du
Président de la République.
Evoquer tous ces calculs, c'est véritablement montrer à quel point le
fonctionnement normal des institutions est secondaire par rapport aux
convenances personnelles !
En conclusion, M. Maus a affirmé que la modification du calendrier électoral
était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique mais
techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le
Président occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des
élections législatives. On le voit, nous sommes dans l'impréparation et dans
l'improvisation : en fait, c'est n'importe quoi !
M. Pierre Pactet, professeur émérite de l'université de Paris XI, a estimé,
pour sa part, que la réforme du calendrier électoral, sans bouleverser le
régime de la Ve République, appelait néanmoins de sérieuses réserves tenant à
la cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas
fait l'objet d'un débat approfondi portant notamment sur ses incidences sur le
régime, il a affirmé que celle-ci constituait l'une des plus grandes révisions
de la Ve République, comparable à celle de 1962 relative à l'élection au
suffrage universel direct du Président de la République et à celle de 1974
ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Il a rappelé - ce que nous étions d'ailleurs un certain nombre ici à penser -
que la révision constitutionnelle relative au quinquennat, décidée afin de
rendre la cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet effet, dans la
mesure où le droit de dissolution était maintenu et où le décès du Président de
la République - ou sa démission, ce qui serait une circonstance tout de même
plus heureuse - provoquait une nouvelle élection présidentielle du fait de
l'absence de vice-président de la République.
Ajoutant que les électeurs, dans un souci d'éviter une trop grande
concentration des pouvoirs, pouvaient très bien émettre des votes différents
lors des élections législatives et de l'élection présidentielle, il s'est
demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans une conception
nostalgique des périodes de convergence observées au début de la Ve
République.
Concernant la logique des institutions de la Ve République, il a noté que le
régime, à l'origine conçu en réaction contre le régime des partis, avait
beaucoup évolué et était redevenu un régime de partis, semblable en cela aux
autres démocraties occidentales. Il a ajouté que le Président de la République
ne demeurait la clé de voûte du régime que dans l'hypothèse où il était soutenu
par la majorité parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du
régime depuis la cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel,
puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du
calendrier électoral.
Il a de plus regretté le « pointillisme constitutionnel » consistant à réviser
la Constitution par réformes successives, au détriment d'une vision d'ensemble
des institutions, aboutissant à insérer des dispositions contradictoires dans
le texte constitutionnel.
En conclusion, il a noté qu'il n'était pas cohérent de modifier le calendrier
électoral sans agir sur le droit de dissolution ni, bien sûr, tenir compte du
décès éventuel du Président de la République. Il s'est ensuite prononcé contre
l'inversion du calendrier électoral, jugeant choquant de chercher à influencer
le résultat des urnes en agissant sur la date des élections. C'est précisément,
chacun l'aura compris, le sentiment que je m'étais forgé.
Enfin, la commission a entendu M. Louis Favoreu, professeur à l'université
Aix-Marseille-III et autre co-directeur de la
Revue française de droit
constitutionnel.
Il a regretté le penchant français pour les réformes institutionnelles. Il a,
en effet, jugé préférable de toucher le moins possible aux institutions,
estimant que les conséquences de telles réformes étaient difficiles à
prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer
la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée
pour réaliser des « coups politiques ».
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la
présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations
effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des
institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute
hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
M. Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une
dissolution - cela ne lui a pas échappé non plus, bien sûr -, la Constitution,
rappelons-le, prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et
quarante jours après celle-ci. Il a donc observé que le Gouvernement n'avait
pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, préférant soutenir une
proposition de loi, ce qui lui permettait ainsi d'éviter l'examen du texte par
le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres sous la présidence
du Président de la République.
Il s'est ensuite attaché à montrer que la réforme entreprise allait à
l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Je vous prie de me pardonner de m'y attacher un peu longuement, mais nous
sommes là au coeur de l'aspect juridique et constitutionnel de cette
question.
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas long, c'est très intéressant !
M. Alain Gournac.
C'est effectivement très intéressant !
M. Louis de Broissia.
C'est très fin !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Mes chers collègues, je suis très sensible à l'intérêt que vous portez à mes
propos. Je n'ai donc rien à me faire pardonner !
(Sourires.)
Nous sommes au coeur de l'aspect juridique et institutionnel de cette
question, disais-je, et il serait donc paradoxal que nous considérions cet
aspect des choses comme subalterne.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates
d'élections sont intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en
1996. Elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière,
mais les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent
a fortiori
à
la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Favoreu a ainsi observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois
validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à
savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et
l'existence d'une réelle justification. Il a noté que les motifs retenus par le
Conseil avaient été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs,
d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la
concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, de
permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur
choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une
élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc
amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée
alors que, en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle
avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et
1994.
M. Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel
aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans
ses recommandations du 23 juillet 2000 et il a estimé que la seule
préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de
la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement
satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10
mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2
avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de
l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était de surcroît plutôt
floue, le contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les
interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement
de pouvoir ».
Il a rappelé que certains avaient estimé que la proposition pouvait apparaître
soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du Président de la
République lors de la crise de la « vache folle », soit comme un instrument
ayant pour objet réel de favoriser l'élection de certains. Il a toutefois, lui
aussi, souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient
difficilement prévisibles selon les spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, à l'instar des quatre projets de loi
précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil
constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas le cas de la
proposition de loi organique, dont les motifs avancés restent diffus, qu'il
s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la
mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
En conclusion, le professeur Favoreu a considéré - ce qui est important - que,
dans un Etat de droit, les choix politiques devaient reposer sur des bases
juridiques claires, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, finalement, le Premier ministre, une
fois encore, se montre préoccupé de lui-même et de son avenir, plus que de
celui des Français et des institutions. Le marchandage auquel il se livre, par
exemple, avec les communistes pour obtenir d'inverser à tout prix le calendrier
électoral est significatif. Il n'a pas, ce faisant, un comportement en harmonie
avec les hautes fonctions auxquelles, semble-t-il, il aspire.
Les institutions ne sont pas à remettre sans cesse en cause. Elles sont un des
moyens de l'action politique.
Les socialistes, et tout d'abord le célèbre auteur du
Coup d'Etat
permanent,
François Mitterrand, se rallient à la Ve République « toute
honte bue », à condition, évidemment, qu'ils en prennent la tête et qu'elle les
serve.
M. Patrick Lassourd.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Le débat qui a été lancé sur l'inversion du calendrier électoral a conduit les
partisans de l'inversion à jouer à contre-emploi.
Alors que leur famille politique a, depuis des décennies, cherché à réduire le
pouvoir exécutif et celui du Parlement, voilà « nos bons apôtres » promus
défenseurs de l'institution présidentielle !
Les auteurs du
Programme commun de gouvernement,
en 1972, déploraient :
« Dans le régime actuel, le chef de l'Etat détient, dans la conduite de la
politique intérieure et extérieure, des pouvoirs exorbitants qu'il exerce sans
contrôle. »
Et voilà que soudain, en 2001, et en toute contradiction, un zélateur de
circonstance, M. Jospin, avec cette belle audace que l'on connaît aux
néophytes, se veut le défenseur de l'institution présidentielle, contre toute
la tradition de son parti.
Comment peut-il alors nous faire croire à sa bonne foi ? Ce n'est réellement
ni sérieux ni crédible.
Aujourd'hui, c'est le Premier ministre qui veut inverser le calendrier
électoral, contre l'avis du Président de la République. Ce dernier, comme le
général de Gaulle lui-même, n'a jamais perturbé le calendrier électoral
autrement qu'en faisant jouer le droit de dissolution que lui reconnaît la
Constitution, dans son article 12.
Or le Premier ministre s'arroge aujourd'hui le droit d'en disposer
autrement.
Le 9 février 1967, le général de Gaulle déclarait : « Il s'agit que
l'Assemblée future soit capable de soutenir une politique. » Jacques Chirac ne
se fait que le digne continuateur du général de Gaulle, car la politique qu'il
s'agit de soutenir, c'est bien sûr la sienne, celle du Président en place, et
non celle d'un hypothétique autre vainqueur d'une élection présidentielle à
venir.
M. Jospin veut, à n'en pas douter, remettre les compteurs à zéro ; il veut
sans doute se débarrasser, avant qu'elle ait été élue, d'une Assemblée
nationale renouvelée et gênante.
Mais si, d'aventure, ce nouveau grand défenseur de la Ve République venait à
être élu Président de la République, il pourrait toujours, une fois élu,
recourir au droit de dissolution, prérogative que nul d'ailleurs ne peut ni ne
veut supprimer au Président. Pourquoi redoute-t-il de prendre ses
responsabilités ? Parce qu'il sait parfaitement que le vote des Français aux
élections législatives en faveur de l'actuelle opposition sonnerait le glas de
ses espérances présidentielles.
Faut-il encore citer, par exemple, les
Mémoires d'Espoir
? Charles de
Gaulle, en effet, y écrivait : « Dès lors que je demandais au pays d'arracher
l'Etat à la discrétion des partis en décidant que le Président, et non plus le
Parlement, serait la source du pouvoir et de la politique, mieux valait prendre
quelque délai avant d'achever cette immense mutation. »
C'est aujourd'hui « la discrétion des partis », mais pas dans la bonne
acception du terme, qui veut l'inversion du calendrier électoral, et ce, hélas
! jusque dans les rangs de l'actuelle opposition.
C'est aujourd'hui le Parlement qui se veut la source du pouvoir et de la
politique en votant l'inversion du calendrier électoral à la demande d'un
Premier ministre en guerre ouverte contre le Président élu.
Mais quelle est donc la légitimité d'un Premier ministre non désigné
directement par le suffrage universel, socle de la démocratie, en face de celle
du Président de la République ?
Le Premier ministre ne sort-il pas de son rôle lorsque, par exemple, il joue
au Président
bis
à l'étranger ? La cohabitation n'est-elle pas ce « coup
d'Etat permanent » que le Premier ministre tente contre le Président ?
Matignon ne serait-il plus, en quelque sorte, qu'un « Charlety » qui aurait
réussi, sans traverser la Seine pour aller, jusqu'à l'Elysée, déloger le
Président ?
M. Jospin ne serait-il qu'un nouvel avatar du boulangisme qui s'arrêterait aux
portes de l'Elysée
(Exclamations sur plusieurs travées du RPR)
en attendant que le suffrage
universel, « reconditionné » par ses soins, lui ouvre les portes du palais
présidentiel, sans coup férir ?
Le peuple français n'est pas dupe du jeu des partis qui tentent maintenant de
biaiser les conditions de l'élection du Président au suffrage universel faute
d'avoir pu l'empêcher ni en 1962, ni ensuite.
Le peuple français reconnaît les manipulateurs qui se déguisent en défenseurs
de la Ve République, pour mieux l'abattre.
L'actuelle majorité et, à sa tête, le Premier ministre, n'ont pas de racines
politiques dans l'histoire de la Ve République. Ils tentent donc seulement,
comme le coucou, de s'installer par effraction idéologique dans le nid du
gaullisme, comme ils tentent aussi de le faire par leurs menus projets
d'épargne salariale, pour ne citer que celui-là, face à la grande bataille de
la participation dans l'entreprise.
Ces usurpateurs volatiles devraient regagner le vieux pigeonnier vermoulu des
ennemis de la Ve République !
(Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Marcel Lesbros applaudit
également.)
Non, décidément, nous, membres du groupe du RPR, du Sénat, nous ne pouvons
accepter une telle proposition, et vous conviendrez que, pour toutes ces
raisons, nous vous dirons non. Non, nous ne pouvons pas nous engager dans cette
voie. Nous la refusons.
En conclusion, je vous suggère de méditer la phrase célèbre de l'auteur des
Chênes qu'on abat
: « Vous qui briguez la fonction suprême, levez les
yeux sur ces crieurs du non qui se relaient au-dessus de la flotte nocturne des
vivants. » Comme pour Malraux en effet, pour nous, sénateurs du RPR : c'est
non, trois fois non ! Non à la tromperie ! Non aux faux-semblants ! Non à
l'aventure institutionnelle !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)
4
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
M. le président a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une
lettre en date de ce jour par laquelle le Gouvernement modifie l'ordre du jour
prioritaire de la séance d'aujourd'hui, mardi 23 janvier, qui s'établit
désormais comme suit :
A dix heures et à seize heures :
- suite de la discussion de la proposition de loi organique modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Acte est donné de cette communication.
L'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui est modifié en conséquence.
5
NOMINATION
DE MEMBRES DE COMMISSIONS
M. le président.
Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République a
présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères et une
candidature pour la commission des lois.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidente n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidature ratifiées et je proclame :
- M. René-Georges Laurin membre de la commission des affaires étrangères, de
la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par M. Xavier
Dugoin depuis le 17 janvier 2001 ;
- M. Laurent Béteille membre de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
en remplacement de M. René-Georges Laurin, démissionnaire.
6
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marini.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui
se poursuit dans cet hémicycle n'a-t-il pas quelque chose d'irréel ?
M. Patrick Lassourd.
Absolument !
M. Philippe Marini.
Je voudrais tout d'abord poser cette question.
En premier lieu, ce débat est irréel car, parmi les collègues attentifs au
déroulement de nos délibérations, ne semblent pas figurer celles et ceux qui,
apparemment, seraient les plus motivés en faveur de la proposition de loi dont
nous débattons. Sans doute est-il regrettable que leur capacité d'écoute ne
leur permette effectivement pas de suivre l'intégralité de arguments évoqués
par les différents orateurs.
Ensuite, ce débat est irréel compte tenu du sujet dont nous traitons. En
effet, mes chers collègues, il y a lieu de s'interroger sur la finalité de ce
débat, et donc sur la nature du texte. S'agit-il véritablement d'un sujet
important, structurel, durable, portant sur les institutions de notre pays, sur
la manière dont on doit les comprendre et les pratiquer ?
S'agit-il, plus simplement, de préparer une échéance électorale présente dans
tous les esprits ? Il y a une ambiguïté, un flou, que l'on devrait, me
semble-t-il, s'efforcer de lever.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Philippe Marini.
En outre, mes chers collègues, il s'agit d'un débat irréel, car il est en
décalage manifeste par rapport aux préoccupations normales et communes de nos
concitoyens, et qu'il se trouve, en quelque sorte, plaqué sur une évolution
économique et sociale qui va se caractériser, par exemple, après-demain, très
probablement, par un blocage de nombreuses fonctions collectives. Lorsque nous
rentrons, en fin de semaine ou le soir, dans nos départements, dans nos villes
ou dans nos campagnes, nous avons un peu de peine à faire comprendre à nos
concitoyens l'importance et l'urgence de ce dont nous délibérons ici.
M. Alain Gournac.
Ça, c'est exact !
M. Philippe Marini.
Alors que bien d'autres sujets sont attendus par l'opinion publique, on nous
impose de délibérer en urgence de l'inversion du calendrier électoral.
De ce fait, mes chers collègues, ne donnons-nous pas, de même que les pouvoirs
publics constitutionnels, à l'opinion publique une impression tout à fait
désastreuse ? Nous savons bien, en effet, que nos institutions apparaissent
souvent comme étant en décalage par rapport aux préoccupations de l'opinion
publique. Nous savons bien que les réponses strictement institutionnelles ou
juridiques apportées à des problèmes réels et concrets sont mal comprises par
l'opinion publique.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Souvent !
M. Philippe Marini.
Cela me paraît être un véritable mal français dans lequel nous nous enferrons
sans cesse davantage. Véritablement, aujourd'hui, nous demande-t-on, dans nos
villes, dans nos communes, dans nos campagnes, dans nos départements, de régler
la question de la date des prochains scrutins ? Ne nous demande-t-on pas plutôt
de progresser dans le sens d'une politique fiscale raisonnable...
M. Patrick Lassourd.
Tout à fait !
M. Philippe Marini.
... dans le sens de prélèvements obligatoires maîtrisés, dans le sens d'une
véritable réforme de l'Etat ? Ne serait-il pas plus raisonnable, monsieur le
ministre, au lieu d'obliger les parlementaires à consacrer tout ce temps à
débattre de l'inversion des scrutins, de les faire entrer plus vite dans une
discussion qu'on leur fait « miroiter », dont on leur parle depuis des mois et
des mois, et qui concerne la réforme de l'ordonnance organique sur les finances
publiques ?
(Ah oui ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ce
sujet ne devrait-il pas mobiliser davantage leurs énergies ?
M. Serge Vinçon.
Tout à fait !
M. Philippe Marini.
Je voudrais indiquer à ce propos que les membres de la commission des finances
ici présents ne peuvent qu'exprimer une certaine frustration. En effet, on
évoque des sujets extrêmement fondamentaux, et notamment la modification des
règles du jeu elles-mêmes, formant, en quelque sorte, la constitution
financière de la France. Ce point va certes commencer à être traité dès ce
mois-ci, semble-t-il, par l'Assemblée nationale. Mais, dans l'aménagement de
l'ordre du jour du Parlement, ne pourrait-il pas être prévu que ce dernier
concentre davantage son énergie sur des sujets vraiment porteurs d'avenir comme
celui-ci ?
Mes chers collègues, ce débat est donc irréel, mais il faut bien y
participer.
(Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Et, puisqu'il faut bien y participer - ainsi le veut l'ordre du jour, de même
que le fonctionnement de notre théâtre d'ombres -, il faut naturellement
reprendre un certain nombre d'arguments.
Il faut, en particulier, s'interroger sur les aspects constitutionnels du
problème.
Mes chers collègues, l'an dernier, nous avons assisté à un épisode tout à fait
étonnant, tout à fait paradoxal, qui, à la vérité, doit être relié à celui
d'aujourd'hui : nous avons vu le peuple français appelé aux urnes pour
apporter, par référendum, une modification à la Constitution, modification que
certains ont présentée comme essentielle et d'autres comme accessoire ; on a
même évoqué le caractère indifférent de la réponse du corps électoral.
Mais, au travers de ce référendum, une transformation, dont les conséquences
ont sans doute été mal mesurées, s'est produite. Nous avons également constaté
une désaffection sans exemple dans notre histoire politique récente de la part
du corps électoral, désaffection qui s'est traduite par un taux de
participation absolument dérisoire.
Mes chers collègues, n'est-ce pas un phénomène d'une extrême gravité ? Peut-on
ainsi impunément utiliser les textes fondamentaux, notre Constitution, pour en
faire en quelque sorte un enjeu de débats mécaniques, techniques ou visant
essentiellement à gérer des situations particulières dans les conditions
concrètes où l'on se trouve ? Ne devrait-on pas éprouver plus de respect pour
les textes fondamentaux ? Ne sommes-nous pas en train d'introduire notre pays
dans une nouvelle phase très grave d'instabilité constitutionnelle ? Vraiment,
mes chers collègues, est-il digne, est-il responsable d'appeler ainsi à terme
régulier et si fréquemment les parlementaires à se réunir en Congrès à
Versailles ? Depuis que j'ai l'honneur d'exercer ce mandat, mes chers
collègues, chaque année, nous avons le plaisir de cette petite excursion dans
le palais de nos rois.
M. Alain Gournac.
Il est si beau !
(Sourires.)
M. Philippe Marini.
Et si nous regardons le bilan de ces rectifications mineures, nous pouvons
nous demander si cela en valait réellement la peine. Monsieur le ministre, ne
faudrait-il pas envisager un nouveau véhicule juridique qui permettrait de
procéder périodiquement au toilettage nécessaire de la Constitution ?
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Philippe Marini.
Un jour, je m'étais permis d'évoquer cela en conférence des présidents du
Sénat - c'était évidemment sur le mode de la plaisanterie, mais une
plaisanterie sérieuse - en parlant d'un projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre constitutionnel ! C'était une suggestion que je me
permettais de faire pour alléger les ordres du jour, pour permettre de
consommer de façon plus économe le temps des parlementaires, de ménager
l'attention des Français sur les sujets essentiels. En effet, un tel véhicule
un peu global permettrait de rectifier le texte constitutionnel en fonction de
nos engagements internationaux, mais aussi de l'adapter, voire de le
moderniser, pour autant que c'est nécessaire...
Bien entendu, il s'agissait d'une présentation volontairement paradoxale des
choses. Je ne sais pas si cet humour était bien placé, mais, au moins, il
révélait l'insatisfaction que nous pouvons vraiment exprimer compte tenu de la
façon dont sont traités nos textes fondamentaux.
Est-ce que véritablement, mes chers collègues, dans l'état actuel de la
société, dans l'état actuel de l'opinion, il faut en rajouter ? Faut-il, parce
qu'il y a sans doute des problèmes dans la vie politique, parce qu'il y a des
échéances à préparer, s'adresser au texte constitutionnel et le modifier
directement, comme on l'a fait par ce fameux référendum que je dirai « avorté »
de l'année dernière - avorté tant le taux de participation des électeurs était
faible -, référendum qui ne peut pas traduire une véritable légitimité
populaire, ou le modifier indirectement par le moyen de cette proposition de
loi organique dont nous sommes saisis et qui, si elle est significative, ne
l'est que parce qu'elle a l'ambition d'influencer sérieusement la pratique et
la vie de nos institutions ?
Alors, mes chers collègues, examinons un peu ces sujets en les globalisant, en
quelque sorte : nous ne pouvons pas lire, aujourd'hui, la proposition de loi
organique sur l'inversion des scrutins sans le quinquennat. Et, lorsque nous
réfléchissons rétrospectivement au quinquennat et à la position adoptée alors
par le Premier ministre et par le Gouvernement, ne devons-nous pas réviser les
analyses que nous faisions à l'époque et constater que, assurément, il y avait
là un détour qui devait nous conduire à l'inversion des scrutins ?
Cette référence au débat de l'an dernier me semble, mes chers collègues,
devoir être méditée. En effet, le Premier ministre a reçu subitement une sorte
de révélation ; il s'est en quelque sorte aventuré sur le chemin de Damas, et,
tout d'un coup, il a vécu un moment de remise en cause le conduisant à adhérer
à l'inversion des scrutins, alors que, jusque-là, il n'abordait cette question
qu'avec une extrême prudence.
Mais, à la vérité, a-t-il bien reçu cette illumination - je me permets de
poser très sérieusement cette question - et ne sommes-nous pas plutôt
confrontés à un jeu, à un détour, à une stratégie, à une tactique qui, dès la
période de préparation du quinquennat comportait le raisonnement selon lequel
il fallait aboutir à l'inversion du scrutin présidentiel et du scrutin
législatif ? Ne s'agit-il pas, en définitive, d'une machinerie véritablement
pensée par un esprit cohérent ? Je crois qu'il faut très sérieusement se poser
cette question.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Philippe Marini.
A la vérité, à quoi aboutissons-nous avec la combinaison, d'une part, du
quinquennat, et, d'autre part, de l'inversion du calendrier électoral ? Nous
aboutissons tout simplement, mes chers collègues, à changer de République.
M. Josselin de Rohan.
Exactement !
M. Philippe Marini.
Je voudrais solenniser ce point du débat. Monsieur le ministre, peut-être vous
interrogez-vous, sur les raisons pour lesquelles tant de sénateurs de la
majorité sénatoriale souhaitent s'exprimer dans ce débat, en avançant avec tous
les arguments nécessaires.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac.
C'est une vraie question !
M. Philippe Marini.
Ce point est essentiel !
M. Louis de Broissia.
Absolument !
M. Philippe Marini.
Pourquoi attachons-nous une telle importance à ce débat ? Ce n'est pas pour
des raisons secondaires ou de tactique électorale ; ce n'est pas parce que nous
voudrions gagner du temps pour aboutir à je ne sais quoi...
M. Henri de Raincourt.
Oh non !
M. Serge Vinçon.
Absolument !
M. Philippe Marini.
Ce n'est à l'évidence pas pour ces raisons ! C'est parce que nous avons le
sentiment que nous sommes en train de changer de République et que c'est là un
processus fondamentalement anormal. Je voudrais m'en expliquer en quelques
instants.
Bien entendu, mes chers collègues, le débat constitutionnel est légitime et
doit avoir lieu à termes réguliers ; mais il suppose que l'on sache raisonner
avec ordre et méthode, et que l'on confronte les points de vue en toute clarté,
en toute transparence. Oui, c'est vrai, la Constitution de 1958 est extrêmement
complexe, très précisément « paramétrée », si j'ose dire, et sa souplesse
d'adaptation aux circonstances a fait l'admiration tant des professeurs que des
étudiants ou des praticiens.
Mais aujourd'hui, nous le savons et nous le sentons, la Constitution de la Ve
République, à plus de quarante années de sa promulgation, est un texte au sujet
duquel il faut très sérieusement réfléchir.
Nous savons bien que, dans le monde où nous vivons, coexistent deux grands
modèles d'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics : le modèle
présidentiel et le modèle parlementaire. Et nous savons aussi que nous sommes
l'un des très rares pays dans le monde qui, qu'on le veuille ou non, se situent
quelque part entre le régime présidentiel et le régime parlementaire, dans un
équilibre subtil qui n'est ni toujours bien vécu ni bien pratiqué.
Quelle est la spécificité du modèle français ?
Elle est fortement liée, mes chers collègues, à la nature même de nos
institutions, à leur pratique, qui font que, pour que l'alternance joue, en
France, à la différence de ce qui se passe dans tous les grands pays
démocratiques, il ne faut pas gagner une élection, il faut en gagner deux.
Cette particularité remonte non pas à 1958 mais à 1962. La Constitution de
1958, telle que révisée en 1962, rend beaucoup plus difficile l'alternance.
D'ailleurs, monsieur le ministre, vos amis en ont éprouvé la difficulté dans
toute la période qui a précédé l'élection de François Mitterrand. Il leur a
fallu la force du verbe et la force de l'illusion, aujourd'hui révélée à maints
égards, de François Mitterrand pour arriver à inverser la dévolution des
pouvoirs publics constitutionnels en leur faveur.
Jamais depuis 1981, à l'exception d'une très brève période, de 1995 à 1997,
l'actuelle opposition n'est parvenue à obtenir que tant le
leadership
présidentiel que la majorité à l'Assemblée nationale lui reviennent
simultanément.
Il faut y réfléchir de manière particulièrement patiente et avisée, mes chers
collègues, car c'est bien là le caractère politique essentiel de la
Constitution telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée. Les périodes de
cohabitation tendent à devenir la règle. Nous avons un Etat partagé, un Etat
qui vit dans la concurrence entre le Président de la République et le Premier
ministre, un Etat où l'on se surveille. Nous avons donc un Etat immobile,
immobiliste, qui ne peut que manquer, à l'évidence, les rendez-vous essentiels
de l'Europe et de l'histoire.
Et si l'on fait cette analyse, qui est à la fois juridique, politique et
historique, il faut alors, bien entendu, se poser sérieusement la question de
l'opportunité de l'organisation d'un vrai débat constitutionnel.
Je suis vraiment très choqué, monsieur le ministre, mes chers collègues, que
l'on évacue d'un revers de la main, sans discussion, tant le régime
présidentiel, caractérisé par l'indépendance des pouvoirs, que le régime
parlementaire rigoureux et rationalisé, tel qu'il peut exister, par exemple,
chez nos amis d'outre-Rhin.
Si l'on veut véritablement que les choses soient traitées de façon claire et
responsable devant l'opinion publique, ne faut-il pas ouvrir un grand débat sur
ces sujets ? Peut-on se contenter, mes chers collègues, du débat dérisoire sur
le quinquennat ? Peut-on se contenter du triste spectacle que donne l'examen de
cette proposition de loi sur l'inversion des scrutins ?
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Est-ce digne de la France ? Est-ce digne de la démocratie ?
M. Alain Gournac.
Non !
M. Philippe Marini.
On voudra bien me le pardonner, mais j'ai tendance à mettre dans le même sac
tant le quinquennat que l'inversion des scrutins.
M. Patrick Lassourd.
Absolument !
M. Philippe Marini.
Pourquoi priverait-on ce pays du débat auquel il peut légitimement aspirer
?
Faut-il considérer que, parce que le Prince-président a pris le pouvoir, un
certain 2 décembre, mettant fin ainsi à la IIe République, la France est, pour
l'éternité, complètement rebelle au régime présidentiel ?
Plus exactement, faut-il considérer que, parce que ce coup d'Etat a eu lieu,
un beau matin du XIXe siècle, la question du régime présidentiel est réglée une
fois pour toutes pour toutes les générations à venir dans ce beau pays de
France ?
Ne faut-il pas s'interroger sur un modèle où il y a, d'un côté, un Président,
avec son cabinet, et de l'autre, deux assemblées maîtrisant complètement la
législation, maîtrisant complètement les budgets, et disposant de tous les
moyens de travail nécessaires pour cela ?
Ce régime présidentiel, après tout, ne serait-il pas un cadre dans lequel
notre bicamérisme pourrait mieux s'exprimer ? Ce régime, qui suppose, bien
entendu, que le Parlement ne puisse pas renverser le cabinet du Président et
que le Président ne puisse pas dissoudre l'une ou l'autre chambre du Parlement,
ne serait-il pas, finalement, aux yeux des Françaises et des Français, dont on
nous dit qu'ils aiment la cohabitation, une forme de synthèse qui permettrait à
notre pays d'envisager une période nouvelle de son histoire ?
Pour ma part, je n'en suis pas persuadé, mais je pense qu'il est vraiment
opportun, voire nécessaire, qu'un débat de fond sur ce type de sujet puisse
avoir lieu.
De la même manière, mes chers collègues, à considérer la famille des régimes
parlementaires, qu'avons-nous à opposer aux Etats qui ont des systèmes clairs
et simples de contrat de mandature ou de législature, qui ont une majorité, une
opposition, qui ont un
leader
politique, le Premier ministre, qui assume
complètement ses responsabilités, avec au-dessus de lui, bien sûr, un symbole
national, qui peut être soit élu par les parlementaires, soit, le cas échéant,
élu au suffrage universel, ce qui déjà corrompt quelque peu le modèle ou le
rend plus complexe, mais qui n'est pas incompatible avec le régime
parlementaire, comme le montrent, par exemple, les constitutions autrichienne,
finlandaise ou irlandaise ?
Mes chers collègues, faut-il vraiment considérer qu'est vérité révélée, parole
d'évangile, le maintien de ce modèle hybride qu'est la Ve République ?
Peut-être suis-je en train de choquer mes chers collègues gaullistes en
exprimant ces doutes !
(Non ! sur les travées du RPR.)
Mais le génie du général de Gaulle
n'était-il pas d'exprimer une énergie active au service de notre pays et de son
histoire ? Peut-on, aujourd'hui, avoir la prétention d'assimiler tel ou tel de
nos chefs, de nos leaders politiques, au général de Gaulle ? Le général de
Gaulle est, à l'évidence, un personnage qui, par sa dimension, dépasse tous les
hommes politiques du moment, et ce n'est, bien sûr, faire injure à personne que
de le dire. C'est une réalité que l'histoire reconnaîtra.
Mais faut-il, parce que nos institutions sont nées en 1958, dans la seule
période de vraies réformes que notre pays ait connue tout au long du XXe
siècle, considérer que la constitution de la Ve République, parlementaire par
le droit, présidentielle par la pratique, doit continuer à vivre en l'état,
avec l'équilibre des pouvoirs constitutionnels qu'elle a décrit, sachant
qu'elle a déjà connu des évolutions majeures ?
La première évolution majeure date de 1962. Pourquoi a-t-elle eu lieu ? Parce
que le général de Gaulle, chacun s'en souvient, n'avait d'autre possibilité,
pour vaincre le système des partis, que de s'adresser directement au peuple.
M. Alain Gournac.
C'est exact !
M. Philippe Marini.
C'était la seule solution.
M. Christian de La Malène.
Et elle demeure la seule !
M. Philippe Marini.
Cela étant, le général de Gaulle savait fort bien que, ce faisant, il
transformait, pour des raisons étroitement liées au contexte de l'époque, la
constitution qu'il avait voulue pour les Françaises et les Français en 1958.
Nul ne peut faire à sa mémoire l'injure de penser qu'il n'avait pas conscience
du fait que l'élection du Président de la République au suffrage universel
allait modifier profondément la fonction et la pratique de ses successeurs. Il
en était parfaitement conscient. D'ailleurs, je suis certain, cher collègue
Philippe de Gaulle, que l'on peut trouver des écrits, des propos, qui
témoignent de l'existence de cette réflexion profonde tournée vers l'avenir,
tournée vers l'histoire.
Mais, encore une fois, il n'y avait d'autre solution, dans l'intérêt national,
que de s'adresser directement au peuple
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)
pour vaincre l'opposition stérile de quelques castes qui ne
représentaient qu'elles-mêmes, qui étaient profondément éloignées des intérêts
fondamentaux de la population.
Notre constitution a ensuite évolué substantiellement lorsque l'on a vu le
Conseil constitutionnel accroître son rôle. Ce point me paraît devoir également
être médité.
Lorsqu'on nous a permis, à nous parlementaires, pourvu que nous soyons
soixante, de soumettre au contrôle du Conseil constitutionnel la loi votée,
c'est-à-dire lorsque nous avons accepté d'avoir face à nous une véritable cour
suprême constitutionnelle, on a, là encore, modifié substantiellement les
équilibres fondamentaux de la Ve République, et dans un sens qui n'avait pas
été anticipé dans les années soixante - je parle, naturellement, sous le
contrôle de gens plus experts que moi, des acteurs de cette époque, qui
pourront sans doute attester la vérité de ce propos.
Nous voyons bien, aujourd'hui, que, lorsque le Conseil constitutionnel rend
ses décisions, il tend systématiquement à appliquer une jurisprudence. Certes,
il ne se substitue pas au législateur, mais il encadre la législation dans
l'Etat de droit, et ce en se référant à un bloc de constitutionnalité - j'ai le
souvenir que notre ancien collègue Etienne Dailly aimait à en parler - qui
n'est pas seulement la Constitution de 1958, qui n'est pas seulement du droit
positif, qui est bien d'autres choses, une série de principes, une série de
règles qui, pour beaucoup, sont bien antérieurs à 1958.
C'est là une extension très importante du cadre normatif dans lequel nous
exerçons nos responsabilités. Que l'on puisse saisir systématiquement le
Conseil constitutionnel de tout texte susceptible de présenter des problèmes
d'interprétation, et que celui-ci se prononce en fonction de sa jurisprudence,
de la constitution de 1958, du préambule de ladite constitution ou de celui de
la constitution de 1946, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
est aujourd'hui une réalité incontournable.
Je prends un exemple. Aujourd'hui, la commission des finances sollicite
systématiquement les groupes de la majorité sénatoriale, avant la promulgation
de chaque loi de finances, de chaque loi de finances rectificative et de chaque
loi de financement de la sécurité sociale - la commission des affaires sociales
exerce la même influence - et vous conseille, messieurs les présidents de
groupe, de bien vouloir user de ce droit constitutionnel de saisine du Conseil
constitutionnel de telle sorte que les lois précitées respectent bien les
règles et les principes par rapport auxquels il appartient au Conseil
constitutionnel de vérifier leur conformité. C'est là une évolution
substantielle par rapport à la constitution de 1958 telle qu'elle avait été
conçue à l'origine.
A présent, mes chers collègues, j'en viens au point précis de ce débat.
(Sourires.)
De quoi s'agit-il, en effet ? Monsieur le ministre, je vous ai écouté lors de
votre présentation de la proposition de loi, voilà déjà quelques jours.
M. Josselin de Rohan.
Lui, ne vous écoute pas !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Si !
M. Philippe Marini.
Avec l'inversion des scrutins, avec le quinquennat, les dissolutions devraient
être plus rares. C'est ce que vous nous avez dit ! Vous avez, en quelque sorte,
préjugé de l'exercice, par le Président de la République, du droit de
dissolution,...
M. Josselin de Rohan.
C'est très grave !
M. Alain Gournac.
Voilà !
M. Philippe Marini.
...droit qui, chacun le sait, n'appartient qu'à lui, et à lui seul.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Alors, monsieur Vaillant, voulez-vous, par cette proposition de loi
organique, voulez-vous, par votre lecture du quinquennat, approuvé à la légère
l'année dernière et par peu de Français,...
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
C'est le peuple !
M. Philippe Marini.
...voulez-vous transformer la Constitution de 1958 ? Ce n'est pas illégitime,
au reste, et vous avez bien le droit d'avoir de telles intentions. Mais,
monsieur Vaillant, de grâce, dites-nous la vérité !
(Marques d'approbation sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Dites-le !
M. Philippe Marini.
Dites-nous l'essentiel, et non pas l'accessoire.
M. Alain Gournac.
Il faut que tout le monde sache !
M. Philippe Marini.
L'inversion des scrutins, c'est l'accessoire ; ce n'est que petite technique
;...
M. Serge Vinçon.
Voilà !
M. Philippe Marini.
... ce n'est que petite politique manoeuvrière et politicienne.
M. Alain Gournac.
Minable !
M. Philippe Marini.
C'est dérisoire parce que, après tout, monsieur le ministre, personne ne sait
dans l'intérêt de qui, à la vérité : les uns disent que les élections
législatives avant l'élection présidentielle leur seront plus favorables ; les
autres disent absolument le contraire. Il n'y a pas de rigueur en ce domaine,
et les sondages seraient bien incapables de démêler le vrai du faux.
D'ailleurs, comment pourrait-on aujourd'hui, si tôt dans l'année et si loin des
scrutins, avoir une idée quelconque sur leurs conséquences ?
Ce que nous pouvons simplement dire, nous qui sommes dans l'opposition, c'est
que si le Gouvernement procède à ce changement, c'est que ce n'est pas
contraire à son intérêt.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
C'est votre culture. Vous voyez la réalité à
votre image !
M. Philippe Marini.
C'est que nous savons que vous êtes de bons politiques et de bons
communicateurs, peut-être trop bons, d'ailleurs, parfois !
M. Dominique Braye.
Ce sont des politiciens !
M. Philippe Marini.
Nous jugeons à partir des expériences concrètes que nous avons sous les yeux
et nous disons : s'ils le veulent tellement, s'ils sont prêts à changer les
contours de leur majorité, s'ils sont prêts à revenir à une formule de type «
troisième force », de « fourre-tout », bref, à un machin incompréhensible
(rires sur les travées du RPR)
, c'est qu'ils ont bien une idée précise
derrière la tête ! On comprendrait mal que ce soit complètement gratuit, que le
Gouvernement fasse fi des avis de son aile gauche, représentée ici par nos
collègues du groupe communiste républicain et citoyen, qu'il fasse fi de
l'opinion de ses amis les Verts qui, eux-mêmes, sont aussi pluriels que la
majorité tout entière !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Daniel Goulet.
C'est bien vu !
M. Philippe Marini.
Est-ce vraiment un calcul politique ? Est-ce le retour à la politique de la
France unie ? Est-ce le retour à une espèce de méli-mélo de « troisième force
». Nous sommes en droit de nous poser ces questions.
(Exclamations sur les
travées du RPR.)
M. Alain Gournac.
On peut !
M. Patrick Lassourd.
Il y a de quoi !
M. Philippe Marini.
L'histoire de nos constitutions et de nos républiques est riche de bien
d'autres épisodes, ceux qui ont un peu de mémoire s'en souviennent. Après tout,
monsieur le ministre, ne seriez-vous pas en train de nous refaire le coup des
apparentements ?
M. Serge Vinçon.
Bien !
M. Josselin de Rohan.
Tout à fait !
M. Philippe Marini.
Ne s'agit-il pas de dispositions de pure convenance qui laissent présager un
changement de stratégie politique ? Monsieur le ministre, avec tout le respect
que je dois à vos fonctions, quand je vous demandais de nous dire l'essentiel
et non pas l'accessoire, c'est également à cela que je faisais allusion.
Dites donc la vérité, et commencez par la dire à vos propres amis et à vos
partenaires, au sein de votre majorité plurielle, pour leur permettre de se
situer en toute connaissance de cause.
Qu'est-ce que c'est que cette méthode ? On va, comme sous la IVe République,
débaucher l'un et l'autre dans les couloirs promettant, à celui-ci, son
université, à celui-là, sa piscine et, à un troisième, autre chose encore, tout
cela pour parvenir à fabriquer une majorité de rencontre, comme on l'a fait en
d'autres temps ?
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Monsieur le ministre, s'agit-il de cela ou d'une réforme fondamentale
touchant aux rouages de la Constitution ? La question est essentielle.
Je ne vous reprocherai jamais de poser un vrai problème - même si,
naturellement, nous divergeons sur la solution - je ne vous reprocherai jamais
d'ouvrir un vrai débat.
Oui, mes chers collègues, le débat sur les institutions de 1958 est un débat
nécessaire. Mais prenons-le méthodiquement, calmement, avec tout le temps
nécessaire et non pas au détour de textes tronqués et dont on s'efforce de ne
pas expliquer toutes les conséquences : comme on s'est efforcé, naguère, de
nous faire passer à côté du débat sur le quinquennat, on voudrait nous faire
croire, aujourd'hui, qu'il ne s'agit que d'un tout petit sujet de rien, d'une
petite initiative parlementaire qui ne change rien et qui, en définitive, ne
mériterait pas un examen législatif particulièrement attentif.
Il n'est que de consulter le rapport de notre collègue rapporteur à
l'Assemblée nationale : on peut y lire sans peine entre les lignes l'agacement
d'un homme qui s'étonne de ce que l'on veuille discuter, échanger et argumenter
alors que tout est réglé par avance, qu'il s'agit d'une évidence, une évidence
technique qui plus est, bref d'un ajustement de très faible ampleur, qui,
vraiment, ne mérite pas de retenir longuement l'attention du Parlement.
Mes chers collègues, voulons-nous une lecture présidentielle de la
Constitution ou une lecture parlementaire ? Voulons-nous que, demain et
après-demain, la cohabitation demeure une solution possible pour le
fonctionnement de nos institutions ? Ce sont les questions essentielles qu'il
nous faut trancher.
Nous avons derrière nous vingt années d'expériences institutionnelles, avec,
depuis 1981, des phases de correspondance de la majorité présidentielle et de
la majorité parlementaire, et des phases de dissociation, en d'autres termes de
cohabitation. Nous retournant vers le passé, considérant ces périodes de
cohabitation, pouvons-nous véritablement être fiers ?
Je ne parle même pas des convictions, des idéologies que nous pouvons
véhiculer les uns ou les autres, qu'il s'agisse de la gauche - des socialistes,
des communistes - de la droite ou du centre. Quelle que soit la lecture que
nous avons des événements, quelles que soient nos convictions, si nous en
avons, nous devons avoir la lucidité de nous interroger : avec les périodes de
cohabitation, avons-nous laissé un bel héritage à notre pays ? Avons-nous
enrichi le patrimoine issu d'une histoire multiséculaire ? Avons-nous préparé
l'avenir ? Avons-nous fait en sorte que ce pays soit à la hauteur de ses
ambitions, nécessairement élevées, que ce pays soit au rendez-vous pour
rivaliser, de manière très pacifique, bien entendu, avec ses voisins et
partenaires au sein de l'Union européenne ?
Mes chers collègues, véritablement, voulons-nous orienter notre pays dans le
sens d'un régime présidentiel ou dans le sens d'un régime parlementaire ?
A la vérité, nous sommes, vous le savez, le seul pays en Europe, avec un autre
dont je vais vous dire un mot, à nous situer un peu au milieu du gué et à faire
de la cohabitation la lecture la plus fréquente des institutions, du moins pour
la période récente. Ces deux pays que j'évoquais sont la France, bien sûr, et
un pays ami, la Pologne, pays que j'aime beaucoup et dont je vous parle en
connaissance de cause, monsieur le ministre, puisque je suis le président du
groupe d'amitié France-Pologne au sein de cette assemblée.
Regarder la France et la Pologne, pays extrêmement individualistes, pays où
l'on aime le panache,...
M. Josselin de Rohan.
Absolument !
M. Philippe Marini.
... pays où l'on aime les débats,...
M. Josselin de Rohan.
Et les partis, aussi !
M. Philippe Marini.
... pays où les forces politiques sont très fragmentées, pays où les
alternances sont brutales, mais pays merveilleux, pays disposant d'un génie
national absolument irremplaçable, pays dotés d'une énergie inépuisable.
Eh bien ! ce sont les deux seuls, chacun à une extrémité de l'Europe
démocratique, à vivre ainsi des cohabitations et des rivalités entre un
Président de la République et un Premier ministre.
Alors, véritablement, mes chers collègues, sommes-nous sur la bonne voie avec
le débat qui se poursuit dans cet hémicycle ? Sommes-nous sur la bonne voie en
nous référant, comme vous l'avez fait dans votre intervention, monsieur le
ministre, aux seuls arguments de procédure, arguments tout à fait secondaires,
tout à fait spécieux, notamment sur les délais pendant lesquels les députés
élus pourraient signer en faveur de candidatures à l'élection présidentielle ?
Va-t-on nous faire croire que c'est avec des considérations de cette nature,
tout à fait ancillaires, tout à fait accessoires, qu'il faut aborder un sujet
tout aussi fondamental que celui de l'évolution de nos institutions ?
Il y aurait encore beaucoup à dire sur tous ces sujets et j'avais encore
préparé bon nombre d'arguments, mais peut-être vais-je conclure...
M. Alain Gournac.
Non !
(Sourires.)
M. Philippe Marini
... sur la procédure d'urgence, puisque, paraît-il, notre débat s'inscrit dans
ce cadre-là.
La procédure d'urgence est un autre cas très surprenant de l'application qui
est faite de nos règles constitutionnelles. Prenons deux exemples de textes
ayant fait l'objet d'une déclaration d'urgence : la proposition de loi
organique sur l'inversion du calendrier électoral, dont nous discutons
actuellement, et un projet de loi que j'ai eu l'honneur et l'avantage de
rapporter il y a peu dans cette assemblée et qui reviendra d'ailleurs
prochainement en débat, je veux parler du projet de loi sur les nouvelles
régulations économiques.
Monsieur le ministre, vous qui étiez ministre chargé des relations avec le
Parlement, un ministre avec qui nous avions plaisir à dialoguer au sein de la
conférence des présidents, vous vous souvenez sans doute de l'insatisfaction
que j'exprimais à propos d'une urgence qui n'en était pas une.
Les nouvelles régulations économiques, c'est un « truc » qui est né en
septembre 1999 - si mes souvenirs sont faux, monsieur le ministre, n'hésitez
pas à m'interrompre.
(Rires sur les travées du RPR.)
Le projet de loi a fait l'objet d'une
discussion en première lecture à l'Assemblée nationale au début de l'année
suivante et au Sénat à la rentrée d'automne, d'un examen en commission mixte
paritaire au mois de décembre, donc juste avant la fin de l'année 2000, puis
d'une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale ce matin. Ce texte reviendra au
Sénat après les vacances de février.
Vous savez que nous aspirons tous à ces vacances parce que nous parlons
beaucoup...
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Et travaillez peu !
M. Philippe Marini.
... et que nous travaillons avec ardeur, monsieur le ministre ! Nous avons
donc naturellement besoin de ces vacances pour nous consacrer à nos « terrains
» municipaux et cantonaux !
(Sourires et applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
Avec cet exemple, mes chers collègues je voulais vous montrer qu'il y avait
urgence et urgence !
M. Alain Gournac.
Cela, c'est vrai !
M. Philippe Marini.
Le texte que nous examinons en ce moment est également frappé de la
déclaration d'urgence. Alors il faut faire fi de toutes les consultations
auxquelles on devrait procéder. La commission des lois fait pourtant tout son
possible. On ne va tout de même pas prétendre que nous aurions pu, en deux
journées d'audition, faire le tour des points de vue des constitutionnalistes
sur tous les sujets que je n'ai fait qu'effleurer de manière extrêmement
rapide, et sommaire !
(Sourires.)
Mes chers collègues, j'en suis
d'ailleurs confus, pour la qualité de nos travaux.
Mais, encore une fois, il y a urgence et urgence ! Le projet de loi relatif
aux nouvelles régulations économiques devait être examiné en urgence en raison
du problème de Michelin. Il fallait que le Premier ministre n'ait pas l'air
d'être complètement impuissant à l'égard des puissances de l'argent, du mur de
l'argent, de la mondialisation ou de je ne sais quoi encore, bref de toutes ces
données évidemment très importantes. Il y avait urgence et Dominique
Strauss-Kahn a trouvé la solution : il a déposé son texte en urgence !
Seulement le texte ne sera promulgué finalement que deux ans, à peu de choses
près, après que l'idée a été lancée ! Il y a donc urgence et urgence !
En conclusion, mes chers collègues, ne pourrait-on prendre le temps
nécessaire...
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Philippe Marini.
... pour véritablement lancer dans ce pays le débat constitutionnel ? Ce débat
ne concerne pas seulement les assemblées ; il concerne aussi les citoyennes et
les citoyens. Il devrait être organisé de manière à les intéresser,...
M. André Vallet.
Absolument !
M. Philippe Marini.
... afin que l'on cesse de nous dire que nous vivons dans une bulle, que les
institutions et le monde politique sont moribonds, et que les politiques
eux-mêmes ne s'occupent pas de l'essentiel !
Monsieur le ministre, rendez plutôt le débat constitutionnel aux Françaises et
aux Français, rendez-le à l'opinion publique ! Cela suppose de le prévoir et de
l'organiser sur de bonnes bases, en toute clarté, sans faux-semblants ni
manoeuvres politiciennes. C'est ce que je souhaite très profondément du fond du
coeur à notre pays pour son avenir !
(Bravo ! et applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre maintenant nos travaux ; nous les
reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à seize heures
cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du
règlement du Sénat.
Voilà quelques jours, sur une radio périphérique, un responsable syndical de
la police interrogé sur les cinq meurtres de policiers qui ont été perpétrés
dans la région Midi-Pyrénées - et nous nous inclinons devant la douleur de
leurs familles et de leurs collègues - déplorait le manque de moyens de la
police, mais il mettait aussi en cause la loi sur la présomption d'innocence,
la suspectant de favoriser l'impunité des criminels.
Même si, comme beaucoup, nous déplorons le manque de moyens de la justice -
nous avons dit, et les manifestations récentes le prouvent, que l'on ne peut
pas impunément faire des lois sans prévoir les moyens nécessaires à leurs mise
en oeuvre -, nous regrettons que ceux qui sont chargés d'appliquer la loi
fassent ouvertement un tel amalgame en reprochant aux parlementaires de
favoriser la criminalité et en affirmant que le respect de la présomption
d'innocence ne fait qu'encourager la grande criminalité, jusqu'au meurtre de
représentants de l'ordre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est des moments où ne doivent être tenus que
des propos responsables, et je souhaiterais que vous preniez les mesures qui
s'imposent pour rappeler chacun au respect de la loi.
(Applaudissements sur
les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Monsieur le secrétaire d'Etat, souhaitez-vous prendre la parole ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Non, monsieur le président.
M. Gérard César.
Courage, fuyons !
M. Jacques Valade.
C'est une question qui mérite une réponse !
M. le président.
Il est donné acte de ce rappel au règlement.
8
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
voilà quelques jours, à l'occasion de sa cérémonie des voeux à la presse, le
Premier ministre déclarait, d'une manière d'ailleurs très dégagée, que pour «
le Gouvernement et la majorité, l'année 2001 n'est ni une année d'attente ni
une fin de période ».
A entendre ces propos, nous aurions pu nous attendre, pour débuter l'année, à
une démonstration plus explicite de la volonté gouvernementale. S'il est des
symboles, celui-ci est fort instructif.
Par excès de naïveté, sans doute, je m'étais imaginé que le Gouvernement
allait, enfin, s'atteler aux réformes d'envergure, profondes et indispensables,
dont notre pays a besoin et que la majorité plurielle reporte d'une année sur
l'autre depuis 1997.
J'avais la candeur de penser que le Gouvernement tenterait de tirer profit de
la nouvelle donne économique, conséquence à la fois des mesures courageuses
prises par les gouvernements précédents et de la reprise de la croissance
mondiale, pour réformer notre système éducatif ou pour régler la question des
retraites.
J'étais suffisamment crédule pour espérer du Gouvernement des mesures pour
lutter contre la montée de la violence et des incivilités, notamment en milieu
urbain, pour améliorer la sécurité dans les transports ou encore pour résoudre
le malaise de la fonction publique. Eh bien non ! Toutes ces mesures n'ont rien
d'urgent ; l'urgence, c'est une réforme purement électoraliste !
Alors que nous étions en droit d'espérer, pour reprendre l'expression
désormais consacrée, que 2001 soit une année utile pour la France, vous en avez
décidé autrement : voilà qu'on tente d'en faire une année utile pour les
socialistes et quelques alliés inopinés et encore, voilà peu, inespérés.
Décidément, les débats institutionnels sont toujours le meilleur alibi contre
l'inaction.
Une fois de plus, le Gouvernement laisse passer son tour. Il est obsédé par
les échéances électorales futures. On attendait de lui une ambition pour la
France ; il ne nous propose aujourd'hui qu'une mise en musique de son ambition
électorale pour son candidat à l'élection présidentielle.
Loin des grands discours solennels, la véritable nature de l'action
gouvernementale apparaît. C'est désormais très clair : le peuple français a
aimé, aime et aimera le Premier ministre, qui espère changer de résidence. Tout
le reste ne doit être que second et, surtout, tout doit être fait pour que ce
postulat perdure.
Pour autant, quels que soient les calculs qui guident l'examen de cette
proposition de loi, il n'est pas question, comme cela a pu être dit ici et là,
de traîner les pieds uniquement pour contrarier les volontés du
Gouvernement.
Il n'est pas question de jouer la montre ou de faire une quelconque
obstruction uniquement pour entraver ou pour paralyser, coûte que coûte, le
vote de cette proposition de loi.
Non, la conception des membres du groupe du Rassemblement pour la République
du rôle du Parlement est tout autre. Et je me suis réjoui de constater qu'un
éminent membre du parti socialiste, ancien ministre, ancien président du
Conseil constitutionnel, ait contribué lui aussi, méticuleusement, longuement,
quitte à en oublier le temps de parole, à la richesse et à la qualité de nos
débats. Je ne pense pas que quiconque puisse le soupçonner de se lancer dans
une « opération escargot », comme l'a dit, peut-être malencontreusement, le
président de l'Assemblée nationale, Raymond Forni.
C'est en effet à nous, ainsi qu'à nos collègues députés, que reviennent la
charge et la responsabilité du vote des lois. Pour ce faire, il s'agit de bien
comprendre les tenants et les aboutissants du texte qui nous est présenté. Il
s'agit simplement, comme l'a rappelé notre honorable collègue et président de
groupe, Josselin de Rohan, « de discuter de manière approfondie ».
Et s'agissant d'une question institutionnelle de fond, d'une question touchant
à notre Constitution, notre vigilance doit être d'autant plus renforcée.
En 2002 doivent donc se tenir à la fois les élections législatives et
l'élection présidentielle, ce que nous savons depuis bien longtemps et ce qui
n'est pas une première sous la Ve République.
La question sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer est d'une
simplicité biblique et peut être ainsi formulée : « Faut-il inverser les dates
d'élections pour positionner le scrutin législatif après le scrutin
présidentiel ? » Eu égard à la genèse et aux conditions de ce débat, j'aurais
tendance, très honnêtement, à remplacer l'expression « inverser le calendrier »
par celle d'« établir un calendrier à sa convenance ».
En résumé, la thématique abordée est une sorte de version moderne de la
problématique de la charrue et des boeufs. Encore faut-il savoir ce qu'est la
charrue, ce que sont les boeufs et, surtout, qui de l'animal ou de l'instrument
de labour a l'ascendant sur l'autre.
Chacun conviendra que ce débat sur la séquence calendaire est à mille lieues
des préoccupations quotidiennes des Français. Le Gouvernement en a d'ailleurs
bien conscience, et c'est sans doute la raison pour laquelle, une fois de plus,
il veut agir dans la précipitation, en l'espèce avant les élections
municipales, quitte à passer en force et à prendre quelques accommodements avec
le fonctionnement régulier de la démocratie.
Car s'il est bien un élément sur lequel les observateurs s'accordent dans
cette affaire, c'est l'attitude hégémonique du parti socialiste. Il se fiche,
comme d'une guigne, ce qui n'est pas nouveau, de l'avis de l'opposition
nationale - le contraire aurait pu nous faire plaisir et nous combler
d'étonnement, mais n'en demandons pas trop ! -, mais il se fiche tout autant de
celui des communistes, qui vont décidément bientôt devenir l'opposition
intérieure d'une majorité à laquelle ils sont de moins en moins associés.
Surtout, il se fiche éperdument de l'équilibre de nos institutions et, par là
même, du suffrage des Français.
M. Jacques Valade.
Nos collègues socialistes le montrent par leur présence...
M. Roger Karoutchi.
Dans cette affaire, je viens de le dire, le Gouvernement ne fait pas grand cas
de l'opposition nationale, ce qui n'est finalement pas vraiment une surprise.
Dans sa grande bonté, il a tout de même fait grâce d'une petite matinée de «
micro-débat » à l'Assemblée nationale : trois petites heures pour débattre de
l'avenir de nos institutions ! Résultat : un débat escamoté, improvisé,
incomplet. Au demeurant, l'objectif n'était d'ailleurs pas tant de réfléchir à
l'avenir de nos institutions que de monter un coup politique.
Certains pourraient trouver ce discours sévère car, il faut le reconnaître, le
recours à une proposition de loi accompagnée d'une matinée de débat a donné
l'occasion à l'opposition à l'Assemblée nationale de s'exprimer sur cette
question ô combien importante et passionnante... Mais n'est-ce pas simplement
une ruse pour éviter le passage devant le Conseil d'Etat et le Conseil des
ministres ? N'est-ce pas, tout bonnement, une astuce pour dissimuler les
divergences au sein même du Gouvernement ? N'est-ce pas, en fin de compte, une
feinte pour accélérer la procédure et agir en catimini, afin de protéger, à
tout hasard, l'instigateur de cette mesure en cas de réaction négative de
l'opinion publique ?
Mes chers collègues, le Gouvernement n'a pas fait preuve de beaucoup de
considération à l'égard de l'opposition à l'Assemblée nationale. Mais alors,
que dire du traitement que l'on nous inflige ici, au Sénat ?
Malgré toutes les négligences et diverses anomalies que j'ai évoquées il y a
quelques instants, le traitement auquel ont eu droit nos collègues députés
apparaît comme privilégié par rapport à celui qui nous est réservé, au sein de
la Haute Assemblée : ni débat sur l'avenir de nos institutions ni droit de
réflexion, droit qui fait pourtant partie intégrante de notre démocratie.
Notre excellent collègue Pierre Fauchon, vice-président de la commission des
lois, a clairement demandé au Gouvernement un délai de réflexion afin que le
Sénat puisse consulter des constitutionnalistes. Le Gouvernement, une fois de
plus, n'a rien voulu entendre et il nous a imposé la date du 16 janvier.
A ce sujet, notre collègue Christian Bonnet, rapporteur de la commission de
lois, est d'ailleurs très explicite dans ses conclusions : « Les conditions
d'examen de la proposition de loi organique par le Parlement ne sont pas
acceptables dans la mesure où l'ordre des échéances électorales de 2002 est
connu depuis 1997 ; le Gouvernement a brutalement changé de position sur cette
question et a dès lors imposé aux assemblées de se saisir de cette question
dans la précipitation. »
Comme à son habitude, le Gouvernement passe outre les prérogatives de notre
assemblée et n'envisage la vie démocratique que comme une affaire de rapport de
force. Bernard Roman, député socialiste, rapporteur de la commission de lois de
l'Assemblée nationale sur ce texte, le reconnaît d'ailleurs dans son rapport,
où l'on peut lire ceci : « Les institutions de la Ve République sont souvent
critiquées. Le Parlement y semble tenu en minorité par un exécutif qui dispose
des principaux leviers de pouvoir et impose ainsi continument sa volonté. »
Au moins, les choses sont claires ! Le Gouvernement attend simplement du
Parlement qu'il donne son feu vert à l'occasion d'un débat au lance-pierre !
Nous l'avons bien compris, dans le stratagème conçu par les meilleurs esprits
du Gouvernement, il n'a jamais été question d'associer l'opposition, ni même
les assemblées, à une quelconque réflexion sur nos institutions.
Eh bien, dans cette affaire, le Gouvernement va sans doute trop vite en
besogne.
Il ne se montre pas non plus très révérencieux à l'égard de sa propre
majorité, mais cela commence à devenir une habitude !...
Devant un Lionel Jospin de moins en moins Premier ministre et de plus en plus
candidat à l'élection présidentielle, la majorité plurielle constate ses
désaccords de fond, mais, devant les médias, elle dissimule ses divisions,
affichant une unité de façade censée contraster avec une droite décrite -
nouveau postulat - comme fondamentalement divisée.
Deux des composantes les plus importantes de sa coalition hétéroclite, les
communistes et les Verts, sont pourtant hostiles à ce calendrier électoral.
Mais peu importe ! Il suffit de trouver quelques soutiens de circonstance en
attisant les ambitions, les calculs, les espoirs des uns et des autres.
C'est l'un des leaders de cette majorité plurielle, le secrétaire général du
parti communiste, Robert Hue, qui déclarait le 17 décembre dernier : « Je veux
simplement dire que je suis résolument opposé à ce projet d'inversion, car il
ferait, encore plus qu'aujourd'hui, de la présidentielle l'élection
structurante de la vie politique. »
Mme Nicole Borvo.
C'est assez rare que vous citiez les propos du secrétaire général du parti
communiste !
M. Roger Karoutchi.
Mais c'est pour moi un vrai plaisir, ma chère collègue ! Je le citerai
d'ailleurs à nouveau tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo.
Vous devriez plutôt vous occuper des problèmes des partis de droite !
M. le président.
Madame Borvo, si vous souhaitez interrompre M. Karoutchi, avec son
autorisation, ne vous en privez surtout pas !
(Rires sur les travées du
RPR.)
M. Gérard Cornu.
Il la donnera ! Il est galant !
M. Roger Karoutchi.
En vérité, monsieur le président, je n'en avais pas fini avec cette citation
de Robert Hue. Et je ne doute pas que Mme Borvo ne verra pas, dans le fait de
citer le dirigeant national de son parti, une agression. Ce n'est rien d'autre
qu'un signe de déférence à l'égard des propos extrêmement intelligents d'un
homme politique de qualité...
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Robert Hue poursuivait donc ainsi son propos : « Les législatives seraient
réduites à une simple formalité. Permettez-moi de le dire très directement,
cette subordination transformerait le Parlement en une « assemblée godillot
»...
Robert Hue ajoutait encore : « Et c'est en plus un signe de grave surdité
politique... On ressert aux Français une nouvelle astuce politicienne en guise
de réponse à des préoccupations qui demandent un large débat citoyen et des
mesures inédites, novatrices, à la mesure des bouleversements des rapports
humains qui caractérisent notre époque. »
On ne saurait être plus clair et, après tout, c'est à peu près le discours que
tiennent les sénateurs ici présents.
M. Gérard Cornu.
Tout à fait !
M. Roger Karoutchi.
Ce discours n'est pas, loin s'en faut, dénué de fondement, mais il soulève
tout de même quelques problèmes à partir du moment où il émane d'un membre de
la majorité. Il est vrai que le Gouvernement n'a jamais fait grand cas des
composantes non socialistes de sa majorité plurielle !
Mme Borvo me permettra de rappeler qu'en dehors du désaccord sur le texte en
discussion aujourd'hui, les exemples de discordances avec le parti communiste
sont nombreux, qu'il s'agisse du référendum sur le quinquennat, de la
revalorisation des minima sociaux ou encore, plus récemment, des mesures
destinées à compenser l'allégement de la CSG.
Autre nébuleuse de la majorté plurielle qui n'a jamais été entendue : le Parti
radical de gauche, le PRG. Ses souhaits de voir nos institutions évoluer
sensiblement sont toujours restés sans suite.
Avec votre permission, monsieur le président, je citerai non plus M. Robert
Hue, mais le président du parti radical de gauche, M. Jean-Michel Baylet.
M. le président.
Il est moins connu !
M. Roger Karoutchi.
Certes, mais il n'est pas moins respectable.
M. Baylet, donc, déclarait il y a peu : « Après la proposition par Lionel
Jospin d'inverser le calendrier électoral, le parti radical de gauche manifeste
son désaccord : sur la forme, car une telle annonce aurait dû se faire en
concertation avec la gauche plurielle, et le congrès du PS est un lieu mal
choisi. Sur le fond, car les radicaux continuent de penser que la bonne
solution est la concomitance des deux élections. »
Voilà qui est clair !
Le PRG, cependant, semble aujourd'hui préférer changer d'opinion et s'aligner
sur les positions du parti socialiste plutôt que de devoir constater, comme il
l'a souvent fait par le passé, que ses messages ont décidément du mal à passer
dans la gauche plurielle. Pourtant, la grande tradition radicale, forte de
respect républicain, voudrait que nos amis députés et sénateurs radicaux de
gauche refusent cette inversion de commodité.
Enfin, le Gouvernement n'a pas fait grand cas non plus des avis émis par les
Verts. Ces derniers ne peuvent, eux aussi, que constater l'attitude hégémonique
du parti socialiste sur cette question du calendrier. Il est vrai que, en la
matière ils ont une solide habitude, et que, après l'uranium enrichi, ou
appauvri, après la mise en place du crédit d'impôt pour pallier la suppresion
de l'allégement de la CSG par le Conseil constitutionnel, les Verts dénonçaient
« les incohérences de nos politiques fiscales qui ne peuvent que justifier des
mesures encore plus incompatibles avec l'objectif de lutte contre les
inégalités ».
Les Verts sont toujours dans la majorité plurielle, mais ils ne sont
décidément pas d'accord avec les socialistes sur grand-chose !
De leur côté, nos amis députés et sénateurs socialistes ont oublié leur
sensibilité parlementariste, que, par le passé, ils invoquaient si souvent face
à des gouvernements de droite. Très souvent, nous avons entendu des députés ou
des sénateurs socialistes rappeler les droits du Parlement face à l'exécutif.
Aujourd'hui, il faut les voir - cela peut même être parfois cocasse -
s'improviser protecteurs d'une Ve République dont ils étaient souvent les plus
grands pourfendeurs, tout en laissant le Parlement dans une position
seconde.
Le Premier ministre essaie d'apparaître aujourd'hui comme le grand défenseur
de notre Constitution, Constitution qu'il a pourtant combattue tout au long de
sa vie politique. Mais, après tout, on a le droit de changer ! Il reconnaît
d'ailleurs en toute sérénité ne pas l'avoir approuvée, tant en 1958 qu'en 1962.
Dans ces conditions, nous comprenons aisément que, par cette proposition de
loi, il se moque de porter atteinte à son article 12, relatif au droit de
dissolution du Président de la République :
« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre
et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée
nationale.
« Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au
plus après la dissolution.
« L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit
son élection. »
Ce droit de dissolution est, en réalité, un droit de faire en sorte que le
calendrier des élections législatives soit aussi dépendant de la volonté du
Président de la République, et de lui seul ; et ce n'est pas parce qu'une
majorité de rencontre à l'Assemblée nationale décide d'un calendrier et arrête
des dates que celles-ci sont définitives ; en effet, si telle est la volonté du
Président de la République, ce calendrier peut ne pas être appliqué.
M. Serge Vinçon.
Tout à fait !
M. Roger Karoutchi.
De fait, c'est le chef de l'Etat qui, par le recours à la dissolution de
l'Assemblée nationale, peut fixer
de facto
les dates des élections
législatives et non pas une manoeuvre, aussi habilement montée soit-elle.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Détourner l'article 25 de notre Constitution n'effraie pas davantage le
Gouvernement. Le premier alinéa de cet article est ainsi formulé :
« Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre
de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des
inéligibilités et des incompatibilités. »
A aucun moment, cet article ne prévoit de faire varier la durée d'une
législature en fonction des velléités de la majorité.
Finalement, il est tout de même surprenant et moralement curieux de proposer
aux députés de voter eux-mêmes la prolongation de leur mandat, ce qui remet en
cause, sans conteste, le principe de la stabilité du mandat législatif.
Tout le monde admet qu'il est nécessaire de faire évoluer nos institutions,
mais sûrement pas de cette manière !
La Ve République a beaucoup changé avec le temps. Les trois cohabitations que
l'on a connues depuis 1986 ont petit à petit transformé notre régime. Au total,
sur les quinze dernières années, nous avons vécu plus d'une année sur deux sous
un régime de cohabitation.
Dans ces conditions, et plusieurs orateurs l'ont souligné ce matin, un vaste
débat, associant tous les acteurs de notre démocratie, devrait pouvoir voir le
jour si telle était la volonté du Gouvernement. Je parle non d'un micro-débat
destiné à « habiller » une décision de convenance et d'arrangement
conjoncturel, mais d'un vrai débat de fond, pour savoir ce qu'il en est de
l'avenir éventuel de la cohabitation ou du rééquilibrage des pouvoirs.
Il convient en effet, tout le monde en est d'accord, de renforcer les pouvoirs
de la représentation nationale pour aboutir à un régime équilibré, modernisé,
efficace, qui ne soit ni totalement présidentiel ni totalement parlementaire.
Le Parlement doit pouvoir disposer de véritables moyens de contrôle, notamment
en matière budgétaire, ce qui, je le rappelle, passe par la réforme de
l'ordonnance du 2 janvier 1959.
A ce sujet, j'observe au travers des propos de M. Fabius que la diligence du
Gouvernement en la matière est nettement moindre que celle qu'il manifeste
aujourd'hui pour une affaire d'éphéméride. Pourtant, tout le monde s'accorde à
reconnaître, à commencer par le ministre des finances lui-même, le caractère
urgent du dépoussiérage de cette loi organique relative aux lois de finances.
Elle n'a jamais connu de véritables réformes, contrairement à notre
Constitution dont elle est pourtant le prolongement direct.
L'objectif initial de l'ordonnance, qui était de rompre avec les errements du
régime parlementaire précédent, est aujourd'hui atteint. Désormais, il ne
s'agit plus de savoir si le budget va pouvoir être voté en temps et en heure ni
d'affirmer la prééminence de l'exécutif dans l'élaboration des lois de
finances. L'évolution de notre régime confère aujourd'hui à cette ordonnance un
caractère suranné. En la matière, les pouvoirs et les responsabilités de la
représentation nationale doivent être étendus, ce qui passe par une réflexion
globale, tant sur la présentation des lois de finances que sur le débat
budgétaire.
Quant aux récentes controverses funambulesques sur le montant de la cagnotte
fiscale, elles ne peuvent que nous encourager à conférer davantage de pouvoirs
au Parlement. Ce dernier doit disposer d'un droit d'initiative et d'un pouvoir
de contrôle. Pour y parvenir, il est indispensable de lui donner la possibilité
de proposer des modifications, des amendements, en recettes comme en dépenses,
et d'étendre ses moyens de contrôle.
Outre la réforme de l'ordonnance organique, des mesures doivent être prises
rapidement, plus rapidement que ne le prévoit le calendrier, afin de conférer
au Parlement une réelle autonomie législative et en faire autre chose qu'une
simple chambre d'enregistrement des volontés gouvernementales.
Dans le même temps, le Gouvernement serait bien inspiré de mener une grande
réflexion sur la décentralisation, sujet dont nous avons débattu ici, il y a
quelques jours. Il est à mon sens souhaitable de prendre d'urgence des mesures
visant à rapprocher les citoyens des lieux de décision. Il est tout aussi
urgent de clarifier l'attitude de l'Etat à l'égard des collectivités
territoriales, et en ce qui concerne tant les compétences qui leur sont
conférées que les moyens financiers qui leur sont transférés.
Il importe également de mettre en place un véritable statut de l'élu local.
Nous aurions d'ailleurs préféré que l'urgence soit déclarée plutôt pour la
proposition de loi relative au statut de l'élu local que pour la présente
proposition de loi ! L'initiative de plusieurs de nos collègues, parmi lesquels
Alain Vasselle, Jean-Paul Delevoye, Serge Mathieu et Jean Arthuis, a pour objet
d'accélérer l'élaboration d'un projet de loi très attendu, car nous ne pouvons
nous contenter, chacun le sait, du dispositif embryonnaire qui existe
aujourd'hui.
Pour en revenir à cette inversion de calendrier dont l'urgence ne nous
apparaît décidément pas, nous ne pouvons que constater le peu d'égards dont
témoigne le Gouvernement envers les Français : il s'agit, en fait, d'une
opération électorale destinée, à tort ou à raison, à conforter la position du
candidat socialiste aux élections présidentielles. Je dis « à tort ou à raison
», car les sondages, les calculs savants, les prévisions me paraissent bien
risqués à quinze mois de l'élection. Ceux qui s'y livrent seraient bien
inspirés de faire preuve de davantage de modération !
Il s'agit bien, cela a été dit, d'une opération de convenance et de
circonstance, d'une manoeuvre gouvernementale entreprise par pure commodité
électorale.
M. Gérard César.
C'est vrai !
M. Roger Karoutchi.
Depuis 1995, chacun sait que les prochaines élections présidentielles devront
se dérouler les 21 avril et 5 mai 2002.
M. Jacques Valade.
Eh oui !
M. Roger Karoutchi.
Depuis 1997, chacun sait que les prochaines élections législatives devront se
dérouler, en l'état actuel du calendrier, en mars 2002 ou, plus exactement,
soyons sereins, entre le 3 février et le 24 mars pour le premier tour.
Cela n'avait d'ailleurs pas échappé au Premier ministre lui-même, il est
dommage que Mme Borvo soit partie, car je m'apprête à le citer - j'aurai ainsi
fait le tour de tous les dirigeants de la gauche plurielle. Le 19 octobre 2000,
interrogé en direct par Patrick Poivre d'Arvor dans un journal télévisé, le
Premier ministre affirmait en effet qu'il ne prendrait aucune initiative en
matière de calendrier...
M. Gérard Cornu.
Ah !
M. Roger Karoutchi.
... de crainte que ne soit interprétée de façon étroitement politique voire
politicienne la mesure présentée par le Gouvernement s'il y avait inversion du
calendrier.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Et voilà !
M. Roger Karoutchi.
Et le chef du Gouvernement concluait en réponse aux questions du journaliste :
« moi, j'en resterai là ».
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Gérard César.
Parole d'évangile !
M. Roger Karoutchi.
Il eût mieux valu en rester là.
M. Dominique Braye.
On en a l'habitude !
M. Roger Karoutchi.
Cinq semaines plus tard, à l'occasion du congrès du parti socialiste, le
Premier ministre avait changé radicalement d'orientation et déclarait très
sereinement : « Ce qu'il faut souhaiter, c'est que le printemps 2002, celui des
grands rendez-vous démocratiques dans lesquels le peuple s'exprime et tranche,
ne soit pas un printemps de la confusion et des choix de convenance mais un
printemps de la clarté. »
Que s'est-il donc passé entre les déclarations du 19 octobre sur le
statu
quo
et le réquisitoire du 26 novembre en faveur de l'inversion ?
M. Patrick Lassourd.
Une éclipse !
M. Roger Karoutchi.
On murmure, mais je n'ose imaginer que cela puisse être vrai, que le chef du
Gouvernement aurait été quelque peu atteint par les déclarations sur les
farines animales du Président de la République, qui lui aurait un peu volé la
vedette médiatique.
On susurre, que cette sensible reconversion aurait été opérée à la lecture
d'une étude approfondie et très fouillée sur les résultats prévisionnels de la
gauche française aux élections de 2002, publiée en novembre 2000 dans une revue
que mes collègues de la majorité sénatoriale doivent peu lire - mais ils
devraient le faire régulièrement -, mais je veux parler de la
Revue
socialiste.
Chiffres à l'appui, l'expert de cette revue, Eric Perraudeau,
auteur éclairé, explique que la victoire de la gauche en 1997 ne s'est jouée
qu'à une dizaine de milliers de voix bien réparties en faveur de la gauche.
Il observe également, dans cette analyse, que, lors des élections cantonales
et législatives partielles qui se sont tenues depuis 1997, les candidats de la
droite républicaine l'ont bien souvent emporté. L'auteur de cette étude va
jusqu'à qualifier la progression de la gauche depuis 1997 d'évolution « en
trompe-l'oeil ».
Il est vrai que si l'on fait un rapide décompte des résultats des scrutins
dans les trente-trois cantons renouvelés en l'an 2000, on observe que vingt
cantons sont restés à droite, que trois ont été conquis par la droite et que la
gauche n'en a gagné qu'un seul.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Dans la Nièvre !
M. Roger Karoutchi.
Un scrutin est particulièrement évocateur et riche d'enseignements, celui -
j'aurais ainsi fait le tour - qui a eu lieu dans la circonscription de M.
François Hollande, le jour même où se tenait le congrès socialiste de Grenoble,
ce qui explique peut-être bien des choses.
Le conseiller général et maire sortant de Lubersac, charmante commune de la
Corrèze, étant décédé, s'affrontaient aux élections son fils - de droite - et
un candidat socialiste.
La presse et, d'après ce que l'on dit, certains experts électoraux socialistes
étaient très sûrs de la victoire du candidat socialiste.
Manque de chance - décidément, le 26 novembre aura beaucoup marqué les esprits
- 65 % des électeurs du canton sont allés voter, remarquable performance de
mobilisation pour une cantonale partielle, et le candidat de droite a été élu
dès le premier tour avec plus de 53 % des suffrages, résultat qui a pu faire
pâlir d'inquiétude les experts électoraux du parti socialiste et qui nous aide
peut-être à mieux comprendre l'attitude du chef du Gouvernement.
S'ajoutent à cette bonne tenue des candidats de droite aux élections locales
l'affaiblissement du Front national et la montée en puissance des partenaires
du parti socialiste dans la majorité plurielle. Nous avons tous encore
récemment constaté que les demandes en vue de passer des accords pour 2002
étaient de plus en plus pressantes au sein de celle-ci, notamment de la part
des Verts.
Les conséquences immédiates de ces reclassements politiques sont, pour la
droite, la réduction des risques de triangulaires pénalisant ses candidats et,
pour la gauche, de nouveaux handicaps en perspective du fait de la montée de
l'extrême gauche et des Verts. Je me permettrai de rappeler qu'un grand nombre
de députés socialistes doivent leur élection ou leur réélection en 1997 à la
seule existence du Front national et au maintien de ses candidats au second
tour des élections législatives.
M. Patrick Lassourd.
Quarante-trois !
M. Roger Karoutchi.
Il est vrai qu'en cas de défaite aux élections législatives de 2002, le
candidat attendu et naturel du parti socialiste à l'élection présidentielle
risquerait fort de se retrouver en difficulté dans son propre camp...
M. Gérard Cornu.
Ah !
M. Roger Karoutchi.
... quelques semaines avant le scrutin et, qui sait, les hommes n'étant que ce
qu'ils sont, cela pourrait sûrement donner des idées à quelques-uns de ses
amis, qui, pour son plus grand bien, se sacrifieraient pour le remplacer à
l'élection présidentielle.
M. Gérard Cornu.
Et il y en a !
M. Roger Karoutchi.
Je dois reconnaître que, pour tenter de « vendre » aux Français l'inversion du
calendrier comme une mesure nécessaire et indispensable au bon fonctionnement
de nos institutions, il faut beaucoup d'aplomb et de présomption. Le
Gouvernement et les orateurs socialistes avancent pour ce faire des arguments
moins convaincants les uns que les autres.
Le premier est d'affirmer qu'il existe une tradition constitutionnelle qui
veut que l'élection présidentielle soit l'élection reine, l'élection majeure,
l'élection pivot, et que, par conséquent, elle précède toujours le scrutin
législatif. Tout cela est totalement faux si l'on analyse la pratique
institutionnelle depuis 1958.
Depuis cette date, en effet, se sont tenues onze élections législatives et
sept élections présidentielles. Au total, le pouvoir a donc été relégitimé ou
conféré à quinze reprises. Par trois fois, les élections législatives ont eu
lieu en premier. Ce fut le cas en 1958, en 1968 et également en 1973.
A six reprises, les élections législatives se sont tenues à mi-parcours d'un
mandat présidentiel. Il s'agit des scrutins de 1962, 1967, 1978, 1986, 1993 et
1997.
Enfin, on dénombre seulement deux cas dans lesquels les élections législatives
ont suivi immédiatement un scrutin présidentiel : ce sont les élections de 1981
et de 1988.
Cependant - il faut peut-être le rappeler -, en 1981 comme en 1988, ce n'est
que grâce à une dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de
l'époque, François Mitterrand, que cet ordre calendaire a pu être appliqué.
Cela me renvoie à mon propos initial, à savoir que le calendrier électoral est,
du fait d'abord du droit de dissolution du Président de la République, aux
mains de celui-ci et il ne saurait être réglé par une mesure prétendument
d'urgence susceptible d'être votée à la sauvette.
Mes chers collègues, revenons, si vous le voulez bien, aux trois cas dans
lesquels les élections législatives ont précédé l'élection présidentielle.
En 1958, les législatives se sont tenues les 23 et 30 novembre, et la
présidentielle le 21 décembre, soit moins d'un mois après. Même si, comme
peuvent le faire remarquer certains partisans de l'inversion, l'élection de
1958 n'a pas eu lieu au scrutin universel direct, vous conviendrez, mes chers
collègues, qu'à cette époque, l'influence des partis politiques était
sensiblement plus importante qu'aujourd'hui.
En 1968, les législatives se sont déroulées les 23 et 30 juin, et l'élection
présidentielle les 1er et 15 juin 1969, soit moins d'un an plus tard. J'observe
que, malgré son élection post-législative, le Président Pompidou ne s'est
jamais vu reprocher d'être l'otage des députés de sa majorité.
Enfin, dernière en date, l'élection de 1973, qui s'est déroulée un an avant la
présidentielle de mai 1974 : au soir du 19 mai 1974, le président Giscard
d'Estaing, qui a eu, semble-t-il, un rôle dans l'inversion qui nous est
aujourd'hui proposée, n'a pas ressenti le besoin de dissoudre l'Assemblée
nationale pour mettre en place une majorité conforme au programme qu'il avait
développé tout au long de sa campagne.
Dans ces conditions, il ne fait aucun doute, mes chers collègues, que
l'argument avancé par le Gouvernement et le parti socialiste n'a guère plus de
valeur que s'il nous était proposé d'inverser par la loi les saisons.
Second prétexte, l'ordre prévu - l'ordre naturel - ne serait pas conforme à
l'esprit de nos institutions. Or, je ne vois pas à la lecture de la
Constitution comment on peut en arriver à dire que l'élection présidentielle
doit avoir la primauté.
Le Gouvernement l'avoue d'ailleurs à demi-mot puisque, la Constitution étant
muette dans la lettre, il s'empresse de se rattacher à son esprit. Quand la
lettre est muette, l'esprit peut être divers, et on trouvera en l'occurrence
autant d'analyses qu'on le souhaite, mais rien ne permet de considérer que les
élections législatives sont secondaires - j'estime d'ailleurs que l'Assemblée
nationale va un peu vite alors qu'il s'agit de ses propres pouvoirs !
De plus, est-ce au Parlement, qui n'a cessé de souhaiter un rééquilibrage
entre l'exécutif et le législatif, d'affirmer lui-même qu'il procède
indirectement du pouvoir du chef de l'exécutif et d'une élection mineur par
rapport à l'élection présidentielle ?
Le troisième argument avancé consiste à dire, comme on l'a déjà fait pour
l'adoption du quinquennat, que cette proposition de loi est une mesure
anti-cohabitation ou, plutôt, permettant d'éviter la cohabitation. Décidément,
ce thème de la cohabitation peut faire florès pour à peu près toute
argumentation et son contraire. C'est tout juste si le Gouvernement ne
l'utilise pas pour expliquer parfois son inaction, notamment en matière
fiscale. Plus sérieusement, si l'on veut supprimer tout risque de cohabitation,
il faut le dire clairement, ouvrir vraiment le débat et prendre les mesures
adéquates.
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, nous le savons, l'inversion du calendrier
ne réglera en rien les risques de cohabitation, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, rien n'empêchera les Français de voter différemment lors de
scrutins proches dans le temps. Un récent sondage nous apprend d'ailleurs que
plus d'un Français sur trois souhaite qu'à l'issue des élections présidentielle
et législatives de 2002 le Président de la République et le Premier ministre
n'appartiennent pas à la même famille politique, considérant ainsi que la
cohabitation a fait ses preuves. Je n'en suis pas convaincu. Les Français, pour
le moment, ne condamnent pas la cohabitation en tant que telle, mais ils
peuvent condamner les calculs qui consistent à faire en sorte ou à croire
pouvoir faire en sorte que les prochaines élections législatives et
présidentielle auront un résultat uniforme.
Par ailleurs, et c'est un argument évident, la simple application de la
Constitution de la Ve République rend le calendrier électoral amovible. Le
pouvoir de dissolution du Président de la République peut, s'il est utilisé,
décaler complètement les dates de scrutin et faire en sorte que les élections
législatives et présidentielle ne coïncident plus. De la même façon, la
démission ou le décès d'un Président de la République en exercice peut
chambouler complètement les dates d'élections. Par conséquent, on ne voit pas
en quoi cette mesure particulière de changement de calendrier peut avoir valeur
de référence puisque l'on sait que dès après 2002 le problème pourra se poser à
chaque renouvellement. Il existe bien quelques moyens : la suppression du droit
de dissolution - mais cela nous renvoie à un vrai débat constitutionnel, et non
à un débat dans l'urgence - et la substitution d'un vice-président au poste
actuel de Premier ministre - après tout, pourquoi pas, mais, là encore, il faut
revenir à un vrai débat constitutionnel approfondi avec le peuple français. Je
crains que toutes ces mesures ne soient pas à la portée du Gouvernement, quel
que soit, par ailleurs, le talent de ses membres. Nous le voyons bien, si
l'objectif est uniquement d'écarter les risques de cohabitation, il suffit de
le dire clairement, d'en débattre en y associant l'ensemble de nos concitoyens,
et de proposer les mesures appropriées par voie de référendum.
Un autre faux-fuyant est avancé par les contempteurs du maintien de la
séquence naturelle des élections : celui qui consiste à dire que l'ordre actuel
est confus et place les électeurs dans un embrouillamini électoral. Ces experts
en psychologie électorale craignent que les Français ne fassent un amalgame
entre les deux scrutins. Merci pour eux ! Ils sont persuadés, disent-ils, que
nos concitoyens ne perçoivent pas la différence entre l'élection du Président
de la République et l'élection des députés. Dans ces conditions, je crains
qu'il ne faille pousser le raisonnement plus loin. On pourrait, par exemple,
dire que le fait qu'il y ait des élections un an avant les élections
législatives ou présidentielle pose problème. Pis, monsieur le secrétaire
d'Etat, qu'est-ce que le Gouvernement a envisagé pour le tour suivant ? En
effet, du fait des municipales et cantonales de 2001, en 2007, c'est-à-dire
demain, au terme du quinquennat, nous aurons, la même année, des municipales,
des cantonales, des législatives et une présidentielle plus des sénatoriales.
Je défie qui que ce soit de me dire quel sera, dans ces conditions, le
calendrier de 2007 et si le Gouvernement du moment envisage d'engager des
détectives, des sondeurs, des prévisionnistes et des météorologues pour
résoudre ce calendrier calamiteux !
M. Patrick Lassourd.
La boule de cristal !
M. Gérard Cornu.
Eh oui !
M. Roger Karoutchi.
Non, vraiment, tous ces arguments sont des arguments de circonstance. Avant ou
après, les élections présidentielle et législatives se situeront dans tous les
cas à quelques semaines d'intervalle.
Alors, pour défendre cette mesure, le rapporteur de ce texte à l'Assemblée
nationale soutient qu'il existe des précédents sur cette question de la
prorogation de la durée de la mandature d'une assemblée, en faisant référence à
la décision du 6 décembre 1990. Il affirme ainsi qu'il suffit que « le
législateur se conforme aux principes d'ordre constitutionnel qui impliquent
notamment que les électeurs soient appelés à exercer, selon une périodicité
raisonnable, leur droit de suffrage et que les choix du législateur
s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à
aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur constitutionnelle ».
Il poursuit en évoquant les précédents suivants : la loi du 21 décembre 1966,
qui a reporté de mars à octobre 1967 le renouvellement d'une série de
conseillers généraux ; la loi du 4 décembre 1972, qui a procédé au report
d'élections cantonales du mois de mars au mois d'octobre 1973 ; la loi du 8
janvier 1988, qui a reporté de mars à septembre une série d'élections
cantonales ; la loi du 11 décembre 1990 ; enfin, la loi de 1994, dont chacun se
souvient, qui a reporté au mois de juin les élections municipales de 1995.
Certes, ces reports ont bien eu lieu. Mais en aucun cas, chacun a pu le noter
dans les citations que je viens de faire, ils n'ont concerné des élections
législatives, à deux exceptions près, et pas n'importe lesquelles. Dans ces
deux cas, on ne peut pas dire que les conditions aient été les mêmes
qu'aujourd'hui.
Le premier cas, c'est, bien sûr, la Première Guerre mondiale : on n'allait pas
faire voter les Français massivement mobilisés sur le front, et les élections
législatives ont été décalées en 1919. Le second cas, guère plus facile,
c'était en 1940 : là, effectivement, l'assemblée élue en 1936, dont les membres
appartenaient majoritairement au Front populaire, a siégé au-delà de son
mandat, jusqu'au coup de force de Vichy. Vous voudrez bien reconnaître que dans
les deux cas - Première Guerre mondiale, Seconde Guerre mondiale et coup de
force de Vichy - les circonstances n'étaient pas uniquement des circonstances
de calendrier et d'arrangement électoral.
(Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
M. Gérard Cornu.
Et heureusement !
M. Roger Karoutchi.
En aucun cas, en temps de paix, une assemblée législative n'a prorogé
d'elle-même l'échéance de sa mandature. S'agissant d'élections locales,
municipales ou cantonales, il n'est pas choquant, pour des motifs d'intérêt
général, que le Parlement, qui n'est pas partie prenante, puisse se prononcer.
En revanche, proposer à des députés de proroger d'eux-mêmes la date d'échéance
de leur mandat, c'est évidemment un petit peu spécieux, et c'est une autre
affaire !
En outre, même dans ces conditions, un éminent constitutionnaliste, Louis
Favoreu, observait, lors de son audition par la commission des lois de notre
assemblée, que chaque fois que le Conseil constitutionnel avait validé une
démarche de prorogation, il l'avait subordonnée « au respect de conditions
strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire du report et
l'existence d'une réelle justification ».
Le codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel
a aussi
rappelé quelques-uns des motifs retenus par le Conseil : « favoriser la
participation des électeurs, assurer la continuité de l'administration
territoriale, éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le
statut des élus, ou encore permettre aux électeurs d'être mieux informés des
conséquences de leur choix ». Par hasard, l'un de ces éléments serait-il
utilisé par le Gouvernement pour expliquer le report ? Le Gouvernement a-t-il
l'intention d'informer les électeurs ? Un problème se pose-t-il sur la
continuité de l'administration territoriale ? Y a-t-il un problème sur
l'existence et la légitimité des parlementaires d'aujourd'hui ? Je ne le crois
pas ! Tout cela ne peut donc en aucun cas justifier une mesure d'exception.
Enfin, mes chers collègues, vous me permettrez de dire que nous ne comprenons
pas toujours les motifs qui poussent certains experts éminents du parti
socialiste, alors qu'ils affirment que cette réforme, n'a pas d'intérêt
électoral, à faire réaliser des études approfondies sur les projections des
résultats. Soyons sérieux. A-t-on déjà vu - et cela a déjà été dit ce matin -
quelqu'un modifier, sans y être obligé par des circonstances dramatiques, un
calendrier à son détriment ? Qui peut croire que, en l'occurrence, le
Gouvernement et le Premier ministre n'ont été guidés par rien d'autre que
l'intérêt général ?
Et puis si, malgré tout ce que je viens d'évoquer, nous pouvions avoir encore
quelques doutes, il suffirait de s'en référer à Daniel Cohn-Bendit
(Exclamations sur plusieurs travées du RPR)
, qui manquait à la
panoplie.
M. Patrick Lassourd.
Référence notable !
M. Roger Karoutchi.
En effet, interprète polyglotte du Gouvernement, il a déclaré récemment, en
toute sérénité : « Je suis pour l'inversion du calendrier, parce que je veux
que Lionel Jospin gagne la présidentielle ! »
Plusieurs sénateurs du RPR.
C'est clair !
M. Roger Karoutchi.
Voilà un argument de fond qui a au moins le mérite de la clarté !
A la question : « Quoi de plus limpide que les préceptes de La Fontaine ? »
posée voilà un demi-siècle par André Siegfried, l'un des maîtres de la
sociologie électorale, nous avons aujourd'hui enfin la réponse : ce qui est
plus limpide que les préceptes de La Fontaine, ce sont les déclarations de M.
Cohn-Bendit, révélatrices des pensées profondes d'une gauche de plus en plus
plurielle !
Nous l'avons bien compris, mes chers collègues, cette proposition de loi vise
à guider la main des Français lors des prochains scrutins. Les véritables
motivations de ce texte sont inavouées. En 1985, nous avions déjà eu
l'instauration de la proportionnelle pour empêcher la victoire de la droite
républicaine et favoriser, dans le même temps, le développement et l'expansion
de l'extrême droite, censés gêner cette même droite républicaine ; aujourd'hui,
la manoeuvre électorale pour déplacer les dates d'élections consiste à préparer
une candidature à la magistrature suprême.
Mais, pour être honnête et juste, il faut reconnaître que le Gouvernement n'en
est pas à son premier acte de « bravoure », loin s'en faut ; j'en parlais voilà
peu avec le président de l'Assemblée des régions de France : la modification
des scrutins régionaux et la réforme partielle du mode d'élection des sénateurs
visaient déjà ce même objectif, à caractère plus partisan que d'intérêt
général. Quelle ardeur à la tâche d'ailleurs quand il s'agit de stratégie
électorale ! On a beaucoup plus d'imagination, beaucoup plus de volonté en
cette matière que lorsqu'il s'agit d'aborder les vraies réformes, le tout au
nom de la clarté des scrutins.
Nous verrons bien ce que sera celle-ci en 2002, mais s'agissant par exemple de
la réforme des élections régionales - et je parle ici sous le contrôle de
nombreux élus régionaux - en Ile-de-France, dont j'ai le plaisir d'être un élu,
la clarté du scrutin se traduit par le fait qu'il n'y aura qu'une liste de 209
noms pour toute la région. Je suis sûr que, pour l'électeur citoyen de l'un des
huit départements d'Ile-de-France, la clarté des listes risque de donner plutôt
dans la confusion.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Eh oui !
M. Roger Karoutchi.
La vérité, c'est que toutes ces réformes de circonstance prouvent aujourd'hui
que le Gouvernement gère moins qu'il ne calcule, que le Gouvernement ne réforme
pas, qu'il aménage, que le Gouvernement ne prépare pas l'avenir des Français et
de nos enfants, qu'il se focalise sur son destin et la pérennisation de son
pouvoir.
En fait, c'est à l'ensemble de la droite que le défi est lancé. A nous de
gagner les élections de 2002, sans changer les règles du jeu, simplement projet
contre projet, monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous avons, nous aussi, confiance en notre capacité à promouvoir une autre
ambition pour la France, une ambition salvatrice, et je suis convaincu que la
démarche qui est à l'origine de ce texte ne fera que rassembler tous ceux qui,
parmi nous, veulent l'union sans se renier.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR. - MM. Jean-Paul
Huchon et André Vallet applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me
permettrez d'abord, en préambule à mon propos, de saluer notre collègue M.
Bonnet. J'ai en effet vivement apprécié son analyse excellente, la pertinence
des jugements et la finesse des interrogations soulevées dans son rapport
écrit, lequel, j'en suis persuadé, a grandement contribué à fonder et à
enrichir notre débat.
A l'heure où le candidat Jospin à l'élection présidentielle s'avise que
l'ordre naturel des élections de 2002 risque fort de lui être défavorable, on
comprend l'urgence décrétée pour mobiliser la représentation nationale et pour
modifier, toutes affaires cessantes, le calendrier dans un sens plus conforme
aux intérêts personnels du candidat socialiste.
Repousser les élections législatives après l'élection présidentielle est la
priorité d'un seul homme et d'un homme qui redoute le verdict des urnes. Il lui
paraît donc tout à fait normal de retoucher le code électoral, de modifier le
fonctionnement des institutions, de provoquer un débat au Parlement, de
s'allier avec une fraction de ses adversaires tout en s'aliénant le soutien de
ses amis...
M. Roger Karoutchi.
Et voilà !
M. Patrick Lassourd.
Drôle de conception de la démocratie !
M. Joseph Ostermann.
Ce n'est pas beau !
M. Hilaire Flandre.
Oh, le vilain !
M. Patrick Lassourd.
Parallèlement, à l'heure où les Français s'inquiètent de leur sécurité
alimentaire, de l'accroissement des inégalités, du poids de l'impôt, de leur
avenir en termes d'emploi et de retraite, de l'éducation de leurs enfants, du
fonctionnement de la justice, on comprend que ce débat, totalement étranger à
l'intérêt général de nos concitoyens, contribue à creuser davantage encore le
fossé qui les sépare du politique et à déconsidérer un peu plus ses acteurs :
quel triste décalage entre notre débat et le « pays réel » !
Vous me pardonnerez d'exposer les faits aussi brutalement, mais non sans
ironie. Cependant, je suis trop indigné et moralement choqué du procédé pour ne
pas dire les choses telles qu'elles sont et parler en vérité.
Nous siégeons certes dans un palais où se déroula jadis la fameuse journée des
dupes. Mais vous l'aurez compris, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne serons
pas les vôtres, aujourd'hui, dans ce faux débat constitutionnel, véritable «
coup politique », où l'intérêt général n'est invoqué, avec hypocrisie, que pour
couvrir un profit personnel.
Il est en effet impossible de déceler dans le texte qui nous est soumis autre
chose que le fruit d'une manoeuvre électorale ! Tout le prouve.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Patrick Lassourd.
Je pense d'abord à l'utilisation de la procédure d'urgence qui est, en
l'occurrence, une fois de plus, totalement injustifiée et inopportune.
MM. Dominique Braye et Roger Karoutchi.
Tout à fait !
M. Patrick Lassourd.
Aucune crise politique ne réclamait une telle réforme. Ce calendrier était
connu depuis 1997.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Joseph Ostermann.
Tout à fait !
M. Patrick Lassourd.
Cette méthode, devenue coutumière au Gouvernement, « force » les élus du
peuple à légiférer sans la sérénité nécessaire et permet ainsi de faire adopter
de manière commode et rapide des textes de circonstances.
Je pense ensuite au revirement à cent quatre-vingts degrés opéré par le
Premier ministre, qui, le 19 novembre dernier, déclarait ceci : « A défaut de
consensus, toute initiative de ma part concernant un changement de calendrier
électoral serait interprétée de manière politique, voire politicienne ! » Vous
avez dit « politicienne » ? Eh bien, nous y sommes ! M. Jospin agit aujourd'hui
en totale contradiction avec ses récents propos !
M. Dominique Braye.
Comme toujours !
M. Patrick Lassourd.
Ce revirement est d'autant plus suspect de politisation qu'il a surgi lors du
congrès de Grenoble du parti socialiste, occasion manquant singulièrement de la
neutralité requise pour une mesure constitutionnelle et d'intérêt général,
comme vous en conviendrez ! En réalité, M. Jospin change non pas tant d'avis
que d'état : est-il encore le Premier ministre de la France ? Il est désormais
davantage dans la peau du candidat à l'élection présidentielle que dans celle
de chef de gouvernement ! L'intérêt et le calcul électoral priment ainsi, à
quatorze mois des échéances, sur les attentes des Français. Et ce débat marque
une véritable entrée en campagne électorale.
Autre indice de manoeuvre : la multiplication d'alliances incongrues suscitées
par le projet. Lâché par les communistes et les Verts, qui sont les partenaires
traditionnels du gouvernement socialiste auquel ils appartiennent, je le
souligne, le Premier ministre a, sur cette réforme, dévoilé les divisions de sa
majorité et été contraint d'aller chercher des appuis à droite en débauchant
quelques membres de l'UDF. Ainsi, un ancien Président de la République, que
vous avez toujours combattu, est-il devenu une inédite caution morale dont on
exploite sans trop d'efforts les nostalgies et les rancoeurs, ainsi les
socialistes versent-ils dans le gaullisme le plus affiché...
On aura tout vu ! Ces combinaisons douteuses avec des alliés de rencontre ne
nous échappent pas et ne grandissent pas ce débat ! Choisir l'appui
d'adversaires faute d'obtenir celui de vos amis, voilà, monsieur le ministre,
de quoi faire douter de la sincérité de vos intentions, comme de la force de
vos convictions !
Autre preuve : le calcul électoral tout simple évoqué avec une franchise un
peu primaire mais louable, car révélatrice, par Daniel Cohn-Bendit, Jean-Claude
Gayssot ou Henri Emmanuelli. Tous reconnaissent en effet que le prochain
scrutin présidentiel, avec le calendrier tel qu'il est, a toutes les chances
d'être défavorable à Lionel Jospin. Une possible défaite de la gauche plurielle
aux élections législatives de 2002 risquerait en effet d'être fatale à la
candidature de M. Jospin à l'élection présidentielle.
L'affaiblissement du Front national, dont l'émergence fut tant favorisée par
les socialistes qui y trouvaient leur compte... électoral, va réduire bon
nombre de triangulaires, favoriser ainsi la droite traditionnelle et réduire la
base électorale, déjà de coalition et, pour le moins, hétéroclite, du Premier
ministre. Le candidat Jospin, pour se gagner les suffrages, aurait à consentir
des concessions, à composer avec les diverses sensibilités de sa majorité ;
bref, il perdrait indépendance et latitude, et s'affaiblirait. Or, le candidat
Jospin ne souhaite pas être comptable du bilan du Premier ministre Jospin...
Pour conjurer la crainte des urnes et la peur de perdre, M. Jospin cherche à
assurer ses arrières par cette mesure tactique de pure stratégie personnelle
!
La volonté du Gouvernement de se soustraire au contrôle prévu par les
institutions constitue un dernier signe de manipulation électorale. Tout
d'abord, le choix de présenter le texte sous forme d'une « proposition de loi
», fort peu spontanée et tout à fait « dictée », méthode habituelle du
Gouvernement pour se défausser sur sa majorité de projets sensibles ou
embarrassants, permet d'échapper à l'avis du Conseil d'Etat, qui est requis
pour un projet de loi organique. La forme de la proposition de loi dispense
également le Gouvernement de soumettre le texte au référendum. Enfin, elle
évite l'examen en conseil des ministres, où le Président de la République,
directement concerné, aurait pu légitimement émettre réserves et remarques sur
un texte qui règle son propre avenir !
Ce dernier point a beaucoup choqué le parlementaire respectueux de la
Constitution que je suis. Ecarter injustement le Président de la République,
c'est faire fi de l'article 5 de la Constitution, qui dispose : « Le Président
de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son
arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la
continuité de l'Etat. » Autant dire que cet arbitrage a été totalement et
soigneusement occulté !
En dépit de toutes ces évidences tacticiennes, on a voulu habiller en hâte le
débat de respectabilité juridique. Ainsi ont été auditionnés d'éminents
constitutionnalistes, professeurs émérites, plutôt dubitatifs et pas du tout
unanimes sur les conséquences de cette inversion du calendrier. En effet,
personne ne peut garantir que la modification du calendrier, pas plus
d'ailleurs que le quinquennat, permettra de réduire la durée de la
cohabitation. Le texte proposé constitue donc un aveu d'impuissance
constitutionnelle mais un gage d'efficacité politique. Voilà la vérité !
M. Joseph Ostermann.
Et voilà !
M. Patrick Lassourd.
Le calendrier électoral dépend en fait de trois éléments échappant à toute loi
organique : la dissolution, la démission du Président de la République et son
décès. Sur ces trois points, personne ne peut agir. Le nouveau calendrier n'est
donc pas à l'abri d'une remise en cause, malgré le vote de la proposition de
loi. On comprend ainsi les lacunes, les fragilités et les dangers de la réforme
qui nous est proposée.
M. Louis Grillot.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
A la lumière de ces éléments, où est, monsieur le ministre, la force de vos
convictions ?
M. Dominique Braye.
Ils en ont eu !
M. Patrick Lassourd.
Comment nous faire croire que vous y croyez vous-même ?
Comment ne pas vous soupçonner de faire preuve d'une magistrale hypocrisie ?
Le masque ne tient pas, et notre indignation est grande de participer à un «
débat » qui devrait être abordé avec sincérité et honnêteté, et qui est, en
définitive, confisqué par des calculs peu dignes, gagnés d'avance.
Je relèverai trois motifs d'indignation.
En premier lieu, notons un manque manifeste d'honnêteté intellectuelle
concernant la lecture de la Constitution. Vous n'avez eu de cesse, monsieur le
ministre, de combattre le général de Gaulle et les institutions de la Ve
République, pour, aujourd'hui, vous en prévaloir ! Curieux paradoxe... Vous
vous posez en défenseur de l'esprit d'une constitution que l'auteur du
Coup
d'Etat permanent
parait de tous les méfaits... avant d'en faire son profit,
en l'appliquant à la lettre, notamment lors de la première cohabitation de 1986
!
Ce ne sont pas tant nos institutions qui méritent d'être montrées du doigt que
plutôt l'usage que l'on en a fait, et que vous en faites, avec la banalisation
de la cohabitation. Vous invoquez la tradition, la nécessité d'affirmer la
prééminence de l'élection présidentielle. Il n'y a aucune tradition en la
matière ; nombre de mes collègues ont rappelé les précédents où les élections
législatives ont eu lieu avant l'élection présidentielle. Notre tradition, à
nous, consiste à mettre les institutions et le calendrier électoral à l'abri
des calculs de convenance personnelle !
C'est plutôt sur la pratique que nous devons nous pencher. Grand pourfendeur
de la présidentialisation du régime, avant d'accéder au pouvoir, le Président
Mitterrand a, par la suite, nettement favorisé une lecture « présidentielle »
de la Constitution...
(M. Braye s'exclame.)
Vous avez bien retenu la leçon, en cherchant à « accommoder » nos institutions
au gré de vos intérêts. C'est vraiment indigne !
Le vrai débat consiste non pas à modifier le calendrier, mais à s'interroger
sur le devenir de nos institutions, sur l'équilibre des pouvoirs législatif et
exécutif, sur la nécessité ou non de passer à une République plus moderne.
C'est cela, le vrai respect d'une constitution écrite pour tous, dans l'intérêt
d'une nation.
Vous comprendrez donc combien nous condamnons cette lecture univoque que vous
cherchez à imposer, dans le seul intérêt d'un homme et d'un parti !
Mon deuxième motif d'indignation tient à cette méthode socialiste, contre
laquelle je m'élève, et qui consiste à retoucher constamment la Constitution.
On ne ravaude pas ainsi perpétuellement un texte constitutionnel, par petites
touches, comme un vieux vêtement emprunté qu'on ne se résout pas à ajuster une
bonne fois pour toutes.
Une dizaine de modifications de la Constitution ont lieu depuis 1922, sans
compter la tentative avortée de modification du Conseil supérieur de la
magistrature. Cette action au cas par cas a fini par faire perdre toute vision
globale du texte.
M. Dominique Braye.
Eh oui !
M. Patrick Lassourd.
Vous en portez l'entière responsabilité. Un débat sur les institutions est,
certes, tout à fait légitime, mais, alors, que ce soit un vrai débat,
c'est-à-dire un débat de fond, avec une réflexion d'ensemble !
Parallèlement, tous les projets de réforme des modes de scrutin décidés par la
gauche ont obéi à des motivations électoralistes. Déjà, en 1986, le mode de
scrutin législatif avait été modifié de manière à limiter les chances de
victoire de l'opposition. En 1990, c'était au tour des conseillers généraux de
faire les frais des ambitions électorales de la gauche.
M. Dominique Braye.
Déjà !
M. Patrick Lassourd.
Récemment, les élections régionales ont également été visitées par l'esprit
réformateur du Gouvernement Jospin.
M. Dominique Braye.
Encore !
M. Patrick Lassourd.
Il en va de même pour le mode de scrutin des sénateurs, dont la modification
n'a pas d'autre visée que de gagner quelques sièges au Sénat, « anomalie » tout
de même utile !
M. Dominique Braye.
C'est un comble !
M. Patrick Lassourd.
Aujourd'hui, vous faites des émules au sein de la majorité plurielle, puisque
les Verts réclament à grands cris une dose de proportionnelle pour les
prochaines législatives, afin d'augmenter le nombre de leurs représentants.
Comment éviter, au regard de toutes ces manipulations, notre écoeurement
devant tant de cynisme et de mépris des choix réels des électeurs ? Comment
voulez-vous que nous vous fassions confiance ? Les exemples que je viens de
citer reflètent des manoeuvres de mauvais joueurs et de mauvais perdants, où
l'honneur est totalement absent.
M. Hilaire Flandre.
Absolument !
M. Patrick Lassourd.
Enfin, ce qui me choque profondément, c'est le caractère non démocratique de
votre méthode. Vous spéculez sur les motivations des électeurs, grands absents
du débat. Il n'a pas été question un instant, en effet, de solliciter leur
accord et de les consulter par la voie du référendum, ce qui aurait été
justifié. Car il ne faut pas perdre de vue - M. Badinter s'est plu lui-même à
le rappeler à cette tribune - que ce sont eux les maîtres des scrutins et de
notre démocratie !
Le peuple souverain a choisi le calendrier actuel, avec ses aléas. Ce n'est
donc pas lui qui aurait, dans un grand élan national, inspiré votre réforme !
Au vu des sondages, ce serait même plutôt le contraire, et ils seraient très
déçus de voir leurs attentes et leurs besoins si mal et si peu pris en compte
!
En tout cas, ce n'est pas cette « magouille » qui va les réconcilier avec la
politique ! L'abstentionnisme galopant est bien la preuve de cette
désaffection. Il est donc temps de les faire juges, directement, des grandes
questions qui intéressent leur avenir.
Je ne veux pas terminer...
M. Joseph Ostermann.
Déjà !
M. Patrick Lassourd.
... sans une note positive, sans esquisser les traits du vrai débat de fond
que nous aurions dû avoir depuis quelques jours.
Entrons donc de manière nette et globale dans une république modernisée !
Opérons un toilettage de fond de nos institutions adapté aux évolutions de
notre pays !
La constitution de 1958 est née d'un contexte particulier. Il est aujourd'hui
indispensable de moderniser nos institutions et de les reconstruire dans une
perspective d'ensemble.
En effet, quels sont les grands enjeux qui doivent présider à notre réflexion
?
C'est, d'abord, la position de la France au regard de la mondialisation et de
l'Union européenne.
Il faut affirmer la place de la France dans l'Union européenne, en la dotant
d'institutions stables, moderniser l'Etat, en revivifiant les libertés locales,
promouvoir une démocratie de proximité, en rendant effective la
décentralisation, faire en sorte que les décisions soient prises au plus près
du terrain, élaborer un projet économique et social orienté vers le dialogue et
la solidarité, établir des relations de confiance entre le peuple souverain et
la classe politique, notamment en élaborant un statut de l'élu.
Pour s'adapter, dans ces conditions, nos institutions doivent s'affranchir de
l'étatisation et de la concentration actuelle du pouvoir entre les mains de
l'autorité centrale et de la haute administration.
Il faut donc rééquilibrer et mieux séparer le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif, renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement, affirmer le rôle du
citoyen, établir un juste équilibre entre le pouvoir central et les
collectivités locales grâce à une régionalisation accrue.
Ce débat sur nos institutions permettra de poser les vraies questions :
faut-il ou non continuer à vivre des cohabitations, faut-il ou non se diriger
vers un régime présidentiel ou vers un régime parlementaire ?
Pour ce qui concerne la cohabitation, l'expérience a montré qu'elle
correspondait à un espace de temps qui n'est pas profitable à la France. Nos
institutions, une fois modernisées et toilettées, devront donc limiter au
minimum le risque de cohabitation, voire l'empêcher totalement. Avec la
cohabitation, nous avons gagné en paralysie, nous avons perdu en crédibilité
auprès de nos partenaires européens et mondiaux.
M. Georges Gruillot.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
Si nous nous dirigeons vers un régime présidentiel, il faudra poser les vraies
questions : celle du droit de dissolution, qui ne pourra pas être conservé,
celle de l'existence du Premier ministre, celle de la création éventuelle d'un
vice-président, celle de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement,
mais aussi celle de la nature des scrutins.
A considérer le régime présidentiel des Etats-Unis, bien connu, on note qu'il
y a une négociation permanente entre le président et le Congrès. Mais cette
négociation est facilitée par le fait qu'il y a deux formations politiques au
Congrès. Chez nous, notamment depuis l'émergence du pouvoir socialiste, nous
sommes face à un émiettement des formations politiques. Il n'est qu'à voir la
gauche plurielle !
Rappelons-nous le machiavélisme inouï du président Mitterrand pour faire
émerger une formation politique dont on connaît les idées extrémistes à seule
fin de diviser la droite à son profit personnel !
M. Hilaire Flandre.
Scandaleux !
M. Patrick Lassourd.
Comment, avec de tels comportements, aller vers un régime présidentiel, dans
lequel le président est obligé de négocier avec le Parlement, si l'on compte
une dizaine de formations politiques, certaines n'étant présentes que grâce au
machiavélisme d'un président soucieux d'assurer sa majorité et son élection
?
Actuellement, on voit certains partenaires de la majorité dite plurielle, les
Verts, demander l'adoption du scrutin proportionnel.
Je vous le dis, mes chers collègues, un régime présidentiel ne peut coexister
avec un scrutin proportionnel, car la présence d'un trop grand nombre de
formations politiques au Parlement empêchera toute négociation entre ledit
Parlement et le président.
Pour ce qui est du régime parlementaire pur et dur, il n'y a pas de surprise.
Nul besoin de faire de la fiction. De la fin de la guerre, en 1946, jusqu'en
1958, nous avons eu, en France, un régime parlementaire pur et dur. C'étaient
les délices de la IVe République.
Nous y avons perdu notre crédibilité, nous y avons perdu la force de notre
monnaie. Nous n'avons pas eu le développement économique que nous aurions pu
avoir. Nous avons collectionné un nombre incroyable de gouvernements. Nous ne
pouvons donc pas aller dans cette direction.
Dès lors, quelle est la bonne réponse ? La bonne réponse, c'est la
Constitution de la Ve République. Arrêtons de dire que c'est une anomalie parce
que c'est une constitution qui existe peu ou pas du tout en Europe et dans le
monde. Ce n'est pas une anomalie, c'est notre spécificité : elle convient à
notre identité, à notre culture, à notre façon de penser, de régler les
affaires de l'Etat.
Mais ce ne sont pas les petites retouches permanentes, comme le quinquennat,
le cumul des mandats, la parité, les changements de scrutin, notamment le
scrutin sénatorial, qui répondent au souci réfléchi de moderniser de façon
pérenne et harmonieuse les institutions.
Et s'il y a un gouvernement qui est vraiment très mal placé pour mener à bien
cette rénovation des institutions, c'est bien, monsieur le ministre, celui
auquel vous participez !
En conclusion, la mesure proposée contient, nous l'avons vu, davantage
d'arrière-pensées que de pensées tout court ! Elle nous a plongés dans un débat
strictement politique, dans le plus mauvais sens du terme, ce que nous
déplorons.
Ce n'est qu'au prix d'un vrai débat, que j'ai brièvement évoqué, que nous
pourrons reconquérir la confiance des Français, seuls comptables de votre
action.
Nous n'avons pas, monsieur le ministre, la même notion de la représentativité.
M. Jospin exerce ses fonctions dans l'impunité ; nous, nous concevons notre
mandat dans la responsabilité, sous le contrôle de la souveraineté populaire.
C'est là toute la différence. C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe du
RPR, je ne voterai pas votre texte en l'état.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu.
« Une constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà ce
qu'affirmait le général de Gaulle lors de sa conférence de presse du 31 janvier
1964.
L'esprit ? C'est l'interprétation qui permet de faire prévaloir certains
principes sur d'autres, lorsqu'un choix est à faire. Les institutions ? Elles
constituent ce qu'il y a de descriptif dans une constitution. La pratique ?
C'est l'application de la Constitution, les règles que l'on arrête pour savoir
comment seront exercées concrètement les compétences, les textes ne prévoyant
pas tout. A cet égard, c'est l'esprit qui doit diriger la pratique, car tout ce
qui est juridiquement possible n'est pas politiquement acceptable.
Le général de Gaulle déclarait encore, lors de la même conférence de presse,
que, comme l'épreuve des hommes et des circonstances l'avait montré,
l'instrument répondait à son objet, non seulement pour ce qui concernait la
marche ordinaire des affaires, mais encore pour ce qui avait trait aux
situations difficiles, auxquelles la Constitution offrait les moyens de faire
face. Et le général de citer le référendum, la dissolution de l'Assemblée
nationale et les pouvoirs de crise.
Il m'a semblé qu'il n'était pas inutile de rappeler d'emblée ce que celui qui
avait en quelque sorte « passé commande » du texte constitutionnel avait
précisément en tête alors que, aujourd'hui, de notoires opposants aux
institutions de la Ve République entendent le relire sous un éclairage qui leur
est favorable, n'hésitant pas à lui prêter un sens qu'il n'a pas.
Nous touchons là, en effet, mes chers collègues, le coeur du sujet qui nous
préoccupe.
Les pères constituants ont en effet vu, dans le droit de dissolution dévolu
par l'article 12 au Président de la République, une véritable compétence
d'arbitrage. Rappelons-nous, au passage, que le droit de dissolution était,
sous la république précédente, l'apanage du président du Conseil.
La dissolution de 1997 étant présentée comme l'un des deux événements qui,
avec le décès du président Pompidou, ont contribué à faire du calendrier
électoral de 2002 ce qu'il est, il est loin d'être hors de propos de se pencher
quelques instants sur le concept.
Certains qualifient ce calendrier de « fortuit » pour mieux faire adhérer à
leur théorie celle du « rétablissement ». M. le ministre de l'intérieur a même
parlé de « rétablissement cohérent ».
Le terme « rétablir » est, à lui seul, tout un aveu. Le dictionnaire lui donne
pour synonyme : « remettre en place ». Or je ne crois pas commettre un abus de
langage en affirmant que « remettre en place », en somme remettre de l'ordre,
ce n'est pas le rôle du ministre de l'intérieur. Mais, ici, remettre de l'ordre
dans les échéances électorales devrait avoir pour corollaire un ordre préétabli
inscrit dans notre loi fondamentale.
Du reste, si ordre établi il devait y avoir en la matière, le général de
Gaulle l'aurait prévu dans le référendum constitutionnel de 1962. Or, pas un
mot ! En effet, il était facile d'instaurer une date fixe pour l'élection du
Président de la République, comme cela existe pour les élections
législatives.
En ce qui me concerne, je dirai plus volontiers de ce calendrier qu'il n'est
que la résultante de circonstances, de cas de figure prévisibles et inscrits
dans le texte constitutionnel qui, ne l'oublions pas, a été approuvé par 80 %
des Français lors du référendum du 28 septembre 1958.
Dans la discussion générale, monsieur le ministre, vous avez conclu en ces
termes : « Le rôle du législateur ne peut se résumer à attendre que des
événements extérieurs dénouent une incohérence dans le fonctionnement de nos
grandes institutions. » J'en déduis que, à l'inverse, on attendra de nous, au
moindre accident de parcours - nouvelle dissolution, disparition du chef de
l'Etat - que nous adoptions d'autres lois organiques, au coup par coup, que je
vous suggère de rebaptiser « lois de convenance ».
Le principal atout de la Ve République reste incontestablement la continuité
et la stabilité des institutions. Ces mêmes institutions ont pourtant permis
1981 et la première cohabitation, au grand étonnement de nombreuses personnes,
notamment d'éminents juristes qui avaient pu, à juste titre, redouter que la
Constitution de 1958 ne permette pas d'alternance politique sans que ses
fondements soient remis en cause.
Lorsque, en septembre 1962, le général de Gaulle annonce qu'il lui apparaît
souhaitable, pour renforcer la stabilité des institutions, que le chef de
l'Etat soit élu directement par les Français au suffrage universel direct, 62 %
des Français font le choix de lui donner raison. Toute la vie politique va, à
partir de là, être axée sur l'élection présidentielle.
D'aucuns voudraient aujourd'hui nous faire croire que l'esprit des
institutions commanderait de faire précéder les élections législatives par
l'élection présidentielle. Mieux : on nous dit que ce calendrier ne résulte ni
de la volonté du constituant, ni de celle du législateur.
Qu'indique, au juste, le texte de la Constitution sur ce point ? Rien ! Les
pères constituants n'ont, à aucun moment, estimé souhaitable d'instaurer une
sorte de protection du Président de la République en imposant que les élections
législatives aient lieu après son élection. Or la discrétion du texte
constitutionnel n'empêche visiblement pas certains de considérer quelques-unes
de leurs prescriptions comme autant d'acquis.
En dépit de virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de
la Ve République, notamment dans son livre
Le Coup d'Etat permanent
, le
président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est.
Tout au plus, dans un entretien au journal
Le Monde
, le 2 juillet 1981,
évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout
en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons
qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes
urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans
réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des
élections.
Quid
des préoccupations des Français ?
Quid
du dossier
des retraites ?
Quid
de l'application des 35 heures dans les entreprises
? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la
France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante
pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois
ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les
secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie.
Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise
économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que
nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35
heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à
savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui
gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir,
que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de
la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou
institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans
la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. En dépit de
virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de la Ve
République, notamment dans son livre
Le Coup d'Etat permanent
, le
président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est.
Tout au plus, dans un entretien au journal
Le Monde
, le 2 juillet 1981,
évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout
en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons
qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes
urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans
réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des
élections.
Quid
des préoccupations des Français ?
Quid
du dossier
des retraites ?
Quid
de l'application des 35 heures dans les entreprises
? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la
France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante
pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois
ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les
secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie.
Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise
économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que
nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35
heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à
savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui
gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir,
que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de
la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou
institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans
la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. L'électorat
choisit lui-même un parti ou une coalition formée avant l'élection ; il choisit
lui-même un chef, le
leader
du parti ou de la coalition, ou celui qu'il
a choisi pour diriger le gouvernement ; il choisit un projet politique, la
plate-forme électorale qui, toujours, fixe au moins quelques objectifs et
quelques moyens prioritaires pour les atteindre. Le système politique
majoritaire laisse au peuple le double choix de l'orientation politique et de
la personne qui la mettra en oeuvre. »
Ce système, s'il réduit le choix de l'électeur entre le candidat A et le
candidat B, lui confère le pouvoir considérable de changer d'avis et donc, par
là même, de changer le cours des choses. L'opposition d'aujourd'hui est la
majorité de demain, l'unique incertitude pesant sur la date de ce « demain » !
En France, deux élections ont une portée gouvernementale : celle du Président
de la République et celle de l'Assemblée nationale. Il en résulte une dualité
des majorités, parlementaire et présidentielle.
L'avènement d'une nouvelle majorité peut se produire à l'une ou l'autre de ces
deux élections. Disposant du droit de dissolution, le Président peut renvoyer
l'ancienne majorité et demander au peuple d'en désigner une nouvelle, plus
conforme à son choix présidentiel. C'est ce que fit François Mitterrand à deux
reprises, en 1981 puis en 1988.
A l'inverse, l'Assemblée nationale ne peut révoquer le Président, ce qui
implique que la nouvelle majorité parlementaire doit composer avec le maintien
du Président en place et donc cohabiter.
Or personne sur ces travées ne saurait contester la réussite de la Ve
République, pour les raisons déjà évoquées plus haut, à savoir la stabilité
gouvernementale, la libre expression de l'électorat et le respect de ses
choix.
Nous avons pu traverser des crises de diverses natures avec succès, ce qui
n'exclut pas une réflexion critique, un régime ne survivant que s'il
s'adapte.
Cette affirmation ne saurait toutefois ouvrir la brèche à toutes les réformes,
lesquelles doivent corriger mais ne pas détruire.
Que nous propose-t-on, au fond, aujourd'hui ? De faire précéder les élections
législatives par le scrutin présidentiel ; en somme, cela revient à fixer une
date ! Est-ce là véritablement une rénovation politique majeure ? Y a-t-il là
un véritable enjeu institutionnel ? En agissant de la sorte sommes-nous censés
apporter une solution à toutes les questions qui se posent ?
On voudrait nous convaincre du fait que le calendrier électoral de 2002 est en
quelque sorte illégitime, voire illégal, au motif que les élections
législatives n'ont jamais précédé le scrutin présidentiel. Ce fut pourtant le
cas à trois reprises - cela a été souligné - pour des variables d'écart allant
de un à quatorze mois : rappelez-vous 1958, 1968-1969 et 1973-1974.
En contestant l'ordre des scrutins, le Gouvernement et ceux qui font leurs
affaires d'une pareille théorie semblent remettre en cause le droit de
dissolution, responsable de la concomitance des deux élections la même année.
Ne pas laisser les élections intervenir à leur échéance naturelle a quelque
chose de choquant, car cela donne à croire que l'on se refuse à respecter les
conséquences d'un choix exercé librement par le Président de la République, en
conformité avec la lettre de la loi fondamentale.
Il va de soi que je ne conteste à aucun moment l'idée même d'un aménagement de
la Constitution. Il ne faut pas verser dans le fétichisme au point d'en être
esclave. Il est normal qu'elle s'adapte aux nouvelles aspirations des gouvernés
ou bien à une modification dans les rapports politiques. Le général de Gaulle
lui-même, en bon pragmatique, voulait cette latitude, l'essentiel étant pour
lui de ne pas bouleverser l'économie de la Constitution. Le peuple ne
l'avait-il pas, en effet, choisie ?
Ce qui est beaucoup moins respectable, c'est de conférer au texte
constitutionnel un esprit qui ne lui est pas conforme, cela pour mieux
brouiller les pistes et, finalement, se présenter comme ses défenseurs, alors
même que l'on est mû par des intentions peu avouables, d'autant moins avouables
que le Premier ministre irait presque jusqu'à tenter de nous faire croire qu'il
ne fait que se ranger à l'avis exprimé au travers de six initiatives
parlementaires, desquelles, je le suppose, se dégage le fameux consensus qu'il
a cru bon d'évoquer dans son interview télévisée du 19 octobre dernier.
Cette coalition de forces est, vous l'avouerez, pour le moins inattendue dès
lors qu'elle rassemble des personnalités qui appartiennent notoirement à des
camps adverses et que l'on voit se rapprocher pour des causes peu avouables,
voire un peu troubles. C'est ce qu'on pourrait qualifier de « cuisine
électorale politicienne » et, je dois le dire, nauséabonde.
De là à ce qu'on nous dise que le Premier ministre, en acceptant cette
démarche, fait montre de sa volonté de respecter les prérogatives du Parlement,
notamment son pouvoir d'initiative, il n'y a qu'un pas que certains n'ont pas
hésité à franchir !
Pour ma part, j'y verrai toutefois une incohérence avec l'objet de ces
propositions de loi qui visent à donner la priorité au scrutin présidentiel et
à faire des législatives un rendez-vous mineur tout juste bon à conforter le
candidat élu. S'il est quelqu'un pour m'expliquer la logique de tout cela, je
suis preneur !
Je me rangerai plus sérieusement du côté de ceux qui pensent que le chef du
Gouvernement a sciemment fait le choix de ne pas déposer de projet de loi afin
d'éviter le cap du Conseil d'Etat et du conseil des ministres. M. le rapporteur
l'ayant dit mieux que moi, il n'est pas utile d'y revenir.
Je m'étonnerai, à l'instar de M. Christian Bonnet et de bien d'autres
collèges, que la procédure d'urgence soit de rigueur pour régler une situation
qui est connue de tous depuis 1997...
M. Louis de Broissia.
Eh oui !
M. Gérard Cornu.
... et que le Premier ministre jugeait pourtant tout à fait acceptable il y a
encore trois mois, mes chers collègues !
Comme la majorité d'entre vous, même à y regarder de très près, je ne vois
toujours pas d'où ressort le très large consensus « posé comme préalable à
toute réforme ! Sous prétexte d'une anomalie calendaire, le Gouvernement ne
cherche-t-il pas à faire dire au peuple ce qu'il veut entendre ?
A ce stade de ma réflexion, et en dehors de toute considération qui pourrait
être aisément qualifiée de politicienne, je me pose deux questions.
La première est d'ordre technique. L'acte qui consiste à repousser la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale remettra-t-il définitivement
le calendrier « à l'endroit », pour autant que l'on s'accorde sur l'endroit et
l'envers ? Objectivement, non ! Rien ne nous permet d'affirmer qu'aucun « fait
du hasard », pour reprendre les termes chers à Lionel Jospin, ne viendra de
nouveau perturber l'ordre des choses soudainement préconisé par le
Gouvernement, sauf à rayer de notre Constitution l'article 12 et à en écrire un
nouveau interdisant au chef de l'Etat d'avoir le mauvais goût de décéder
pendant l'exercice de ses fonctions !
Ma seconde question est de nature politique. Pareille pirouette aurait-elle
pour conséquence d'annihiler tout risque de cohabitation, cette parenthèse,
comme le dit M. Jospin ? Selon lui, la probabilité d'une cohabitation serait
moins grande, car « la dynamique de cohérence est la plus forte si l'élection
présidentielle précède les législatives ».
Admettons un instant que l'argument ne soit pas inspiré par des intérêts
partisans. Pourquoi pas ?
M. Louis de Broissia.
Admettons-le !
(Sourires.)
M. Gérard Cornu.
Que faisons-nous alors du choix démocratique librement exprimé par le peuple
français ?
M. Joseph Ostermann.
Et voilà !
M. Paul Blanc.
A la poubelle !
M. Hilaire Flandre.
Retour à la case départ !
M. Gérard Cornu.
Je rappelle que le peuple français n'en est pas à sa première cohabitation !
En neuf années, il a eu le temps de se faire une idée de la question !
Certes, il est acquis sur tous les bancs du Parlement - en tout cas j'ose le
croire - que la cohérence entre l'exécutif et le législatif rend plus efficace
l'action politique. C'est une évidence. Pour autant, il ne nous appartient pas
de forcer la main du destin, en l'occurrence celle des Français, en leur
demandant de considérer les élections législatives comme un scrutin visant à
plébisciter le Président de la République. Ne prenons pas les Français pour ce
qu'ils ne sont pas. Efforçons-nous plutôt de les convaincre de l'intérêt qu'il
y aurait à restaurer l'unité de projet et d'action entre les deux têtes de
l'exécutif.
Bien sûr, le Gouvernement a cherché à faire triompher les arguments qu'il
croyait imparables, tels que les modalités pratiques d'organisation des
parrainages en vue de l'élection présidentielle. Oh, là, là !
Il a même cru un temps trouver un allié de taille, le Conseil constitutionnel
- excusez du peu ! - lequel, dans sa décision de juillet dernier, recommande
que « les citoyens habilités à présenter des candidats puissent le faire après
avoir pris connaissance des résultats des élections à l'Assemblée nationale
».
Or, ainsi que l'a très bien exposé notre rapporteur, cette recommandation ne
saurait remettre en cause l'ordre des scrutins. Au contraire, il est tout à
fait possible de concilier les deux élections. Seize jours de réflexion pour
faire le choix de son candidat à l'élection présidentielle, voilà qui ne relève
pas de l'impossible. Qui pourrait soutenir le contraire ?
C'est pourquoi il m'apparaît plus raisonnable et plus respectueux de notre
Constitution et de l'électorat de suivre la voie ouverte par la commission des
lois, qui, dans sa sagesse, suggère que, dans le cas où le calendrier électoral
ferait précéder le scrutin présidentiel par le renouvellement de l'Assemblée
nationale, un délai d'au moins trente jours sépare le second tour des
législatives du premier tour de l'élection présidentielle.
Si l'on en croit un récent sondage, tout porterait à penser que les Français
apprécient le double exécutif : plus d'un tiers d'entre eux souhaitent que la
cohabitation perdure au-delà de 2002.
Si l'on considère en outre que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été
reconduite, alors, vous et moi en déduirons aisément que l'intérêt général dont
parle M. Jospin n'est pas celui du pays mais qu'il est bien plutôt celui de la
gauche et, il faut bien le dire, plus particulièrement son propre intérêt.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Louis de Broissia.
Personne n'en doute !
M. Gérard Cornu.
Aux partisans du « rétablissement », qui auront immédiatement qualifié cette
considération de politicienne, je répondrai volontiers et sans esprit
querelleur par cette déclaration faite en 1981 par qui vous savez - par
François Mitterrand - à un grand quotidien du soir - d'habitude, je ne le cite
pas trop, mais là, cela vaut la peine : « Les institutions n'étaient pas faites
à mon intention, mais elles sont bien faites pour moi. »
Il est vrai que la Ve République a su montrer qu'elle savait épouser le
mouvement démocratique. Alors, dérangerait-elle aujourd'hui parce qu'elle dure
? Si c'est effectivement le cas, il serait plus honnête de nous le dire
clairement et de nous proposer une réforme d'ensemble de nos institutions.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Gérard Cornu.
Ce serait plus respectable et plus conforme à ce qu'on est en droit d'attendre
d'un véritable chef de gouvernement.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Gérard Cornu.
Au lieu de cela, vous y allez par petites touches successives, tel un
impressionniste n'hésistant pas à juxtaposer sur la toile des couleurs réputées
ne pas s'entendre.
Si vous contestez la double nature, parlementaire et présidentielle, de notre
loi fondamentale, dites-le nous franchement, sans détour ; dites-le aussi au
peuple français à qui il appartient de choisir le tour que celle-ci doit
prendre. Nous sommes les témoins, pour ne pas dire les victimes, de la
conception particulière que vous avez de la légitimité du Parlement.
Si, contrairement à ce que vous affirmez, vous étiez respectueux et soucieux
du bon exercice de ses prérogatives, vous ne transposeriez pas par voie
d'ordonnance des directives européennes qui mériteraient un vrai débat
national, vous n'abuseriez pas, comme vous le faites, sur des textes
essentiels, de la procédure d'urgence... D'autres exemples pourraient être
cités.
Si vous aviez de l'égard pour le pouvoir législatif, vous ne réduiriez pas
l'élection des députés à un rendez-vous accessoire, vous ne les cantonneriez
pas dans le rôle de supporters de tel ou tel candidat à la présidence ! Vous
n'auriez pas non plus voulu que le dernier débat du deuxième millénaire
consistât, pour l'Assemblée nationale, à se voter un sursis de trois mois.
N'y avait-il rien de plus essentiel, de plus déterminant pour nos concitoyens
en attente de vraies réformes capables d'améliorer résolument leur vie
quotidienne ? Franchement !
(Franchement ! sur les travées du RPR.)
Peut-être vous souvenez-vous de ces quelques mots de notre regretté collègue
Hubert Bassot, cherchant à expliquer toute la difficulté de l'action politique
: « Saisi par les agitations du jour et les aspirations du siècle, bousculé par
l'écrit, trahi par le temps qui dérobe ses évidences et sa durée, placé devant
l'inattendu comme un chasseur surpris, voulant et prévoyant loin, pouvant et
voyant près, happé par tant d'actions, harcelé par tant de ses compatriotes qui
ne sont que ses contemporains d'un instant, lui qui explore l'avenir, eux qui
implorent l'immédiat, l'homme politique est l'homme pressé. L'histoire est son
désir. Le provisoire est son destin. »
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
Permettez-moi de penser que le Premier ministre ne donne pas, pour sa part,
l'impression d'être « l'homme pressé » de répondre aux véritables attentes du
peuple français. L'ambition, plutôt que l'histoire, semble être son désir,
l'art de la convenance, son pain quotidien ! Je doute qu'il faille s'en
honorer.
Certes, l'Assemblée nationale aura le dernier mot ! Elle jouera, en toute
vraisemblance, les prolongations au nom d'un prétendu intérêt général dont
personne, à vrai dire, ne sera dupe.
A tout le moins ne pourra-t-on pas reprocher au Sénat de n'avoir pas dit les
choses, de n'avoir pas mis en garde contre la vision constitutionnelle pour le
moins floue du Premier ministre.
Certains, bien sûr, ne manqueront pas de redire, après le Premier ministre,
que le Sénat est une « anomalie » de notre démocratie.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Je voudrais insister un peu sur ces propos émis par le Premier ministre - le
Premier ministre de la France, mes chers collègues ! - propos qu'il va
peut-être regretter. Il a donc déclaré à la presse que le Sénat était une «
anomalie » de notre démocratie.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas bien de mentir, monsieur le
sénateur !
M. Gérard Cornu.
Quelle offense pour nous, mes chers collègues !
M. Paul Blanc.
Honte à lui !
M. Gérard Cornu.
Quelle offense aussi pour le bicamérisme ! Pourquoi voudrait-on que le mode
d'élection des sénateurs soit le même que celui des députés ? Pourquoi veut-on
porter atteinte au bicamérisme ? A quoi serviraient les sénateurs s'ils étaient
élus selon le même mode d'élection que les députés ? J'en parle en connaissance
de cause, je peux comparer, comme certains de mes collègues ici présents qui
ont également été députés auparavant.
Chacun peut faire des erreurs.... mais là, c'est une erreur vraiment très
grave !
Le Sénat a vocation à représenter le territoire, à représenter les multiples
communes françaises et, contrairement à certains, je pense que le nombre
considérable de ces communes fait la force de notre nation. A la tête de
chacune d'elles, se trouvent des maires, des bénévoles qui se consacrent au
service de leurs concitoyens ; nous en aurons encore le témoignage à l'occasion
des élections municipales.
En tout état de cause, cette manoeuvre orchestrée par Lionel Jospin nous
prouve une chose : le Premier ministre ayant peur de perdre les élections
législatives, il préfère changer les règles du jeu.
M. Dominique Braye.
Eh oui !
M. Gérard Cornu.
Du reste, la gauche n'en est pas, à cet égard, à son coup d'essai. En effet,
voulant limiter sa défaite lors des élections législatives de 1986, cela a déjà
été très justement rappelé par certains de nos collègues, elle avait déjà
modifié le mode de scrutin.
Que le Premier ministre arrête donc de nous parler de son droit d'inventaire !
Les méthodes de l'ère Mitterrand perdurent dans l'épisode Jospin. Parce qu'on
ne peut parler d'« ère Jospin » ! En tout cas, j'espère que ce ne sera qu'un
épisode !
(Sourires sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd.
Malheureux épisode !
M. Gérard Cornu.
Vous me permettrez enfin, et je terminerai par là mon propos...
(Lamentations ironiques sur les travées du RPR.)
M. Gérard César.
Quel dommage !
M. Gérard Cornu.
Il faut bien conclure à un moment, mes chers collègues. Mais j'espère que je
vous aurai intéressés.
(Oh oui ! sur les mêmes travées.)
M. Gérard Le Cam.
C'était effectivement passionnant...
M. Gérard Cornu.
Je conclurai donc en m'étonnant du peu de cas qui est fait du rôle dévolu par
l'article 5 de la Constitution au Président de la République, garant de nos
institutions.
Est-il normal que le Président de la République soit ainsi écarté de ce débat
institutionnel qui le concerne plus directement qu'on n'a bien voulu le dire
?
En se dispensant de prendre son avis, le Gouvernement montre sa vraie nature,
et l'on ne pourra pas nous convaincre, dès lors, que ce n'est pas Jacques
Chirac qu'on cherche ainsi à affaiblir !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il n'a pas besoin de cela !
M. Gérard Cornu.
C'est ce que vous pensez, monsieur le ministre ! Il reste que vous avez peur
du Président de la République.
(M. le ministre sourit.)
C'est bien
pourquoi vous avez recours à cette manoeuvre !
Cela prouve surtout que le Premier ministre actuel se comporte finalement plus
comme un candidat futur que comme un véritable Premier ministre, ce qui est
particulièrement grave,...
M. Dominique Braye.
C'est gravissime !
M. Gérard Cornu.
... à nos yeux, mes chers collègues, comme aux yeux du peuple français.
Le peuple français souverain saura manifester cette désapprobation un jour ou
l'autre.
M. Louis de Broissia.
Il le fait déjà !
M. Gérard Cornu.
Le moment venu, j'en suis convaincu, les manipulateurs seront sanctionnés.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Roger Karoutchi.
Très bien !
M. Gérard Cornu.
Je n'ai pas encore fini, mes chers collègues !
M. Hilaire Flandre.
Ç'aurait pourtant été une belle chute !
(Rires.)
M. Gérard Cornu.
Il est clair qu'on cherche à affaiblir le Président de la République. Est-ce
là une juste conception de la République et de la démocratie ? Voilà la vraie
question, et elle mériterait bien des développements
(Sourires sur les mêmes
travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Pourquoi pas ?
M. Gérard Cornu.
Mais j'ai pitié de vous, mes chers collègues, car j'ai conscience d'avoir déjà
été un peu long.
(Mais non ! sur les mêmes travées.)
En tout cas, ce n'est pas l'idée que, moi, je me fais de la République et de
la démocratie. Je veux croire que les Français sauront juger un jour ou
l'autre, et le plus tôt sera le mieux. Pour notre part, nous rendrons notre
jugement tout de suite en rejetant la convenance au profit de la sagesse.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte
dont nous sommes en train de débattre a pour intitulé : « Proposition de loi
organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
» Il aurait aussi bien pu s'intituler : « Proposition de loi organique
inversant les dates des prochaines élections législatives et présidentielle de
2002 ». Cela aurait eu le mérite d'une plus grande clarté, d'autant que le
débat politique et médiatique qui s'est créé autour de cette question porte
bien sur ce qu'il est devenu courant d'appeler l'« inversion du calendrier
électoral ».
Mais, pour une clarté encore plus grande, cet intitulé aurait également pu
être le suivant : « Proposition de loi organique de circonstance visant à
inverser un calendrier électoral potentiellement défavorable au Gouvernement et
à la composante socialiste de sa majorité ».
(Rires et manifestations
d'approbation sur les travées du RPR.)
Au moins nos concitoyens auraient-ils été ainsi objectivement éclairés sur les
véritables motivations de la majorité nationale, ou tout du moins sur celles de
sa composante principale, qui ne cesse de nous rebattre les oreilles avec son
souci de transparence et sa prétendue volonté de répondre aux attentes de nos
concitoyens.
L'intitulé retenu est évidemment beaucoup plus anodin, mais l'opinion publique
n'est pas dupe pour autant et elle sait parfaitement à quoi s'en tenir quant
aux motivations profondes qui sous-tendent ce texte.
Ses promoteurs croient certes avoir trouvé un argument irréfutable pour
établir leur bonne foi, pour démontrer qu'ils ne nourrissent aucune
arrière-pensée politicienne et électoraliste, en affirmant que le seul objectif
de ce texte est de remettre à l'endroit le calendrier électoral - puisque
celui-ci est, paraît-il, sur la tête - dans un souci de conformité avec
l'esprit de la Constitution. Selon eux, la prééminence du rôle du Président de
la République au sein de nos institutions implique que l'élection
présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Les hasards de notre histoire politique contemporaine ayant abouti à ce que
ces deux échéances électorales ne se présentent pas en 2002 dans cet ordre
présenté comme idéal et incontournable, il conviendrait donc que le Parlement
inverse lesdites élections pour que l'on retourne à l'ordre constitutionnel
profond.
Voilà la raison officielle, qui justifie, selon les zélateurs de cette
réforme, l'inversion du calendrier. Et qu'on ne se permette surtout pas de
laisser entendre que pourrait exister à ce soudain désir de réformer une autre
raison qu'une vigilante ardeur à défendre l'esprit de notre Constitution contre
un calendrier susceptible d'en saper les fondements mêmes ! Les Français n'en
étaient pas en effet suffisamment avertis, mais le désordre institutionnel les
guettait et la Ve République était en péril...
Oui, mes chers collègues, rendez-vous bien compte de ce drame qui se jouait en
silence : les Français s'apprêtaient à voter en 2002 pour élire d'abord leurs
députés et ensuite leur Président ! Inconscients des conséquences gravissimes
de cet état de fait, ils allaient peut-être même, les malheureux, voter la
conscience tranquille, alors que leur vote, par un hasard maléfique du
calendrier, allait saper nos institutions et ébranler, voire mettre à bas notre
Ve République !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR.)
Nous avons heureusement échappé de peu à ce drame effroyable, grâce à la
vigilance de quelques visionnaires qui n'ont, nous le savons tous, d'autre
raison de vivre que la défense de nos institutions, de notre Constitution.
M. Louis de Broissia.
Des noms !
M. Dominique Braye.
Ces nobles chevaliers blancs de la politique, n'écoutant que leur courage et
leur sagacité, se sont donc investis de la haute mission consistant à dénoncer
la bête malfaisante qui rampait dans l'ombre et à terrasser ce redoutable
dragon. Et de pousser ce cri terrible : « Ralliez-vous à notre panache
constitutionnel, et nous allons bouter les législatives loin derrière la
présidentielle ! »
(Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Louis de Broissia.
Quel artiste !
M. Dominique Braye.
De fait, ralliement il y eut... mais aussi défections. Nous y reviendrons.
Tous ces vertueux apôtres de l'inversion du calendrier électoral n'ont jamais
eu d'autre intention que de défendre l'esprit de notre Constitution. Ils en
veulent pour preuve irréfutable qu'il est de toute façon impossible, à plus
d'un an de ces échéances électorales, d'en prévoir le résultat,
a fortiori
en cas d'inversion. Ce serait donc témoigner d'un très vilain état d'esprit
que de les accuser de mesquins calculs électoraux.
(Exclamations amusées sur
les travées du RPR.)
Pourtant, monsieur le ministre, il se trouve sur les travées de cette
assemblée de nombreux esprits chagrins pour oser envisager cette hypothèse,
pour considérer qu'une certaine dose de calcul a pu prévaloir dans l'esprit de
ces preux chevaliers défenseurs de notre Constitution.
Je dis bien : une certaine dose, car les indices qui pourraient le laisser
supposer sont forts ténus. C'est à peine si certains partisans de l'inversion
du calendrier ont évoqué à mots couverts une très légère possibilité pour que
cette inversion soit fondée sur des arrière-pensées électoralistes.
Ainsi, Daniel Cohn-Bendit, avec la discrétion feutrée qui le caractérise
(Sourires sur les travées du RPR)
, a dit : « L'objectif est de
désarçonner l'adversaire. Que voulons-nous, nous, les Verts ? Nous voulons que
Jospin devienne Président de la République et que nous ayons donc plus de
députés dans la prochaine Assemblée. »
Comme vous le constatez, point d'arrière-pensée derrière cette opinion !
Point d'arrière-pensée non plus dans les propos de l'ancien Premier ministre
et actuel ministre de l'économie et des finances, Laurent Fabius, lorsqu'il dit
: « Lionel Jospin aura deux haies à franchir : s'il perd les législatives, la
présidence aussi sera perdue. » Quand on connaît les résultats de certains
sondages sur les élections législatives de 2002, on comprend que M. Jospin ait
décidé de changer l'ordre de ces deux haies !
Point d'arrière-pensée encore chez Henri Emmanuelli lorsqu'il affirmait, le 27
novembre 2000 : « Personne n'est dupe ! Cela fait des mois que tout le monde
sait que le calendrier, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est pas vraiment
favorable au candidat de la gauche. »
Enfin, même si de nombreux orateurs les ont déjà cités, je ne peux m'empêcher
de rappeler, je m'en excuse, les propos tenus par le candidat de la gauche,
Lionel Jospin, le 19 octobre dernier à la télévision.
M. Paul Blanc.
Il faut le faire !
M. Jean Chérioux.
Il faut les marteler !
M. Dominique Braye.
Lionel Jospin disait alors : « Toute initiative de ma part serait interprétée
de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il
faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent
être prises ».
M. Jean Chérioux.
Où est le consensus ?
M. Dominique Braye.
Comme vous le constatez, mes chers collègues, c'est à peine si une possibilité
d'arrière-pensée a été évoquée parmi les partisans les plus éminents de cette
gauche plurielle.
De qui se moque-t-on lorsqu'on soutient, la main sur le coeur, que c'est le
seul souci de la défense de nos institutions qui est en jeu ? De nous, bien
entendu, mais surtout, et c'est beaucoup plus grave, de tous les Français.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
Que les partisans de l'inversion du calendrier électoral pour des raisons
électorales aient au moins le courage de leurs opinions, comme l'ont eu MM.
Cohn Bendit, Fabius, Emmanuelli et bien d'autres.
M. Jospin, visiblement du même avis, répugnait, il y a encore peu de temps, à
cette inversion, car il savait bien qu'elle serait « étroitement politique,
voire politicienne » selon ses propres termes. Il faut croire qu'il préfère
finalement être étroitement politicien et que le bénéfice qu'il espère retirer
de cette étroitesse lui paraît plus important que le reniement de sa parole.
M. Jean Chérioux.
Bravo !
M. Dominique Braye.
Beau gouvernement pluriel et belle majorité plurielle dont la singularité est
de permettre tout et son contraire, simultanément ou successivement ! On peut
ainsi y être contre l'inversion ou pour l'inversion. On peut aussi y être pour
en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant clairement que
c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y être pour en se
parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution. On peut aussi
diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne pas dire
noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc.
M. Paul Blanc.
Compliqué !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
Vous avez raison, monsieur Blanc !
M. Jean Chérioux.
Répétez !
M. Bernard Plasait.
On n'a pas très bien compris !
M. Dominique Braye.
J'en suis désolé, mes chers collègues, car c'est un passage important de mon
intervention. Je vais donc le répéter.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est bien !
M. Dominique Braye.
Au sein de cette belle majorité plurielle, on peut donc aussi être pour
l'inversion en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant
clairement que c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y
être pour en se parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution.
On peut aussi diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne
pas dire noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc.
(Ah
! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Bernard Plasait.
C'est beaucoup mieux dit que la première fois !
(Rires sur les mêmes
travées.)
M. Dominique Braye.
Et vous voudriez, monsieur le ministre, que l'on accorde du crédit aux
arguments que vous avancez ? Vous n'en êtes d'ailleurs pas le seul défenseur.
Vous et les zélateurs de la présente proposition de loi organique, vous tentez
de vous poser en gardiens de la morale politique, républicaine et
constitutionnelle. La tâche est d'envergure, monsieur le ministre, et il vous
faudrait faire table rase du passé pour avoir ne serait-ce qu'une toute petite
chance d'y parvenir !
Lorsque vous prétendez justifier l'inversion du calendrier électoral par des
arguments de droit et de pratiques constitutionnelles, faut-il vous répondre,
comme l'ont fait avant moi nombre de mes collègues de la Haute Assemblée, à
commencer par notre éminent rapporteur Christian Bonnet ?
(Bravo ! sur les
travées du RPR.)
Leurs démonstrations ont été à mes yeux suffisamment fondées, étayées,
brillantes et convaincantes, pour que rien de ce qui relève de l'argumentation
juridique n'ait été passé sous silence, et mes chers collègues, je crois très
sincèrement qu'il convient de ne pas allonger inutilement le débat, même s'il
est très intéressant. C'est une vertu du Sénat - et son honneur - que de
compter parmi ses membres des législateurs aussi éminents et pertinents que
ceux qui se sont exprimés dans ce débat.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques-Richard Delong.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Je reconnais bien volontiers que, parmi les partisans de l'inversion du
calendrier électoral, certains n'ont pas manqué de talent pour défendre leur
point de vue. Mais je crois qu'ils ne vous ont pas plus que moi convaincus, car
leurs argumentations ne sont que l'enrobage parfois difficile et techniquement
méritoire de positions dictées par des raisons purement électorales et non par
des raisons juridiques.
Puis, cet amour sans borne, cette volonté affichée de défendre l'esprit de la
Constitution de la part de ceux qui furent autrefois ses plus féroces
adversaires, ou de la part des héritiers de ceux-là, voilà qui semble suspect !
C'est plutôt un exemple de cynisme politique en pleine action.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Quant à l'esprit de notre Constitution, il a été dit et répété à cette tribune
que son principal inspirateur et rédacteur, Michel Debré, a été le premier à
reconnaître que deux lectures différentes étaient possibles. Il est donc
quelque peu audacieux de se réclamer d'une interprétation univoque du texte
fondateur de la Ve République. Que d'éminents constitutionnalistes aient choisi
d'en faire néanmoins une lecture propre à soutenir l'inversion du calendrier
électoral de 2002 ne confère pas à leur opinion valeur de parole d'évangile.
Que ces éminents constitutionnalistes soient en désaccord avec d'autres
constitutionnalistes tout aussi éminents relativise d'ailleurs largement leur
position.
M. Jacques-Richard Delong.
C'est bien vrai !
M. Dominique Braye.
En outre, ils ne sont pas les seuls à respecter l'esprit de notre
Constitution. Les législateurs que nous sommes, tout comme les citoyens que
nous représentons, ont également le droit, si ce n'est le devoir, d'avoir une
opinion différente de la leur sur le fonctionnement de nos institutions
républicaines.
Alors, oui, notre Constitution n'est pas la perfection absolue - nous l'avons
assez constaté au cours des neuf années de cohabitation que nous avons connues
en quinze ans - mais elle a néanmoins le mérite de nous assurer depuis plus de
quarante ans un régime d'une stabilité et d'une solidité telles que la France
n'en avait pas connu depuis fort longtemps.
C'est la raison majeure pour laquelle je pense qu'en l'absence d'un véritable
consensus national - et je n'aurai pas la cruauté de rappeler ici les propos de
M. Jospin - toute initiative propre à perturber le déroulement normal de la vie
de nos institutions ne peut qu'être malvenue. Toutes les justifications
juridico-constitutionnelles n'y changeront rien.
Comme le soulignait justement Henri Emmanuelli, personne n'est dupe des
motivations réelles des défenseurs de l'inversion du calendrier. Abordons donc
le débat honnêtement et reconnaissons que le fond de l'affaire est de créer des
conditions plus favorables aux succès électoraux de la gauche. Laissons aux
constitutionnalistes le soin de débattre de l'esprit de notre Constitution et
revenons sur un terrain beaucoup moins spirituel mais tout aussi intéressant :
le terrain concret du combat politique.
La préoccupation de la plupart de nos collègues de la majorité sénatoriale
rejoint celle des grands électeurs qui nous ont accordé leur confiance,
elle-même issue de celle de nos concitoyens. Nous n'avons pas été élus pour
favoriser les destinées électorales de la gauche plurielle et de M. Jospin.
Puisque certaines grandes voix de la gauche plurielle ont eu la franchise de
reconnaîre que leur arrière-pensée était électorale, nous ne devons pas avoir
de complexes à leur répondre que nos pensées sont très claires : nous voulons
remporter les prochaines échéancees électorales et nous combattrons logiquement
tout ce qui nous éloigne de cette perspective ou risque de la contrarier.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
Mais doit-on pour autant, comme le font les socialistes, utiliser toutes les
armes sans s'inquiéter des atteintes qui peuvent être portées à nos
institutions et à notre pays ? Non seulement je ne le crois pas, mais je suis
persuadé du contraire.
De plus, peut-on voter l'inversion du calendrier sur la base de convictions
personnelles tout en étant un parlementaire responsable de l'opposition, en
risquant par cette manoeuvre électorale, comme le soulignent les socialistes,
de favoriser l'élection de M. Jospin à la présidence de la République en 2002 ?
(Non ! sur les travées du RPR.)
Pour ma part, je ne le crois pas et les Français que je rencontre sur le
terrain sont persuadés du contraire. Vous le savez, mes chers collègues, ils
n'ont déjà pas en ce moment une très haute idée des hommes politiques et la
tactique de l'inversion du calendrier leur apparaît pour ce qu'elle est
réellement, à savoir une manoeuvre politicienne de plus.
M. Gérard Cornu.
De bas étage !
M. Dominique Braye.
Que des électeurs de gauche approuvent cette manoeuvre qui n'est après tout
que l'illustration de l'adage selon lequel la fin justifie les moyens, je
l'admets, mais que des électeurs de l'actuelle opposition l'applaudissent, j'en
doute fortement ! Croire qu'ils applaudissent leurs élus nationaux qui se
prêtent à cette manoeuvre relève selon moi de l'aveuglement complet.
Naturellement, chacun se déterminera en fonction de sa conscience, et c'est
très bien ainsi. Il ne faut cependant pas s'étonner lorsque les électeurs se
détournent de ceux qui jouent contre leur camp. Les intérêts à courte vue, les
calculs revanchards, les querelles de clan doivent s'effacer devant l'intérêt
général et devant la volonté d'être enfin cohérents et unis afin de faire
triompher nos valeurs et nos idées.
En effet, nous ne parlons pas ici de reconquête du pouvoir, comme les
socialistes, obnubilés depuis toujours par l'échéance présidentielle. Nous
parlons de son préalable, à savoir la reconquête de notre électorat et,
d'ailleurs, de l'électorat en général, qui a trop souvent été désappointé par
le spectacle que lui donnent les dirigeants politiques.
Comment ne pas nous rendre compte que ce qui nous rassemble est plus fort que
ce qui nous divise ?
M. Jean Chérioux.
C'est évident !
M. Dominique Braye.
Comment ne pas nous rappeler que ce qui nous divise est aussi ce qui peut nous
faire perdre et faire triompher nos adversaires ?
M. Jean Chérioux.
Hélas !
M. Dominique Braye.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, à moins d'entraver
délibérément le cours du jeu et de vouloir marquer des buts contre notre propre
camp, nous devons nous rassembler contre cette proposition de loi.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
Et pourtant, de-ci, de-là, en cours de partie, certains en arrivent à oublier
qu'une équipe ne gagne qu'en faisant jouer ses membres et en adoptant une
stratégie collective intelligente.
Bien sûr, pour continuer cette métaphore sportive, on peut être excellent dans
un sport individuel où l'on n'a rien d'autre à défendre que son intérêt
personnel : l'individualisme est alors fortement conseillé, mais ce n'est pas
du tout l'esprit qui est requis pour le succès dans un sport collectif.
Il en va de même en politique où les succès personnels ne garantissent pas les
succès collectifs. Lorsque, faute d'engagement et de dévouement suffisants au
service d'une équipe, les ambitions ou les succès personnels en viennent à
contrarier, voire à compromettre les succès collectifs, il faut bien un jour
aller s'en expliquer devant les électeurs. Les succès individuels sont alors
gravement compromis. Quelque chose me dit que, par les temps qui courent, ces
électeurs sont devenus beaucoup moins tolérants et compréhensifs à l'égard de
ceux qu'ils ont envoyés remplir certaines missions en les élisant et qui les
trompent le moment venu...
Un sénateur du RPR.
Ils sont déçus !
M. Dominique Braye.
Réfléchissons bien, mes chers collègues, aux conséquences des décisions qui
peuvent nous amener à jouer contre nos propres intérêts et, surtout, à décevoir
ceux qui nous ont confié nos mandats pour leur permettre de continuer à
espérer.
Je ne prétends évidemment pas parler au nom de tous les Français qui se
réclament de l'opposition nationale, mais je rencontre comme vous tous,
quotidiennement, certains de nos concitoyens qui sont quelque peu déroutés et
désabusés devant le spectacle que donne le monde politique, puisque c'est de
cela qu'il est question. Leurs sympathies et leurs convictions les poussent à
défendre nos valeurs. Que disent-ils ? Ils veulent que ceux qui défendent les
mêmes idées - nous tous sur ces bancs - soient davantage unis, moins enclins à
se déchirer pour des futilités et des querelles de voisinages.
Surtout, nos concitoyens attendent de leurs élus qu'ils soient exemplaires
dans leur morale, leur conduite et leur action. Ils sont prêts, vous le savez,
à nous donner ou à nous redonner leur confiance pour peu que nous soyons
capables de les écouter et de tout mettre en oeuvre pour faire gagner leurs
idées. Ils ont des convictions et ils veulent que nous soyons le relais de
celles-ci pour qu'elles soient à nouveau respectées et, surtout, pour qu'elles
se transforment en actes.
Pour conclure...
(Oh ! sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong.
C'est trop tôt !
M. Dominique Braye.
Pour conclure non pas mon intervention mais cette modeste exhortation à
respecter nos électeurs, je tiens à dire très sincèrement qu'en dehors des
parlementaires je n'ai pas rencontré une seule personne dont les sympathies
vont vers le camp de ceux qui souhaitent l'inversion du calendrier
électoral.
M. Gérard Cornu.
Ce n'est pas leur préoccupation !
M. Dominique Braye.
Je me garderai bien de dire à aucun de mes collègues de notre Haute Assemblée
les leçons qu'il doit tirer de mon expérience personnelle. Je dirai simplement
que nous devons tous rester à l'écoute de nos électeurs car nous n'aurons
jamais raison contre eux. Lorsque nos concitoyens et nos électeurs ne nous
fustigent pas - car il leur arrive aussi d'être très aimables envers nous
puisque nous le méritons probablement souvent - que nous disent-ils ? Ils nous
font souvent part de leur incompréhension et de leur mécontentement en ce qui
concerne les grandes orientations de l'actuelle politique gouvernementale.
Qu'entendons-nous quotidiennement, mes chers collègues ? Que le chômage a
certes diminué en France - il a beaucoup moins baissé que dans les autres pays
européens -...
M. Emmanuel Hamel.
C'est vrai !
M. Dominique Braye.
... mais que, hélas ! chez M. Martin, le fils cadet n'a toujours pas trouvé de
travail, que telle entreprise écrasée par les taxes et les charges sociales est
en difficulté - ce qui pourrait mettre en péril l'emploi de plusieurs personnes
et occasionner des pertes de recettes fiscales pour la commune où elle est
installée -, que M. Dupont est très inquiet pour l'avenir de sa retraite,...
M. Jean Chérioux.
Il y a de quoi !
M. Louis de Broissia.
Et M. Dupont n'est pas le seul à être très inquiet à cet égard !
M. Dominique Braye.
... que Mme Durand a du mal à payer son impôt sur le revenu et qu'elle estime
injuste qu'un Français sur deux n'en paie pas, que M. et Mme Dupuis envisagent
d'inscrire leur enfant dans une école privée car ils trouvent que la qualité de
l'enseignement dispensé à l'école publique voisine est en baisse constante et
que, de surcroît, les violences y deviennent de plus en plus fréquentes.
Mme Nelly Olin.
Ils ont raison !
M. Dominique Braye.
Et je pourrais continuer encore longtemps sur ce registre !
M. Louis de Broissia.
Continuez !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
Bref, nous sommes quotidiennement confrontés, notamment ceux d'entre nous qui
sont en contact direct avec nos concitoyens, à leurs inquiétudes et à leur
crainte de l'avenir.
Certes, globalement, la reprise aidant, nous entendons aussi des propos plus
optimistes, et il n'est pas question pour moi de brosser l'image d'un pays
pessimiste, frileux et désabusé. Mais il n'en reste pas moins vrai, justement
parce que nous traversons une phase de reprise - nous savons bien qu'elle ne
sera pas éternelle -, que nos concitoyens, souvent, ne comprennent pas - et à
juste titre ! - pourquoi nos gouvernants ne tirent pas suffisamment parti de
cette période faste pour prémunir notre pays contre les conséquences
prévisibles d'un prochain retournement de conjoncture.
M. Jean Chérioux.
Cela peut arriver, hélas !
M. Dominique Braye.
Plus cigale que fourmi, le Gouvernement dispense en effet des largesses qui
grèvent lourdement le budget de l'Etat et son déficit. Le passage aux
trente-cinq heures de travail hebdomadaire...
Mme Nelly Olin.
C'est un désastre !
M. Dominique Braye.
... et les emplois-jeunes sont les meilleurs exemples de mesures en apparence
populaires mais dont le coût commence à peser lourdement sur les entreprises et
les contribuables.
Mme Nelly Olin.
C'est vrai ! Très bien !
M. Dominique Braye.
Et que dire d'ailleurs de cette fiscalité pesante, qui deviendra vite
asphyxiante dès que la reprise commencera à s'essouffler ?
Les baisses d'impôts annoncées à grand renfort de clairons médiatiques, pour
certaines qu'elles soient, restent néanmoins très en deçà de ce dont a besoin
notre économie pour maintenir sa compétitivité dans un contexte de concurrence
mondiale chaque jour plus difficile.
Il ne s'agit pas de nier les succès de nos entreprises les plus dynamiques, il
s'agit plutôt de rappeler que celles-ci seraient encore plus performantes si
les différentes taxes et charges qui pèsent sur elles étaient ramenées à un
niveau similaire à celui que connaissent les pays qui sont nos principaux
partenaires mais aussi nos principaux concurrents économiques.
Quant aux entreprises en difficulté, notamment parmi les PME et les PMI, il
est évident que le maintien d'une fiscalité trop élevée ne peut qu'aggraver
leurs problèmes et compromettre leur avenir.
Ce niveau d'imposition et de charges pesant sur les entreprises ne se contente
pas de pénaliser nos entreprises nationales, il décourage aussi l'implantation
d'entreprises étrangères dans notre pays, ce qui nous fait perdre des
ressources fiscales et des créations d'emploi.
Quant aux contribuables qui ont la chance de disposer de revenus importants
grâce à leur sens de l'initiative et à leur ardeur créative, ils en arrivent à
être découragés par les ponctions fiscales records qu'ils subissent. La fuite à
l'étranger, vers des cieux fiscaux plus cléments, de certains de nos jeunes
entrepreneurs et de nos informaticiens ou chercheurs hautement qualifiés est,
hélas ! une illustration des effets pervers de la gloutonnerie de notre système
fiscal.
M. Jacques-Richard Delong.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Les ménages français, quant à eux, consomment certes plus actuellement du fait
de l'embellie économique, mais ils pourraient le faire encore davantage si le
niveau des prélèvements obligatoires leur était plus favorable. Cela serait
d'ailleurs une façon efficace de conforter et de pérenniser la reprise, nos
entreprises étant évidemment les premières bénéficiaires d'un regain de
consommation.
Nos concitoyens et nos entrepreneurs attendent des signaux forts quant à de
réelles baisses de tous les prélèvements obligatoires. Je crois, sans risque de
me tromper, que cette attente est beaucoup plus forte que celle du résultat de
notre vote sur l'opportunité d'une inversion du calendrier électoral.
M. Jean Chérioux.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
La montée du sentiment d'insécurité chez nos concitoyens, leur inquiétude
devant la dégradation de notre système scolaire, leur angoisse face à
l'incertitude qui pèse sur l'avenir de leur retraite et plus encore sur celle
de leurs enfants, voilà des sujets de fond qui les préoccupent à juste titre !
(Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
Mme Nelly Olin.
Voilà !
M. Gérard Cornu.
C'est vrai !
M. Jacques-Richard Delong.
Remarquable !
M. Dominique Braye.
Vous en conviendrez, cette liste des problèmes urgents à résoudre n'est, hélas
! pas limitative.
Que peuvent penser nos concitoyens lorsqu'ils voient la représentation
nationale davantage accaparée par des débats « étroitement politiciens », selon
la formulation de M. Jospin, que par le désir de résoudre les problèmes qui
hypothèquent leur avenir ? Ils sont certainement peu enclins à partager, et
encore moins à applaudir, les états d'âme du microcosme politique si celui-ci
pratique plus le nombrilisme et le calcul électoral que la défense de l'intérêt
général et de l'intérêt national.
(Très bien ! sur plusieurs travées du
RPR.)
Franchement, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français
attendent-ils de nous que nous nous occupions prioritairement, toutes affaires
cessantes, de l'inversion du calendrier électoral, alors que tant de questions
vitales pour leur avenir restent en suspens ? Nous pourrons toujours commenter
tel ou tel sondage nous communiquant les résultats de leur opinion sur la
nécessité d'inverser ou non les échéances électorales. Mais ce faisant, nous
passerons toujours à côté de l'essentiel, à savoir qu'ils n'en ont cure. Si les
Français sont interrogés par voie de sondage sur un sujet dont la réponse se
limite à être pour ou contre, cela ne nous renseignera pas pour autant sur leur
avis quant à l'opportunité du débat.
Le seul sondage intéressant consisterait à poser à nos concitoyens la question
suivante : estimez-vous urgent de débattre du calendrier des élections de 2002
ou pensez-vous qu'il existe des débats plus importants à traiter par la
représentation nationale ?
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du
RPR.)
Mme Nelly Olin.
La sécurité !
M. Gérard Cornu.
C'est une très bonne question qu'il faudrait développer !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
La réponse que les Français apporteraient à cette question serait certainement
très édifiante pour ceux qui pensent que l'inversion du calendrier électoral
passionne nos concitoyens, ou tout au moins qu'il s'agit là d'un débat à
trancher dans l'urgence, comme a décidé de le faire le Gouvernement.
D'ailleurs, ce sont probablement les zélateurs de cette réforme qui
déploreront, lors des prochaines consultations électorales, la désaffection
confirmée, je n'ose dire croissante, des Français pour les élections.
Il faut être cohérent et savoir ce que l'on veut. Si l'on s'inquiète
réellement de la montée de l'abstentionnisme électoral et du désintérêt
croissant de nombre de nos concitoyens pour les questions politiques, il faut
cesser de donner à ceux-ci matière à renforcer leur défiance envers certaines
pratiques de la classe politique, comme vous le faites aujourd'hui, monsieur le
ministre.
Les Français attendent de leurs gouvernants et de leurs élus nationaux la même
écoute de leurs préoccupations que celle qu'ils trouvent plus aisément auprès
de leurs élus locaux.
S'il est évident, par exemple, que le lien de proximité et de confiance est
plus facile à établir entre les électeurs et les élus municipaux, ce ne peut
être une raison suffisante pour les autres élus, notamment pour les élus
nationaux, de s'abstenir de rechercher, eux aussi, à rétablir ce lien de
confiance entre les électeurs et eux-mêmes, lien qu'ils ne pourront recréer que
s'ils s'attaquent véritablement aux problèmes essentiels de leurs électeurs.
Il en va de même pour le Gouvernement, qui affiche un souci permanent du sort
de nos concitoyens tout en s'évertuant à faire l'impasse sur leurs réelles
inquiétudes, en leur jetant de la poudre aux yeux et en pratiquant la politique
du trompe-l'oeil. Cette proposition de loi organique visant à inverser le
calendrier électoral constitue d'ailleurs bien un trompe-l'oeil, puisque l'on
tente, sans grand succès il est vrai, de nous cacher les véritables motivations
qui ont présidé à son élaboration et puisque l'on essaie, dans le même temps,
de détourner l'attention de l'opinion publique des débats de fond que
mériterait notre société. Mais, comme pour tout trompe-l'oeil, l'illusion ne
peut guère durer et les Français sont rarement longtemps dupes de ce type de
manoeuvre.
Ce que M. Jospin craignait de ne voir apparaître comme une initiative «
étroitement politique, voire politicienne » apparaît en effet réellement comme
telle.
Il s'agit bien, aux yeux de nos concitoyens, de faire adopter une loi de
circonstance par une majorité de circonstance, comme cela a déjà été
excellement dit ici même, à plusieurs reprises.
Il fallait d'ailleurs bien trouver, à l'Assemblée nationale, une majorité de
circonstance pour contrebalancer la défection des deux députés Verts et des
députés communistes, lesquels sont d'ailleurs en l'occurence parfaitement en
conformité avec leur hostilité traditionnelle à toute évolution du régime de la
Ve République vers une présidentialisation.
M. Robert Bret.
Ça c'est vrai !
M. Dominique Braye.
On conçoit aisément que certains des alliés du parti socialiste aient eu des
états d'âme à emboîter le pas à ce qui leur est apparu comme une pure manoeuvre
de tactique électorale...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
... au profit du Premier ministre et du parti socialiste, et dont eux-mêmes
seront d'ailleurs demain les grands perdants.
(Applaudissements sur les
travées du RPR.)
Je parle bien sûr des autres composantes de la majorité
plurielle, lesquelles commencent à le comprendre.
Cette manoeuvre électoraliste est d'ailleurs énorme, non seulement sur le fond
mais aussi sur la forme. Le revirement spectaculaire de la position de M.
Jospin est tellement difficile a expliquer à l'opinion publique que le seul
moyen d'en atténuer les effets médiatiques négatifs a été d'avoir recours à
l'initiative parlementaire. Cela permet maintenant au Gouvernement de nous
exposer benoîtement que lui-même ne fait que se conformer au « consensus » qui
se serait spontanément créé sur l'urgence de cette réforme, alors que tous nos
concitoyens ont assisté en direct aux agissements politiciens des auteurs de
cette manoeuvre. Même les quotidiens locaux - et pas seulement ceux du
Puy-de-Dôme ! - s'en sont fait l'écho.
Singulier consensus que celui qui regroupe une majorité de 300 députés en
faveur de l'inversion du calendrier, mais en y intégrant 25 députés de
l'opposition nationale qui compensent opportunément le désaccord de 36 députés
de la majorité plurielle.
Ce consensus relatif est étrangement fondé sur des motivations à la fois
convergentes et divergentes de la part de ceux qui l'ont soutenu et de la part
de ceux qui s'y sont ralliés.
M. Jacques-Richard Delong.
Centrifuge ?
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
Convergentes et divergentes, mon cher collègue, je préfère ces termes.
(Nouveaux sourires.)
Convergentes car, pour certains, tout faire pour compromettre la réélection du
Président de la République semble être un sujet d'accord, mais aussi
divergentes car s'il est légitime de vouloir faire gagner son camp, il est en
revanche plus étrange de vouloir faire perdre le sien, et pas seulement, soit
dit en passant, pour l'élection présidentielle.
Les petits calculs d'aujourd'hui ne peuvent pas déboucher sur les grandes
victoires de demain.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
Comprenne qui pourra
(Sourires sur plusieurs travées du RPR),
mais
cela me semble surtout beaucoup plus affligeant qu'incompréhensible.
Puisque ce relatif consensus de circonstance semblait s'esquisser dans les
coulisses et puisqu'il ne fallait pas faire apparaître le revirement du Premier
ministre comme un reniement, le procédé de l'initiative parlementaire
permettait aux socialistes de sauver un tantinet la face avec la complicité
d'alliés bien peu regardants sur la méthode.
MM. Paul Blanc et Gérard Cornu.
Eh oui !
M. Dominique Braye.
Ce procédé présentait aussi l'avantage d'éviter le passage du texte devant le
Conseil d'Etat et le conseil des ministres, permettant aussi d'empêcher le
Président de la République de se prononcer sur son opportunité,...
M. Patrick Lassourd.
Tout à fait !
M. Dominique Braye.
... ce qui n'empêchait pas en revanche le Premier ministre, qui n'en est
décidément pas à une contradiction près, ou plutôt à un reniement près,
d'affirmer que cette initiative ne pouvait être prise sans l'accord du
Président de la République, comme il l'a dit à plusieurs reprises.
Mes chers collègues, comment voulez-vous dans ces conditions que les Français
retrouvent une bonne opinion de leur classe politique devant le spectacle de
pareils tours de passe-passe à l'arrière-goût de combines policitiennes,
certains de mes collègues ayant même parlé de « magouilles politiciennes » ?
Ceux qui les prennent pour des avaleurs de couleuvres incapables de déceler un
bidouillage électoral, pour reprendre les termes que j'ai entendus et qui,
manifestement, sont fort exacts,...
M. Gérard Cornu.
Absolument !
M. Dominique Braye.
... l'année précédant des échéances électorales capitales prennent le risque
de s'exposer à de sévères déconvenues.
Les Français n'aiment pas que l'on change les règles du jeu au profit d'un des
joueurs, quel qu'il soit, juste avant le début de la partie, et ils ont bien
raison.
M. Gérard Cornu.
Même les enfants n'aiment pas cela !
M. Dominique Braye.
C'est non seulement faire peu de cas de l'équité des chances des adversaires,
mais aussi faire insulte à l'intelligence des arbitres du jeu démocatique que
sont tous nos concitoyens, que sont les Français.
M. Gérard Cornu.
Oui !
M. Dominique Braye.
Mes chers collègues, je crois que nous honorerons le Sénat, notre fonction et
le mandat que nous ont confié nos électeurs en nous conformant conclusions de
notre excellent rapporteur Christian Bonnet...
M. Jacques Valade.
Oui !
M. Dominique Braye.
... et en refusant de voter une loi de circonstance, une loi de
complaisance...
Mme Nelly Olin.
Oui !
M. Dominique Braye.
... qui se pare du masque de la vertu constitutionnelle alors qu'elle n'a
d'autre visage que celui d'une grossière manoeuvre préélectorale.
(Très bien
! et vifs applaudissements sur les travées du RPR. - M. Hérisson applaudit
également.)
9
RENVOI DE LA SUITE DE LA DISCUSSION
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, depuis mardi 16 janvier, le Sénat discute de
la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. Au moment où je m'exprime devant vous, il a déjà
consacré plus de temps que l'Assemblée nationale à l'examen de ce texte, soit
plus de douze heures de discussion.
M. Gérard Cornu.
Cela le mérite !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Le Sénat va toujours au fond !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Au vu des orateurs inscrits, la
conférence des présidents n'ayant pas souhaité organiser la discussion
générale, les débats risquent de se poursuivre demain, et peut-être
ultérieurement.
Cette situation me conduit à m'interroger sur deux points.
Tout d'abord, le Sénat est-il amplement informé et a-t-il suffisamment
délibéré de cette proposition de loi ?
(Exclamations sur les travées du
RPR.)
M. Josselin de Rohan.
C'est nous qui décidons !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je vous rappelle que les
députés se sont prononcés en faveur de ce texte le 20 décembre dernier, ...
M. Gérard Cornu.
Pas tous !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... à une nette majorité : 300
voix contre 245.
M. Louis de Broissia.
Eux, c'est eux, et nous, c'est nous !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ils ne font rien au fond !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je rappelle que ce texte
concerne d'abordl'Assemblée nationale...
M. Dominique Braye.
Cela concerne la France !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... et qu'il ne compte que deux
articles.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Le Sénat a souhaité auditionner des experts en droit constitutionnel et en
sciences politiques. Cinq se sont rendus à l'invitation de la commission des
lois.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Je constate d'ailleurs
qu'ils se sont majoritairement prononcés en faveur du texte de loi et de la
prolongation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Patrice Gélard.
Absolument pas !
M. Pierre Hérisson.
Ce n'est pas vrai !
M. Patrice Gélard.
Trois d'un côté, et deux de l'autre !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Au sein de la Haute Assemblée,
des orateurs de toutes les tendances ont été entendus. Toutes les nuances des
opinions se sont déjà exprimées, et ce longuement.
(Exclamations sur les
travées du RPR.)
Une simple fraction de la majorité sénatoriale veut prolonger la discussion
alors qu'il serait logique de passer maintenant à l'examen des articles.
Quelles sont donc les conséquences, pour la suite du calendrier parlementaire,
du temps utilisé par le Sénat ?
Dès aujourd'hui, vous le savez, était prévue la discussion du projet de loi
d'orientation sur la forêt. Elle a dû être reportée, et le sera encore
demain.
Je n'ai pas besoin de rappeler aux sénateurs, en particulier à tous ceux qui
exercent des responsabilités dans des départements comptant des forestiers, des
sylviculteurs,
(Exclamations sur les mêmes travées)
, que ce texte est
très attendu pour soutenir le redressement d'une filière, souvent essentielle
pour de nombreuses communes. J'ai entendu à cette tribune M. Raffarin,
président du conseil régional de Poitou-Charentes, se désoler qu'on ne puisse
pas s'intéresser à ce sujet.
(Nouvelles exclamations sur les travées du
RPR.)
Je crois aussi que le président du Sénat, M. Poncelet, qui est élu des Vosges,
est très sensible à ce sujet de la forêt, puisque son département a été
durement éprouvé par la tempête de l'an dernier.
Mme Nelly Olin.
Il fallait inscrire plus tôt ce texte à l'ordre du jour !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
C'est d'ailleurs un texte sur
lequel le Sénat a déjà travaillé, puisque 270 amendements ont été déposés, et
qui justifie un débat serein et de qualité.
M. Patrick Lassourd.
Nous attendons ce projet de loi depuis 1997 !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
A la suite du ralentissement
des travaux, pour ne pas dire du surplace qu'est en train de faire le Sénat, ou
une fraction du Sénat
(Exclamations sur les travées du RPR.), ...
Un sénateur du RPR.
La majorité !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... le Gouvernement est donc
amené, une nouvelle fois, à modifier l'ordre du jour. L'examen de la
proposition de loi organique sera donc poursuivi mercredi matin. Le Sénat
pourrait aussi siéger le soir pour rattraper le retard.
(Non ! sur les
travées du RPR.)
M. Paul Blanc.
Et les 35 heures ?
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
C'est à cet effet que j'ai fait
parvenir à M. le président du Sénat la lettre rectificative de l'ordre du jour.
En tout cas, le projet de loi d'orientation sur la forêt ne pourra être examiné
avant le vote du texte actuellement en discussion.
Il appartient donc, monsieur le président, à chaque sénateur de prendre ses
responsabilités dans l'organisation du travail législatif.
(Exclamations sur
les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd.
Au Gouvernement aussi !
Mme Nelly Olin.
Nos responsabilités, on les prend !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Il serait regrettable que des
projets de loi ne puissent pas être examinés, d'autant que les Français sont en
droit d'attendre - et le dernier orateur, avec moult péroraisons, s'est
prononcé en ce sens - que le travail parlementaire soit « utile »,...
M. Josselin de Rohan.
Il l'est !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... et ce jusqu'à la suspension
des travaux pour les élections locales. Je pense d'ailleurs que le Sénat, dans
sa grande sagesse, saura y contribuer. C'est en ce sens, monsieur le président,
que je vous ai fait parvenir la lettre rectificative de l'ordre du jour.
M. Paul Blanc.
C'est du chantage !
M. Jacques-Richard Delong.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Delong.
M. Jacques-Richard Delong.
Je souhaite simplement apporter une précision à l'exposé que vient de faire M.
le ministre.
Monsieur le ministre, vous avez longuement parlé, et à juste raison, du projet
de loi d'orientation sur la forêt, qui nous tient tout à fait à coeur.
M. Emmanuel Hamel.
Vous pouvez le dire !
M. Jacques-Richard Delong.
Il ne faut tout de même pas exagérer les choses. Il faut 180 ans pour faire un
chêne et 140 ans, pour un hêtre. Par conséquent, soyez assuré, monsieur le
ministre, vous qui n'avez peut-être vu jusqu'à présent que des plantes en pot,
que nous n'en sommes pas à quelques instants près !
(Rires et
applaudissements sur les travées du RPR. - M. Hérisson applaudit
également.)
En tant que président de la fédération des communes forestières de France, je
tiens à vous rassurer, monsieur le ministre : la forêt continuera à pousser
sans le secours de l'Assemblée nationale et du Sénat !
(Applaudissements sur
les mêmes travées.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Monsieur le président, j'ai noté bien
évidemment les propos de M. le ministre chargé des relations avec le
Parlement.
S'agissant de la première partie de ses déclarations, je lui en laisse la
responsabilité : il appartient au Sénat, et à lui seul, d'apprécier l'ampleur
qu'il y a lieu de donner à un débat. L'assistance présente en cet instant
montre l'intérêt que nous portons à ce texte et, en même temps, la volonté très
clairement manifestée d'aller au fond des choses.
J'en viens maintenant à l'autre affaire, c'est-à-dire aux propositions qui
nous sont faites. Elles ne me paraissent pas susceptibles d'être retenues. Vous
avez indiqué, monsieur le ministre, que le projet de loi d'orientation sur la
forêt va s'en trouver retardé ; mais maintenez-le à l'ordre du jour !
M. Gérard Cornu.
Eh oui !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Maintenez-le à l'ordre du jour, et nous
pourrons alors nous consacrer intégralement à ce sujet dont vous avez noté tout
l'intérêt.
Je vois que ce n'est pas la solution que vous êtes disposé à adopter.
Néanmoins, je ne crois pas que nous puissions nous arrêter aux propositions que
vous nous faites.
M. Gérard Cornu.
Non !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Tout d'abord, je note que, mercredi matin, la
commission des lois doit se réunir. Les séances du mercredi matin sont en effet
consacrées aux réunions de commissions. Je note d'ailleurs - l'information
vient de m'en être donnée - que le président de la commission des affaires
économiques et du Plan a organisé une audition...
MM. Hilaire Flandre et Louis de Broissia.
Tout à fait !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
... ouverte à tous les membres du Sénat et,
de ce fait, les ordres du jour sont déjà largement fixés.
Par conséquent, demain matin, nous serons en commission, chacun ayant à
accomplir ce qu'il est de son devoir d'accomplir.
Par ailleurs, reste la séance de mercredi soir que vous souhaiteriez voir
consacrée à l'examen de la proposition de loi organique. C'est une modification
de l'ordre du jour qui implique une séance du soir n'ayant pas été décidée pour
cet objet par la conférence des présidents. Si une séance du soir a été
décidée, c'est pour parler de la forêt.
M. Gérard Cornu.
Tout à fait !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Vous nous proposez une séance du soir pour
parler d'autre chose. Je ne crois pas que ce soit acceptable.
M. Adrien Gouteyron.
Non !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Dans ces conditions, monsieur le président,
il appartiendra au Sénat de dire s'il accepte la suggestion qui lui est
faite.
Quant au déroulement du débat, monsieur le ministre, vous avez noté que chacun
y apporte le plus grand intérêt. Je ne pense pas que ce soit ni pour vous
étonner ni pour vous déplaire. C'et donc dans ce cadre que nous avons
l'intention de continuer.
(Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR. - M. Hérisson applaudit également.)
M. Guy Allouche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
joindre ma voix à l'appel lancé par M. le ministre sur la responsabilité de
chacun d'entre nous en cet instant.
Mes chers collègues, je ne peux m'empêcher de vous dire, pour reprendre une
expression que chacun connaît : j'ai mal au Sénat de la République.
(Vives exclamations sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia.
C'est trop !
M. Dominique Braye.
Nous, nous avons mal à la France, avec vous !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, je vous demande d'être attentifs au fait que le Sénat est
en train de se déconsidérer !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd.
C'est le Gouvernement qui se déconsidère !
M. Dominique Braye.
Nous avons mal à la France !
M. Henri de Richemont.
Vous nous violez !
M. Guy Allouche.
Au moment où l'opinion publique s'interroge sur le comportement du monde
politique.
(Exclamations sur les travées du RPR),
au moment où cette opinion
publique est de plus en plus récalcitrante à notre égard, le Sénat ne fait
actuellement rien d'autre que creuser davantage encore le fossé.
M. Patrick Lassourd.
Et l'initiative du Gouvernement, c'est quoi ?
M. Guy Allouche.
Comment peut-on, d'un côté, au plus haut niveau de l'Etat, souhaiter, à
l'occasion des voeux, que l'année 2001 soit « utile »,
(Oui ! sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Il a eu raison !
M. Guy Allouche.
... qu'elle soit mise à profit pour réaliser des réformes qu'attendent les
Français,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Arrêtez les magouilles !
Mme Nelly Olin.
Elles n'intéressent pas les Français !
M. Guy Allouche.
... et, de l'autre, de la part de ses soutiens, avoir un comportement si
différent, que je pourrais taxer d'inqualifiable ?
(Protestations sur les
mêmes travées.)
Mes chers collègues, j'en appelle à la responsabilité de chacun d'entre nous !
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Les médias, sur
lesquels vous comptiez dans cette opération, ignorent ce que fait le Sénat.
(Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Patrick Lassourd.
Et alors !
M. Henri de Richemont.
Ce n'est pas nouveau !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Nous ne comptons pas sur les médias pour convaincre nos électeurs !
M. Jacques-Richard Delong.
Je crois que vous vous fatiguez inutilement, monsieur Allouche !
(Rires sur
les mêmes travées.)
M. Guy Allouche.
Reprenez votre souffle, monsieur Delong, vous en avez besoin !
A nos yeux, il n'y a pas là, comme certains le prétendent ici, qui veulent la
dénoncer, une opération politique.
(Vives protestations sur les mêmes
travées.)
Si c'en était une, pourquoi certains qui, à l'Assemblée
nationale, ne sont pas des nôtres, l'auraient-ils votée ?
M. Patrick Lassourd.
Et les vôtres ?
M. Guy Allouche.
Je ne citerai personne, mais vous savez tous à qui je pense.
M. Henri de Richemont.
Les Saxons !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, une fois de plus, j'en appelle à la responsabilité de
chacun et, monsieur le président, confraternellement, je me tourne vers vous
pour vous dire que je lance aussi un appel à M. le président Poncelet.
Si la majorité sénatoriale a choisi M. Poncelet, ce n'est pas seulement pour
qu'il siège de temps à autre à ce que l'on appelle ici le « plateau ».
M. Jacques-Richard Delong.
C'est du chantage !
M. Guy Allouche.
C'est parce qu'elle a estimé qu'elle lui conférait, ce faisant, une autorité
réelle.
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.
J'en appelle donc, je le répète, à la responsabilité de M. le président
Poncelet. En effet, à quoi bon défendre le Sénat - et il est là dans son rôle -
...
M. Gérard Braun.
Et il le fait bien !
M. Guy Allouche.
... comme il le fait dans toute la France, si ses propres amis, par un
comportement que je n'ose qualifier
(Vives protestations sur les mêmes
travées.)
déconsidèrent ce même Sénat ?
M. Jean-Michel Baylet.
Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président, compte
tenu du souhait émis par la Haute Assemblée de continuer à discuter de ce
texte, le Gouvernement avait proposé que le Sénat siège demain matin. Je
constate qu'il ne le souhaite pas.
Par ailleurs, monsieur le président Larché, je note que la séance de demain
soir a été prévue par la conférence des présidents, qu'en conséquence elle le
demeure, avec l'ordre du jour que fixe le Gouvernement, conformément à
l'article 48 de la Constitution.
Aussi, monsieur le président, après avoir rappelé que le Gouvernement est prêt
à venir siéger demain matin, je vous indique que, conformément à la lettre que
je vous ai fait parvenir, l'ordre du jour prioritaire de la séance du mercredi
24 janvier est ainsi établi : « Suite de la discussion sur la proposition de
loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée
nationale. - Projet de loi d'orientation sur la forêt ».
Il ne tient donc qu'au Sénat d'examiner au plus tôt le projet de loi sur la
forêt.
Mais, je le répète, le Gouvernement, maître de l'ordre du jour prioritaire,
estimant que la bonne organisation des travaux parlementaires implique que les
textes soient examinés les uns après les autres, inscrit à l'ordre du jour de
la séance du mercredi 24 janvier, prévue par la conférence des présidents en
date du 11 janvier, le soir, la suite de l'ordre du jour tel que modifié par la
lettre qui vous est parvenue.
M. le président.
Cela signifie-t-il, monsieur le ministre, que, si le Sénat siège le soir, il
examinera le projet de loi relatif à la forêt ?
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Non !
Mme Nelly Olin.
Voilà !
M. le président.
C'est la réponse que je voulais.
Monsieur Allouche, je ne doute pas que M. Christian Poncelet, président du
Sénat, sera sensible à votre argumentation et à la considération que vous lui
portez.
En l'occurrence, c'est moi qui préside. C'est donc moi qui assure, en lieu et
place de M. Poncelet, la conduite des débats et l'application de notre
règlement.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le ministre des relations avec le Parlement a fait savoir à M. le président
du Sénat qu'il souhaitait que le Sénat siège demain matin et demain soir, étant
entendu que le Sénat siège tout naturellement demain après-midi, à quinze
heures.
En vertu de l'article 32 du règlement du Sénat, parce que, par-delà même les
conclusions de la conférence des présidents, ce que le Sénat a fait, concernant
l'ordre du jour, il peut également le défaire, je vais mettre aux voix
successivement les propositions de M. le ministre tendant à faire siéger le
Sénat demain matin, puis, dans les conditions qui ont été rappelées, demain
soir.
Je mets aux voix la proposition du Gouvernement tendant à faire siéger le
Sénat demain matin.
(La proposition n'est pas adoptée.)
M. le président.
Je mets aux voix la proposition du Gouvernement tendant à faire siéger le
Sénat demain soir.
(La proposition n'est pas adoptée.)
M. le président.
La prochaine séance publique aura donc lieu demain, mercredi 24 janvier, à
quinze heures, conformément à la décision de la conférence des présidents.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
10
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
ORGANIQUE
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi organique,
modifié par l'Assemblée nationale, relatif au statut des magistrats et au
Conseil supérieur de la magistrature.
Le projet de loi organique sera imprimé sous le numéro 196, distribué et
renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
11
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE
M. le président.
J'ai reçu de M. Georges Othily une proposition de loi constitutionnelle
relative à la Guyane.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 197,
distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
12
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet de position commune du Conseil relative aux mesures restrictives
supplémentaires à l'encontre des Taliban.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-1636 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Livre vert - vers une stratégie européenne de sécurité d'approvisionnement
énergétique.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-1637 et distribué.
13
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Joseph Ostermann un rapport fait au nom de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le
projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, sur
l'épargne salariale (n° 193, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 198 et distribué.
14
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 24 janvier 2001, à quinze heures :
1. Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 186, 2000-2001) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé à la clôture de la
discussion générale.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la proposition de loi
organique.
2. Discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000), adopté par l'Assemblée
nationale, d'orientation sur la forêt.
Rapport (n° 191, 2000-2001) de M. Philippe François, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 190, 2000-2001) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission
des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la
nation.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus
recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
*
* *
A dix-sept heures quinze, M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des
comptes, déposera le rapport annuel de la Cour des comptes.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale,
tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements
à caractère sectaire (n° 431, 1999-2000) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 24 janvier 2001, à
dix-sept heures.
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la décentralisation :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 30 janvier
2001, à dix-sept heures.
Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par
l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à la reconnaissance de la
traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité (n° 314,
1999-2000) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 31 janvier 2001, à
dix-sept heures.
Nouvelle lecture du projet de loi sur l'épargne salariale (n° 193, 2000-2001)
:
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 31 janvier 2001, à seize
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATIONS DE MEMBRES
DE COMMISSIONS PERMANENTES
Dans sa séance du mardi 23 janvier 2001, le Sénat a nommé :
M. René-Georges Laurin membre de la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées, à la place laissée vacante par M. Xavier Dugoin
depuis le 17 janvier 2001 ;
M. Laurent Béteille membre de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
en remplacement de M. René-Georges Laurin, démissionnaire.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Situation des titulaires d'un doctorat
bénéficiant d'un emploi jeune
1004.
- 23 janvier 2001. -
M. Louis Souvet
attire l'attention de
M. le ministre de l'éducation nationale
sur la situation des titulaires d'un doctorat occupant un emploi jeune. Malgré
leur qualification importante et les discours ministériels des 23 juin 2000 et
11 octobre 2000 tenus respectivement devant les directeurs des instituts
universitaires de formation des maîtres (IUFM) et dans le cadre du projet de
rénovation des IUFM, il semble que l'éducation nationale se désintéresse de
leur sort, leur faible nombre, il est vrai, une soixantaine, ne risquant pas de
provoquer de gros désordres devant le ministère. Pour autant, ne pas prendre en
compte leur revendication, c'est avaliser les dysfonctionnements d'un système
mais aussi les mépriser alors qu'ils ont fait bénéficier les IUFM de leur temps
et de leur savoir. Il demande si le Gouvernement prévoit une solution globale
pour régulariser une situation ubuesque mais ô combien dramatique pour les
intéressés.
Conditions d'implantation des éoliennes
1005.
- 23 janvier 2001. -
M. Jean-François Le Grand
attire l'attention de
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement
sur le vide juridique qui existe en matière de permis de construire pour
l'implantation d'éoliennes. En effet, en l'état actuel de la législation, il
n'est pas sollicité du demandeur la mise en oeuvre préalable d'une enquête
publique et seule la production d'une étude d'impact est requise, sans qu'il
soit clairement précisé ce que pourraient être les modalités d'instruction de
ce permis.