SEANCE DU 1ER FEVRIER 2001
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion
d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Béteille, que je
salue car c'est sa première intervention à la tribune du Sénat.
(Applaudissements.)
M. Laurent Béteille.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat au logement, mes chers
collègues, nous voici face à un de ces débats qui ne font pas véritablement
honneur à notre République. Je sais bien que certains s'en délecteront mais,
hélas !, c'est encore une fois la légitimité de la classe politique qui en
pâtira.
Ce texte ne requérait aucune urgence, mais ses conséquences institutionnelles
sont graves et mal évaluées. Par ailleurs, il est bien loin, bien trop loin des
préoccupations de nos concitoyens.
Que nous disent ceux-ci quand nous les rencontrons chaque jour sur le terrain,
dans nos communes, dans nos départements, dans nos régions ? Ils nous disent
qu'ils ne comprennent pas que le Parlement consacre tant de temps à des débats
institutionnels, alors que tant de textes importants sont attendus ; ils nous
disent qu'ils ne comprennent pas l'obstination du Gouvernement : pourquoi
retirer de l'ordre du jour le projet de loi d'orientation sur la forêt,
pourquoi en retirer le texte sur les sectes ou celui qui est relatif à
l'interruption volontaire de grossesse ?
Que pouvons-nous leur répondre ? Que le Gouvernement a voulu punir le Sénat en
supprimant ces textes de l'ordre du jour ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est la France qu'il punit !
M. Laurent Béteille.
Exactement !
Ce sont nos concitoyens eux-mêmes qui sont punis, dès lors que ces textes
importants pour leur quotidien ne peuvent être discutés.
Ils nous disent aussi qu'ils trouvent nos débats trop éloignés de leur
réalité, et ils ont raison. La réalité, c'est la violence quotidienne, qui a
encore frappé ce week-end en proche banlieue et dans la plus totale impunité ;
la réalité, c'est l'inquiétude légitime qu'éprouvent nos concitoyens pour leur
retraite. Le Gouvernement avait d'ailleurs annoncé un projet de loi sur les
retraites en 1997, dans son programme électoral. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Rien n'a été fait, et le Premier ministre préfère demander aux cabinets
ministériels de travailler sur ce texte, qu'il considère comme majeur, plutôt
que sur tous ceux qu'attendent vainement nos compatriotes. Cela ne les amusera
plus longtemps, et bientôt, je n'en doute pas, vous serez sanctionnés par les
électeurs pour ces petites manoeuvres !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
On verra ça !
M. Laurent Béteille.
Pourtant, nombreux étaient ceux qui, ici, il n'y a pas encore si longtemps,
vous mettaient en garde contre les risques que couraient notre vie politique,
notre République et nos institutions dans l'ensemble ; nombreux étaient mes
collègues qui vous mettaient en garde contre le danger que représentait
l'ouverture de la boîte de Pandore - ainsi que l'avait nommée notre éminent
collègue Jean-Pierre Schosteck, sénateur des Hauts-de-Seine - au prétexte
fallacieux de vouloir paraître moderne.
En effet, voter le quinquennat, même si l'on pouvait y trouver de bonnes
raisons, était le premier pas d'une course effrénée dans laquelle vous vous
êtes lancés. Nous n'en sommes aujourd'hui qu'à la deuxième étape. Combien en
restera-t-il après celle-ci ? Nous voici invités à traiter cette nouvelle étape
qui viserait, c'est le Gouvernement qui le dit, à rétablir une logique - en
réalité logique des plus contestables - dans l'ordre des élections.
Quelles seront les étapes suivantes ? Personne ne semble pouvoir sérieusement
le dire, puisqu'il est évident que toutes ces réformes ne sont proposées qu'au
gré des circonstances, au coup par coup, au gré des prévisions sur les
avantages électoraux que tel ou tel croit pouvoir en espérer.
C'est bel et bien une petite manoeuvre politicienne que nous nous efforçons de
dénoncer depuis trois semaines maintenant, une toute petite manoeuvre. J'en
veux pour preuve cette formule malheureuse du Premier ministre, qui jurait la
main sur le coeur qu'aucune initiative en ce sens ne serait prise.
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée
nationale, M. le Premier ministre, dont personne ne doute qu'il était trop
occupé par les devoirs imposants de sa charge, ne s'était pas aperçu du
caractère « fortuit », pour reprendre son propre terme, d'un calendrier
électoral qui nous conduirait en effet à élire les députés, puis, ensuite
seulement, le Président de la République.
Ce calendrier, qu'il considère aujourd'hui comme aberrant, alors qu'il n'a pas
semblé s'en préoccuper pendant près de quatre ans, résulte, avoue-t-il, de deux
aléas dont on comprend mal qu'il ne se soit pas aperçu plus tôt.
M. Lionel Jospin se souvient en effet soudain que le Président Pompidou est
mort en 1974 et que la dernière dissolution est intervenue voilà trois ans et
demi.
Je ne peux m'empêcher, avec vous, mes chers collègues, de me poser une
question bien innocente, je l'avoue, mais que je vous livre néanmoins :
pourquoi n'en a-t-il rien dit au printemps dernier, lors du débat sur le
quinquennat ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Laurent Béteille.
Je m'interroge : soit il ne s'en était pas aperçu, et cela prouverait le
manque de vue à long terme du Premier ministre ; je ne lui ferai pas l'offense
de l'imaginer, même si, comme vous sans doute, le doute m'effleure parfois sur
des sujets tels que les retraites ou la sécurité ; soit il ne pensait pas à
cette époque avoir besoin d'un stratagème visant à changer la règle du jeu
parce que sûr alors de son destin présidentiel ; soit, mais ce serait bien pis
encore, il y avait pensé mais il maintenait cachée cette réforme, se réservant
d'attendre un moment plus propice pour sortir du bois, craignant que le
subterfuge ne paraisse trop gros aux yeux de l'opinion ou des partenaires de la
majorité plurielle.
Quelle que soit l'hypothèse retenue, c'est bien d'une réforme de circonstance
qu'il s'agit et, comme toujours, c'est notre vie politique qui en fera les
frais. Je ne suis pas le seul à penser de la sorte.
L'un de mes collègues de la commission des lois m'a d'ailleurs rapporté qu'un
jour, en commission, nos collègues communistes et socialistes n'ont pas
souhaité débattre d'un texte qui nous était soumis au motif que, selon eux, il
s'agissait d'un texte de circonstance, ce qui était toujours mauvais. Je ne
peux bien évidemment que leur donner tout à fait raison ; mais je les invite à
être logique avec eux-mêmes et, en retour, à nous rejoindre pour rejeter avec
nous cette proposition de loi, qui n'aura d'autre effet que de décrédibiliser
la classe politique dans son ensemble.
Tout en effet conduit à penser que ce débat est inspiré par une hypocrisie
sans limite.
Le débat est improvisé, puisqu'il a été ajouté bien tardivement à l'ordre du
jour, et il est évidemment précipité, puisque le Gouvernement a, une fois de
plus, décrété l'urgence ; il semble d'ailleurs que cela devienne une habitude
sur les sujets importants. Je ne peux que regretter un tel choix, après nombre
de mes collègues, s'agissant d'un texte qui exige aussi peu l'urgence. S'il y
avait eu urgence, il aurait fallu s'y prendre voilà quatre ans car, dès juin
1997, nous savions ce que devait être l'ordre des élections en 2002.
Le débat sur les institutions a eu lieu à l'Assemblée nationale dans un
pseudo-préalable à la discussion du calendrier électoral, lui-même fictif. M.
Patrick Devedjian, s'exprimant au nom du RPR, avait d'ailleurs relevé dans
L'Hebdo des socialistes
du 8 décembre dernier l'analyse suivante : « Ce
n'est pas un débat institutionnel. Il serait difficile d'engager un débat
institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des
échéances nationales. »
Le prétendu débat institutionnel accordé à l'Assemblée nationale n'était en
fait qu'une tentative grossière, et du reste avortée, de mieux faire passer
cette manoeuvre électorale.
Quelle n'est d'ailleurs pas ma stupéfaction d'entendre les traditionnels
opposants à la logique des institutions de la Ve République se faire
aujourd'hui les plus ardents défenseurs de cette logique ! Nous avons donc
entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la logique de la
Constitution et sur le respect des principes établis par le général de Gaulle.
Quel dommage qu'à l'affirmation de ces principes correspondent étroitement les
intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer ! Ces affirmations
sont d'autant plus surprenantes qu'elles émanent de ceux qui se déclarent
héritiers de François Mitterrand, l'auteur du
Coup d'Etat permanent.
Lionel Jospin lui-même ne déclarait-il pas que la Constitution de la Ve
République n'était pas sa référence ?
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne
pouvait prévoir, à seize mois de distance, le résultat des élections. Ils
affichent la meilleure bonne foi et, selon eux, le présent texte peut être voté
en l'état puisqu'il n'est susceptible de profiter à aucune des parties en
présence.
Néanmoins, je me permets de douter de cette bonne foi lorsque je lis, dans
l'excellente
Revue socialiste,
la non moins excellente analyse d'Eric
Perraudeau.
En effet, les socialistes, quoi qu'ils en disent, ne font pas l'économie de
prévisions électorales. De telles prévisions, détaillées département par
département et circonscription par circonscription, occupent plus de trente
pages de la revue déjà citée !
Voici donc ce qu'on peut lire sous la plume d'Eric Perraudeau dans le numéro
de novembre dernier :
« Une lecture attentive des trois précédents scrutins depuis 1997 met en
évidence un rétrécissement de la base électorale de la gauche plurielle et un
recul sensible de ses résultats électoraux.
« En remportant les élections de 1997, les socialistes et la gauche sont
revenus de loin. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, chaque scrutin a
constitué autant de marches d'une longue descente aux enfers où la gauche
perdait irrésistiblement du terrain : régionales de 1992, législatives de 1993,
européennes de 1994 ; trois échecs cuisants qui laissèrent des blessures
profondes à la gauche.
« Au contraire, les trois derniers scrutins électoraux en France -
législatives, régionales et cantonales, européennes - ont permis à la gauche de
renouer durablement avec le succès électoral, y compris lors des élections
intermédiaires, traditionnellement défavorables au pouvoir en place.
« En nombre de sièges, la progression de la gauche plurielle est
incontestable. Pourtant, à y regarder de plus près, cette progression ne
traduit pas une consolidation électorale de la gauche.
« Avec 310 députés contre 244 à la droite parlementaire, la gauche dispose
d'une avance confortable de 66 sièges. Sa progression fut spectaculaire, à
l'image des 112 circonscriptions où Jacques Chirac avait été majoritaire en
1995, et que le parti socialiste est parvenu à reprendre en 1997.
« Signe de ce dynamisme politique, dans les 369 circonscriptions où se sont
affrontés au second tour un candidat socialiste - ou divers gauche - et un
candidat de la droite parlementaire, le candidat socialiste l'a emporté dans
210 duels contre 159 à la droite.
« Pourtant, on oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne
s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. Dans 34 circonscriptions où
s'opposaient en duel un candidat socialiste et un candidat de l'opposition, la
victoire socialiste n'a été acquise que par un score compris entre 50 et 51,5 %
des voix.
« Si ces 34 circonscriptions avaient basculé à droite en 1997, le résultat
final en aurait été inversé, et la gauche serait actuellement dans
l'opposition. Il aurait suffi pour cela qu'à l'échelle nationale moins de 1 %
des électeurs modifient leur comportement.
« A cet égard, les résultats du département de la Drôme sont particulièrement
instructifs. En juin 1997, les quatre circonscriptions sont revenues à la
gauche. Mais trois sièges ont été remportés avec un score inférieur à 51 % et
le dernier l'a été à l'occasion d'une triangulaire avec le Front national.
Ainsi, Michèle Rivasi gagne avec 33 voix d'avance sur le candidat de droite,
Michel Grégoire avec 57 voix, Eric Besson avec 110, tandis qu'Henri Bertholet
l'emporte avec 2 267 voix d'avance, mais dans une triangulaire où le Front
national recueille 9 597 voix au second tour. Combien parviendront à conserver
leur siège en 2002 ?
« Ce serait donc une erreur de croire que le parti socialiste, malgré le
travail réalisé par Lionel Jospin entre 1995 et 1997, a regagné la totalité du
terrain perdu entre 1988 et 1993. Dans les circonscriptions où il dépassait 40
% des voix en 1988, le parti socialiste a pu perdre plus de 30 % de ses scores
initiaux, et recule de 14 points en moyenne dans les 490 circonscriptions où il
a été constamment présent entre 1988 et 1997.
« Cette baisse s'explique en partie par la perte d'influence du parti
socialiste en milieu populaire. Il recule massivement en milieu ouvrier - moins
16 points - et dans les classes moyennes salariées - moins 13 points chez les
professions intermédiaires et moins 11 points chez les employés. Aujourd'hui,
le parti socialiste recueille davantage de voix parmi les cadres supérieurs que
parmi les ouvriers.
« Au sein de la gauche, le poids du PS évolue également dans un sens qui ne
lui est pas favorable. Alors qu'il représentait 74 % du total des voix de
gauche en 1988, 61 % en 1993, il n'en représente plus que 58 % désormais.
« L'analyse comparative des différents scrutins, notamment des législatives
depuis 1981, nécessite cependant d'avoir à l'esprit certaines constantes. Les
législatives qui suivent des présidentielles ont toujours tiré à la hausse la
gauche plurielle, et notamment le parti socialiste. »
Nous y voilà !
« Ce fut le cas en 1981 et en 1988. La mise en perspective avec les scrutins
de 1995 et 1997 suggère de maintenir une certaine prudence. Il est surtout
difficile aujourd'hui d'anticiper l'effet qu'aura sur le comportement électoral
des Français l'inversion des calendriers en 2002.
« On ne sait non plus comment les formations politiques et les candidats à
l'élection présidentielle articuleront la campagne des élections législatives
avec celle de la présidentielle. Cependant, ce resserrement de la base
électorale du parti socialiste ne se constate pas uniquement à l'occasion des
législatives. Il s'est vérifié lors des autres scrutins, ce qui traduit bien
une tendance plus large.
« Un an après sa victoire de 1997, les élections régionales de 1998 sont
venues confirmer cette double tendance : une dynamique politique à gauche, qui
lui permet de progresser en sièges au point de rééquilibrer le nombre de
régions présidées par la gauche et la droite, mais aussi le resserrement de sa
base électorale.
« En effet, malgré son succès, la gauche plurielle a reculé lors des élections
régionales de 1998. Son score global diminue dans la majorité des départements
par rapport à 1992, qui fut pourtant un échec électoral important, annonçant le
revers de 1993.
« Devant le sentiment d'impuissance des politiques, le balancier électoral se
retournait particulièrement vite ces dernières années. De plus en plus vite
même. Depuis 1981, pas un gouvernement sortant n'aura été reconduit. Tous
auront été sanctionnés par les électeurs. Lionel Jospin en a bien conscience.
»
On ne fera donc croire à personne que le parti socialiste n'a pas réfléchi à
l'intérêt éventuel d'une inversion du calendrier électoral, d'autant que, lors
des prochaines législatives, vous pourrez difficilement compter, cette fois-ci,
sur le maintien de l'extrême droite au second tour.
D'ailleurs, votre inquiétude est d'autant plus grande que, depuis 1978, aucune
Assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne
soit son tour d'être battue.
Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les
élections législatives, à se poser dès le lendemain en candidat susceptible de
l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
M. Emmanuelli a d'ailleurs déclaré le 27 novembre, et je salue sa franchise :
« Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas
vraiment favorable au candidat de la gauche. »
M. Cambadélis, grand théoricien électoral du parti socialiste depuis plus de
quinze ans, s'empresse d'ajouter : « On lève aussi l'hypothèque du centre.
C'est un élément secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir
toujours en tête : soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains
que cela n'induise une crise assez forte au sein de la droite au vu de la
réaction du RPR, soit elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du
centre aux élections présidentielles se réduit à néant. »
Je n'invente rien ! Vous pourrez trouver ces paroles inscrites dans
L'Hebdo
des socialistes
du 8 décembre. J'imagine qu'il ne s'agit pas là des
lectures quotidiennes de la majorité sénatoriale, mais il est toujours
intéressant de se référer aux pensées fortes de ses adversaires.
Il est évident, au regard de tous ces éléments, que les socialistes ne font
pas de politique politicienne... n'est-ce pas ?
Le 19 octobre, voilà donc trois mois seulement, le Premier ministre en
personne condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral : « Toute
initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne. Moi, j'en resterai là. » Eh bien, il n'en est pas resté là !
Dès lors, pourquoi reprocher à l'opposition d'analyser les choses comme le
Premier ministre l'a fait lui-même, voilà fort peu de temps ? S'il a compris
que son attitude ne pouvait qu'être perçue comme politicienne, nous le
comprenons aussi bien que lui !
La vraie question est de savoir pourquoi le Premier ministre, qui affirme
toujours qu'il « fait ce qu'il dit », rompt aujourd'hui avec cette règle et
fait le contraire de ce qu'il avait dit !
La gauche, en effet, s'est toujours plainte d'une prise de décision sans
débat. Craignant l'excès de pouvoir présidentiel, elle pense que des élections
législatives préalables renforcent les pouvoirs du Parlement. La gauche a
toujours tenu ce discours. Ainsi, M. Jospin rappelait : « Je n'ai pas voté les
institutions de la Ve République, ni en 1958 ni en 1962. Je ne suis pas
présidentialiste aujourd'hui. »
Or il n'en considère pas moins désormais que l'élection présidentielle doit
structurer la vie politique française. Là, c'est non plus d'inversion mais de
conversion qu'il s'agit ! Il nous offre le joli paradoxe de vouloir renforcer
le pouvoir du Président de la République contre son avis !
L'inversion du calendrier présenterait un second paradoxe. Alors que la
gauche, qui aura gouverné pendant cinq ans, s'affirme fière de son bilan,
l'examen de celui-ci serait occulté par le débat présidentiel. Car, s'il
succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de
socialisme n'aura plus guère de sens. Voilà qui est singulier...
Ainsi les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu l'esprit
de la Ve République, prétendent-ils lui rendre hommage en « rétablissant la
clarté institutionnelle et démocratique » parce que l'élection présidentielle
serait « l'élection directrice ».
Cette affirmation doit être pour le moins nuancée, surtout en période de
cohabitation. Or celle-ci n'est pas un accident : elle aura occupé neuf années
sur vingt et une, et aura eu lieu trois fois en trois mandats présidentiels
!
Si les élections législatives se déroulent avant la présidentielle, les
candidats demanderont son soutien, dans chaque camp, au candidat présidentiel
le plus crédible. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger
son camp et à influencer ses choix politiques.
Il est faux de prétendre que l'ordre des deux élections obéit à une tradition
constitutionnelle. Les élections législatives ont précédé l'élection
présidentielle à trois reprises. En 1958, les élections législatives se sont
déroulées les 23 et 30 novembre, l'élection présidentielle intervenant le 21
décembre 1958, soit moins d'un mois plus tard, et cela à la naissance de la Ve
République. Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 ont précédé
l'élection présidentielle des 1er et 15 juin 1969, soit un écart de moins d'un
an. En 1974, enfin, l'élection présidentielle, qui est intervenue quatorze mois
après les élections législatives, n'était évidemment pas prévue, mais on
observera que le président Giscard d'Estaing n'avait pas cru devoir dissoudre
l'Assemblée nationale pour assurer la prééminence de son programme sur celui
des partis qui composaient sa majorité préalablement élue.
Certains objecteront que, dans le premier de ces trois précédents, l'élection
présidentielle n'a pas eu lieu au suffrage universel. Cet argument est, à mon
sens, sans valeur, car, en 1958, l'influence des partis était encore beaucoup
plus forte qu'aujourd'hui.
S'agissant du deuxième précédent, comment peut-on valablement soutenir que
onze mois de délai sont convenables, mais que six semaines ne le sont pas ? Il
faudrait alors définir le délai admissible !
Le Président tient sa prééminence de la Constitution. Or cette dernière ne
fixe aucun ordre dans les élections.
Les socialistes veulent en réalité ajouter à la Constitution, sans même la
modifier, des dispositions qui n'ont jamais fait débat depuis 1958.
Les prochaines élections arrivent chacune à leur échéance naturelle. Les
législatives interviennent ainsi à l'échéance fixée par l'article L.O. 121 du
code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril
de la cinquième année qui suit l'élection. Il en est ainsi depuis 1958, et il
n'y a donc strictement rien à « rétablir ». Quant à la date de l'élection
présidentielle, elle est fixée, depuis la mort du président Pompidou, soit
depuis vingt-six ans.
Les deux élections viennent donc, M. le rapporteur l'a rappelé, à un moment
parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Il se trouve qu'elles ont lieu
la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce qu'affirme
le Gouvernement. S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection présidentielle
qu'il lui faut modifier, mais s'il ne le fait pas, c'est parce qu'il n'a pas la
majorité constitutionnelle nécessaire. Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat,
vous auriez pu le faire à l'occasion de la réforme du quinquennat, mais vous ne
l'avez pas demandé !
En définitive, le Gouvernement ne conteste la date légitime et traditionnelle
des élections législatives que parce qu'il n'a pas une majorité suffisante pour
modifier la date de la présidentielle, qu'il prétend donc illégitime. Il s'agit
donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement critique le fait que les deux élections aient lieu la même
année ; or, cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui
impliquait un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002. Sa proposition
revient en réalité à contester le droit de dissolution.
Implicitement, le Gouvernement et sa majorité contestent les conséquences de
la dissolution de 1997, comme si le terme normal de la législature ne pouvait
pas être envisagé dès ce moment-là. Or, l'effet le plus évident de cette
dissolution est bien le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002 !
Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu
et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant
les élections législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de
dissolution.
Il n'y a donc aucun hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral,
qui dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi
organique : la dissolution, la démission du Président ou sa mort. Si le
Président démissionne - se « démet », aurait-on dit sous la IIIe République -
ou meurt dans les six mois suivant les élections législatives, le calendrier
est à nouveau renversé.
Vouloir qu'en cas de dissolution les élections législatives soient renvoyées
après la présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi
organique ne peut pas faire.
En outre, quand bien même la présente proposition serait votée, les élections
législatives pourraient avoir lieu avant la présidentielle. Il suffirait, par
exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre majorité n'en soit plus une
et que le Président soit conduit à dissoudre à nouveau. C'est donc la
dissolution qui est la matrice du calendrier.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous
entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais
d'autres dissolutions ne manqueront pas de survenir. Le président Mitterrand
lui-même a usé de ce droit à deux reprises.
L'article 12 de la Constitution dispose qu'en cas de dissolution les élections
générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus tard après la
dissolution. La Constitution est claire : on ne peut pas changer la date de ces
élections par une simple loi organique.
Le Gouvernement soutient que quand les deux élections ont lieu la même année
la présidentielle doit précéder les législatives. Le seul moyen de pérenniser
ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors
incompatible avec le droit de dissolution.
Il faudrait donc supprimer ce dernier, interdire la démission du Président de
la République - voire sa mort ! - quand elle suit des élections législatives.
Ou alors il faudrait instituer un vice-président, ce qui reviendrait tout de
même à changer fondamentalement la Constitution !
Une troisième voie aurait pu être proposée : on aurait pu envisager que des
élections législatives soient obligatoirement organisées dans les deux mois qui
suivent une élection présidentielle. Dans ce cas, ni la mort ni la démission du
Président de la République, ni même la dissolution, n'auraient pour effet de
modifier l'ordre du calendrier, qui resterait immuable. Cette réforme se serait
en outre indéfiniment appliquée.
Au lieu de cela, le texte qui nous est proposé n'est valable que pour 2002, et
encore sous réserve que les événements que j'ai mentionnés ne se produisent pas
d'ici à cette date ! Nul doute qu'un jour ils finiront par se produire et ce
qui aura été prévu pour 2002, et pour 2002 seulement, deviendra parfaitement
inopérant.
L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un
bouleversement profond de la Constitution. Compte tenu du contexte dans lequel
elle nous est présentée, c'est donc bien une loi de circonstance qu'on nous
demande de voter.
J'ajoute qu'un tel report des élections législatives est sans précédent sous
la Ve République. Il a pour effet de proroger au-delà de cinq ans le mandat des
députés sortants. Le Conseil constitutionnel a, certes, déjà accepté des
prolongations de mandat, mais uniquement pour des élus locaux, la décision
étant prise par le Parlement. Tel n'est pas le cas en l'occurrence, puisque des
élus prorogeraient leur propre mandat, ce qui constituerait tout de même un
précédent important fâcheux pour une démocratie !
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer
« la durée des pouvoirs de chaque assemblée », mais il ne permet pas de faire
varier la durée de chaque législature au gré de ceux qui la composent.
Le plus choquant moralement est la prorogation par les députés eux-mêmes de
leur propre mandat, prorogation d'autant plus discutable qu'aucun événement
imprévu n'est survenu : on savait très bien en 1997 que les législatives
auraient lieu en 2002.
Encadrée par la Constitution, la loi organique doit assurer une durée
juridiquement stable à la législature. Le Conseil constitutionnel a également
estimé, dans sa décision du 6 juillet 1994, que la mesure de prorogation devait
demeurer exceptionnelle. Or, si les mots ont un sens, le rapprochement de la
présidentielle et des législatives n'a, en principe, rien d'exceptionnel.
C'est donc bien, je le répète, d'une loi de circonstance qu'il s'agit, mais,
lorsque l'on évoque les problèmes constitutionnels, il n'est jamais inutile de
les situer dans une perspective historique.
La IVe République a mis en évidence l'inefficacité spectaculaire du régime
parlementaire ; seule la haute administration maintenait le pays, la durée de
vie moyenne des gouvernements n'étant que de sept ou huit mois. Il fallait donc
à la France un régime qui puisse, au travers de la personnalisation du
Président de la République, imposer une politique propre à redresser le
pays.
J'indiquais tout à l'heure que nous en étions à la deuxième étape d'une
réforme en profondeur - mais qui ne dit pas son nom - de nos institutions.
Combien y en aura-t-il d'autres ?
Il s'agit bien de savoir, après l'instauration du quinquennat et maintenant
l'inversion du calendrier, quel est l'avenir de la Ve République, surtout après
plusieurs cohabitations.
Les socialistes et leurs alliés nous proposent aujourd'hui d'inverser le
calendrier électoral en prétendant le rétablir ! Nous sommes en plein dans
l'univers du
1984
de George Orwell. C'est bien de Novlangue qu'il s'agit
ici : on donne une définition contraire à un mot et on fait croire qu'une chose
est très exactement son contraire ! Mais personne n'est dupe.
Nous ne sommes pourtant pas dans le sinistre monde de Big Brother. Les choses
ont leur nom : une inversion est une inversion, en aucun cas un rétablissement
!
Si vous parlez de « rétablir » le calendrier, c'est que vous souhaitez revenir
à la pratique de la Ve République première version, monsieur le secrétaire
d'Etat. Dites-le clairement !
C'est, en réalité, un coup politique, et vous acceptez là l'héritage dont M.
le Premier ministre avait pourtant prétendu vouloir faire l'inventaire ! Si un
inventaire permet de choisir, en l'espèce le choix est celui des manoeuvres
florentines !
C'est pour toutes ces raisons que mes collègues du groupe du RPR et moi-même
nous ne voterons pas ce texte.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées
du RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme Brisepierre.
Mme Paulette Brisepierre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous allons arriver au terme d'un long débat, passionnant et passionné, débat
provoqué par le brusque souhait du Gouvernement de changer les dates des deux
échéances électorales les plus importantes qui se profilent : le renouvellement
de l'Assemblée nationale et la présidentielle.
Vous me permettrez de déplorer d'abord le vide systématique d'une partie de
l'hémicycle tout au long de notre discussion : nos collègues et amis qui ne
partagent pas, et c'est leur droit le plus strict, notre point de vue nous
auraient certainement apporté des arguments valables - il doit bien y en avoir
- qui auraient peut-être modifié la position de certains d'entre nous.
Vous me permettrez ensuite de faire une confidence, monsieur le secrétaire
d'Etat. Ce qui m'a incité aujourd'hui à prendre part au débat, c'est un article
du
Figaro
disant que les sénateurs avaient - enfin ! - montré qu'ils
pouvaient avoir de l'humour, être de « joyeux drilles » et que la longueur des
débats permettait - enfin ! - à des sénateurs obscurs mais néanmoins méritants
de s'exprimer en séance.
M. Serge Vinçon.
Bravo !
Mme Paulette Brisepierre.
Alors le sénateur obscur mais, je l'espère, méritant que je suis a décidé
d'intervenir à son tour
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
, et ce - quel délice ! - sans avoir la
hantise d'entendre la voix du président lui dire : vous avez deux minutes et
demi, ma chère collègue !
M. le président.
Vous avez tout votre temps, madame Brisepierre. Prenez-le ! Ne vous en privez
pas !
(Rires sur les travées du RPR.)
Mme Paulette Brisepierre.
Je l'apprécie !
Nous avons eu la chance, mes chers collègues, contrairement à nos amis
députés, d'avoir la possibilité de débattre longuement de l'inversion du
calendrier électoral. Cette réforme ne peut en aucun cas être considérée comme
étant sans incidence sur la vie de nos institutions et de notre démocratie,
comme l'ont prouvé tout au long de la discussion générale l'ensemble des
orateurs.
Nous avons pu auditionner bon nombre d'éminents spécialistes dans le cadre des
excellents travaux menés par notre commission des lois. Le choix des orateurs a
été honnête puisque constitutionnalistes favorables ou hostiles à cette réforme
se sont succédé.
Je me permets de revenir sur leurs propos dans la mesure où il m'a semblé que,
même dans les interventions des spécialistes les plus favorables à l'inversion
du calendrier, on pouvait relever des éléments très intéressants nous
autorisant aujourd'hui à douter, d'une part, de la prétendue faiblesse de
l'influence de la réforme sur nos institutions et, d'autre part, de
l'inspiration constitutionnelle ou institutionnelle à l'origine de la présente
proposition de loi organique.
M. René Rémond, membre de l'Académie française et président de la Fondation
nationale des sciences politiques, après s'être félicité de l'étendue de la
consultation organisée par le Sénat, a d'abord rappelé, pour comme nous le
regretter, le manque de débat avant la réduction de la durée du mandat
présidentiel. Il a expliqué, ensuite, qu'il souhaitait inscrire sa réflexion
dans le long terme, indiquant par là même que l'opportunité d'une réforme du
calendrier à tout juste un peu plus d'un an des échéances électorales pouvait
susciter des soupçons de manipulation.
M. Rémond a rappelé que le postulat d'intangibilité des règles électorales peu
avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires,
s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité les réformes
des modes de scrutin intervenues en 1927, ainsi que l'adoption de la loi sur
les apparentements, en 1951.
Je me demande s'il ne s'agissait pas là d'une façon très pudique, convenable,
de laisser entendre qu'il n'est en effet pas illégitime d'avoir des soupçons.
C'est ce que mon collègue et ami Jean-Pierre Schosteck appelait, la semaine
dernière, la « lecture en filigrane ».
M. Rémond a, en outre, estimé opportun le choix du mois de juin comme date des
élections législatives, précisant que les facteurs habituels d'abstention, tels
que les ponts et les départs en vacances, lui paraissaient moins fréquents à
cette période. Là, en revanche, il ne me semble pas que le mois de juin soit la
meilleures période pour obtenir une participation massive des électeurs. C'est
le mois, par exemple, des voyages organisés pour les clubs du troisième âge et
les étudiants qui viennent de finir leurs examens souhaitent partir avant les
juillettistes afin de pouvoir, un travail d'étudiant en poche, gagner un peu
d'argent pendant l'été.
M. Emmanuel Hamel.
C'est normal !
Mme Paulette Brisepierre.
M. René Rémond a relevé que qualifier la modification du calendrier électoral
d' « inversion » ou de « rétablissement » était révélateur d'un certain
jugement de valeur. Les mots ont un sens, ainsi que le soulignait à l'instant
mon excellent collègue Laurent Béteille.
M. Rémond a aussi noté l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant
les effets d'une telle réforme sur les résultats du scrutin. Il a dès lors
souhaité que les supputations diverses n'occultent pas l'objet de la
proposition de loi.
Il a, ensuite, abordé ce qui lui semblait l'essentiel, à savoir les
conséquences d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonction
présidentielle et fonction législative.
M. Rémond m'a pour le moins surprise lorsqu'il a regretté la dissolution de
1997, la qualifiant de « dissolution de convenance ». Le droit de dissolution
est plein et entier. En la matière, le Président de la République n'a aucun
compte à rendre, si ce n'est devant une éventuelle sanction des électeurs. Il
n'y a aucun illogisme avec l'esprit des institutions en la matière. En faire le
reproche, c'est remettre en cause le principe même de la dissolution. Pourquoi
alors ne pas le dire clairement ?
M. Rémond a encore précisé que le calendrier actuel accentuait
l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la
renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale,
ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, cela ayant été largement avalisé par
la suite par les citoyens.
J'observerai qu'on ne voit pas vraiment en quoi on renforcerait ainsi la
fonction présidentielle, car les citoyens peuvent parfaitement élire par la
suite une assemblée non conforme au voeu du Président nouvellement élu afin, en
quelque sorte, de ne pas mettre, comme on le dit vulgairement, « tous leurs
oeufs dans le même panier ».
M. Serge Vinçon.
Bon courage alors !
Mme Paulette Brisepierre.
M. Rémond, paradoxalement, a d'ailleurs reconnu que l'adoption du quinquennat
lui semblait avoir eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
C'est M. Guy Carcassonne, professeur à l'université de Paris-X, qui a ensuite
pris la parole, ainsi qu'il l'a souvent fait dans la presse, et ce en faveur de
l'inversion.
Il a indiqué, tout d'abord, qu'il était convaincu depuis 1997 de l'utilité de
l'inversion du calendrier électoral de 2002 et que, à l'inverse du Premier
ministre, il l'avait donc prévue.
Il a affirmé que, de son point de vue, le rétablissement du calendrier était à
la fois constitutionnellement possible et institutionnellement
indispensable.
Il a indiqué qu'à plusieurs reprises des mandats électifs avaient pu être
prorogés avec l'assentiment du Conseil constitutionnel, celui-ci exerçant un
contrôle sur les objectifs justifiant une telle opération. Il a toutefois
observé que le mandat des députés n'avait jamais été modifié sous la Ve
République.
Il a néanmoins reconnu que le rétablissement envisagé du calendrier électoral
pour 2002 ne pouvait constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur
des échéances électorales ; il a estimé cette opération indispensable, le
calendrier actuel constituant, selon lui, une incongruité politique au regard
du fonctionnement institutionnel de la Ve République, caractérisé par le fait
majoritaire.
Mais il a observé que l'élection présidentielle intervenue en 1958, après les
législatives, ne pouvait être citée comme un contre-exemple dans la mesure où
il ne s'agissait pas d'une élection au sufrage universel et où l'autorité du
président élu, le général de Gaulle, était incontestable. De ce point de vue, à
l'instar de bon nombre de mes collègues qui siègent à la commission des lois,
je me suis étonnée d'un argument
intuitu personae
dans le débat
constitutionnel.
Il a évoqué les périodes de 1974 à 1995 au cours desquelles le Président de la
République n'a pas sollicité le renouvellement de l'Assemblée nationale par le
biais d'une dissolution. C'est ainsi que les gouvernements de MM. Raymond Barre
et Alain Juppé s'étaient, selon lui, heurtés à une sorte de dislocation de leur
majorité.
M. Carcassonne a estimé que le seul moyen d'assurer la solidité du pacte
majoritaire était de faire suivre l'élection présidentielle par les élections
législatives. Certes, mais à condition que le résultat des élections
législatives soit conforme au voeu du Président nouvellement élu ; s'il ne
l'est pas, toute l'argumentation s'écoule comme un château de cartes.
M. Carcassonne a d'ailleurs conclu son propos en estimant que le calendrier
électoral n'était pas de nature à infléchir la nature du régime vers un modèle
de type plutôt présidentiel ou plutôt parlementaire, et qu'il était également
sans effet sur l'importance du rôle joué par le Parlement dans le schéma
institutionnel. Il a observé que les périodes ayant suivi les élections
législatives de 1973 et de 1993, lesquelles avaient précédé l'élection
présidentielle, ne s'étaient pas caractérisées par une revalorisation du rôle
du Parlement.
Dans ces conditions, à quoi sert-il d'inverser le calendrier électoral ?
En réponse à une question de notre collègue Henri de Richemont, qui lui
demandait si l'inversion du calendrier électoral n'avait pas pour seul objet
d'éviter les dissensions au sein de la majorité gouvernementale, le professeur
Carcassonne a estimé que pareils objectifs suffisaient à justifier la
mesure.
M. Serge Vinçon.
Voilà !
Mme Paulette Brisepierre.
Mais alors, mes chers collègues, ne se trouve-t-on pas, dans ces conditions,
devant la dissolution de convenance que critiquait le professeur Rémond ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Exactement !
Mme Paulette Brisepierre.
M. Didier Maus, professeur à l'université Paris-I et codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel
, a indiqué, pour sa part, que «
si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie
politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ».
Bien qu'il ait signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ans ne
pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, de 1974, de
1981 ou de 1988, il a estimé que, contrairement au cas présent, où le
télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun
des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.
On peut, de même, s'interroger sur la pertinence absolue de l'argument qui
consiste à indiquer - ce qui est évidemment juste - que le Président de la
République est l'élément pilote de la vie politique et qu'il faut assurer sa
prééminence. Il convient donc d'éviter ce que M. Maus appelle une « incohérence
constitutionnelle », et donc de permettre que la majorité parlementaire soit un
fidèle soutien du Président de la République.
Il a, ensuite, relevé plusieurs expressions employées pour qualifier cette
modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale,
évoquant, tour à tour, l'inversion, le rétablissement, la modification, la
remise en cause et l'aménagement. Il a constaté que chaque mot était une arme,
que l'inversion révélait une connotation péjorative tandis que le
rétablissement relevait d'un vocabulaire erroné puisqu'il s'agissait non pas de
revenir à une situation antérieure mais d'appréhender une situation à venir.
M. Maus a fait, enfin, valoir que le calendrier pour 2002 issu du texte adopté
par l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier
tour de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour
le 5 mai, le mandat du Président de la République, Jacques Chirac, expirant le
vendredi 17 mai.
Il a estimé que, dans ce cas, les élections législatives ne pourraient avoir
lieu que les 2 et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt de
candidatures serait en conséquence fixée le 6 mai, le lendemain de l'élection
présidentielle, et que la campagne législative débuterait le 13 mai, donc avant
la prise de fonctions du nouveau Président de la République. Il en a déduit que
ce délai serait beaucoup trop court pour que le Président de la République
puise façonner une majorité et faire en sorte que les différents camps se
positionnent face à lui. Il a rappelé que cette logique avait prévalu en 1981
et en 1988, le Président de la République prenant l'initiative de dissoudre
l'Assemblée nationale.
Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code
électoral et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les
9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la
campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette
solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du
Président de la République.
Evoquer tous ces calculs, mes chers collègues, est terriblement destructeur
pour nos institutions. Que pourront penser nos concitoyens de nous-mêmes, de
nos institutions et de notre Constitution, lorsqu'elle semble à ce point
utilisée au service d'intérêts politiques ?
En conclusion, M. Maus a affirmé que la modification du calendrier électoral
était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique, mais
techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le
Président de la République occupe ses fonctions pour entamer les opérations
d'organisation des élections législatives. Lorsqu'il dit «
constitutionnellement possible », tout est dit. Il s'agit de tordre la
Constitution pour essayer d'en obtenir à l'arraché les avantages possibles. Une
seule chose est sûre, cette modification est, pour les socialistes,
électoralement souhaitable.
M. Pierre Pactet, professeur émérite de l'université Paris-XI, a estimé, pour
sa part, que la réforme du calendrier électoral, sans bouleverser le régime de
la Ve République, appelait néanmoins de sérieuses réserves tenant à la
cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas
fait l'objet d'un débat approfondi portant notamment sur ses incidences sur le
régime, il a affirmé que celle-ci constituait l'une des plus grandes révisions
de la Ve République, comparable à celle de 1962 relative à l'élection au
suffrage universel direct du Président de la République et à celle de 1974
ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Il a rappelé que la révision constitutionnelle relative au quinquennat,
décidée afin de rendre la cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet
effet, dans la mesure où le droit de dissolution était maintenu et où le décès
du Président de la République - ou sa démission, ce qui serait une circonstance
tout de même moins malheureuse - provoquait une nouvelle élection
présidentielle du fait de l'absence de vice-président de la République.
Ajoutant que les électeurs, dans le souci d'éviter une trop grande
concentration des pouvoirs, pouvaient très bien émettre des votes différents
lors des élections législatives et de l'élection présidentielle, il s'est
demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans une conception
nostalgique des périodes de convergence observées au début de la Ve
République.
Concernant la logique des institutions de la Ve République, il a noté que le
régime, à l'origine conçu en réaction contre le régime des partis, avait
beaucoup évolué et était redevenu un régime de partis, semblable en cela aux
autres démocraties occidentales. Il a ajouté que le Président de la République
ne demeurait la clé de voûte du régime que dans l'hypothèse où il était soutenu
par la majorité parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du
régime depuis la cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel,
puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du
calendrier électoral.
Il a, de plus, regretté le « pointillisme constitutionnel » consistant à
réviser la Constitution par réformes successives, au détriment d'une vision
d'ensemble des institutions, aboutissant à insérer des dispositions
contradictoires dans le texte constitutionnel.
En conclusion, il a noté qu'il n'était pas cohérent de modifier le calendrier
électoral sans agir sur le droit de dissolution ni, bien sûr, tenir compte du
décès éventuel ou de la démission éventuelle du Président de la République. Il
s'est ensuite prononcé contre l'inversion du calendrier électoral, jugeant
choquant de chercher à influencer le résultat des urnes en agissant sur la date
des élections.
Enfin, la commission a entendu M. Louis Favoreu, professeur à l'université
Aix-Marseille-III et autre codirecteur de la
Revue française de droit
constitutionnel.
M. Favoreu a regretté le penchant français pour les réformes
institutionnelles. Il a, en effet, jugé préférable de toucher le moins possible
aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes étaient
difficiles à prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer
la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée
pour réaliser des « coups politiques ».
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la
présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations
effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des
institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute
hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
M. Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une
dissolution - cela ne lui a pas échappé non plus, bien sûr -, la Constitution,
rappelons-le, prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et
quarante jours après celle-ci. Il a donc observé que le Gouvernement n'avait
pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, préférant soutenir une
proposition de loi, ce qui lui permettait ainsi d'éviter l'examen du texte par
le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres sous la présidence
du Président de la République.
Il s'est ensuite attaché à montrer que la réforme entreprise allait à
l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Ce point est particulièrement intéressant, mes chers collègues, dans la mesure
où le Conseil constitutionnel sera notre dernier rempart, car, nous le savons,
l'Assemblée nationale aura finalement le dernier mot sur ce texte.
M. Emmanuel Hamel.
Un grand rempart !
Mme Paulette Brisepierre.
Un grand rempart, heureusement ! D'ailleurs, il est là pour cela !
Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates
d'élections sont intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en
1996. Elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière,
mais les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent
a fortiori
à
la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Favoreu a ainsi observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois
validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à
savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et
l'existence d'une réelle justification, ce que l'on n'observe pas
actuellement.
Il a noté que les motifs retenus par le Conseil constitutionnel avaient été,
par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la
continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des
élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs
d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une
élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc
amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée,
alors que, en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle
avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et de
1994.
M. Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel
aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans
ses recommandations du 23 juillet 2000, et il a estimé que la seule
préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de
la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement
satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10
mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2
avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de
l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était de surcroît plutôt
floue, le contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les
interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement
de pouvoir ».
Il a rappelé que certains avaient estimé que la proposition de loi pouvait
apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du
Président de la République lors de la crise de la « vache folle », soit comme
un instrument ayant pour objet réel de favoriser l'élection de certains.
Il a toutefois, lui aussi, souligné que les résultats de l'inversion du
calendrier étaient difficilement prévisibles selon les spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, à l'instar des quatre projets de loi
précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil
constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est évidemment pas le cas de la
proposition de loi organique, dont les motifs avancés restent diffus, qu'il
s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la
mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
En conclusion, le professeur Favoreu a considéré - et c'est important - que,
dans un Etat de droit, ce qui, espérons-le, est notre cas, les choix politiques
devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui n'est pas le cas en
l'occurrence.
Ces derniers points étaient particulièrement importants, et c'est
essentiellement ce que je souhaite retenir de notre débat.
Tordre la Constitution dans tous les sens pour en obtenir le meilleur parti
est une chose. La retourner, en inverser le sens, pour rétablir ses intérêts
personnels est une toute autre chose, bien plus grave.
Ce texte est inconstitutionnel ; aussi, à l'instar de bon nombre de mes
collègues, j'ai souhaité le démontrer à nouveau. Et c'est la raison pour
laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, mes collègues et moi-même ne le
voterons pas.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Une grande intervention !
M. le président.
Madame Brisepierre, en parlant vingt-trois minutes, alors que, en début
d'après-midi, les interventions étaient limitées à deux minutes trente, vous
avez pris votre temps. Mais, c'est vrai, ce n'est plus le même point de l'ordre
du jour !
M. Emmanuel Hamel.
Il faut toujours multiplier par dix lorsqu'on parle de Mme Brisepierre,
monsieur le président !
(Sourires.)
M. le président.
Pourquoi seulement par dix, monsieur Hamel ? C'est infinitésimal !
M. Emmanuel Hamel.
Par son intelligence, son assiduité et son éloquence, elle nous est à tous
très supérieure !
M. le président.
C'est tout, monsieur Hamel ?
M. Emmanuel Hamel.
Cela suffit pour le moment, monsieur le président !
(Nouveaux
sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Marest.
M. Max Marest.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur,
mes chers collègues, comme le soulignait dans un grand quotidien du matin
Paul-Henri de Liambert, la volonté du Premier ministre de passer en force pour
inverser le calendrier électoral apparaît aux yeux de l'opinion chaque jour un
peu plus comme une manoeuvre uniquement destinée à mettre dans l'embarras le
Président Jacques Chirac, son adversaire de 2002.
Lionel Jospin aura beau jeu, écrivait-il, de brandir la logique des
institutions de la Ve République, lui dont les conseillers jusqu'au mois de
novembre juraient la main sur le coeur que jamais, au grand jamais, une
quelconque initiative en la matière ne viendrait de Matignon. Il a donc surpris
ses proches amis, dont François Hollande, en annonçant à Grenoble que, somme
toute, il était urgent d'organiser les élections législatives après l'élection
présidentielle.
M. Serge Vinçon.
Vertige des cimes !
M. Max Marest.
Il ne peut plus se rétracter, ajoute l'auteur de cet article, et devra donc
attendre le bon vouloir des sénateurs. L'opération de longue réflexion de la
Haute Assemblée a au moins un mérite : mettre au grand jour l'impatience
présidentielle de celui qui assure ne jamais y penser.
Elle aurait également permis aux différents orateurs qui se sont succédé à
cette tribune, en particulier à notre excellent rapporteur, M. Christian
Bonnet, qui siège au banc de la commission depuis maintenant trois semaines
(Applaudissements sur les travées du RPR),
de montrer à nos concitoyens
que la procédure suivie dans cette affaire est peu acceptable : le calendrier
électoral de 2002 est connu depuis 1997 et le Gouvernement avait tout le temps
de se pencher sur cette question.
Après avoir affirmé qu'un « consensus » était nécessaire, le Premier ministre
a brutalement changé de position et a imposé un examen précipité du texte par
les assemblées, alors même qu'un projet de loi organique était en navette entre
l'Assemblée nationale et le Sénat pour tenir compte d'observations du Conseil
constitutionnel relatives à l'organisation de l'élection présidentielle ; il a
même choisi de ne pas déposer un projet de loi afin d'éviter le passage devant
le Conseil d'Etat et le conseil des ministres.
Ce débat a également permis de souligner qu'il était faux d'affirmer que le
calendrier électoral de 2002 n'aurait pas été possible sans le « hasard »,
comme le fait le Gouvernement.
En effet, si tous les présidents de la République avaient achevé leur mandat
et si aucun d'entre eux n'avait dissous l'Assemblée nationale, une élection
présidentielle aurait été organisée en décembre 1958, en décembre 1965, en
décembre 1972, en décembre 1979, en décembre 1986 et en décembre 1993, et des
élections législatives auraient été organisées en mars 1963, en mars 1968, en
mars 1973, en mars 1978, en mars 1983 et en mars 1993.
Cette longue énumération montre que le respect des échéances prévues par la
Constitution aurait abouti, dès 1993, à l'organisation, la même année, des
élections législatives et de l'élection présidentielle, les premières précédant
la seconde.
En tout état de cause, le texte qui nous est soumis n'empêchera pas le
renouvellement d'une telle situation : pour arrêter un calendrier intangible,
il faudrait supprimer le droit de dissolution et créer un vice-président
susceptible d'achever le mandat du Président en cas de décès ou de démission de
celui-ci. Il convient de rappeler que douze des dix-neufs présidents de la
République qui ont été élus depuis le début de la IIIe République n'ont pas
achevé leur mandat.
Ce long débat aura également permis de montrer que, si les mandats locaux ont
été prorogés sous la Ve République, le mandat des députés n'a été prorogé qu'à
deux reprises au cours du xxe siècle - d'autres intervenants l'ont souligné
avant moi - en 1918 et en 1940. Les circonstances dramatiques de ces
prorogations contrastent avec la légèreté et, souvent, le manque de sérieux des
arguments invoqués pour justifier ce texte.
En effet, rien ne permet d'affirmer qu'un changement de calendrier électoral
mettra fin à la cohabitation souhaitée, par ailleurs, par plus du tiers des
Français. L'exemple des Etats-Unis le démontre avec éclat, puisque les
Américains, appelés à désigner le même jour le Président et les membres du
Congrès, choisissent souvent un Président démocrate et un congrès républicain,
ou l'inverse.
Par ailleurs, M. le rapporteur nous a montré, et je l'en remercie, que
personne ne semble avoir réfléchi aux conséquences du choix du troisième mardi
de juin comme date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Est-il vraiment souhaitable pour le fonctionnement des pouvoirs publics que
l'Assemblée nationale se réunisse à la fin du mois de juin pour interrompre
aussitôt ses travaux ? Ou bien verra-t-on renaître ces sessions extraordinaires
que la session unique du Parlement devait limiter ?
En juin, la procédure d'élaboration du projet de budget est déjà fort avancée,
puisque les lettres de cadrage ont été envoyées aux ministres. Est-il vraiment
souhaitable que la procédure soit reprise après des élections législatives
impliquant un changement de gouvernement ? Autant de questions restées jusqu'à
aujourd'hui sans réponse.
Ce long mais nécessaire débat a enfin montré que ce texte était dépourvu de
tout motif d'intérêt général. En effet, soit il a un objet constitutionnel qui
dépasse son dispositif technique, et une réflexion globale est nécessaire ;
soit il répond à une situation conjoncturelle mise en lumière par le Conseil
constitutionnel. Or ce n'est pas le cas.
Si le Conseil constitutionnel, dans ses observations du 23 juillet 2000, a
souhaité que les citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection
présidentielle puissent le faire en ayant pris connaissance des résultats des
élections législatives, cette recommandation peut être aisément mise en oeuvre
sans rien changer au droit existant.
Il suffisait alors que le Gouvernement ne retienne pas, parmi les dates
possibles, les plus tardives pour les élections législatives, les 24 et 31
mars, et les plus précoces pour l'élection présidentielle, les 14 et 21
avril.
Il est raisonnable de penser qu'un gouvernement soucieux de favoriser la
participation des citoyens aux consultations électorales n'organisera pas le
second tour des élections législatives le dimanche de Pâques !
Afin de faciliter le choix par le Gouvernement de dates d'élections permettant
d'assurer dans les meilleures conditions le parrainage des candidats à
l'élection présidentielle, la commission des lois propose, sans modifier en
rien l'ordre des consultations, de prévoir un délai minimal de trente jours
entre des élections législatives et une élection présidentielle.
Je soutiendrai bien entendu cette solution, qui allie sagesse et bon sens.
Vous me permettrez, après ce rapide rappel des principaux arguments développés
contre ce texte, de revenir sur un point qui mérite de s'y attarder plus
longuement.
En effet, ce que les Français reprochent souvent aux politiques, c'est de
mentir. Or, dans cette affaire, M. Lionel Jospin a menti. Le 19 octobre
dernier, il déclarait ceci : « Toute initiative de ma part serait interprétée
de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là »,
c'est-à-dire au calendrier prévu, « et il faudrait vraiment qu'un consensus
s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».
Où a-t-on vu, depuis cette déclaration, une esquisse de consensus ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Pas du côté des communistes !
M. Max Marest.
L'opposition à l'Assemblée nationale est très majoritairement hostile à cette
inversion du calendrier. Votre propre majorité, monsieur le secrétaire d'Etat,
est fortement divisée, et la majorité sénatoriale - ces trois dernières
semaines de discussion générale le montrent - y est farouchement opposée.
Quelle est donc la motivation de cette volte-face du Premier ministre ?
Pour la comprendre, il suffit de lire l'article d'Eric Perraudeau dans
la
Revue Socialiste
de novembre 2000 : « On oublie trop souvent que la défaite
de la droite en juin 1997 ne s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. »
Notre collègue Laurent Béteille l'a souligné tout à l'heure. « Il aurait suffi
pour que le résultat final soit inversé et que la gauche soit actuellement dans
l'opposition, qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient
leur comportement. »
Quant à l'évolution du rapport de forces politiques depuis 1997,
la Revue
Socialiste
la résume en une formule implacable : « Une progression
électorale de la gauche en trompe-l'oeil ! »
Cette argumentation, comme le rappelait dernièrement Alain Juppé, a dû frapper
l'esprit des stratèges du parti socialiste. Et l'on comprend, dès lors, les
raisons de leur volte-face : devant un risque élevé de défaite aux élections
législatives, on a sans doute craint la mise sur la touche du Premier ministre
comme champion de la gauche à l'élection présidentielle, ce qui apporte de
l'eau au moulin de ceux qui pensent que les deux séries d'élections n'en feront
qu'une. D'où la parade : changeons de calendrier !
Vous me permettrez, en cet instant, de paraphraser notre excellent collègue
député Pierre Lellouche, qui expliquait avec beaucoup de clarté ce point de vue
récemment dans un hebdomadaire bien connu.
En effet, le débat sur l'inversion du calendrier électoral avait été
totalement occulté à l'occasion du référendum de septembre dernier sur la
réforme du quinquennat. Et voilà qu'il ressurgit aujourd'hui !
Si, comme nous le pensons, cela trottait déjà dans les esprits éclairés de
Matignon, il aurait sans doute été plus honnête d'en parler à l'époque pour que
nos concitoyens sachent de quoi il retournerait précisément quelques mois plus
tard.
Le débat qu'on nous impose aujourd'hui consiste à savoir laquelle des deux
élections précédera l'autre. Législatives d'abord, comme l'impose aujourd'hui
le hasard né de la dissolution de 1997, ou renversement de l'ordre des
élections - présidentielle puis législatives - au nom d'une logique
présidentielle des institutions de la Ve République, logique qu'aucun orateur
n'aura réussi à nous démontrer dans cette discussion générale.
Ce qui est amusant, c'est qu'en apparence le débat semble se dérouler à fronts
renversés : socialistes et certains centristes, hier principaux pourfendeurs du
général de Gaulle, se drapent aujourd'hui dans l'étendard de l'esprit de nos
institutions, prétendant imposer une version du calendrier, tandis que les
héritiers du gaullisme dénoncent les « tripatouillages » de la gauche, pour
reprendre l'expression utilisée par certains de mes collègues.
De leur côté, les communistes se retrouvent sur la même ligne que nous,
sachant par avance qu'un mauvais score à l'élection présidentielle risquerait
d'obérer un peu plus leurs chances aux élections législatives suivantes.
Les Verts sont plus politiques encore et n'ont pas à apprendre grand-chose de
leurs aînés. Ils seraient prêts à rallier le Premier ministre, à la condition
que celui-ci accepte « d'instiller une dose de proportionnelle ». On connaît la
chanson ! De l'art et la manière de raviver la flamme, qui s'éteint enfin,
d'une formation politique qui a fait jusqu'aux dernières législatives le jeu de
la gauche à toutes les élections depuis qu'en 1986, déjà, le maître en
politique de l'actuel Premier ministre avait pris la même initiative «
d'instiller une dose de proportionnelle » !
Faute de pensées profondes sur l'avenir de nos institutions, chacun fourmille
d'arrière-pensées électoralistes. Chacun prend toutes les assurances possibles
pour l'emporter l'année prochaine.
Eh bien, je vais vous le dire, en paraphrasant le nouveau président du Conseil
supérieur de l'audiovisuel, la majorité hétéroclite qui s'est assemblée sur ce
texte, c'est l'UAP, l'union des arrière-pensées.
Je ne peux, vous le comprendrez aisément, m'associer à cette manoeuvre
destinée à conforter la position du candidat socialiste à l'élection
présidentielle.
Je ne peux également, avant de conclure, que regretter - et je me réfère,
cette fois-ci, à un grand quotidien du soir - sur l'air de « mange tes
épinards, sinon tu n'auras pas de dessert », la volonté du Gouvernement de
priver la Haute Assemblée, et par là même les Français, de plusieurs réformes
tant que la majorité sénatoriale n'aura pas avalé la version du calendrier.
Le Gouvernement doit vraiment craindre les prochaines échéances électorales
pour se livrer à une telle manoeuvre !
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette manoeuvre soit
méprisable aux yeux des Français et que nous ne puissions y souscrire par
respect du corps électoral.
Les Français seront-ils dupes ? Celui qui sera puni, si j'en crois un article
de presse paru ce matin, ne sera peut-être pas celui qu'on croit - je parle du
Premier ministre et non pas du Sénat !
En tout cas, je crois traduire le voeu des collègues de mon groupe, et
d'autres, en refusant de voter ce texte.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, je constate qu'il n'y a plus d'orateur inscrit dans la
discussion générale.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, au terme d'un long débat au cours duquel soixante orateurs se
sont exprimés, dont cinq favorables à la proposition de loi organique qui nous
est venue de l'Assemblée nationale et cinquante-cinq qui ont marqué leur
hostilité à son égard - disparité significative, n'est-il pas vrai, du peu
d'enthousiasme des partisans d'une inversion bien à tort qualifiée de
consensuelle ! - il est apparu souhaitable au rapporteur de tenter d'en
esquisser une synthèse, ne serait-ce que pour faciliter la tâche de M. le
ministre de l'intérieur, qui a bien voulu porter à notre connaissance qu'il
souhaitait, mardi prochain, répondre aux intervenants.
Aussi bien m'attacherai-je successivement à souligner les questions demeurées
en suspens, à regrouper les arguments avancés dans la discussion, à dénoncer,
enfin, une méthode difficilement acceptable.
En tout premier lieu, comment ne pas faire état de ma préoccupation face à
l'absence de réponse satisfaisante, au plein sens du terme, aux deux objections
majeures que j'avais cru pouvoir formuler lors de la présentation de mon
rapport ?
La première a trait au choix, évoqué à l'instant par M. Marest, du troisième
mardi de juin comme dated'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
A cette date, en effet, la procédure budgétaire est déjà très avancée, les
lettres de cadrage adressées aux ministres, et tout devrait donc être repris en
cas de changement de majorité.
Si cette date devait être retenue, ces inconvénients ne manqueraient pas
d'apparaître en plein jour, mais nous ne pourrions pas revenir en arrière. Il
faudrait alors, en effet, soit réduire la durée du mandat des députés, soit
l'augmenter de neuf ou dix mois, deux éventualités également inconcevables.
Ainsi ne pourrait-on qu'avancer encore un peu plus dans l'année la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
A cet égard, si la date du 1er octobre apparaît séduisante, car elle est celle
du début de la session parlementaire, elle soulèverait également des
difficultés importantes. Si la majorité changeait à l'occasion d'élections
tenues en septembre, la procédure budgétaire devrait être reprise
ab
initio
, alors même que l'Assemblée nationale doit examiner tout projet de
budget dès la mi-octobre, et la commission des finances de l'Assemblée
nationale, qui travaille tout au long du mois de septembre - un certain nombre
d'entre nous le savent, mes chers collègues - pour examiner le projet de loi de
finances en octobre, ne pourrait alors le faire.
Je le dis et le redis : le premier mardi d'avril est une excellente date pour
l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Puisse-t-on ne pas le
découvrir trop tard !
En réalité, monsieur le secrétaire d'Etat, à supposer qu'il soit, en règle
générale, profitable que l'Assemblée nationale soit élue après le Président de
la République, nous devrions bien plutôt réfléchir, comme l'a écrit le
professeur Carcassonne, à la date de l'élection du Président de la République
et, comme l'a suggéré notre collègue M. About, à l'inscription d'une date fixe
dans la Constitution pour l'expiration du mandat du Président de la
République.
Ainsi pourrions-nous régler de manière définitive la question du calendrier
électoral. En effet, le calendrier pourrait être modifié une fois par une
dissolution où le décès d'un Président de la République, mais tout rentrerait
dans l'ordre lors des élections suivantes, dès lors que le mandat du Président
de la République, comme celui des députés, expirerait à date fixe.
Evidemment, cette réforme impliquerait une révision constitutionnelle
soigneusement préparée. Elle ne pourrait donc être appliquée aux prochaines
élections. Mais, enfin, le Parlement de la République doit-il rechercher des
solutions pour le long terme ou bien adopter une mesure quasiment improvisée au
risque de devoir réexaminer cette question plus tôt que ne l'imaginent certains
?
Quant à la seconde objection, relative à la situation que nous devrions
affronter dès 2007, il n'y a pas été davantage répondu. Cette année-là, en
effet, fortuitement, par le hasard du calendrier, et sauf événement imprévu,
sont programmées des élections municipales, des élections cantonales, une
élection présidentielle, des élections législatives et des élections
sénatoriales.
En 1995, les élections municipales, prévues en mars, ont été reportées en juin
pour permettre aux maires de parrainer un candidat à l'élection présidentielle.
En 2007, il ne sera pas possible de faire de même si les élections législatives
sont prévues en juin.
Ainsi - j'attire votre attention sur cet aspect des choses, monsieur le
secrétaire d'Etat - dès 2007, et 2007, c'est déjà demain, la machinerie qui a
été imaginée par le Gouvernement se trouvera fâcheusement grippée, condamnant
le Gouvernement alors en place à de nouvelles contorsions.
Mais venons-en maintenant aux arguments développés tout au long de la
discussion et que, pour la commodité de l'exposé, je regrouperai en quatre
rubriques sous forme d'interrogations. Tout d'abord, de quoi s'agit-il ? Les
institutions mêmes de la République sont-elles mises en cause ? Existe-t-il une
ou deux lectures de la Constitution ? Enfin, où est la vision d'ensemble ?
Première question : de quoi s'agit-il ? On ne saurait mieux faire, pour
répondre à cette interrogation, que de reprendre un court passage de
l'intervention de M. Philippe Marini : « Je m'interroge aussi sur la finalité
de ce débat et, par voie de conséquence, sur son objet même. S'agit-il d'un
débat sur la nature même de nos institutions, sur la manière de les comprendre
ou bien de la préparation d'une échéance électorale ? Il y a là une ambiguïté,
un flou, qu'il faudrait dissiper. »
Deuxième question : tel qu'il est présenté, le texte de la proposition de loi
organique porte-t-il atteinte aux institutions ? Oui, vient de laisser à penser
Mme Brisepierre.
Tel n'est pas l'avis de notre éminent collègue M. Badinter, qui s'est
longuement attaché, avec l'autorité et le talent que chacun se prête à lui
reconnaître, à souligner la parfaite conformité de ce texte à la Constitution
de la Ve République. Pour lui, « la proposition de loi organique est claire,
raisonnable et correspond à la logique de nos institutions ». M. Autexier, de
son côté, estime que « le rétablissement du calendrier est une bonne chose pour
la démocratie ».
Mais de très nombreux orateurs ne partagent pas ce sentiment.
Ainsi, M. Cabanel de déclarer : « Ce débat est important, car il touche à la
conception même de nos institutions. »
Ainsi, notre excellent collègue M. Courtois avance-t-il : « La loi organique
qui nous est soumise aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la
Constitution, qui ne définit nullement l'ordre des scrutins. Il n'est écrit
nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle doive avoir lieu
avant les élections législatives. Chaque élection doit avoir lieu lorsque son
échéance naturelle survient. »
Ainsi, M. Pelchat de déclarer : « C'est un problème pour nos institutions
comme pour la démocratie. »
Et M. Gerbaud d'affirmer : « L'inversion du calendrier ouvre un très grave
débat institutionnel. »
M. Marini, pour sa part, se veut très offensif : « L'on veut nous faire croire
que l'inversion du calendrier électoral est un tout petit sujet, une évidence
technique, un misérable petit ajustement qui ne mérite pas de retenir longtemps
l'attention du Parlement. »
Quant à MM. Serge Vinçon et Jean Boyer, ils ont mis l'accent, l'un et l'autre,
sur l'incongruité que constituait le fait de modifier l'élection du Président
de la République en l'écartant, par le biais d'une proposition de loi, d'un
débat institutionnel le concernant au premier chef.
M. Emmanuel Hamel.
Juste hommage à M. Vinçon !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Nombreux sont ceux de nos collègues qui ont, eux aussi,
évoqué cette tentative de dissimuler une réforme constitutionnelle sous
l'apparence anodine d'une proposition de loi de deux articles. Le président de
Rohan, le doyen Gélard, MM. Schosteck, Leclerc et bien d'autres encore ont
stigmatisé cette manière de faire.
Mais une troisième question se pose : existe-t-il une ou deux lectures de la
Constitution ? Votre rapporteur avait été amené à souligner qu'il existait bien
deux lectures de notre Constitution.
MM. Courtois et Chérioux ont parlé quant à eux d'un système mixte. Et notre
collègue M. Carle a parlé d'un régime semi-présidentiel, semi-parlementaire,
cependant que M. Karoutchi s'exprimait ainsi : « Vous avez beau lire la
Constitution dans tous les sens, vous ne trouverez nulle indication selon
laquelle l'élection présidentielle devrait avoir la primauté. »
En s'adressant à tel ou tel de nos collègues, MM. Arthuis et Chérioux ont
avancé que c'est « sur le projet, la vision du Président de la République que
se déterminent les Français ».
Enfin, M. Vinçon n'a pas manqué, à l'inverse, de faire remarquer très
justement que « le général de Gaulle ne s'est jamais fait élire Président de la
République avec un programme d'action gouvernementale ».
Pour ma part, j'ai eu l'occasion, au cours du débat, de mettre l'accent sur le
fait que, si le Président de la République, gardien de la Constitution, garant
du maintien de la République, chef des armées, détient, indépendamment même de
l'article 16 de la Constitution, des pouvoirs majeurs tels le droit de
dissolution, le référendum, la saisine du Conseil constitutionnel, la
convocation de toute session extraordinaire, il n'en reste pas moins qu'en
période de cohabitation c'est bien, pour reprendre les termes mêmes de
l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement qui « détermine et conduit la
politique de la nation ».
Ainsi le Président Mitterrand n'a-t-il pas pu faire obstacle aux
privatisations qu'il réprouvait. De même le Président Chirac, bien que
favorable au principe d'une réduction du temps de travail, n'a pas pu s'opposer
à son application rigide et uniforme.
Il s'agit là de deux exemples parmi tant d'autres qui illustrent le caractère
relatif d'une conception aux termes de laquelle le chef de l'Etat demeure
toujours l'élément moteur de la République.
Quatrième et dernière question : où est la vision d'ensemble ? Nombre
d'orateurs se sont attachés à déplorer le manque de vision d'ensemble dont
témoigne la proposition de loi organique.
Ainsi, le président Jean Arthuis, pourtant favorable à la proposition de loi
organique, a-t-il été particulièrement sévère. Il a notamment déclaré : «
D'aucuns reprocheront en effet la perpétuation, en ce début de siècle et de
millénaire, de pratiques surannées et pernicieuses de notre vie politique,
surtout lorsqu'il s'agit de s'attaquer au marbre de la loi fondamentale, la
Constitution. Ces pratiques consistent à tergiverser, à brouiller le débat par
des arrière-pensées politiciennes et des diatribes publiques, avant finalement
de procéder à quelques retouches successives qui ne permettent certainement pas
à nos concitoyens de dégager un tableau d'ensemble de l'évolution de nos
institutions. »
M. Robert Bret, quant à lui, évoquant « une réformette sans vie d'ensemble »,
a été tout aussi sévère : « La question des institutions est une question
globale. Elle recouvre l'ensemble des secteurs de la société et, de toute
évidence, cette question des institutions mérite bien mieux qu'un référendum
raté ou une belle manoeuvre réalisée dans la précipitation coutumière de la fin
du mois de décembre. »
M. Gérard Larcher a parlé pour sa part de « bricolage ».
M. About a souligné que l'on ne peut toucher à un élément de notre système
institutionnel sans que cela ait des conséquences sur l'ensemble de
l'édifice.
Par ailleurs, de très nombreux orateurs ont souligné le caractère inopportun
et irréaliste du débat quand tant de sujets majeurs occupent l'esprit des
Français.
C'est ainsi que le président de Raincourt a évoqué la peine qu'il ressent à la
pensée que notre Parlement aura célébré l'entrée dans le troisième millénaire
en manipulant des calendriers de sortants.
M. le président de Rohan, faussement dubitatif, a posé la question : « De quoi
devons-nous discuter ? De l'insécurité, de l'adaptation de notre régime des
retraites, des réformes qu'appelle notre système éducatif ? »
M. Gruillot a vu là « un aveu de faiblesse du pouvoir politique, une excuse,
pour ne pas affronter les vrais problèmes de notre société ».
M. Raffarin, maniant l'ironie, a souligné qu'« on ne peut arguer d'une
pression de l'opinion en faveur de l'inversion du calendrier ».
M. Braye a affirmé que les Français « attendent du Gouvernement qu'il ne fasse
pas l'impasse sur leurs inquiétudes en jetant de la poudre aux yeux ».
M. Lanier, après avoir fait un sort au supposé rétablissement de la dynamique
de la cohérence, en soulignant que, les événéments disposant, l'inversion du
calendrier ne saurait être pérenne, a dénoncé un « décalage évident » avec les
soucis de nos compatriotes.
M. Hérisson, quant à lui, s'est interrogé : « Pourquoi tout ce remue-ménage si
mal compris de nos concitoyens ? Ses fondements sont inconsistants. »
Et M. de Broissia de confier : « Nul ne m'en a jamais parlé dans mes
permanences. »
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Hier soir, M. Vasselle insistait sur une proposition qui ne
répond en rien aux attentes des Français, tout comme ce matin l'ont fait M.
Ambroise Dupont, M. Jean Chérioux et, cet après-midi, notre nouveau et
excellent collègue M. Laurent Béteille.
M. Emmanuel Hamel.
Quelle admirable synthèse !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
N'inversons par les rôles, monsieur le secrétaire d'Etat -
n'inversons d'ailleurs rien du tout : ce n'est pas le Sénat qui refuse les
réformes, c'est le Gouvernement qui a décidé qu'un seul texte méritait d'être
examiné par le Sénat : la proposition de loi organique dont nous débattons.
Car nous sommes prêts, M. About l'a d'ailleurs dit. Sur la forêt, la
commission des affaires économiques est prête et, hier matin, la commission des
affaires sociales a examiné le projet de loi sur l'interruption volontaire de
grossesse alors même que ce texte n'est plus inscrit à notre ordre du jour.
Reste alors à évoquer les conditions dans lesquelles, à la suite du revirement
grenoblois soudain de M. le Premier ministre, cette affaire a été portée devant
le Parlement.
Pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi tenter de faire passer ce texte « à
la hussarde » pour reprendre l'expression du président Paul Girod ? Pourquoi
cette hâte ? Une hâte telle qu'ainsi que le soulignait notre collègue M.
Jean-Claude Carle, même le parti socialiste s'est trouvé pris de court
plusieurs jours après son congrès, son site Internet continuant d'afficher la
position officielle de ses dirigeants contre l'inversion du calendrier
électoral ?
Pourquoi, sur une affaire en apparence ponctuelle mais si lourde de
conséquences, cette « absence d'une étude d'impact » dénoncée par notre éminent
collègue, le doyen Gélard ? Pourquoi cette absence « de débat en amont »
déplorée, hier matin, sur les ondes d'Europe I, par le président du Sénat
lui-même, M. Poncelet, en réponse à une question de Jean-Pierre Elkabbach ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'urgence a été déclarée sur ce texte, une
urgence qui éveille d'autant plus la suspicion que, comme l'indiquait hier
l'amiral de Gaulle, « jamais en République, l'Assemblée nationale n'a
d'elle-même prorogé son mandat »
M. Emmanuel Hamel.
Jamais !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Au cours de chacune des deux guerres mondiales, seuls
exemples que nous fournisse l'histoire, la Chambre des députés - tel était
alors son nom - n'a prorogé son mandat qu'après y avoir été invité par le
Président de la République et le Sénat.
Où est l'urgence ? Notre collègue M. René Garrec a rappelé avec son humour
coutumier cette phrase du maréchal Lyautey ; « Il n'y a pas de problème urgent,
il n'y a que des gens pressés. »
Je note au passage que les déclarations d'urgence se multiplient sur les
sujets les plus divers : l'intercommunalité, l'aménagement du territoire, la
solidarité et le renouvellement urbains, la chasse, les activités physiques et
sportives, les nouvelles régulations économiques, même si ce dernier texte
mettra près de deux ans à voir le jour.
Comme le souligne notre collègue M. Jean-Pierre Raffarin, « l'urgence est
devenue une méthode de Gouvernement qui fait bon marché des droits du Parlement
».
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Et le président Jean Delaneau de souligner la contradiction
existant entre un texte présenté comme anodin et une déclaration d'urgence
décidée pour sa discussion, cependant que notre collègue François Trucy
insistait sur la rareté de la faveur ainsi faite à une « simple » proposition
de loi. Simple ! Je lui laisse la responsabilité de cet adjectif.
Il n'y a guère que sur la réforme des retraites que l'urgence ne soit pas
déclarée, et pour cause : il n'y a aucun projet déposé, aucun en préparation,
et l'on constate la gêne qui est celle du Gouvernement, privé qu'il s'est vu
depuis quelques jours des 64 milliards de francs grâce auxquels il espérait
pouvoir abonder le plus que maigrelet fonds de réserve des retraites, à
plusieurs reprises évoqué dans cette enceinte.
Monsieur le secrétaire d'Etat, parvenu à ce stade de mon exposé, je
souhaiterais vous faire une confidence fondée sur une expérience déjà ancienne,
mais toujours présente à mon esprit, de l'action gouvernementale.
Le Sénat est une institution qui n'apprécie pas d'être bousculée.
(M.
Estier rit.)
A maintes reprises, il m'est arrivé de l'éprouver à mon corps défendant,
singulièrement lors de l'examen, pendant trois sessions, du premier des projets
de décentralisation que j'avais à défendre au cours des années 1979 et 1980,
celui-là même que l'on omet toujours de citer, exception faite de M. le
président Poncelet qui ne manque pas une occasion de le rappeler, et je lui en
exprime ma gratitude.
Le Sénat est sensible aux égards. Comme l'a récemment exprimé M. Garrec : « Il
y a de la considération à apporter au Sénat. » Pour le séduire, il y faut des
manières et, en l'occurrence, elles ont cruellement fait défaut !...
Pourquoi ces propos blessants sur - je cite - « la petite troupe » ou - je
cite derechef ! - « la simple faction » qui freinerait le cours de nos débats
?
Voudrait-on donner raison à Benjamin Constant que l'on ne s'y prendrait pas
autrement, Benjamin Constant qui écrivait : « Les dépositaires du pouvoir ont
une disposition fâcheuse à considérer tout ce qui n'est pas eux comme une
faction. Ils rangent quelquefois la nation même dans cette catégorie. »
M. Emmanuel Hamel.
Quelle citation !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Notre excellent collègue M. Yann Gaillard a montré, à la
faveur de divers exemples saisissants, et en s'appuyant sur le texte d'un
auteur particulièrement autorisé, aujourd'hui collaborateur immédiat de M. le
ministre de l'intérieur, la légitimité, pour une assemblée, d'user des
ressources du règlement, légitimité dont la minorité d'alors à l'Assemblée
nationale n'avait pas manqué, en déposant plus de 4 000 amendements, d'user en
1994.
L'un de nos collègues parmi les plus respectés de cette assemblée, celui
auquel responsables d'établissements, dirigeants d'entreprises et élus doivent
l'heureuse clarification de la distinction entre délits intentionnels et délits
non intentionnels - j'ai nommé le président Pierre Fauchon - a porté le fer
dans la plaie, et ce qu'il a énoncé à cette tribune mérite d'autant plus
considération qu'il s'est prononcé en faveur de la proposition de loi
organique.
Après avoir évoqué ce qu'il a qualifié de « procédé », il a affirmé : « Nous
sommes, par conséquent, devant une vraie réforme constitutionnelle et on ne
saurait accepter de faire passer ce texte pour un simple aménagement de
calendrier pour des raisons pratiques. »
Et d'ajouter : « Je n'insisterai pas sur le pitoyable délai concédé à la
commission des lois pour examiner le texte. »
Et d'insister : « Mais il y a plus grave » - c'est toujours Pierre Fauchon qui
parle - « et cela touche au fond du problème. Est-il correct juridiquement,
est-il politiquement convenable de déguiser en une simple proposition de loi,
votée à la hâte, un dispositif porteur de telles conséquences pour notre vie
politique et qui constitue de ce fait une véritable réforme constitutionnelle,
une réforme constitutionnelle sur laquelle on fait l'impasse de l'avis du
Conseil d'Etat, de l'examen en conseil des ministres, donc de l'avis du
Président de la République, et de l'adoption par référendum ? Pourquoi ? »
M. Fauchon est un homme trop fin pour n'avoir pas répondu
in petto
à la
question qu'il feignait de poser ainsi.
Peut-être, homme de grande culture qu'il est, pensait-il à
Antigone,
cette pièce dans laquelle Jean Anouilh fait dire à Créon : « Il n'y a rien
de vrai que ce qu'on ne dit pas. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, tout au long de cette discussion, j'étais tenté
de demander à ceux qui se sont succédé à ce banc où je suis heureux de vous
trouver ce soir, tel cet animal qui, comme nous, allait son train de sénateur :
« De quoi vous sert votre vitesse. ? »
Puisse le répit que lui donne le débat qui se déroule depuis quelque temps
dans cette enceinte inciter le Gouvernement à peser avec soin - et tout autant
nos collègues députés - avantages et inconvénients, pour l'avenir de nos
institutions, d'une proposition de loi organique dont, avec toute l'autorité
qui s'attache à sa personne et à son nom, notre éminent collègue, l'amiral de
Gaulle, disait, ici même, hier après-midi : « qu'elle vole bas par rapport à
l'histoire, à la nature et à la mission de la Ve République ».
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Sommet de l'éloquence !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole et à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je souhaite simplement
confirmer au Sénat que le Gouvernement a écouté avec beaucoup d'attention tout
ce qui vient d'être dit, notamment la synthèse de M. le rapporteur.
J'ai cru comprendre que la commission des lois se réunira le mardi 6 février
pour examiner les amendements.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
C'est exact.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
A seize heures, M. Daniel Vaillant répondra aux
différents intervenants, réponse qui s'inscrira dans la suite logique des
travaux du Sénat consacrés à cette proposition de loi organique.
M. le président.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
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