SEANCE DU 4 AVRIL 2001


M. le président. « Art. 1er bis. - Le titre IV du livre VI du code rural est ainsi modifié :
« 1° Dans le premier alinéa de l'article L. 640-2, après les mots : "produits agricoles", est inséré le mot : ", forestiers" ;
« 2° Dans la première phrase du premier alinéa de l'article L. 641-2, après les mots : "produits agricoles", est inséré le mot : ", forestiers" ;
« 3° Dans le dernier alinéa de l'article L. 641-3, après les mots : "produits agricoles", est inséré le mot : ", forestiers" ;
« 4° La première phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 641-5 est complétée par les mots : "ou des forêts" ;
« 5° Dans l'avant-dernier alinéa de l'article L. 641-9, après le mot : "agroalimentaires", sont insérés les mots : "ou forestiers" ;
« 6° Dans l'avant-dernier alinéa de l'article L. 641-10, après le mot : "agroalimentaires", sont insérés les mots : "ou forestiers". »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 118 est présenté par M. Barraux et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° 119 rectifié est déposé par MM. de Richemont et Doublet.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. Souplet, pour défendre l'amendement n° 118.
M. Michel Souplet. Cet amendement vise à supprimer la possibilité accordée aux produits forestiers d'accéder à l'appellation d'origine, formule à laquelle nous tenons beaucoup, monsieur le ministre, vous le savez bien.
En effet, si le dispositif figurant dans l'article 1er bis était adopté, le lien professionnel entre le secteur de la tonnellerie et la production viticole serait définitivement mis à mal. L'activité de la tonnellerie, par sa spécificité, implique une gestion de stock très délicate dans la mesure où il est impératif d'anticiper sur l'achat des bois de chêne deux à trois ans avant la livraison de la production. Si une appellation d'origine était imposée aux professionnels de la tonnellerie, la demande en tonneaux exprimée au moment où le volume de récolte est connu serait incompatible avec une gestion prévisionnelle.
En outre, l'accroissement de la compétition entre les différents massifs forestiers français aurait pour effet de renchérir le prix des bois de chêne français. Un tel renchérissement induirait sans nul doute un courant important de bois importés, au détriment de notre forêt.
Le secteur de la tonnellerie est en pleine croissance en France. Il bénéficie d'une renommée internationale. La tonnellerie est le porte-drapeau de cette activité dans le monde entier. Introduire une telle mesure aurait pour conséquence d'empêcher toute une profession de contribuer à l'essor de l'économie française.
M. le président. La parole est à M. de Richemont, pour défendre l'amendement n° 119 rectifié.
M. Henri de Richemont. Cet amendement vise à supprimer la possibilité, pour les produits forestiers, d'accéder au bénéfice de l'appellation d'origine contrôlée, une telle disposition étant fondée sur l'affirmation que ce régime doit permettre une meilleure valorisation de la forêt au bénéfice des propriétaires forestiers.
Or cette affirmation ne reflète pas la réalité de l'économie de cette filière ou des systèmes de valorisation des produits forestiers pour les raisons qui figurent dans l'objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 118 et 119 rectifié ?
M. Philippe François, rapporteur. Le rapporteur que je suis, tardivement alerté par les industries de transformation de bois, n'a pas pu examiner les conséquences de cet article sur les risques de surenchère des prix et de segmentation des marchés. Néanmoins, à l'examen de cet amendement, ce risque me paraît réel.
Afin de permettre une réflexion de fond sur les avantages et sur les inconvénients d'introduire une AOC en matière forestière et de maintenir le débat ouvert jusqu'à la deuxième lecture ; la commission est favorable à la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 118 et 119 rectifié ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Le Gouvernement, quant à lui, va s'en remettre à la sagesse du Sénat.
Au demeurant, le raisonnement développé par les auteurs des amendements est loin de me convaincre. Monsieur Souplet, vous qui connaissez bien les AOC, sauriez-vous me dire en quoi les AOC seraient susceptibles d'appauvrir une filière ? Elles ont au contraire pour mission de protéger les productions d'un terroir. Elles segmentent le marché et, grâce à elles, les prix sont soutenus à la hausse. Et si les prix sont soutenus à la hausse, c'est qu'il y a une demande supérieure à l'offre.
J'ai bien entendu tous vos raisonnements, mais je ne les ai absolument pas compris. En tout cas, votre inquiétude ne me paraît pas du tout fondée.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 118 et 119 rectifié.
M. Yann Gaillard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Je ne saurais, pour ma part, être favorable à ces amendements.
L'idée de supprimer la possibilité pour des produits forestiers d'accéder à l'appellation d'origine me paraît démesurée par rapport au problème précis qui est posé.
Si je devais rechercher un argument plus cynique, je le trouverais dans l'exposé des motifs de l'amendement de M. de Richemont arguant du fait que l'établissement de l'appellation d'origine des produits forestiers ne bénéficierait qu'à la forêt publique.
En fait, nous travaillons depuis des années avec l'ONF pour créer des appellations d'origine applicables au bois. Nous organisons des séances de dégustation pour mettre en valeur la différence qui existe entre un mercurey qui a vieilli dans du tronçais ou du cîteaux. La proposition formulée me paraît donc complètement inadaptée au problème.
M. Jean-Marc Pastor. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Nous sommes à une époque où tout le monde s'accorde sur la nécessité de développer la traçabilité, le suivi, de promouvoir des produits de qualité. Je ne sais pas exactement comment ces notions peuvent être transférées dans le domaine de la forêt, mais les quelques professionnels que j'ai rencontrés dans mon département sont tous convaincus que le recours à l'AOC pouraît constituer une piste de travail très intéressante.
J'avoue donc très honnêtement que j'ai du mal à suivre la proposition contenue dans ces deux amendements.
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Je vais voter contre la suppression de l'article 1er bis. En effet, l'idée d'utiliser l'AOC pour le bois me semble très positive. Cela étant, il ne faut pas se faire d'illusions : l'AOC relève d'une démarche purement commerciale. Ce n'est pas cela, monsieur Pastor, qui va faciliter la traçabilité des produits. En fait, avec l'appellation d'origine contrôlée, il s'agit avant tout de montrer aux consommateurs qu'il y a une qualité derrière ce que l'on vend.
Il n'en reste pas moins que l'idée de l'appliquer au bois est intéressante. A l'Assemblée nationale, d'ailleurs, les centristes se sont ralliés à cette proposition d'origine socialiste.
Cependant, l'application de cette mesure ne sera pas sans poser quelques problèmes, et je crains que l'institut chargé de gérer les AOC n'ait pas une tâche facile. Selon quels critères, par exemple, va-t-on accorder l'AOC à tel massif, à tel bois ou à telle parcelle ?
Quoi qu'il en soit, il serait dommage de supprimer cette disposition. Mieux vaut la maintenir dans le texte, quitte à étudier ensuite la manière de l'appliquer.
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. Henri de Richemont. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. Je ne vois pas comment on pourrait attribuer une AOC à des massifs forestiers qui ne seraient pas d'une certaine taille. Dès lors, seule la forêt publique pourra bénéficier de l'appellation.
Nous ne cessons de répéter que le problème de la forêt privée, c'est son morcellement, son éparpillement en de petites superficies. Or seuls les grands propriétaires forestiers pourront satisfaire aux critères nécessaires à l'obtention de l'appellation d'origine contrôlée.
Voilà pourquoi j'affirme que cet article va à l'encontre des intérêts de la forêt privée et qu'il ne profitera, en fin de compte, qu'à l'ONF.
M. Philippe François, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe François, rapporteur. Il me semble qu'il s'agit d'une question très complexe, que je n'ai pas pu approfondir comme elle le mérite, car j'ai été alerté trop tardivement sur ce sujet. Il faut notamment prendre en compte des problèmes de marché captif et de concurrence étrangère qui rendent cette affaire particulièrement ardue.
En outre, comme l'a dit M. Poniatowski, la délimitation des appellations ne peut qu'être délicate : où s'arrêtent et où commencent la zone du chêne de la Dordogne, celle du chêne du piémont des Vosges, celle du chêne du piémont des Alpes ?
C'est pourquoi je crois préférable, à ce stade de la discussion, de supprimer cet article, en ayant à l'esprit la nécessité d'étudier à fond, d'ici à la deuxième lecture, cette question très complexe.
Il est évidemment regrettable que, bien que nous ayons attendu six mois pour discuter ce projet de loi en séance publique - mais il y a des raisons à cela (sourires) - nous ne soyons pas en mesure de la trancher aujourd'hui.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le rapporteur, il ne fallait pas passer tant de temps à examiner la réforme du calendrier électoral ! Moi, j'étais prêt depuis des mois à venir ici ! (Nouveaux sourires.)
Tout à l'heure, je vous ai dit, très sincèrement, que je m'en remettais à la sagesse du Sénat mais, plus ce débat avance, plus je suis tenté de me ranger à la position de M. Gaillard et d'émettre un avis défavorable sur ces amendements, auxquels vraiment tout s'oppose.
Ainsi, je ne vois pas pourquoi l'identification et la tracabilité, qu'évoquait Jean-Marc Pastor, ne concerneraient pas le bois.
De plus, il faut tenir compte des arguments économiques : après tout, vous avez été un certain nombre à me dire que j'avais fait beaucoup de promesses mais qu'il n'y avait pas assez d'argent pour la forêt. Ce reproche était injuste, bien sûr, mais de l'argent, en voilà ! La segmentation du marché ne peut que susciter des recettes supplémentaires pour la forêt et pour la filière bois.
M. de Richemont affirme que ce dispositif ne profitera qu'aux grandes forêts relevant du domaine de l'Etat.
Certes, la forêt de Tronçais est une forêt domaniale, et ses chênes jouissent effectivement d'une renommée internationale. Cela étant, si tous les tonneaux censés être fabriqués avec des chênes de Tronçais ne sont effectivement fabriqués qu'avec des chênes de Tronçais, il y a quelques commerçants de Californie qui vont se faire du souci parce que, pour l'instant, ils peuvent tout se permettre : cette origine n'est, en effet, pas protégée.
Le jour où l'on se protège, on se renforce. C'est une manière de se donner des atouts supplémentaires dans la concurrence internationale.
Mais je reviens à l'argument de M. de Richemont. En vertu de quoi l'AOC ne bénéficierait-elle certes qu'à la forêt publique ? D'ailleurs, la forêt publique, ce n'est pas seulement la forêt domaniale : ce sont aussi les forêts appartenant à des collectivités locales, qui pourront donc également profiter de l'AOC, de même que la forêt privée.
Je répondrai enfin à M. Poniatowski que l'INAO en a vu d'autres ! Il saura certainement surmonter les difficultés que pourra poser l'application du régime de l'AOC aux forêts.
Je vous demande donc, mesdames, messieurs les sénateurs de repousser ces amendements et de maintenir la référence à l'AOC, qui me paraît une très bonne opportunité pour la forêt française.
M. Gérard César. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Je suis très sensible aux arguments de M. le ministre, et je partage son point de vue sur cette question.
Puisque nous voulons développer les AOC pour toutes les productions agricoles, je ne vois pas pourquoi on penserait au contenu et non au récipient ! (Sourires.) Ces AOC s'appliquent aux alcools et eaux-de-vie de la région de M. de Richemont, ainsi qu'aux vins de Bordeaux.
Il se trouve que, en France, nous manquons de bois. Des importations de bois américains ou est-européens permettent de répondre à la demande. Le système des AOC permettrait, en l'occurrence, de clarifier le marché. Je suis donc tout à fait opposé à la suppression de l'article 1er bis .
M. Michel Souplet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet. Je suis très attaché aux appellations d'origine contrôlée. J'ai défendu l'amendement n° 118 au nom de mon groupe, mais je reconnais que les arguments développés par M. le ministre me convainquent. C'est pourquoi je retire cet amendement n° 118.
M. le président. L'amendement n° 118 est retiré.
Monsieur de Richemont, maintenez-vous l'amendement n° 119 rectifié ?
M. Henri de Richemont. M. le ministre nous a indiqué qu'il souhaitait que la propriété privée, grande ou petite, profite des appellations d'origine contrôlée. L'expression de cette volonté vaut bien sacrifice de ma part ! (Sourires.) Par conséquent, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 119 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er bis.
(L'article 1er bis est adopté.)

Chapitre II

Les documents de gestion durable des forêts

Article 2