SEANCE DU 24 AVRIL 2001
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, de modernisation sociale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la modernisation sociale n'est pas une spécificité de ce
texte. En effet, elle a été largement engagée depuis 1997, et c'est même l'une
des constantes de la politique de ce Gouvernement. Je citerai ainsi, pour
l'illustrer, les 35 heures, les emplois-jeunes, les mesures contre l'exclusion,
la création de la couverture maladie universelle - avancée considérable - et
les dispositions contenues dans les lois de financement de la sécurité
sociale.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui apporte une nouvelle
contribution à cet effort pour concilier la compétitivité de l'entreprise «
France » et le progrès social, qui est une caractéristique de notre
civilisation.
Il s'agit d'une histoire déjà ancienne, puisque la discussion de ce texte
était prévue pour l'an passé. Or le Sénat en est saisi au moment où l'actualité
économique lui donne - malheureusement -, une résonance particulière. Le
Premier ministre l'a d'ailleurs perçu puisqu'il a lui-même proposé d'inclure
dans le texte, sous forme d'amendements, une série de dispositions dont vous
nous avez donné la primeur, madame la ministre.
Bien sûr, d'aucuns ont dit, ou diront, qu'il est regrettable de légiférer à
chaud, et donc à la hâte, sur un sujet aussi important que le licenciement
économique. Mais les plus réalistes leur rétorqueront qu'il en est ainsi depuis
que le Parlement existe. L'essentiel, au fond, c'est de légiférer à bon
escient, ce qui donne tout son sens au débat que nous entamons.
Et puis, il s'agit seulement, selon vos propres dires, madame la ministre, des
mesures les plus urgentes. D'autres viendront plus tard, après consultation des
partenaires sociaux.
Le premier volet de ce projet de loi concerne le droit à l'information des
salariés et la prévention des plans sociaux. Domaine sensible ! Matière
complexe, aussi !
Il tend à renchérir l'indemnité de licenciement, à allonger lesprocédures
d'information avant toute restructuration, à évaluer puis à compenser les
dommages économiques sur le territoire d'une entreprise procédant à un plan de
licenciement.
Je suivrai le Gouvernement dans cette voie, car je trouve proprement
inacceptable la désinvolture dont témoignent à l'égard de leurs salariés un
certain nombre de firmes, pour lesquelles l'idée qu'une restructuration
drastique des effectifs fait monter les cours de la Bourse est quasiment
devenue un lieu commun.
Pour autant, vous voyez bien, comme moi, la difficulté de trouver le bon
équilibre.
Il faut commencer par légiférer en distinguant, comme le fait le projet de
loi, entre les grands groupes - au-delà de 1 000 salariés - et le reste des
entreprises, dont 90 % sont composées de toutes petites structures. Le choix du
seuil lui-même prête à discussion ; il fournira, à n'en pas douter, matière à
de subtils découpages d'entreprises afin d'échapper à ces nouvelles
contraintes.
Plus fondamentalement, ces dispositions, qui entendent frapper d'abord les
groupes dont la santé financière est florissante, s'appliqueront, bien entendu,
comme le veut la loi, à toutes les entreprises. Qu'adviendra-t-il, dès lors,
pour les établissements en grande difficulté économique ? C'est un point sur
lequel, madame la ministre, j'aimerais avoir davantage d'explications.
Il manque, dans la relation sociale - mais le Gouvernement n'en est pas
responsable - le contrepoids nécessaire d'un syndicalisme puissant et d'une
culture de négociation chez les partenaires sociaux.
A l'heure où le MEDEF de M. Seillière réinvente le patronat de choc, nous
reculons sur ce point sensible. Nous devons donc légiférer. A ceux de mes
collègues qui ne le souhaitent pas, je dirai que j'ai conscience qu'il s'agit,
en un sens, d'un pis-aller. Mais je pense qu'il faut le faire pour donner un
signal à un certain patronat et pour apporter un appui à un certain nombre de
salariés.
A ce propos, je défendrai un amendement sur la participation des salariés au
capital social. Je connais par avance les objections soulevées, y compris par
une partie du syndicalisme représentatif, mais je considère qu'il faut bien
ouvrir ce type de débat.
Novatrice, en revanche, est l'obligation pour les très grandes entreprises qui
licencient de participer à la réindustrialisation du bassin d'emplois. Cette
formule a déjà été expérimentée, avec des fortunes diverses, d'ailleurs. Ce qui
m'intéresse dans ce dispositif, c'est qu'il territorialise la responsabilité de
l'entreprise et lui impose d'entrer en négociation avec les élus, avec les
acteurs sociaux et économiques, syndicats compris, pour faire d'un échec
l'occasion d'un nouveau départ.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Très bien !
M. Gérard Delfau.
Nous retrouvons là la logique des comités des bassins d'emplois et du
développement local ; je m'en réjouis.
Une question demeure pourtant : les grandes entreprises publiques seront-elles
assujetties à cette obligation ? Il le faudrait, évidemment. Me réservant pour
la discussion des articles, je m'en tiendrai là sur ce thème, inépuisable, de
la modernisation du droit du travail.
Le projet de loi comporte, par ailleurs, un si grand nombre de dispositions -
je comprends mal pourquoi certains de nos collègues le regrettent - qu'il est
impossible de vouloir seulement en énumérer la liste, du moins dans le temps
qui m'est imparti.
J'ai été particulièrement frappé par quatre séries de mesures.
D'abord, par celles qui tendent à réorganiser les études médicales pour donner
aux médecins généralistes le même type de formation qu'aux spécialistes. Il est
nécessaire de revaloriser le rôle des généralistes, de réinventer le rôle du
médecin de famille et de diminuer la part des spécialistes dans notre système
de santé, sans, bien sûr, en affaiblir le niveau. Tout ce qui concours à cette
évolution est positif.
Ensuite, comme nombre de mes collègues, j'ai été très intéressé par la mesure
qui réécrit l'article 1er de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des
personnes handicapées. Mieux définir les droits fondamentaux des personnes
handicapées, c'est, en effet, répondre à un problème de justice sociale et
c'est, surtout, reconnaître la dignité de ces hommes et de ces femmes. La
commission des affaires sociales a jugé nécessaire de retravailler le texte.
Pourquoi pas ! En tout cas, le Parlement s'honore quand il légifère sur de tels
sujets.
Par ailleurs, je me suis intéressé à une troisième série de mesures qui
apporte une vraie « révolution ». Elle consacre le droit à la validation des
acquis de l'expérience, en énonçant que toute personne peut faire reconnaître
son savoir-faire dans un métier en vue d'une certification professionnelle.
Ainsi, le diplôme de formation initiale, le plus souvent fondé sur des études
abstraites, ne sera plus le seul élément de la rémunération et de l'avancement
dans une carrière. Mieux, ce diplôme pourra être obtenu en formation continue à
partir d'une pratique reconnue par une procédure de validation. Tel est
l'horizon de cette longue marche que, comme on l'imagine, bien des préjugés qui
se ligueront voudront entraver.
J'ai bien entendu les craintes justifiées de notre collègue M. Legendre, dont
chacun ici respecte l'expertise en ce domaine. Il faut l'écouter, mais, quitte
à revenir sur ce dossier si des dérives se manifestaient, il faut aussi
avancer.
Reste une dernière disposition dont je veux saluer l'intérêt, celle qui
rapproche le statut des accueillants familiaux de celui des salariés. Il s'agit
d'améliorer le dispositif de rémunération et le statut des familles accueillant
à titre onéreux des personnes âgées ou handicapées. Cette possibilité, encore
peu utilisée, est une vraie alternative, dans nombre de cas, à l'accueil en
établissement spécialisé. Il est judicieux de la rendre plus attrayante, à
condition qu'elle soit correctement encadrée pour éviter les dérapages.
Ce survol rapide, schématique, j'en ai bien conscience, a montré la richesse
de ce projet multiforme. Comme toujours, la presse n'en a retenu que l'aspect
le plus controversé, celui qui réaménage la procédure de licenciement
économique.
La majorité sénatoriale aborde cette discussion d'une façon frileuse, et c'est
dommage ! Il importe, au contraire, que ces mesures fassent l'objet d'un examen
minutieux et, pour l'essentiel - c'est du moins ce que je pense - qu'elles
soient adoptées dans un souci de nécessaire modernisation sociale.
Pour ce qui me concerne, c'est dans cet esprit positif, favorable pour tout
dire, que j'entre dans ce débat.
(Applaudissements sur les travées
socialistes. - M. Robert Bret applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, durant deux
semaines, nous allons examiner le projet de loi de modernisation sociale adopté
en janvier dernier par l'Assemblée nationale.
Ce texte, qualifié, de manière excessive, de texte « fourre-tout », en raison
du nombre important d'articles qu'il contient - plus d'une centaine - mais
surtout en considération de la diversité des sujets traités, ne doit pas nous
faire oublier qu'il a pour ambition non seulement d'actualiser la législation
sociale existante, mais également - et je reprends vos propos, madame la
ministre - d'« apporter des éléments extrêmement forts à la modernisation
sociale ».
Considérant que le présent projet de loi pouvait être effectivement le support
d'avancées significatives voulues par la grande majorité de nos concitoyens,
qui sont aujourd'hui demandeurs de réelles garanties concernant notamment le
droit à l'emploi, à la sécurité de l'emploi, les députés communistes ont usé de
leur droit d'amendement pour tenter de renforcer les dispositions contenues
dans les volets « licenciement », « précarité » et « formation professionnelle
» du titre II, mais également pour enrichir le titre Ier relatif à la santé, à
la solidarité et à l'action sociale.
Nous abordons le débat au Sénat, débat largement engagé dans tout le pays par
la force de l'actualité sociale, avec des intentions plus combatives, des
exigences plus fortes en matière de prévention des licenciements
économiques.
Durant les dernières semaines, les annonces abruptes de plans de
restructuration, de fermetures de sites et de suppressions d'emplois se sont
multipliées.
Marks & Spencer ferme ses dix-huit magasins en France et prétend licencier 1
700 salariés : l'action en Bourse à Londres gagne 7,25 points et les
actionnaires reçoivent 21 milliards de francs !
Le groupe Danone, fort de 9 milliards de francs de bénéfices consolidés pour
l'année 2000, restructure son pôle biscuits. Six fermetures d'usines sont
annoncées en Europe, dont deux en France, à Calais et à Ris-Orangis ; d'ici à
2004, 1 816 emplois seront supprimés. La sauvegarde de la compétitivité est
invoquée : les lignes de production seraient sous-utilisées, insuffisamment
spécialisées. Pour autant - et personne ne le conteste - ces deux usines
réalisent des bénéfices.
En fait, la motivation est uniquement boursière, les actionnaires exigeant des
normes moyennes de rendement supérieures à celles qui sont actuellement
réalisées ! La seule solution qu'ils défendent, ce sont alors les licenciements
et les délocalisations.
Il faut d'ailleurs remarquer que, pour l'essentiel, toutes ces annonces de
suppressions d'emplois ont été soigneusement tenues confidentielles tant que
les élections municipales n'avaient pas encore eu lieu.
Des dizaines de milliers de salariés d'autres grands groupes sont touchés par
le retour des plans sociaux, les dégraissages massifs. Ils vivent au quotidien
la crainte de délocalisations, voire de fermetures de sites : Moulinex, Bull,
Delphi, Usinor, Giat-Industrie, AOM-Air Liberté, Philips, Aventis et bien
d'autres encore, sans compter les licenciements qui interviennent chez les
sous-traitants et dans les petites entreprises, sans renfort médiatique cette
fois, dans le secteur textile-cuir-habillement notamment.
Malgré la croissance, les menaces sur l'emploi sont grandes. Peu de plans
sociaux émanent d'entreprises vraiment en difficulté.
Dès lors, si les restructurations d'entreprises ne sont pas liées aux
difficultés du marché, elles n'ont d'autre objectif que de satisfaire les
marchés financiers, dans une sorte de marche forcée des actionnaires toujours
en attente de plus de dividendes. Cela conduit un journaliste du
Monde
économique
à indiquer : « C'est un signe des temps. Hier, en France, les
chefs d'entreprise s'appliquaient à couper les "branches mortes" ; aujourd'hui
la mode est à élaguer les branches les moins rentables. »
Marqués, voilà deux ans, par l'affaire Michelin, les Français réagissent à
nouveau. Ils s'indignent de la façon dont certains dirigeants procèdent,
passant outre le respect des règles minimales du code du travail organisant
l'information et la consultation des salariés par le biais du comité
d'entreprise.
Au-delà des simples questions de forme, les solidarités qui s'expriment à
l'égard des salariés en grève, le boycott des produits Danone, traduisent un
rejet de tels plans de licenciements mais aussi, ce qui est intéressant, un
refus du fatalisme. Tout cela fait dire à l'éditorialiste d'un grand quotidien
du soir que « l'affaire Danone marque un tournant non seulement parce qu'elle
retentit profondément dans toute la société, mais surtout parce que l'opinion
publique, très largement concernée, en a perçu la dimension scandaleuse à la
fois sociale, économique, politique et morale ».
Des questions de fond sont posées quant aux pratiques et aux responsabilités
des entreprises, qui apparaissent comme étant seules juges de l'opportunité des
licenciements, et quant à la capacité et au degré d'intervention du politique
dans la sphère économique. Ces questions ne visent aucunement à diaboliser
l'entreprise, contrairement à ce que certains commentaires laissent
entendre.
La concentration des événements est telle que le Gouvernement et nous, les
politiques, ne pouvons et ne devons nous dispenser d'en tenir compte.
Nous verrons au cours de la discussion si les réponses législatives fortes
attendues par des salariés méprisés, considérés comme de simples variables
d'ajustement, s'avèrent assez volontaristes et à la hauteur des enjeux.
Les dizaines de milliers de Françaises et de Français mobilisés samedi dernier
à Calais attendent que le Gouvernement renforce les exigences actuelles du code
du travail en matière de prévention des licenciements économiques,
d'information et de consultation des salariés, ainsi que de reclassement.
Mais, au-delà de ces indispensables mesures d'« accompagnement » des
licenciements telles qu'elles ont été rappelées cet après-midi par Mme la
ministre, des mesures propres à réellement les empêcher sont unanimement
souhaitées par le monde du travail.
Je renvoie tous ceux qui, ici ou ailleurs, s'abritent derrière les dogmes du
libéralisme et de la mondialisation pour justifier la non-intervention de
l'Etat face à la décision unilatérale du chef d'entreprise à un article de M.
Andreu Solé, sociologue et professeur à HEC, paru dans
le Figaro
le 7
avril dernier et intitulé
Pour le droit de dire non à l'actionnaire :
«
Lorsque des intérêts particuliers menacent l'intérêt général, l'Etat doit
intervenir pour défendre ce dernier. C'est sa mission, sa raison d'être. Exiger
"moins d'Etat", n'est-ce pas préférer un monde se référant à un intérêt général
réduit ?
« Tout se passe, poursuit-il, comme si l'appétit de l'actionnaire n'avait pas
de limites, comme si l'intérêt d'une catégorie de citoyens était supérieur à
l'intérêt général.
« Faut-il rappeler que les lois économiques sont des croyances, qu'il n'y a
pas de réalité économique à proprement parler, qu'il y a seulement les
conventions, les "règles de jeu" que nous nous donnons, les possibles et
impossibles que nous nous créons ? L'incapacité de l'Etat à protéger l'intérêt
général finit par apparaître pour ce qu'elle est : une décision. »
Dans la panoplie d'amendements que nous avons déposés sur les articles
traitant du licenciement économique, deux sont de nature, s'ils étaient
adoptés, à rétablir au profit des salariés un minimum de justice sociale. Je
pense à l'amendement visant à interdire les licenciements boursiers, à les
pénaliser fiscalement et pénalement. Je pense également à notre proposition
conférant aux salariés un réel droit d'intervention, de regard sur le
bien-fondé, la légitimité des restructurations envisagées, et j'ai cru
comprendre, dans le propos de Mme la ministre, que de telles questions seraient
abordées.
Conscients des dangers qu'il y a de passer de l'annonce de licenciements à
l'accord ou au refus du politique qui conduit à dédouaner l'entreprise de ses
responsabilités, sans rétablir telle qu'elle était l'autorisation
administrative de licenciement, nous envisageons d'ouvrir aux salariés, par le
biais du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, la possibilité
d'émettre un droit de veto suspensif.
Ainsi, pour leur saisine un délai de six mois serait ouvert, pendant lequel
toute solution économique et sociale de préservation de l'emploi dans
l'entreprise concernée serait recherchée.
Une commission composée de représentants du personnel, de l'employeur, de la
direction départementale du travail, de la juridiction commerciale, de la
commission décentralisée de contrôle des fonds publics, de la Banque de France
et d'élus locaux travaillerait dans un délai de quatre mois pour formuler des
propositions et des avis. Au terme de ce délai, l'autorité administrative
compétente disposerait d'un délai de deux mois pour formuler une proposition
sur tous les aspects du dossier.
A cette exigence de discussion des choix de gestion des entreprises, de
construction de solutions alternatives favorisant l'emploi et la formation
s'ajoute une autre exigence : la transparence des aides de toute nature
allouées aux entreprises.
Pour ce faire, madame la ministre, nous renouvelons notre demande de
publication des décrets d'application de la loi Hue, relative au contrôle des
fonds publics, car il y a urgence. J'ai bien noté que vous avez annoncé, lors
de votre audition devant la commission des affaires sociales, qu'ils seront
bientôt publiés.
Des acquis de l'Assemblée nationale sont remis en cause par la majorité
sénatoriale, qu'il s'agisse de la réintégration de l'amendement Michelin, de
l'élargissement de l'information du comité d'entreprise en cas d'annonce
publique, de la transposition législative de la notion jurisprudentielle
d'obligation de reclassement sur un emploi de même catégorie incombant à
l'employeur avant de procéder à un licenciement, de l'élimination de la liste
des critères déterminant l'ordre des licenciements du critère des qualités
professionnelles, de la réduction du volume des heures supplémentaires comme
condition du plan social ou encore de l'impossibilité pour l'employeur de se
prévaloir de l'absence d'institution représentative du personnel pour échapper
à ces obligations de consultation prévues dans la procédure de licenciement.
Sans surprise d'ailleurs, tout dispositif législatif tendant à parfaire le
droit social existant est mis à mal d'avance par notre collègue M. Gournac,
rapporteur de la commission des affaires sociales sur le volet
travail-emploi.
Les arguments avancés pour justifier les coupes franches dans le texte sont
identiques à ceux qui sont développés par M. Kessler. Commentant le boycott,
qu'il juge irresponsable, ce dernier a déploré qu' « à chaque fois qu'il y a
réduction d'effectifs on voit apparaître des demandes d'un durcissement de la
législation totalement irréalistes - ben voyons ! - durcissement dont, la
plupart du temps, l'effet pervers est, au contraire, de limiter l'emploi ! ».
C'est là une resucée de la formulation selon laquelle « les licenciements
d'aujourd'hui sont les emplois de demain », devenue aujourd'hui, dans la bouche
de Franck Riboud, la notion de « destruction créatrice ».
Les salariés concernés apprécieront sûrement qu'une fois de plus le seul
message qui leur soit adressé par la droite sénatoriale soit le message «
progressiste » du MEDEF de tout laisser à la négociation entre les partenaires
sociaux, sur la base d'un code du travail
a minima !
Les recommandations de la commission des affaires sociales concernant les
articles relatifs à la lutte contre la précarité des emplois nous obligeront
encore à avoir une attitude défensive. Nous ne pouvons nous accommoder du fait
que la diminution des chiffres du chômage, le retour de la croissance ne
s'accompagnent pas d'un reflux massif des contrats à durée déterminée, des
contrats d'intérim, du nombre de travailleurs pauvres et d'un regain de qualité
de l'emploi.
Pour éviter, notamment, que des entreprises ne recourent de manière
structurelle et permanente à l'intérim, nous ferons des propositions.
Lors de l'examen en première lecture du projet de loi de modernisation
sociale, sur l'initiative des députés communistes signataires d'une proposition
de loi relative au harcèlement moral au travail, un large débat a pu s'ouvrir
sur les violences au travail, débouchant sur l'adoption de plusieurs
dispositions importantes.
Un chapitre spécifique au harcèlement moral a été introduit dans le code du
travail ; le principe d'« exécution de bonne foi » du code du travail a été
affirmé, une définition a été ébauchée ; la protection du salarié victime ou
témoin a été envisagée.
Madame la ministre, conformément à vos engagements, nous espérons que cette
ébauche législative saura s'enrichir des réflexions du Conseil économique et
social pour que, demain, la France se dote d'un dispositif complet permettant
de mieux protéger les salariés.
D'une part, nous serons attentifs à ce que la définition retenue par
l'Assemblée nationale, qui, selon nous, ne rend pas compte de l'ensemble des
situations de harcèlement moral au travail, évolue. La notion de dignité
humaine au sein même de l'entreprise doit apparaître.
Notre proposition initiale recouvrant à la fois les atteintes à la dignité, à
l'intégrité psychique et les pressions psychologiques, définissant le
harcèlement moral au travail comme « une dégradation délibérée des conditions
de travail », sans référence aucune au lien hiérarchique, est proche de la
définition proposée par M. Michel Debout, rapporteur de l'avis adopté par le
Conseil économique et social.
D'autre part, nous veillerons à la mise en oeuvre d'une réelle prévention
utilisant à cet effet tous les acteurs concernés : le comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail, le médecin du travail, le comité
d'entreprise et le chef d'entreprise.
Enfin, nous attendons du Gouvernement des réponses quant au champ
d'application - je pense au secteur public - de ces dispositions jusqu'alors
circonscrit au secteur privé, quant à la reconnaissance du harcèlement moral
comme un risque professionnel, quant à votre refus d'assortir le harcèlement
moral d'une sanction pénale spécifique, à l'instar de ce qui existe en matière
de harcèlement sexuel.
Concernant un autre sujet d'envergure traité dans le titre II, la formation
professionnelle, outil indispensable d'insertion, de promotion de l'individu
confronté aux réalités des mutations de l'emploi, nous saluons la démarche
retenue par Mme la secrétaire d'Etat, qui a préféré à la simple reconnaissance
des acquis professionnels le concept plus large de validation des acquis de
l'expérience, c'est-à-dire des savoirs et savoir-faire emmagasinés en tous
lieux : l'entreprise, bien sûr, mais aussi le milieu associatif, syndical,
etc.
J'en viens maintenant au titre Ier du projet de loi, relatif à la santé, la
solidarité et à la sécurité sociale. Faute de pouvoir entrer dans le détail des
nombreux articles, je centrerai mon propos sur les points qui nous paraissent
devoir être complétés, éclaircis ou maintenus.
Nous profiterons de l'examen des articles transcrivant législativement une
partie du protocole d'accord du 14 mars dernier dans la fonction publique
hospitalière pour faire le bilan des revendications des sages-femmes,
notamment.
Nous demeurons préoccupés par le changement de statut de l'Etablissement
français de fractionnement et des biotechnologies. Nous avons pris acte de la
solution d' « équilibre », proposée par le rapporteur de l'Assemblée nationale,
du maintien du principe des prix administrés pour les dérivés de produits
sanguins ainsi que de la présence, au sein des conseils d'administration, des
représentants du personnel et des donneurs de sang. Pour autant, d'un point de
vue strictement éthique, la classification même des dérivés sanguins, produits
issus du corps humain, dans la catégorie des médicaments nous pose problème.
Concernant la réforme des élections aux conseils d'administration des caisses
de mutualité sociale agricole, la commission s'apprête à revenir sur la parité
de représentation des salariés et des non-salariés au sein des conseils
d'administration des caisses départementales du conseil central de la mutualité
sociale agricole introduite à l'Assemblée nationale et justifiée par les
évolutions démographiques. Nous notons que des discussions ont eu lieu avec les
représentants des différents collèges qui, tous, souhaitent garantir l'avenir
de la mutualité sociale agricole.
Toujours sur l'article 10, nous proposons d'amender le texte afin de répartir
les délégués du deuxième collège à l'assemblée générale centrale au
prorata
des résultats nationaux du scrutin local.
Enfin, je tiens à préciser que les sénateurs communistes soutiennent la
démarche des associations membres du comité d'entente des personnes handicapées
rassemblées devant le Sénat pour dénoncer le caractère amoral et profondément
inégalitaire des règles de récupération sur succession au premier franc des
prestations. Pour ce faire, nous défendrons avec force un amendement visant à
mettre un terme à cette injustice criante.
Madame la ministre, même si l'appréciation du texte dans son ensemble s'avère
difficile, et bien que la droite sénatoriale ait décidé de s'attaquer à
certaines dispositions que nous jugeons au contraire fondamentales, les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen abordent ce débat dans un
esprit résolument constructif.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées
socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la diversité des thèmes abordés par ce projet de loi de
modernisation sociale ne doit pas masquer les avancées majeures qu'il contient,
notamment dans sa partie sur le travail, l'emploi et la formation
professionnelle.
Les récentes annonces de licenciements dans de grandes entreprises
européennes, aux enseignes prestigieuses, exacerbent les attentes qui entourent
l'examen de ce texte. Le débat qui agite l'opinion sur ce qu'il faut faire pour
éviter les licenciements et la précarité est le nôtre aujourd'hui. Il est
d'ailleurs le plus souvent à l'arrière-plan de nos travaux. Nous nous trouvons
face à une vive émotion des salariés.
Le texte que nous examinons est le fruit d'un travail de réflexion et de
raison. Il prévoit des mesures tendant à protéger les personnes contre les
licenciements et dont le défaut majeur serait de ne pas être appliquées. Il
faut donc les proposer et s'en saisir pour qu'elles réussissent.
Chacun doit bien mesurer sa responsabilité, à partir du moment où les mesures
sont justes et porteuses de progrès. Point n'est besoin de spectaculaire. Il
faut seulement réussir. C'est possible, car il s'agit de s'appuyer sur le
développement des relations sociales dans l'entreprise.
Tout d'abord, je veux souligner que la volonté du Gouvernement à agir dans ce
domaine est légitime sur le fond.
Quand il s'agit de légiférer contre les licenciements, on nous oppose que la
réussite économique ne se décrète pas et qu'une entreprise en difficulté doit
pouvoir s'adapter, y compris par des licenciements, si elle veut sauver
d'autres emplois. Faut-il rester alors les bras croisés, ne rien faire et
abandonner les salariés aux seules initiatives des chefs d'entreprise ?
Assurément non !
Notre économie fonctionne plutôt bien. Le progrès économique et les conquêtes
sociales doivent aller de pair. Seulement, dans le domaine économique, on sait
- ce sont les libéraux qui le disent, et cela s'observe - que les forces
avancent d'elles-mêmes. Elles avancent, mais où vont-elles ? La question vaut
parce qu'elles ne rejoignent pas naturellement le sens du progrès social et que
leur puissance est telle - c'est bien ce qui inquiète avec la mondialisation -
que, si elles entrent en contradiction avec le social, le risque est réel
d'avoir une régression. Pour que le progrès économique aille de pair avec le
progrès social, c'est le progrès social que notre politique doit encourager
prioritairement : il a sans cesse besoin d'être soutenu.
Une autre raison d'intervenir tient au fait que le chômage, qui a baissé très
significativement depuis quatre ans, touche encore beaucoup trop de nos
concitoyens et que notre énergie doit se porter vers eux.
Nous voulons ici saluer le travail du Gouvernement dans la lutte contre le
chômage. La réussite est incontestable. Bien sûr, la croissance économique y
est pour beaucoup. Mais le Gouvernement, par son action, a contribué largement
à ce niveau élevé de croissance, et il l'a mis à profit pour faire baisser le
nombre de chômeurs.
Je le disais à l'instant, il y a encore trop de chômeurs. Au-delà de leur
nombre, il y a toutes celles et tous ceux qui sont à la frontière du chômage :
les éventuelles futures victimes des licenciements et les personnes qui ont des
emplois précaires. Malheureusement, il faut aussi ajouter à l'angoisse
particulièrement tragique de ces femmes et de ces hommes celle de leurs proches
et de leur famille. L'interpellation est donc forte.
Avec la décrue du chômage, c'est au noyau dur de ce dernier que nous devons
consacrer nos efforts. Or, celui-ci risque d'être alimenté par les
licenciements actuels, qui rendent plus vulnérables les salariés ayant atteint
un certain âge et les jeunes en situation précaire.
Ce que je veux dire, c'est que nous ne pouvons pas nous contenter de penser
que notre économie créatrice d'emplois saura d'elle-même réintégrer tous les
salariés licenciés. Les plus fragiles de ces derniers savent bien qu'ils
risquent d'être écartés définitivement ou durablement de l'emploi. Lutter
contre les licenciements, c'est donc lutter non pas seulement contre le
chômage, mais aussi contre l'injustice et contre l'exclusion.
L'injustice a aussi un autre visage, odieux moralement : elle transparaît dans
les licenciements des salariés qui travaillent dans des entreprises faisant des
bénéfices. Le seul énoncé de cette réalité est réellement ahurissant.
D'une part, ces licenciements insultent des salariés qui se sont impliqués
dans leur entreprise. Comment ne pas comprendre que ces salariés soient
révoltés et que toute la population le soit avec eux ? Si beaucoup de monde est
menacé dans une économie ou une entreprise en difficulté, faut-il accepter que
personne ne soit à l'abri dans une économie ou une entreprise en expansion ?
C'est scandaleux et décourageant !
D'autre part, comment ne pas être révolté par le fait que les entreprises qui
licencient aient bénéficié, pour leur réussite, d'efforts réalisés par des
populations entières ? Je pense notamment à la construction européenne, puisque
les licenciements que nous avons à l'esprit sont le fait de groupes européens.
Nos concitoyens savent bien ce que leur coûte la réalisation des critères de
l'Union européenne. Ils savent aussi ce que la construction européenne apporte
aux entreprises. L'Europe est un espace de croissance et de stabilité dans
lequel il est possible de prévoir et de développer. Nous avons donc raison de
la soutenir. Encore faut-il que chacun joue le jeu, et ce n'est pas manquer de
pudeur que de le rappeler. Notre entité économique européenne a mis à l'abri de
nombreuses entreprises contre les crises qui, depuis quelques années, ont
dégradé des régions entières du monde, l'Asie et la Russie notamment.
Un autre scandale doit être dénoncé : la manière dont sont organisés les
licenciements. Non seulement des salariés apprennent qu'ils vont être
licenciés, mais, de plus, la manière dont l'annonce leur est faite n'est pas
anodine. On a l'impression que, au-delà des gains que permettra la
restructuration, des chefs d'entreprise cherchent à faire des coups boursiers à
travers des effets d'annonce : ils veulent absolument impressionner
l'actionnaire, lui signifier leur détermination. Celle-ci se traduit trop
souvent par de la brutalité envers le salarié.
Forts de ces éléments d'analyse, nous nous retrouvons confrontés à deux
réalités antagonistes dès lors qu'il s'agit de proposer une solution.
Le mouvement naturel est d'interdire les licenciements. Nous savons que cela
est impossible. La raison en est simple : elle réside non pas seulement dans le
chantage à la délocalisation, mais aussi dans l'évolution de notre système de
production et des métiers. Certains secteurs requièrent moins de travailleurs.
On ne peut pas arrêter l'histoire. Le Gouvernement l'a compris en mettant en
oeuvre la loi sur les 35 heures qui, avec la réduction du chômage, représente
un véritable projet de société.
Et pourtant, face à la révolte des salariés, comment ne pas être tenté
d'interdire les licenciements ? Une des préoccupations qui s'expriment à
l'heure actuelle a trait à un sentiment général d'insécurité.
Mes chers collègues, posons-nous la question suivante : une personne se
faisant voler est-elle plus victime de la délinquance qu'une personne se
faisant licencier ? Au-delà de la perte matérielle, souvent plus grave
d'ailleurs dans le second cas, n'y a-t-il pas dans les deux circonstances la
même souffrance psychologique due à la violence d'une volonté individuelle
extérieure qui viole la tranquillité de la sphère privée et engendre l'angoisse
et la précarité ?
Ajoutons ici que la précarité d'un statut de travail, de même que la crainte
du licenciement et l'inquiétude de voir ce dernier frapper aveuglément, même si
l'entreprise se porte bien, participent de ce sentiment d'insécurité.
Enfin, n'oublions pas que les personnes en situation sociale fragilisée sont
les premières victimes de l'insécurité.
Je crois qu'il fallait mettre les choses au point afin de bien mesurer les
enjeux précis auxquels nous sommes confrontés et de comprendre la portée des
propositions que le Gouvernement a formulées dans ce texte et que nos collègues
de l'Assemblée nationale ont enrichies. Depuis que les députés ont examiné le
présent projet de loi, nous avons pu constater que l'affaire des licenciements
chez Michelin n'était pas un fait isolé. Ce texte mérite donc d'être encore
renforcé.
Les objectifs du projet de loi sont clairs et tentent de concilier les deux
impératifs suivants : protéger les personnes contre les licenciements et ne pas
bloquer nos entreprises face à leurs nécessaires évolutions dans un monde
ouvert.
Pour parvenir à ce résultat, la démarche proposée invite à faire le lien entre
plusieurs dispositions du droit existant, notamment avec les mesures liées au
dispositif des 35 heures et aux négociations qui l'accompagnent. Le dialogue
social a été relancé dans les entreprises. Utilisons-le. Ne craignons pas de
permettre aux acteurs de terrain, aux représentants des salariés, de jouer leur
rôle. Ils connaissent bien la situation économique et sociale de l'entreprise.
Il faut qu'ils aient leur mot à dire dans l'entreprise sur le bien-fondé ou non
des licenciements. Il faut donc qu'ils soient prévenus suffisamment tôt et
qu'ils puissent en discuter.
Le Gouvernement n'a pas voulu une mécanique rigide et centralisée de contrôle
des licenciements, mécanique qui se serait mal adaptée aux réalités diverses
des entreprises. Il a préféré valoriser l'expérience de la maîtrise de cette
diversité, acquise notamment par la mise en place de la réduction du temps de
travail.
Remarquons que le texte prévoit, par ailleurs, d'améliorer la représentation
des salariés actionnaires au conseil d'administration et de surveillance. Ce
qui fera débat, ce sera de savoir jusqu'où les salariés auront le pouvoir de
discuter les licenciements et de les contester. Il y a là un enjeu politique
majeur qui correspond à un véritable clivage.
En tout cas, en étendant la liste des thèmes de négociations quinquennales sur
la formation professionnelle, en favorisant la gestion prévisionnelle de
l'emploi, le texte donne aux représentants du personnel des moyens nouveaux de
s'imposer comme des acteurs responsables dans la stratégie de l'entreprise.
Le contrôle des plans sociaux va dans ce sens. L'entreprise aura intérêt à
avoir bien négocié au préalable, donc à associer en amont les représentants des
salariés. L'obligation, issue de l' « amendement Michelin », d'avoir engagé une
négociation d'accord sur les 35 heures permet déjà de poser la relance du
dialogue social comme préalable, de mieux préciser auprès de chacun de ses
acteurs l'état de l'entreprise.
Une obligation de résultat, en s'inspirant de la jurisprudence « Samaritaine
», doit être exigée. L'entreprise doit prendre ses responsabilités. L'Etat et
les collectivités locales assument les leurs à travers leurs investissements et
le soutien aux services publics, ce qui séduit d'ailleurs les investissements
étrangers. Cette politique peut faciliter la réindustrialisation des sites et
est, de ce fait, un instrument important de protection de l'emploi.
En même temps qu'il renforce le pouvoir d'intervention des institutions
représentant les personnels, le texte vise à leur assurer individuellement une
plus grande sécurité face au risque de licenciement. Je pense en particulier au
très important volet sur la validation des acquis professionnels et de
l'expérience. Là encore, plusieurs dispositifs se complètent et acquièrent tout
leur sens lorsqu'ils sont articulés. La validation des acquis est une mesure
qui fonctionne bien avec les obligations d'assurer l'adaptation des salariés et
avec le droit au reclassement, dans la lignée de la jurisprudence « Samaritaine
».
La validation des acquis représente une avancée considérable. Cette ambition
avait été lancée en 1992 par Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation
nationale. Elle a été reprise en 1997 et bien préparée. Elle vient maintenant
devant nous. Elle ouvre un nouveau droit, celui de voir clairement reconnues et
identifiées, selon des qualités dûment répertoriées, les compétences que chacun
acquiert tout au long de sa vie, et ce non seulement par son activité
professionnelle, mais aussi par toute autre occupation ayant permis de
renforcer son expérience, par exemple la gestion d'une association.
Le progrès que cela représente est évident. Il s'agit d'une véritable
modernisation du regard que nous allons porter les uns sur les autres. Tout
l'enjeu sera d'assurer une véritable reconnaissance des diplômes. C'est une
question de rigueur et de volonté. Les nombreuses réunions préparatoires et de
concertation ont contribué à lever des doutes en précisant les contours du
dispositif.
Un autre volet de cette politique tendant à renforcer la sécurité de la
personne est la lutte contre le travail précaire, qui concerne nombre de nos
concitoyens. Pour certains, cela est préférable au chômage, mais il est temps
de passer à l'étape suivante.
Des dispositions nouvelles concernent le délai de carence, afin d'en exclure
le week-end.
Le droit du travail limitant le recours aux contrats à durée déterminée, les
CDD, et encadrant ceux-ci est renforcé : quel que soit le motif mentionné dans
le contrat, un CDD ou une mission d'intérim ne peut avoir pour effet de
pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de
l'entreprise ; le taux des indemnités de précarité versées en fin de CDD est
relevé à hauteur de celles qui sont allouées à la fin d'une mission
d'intérim.
Les cas d'application des sanctions pénales liées à l'utilisation illégale de
contrats précaires seront étendus.
Le contrat de travail temporaire ou à durée déterminée pourra être rompu sur
l'initiative du salarié lorsque celui-ci justifiera d'une embauche pour une
durée indéterminée : les pénalités visant le salarié sont supprimées.
Par ailleurs, l'offre d'apprentissage et de formation professionnelle est
modernisée. Les sénateurs socialistes proposeront un renforcement des moyens
des centres de formation d'apprentis, les CFA, intervenant dans la formation
des jeunes en difficulté.
La lutte contre le harcèlement moral au travail, outre son enjeu propre, est
aussi un élément concourant à la sécurité du salarié. Elle vient consolider des
dispositions contre les discriminations, contre le harcèlement sexuel et en
faveur de l'égalité professionnelle.
C'est donc un projet de loi à la fois riche et cohérent que nous examinons.
Loin du saupoudrage de mesures que certains voudraient y voir, il s'agit de
faire le lien entre des dispositifs existants, de les renforcer et de les
compléter. Ce texte est donc porteur d'une réelle ambition qui s'appuie sur des
mesures déjà en vigueur, avec la prétention de les valoriser davantage.
Derrière ces mesures, ce qui me paraît important, c'est la possibilité de
renforcer la culture de l'entreprise, lieu privilégié des relations
sociales.
Le salarié représente la mémoire de l'entreprise. Il en est un élément
indispensable, et non un élément imposé ou subi : il lui est lié. Au contraire,
certains actionnaires, qui recherchent des profits immédiats, butinent. Ils
n'ont pas le même rapport identitaire à l'entreprise que le salarié.
Je crois que les débats sur les politiques sociales et économiques à venir
devraient davantage porter sur l'importance de la culture d'entreprise et le
rôle qu'y jouent les salariés. Il faut sortir des clichés du patronat qui
présente la culture d'entreprise comme la religion de la réussite de la marque.
Celle qu'il faut promouvoir se construit autour de l'histoire d'un groupe
humain, entre ses différents acteurs ; elle s'enrichit de l'expérience de leurs
relations, qui doivent tendre à une meilleure efficacité vers l'extérieur et à
un plus grand respect mutuel à l'intérieur.
Ce qui peut contribuer à expliquer, dans le cas de Marks & Spencer, mais plus
particulièrement dans celui de Danone, l'émotion populaire, c'est le sentiment
qu'ont eu nos concitoyens d'être trahis dans la confiance qu'ils avaient été
invités à placer dans l'image de ces groupes.
Il y a eu appel au boycott dans le cas de Danone. Mais si cette entreprise
avait dû licencier dans une situation de réelles difficultés économiques, il y
aurait certainement eu un appel à acheter les produits de consommation courante
de cette entreprise, au lieu de les boycotter, et cet appel serait peut-être
venu des salariés eux-mêmes et aurait eu de l'écho. Au contraire, les gens ont
été meurtris par le sentiment de trahison qu'ont éprouvé les salariés, à qui
l'on a demandé de s'investir psychologiquement dans l'image du groupe et à qui,
finalement, on indique la sortie.
Ce souci de sincérité dans les relations sociales concerne aussi les PME. Le
texte prévoit une extension du dispositif d'aide pour les actions de formation,
pour l'élaboration d'un plan de gestion prévisionnelle de l'emploi et des
compétences. Là encore, le Gouvernement veut, au travers de la prévention des
licenciements, encourager la qualité du climat dans l'entreprise. La taille des
PME fait que les relations personnelles y jouent un grand rôle. Pour qu'elles
soient fructueuses, il faut qu'elles puissent se développer dans un climat de
confiance. Tant mieux si la loi joue son rôle pour garantir ce climat !
Derrière cette préoccupation, il y a un enjeu démocratique. Au moment où de
grands groupes sont plus puissants que certains Etats ou sont en mesure de
faire du chantage à l'emploi, au moment où l'on nous explique qu'il ne faut pas
légiférer dans le domaine des entreprises sous prétexte que cela ne sert à
rien, car on ne peut plus déterminer clairement leur périmètre, nous voulons
savoir qui fait quoi.
On parle beaucoup de transparence en politique. Il en faut plus aussi dans le
monde de l'entreprise. C'est un long combat, et nous devons le mener. Nombre de
dispositions de ce texte, comme celles qui concernent les élections aux
prud'hommes, vont dans le sens d'une obligation de sincérité entre les acteurs
de l'entreprise.
Après la loi relative aux nouvelles régulations économiques, ce texte met au
service de nos relations sociales des outils très concrets. Il permet
d'affirmer l'importance du salarié dans l'entreprise comme étant sa vraie
richesse et sa vraie justification. C'est un combat permanent. Il réussira
grâce aux principaux intéressés dès qu'ils pourront se saisir avec raison des
outils qu'ils réclament avec passion.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes
appelés à examiner, en première lecture, ce projet de loi dit de «
modernisation sociale. »
Sur la forme, je note que ce projet de loi risque d'être l'exemple type d'une
gestion approximative des textes sociaux. Je vous rappelle, mes chers
collègues, que le Gouvernement a déposé ce texte à la fin du mois de mai 2000
et qu'il n'a été examiné par l'Assemblée nationale que sept mois plus tard.
De même, je n'insisterai pas sur le fait que vingt-trois articles de ce projet
de loi ont été retirés pour être progressivement éparpillés dans diverses
propositions de loi.
En réalité, derrière ce titre de « modernisation sociale » se cache un texte
portant diverses mesures d'ordre social dont la modernité n'est pas apparente.
D'ailleurs, comme les 35 heures, et ces mesures ne sont pas financées. Encore
une fois, le Gouvernement préfère la loi au dialogue social, à la concertation,
c'est-à-dire au contrat. On veut imposer aux PME-PMI, créatrices d'emplois, des
contraintes dont le Gouvernement s'est affranchi dans ses négociations avec la
fonction publique.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Bernard Murat.
Sur le fond, où sont les avancées sociales qui devraient améliorer les
conditions de vie quotidiennes de nos concitoyens ? Elles sont bien limitées
!
J'estime que ce projet de loi comporte de nombreux écueils ; j'en citerai deux
pour illustrer mes inquiétudes.
Tout d'abord, l'article 11 abroge la loi « Thomas », qui a créé les « plans
d'épargne retraite », appelés aussi « fonds de pension ». La loi Thomas a au
moins un avantage, celui de généraliser aux salariés du secteur privé les
mécanismes de retraite complémentaire par capitalisation qui ont été mis en
place dans le secteur public.
En effet, il existe un système de fonds de pension assez généreux pour les
agents du secteur public, et ce depuis 1967. Certes, la loi Thomas était
perfectible. Mais, madame la ministre, plutôt que de l'améliorer, vous demandez
sa suppression pure et simple. En effet, cette suppression ne s'accompagne
d'aucun mécanisme alternatif.
Mes chers collègues, il me semble que, sur ce sujet essentiel pour nos
concitoyens, l'analyse dogmatique devrait laisser place à une approche
pragmatique.
Nous savons tous que, dans un système de marché, on ne peut empêcher des
entreprises françaises d'avoir des fonds de pension étrangers comme
actionnaires. Alors, pourquoi ne pas constituer des fonds de pension français,
au lieu de laisser le champ libre aux retraités américains ou suisses ? Je fais
le pari que nos retraités feraient preuve d'un esprit patriotique vis-à-vis de
notre économie.
Par ailleurs, pourquoi refusez-vous au secteur privé ce qui existe pour le
secteur public depuis plus de vingt ans ?
Comme l'ensemble de mes collègues du groupe RPR, j'estime que la préservation
d'un régime de retraite par répartition pour tous les Français est une priorité
intangible. Or personne ne peut nier que les perspectives du régime par
répartition sont catastrophiques. Le rapport Charpin a expliqué très clairement
que le régime par répartition était gravement menacé par la détérioration du
rapport actifs/retraités à partir de 2007. Dès lors, les revenus des retraités
ne pourront que décroître, ces derniers ne disposant même plus des ressources
nécessaires pour vivre.
Aussi, plutôt que de supprimer ce dispositif théorique, puisque les décrets
d'application ne sont jamais sortis, il serait plus cohérent de proposer des
réformes concrètes aux Français, sans tenir compte des échéances
électorales.
Alors, me direz-vous, le Gouvernement a mis en place un fonds de réserve
visant à assurer la pérennité de notre système de retraite ! Certes, mais à
quoi sert un fonds de réserve si l'on ne prévoit pas les moyens nécessaires à
son financement ?
Tout d'abord, je note que, fin 2001, il manquera 15 milliards de francs en
raison des incertitudes qui pèsent sur l'attribution des licences UMTS.
M. Gérard Larcher.
Eh oui !
M. Bernard Murat.
Ensuite, et surtout, je relève que l'alimentation du fonds de réserve repose
très largement sur les excédents du fonds de solidarité vieillesse, le FSV. Or,
comme le souligne mon ami Alain Vasselle dans son rapport sur le fonds de
réserve, ces excédents sont détournés systématiquement par le Gouvernement. En
effet, dès mars 2000, le Gouvernement s'est employé à assécher la première
ressource du fonds de réserve. Les excédents du fonds de solidarité vieillesse
serviront au financement ponctuel des trente-cinq heures, à la prise en charge
de la dette de l'Etat à l'égard de l'Association générale des institutions de
retraites des cadres, l'AGIRC, et de l'Association des régimes de retraites
complémentaires, l'ARRCO, ainsi qu'au financement de l'allocation personnalisée
d'autonomie.
Au total, il faut le savoir, d'ici à 2020, ce sont 540 milliards de francs en
cumulé qui seront prélevés sur le FSV, ressource qui aurait engendré par
ailleurs 250 milliards de francs de produits financiers.
Ainsi, en l'état actuel des choses, ce fonds de réserve reste dans le domaine
des idées. Il ne représente rien de concret qui constituerait une alternative
au maintien de notre système de retraite par répartition.
Aussi, avec l'ensemble des membres du groupe RPR, nous suggérons de maintenir
les plans d'épargne retraite, puisque le Gouvernement ne propose aucune mesure
de substitutions réaliste.
J'en viens à un autre volet de ce projet de loi : le durcissement du droit du
travail. Les articles 31 à 34 du projet de loi et les amendements du
Gouvernement qui nous sont soumis tendent à donner plus de garanties aux
salariés des entreprises privées en matière d'emploi.
Je m'en félicite, et je dois dire, madame le ministre, que j'ai été assez
choqué, à cet égard, par les propos que vous avez tenus en fin d'après-midi. En
effet, même au Sénat, la générosité n'est pas l'apanage de la gauche ! Ayant
été moi-même salarié et licencié, je sais de quoi je parle et je pense que peu
nombreux sont ceux qui, dans cet hémicycle, peuvent en dire autant !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR. - Protestations sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Il faut y être passé pour le savoir !
Dès à présent, je souhaite exprimer notre compassion à toutes celles et à tous
ceux qui, aujourd'hui comme hier, sont confrontés à ce drame humain qu'est le
licenciement. L'émotion des femmes et des hommes qui sont licenciés est
légitime. Les licenciements sont un grave traumatisme, voire un drame
personnel, pour tous les salariés d'une entreprise et leurs familles. La
mobilité professionnelle n'est pas encore entrée dans notre culture comme un
atout de reconversion, voire d'amélioration sociale. Il faut avoir connu cette
situation pour pouvoir en parler avec émotion, mais aussi avec objectivité,
sans tomber dans la démogagie électoraliste.
Comme vous, madame le ministre, j'estime que les entreprises ont une
responsabilité sociale vis-à-vis de leurs salariés. Mais, au-delà de ce drame,
les élus de la nation devraient être en mesure, d'une part, de prendre du recul
par rapport à la situation et, d'autre part, de ne pas légiférer sous la
pression des événements actuels.
Il faut aussi que nos dispositifs soient acceptés par la Communauté
européenne, afin de ne pas défavoriser les entreprises française face à leurs
concurrents européens, sans parler des concurrents américains ou autres. Sans
cette prise en compte par l'Europe, cet objectif serait des plus utopiques.
N'oublions pas que suppression de poste ne signifie pas licenciement. Du
reste, Danone s'est engagé à proposer trois contrats à durée indéterminée à
chacun des 570 salariés perdant leur emploi, allant ainsi bien au-delà des
dispositions de la loi actuellement en vigueur, comme vous l'avez d'ailleurs
reconnu, madame le ministre.
Par ailleurs, n'oublions pas que l'économie de marché impose aux entreprises
de se remettre en question en permanence. A cet égard, je rappelle que, si le
chômage diminue en France, c'est grâce, d'abord et avant tout, à la croissance
mondiale, certes, mais aussi au dynamisme des chefs d'entreprise et des
investisseurs, en particulier celui des dirigeants de nos PME et de nos PMI,
lesquelles n'ont rien à voir avec les problèmes que rencontrent de grands
groupes comme Renault, Michelin, Danone, etc.
A ce propos, madame le ministre, j'insiste pour que vous veilliez
particulièrement à ce que votre projet de loi prenne en compte la dimension des
entreprises et la structure de leur capital, afin de ne pas décourager les
petites et moyennes entreprises françaises.
Nous savons aussi que l'équilibre économique d'une entreprise est fragile. Son
maintien nécessite une surveillance continue du marché, ainsi qu'une
adaptabilité permanente des moyens de production, en particulier des ressources
humaines. Combien d'entreprises ferment chaque jour parce qu'elles n'ont pas su
rester compétitives face à leurs concurrents, tant nationaux qu'internationaux
? La seule vraie question est donc de savoir quand et comment les
restructurations doivent être effectuées.
Madame le ministre, j'aimerais vous rappeler que la France n'est guère
attractive, sur les plans fiscal et social, pour les chefs d'entreprise, ce qui
nuit fortement à la progression des investissements étrangers dans notre pays ;
des charges sociales très fortes, une imposition plus lourde que chez nos
partenaires européens, une législation sociale, très rigide, l'instauration des
35 heures n'incitent pas à la création ou au développement d'entreprises sur
notre territoire et expliquent les nombreuses délocalisations constatées vers
des pays plus accueillants, ainsi que le départ de nombreux jeunes diplômés
disposant de la formation et des capacités nécessaires pour créer des
entreprises.
Gardez en mémoire que l'embauche et le licenciement sont des prérogatives du
chef d'entreprise : c'est l'un des piliers de notre droit du travail. La loi
doit, bien entendu, définir les conditions dans lesquelles s'opèrent les
licenciements, mais elle ne doit en aucun cas porter atteinte à la liberté
d'entreprendre ; seuls la négociation et le contrat peuvent régler durablement
les relations dans l'entreprise.
Or le surcroît de rigidité proposé par le Gouvernement, tout en donnant
l'impression de protéger les salariés, pourrait, dans certains cas, être fatal
aux entreprises et aboutir ainsi à l'augmentation du nombre des
licenciements.
Madame le ministre, les chefs d'entreprise connaissent les incidences des
plans sociaux. S'ils y ont recours, c'est, dans la plupart des cas, parce
qu'ils n'ont pas d'autres moyens à leur disposition pour préserver l'existence
de leurs entreprises dans un climat de concurrence mondialisée.
J'ajoute qu'une loi de modernisation sociale dans le domaine de l'entreprise
ne peut faire l'impasse, comme c'est apparemment le cas ici, sur ce qui fait la
modernité de celle-ci, c'est-à-dire les nouveaux métiers et les nouvelles
technologies, informatiques et de communication, qui changent radicalement les
fonctions dans l'entreprise. C'est cela, la modernité du xxie siècle, mais,
sauf erreur de ma part, votre projet de loi s'adresse au monde du travail du
xxe siècle ! Nous sommes d'accord avec vous pour dénoncer les méthodes
employées par Marks & Spencer, mais, sans une certaine flexibilité, il n'y a
plus de gestion possible.
Dans le même ordre d'idées, je ne peux approuver l'article 36 de ce projet de
loi. En effet, il prévoit de durcir les sanctions pénales liées à l'utilisation
des contrats à durée déterminée : dorénavant, le fait de ne pas conclure par
écrit un CDD serait puni d'une amende de 25 000 francs.
Comprenez mon étonnement, car il existe déjà une sanction civile lorsqu'un CDD
n'est pas établi par écrit, à savoir la requalification en CDI. Il faut laisser
au droit pénal le rôle qui est le sien, c'est-à-dire réprimer un acte
délictueux qui porterait atteinte à l'intégrité de notre société. Or, tel n'est
pas le cas ici, et les dispositions proposées reflètent une idée très
péjorative des qualités humaines des chefs de PME et de PMI, que nous, les
élus, nous sollicitons en permanence, je tiens à le rappeler, pour qu'ils
emploient des jeunes et des moins jeunes sans formation dans nos villes.
A mes yeux, il aurait été préférable d'améliorer l'« employabilité » des
salariés. Aujourd'hui, nous constatons que les crédits dégagés pour la
formation professionnelle des adultes sont très insuffisants et que les
Français, en particulier les femmes, sont inégaux face à la formation.
Aussi, plutôt que de « corseter » le droit du travail, à mon sens il serait,
plus opportun d'améliorer la formation professionnelle continue, afin qu'elle
prenne place tout au long de la vie professionnelle et, surtout, plus en amont
des reclassements.
De même, il aurait été plus urgent que vous cherchiez des solutions pour
combattre la pénurie de main-d'oeuvre, à l'exemple de celles que la majorité
sénatoriale vous a proposées.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Oui !
M. Bernard Murat.
Ainsi, dans les secteurs des métiers de bouche et de
l'hôtellerie-restauration, du bâtiment ou du tertiaire, les offres d'emploi
sont deux fois plus nombreuses que les demandes.
Pour en terminer sur ce chapitre, je voudrais également, madame le ministre,
attirer votre attention sur le risque à court terme que fait courir votre
projet de loi aux employés salariés, puisque l'effet d'annonce va
obligatoirement inciter les groupes multinationaux qui prévoyaient d'opérer des
licenciements économiques à accélérer le mouvement et à durcir leur position
s'agissant des reclassements.
Par ailleurs, de nombreux investissements étrangers vont être ou sont déjà
gelés. Avez-vous évalué combien d'emplois cela représente et déterminé dans
quels pays concurrents de la France ces emplois seront créés ?
Je souhaite maintenant évoquer quelques silences de ce projet de loi.
Je constate que, si l'article 17 du texte prévoit la réforme des études
médicales, il ne règle pas le problème de la démographie médicale : deux à
trois mois d'attente, c'est le délai moyen que les patients se voient proposer
pour consulter un médecin spécialiste en Corrèze. Ces délais d'attente sont
particulièrement observables en ophtalmologie ou en gynécologie. Ils résultent
de l'inadéquation entre la démographie des médecins spécialistes et les besoins
en matière de santé, et cette pénurie a des conséquences désastreuses pour la
prise en charge de ceux-ci. Par exemple, faute d'un nombre suffisant
d'ophtalmologues, la moitié des glaucomes ne sont pas traités, parce que non
dépistés.
Par conséquent, madame le ministre, ma question est simple : avez-vous
l'intention d'augmenter le nombre des postes aux concours de l'internat afin de
limiter les effets de cette pénurie ?
Par ailleurs, annoncée en novembre dernier, la réforme du mécanisme des
lettres-clés flottantes semble aujourd'hui « enterrée ».
Comme je l'ai déjà dit, ce système, mis en place par le gouvernement auquel
vous appartenez, madame le ministre, me semble dangereux pour les malades et
abusif pour les médecins. En effet, il sanctionne de manière collective, sans
tenir compte des pratiques individuelles, de l'expérience des praticiens et des
particularismes locaux. Depuis sa mise en place, je me suis toujours opposé à
un mécanisme qui contribue à détériorer les relations entre les professionnels
de santé et les pouvoirs publics.
A cet égard, il me paraît irréaliste de vouloir maîtriser les dépenses de
santé en fondant sa politique uniquement sur des éléments budgétaires, sans
tenir compte de la réalité des besoins sanitaires légitimes de la population,
sauf à vouloir rapprocher nos services de santé du modèle britannique, qui,
comme vous le savez, est catastrophique.
Bien entendu, comme l'ensemble de mes collègues de la majorité sénatoriale, je
souhaite une maîtrise de l'évolution des dépenses médicales. Mais, pour cela,
il convient de faire appel à la responsabilité individuelle des médecins et de
contribuer à l'amélioration des pratiques médicales, qui doivent toutes être
codifiées.
Aussi, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2001, avions-nous adopté un amendement visant à remplacer ce mécanisme par
un système de responsabilité individuelle. Vous aviez alors, madame le
ministre, émis un avis défavorable sur les propositions de la majorité du
Sénat, tout en précisant que vous aviez entamé les consultations avec les
professionnels de santé, pour - je vous cite - « modifier, améliorer, parfaire
le système ».
Aujourd'hui, nous constatons que même la CNAMTS, la Caisse nationale
d'assurance maladie des travailleurs salariés, n'a pas voté l'objectif de
dépenses déléguées fixé par vous, madame le ministre, à 150 milliards de
francs, le président de cette caisse allant même jusqu'à préciser que « la
régulation fondée uniquement sur un système de lettres-clés flottantes ne peut
pas être un outil de restructuration du système de soins ». A ses yeux, « ce
système a aussi comme conséquence qu'il casse toute dynamique contractuelle
avec les professionnels de santé ».
Encore une fois, nous devons constater que la logique du Gouvernement est une
logique de contrainte, à rebours d'une incitation à un dialogue toujours plus
approfondi visant à privilégier le contrat comme système de travail et de
négociation.
Ma question est simple, madame le ministre : où en est le Gouvernement,
s'agissant du renoncement aux sanctions collectives et du retour à une
politique contractuelle à laquelle les Français sont attachés ?
Enfin, j'évoquerai un autre silence de ce projet de loi qui concerne
l'hospitalisation privée.
Les trois premiers articles du texte ont trait au protocole de mars 2000
relatif à l'hôpital public. En clair, Mme Aubry, pour répondre aux mouvements
sociaux de l'an dernier, avait décidé d'octroyer 17 milliards de francs
supplémentaires à celui-ci. Ces moyens nouveaux ont notamment permis
d'augmenter les salaires des personnels infirmiers des hôpitaux, et je m'en
réjouis. En effet, présidant le conseil d'administration de l'hôpital de Brive,
je me félicite de ce que le Gouvernement consente enfin à donner des moyens
supplémentaires à l'hôpital public.
Toutefois, j'estime que l'attitude du Gouvernement vis-à-vis des cliniques
privées remet complètement en cause le système hospitalier français, lequel est
à la fois public et privé. Je rappelle à cet égard que le secteur privé assure
plus de 60 % des actes de chirurgie : c'est la spécificité française, et les
Français veulent pouvoir choisir librement entre le public et le privé. Déjà
étranglées par des tarifs qui n'ont pas bougé ou qui ont même parfois diminué
du fait d'exigences de sécurité sanitaire sans cesse plus coûteuses, les
cliniques n'arrivent pas à recruter des infirmières, alors qu'elles sont
obligées d'accroître leur masse salariale pour appliquer les 35 heures. Aussi
souhaiterais-je, madame le ministre, que le Gouvernement mette à la disposition
de l'hospitalisation privée les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.
Les grèves des sages-femmes et des infirmières sur l'ensemble du territoire ont
d'ailleurs mis en exergue les attentes des professionnels de santé en matière
de statut et d'effectifs.
Permettez-moi, madame le ministre, puisque j'ai l'honneur et le plaisir de
parler devant vous, de profiter de cette occasion pour attirer votre attention
sur la nécessité de créer deux postes de sage-femme supplémentaires à l'hôpital
de Brive-la-Gaillarde.
(Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
En
effet, les décrets de 1998 relatifs à la périnatalité imposent aux sages-femmes
un surcroît de contraintes, qu'elles ne peuvent assumer à effectif constant
sans risque d'engagement de leur responsabilité. L'agence régionale de
l'hospitalisation a annoncé la création de postes de sage-femme dans le
Limousin, mais aucun ne sera ouvert à la maternité du centre hospitalier de
Brive. Je suis persuadé que vous pourrez donner une réponse positive à cette
demande.
Pour conclure, j'indiquerai que ce projet de loi, à la portée certes étendue,
ne doit pas faire oublier les trop nombreux dossiers qui restent toujours en
suspens, comme celui de la réforme des retraites. Cependant, je considère que
ce texte comporte de nombreux aspects positifs.
Si le Gouvernement auquel vous appartenez souhaite véritablement assurer une
modernisation sociale, prenez en compte les propositions du groupe du RPR. Il
serait heureux qu'elles ne soient pas rejetées d'un simple revers de la main
par la majorité de l'Assemblée nationale, car elles viennent de gaullistes, qui
ont à la fois une vision libérale de l'économie et une très forte conscience
sociale.
(Applaudissement sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit.
Madame le ministre, lors de la présentation de votre budget, le 4 décembre
dernier, je vous avais entretenue de la Caisse des Français de l'étranger, la
CFE, en vous rappelant qu'elle est issue d'un certain nombre de textes votés
par le Parlement, dans la quasi-totalité des cas à l'unanimité, et qu'elle est
l'expression d'une volonté exemplaire de la majorité et de l'opposition
d'offrir à nos compatriotes expatriés un système de couverture sociale proche
de celui que nous avons en métropole.
L'article 8 du projet de loi de modernisation sociale que vous nous présentez
va tout à fait dans ce sens. Les dispositions sur lesquelles nous allons
revenir émanent, pour une grande partie, du conseil d'administration de la CFE,
et la concertaion préalable, entre vos services et la direction de la caisse et
moi-même, a été tout à fait satisfaisante.
Je tiens à remercier le rapporteur de la commission des affaires sociales, M.
Bernard Seillier, qui a accepté de retenir, au nom de ladite commission, après
examen et concertation, un certain nombre d'amendements que j'avais préparés
avec les services de la CFE. Cela montre, une fois de plus, l'intérêt que la
commission des affaires sociales porte à la couverture sociale de nos
compatriotes expatriés.
J'en viens au projet de loi de modernisation sociale et à son article 8, qui
apporte un certain nombre de modifications pour nos compatriotes établis hors
de France.
D'abord, on relève un ensemble de dispositions destinées à rationaliser
diverses prestations, à clarifier ou à améliorer la réglementation afin qu'elle
soit davantage en harmonie avec la réalité des situations rencontrées à
l'étranger.
Ensuite, on remarque un dispositif d'aide à l'accès à l'assurance maladie,
géré par la CFE, qui permettra l'adhésion de certains de nos compatriotes de
l'étranger dont les moyens financiers sont limités.
Enfin, une incitation sera donnée aux jeunes Français qui s'expatrient pour
adhérer au système de la CFE.
Premièrement, ce texte permettra dorénavant de traiter de façon égalitaire les
ex-invalides qui arrivent à l'âge de la retraite, quels que soient leurs droits
antérieurs à pension. Ainsi, à soixante ans, l'assuré percevra soit une pension
proportionnelle à la durée de cotisation à l'assurance vieillesse, soit une
pension proportionnelle à sa durée d'affiliation à la CFE s'il n'a jamais ou
s'il n'a pas assez cotisé à l'assurance vieillesse.
Pour les non-salariés, on prendra en compte une assiette de cotisations plus
conforme à la réalité de leurs revenus, en la fixant sur la totalité de leurs
ressources.
Pour les inactifs, une assiette de cotisations mieux adaptée, plus conforme
aux revenus réels du foyer, tout en tenant compte de la composition de la
cellule familiale, pourra également être fixée.
Pour l'ensemble des adhérents, les dispositions relatives aux conditions
d'adhésion et d'ouverture des droits aux prestations pourront être reprises de
manière à les unifier, et une notion d'âge de l'adhérent au moment de
l'adhésion pourra être intégrée afin de favoriser une inscription plus rapide
auprès de la CFE.
Les différentes catégories d'ayants droit couverts au titre d'un assuré
pourront aussi être redéfinies et déterminées, permettant ainsi d'adapter le
texte aux situations rencontrées à l'étranger.
Pour l'ensemble des adhérents pourront être confirmées les dispositions
relatives au niveau du remboursement des soins dispensés à l'étranger et le
principe d'un paiement de cotisations préalable au remboursement des frais
engagés.
Le texte permettra, enfin, de fixer les conséquences pour l'adhérent d'une
fausse déclaration de rémunération ou de ressources en assujettissant notamment
l'intéressé à une pénalité et en introduisant une possibilité de radiation à
défaut de versement de la dite pénalité.
Deuxièmement, et c'est certainement l'un des points les plus importants pour
la CFE, l'article 8 fixe les conditions dans lesquelles certains Français
résidant hors de l'Espace économique européen pourront bénéficier d'une aide à
l'adhésion auprès de la CFE, par le biais d'une prise en charge partielle de
leurs cotisations lorsque leurs revenus sont insuffisants.
Pour ce faire, il a été défini comment et par qui cette aide pourrait être
mise en oeuvre. Il a été nécessaire d'identifier et de limiter les conséquences
des différents risques financiers auxquels peut être exposée la CFE.
L'ensemble de ce texte est conforme à ce qu'a toujours préconisé et mis en
oeuvre le conseil d'administration de la CFE : permettre l'accès à l'assurance
maladie d'un plus grand nombre tout en respectant l'obligation d'équilibre des
comptes.
J'en viens maintenant aux amendements proposés par la commission des affaires
sociales et son rapporteur, avec qui j'ai eu l'honneur de collaborer.
Ces amendements sont dictés par le souci de rigueur et de responsabilité de la
CFE envers ses adhérents, l'obligation lui étant faite de leur garantir que
tout est mis en oeuvre afin que les prises en charge des bénéficiaires et des
soins soient effectuées à bon droit.
Ces propositions d'amendement permettront donc de clarifier les conditions
dans lesquelles un ascendant peut être pris en charge sur le compte de l'assuré
en intégrant des critères d'accès simples et vérifiables.
Les remboursements pourront être ajustés en fonction d'un tarif moyen local et
non plus sur la base du tarif français lorsqu'il apparaîtra que les factures
sont anormalement nombreuses, alors que médicalement rien ne semble le
justifier, et manifestement surévaluées par rapports aux coûts locaux.
L'assuré pourra être radié en cas de fraude avérée ou de fausse déclaration
visant à obtenir des prestations non dues.
Enfin, en accord avec un expert désigné, il sera possible de définir un
traitement adapté à l'état du malade, lorsque la procédure spécifique aux
affections de longue durée n'est pas applicable et que l'importance des soins
et des dépenses présentées justifie cette expertise.
Troisièmement, un amendement particulièrement important pour la CFE vise à
faire bénéficier les jeunes adhérents d'une ristourne sur les cotisations
d'assurance maladie-maternité-invalidité ou maladie-maternité. Les étudiants
bénéficient déjà d'une cotisation limitée, mais les jeunes, bénéficiaires par
ailleurs de la prise en charge partielle de leurs cotisations, n'étaient pas
concernés jusqu'à présent par une telle mesure.
Selon nos informations, en effet, beaucoup de jeunes Français diplômés ou non,
qualifiés ou non s'expatrient notamment dans les pays anglo-saxons, où ils
poursuivent leur vie professionnelle soit sans couverture sociale, soit avec
une couverture d'organismes privés étrangers souvent aléatoire. Cette
proposition vise donc à favoriser les adhésions des jeunes Français et à
permettre leur entrée dans les régimes gérés par la CFE plus tôt dans le temps,
en diminuant le coût de leur protection sociale.
Cette disposition se justifie par le faible risque que présentent ces jeunes
Français. Elle permettra de les inciter à rester adhérents de la CFE. Ce texte,
madame la ministre, est indubitablement une avancée pour la couverture sociale
de nos compatriotes.
Je regrette que ceux qui dépendent d'entreprises - notamment des petites et
moyennes entreprises disposant de faibles ressources - soient exclus du présent
texte, mais je reconnais que les difficultés étaient grandes pour à la fois
respecter l'esprit du texte et cerner de façon statistique nos compatriotes
concernés.
Ces améliorations sont destinées à permettre à la CFE de poursuivre son
action, qui, je le sais, est appréciée par nos compatriotes. Il en résultera
une augmentation sensible du nombre de ses adhérents, notamment ceux qui
n'avaient pas la possibilité matérielle de le faire.
Je dirai quelques mots sur l'article 8
bis
, qui a fait l'objet de
multiples interventions de fonctionnaires français détachés principalement au
Canada et aux Etats-Unis.
L'article 8
bis
du projet de loi de modernisation sociale soulève, en
sa rédaction actuelle, certaines questions quant aux modalités concrètes de son
application, qui seront définies par un décret en Conseil d'Etat.
Premièrement, à partir de quand et dans quels délais les fonctionnaires
concernés devront-ils faire connaître leur souhait de demeurer, ou non,
affiliés à leur régime de retraite français ? Un vaste effort d'information des
intéressés est-il prévu en ce domaine ?
Deuxièmement, à la liquidation de la pension française, celle-ci sera réduite,
à due concurrence, du montant de la pension étrangère. Que se passera-t-il si,
à la date de la liquidation de la pension française, le fonctionnaire ne
remplit pas encore, par ailleurs, les conditions nécessaires à l'obtention
d'une pension auprès du régime de retraite étranger ?
Troisièmement, pour les fonctionnaires actuellement en cours de détachement ou
les fonctionnaires retraités demandant le remboursement des cotisations déjà
acquittées à leur régime français de retraite, ce remboursement sera-t-il
effectué en francs courants ou en francs constants ? Cette dernière solution,
qui prend en compte l'inflation, est la seule à leur garantir un remboursement
« au franc près ».
Quatrièmement, un dispositif particulier ne devrait-il pas être prévu en
faveur des fonctionnaires détachés qui, après avoir choisi de ne pas demeurer
affiliés à leur régime français de retraite, et compte tenu d'une modification
ultérieure - et imprévisible à la date de leur départ en détachement - de la
législation de leur pays d'accueil, se trouvent finalement dépourvus de tout
droit à pension au titre de leur période de détachement ?
Ces interrogations portent donc principalement sur la disparité qui va être
créée entre ceux qui ont pris leur retraite, ceux qui vont prendre leur
retraite avant les décrets d'application et les nouveaux détachés qui vont se
trouver dans une situation tout à fait différente, disparité qui ne manquera
pas de susciter des controverses et des recours.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, lors du débat à l'Assemblée nationale, le texte qui nous est
présenté a été qualifié par dérision de fourre-tout, de millefeuille ou encore
de garde-manger par des députés de l'opposition.
Les rapporteurs de notre commission des affaires sociales n'ont pas employé
ces termes. M. Alain Gournac a simplement considéré que l'intitulé du projet de
loi est trompeur parce qu'il ne correspond pas à ses orientations politiques.
Cela ne nous surprend pas et prouve que le projet de loi va dans le bon sens
!
(Sourires.)
M. Gérard Larcher.
C'est ce que l'on appelle un syllogisme !
M. Louis Moinard.
C'est une interprétation !
M. Gilbert Chabroux.
Le texte que nous avons à examiner est, sans aucun doute, complexe et
disparate : il comprend, tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, 106
articles d'inspiration très diverses, mais aucun n'est insignifiant ; nombre
d'entre eux revêtent même une très grande importance.
Les débats à l'Assemblée nationale, ont été très longs. Ils ont permis
d'approfondir et d'enrichir un texte dont l'objectif n'échappe à personne :
actualiser des lois existantes pour leur donner vitalité et efficacité, et
mieux répondre à de nouvelles situations ou à de nouveaux besoins.
L'actualité est, d'ailleurs, bien présente pour nous faire comprendre qu'il y
a urgence à revoir certains textes législatifs et à les moderniser,
particulièrement dans les domaines de la santé et du droit à l'emploi.
Cet objectif de modernisation sociale doit aller de pair avec les réformes qui
ont été entreprises par le Gouvernement et qui, depuis 1997, ont été
particulièrement nombreuses et importantes. Il suffit de citer la loi sur les
emplois-jeunes, la loi portant création d'une couverture maladie universelle et
les lois sur les 35 heures.
D'autres réformes vont être mises en oeuvre, dont nous débattrons
prochainement, qu'il s'agisse de l'allocation personnalisée d'autonomie, du
projet de loi sur les droits des malades ou de la révision des lois sur la
bioéthique.
Toutes ces lois, tous ces projets de loi montrent bien que la modernisation
sociale est au coeur de l'action du Gouvernement.
Les résultats obtenus sont là pour témoigner de la pertinence et de
l'efficacité des choix qui ont été faits. Il faut rappeler ces résultats. C'est
ainsi que le chômage a reculé au-dessous de 9 %, que 1 045 000 personnes ont
retrouvé un emploi depuis juin 1997, que 1 500 000 emplois ont été créés, que
la croissance s'est maintenue à un niveau élevé et que la consommation des
ménages s'est encore accrue.
Toutefois, il est vrai qu'il y a encore des progrès à accomplir et que la
croissance pourrait être mieux partagée ; elle ne pénètre pas assez dans les
quartiers difficiles et il reste un peu plus de deux millions de chômeurs.
Il faut aussi reconnaître que les plans sociaux, qui se succèdent, créent un
profond malaise, d'autant qu'ils sont souvent marqués par beaucoup de brutalité
et de mépris, je pense à celui de Marks & Spencer.
Ce débat doit donc nous permettre de rappeler que la priorité est l'emploi et
la justice sociale et que nous devons aider le Gouvernement à tenir ce cap, en
élaborant des moyens législatifs mieux adaptés pour faire en sorte que les
entreprises assument aussi leurs responsabilités sociale et citoyenne.
Mme Dieulangard est intervenue pour le groupe socialiste d'une façon toute
particulière sur ces problèmes et plus généralement sur les articles du titre
II relatif au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.
Même si l'actualité donne à cette partie du texte une importance particulière,
nous ne devons pas négliger pour autant le titre Ier, qui contient aussi des
dispositions très intéressantes sur lesquelles nous serons amenés à intervenir
lors de la discussion des articles.
Ce titre Ier comporte des avancées significatives dans le domaine de la santé,
de la solidarité et de l'action sociale.
Il faut tout d'abord se réjouir des dispositions concernant les hôpitaux.
Elles permettent de valider les protocoles d'accord qui ont été signés après de
longues et difficiles négociations entre le Gouvernement et les organisations
représentatives des personnels hospitaliers, ainsi qu'avec les représentants
des praticiens hospitaliers. Ces deux protocoles d'accord marquent une nouvelle
étape dans « la consolidation et la modernisation du service public hospitalier
».
Il faut ainsi souligner ce que représente, comme avancée, le volet social du
projet d'établissement, avec une réflexion sur l'évolution des personnels, les
conditions de travail, la formation, l'évolution des qualifications, les bilans
de compétences, une concertation interne.
Ce sont autant de conditions qu'il fallait satisfaire pour atteindre les
objectifs qui ont été fixés en matière de politique hospitalière, à savoir
mieux répondre aux besoins de la population, améliorer la qualité et la
sécurité, réduire les inégalités.
Mais il faudra aussi que les moyens financiers soient à la mesure de ces
objectifs. Autrement dit, pour reprendre les propos qui ont été tenus récemment
par M. le ministre délégué à la santé, « il faut avoir l'argent de la politique
de la santé et non faire la politique de l'argent de la santé ».
Il faut aussi se réjouir qu'avec la revalorisation du statut des praticiens
hospitaliers, et donc une plus grande attractivité des carrières hospitalières,
des solutions aient pu être trouvées pour les praticiens adjoints contractuels
et les médecins à diplôme étranger, d'une façon générale, les médecins à statut
précaire, qui bénéficieront d'une intégration renforcée.
M. Bernard Cazeau interviendra sur la réforme des études médicales. Il est
important que la médecine générale soit reconnue au même titre que l'ensemble
des spécialités et que les praticiens puissent s'inscrire dans des démarches de
qualité.
Il reste sans doute quelques problèmes particuliers à résoudre, comme ceux qui
sont relatifs aux modalités d'intégration des chirurgiens-dentistes
hospitaliers à diplôme étranger. Il faudrait pouvoir régler des problèmes de
dates et de délais pour faire preuve d'équité à leur égard.
Il faut aussi s'interroger sur la situation des médecins titulaires du «
diplôme d'Etat français de docteur en médecine » avec une qualification
première en « médecine générale » nouveau régime, qui ont suivi, par la suite,
une spécialisation dans une filière médicale ou chirurgicale et obtenu un
diplôme inter-universitaire de spécialisation en France ou un diplôme
équivalent dans un pays extérieur à la Communauté européenne. Etrangers à
l'origine, devenus français par la suite, ces praticiens se voient refuser le
titre de spécialiste et la possibilité d'exercer leur spécialité en milieu
libéral ou hospitalier.
Nous devons également évoquer la situation des sages-femmes, qui, après plus
d'un mois de grève, sont dans l'impasse. Il y a là un malaise qui s'aggrave. Il
faut trouver les mesures à prendre, pas seulement en termes de salaire, mais
aussi en termes de statut pour que la place de cette profession soit mieux
reconnue. Il s'agit d'une profession médicale à part entière. Nous savons que
le ministre de la santé ne ménage pas ses efforts pour établir une
concertation, mais nous souhaiterions que ces efforts puissent aboutir.
Toujours dans le domaine de la santé, des questions se posent sur les
conditions dans lesquelles pourrait être organisé l'examen médical auquel
seraient soumis les jeunes Français et les jeunes Françaises lors de la journée
d'appel de préparation à la défense et sur les enseignements que l'on pourrait
en tirer. Ce n'est pas un problème de principe - un large accord existe sans
doute sur l'intérêt d'un tel examen - mais plutôt sur un problème de moyens à
mettre en oeuvre pour pouvoir apprécier, dans de bonnes conditions, l'état de
santé de la population jeune et, surtout, assurer un suivi.
Des questions se posent également au sujet d'un autre examen dans un autre
domaine, celui de la médecine scolaire. Il s'agit du dépistage, à leur entrée
au cours préparatoire, des enfants atteints de dyslexie ou de dysorthographie.
Les médecins et les personnels du service de santé scolaire sont-ils en nombre
suffisant pour effectuer ce dépistage et surtout pour assurer un suivi, voire
une rééducation, si besoin est ?
Toujours dans le domaine de la santé et de la prévention, il faut souligner
l'importance de l'article 64, qui vise à renforcer la protection de la santé
des salariés exposés à des substances dangereuses. Le pouvoir donné à
l'inspecteur du travail de lancer une procédure d'arrêt de chantier en cas de
danger grave et imminent serait étendu aux situations dangereuses « résultant
d'une exposition à une substance chimique cancérigène, mutagène ou toxique pour
la reproduction, à un niveau supérieur à une valeur limite de concentration
».
On mesure toute l'importance de cet article quand on sait que l'on estime à un
million le nombre de salariés exposés à de telles substances. Quand on évoque
ces risques, on pense tout particulièrement à certains éthers de glycol dont
les effets néfastes commencent à être bien connus, suffisamment en tout cas
pour que des mesures d'interdiction ou de substitution par des produits moins
nocifs soient prises sans attendre.
D'autres dispositions méritent également toute notre attention ; je pense plus
particulièrement à celles qui sont relatives à l'accueil familial des personnes
âgées et des handicapés.
Ainsi, il n'y aura plus de distinction entre l'accueil des personnes âgées et
celui des handicapés. C'est une avancée appréciable.
L'accueil familial représente une excellente solution entre le maintien à
domicile et le placement en établissement. Il faudrait cependant faire évoluer
le statut des accueillants familiaux vers le salariat et prévoir pour eux une
formation. Les aides-ménagères bénéficient le plus souvent d'une formation.
Cette formation est à plus forte raison nécessaire pour les familles d'accueil
qui hébergent des personnes dépendantes.
Comme l'a suggéré Bernard Seillier, rapporteur, des institutions sociales et
médico-sociales ou des associations pourraient prendre toute leur place dans le
développement d'un tel dispositif.
Une question se pose au sujet des bénéficiaires de l'aide sociale, dans
l'hypothèse d'un retour à meilleure fortune ou par rapport à leur
succession.
Actuellement, l'Etat ou les départements peuvent exercer un recours en
application de l'article 132-8 du code de l'action sociale et des familles.
Pour les personnes handicapées, la récupération concerne essentiellement
l'allocation compensatrice pour tierce personne et la prise en charge des frais
d'hébergement et d'entretien dans des foyers.
Nous allons prochainement examiner le projet de loi relatif à l'allocation
personnalisée d'autonomie. Il faut qu'il y ait cohérence entre les textes et
les différents dispositifs, qu'il s'agisse des personnes âgées dépendantes ou
des handicapés.
Il faut respecter la dignité des personnes et supprimer ou limiter le plus
possible l'aspect d'aide sociale que pourraient comporter ces dispositifs. Il
faut donc insister sur la prise en charge collective de ce risque commun qu'est
la dépendance, au même titre que la maladie ou l'accident.
D'autres questions se posent au sujet des handicapés qui ne pourront pas être
traitées sans une réforme globale de la loi d'orientation du 30 juin 1975.
Cette réforme devrait s'opérer sur la base du droit à compensation, la
compensation concernant tous les domaines de la vie et profitant à tous, quels
que soient l'origine du handicap et sa nature, l'âge de la personne, son lieu
de vie et l'implantation de celui-ci.
Bien d'autres dispositions que celles qui sont relatives à la santé ou aux
handicapés mériteraient d'être soulignées.
Au titre Ier, il faut citer avec une mention particulière l'article 11 visant
à abroger, enfin, la loi Thomas, qui avait pour objet d'instaurer des fonds de
pension à l'anglo-saxonne. Elle favorisait clairement les salariés aux revenus
les plus élevés, permettant à certains, dans une entreprise, de bénéficier
d'avantages fiscaux et sociaux alors que d'autres n'y avaient pas droit. Elle
privilégiait une approche individuelle et fragilisait les comptes de la
sécurité sociale.
Le Gouvernement manifeste son attachement au système de retraite par
répartition ; il faut tout faire pour préserver ce système et le moderniser. Le
Gouvernement tient l'engagement qu'il avait pris. Il faut simplement regretter
qu'il ait fallu autant de temps pour abroger cette loi votée en 1996, une loi
qui n'avait fait l'objet d'aucun décret d'application.
D'une façon générale, le texte qui nous est présenté correspond à une vraie
nécessité, qu'il s'agisse de la santé, de la solidarité ou du droit à l'emploi
et des garanties permettant de renforcer la protection des salariés contre le
risque de licenciement et l'abus du travail précaire, qu'il s'agisse aussi de
la réforme de la formation professionnelle à travers les acquis de
l'expérience.
Ainsi que vous l'avez dit, madame la ministre, il y a, au bout du compte, dans
ce projet de loi de modernisation sociale qui paraît disparate, une cohérence
d'inspiration réformatrice qui en constitue le coeur.
A ce titre, il fera date, comme d'autres lois présentées par le Gouvernement
de Lionel Jospin.
Les sénateurs socialistes vous apporteront, madame la ministre, leur soutien
le plus chaleureux pour faire aboutir ce projet et l'améliorer encore au cours
des débats qui vont intervenir.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, j'ai compris que, pour être politiquement correct, il ne
fallait pas parler d'un texte « fourre-tout ».
(Sourires.)
Vous voyez
que je vous écoute, madame la ministre !
Je me contenterai donc de dire que le titre qui lui est attribué de «
modernisation sociale » me semble tout de même un peu pompeux.
Je ne pense pas faire injure à M. Gilbert Chabroux, qui vient de parler d'un
texte « complexe et disparate », en traitant le projet de loi de texte portant
diverses mesures d'ordre social ou DMOS.
Déjà, la deuxième partie du projet de loi relatif à la couverture maladie
universelle ressemblait tant à un DMOS que nous avions été contraints de
désigner deux rapporteurs ; là, nous sommes passés à quatre ! Et on nous
annonce pour le mois de juin un nouveau DMOS particulièrement fourni !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
C'est une habitude !
M. Charles Descours.
Traditionnellement, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, le
Parlement proteste quand on lui soumet un DMOS. Il serait donc anormal que je
ne proteste pas contre ce que je considère comme un DMOS !
Au demeurant, et pour être un peu plus sérieux, j'insisterai sur deux points
du texte qui, me semble-t-il, auraient dû faire l'objet de textes de loi
autonomes. Je veux parler des handicapés et de la réforme des études médicales.
En tout cas, je n'évoquerai pas le défoulement idéologique de certains groupes
de la majorité plurielle à propos de l'abrogation de la loi Thomas !
J'en viens donc au problème des handicapés, auquel nous sommes évidemment tous
sensibles.
(M. le ministre délégué à la santé rejoint le banc du
Gouvernement.)
Je suis bien aise de saluer M. le ministre délégué à la santé, puisque je vais
parler des études médicales.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je ne voulais pas manquer votre discours !
M. Charles Descours.
Merci de venir à cette heure tardive, monsieur le ministre.
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Je savais que vous alliez parler, monsieur
le sénateur.
(Nouveaux sourires.)
M. Charles Descours.
Je suis très honoré !
Considérant que les personnes handicapées relevaient d'une catégorie
spécifique de population ayant des besoins particuliers qui appelaient des
réponses particulières, c'est tout naturellement que, en 1975, le Gouvernement
de l'époque - le coeur n'est pas exclusivement à gauche ! - conforté par la
majorité du mouvement associatif des parents de handicapés et des
professionnels, a élaboré une loi-cadre particulière proclamant l'intégration
des personnes handicapées, loi que le législateur a ensuite complétée par une
seconde loi organisant l'accueil de ces personnes dans des maisons
spécialisées.
Depuis, la société a changé : les nouveaux besoins de cette population,
évaluée à trois millions de personnes, exigent de nouvelles réponses.
Ainsi, notre cadre de vie ordinaire se révèle peu adapté à leurs difficultés,
difficultés que la vie moderne urbaine accentue. Moi qui ai eu l'honneur de
faire réaliser le premier tramway au monde accessible aux handicapés, et ce
sous la pression des associations de handicapés, je sais bien quelle est leur
souffrance dans les villes modernes !
Si la seconde loi concernant les institutions a été révisée, pour le moment,
les personnes handicapées sont toujours dans l'attente d'une révision de la
loi-cadre de 1975, révision promise par l'actuel gouvernement.
Devant l'immense et légitime attente de cette population, les quelques
dispositions inscrites dans ce projet de loi apparaissent bien dérisoires et
soulèvent, en outre, des difficultés juridiques et pratiques que notre
rapporteur a tout à l'heure justement soulignées.
Si l'accueil familial est une formule souple qu'il convient de développer,
encore faut-il être très vigilant sur le choix de la nature du contrat liant la
famille et la personne accueillie.
De même, si l'assouplissement des règles d'accès aux parcs de stationnement
aménagés part d'une intention généreuse, encore faut-il ne pas obtenir
l'inverse de l'effet désiré, à savoir l'exclusion des personnes les plus
lourdement handicapées.
En revanche, nous ne pouvons qu'approuver la réaffirmation des droits
fondamentaux des handicapés, l'institution de conseils départementaux
consultatifs des personnes handicapées et les dispositions sur l'accès à
l'emploi, heureusement toilettées par l'Assemblée nationale.
Mais cela est loin de constituer une réforme globale et de répondre aux
attentes concernant la garantie des ressources des travailleurs handicapés,
l'obligation d'emploi dans les entreprises, les difficultés rencontrées par les
indispensables ateliers protégés, l'intégration scolaire des jeunes handicapés,
l'accès à la vie autonome à domicile et la réforme toujours différée des
COTOREP.
M. le ministre délégué à la santé, qui occupe ce poste pour la troisième fois,
sait combien est récurrente la question des COTOREP. Celles-ci fonctionnent
très mal et tout le monde en est mécontent. Mais le problème n'est pas nouveau
! Cela fait dix ou douze ans que l'on entend parler de la réforme des COTOREP.
Pourtant, mais rien ne vient !
M. Lionel Jospin lui-même, devant le conseil national consultatif des
personnes handicapées, le 25 janvier 2000, avait annoncé un plan triennal.
Cette intention mérite d'être saluée, mais sa mise en oeuvre a pris beaucoup de
retard sur de nombreux points.
D'ailleurs, les deux principales associations françaises concernées, l'AFM et
l'APF, dénoncent les retards accumulés dans la mise en oeuvre de ce plan en
faveur de l'intégration des personnes handicapées. Elles observent que
l'accompagnement du dispositif par l'Etat fait cruellement défaut. En effet,
les concours financiers promis n'ont pas été engagés, tandis que des textes
réglementaires se font toujours attendre.
Pourtant, des réformes sont urgentes et indispensables, telle celle du système
d'appui à l'insertion professionnelle des handicapés, notamment dans le secteur
public. En effet, l'AGEFIPH, l'association pour la gestion du fonds pour
l'insertion professionnelle des handicapés, constate que l'amélioration de la
situation de l'emploi profite dans une moindre mesure aux travailleurs
handicapés.
Paradoxalement, le secteur privé est, dans ce domaine, meilleur élève que le
secteur public, où l'intégration des personnes handicapées est pratiquement au
point mort. Cela étant, il faut aussi reconnaître que, malheureusement, plus du
tiers des entreprises du secteur privé préfèrent acquitter une taxe plutôt que
d'employer un travailleur handicapé.
Selon l'AGEFIPH, ce sont 150 000 postes de la fonction publique qui devraient
être attribués à des personnes handicapées. Il est vrai que cette opération
nécessiterait 600 millions de francs.
Il semble bien que, plus d'un an après l'annonce par Lionel Jospin de ce plan
prétendument exceptionnel en faveur de l'intégration des personnes handicapées,
l'Etat n'ait pas tenu sa parole. C'est pourquoi il aurait été vraiment
préférable qu'un texte spécifique - et M. Gilbert Chabroux s'est exprimé dans
le même sens - réformant la loi de 1975 nous soit soumis.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Charles Descours.
J'en viens au deuxième point de mon intervention : le problème des études
médicales, sur lequel j'aurais également souhaité qu'un projet de loi
spécifique nous soit présenté.
Il est ici proposé de supprimer l'internat. Ayant été, en 1968 et 1969,
président de l'intersyndicale nationale des internes, puis vice-président du
syndicat des chefs de clinique, je suis bien placé pour savoir que cette
suppression est un vieux serpent de mer. Je sais aussi que notre internat n'est
pas reconnu par nos partenaires européens. Mais il s'agit tout de même d'un
concours qui existe depuis 1802, année prestigieuse ! C'est surtout un concours
hospitalier que l'on veut remplacer par un examen universitaire validant. Mais
je ne veux pas jouer les anciens combattants!
(Sourires.)
Je comprends très bien que l'on souhaite une revalorisation de la médecine
générale. Toutefois, je ne crois pas qu'un examen médical classant réglera la
question. Dans une profession qui se féminise, dans une profession où les
contraintes sont plutôt moins fortes qu'autrefois, ce sont sans doute les
derniers reçus à l'examen classant qui choisiront la médecine générale.
M. Gérard Larcher.
C'est le risque !
M. Charles Descours.
Bref, je crains que ce ne soit une forme de sélection qui tende à se
rapprocher d'une sélection par l'échec.
Quoi qu'il en soit, je voterai cette réforme tout en considérant que ce n'est
pas avec des consultations à 115 francs qu'on attirera les étudiants vers la
médecine générale.
En tout cas, l'ensemble de la formation médicale méritait un vrai débat, et
d'abord en ce qui concerne le deuxième cycle.
Quelle formation les étudiants en médecine reçoivent-ils aujourd'hui sur le
coût de la santé, dont on ne cesse de dire qu'on n'arrive pas à la maîtriser ?
Quid
de la sensibilisation aux dangers des rayonnements ionisants ?
Quid
de la formation clinique ?
Monsieur le ministre, vous nous expliquez vous-même que l'on consomme trop
d'antibiotiques et trop de tranquillisants. A l'heure où l'on voit des médecins
généralistes prescrire des antibiotiques à des enfants sans avoir fait prendre
leur températuer, on perçoit combien il est aujourd'hui difficile de revenir
sur un certain nombre d'habitudes. On fait trop confiance aux examens
spécialisés, aux examens de laboratoire, à l'imagerie médicale sophistiquée, au
lieu de procéder à un examen clinique, tout simplement parce que l'examen
clinique n'est plus suffisamment enseigné.
Voilà pourquoi une réflexion sur le deuxième cycle aurait été utile.
Et il en va de même pour le premier cycle.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
On va la faire !
M. Charles Descours.
Monsieur le ministre, lors de la dernière séance des questions d'actualité,
vous nous avez expliqué que les sages-femmes allaient pouvoir suivre le premier
cycle d'études médicales. J'ai reçu les sages-femmes grenobloises cette
semaine, elles m'ont montré la lettre qu'elles avaient reçue de vous, et je
peux vous dire qu'elle ne les a pas totalement calmées.
A Grenoble, les futures sages-femmes suivent le premier cycle depuis 1991.
Mais cela pourrait concerner aussi d'autres professions. En son temps, Claude
Allègre avait envisagé la création d'un DEUG des professions paramédicales.
Nous aurions pu avoir aussi un vrai débat sur la manière dont doivent être
formés les infirmières, les kinésithérapeutes. Faut-il vraiment que le choix de
ces professions résulte de l'échec à l'issue du premier cycle ? Un débat
spécifique aurait mieux valu que cet article pris au milieu d'une centaine
d'autres, au détour de ce qui n'est, en fait, qu'un DMOS.
J'ai cru comprendre que, depuis cet après-midi, ce texte n'était plus frappé
de l'urgence, mais ce ne semble pas être tant à cause de la question des études
médicales que du fait des amendements dont, madame la ministre, vous voulez l'«
enrichir ». On « enrichit » toujours les projets quand on les alourdit !
En tout cas, sur ces deux problèmes des handicapés et des études médicales,
j'aurais été heureux que l'on nous soumette plusieurs projets de loi isolés qui
nous auraient permis de discuter plus longuement de problèmes qui intéressent
des millions de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Mes chers collègues, notre Haute Assemblée examine donc aujourd'hui le projet
de loi sur la modernisation sociale.
Plus de quarante ans de vie politique m'ont appris à ne pas m'enfermer dans
une démarche de critique systématique. C'est pourquoi, madame le ministre,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne ferai pas l'examen
exhaustif de toutes les dispositions qui me laissent perplexe. Laissez-moi
simplement réagir devant les aspects hétérogènes de ce projet de loi et dire
que son absence de profondeur l'empêche, d'emblée, de moderniser véritablement
le champ social.
Ce texte aborde de nombreux thèmes qui s'articulent essentiellement autour de
la santé, de la protection sociale et de la solidarité. Pour ma part, je
souhaiterais insister sur les thèmes de la solidarité à l'égard des personnes
handicapées.
Les handicapés constituent une réalité sociale incontournable. En effet, la
France compte 3,5 millions de personnes atteintes d'un handicap moteur, mental
ou sensoriel ; parmi elles, on en dénombre environ 700 000 qui sont hébergées
dans des institutions spécialisées. Si je soustrais 700 000 de 3,5 millions,
j'obtiens 2,8 millions de handicapés qui sont donc soit dans leur famille, soit
dans des familles d'accueil.
Celui qui n'est pas lui-même concerné ne sait rien de ce que cela représente.
Que de patience, d'amour aussi, et surtout de force physique pour leurs
parents, leurs proches ! Un petit signe d'amélioration, et c'est une joie
immense ! Un grand signe de nouvelle difficulté, et ce sont encore plus de
souffrances !
Notons que le milieu ouvrier déclare une déficience 1,6 fois plus fréquente
que celui des cadres, ce qui rend l'exercice de la solidarité doublement
nécessaire : à titre humain et à titre social.
Ces chiffres ont fait l'objet d'une réflexion approfondie lors du colloque
organisé le 28 mars dernier par le groupe centriste, auquel j'ai l'honneur
d'appartenir, et consacré à « l'intégration du handicap ». Ils nourrissent les
craintes mais aussi les attentes de nos partenaires sociaux. Les associations,
notamment l'Association des paralysés de France, le GAP ou l'UNAPEL, espèrent -
que dis-je -, exigent que le Sénat rétablisse certaines dispositions.
Rappelons que la majorité plurielle, talonnée par la procédure d'urgence, à
laquelle on a heureusement renoncé à la dernière minute - merci, madame le
ministre ! - a rapidement examiné certaines mesures contraires à l'intérêt des
handicapés.
Le problème majeur du handicapé est de percevoir un sentiment de pitié passive
de la part des autres. C'est pourquoi, à titre personnel et au nom du groupe
centriste, je souhaite intégrer les handicapés dans notre société, à tous les
échelons, et d'abord au quotidien.
A ce sujet, l'article 28
ter
relatif au stationnement payant reprend
notre souci d'accroître l'autonomie et les déplacements motorisés des personnes
handicapées.
Soyons attentifs aussi aux entrées des bâtiments publics et privés, qui ne
sont pas toujours bien agencées, ainsi qu'aux bordures de trottoir que le
fauteuil roulant ne peut pas gravir.
Par ailleurs, il nous faut réaffirmer le droit des handicapés à la
compensation, afin qu'ils bénéficient d'une vraie qualité de vie à leur propre
domicile. Ce point a été abordé à l'Assemblée nationale par mes collègues M.
Goulard et Mme Bachelot-Narquin.
S'agissant de leur intégration dans les entreprises, je rappelle l'importance
de l'article 39, relatif à l'insertion professionnelle des travailleurs
handicapés. Alain Gournac a formulé à ce sujet des remarques fort
intéressantes.
J'éspère également que les chefs d'entreprise pourront continuer à les
accueillir en stage en respectant le
quota
de 6 %. C'est certainement
très difficile, et je ne porte aucun jugement !
La loi leur en donnant la possibilité, certains chefs d'entreprise choisissent
de s'acquitter de leur contribution légale et financière auprès de l'AGEFIPH,
car ils ne peuvent assumer la présence physique des handicapés sur le lieu de
travail. Il faut avoir le courage d'affirmer que, loin de faciliter leur
insertion, cette situation aggrave la discrimination dont ils sont victimes.
Si cette intégration ne peut se faire en milieu ordinaire, il nous revient, à
nous élus, de réunir les meilleures conditions d'accueil, et d'abord dans les
ateliers protégés. Il faut trouver pour cela une solution aux compléments de
rémunération et aux accessoires de salaires. Compte tenu de la gravité de ce
problème, je tiens à souligner qu'il fait l'objet de l'un de mes
amendements.
Il faut également favoriser leur accueil dans les familles ; ce n'est pas si
simple. Je rappelle que l'Assemblée nationale a adopté l'amendement du groupe
centriste relatif à la nécessité d'une formation initiale et continue pour les
accueillants familiaux - c'est l'objet de l'article 14. Cette démarche est
fondamentale, à mes yeux.
Pour conclure, je souhaite réaffirmer mon engagement personnel, ainsi que
celui des membres du groupe de l'Union centriste, à l'égard des handicapés. Je
rappelle, si besoin est, l'immense respect que nous devons leur porter. C'est
pourquoi nous réaffirmons, dans l'article 14
ter
, les droits
fondamentaux et souhaitons - c'est l'objet de l'article 14
quater
- les
faire participer, au niveau départemental, au Conseil consultatif national des
personnes handicapées.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, à ses détracteurs qui lui reprochent de manquer de cohérence,
je rétorquerai que le projet de loi de modernisation sociale me paraît plutôt
agréger des secteurs parfois distincts, certes, mais cohérents de l'action
publique. Cette cohérence, il la résume d'ailleurs sous la notion de «
modernisation ».
Le présent projet de loi peut en effet se prévaloir de comporter des
dispositions qui vont renforcer la protection sociale d'un certain nombre de
nos concitoyens résidant en France ou hors de France, améliorer la vie de
certains de nos compatriotes, notamment les personnes âgées et handicapées,
réformer, par la mise en place d'un nouveau
cursus
universitaire, un
certain nombre de professions de santé, ouvrir de nouveaux droits en faveur des
salariés, valider un certain nombre d'acquis professionnels.
Enfin, et ce n'est pas le moindre des sujets, ce texte donne les moyens de
lutter contre toutes les formes de cette dérive psychosociale qu'est le
harcèlement moral.
Ces thèmes ont, d'ailleurs, pour bon nombre d'entre eux, fait l'objet de la
part des élus, des associations, voire de la société civile, de demandes
réitérées ces dernières années. Et il me paraît bienvenu que le Gouvernement
nous en saisisse aujourd'hui pour légiférer.
A ce stade de la discussion, je me contenterai d'évoquer deux des actions qui
me paraissent de première importance dans ce projet de loi. Il s'agit, d'abord,
de réformer le
cursus
universitaire des médecins. Il s'agit, ensuite,
d'instituer une nouvelle relation entre l'entreprise et le monde salarial, qui
est particulièrement urgente dans la période de mondialisation que nous
vivons.
Concernant la réforme des études médicales, je tiens à saluer la volonté du
Gouvernement d'avoir véritablement donné une nouvelle dimension à la pratique
de la médecine générale en l'intégrant dans un nouveau
cursus
de
troisième cycle des études de médecine.
En instituant l'obligation d'un internat unique, validé par un examen national
classant, on rompt avec un
cursus
médical à deux vitesses. On se donne,
outre les moyens d'une véritable revalorisation de la médecine générale, une
réelle possibilité d'apprécier d'emblée des compétences que beaucoup, il faut
bien le dire, affinaient autrefois dès les premières années de pratique.
Contrairement à l'un des orateurs précédents, je souscris complètement aux
dispositions relatives aux premier et deuxième cycles, sous réserve d'une
valorisation rigoureuse du deuxième.
J'en viens aux mesures nouvelles régissant les relations entre le monde de
l'entreprise et celui des salariés. Nous constatons, à travers les événements
récents, à travers leur médiatisation et leur impact sur le terrain, que les
Français sont prêts à s'impliquer dans les conflits sociaux et qu'ils réclament
le droit d'être entendus.
L'alliance citoyenne qui s'est spontanément réalisée entre les consommateurs
et les salariés sous la forme du boycott des produits de l'entreprise Danone
doit nous aider à prendre la mesure de la lassitude de nos compatriotes face à
des situations d'injustice, notamment face à cette logique qui considère les
travailleurs comme de simples facteurs ajustables dans la course effrénée à la
rentabilité financière.
Cette pratique de boycott présentait l'avantage d'exprimer symboliquement un
refus, notamment sur les sites destinés à fermer leurs portes. Mais elle
comportait aussi en retour le risque de pénaliser les salariés et l'emploi sur
d'autres sites jusqu'ici préservés. Déshabiller Pierre pour habiller Paul n'a
jamais été une stragégie de progrès !
En portant la volonté du Gouvernement de trouver des solutions législatives,
vous démontrez, madame la ministre, que nous ne sommes pas désarmés face à la
situation actuelle et qu'il importe aux élus, notamment aux parlementaires, de
ne pas en rester à un constat d'impuissance.
Dans cette perspective, nous sommes conduits à nous demander comment mieux
protéger les salariés en cas de plans sociaux ou de licenciements sans
appliquer une réglementation trop dissuasive pour des entreprises qui, en
situation de mobilité des capitaux, peuvent à tout moment effectuer des choix
d'implantation défavorables à notre pays.
Il paraît donc, en premier lieu, souhaitable de responsabiliser certains
groupes de grande taille quant à leur impact sur la structuration des
territoires, Cela a été dit par M. Delfau. La friche industrielle doit être
combattue pour préserver nos équilibres territoriaux. Cela suppose de la part
des grandes entreprises - puisqu'elles en ont souvent la possibilité - des
efforts de réindustrialisation des sites restructurés.
En deuxième lieu, il est indispensable que soit intégrée à l'élaboration des
plans sociaux, dans des délais décents, l'intégralité des acteurs de
l'entreprise et non pas seulement sa direction et ses actionnaires.
La brutalité avec laquelle l'entreprise Marks & Spencer a annoncé à ses
salariés leur licenciement et la détresse dans laquelle cette annonce les a
plongés ne peuvent que plaider en faveur d'une meilleure association des
représentants des salariés aux processus décisionnels. Plus fondamentalement,
ce sont les relations de pouvoir au sein de l'entreprise qui doivent être
rénovées.
En troisième lieu, il est possible de préconiser le renchérissement du coût
des licenciements, notamment de l'indemnité légale de licenciement.
Il est en effet difficilement acceptable que la collectivité nationale paie
l'indemnisation d'individus licenciés pour favoriser des gains privés, parfois
non nationaux. L'entreprise doit donc assumer une partie du coût social de son
action.
En quatrième et dernier lieu, il est nécessaire de mieux armer les salariés
licenciés pour la recherche d'emploi en validant leurs acquis professionnels.
Souvent premières victimes des plans sociaux, les salariés les moins qualifiés
sont aussi ceux qui bénéficient le moins des formations offertes et qui ont
donc le plus de difficultés à se reclasser.
En ce domaine, vous nous proposez, à travers une série d'amendements, de
compléter des dispositions déjà prises en première lecture par l'Assemblée
nationale, ce dont nous nous réjouissons, car elles allient à un fort
volontarisme politique une démarche réfléchie vis-à-vis d'un environnement
économique mondialisé.
Il est en effet intolérable que l'emploi demeure, en permanence, la seule
variable d'ajustement du système productif.
Espérons que la proposition que vous nous faites nous permettra d'avancer d'un
pas dans le sens de la modernisation sociale, qui est l'objet de ce projet de
loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, à la lecture d'un texte fourre-tout qui rend impossible tout
examen sérieux par un parlementaire de base, il faut rendre hommage aux mérites
des différents rapporteurs chargés de nous éclairer sur le projet de loi dit de
« modernisation sociale ».
Grâce à la reconnaissance de la validation des acquis de l'expérience
professionnelle, je concède que, sur le volet « formation professionnelle », le
projet mérite le titre qui lui a été donné. Mais cela n'est plus du tout le cas
sur le volet « travail et emploi », que je veux aborder.
En effet, sur ce sujet, je ne vois pas comment on peut parler de
modernisation. Ce qui nous est présenté est un catalogue de menaces, de
sanctions, de « complexifications », qui traduit une méconnaissance totale de
la vie dans les entreprises, sauf peut-être pour les plus grandes d'entre elles
- multinationales ou autres - aux pratiques éventuellement douteuses.
Mais je ne reconnais pas, dans les entreprises visées par les articles du
chapitre « protection et développement de l'emploi », celles que je côtoie
chaque jour sur le terrain, qui créent richesses et emplois et qui seront
soumises quasiment aux mêmes contraintes que les autres.
La complication des textes, la négation des partenaires sociaux ou
l'accentuation de sanctions pénales vont-elles mieux protéger l'emploi ? J'en
doute. Mais ce dont je suis certain, c'est qu'elles ne le développeront pas
!
Je partage tout à fait l'analyse d'Alain Gournac, excellent rapporteur -
comme, d'ailleurs, ses trois collègues - de la partie du projet de loi que
j'évoque ici. Je ne reviendrai donc pas sur ce qu'il a dit.
Je voudrais simplement apporter un éclairage sur des propositions que je
m'attendais à trouver dans ce projet de loi et qui auraient vraiment donné un
sens au mot « modernisation ». Elles auraient été parfaitement bien placées
dans le chapitre consacré à la protection et au développement de l'emploi.
En effet, chacun reconnaît qu'occuper un emploi dans la même entreprise, dans
le même lieu, durant toute sa carrière, c'est terminé ! Faut-il le regretter ?
Je ne le pense pas. D'ailleurs, la validation des acquis de l'expérience
professionnelle que vous proposez montre bien qu'il faut accepter une certaine
mobilité.
Chacun constate à la fois la nécessité du travail à temps partiel, mais aussi
ses limites, ses difficultés et sa précarité. Chacun commence donc à considérer
qu'il faut reconnaître ces nouvelles formes du travail qui apportent de la
souplesse dans la vie des salariés, des garanties et de la compétence aux
entreprises au moment ou elles en ont besoin.
Une formule qui permet d'apporter ces conditions existe et est reconnue
officiellement. Il s'agit du groupement d'employeurs. Mais lui aussi a ses
limites, et il n'est pas toujours possible de le mettre en place. D'autres
formules sont pratiquées par des salariés qui juxtaposent plusieurs temps
partiels dans plusieurs entreprises.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Très bien !
M. André Jourdain.
Mais là, l'absence de garanties pose problème, autant au salarié qu'à
l'employeur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Eh oui !
M. André Jourdain.
Certes, par des approches timides, dans différents textes, par exemple la «
loi Aubry II » pour les congés, la « loi Sapin » pour le travail en secteur
public et en secteur privé, la reconnaissance de cette forme de travail à temps
partagé en multisalariat se dessine peu à peu.
Toutefois, désigné par le Sénat comme membre du Conseil national de la
montagne, j'ai eu l'occasion, le 5 février dernier, à Clermont-Ferrand, de
constater que l'on était toujours à la recherche d'une solution pour une
catégorie de salariés à plusieurs employeurs : les saisonniers.
Or, la forme de contrat que j'avais élaborée pour les salariés à temps partagé
en multisalariat peut s'appliquer aux saisonniers.
Lorsque ma proposition de loi a été adoptée par le Sénat, le 11 mars 1999, Mme
Nicole Péry avait déclaré à cette tribune que notre texte, auquel elle
s'opposait, était prématuré, car le Gouvernement allait, à l'automne - donc
l'automne 1999 - déposer un projet de loi sur ces nouvelles formes de travail,
en particulier sur la pluriactivité, à la suite de la remise du rapport de M.
Praderie.
Or rien n'a été fait. J'espérais que cela serait fait dans le présent texte.
Constatant que ce n'est pas le cas, j'ai donc déposé un amendement qui reprend
une partie de ma proposition de loi pour répondre aux questions posées lors de
la réunion du Conseil national de la montagne.
Permettre le développement de nouvelles formes de travail, favoriser l'idée du
contrat, et non celle de sanction, telles auraient pu être les ambitions d'un
véritable projet de modernisation sociale avec - encore un exemple ! - au lieu
du maintien dépassé de la forme des emplois-jeunes, l'instauration du contrat
de première expérience professionnelle préconisé par notre commission des
affaires sociales.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Eh oui !
M. André Jourdain.
Devant un tel manque d'innovation, je ne pourrai, monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voter en l'état le texte
qui nous est proposé.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants).
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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